De l'art dans l'activisme

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De l’art dans l’activisme À propos d’activisme et de nouvelle objectivité, Walter Benjamin écrit en 1966 que « dans le but de montrer par leur exemple que l’engagement politique, qu’il puisse sembler révolutionnaire ou non, fonctionne de façon contre révolutionnaire tant que l’écrivain expérimente sa solidarité avec le prolétariat seulement de façon intellectuelle (pensée) et non comme un producteur (diffuseur). » L’idée de Benjamin est reprise et reformulée quelques années après, notamment par JellO Biafra qui en 2001 écrit « Don’t hate the media, be the media « (Ne hais pas les médias, sois le média - in Become the Media, AK Press, 2001). Dans les années 1960 et 1970, la question du politique sert de décors au monde de l’art. Sur fond de crises sociales - les questions raciales (rappelons qu’à cette époque, les artistes ‘blancs’ sont bien plus représentés dans les expositions et collections que les artistes ‘latinos’ et ‘noirs’), les questions de genre (les artistes femmes sont quasi inexistantes de la scène artistique) et la crise économique que connait les États-Unis, amènent les artistes à se mobiliser et à combattre pour ces causes qu’ils défendent. Des groupes comme l’Art Workers Coalition (AWC) mutualisent artistes de toutes origines, curators, critiques… et organisent des manifestations, des happenings et autres évènements au cours desquels ils s’unissent pour communiquer et mettre en avant les problèmes précédemment nommés. Néanmoins, bien qu’il soit possible d’appréhender le travail de certains de ces artistes sous un angle politique (nommons par exemple Hans Haacke, Lucy R.Lippard ou encore Robert Morris, pour ne citer que certains des membres les plus actifs du groupe), les valeurs qui sont défendues collectivement, ne se retrouvent pas forcément dans les oeuvres. Pourtant, à la même époque, mené par Ben Morea, le groupe Black Mask (qui quelques années plus tard changera son nom pour Up Against the Wall MotherFucker) pratique l’art comme une forme politique et le politique comme un art au moyen de performances, de happenings et autres interventions radicales, en ciblant entre autre, les grands musées new yorkais. Une pratique qui se développe dans l’espace urbain et qui emprunte des formes esthétiques autant du côté des techniques de lutte traditionnelles (éphémères, manifestations, slogans…), que dans des formes performatives et artistiques (carnavalesque, corps, accessoires, peinture…). Dans un article tiré de leur journal éponyme, Black Mask expliquent leur position en affirmant qu’ils ne sont ni artistes, ni anti-artistes mais qu’ils sont des créatifs révolutionnaires et qu’en tant que créatifs ils dédient leur art à créer une nouvelle société tout en détruisant la société actuelle. Au cours des années 1990 et au début des années 2000, une relecture de l’espace public amène une multitude de groupes de différentes origines à modifier, notamment, leurs réflexes de politisation des espaces. Dans We Are Everywhere (Verso, 2005), le collectif Notes front Nowhere écrit : « Qui veut encore de l’ennui des manifestations traditionnelles ? Les parcours rituels de A vers B, les autorisations de la préfecture et l’encadrement policier, l’ersatz d’actes de désobéissance civile, de réunions verbeuses et les discours ennuyeux des dirigeants ? « Bien qu’étant une vieille tradition (des archives photographiques datant des années 1920 le prouvent) les puppets refont leur apparition lors des manifestations, le carnavalesque et l’échange des rôles qu’il implique est devenu une arme commune, les happenings politiques connaissent un véritable succès, les pancartes qui étaient autrefois recouvertes de slogans accusateurs et revendicatifs deviennent des peintures abstraites… Cette nouvelle approche de la politique conduit les acteurs des différents mouvements à mixer les pratiques sensibles, théoriques et revendicatrices, aussi l’espace urbain est devenu l’espace des possibles où se rencontrent l’art et l’activisme ; les pratiques se croisent, empruntent des formes et des concepts d’un côté comme de l’autre rendant la frontière entre art et activisme infime. Aussi, essayer de définir ce que serait un art activiste reviendrait avant tout par une question simple ; l’artiste joue-t-il un rôle dans notre société ? Dans un entretien, l’artiste et activiste new yorkais Josh MacPhee explique que « l’artiste a un rôle à jouer dans notre société, notamment envers les différents évènements politiques, mais aussi dans son propre milieu. » Toujours selon lui,


« il est important que les artistes réagissent et fassent reculer ce que le marché de l’art leur impose (…) le pouvoir de ‘l’art’ réside dans son habilité à créer des gestes qui servent et répondent à nos conditions sociales actuelles, alors que le pouvoir de ‘l’artiste’, lui, est totalement différent et exige une capacité à transcender l’individualité aliénée pour travailler en tant qu’unités sociales » (propos recueillis par l’auteur lors d’un entretien réalisé en 2013). Dans un texte intitulé New Questions for Anarchist Art (2014) Josh MacPhee écrit à propos de sa pratique : « je veux faire un art qui pousse les gens à réfléchir » et c’est peut-être là que l’on retrouve un des principaux leitmotiv des artistes activistes. Il ne s’agit pas en effet d’imposer une façon de penser, un propos ou des idées, il s’agit de mettre à la lumière du jour des problèmes de société, de les communiquer dans le but de faire réfléchir et réagir les gens. De façon plus ou moins radicale, la vision de l’artiste comme moteur politique a été défendu par de nombreuses personnalités, des plus reconnues comme Sam Durant qui affirme que selon lui, en tant qu’intellectuel, l’artiste se doit de prendre position et donc de ne pas rester neutre, au plus radicaux comme le groupe russe Voina qui dans un entretien avec LeMouv’ explique que « tout ce que créent les artistes doit avoir une dimension politique, sinon ça n’a pas de sens, sinon tu n’es pas un artiste mais un designer ou un créateur de petites babouchkas pour les touristes, ce n’est pas de l’art. » Créer une économie alternative, un système de production autre, une façon de concevoir la pratique artistique différemment. Déplacer les pratiques et occuper l’espace public pour créer un mélange entre l’art et le quotidien, entre l’art et la vie. Actions gratuites, mise en service de processus de distribution, organisation d’évènements, engagement des corps, réflexions et recherches plastiques, remise en question des systèmes de luttes traditionnelles… autant de techniques et d’armes qui participent à une relecture de l’économie libérale qui serait traduisible, artistiquement parlant et selon les mots de Michel deCerteau, part une pratique en marge ou à la limite d’une frontière invisible. nouvelle pratique de la piraterie de l’espace quotidien. Un art hors du champ de l’art, où la rue est vue comme un espace de résistance et où de nouveaux pirates participent à la redéfinition des espaces communs urbains, de l’économie de l’art et des pratiques artistiques politiques. Alex Chevalier, De l’art dans l’activisme publié dans Situation - Tentatives d’écarts, ed. Antoine Barrot, 2014


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