Alice Perrin Mémoire Architecture master 1

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LA MÉMOIRE :

GÉNÉRATRICE DE QUALITÉS

ARCHITECTURALES

ET PAYSAGÈRES ALICE PERRIN

ENSAG - AEDIFICATION, VILLES, GRANDS TERRITOIRES 2013/2014 - SOUS LA DIRECTION DE SOPHIE PAVIOL



LA MÉMOIRE : GÉNÉRATRICE DE QUALITÉS ARCHITECTURALES ET PAYSAGÈRES


SOMMAIRE

INTRODUCTION P.6-9 I _ LES DIFFÉRENTS TYPES DE MÉMOIRE P.10-11 A _ La mémoire individuelle et collective p.12-15 B _ La mémoire et l’espace p.16-21 C _ La mémoire des lieux p.22-25 D _ La mémoire et le temps p.26-27 E _ La mémoire, l’oubli et l’imaginaire p.28-31

II _ LES MÉMOIRES D’ARCHITECTES P.32-33 A _ La mémoire de Tadao Ando : Lumière, temps, matière, corps dans l’espace p.34 1 _ Une mémoire partagée avec sa famille : des espaces qualifiés par la lumière et le temps p.36-39 2 _ Une mémoire partagée avec des artisans, des artistes, des architectes : des espaces qualifiés par la matière et l’homme (corps et esprit) p.40-45


P.46 B _ La mémoire de Peter Zumthor : Détails d’objets, de matières, de lumière, et atmosphères 1 _ Une mémoire partagée avec sa famille : p. 46-49 des atmosphères, les prémices de son architecture 2 _ Une mémoire partagée avec son village, son pays, et des habitants : p.50-59 des matières, des détails, des lieux, des histoires, comme bases de ses projets

P.60 C _ La mémoire de Georges Descombes : Topographie, et géographie 1 _ Une mémoire partagée avec des amis et les habitants de son village natal : p.60-65 support de la réactivation du paysage de son enfance 2 _ Une mémoire partagée avec les habitants : p.66-69 support de la révélation et réappropriation des lieux

P.70-73 CONCLUSION P.75 BIBLIOGRAPHIE P. 76-77 FILMOGRAPHIE/ICONOGRAPHIE


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INTRODUCTION


Il y a des espaces, des architectures qui nous marquent plus que d’autre. La puissance des ambiances de ces lieux se gravent dans notre esprit, dans notre mémoire. Elles peuvent êtres tactiles, visuelles, sonores, olfactives. D’où vient alors la puissance de ces images ? Qu’est ce qui en est à l’origine ? Pourquoi restent-elles gravées dans notre mémoire, et comment ces souvenirs peuvent être des images précieuses pour la conception d’un projet architectural ou paysager ? Comme le dit Peter Zumthor : « Pour concevoir un projet, pour inventer des architectures, nous devons apprendre à en faire un usage conscient. C’est un travail de recherche, un travail de mémoire. »1 On peut alors se demander qu’est-ce que la mémoire et que peut-elle apporter à un projet pour générer une qualité architecturale ou paysagère ?

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De manière générale « La mémoire est la propriété de conserver et restituer des informations. »2 Elle est liée à notre capacité de stocker des souvenirs. Ces derniers sont stockés pendant un moment, puis le temps en efface un certain nombre au fur et à mesure qu’il s’écoule. Il s’agit là de l’oubli. Notre mémoire peut être « une mémoire à court terme »3, c’est-à-dire qu’on oublie très vite : en quelques secondes, minutes ou une année. Elle peut également être liée à «un oubli progressif, qui peut s’étendre sur des années ; c’est la mémoire à long terme»4. Pour la suite nous nous appuierons sur la mémoire à long terme qui permet de conserver et restituer des souvenirs lointains. En effet « A la mémoire est attachée une ambition, une prétention, celle d’être fidèle au passé. »5 Cependant plus nos souvenirs sont anciens et plus la part de l’oubli laisse place à l’imaginaire et à l’imagination. Nous n’avons qu’une mémoire qui renferme plusieurs souvenirs.

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Néanmoins il existe plusieurs types de mémoire, plusieurs manières de la comprendre et de la décomposer. Plusieurs auteurs se sont attaqués à la définition de la mémoire. Néanmoins il y en a un en particulier qui définit bien les différents types de mémoire que nous avons et à quoi elles se rattachent. Il s’agit de Maurice Halwachs, sociologue français, qui a écrit sur le concept de la Mémoire Collective. La Mémoire Collective 6 est son dernier ouvrage. Il ne put le publier à cause de sa déportation en 1945. La dernière édition de 1997, tente de retranscrire l’ensemble de l’ouvrage d’Halbwachs avec toutes les annotations de l’auteur. Nous nous appuierons en grande partie sur son travail. Nous nous attacherons également au travail de trois architectes et à leurs mémoires pour comprendre quels peuvent être les liens entre les deux. Nous étudierons d’abord le travail de Tadao Ando, architecte japonais, né à Osaka en 1941. C’est un architecte autodidacte qui ouvre son agence après avoir voyagé en Europe et découvert le travail de Le Corbusier. Il conçoit la majorité de ses projets avec des jeux d’ombres et de lumières qui viennent créer des ambiances


différentes d’un espace à l’autre. Nous verrons ensuite le travail de Peter Zumthor, architecte suisse, né à Bâle en 1943. Il passe d’abord par une formation d’ébéniste, puis étudie l’architecture d’intérieur, pour finir par l’architecture. Il reçoit en 2009 le prix Pritzker pour les thermes de Vals. C’est un architecte qui puise beaucoup son inspiration de ses terres d’origine. Il revendique souvent l’importance de son cadre de vie pour la création de ses projets. Son travail se base essentiellement sur la création d’atmosphères qu’il retranscrit dans un ouvrage portant le même nom. Enfin nous finirons notre étude de la mémoire avec les travaux de Georges Descombes, architecte paysagiste suisse, né à Genève. Son travail est paysagé. Il intervient surtout sur des projets urbains en se basant sur des lignes fortes du paysage pour venir créer différents parcours et évoquer différents souvenirs aux usagers. Nous verrons donc dans un premier temps quels sont les différents types de mémoire et comment ils conduisent à l’imaginaire d’un projet architectural. Puis nous verrons dans un second temps comment les souvenirs et la mémoire des architectes influencent leurs travaux et viennent générer de la qualité architecturale ou paysagère.

1 ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Bâle, Birkhäuser Basel, 2010 2 Encyclopaedia Universalis, « lyophilisation-météorites », in Corpus 14, Paris, 2002, pp.787-794 3 id. 2 4 id. 2 5 RICOEUR Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli , Paris, Seuil, septembre 2000, p.26 6 HALBWACHS Maurice, La mémoire collective, Paris, édition critique établie par Gérard Namer, Albin Michel, 1997

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I _ LES DIFFÉRENTS TYPES DE MÉMOIRE


Il existe plusieurs manières d’envisager la mémoire. Elle peut être individuelle et/ou collective. Elle peut se raccrocher, entre autres, à l’espace, au lieu, et au temps. Nous verrons donc comment la mémoire se définit au travers de ces différents éléments, et comment elle passe d’un élément réel à un élément d’imagination pour la création.

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A _ LA MÉMOIRE INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE

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Il existe deux types de fonctionnement de la mémoire en nous. Une part de notre mémoire est collective et l’autre est individuelle. Ces deux types de mémoire sont intimement liés. En effet, d’après Maurice Halbwachs l’homme est un être social. Il fait toujours parti d’un groupe, que ce soit sa famille, ses amis, ses collègues, etc. Sa mémoire est toujours liée à celles d’autres personnes. Nous appartenons à des groupes sociaux tout au long de notre vie. Ainsi, on peut dire que tous nos souvenirs sont partagés avec d’autres personnes. Par exemple, lorsqu’on discute avec un ami du souvenir d’un lieu, ou d’un moment où l’on se trouvait en même temps, et qu’on s’appuie sur ses souvenirs et les nôtres pour reconstituer le plus précisément la scène, notre mémoire est alors commune. Halbwachs précise que « nos souvenirs demeurent collectifs, et ils nous sont rappelés par les autres, alors même qu’il s’agit d’évènements auxquels nous seuls avons été mêlé, et d’objets que nous seuls avons vus. C’est qu’en réalité nous ne sommes jamais seuls. »7. Même lorsque nous voyageons seul, et que nous nous formons des souvenirs, notre mémoire est collective à d’autres personnes. Cela peut être par le biais de la lecture d’ouvrages sur ce voyage, par la lecture d’une carte dessinée par un autre, ou par le récit d’un ami venu auparavant. De ce fait, lorsque nous nous déplaçons d’un endroit à un autre, dans une ville inconnue, nous repensons à toutes ces références et nous raccrochons notre mémoire à celles des personnes venues précédemment sur les mêmes lieux. Cependant la mémoire collective est dépendante du groupe qui la partage. Tant que le groupe, ou une partie du groupe persiste, alors la mémoire collective perdure. Dès lors que le groupe est dissout la mémoire collective de ce groupe tend à disparaître. « Chacun des membres de cette société (classe) était défini à nos yeux par sa place dans l’ensemble des autres, et non par ses rapports, que nous ignorions, avec d’autres milieux. Tous les souvenirs qui pouvaient prendre naissance à l’intérieur de la classe s’appuyaient l’un sur l’autre et non sur des souvenirs extérieurs. La durée d’une telle mémoire était donc limitée, par la force des choses, à la durée du groupe. »8. Ceci dit lorsque nous quittons un groupe


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Une carte : relais d’une mÊmoire collective 7 p.52 op. cit. 6 8 p.58 id.

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(qui persiste), nous pouvons continuer à subir son influence. Halbwachs prend l’exemple du langage « lorsqu’un homme s’est trouvé au sein d’un groupe, qu’il y a appris à prononcer certains mots dans un certain ordre, il peut bien sortir du groupe et s’en éloigner. Tant qu’il use encore se langage, on peut dire que l’action du groupe s’exerce toujours sur lui. »9 p 28. Cette mémoire collective est donc très importante dans la mesure où elle nous rattache à des groupes sociaux. Son existence joue un rôle déterminant en architecture dans la conception d’un projet. En effet l’architecte construit pour des clients, mais aussi pour des habitants d’une ville ou d’un village. Son projet aura un impact, une importance, dans leur vie et leur future mémoire. Il est donc essentiel de comprendre et de s’emparer de la mémoire collective de ces personnes pour concevoir un projet, un espace, un lieu. Ceci permettra son intégration en faisant référence à leurs souvenirs tout en répondant à leurs demandes et besoins, et en conservant l’âme des lieux.

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Nos souvenirs sont donc partagés avec plusieurs personnes, dans plusieurs groupes différents. Nous avons bien une mémoire collective. Mais qu’est-ce que la mémoire individuelle alors ? Dans la mesure où nous appartenons à plusieurs groupes en même temps, et que nous subissons donc plusieurs influences, nous développons alors notre propre avis et nos propres sentiments. Ces ressentis sont propres à nous-même et ne peuvent être ancrés que dans notre mémoire. «Quand plusieurs courants sociaux se croisent et se heurtent dans notre conscience alors se produisent ces états que nous appelons des intuitions sensibles et qui prennent la forme d’états individuels parce qu’ils ne se rapportent entièrement ni à un milieu, ni à un autre, et que nous les rapportons alors à nous-mêmes. »10 p 83. Cette part de la mémoire est donc individuelle. Elle joue un rôle important chez les architectes. C’est elle qui va déterminer la sensibilité et les références propres à chacun dans la conception d’un projet. C’est cette mémoire individuelle qui explique la diversité de projets proposés, pour un seul et même édifice.


Même si notre mémoire est collective, il reste qu’un groupe est fait de plusieurs individus. Halbwachs explique qu’« Au reste si la mémoire collective tire sa force et sa durée de ce qu’elle à pour support un ensemble d’hommes, ce sont cependant des individus qui se souviennent, en tant que membre du groupe. […] Nous dirons volontiers que chaque mémoire individuelle est un point de vue sur une mémoire collective, que ce point de vue change suivant la place que j’y occupe, et que cette place elle-même change suivant les relations que j’entretiens avec d’autres milieux. Il n’est donc pas étonnant que, de l’instrument commun, tous ne tirent pas le même parti. »11. On peut donc dire qu’une mémoire individuelle a besoin de se raccrocher à une mémoire collective, et que la mémoire collective enveloppe plusieurs mémoires individuelles. On comprend donc pourquoi les architectes ont besoin de la mémoire collective tout en faisant appel à leur mémoire individuelle.

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9 p.28 op. cit. 6 10 p.83 id. 11 pp.94-95 id.


B _ LA MÉMOIRE ET L’ESPACE

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Il existe un lien réel entre l’espace et la mémoire. La première exploitation de l’espace pour la mémoire date d’il y a plusieurs milliers d’années. Les orateurs grecs pour se souvenir de leurs textes, associaient les mots et les phrases à une promenade dans des espaces différents avec des structures précises et rythmées. Ainsi en se remémorant la promenade ils se rappelaient de l’ordre exact des mots et des phrases à retenir. « 264 av J-C, Simonide de Céos, poète grec du Vème siècle av J-C, aurait découvert la méthode des lieux, qui consiste à transformer en images mentales ce qu’on doit apprendre et à situer ces images par rapport à un itinéraire connu. »12 Il s’agit de l’ars memorativa. On utilise l’espace architecturé, réel ou non, comme moyen mnémotechnique. « les systèmes mnémotechniques de lieux les plus courants sont des systèmes de lieux architecturaux, c’est-à-dire des ensembles d’espaces construits ou aménagés par l’homme. »13 « les lieux mnémotechniques peuvent, selon les auteurs, être réels ou imaginaires. »14. On peut donc dire que depuis des milliers d’années l’homme utilise l’espace pour garder en mémoire des éléments. Au-delà de ce moyen mnémotechnique nos souvenirs sont systématiquement stockés dans notre mémoire sous une forme spatiale. En effet lorsqu’on cherche dans notre mémoire un souvenir, on le visualise grâce à l’image d’un espace. Gaston Bachelard précise « C’est par l’espace, c’est dans l’espace que nous trouvons les beaux fossiles […] les souvenirs sont immobiles, d’autant plus solides qu’ils sont mieux spatialisés. »15. Halbwachs explique que les souvenirs ne peuvent pas être transposés sans une représentation de l’espace, «c’est l’image seule de l’espace qui, en raison de sa stabilité, nous donne l’illusion de ne pas changer à travers le temps et de retrouver le passé dans le présent ; mais c’est bien ainsi qu’on peut définir la mémoire. »16. C’est donc parce qu’un souvenir est arrêté dans le temps, et dans un espace qu’il se fixe d’autant mieux et durablement dans notre mémoire.


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Des espaces architecturés : moyen mnémotechnique 12 op. cit. 2 13 p.22 MAROT Sébastien, l’art de la mémoire, le territoire, et l’architecture , Paris, la Villette, 2010 14 p.24 id. 13 15 p.28 BACHELARD Gaston, La poétique de l’espace, Paris, puf, 1957 16 p.236 op. cit. 6

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Que notre mémoire soit individuelle ou collective elle se fixe sur les espaces qui nous entourent. Plus précisément « c’est sur l’espace, sur notre espace […] qu’il faut tourner notre attention ; c’est là que notre pensée doit se fixer, pour que reparaisse telle ou telle catégorie de souvenirs. »17. C’est sur les espaces de notre quotidien que se fixent nos souvenirs. Deux types d’espace se distinguent, notamment la maison de famille (ou appartement), et le quartier ou la ville dans laquelle elle se trouve. Ces souvenirs sont d’autant plus marqués dans notre mémoire car ils se rattachent à des lieux dans lesquels nous sommes restés longtemps et que nous pouvons les associer à des personnes que l’on aime. «Notre maison, nos meubles et la façon dont ils sont disposés, tout l’arrangement des pièces où nous vivons, nous rappellent notre famille et les amis que nous voyons souvent dans ce cadre. »18. Dans le cas de la maison de famille plusieurs éléments viennent créer la stabilité de l’espace et permettent d’ancrer des souvenirs. Il s’agit des objets, des éléments de mobilier, et des détails de finitions. D’après Auguste Comte « les objets matériels avec lesquels nous sommes en contact journalier ne changent pas ou peu, et nous offrent une image de permanence et de stabilité. C’est comme une société silencieuse et immobile, étrangère à notre agitation et nos changements d’humeur, qui nous donne un sentiment d’ordre et de quiétude. »19. Ces objets sont ancrés dans notre mémoire. Nous nous en souvenons précisément et ils permettent d’évoquer des souvenirs familiaux. Mais au-delà de ça ils sont gravés dans notre inconscient, dans notre gestuelle, dans notre manière d’arpenter les espaces. Notre corps se souvient des mouvements quotidiens que nous faisions avant. Dans la maison de notre enfance « A vingt ans d’intervalle, malgré tous les escaliers anonymes, nous ne tituberons pas sur de telle marche un peu haute. Tout l’être de la maison se déploierait, fidèle à notre être. Nous pousserions la porte qui grince du même geste, nous irions sans lumière dans le lointain grenier, la moindre des clenchettes est restée en nos mains. »20. On peut donc dire que les maisons que nous avons pratiquées longtemps sont gravées dans notre mémoire. Ce sont des espaces stables où nous pouvons conserver beaucoup de souvenirs. Cela peut être des


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Souvenirs des buissons du jardin de ma grand-mère : mÊmoire de mon enfance 17 p.209 op. cit. 6 18 p.194 id. 19 p.193 id. 20 p.32 op. cit. 15

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souvenirs familiaux ou avec des amis, mais c’est également des souvenirs corporels de la pratique de l’espace, qui sont associés aux objets matériels et à l’organisation spatiale.

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Le deuxième espace important où se fixent nos souvenirs, est le quartier ou la ville dans laquelle nous vivons ou bien avons vécu plusieurs années. En effet « Si les habitants d’une ville ou d’un quartier forment une petite société, c’est qu’ils sont réunis dans une même région de l’espace. »21. En partageant ce même espace durant les mêmes temps les habitants forment un groupe, une société. Ils ont alors une mémoire collective de ces lieux. Leurs habitudes restent gravées longtemps. «Les habitudes locales résistent aux forces qui tendent à les transformer, et cette résistance permet le mieux d’apercevoir à quel point, en de tels groupes, la mémoire collective prend son point d’appui sur des images spatiales. »22. Même si les habitudes restent longtemps, petit à petit les habitants finiront par s’adapter à la nouvelle configuration spatiale de leur quartier ou ville. En faisant disparaître des éléments fixes d’un espace, en les transformant, on fait tendre à disparaître petit à petit les souvenirs des gens qui s’y raccrochaient. Sébastien Marot explique que lorsque le cadre d’origine de la mémoire (ville de son enfance) est complètement lissé, et transformé alors « il n’offre quasi plus de prise à cette mémoire auxquelles l’esprit puisse s’accrocher pour se reconstruire et se conforter dans le sentiment de son identité. »23 Nos souvenirs se raccrochent donc également à des espaces et des lieux. Nous nous identifions aux endroits où nous vivions car nous associons nos souvenirs à ces espaces. Qu’il s’agisse du banc de notre premier baiser, du jardin de nos grands-parents où l’on jouait, de la place où on allait faire le marché, d’une terrasse d’où l’on contemplait une rivière, tous ces espaces sont rattachés à nos souvenirs et à notre identité. Lorsque nous les voyons ils nous rappellent d’où nous venons et font appel à notre mémoire. En revanche en disparaissant il n’existe plus de structure pour nous rappeler nos souvenirs, on ne reconnaît plus l’endroit, on ne


peut plus s’y identifier. C’est pourquoi il est important en architecture, urbanisme, ou paysage de ne pas faire table rase des lieux lors de la conception d’un projet. Il faut conserver des éléments déjà présents sur le site afin que les habitants puissent s’emparer du projet. Il faut laisser des accroches pour leurs mémoires. Cela passe par la génération de différents types d’espaces qui permettent plusieurs appropriations et plusieurs pratiques. Ce sont la stabilité et la diversité des espaces créés par l’homme qui permettent de se souvenir du passé qui fait notre identité.

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21 p.203 op. cit. 6 22 pp. 199-200 id. 23 p.76 op. cit. 13


C _ LA MÉMOIRE DES LIEUX Les espaces sont souvent plus précisément des lieux. Ils ont des caractéristiques spécifiques qui nous permettent de les localiser. C’est cet emplacement définit qui donne cette stabilité de l’espace nécessaire pour la mémorisation. Le lieu le plus souvent abordé est celui de la ville. Comme elle est construite par les hommes et sur des temps longs, elle possède de nombreux marqueurs, de nombreuses prises qui permettent à nos mémoires de voyager dans le temps aux travers de nos souvenirs. Frances Yates explique que dans le cadre des systèmes mnémoniques, on utilisait des lieux qui étaient bâtis par l’homme, des lieux architecturés. « Le premier pas consistait à imprimer dans la mémoire une série de loci, de lieux. Le type le plus commun, sinon le seul, de système mnémonique de lieux était le type architectural. »24

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La ville, comme lieu, peut être analysée comme la mémoire d’un homme. Elle est bâtie, tout comme notre mémoire, avec plusieurs couches, plusieurs épaisseurs qui se sont construites et succédées dans le temps. Certaines d’entre elles sont bien enfouies et ne peuvent resurgir que lorsqu’on creuse pour faire apparaître certains éléments. D’autres, même si elles sont très anciennes, gardent des traces en surface. Elles ne sont pas encore effacées par le temps. C’est le cas des fontaines ou des lavoirs qui sont des repères dans les villes depuis des années. Même si elles changent de forme pour se moderniser parfois, la présence de l’eau et son côté social sont toujours présents. Enfin, les plus récentes sont toujours visibles, facile d’accès. Ces éléments de la ville sont également des moyens pour se remémorer des souvenirs, « l’épaisseur d’espace-temps, de transparence en opacités, est plus ou moins disponible au voyage de la mémoire.»25. Pour Aldo Rossi la ville est « le locus de la mémoire collective » « L’idée de la ville réalise ainsi l’union entre le passé et le futur ; elle traverse la ville, comme la mémoire traverse la vie d’un individu. »26 « Locus, entendant par ce terme le rapport à la fois particulier et universel qui existe entre une situation locale donnée et les constructions qui s’y trouvent. »27. La ville est donc le lieu construit


125 à 480

480 à 1492

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1492 au XIXème siècle

XIXème siècle à aujourd’hui

Saillans une ville construite dans le temps : une mémoire qui se lit dans l’épaisseur 24 p.18 op. cit. 13 25 p.52 id. 26 p.53 id. 27 p.141 ROSSI Aldo, L’architecture de la ville, InFolio, « Archigraphy », 2001

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de la mémoire collective. Par ses constructions successives elle renferme nos mémoires. Ceci explique que « le groupe urbain n’a pas l’impression de changer tant que l’aspect des rues et des bâtiments demeure identiques. »28. C’est qu’en réalité le groupe urbain change petit à petit en même temps que la ville car cela se fait sur des temps relativement longs.

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En plus de renfermer nos mémoires, la ville permet également de les conditionner, de nous conditionner. Ceci serait lié à la standardisation des outils mnémotechniques. Selon France Yates « Cette forme de standardisation ou de collectivisation partielle des outils mnémotechniques, force à interroger les rapports de l’art de la mémoire avec les descriptions et les productions de l’art à proprement dit (littérature, peinture, sculpture, architecture…) »29. L’art et l’urbanisme deviennent un moyen d’ancrer des messages politiques, ou religieux dans les mémoires des habitants par des organisations spatiales que les gens vont pratiquer quotidiennement. L’urbanisme des villes devient alors le lieu de deux mémoires. « Comprendre les villes : non plus seulement comme des mémoires passives et conditionnantes, […] mais aussi comme mémoires actives et conditionnées, c’est-à-dire comme des systèmes de lieux mnémotechniques construits. »30. Ce rapport de la ville avec la mémoire des habitants permet de comprendre le lien qui existe entre les habitudes et les coutumes d’un groupe qui vit dans un lieu précis. En effet « il existe à chaque époque un étroit rapport entre les habitudes, l’esprit d’un groupe et l’aspect des lieux où il vit. »31. Ceci peut expliquer la différence d’attitude entre un groupe de personnes vivant dans une banlieue pavillonnaire, où les espaces sont grands, calmes, et ancrés au sol (identité affirmée) ; et un autre vivant dans une banlieue de tours, où les espaces sont étroits, bruyants, identiques et déconnectés du sol (perte de l’identité). La ville est donc un lieu qui permet de faire ressurgir la mémoire, mais c’est aussi parce qu’elle s’ancre dans notre mémoire. Néanmoins la ville est souvent prise comme exemple mais ce n’est pas le seul lieu qui agisse sur notre mémoire. En


réalité tout espace construit par l’homme peut être une prise pour notre mémoire. Il se peut même que nous ne nous remémorions un souvenir qu’en passant par une série de constructions d’où se dégage une matérialité et une ambiance particulière que l’on ne trouve nulle part ailleurs. « Nous pouvons admettre que, si nous n’avons jamais retrouvé ce souvenir, c’est que nous ne sommes jamais revenus en cet endroit. En d’autre termes, la condition nécessaire pour y repenser nous paraît être une suite de perceptions par lesquelles nous ne pourrions repasser qu’en faisant à nouveau le même chemin, de façon à nous retrouver en présence des mêmes maisons, du même rocher, etc. Nous sommes donc à peu près certains de ne pas nous tromper quand nous disons : je n’ai jamais repensé à cela parce que je n’ai jamais pu, par la mémoire et la réflexion, regrouper toutes ces images si diverses et si nuancées ; reconstituer cette combinaison unique et précise d’impressions sensibles qui seule pouvait orienter mon esprit exactement vers ce souvenir. »32. On admettra donc que les impressions sensibles d’un lieu jouent un rôle très important dans la conservation et la restitution de nos souvenirs. La mémoire révèle alors l’importance des impressions sensibles d’un lieu. Pour rester dans nos souvenirs le lieu peut favoriser des échanges sociaux, il faut que l’on puisse se l’approprier et y faire des rencontres. Cela passe par son dimensionnement et la façon dont les volumes sont disposés dans l’espace. Le lieu peut également avoir des ambiances particulières faisant appel à nos sens. Des jeux de luminosités, de matières, d’odeurs et des bruits, peuvent marquer notre mémoire et fixer une image forte du lieu dans nos souvenirs.

28 p.197 op. cit. 6 29 p.26 op. cit 13 30 p.30 id. 31 p.116 op. cit. 6 32 p.78 id.

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D _ LA MÉMOIRE ET LE TEMPS La mémoire se rattache également à la dimension du temps. Des repères chronologiques nous aident à retrouver nos souvenirs. « Le calendrier, le découpage horaire, par exemple, rendent possible la référence au passé dans nos souvenirs. » « Nos souvenirs seraient très incomplets si nous ne pouvions les situer dans le temps »33 . Les repères chronologiques, sont identiques pour les membres d’un même groupe social. « Le temps est divisé de la même manière pour tous les membres de la société.»34.

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Ces divisions réglementées sont communes, cependant la perception de l’écoulement du temps est différente d’une personne à une autre, d’un groupe à un autre. Sur une même durée on peut avoir l’impression que le temps passe très vite lorsqu’on est très occupé, ou bien qu’il passe très lentement si l’on s’ennuie. «Chaque homme, en ce sens, aurait sa propre durée»35. De plus l’écoulement du temps est dépendant du groupe, de la société dans laquelle nous sommes. Les calendriers par exemple ne sont pas les mêmes pour tout le monde. L’année laïque commence le premier janvier, cependant l’année scolaire démarre en septembre, et l’année paysanne se détermine en fonction des saisons. « Ainsi autant il y a de groupes, autant il y a d’origines de temps différentes. »36. Donc les repères du temps peuvent être plus ou moins faussés par notre perception de son écoulement (lent ou rapide), mais ils nous permettent de remonter dans le passé vers d’anciens souvenirs. « Les éléments se succèdent dans le temps, mais le temps lui-même est un cadre immobile. Seulement les temps sont plus ou moins vastes, ils permettent à la mémoire de remonter plus ou moins loin dans ce qu’on est convenu d’appeler le passé. »37. La dimension immobile du temps ne prend une importance pour la mémoire que lorsqu’elle est associée à un évènement de notre vie, à un souvenir. « Le temps n’est réel que dans la mesure où il a un contenu, c’est-à-dire où il offre une matière d’évènements à la pensée. »38. Par exemple l’année d’un voyage n’a d’importance que parce qu’elle nous permet d’évoquer ces souvenirs de voyages et de les restituer


par rapport à d’autres souvenirs. Pour se remémorer un souvenir nous avons donc besoin de le situer à la fois dans un espace et dans un cadre temporel immobile. La mémoire s’articule donc dans un lieu à quatre dimensions, dans un espace (3D) et le temps (1D). Les architectes conçoivent des espaces à trois dimensions. Néanmoins le facteur du temps joue également un rôle important. Comme mentionné précédemment les marqueurs de temps peuvent être différents d’une personne à une autre. Dans un édifice ces marqueurs, ces repères peuvent se matérialiser pas le déplacement des ombres et de la lumière au cours de la journée. Sur une année, les marqueurs dépendent des ambiances lumineuses liées au temps qu’il fait et aux saisons. Enfin le dernier marqueur qui joue sur nos souvenirs c’est la transformation de l’édifice au cours des années, par ses changements de couleurs, de matières et les déformations qu’il subit. L’utilisation de ces marqueurs de temps dans l’architecture cela vient générer une qualité architecturale à chaque instant T.

33 op. cit. 2 34 p.144 op. cit. 6 35 p.146 id. 36 p.171 id. 37 p189 id. 38 p.192 id.

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E _ LA MÉMOIRE, L’OUBLI ET L’IMAGINAIRE Nous avons vu qu’il existait deux sortes de mémoire. L’une est individuelle, et l’autre est collective. Nous savons également que pour s’ancrer dans notre mémoire nos souvenirs ont besoin de se rattacher à un espace bien défini, qu’il s’agisse d’une organisation spatiale, d’objets, ou d’un lieu. En plus de cela notre mémoire a besoin d’un cadre temporel immobile pour pouvoir remonter dans le passé. Cependant comme mentionné en introduction la mémoire est liée à l’oubli. Parfois nous n’arrivons pas à remonter dans le passé. « Pourtant, bien que ce fait puisse être localisé dans le temps et l’espace, quand bien même mes parents ou des amis m’en feraient un récit exact, je me trouve en présence d’une donnée abstraite à laquelle il m’est impossible de faire correspondre aucun souvenir vivant: je ne me rappelle rien. »39. Plus des souvenirs sont lointains, plus ils sont difficiles à se remémorer. Lorsque nos souvenirs s’accumulent aux cours des années, il arrive que nous perdions la mémoire, cependant notre savoir s’agrandit.

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En revanche lorsque nous perdons une partie de notre mémoire suite à un accident, c’est toute une partie des gens qui nous entouraient que nous perdons. «Oublier une période de sa vie, c’est perdre contact avec ceux qui nous entouraient alors. »40. En effet c’est oublier certains groupes auxquels nous appartenions, c’est perdre une partie de nous-même. Il existe aussi un oubli partiel où, dans ce cas, nous n’oublions que des bribes de souvenirs. C’est alors que notre mémoire bascule d’un passé réel vers une version plus abstraite, vers une version qui mêle réalité et imaginaire. « Les vraies images sont des gravures. L’imagination les grave dans notre mémoire. Elles approfondissent des souvenirs vécus, elles déplacent des souvenirs vécus pour devenir des souvenirs de l’imagination. »41. En effet cela est lié au fait que nous gardons nos souvenirs sous forme d’images. De plus nous utilisons des éléments spatiaux pour nous remémorer des souvenirs qui sont toujours dans le présent. C’est pourquoi « le souvenir est dans une très large mesure une reconstruction du passé à l’aide de données empruntées au présent. »42. Il y a


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Les bains des Docks au Havre : Souvenirs des lieux et groupements d’espaces 39 p.54 op. cit. 6 40 pp.60-61 id. 41 p.46 op. cit. 15 42 pp.118-119 op. cit. 6

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donc bien une synthèse faite par notre esprit entre un souvenir exact du passé et ce qui nous entoure aujourd’hui. Une part du souvenir est transformée, déformée, par notre imagination.

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Au travers de l’image de la maison Gaston Bachelard parle de la relation entre souvenir et image, et mémoire et imagination. « La maison, comme le feu, comme l’eau, nous permettra d’évoquer […] des lueurs de rêverie qui éclairent la synthèse de l’immémorial et du souvenir. Dans cette région lointaine, mémoire et imagination ne se laissent pas dissocier. L’une et l’autre constituent dans l’ordre des valeurs, une communauté du souvenir et de l’image. […] Ainsi, en abordant les images de la maison avec le souci de ne pas rompre la solidarité de la mémoire et de l’imagination, nous pouvons espérer faire sentir toute l’élasticité psychologique d’une image qui nous émeut à des degrés de profondeur insoupçonnés.»43. Une part de rêverie vient alors se mêler à nos souvenirs. Les images gravées dans notre mémoire s’associent à une part d’imaginaire. L’oubli partiel se remplace alors par une partie créée par notre imagination. Ainsi notre souvenir garde une puissance sensible très importante. On garde en mémoire de la maison de notre enfance des effets, des ambiances très particulières que l’on a amplifié par une part de notre imagination. Ainsi lorsqu’on se remémore un tel souvenir sa puissance sensible est telle qu’elle peut être génératrice d’idées. Ces souvenirs sensibles font fonctionner notre imaginaire et notre imagination. C’est ainsi qu’ils peuvent générer des qualités architecturales ou paysagères dans un projet.


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Les bains des Docks au Havre : Les espaces d’origines 43 p.25 op. cit. 15

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II _ LES MÉMOIRES D’ARCHITECTES


Après avoir vu comment notre mémoire peut être génératrice d’idées et de qualités spatiales dans la première partie, nous allons maintenant étudier le travail et les mémoires de trois architectes. Il s’agit ici de comprendre comment les différents souvenirs de Tadao Ando, Peter Zumthor, et Georges Descombes, leurs permettent de générer de la qualité architecturale dans plusieurs de leurs projets. Nous aborderons à chaque fois les groupes sociaux auxquels se rattachent leurs mémoires, ainsi que les particularités spatiales qui ancrent leurs souvenirs. Nous commencerons par expliquer le rapport que Tadao Ando a avec la lumière. Puis nous verrons l’importance que Peter Zumthor accorde aux détails dans son travail. Enfin nous finirons avec Georges Descombes et son travail de la topographie.

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A _ LA MÉMOIRE DE TADAO ANDO : LUMIÈRE, TEMPS, MATIÈRE, CORPS DANS L’ESPACE 1 _ UNE MÉMOIRE PARTAGÉE AVEC SA FAMILLE : DES ESPACES QUALIFIÉS PAR LA LUMIÈRE ET LE TEMPS

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Tadao Ando est un architecte qui a été fortement marqué par la maison de son enfance. Il partage cette mémoire avec les membres de sa famille. Il explique dans son livre Du béton et d’autres secrets de l’architecture 44 que l’intelligence et le savoir ne suffisent pas à faire de l’architecture, il faut qu’un autre élément entre en jeu. « Je pense que ça pourrait être la mémoire. La mémoire intense de quelque chose que nous portons tous avec nous. […] Ces souvenirs nous incitent à travailler d’une certaine façon, à créer une forme ou à écrire quelque chose que l’intelligence et le savoir seul ne suffiraient pas à créer ni écrire. »45. Il dit clairement ensuite « Je porte avec moi la mémoire de la maison dans laquelle j’ai grandi. »46. Ces souvenirs de famille sont inscrits en lui. Ils sont gravés dans son inconscient car ceux sont des espaces stables. Comme il est expliqué en première partie les maisons que nous avons pratiquées longtemps sont gravées dans notre mémoire. Ce sont des espaces stables où nous pouvons conserver beaucoup de souvenirs. Sa mémoire est alors associée à l’espace. Voici en quelques lignes la description qu’il fait de sa maison natale : « La maison dans laquelle j’ai grandi a été très importante pour moi. C’est une ancienne maison japonaise, petite, toute en bois, divisée en plusieurs petites pièces. […] Elle est toute en longueur. […] La maison étant très longue, la quantité de lumière est très limitée, la lumière est très précieuse. […] Le souvenir de cette maison ne m’a jamais quitté.»47 « Cette maison m’a beaucoup marqué, c’est parce que, quand les lumières étaient éteintes, il faisait très sombre, et j’avais l’impression d’être comme enfermé dans cet obscurité. Je me sentais en sécurité, protégé.»48. La stabilité des espaces de cette maison se trouve surtout dans l’ombre et la lumière générées par l’étroitesse de la maison. L’image de la longueur de l’espace et les jeux d’ombres et de lumières se sont gravés dans l’esprit de Tadao Ando.


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Chichu art museum : fragmentation et continuité des espaces par la lumière. 44 ANDO Tadao, Du béton et d’autres secrets de l’architecture, L’Arche, 2007, trad. Fr. de Michael Aupigny 45 pp. 37-38 id. 46 p.38 id. 47 pp.15-16 id. 48 p.72

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Elle joue un rôle important dans son imaginaire associé à sa mémoire. Comme le mentionne Gaston Bachelard « Les vraies images sont des gravures. L’imagination les grave dans notre mémoire. Elles approfondissent des souvenirs vécus, elles déplacent des souvenirs vécus pour devenir des souvenirs de l’imagination. »49. Pour lui, l’ombre donne un sentiment de sécurité. Cette inspiration pour les ombres et la lumière se retrouve dans l’ensemble de ses travaux. En effet la lumière tire sa puissance des zones laissées dans l’obscurité. Dans son projet du « chichu art museum » on voit bien que dans plusieurs pièces, ou circulations, les zones d’ombres viennent donner de la puissance à la lumière. Ce procédé permet parfois de fragmenter les espaces, de créer une transition d’une pièce à l’autre, ou d’un intérieur à un extérieur. Dans d’autres cas la lumière vient créer une continuité entre le ciel et le sol, même s’il y a une discontinuité de matière. Ces ambiances lumineuses viennent transformer l’espace.

36 Il utilise également la lumière pour créer de la profondeur à ses projets, pour leur donner une âme. « Dans un espace obscur il n’y a rien, c’est noir. Si on apporte de la lumière artificielle, ça éclairera l’espace mais il n’y aura pas d’effet de profondeur dans ce même espace, en tant qu’espace riche. Par contre si un rayon de lune pénètre dans l’obscurité, il y a profondeur et plénitude de l’espace. »50 L’exemple le plus connu de cette plénitude est la « chapel with light ». La lumière naturelle qui s’infiltre par les failles de la croix se diffuse sur le sol, les murs, et le plafond. De plus le fond de la chapelle est plus éclairé par la lumière naturelle. Les zones dans l’ombre permettent de diffuser la lumière et de créer la profondeur de la pièce et du bâtiment. Les dimensions des ouvertures sont donc très importantes. On retrouve là l’image de l’étroitesse de sa maison natale qui ne laissait filtrer que quelques rayons.


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Chapel with light : lumière pénétrante, profondeur du bâtiment 49 op. cit. p.30 50 TIRONI Giordano, Tadao Ando, Ombres Portées, Genève, 1998


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De plus, par la lumière, Tadao Ando prend conscience de la notion du temps qui s’écoule. Cette notion prend de l’importance dans la mesure où Tadao Ando l’associe à un souvenir. « Le temps n’est réel que dans la mesure où il a un contenu, c’est-à-dire où il offre une matière d’évènements à la pensée. »51. La lumière se déplaçait sur les murs de sa maison. Ainsi il pouvait savoir quel moment de la journée il était, et quand est ce qu’elle se terminait. En gardant l’image d’un rayon de lumière en tête, il fixe un moment dans le temps qui peut se graver dans sa mémoire. Les déplacements de la lumière sont alors un marqueur de temps dans l’espace au cours de la journée. Ils peuvent se matérialiser sur une année par des ambiances lumineuses liées au temps qu’il fait et aux saisons. Il réutilise se procédé avec le déplacement des ombres portées dans certain de ses projets. Dans le « modern art museum of Fort worth » il explique que « L’aspect des murs sera différent à chaque heure du jour. Ils refléteront les humeurs de la lumière. »52. Par les nombreux espaces vitrés, les éléments structurels, et l’espacement des toitures, la lumière s’infiltre et dessine des ombres portées sur le sol. Au fil de la journée et des saisons les dessins se déforment, se déplacent pour venir marquer le temps qui s’écoule. Au travers de ces différents exemples on constate que la lumière a fortement marqué la mémoire de Tadao Ando et qu’avec ses souvenirs il essaie de générer les mêmes images dans ses projets. Cette mémoire est la source d’intuitions sensibles et d’ambiances créées avec la lumière et l’écoulement du temps.


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Modern art museum of Fort worth : lumière comme marqueur de temps et mÊmoire 51 p.192 op. cit. 6 52 p.90 op. cit. 44


2 _ UNE MÉMOIRE PARTAGÉE AVEC DES ARTISANS, DES ARTISTES, DES ARCHITECTES : DES ESPACES QUALIFIÉS PAR LA MATIÈRE ET L’HOMME (CORPS ET ESPRIT)

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La seconde mémoire collective de Tadao Ando est celle qu’il partage avec les artisans, les artistes et les architectes. Cette mémoire collective est très importante dans la mesure où elle nous rattache à des groupes sociaux. Son existence joue un rôle déterminant en architecture dans la conception d’un projet. En effet l’architecte construit pour des clients, mais aussi pour des habitants d’une ville ou d’un village. Il acquiert dans un premier temps une mémoire partagée avec des artisans. En effet, c’est un architecte autodidacte. Sa formation commence dès son enfance. « Dans mon enfance, j’allais souvent regarder les chantiers en construction. »53 «J’ai grandi dans ce quartier-là, en regardant tous ces gens travailler avec leurs mains. »54. En regardant ces personnes travailler Ando commence à graver dans sa mémoire leurs savoirs et leurs savoirs faire. Il regarde comment ces artisans travaillent la matière pour la transformer en bâtiments. Il renforce sa mémoire lorsqu’il se met à faire des constructions avec ces artisans. Il apprend alors à son tour comment construire et travailler la matière. Ce travail va jouer un rôle très important pour la conception future de ses projets. C’est après quelques années de boxe et de voyages en Europe que Tadao Ando décide de devenir architecte et de monter sa propre agence. Il partage alors sa mémoire avec plusieurs architectes qui ont conçu les bâtiments de ses voyages. Il y eu notamment le « Peace Center » à Hiroshima, la « Villa Savoye » à Poissy, et le Parthénon en Grèce. « Vers vingt ans, j’ai sillonné le Japon. A Hiroshima, j’ai vu le Peace Center de Kenzo Tangue. C’est une construction en béton sur pilotis. Elle m’a beaucoup impressionné. »55. Gaston Bachelard précise « C’est par l’espace, c’est dans l’espace que nous trouvons les beaux fossiles […] les souvenirs sont immobiles, d’autant plus solides qu’ils sont mieux spatialisés. »56. C’est par leur spatialisation forte que ces bâtiments ont beaucoup marqué la mémoire de Tadao


Peace center : matérialité, horizon et verticales

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Villa Savoye et Parthénon : matérialité, horizon et verticales

Les références architecturales de la mémoire de Tadao Ando 53 p.15 op. cit. 44 54 p.17 id. 55 p.21 id. 56 op. cit. p.16

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Ando. Tous trois fonctionnent avec des grandes verticales et horizontales. Les horizons ramènent les jeux de verticalité à la terre. Il s’attache également beaucoup au travail de Louis I. Kahn. Tous ces souvenirs vont contribuer à créer son architecture qui se veut humble. Il travaille avec des formes très géométriques. On peut le constater dans plusieurs de ses dessins de projets comme la « koshino house » (q), la « chapel on the mount rokko »(r), ou le « Chichu art museum »(s). Ses projets sont souvent dessinés avec des cercles, ou des arcs de cercle, et des rectangles. Ils se déforment parfois pour s’articuler entre eux et ainsi générer différents espaces de vie ou de circulations.

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De plus, ses visites et son savoir, vont l’influencer dans le choix de son matériau. Il choisit le béton car « il me semble que le béton est actuellement le matériau le plus adéquat pour réaliser des espaces générés par la lumière »57. En travaillant le béton le plus finement possible, cela lui permet de créer différents effets de texture dans un bâtiment, le tout avec la même matière. Il obtient ainsi une continuité de matériaux avec des matérialités et ambiances particulières. Ce sont ces dernières qui génèrent en nous des impressions sensibles qui font appel à nos sens. Des jeux de luminosités, de matières marquent notre mémoire et fixent une image forte du lieu dans nos souvenirs. C’est pour cela que les bâtiments de Tadao Ando peuvent rester gravés dans notre mémoire. On peut y voir un béton brillant ou mat, brut de décoffrage ou lisse et chacun vient marquer une ambiance différente. Ses voyages et la rencontre qu’il fait avec un groupe d’artistes le mène aussi vers la qualification de l’espace par l’homme. On entend par là, la qualification de l’espace par le corps mais aussi par l’âme. « Quand j’étais adolescent, il y avait un groupe d’artiste […] les Gutai. Ils m’ont beaucoup appris et je me sentais lié à eux, car ils s’interrogeaient sur les liens entre l’origine de l’art et le corps. »58 « Comme vous voyez, j’ai approché l’architecture par deux biais physiques : la présence d’une forme et la perception du corps dans l’espace, travail que les Gutai m’ont aidé à perfectionner. »59. L’élévation de l’âme va souvent se faire par


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Des formes de projet géométrique : inspirées des mémoires d’architectes

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La matérialité du béton : génératrice d’impressions sensibles 57 p.67 op. cit. 50 58 p.99 op. cit. 44 59 p.100 id.

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la lumière et la profondeur de ses projets. La place du corps dans l’espace quant à elle est souvent liée à de petits espaces. Des espaces à taille humaine où l’on se sent protégé, et qui viennent parfois s’ouvrir sur des espaces plus généreux. « Au Maroc, j’ai été voir Kasbah-Tadla. Je me rappelle avoir pensé, quand j’ai vu le village au loin, que ça avait l’air très chaotique et désordonné. Mais en fait, quand vous entrez, vous saisissez le principe ordonnateur de cet endroit. Ce qui créé cet ordre c’est le style de vie des gens, l’ordre de vie des gens. »60. Son travail de la forme et du corps permet de s’accorder à l’ordre de vie des gens. Sa mémoire se rattache alors à une qualité spatiale du lieu. Pour rester dans nos souvenirs le lieu doit favoriser des échanges sociaux, il faut que l’on puisse se l’approprier et y faire des rencontres. Cela passe par son dimensionnement et la façon dont les volumes sont disposés dans l’espace. Par exemple la « azuma house » à un patio central, lieu de vie extérieur, qui est assez découpé et qui permet l’appropriation de ses espaces par les habitants. Il en est de même avec la « koshino house » qui a des hauteurs et des lumières différentes pour chaque espace de vie. Les volumes viennent s’adapter aux différentes fonctions de la maison. Les souvenirs de ses différents voyages et de ses rencontres ont inscrit dans la mémoire de Tadao Ando des façons de travailler la matière et l’espace afin que les usagers puissent s’en emparer et les garder en souvenir. Par son travail avec la matière et la lumière il vient créer des impressions sensibles qui restent fortement gravées dans nos mémoires. Il mobilise alors plusieurs types de mémoire pour concevoir ses projets. Il fait appel à deux mémoires collectives qui sont celles de sa famille et celle qu’il partage avec les artisans, artistes, et architectes. Il se sert également de sa mémoire individuelle en réinjectant les intuitions sensibles qu’il a pu percevoir auparavant. Enfin il utilise la mémoire qui s’associe au temps, à l’espace, au lieu et à l’imaginaire.


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Azuma house : des espaces découpés et appropriables

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Koshino house : des espaces dimensionnés pour chaque usage 60 p.22 op. cit. 44


B _ LA MÉMOIRE DE PETER ZUMTHOR : DÉTAILS D’OBJETS, DE MATIÈRES, DE LUMIÈRE, ET ATMOSPHÈRES 1 _ UNE MÉMOIRE PARTAGÉE AVEC SA FAMILLE : DES ATMOSPHÈRES, LES PRÉMICES DE SON ARCHITECTURE

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Peter Zumthor est un architecte qui accorde beaucoup d’importance à sa famille. « Le plus important c’est quand Antonine va à la crèche. Pour moi c’est le plus important que toute sorte d’architecture. »61. Les souvenirs qui se rattachent à sa famille sont d’autant plus forts et puissants pour lui. Le plus important, alors, c’est la pratique de l’espace encore plus que sa conception. Comme il est expliqué dans la première partie c’est sur les espaces de notre quotidien que se fixent nos souvenirs. Deux types d’espace se distinguent, notamment la maison de famille (ou appartement), et le quartier ou la ville dans laquelle elle se trouve. « C’est sur l’espace, sur notre espace […] qu’il faut tourner notre attention ; c’est là que notre pensée doit se fixer, pour que reparaisse telle ou telle catégorie de souvenirs. »62. C’est donc dans ses souvenirs d’enfance que Peter Zumthor va chercher ses clés de lecture de l’architecture, les premières façons de concevoir l’architecture. Il explique dans son livre Penser l’architecture que « Les racines de notre compréhension de l’architecture plongent dans notre enfance, dans notre jeunesse; elles se trouvent dans notre biographie. »63. C’est donc tous les évènements qui se sont passés avant, toutes nos expériences qui créent notre sensibilité architecturale. C’est à partir de ses souvenirs d’enfance qu’il cherche les atmosphères qu’il veut mettre dans ses projets. « De tels souvenirs portent en eux les impressions architecturales les plus profondément enracinées que je connaisse. C’est en eux que se fondent les atmosphères et les images que je tente de sonder dans mon travail d’architecte. »64. C’est ce que veut dire Bachelard quand il dit « Les vraies images sont des gravures. L’imagination les grave dans notre mémoire. Elles approfondissent des souvenirs vécus, elles déplacent des souvenirs vécus pour devenir des souvenirs de l’imagination. »65. Zumthor en se basant sur ses


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Village de la maison familiale de Zumthor : Lieu de souvenirs et d’atmosphères 61 4’50’’ Conférence Peter Zumthor, Dailymotion.com, Centre Pompidou, 19 mai 2011 62 op.cit. p.18 63 p.65 op. cit.1 64 p.8 id. 65 op. cit. p.30

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souvenirs d’enfance développe des vraies souvenirs de l’imagination, de vrais images fortes pour ses projets.

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C’est lorsqu’il évoque ses souvenirs d’enfance que nous comprenons d’où viennent ces atmosphères et l’importance qu’il accorde à la finition des détails dans ses projets. « Aujourd’hui encore, cette poignée-là m’apparaît comme un signe particulier de l’entrée dans un monde fait d’atmosphères et d’odeurs divers.» « Je me rappelle le gravier sous mes pas, le doux éclat du chêne ciré dans l’escalier, j’entends encore le bruit de la serrure au moment où la lourde porte se refermait derrière moi, je me revois longer le couloir obscur et entrer dans la cuisine, l’unique pièce véritablement lumineuse de la maison. »66. Il a une mémoire qui se raccroche beaucoup à la matière à sa finition et la sensation qu’elle peut produire ainsi qu’aux jeux d’ombres et de lumières. « Les détails doivent exprimer ce que demande l’idée fondatrice du projet à l’emplacement concerné de l’objet : appartenance ou séparation, tension ou légèreté, frottement, robustesse, fragilité… »67. Sa mémoire se rattache alors aux lieux et à ses productions d’impressions sensibles qui font appel à nos sens. Cette attention qu’il porte à la finition des détails se retrouve dans la majorité de ses projets. Par exemple il va faire le dessin d’une pièce d’assemblage pour le centre international d’exposition et de documentation de Berlin. Il fabrique des prototypes et une brique dimensionnée spécialement, pour le Kolumba Kunstmuseum, pour tester des effets de lumières et d’assemblages. Il dessine et fabrique le mobilier du pavillon de Londres. « J’ai fait cette table et cette chaise pliantes pour le Hortus.»68. Il dessine des lumières simples et minimales pour les Thermes de Vals. Ce sont tous ces détails qui vont contribuer à l’atmosphère des lieux.


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Travail du détail, des finitions du projet jusqu’au mobilier 66 p.7 op. cit. 1 67 p.15 id. 68 1:17’ op. cit. 61

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2 _ UNE MÉMOIRE PARTAGÉE AVEC SON VILLAGE, SON PAYS, ET DES HABITANTS : DES MATIÈRES, DES DÉTAILS, DES LIEUX, DES HISTOIRES, COMME BASES DE SES PROJETS Comme nous avons pu le voir précédemment, Peter Zumthor est très attaché à ses racines. Cela passe aussi par le pays dans lequel il vit, dans lequel il a grandi. Il s’appuie dans son travail sur la mémoire collective qu’il partage avec les habitants de son village, avec les habitants de son pays, et les ébénistes. On rappelle que notre mémoire est toujours liée à celle d’autres personnes. Nous appartenons à des groupes sociaux tout au long de notre vie.

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La mémoire collective qu’il partage avec les ébénistes lui apporte un savoir qu’il applique avec tous ses matériaux. Il travaille la finition, la matérialité sous plusieurs aspects, et la mise en valeur du matériau avec lequel il construit. « A l’âge de dix-huit ans, alors que mon apprentissage d’ébéniste touchait à sa fin, j’ai construit mon premier meuble suivant mes propres dessins. […] Pour mes meubles, j’ai choisi le frêne clair et j’ai travaillé les différentes pièces de manière à ce qu’elles aient un bel aspect de tous les côtés ; le devant et le derrière ont été fabriqués avec le même soin et avec le même matériau. »69. Lorsqu’il conçoit ses projets «je prends la résolution de me concentrer d’abord, dans mon travail, sur les choses simples et pratiques, de les rendre grandes, belles et de qualité. »70. Le travail de la matière vient créer une matérialité et une ambiance particulière que l’on ne trouve nulle part ailleurs. C’est la précision de ces effets qui ont marqués sa mémoire et qu’il tente de remettre en œuvre dans la majorité de ses conceptions. On retrouve sa finition et son travail du bois notamment dans le corps sonore suisse, qui par son agencement, vient générer des espaces des effets lumineux et sonores. La mémoire collective qu’il partage avec les habitants de son village, de son pays, auquel il fait appel, est une mémoire de lieux paysagers particuliers dans lesquels


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Le corps sonore : impressions sensibles lumineuses et auditives 69 pp.47-49 op. cit. 1 70 p.47 id.

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on peut y retrouver des enclos associés à des petites fermes de montagne. Cela passe également par la matérialité déjà présente dans ces paysages. Et enfin il partage une mémoire spirituelle autour du frère Nicolas, elle laisse donc place à une mémoire de l’image et de l’imaginaire.

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« Lorsque je travaille à un projet, je me laisse guider par les images et les atmosphères qui me reviennent en mémoire et que je peux associer à l’architecture que je recherche. Les images qui me viennent à l’esprit sont liées pour la plupart à des souvenirs personnels et donc rarement pourvues d’un commentaire architectural. J’essaie alors de découvrir ce qu’elles signifient et comment créer certaines formes et atmosphères imagées. »71. L’un des lieux dont il tire ses images est une maison de montagne dans laquelle il s’est rendu. « Cette maison de montagne me vient à l’esprit lorsque je pense à des bâtiments capables de m’offrir avec naturel et sans contrainte des situations correspondant au lieu, au déroulement de la journée, à mon activité et à mon état d’âme. »72. En plus d’avoir étudié la construction des maisons du Grison en tant qu’architecte pour le service des monuments historiques des Grisons, c’est sans doute la mémoire de cette maison de montagne qui l’a inspiré dans la conception des maisons Gugalun, Luzi, et Zumthor. Il s’agit de trois maisons en bois situées également en montagne venant se raccrocher sur l’image des anciennes fermes. La qualité architecturale de ces maisons se joue surtout dans la finesse des détails de construction. Son pavillon de la Serpentine Gallery à Londres est également inspiré des fermes des Alpes Suisses, plus précisément de leurs jardins. « Il faut que je vous dise qu’il y a dans les Alpes Suisse quelque chose de très beau. Il y a ces prés. Il y a des petits trucs rectangulaires avec des barrières, et à l’intérieur des barrières il y a des fleurs, ou des légumes des fermes. Il y a des prés, ces choses-là, parce qu’il fallait protéger les jardins des animaux, des daims et des cerfs. Mais il y a plus que ça. Pour moi on sent que quelqu’un s’occupe de quelque chose, protège quelque chose. Voilà peut-être ce qui m’intéresse ici. »73. Il se sert alors de sa mémoire


Maison Zumthor : insertion à côté de fermes anciennes et détail des finitions

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Maison Gugalun : extension d’une ancienne ferme et finition de la jonction des deux 71 p.26 op. cit. 1 72 p.44 id. 73 1:12’ op. cit. 61


qui se rattache au lieu par le biais d’espaces plus intimes et appropriables. De façon imagée il veut inscrire un espace intime, clos, dans un espace plus vaste et plus ouvert. De plus il mobilise aussi dans ce projet une mémoire qui fait appel au temps. Effet « Notre idée était de réunir les visiteurs sous un avant toit autour d’un jardin de fleurs qui se transforme en début de l’été jusqu’au cœur de l’automne, les fleurs fleurissent et se fanent »74. La transformation de ces fleurs devient un marqueur de temps pour les passants. Les ambiances se transforment au court des saisons ainsi que la qualité de l’espace. Les souvenirs que les passants se font sont alors gravés à un instant T.

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Enfin un dernier projet qui fait référence à la mémoire collective qu’il partage avec les Suisses, est la «Chapel Bruder Klaus». Elle est érigée en l’honneur du Frère Nicolas. Il puise dans l’imaginaire de sa mémoire en la concevant avec « lumière et ombre, eau et feu, matière et transcendance, en bas la terre, en haut le ciel ouvert. » Comme le mentionne Bachelard « La maison, comme le feu, comme l’eau, nous permettra d’évoquer […] des lueurs de rêverie qui éclairent la synthèse de l’immémorial et du souvenir. Dans cette région lointaine, mémoire et imagination ne se laissent pas dissocier. L’une et l’autre constituent dans l’ordre des valeurs, une communauté du souvenir et de l’image. »75 La force de la qualité architecturale de ce projet réside dans la force de l’image qu’elle transcrit. Une dernière mémoire collective qu’il partage et qui l’aide dans la conception de certains de ses projets est la mémoire des habitants qui vivent sur les lieux du projet. C’est par l’échange de leurs souvenirs que naissent les projets. Le premier exemple est le musée de mines de zinc d’Almannajuvet en Norvège. « Il y a une centaine d’année dans le Fiord il y avait une mine de Zinc. […] Pendant quarante ans il y avait une grande mine. […] L’idée est venu qu’on pouvait faire un musée du zinc avec un théâtre. »76 « Le musé est exactement à l’endroit où on acheminait le zinc. […] Ce sont des poutres, des trous, des boulons. »77. Il se place donc sur l’ancien lieu d’acheminement du zinc. On rappelle que la ville, comme lieu, peut


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Chapel Bruder Klaus, eau et feu, terre et ciel : image forte qui marque la mémoire 74 DURISCH Thomas, Peter Zumthor 2008-2013, «tome 5», Scheidegger & Spiess, p.131 75 op. cit. p.32 76 50’ op. cit. 61 77 56’ id.


être analysée comme la mémoire d’un homme. Elle est bâtie, tout comme notre mémoire, avec plusieurs couches, plusieurs épaisseurs qui se sont construites et succédées dans le temps. Même si le projet ne se trouve pas dans un contexte urbain, il vient tout de même dévoiler d’anciennes constructions humaines. Le projet vient s’ancrer au site et révéler une mémoire oubliée. C’est de la puissance de cette mémoire que va naitre le projet. Elle va impliquer la mise en place d’un parcours, des méthodes de construction simples, ainsi que la matérialité principale des bâtiments qui est le zinc. C’est donc bien cette mémoire collective qui est la source de la qualité architecturale.

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Un second exemple, qui part du même type de mémoire, est le mémorial pour les victimes des procès pour sorcellerie à Vardo en Norvège. « C’est au nord, là où c’est la fin de l’Europe. […] Au XVIIème siècle, là l’Eglise a tuée quatre vingt onze personnes, et a dit vous êtes des sorcières. […] Ce bâtiment est dédié à quatre vingt onze personnes. […] Chacune de ces sorcières aura une fenêtre et une lumière. »78 « C’est un échafaudage et c’est fait de textile. »79. La mémoire de ce lieu va impliquer un bâtiment tout en longueur percé de quatre vingt onze ouvertures assez petites. C’est un espace relativement sombre, pour marquer la tragédie, dont la lumière vient être apportée par des petites ampoules, symboles de lueurs pour chacune des âmes. Toute la spatialisation et les ambiances de ce projet reposent sur la valorisation de la mémoire du lieu.


Mémorial pour les victimes : une longueur représentative du nombres de victimes

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Une lumière, pour une âme. Construction simple hérité de sa mémoire d’ébéniste. 78 1:25’ op. cit. 61 79 1:29’ id. 80 DURISCH Thomas, Peter Zumthor 1990-1997, «tome 2», Scheidegger & Spiess, pp. 165-166 81 op. cit. p.22


Le projet du Kolumba Kunstmuseum quant à lui est bâti sur les ruines de l’ancienne église Sainte-Colombe à Cologne. C’est « une église gothique tardive détruite par les bombes, dans le sol de laquelle des fouilles ont mis à jour, couche après couche, les fondations de l’église, parvenant jusqu’aux vestiges de murs romains. »80. Le projet vient alors mettre à jour l’épaisseur de la ville, il révèle des souvenirs disparus. Il projette le visiteur dans un espace-temps. Sébastien Marot explique que « l’épaisseur d’espace-temps, de transparence en opacités, est plus ou moins disponible au voyage de la mémoire. »81. Zumthor couple alors à la mémoire collective, la mémoire du lieu, lue dans son épaisseur, avec une mémoire évoquant des impressions sensibles. Par ces petites ouvertures et une hauteur sous plafond importante au niveau de l’ancienne église, Zumthor redonne la spiritualité des lieux. On ressent l’élévation de l’âme par ces hauteurs importantes que l’on retrouve habituellement dans les églises gothiques.

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La famille, le contexte familial, et les lieux de vie de Peter Zumthor jouent un rôle essentiel dans ses projet car ils occupent une grande partie de la mémoire collective qu’il réinvesti, c’est sa mémoire de l’espace vécu. Néanmoins comme il l’explique en revoyant un même lieu quelques années plus tard, « Je n’ai pas été surpris de ces différences entre la réalité et mon souvenir. Je n’ai jamais été un bon observateur ni même voulu l’être. J’aime à m’imprégner d’une atmosphère, à me déplacer dans des configurations spatiales, et je suis content s’il m’en reste un sentiment agréable. »82. Ses souvenirs sont donc souvent transformés avec une part d’oubli et réinvestis par son imagination. Il fait souvent appel à la mémoire associée au lieu par le biais des impressions sensibles, et par les couches successives qui le constituent. On constate donc que Peter Zumthor mobilise plusieurs mémoires en même temps pour concevoir ses projets.


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Kolumba Kunstmuseum : ĂŠpaisseur de la ville et forte impression sensible 82 p.51 op. cit. 1

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C _ LA MÉMOIRE DE GEORGES DESCOMBES : TOPOGRAPHIE, ET GÉOGRAPHIE 1 _ UNE MÉMOIRE PARTAGÉE AVEC DES AMIS ET LES HABITANTS DE SON VILLAGE NATAL : SUPPORT DE LA RÉACTIVATION DU PAYSAGE DE SON ENFANCE

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Georges Descombes est un architecte genevois dont le travail se trouve à l’articulation entre l’architecture, la réhabilitation, l’art urbain, le paysage et l’art contemporain, le tout venant s’articuler au travers de la réactivation de la mémoire. La première mémoire sur laquelle il s’appuie est la sienne. Pour le projet de Lancy, ville de son enfance, il va utiliser ses souvenirs et sa mémoire individuelle, pour faire ressortir certain éléments d’ambiances, d’impressions sensibles du lieu. «Je m’introduisais avec des amis et dont la mémoire très précise joue sur l’obscur, l’écho, le clapotis de l’eau et la voie répercutée. C’était aussi, au milieu du canal, une cheminée verticale d’accès qui menait au milieu de la route, point d’observation risqué du trafic. »83. Il vient ainsi révéler les qualités spatiales, lumineuses et sonores qu’avait le lieu où il jouait avec des amis. Il va donc réinvestir ses souvenirs en les transposant dans son projet de pont-tunnel pour Lancy. Elle passe sous la route de façon assez étroite. Les matériaux et l’entrée de lumière vont également jouer un rôle important. « Tandis que la tôle ondulée évoque les plissements et les reflets de l’onde, le plancher et le grillage de la passerelle permettent d’exploiter le tambour du tunnel et les vibrations de la structure. Quant à la vieille cheminée d’accès évoquée par Descombes, elle a engendré le motif du puits vertical qui, émergeant dans le terre-plein de la route, vient éclairer le tunnel à l’endroit précis où, en plan, le promeneur est censé franchir le ruisseau. »84. Il mobilise alors sa mémoire de l’espace qu’il a souvent pratiqué, et la mémoire du lieu pour ses ambiances.


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Ancienne canalisation du Voiret : lieu de la mÊmoire d’enfance de Descombes 83 p.102 op. cit. 13 84 p.102 id.


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Néanmoins il partage cette mémoire aussi avec ses amis et les habitants du village. Sa mémoire individuelle vient s’inscrire au sein de la mémoire collective des villageois. La géographie du village vient alors jouer un rôle important pour lui. « Le vieux village de Lancy est installé là, sur une sorte d’éperon taillé par l’Aire, petite rivière qui, après avoir sillonné la pleine éponyme, débouche à cet endroit du plateau pour se diriger vers Genève où elle se jette dans l’Arve peu avant la « Jonction » de celle-ci avec le Rhône. »85. « Cette « plaine », naguère bocagère et marécageuse, faite de douces ondulations de terrain, sillonnée de nombreux ruisseaux et régulièrement visitée par les crues de la rivière, fut littéralement planifiée au cours des années 1920, et transformée en une vaste étendue agro-industrielle. »86. Par l’aplanissement du terrain le lieu vient perdre les accroches de la mémoire. L’uniformité ne laisse plus place à l’appropriation des lieux pour y rester mais aussi pour y graver des souvenirs. Descombes va alors travailler le sol en jouant sur les niveaux de la topographie. Il joue avec les épaisseurs du socle ce qui permet de révéler la mémoire des habitants qui avait disparu. « Un paysage en trois dimensions devient ainsi la représentation d’un autre, en quatre dimensions, que l’imagination des habitants et des promeneurs peut développer, peupler et investir. »87. Par le biais de la mémoire il investit alors la notion du temps dans ses projets. Il révèle les qualités enfouies du lieu.


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Jeux de la topographie : révélation de la mémoire collective

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85 p.92 op. cit 13 86 p.94 id. 87 p.118 id. 88 p.104 id. 89 «bonus» Film LOPEZ Carlos, Georges Descombes : Un architecte dans le paysage, C-side production, 2010 90 p.112 op. cit. 13 91 «bonus» op. cit. 89


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L’élément le plus fort en termes de marqueur de temps dans ce projet, reste la passerelle. « Avec cette passerelle, c’est une représentation paysagère in situ que l’architecte met en œuvre, une représentation qui ne s’adresse pas seulement à l’œil […] mais au corps dans son ensemble, invité à éprouver l’étoffe indissolublement spatiale et mémorielle de la situation. »88. Il joue avec la longueur de l’espace du tunnel. Sa prolongation avec la passerelle, construite en un seul matériau, donne l’impression de circuler dans un couloir du temps. Par ce jeu d’imbrication Descombes vient « Donner un indice de la situation donné et la situation modifié »89 « L’esthétique de la révélation entretient une tension entre le passé et le présent, entre ce qui est là et ce qui n’y est plus. »90. Son travail se porte donc sur la révélation de la mémoire au travers de l’organisation spatiale. En plus de ses souvenirs réels Descombes ajoute à son projet une part de son imaginaire. « Je lui ai ajouté des couches de mes rêves, de mes désirs. »91. Dans une partie de sa mémoire sont gravées des images d’ambiances et d’imagination de ces lieux où il se prêtait à rêver étant enfant. Il réinvestit donc sa mémoire de l’imaginaire pour venir ajouter des couches de paysage, des couches de mémoire, afin d’offrir plus de qualités et d’appropriations de l’espace. Ainsi « Le tunnel va chercher les enfants dans la forêt loin de la route. »92 Dans ce projet à Lancy, ville de son enfance, Descombes mobilise plusieurs mémoires. Il créé la qualité architecturale, et surtout paysagère, de son travail en venant valoriser et révéler l’ensemble des mémoires associées à ce lieu, à ce village.


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Le pont-tunnel révélateur de l’ancien et du neuf, de la mémoire et du présent 92 «bonus» op. cit. 89


2 _ UNE MÉMOIRE PARTAGÉE AVEC LES HABITANTS : SUPPORT DE LA RÉVÉLATION ET RÉAPPROPRIATION DES LIEUX Tout comme nous avons pu le voir avec Lancy, les projets de Descombes portent sur la valorisation d’un paysage et de la mémoire. Dans chacune de ses interventions il vient s’appuyer sur les différentes mémoires des habitants, sur la mémoire collective du lieu. Comme il l’explique dans le film Un Architecte dans le paysage « Lorsqu’on parle de parc ou de jardin ou d’espace publics on travail véritablement sur le projet du sol. Le sol est notre matériau de base. »93. C’est pourquoi toutes la qualité de son travail paysager réside dans ce jeu topographique.

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Le Parc de la cour du Maroc se dessine sur les traces d’anciennes lignes ferroviaires. C’était une volonté des habitants dont la vue donnait sur ces rails de les transformer en espace publique, en un jardin agréable. C’est un « territoire linéaire, champs ferroviaire » « disposition de souvenir des voix »94. Descombes vient s’appuyer sur les rythmes et la structure linaire des rails. Il garde le fonctionnement des espaces en bandes. « On a insisté sur cette géométrie parallèle » « inscrire toute les exigences programmatiques dans les longueurs »95. Ainsi les programmes, les circulations, les espaces se dessinent sur ces longues bandes. Même le mobilier urbain est dessiné dans cette longueur et ces parallèles. Des passages viennent se glisser entre et permettent de se déplacer transversalement dans le parc. Toutes les qualités de ce parc résident dans la conservation de la mémoire des voies ferroviaires. Le Bijlmermorial est un parc conçu en l’honneur des quarante trois victimes mortes lors du crash d’un avion sur une tour d’habitations à Bijlmermeer en 1992. « L’origine du projet c’est plutôt d’honorer, de rappeler le souvenir des gens qui ont péris lors de l’accident d’avion »96. Il s’appuie sur les grandes lignes structurantes de l’ancien emplacement des bâtiments. « On perçoit des petites


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Parc de la cour du Maroc : grandes parallèles révélatrice des anciens rails 93 94 95 96

16’ op. cit. 89 26’22’’ id. 27’31’’ id. 38’31’’ id.


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parties de bâtiments, mais on voit surtout comment tout continue à pousser, comme la vie continue. Cependant, ces gestes restent si forts qu’on ressent toujours cette absence. »97. Son travail s’appuie surtout sur la présence du vide laissé par le bâtiment et le vide créé par la perte d’êtres chers. Il s’appuie sur la disparition d’une partie des mémoires, son oublie, pour créer un point d’accroche aux nouveaux souvenirs. Il explique que « c’est jamais la forme pour la forme, mais c’est toujours un commencement pour les gens, pour l’utiliser » « la forme c’est fait pour que les autres le remplissent le complète par la vie. »98. Il génère des espaces, des lieux, qui favorisent les échanges sociaux et contribuent à la création d’une nouvelle mémoire collective. Dans un projet « L’invention, elle est nourrie de ce qui était avant, et du déplacement qu’introduit chaque génération. »99. Effet « il existe à chaque époque un étroit rapport entre les habitudes, l’esprit d’un groupe et l’aspect des lieux où il vit. »100. La transformation de ce lieu, permet une réappropriation de l’espace par les habitants tout en gardant en mémoire les souvenirs de l’accident. On peut donc dire qu’au travers de ses différents exemples que Georges Descombes s’applique à restituer la mémoire des lieux, la mémoire de la ville, en travaillant dans l’épaisseur. Il s’appuie également sur la mémoire collective des habitants et leurs ressentis pour venir créer la qualité paysagère de ses projets.


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Bijlmermorial : Des lignes fortes et des vides occupés par la végétation révélateur de mémoire 97 44’23’’ op. cit. 89 98 45’48’’ id. 99 54’05’’ id. 100 op. cit. p.20


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CONCLUSION


Au travers des différents exemples nous avons pu voir des architectures remarquables. Chacune d’elles présentent des qualités architecturales ou paysagères. Elles évoquent des images puissantes dans les mémoires des passants. Cette puissance tient au fait qu’elles sont elles-mêmes tirées d’images spatiales gravées dans la mémoire des architectes. Nous les gardons en mémoire car elles font référence à des espaces stables comme une maison natale, ou le quartier où l’on grandit.

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Ceci peut être aussi lié au fait que l’image se rattache au lieu, à une matérialité, à une impression sensible. De ce fait notre mémoire a des éléments sur lesquels se rattacher, se graver. Les lieux peuvent laisser place à l’imaginaire. Ce sont des espaces qui favorisent la création de souvenirs, et de leur partage, en offrant des intimités. C’est aussi parce que ces architectures mobilisent une notion de temps qu’elles nous permettent de figer une ambiance, un moment, à un instant précis.

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De plus on a pu voir qu’il existait plusieurs façons de comprendre la mémoire. Mais afin de concevoir un projet, des qualités architecturales, l’architecte a toujours besoin de faire appel à plusieurs d’entre elles, et de les croiser pour qu’elles deviennent un potentiel de création. Tadao Ando mobilise plus la mémoire de son enfance, du temps, et de l’espace qu’il met en place au travers de la lumière, de la matière et du corps dans l’espace. Peter Zumthor, lui, s’inspire plus de la mémoire des lieux de son enfance, des impressions sensibles, et de la mémoire de l’imaginaire, qu’il matérialise dans ses détails d’objets, de matières, de lumière, et ses atmosphères. Quant à Georges Descombes, son travail se porte plus sur la mémoire collective des lieux, des habitants, et la mémoire du temps, il les concrétise par son travail de la topographie, et de la géographie.

La mémoire devient alors une source pour générer une qualité architecturale ou paysagère lorsqu’elle se fragmente, se multiplie, et se recroise. Elle est le point de départ de l’imagination, et un potentiel de création. Il est donc important en tant qu’architecte de puiser dans notre biographie, dans nos souvenirs les plus ancrés, et dans ceux des habitants, pour tenter de faire partager des impressions aussi fortes que celles de notre mémoire. Ainsi, nos architectures présenteront des espaces de qualité qui donneront envie aux gens de s’en emparer. En effet si la mémoire permet de générer des qualités architecturales, ces mêmes qualités permettent de garder en mémoire l’architecture conçue.


A l’heure où nous construisons les villes, et les architectures de demain, la mémoire collective prend de plus en plus d’importance par la consultation des habitants. Cela permet, par la suite une bonne intégration des espaces par les habitants. On peut alors se demander jusqu’à quel point cette mémoire collective est importante dans les projets, et, si dans certain cas, elle ne finit pas par nuire à la qualité architecturale ou paysagère, en inhibant la mémoire individuelle et imaginaire de l’architecte.

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier Sophie Paviol pour le suivie régulier de ce mémoire. Je remercie également Marie Hamon et mes parents pour la relecture des textes.

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BIBLIOGRAPHIE ANDO Tadao, Du béton et d’autres secrets de l’architecture, L’Arche, 2007, trad. Fr. de Michael Aupigny BACHELARD Gaston, La poétique de l’espace, Paris, puf, 1957 DURISCH Thomas, Peter Zumthor 1990-1997, «tome 2», Scheidegger & Spiess DURISCH Thomas, Peter Zumthor 2008-2013, «tome 5», Scheidegger & Spiess

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FILMOGRAPHIE Conférence Peter Zumthor, Dailymotion.com, Centre Pompidou, 19 mai 2011 Film LOPEZ Carlos, Georges Descombes : Un architecte dans le paysage, C-side production, 2010

ICONOGRAPHIE a Carte Cassini d’Orléans : http://www.geoportail.gouv.fr

k Luca Molinari, Ando Museums, Milan, SKIRA, 2009

b L’oeil de l’imagination, Robert Fludd, Ars Memoriae, Oppenheim, 1619 : tiré de

l/m/n/o Google image, mai 2014

MAROT Sébastien, l’art de la mémoire, le territoire, et l’architecture , Paris, la Villette, 2010

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p Photographie personnelle, août 2013

c Illustration personnelle

q/r/s Tadao Ando Sketches Zeichungen, Berlin, BirkhÄuser Verlag Basel, 1990

d Photo de maquettes de Saillans : Illustration personnelle

t Chichu art museum, Luca Molinari, Ando Museums, Milan, SKIRA, 2009

e Illustration personnelle

u Shiba ryotaro memorial museum, Luca Molinari, Ando Museums, Milan, SKIRA, 2009

f/g Photographies personnelles, mars 2010 h Luca Molinari, Ando Museums, Milan, SKIRA, 2009 i El croquis, «Tadao Ando 1983-1993», Madrid, Conjunta Volume 44+58, 1994 j TIRONI Giordano, Tadao Ando, Ombres Portées, Genève, 1998

v Koshino house, El croquis, «Tadao Ando 1983-1993», Madrid, Conjunta Volume 44+58, 1994 w/x Google image, mai 2014 y El croquis, «Tadao Ando 1983-1993», Madrid, Conjunta Volume 44+58, 1994


ICONOGRAPHIE

z http://obsessivecollectors.com/atelier-zumthor

hh DURISCH Thomas, Peter Zumthor 2002-2007, «tome 4», Scheidegger & Spiess

aa Kolumba kunstmuseum, DURISCH Thomas, Peter Zumthor 1990-1997, «tome 2», Scheidegger & Spiess

ii DURISCH Thomas, Peter Zumthor 19901997, «tome 2», Scheidegger & Spiess jj/kk/ll MAROT Sébastien, l’art de la mémoire, le territoire, et l’architecture , Paris, la Villette, 2010

bb Thermes de Vals, DURISCH Thomas, Peter Zumthor 1990-1997, «tome 2», Scheidegger & Spiess cc Serpentine Gallery Pavillon, DURISCH Thomas, Peter Zumthor 2008-2013, «tome 5», Scheidegger & Spiess dd DURISCH Thomas, Peter Zumthor 1990-1997, «tome 2», Scheidegger & Spiess ee DURISCH Thomas, Peter Zumthor 19982001, «tome 3», Scheidegger & Spiess ff DURISCH Thomas, Peter Zumthor 19901997, «tome 2», Scheidegger & Spiess gg DURISCH Thomas, Peter Zumthor 19982001, «tome 3», Scheidegger & Spiess

mm/nn Film LOPEZ Carlos, Georges Descombes : Un architecte dans le paysage, C-side production, 2010 oo Google image juin 2014 pp Film LOPEZ Carlos, Georges Descombes : Un architecte dans le paysage, C-side production, 2010

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Édition originale Rédaction : Alice Perrin Imprimé à Grenoble, juin 2014




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