TRAIT D’UNION : AU-DELÀ DES BAINS Le projet comme passerelle entre architecture et territoire
Alexis ZANOTTA
TRAIT D’UNION : AU-DELÀ DES BAINS Le projet comme passerelle entre architecture et territoire
Alexis ZANOTTA Mémoire de master Sous la direction de monsieur Cyrille FAIVRE-AUBLIN A-lto Architecture - laboratoire des territoires ouverts Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Paris Val de Seine Février 2020 Page de couverture : Plan de rez-de-chaussée des bains publics de Bellinzona
-4
GALFETTI Aurelio, Passerelle des bains publics, 1967 5 -
-6
Remerciements
Ce travail est le fruit d’une recherche encadrée depuis plusieurs mois par monsieur Cyrille Faivre-Aublin, architecte et chercheur-maître de conférence à l’ENSA Paris Val de Seine. Je lui adresse de sincères remerciements pour sa patience et son écoute quotidienne. J’aimerais également citer madame Emmanuelle Sarrazin, architecte et chercheur-maître de conférence à l’ENSA Paris Val de Seine d’avoir permis la genèse de ce sujet très en amont du mémoire. Le développement de mon travail a été grandement influencé par la rencontre avec Renato Magginetti, architecte et spécialiste de Bellinzona, et Nicola Navone, historien de l’architecture et vice-directeur de l’Archivio del moderno à l’académie d’architecture de Mendrisio. Je tiens à les remercier pour le temps qu’ils m’ont consacré lors de ma visite en Suisse. Enfin, j’adresse un ultime remerciement à mon entourage qui m’a accompagné dans mes réflexions et mes doutes tout au long de ce travail.
7 -
-8
GALFETTI Aurelio, Passerelle des bains publics, 1967 9 -
Vittorio GREGOTTI, «Le territoire de l’architecture», 1966
«La première question que je devrais me poser ici est
celle de l’influence de cette réflexion théorique sur mon travail d’architecte au cours de ces quinze dernières années : a-telle ouvert pour moi des possibilités nouvelles, de nouvelles passions? La meilleure introduction à cette édition de mon livre serait donc la publication de mes travaux de ces dernières années. Ils sont aussi, en bien et en mal, la preuve de la valeur grande ou petite de l’effort théorique d’ordonnancement et de réflexion que ce texte représente. La théorie des matériaux de l’architecture et de la prééminence de la figure en tant que structure organisatrice était au centre de ce texte. Elle laissait toutefois ouvert le problème des hiérarchies et des choix de ces mêmes matériaux offerts à l’élaboration du projet, ne donnant que quelques indications premières. Parmi ces matériaux étaient inclus au premier plan les questions de la théorie et de l’histoire, soit comme hypothèses d’ordonnancement de la mémoire personnelle et de groupe, soit comme histoire spécifique de la discipline, des oscillations de ses limites, de son territoire, des déplacements de son centre d’intérêt, de ses relations privilégiées avec d’autres disciplines. Mais l’aspect physique de l’histoire est le milieu construit qui nous entoure; il est sa manière de se transformer en choses - 10
visibles, de s’accumuler selon des épaisseurs et des significations différentes, non seulement selon les apparences mais selon la structure : le milieu est construit par les traces de sa propre histoire. Si la géographie est donc la manière dont les signes de l’histoire se solidifient et se superposent en une forme, le projet d’architecture a la tâche de révéler, à travers la transformation de la forme, l’essence du contexte environnant. (...) Depuis lors j’ai toujours tenté de laisser ouverte (sinon cohérente) la relation entre la théorie et le travail dans un projet»
11 -
- 12
GALFETTI Aurelio, La casa Rotalinti, 1960 13 -
Introduction
Ce mémoire a une double fonction. Il constitue
logiquement dans un premier temps l’aboutissement de cinq années d’architecture; l’aboutissement d’une pensée qui oscille entre théorie et pratique du projet, qui se veut essentielle au développement de celui-ci. Il constitue également non pas une finalité, mais un point de départ dans un processus de conception du projet d’architecture. De nombreux avis divergent au sein de cette discipline, c’est ce qui la rend si belle. Et je pense que nos convictions évoluent avec le temps, les destins, et les directions de travaux/recherches que chacun entreprend. Il me semble ainsi primordial de développer un sujet personnel, qui mélange travail et passion, permettant de faire évoluer la pensée tout au long de notre pratique de l’architecture. Cette prise de conscience a trouvé son éveil durant ma première année de master avec madame Anna-Maria BORDAS et madame Emmanuelle SARRAZIN. Après ces trois années de licence où le projet était pour moi une réponse à un programme donné par un enseignant, j’ai compris que cette pensée était réductrice quant à la responsabilité de l’architecte qui se doit de proposer avec tout les matériaux de l’architecture une expression personnelle cohérente. La volonté de ce travail résidait dans une approche de compréhension d’un système dans une discipline où ces derniers - 14
sont multiples. J’ai fais le choix durant ces cinq années à l’école de suivre le cursus d’enseignement du domaine d’étude A-lto afin de cerner au mieux les fondements et les fondamentaux de cette pensée. J’ai donc souhaité m’orienter jusqu’à la fin de mon apprentissage de la profession vers une pensée théorique de l’architecture qui me permettait selon moi de découvrir des notions ciblées en adéquation avec la pratique du projet. «L’élaboration du projet se présente donc comme une réponse significative - voire poétique - de l’habiter en tant qu’organisation de l’environnement tout entier; mais sa seule façon d’être concrète, c’est de se réaliser dans la situation historique par la mise en œuvre de ses matériaux». J’ai compris la nécessité de cette prise de conscience lors de l’élaboration d’un projet après avoir analysé les bains publics de Bellinzona d’Aurelio GALFETTI, Flora RUCHAT RONCATI et Ivo TRÜMPY (Suisse, 1967). Depuis ce jour de ma première année de master, tout l’apprentissage en amont de l’architecture prit son sens. Je m’efforce ainsi par ce mémoire à transmettre au lecteur, mais aussi à moi-même, une petite partie de ce qui est possible de faire en architecture. En analysant ce projet, j’ai découvert plusieurs notions. La première était qu’il était possible, car en étant la genèse, de produire une architecture territoriale; une architecture qui dialogue avec son paysage, son environnement, et son territoire 15 -
GREGOTTI Vittorio, 1966, Le territoire de l’architecture, p44
tout entier. Un projet finalement où l’architecture et le territoire ne fait qu’un. Au final, la réelle préoccupation de l’architecte demeure aujourd’hui dans ce type de questionnement, à savoir la justesse et la pérennité de l’inscription d’un édifice dans son environnement. J’ai alors décidé de poursuivre ce travail entamé en cours de projet, par des premières recherches en séminaire qui m’orientaient vers la découverte de cette architecture. J’ai notamment développé un intérêt grandissant pour le travail de Vittorio GREGOTTI à Calabre (Italie, 1970) avant de finalement me centraliser sur le travail d’Aurelio Galfetti à l’échelle de toute la ville de Bellinzona en Suisse. D’une part, cette opportunité de pouvoir travailler sur les ouvrages d’un architecte qui a pu dédier une partie de son énergie au développement d’une urbanisation «quasi-unique» est une chance selon moi. D’autre part, les écrits théoriques sur lesquelles je m’appuies à ce sujet datent des mêmes années (1960-1970) et entretiennent des liens directs avec les projets suisses de cette époque. Le terme de recherche par le projet prend son sens ici. La problématique s’oriente dans cette idée de faire germer une notion architecturale et d’en évaluer les caractéristiques au sein de projets. Lors de mes premières recherches sur le sujet, j’ai immédiatement relevé une notion prépondérante tant sur le plan théorique que sur le plan pratique des projets d’Aurelio Galfetti, à savoir un travail sur la ligne, et sur la surface. - 16
«Œuvre irremplaçable, unique en son genre, parce que située au carrefour de certaines des lignes les plus intéressantes de la pensée architecturale de l’après-guerre, et parce qu’elle constitue un véritable paradigme de l’architecture territoriale, les bains de Bellinzona méritent sans nul doute une place privilégiée au sein du patrimoine architectural mondial du XXème siècle.» Au-delà des bains publics, ce que nous laisse comme héritage Aurelio Galfetti à Bellinzona constitue une matière magnifique en terme de qualité de projet architectural qui traite des notions entre la ligne et la surface en tous points, notamment en ce qui concerne la rénovation qu’il fait du château Castel Grande en plein centre-ville. Le questionnement du mémoire s’est ancré définitivement à mon retour de voyage en Suisseitalienne. J’ai pu en effet observer le rapport au sein du projet entre les notions évoquées précédemment et le territoire dans lesquelles elles y sont exposées. La synthèse de ce chantier intellectuel m’a conduit vers la problématique suivante; à savoir, de quelles manières les notions de lignes et de surfaces interviennent-elles dans l’œuvre architecturale et territoriale d’Aurelio Galfetti à Bellinzona? La question est formulée de manière à mutualiser le comment et le pourquoi. Elle met en exergue des termes précis et soulève des sujets sous-jacents qui ont engendrés un travail d’expérimentation par le corps. C’est une volonté de suivre cette 17 -
REICHLIN B (Cité par NAVONE Nicolas, 2009, dans : «Genèse d’une architecture territoriale», Faces, pp 9-17
idée de l’architecture tessinoise, qui se vit à travers l’expérience unique de la présence sur le site. Ainsi, après avoir présenté dans une première partie la manière dont le contexte et les limites du lieu influent sur la perception du territoire en question, je partirai de la promenade menée sur le site en la séquençant suivant trois axes principaux. La première séquence démarre le long du fleuve, qui laisse apparaître le départ de la passerelle des bains reliant celui-ci à la ville tout en existant de manière autonome. La promenade se faisant, nous lions la géographie et l’histoire et arrivons à la deuxième séquence, à savoir l’arrivée sur le sol de la ville. Tissée suivant un quadrillage orthogonal au XIXème siècle, elle développe un travail surfacique qui annonce une approche qualifiée de la Piazza del Sole construit par Livio Vacchini. Celle-ci met en exergue le point culminant du parcours, à savoir l’arrivée aux pieds du château de la ville : CastelGrande. Je développe cette étape en tant que troisième séquence en parcourant la montée au château et la promenade dans sa muraille. Je me servirai donc finalement de ce belvédère sur la ville pour articuler la dernière partie du mémoire, qui s’attarde sur le travail d’Aurelio Galfetti à l’échelle territoriale en agissant par sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites.
N.B. Sauf indication contraire, les documents iconographiques sont personnels. - 18
Plan de l’expÊrimentation par la promenade
0
100
500
19 100
500
- 20
Table des matières
- Remerciements - Introduction - Corpus & Préambule : Notions simples dans un contexte complexe
p.6 p.14 p.22
-I. Une identité territoriale propre en rapport avec la limite
p.32
1. Régionalisme critique et école suisse 2. La limite dans la construction territoriale
-II. La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
1. Une figure qui relie 2. Une entité autonome
-III. Castelgrande en point culminant d’ascension
p.78
1. Surface d’approche 2. Symbole d’une arrivée
-IV. Sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites
1. Cohérence des niveaux dimensionnels 2. Liens historiques et figuratifs
- - - -
Conclusion Promenade pittoresque à Bellizona Bibliographie Annexes
21 -
p.42
p.102
p.118 p.122 p.126 p.128
ng lan.p tel p \cas ktop ..\..\.. \Des
Plan des bains publics Aurelio Galfetti 1967
0
50
200
0
50
200
Plan du Castel Grande Aurelio Galfetti 1981
- 22
Corpus
Bellinzona
Le choix de travailler dans ce canton suisse n’est pas
anodin. Il répond à ma volonté d’apprendre le développement d’un processus de conception d’une architecture paysagère propre au Tessin, où la question de la linéarité est omniprésente. « Ce paysage, marquant un passage de la plaine aux Alpes, est a cet égard le théâtre idéal pour la mise en scene de ces architectures territoriales, prises dans une vision accélérée de la route ». Les bains de Bellinzona, construit en 1967 représente le point de départ et la base de la recherche. La ligne articule le territoire et constitue un élément de réponse unique au concours en question, surprenant le jury, qui finira par le nommer lauréat malgré le coût onéreux. La rénovation du CastelGrande (1981-2001), le château historique de la cité est également un élément fondamental du corpus. Il créé des liens théoriques et physiques avec les bains, et la dimension historique de l’ouvrage constitue un exemple important dans la constitution d’une architecture de territoire. Il me semblait ainsi primordial d’aller sur le lieu d’étude du mémoire. En octobre 2019, je me suis donc rendu à Bellinzona avec un ami afin de visiter la ville et dialoguer avec les architectes qui enseignent et construisent dans la région. J’invite par ailleurs quiconque qui aime l’architecture, à découvrir cette ville et ses alentours.
23 -
BASSAND Nicolas, 2018, «Plastique de la vitesse, Gran Ticino», Faces, p26
Plan Obus Le Corbusier 1930
UniversitĂŠ de Calabre Vittorio Gregotti 1973 Di Guiseppe David
- 24
Corpus secondaire
Le mémoire vient dédier la majeure partie de son contenu sur la ville de Bellinzona mais les raisonnements appuyés sur celle-ci ne vaudraient que très peu s’ils ne sont pas mis en corrélation avec des exemples similaires, ou tout à fait opposés. Ces derniers ne seront pas systématiquement présents dans le mémoire mais il est important de les citer ici au vue des liens plus ou moins étroits avec le corpus initial. Le plan Obus de Le Corbusier, imaginé dans les années 30, est une prémisse d’une architecture territoriale. Il me parait important de le mettre en point de départ de ce sujet car il traite, avant les autres, du paysage et de l’inscription d’un projet dans son site. La notion de collage et d’assemblage dans la composition du plan me semble pertinente entre les travaux de Le Corbusier en général et ceux d’Aurelio Galfetti aux bains publics. Aussi, et pour suivre les écrits théoriques de Vittorio Gregotti, le projet de l’université de Calabre me parait extrêmement intéressant tant son approche dans le site et son processus de conception sont liés. Ici, une ligne traverse le paysage en s’adaptant aux contraintes géographiques. Comme à Bellinzona, cette ligne épaisse est habitée, engendre le flux, et articule les surfaces du projet autour de son axe, en reliant deux points stratégiques du territoire. D’autres exemples seront bien évidemment cités mais il me paraissait opportun d’exposer au lecteur les ouvrages avec lesquelles j’ai nourri ma pensée sur Aurelio Galfetti pour mieux comprendre la genèse de mes écrits. 25 -
Retour sur l’essence d’une notion
- 26
Préambule Notions simples dans un contexte complexe
Ligne nf :
1. Trait simple considéré quant à sa forme ou à
sa longueur. Ligne courbe, horizontale.
Lignes de la main.
2. GEOM. Figure engendrée par le déplacement
d’un point. Ligne droite.
4. Trait réel ou imaginaire qui sépare deux choses ; silhouette. Ligne de démarcation.
5. Direction continue dans un sens donné. Aller
en ligne droite.
6. Parcours suivi régulièrement par un véhicule, un train, un avion. 8. Suite de choses, de personnes disposées
selon une direction donnée. Poteaux en ligne.
Surface nf : 1. Partie extérieure d’un corps, limitant son
volume. La surface de la Terre. Surface brillante
d’un meuble.
2. Etendue d’une surface; aire, superficie. 3. GEOM Ensemble de points de l’espace dont
les coordonnées x, y, z = 0
Territoire nm : 1. Etendue de terre qu’occupe un groupe
27 -
humain.
STRANG Carola, 2007, Dictionnaire Hachette, édition illustré, Paris, 1813p
KLEE Paul, 1920, Théorie de l’art moderne
Croquis In Situ
- 28
Préambule Notions simples dans un contexte complexe
La ligne est un terme relativement vaste. Ce préambule
passe en revue de manière succincte le fondement de cette notion en développant les partis-pris pour ce mémoire. J’ai mis du temps à comprendre la véritable définition de ce mot. Je partirai pour ce travail du postulat de Paul KLEE qui, au début du XXème siècle théorisa les notions du fondement de l’art moderne. Selon lui, la ligne est «un point en mouvement» autour de laquelle agisse des forces. Sa théorie constitue la base du mémoire, avant même de développer un quelconque exemple architectural. Une ligne exprime donc le mouvement dans l’espace. Elle décrit «le parcours d’un point en mouvement, est capable d’exprimer visuellement une direction, un déplacement et une progression». Celle-ci nous est utile partout en tant qu’architecte, du simple
CHING Francis D.K, 2015, Architecture, forme, espace, organisation, p18
croquis de la main en mouvement sur la feuille, à la constitution de la surface des plans générateur, qui ordonne l’ordre. Dans un ouvrage plus récent de l’anthropologue anglais Tim INGOLD, ce dernier affirme que «L’hégémonie de la ligne droite est un phénomène de la modernité». Je n’ai pas pris cette citation dans le but d’ouvrir un débat sur l’influence positive ou négative de la modernité concernant la ligne, mais simplement pour émettre l’idée qu’à partir d’une certaine époque, les architectes se sont rendus compte de la puissance que pouvait offrir cette figure. Elle peut théoriquement constituer un «système de référence» qui organise une composition plus complexe; à l’image d’une partition de musique où les lignes érigent une droite qui cadre 29 -
INGOLD Tim, 2011, Une brève histoire des lignes, 256p
Gavotte I, six suites pour violoncelle seul CHING Francis D.K, 2015, Architecture, forme, espace, organisation, p380
SchĂŠmas analytiques des caractĂŠristiques de la ligne
- 30
Préambule Notions simples dans un contexte complexe
les notes et leurs hauteurs afin d’en percevoir les tonalités pour le musicien. Et cet axe de référence peut également se retrouver en architecture. Une ligne permet de regrouper, relier, s’adapter, se développer ou partager des éléments visuels. Ces caractéristiques viendront s’étoffer tout au long du mémoire.
Décomposition théorique des notions fondamentales :
POINT
LIGNE
SURFACE
Le point est en mouvement; il se promène et développe une ligne; qui génère une surface.
31 -
- 32
I - Une identitĂŠ territoriale propre en rapport avec la limite
fig I.1 Dans les hauteurs de Bellinzona... 2019 33 -
1. Régionalisme critique et école suisse RIBEIRO Ugo, 2011, Le régionalisme critique : l’influence du lieu sur l’architecture, rapport d’étude encadré par AMALDI Paolo, p10
«La notion régionalisme détermine une approche qui privilégie le particulier (l’identité même du lieu) par rapport aux dogmes universels. Le concept critique doit souligner la présence d’esprit des architectes vis-à-vis de leurs productions. C’est à dire que cette tendance s’inscrit dans une réalité spatiale mais également spirituelle».
Le régionalisme critique ne suit pas l’architecture
vernaculaire, qui découle simplement du climat et de la culture artisanale. Ce mouvement prend en considération la culture mondiale du sujet et les différentes particularités du site. Ce nouveau mode de pensée ne cherche alors pas une sorte d’expansion à grande échelle, et privilégie donc l’expérience architecturale et constructive d’un territoire unique. C’est après les grandes heures du mouvement moderne emmené par les propos de Le Corbusier que Kenneth Frampton fait part de certaines critiques allant à l’encontre de ce mouvement. Il part alors du principe de garder ses idées progressistes tout en portant une attention particulière au site sur lesquelles ceux-ci s‘intègrent; à savoir la topographie, la lumière, la matière ou encore l’expérience tactile d’un lieu. Vittorio Gregotti dans «Le territoire de l’architecture» (1966) parle des différents «matériaux de l’architecture» englobant
- 34
I -
Une identité territoriale propre en rapport avec la limite
les notions évoquées précédemment et en y ajoutant toutes les caractéristiques nécessaires à la production d’un projet dans son environnement. C’est également à cette époque le développement de la Tendenza dans la région alpines qui s’étend dans toute l’Italie, guidé notamment par les écrits d’Aldo Rossi («l’architecture de la ville», 1966), qui se veut être en désaccord avec les principes de la société de consommation qui dictent l’architecture des villes. Ainsi, dans cette période «d’identité architecturale» nouvelle, Vittorio Gregotti théorise le faite que l’architecte n’est plus le seul décideur et qu’il existe d’autres professions et d’autres notions qui gravitent autour d’un projet architectural pour le développer de manière plus qualitative. Cette idée d’échange dans le processus de conception du projet se ressent dans le Tessin, où Luigi Snozzi, Mario Botta, Livio Vacchini et Aurelio Galfetti sont les quatre architectes majeurs de la région. C’est le rapport territoire/ville qui relie leurs pensées. En effet, à la fin de l’époque Team X se développe cette architecture tessinoise fortement caractérisée par le relief montagneux qui donne une identité unique à cette région. Les architectes cités précédemment ont eu la judicieuse idée de développer un «nouveau type d’architecture» pour un environnement aussi singulier, où les «préoccupations sont territoriales, c’est-a-dire volonté de créer des bâtiments qui non seulement soient en eux-mêmes efficaces, mais qui participent également au marquage ou à la révélation des limites et des 35 -
LUCAN Jacques, 1986, «Trois architectes au Tessin», AMC le moniteur, p32
seuils internes d’un territoire urbanisé.» Bellinzona en est un exemple parfait. Située dans une vallée entre deux montagnes, elle regroupe un centre-ville chargé d’histoire (fig I.2), où Aurelio Galfetti suit une logique de construction propre à la région dans ses projets. Logique qui découle de la pensée du projet dans Son territoire.
fig I.2 Vue aérienne de la vallée du Tessin - en rouge Bellinzona CARUSO Alberto, WETTSTEIN Felix, 2018, «La ville Tessin, le rêve d’une connexion, Gran Ticino», Faces, p19 - 36
I -
Une identité territoriale propre en rapport avec la limite
2. La limite dans la construction territoriale «La question de la limite est destinée à toutes les échelles : un mur en bord de parcelle, une maison familiale déterminant le passage entre deux systèmes urbains, un immeuble de logements construit à la limite d’une agglomération, un groupe de bâtiments qui joue avec des éléments géographiques et topographiques significatifs».
Limite nf :
1. Ligne séparant deux pays, deux territoires ou
terrains contiguës.
2. Ligne qui circonscrit un espace, marque le
début et/ou la fin d’une étendue
4. Borne, point au-delà desquels ne peuvent
aller ou s’étendre une action, une influence, un
état.
La limite est la première notion linéaire qui rentre en jeu
dans le travail architectural d’Aurelio Galfetti. On observe alors trois grandes limites territoriales qui construisent Bellinzona. La première tient de la géographie. Il s’agit des deux montagnes qui bordent la ville. Ces dernières offrent un rapport au ciel unique avec cette figure de cône qui s’ouvre totalement verticalement (fig I.3). Ces colosses enclavent le territoire de la ville et se développent sur plusieurs kilomètres. La ville est donc pincée
37 -
BESSON Adrien, 2018, «Seuil/ Limite, Gran Ticino», Faces, p38
entre deux lignes longitudinales fortes d’est en ouest et offre un panorama sur ce qu’on pourrait appeler des parcs verticaux. La seconde limite est historique. C’est la limite induite aujourd’hui par la muraille que formait les remparts autrefois (fig I.4). Une partie de celles-ci n’existe plus mais reste présente dans la surface au sol du territoire. La muraille enfermait ce qui constitue aujourd’hui le centre moyenâgeux de la ville.
fig I.3 Coupe territoriale de Bellinzona
Bellinzona 0 100
500
1000
fig I.4 Plan des limites historiques de la muraille des châteaux 0 100
500
1000
- 38
I -
Une identité territoriale propre en rapport avec la limite
Ce qu’il en reste occupe une place relativement importante dans le développement de la rénovation qu’Aurelio Galfetti va entreprendre au château de CastelGrande en 1981. Cette notion de limite au moyen-âge obtient désormais un nouveau statut, celui d’une ligne qui surplombe et qui traverse la ville en s’étendant au delà de cet axe. Ce dernier est relativement important car il constitue un axe fort perpendiculaire au fleuve. Il existe peu de limites transversales en ce qui concerne l’expansion de la ville. C’est une partie du territoire qui est moins défini et qui fait l’objet d’un traitement particulier dans son rapport avec le fleuve auquel peu de projets font réellement face, hormis cette muraille. «Dans cette perspective, prévoir des itinéraires orientés vers le fleuve ou des passerelles piétonnes qui jalonnent le passage et en reliant les rives est une démarche visant à ce que le fleuve et son parc fluvial interagissent avec les différents tissus édifiés.» Il est donc intéressant de faire dialoguer ces notions de limites ensemble et de chercher des axes qui rejoignent cette troisième limite : le fleuve. Ce dernier sépare Bellinzona de Monte-Carasso au sud et se déploie au nord. Cette ligne maritime est suivie parallèlement par l’autoroute qui rajoute un caractère très linéaire à la ville qui s’étend longitudinalement. Il joue un rôle de séparateur entre deux rives, où la distance entre ces dernières est accentuée par la présence d’un mur anti-bruit. Le fleuve possède ainsi des quais que l’on qualifie aujourd’hui 39 -
FERRARI Mario, GAGGETTA Michele, GUIDOTTI Giacomo, MOOR Stefano, 2018, «La nouvelle Bellizone, Gran Ticino», Faces, p53
de «parc linéaire fluvial» (fig I.5). Ce type de parc est unique en Europe dans le sens où il constitue un espace de promenade long de plusieurs kilomètres et totalement immaculé. Renato Maginetti m’avait fait part de son ressenti; tout est une question de limite dans la ville de Bellinzona. Cette ligne fluviale qui «sépare deux territoires» est le départ de la compréhension d’une cohérence globale à l’échelle urbaine. La ligne fait son apparition avant même qu’Aurelio Galfetti n’intervienne sur le territoire. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment est-ce qu’il va lui même tracer ses propres lignes et générer ses propres surfaces pour révéler ses limites au sein de ses projets en développant une cohérence entre tous de manière interdépendante. BESSON Adrien, 2018, «Seuil/ limite, Gran Ticino», Faces, p19
«Dans le but de renforcer un périmètre plus grand que celui du périmètre projeté, le projet architectural est toujours envisagé comme une «partie» qui donnerait un sens a un «tout» appartenant au territoire dans sa globalité.» Cette citation dans le chapitre «Seuil/limite» de Gran Ticino paru en 2018 montre qu’à partir de ces limites, la manière de concevoir un projet est tout autre. Le statut de celui-ci évolue, et ne dépend plus de la volonté d’obtenir une forme architecturale simple. Il faut alors le faire appartenir à la «texture de la ville, au maillage du territoire, aux fluctuations topographiques» et le faire exister en tant que, ou parmi les limites.
- 40
I -
Une identité territoriale propre en rapport avec la limite
fig I.5 Plan schématique du parc linéaire fluvial en rouge le long du fleuve Ticino Réalisation de l’auteur sur fond de : CARUSO Alberto, WETTSTEIN Felix, 2018, «La ville Tessin, le rêve d’une connexion, Gran Ticino», Faces, p19
41 -
- 42
II - La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
fig II.1 Sur le chemin... 2019 43 -
- 44
II -
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
fig II.2 Vue aĂŠrienne du site avant le projet 1960 NAVONE Nicola, REICHLIN Bruno, 2010, Il bagno di Bellinzona di Aurelio Galfetti, Flora RuchatRoncati, Ivo TrĂźmpy, p18 45 -
- 46
II -
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
SĂŠquence 1
SĂŠquence 1
Coupe longitudinale de la ville 0
47 -
50
200
1. Une figure qui relie
La ligne du projet d’Aurelio Galfetti pour les bains publics
relit le fleuve du Tessin au tissu de la ville historique. Cette figure fut utilisée presque un siècle auparavant quand Soria y Mata (1882) théorisa les premières villes linéaires en ayant pour but d’échapper aux traditionnels centres et périphéries observables dans les urbanisations de l’époque. Bien que l’utopie soit restée sur papier, les idées qui en ressortent expriment une analogie claire avec la passerelle de Bellinzona. En effet, si l’on déconstruit le projet de Soria y Mata (fig II.3), on peut relever un axe central, qui relit un point A à un point B, desservant transversalement des réseaux. Il est évident que les deux projets aspirent à une échelle complètement différente mais les idées fondamentales des deux figures restent similaires. Aurelio Galfetti a donc déployé cette passerelle longue de 380 mètres vendu comme un lieu de balcon social ouvert sur les alentours proches et lointains. Cette attitude d’ouverture sur le paysage suit les écrits de Vittorio Gregotti et se développe dans fig II.3 VIGANO Paola, 2016, Les territoires de l’urbanisme, le projet comme producteur de connaissance, p53 - 48
II -
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
son projet de l’université de Calabre en 1972. Le rapport au paysage distant a soudainement le même degré d’importance que celui qui nous est proche. Cette espace de liaison devient un belvédère et nous offre le spectacle des bains au premier plan et une vision unique du territoire (ville + banlieue). Nous sommes donc projetés dans l’espace tout en y étant. J’ai appris en analysant le projet, l’importance des espaces servants d’une ligne, généralement perpendiculaire à l’axe principal du projet, et de leurs orientations (fig II.4). L’entrée côté fleuve s’effectue par un escalier perpendiculaire à celui-ci qui amène au niveau de la passerelle (+06.00). La seconde entrée située vers la ville à l’autre extrémité de la limite parcellaire permet, via la mise en place de cette ligne droite radicale de ne pas dépendre des limites aléatoires du terrain. Aurelio Galfetti met en place une rampe courbe qui induit le mouvement vers la ville. Celle-ci rappelle dans son expression plastique, la rampe de Le Corbusier au Carpenter Center six ans plus tôt. C’est la seule forme organique que la ligne possède, comme si le contact physique entre son projet et le territoire induisait
L’université de Calabre relit en théorie un centre sportif à l’autoroute
fig II.4 Axe de vision des espaces servants
49 -
une transformation de son ouvrage pour s’adapter à l’existant. Cette liaison entre deux pôles est accentuée dans sa linéarité par la répétition structurelle des poteaux en béton (1,5mx0,3m espacés d’environ 10m) orientés dans le sens transversal. Ce choix de tourner les poteaux dans le sens perpendiculaire au fleuve est judicieux. Il permet d’asseoir la passerelle sur le site tout en créant une porosité sur le sol du territoire. Aussi, le garde-corps sera d’une importance extrême dans le sujet de la transversalité (fig II.5). Aurelio Galfetti va travailler cette épaisseur en six combinaisons différentes (fig II.6). La première (1) se situe encore dans la ville et présente des garde-corps léger en acier. La seconde (2) correspond à l’entrée virtuelle au sein des bains, en ce sens qu’il s’agit du début de la patinoire extérieure. Le garde-corps en béton se situe à l’opposé; il se coupe de l‘espace de jeux des enfants et des vestiaires. La troisième (3) est un espace de compression dans la ligne. Il évolue seulement sur quelques mètres et permet de signifier l’entrée par la rampe au niveau inférieur. Le garde-corps nord monte à 1,5m tandis que l’autre reste à 1m, tous deux en béton. Le quatrième (4) est plus filaire, il laisse apprécier au sud les compétitions olympiques et garde son mètre cinquante de béton au nord, pour protéger un espace d’apprentissage Le projet de Studio Akkerhuis dans le sud de la France relit le lac de Bordeaux à la Garonne
et de bassins d’agréments en plus des vestiaires. Le passage de la quatrième à la cinquième (5) combinaison affirme un second espace d’entrée au niveau inférieur, celui de l’escalier. Le garde-corps au sud, redescend à 1m, pour annoncer que - 50
II -
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
fig II.5 Incidence du garde-corps en plan 0
1
2
50
200
3
fig II.6 Inidence du garde-corps en coupe 4
51 -
5
6
l’on s’apprête à quitter la zone de l’équipement avant d’arriver à la combinaison six (6), qui reprend les caractéristiques de la première. Cette notion de ligne limite s’étend également à l’échelle territoriale, où il est possible d’exprimer le faite qu’Aurelio Galfetti par ce mur d’un mètre cinquante au nord oriente le regard dans la direction de la ville existante. Le bâtiment possède donc une autonomie singulière sans pour autant être considéré comme un véritable objet dans la ville. La liaison de celui-ci avec son environnement proche et lointain fait que l’on peut le considérer comme en rupture avec l’idée de «l’objet» dans une trame qualifiée. La ligne relit et induit le mouvement, donc une continuité spatiale. Elle permet de faire prolonger le tissu environnant tout en définissant ses logiques d’organisations à une échelle telle qu’elle modifie et fait évoluer le contexte dans lequel il s’insère (fig II.7). Dans cette logique, Renato Magginetti explique au cours de ses nombreux écrits sur la ville, que l’ouvrage a permis, et ce encore jusqu’à aujourd’hui, de préserver le vide qui l’entoure. Aussi, Pierre Von Meiss dans «de la forme au lieu + de la tectonique» dit que tout «objet» émet un rayonnement spatial. Ici, il est notable que le rayonnement exercé par la ligne est si puissant qu’il semble impossible de le perturber. Pour développer cette logique de lien entre les éléments d’un site et d’un projet, je propose de développer le parcours qui lie le fleuve à la ville par la passerelle des bains. La coupe - 52
II -
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
fig II.7 Photographie aérienne du territoire NAVONE Nicola, REICHLIN Bruno, 2010, Il bagno di Bellinzona di Aurelio Galfetti, Flora RuchatRoncati, Ivo Trümpy
analytique me semblait être l’outil approprié pour séquencer la promenade en faisant révéler les caractéristiques originelles du site et le travail d’Aurelio Galfetti en harmonie avec celuici. La marche est séquencée par la coupe avec une base qui correspond à 7,5m; valeur qui correspondait selon moi à la distance minimum à notre regard pour découvrir une «vision nouvelle» dans la promenade piétonne et qui sera évidemment raccourcie ou allongée suivant les caractéristiques du projet. Ce travail permet également d’introduire la notion de l’entité propre de l’équipement et de sa composition globale.
53 -
Page 56
Page 58
Page 60
- 54
II -
0
10
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
30
100
Page 62
55 -
Page 64
Page 66
1
2
3
4
- 56
II -
0
5
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
15
50
5
6
7
8
57 -
9
10
11
12
- 58
II -
0
5
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
15
50
13
14
15
16
59 -
17
18
19
20
- 60
II -
0
5
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
15
50
21
22
23
24
61 -
25
26
27
28
- 62
II -
0
5
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
15
50
29
30
31
32
63 -
33
34
35
36
- 64
II -
0
5
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
15
50
37
38
39
40
65 -
41
42
43
44
- 66
II -
0
5
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
15
50
45
46
47
48
67 -
fig II.8 Coupe et élévation de la passerelle
fig II.9 Élévation de l’aqueduc du pont du Gard - 68
II -
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
2. Une entité autonome Système de référence : «Ligne, plan ou volume qui, par sa permanence et sa régularité, sert à organiser un motif de formes et d’espaces, à rassembler ces derniers et à en donner la mesure.»
L’ouvrage se décompose en trois niveaux distincts (fig
II.8). Le premier correspond à l’altitude même de la promenade en béton, haute de 6 mètres par rapport au sol. Le second niveau se situe 3 mètres en dessous, dans son épaisseur, et contient la totalité des espaces de vestiaires qui suit un plan linéaire. Enfin, le troisième et dernier niveau correspond au rez de chaussée qui est en partie soulevé laissant une perméabilité importante au niveau du sol. La vision direct de la passerelle depuis l’étendue des bains reçu un traitement particulier dans son expression plastique. En effet, on y retrouve les trois éléments indissociables de l’Architecture : «Socle, Corps, Couronnement». L’analogie avec l’aqueduc du pont du Gard me semblait évidente à ce sujet (fig II.79). Aurelio Galfetti réinterprète cette idée en la modernisant. Il trace des couches successives de lignes et sublime le garde-corps en béton qui déborde légèrement de l’épaisseur des quatre mètres de la passerelle. Celui-ci assoit sa domination matérielle sur l’acier, et met en même temps en valeur la finesse du métal. En effet, nous pouvons observer
69 -
CHING Francis D.K, 2015, Architecture, forme, espace, organisation, p351
la logique de deux identités constructives dans le projet. La première concerne la passerelle en béton et la seconde les vestiaires, billetteries et restaurants, situés sur une structure métallique. Toute la tectonique du projet se situe dans cette manière de venir se poser sur «la pointe des pieds» dans le sol de Bellinzona. Ainsi, la totalité des vestiaires s’implante dans l’épaisseur inférieure de la passerelle et joue en plan sur un équilibre des masses tenu par la présence de la ligne directrice (fig II.10). « Un système de référence peut organiser les éléments selon CHING Francis D.K, 2015, Architecture, forme, espace, organisation, p218
une ligne qui peut traverser le motif ou lui donner une bordure (...) Une organisation linéaire est généralement composée d’espaces répétitifs semblables en terme de taille, de forme et de fonction.» Ce que le projet propose dans sa composition, qui est plus riche qu’une simple organisation linéaire classique, c’est donc la manière dont il articule son organisation. Le Corbusier peint en 1940 Deux femmes étendues (fig II.11) et met en exergue deux entités qui gravitent autour d’une symétrie dans la composition par un système de référence linéaire horizontal. Il organise le tableau avec des masses qui se répondent les unes aux autres, sans nécessairement avoir une symétrie classique. On retrouve cette idée de composition générale dans sa volonté de se - 70
II -
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
fig II.10 Equilibre des masses tenus par la ligne
fig II.11 Le Corbusier, 1940, huile sur toile, Deux femmes ĂŠtendues Fondations Le Corbusier 71 -
séparer de l’enseignement des Beaux-Arts et de leur définition de la symétrie classique. Le plan obus à Alger (1930) suit cette idée dans le plan du projet. Aurelio Galfetti reprend cette idée et l’inclut totalement dans sa réponse à la programmatique du concours des bains publics. Nous pouvons évidemment mettre en lien cette notion artistique avec le travail de l’architecte suisse. Le «collage et assemblage» fut abordé en 2009 lorsque Jacques Lucan termine «Composition Non-composition». En effet il reprend un exemple de Le Corbusier en faisant sortir les analogies qu’il possède avec le tableau Nature morte à la guitare de Georges Braque (fig II.12). Dans la conférence qu’il fait pour la parution de son livre, Jacques Lucan nous explique même que Le Corbusier «fait une guitare» et que cette vision est rendue possible lorsque l’on met le plan du rez de chaussée à la verticale. Cette volonté de jouer sur le thème de «l’équilibre» me semble tout aussi présente dans le travail d’Aurelio Galfetti aux bains publics de Bellinzona. Je me suis amusé à suivre les idéologies que Jacques Lucan avait mit en place pour ce travail. Ainsi, si nous parlons de guitare pour Le Corbusier, nous parlerons de violon pour Galfetti. L’analogie avec le tableau de Pablo Picasso «violon et raisins» me semble pertinente. L’équilibre est tenu ici par le système linéaire central des deux œuvres (fig II.13). Continuons sur la comparaison avec le pavillon suisse de la cité universitaire. En effet, Jacques Lucan va plus loin dans son ouvrage et évoque la notion de «collages et assemblages» en - 72
II -
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
fig II.12 Plan du pavillon suisse, Le Corbusier, 1929 Nature morte Ă la guitare, Georges Braques, 1912 LUCAN Jacques, 2009, Composition Non-Composition
fig II.13 Plan des bains publics, 1967 Violon et raisins, Pablo Picasso, 1912 Image prise d’internet
73 -
estimant que Le Corbusier en fait l’expérimentation ici. Il fait LUCAN Jacques, 2009, Composition NonComposition, p427
alors l’opposition du «volume des chambres, posé sur pilotis, au rythme régulier, et la partie réservée au hall d’entrée, dont les courbes définissent un espace aux configurations complexes (...) l’assemblage fabrique ainsi une figure qui n’est pas sans évoquer une guitare, «objet cubiste» s’il en est, mais à condition de regarder le plan du pavillon verticalement». Cette explication joue ainsi sur une dualité des éléments architecturaux, et c’est ce que l’on peut retrouver dans les bains publics. La ligne posée sur pilotis, au rythme régulier, et la partie réservée aux bains et au solarium dont les courbes définissent un espace aux configurations complexes (fig II.14). On observe ce qui pourrait s’apparenter à une surface organique au niveau du sol qui contraste avec l’utilisation d’une linéarité forte six mètres plus haut (fig II.15).
fig II.15 Rayonnement organique du rez de chaussée - 74
II -
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
fig II.14 Le point est en mouvement
Forme une ligne
GÊnère une surface 75 -
Au-delà de ces assemblages, ce qui m’a intéressé de comprendre, c’est d’explorer les différents modes de liaison entre ces éléments. Je ne parle pas ici des liaisons physiques qui sont les rampes ou les escaliers déjà évoqués plus tôt, mais des liaisons visuelles qui tiennent de la signalisation et de l’émotion. En effet, ce qui donne une unité à cet équipement, c’est la pluralité des éléments qui le compose, et le lien qu’ils entretiennent avec la vision que l’on s’en fait depuis la passerelle. Pour se faire, je me suis inspiré des travaux de Robert Venturi qui relèvent les éléments de signalisations de la ville. Rappelons qu’une route est avant tout une ligne et que cette expérience a pour moi tout son intérêt dans un cas comme celui-ci. J’ai évidemment en tête le recul nécessaire pour admettre que les conclusions de nos travaux respectifs seront différentes. Je recherchais une méthode de travail qui s’inspire de celle de Robert Venturi, et non pas une réponse similaire. Considérons simplement cet équipement comme une petite ville et la passerelle comme une route. La multitude des éléments du programme au rez de chaussée interagit avec la ligne et fonctionne comme des éléments de signalisations, possédant une place plus ou moins importante dans la visualisation que le promeneur développe (fig II.16). Je voulais ainsi rendre compte de la richesse des éléments constitutifs du projet qui permettent de faire exister la ligne centrale du projet et qui donnent un statut d’entité propre à l’équipement, tout en servant de lien entre le fleuve Ticino et la ville de Bellinzona. - 76
II -
La passerelle des bains publics comme lien entre le fleuve et la ville
VILLE
POINT D’EAU
BILLETTERIE
ESCALIER EMMARCHEMENT
BASSIN DE JEUX
PLONGEOIR
TOBOGGAN PONT
ALCÔVE
RANGEMENT
ESTRADE EMMARCHEMENT
BASSIN OLYMPIQUE
EMMARCHEMENT RANGEMENT
EMMARCHEMENT PLONGEOIR
TABLE PING-PONG
PERGOLAS
EMMARCHEMENT EMMARCHEMENT EMMARCHEMENT
CABINE TÉLÉPHONIQUE RAMPE BILLETTERIE
RAMPE
CABANE JEUX POUR ENFANTS
POINT D’EAU
JEUX POUR ENFANTS PATAUGEOIRE TOBOGGAN
PATINOIRE
BANC PONT
ESPACE SABLONNEUX
FLEUVE 0
77 -
20
100
fig II.16 Relevé des éléments le long de la ligne à la manière du Strip de Robert Venturi
- 78
III - CastelGrande en point culminant d’ascension
fig III.1 Au coeur de la ville... 2019 79 -
Séquence 2
- 80
III -
CastelGrande en point culminant d’ascension
ce
uen
SĂŠq 2 Coupe longitudinale de la ville 0
81 -
50
200
fig III.2 Découpage parcellaire orthogonal
fig III.3 Influence du linéaire de bâtiment dans l’axe de la Via Vincenzo Vela
- 82
III -
CastelGrande en point culminant d’ascension
1. Surface d’approche La passerelle nous dépose donc au nord de la Via Vincenzo Vela au coeur d’un vide imposant qui contient la Scuola media réalisée par Alberto Camenzind en 1958. Tout en longeant son pignon, nous découvrons l’axe central de la rue qui dessert de part et d’autre des «villas» qui suivent un plan bien précis. En effet, cette zone pincée entre deux projets d’Aurelio Galfetti est caractérisée par un travail surfacique important en terme d’urbanisation. Vers la fin du XIXème siècle, cette typologie de grilles orthogonales à trottoirs se développe énormément dans le canton du Tessin (fig III.2). Chaque parcelle développe une base de plan carré, généralement à façades symétriques, avec une entrée le plus souvent située au centre. Nous verrons plus tard le travail qu’en fait Aurelio Galfetti lorsqu’il construira dans cette zone. La partition des parcelles, qui suit une vingtaine de mètres entre chaque axe permet des respirations visuelles nécessaires pour éviter la monotonie de simples logements qui suivrait l’alignement précis de la rue (fig III.3). Ainsi, cet axe de 500 mètres nous laisse découvrir petit à petit un vide dans la ville. Une place carrée de 60 mètres de coté qui s’articule au bout de la rue au pied du rocher et qui s’implante de manière désaxée par rapport à notre ligne d’arrivée. Il s’agit donc de la Piazza del Sole construite par Livio Vacchini en 1996. Ce vide monumental annonce l’arrivée d’une composante nouvelle dans le travail d’Aurelio Galfetti : la ligne verticale (fig III.4). 83 -
4
2
- 84
III -
0
CastelGrande en point culminant d’ascension
20
50
3
1
fig III.4 DĂŠcomposition du parcours 85 -
- 86
III -
CastelGrande en point culminant d’ascension
fig III.5 Symbole d’une arrivée... 2019 87 -
Séquence 3
- 88
III -
CastelGrande en point culminant d’ascension
SĂŠquence 3
Coupe longitudinale de la ville 0
89 -
50
200
Combinaison de formes primaires
Plan de la Piazza del Sole fig III.6 0 10
50
- 90
III -
CastelGrande en point culminant d’ascension
2. Symbole d’une arrivée
Il est vrai que nous avons ressenti cet endroit de
Bellinzona comme une sorte de symbole. La combinaison soudaine d’éléments de formes primaires donne à ce lieu une signification autre, que j’ignorais jusqu’à présent. Nous retrouvons également une notion dans le travail d’Aurelio Galfetti que nous verrons plus tard, à savoir la mise en place d’un tracé de lignes géométriques abstraite. Ainsi, la place carrée de Livio Vacchini articule en ses angles quatre pyramides inversées pour tenir l’espace et signifier les entrées du parking sous-terrain (fig III.6). Il est vrai que nous pouvons observer une certaine forme de contradiction dans le processus de conception de rénovation du château. En effet, l’idée fondatrice du projet était de relier (encore une fois) la forteresse moyenâgeuse et la ville historique de manière directe par une circulation au sein du rocher. Ainsi, l’entrée fut installée en plein dans la roche, comme une faille dans le système de défense. De plus, la ligne du rempart attenant est également creusée pour mettre en exergue la combinaison entre le carré de la place et le cercle où se trouve les ascenseurs. Monsieur Renato Magginetti et Nicolas Navone, tout deux rencontrés lors de mon passage en Suisse, m’ont véritablement surpris et appris une leçon fondamentale concernant ce projet durant nos promenades sur site. Je m’explique. La logique voudrait que l’on arrive à cette 91 -
circulation via «la porte» creusée dans la muraille. En revanche, chaque passage pour atteindre cette circulation verticale s’opérait en contournant la muraille. Au-delà du simple faite de montrer tout notre respect à l’histoire du lieu en agissant ainsi, le parcours amène à l’entrée via une approche oblique, qui renforce l’effet de perspective sur l’entrée. On déroge à la règle de la combinaison de formes purs et on déroge ainsi à la linéarité stricte. La notion de pittoresque fait son apparition. Cela ne gâche évidemment pas la symbolique du projet, au contraire, ça la renforce et ça affirme l’idée d’une architecture qui compose avec son territoire. D’ailleurs, souvenons nous des dessins d’églises de Camillo Sitte qui «illustrait les parcours asymétriques et pittoresques jusqu’au lieu même du bâtiment. Seuls des fragments des églises sont visibles des différents points de vue sur les places» (fig III.7). Les liens avec les églises justifient l’appellation symbolique du lieu de l’entrée dans l’espace de circulation. Ainsi, la ligne droite laisse place à la ligne pittoresque brisée en plein coeur du centre historique de Bellinzona. Cette ligne contourne donc la muraille et fait découvrir l’entrée basse fig III.7
du château de Bellinzona «CastelGrande» (fig III.8).
Reproduction des dessins de SITTE Camillo par CHING Francis D.K, 2015, Architecture, forme, espace, organisation, p259 - 92
III -
CastelGrande en point culminant d’ascension
fig III.8 Séquences d’entrée : Approche droite et approche oblique
93 -
Entrer implique un changement de registre, c’est l’acte de traverser un plan vertical séparant deux espaces distincts. D’ailleurs, de toute la promenade proposée dans ce mémoire, il n’a jamais été question d’entrée ou de sortir quelque part, il n’y a eu aucune différentiation de lieu quelconque. La seule entrée présente dans cette promenade est travaillée ici de manière stéréotomique par excavation de matière (fig III.9). «Nous entendons par architecture stéréotomique celle dans BAEZA CAMPO Alberto, 2014, La idea construida, 184p
laquelle la gravité est transmise d’une manière continue (...) C’est l’architecture massive, pierreuse, pesante. (...) C’est l’architecture qui cherche la lumière, qui perfore ses murs (...) C’est pour résumé, l’architecture de la grotte». Il y a ainsi la mise en tension de composantes génératrices d’émotions. La première est donc le jeu d’excavation de la roche et son irrégularité surfacique. La seconde est la ligne de béton qui
fig III.9 Coupe sur CastelGrande Introduction de la verticalité 0 10
50
- 94
III -
CastelGrande en point culminant d’ascension
va apparaître pour laisser place à la réelle symbolique du lieu. Alors que les bains publics proposaient une promenade a travers l’espace, le château donne un espace final à cette même promenade. Cette relation parcours-espace est généralement privilégiée dans les lieux symboliques selon Francis Ching. Aurelio Galfetti joue donc sur un travail de la masse pour créer une compression du lieu. Les sculptures de l’espagnol Eduardo Chilida (fig III.10) rendent compte de cette idée de creusement d’une matière pesante pour jouer avec la lumière et les dilatations spatiales.
fig III.10 CHILIDA Eduardo, sculptures Images prises d’Internet
Dans «De la forme au lieu + de la tectonique», Pierre von Meiss utilise l’expression de «l’éclosion du rez de chaussée» pour qualifier le lieu de la rencontre entre une horizontale et une verticale. L’expression prend tout son sens grâce à la lumière zénithale qui projette l’ascenseur dans une infinité verticale, et amène le promeneur dans le jardin du château, au point culminant de Bellinzona. 95 -
Située à une soixantaine de mètre au dessus de la Piazza del Sole, la promenade du château débute par une montée pincée entre deux murs de pierre (fig III.11). L’expérience de l’arrivée jusqu’au jardin rappelle étrangement les notions que Le Corbusier évoquent à propos d’Auguste Choisy récitant la promenade de l’Acropole jusqu’au Parthénon. Lors de la LUCAN Jacques, 1986, «Trois architectes au Tessin», AMC le moniteur, p32
rénovation du château, Aurelio Galfetti «va nettoyer, dégager, dénuder les parois des rochers; il va préciser, épurer les lignes des murailles et des chemins, disposer les plans réguliers des sols, répartir des plantations de vignes en rangées parallèles» et de faite, proposer un parcours au projet dans une composition architecturale globale jouant sur des effets de contraste et d’équilibre des masses bâties par l’asymétrie. Cette idée suit la notion pittoresque abordée par la promenade en bas du rocher dans le centre historique de la ville. Un pittoresque ici savamment pensé pour le parc du château, entre végétal et minéral. Ainsi, la montée nous fait patienter avant de découvrir le grand jardin du château (fig III.12 - fig III.13). Nous sommes dans un parc à Bellinzona, où une dynamique horizontale s’installe. La surface des espaces verts est minutieusement traitée et accentuée par la présence d’un arbre événement qui ramène une verticalité pour contre-balancer le volume des deux tours. La promenade s’achève enfin sur la muraille (fig III.14) en tant que ligne qui surplombe la ville nous laissant contempler la présence d’Aurelio Galfetti dans la constitution du territoire. - 96
III -
CastelGrande en point culminant d’ascension
fig III.11
97 -
fig III.12
- 98
III -
CastelGrande en point culminant d’ascension
fig III.13
99 -
fig III.14
- 100
III -
CastelGrande en point culminant d’ascension
«Quelle signification peut-on attribuer à un rocher ? Je le voulais aussi artificiel que possible, comme l’articificalité de l’architecture qui n’intègre pas mais se pose en contraste avec la nature. C’est pour moi la seule façon possible de respecter à la fois la nature et ce que l’Homme a crée. Il y a une autre raison qui m’a conduit à faire du parc l’élément architectural principal. La situation conservatrice des décennies récentes n’avait laissé aucune place à un travail de transformation authentique à l’intérieur de la structure ancienne. Les villes historiques meurent aujourd’hui à cause de cette tendance à une restauration purement conservatrice. Après un court moment de prétendu de régénération, sorte de trompe l’œil, elles vacillent encore pendant quelques décades tandis que la vie se déplace vers les zones périphériques, ce que l’on nomme les anti-villes. L’architecte d’aujourd’hui doit concentrer son intérêt sur le suburbain, qui a la chance de représenter l’avenir, vers l’instable qui peut se transformer en espace public. Le parc représente un tel exemple d’espace public. A Bellinzona, il me semblait possible de créer un parc où minéral et végétal auraient la même importance.» La série de perspective permet de capturer des instants clés de la promenade du parc, et retranscrit l’architecture comme sur un tableau. C’est toute la surface de ce nouveau parc qui est impactée lors de la rénovation pour créer cette atmosphère dans ce jardin qui constitue un belvédère sur la ville. 101 -
GALFETTI Aurelio, in Topos n°8, 1994, (cité dans : La reconversion de bâtiments patrimoniaux en musées : l’exemple du Tessin, 2003)
- 102
IV - Sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites
fig IV.1 Nouveau regard sur la ville... 2019 103 -
fig IV.2 Maquette du Plan Obus, 1930 Fondation Le Corbusier
fig IV.3 GREGOTTI Vittorio, Logements à Cefalu, 1976 Image prise d’Internet
fig IV.4 Maquette, 1974, «La nouvelle université de Calabria», Domus
- 104
IV - Sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites
1. Cohérence des niveaux dimensionnels
«Cette ligne (les bains publics de Bellinzona) représentait
certainement la concrétisation pure d’une idée plusieurs fois énoncée par des architectes modernes depuis Le Corbusier lorsqu’il traitait le plan «0bus» d’Alger, jusqu’à Vittorio Gregotti lorsqu’il publiait, en 1966, son livre «Le territoire de l’architecture». On peut même dire que le stade nautique de Bellinzona était un des rares «bâtiments» construits qui vérifiait une possibilité formelle mégastructurelle et annonçait, par exemple, le fameux projet de Vittorio Gregotti et associés pour l’Université de Calabre a Cosenza (1973), une structure linéaire de plus de 1,5 kilomètre de long. Pour ce projet de Bellinzona, Aurelio Galfetti, il y a bientôt vingt ans maintenant, inscrivait donc des préoccupations territoriales qu’il ne va jamais abandonner même si l’occasion de la réalisation d’un projet d’une telle ampleur ne se représentera pas.» En effet, l’occasion ne se représentera pas à cette échelle. En revanche, Vittorio Gregotti parle d’une taille d’intervention d’un projet à 3 niveaux schématiquement. Premièrement, le niveau géographique du territoire. Deuxièmement le niveau topographique du site. Et troisièmement le niveau de l’objet en lui-même. Il est évident que si nous distinguons trois seuils
105 -
LUCAN Jacques, 1986, Trois architectes au Tessin, AMC le moniteur, p32
de références différents, lorsque nous en impactons un, les autres le sont également. Et je pense que c’est ainsi qu’Aurelio Galfetti possédera tout de même une influence territoriale au sein de toute la ville de Bellinzona, grâce à ses aller-retours d’échelles d’interventions. La structuration du territoire a les caractéristiques pour concevoir/accueillir un objet en conservant en même temps son rapport avec le lieu. Il ne s’agit
fig IV.5 Repérage des édifices d’Aurelio Galfetti à Bellinzona 100
500
1000
- 106
IV - Sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites
donc pas dans le travail de l’architecte suisse d’avoir produit une architecture type de territoire qui soit universelle, mais de répondre avec une manière précise aux programmes de la ville (objets) par une attitude de liens étroits avec leur site (topographie) qui s’inscrit dans le paysage (territoire). Le lien entre ces matériaux de l’architecture permet de rendre unique chaque intervention à n’importe quelle échelle (fig IV.5). Il est contraire à l’idée de l’utopie pour faire la ville. Il «s’organise comme schéma spatial dans une société impossible car, il suspend et projette la réalité dans un univers sans histoire». Ainsi, nous revenons sur ce qui fut évoqué plus tôt concernant la ville linéaire de Soria y Mata, et par extension, les utopies d’Howard concernant les cités jardins (deux exemples parmi tant d’autres depuis le début du XIXème siècle) qui sont ainsi restés «sur papier» suite à leur caractère de projet nonréalisable. Il est possible d’intervenir de manière territoriale sans nécessairement chercher une inspiration majeure émanant d’une utopie à grande échelle. C’est le concept de modèle qui peut être prôné dans ce cas la. Il «établit des relations finies dans un contexte spécifique, sans avoir la prétention de se donner comme méthode générale (...) il contraint l’utopie à se plier au domaine spécifique de la discipline, il la contraint à rentrer dans l’histoire, à devenir recherche et hypothèse de travail.» Un modèle est désireux de transformer celui-ci en de «nouvelles authenticités.» Ainsi, Aurelio Galfetti va s’inspirer des travaux européens du XXème siècle et procéder à une sédimentation 107 -
GREGOTTI Vittorio, 1966, Le territoire de l’architecture, p25
de projets qui intervient à tous les niveaux dimensionnels. Cette sédimentation dans la ville accompagnée à la figure linéaire présente à chaque fois de manière directe/indirecte donne une cohérence globale à ses projets. Si nous restons à l’échelle de la ville, nous pouvons d’ores et déjà constater les différentes implantations qui suivent le rayonnement de la ville historique moyenâgeuse (fig IV.6). Il est important d’instaurer
fig IV.6 En rouge foncé la ville historique En rouge clair la surface du territoire qui comporte les projets d’Aurelio Galfetti 100
500
1000
- 108
IV - Sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites
à la base une «cartographie des valeurs formelles du territoire comme support géographique et comme intervention», c’est à dire de faire une lecture des ensembles environnementaux pour la planification et la cohérence globale. Les écrits de Vittorio Gregotti se fondent donc sur une idée de l’architecture comme un domaine pluridisciplinaire intervenant à différentes échelles, et qui participe à l’évolution d’une société dans un territoire spécifique. Aurelio Galfetti tient évidemment compte de l’histoire du lieu lorsqu’il intervient, et participe également au développement de cette même Histoire, comme par exemple lors de la restructuration du château de Castelgrande où il redéfinit les caractéristiques du rocher jusqu’ici jamais réellement touchées. La rénovation influe sur l’esthétique du lieu à toutes les tailles d’interventions. Au final, il ne s’agit donc pas de développer une nouvelle manière de faire la ville, comme on pouvait l’observer quelques années auparavant par les C.I.A.M et Team X mais de la faire évoluer en tissant des liens divers entre les interventions architecturales dans leurs contextes. Ainsi, dans ce travail, Aurelio Galfetti n’a recours dans ses projets de Bellinzona presque exclusivement qu’à deux figures : la ligne et la surface.
109 -
fig IV.7 SMITHSONS Alison & Peter, 1952, projet de grand ensemble de Golden Lane
fig IV.8 SMITHSONS Alison & Peter, 1952, Photomontage grand ensemble de Golden Lane Images prises d‘Internet
- 110
IV - Sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites
2. Liens historiques et figuratifs
Ces figures, l’architecte suisse va s’en servir durant trois
décennies. Au delà de ces notions mêmes, et je l’ai évoqué dans la partie précédente, la plupart de ses ouvrages reprennent des idéologies et autres travaux européens du XXème siècle. Pour suivre le travail effectué sur les bains, et parce qu’il s’agit du début de la production d’Aurelio Galfetti, nous pouvons aisément mettre en corrélation cet ouvrage avec les idéologies urbaines prônées par Alison et Peter Smithsons dans les années 50. La multiplicité des usages de la ligne (observer d’en haut, laisser libre court à la promenade, s’arrêter, regarder au loin, lieu de rencontre...) que ce soit pour les nageurs ou les passants fut le sujet majeur des architectes anglais dix ans plus tôt notamment dans le grand ensemble de Golden Lane (fig IV.7). Ces derniers mettaient en exergue la volonté de créer des chemins piétonniers à différentes hauteurs, de créer des places, dans une vision de la ville en mouvement. Il en va de même des travaux de Candilis, Josic, et Woods. En revanche, plutôt que de faire la ville comme une ligne qui croît de façon exponentielle, la sédimentation d’un travail sur la ligne dans le territoire paraît ainsi plus compréhensible dans le rapport territoire/ville. C’est ainsi qu’il procédera dans chacun de ses projets à Bellinzona. En 1961, il livre la Casa Rotalinti (fig IV.9) au sud de la ville en plein cœur de la montagne. La maison en béton brut est imaginée
111 -
comme un rocher gris, qui tend son inspiration du château situé plus au nord. L’analogie du bloc soulevée rappelle étrangement le couvent de la tourette de Le Corbusier (1956), qui laisse la pente se glisser sous le volume en béton. Il est vrai qu’Aurelio Galfetti est celui des quatre architectes tessinois ayant ramené la culture corbuséenne et les lignes de la modernité dans le Tessin par ce projet. Ainsi, la linéarité saillante est omniprésente dans ce projet, accentuée par les poteaux carrés en nez de façade et du banchage horizontal du béton. Celle-ci est de faite mise en valeur par toute la promenade sinueuse et courbe que l’on doit entreprendre avant de pénétrer dans la maison. Le contraste entre la ligne droite et la ligne courbe est à son paroxysme dans ce projet. Il reprend en quelque sorte toujours les idées de Le Corbusier, qui privilégie un bâtiment d’une droiture impeccable sur pilotis, sous lequel évolue les rayonnements organiques du site et de la végétation.
fig IV.9 GALFETTI Aurelio, Casa Rotalinti, 1960-1961
En 1985, Aurelio Galfetti achève le bureau de poste de la ville (fig IV.10). Il se situe sur une des avenues les plus importantes - 112
IV - Sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites
de Bellinzona, qui relie la gare au centre historique. Le bâtiment se découpe en cinq zones identifiables en plan. Ces espaces s’articulent parallèlement à la rue principale et forment donc cinq plans verticaux, cinq surfaces poreuses qui créent des sas à une échelle gigantesque dans le bâtiment. Le premier accueille les bureaux et les différents services. Le second correspond à l’atrium central, éclairé zénithalement, qui n’est pas sans rappeler l’espace central de la caisse d’épargne de la poste de Vienne d’Otto Wagner (1904). Le troisième sas constitue la zone de traitement des colis et le quatrième celui des expéditions. Le cinquième et dernier sas se développe sur deux étages de parking et un étage d’arrivée des voies de chemin de fer. Les éléments secondaires suivent la discipline formelle des projets, et des lignes horizontales sont dessinées sur les façades, comme une réinterprétation du banchage de la casa rotalinti.
5 4 3 2 1
113 -
fig IV.10 GALFETTI Aurelio, Post-Office, Premier étage 1977-1985
Le Tennis club est le premier centre sportif attenant aux bains publics de Bellinzona (fig IV.11). En 1983, Aurelio Galfeti va donc ériger un mur habité épais, dans lequel il inclut les fonctions programmatiques du projet. Cette dualité entre espaces servit/servants renvoie au travail de Louis Kahn tout au long de sa carrière. Enfin, cette ligne épaisse longe parallèlement les bains publics et protège tous les terrains de tennis du vent nordique. Celle-ci n’est pas sans rappeler la notion de limite évoquée plus tôt. Elle affirme presque une séparation entre la ville de Bellinzona et sa périphérie. La plastique de la «muraille» accentue cette linéarité horizontale. La modénature extérieure est soulignée par un traitement du béton particulier, qui fait ressortir des lignes horizontales à intervalle régulier. Plus récemment, Aurelio Galfetti s’est vu construire la patinoire et piscine le long du fleuve, accolées aux terrains de tennis et perpendiculaires aux bains publics.
fig IV.11 GALFETTI Aurelio, Tennis club, 1983
- 114
IV - Sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites
A partir de 1984, sera construit une suite d’appartements en plein cœur de la ville développée au XIXème siècle. Par un travail surfacique subtil, «Al Portone», «Bianco e Nero», ou bien «Casa Ghidossi» intègrent parfaitement le tissu mis en place cent ans plus tôt (fig IV.12). Solidement encrés, les appartements occupent une surface au sol et un volume dans l’espace similaire aux villas qui l’entourent. Cette volonté de prolonger le tissu existant se poursuit jusque dans l’entrée centrale du bâtiment. Aussi, nous pouvons observer la mise en place d’une réelle symétrie axiale en façade, concept relativement différent de ce qui l’était possible de retrouver précédemment, mise à part au tennis club. Le formalisme est véritablement présent dans ces projets. En revanche, il est intéressant d’observer la modénature des façades extérieures, où l’on reconnait le travail d’Aurelio Galfetti, par la mise en exergue de lignes horizontales ou verticales.
fig IV.12 GALFETTI Aurelio, Implantation des appartements, 1984-1994
115 -
Pendant désormais presque cinquante années, Aurelio Galfetti agit en sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites. A partir du contexte, et de son environnement, il répand à travers ses interventions des lignes et des surfaces reconnaissables. Il est intéressant de noter que la ville ne s’est pas faite en fonction d’une idée utopique mais en la combinaison de ses travaux à une échelle plus petite
fig IV.13 Inventaire des lignes fondamentales des projets dans le territoire 100
500
1000
- 116
IV - Sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites
conjuguée à un champ lexical architectural précis. La casa rotalinti ((1)1960) au sud, très droite dans ses formes contraste avec la courbure de la séquence d’arrivée, qui selon moi démarre en amont de la montagne, cinq-cent mètres plus bas. Les bains publics ((2) 1967) relient le Ticino à la ville du
1
XIXème siècle par une promenade perpendiculaire au fleuve, constituant une première limite au nord de la ville. Le bureau de poste ((3) 1977) le long de l‘avenue de la gare dialogue
2
avec la rue suivant cinq sas parallèle à celle-ci. La rénovation de Castelgrande (1981) en plein centre-ville historique (re) met en exergue la linéarité et la présence de la muraille dans la ville. La promenade en son cœur lui donne un nouveau statut. Le tennis club ((4) 1983) existe en tant que ligne habitée épaisse qui vient dialoguer avec les bains publics de manière
3
parallèle. Enfin, les appartements construits en périphérie du centre moyenâgeux suivent le tracé orthogonal (5) déjà présent sur le site et se plient aux idéologies fondamentales des premières villas construites un siècle auparavant. Ainsi, à partir de 1850, date à laquelle le chemin de fer est
4
arrivé et que la ville s’est étendue (le moyen-âge s’est étendu jusqu’à cette date selon Renato Magginetti), la modernité fit son apparition avec des architectes comme Aurelio Galfetti. Cet inventaire de ses figures linéaires et surfaciques qui englobent un rayon de 2 kilomètres rende compte de la sédimentation subtile des projets de l’architecte à travers la ville entière (fig IV.13). 117 -
5
Conclusion
La ligne est une notion relativement large où il est
difficile d’en extraire un propos qui fait sens. Partant de la passerelle des bains publics qui constitue une réelle ligne dans le paysage, j’ai su prendre conscience que cette figure ne se limitait pas à un trait simple qui relie deux points. La théorie générale de Paul KLEE marqua un tournant dans la vision de cette notion. Au-delà de bains, la ligne marque une réelle empreinte à l’échelle territoriale. La liaison avec le château CastelGrande et la multitude de projet qui suivent apporte une cohérence globale à ses travaux via le champ lexical de la ligne qui, par ses caractéristiques formelles, permet de donner un sens à un projet territorial. La prise de conscience des niveaux dimensionnels et des différentes échelles d’interventions permet selon moi d’envisager une architecture avec une idée de base qui évolue suivant les caractéristiques d’un site. Je suis conscient de ne pas avoir pu développer au maximum le travail d’Aurelio Galfetti dans la ville, le mémoire s’étant essentiellement centré sur les deux édifices qui l’ont rendu célèbre et moins sur le reste de sa production, bien qu’elle soit majeure dans la compréhension de ses volontés au sein de sa production architecturale. C’est d’ailleurs pour cela que la dernière partie s’attarde sur les grandes figures générales des projets, sans rentrer dans un détail pointu de ces derniers. Nous l’avons donc vu, la figure de la ligne et de la surface qu’elle génère sont omniprésentes dans son travail mais apparaissent - 118
également avant même que l’architecte n’intervienne sur le territoire par la notion de la limite. Cet environnement unique constitue donc un terrain de jeu parfait pour la mise en place d’une architecture de territoire par le travail de ces notions. Aurelio Galfetti intervient donc en sédimentation de tracés de lignes géométriques abstraites. C’est-à-dire que cette notion germe dans chaque projet de manière plus ou moins directe pour construire l’objet dans la ville. Elle relie, elle ordonne, elle contraste, elle assoit une volonté, elle prolonge... C’est en réalité un outil général puissant du processus de conception. Nous traçons évidemment sans cesse des lignes, mais c’est ce processus qui tend à dire que l’on développe un projet à travers cette idée et cette prise de conscience de celle-ci qui peut faire évoluer la conception générale d’un édifice dans son contexte. Pour faire un projet il faut identifier ce qu’il est et ce qu’il n’est pas, et c’est en ce sens que j’ai tenté de comprendre le travail d’Aurelio Galfetti, en identifiant les notions fondamentales qu’il met ou non en avant dans la conception d’un édifice. Il me semblerait ainsi intéressant d’explorer les limites de cette figure de la ligne, et dans quelles mesures nous pouvons repartir de ce type de travaux pour en développer d’autres aujourd’hui qui tendent à cette vision, et de confronter la situation contemporaine et sa question inévitable de la densité en dialogue avec cette figure. Le projet des bains publics marque évidemment la seconde moitié du XXème siècle par sa richesse et par les réponses 119 -
qu’il apporte d’un point de vue architectural. J’ai voulu retranscrire les émotions personnelles concernant ce projet en le conjuguant à un travail d’expérimentation par le corps sur ce qu’il permet de générer au-delà de son entité propre. Il trace des liens entre des polarités importantes du territoire et c’est en ce sens que l’architecture tessinoise en générale possède de nombreuses qualités. Chaque projet s’inscrit dans une logique de dialogue inter-dépendant avec son environnement, qui fonctionne d’ailleurs de manière intemporelle, et qui trouve ses sources dans l’histoire, la géographie, la morphologie, ou le relevé topographique du lieu, pour ne citer qu’eux. Durant mes années d’études, j’ai travaillé sur la question de la ligne dans un projet, et j’aimerais continuer à développer cet intérêt grandissant pour cette notion par un projet de fin d’étude (mention recherche) inspiré des travaux d’Aurelio Galfetti. Ma volonté est donc de pouvoir, grâce à ce mémoire, développer un processus de travail lors de ma pratique d’architecte qui puisse entretenir des liens avec mes recherches effectuées durant ces derniers mois.
- 120
121 -
5 6 2 1 7 3 4
Promenade pittoresque Ă Bellinzona
100
500
1000
- 122
Promenade pittoresque à Bellinzona Récit d’un carnet de voyage
Le point de rendez-vous avec Renato Magginetti était
la Piazza del Sole (1). Le départ de sa visite s’est effectué dès notre arrivée. Nous n’avons donc pas eu le temps de prendre nos repères, et je pense que c’était mieux comme cela. Cela m’a semblé étonnant de démarrer la promenade en remontant au nord, compte tenu des recherches que j’avais fait sur la ville, mais j’ai décidé de me laisser aller à la découverte de la culture de Renato. Nous sommes arrivés à la gare en haut de la Viale Stazione (2) comme le symbole d’un départ de parcours qui prend son envol là où la réelle urbanisation a commencé. Nous sommes descendus via cette rue en passant la post-office de Bellinzona et sommes arrivés dans le centre historique de la ville par un axe rectiligne, le seul qui possède cette caractéristique et qui atteint le cœur de centre moyenâgeux (3). La richesse de l’endroit nous a laissés sans voix. Nous déambulions dans cet espace urbain où la limite publique/privé était tendancieuse, ce qui rendait la promenade émouvante et riche de sensations. Nous aurions pu y rester des heures entières que nous ne connaîtrions toujours pas les coins et recoins de ce savant labyrinthe. Puis, nous sommes descendus au sud, ayant pour repère les deux montagnes qui nous entourent. Nous avons découvert un superbe bâtiment de Luigi Snozzi et Mario Botta dont nous ignorerions l’existence (4) en observant le tissu urbain qui s’étale, et une place pour les flux routiers bien plus importantes que précédemment. Nous continuons notre chemin vers l’ouest 123 -
et bizarrement les sons de la ville s’estompent (5). Les bruits de couverts et le brouhaha du centre ville laissèrent place au vent frais qui caressait la végétation. Les agitations du sud de la ville perdaient de la voix et nous faisaient baigner dans un petit calme qui s’agrandissait plus nous allions vers le fleuve. Mon ami ne connaissait pas la ville, et j’ai ressenti dans notre exploration une sorte d’excitation grandissante tout au long du parcours qui se calma par l’ambiance alentour du fleuve Ticino. Ce dernier est bordé par un linéaire de parc naturel où joggeurs et marcheurs prennent plaisir à déambuler. Pendant quelques minutes, j’ai oublié le pourquoi de ma venue et ai apprécié ce changement d’état de la ville en marchant parallèlement au cours d’eau. Puis nous avons aperçu une émergence élégante de béton qui nous appelaient; qui nous suggéraient de s’arrêter en tout cas. Et c’était ici que la passerelle décidait de se montrer. J’insiste sur le faite qu’elle voulu se montrer à cet endroit car nous avons ressenti cela exactement de cette manière; une sorte de volonté féminine caractérisée par cette ligne douce de béton qui sortait des arbres à six mètres du sol qui nous suggérait une promenade unique juste ici. Nous avons emprunté la passerelle et découvrons une surprenante souplesse dans sa promenade très droite. Je me souviens du plaisir pris d’être la et de pouvoir toucher cette émotion. Finalement, nous étions dans un équipement d’ordre public ou dans la ville ? Je ne sais pas. Mais cette ambiguïté - 124
Promenade pittoresque à Bellinzona Récit d’un carnet de voyage
joue sur notre perception du lieu, et nous traversons les presque 400m en ce qui nous a semblé être un passage éclair. Cette parenthèse des bains refermée, nous avons atteri dans la ville du XIXème siècle et son tissage quadrillé (6). Cette surface orthogonale permet de mettre en évidence le bout de chaque axe qui a été tracé. Ici, la rampe des bains nous amène vers l’axe qui correspond au château et au vide en pied du rocher : la Piazza del Sole. Petit à petit, nous reconnectons nos esprits aux sonorités de la ville en nous dirigeant vers l’est , comme attirés par les trois châteaux visibles dans la montagne. Une fois la boucle bouclée, Renato Magginetti nous a quittés. Avec mon ami, nous avons poursuivi notre promenade en haut du château Castel Grande (7). Les jeux de lumières et l’approche stéréotomique du lieu en font un endroit solennelle qui se prête à la promenade quasi-silencieuse. Nous avons donc terminé cette journée en se laissant aller à la promenade libre qui suit les anciennes murailles du château en observant la ville depuis ce belvédère au fur et à mesure que le soleil tombait pour laisser place à la nuit et les éclairages artificielles de la ville.
125 -
Ouvrage -CAMPO BAEZA Alberto, 2014, La idea construida, Editions Esperou, 184p -CHEMETOV Paul, 1982, La modernité : un projet inachevé, Editions du moniteur, Tours, 143p -CHING Francis D.K, 2015, Architecture, forme, espace, organisation, éditions Eyrolles, 446p -CHOISY Auguste, 1899, Histoire de l’architecture -GALFETTI Aurelio, 1989, Aurelio Galfetti : introductions Mario Botta, Mirko Zardini, Gustavo Gili, Espagne, 96p -GREGOTTI Vittorio,1982, Le territoire de l’architecture, L’équerre, 167p -INGOLD Tim, 2011, Une brève histoire des lignes, Zones sensibles, 256p -JACQUIN Laure (sous la direction de GARRIC Jean-Phillipe), 2011, Reconversions d’édifices militaires, 45p -KLEE Paul, 1920, Théorie de l’art moderne, Poitiers, Médiations, 174p -LE CORBUSIER, 1995, Vers une architecture, Editions Flammarion, 253p -LUCAN Jacques, 2009, Composition Non-Composition, Presses polytechniques romandes, 612p -RIBEIRO Ugo (sous la direction de AMALDI Paolo), 2011, Le régionalisme critique : l’influence du lieu sur l’architecture, 72p -VIGANO Paola, 2016, Les territoires de l’urbanisme, le projet comme producteur de connaissance, MetisPresse, 293p -VENTURI Robert, 1972, Learning from Las Vegas, MIT Press, 192p -VON MEISS Pierre, 2012, De la forme au lieu + de la tectonique, Presses polytechinques et universitaires romandes, 380p -XXX, s.d, La reconversion de bâtiments patrimoniaux en musées : l’exemple du Tessin, 70p -XXX, 2015, Aufbruch ins Eigene - Tessiner Tendenza & ihre Folgen, 264p
- 126
Bibliographie
Ouvrage collectif -KOETTER Fred, ROWE Collin, 1993, Collage City, Centre Georges Pompidou, p256 -NAVONE Nicola, REICHLIN Bruno, 2010, Il bagno di Bellinzona di Aurelio Galfetti, Flora Ruchat-Roncati, Ivo Trümpy / a cura di Nicola Navone e Bruno Reichlin, Mendrisio, Suisse, 218p Article de revue -AMALDI Paolo, BASSAND Nicolas, BESSON Adrien, CONCHEIRO Isabel, MEYER Philippe, 2018, «Inventer le Tessin; Gran Ticino», Faces, pp26-39 -AMALDI Paolo, FAIVRE-AUBLIN Cyrille, 2018, «Le projet comme enseignement; Gran Ticino», Faces, pp45-47 -CARUSO Alberto, WETTSTEIN Felix, 2018, «La ville Tessin : le rêve d’une connexion; Gran Ticino», Faces, pp16-22 -FERRARI Mario, GAGGETTA Michele, GUIDOTTI Giacomo, -GREGOTTI Vittorio, janvier 1976, «Les méga-structures en ligne», L’architecture d’aujourd’hui, pp 31-50 -MOOR Stefano, 2018, «La nouvelle Bellinzone; Gran Ticino», Faces, p51-53 -NAVONE Nicolas, 2009, «Genèse d’une architecture territoriale», Faces, pp56-59 -TERZAGHI Matteo, 2018, «Au commencement était une bosse... puis vint le phoque; Gran Ticino», Faces, pp22-24 Site Internet -Ticino4580.ch -aureliogalfetti.ch/
127 -
GALFETTI Aurelio, La casa Rotalinti, 1960 - 128
Annexes
GALFETTI Aurelio, La casa Rotalinti, 1960 129 -
GALFETTI Aurelio, Les bains publics, 1967 - 130
Annexes
GALFETTI Aurelio, Les bains publics, 1967 131 -
GALFETTI Aurelio, Post-office, 1977 - 132
Annexes
GALFETTI Aurelio, Post-office, 1977 133 -
GALFETTI Aurelio, CastelGrande, 1981 - 134
Annexes
GALFETTI Aurelio, CastelGrande, 1981 135 -
GALFETTI Aurelio, Tennis Club, 1983 - 136
Annexes
GALFETTI Aurelio, Tennis Club, 1983 137 -
GALFETTI Aurelio, Appartement, 1984-1994 - 138
Annexes
GALFETTI Aurelio, Appartement, 1984-1994 139 -
«Si l’architecture vit, nos paroles seront probablement
toujours en retard par rapport à l’objet dont nous parlons». Vittorio GREGOTTI, «Le territoire de l’architecture», 1966
- 140
141 -