Intérêt & Engagement - Mémoire HMO-NP Alexandre Lahaye

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ALEXANDRE LAHAYE

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INTÉRÊT ENGAGEMENT de l’entreprise à l’agence d’architecture

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habilitatioN à la MaîtriSe d’oeuvre eN NoM propre _2016-2017 uNaNiMe architecteS _lyoN


du riSque à l’iNNovatioN, l’ÉvolutioN de la pratique de l’architecte De la résignation commerciale à l’innovation entrepreneuriale, en quoi le choix d’un système d’entreprise permet-t-il de garantir la pérennité d’une 2 éthique architecturale ? L’architecture est «d’intérêt public». L’architecte, ce Sisyphe contemporain, étant aussi un «chef d’entreprise» flirte avec le conflit d’intérêt. Comment concilier notion de profit et intérêt public ? Comme acte d’engagement, le mémoire s’appuie sur l’expérience de mise en situation professionnelle chez Unanime architectes Lyon. La recherche de la compréhension de l’entreprise nous mènera à forger des outils pour «l’Architecte chef d’entreprise». Derrière des considérations purement entrepreneuriales n’y aurait-t-il pas une remise en cause de la déontologie ? l’ambiguïté du rôle sociétal de l’architecte tend à dévaluer une profession déjà en pleine mutation. Le grand perdant demeure l’intérêt public. Derrière une partie de poker, des liaisons dangereuses entre stylos, le mythe de Sisyphe ou encore le western des 7 mercenaires, le travail est une invitation à un nouveau regard sur la pratique. La HMO-NP est la reconnaissance de la responsabilité de ses actes. Confié par l’écriture, le récit d’une passion pour l’engagement, l’innovation et l’action d’un jeune architecte motive une prise de responsabilité envers tous.

École NatioNale SupÉrieure d’architecture de GreNoble


À l’ambitieuse aventure de nos rêves, à la passion de l’utopie, à l’engagement de nos actes, à elle : Born to build. à lui : Don’t forget to play. À nous, L. À nous, G.



INTÉRÊT ENGAGEMENT de l’entreprise à l’agence d’architecture

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De la résignation commerciale à l’innovation entrepreneuriale, en quoi le choix d’un système d’entreprise permet-t-il de garantir la pérennité d’une éthique architecturale ?

Agence d’accueil : Unanime architectes Lyon du 29/08/2016 au 04/08/2017 Tuteur : Cédric Morel, gérant Directeur d’étude : Claude Salerno, Architecte DPLG et enseignant à l’ENSAG Jury : Christine Royer_Christophe Millet_Éric Clavier_ Fabienne Ferley_Yannick Bouchet 2016-2017_ Soutenance le 21 septembre 2017 ENSAG


REMERCIEMENTS Merci pour votre lecture ! Merci à l’équipe d’Unanime de m’avoir considéré comme étant des leurs durant cette année, Merci à Cédric Morel d’avoir encadré cette expérience, Merci à Claude Salerno, directeur d’étude, pour l’écoute et le conseil, Merci à Lou Doublier, Alexis Giroud et Gauthier Martinez d’avoir partagé l’expérience de la «HMO» avec amitié, Merci aux organisateurs, aux intervenants de la formation à l’ENSAG, Merci à Microméga pour sa volonté stimulante, Merci aux amis, à la famille, à tous les soutiens, qui ont su m’accompagner, me soutenir, me conseiller, et surtout me supporter! Merci à Lucile Courbin d’avoir été à mes côtés durant mes indignations, mes joies, mes doutes, et d’attiser la passion de l’engagement.


SOMMAIRE Introduction

P.10

1. Unanime, du choix de la commande à « l’entreprise » d’architecture.

P.24

1.1 Philosophie de l’agence 1.2 Le choix d’une Holding 1.3 Le paradoxe des stylos 1.4 La sous-traitance 1.5 Ma place dans l’agence

2.« l’Architecte-chef d’entreprise »: Construire une filière de compétences au service du projet.

P.42

2.1 Chef d’orchestre ou Jazzman ? 2.2 De l’importance de l’image et de la crédibilité 2.3 Faire valoir sa pratique : Des outils pour échanger, des outils à maîtriser 2.4 Choisir ses partenaires

3. La remise en cause de la déontologie? l’ambiguïté du rôle sociétal de l’architecte.

P.66

3.1 La politique commerciale au service d’une qualité

architecturale et éthique ? 3.2 quel curseur entre l’intérêt public et pérennité d’une pratique ? 3.3 Un dessinateur ? une signature ? vers la fin de la mission complète ? 3.4 De la charrette au 35h: L’Uberisation de la profession au service du bien commun ?

4. Être, exister, agir, innover. pour une pratique transversale de l’architecture

P.96

4.1 L’agence d’architecture et le collectif d’architectes 4.2 Rendre l’architecture accessible: communication et médiation 4.3 L’expérimentation comme outil d’évolution de la profession 4.4 Et si les 7 mercenaires avaient des stylos ?

Conclusion Bibliographie & iconographie

P.110 P.116


INTRODUCTION L’ architecture comme état d’esprit, de l’engagement à la responsabilité

«

Que s’adonner à l’architecture, en ces temps-ci de translation d’une civilisation nouvelle, c’est comme entrer en religion, c’est croire, c’est se consacrer, c’est se donner. Le Corbusier , Entretien avec les étudiants des écoles d’Architecture dans La Charte d’Athènes, Éditions Points Essais, Paris, 1971. p.147

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P

»

ar la leçon de Le Corbusier, je pourrais définir la direction dans laquelle je souhaite me projeter et suivre les chemins à prendre - voire à construire - pour m’y diriger. À travers l’architecture, que je ne saurais encore théoriser, je trouve un accomplissement personnel tant par la polyvalence des domaines qu’elle embrasse, que par un engagement et une responsabilité envers la société qui m’ont toujours au fond de moi, animés. La pratique de l’architecture donne sens à mes actes quotidiens. Ainsi, à l’heure du bilan, de l’introspection et de la définition du projet de vie que représente l’acte de rédaction du mémoire de HMO-NP, il me semble nécessaire de regarder dans le rétroviseur pour pouvoir comprendre et anticiper la trajectoire future. Aussi, pour l’auteur comme pour le lecteur, il est nécessaire de prédisposer son regard sur le fond comme sur la forme de ce présent mémoire en comprenant l’importance de la dualité -quasiment schizophrénique- entre référence et expérience qui structure ma pensée. Tout est une question de regard, entre prisme, filtre et outils d’observation sur ce qui m’entoure: l’architecture est pour moi un état d’esprit. Comme le fil de ma pensée, ce mémoire sera structuré autour d’une expérience principale -celle de la Mise en Situation Professionnelle- et sera ponctuée, articulée, remise en question par des références signifiantes dans mon parcours afin d’établir la définition de quel architecte je suis. Mais alors, quel intérêt pour la HMO-NP? Une évidence. L’essence même de l’architecture comme état d’esprit résonne derrière ce sigle: Habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre en Nom Propre. La certification institutionnalisée et la reconnaissance envers la société que moi, Alexandre Lahaye, architecte, suis


entièrement responsable « ès-qualités » de mes actes. Le Saint-Graal de l’engagement au sens existentialiste, le pinacle de l’implication personnelle, de la définition de soi-même : la responsabilité.« L’homme est responsable de ce qu’il est. […] responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes. » 1. Ainsi, saisir que la lecture de Jean-Paul Sartre m’amène aujourd’hui à réaliser la HMO-NP, c’est déjà comprendre l’ambition que je porte à définir par le choix de mes actes, par l’engagement à les concrétiser, et à prendre la mesure de la responsabilité que j’engage envers ceux qu’ils concernent.

Le choix de la découverte

Après

une première année à l’université Lyon III en Géographie et Aménagement, je me suis orienté vers les études d’architecture non plus pour lire la construction de l’espace, mais pour y prendre part, pour être acteur de son édification. Animé par l’intérêt que je porte aux différentes échelles de l’architecture, j’ai décidé d’établir dès la licence une complémentarité entre mes expériences professionnelles et l’apport théorique de l’école. D’une part, les stages ouvriers et les chantiers de rénovations, les stages de licence et de master ont été volontairement choisis dans des petites structures (1 ou 2 salariés) qui m’ont rapproché de la matière par le chantier et le dessin de détails. Cette découverte d’une pratique « artisanale », m’a permis d’aborder l’architecture non plus comme une discipline d’initiés, mais bien comme le fruit d’une histoire partagée entre commande et élaboration d’une réponse à plusieurs, relayée par l’architecte. Cette approche m’a initié à la confection de petits projets issus de la commande privée dans

2: selon la Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977

11 INTRODUCTION

Plus que de souhaiter l’acquisition de processus pour faire réellement exister un projet de la commande jusqu’à la livraison, je désire « prêter serment » envers la société, et plus largement l’humanité - puisque que « la création architecturale est d’intérêt public »2. Pour finir, je considère cette année de HMO-NP comme une formation qui me conduit à détenir le bagage nécessaire à la compréhension de l’exercice du métier d’architecte, à me fournir les clés de lecture et les outils pour me construire moi-même une pratique. J’amorce le début d’un nouveau cycle de formation dans divers structures, avec des objectifs renouvelés et complémentaires en vue d’être dans quelques années responsable d’une agence qui corresponde à mes engagements sociétaux.

1:SARTRE,Jean-Paul, L’ e x i s t e n t i a l i s m e est un humanisme, Éditions Gallimard, Paris, 1996. p.31


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lesquelles l’architecte omniprésent, est entièrement maître. D’autre part, le choix du master Aedification-Grands Territoires- Villes a été l’opportunité d’appréhender l’architecture dans ses plus vastes échelles et d’établir des liens entre enjeux territoriaux et conception d’espaces. En effet, cette formation a plus été une école de pensée et d’innovation qui m’a permis de me questionner sur le rôle -en pleine mutation- de l’architecte. La mission de l’architecte ne s’arrête pas à l’édifice, elle est ressource, elle est socio-économique, elle est potentiel, elle est cartographie, elle est matière, elle est prospective, elle est accompagnement, elle est communication. Par conséquent, « les années d’école » ainsi que mes inspirations m’ont progressivement mené vers des références de pratique telles que MVRDV, BIG, Lacaton & Vassal, OMA pour les plus connus…. Entre expérience et théorie, mon envie de pratique future se tourne , presque naturellement, vers la réalisation de projets qui interrogent le territoire tout en répondant aux enjeux pragmatiques de la production architecturale et de la ville. Ainsi, je suis conscient qu’à l’obtention du diplôme d’état d’architecte, il me manque encore le lien entre mes expériences et mes références. Étant motivé, créatif et productif, je cherche à comprendre quelles aventures se cachent derrière des projets « comme à l’école » qui impliquent en réalité tant d’acteurs différents? Quelles organisations et quelle gestion du temps se cachent derrière un musée, un immeuble de logements, un ERP…? Quels filtres normatifs, politiques, réglementaires, personnels façonnent le récit des architectures? Ce sont ces pragmatiques réalités du métier d’architecte qui constituent pour moi toute la passion de son exercice, que je cherche à comprendre cette année. Volontairement donc, et après avoir fait l’expérience d’une pratique de l’architecture « artisanale », je souhaite m’ouvrir, dans le cadre d’une HMO-NP, à une pratique toute autre comme celle de l’urbanisme, du paysagisme, de la commande publique et de la production de logements. Je recherche une expérience professionnelle dans une structure importante pour pouvoir suivre un concours, découvrir les processus de la commande publique, appréhender en agence la question urbaine. En somme, je fais le choix de découvrir une autre façon de faire, dont j’entends des rumeurs, des présupposées, des idées reçues et que j’espère bien éprouver. Démarchant de nombreuses agences dans la région lyonnaise correspondant à ces critères d’exercice et essuyant de


nombreux refus - et surtout l’indifférence générale des agences contactées-, j’ai eu la chance d’avoir été reçu par Jacques Delattre, Gilles Marchand, Cédric Morel et Didier Garcin, associés d’Unanime Lyon. Unanime architectes m’est alors apparu comme une structure qui répondait à mes attentes. En effet, leurs équipes étant pluridisciplinaires, la commande venant des marchés publics, des investisseurs privés et des promoteurs immobiliers, leur expérience ainsi que leur engagement dans la maîtrise du projet, sont pour moi la chance de mettre en situation réelle mes objectifs. Dans ce cadre, il a semblé nécessaire que l’expérience dépasse les 6 mois conventionnels de Mise en Situation Professionnelle. Ainsi, nous nous engageons dans une expérience d’apprentissage et de partage pour environ un an.

Rendez-vous en terre inconnue,

Début

septembre, est donné le « top départ » de cette expérience que je partage avec trois autres « HMO » dont Gauthier Martinez, ami avec qui j’ai passé mon diplôme. Nous partageons les mêmes valeurs fondamentales, nous sommes des passionnés, et depuis l’expérience que nous avons menée dans le cadre du diplôme sur un monument historique en Guadeloupe, nous esquissons déjà un avenir architectural commun. Ainsi, nous en verrons ensuite l’importance, nous abordons la MSP avec un regard critique et de la suite dans les idées. Nos objectifs déontologiques et éthiques ne seront que renforcés par cette expérience. Les missions qui nous sont confiées mettent en pratique les apports théoriques de l’école et de l’agence. L’acquisition de la responsabilité commence dès le premier jour. Connaître un PLU, le maîtriser, en faire la synthèse par le dessin, établir le dialogue avec les différents acteurs de la production architecturale, gérer un planning, être convié à participer à la vie de l’agence…sont tant d’expériences qu’Unanime peut m’apporter. Mes objectifs de progression dans le passage de l’idée à « ce qui est faisable » semble être saisissable. Mes objectifs méthodologiques de fonctionnement et de gestion d’agence me paraissent en adéquation avec la structure d’accueil. Curieux de cette pratique et du travail en « entreprise »,

INTRODUCTION

émerveillement & incompréhension

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ALEXANDRE LAHAYE 24 ans Architecte D.E. Titulaire du Permis B Allée des Charmilles 01270 COLIGNY 06 72 98 19 49 alexlahaye14@gmail.com

Formation Architecte Diplômé d’État, ENSA - Grenoble, 2016 Master, Aedifications - Grands Territoires - Villes, 2014 - 2016 Licence à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble (ENSAG), 2014 Géographie & Aménagement 1ère année en licence - Université Lyon III, validée (2010-2011) Baccalauréat S option Sciences et vie de la Terre, 2010 Diplômé AFPS- Attestation de Formation aux Premiers Secours

Savoir-faire Pack Office

SketchUp

Photoshop

Artlantis Studio

Illustrator

AutoCAD

InDesign

Allplan

Anglais

Espagnol

Profil

Sensible aux différentes échelles, du territoire à l’édifice en passant par le design, je recherche une HMO-NP dans laquelle l’urbain, le paysager, l’espace sensible sont au service du plaisir d’usage.

Intérêts escrime, escalade, rugby, vélo guitare blues-jazz bande-dessinée polar science-fiction


Expériences en agence ATELIER MICROMEGA, LYON, COFONDATEUR, SECRÉTAIRE Création d’une association loi 1901 pour un collectif d’architectes - Participation au Concours HORIZONS «Arts Nature» en Sancy 2017 - Mention Spéciale du Jury du au Festival des Architectures Vives Montpellier 2017 avec le projet «La Madeleine».

PHILIPPE HÉLIN ARCHITECTE, GRENOBLE, 2015

Dessinateur en agence, relevé, redessin et modelage 3D d’un édifice à caractère patrimonial. Conception de projet de logements en réhabilitation . Conception et réalisation de documents EXE pour détails de cabinet médical.

MODULO ARCHITECTES, RAPHAEL MIROUZE,LYON 6EME, 2014 Stage de première pratique : constitution de dossier, suivi et compte rendu et suivi de réunions de chantier, dessin (DP, PC)

ARCHI EURO CONSEIL, VINCENT DE PARISOT, LYON 6ÈME, 2009

Stage de découverte de la profession d’architecte, suivi de chantier, relevés, constitution de dossier, apprentissage SketchUp.

Autres expériences ENSAG MONITORATS, GRENOBLE, 2015-2016

Encadrement d’élèves de licence pour ateliers intensifs de projet, de représentation, d’analyse paysagère et participation aux jurys

LAGEM (LA GÉNÉRALE DE MENUISERIE), LENTILLY,RHÔNE,2012 Stage: pose de fenêtres, stylobat, persiennes, restauration de boiseries.

BOHNY PLÂTRERIE, PEINTURE, LYON, 9EME, 2012

Stage: suivi de chantier, apprentissage du métier de peintre du bâtiment, aide à la pose de plaques de plâtre.

CHANTIER DE RÉNOVATION,ST DIDIER AU MONT D’OR,2012-13 Chantier d’une maison, peinture, plâtrerie, maçonnerie


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je découvre, comme souhaité, une terre qui m’est inconnue. Je m’émerveille des projets que je vois défiler sur les écrans de la vingtaine de salariés, je suis stupéfait de pouvoir travailler dès les premiers instants sur un immeuble de 3000m2 de bureau, je jubile quand j’apprends que pour ce projet le maire se soucie de l’urbain en modifiant le PLU, je m’interroge quand on me tend une calculatrice, un calque déjà opacifié au gros feutre noir, une mise en page type et une liste de formules, de dimensionnements. Jusqu’alors j’avais appris de la profession la capacité à sublimer une commande mal formulée, des délais trop courts, un chantier compliqué à grands coups d’improvisation dans « un joyeux bordel » quotidien. À l’inverse, je découvre une pratique bien rodée, organisée, qui découle d’une longue expérience où tout imprévu est anticipé. Je vais pouvoir collecter et appréhender de nombreux outils efficaces pour ma pratique future. Par ailleurs, les premiers pas à l’agence me confronte à la question de l’architecture et de la règle, du PLU étant la première boite de Pandore de l’architecte. J’éprouve par les études de faisabilité pour les promoteurs l’adaptation aux règles, la lecture de celles-ci, et l’importance qu’elles représentent dans la définition d’un projet dans la région lyonnaise. Les dossiers s’enchaînant, je comprend assez vite que maîtriser la règle, c’est faire plus, plus vite, donc séduire l’interlocuteur et donc remporter la commande. Néanmoins, porté depuis le début de mes études par l’ambition de considérer que chaque contrainte représente un potentiel à explorer, le temps passe et je constate que le projet, dans ce type de pratique habituelle, est trop systématiquement la règle. Assez rapidement et malgré les différentes tâches effectuées, je passe de l’émerveillement - naïvement sûrement -à l’incompréhension des outils et du travail que j’exécute. La manière dont les outils de l’agence se sont développés, le sens même de leur existence, la répétition des tâches, l’autorité de la commande promotariale, l’indécente considération de l’architecture et plus spécifiquement de l’architecte, la transformation de ce que je considère comme « éthique » en paillasson, provoquent une perte de stimulation personnelle. Néanmoins, plus forte que cela, la volonté d’innover dans un cadre pas assez souple, le désir de créer, de concevoir, ou à défaut de s’épanouir dans le travail est un moteur pour cette expérience professionnelle. Cette dernière se transforme en terreau fertile pour atteindre et surtout dépasser mes objectifs.


L’éveil d’un regard critique sonne le glas de l’absorption de recettes toutes faites et de l’incompréhension.

Le début d’un engagement architectural

L

17 INTRODUCTION

’installation de la routine architecturale dans un milieu qui tend à prévaloir dans la sphère de la promotion immobilière, m’interroge sur la manière de renverser la situation, de croire encore à mes rêves de jeune diplômé. Par ailleurs, les personnalités, les valeurs prônées, les discours tenus envers la profession ou les futurs usagers rencontrés m’ont profondément indigné. Dans le nid d’une amère morosité, différents oiseaux, du moineau au rapace, couvaient les oeufs d’une révolte silencieuse. Partager ces doutes avec Gauthier Martinez, avec qui j’ai déjà tant crée auparavant, nous a mené à nous impliquer en parallèle de l’agence dans une démarche créative qui répondait à nos attentes. Ainsi, bien que consacré au dépassement de mes objectifs au sein de l’agence et renforcé par les enseignements de la HMO, je suis resté curieux, attentif et engagé à toutes autres occasions de mettre à profit nos compétences et de les exercer en conditions réelles. En effet, nous cherchions dans un autre cadre ce que nous ne trouvions pas dans notre MSP. Responsabilités, travail en équipe, démarche personnelle suivant des valeurs chères à nos yeux, sont tant de raisons qui nous ont poussé à se sentir investis dans nos actes. En créant avec trois autres amis de l’ENSA-Grenoble, le collectif Microméga (passé en association loi 1901), nous saisissions l’opportunité de découvrir et d’expérimenter dans un tout autre cadre la concrétisation d’une architecture de papier. D’une définition d’une « raison d’être », de l’ADN du collectif, nous avons répondu à différents concours et appel d’offre pour « se faire la main ». Or, nous avons été sélectionnés pour réaliser un projet au FAV (Festival des Architectures Vives de Montpellier.). Quelle aubaine ! Quelle fierté ! Quelle responsabilité ! Nous avons voulu tremper les orteils dans le pédiluve, nous avons finalement plongé dans le grand bassin. L’assurance de la faisabilité technique, financière, et l’engagement de sa responsabilité personnelle ont été parfois plus formateurs que la MSP et nous ont permis d’établir des contacts dans la recherche de partenaires, de subventions, à l’Ordre des Architectes, dans les institutions.


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Plan et axonomĂŠtrie pour concevoir, communiquer et ĂŠchanger avec les fournisseurs de briques de construction- Atelier Micormega

SĂŠance de travail dans notre atelier de fortune - Atelier Micormega


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Laisser vivre le projet- Atelier Micormega

Bâtir ses projets - Paul KOZLOWSKI©photoarchitecture/

De la conception à la réalisation, un engagement commun- Paul KOZLOWSKI ©photoarchitecture/

ATELIER MICROMÉGA LA MADELEINE - FAV 2017 MENTION SPÉCIALE DU JURY


C

ette expérience, encore à l’aube de son existence, est un point clé de la définition de l’architecte que j’aspire à devenir. Elle représente une prise de recul par rapport à ce que j’ai vécu, d’assurer une stimulation intellectuelle, et de créer des chemins vers de nouveaux horizons. Aussi complémentaire que l’expérience en agence, Microméga est une mise en pratique du contenu de ce mémoire: le début d’un engagement architectural .

Le vilain petit canard reconsidérer une commande souvent mal-vue 20

P

ortant des valeurs, définissant des objectifs à atteindre, assumant dans mes choix d’expériences et enfin entreprenant d’autres aventures, je ne pouvais me résigner à l’incompréhension du travail effectué en agence. En effet, troublé par l’immersion dans le monde de la promotion immobilière dont j’avais entendu tant de préjugés, j’ai pris conscience qu’il résidait dans cette commande un potentiel colossal pour l’architecte de demain. Le promoteur immobilier ancré dans une logique qui lui est propre, celle de la rentabilité, est en France un des plus importants acteurs de la construction de la ville et de nos modes d’habiter. Néanmoins, comment l’architecte fait le pont entre quantité et qualité des espaces et des paysages? Quelle est la place de l’architecte, entre exécutant et concepteur garant de la construction du monde de demain? Cette dernière question reste ouverte au vue des pratiques qui forcent les architectes à brader leurs honoraires. De facto, comment s’organiser pour ne pas vendre son âme au diable « parce qu’il faut bien travailler », et affirmer notre raison d’être en tant qu’architecte ? Bien que le mode de fonctionnement de l’agence ne corresponde pas totalement à mes attentes, l’expérience en son sein a été l’opportunité de saisir la condition de l’architecte, les tenants et les aboutissants de la commande et surtout l’importance du rôle du promoteur. Ce n’est pas la commande promotariale qui, finalement, me pose problème, mais la manière dont est produite la réponse architecturale. Ainsi, ce sont dans les références que j’ai trouvé les outils pour identifier ce qui, au fond de moi, me dérangeait. Coup du destin, peut-être, j’ai été percuté par un ouvrage 4 présentant en

4: « MVRDV, Dream Works » , (2016), Arquitectura Viva, n°189-190


ATELIER MICROMEGA collectif d’Architectures Association loi 1901 15 rue Passet 69007 LYON (FR) ateliermicromega@gmail.com

Alexandre Lahaye Charlie Granjon Gauthier Martinez Justine Guyard Thomas Pourteyroux

MANIFESTE

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Microméga est né d’une envie commune de créer. Nous sommes cinq jeunes architectes et amis qui abordons l’architecture comme un champ multidisciplinaire. Rassembler les compétences de chacun permet d’acquérir des visions multiples aux projets. Microméga est un regard créatif porté sur de multiples échelles d’interventions, qui questionne aussi bien le détail constructif que le grand territoire. De l’analyse de ces échelles, notre démarche vise à révéler les potentiels parfois caché du site et d’en faire une force de projet. L’architecture comme catalyseur de la rencontre entre paysage et objet, espace et usager. Par ailleurs, pour Voltaire, « l’imagination va au-delà de nos besoins ». Forts de cet esprit curieux, créatif et engagé, nos regards croisés permettent à Microméga de questionner nos référentiels toujours plus profondément et avec un oeil neuf. Chaque projet est une histoire qui invite à la réflexion. Ainsi, dans un monde toujours plus complexe, notre travail se base sur le détournement, l’évocation, l’immersion afin de donner du plaisir à l’usager par le corps et l’esprit.

Avec l’imagination comme engagement et l’architecture pour action, partageons !

Atelier Microméga


détail le travail de MVRDV, agence néerlandaise dans laquelle je retrouve mes inspirations. Comme un élément déclencheur, j’ai réalisé par l’analyse de leurs projets qu’il était possible de ne pas être ligoté par une commande semblable. De la recette à la méthode, de l’habitude à la stimulation, du confort au risque, je transposais mon vécu à la définition de valeurs et d’ambitions chères à mes yeux qui visiblement, sont constructibles. Mais comment reconsidérer une commande souvent « mal-vue » ? En d’autres termes, comment être force de proposition pour créer une alternative ou sinon équilibrer les rapports de forces? Estce une question de curseur entre rentabilité, efficacité et qualité ? Y va-t-il aussi de la survie financière de l’agence ? Architecte homme d’affaire ou architecte créateur? Mais alors, quelle place pour le développement d’une pratique en mouvement?

22 De la résignation commerciale à l’innovation entrepreneuriale, en quoi le choix d’un système d’entreprise permet-t-il de garantir la pérennité d’une éthique architecturale ? Du risque à l’innovation, l’évolution de la pratique de l’architecte.

Afin

d’explorer ces champs d’action architecturales, nous qualifierons les enjeux définis, les choix opérés par l’agence d’accueil. Comment s’est monté la réponse et la constitution d’Unanime face à la problématique de la commande. Comme un cas d’étude, il nous permettra ensuite d’extraire et de questionner les outils mis en place par « l’Architecte chef d’entreprise » afin de lier ses engagements à la réponse architecturale. Néanmoins, nous nous placerons dans le référentiel de l’agence d’accueil avec des regards complémentaires extérieurs et plus théoriques. Ce protocole nous mènera à interroger alors la pérennité d’une qualité architecturale dans un modèle construit d’entreprise et, avant toute chose, de mettre en lumière l’ambiguïté du rôle sociétal de l’architecte. L’entreprise peut-elle réellement garantir une qualité architecturale et être au service du bien commun ? Par l’étude de cas pratiques issus de la MSP, nous dégagerons des thématiques nouvelles dans le rapport entre déontologie et survie d’une pratique qui se transforme. Enfin, enrichis de la compréhension d’un agence, des outils forgés par l’analyse ainsi


que de la définition des défis de demain, nous esquisserons une perspective, un cap à suivre par l’identification des valeurs qui me constitue en tant qu’architecte. Quoi ? pourquoi ? Comment ? et après ? sont des questionnements qui décèlerons quel architecte suis-je vraiment et quels leviers d’action, fort de cette étude, me donnerons les moyens de concrétiser mes ambitions.

23 INTRODUCTION


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O1 Unanime, du choix de la commande à « l’entreprise » d’architecture. Autopsie d’une HMO, Alexandre Lahaye


1.1 Philosophie de l’agence D’origine lyonnaise, Unanime Architectes, est aujourd’hui

bien plus q’une agence d’architecture : nous parlons désormais du « groupe Unanime ». Regroupant des agences à Lyon, Aixles-Bains, Paris et au Bahreïn, le groupe est l’histoire d’une perpétuelle maîtrise du domaine de la construction au service de l’entreprenariat.

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Tout commence en 1994, Gilles Marchand et Jacques Delattre, deux amis et confrères architectes DPLG, décident après neuf ans d’expérience dans une importante agence lyonnaise (Gimbert et Vergely) de franchir le pas en créant leur agence. Ainsi, est née la SARL Delattre & Marchand Architectes. Dès cette période, ils développent une pratique de l’architecture de « mise en relation », d’ensembliers. Conscients de leurs points faibles, ils font appel à la sous-traitance de professionnels compétents dans des domaines particuliers (dessins techniques et chantiers par exemple). Après avoir rapidement percé dans la construction industrielle française et forts des premières années de gestion d’agence, ils décident de développer la structure en y associant de jeunes architectes. En 2000, de la rencontre avec Cédric Morel et Didier Garcin naît l’aventure Unanime. À l’aube du lancement de cette nouvelle agence est définie la philosophie de l’agence, à savoir: le pourquoi et le comment, la fin et les moyens. Dans une logique d’entreprise, l’objectif premier est de pouvoir en assurer sa pérennité dans le domaine de la construction. La raison d’être, l’existence, d’Unanime réside dans sa capacité à développer une entreprise répondant à une prestation de service par le biais de l’architecture. Jacques Delattre confiera dans une interview qu’il est « peut être plus entrepreneur qu’architecte. »1. Dans cette vision, l’essence de l’entreprise se fonde sur la rentabilisation et l’optimisation du processus de projet afin de fidéliser la clientèle. Dans cette logique, Unanime se positionne sur un segment à forte concurrence où il faut se démarquer par le rapport qualité/prix de la prestation, c’est à dire proposer une réponse avec un maximum de qualité pour une facture minimale. Ainsi, par la force de la réalité de l’accession à la commande, Unanime

1: ArchitectsIMet , «LYON I FR I Jacques Delattre » , < https:// architectsimet.com/ 2013/09/16/218/>, 16 septembre 2013, consulté le 30 avril 2017.


2: (le promoteur ndlr.) propos recueilli lors d’un entretien avec Gilles Marchand, Jacques Delattre, Cédric Morel et Didier Garcin, le 22 décembre 2016;

27 1. Unanime, du choix de la commande à «l’entreprise» d’architecture

oriente son activité première vers la commande promotariale. En effet, dans un premier temps, les manques de références et de réseaux ne permettent pas d’accéder à la commande publique; d’où, la nécessité d’ obtenir des marchés privés. Cependant, le besoin d’optimisation et le désir de pratique conduisent à choisir une maîtrise d’ouvrage professionnelle. De plus, la maîtrise d’ouvrage particulière, une fois sa commande réalisée, ne « peut être qu’un ambassadeur » de l’agence. Ici, la volonté est d’atteindre une commande qui implique une récurrence. Les promoteurs sont les clients idoines. Selon les associés « si il 2 a ce qu’il attend, il revient.». La stratégie d’entreprise devient claire : structurer l’agence afin qu’elle soit la plus optimale pour la commande promotariale et, dans une vision plus lointaine, accéder à une commande spécifique plus ponctuelle. Néanmoins, pour arriver à répondre aux enjeux de l’agence, le choix revendiqué par les associés est « plus celui d’une pratique d’entreprise que d’artisanat ». En d’autres termes, une ligne de conduite a été élaborée dès l’amorce d’Unanime, elle constitue l’ADN de l’entreprise. Les moyens mis en place au fur et à mesure ne font que répondre à l’évolution de la structure et du contexte. Dans ce sens, le choix d’une optimisation du processus de projet sous-tend une organisation industrielle de fonctionnement. D’une part en interne, un « taylorisme » assure le déroulé de la chaine de production des projets par phase. Des salariés spécialisés et compétents forment une équipe dont les associés, chefs de projet, gèrent le planning et les actions. D’autre part, certains « marchés » nécessitant une attention moindre où des compétences que ne possède pas l’équipe interne, un réseau externe de sous-traitants qualifiés est sollicité pour livrer un « produit » conforme aux attentes du client. Le système repose aussi sur une stratégie commerciale définissant deux axes: le premier met en avant un savoir-faire stable et établi, qui a déjà fait ses preuves et qui répond parfaitement à la commande. Peu d’innovation et de prise de risque donc, mais pour le client l’assurance d’un projet prévisible et collant au cahier des charges. L’agence propose la maîtrise d’une recette façonnée par l’expérience plus qu’une méthode. Le deuxième axe est celui de la relation privilégiée avec la maîtrise d’ouvrage : «le contrat de confiance ». L’établissement d’un accord moral et convenu entre personnes de bonne foi représente la possibilité d’échanger des intérêts communs.


Notamment avec les promoteurs, la relation de confiance revêt le masque du geste commercial. Par exemple, la faisabilité est souvent offerte, mais l’architecte ne travaillera qu’exclusivement avec le promoteur sur une parcelle donnée, et de son côté, le promoteur ne sollicitera qu’Unanime de l’étude au permis de construire.

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Par ailleurs, l’efficacité de l’agence réside dans la fondation de cercles professionnels qui mettent en relations des compétences ainsi que des intérêts au service de la commande. Dès les premiers temps de l’agence, la création d’une société de construction indépendante a permis aux architectes d’assurer la continuité des projets dans une phase qu’ils ne maîtrisaient pas. Mais c’est aussi l’opportunité de propager dans le milieu du bâtiment le nom d’Unanime. En somme, d’avoir une visibilité par le biais de professionnels confirmés. Néanmoins, ce sont aussi des cercles plus informels qui permettent de se placer au centre des réseaux. Tandis que l’homme politique vous dirait « qu’une poignée de main est égale à un vote », l’architecte pourrait, sans demi-mesure, affirmer « qu’un bon contact est un projet en plus ». L’agence utilise les moyens du business ,repas d’affaires et réseaux lui permettant de se positionner pour la future commande. De fil en aiguille, s’est amorcée une stratégie de la quantité. Grâce à un fond de roulement qui se constitue par du « tout-venant » - des affaires classiques de logements ou des missions isolées qui demandent économie de temps et de moyens - l’agence peut se concentrer sur des affaires plus «emblématiques» en mission complète (concours, consultation).

En définitive, la stratégie et les outils déployés portent

leurs fruits puisqu’aujourd’hui, Unanime représente en 22 ans (depuis le 1/11/1994) 420 PC déposés, 11 449 logements dont 1932 logements étudiants, mais aussi environ 100 000 m2 de bureaux et équipements ainsi que 250 000 m2 de bâtiments industriels.


Unanime architectes

L’agence de Lyon Les moyens en personnel - 4 architectes associés - 12 architectes formés au BIM - 2 dessinateurs projeteurs formés au BIM - 1 responsable administratif - 4 stagiaires - étudiants diplômables en architecture

Les moyens techniques Matériel : - 20 téléphones reliés à un standard Numéris F. TELECOM - 25 postes PC + 1 portable + 2 serveurs - 1 imprimante multifonction A4 Brother MFC8460N - 1 photocopieur fax laser A3-A4 RICOH AFICIO 2018 - liaison internet ADSL en réseau sur les 28 postes - 1 imprimante couleur EPSON Stylus Photo 1200 - 1 imprimante laser couleur HP 6015 ( impressions A3-A4) - 1 traceur couleur HP 1055 CM Plus - 1 appareil photo numérique NIKON coolpix 9500

29 1. Unanime, du choix de la commande à «l’entreprise» d’architecture

Logiciels : - 10 station Autodesk Building Suite/Revit (BIM) - 10 stations CAO Autodesk Architectural Desktop - 10 stations CAO AUTOCAD LT - 6 licences Sketchup en réseau - 15 Adobe Photoshop CS2 - 1 Adobe Illustrator 9.02 - 2 Adobe Creative Suite 2 - 16 packs Microsoft Office 2000 PME - 8 packs Microsoft Office 2003 PME - 2 packs Microsoft Office 2007 PME - 1 Corel Draw - 5 Acrobat professional - Protection antivirus Symantec Corporate

Les moyens financiers Chiffre d’affaires : - 2013/2014 : 2 426 688 € HT - 2014/2015 : 2 119 886 € HT - 2015/2016 : 2 157 886 € HT

3, Rue Jangot 69007 Lyon, France Tel : 04 78 28 51 30 Fax : 04 72 10 00 39 e-mail : unanime@unanime.fr site : http://www.unanime.fr

SARL D’ARCHITECTURE au capital de 15.000 € N°Ordre : 352 RCS Lyon 398 649 566


1.2 Le choix d’une Holding Étendre son terrain de jeu

L’agence de Lyon rassemblant déjà une importante équipe et

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étant bien implantée sur le territoire lyonnais, la volonté d’établir de nouveaux liens avec de jeunes architectes a permis d’intégrer la contrainte de la taille d’agence en potentiel d’expansion. En effet, au lieu d’associer de nouveaux architectes sur Lyon, Unanime fait le choix d’explorer de nouveaux « terrains de jeux » comme Aixles-Bains dans un premier temps puis Paris et le Golfe Persique. Dans la stratégie d’implantation, la première étape est de créer une agence indépendante et de l’aider à démarrer son activité par une « sous-traitance » relative du travail capté par l’agence mère. Ce premier travail permet à ces entités externes de s’établir sereinement et de pouvoir prospecter sur place. Un réseau local se crée au fur et à mesure et le risque de la prospection est absorbé par le travail fourni par l’agence de Lyon qui bénéficie désormais d’une plus grande capacité de production. Une association dynamique qui nourrit la croissance des deux parties. Dans le temps, l’agence expatriée se détache de plus en plus de la commande lyonnaise et développe sur place l’essentiel de son exercice et devient de fil en aiguille indépendante. Cependant comment cette indépendance peut-elle générer une dynamique commune ? La réponse est fondée sur la mutualisation, le moyen entrepreneurial est celui de la Holding.

Paris

Bahreïn

Lyon

Alpes


31 1. Unanime, du choix de la commande à «l’entreprise» d’architecture

Une holding est une société financière qui a pour but de fédérer plusieurs autres sociétés en assurant la direction bien qu’elles demeurent indépendantes et aux activités différentes. En d’autres termes une holding est une société mère permettant de contrôler des sociétés filles « actives » sans en être dirigeante. Elle n’a souvent que l’unique vocation d’être une entité qui détient des actions dans des sociétés et n’a pas vocation à avoir une activité propre. Par conséquent, ce système présente de nombreux avantages fiscaux (remontée directe et exonération des impôts des dividendes des sociétés filles par exemple) mais aussi des avantages en termes de mutualisation juridiques, financières et marketing. Toutes les sociétés filles bénéficient l’une de l’autre par ce cadre commun qui les chapeaute. Ainsi, ce dernier aspect est l’intérêt principal qui a défini le choix d’Unanime. La création de la holding du « groupe Unanime » réunit les quatre agences en détenant 25% des actions des agences françaises et 80% de celles de l’agence de Bahreïn (du fait des règles fiscales en vigueur). Ces sociétés filles ont une activité d’agence d’architecture. Étudions le cas de l’agence de Lyon. La société Unanime Lyon est une SARL (société à responsabilité limitée) dont le gérant est un associé, Cédric Morel. Ce type de structure permet au gérant de ne pas engager sa responsabilité propre et de protéger son patrimoine personnel. Par ailleurs, le choix du modèle d’entreprise impliquant l’embauche de nombreux salariés - en tout cas assez pour devoir nommer un délégué du personnel - la SARL permet d’organiser, de sécuriser l’emploi, et de garantir aux salariés des droits sociaux. Dans ce soucis d’équité et de recherche des avantages du statut de salariés, il n’il y a pas d’actionnaire majoritaire. En effet, en se partageant 75% du capital de la société (25% étant détenu par la holding) à plusieurs associés, même le gérant est minoritaire - ou au plus égalitaire- et de fait est salarié de la société. Au sein d’Unanime tous, à l’exception des « HMO » (car conventionnés par la junior d’entreprise Cutch), ont les mêmes droits, la même couverture santé, les mêmes sécurisations de l’emploi (congés payés, congés maternité, prime de licenciement…). Ainsi, chaque agence est indépendante et sont des sociétés bien distinctes. Néanmoins la volonté de se regrouper sous une même identité permet d’une part la mutualisation de moyens administratifs (la comptabilité par exemple) et de


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communication (réceptions annuelles, page web, adresses mail). D’autre part, et non des moindres, la holding permet la mutualisation des références, des chiffres d’affaires, des équipes et des moyens de production. Alors, les agences d’architecture bénéficient de l’image globale de la holding. Par conséquent, se présenter au classement 2015 des 300 premières agences françaises comme « groupe Unanime Architectes » permet d’atteindre la 69ème position avec un chiffre d’affaire de 4.688.000€ contre 2.426.000€ en 2014 sous le seul nom d’Unanime Lyon. De plus, se présenter comme holding, c’est présenter une quarantaine de salariés, c’est associer une crédibilité par l’image. Or, pour la clientèle, la solidité et la « renommée » est gage d’expérience et de compétence. Plus pratique que cela, la mutualisation de l’image et des références ouvre plus facilement la porte de la commande publique. En effet, la nécessité de la référence étant de plus en plus un critère de pré-sélection au concours et autres appels d’offres, la holding est un outil intéressant pour fédérer les travaux des différentes agences sous un même nom. Cela permet alors de prétendre à de nouvelles commandes réservées aux grandes agences ou à celles à l’expérience déjà bien établie.

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ssentiellement pour des questions de mutualisation de moyens et de création d’une image solide en vue d’accéder à des nouveaux marchés par la crédibilité, la holding peut encore évoluer en intégrant de nouvelles compétences (économiste, BET ou spécialiste) pour assurer la gestion totale d’un projet. La holding est un moyen plutôt qu’une fin.


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1. Unanime, du choix de la commande à «l’entreprise» d’architecture

Unanime architectes


1.3 Le paradoxe des stylos Spécialisation des tâches une hiérarchie établie à la recherche de l’efficacité

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ans le but d’atteindre ses objectifs, nous l’avons vu, le choix des associés s’est porté sur un « savoir déléguer » plutôt qu’un « savoir réaliser ». Dans une honnêteté intellectuelle et dans l’intérêt du projet -ou plutôt de l’efficacité- l’organisation d‘Unanime Lyon repose sur une filière interne de salariés compétents. Les associés, chefs de projet, délèguent, et sont garants de la qualité du projet livré. Dans cette logique, est instaurée chez Unanime une philosophie de fonctionnement que nous définirons comme le « paradoxe du stylo »1: d’une part, le feutre, par l’épaisseur de son trait, affranchit le dessinateur du détail. La seule constitution de ce qui compose son épaisseur est l’idée, le concept. Il permet d’énoncer un principe. De son flot d’encre, il crève le calque avec spontanéité et rend la main qui le guide première responsable du projet. Loin de la matière, il suggère, il donne le ton à suivre pour le processus de projet. D’autre part, le stylo à fine mine, lui, prend la mesure des différents traits qui compose l’épaisseur. Il tricote une maille d’encre, il permet le détail. Le rapport aux dimensions, à la mise en oeuvre, à la faisabilité du concept, il les éprouve par le temps du travail. Plus lent, moins instinctif; plus technique, moins vendeur; plus dépendant, moins directeur; la complémentarité entre ces plumes est le véritable enjeu de l’architecte. Un jeu de séduction entre les échelles amenant à plusieurs allers-retours et non comme un processus linéaire. Ainsi, l’épaisse plume du chef de projet émet la grande idée, les petites mains l’exécutent. Dans un exercice cadencé, le calque griffonné navigue entre les fins stylos des architectes salariés et des dessinateurs/projeteurs, remettant en péril à chaque étape la faisabilité du croquis en « faisant passer le projet » au chausse-pied. Le cas échéant, un feutre averti ôte sa muselière et s’attaque férocement aux aléas de parcours. Les minutieuses plumes reprennent leurs missions jusqu’à livrer leurs ouvrages à une épaisse signature et un tampon de l’agence. Voici, le postulat qui régit le rapport entre associés et salariés

1: d’après le travail de WHYARCHITECTURES, Les trois stylos de l’architecte, [vidéo en ligne] in architectes. org , Ordre des architectes, 22 décembre 2015, [consulté le 01 mai 2017]. durée 00:02:26, Disponible à http:// www.architectes. org/atom/6422


de l’agence. Libérée de l’engagement d’une responsabilité et soumise à une directive claire, l’équipe interne est avant tout productive. Or, comment garder le contrôle de la conception et de sa mise en forme tout en étant extérieur à l’équipe de production? Alors, les enjeux sont l’organisation et la gestion de la force productive. Néanmoins, le crédo de l’agence étant la rentabilité par l’optimisation du projet afin de répondre strictement aux exigences du client, il amène au choix d’un modèle efficace et structuré, quasi scientifique.

U

35 1. Unanime, du choix de la commande à «l’entreprise» d’architecture

nanime a alors fait le choix de s’emparer -plus ou moins librement- du taylorisme. Avec comme but d’obtenir les conditions pour un rendement maximum, cette organisation scientifique du travail du début du XXème siècle repose sur trois leviers d’action : l’analyse détaillée des phases de production (modes, techniques, temporalité), la définition de « the one best way »2 (« la meilleure façon »), et la fixation de conditions de rémunérations adaptées et motivantes. Aussi, l’application des ces outils s’appliquent dans deux dimensions. Le « paradoxe du stylo » et la hiérarchie verticale qu’elle induit, distingue bien une séparation entre « les cols blancs », les associés, qui conçoivent, et les « cols bleus », les salariés qui exécutent. Par ailleurs, à l’horizontal, la décomposition du processus de production par spécialisation des employés selon les phases (APS, PC, DCE, chantier…) voir selon les taches (dossier de présentation, plans de ventes…) reflète l’élaboration d’une recette optimale de fabrication. De plus, les salariés sont même spécialisés en fonction du client. Une expérience qui permet d’établir un lien privilégié entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’oeuvre, et surtout d’anticiper, de répondre en avance aux désirs de la commande. Cependant, loin du taylorisme radical des Temps Modernes de Chaplin, le mode de d’organisation d’Unanime est plus empirique, plus basé sur l’habitude. Les temps de travail ne sont pas spécialement comptés, les techniques de dessins demeurent assez personnelles, la rigueur d’archivage informatique est parfois mise à mal, les logiques de dessins pas toujours compatibles entre tous. Une dualité à double tranchant: une flexibilité pour les employés d’un côté, de l’autre un manque de repères temporels et de complexité des décisionnaires ne permet pas d’éviter les accrocs.

2:Bertrand Blancheton, Maxi fiches de Sciences économiques, 2e éd. (Livre numérique Google), Dunod, 2012, 296 p., fiche 35 Le Taylorisme, p. 100-101


P

our finir, une spécialisation des tâches, une hiérarchie indiscutablement établie dans une recherche d’efficacité permettent de contrôler à chaque étape, par une simple irruption d’un stylo épais, et d’aboutir au résultat escompté. Dans la chaîne productive, le turnover et les temps de latences induits par le projet ( délais de purge de recours et d’instruction des permis de construire par exemple.) admettent des transversalités au sein de l’agence et des « coups de main » entre salariés. Néanmoins, l’hyperspécialisation des petits stylos internes ne permet pas une diversification de l’activité et de la commande. Dans un premier temps, des alternatives internes sont envisagées par l’acquisition de nouvelles plumes encore indomptées, les étudiants HMO-NP. Enfin, la recherche de compétences se fait en réseaux externes pour rassembler des équipes temporaires de production.

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Elena MASS Architecte chef de projet

Gauthier MARTINEZ Stagiaire HMO Diplômée en architecture

Jessica BOUHIER Architecte chef de projet

3, Rue Jangot 69007 Lyon Tel : +33 (0)4 78 28 51 30 Fax : +33 (0)4 72 10 00 39 E-mail : lyon@unanime.fr

Contact Alexandre LAHAYE Stagiaire HMO Diplômée en architecture

Lou DOUBLIER Stagiaire HMO Diplômé en architecture

Karl GELINAS Direction de travaux Cadre

Mikaël DALMAIS Responsable administratif

Alice CANIVET Architecte chef de projet

Muriel LEONARDI Architecte chef de projet

Alexis GIROUD Stagiaire HMO Diplômée en architecture

Teodora PRAMATAROVA Architecte chef de projet

Sylvie DESPINASSE Dessinatrice projeteuse Cadre

Eric DEREYMEZ Architecte chef de projet Cadre

Jean-Pierre CHAMPIER Architecte chef de projet Cadre

Odile BOUFFET Architecte chef de projet Cadre

Sören RÜDIGER Architecte chef de projet

Cédric MOREL Architecte Associé

Didier GARCIN Architecte Associé

Jacques DELATTRE Architecte Associé

Gilles MARCHAND Architecte Associé Gérant

ORGANIGRAMME DE LA SOCIETE

Isabelle SANCHEZ Architecte chef de projet

Unanime architectes

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1.4 La sous-traitance Établir un réseau de production externe & ponctuel

Nous l’avons vu, la stratégie de l’agence repose sur une

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force productive externe. En effet, l’équipe interne est spécialisée et est occupée par les affaires courantes de l’agence. Or, explorer de nouveaux marchés et prospecter est incertain et nécessite du temps. Développer un réseau de production externe à l’agence pallie à ces deux contraintes. D’une part, le besoin ponctuel de compétences spécifiques que l’agence ne possède pas amène à dénicher et missionner des professionnels adéquats. Par exemple, afin de réaliser les perspectives de concours, l’appel à un infographiste externe est une nécessité. Ni les moyens matériels (logiciels), ni les moyens humains (compétence et effectif) ne permettent d’atteindre le niveau de prestation fourni par le professionnel de l’image. De plus, étant un besoin ponctuel de l’agence, l’investissement dans cette compétence en interne serait moins rentable que de payer au moment opportun une mission externe. Il s’agit ici de chercher une compétence ciblée et spécifique. D’autre part, l’activité de l’agence étant fluctuante en fonction du nombre d’affaires en cours et des phases de projet, l’équipe interne ne peut assurer seule la réalisation des toutes les tâches. Soulignons ici un choix de management extrêmement important. En effet, le postulat d’Unanime est d’assurer aux employés une certaine stabilité dans les conditions de travail. Un nombre d’heures par employé est défini et exclut volontairement le système de « charrette ». Alors, l’équipe interne est prévue pour une certaine capacité de travail, relativement peu flexible qui garantie des conditions de travail réglementaires. Par conséquent, en cas de dépassement de cette capacité de production interne, le choix se porte sur un système de renfort externe plutôt que sur la surcharge de l’équipe interne. En fonction du niveau de prestation demandé - et surtout payé - par le client, une partie du DCE ou des plans de ventes sont traités hors de l’agence. Aussi, en phase de concours ou d’esquisse des missions de dessins peuvent être contractées en suivant le « paradoxe des stylos » afin d’acquérir de nouvelles petites plumes au service des épais feutres. Il s’agit dans ce cas de constituer du renfort ponctuel de production pure.


Néanmoins, il existe un dernier cas minoritaire de collaboration: la co-traitance . La sous-traitance de la conception étant interdite selon les termes de l’article 37 du code de déontologie des architectes, le régime de co-traitance permet d’établir une équipe de compétence avec d’autres architectes pour ensemble, profiter de l’expérience de chacun et donc des références, et d’absorber par le partage solidaire le risque de la prospection. Dans ce cas, seules les missions techniques de dessin peuvent se retrouver par le biais d’Unanime dans un cadre « normal » de sous-traitance.

F

inalement, la constitution d’équipes externes permet de garantir aux employés de l’agence des horaires de travail confortables en délocalisant une partie des tâches techniques en dehors de l’agence. La sous-traitance est le modèle économique de l’agence permettant d’obtenir des moyens de production sans en assumer les contraintes matérielles et humaines. Cependant elle implique une prise de responsabilité de la part de l’agence mandataire et donc d’un regard attentif au travail effectué hors des murs. Cela représente l’échange de responsabilité contre du temps. Demeurent néanmoins des enjeux de responsabilité, de visibilité, de rapport de servitude au sein de la profession, de changement du rôle sociétal de l’architecte que nous développerons par la suite.

39 1. Unanime, du choix de la commande à «l’entreprise» d’architecture

Ainsi, pour répondre à la ponctualité de la mission externe, le régime de sous-traitance est celui adopté par l’agence. Très avantageux, il permet de rassembler des compétences précises en fonction des situations. L’adaptabilité et la flexibilité permettent de répondre à une plus large commande sans prendre de risques d’investissements humains ou matériels. Pas de création d’emploi, pas de licenciement, et surtout, le coût induit par une équipe externe (pas autant de charges sociales qu’un salarié) crée une main d’œuvre à moindre coût. Dans une logique de transversalité, Unanime est un relais du travail en le diffusant à l’extérieur à de plus petites agences ou aux « free-lances », leur permettant ainsi d’accéder à un travail qu’ils n’auraient pu obtenir seuls. Aussi, il s’appuie sur leurs compétences en les intégrant pleinement dans la logique de fonctionnement en permettant les risques de la prospection et de la diversification de la commande. Un système à première vue intéressant pour les deux parties, mais dont les limites, nous le verrons ensuite, interrogent véritablement la pratique de l’architecture.


1.5 Ma place dans l’agence Entre l’équipe interne d’Unanime et les renforts externes,

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entre les employés et les associés chef de projet, entre les différentes « tailles de stylos », des liens sont à créer, des délais sont à absorber, des imprévus sont à gérer. Un poste polyvalent est nécessaire pour assurer ce rôle tampon. Ainsi, chaque année, Unanime recrute quatre à cinq jeunes architectes diplômés d’état dans le cas d’une Mise en Situation Professionnelle d’environ un an. La jeunesse de leur expérience est un atout. Elle permet de les former aux pratiques de l’agence et de déceler en chacun, ce en quoi ils serviront efficacement l’agence. La condition de « HMO », est d’assurer une main d’œuvre à qualifier, une force de production en phase ESQ, APD, et d’assurer des relais dans des phases plus lointaines comme le DCE, DOE. Employer des ADE en formation est une sorte d’internalisation du principe de sous-traitance externe : constituer des équipes de renforts à moindre coûts (car conventionné par la junior d’entreprise Cutch) avec une main d’œuvre malléable, réceptive et motivée par la formation qu’elle suit. En somme, ce rôle singulier dans l’agence permet de naviguer entre toutes les phases et d’intervenir principalement aux prémices du projet en lien direct avec les associés. En cela, les HMO sont formés directement aux études de faisabilité qui représentent l’activité de base. Lecture du PLU, constitutions de dossiers, esquisse de projet, tableau de surface, calage de parking et d’espaces verts « en pleine terre » à résoudre, reprise constante des dossiers pour les promoteurs, sont les tâches auxquelles ces jeunes architectes doivent répondre. Puis, polyvalents, ils sont placés stratégiquement au gré des projets et des imprévus sur des affaires déjà en cours. Une rémunération très convenable, et des horaires qui permettent de travailler la théorie de la formation, permettent à l’agence d’intégrer chaque année dans son système économique et fonctionnel les étudiants HMO-NP.

M

on parcours dans l’agence Unanime Lyon a été nourri de la polyvalence des tâches que j’ai pu réaliser. Cependant, j’ai conscience de ce que je représentais au sein de l’agence et de la confiance qui m’a été accordée sur des responsabilités parfois surprenantes. S’investir malgré le rôle ambigu et parfois en deçà du niveau qu’implique un diplôme d’état, m’a aussi permis au fur et à mesure de trouver ma place dans l’agence et de prendre du recul sur cette expérience.


Septembre

Octobre

Novembre

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Décembre

Janvier

Février

ESQ-APS

DCE-PRO

concours

chantier-DOE

APD

EDL-DIAG

maquette Plans de vente Autres PC-PC MOD

Mars

Avril

Mai

Juin

Juillet

188 jours / 50 affaires / 18h de cours en interne


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O2 « l’Architecte-chef d’entreprise »:

Construire une filière de compétences au service du projet.

The Magnificent Seven, Les 7 Mercenaires, John Sturges, USA, 1960, Drame/Thriller, 128 min Dispinible à http://posterposse.com/wp-content/uploads/2016/09/ Mcqueen-bronson-cast-magnificent-seven-1960.jpg


2.1 Chef d’orchestre ou Jazzman ? Les ressources humaines comme outils de projet

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ans la cadre d’une agence qui repose sur une organisation précise du travail des équipes de production, la question de la ressource humaine est inévitable. Considérer ses employés revient par conséquent à entretenir l’efficacité de ses outils. Ainsi, pour gérer le pérennité de l’équipe, trois indicateurs permettent d’évaluer l’investissement des salariés. À niveau élevé, ces curseurs permettent la gestion de creux financiers si l’intérêt du travail et l’ambiance générale est propice par exemple. Ils s’entretiennent par l’écoute des revendications et des retours sur expérience des salariés lors de moment de partage et de convivialité. Chez Unanime, j’ai découvert une gestion assez paternaliste puisque les emplois du temps sont définis en fonction des impératifs personnels et familiaux, les rémunérations et les primes permettent aux employés un niveau de vie confortable au employés et enfin des expériences communes sont prises en charge par la structure ( voyages d’agence, restaurant, collations….). Cependant, au delà de la vie de l’équipe demeure une organisation du travail et des employés qui induit une architecture. Par la position de « patron », l’architecte choisit une posture architecturale : Est-t-il le concepteur prépondérant qui fait exécuter ou est-t-il le garant des intentions architecturales dans un processus de conception? D’un coté existe le chef d’orchestre. Il dirige indiscutablement et méthodiquement les musiciens pour un résultat attendu et parfaitement exécuté. Ce qui est recherché dans ce cas, c’est la compétence spécifique du musicien pour effectuer une tâche précise et retranscrire une partition avec son instrument. Une logique plutôt de groupe où l’individu s’efface au profit de l’image collective menée et représentée par « l’archiboss ». De l’autre côté, le Jazzman compose une mélodie de base, un motif répétitif, sur lequel les différentes instrumentistes improvisent avec leurs propres compétences et leurs sensibilités.


Les curseurs de gestion d’équipe

salaire

ambiance

la situation est équilibrée mais n’admet pas de baisse

Salaire et ambiance compensent le faible interêt du travail

intérêt Rythme de croisière: sécuriser l’agence en améliorant les curseurs Période de routine : Ré-organiser le fonctionnement

Salaire et intérêt compensent la mauvaise ambiance de travail

Période de tension: ressources humaines

Ambiance et fort intérêt compensent un salaire plus faible

Période creuse ou de charrette: dégager des fonds

Le salaire ne suffit plus pour satisfaire l’équipe La passion ne remplacer pas ni un salaire ni des relations sociales correctes L’ambiance ne permet pas de soutenir un faible salaire pour un travail démotivant

Les curseurs doivent établir une moyenne pour garantir des conditions de travail optimales. La maîtrise de ces curseurs permet l’adaptation de l’équipe en fonction de la vie de l’agence.

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L’importance de l’acte ne réside pas dans la retranscription exacte de la partition, mais dans la complémentarité de l’interprétation de la mélodie par les musiciens. Le compositeur de jazz défini un fil directeur sur lesquels les musiciens peuvent se remplacer, dialoguer et exprimer leurs compétences spécifiques tout en gardant la cohérence de la mélodie d’origine. Une logique de travail en collaboration qui assure une implication personnelle des employés dans le champs d’action dont il dispose. Le chef de projet moins démiurge est garant des relations décloisonnées entre les différents acteurs de l’élaboration du projet. Cela représente une mise en avant du groupe à travers les différentes individualités.

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Du projet au devoir social, la porosité de l’équipe en question

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ans une organisation scientifiquement découpée du travail, le but premier est de déceler la compétence d’un employé pour spécialiser l’individu en vue d’optimiser le processus de production. Or, les travers de cette pratique sont nombreux. Le grain de sable dans les rouages d’un mécanisme réglé peut enrayer l’ensemble de la machine. En effet, en cloisonnant les tâches et en n’offrant pas la possibilité à l’équipe de prendre en considération le travail de l’autre, le processus peut être contre productif. La simple vue de tâche exécutée et la non anticipation des éventuels problèmes entraîne des corrections importantes à chaque changement de mains. Par exemple, le cantonnement à l’étape d’esquisse ou de faisabilité sans connaissance de la constitution d’un permis de construire entraîne un redessin quasi-total du projet en APD. De plus l’échange entre différentes mains rajoute des couches de complexités, de « pattes personnelles » qui induisent une perte de radicalité du projet. Ajoutons à cela la majeure faille d’un système à la chaîne et hyperspécialisé : la défaillance d’un élément. Effectivement, si le spécialiste est absent, son unicité implique une incapacité des autres spécialistes à le remplacer, entraînant ainsi un retard et un blocage dans le processus de projet. Pour finir, le chef d’entreprise a un devoir social auprès des individualités avec qui il s’engage. L’hyperspécialisation


du personnel et le cloisonnement des tâches va, à mon sens, à l’encontre de ce devoir. En effet, considérer un confrère - parce que les employés sont aussi architectes- comme capables et compétents d’un un seul champ d’action revient à dévaluer ses autres compétences. Isolé dans une tâche impliquant une relative routine (et donc souvent synonyme de perte d’intérêt), l’employé ne peut s’épanouir que dans un domaine restreint et ne peut prétendre à se diversifier. Étant donné que l’hyperspécialisation se calque sur le moule de l’agence, nous retrouvons une situation de « servitude forcée » ou plus cyniquement de « fidélisation du salariat ». En effet, si un licenciement doit arriver, l’entreprise ne tient pas son engagement envers ses employés puisque comme ces derniers sont spécialisés, il leur sera difficile de trouver une autre entreprise qui devra les former de nouveau. Par ailleurs la dévaluation de compétences, le cloisonnement des tâches et la spécialisation coupent court à toute perspective d’évolution professionnelle.

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Désintérêt,

2. «l’Architecte chef-d’entreprise»

routine, manque d’implication par manquement de gestion humaines sont dommageables pour une profession reconnue légalement comme d’intérêt public.


2.2 De l’importance de l’image et de la crédibilité D

48

ans la commande promotariale, un milieu à forte concurrence, établir une véritable posture permet de se démarquer et implicitement de donner au client une raison d’être plus capable qu’un autre. Être identifié, exister aux yeux de la commande permet d’y accéder. Ainsi, le travail de communication devient prétexte à la tenue d’une attitude quotidienne et professionnelle, en somme de cibler l’image que l’agence souhaite renvoyer et donc d’identifier la clientèle à toucher. Quelle image de marque souhaitons-nous développer, quels moyens pour y parvenir et nous rendent crédibles ? Afin d’établir cette cohérence face au client, j’ai pu voir durant la MSP que de nombreux moyens sont disponibles. Nous l’avions précédemment vu, Unanime Lyon met en avant son professionnalisme et un savoir-faire pragmatique afin de fidéliser le client. Ainsi, chaque interaction avec un contact extérieur qu’il soit partenaire, client ou confrère architecte-conseil, montre en filigrane la rigueur de leur pratique.

Se fier à la première apparence la mise en scène d’une pratique

Rencontres, suivis des contacts, relations de confiance,

mises en relation font parties intégrantes du processus d’accès à la commande professionnelle. Ainsi, inviter à l’agence, réunir physiquement différents acteurs du réseau professionnel sont des actes fort de sens pour le client qui a la chance d’observer les conditions de production de projet. Comme un commerçant inspectant l’usine de son fournisseur pour connaître le produit qu’il achète, le promoteur ou autre professionnel de l’immobilier, rend visite à son architecte. La transparence doit être totale, l’architecture des locaux de travail doit être à l’image de l’architecture qui en sortira, le tableau qu’observera le visiteur devra le séduire par la crédibilité de l’instant. L’open-space comme transparence du processus, la façade vitrée comme


vitrine, la salle de réunion dans la cave voûtée comme intimité entre l’architecte et son client. L’espace et son ambiance au service d’un récit d’entreprise. Par ailleurs, dans cette notion de transparence, le décor y est crucial. Les maquettes les plus remarquables; des projets emblématiques, les étagères de dossiers, les prix remportés, les images des édifices réalisés étoffent la mise en scène: une honnêteté par rapport au client, un univers dévoilé une image de marque à diffuser.

Le client est roi, mais ... il a besoin d’un bon bras-droit

D

49

2. «l’Architecte chef-d’entreprise»

ans le prisme entrepreneurial de l’architecture, il peut-être considéré que la commande est à choyer puisqu’elle constitue la raison même de l’existence de l’entreprise. Alors, afin de fidéliser le client, afin qu’il revienne ou se fasse ambassadeur de l’agence, la nécessité de répondre à ses attentes est primordiale. Pour dialoguer, c’est-à-dire comprendre et se faire comprendre, les supports de discussion doivent être limpides pour le client. La maquette est un parfait médium. Les volumes sont clairs, l’existant est identifié, le rapport volumétrique est abordé de manière ludique, les couleurs, les matériaux parlent d’eux mêmes. Mais la maquette est aussi le support à la transformation, à l’échantillon, à la polyvalence de projets, au final, à l’implication de l’interlocuteur dans sa prise de choix. Unanime Lyon a développé cet outil à remettre aux mains du clients et à lui offrir. Comme pour les multiples scenarii de faisabilité proposées aux promoteurs, l’essentiel du message est limpide : professionnels, nous explorons les diverses solutions, nous proposons; puis vous choisissez et là, nous réalisons. Une stratégie commerciale et de communication qui impactent la production architecturale par l’élaboration d’un champ de possible qu’il faut pouvoir expliquer simplement au client. Ainsi, l’accent est mis sur la qualité du travail de mise en page, de maquettage, de schématisation du projet afin de créer les conditions de satisfaction de la clientèle dans la prestation de service, peut-être plus que dans le projet édifié.


Une vitrine pour de nouvelles commandes

Faire

reposer son exercice sur la seule promotion immobilière est un pari risqué. Si le promoteur tousse, l’architecte est malade. Dans ce milieu à forte concurrence, où il faut « tirer les prix » et dans lequel le client définit les lois du marché, l’enjeu est de sécuriser son activité dans d’autres segments. Pour prospecter, la stratégie de communication s’appuie sur des outils aussi bien physiques, que technologiques et qu’entrepreneuriaux.

50

Dans le cas d’Unanime, depuis le ralentissement de l’activité promotariale, la volonté de se positionner dans un secteur spécifique (laboratoire, santé…) qui plus est assez technique, où expérience, compétence spécialisée et moyens de production suffisant permettent de placer l’agence dans un nouveau marché. Afin d’être visible dans ce nouveau secteur, la constitution de la holding assure une cohérence d’image et la preuve d’une expérience solidement bâtie. D’une part, le site Internet présente un groupe composé de plusieurs agences à l’international, leurs nombreuses références, et surtout une équipe qui permet d’accompagner les projets. Cette dernière est le point clé de la relation que l’agence tend à établir avec la future clientèle. La structure de l’agence est compétente pour n’importe quel projet, du moment qu’elle a la capacité d’aller chercher des partenaires, manager et accompagner la maîtrise d’ouvrage. Dans cette logique, le site Internet met en avant des mots clés comme management, partenaires spécialistes, « sur mesure » qui sont appuyés par les photos de réalisations. Cette stratégie permet de cibler exclusivement une maîtrise d’ouvrage professionnelle. D’autre part, des moyens plus directs permettent d’entretenir les réseaux. La possibilité d’inscription à une newsletter sur le site est un outil de diffusion des actualités de l’agence et d’établir une image dynamique. Néanmoins, un démarchage plus direct renforce le lien avec la clientèle, la fidélisant un peu plus. La carte de vœux annuelle en est un parfait exemple. En effet, diffuser une carte de vœux en cohérence avec l’agence (une équipe pluridisciplinaire et compétente) à tous contacts déjà établis auparavant et à de potentiels nouveaux clients, assoie un peu plus l’image de marque de l’agence.


F

inalement, la définition d’une raison d’être, de la spécification de la pratique, est le point de départ de la stratégie commerciale et opérationnelle. Qui suis-je ? Pourquoi viendraiton me voir plutôt qu’un autre ? En quoi je me différencie de mes concurrents ? Dans les réponses réside un postulat de départ à définir, suivant lequel la cohérence des moyens mis en œuvre pour y arriver donne la crédibilité de sa pratique aux yeux de la commande. Au delà du caractère commercial, le rôle de « l’image de marque » cristallise le sens de la pratique de l’architecte.

51

2. «l’Architecte chef-d’entreprise»

Cartes de voeux 2015 et 2017 - Unanime architectes


emprise sol RDC R+1 R+2 R+3 R+4 R+5 R+6 Attique

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SDP brut SDP nette SHAB Logements Parking

BÂTIMENT A BÂTIMENT B 652 480 541 433 595 433 595 433 595 433 595 433 595 433 595 433 192 145 4303 3873 3602 64 64

3176 2858 2658 47

BÂTIMENT C 454 409 409 409 409 ‐ ‐ ‐ 138 1774 1597 1485 27 124

BÂTIMENT D 512 418 464 464 464 464 464 464 155 3357 ‐ ‐ ‐

BÂTIMENT E 655 551 607 607 607 607 607 607 199 4392 3953 3676 66

BÂTIMENT F 213 192 192 192 192 ‐ ‐ ‐ 64

BÂTIMENT G BÂTIMENT H 221 236 199 211 199 211 199 ‐ 199 ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ ‐ 73 ‐

832 749 696 12 122

1

Scenarii et tableaux de surface : montrer le champs des possibles au client

2

La maquette pour comme outil efficace de communication

869 782 727 13

422 380 353 6 ‐

TOTAL 3423

TOTAL 19125 14191 13198 236 310


53

L’agence : la vitrine du travail de l’architecte

3

Transparence et mise en scène de l’atelier

4


2.3 Faire valoir sa pratique : Des outils pour échanger, des outils à maîtriser Le démiurge et l’indécis, encadrer les relations avec le maître d’ouvrage

Accéder à la commande « parce que nous avons été

choisis » par le client, implique une dichotomie dans la relation entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’oeuvre. Des outils sont donc à concevoir avec l’expérience, afin d’anticiper et maîtriser les évolutions du rapport client/prestataire.

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D’une part, la maîtrise d’ouvrage - le client - attend de

l’architecte qu’il conçoive et bâtisse selon ses désirs. Étant à l’origine du projet par l’émission d’une commande, le maître d’ouvrage consulte l’architecte puis décide. Parfois, le client peut subitement changer de direction alors que le processus de projet est déjà bien amorcé. Dans une démarche d’optimisation et de fidélisation du client, un retour en arrière sur le travail alors réalisé est techniquement une perte de temps, donc d’argent, difficilement imputable au client. Néanmoins le développement d’un accord cadre peut unir les intérêts de chacun sans porter préjudice à la qualité du projet. Par exemple, dans le cadre d’une collaboration régulière avec un major de la construction française, Unanime a élaboré et proposé l’instauration d’une charte de projet. Identifiant que chez les promoteurs la nécessité de précocité de la (pré)commercialisation des logements 1 impliquait une prise de position tardive sur les prestations attendues. Cela impliquait pour Unanime un perpétuel recommencement des plans de ventes alors même que le DCE n’était pas établi. Unanime touchait une rémunération forfaitaire pour un travail double. Ainsi, la charte spécifie une mission « de base », un référentiel, dans laquelle sont détaillés les niveaux de prestations, la granulométrie du projet et d’éventuelles évolutions. En cas de sortie de ce cadre convenu, toutes modifications ou retour en arrière sont facturés par des avenants. Ainsi, l’incertitude soudaine du maître d’ouvrage qui a pourtant participé à l’instauration « de règles » se monnaie. Cet outil est similaire à l’achat d’une voiture avec option. La base est constituée d’un niveau de gamme qui est payé, les

1: afin d’absorber le risque de l’investissement par les VEFA


options éventuelles seront possibles contre rémunérations supplémentaires. Appliquées à l’architecture, les options peuvent être les TMA, les recours éventuels des PC (si le DCE commence avant la purge de recours), ou encore l’anticipation des phases de commercialisation. Avec le retour sur expérience, il s’avère que l’outil optimise le travail des deux parties. Un système « win-win » dans la recherche de l’efficience. ’autre part, la maîtrise d’œuvre est attendue pour son expertise. Elle est mandatée car elle est capable d’apporter de la plus value à la commande par sa compétence à répondre à la demande dans les délais et le budget prévus. En somme, la position de sachant implique une prise de position face aux

D

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2. «l’Architecte chef-d’entreprise»

FRIEDMAN Yona, L’architecture de survie, une philosophie de la pauvreté, Éditions de l’éclat, Paris, ré-édition de 2016 de la version augmentée de 2002, première édition en 1977. p.28


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enjeux énoncés par le client. Savoir dire oui ou non, être force de proposition grâce à ses propres savoir-faire sont des attitudes qui placent la maîtrise d’œuvre aux commandes du processus de projet. Dans cette logique Yona Friedman 2, bien que défendant de radicales transformations du rôle de l’architecte, propose de conforter cette stature de sachant par des outils de conception mettant en dialogue « Monsieur Rêveur » et « Monsieur Pratique » 3 . En interrogeant le maître d’ouvrage en amont, c’est-à-dire dès la formulation de la commande, le rôle de l’architecte est de retranscrire dans la matière ce qui a été clairement formulé. Sans grande sophistication, du fil, des boutons, un stylo et les bonnes questions, l’outil encadre à la fois la commande et l’implication de la maîtrise d’œuvre. La mise en place de questionnaires tout au long du processus projectuel tissent des liens entre les deux parties, permettant de valider l’avancement, de l’APD au DCE par exemple, et de prévoir les moyens à fournir pour l’amorce de la suite. Or, dans le cadre quotidien d’une pratique, les limites sont floues surtout dans le dialogue avec une maîtrise d’ouvrage professionnelle. Le maître d’ouvrage croit être sachant car il est le maître de la commande ayant quelques connaissances -plus ou moins précises- sur l’acte de bâtir. Le maître d’œuvre lui, appréciant la globalité du processus d’élaboration d’un projet, croit en être l’unique responsable jusqu’à être le créateur démiurge. Une caricature bien entendu, mais qui illustre un équilibre des rapports à encadrer par la définition d’outils tout au long du projet.

La carte, le croupier et le joueur la maîtrise de l’outil comme répartition des rôles

A

u poker, différents joueurs, aux profils spécifiques se réunissent autour d’une table dans l’objectif de partir avec plus qu’ils sont arrivés et cela dans les meilleures conditions. Le bluffeur, le rusé, le flambeur, l’ingénieux, tous attendent le prétexte à leur interaction: le magot. Mais pour y parvenir, il leur faut les cartes. Ces outils uniques, définis par un signe, une couleur et une valeur, n’ont de sens que dans leurs combinaisons. Grâce à celles-ci, les joueurs sont liés et ont besoin l’un de l’autre pour gagner. Mais n’oublions pas qu’une seule personne est habilitée pour être garante du bon déroulement du jeu et qui,

2: dans FRIEDMAN, Yona, L’architecture de survie, une philosophie de la pauvreté, Éditions de l’éclat, Paris, réédition de 2016 de la version augmentée de 2002, première édition en 1977. 3: Ibid. p.22


impartialement assure le respect des règles. Le croupier a une vision globale du jeu et possède les cartes. Ainsi, c’est à lui de les distribuer aux différents joueurs et son indépendance rend tout conflit d’intérêt impossible. Il sait qu’il va mettre à disposition des joueurs les outils de la concrétisation de la partie. Cependant, à la fin, quand les joueurs quittent la table, le croupier ramasse ses cartes pour animer une nouvelle partie. Dans cette pratique, il est impensable qu’un joueur quitte la table avec une des cartes pour que la prochaine fois, il puisse saboter le travail du croupier et à terme le remplacer.

Pour finir, le maintien de la maîtrise sur le projet se

distingue aussi par la capacité à saisir les nouveaux outils de conception/production/communication. Le BIM en est l’exemple contemporain. Plus que de s’accrocher à la commande par cette compétence, il en est du ressort de « l’architecte chef d’entreprise » de se saisir de cette nouvelle carte pour l’intégrer dans sa pratique de l’architecture. L’utilisation de cet outils devenant de plus en plus systématique, il demeure néanmoins d’intérêt public que la production architecturale soit pérennisée par des architectes plutôt que des techniciens en modélisation 3D. Ainsi, la formation continue de son équipe de production assure de se saisir des outils de son temps pour s’adapter aux nouvelles règles du jeu et continuer à assurer pour tous les participants une expérience idéale.

57

2. «l’Architecte chef-d’entreprise»

Le monde du poker est en beaucoup de points semblables à celui de l’architecte. En effet, sans venir ajouter de nouvelles, cartes, l’architecte a déjà dans son jeu une palette d’outils qui assure la qualité architecturale autour de la maîtrise d’un dialogue avec les acteurs de la construction. La rigueur du dessin qu’implique un DCE permet incontestablement de fournir une base pour l’échange avec les entreprises. Le CCTP est le détail rédigé précisant la mise en oeuvre de matériaux scrupuleusement définis, qui d’une part permet le chiffrage mais aussi une réponse d’un artisan. Plus le dialogue est clair, plus l’échange est fourni, mieux se déroule la rencontre des différents partis (maître d’ouvrage, entreprises, bureau d’études…) organisée par l’architecte. Par ailleurs, la conservation des missions de base et la rigueur de leur exécution est une condition sine qua none pour que l’architecte satisfasse pleinement sa responsabilité de « croupier », orchestrant ainsi l’écriture collective du projet.


2.4 Choisir ses partenaires

«

Un récit architectural ne se construit pas dans une tour d’ivoire. L’architecte a besoin de la connaissance de ceux qui l’entourent. Et le travail des autres me fascine. Je m’en imprègne. Il y a porosité. RICCIOTTI Rudy, L’architecture est un sport de combat, Éditions Textuel, Paris, 2013. p75

»

R

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udy Ricciotti, met en avant la nécessité de l’architecte à travailler en collaboration avec des compétences autres pour mener à bien un projet. Ainsi, le choix des relations de collaboration est aussi multiple qu’il y a de pratiques de l’architecture. Cependant, dans l’étude de « l’architecte chefd’entreprise » nous considérons à titre d’exemple seulement l’expérience d’Unanime puisque les associés ont crée des outils de collaboration en lien direct avec leur volonté d’entreprendre.

Construire une filière comme relais de la mission de maîtrise d’oeuvre

Dès le début, Unanime s’est plus dirigé vers une pratique

de conception pure et de management de projet pour satisfaire le client. L’attitude est claire puisqu’elle considère que l’architecte n’est pas omniscient et que le savoir-faire de la pratique repose sur la faculté d’aller chercher des compétences manquantes. Or, les associés n’ayant jamais réellement été formés au suivi de chantier et considérant que cette mission 1 représente une profession à part entière, ont construit une filière pour assurer l’édification des projets. En effet, afin de garantir la continuité du processus de projet et des intentions architecturales bien que les plans changent de mains, les bases de la filière reposent sur un partage de valeurs communes, de connaissances complémentaires et surtout d’intérêts. Ainsi, côtoyant au fil des projets les mêmes professionnels de la construction, l’envie commune de travailler de manière plus privilégiée est apparue. Avec des ingénieurs en génie civil formés dans des entreprises générales, la collaboration s’est amorcée tout d’abord par un

1: pourtant bien attachée à l’étymologie de « architecte » (maître-charpentier)


acte de confiance. Afin que ces professionnels du bâtiment puissent monter une entreprise indépendante, les architectes ont investis dans le capital de leur structure pour les premiers investissements et surtout pour créer un lien d’intérêt, et donc de confiance entre les deux entités. En investissant 25% des parts de la société de chantier, les architectes prouvent leur engagement et leur solidarité puisqu’ils ont tout à gagner que la nouvelle entreprise dégagent des bénéfices. Réciproquement, liée par le capital, l’entreprise de construction a tout intérêt à développer son activité principale avec Unanime et donc à en faire la promotion. Un montage qui permet d’établir un lien de confiance et d’étroite collaboration en gardant néanmoins une indépendance. Cette indépendance se manifeste d’ailleurs dans la relation à la maîtrise d’ouvrage puisque les contrats sont distincts et les missions séparées.

2. «l’Architecte chef-d’entreprise»

Par ailleurs ce lien ténu entre les deux entreprises permet par l’expérience partagée d’établir des outils communs, d’optimiser la production et de garantir une bonne exécution des travaux. Détails d’exécutions, techniques employées, prestations, délais des missions, en travaillant conjointement, des procédés se mettent en place en vue de soigner les détails, d’optimiser le temps de travail et donc de dégager de la marge. D’une part la construction de filière constructive est une solution efficace et honnête dans le cas du refus de la mission complète de maîtrise d’oeuvre. En effet, si l’architecte veut garantir une qualité architecturale, travailler avec des entreprises inconnues qui assurent la réalisation du chantier implique soit une rigueur draconienne dans le dessin du PRO, soit une mobilisation de temps importante. D’autre part, créer sa filière constructive permet aussi de mettre au point des détails d’exécution avec des techniques, des matériaux ou des savoirs-faire spécifiques. La pratique de Jean Prouvé illustre tout à fait l’intelligence de la complémentarité des dimensions constructives et productives d’un projet à partir de la préfabrication. Pour l’architecte Gilles Perraudin, la filière constructive s’entremêle entre la ressource pierre (carrière, extraction et qualité du matériau), le dessin du projet et la mise en oeuvre spécifique sur le chantier. Construire sa filière revient à se donner les outils et les moyens pour élaborer conjointement des solutions efficaces architecturalement et économiquement parlant.

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Tous les spécialistes autour de la table ! La synthèse comme constitution du choix

C

60

onstruire sa filière au service du projet n’est pas uniquement synonyme de création de relais pour déléguer sa propre mission. Cela consiste aussi à élaborer une équipe de maîtrise d’oeuvre complète et attentive à chacune des spécificités. Loin du travail isolé de l’architecte démiurge, le travail d’équipe est essentiel à la qualité architecturale. En effet, les domaines intervenant étant de plus en plus variés et complexes - et surtout depuis l’avènement de l’architecture labellisée HQE, BBC, etc ….- l’architecte ne peut constituer à lui seul l’ensemble des compétences. Il est l’ensemblier, le catalyseur, la synthèse d’une équipe complète constituée de spécialistes à qui il donne la vision globale, la cohérence du projet. Cependant, dans cet objectif de « liant », il n’est pas de bon ton d’imposer une solution à des problèmes donnés. Le travail de formulation des intentions et de postulats auxquels un dialogue avec un spécialiste mène à des hypothèses de solution est primordial. Le rôle de l’architecte consiste alors à faire le choix de la solution la plus adéquate. Comme une réalisateur de film, il consulte ses techniciens pour trouver le moyen d’avoir la bonne lumière, le bon son, la bonne cascade, la bonne émotion de l’acteur. Un travail donc de mise en commun et de décloisonnement des domaines. Ainsi, l’intérêt de garder un rôle de leadership sur la filière mène à un projet qui résulte de choix délibérés et conscients et non de situations subies.

Par exemple, actuellement sur Lyon, 60% des Permis de Construire déposés sont attaqués par des tiers. Les différentes interprétations du PLU et les jurisprudences étant de plus en plus fréquentes, construire dans la métropole lyonnaise est incertain et est potentiellement un risque pour tous les acteurs de la construction. Afin d’anticiper les recours au PC, certains Maître d’Ouvrage mandatent des avocats spécialisés dans le droit de l’urbanisme et de l’immobilier pour évaluer les risques, mais aussi évaluer le projet. Alors, en fonction de la probabilité hasardeuse d’un recours, les rapports fournis par des spécialistes en droit - et non en édification des espaces et des paysages, rappelons le - appliquent des contraintes architecturales. Il en est du


devoir de l’architecte de les prendre en compte et de faire le choix en connaissance de cause, de suivre les préconisations ou de défendre et faire la preuve d’une alternative. Un devoir de moyen pour arriver à une fin, ici réside l’intérêt pour l’architecte à faire des choix par la synthèse des contraintes et potentiels soulevés par l’équipe de spécialistes.

Kilo de plomb ou kilo de plumes ?

Créer une filière est aussi un outil pour se saisir de 61

2. «l’Architecte chef-d’entreprise»

la commande. En effet, plutôt que de se présenter comme unique responsable « touche à tout », la position d’équipe de savoirs-faire peut permettre de mettre en confiance la clientèle, l’architecte étant le relais entre cette dernière et l’équipe. Le cadre nouveau des PPP (Partenariats Publics Privés) est le cadre théorique idéal pour cette pratique collaborative. Cela permet de travailler pour des édifices d’intérêts généraux avec une équipe qui maîtrise ses compétences et qui est en capacité de les coordonner. Pas de surprise avec des consultations d’entreprises choisies par « copinage » ou par dumping des prestations, si l’équipe n’est pas sous la houlette d’une entreprise générale peu scrupuleuse, l’intérêt de la collaboration enrichie ces nouveaux processus de commande. Néanmoins, nous pouvons considérer deux attitudes tant fonctionnelles qu’opérationnelles. D’une part, le groupement de compétences peut se créer comme un ensemble solide, très organisé qui prévaut par la maîtrise des échanges définis entre chacun. Un cube de plomb qui s’est construit rationnellement afin que chaque élément de matière trouve son unique place pour former un tout. Ainsi, la technique est bien rodée et c’est une recette et une force productive qui sont mises en valeur. D’autre part, la construction d’une filière de compétences est l’opportunité de formé un ensemble composé de parties distinctes, autonomes et mobiles. A l’image du kilo de plumes, l’équipe est formée de spécialistes entre lesquels existent des interstices. Ces derniers offrent la possibilité d’adapter en fonction des situations la place de chacun en comblant cet interstice. Ainsi la filière est un amas de compétences qui s’organise au service du projet sans


ordre prédéfini. Adaptatives, les compétences ne sont pas fixes puisque échangeables. Elle admet qu’une compétence en remplace une autre le temps d’un projet ou en fonction du contexte. Par exemple, voyant que la question du BIM est de plus en plus présente dès la phase esquisse et échappant de plus en plus à l’architecte, Unanime tente d’établir un premier groupe de compétences regroupant, dès le premier coup de crayon, un BET structure, un économiste et un BIM manager . Cette première filière implique un travail collaboratif dont les rôles s’expriment plus ou moins proportionnellement aux caractéristiques du projet. Dans l’avancée du projet des compétences extérieures se glissent dans les interstices entre ces quatre entités et définissent les enjeux du projets.

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En

définitive nous pouvons nous demander comment créer ce cadre collaboratif dans l’ensemble de la pratique de l’architecture. En effet, la commande privée admet un choix des entreprises par affinités de compétences, les PPP intègrent plus l’architecte comme spécialiste qu’il ne le place comme coordinateur général du projet, la commande publique soumise à la loi MOP exclut par la mise en concurrence de l’appel d’offre toute forme de filière constructive complète. Une solution demeure néanmoins dans l’acquisition d’un savoir-faire collaboratif qui implique par le dessin du projet, de l’esquisse à l’EXE, qui admettrait que la technique de mise en oeuvre soit spécifique à ses partenaires.


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2. «l’Architecte chef-d’entreprise» DIAS CANALES Juan (scenario), GUARNIDO Juanjo (dessin), Blacksad- Tome 1, Quelque part entre les ombres, Éditions Dargaud, juillet 2000


ENTRACTE L’AFFAIRE POUILLON

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Néanmoins jusqu’où l’architecte peut-il construire sa filière ? De la commande avec une équipe promotariale, à la mise en oeuvre avec les entreprises ? Jusqu’où l’architecte peut-il remplir sa mission d’intérêt public sans outrepasser sa déontologie ? La logique entrepreneuriale est-t-elle compatible avec sa mission «d’intérêt public» ? Quelles dérives pour la profession d’une logique commerciale ?

Source Télérama - http://www.telerama.fr/monde/tipazale-detonnant-complexe-touristique-de-pouillon,45212.php


«

C’est aussi simple que ça. Quand je vois par exemple une enquête de Paris-Match sur les idées géniales qu’on peut avoir dans l’urbanisme, je suis sceptique. Dans la construction, on a un homme d’environ 1,65m à 1,90. Il marche sur deux pieds. Il lui faut un lit de 1,90m pour se coucher et malheureusement, il faut qu’il mange et qu’il ait des besoins satisfaits. Ca n’a pas tellement changé depuis la construction grecque et égyptienne: on continue à marcher, à se déplacer, et de moins en moins vite parce que, pendant l’Occupation, on pouvait traverser Paris de bout en bout. Alors quand je lis qu’il faut couvrir la Seine, qu’il faut faire des buildings de trois cents étages qui concentreraient une ville entière avec des rampes aériennes qui tournent et des immeubles intercalés là-dedans, c’est très bien pour faire un tableau futuriste, mais ce n’est pas bien pour les problèmes qui nous occupent et qui sont résolus avec des moyens bien médiocres. Je suis contre, parce que c’est se moquer, réellement, de ceux qui ont des besoins urgents, qui ont besoin d’avoir l’eau chez eux. C’est se moquer des besoins des gens qui ne veulent pas devoir habiter une cité sinistre. C’est le besoin des gens qui ne veulent pas faire quatre ou cinq heures de trajet par jour. C’est le besoin des gens qui ne veulent pas subir la ségrégation qu’ils subissent malgré eux. Il y a cent ans à Paris, cohabitaient des gens de toutes sortes, et donc la promotion sociale pouvait se faire sur elle-même, alors que maintenant, celui qui va dans telle cité, il sait qu’il appartient à une classe inférieure de la société par la constitution même de cette cité. C’est abominable. »

...

«

Pour les banques, l’immobilier est un revenu et pas un besoin social, alors que moi, je suis à l’opposé, je fais passer le social avant le revenu; le revenu est ce qu’il est, mais le besoin social a une très grande importance dans l’immobilier. Pour moi, l’architecture, c’est un service social, ce n’est pas autre chose. Ainsi, pour Fernand Pouillon il était d’intérêt public de prendre en charge la commande et l’exécution, «promoteur, architecte, entrepreneur».

Fernand Pouillon conférence du 13 mars 1965 in MARREY Bernard, Fernand Pouillon, l’homme à abattre, Éditions du Linteau, Paris, 2013.

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» »


66


67

O3 La remise en cause de la déontologie?

l’ambiguïté du rôle sociétal de l’architecte.

Atlas de la mythologie, Sisyphe le rusé, Éditions Atlas, UE, 2003


3.1 La politique commerciale au service d’une qualité architecturale et éthique ? L’étude de faisabilité, l’asticot au bout de l’hameçon

L

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’étude de faisabilité est pour la maîtrise d’ouvrage professionnelle l’amorce du projet. En effet, après avoir arpenté les territoires et déniché du foncier disponible, le promoteur doit être en mesure d’évaluer le potentiel du site choisi. Par rapport au PLU essentiellement, des volumétries théoriques et maximales se dessinent, des surfaces de planchers, des ratios entre ces dernières et les places de stationnements se calpinent et se calculent. Les dessins préliminaires représentent tout de même 60% des dépenses qui seront engagées pour un projet de promotion immobilière 1. La « faisa » est pour les promoteurs la clé de voûte des calculs d’investissements et des bénéfices. Comment « bourrer la malle » -comme il est souvent fait mention- pour obtenir toujours plus de surface de plancher? Le projet devient alors la règle ou plutôt ce qu’elle permet de réaliser au dépend de l’étude du contexte, des orientations, ou de l’identité typomorphologique du quartier. L’architecture à ce stade n’est pas espace mais surface. D’ailleurs bien que ces maîtres d’ouvrages sachent estimer une surface théorique et maximale, ils font néanmoins appel à l’architecte pour réaliser un dossier complet. Récapitulatif des contraintes réglementaires du site, plan masse, plan de soussol, tableaux de surfaces, constituent ces dossiers présentant systématiquement plusieurs scenarii. Mais l’étude de faisabilité ne s’arrête pas à ces premières esquisses puisqu’elle mène à des rendez-vous avec l’architecte conseil et les services d’urbanisme compétents, qui cette fois, permettent de donner des qualités architecturales et urbaines aux volumes théoriques. D’après cette phase d’avant-projet, les promoteurs peuvent se positionner pour acquérir le terrain en proposant un maximum de m2. Or, ces maîtres d’ouvrages attendent de l’architecte qu’il puisse exploiter totalement le potentiel quantitatif du site. Ainsi, ils mettent en

1: Ouvrages publics et coût global MIQCP janv. 2006


concurrence les architectes sur une notion purement comptable. La « course aux échalotes » est officieusement lancée. Confiance garantie à celui qui proposera le plus de « SDP ». Sachant que la faisabilité donne les grands axes pour la suite du projet, quelles qualités spatiales pour une pratique comptable de l’architecture ? En somme, étant le moyen d’accéder à la commande promotariale, la faisabilité est à l’architecte ce que l’asticot est au pêcheur. Puisqu’il est parmi tant d’autres, plus il sera séduisant, plus il permettra de ferrer de beaux poissons.

Aussi,

la faisabilité emballe paradoxalement son approche comptable dans la gratuité de sa prestation. Quelle ironie de penser que l’architecte travaille souvent sans rémunération à trouver celle de son potentiel client. Bien qu’il puisse exister un « pacte de confiance » entre le promoteur et l’architecte, quelle considération la gratuité de l’acte - pour remporter un concours déjà compromis par une approche quantitative- laisse-t-elle au travail de l’architecte ?

65 jours à perte

sur 188 jours travaillés

5 concours et 27 faisabilités dont 11 avec reprises En moyenne 1 faisabilité sur 9 aboutie Soit avec un coût horaire moyen de 100€: 65x8 x100 = 52 000 € d’investissement Le calcul du coût horaire de l’agence doit donc intégrer cet investissement à risque.

3. la remise en cause de la déontologie ?

Retour sur expérience:

69


La valeur de l’acte, le contrat en question

Afin d’établir clairement les rapports entre les différentes

parties ainsi que la valeur du travail qui les lie, le contrat est une pièce maîtresse. Il définit les missions, la durée de cette dernière et la rémunération pour un travail donné. En un sens, il annonce en amont l’attention qui sera donnée à la réalisation du projet par les missions définies et un ratio temps/argent. Cela implique le rôle donné à l’architecte. Ainsi, d’après le travail jugé, une capacité de production et des moyens pour l’exécuter sont définis en filigrane. Ce document actant la rencontre et l’accord de deux parties pour travailler ensemble, est surtout la reconnaissance de la valeur du travail. En un document sont identifiés, la commande par un programme, un lieu précis, les parties, le temps de collaboration ainsi que la rémunération et les modalités de celle-ci. D’autant plus que nous sommes dans un contexte favorisant les milles-feuilles administratifs, être clair et précis sur ses actes correspond à définir son engagement et sa responsabilité. Une assurance pour les deux parties puisque l’un s’assure d’une réponse conforme à sa commande, l’autre a la garantie d’échanger un travail qui vaut contribution.

70

«

Dès la moindre esquisse, le travail d’un architecte a une valeur culturelle, mais aussi économique. Nous devons en persuader tous ceux -élus, maîtres d’ouvrage…- qui pensent que notre passion nous donne les moyens de la gratuité de nos prestations Catherine Jacquot, présidente du Conseil National de l’Ordre des Architectes, Voeux 2017, le 18 Janvier, disponible http://www.architectes.org/actualites/entre-murs-et-culture-les-voeux-de-la-presidente-du-conseil-national-de-l-ordre

N

»

éanmoins, la réalité de la profession et des pratiques existantes impliquent l’adaptation au contexte économique et surtout culturel, comme l’évoque Catherine Jacquot. Fournissant dans une production intellectuelle au fil d’un processus étendu dans le temps, l’architecte a la nécessité de percevoir des rémunérations par phase. Être rémunéré pour une mission induit une obligation de résultat et définit des rythmes dans le projet. D’ailleurs, l’estimation du temps d’exécution d’une mission doit être au service du projet en étant juste et au moins calculée sur

1: Ouvrages publics et coût global MIQCP janv. 2006


Alors, ne serait-il pas plus judicieux d’intégrer la notion

de risque dans le contrat ? Contractualiser la rémunération de la prise de risque en gonflant les honoraires finaux peut-être une alternative. Le contrat, dans ce cas de figure, reconnaît la conscience d’un challenge solidairement accepté avec la maîtrise d’ouvrage qui sera non seulement rémunérée, mais aussi qui permettra peut-être d’équilibrer les rapports de force entre un architecte à l’affût de la commande et un client peu scrupuleux.

71

3. la remise en cause de la déontologie ?

un minimum nécessaire. Sinon l’architecte travaille à perte. Un dumping qui va à l’encontre du droit français à la concurrence et qui est donc répréhensible. Ainsi, à l’architecte de définir ces temps charnières dans le projet tout en s’inscrivant dans une logique commerciale qui garantisse les considérations déontologiques. Par exemple, certaines agences victimes de l’incertitude grandissante de l’aboutissement d’un projet se soumettent aux règles promotariales. Étant donné que porter un projet de construction est de plus en plus complexe aux vues des nombreux recours déposés contre les permis de construire, les promoteurs demandent à payer l’architecte qu’à la fin du permis de construire purgé du recours des tiers. Si le projet n’aboutit pas, l’architecte n’a plus que ses yeux pour pleurer. N’engageant aucun frais en faisant travailler à perte une agence, le promoteur transfère le risque sur l’architecte pour le payer ensuite pour le travail fourni seulement. « Seulement ? », exactement ! Et c’est ici tout l’objet de mon indignation. N’oublions pas que dans ce cas, il y a un travail demandé certes, mais aussi une solidarité dans le risque qui elle, n’est pas rémunérée. Aussi, cela représente des stratégies commerciales efficaces pour des grosses agences qui peuvent se permettre d’absorber un travail à perte, sans contrat, en offrant les études préliminaires.


L’engagement à remplir sa mission, la liberté de dire non : le contrat en question

La politique commerciale doit-t-elle prendre le pas sur le

72

projet ? Quand la stratégie est axée sur la fidélisation du client, faut-t-il le satisfaire à tout prix ? Le contrat est donc le support pour prendre position face à ces problématiques. En effet, j’ai pu faire l’expérience des dessins de plans de vente et voir l’importance de la rigueur d’un contrat afin de tenir bon face aux demandes les plus imaginatives du client. Voulant vendre au plus vite ses appartements en VEFA, le promoteur a exigé des plans de ventes avant même que le permis de construire soit validé. Coincé par des honoraires généreux, nous avons dû commencer des plans de vente sur un projet qui était encore en processus de conception. Dès le début, nous savions qu’il y aurait un travail démesuré de redessin. Or, le maître d’ouvrage étant contractuellement libre d’imposer de nouvelles contraintes et, gardien du magot, n’a pas hésité à remettre en question les moindres détails plusieurs fois et ce, même à la fin du DCE. Des allers-retours non encadrés par un contrat qui a valu la mobilisation de quatre personnes à tour de rôles sur six mois et à temps plein. Ces modifications et ce travail en plus, ne sont pas rémunérés. La rentabilité de l’affaire est donc sérieusement remise en question. Finalement, le promoteur savait exactement ce qu’il voulait, n’a que peu consulté l’avis de l’architecte et a ordonné plutôt qu’écouté. Par analogie, paye-t-on un garagiste pour son expertise et son savoirfaire ou pour éviter de se salir les mains dans le cambouis ? Le contrat détermine le rôle que l’on veut bien endosser.

La rédaction d’un contrat cadre les limites sans pour

autant exclure des stratégies commerciales. Il permet d’oeuvrer à la redéfinition du rôle de l’architecte en encadrant des rapports économiques - ou en tout cas d’échange - dans l’intérêt d’une qualité spatiale d’intérêt public.


3.2 La gestion d’entreprise et la notion de profit:

quel curseur entre l’intérêt public et pérennité d’une pratique ?

1: http://www. architectes.org/ loi-n°-77-2-du-3janvier-1977-sur-larchitecture consulté le 5 juillet 2017 2: http://www. un.org/fr/universaldeclaration-humanrights/index. html consulté le 5 juillet 2017

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3. la remise en cause de la déontologie ?

D’une part, reconnue par la loi Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977, « L’architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public. Les autorités habilitées à délivrer le permis de construire ainsi que les autorisations de lotir s’assurent, au cours de l’instruction des demandes, du respect de cet intérêt. »1 En conséquence, l’architecte est sensé être indépendant, désintéressé, justement pour servir l’intérêt public. D’autre part, l’article 25-12 de la déclaration universelle des droits de l’homme stipule que le logement, au même titre que l’alimentation et les soins, est un droit fondamental pour assurer un niveau de vie suffisant à la santé. Or, soumise au serment prêté à l’Ordre, la pratique de « l’architecte maître d’oeuvre », celui qui bâti, est régie par les règles de l’entreprenariat. En libéral ou en société, l’architecte est confronté à l’essence de l’entreprise : la notion de profit. Le profit permet d’assurer le fonctionnement de la pratique mais aussi de dégager des salaires et d’investir pour pérenniser la structure. L’entreprise par définition, nécessite de dégager des bénéfices. Néanmoins, cela implique l’intérêt personnel de l’architecte ou de la personne morale. Bien que l’Ordre des architectes soit garant de la déontologie, quelle place pour le conflit d’intérêt personnel et public ? De la même façon que le médecin libéral soumis aux pressions pharmaceutiques et au serment d’Hippocrate, comment placer les curseurs entre intérêt public et pérennité d’une pratique ? Comme un service public, l’architecte devrait-il être fonctionnaire pour balayer la notion de profit ? Jusqu’où la notion entrepreneuriale influe-telle l’architecture elle-même ? À ces questions complexes, nous apporterons des regards d’architectes qui nourrissent mes futures considérations pour une pratique future et permettront de faire le lien avec mes expériences professionnelles.


L’architecte, un service public ?

«

Cela signifie que vous n’êtes pas seulement le malheureux architecte exécutant la commande ponctuelle d’un client, mais un créateur responsable œuvrant pour le bien social de la nation et du monde entier. AALTO Alvar, La table blanche et autres textes, Éditions Parenthèses, Marseille, 2012, traduit du finnois par Anne COLIN du TERRAIL. p. 211

74

« «

A euros constants, c’est l’imagination qui doit prendre le pouvoir. CHEMETOFF Alexandre, Le Plan-Guide (suites), Éditions Archibooks, 2010 p.84

Vernon peut se payer le luxe de voir venir une centaine de jeunes architectes qui vont réfléchir sur l’aménagement de notre territoire. C’est du jus de cerveau à pas très cher, comparé au prix des études…

» » »

Sébastien LECORNU maire UMP de Vernon, http://www. ledemocratevernonnais.fr/2014/10/23/de-jeunes-architectes-a-vernon/

Les trois citations exposent trois facettes de l’ambiguïté entre le rôle sociétal et entrepreneurial qu’endosse l’architecte.

Tout d’abord, pour Alvar Aalto, chaque acte est un fait de

culture porté par une condition éthique que l’architecte définit. Derrière un projet, il y a une valeur sociale qui guide la pratique. Néanmoins, c’est bien l’opportunité de la commande qui permet d’exprimer ces dernières valeurs par le biais de la réponse architecturale. Autrement dit, l’architecte n’a pas les pleins pouvoirs pour porter sa vision de la société à travers le prisme de l’espace, mais son devoir est de répondre à une commande particulière dans l’intérêt du plus grand nombre. L’architecte répond à un besoin, il ne le crée pas pour construire à tout prix. Ainsi, il se met au service de la communauté par l’intermédiaire de l’opportunité. De la commande d’un client au projet collectif, l’architecte se porte « responsable » du discernement entre les deux échelles de pensée. ependant, comme le souligne l’architecte-urbaniste et paysagiste Alexandre Chemetoff, il est aussi d’intérêt public que l’architecte fasse « au mieux » avec le budget. J’entends

C


F

inalement, ne devrait-t-il pas exister en parallèle de nouvelles pratiques de l’architecture, ou des nouveaux outils qui permettent un service public de l’accession au toit ? À l’instar de la collaboration entre l’Abbé Pierre et Jean Prouvé, ne devrait-til pas avoir plus de transversalité entre les domaines politiques, constructifs, civils … afin d’oeuvrer au minimum de la transition environnementale et du droit au logement ? La collaboration entre les instances politiques, l’Ordre des architectes et les praticiens pourrait être facteur de progrès.

3: conférence « L’invention du programme » donnée le 22 juin 2017 lors de la Biennale d’architecture de Lyon 4: http:// reinventerpourris.fr

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3. la remise en cause de la déontologie ?

par « au mieux » la nécessité d’explorer toutes les solutions à un projet et en tirer une synthèse qui aille à la fois dans le sens de la commande et de l’intérêt sociétal. Cela implique d’offrir ce qu’il y a de plus juste en fonction de la situation par un devoir de moyen, loin d’une standardisation de la réponse, et de prendre le projet au sens large comme une opportunité singulière d’écrire une histoire collective. Dans un cas plus pratique, ce devoir progressiste a conduit Alexandre Chemetoff à ré-écrire le programme qu’il considère comme « une prise de position »3, et cela grâce à des outils pragmatiques tels que le contrat et le budget. En effet, pour le projet de l’île de Nantes, dans la démarche de projet proposée, le programme était le prix. Pas plus, pas moins, l’architecte s’est engagé pour dépenser la somme allouée pour mettre en place le maximum de moyens pour qualifier ce projet urbain. La rémunération de l’architecte étant fixée par ce montant, tout intérêt personnel est balayé. Alors, l’architecte a le devoir d’élaboration de moyens pour concilier intérêt public et privé. Or, pour répondre à la commande faut-il déjà y accéder ! Et c’est avec un cynisme certain que le maire de Vernon, commune normande et site de projet Europan 13, soulève le problème du mariage forcé de la gratuité du travail et de l’intérêt sociétal. Si la profession est soumise aux règles du libéralisme, commentpeut elle répondre objectivement à la ré-invention des territoires sur les enjeux de demain? Au même titre que les avocats ou les médecins, faut-il des architectes commis d’office, qui peuvent travailler sérieusement sur ces problématiques sans piocher dans leurs propres deniers ? Comme pour le concours du Grand Paris, habilement dénoncé par l’alternative du «Grand Pourris»4 , les enjeux présentés à l’échelle nationale, européenne, voir mondiale, récompensant déjà les « starchitectes » ne considèrent pas par la discrète rémunération, le travail des jeunes architectes. Ainsi, la précarisation de la profession s’institutionnalise.


76

Source : http://reinventerpourris.fr

Source : http://monmacon.tumblr.com/


Recette ou méthode ?

«

Ce sont les plus visibles qui prennent les coups, souvent à la place du travail d’architectes à faible médiatisation et au tiroir-caisse plein. Parce qu’il y a des architectes inconnus du public dont on supporte les réalisations dans toutes les villes. Ils sont les Crésus de la profession en travaillant pour les banques, les compagnies d’assurances, les marchands de biens. Pourquoi pas, s’ils mettent leur intelligence à créer une architecture respectueuse de la perspective historique, du bien commun? Mais on leur doit trop souvent la reproduction de façades cache-misère de bâtiments montés à la chaîne, pour plus de rentabilité sur les marchés. RICCIOTTI Rudy, L’architecture est un sport de combat, Éditions Textuel, Paris, 2013, p.57

»

De la recette à la méthode, la stratégie de gestion de

(

Honoraires

)(

m2 *x indice de complexité Calcul de la rémunération

X

Temps réel Temps facturé indice de rentabilité

)

3. la remise en cause de la déontologie ?

projet est déterminante pour la qualité de l’architecture. Rudy Ricciotti, architecte contestataire, dénonce ici la confusion entre construction et architecture. L’érection d’édifices ordinaires, du quotidien qui fabriquent nos villes est l’enjeu de l’architecture. Quand les architectes choisissent le créneau du logement collectif étroite en relation avec des logiques comptables, quand la pratique est trop rationalisée pour se plier aux exigences de la clientèle exigeante, la construction remplace l’architecture. De la logique de la recette, la production bat son plein et, affiliée à des réseaux de clientèle récurrente, la gestion d’agence se moule aux exigences de la commande. La recette reviendrait-telle à exécuter les demandes du client ? Ainsi, pour aller au plus vite, l’innovation est proscrite, le devoir de moyen est un luxe, le temps est compté, le travail est contenu. Dans ce mécanisme, des logiques de taylorisme et des considérations purement mercantiles sont appliquées à l’architecture. Considérant que l’architecture ne se vend pas comme la nouvelle machine à café à la mode ou une voiture dernier cri, je me rallie au « combat » de Rudy Ricciotti pour la défense d’une méthode. La méthode est moins facilement quantifiable. Néanmoins, nous pourrions définir comme base le calcul de la rentabilité d’un projet:

77


C

78

ette « valeur outil » donne une approche globale comprenant les caractéristiques du projet, les honoraires perçus et le temps que l’agence a passé sur l’affaire. D’une part cet outil permet de cadrer le processus de projet en donnant la visibilité à la fois temporelle et financière du processus de projet. D’autre part, étant une base de discussion avec des clients plus habitués aux logiques comptables, cet outil permettrait se proposer un minimum et d’intégrer la notion de plus value. En maîtrisant les curseurs entre rentabilité et qualité, des ratios supplémentaires (bilan carbone, qualité des matériaux, économie…) ou des qualités non quantifiables (expériences de l’usager, rapport au contexte….) permettent d’être force de propositions et instigateur auprès de la maîtrise d’ouvrage de la plus value. Par la maîtrise du temps et du budget, la qualité « en plus » devient un argument de vente auprès de la commande. Tant qualitative, que quantitative, la relation commerciale entre client et architecte amorcerait l’édification d’espaces « respectueux du bien commun ».

Qui est l’architecte ?

Prospecter, assurer le fonctionnement d’une agence, assumer la

place de chef des projets de l’agence, mène souvent la gérance à être en dehors de l’agence pour garantir sa pérennité. Par ailleurs, dans le cas d’importantes agences (dont Unanime) la gestion d’agence s’apparente plus à celle d’une entreprise : gestion des planning des équipes, gestion de la clientèle, démarchage, gestion financière, création de filière avec des partenaires…. . L’essentiel du travail se base plus sur un aspect relationnel et gestionnaire de l’agence que sur celui de conception et de dessin. Durant ma Mise en Situation Professionnelle chez Unanime Lyon, j’ai pu faire l’expérience du clivage progressif entre les « chefs » et les salariés, entre les gestionnaires et la main d’oeuvre. ans une commune du Beaujolais, la SERL (Société d’Equipement et d’aménagement du Rhône et de Lyon) lance une consultation promoteur/concepteur pour certains lots dans une ZAC issue d’un processus déjà bien amorcé. Interlands, a déjà réalisé le plan directeur de la ZAC avec toutes les prescriptions urbanistiques et paysagères. Puis un architecte-urbaniste en chef a établi des fiches programmatiques par lots extrêmement

D


Ainsi, cette expérience m’a questionné : À force et à raison, de travailler à la structure de l’agence et sa pérennité, la place du gérant, est-t-elle encore celle d’un architecte ? Comment fait-il acte d’architecture ? Le seul rôle du « gros feutre » permet-il de se prétendre architecte? En somme, à quel moment devienton plus chef d’entreprise, qu’architecte maître d’oeuvre. Je reste néanmoins convaincu que le seul droit d’apposer une signature finale, ne fait pas acte d’architecture.

A

lors quel moyens pour placer avec mesure le curseur entre ces deux compétences? Le moyens de l’entreprise semble être, nous l’avons vu tout au long de l’étude, un des premiers paramètres déterminant. Des organisations moins pyramidales, plus neuronales ou transversales admettent des transferts de responsabilités et des missions en fonction des projets. Mais, pour finir nous pourrions nous demander si nous devrions pas considérer un décloisonnement entre entrepreneurs et architectes. En effet, les entrepreneurs pourraient s’engager

79

3. la remise en cause de la déontologie ?

détaillées. Afin d’élaborer le dossier de candidature avec un promoteur partenaire, deux des associés me mettent en charges de l’affaire. Je dois décortiquer les nombreux règlements et prescriptions, je dois voir ce qui est possible pour le retranscrire en dessin et en chiffre, en plan, en références et en tableaux de surfaces. Le plan masse étant déjà bien figé, le travail sur les façades, l’ambiance urbaine et paysagères, sur les traitements des espaces intermédiaires devient le coeur du projet. Le promoteur étant aussi conscient de cela, notre collaboration, nous mène a pousser chacun avec ses compétences le projet, dans le mode d’habiter pour l’un (granulométrie, mixité sociale, identification des besoins par profils) dans l’imaginaire et l’expression du paysage bâti pour l’autre. Autonome, je réalise un dossier que je remets aux associés pour qu’il puisse entrevoir le projet. Un ou deux points à affiner et le dossier est prêt pour la réunion du lendemain. Cependant, pendant la rencontre avec le promoteur et les architectes, seul celui qui a potassé le sujet est en mesure de dialoguer. Les chefs de projet restent des avis externes et critiques certes, mais déconnectés du véritable sujet de la commande et du cahier des charges. Or, afin d’établir le contrat et défendre un certaine image de l’agence par le choix des canaux de communication, les associés ont su mettre à profit leurs compétences spécifiques.


à l’Ordre des architectes pour faire travailler des architectes qui se consacrent uniquement au projet ? La déontologie et l’engagement pourraient être gage d’innovation face aux constructeurs, architecteurs et autres vendeurs de sommeil, tout en respectant la loi de 1977. Mais encore, des architectes compétents dans leurs domaines propres, pourraient-ils embaucher leurs gérants d’entreprise sans qu’il soit architecte ? À près tout l’entrepreunariat est un métier, l’architecture aussi, et ne devrons-nous pas justement travailler en collaboration transversale plutôt que dans un repli démiurgique ?

80

3.3 Un dessinateur ? une signature ? vers la fin de la mission complète ? L’image comme responsabilité

L

’image de rendu, la perspective est «ce à quoi va ressembler le bâtiment» comme l’exprime la clientèle. D’un rôle prépondérant, elle permet de communiquer et de faire appréhender le projet par les différents acteurs. En dévoilant l’enjeu du projet par un médium plus accessible que le plan ou la coupe, l’image permet de solliciter l’imaginaire collectif. Néanmoins, ce potentiel est à double tranchant. D’une part, la perspective admet différentes échelles de précisions, de détail. Une représentation évoque un discours. Autant le croquis à main levée que le collage conceptuel permettent des zones de flous qui permettent l’abstraction des détails au profit des grandes intentions du projet. Ils permettent de conceptualiser plutôt que de formaliser. D’autre part, les images de synthèses obtenues par modélisation 3D et autres logiciels de rendu photoréalistes permettent de communiquer à un stade de projet assez avancé des ambiances, des espaces déjà formalisés. Le discours est dirigé sur les détails, les matériaux, les couleurs, l’agencement suggéré par des personnages évanescents de banque d’images. Le réalisme étant toujours plus développé, la réalisation de l’image


devient un engagement auprès de la clientèle. Son caractère immersif et -trop ?- proche d’une réalité supposée implique une obligation de ressemblance entre l’image et l’édifice livré. Un gage de qualité et de confiance pour la clientèle ? A première vue oui. L’engagement de l’architecte à bâtir ce qui est convenu se contracte par le biais de l’image.

O

P

lus fort que les partis urbains et architecturaux, le photoréalisme présenté à la maîtrise d’ouvrage définit le projet définitif. Puisque les architectes savent rendre des insertion au permis de construire sans donner trop de détails - pour justement ne pas donner trop de graine à moudre aux services instructeurs-, nous pouvons nous interroger sur un constat lié à l’acte de séduction par présentation d’un produit fini plutôt que par sollicitation de l’imaginaire et la sensibilité du client.

81

3. la remise en cause de la déontologie ?

r, de plus en plus soumis aux concours, les architectes ont la nécessité de séduire le jury par la qualité du discours et du projet. La perspective est l’accroche idéale pour draguer et convaincre l’auditoire. Lisible, assez réaliste pour être accessible, mise en avant sur les planches de rendu (environ un tiers d’une planche), la perspective photoréaliste devient le projet et est le précieux sésame pour accéder à la commande. Dans ce contexte, ce sont des professionnels de l’image qui réalisent ces images à partir de modèle 3D qu’ils conçoivent eux mêmes à partir de plan d’APS fournis par les architectes. Ainsi, leur rôle est de rendre le projet le plus vendeur possible par l’image. Une fois la perspective validée, le travail de l’architecte sera de «rattraper le coup» et d’adapter le projet à l’image. Cependant, étant donnée que l’image devient un acte d’engagement de ressemblance, le graphiste ne deviendrait)il pas concepteur ? Par ailleurs, ne serait-ce pas l’architecture ellemême qui serait réduite au graphisme ?


1

Croquis à la main : proposer des concepts

D

82

3

es premières esquisses à l’image finale,le dialogue avec une client se fige par le photoréalisme de la proposition. Pour remporter le concours, le choix est de montrer au client ce qu’il attend, bloquer son engagement par l’image, et livrer un édifice au plus proche de cette dernière.

Deuxième phase de concours : rétablir l’image par rapport aux premiers retours

PERS VITTON


Exprimer des relations, des intentions, des concepts clés

2

83

Séduire le client : la façade comme seul projet, l’image comme contrat

4


PPP, Projet professionnel perdu

Le

84

Partenariat public/ privé remet en jeu les rôles des acteurs de la construction. Tandis que l’architecte maître d’oeuvre est dans la commande classique le responsable et le mandataire qui fait le lien direct avec la maîtrise d’ouvrage, cette organisation de la commande destitue l’architecte de son rôle premier. En étant mandaté par un contractant général, l’architecte subit dans un premier temps une double mise en concurrence. En effet, pour intégrer un groupement de maîtrise d’oeuvre, l’architecte doit être l’élu du mandataire. Déjà, le voici confronté à la concurrence classique. Puis, ce sont au tour des différentes équipes complètes d’être mises en concurrence sur des critères évidemment politiques (image que dégage le projet architectural) et économiques -l’argent étant le nerf de la guerre. Or, l’architecte a affaire à une double maîtrise d’ouvrage : la publique conduit la privée guidant la MOE. Un double niveau de considération qui implique d’une part, des considérations programmatiques et d’autre part des considérations économiques pour remporter la compétition. L’architecte pris en étau a un rôle d’exécutant dans lequel il doit prouver sa place. Durant mon expérience professionnelle j’ai eu l’opportunité de travailler dans le cadre du PPP en phase concours, qui, après une tumultueuse aventure a été remporté. Ayant passées les «premiers barrages» du concours, il ne restait plus que deux équipes. Le mandataire, un major du management de projet immobilier, en contact avec la maîtrise d’ouvrage donnait à l’équipe de conception la marche à suivre. Quand nous avions jugé nécessaire pour le bien de l’urbain, du projet et des usagers, de proposer différemment, nous avons dû faire la preuve du bénéfice de l’intention. Ainsi, perspectives d’ambiance, plan, coupe, façades, analyse de contexte ont été nécessaires pour se faire entendre par le mandataire et ce, malgré un planning de concours déjà contraint. D’une intention architecturale, le passage par la moulinette économique du mandataire, le projet s’est agrémenté de solutions de compris, de pansements. Entre une logique tirant les prix pour séduire l’ultime jury et dégager des marges (y compris sur le chantier), et une logique de qualité d’usage de confort et de construction du paysage urbain, l’architecte doit d’autant être force de proposition pour ne pas être seulement une main qui dessine.


85

Être force de proposition : l’image pour communiquer une intention

De l’intention architecturale au retour du pratico-pratique du mandataire

1

2


Bureau de contrôle architectural

N

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ous l’avions vu précédemment, l’étude de faisabilité est dans une certaine pratique promotariale, l’amorce pour l’architecte des principaux partis pris du projet. Les volumétries, l’organisation spatiale, le parti urbain s’organisent dans les premiers coups de crayon. L’architecte respectant sa déontologie, fait le lien entre ce qui est possible et la commande énoncée. Or, dans la pratique, une toute autre démarche voit le jour. En effet, certaines maîtrises d’ouvrage professionnelles intègrent en interne une équipe de concepteurs réalisant des esquisses. Le cumul de la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’oeuvre étant interdit, ces esquisses déjà poussées et réglementairement viables sont confiées à des architectes «indépendants». Ainsi, leur rôle est effectivement de valider les esquisses difficilement contestables aux yeux du promoteur et de son équipes. À l’architecte de faire valoir une analyse de site et de PLU pour pouvoir faire varier certains curseurs comme celui de l’urbain. En somme, son rôle est d’attester la conformité du projet, d’en endosser la responsabilité puis de proposer un projet de façade en accord avec contexte du site.

U

ne mission de bureau de contrôle qui peut effectivement être rentable pour tous. Le promoteur intègre dans son équipe des frais de faisabilité, évitant de payer un architecte «pour rien» si les parcelles d’étude ne sont pas assez rentables. Pour l’architecte, le travail étant prémaché, l’affaire demande peu d’investissement. Mais d’un point de vue éthique, par rapport au devoir d’intérêt public de l’architecture, est-ce bien viable? Sinon, n’est-ce pas une translation du métier d’architecte comme Yona Friedman l’a théorisé 1 ? N’est-ce pas parce que le recours à l’architecte est obligatoire pour ce type d’opération que la pratique perdure pour le moment ?

L

’agence d’architecture tend dans ce cas de figure à un aspect technique : un bureau de contrôle architectural qui est missionné pour valider une conformité et proposer «un truc sympathique» pour faire accepter une opération immobilière devant les services d’urbanisme des communes.

1: dans l’architecture de survie, op.cit.


87

La faisabilité et l’esquisse du projet pré-définie par le promoteur et son équipe

1

Vérifier la conformité de l’esquisse et proposer une vision urbaine

2


Vers la fin de l’architecte -bâtisseur ?

D

ans un cadre entrepreneurial admettant que la gestion du chantier est un métier à part entière, l’architecte confiant sa responsabilité, n’assure plus le suivi de chantier. Encore une fois, sa seule maîtrise du dessin lui permet de garantir sur papier, la cohérence architecturale et la conformité de la mise en oeuvre. Des outils comme le DCE et le CCTP permettent avec assez de rigueur de verrouiller l’architecture du projet. Aussi, les missions EXE 1 et EXE 2 permettent d’aboutir les intentions du projet et, par le détail d’assemblage de la matière, garantir l’éthique architecturale de l’agence dans les édifices construits.

88

Pourtant, au delà des considérations déontologiques,

le chantier permet de sécuriser la pratique. Bien qu’il soit imprévisible et chronophage, il allonge l’étendue de la mission et donc des honoraires perçus. En effet, depuis cinq ans, les dossiers aboutissant de moins en moins à cause des recours au permis de construire, et les honoraires étant payés à la purge du recours de tiers, les bilans prévisionnels sont incertains. Le chantier, d’après les chemins critiques du planning, permettent de prolonger et de donner plus de visibilité sur le devenir de l’agence. Par exemple Unanime qui a longtemps délégué le chantier, a intégré dans son équipe un architecte travaillant à temps plein sur le suivi complet de chantier (OPC compris) de certains projets. Ainsi, cette méthode permet de garantir la relation entre la conception et la réalisation au sein de l’agence et par des architectes «parlant le même langage».

Par

ailleurs, dans les précédents cas d’étude nous pouvons constater que dans une certaine pratique, l’architecte intervient ponctuellement de l’APS au DCE et en tant que prestataires de services. Plus sollicité par obligation, pour transférer des responsabilités ou pour ses compétences de dessin, l’architecte de XXIème siècle serait-il un des acteurs de la construction et non plus le coordinateur ? La fin du suivi de chantier semble sonner le glas le cohérence architecturale de la commande à l’édifice. Du moine bâtisseur décrit par dans les pierres sauvages 2 à l’architecte free-lance, la mesure et l’évolution de la profession se réalise dans l’appréciation de la mission complète

2: POUILLON Fernand, Les pierres sauvages, Éditions du Seuil, 1964


3.4 De la charrette au 35h: L’Uberisation de la profession au service du bien commun ?

De

Ouroboros

«

L’agence se composa bientôt d’une centaine de personnes auxquelles il fallait donner du travail. D’où ce qui peut apparaître comme une course continue pour obtenir les quinze à vingt millions nécessaires chaque mois. MARREY Bernard, Fernand Pouillon, l’homme à abattre, Éditions du Linteau, Paris, 2013.

Par

»

l’expérience de Fernand Pouillon, nous pouvons nous demander quelle serait la taille de l’équipe idoine pour l’entreprise ? Faut-t-il du travail pour un certain nombre de salariés ou des salariés pour une certaine quantité de travail ? L’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue, est un mouvement qui s’alimente par lui-même. En effet, la pratique actuelle de l’architecture étant incertaine, cadencée par les charrettes et les

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3. la remise en cause de la déontologie ?

l’architecture comme style de vie ou comme profession ? Jusqu’alors dans mes expériences professionnelles j’avais connu des architectes qui ne comptaient pas leurs heures par passion pour la plupart, mais aussi par nécessité. Soit pour obtenir du travail, soit pour le réaliser correctement dans les délais prévus. Au contraire, dès l’entretien d’embauche, les associés m’ont prévenu qu’ils avaient fait le choix « d’avoir une vie » en dehors du travail et qu’il garantissaient à leurs employés la possibilité d’avoir une vie de famille avec des horaires dits « de bureaux » sans avoir à faire des heures supplémentaires. Un choix inédit pour moi, qui considérait la pratique comme une charrette permanente. Par ce questionnement personnel, je suis venu à me demander comment appliquer le système des 35 heures dans une profession demandant autant d’investissement et de caféine. Comment la structure d’une agence pouvait permettre de réguler les rapports entre vie privée / vie professionnelle ? En somme, qu’implique pour l’entreprise et la profession en général, le choix du passage de la charrette au 35 heures ?


passages à vide, guettée par des arrêts de projets aussi soudains qu’inexplicables de projet, agrandir son équipe devient plus qu’une responsabilité mais un défi. Aussi, face aux conventions collectives établissant et garantissant des conditions de travail dignes, l’employeur doit s’assurer de pouvoir fournir un salaire à ses employés à la hauteur des compétences et des heures travaillées -le licenciement étant encadré et aussi coûteux socialement qu’économiquement pour l’employeur. Ainsi, la nécessité de trouver du travail plus qu’il n’en faut pour assurer la pérennité de l’équipe mène à la recherche de solutions alternatives et souvent précaires. La sous-traitance, plus libre, plus flexible s’impose dans la garantie d’une main d’oeuvre soumise et à bas coût, au profit du confort de sa propre équipe.

90 L’Uberisation de l’architecte : une « servitude volontaire »?

T

out d’abord, l’Uberisation, phénomène subversif et nouveau, est une nouvelle organisation de l’économie et du travail. Basé sur les nouvelles technologies (applications, smartphone, géolocalisation…), ce phénomène repose sur l’économie collaborative. Les rapports entre prestataires de services et client sont multiples. En effet, d’un côté le client contacte un prestataire de service (mobilité, livraison….) via une infrastructure lourde et dématérialisée grâce aux nouveaux outils de communication. Acceptant de répondre, le prestataire mandate un travailleur indépendant pour exécuter l’action impliquée par le service payé. L’Uberisation est en d’autres termes, un éclatement du système salarial et une spécialisation des compétences dans le but d’offrir « un meilleur service » au client en se libérant des contraintes habituelles de l’entreprise et du travail. Cette ode à la sous-traitance, chantonnée par Uber (service de mobilité) et diffusée ensuite par des services de livraison de repas, se propage dans de plus en plus de professions - dont celle de l’architecture ? - et impose un nouveau paradigme. Se libérer des obligations patronales et détenir le pouvoir par le travail donnerait-t-il naissance au « Germinal 3.0 » ou même au servage moderne ?1


L’exemple du fonctionnement de Foodora ou autres UberEats ou Deliveroo, dévoile une forme de « servitude volontaire » 2 dans laquelle le travailleur indépendant profite de l’opportunité immédiate de gagner de l’argent, sans construire un engagement solidaire avec l’entreprise mandataire qui elle, ne pourrait assurer un service équivalent en salariant les livreurs.

Dans la pratique de l’architecture, comment-pouvons

nous voir les prémices d’une Uberisation des jeunes architectes ? La sous-traitance serait un tremplin incertain et précaire pour certains, mais une force de production peu coûteuse pour d’autres. Quelles motivations et quelles dérives pour la profession?

D’une part, les agences qui font le choix d’externaliser

D’autre part, pour les agences qui peinent à accéder

à la commande, la sous-traitance est un moyen d’accéder à la commande et par conséquent, de pouvoir pérenniser sa pratique. Motivé par la nécessité de gagner sa vie, le travail devient alimentaire. Dénué de sens et contenu par la nécessité, le travail instaure un déséquilibre dans les rapports entre mandataire

2: LA BOETIE, Étienne, la servitude volontaire

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3. la remise en cause de la déontologie ?

le travail de l’agence ont tout à gagner par ce système basé sur la confiance puisqu’en en fin de compte, elles troquent du temps contre de la responsabilité en prennent le risque d’employer un indépendant qui ne sera pas inquiété en cas de litiges. De plus, le réseau externe de sous-traitance est une main d’oeuvre peu coûteuse exonérée de charges sociales et d’engagement salarial. Le seul engagement réside dans le contrat de mission définie dans l’action, le temps et quelques clauses de confidentialité/ exclusivité/moyens. Cela peut s’avérer un renfort ponctuel de production à moindre coût tout à fait légal. Mais rappelons que la conception ne peut pas être sous-traitée. Maigre frontière entre ce qui est défini comme conception! Certaines agences peu scrupuleuses peuvent jouer sur cette ambiguïté ténue en contractant des missions simples de dessin/représentation, mais qui sont dans les faits, de la conception pour répondre à bas coûts à des nombreux concours. Cependant, justement puisque illégale, cette pratique n’admet aucune reconnaissance pour les plus petites agences sous-traitantes. Une servitude volontaire pour la survie de ces dernières.

1: PIERRE DUQUESNE, L’esclavage moderne, livré à domicile, L’Humanité [en ligne], le 21 avril 201 [consulté le 20 juillet 2017] Disponible à l’adresse http:// www.humanite.fr/ lesclavage-modernelivre-domicile-605275


et mandaté. Dans cette situation tout devient admissible en termes de projet et de dérogation à la déontologie. En revanche, la collaboration entre deux agences peut permettre de créer des références communes et d’agir comme un véritable tremplin. Un sentiment fraternel voire paternaliste, admet qu’une agence déjà d’expérience prennent sous son aile, accompagne une agence encore plus novice. Or, nous l’avons vu sous-traitance et conception ne sont pas admises pour des raisons évidentes. Ainsi, sans une relation de co-traitance, les petites mains « uberisées » « ne peuvent prétendre à une reconnaissance autres que pécuniaires du travail fourni.

Par

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ailleurs, ce fonctionnement est pour certaines agences croisées une stratégie d’agence, proche de celui du salariat déguisé. En effet, la sous-traitance systématique avec les mêmes agences permet de subvenir aux besoins stricts de l’agence et d’établir un fond de roulement très incertain. Ensuite, avec cette base, rappelons -le encore une fois dangereusement fluctuante, l’agence peut se permettre de prendre des risques sur de la recherche et développement ou des concours. Mais, ne l’oublions pas, la précarité de la situation si les grosses agences toussent, les sous-traitant sont malades et ne disposent d’aucune assurance qui les couvrent (ni chômage ,ni indemnité de licenciement…).

A

insi, par moultes acrobaties et filoutages pourtant assez simples pour une agence déjà établie, nous retrouvons le système de création de dépendance par le travail qui entretient la prépondérance des ces derniers majors du marché de l’architecture. Un cercle vertueux pour les mandataires, un cercle pernicieux pour l’ensemble de la profession. Pour quelques architectes, pour qui « si les confrères n’ont pas de travail cela nous arrange, comme ça nous pouvons les faire travailler pour moins cher », un constat d’un pétrifiant cynisme sur la profession se dresse.

Finalement,

pour l’intérêt public, des espaces d’une qualité purement financière et intéressée sont édifiés. Dans une considérations du travail rentable et basé sur la quantité plutôt que la qualité, entretenu par une relation décousue entre les concepteurs/dessinateurs - en somme les architectes- et les chefs d’entreprises, à la pêche aux affaires, l’acte de construire devient


l’art de la magouille entrepreneuriale. De plus, l’implication dans la précarisation de la profession, par le troc du temps contre la responsabilité pour des horaires plus confortables, est, nullement besoin d’en faire la démonstration, préjudiciable pour l’intérêt collectif.

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3. la remise en cause de la déontologie ?


ENTRACTE L’ENGAGEMENT

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Dans un nouveau cadre de rapports entre les différents acteurs de l’acte de construire, Edouard Francois, architecte, s’engage par un projet manifeste. Au diable la résignation ! Le projet Pyhton est la mise en scène des nouvelles considérations portées à l’édification des espaces urbains. L’engagement par la dérision ? la démonstration par l’absurde ? Le cynisme n’est-t-il pas le reflet d’un engagement par et pour la pratique de l’architecture ? De l’autodérision à l’acte, comment puis-je construire mon engagement par ma future pratique ?

Edouard FRANCOIS in http://www.edouardfrancois.com/fr/projets/ hauteur/details/article/145/le-python/#.WXpKU8aNwy5 Source: http://www.edouardfrancois.com/ Projet :le Pyhton- Grenoble


«

Un python en ZAC ! Sur la nouvelle avenue de la Presqu’île de Grenoble, dans la ZAC « Cambridge » un bâtiment est à construire. Le maître d’ouvrage est un promoteur privé exigeant qui connaît sa clientèle. Tout est codifié. L’attique sera flanqué de deux duplex. Le soubassement sera percé d’immenses vitrines commerciales. Les balcons seront grands. Les façades seront trouées de belles ouvertures pour chercher le soleil et la vue. Sous la litanie de ces invariants de la promotion, l’ensemble devient doucement un projet « attendu », somme toute relativement banal. La sismicité de la zone achève de simplifier la volumétrie : Amen. Après plusieurs discussions avec l’architecte en chef, Christian de Portzamparc, sur les orientations de sa ZAC, il nous pousse à expérimenter. L’immeuble est en effet au milieu de la nouvelle avenue et doit porter le flambeau : non pas celui des promoteurs, mais celui de l’architecture, pour servir de repère au milieu des autres bâtiments. Les matières et les couleurs de notre nouvelle construction auront par la suite vocation à être déclinées, reprises comme autant d’échos. Nous devons faire confiance à l’architecte en chef pour nous coordonner, alors on se jette dans le vide : on innove, les autres intégrerons.

95

Mais comment, peut-on être différents, à ce stade où tout semble écrit? La messe n’est pas encore dite car il nous reste la matière de la peau. Elle nous servira de brouillage, de camouflage pour faire disparaître le tout. En regardant un sac chez Prada, je me suis dit qu’une peau de python bien « graphique » pourrait être de nature à tout brouiller. Le tout serait aussi résolument chic ; la ZAC en a besoin. Le sac est vite scanné, numérisé puis « mappé » sur la forme qui se brouille mystérieusement pour perdre toute lisibilité. Les trous noirs des fenêtres et les avancées des balcons disparaissent dans les motifs reptiliens. Au vue des premières perspectives, un pharmacien achète le RDC : il a tout compris. Le python, avec sa peau pixélisée d’écailles en losange disposées régulièrement, sera réinterprété à l’identique en métal découpé. Les plaques seront ensuite oxydées pour recréer les trois couleurs, puis assemblées afin de finaliser le dessin de la peau. Ce bardage d’un autre type est précieux et sera appliqué aux seules façades concernées par ce besoin de brouillage. Les autres, par contraste, pourront ne rien avoir à dire, et rester inexpressives et silencieuses comme peuvent l’être certains pignons dans la ville. C’est un exercice difficile, le silence - à ne surtout pas confondre avec le minimalisme qui lui est très bavard : le silence se dessine. Ces façades seront d’abord parfaitement plates avec des ouvertures minimisées, « essentielles ». Les autres donneront en courettes : un grand classique des façades dites « en attente ». Pour achever la figure, quelques cheminées seront mises en appliques. L’ensemble sera en recul de la rue. Une jolie grille en fer forgé, agrémentée de candélabres de style, tiendra seule fièrement l’alignement.

»


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O4 Être, exister, agir, innover.

pour une pratique transversale de l’architecture

Atelier MicroMega - FAV Montpellier 2017 Crédit photographique Paul KOZLOWSKI ©photoarchitecture/


4.1 L’agence d’architecture et le collectif d’architectes De l’essence à l’existence

L

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’agence d’architecture est au travers des diverses notions abordées, confrontée aux problématiques de l’entrepreneuriat. Ces dernières semblent modeler la pratique et par conséquent l’architecture qui en découle. Segments, position face à la commande, moyens mis en place pour y répondre, inscription dans un contexte socio-économique plus global, sont des curseurs de définition de l’existence d’une agence. Pourquoi et quel intérêt représente le travail que j’effectue ? Dans quel but ? Quel sens voudrais-je donner à ma pratique ? Des outils sont à forger pour définir le comment, le moyen. Ainsi, mon année de mise en situation professionnelle m’a offert l’opportunité de les appréhender sérieusement et d’apprécier leurs potentiels comme leurs limites. Néanmoins, je reste convaincu qu’une pratique pérenne réside dans le dépassement de l’intérêt personnel de l’architecte et des acteurs de la construction plus généralement. En effet, au-delà de la déontologie ainsi que d’un cadre législatif sur l’architecture, j’ai pris conscience par l’expérience, qu’oeuvrer pour l’intérêt commun donne du sens aux actes dont je souhaite demain être responsable. À l’image du médecin dans la balance entre clientèle et patientèle, de l’agriculteur entre producteur et cultivateur, l’architecte demeure de mon point de vue aujourd’hui divisé entre prestataire de service et bâtisseur. Dans l’élaboration d’une pratique de l’architecture, je choisis le patient plutôt que le client, je suis plus attentif à la qualité des potentiels qu’à la quantité des contraintes, la synthèse plutôt que l’isolement, la force de proposition plutôt que la l’exécution.

«

Derrière le fait de construire, il y a toujours une pensée qui est aussi la condition éthique de notre métier. BOTTA, Mario, Éthique du bâti, Éditions Parenthèses, Marseille, 2005, traduit de l’italien par Marie BELS. p.109

»


L

«

Être à l’écoute de tous et pouvoir traduire dans les transformations de la ville les aspirations de chacun, cela suppose d’avoir la faculté de dire non. Être attentif, engager la discussion, défendre un urbanisme négocié, n’a de sens que si on peut opposer un point de vue fondé sur le plein exercice du projet. CHEMETOFF Alexandre, Le Plan-Guide (suites), Éditions Archibooks, 2010 p.85

»

La définition d’une raison d’être sociétale m’apparaît comme

essentielle dans l’interêt de tous. En existant et en donnant du sens à la responsabilité que portent ses actes, l’architecte que j’aspire à devenir, construit des propositions, fait des choix et se crée le cadre pour travailler entre adaptation et improvisation.

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4. Être, exister, agir, innover

a mise en place d’une « condition éthique » défendant des valeurs au delà de mon intérêt personnel, est pour moi, le socle de ma future pratique pour que l’architecture remplisse son devoir d’intérêt public. Dans ce sens, au fil de mes diverses expériences, je considère que le principal levier d’action de l’architecte réside dans sa capacité à tisser des liens entre les compétences, de construire les ponts entre des logiques bien distinctes et d’organiser la rencontre entre les protagonistes, du client à l’usager en passant par les acteurs de la mise en oeuvre. Aussi, l’architecte dans son travail comme dans l’organisation de sa pratique doit faire la synthèse entre la viabilité socio-économique et la qualité architecturale et culturelle de la construction. Pour que l’architecture soit un acte et non du papier griffonné, pour que -comme l’énonce Le Corbusier- nous n’oeuvrons pas seulement pour de la construction mais aussi pour de l’émotion, je considère qu’il faut défendre un processus d’implication auprès des clients plutôt qu’un produit livré clé en main. De plus les outils résident dans les compétences de coordination et de leadership de l’équipe de maîtrise d’oeuvre. En réunissant en amont du projet les bureaux d’études, les services d’urbanisme, le programme du client, le travail de l’architecte consiste alors à concevoir des propositions et d’établir des choix, plutôt que de remettre en cause l’intégralité d’un travail solitaire qui se solde par l’acceptation de solutions subies. Or cette compétence demande une attitude claire et définie pour délibérer, d’où la nécessité de ne pas se contenter « d’être » mais « d’exister ». Cela est en quelque sorte le premier pas qui légitime le rôle de l’architecte.


Recto / Verso

T

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andis que l’agence d’architecture, bien qu’oeuvrant pour l’intérêt commun, est out de même régie par les impératifs entrepreneuriaux, quid des pratiques alternatives de l’architecture ? L’architecture s’étendant au regard des « studios » italiens ou encore des métabolistes japonais au-delà de la maîtrise d’oeuvre, le rôle de l’architecte n’est plus celui de répondre à la commande, mais bien d’être un acteur de l’évolution de la société. En effet, Superstudio et Archizoom ont proposé par le prisme de l’architecture des regards différents sur les modes d’habiter de leur époque. Sans commande, sans projet « à vendre », ils mettent en avant de leur propres chefs le devoir de conseil de l’architecte. Sortant d’un cadre purement mercantile, la nécessité de la situation pousse à l’action bénévole. Ainsi, dans ce cadre, les collectifs d’architectes fleurissent. La passion du travail et la volonté d’agir dans un cadre plus libre implique de sortir du schéma de l’entreprise pour développer des activités qui ne sont pas soumises à concurrence directe puisque ces structures sont pour la plupart à but non lucratif.

Microméga, collectif d’architectes monté avec quatre

autres camarades de l’ENSAG, est dans ce sens une association loi 1901 à but non lucratif. L’activité développée en parallèle de nos emplois respectifs est un moyen pour nous, jeunes architectes, de s’exprimer sur des sujets qui retiennent notre attention. La participation au FAV (Festival des Architectures Vives) illustre notre démarche. Nous avons dès le début voulu nous placer sur des activités qui ne concurrençaient pas des agences d’architecture. Organisateur de concours pour jeunes architectes avec un soutien financier pour la réalisation de l’installation, le FAV n’a pas pour vocation de rémunérer mais de promouvoir le patrimoine de Montpellier, les jeunes architectes et de sensibiliser le grand public à l’architecture. Sensibles à ces considérations, nous avons participé en proposant une installation. Sélectionnés et avertis, nous avons dû monter le projet sans rémunération. Ainsi, nous avons trouvé des partenaires professionnels pour nous sponsoriser. Avec des déductions d’impôts, cette collaboration représente un avantage pour toutes les parties. Nous pouvons construire le projet, les partenaires gagnent en visibilité à moindre coût, les futurs visiteurs pourront


Je considère cette pratique alternative comme vitale

et complémentaire à ma future pratique puisqu’à l’image d’une feuille de papier, elles représentent un recto et un verso, distincts mais composant ensemble la même entité.

101

4. Être, exister, agir, innover

déambuler dans le futur pavillon. Par ailleurs, nous avons souhaité incorporer une dimension sociétale au projet : la transformation du projet en action sociale. En effet, en montant un financement participatif, nous avons proposé aux particuliers de financer non seulement une partie du projet, mais aussi des futures installations pour des crèches solidaires. Le pavillon étant construit de jouets pour enfants, à la fin de l’exposition, il sera au service de l’épanouissement des plus petits. Nous avons pu tenir nos engagements à force de travail, mais nous n’avons pas touché de rémunération pour celui-ci. L’engagement était total et sincère, notre vision d’architecte nous a porté à mettre à profit nos compétences et notre temps libre au service de la communauté. Échappant volontairement à la nécessité de profit pour assurer des frais de fonctionnement, ce projet nous a mené à nous exprimer davantage en tant qu’individus qu’en tant que professionnel. Néanmoins, nous avons pu dans ce cadre plus libre, expérimenter des principes d’organisation, des outils alternatifs de montage de projet, et surtout de considération de la commande. Dans ce cadre nous pouvons générer une commande que nous soumettons à l’intérêt et au jugement du grand public. Serait-ce un pas de plus vers le rôle sociétal de l’architecte ? Cette activité de « collectif » bénévole et engagée et l’activité professionnelle (MSP et cours de HMO-NP) se sont complétées entre fonctionnement et expérimentation.


4.2 Rendre l’architecture accessible: communication et médiation Le mythe de Sisyphe

L

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e mythe de Sisyphe est le récit d’un homme rusé qui osa défier les dieux grecs. Chaque jour, il est condamné à porter un rocher au sommet d’une montagne. Néanmoins, le rocher retombant chaque jour du sommet, Sisyphe recommence inlassablement sa tâche. Albert Camus, dans Le mythe de Sisyphe1 interprète ce récit comme la naissance d’un héros absurde. Bien que sa mission soit a priori vide de sens et le poussant au renoncement par désespoir, Sisyphe accompli son devoir sans relâche cultivant une satisfaction à défier une nouvelle fois les dieux. En somme, il détourne le triste sort qui lui est dévolu et porte chaque jour l’étendard d’un travail lourd de sens dans un monde qui lui, n’en a pas toujours. Enfin, cette lecture de Camus, n’est autre qu’une ode à l’accomplissement par la persévérance du labeur, d’un passage à l’acte plutôt qu’à l’attentisme de l’espoir.

«

Le défi de l’architecture de demain est de continuer à être un récit compris par chacun et porteur d’un projet de société. RICCIOTTI Rudy, HQE- La HQE brille comme ses initiales sur la chevalière au doigt, Éditions LE GAC PRESS, 2013 p.86

»

Ainsi, quel rocher voudrais-je pousser sans relâche malgré certaines absurdités de la situation ? Quels outils peuventm’aider dans cette ascension ? Plutôt que de paraître solitaire et absurde, ne serait-il pas plus judicieux de fédérer pour accomplir cette mission ?

Réhabiliter l’image de l’architecte

Nous l’avons précédemment vu, la question de l’image

renvoie directement à l’acquisition d’une commande par le jeu de séduction entre le client et son architecte. En effet, l’attitude de l’architecte laisse entrevoir la considération qu’il porte à son travail. Sérieux et conventionnel, décalé et créatif, plasticien ou bâtisseur, les postures sont multiples et surtout à assumer.

1: CAMUS Albert, Le mythe de Sisyphe, éditions Gallimard, 1942 2: BOTTA, Mario, Ethique du bâti, Editions Parenthèses, Marseille, 2005, traduit de l’italien par Marie BELS.


Extrait du film : KAHN Nathaniel, My Architect ; A Son’s journey, 2004.

«Il nous a offert l’instrument de la démocratie [...] il a payé de sa vie»

C

4. Être, exister, agir, innover

Dans la conception, dans la communication visuelle, dans le travail au long du projet, l’image de l’architecte permet au grand public de l’identifier et de démystifier la profession. Puisqu’il y a tant de manières de pratiquer l’architecture, le rôle de l’architecte reste à être diffusé au grand public. Avec un entourage étranger à l’architecture, j’ai pu constater que l’architecte « d’extérieur » était souvent considéré comme l’artiste du premier coup de crayon des bâtiments publics et que l’architecte « d’intérieur » était chef de chantier pour les logements de particuliers. « Et le musée de la Confluence, tu trouves ça beau ? encore un délire d’architecte qui se prend pour un artiste ! » Cette question récurrente m’est posée quand je dis que je suis architecte et que je viens de Lyon. L’architecte est associé à l’image du projet édifié. ependant, l’acte de construire représente à mon avis bien plus qu’un jugement de valeur de la construction. En transformant « un état de nature en état de culture »2 , la plus value de l’architecture ne doit pas être cantonnée à la simple édification rationnelle du bâti. Comme le souligne avec émotion l’architecte bangladais Shamsul Wares, Louis I. Kahn en bâtissant l’assemblée du Bangladesh à Dhaka, a construit l’image de la démocratie. Derrière le béton, brille parfois plus fort que la matière, un récit commun. Ainsi, il est du devoir de l’architecte de décloisonner la profession et de rendre accessible l’histoire du projet, de l’équipement public à la maison, de la symbolique collective à l’imaginaire personnel.

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L’architecture est l’affaire de tous

Démystifier l’architecture et faire appréhender ses vastes

104

champs d’action est alors un enjeu collectif de communication: l’architecture est l’affaire de tous. Tant usager que concepteur, que client et architecte, nous sommes responsables de l’environnement que nous bâtissons. Alors, l’architecte dans son devoir de conseil, devrait être initiateur et relais des nouveaux modes d’habiter. La communication externe de l’agence est un outil efficace d’autant plus que les nouveaux réseaux sociaux se démocratisent. Instagram, Facebook, Twitter, permettent de diffuser largement, facilement, et rapidement des visuels à toutes étapes du projet. De l’esquisse au chantier, la transparence et la mise en scène du processus impliquent les « followers ». De la même manière qu’Alexandre Chemetoff transformant certaines phases de chantier de la place Napoléon (La Roche-sur-Yon) en véritable spectacle, l’événement permet au grand public de se saisir d’une part du récit. e plus, durant le FAV, avec Microméga, en publiant régulièrement les différentes étapes de conception, de montage et de l’exposition, nous avons rendu le processus architectural immersif.

D

«

Nous avions l’impression d’y être, et nous nous sommes attachés à la Madeleine, c’était un peu notre projet aussi. Jean de P. Contributeur pour La Madeleine , Atelier Microméga

»

Par ailleurs, les médias de diffusions étant de plus en

plus accessibles, la possibilité de pouvoir écrire et publier des articles sur des sujets d’actualité, sur les projets, sur la technique est encore un moyen à portée de main de l’architecte. Il s’agirait ici autant de produire une actualité pour faire une vitrine que d’être le relais de la transformation des modes d’habiter, de construire, de penser. Certaines agences comme OMA (Rem Koolhaas), MVRDV, Lacaton Vassal ou plus récemment LAN avec leur ouvrages Traces, théorisent et publient des ouvrages sur leurs pratiques. D’une part, l’intérêt est de promouvoir le « savoir-faire », une base théorique, l’éthique de l’agence auprès d’un public aussi bien professionnel que particulier. D’autre part, la sensibilisation et la diffusion de l’architecture engendre -par la visibilité et la


présence- un intérêt pour le grand public. Plus accessible, plus lisible, l’image de l’architecte serait ainsi moins idéalisée et plus proche des divers domaines d’intervention, du territoire à la mise en oeuvre de la matière. La production de culture pourrait par ces moyens être en adéquation avec des logiques d’entrepreneuriat et d’intérêt public.

P

lus que faire de la publicité, l’enjeu pour tous, architecte comme usager, est d’inciter le grand public à s’intéresser à la construction et l’aménagement de l’environnement. Événements culturels, médiation avec des écoles, transparence des processus de projet pour les édifices et des espaces publics sont des leviers d’action pour une agence. Rien que sur une considération d’honnêteté par rapport aux contribuables, la transparence de l’architecture vis-à-vis de la société est nécessaire : elle appartient à tous. Est-ce une activité relative à un collectif d’architecture type Microméga ? Pas forcément. Certaines agences comme NBJ à Montpellier ont intégré l’association « Champ libre » avec les membres de leur agence pour organiser des sessions pédagogiques dans les écoles primaires, ou encore pour organiser le Festival des Architectures Vives afin de promouvoir les jeunes architectes et le potentiel du patrimoine montpelliérain.

définitive, ce travail de fond, pas directement rémunérateur est une vision à long terme pour pérenniser une pratique tout en respectant la déontologie et le rôle sociétal de l’architecte.

4. Être, exister, agir, innover

En

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4.3 L’expérimentation comme outil d’évolution de la profession

«

Nous sommes aujourd’hui à la préhistoire d’une nouvelle utopie, à l’orée de la voie humaine. Reste à s’y engager, dans la violence de l’instant, la modestie du quotidien et la démesure de l’idéal. ATTALI Jacques, La Voie humaine : Pour une nouvelle socialdémocratie, Éditions Fayard, Paris, 2004.

»

Les pierres sauvages

D

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ans le prisme d’une prise de responsabilité et d’engagement en tant qu’architecte praticien, je considère comme valeurs premières le respect d’une déontologie, de l’Ordre des architectes, mais aussi une prise de responsabilité face aux enjeux de demain comme la question des ressources, de l’écologie et de la qualité de vie des individus. Ainsi, je cultive une certaine sensibilité à une pratique essentielle de l’architecture. J’estime personnellement que l’architecte bâtisseur décrit par Fernand Pouillon dans les pierres sauvages1 combine mes aspirations en tant qu’homme et en tant qu’architecte. L’engagement, ici monastique, et la frugalité de l’architecture correspondent à une ligne de conduite que je souhaiterais mettre en pratique, grâce aux outils développés dans ce mémoire et ceux encore en gestation. Le travail du temps et de l’humain, du sens du coup de crayon à la coordination des équipes jusqu’à la mise en oeuvre par rapport aux potentiels présents, éveille en moi un accomplissement total. Je me tourne alors vers une pratique « essentielle » de l’architecture. Une pratique plus artisanale et fondamentale pour défendre avec créativité et engagement des valeurs éthiques et politiques sur l’évolution des territoires. Aussi, je tends à tenir une responsabilité envers l’intérêt public. J’entends par là un toit décent pour tous, un territoire pour tous, une gestion à la fois constructive et émotionnelle de l’édification. Dans ce sens je reconnais l’initiative et le travail en collaboration. L’engagement à apporter mes compétences au service des plus démunis m’amènera à prendre position et à agir sur des questions d’actualité comme ont pu le faire Jean Prouvé et l’Abbé Pierre en collaborant pour un habitat minimal. En somme, j’envisage le rôle de l’architecte comme concepteur et bâtisseur, du stylo à la pierre assemblée, en considérant la mission complète plutôt que la prestation de service. J’ai saisi la nécessité de la complémentarité entre conception et chantier dans la dualité entre

1: POUILLON Fernand, Les pierres sauvages, Éditions du Seuil, 1964


mes expériences sur chantier en tant qu’ouvrier et mes expériences d’agence. En effet, pour être garant de la qualité des espaces, l’architecte doit pouvoir échanger des compétences entre l’expert, l’artisan, et la synthèse, le concepteur. L’édification d’un projet liant site et détail, est une aventure collective dont l’architecte est le garant.

Yes is more

En revanche, je considère ma future pratique de l’architecture

Ainsi, l’évolution de la profession me parait essentielle et j’aspire à me donner les moyens de remplir par l’innovation mon engagement d’architecte et cela en collaboration avec les garants de la déontologie ainsi que les multiples acteurs de la construction.

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4. Être, exister, agir, innover

comme un engagement au progrès et à l’innovation. Dans un contexte de fortes concurrences avec d’autres corps de métiers (constructeurs, géomètres…), je considère que la structure de l’entreprise de l’architecte doit permettre d’avoir un tour d’avance en apportant des plus values : celles de l’innovation et de l’improvisation. Le travail prospectif, les publications, la participation à des concours d’idées, nourrissent le travail plus « pratique » de l’architecte. Ce travail prospectif m’amène à me rallier au discours de Bjarke Ingels, fondateur de l’agence danoise BIG, « Yes is More »2. Signifiant que nous devons faire le plus avec le moins, de faire des contraintes des potentiels, du confort avec du frugal, de l’innovation avec du bon sens, je trouve dans cette philosophie l’excitation de l’invention utile , c’est à dire du progrès. Cela concerne aussi bien le projet que le progrès et l‘évolution de la profession. Par exemple, l’agence danoise constatant des ségrégations spatiales à cause de la gentrification et de la spéculation immobilière, proposa un projet pour une vaste parcelle à Copenhague. Plutôt que de répondre, même avec le plus d’innovation possible, à une commande, les architectes ont agi en amont sur un sujet d’actualité. L’agence BIG a généré une commande à partir de besoins non formulés mais pourtant bien présents. En revanche ce fut un travail bénévole ou en tout cas à perte. Cependant pour intégrer ce type d’initiative dans une structure entrepreneuriale, des architectes et urbanistes néerlandais ont proposé un projet de passerelle à Rotterdam entièrement financé par crowdfunding (financement participatif). Ainsi, les donateurs reversent des fonds à une association du quartier assurant la maîtrise d’ouvrage et financent à la fois un tronçon de la passerelle mais aussi les honoraires d’architecte.

2: BIG, Yes is more, Taschen, 2009, traduit en français par Gabriel Baldessin


4.4 Et si les 7 mercenaires avaient des stylos ?

« 108

Un petit village de paysans du nord du Mexique subit les raids incessants de bandits menés par le pilleur Calvera. Accablés par cette situation, les paysans décident d’aller chercher du soutien de l’autre côté de la frontière américaine. Ils le trouvent en la personne de Chris, baroudeur taciturne et excellent tireur. Ensemble, ils recrutent six autres hommes, tous mercenaires, chacun motivé par des raisons personnelles et un sens de l’honneur propre… Synopsis du film : Les 7 Mercenaires, John Sturges, USA, 1960, Drame/Thriller, 128 min, disponible http://www.allocine.fr/film/ fichefilm_gen_cfilm=837.html

»

Et si Chris était architecte, comment mènerait-il son

entreprise ? Armé de stylos et d’un regard transversal, il saurait certainement s’entourer des bonnes compétences pour remplir au mieux sa mission. C’est effectivement comme cela que je construis mon approche de l’architecture.

Ma

formation au sein du Master Aedification-Grands territoires-Villes à l’ENSAG a aiguisé mon regard et ma sensibilité aux multiples échelles qui composent les missions de l’architecte. Du PLU à l’ étude de territoire pré-opérationnel, de la mission d’architecte en chef à l’élaboration du détail technique, je ne me considère pas comme un spécialiste mais plus comme un généraliste. J’apprécie la richesse du travail en collaboration et l’élaboration d’équipes sur-mesure pour un projet. Ainsi, la structure d’une agence pourrait être une base sur laquelle viennent se greffer temporairement, le temps du projet, des compétences spécifiques et diverses. Dans le cadre du projet de l’île de Nantes par Alexandre Chemetoff, l’organisation des rencontres entre interlocuteurs, la convocation des équipes des sociologues, d’historiens, de journalistes, ont bousculé les montages classiques de maîtrise d’oeuvre et ont abouti dans le sens du projet et des futurs usagers. Je pense aussi à l’exemple de la Crystal House de MVRDV, qui a été l’opportunité de créer de liens avec des écoles d’ingénieurs pour réaliser des briques de verre innovantes. Je considère l’architecte comme une synthèse de la commande et le catalyseur du projet qui néanmoins, avoue ses


carences de compétences et qui sait ainsi s’entourer, improviser et gérer le passage de l’idée à la matière assemblée. Or, derrière les actes des 7 mercenaires, se cache une motivation personnelle les amenant à mettre leurs compétences pour un intérêt les dépassant. Nourri par des références multidisciplinaires et radicales telles qu’Archigram, Superstudio, Arata Isozaki et plus récemment MVRDV, je cultive par leur travail une ambition plus politique. D’une part, derrière une architecture manifeste, presque subversive et même monumentale, se cache une prise de risque que rigueur plastique et constructive permettent d’assumer face à la responsabilité sociétale de l’architecte. D’autre part, au regard de MVRDV, radicalité, simplicité, inventivité et expérimentation permettent l’invention de nouveaux outils théoriques servant directement la pratique. En requestionnant cette dernière, ils détournent les contraintes au service de l’innovation: une architecture de plus value. Plus que de proposer une vision sur la société, je considère la construction de ses espaces aux ambiances et aux détails soignés.

1: http://www.batiactu.com/edito/ corinne-vezzoniveut-rendre-incontructible-ensemble

109

I

En

définitive, en tant que futur Architecte HMO-NP, je retiens que la modestie de l’architecte n’est pas d’avoir la prétention d’imaginer le changement, mais d’avoir l’ambition de le bâtir.

4. Être, exister, agir, innover

néluctablement, je conçois ma future pratique au delà de la pérennisation d’une agence d’architecture mais bien comme un engagement politique. Sensible aux actions coups de poings de Corinne Vezonni qui propose de rendre l’ensemble du territoire français inconstructible 1, à la collaboration conjointe avec l’Ordre des architectes, je reste néanmoins étonné de constater la faible représentation / implication des architectes directement en politique. Au delà des considérations entrepreneuriales d’une agence d’architecture, au delà des outils à mettre en place pour garantir la pérennité d’une éthique, au delà du détournement des contraintes réglementaires, je m’interroge sur la nécessité de considérer en amont les évolutions d’une pratique en pleine mutation. Ainsi, plutôt que de transgresser la déontologie, j’imagine que le travail de terrain par l’agence comme un vivier d’innovation pour débattre d’une profession «d’intérêt public ».


CONCLUSION 110


111

DU RISQUE À L’INNOVATION: ÊTRE RESPONSABLE. PFE La Pêcherie Fidelin, A. Lahaye, G. Martinez, S. Saulnier, 2016


L

112

es choix d’entreprise et de fonctionnement d’une agence déterminent en fin de compte la qualité de l’architecture produite. En effet, par la relation avec la maîtrise d’ouvrage, le choix de la commande et de communication, la posture « image de marque » de l’agence, les ressources humaines ainsi que la considération de la profession, n’entraînent pas seulement sa propre pratique mais impactent la profession plus globalement. Les choix mènent à l’acte, l’acte à la responsabilité, l’engagement donne le sens. Aussi, je retiens que seule une posture claire, une éthique définie, un sens à donner aux actes, permettent de développer une pratique par le biais de l’agence. Je considère que pour être d’intérêt public la structure entrepreneuriale d’une agence d’architecture doit être un moyen plutôt qu’une fin. Elle est un outil permettant d’agir dans la direction donnée par la raison d’être de la pratique. Est-ce là peut-être une définition de ce que pourrait être la qualité architecturale : quand l’acte d’architecture porté par une vision sociétale, produit une valeur ajoutée au-delà des intérêts personnels des différents acteurs de la construction ?

A

insi, cette expérience de HMO-NP est le déclencheur d’un passage à l’engagement et à la prise de responsabilité qui, au sens existentialiste, permettent l’accomplissement personnel en tant qu’homme et architecte. Alors, les choix d’agence et de pratique sont des prises de positions qui doivent être assumées et portées avec une obligation de moyens. De plus, je considère qu’il y a pas d’engagement total sans prises de risque ni de dépassement. Je prends pour exemple du projet La Passerelle à SaintDenis (France) d’Architectes sans Frontières en collaboration avec l’architecte NICLAS Dünnebacke. En effet, pour donner un toit et des espaces décents aux plus démunis, l’architecte a dû innover avec des matériaux de récupération, composer avec des usagers impliqués, avec leurs compétences et a dû bousculer les schémas classiques de construction pour que le projet se réalise tout en respectant la responsabilité déontologique. Un engagement qui mène à faire bouger les pratiques au-delà de l’intérêt personnel ou professionnel. Je reconnais alors essentiel pour ma future pratique de pouvoir expérimenter et être vecteur de progrès architectural tout en assurant mes devoirs de bâtisseur. Dans


ce sens, je m’engage à respecter la déontologie et la garantie de l’intérêt public, et en cela, je m’engage à accompagner conjointement l’évolution d’une profession qui est avant tout une passion. L’expérimentation et la sortie du cadre me permettrons d’injecter dans ma pratique des outils que j’aurais pu forger ailleurs et qui stimuleront, je l’espère, ma capacité à improviser et trouver des méthodes adaptées pour chaque projet. Tout comme Yona Friedman , un« frondeur », je tends à questionner le rôle de l’architecte à travers le prisme de la nécessité de la différence entre construction et architecture. Bien que sensible aux fondements d’une architecture de survie 1 , je reste engagé au plaisir de l’usager et à l’expérience que l’architecture procure : l’engagement à l’écriture de la culture dans la mise en oeuvre pérenne de la matière.

E

n me définissant une raison d’être, une dynamique, un engagement philosophique, je considère que tout est architecture. Il n’il y a pas de « boulots alimentaires », tous les projets valent ce que nous voulons bien leur considérer. Ainsi, je n’aspire pas à me bloquer dans un seul type de commande mais plutôt à travailler pour des valeurs, des concepts qui m’emmèneront voyager, qui me feront construire un ERP comme une maison individuelle. Chaque projet devient un prétexte à l’invention, à l’aventure. Tout comme au regard, j’admets une grande importance à l’écoute. Assimiler les enjeux d’une commande et en faire la synthèse, c’est pouvoir désobéir pour proposer plus juste.

P

ar ailleurs, à travers la rédaction de ce présent mémoire, de ma formation en Aedification -Grands TerritoiresVilles et notamment grâce aux expériences au sein de Microméga, je cultive une volonté à reprendre en amont le rôle de l’architecte. Je comprends dans l’évolution de la profession que ce n’est pas en trouvant des solutions bricolées qui mènent aux limites de la déontologie, de la légalité et plus grave de la considération du travail et de l’humain, que réside l’avenir de la pratique. Plutôt que d’appliquer des pansements sur une fracture ouverte, je souhaiterais oeuvrer à la résolution de la fracture elle-même. Pour cela, j’estime que ma future pratique sera portée par mon indignation, mon engagement et ma créativité. Pour moi, l’innovation réside dans l’invention du programme et de la commande, en respectant la coupure de tous liens d’intérêts personnels. En revanche, je considère que tout travail mérite

1: Selon Yona Friedman

113


salaire et que l’élaboration d’une agence sera le moyen de pérenniser mon engagement et de pouvoir vivre de ma passion. En somme je considère mon avenir non seulement comme homme de chantier mais comme accompagnateur de tout un processus projet; un montage « à l’ancienne » avec les moyens d’aujourd’hui et de demain, Des pierres sauvages 2 à Yes is More3.

« 114

Demain, je ne sais pas quel architecte je serai, mais je n’aspire pas à la sagesse. RICCIOTTI Rudy, HQE- La HQE brille comme ses initiales sur la chevalière au doigt, Éditions LE GAC PRESS, 2013 p.85

En

»

définitive, en étant reconnu responsable de mon engagement par la HMO-NP, je pourrais construire le chemin de ma pratique en forgeant, tout au long de celui-ci, les expériences et les outils que je saurais mettre au service de la société. Les voyages à venir me permettront d’établir des liens, des regards croisés, et d’expérimenter par la remise à plat des acquis. Sortir de ma zone de confort et me faire surprendre par d’autres façons de faire seront le moteur d’une pratique toujours en mouvement. Dans ce sens, l’engagement futur dans Architectures Sans Frontière est l’expression d’une volonté d’agir par conviction et de se tenir responsable de mes compétences. Aussi, il représente un cadre d’expérimentation tout en répondant aux valeurs que je partage et démontrer au contexte français la possibilité de l’alternative. En parallèle, l’investissement dans Microméga est l’opportunité d’inventer de nouvelles commandes et de s’inscrire dans de nouvelles pratiques grâce aux partenaires de la profession. Il ne s’agit pas de subtiliser le travail des architectes sous couvert d’une association amicale, mais plutôt d’explorer des champs d’action encore inconnus ou délaissés par les professionnels. Microméga représente pour moi, un incubateur d’innovation dans la pratique et le rôle de l’architecte. Je n’exclue pas la possibilité d’un engagement futur dans l’Ordre des architectes pour travailler à développer un cadre : Comment ne pas faire innover sans faire du bricolage ? Comment passer du risque à l’innovation ? Plus qu’une police, je considère l’Ordre comme un allié compétent à consulter pour sa capacité de force de proposition et d’évolution.

2: op.cit. 3: op. cit.


N

e serait-ce pas prétentieux d’écrire cette profession de foi sans avoir l’ambition de la mettre en pratique ? insi, avec Gauthier Martinez, ami, collègue de HMONP et compagnon architectural et philosophique, nous partons faire le bilan en Amérique du Sud avant de nous lancer cette foisci pour de bon dans l’aventure d’un engagement architectural. Un engagement qui débute en Amazonie équatorienne par la participation volontaire pour concevoir et suivre le chantier d’un centre d’interprétation pour une communauté de 400 Kichwas. En lien direct avec la communauté, les ressources locales qu’admettent la forêt, l’isolement ainsi que des conditions climatiques contraignantes, cette expérience en Ecuador est l’opportunité pour nous de remettre à plat nos acquis et de réaliser véritablement l’accomplissement d’un engagement envers « l’essentialité » de l’architecture. ’imprévu étant la plus stimulante des motivations, je perçois que la formation continue tout au long de la pratique est indispensable. Dans un projet de future création d’agence, je souhaite me donner les moyens de me faire surprendre et d’accumuler un potentiel de compétences spécifiques. Reparti pour une formation de praticien pour appréhender plus profondément l’acte de construire, je considère que la HMO-NP est le sésame de l’engagement : elle rend saisissable l’opportunité et la responsabilité qui en découle motive la qualité du travail.

A

L

Responsable et engagé, je tiens le serment d’exercer

toujours avec la même passion qui m’anime, de respecter la déontologie de l’architecte, mais surtout d’exercer avec hargne s’il le faut, au service de l’intérêt collectif. L’incertitude et l’imprévu me mettront certainement à l’épreuve, mais je me remets au conseil d’Alvar Aalto :

«

Nous ne pouvons éliminer les erreurs, mais nous pouvons faire en sorte d’en commettre le moins possible ou, mieux encore, d’en commettre de sympathiques. AALTO Alvar, La table blanche et autres textes, Éditions Parenthèses, Marseille, 2012, traduit du finnois par Anne COLIN du TERRAIL. p. 274

»

115


BIBLIOGRAPHIE Ouvrages: AALTO Alvar, La table blanche et autres textes, Éditions Parenthèses, Marseille, 2012, traduit du finnois par Anne COLIN du TERRAIL. ATTALI Jacques, La Voie humaine : Pour une nouvelle social-démocratie, Éditions Fayard, Paris, 2004. ARDEN Paul, Vous pouvez être ce que vous voulez être, Éditions Phaidon, 2004 BIG, Yes is more, Taschen, 2009, traduit en français par Gabriel Baldessin

116

BOTTA Mario, Éthique du bâti, Éditions Parenthèses, Marseille, 2005, traduit de l’italien par Marie BELS. CAMUS Albert, Le mythe de Sisyphe, Éditions Gallimard, 1942 CHEMETOFF Alexandre, Le Plan-Guide (suites), Éditions Archibooks, 2010 FRIEDMAN, Yona, L’architecture de survie, une philosophie de la pauvreté, Éditions de l’éclat, Paris, ré-édition de 2016 de la version augmentée de 2002, première édition en 1977. HESSEL Stéphane, Indignez-vous !, Éditions Indigène, Montpellier, 2011 MARREY Bernard, Fernand Pouillon, l’homme à abattre, Éditions du Linteau, Paris, 2013. MARREY Bernard, L’abbé Pierre et Jean Prouvé, Éditions du Linteau, Paris, 2010. « MVRDV, Dream Works » , (2016), Arquitectura Viva, n°189-190 LA BOETIE Etienne, la servitude volontaire, Éditions J’ai lu, collection Librio philosophie, 2013, texte original de 1576 LE CORBUSIER, Entretien avec les étudiants des écoles d’Architecture dans La Charte d’Athènes, Éditions Points Essais, Paris, 1971 POUILLON Fernand, Les pierres sauvages, Éditions du Seuil, 1964 RICCIOTTI Rudy, HQE- La HQE brille comme ses initiales sur la chevalière au doigt, Éditions LE GAC PRESS, 2013 RICCIOTTI Rudy, L’architecture est un sport de combat, Éditions Textuel, Paris, 2013. SARTRE Jean-Paul, L’existentialisme est un humanisme, Éditions Gallimard, Paris, 1996.


Presse en ligne et site internet : ArchitectsIMet , «LYON I FR I Jacques Delattre » , < https://architectsimet.com/ 2013/09/16/218/>, 16 septembre 2013, consulté le 30 avril 2017. DUQUESNE Pierre, L’esclavage moderne, livré à domicile, L’Humanité [en ligne], le 21 avril 201 [consulté le 20 juillet 2017] Disponible à l’adresse http://www. humanite.fr/lesclavage-moderne-livre-domicile-605275 JACQUOT Catherine, présidente du Conseil National de l’Ordre des Architectes, Voeux 2017, le 18 Janvier, disponible http://www.architectes.org/actualites/ entre-murs-et-culture-les-voeux-de-la-presidente-du-conseil-national-de-lordre F.L, « Corinne Vezzoni propose de rendre «inconstructible» l’ensemble du territoire », Batiactu, le 28/04/2017 Disponible à l’adresse: http://www.batiactu. com/edito/corinne-vezzoni-veut-rendre-incontructible-ensemble-48952.php consulté le 1/05/2017 FRANCOIS Edouard in http://www.edouardfrancois.com/fr/projets/hauteur/ details/article/145/le-python/#.WXpKU8aNwy5 L’ABEILLE ET L’ARCHITECTE, « Du travail spéculatif en architecture ou la mort des architectes. , 04/11/2014, Disponible à l’adresse : https:// labeilleetlarchitecte.wordpress.com/2014/11/04/du-travail-speculatif-enarchitecture-ou-la-mort-des-architectes/ , consulté le 01/05/017 LE CHATELIER Luc, « “Réinventer Paris”, ou le piège des architectes », Télérama [en ligne], le 08/02/2017, disponible à l’adresse :http://www.telerama.fr/scenes/ reinventer-paris-le-piege-des-architectes,137984.php, consulté le 28/04/2017 WHYARCHITECTURES, Les trois stylos de l’architecte, [vidéo en ligne] in architectes.org , Ordre des architectes, 22 décembre 2015, [consulté le 01 mai 2017]. durée 00:02:26, Disponible à http://www.architectes.org/atom/6422 http://www.architectes.org/loi-n°-77-2-du-3-janvier-1977-sur-l-architecture consulté le 5 juillet 2017 http://www.ledemocratevernonnais.fr/2014/10/23/de-jeunes-architectes-avernon/ http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/index.html consulté le 5 juillet 2017 http://reinventerpourris.fr

Films et conférences : My Architect ; A Son’s journey, KAHN Nathaniel, 2004. The Magnificent Seven, Les 7 Mercenaires, John Sturges, USA, 1960, Drame/ Thriller, 128 min CHEMETOFF Alexandre, « L’invention du programme » donnée le 22 juin 2017 lors de la Biennale d’architecture de Lyon Table ronde « Pratiques alternatives, existe-t-il de nouvelle utopies en architecture ? » , le 24 juin 2017, Biennale d’architecture de Lyon

tous les documents graphiques sont de l’auteur sauf mentionné en légende

117


(&)

INTÉRÊT ENGAGEMENT de l’entreprise à l’agence d’architecture

De la résignation commerciale à l’innovation entrepreneuriale, en quoi le choix d’un système d’entreprise permet-t-il de garantir la pérennité d’une éthique architecturale ?

Alexandre LAHAYE

Couverture : photographies de Lucile Courbin, Caixa Forum (Herzog&deMeuron), Madrid, 2016



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