Le MBAB, un palimpseste architectural au prisme des discours sur l'espace muséal

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UEL322B rapport d’étude Année 2020

COEURDACIER DE GESNES Alizée

Le musée des Beaux-Arts de Besançon, un palimpseste architectural au prisme des discours sur l’espace muséal.

Directeur de rapport d’étude : Gauthier Bolle


Sommaire

Introduction

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I / Le musée au prisme des discours politiques, de 1960 à nos jours

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Un discours politique national : la politique culturelle de Malraux

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Un discours politique local : des enjeux pour la ville de Besançon

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II/ Un musée au prisme des discours d’architectes

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Discours autour du musée à croissance illimitée

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Discours sur la lumière et l’exposition d’œuvres.

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Dialogue avec l’existant

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Conclusion

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Annexe

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Dictionnaire des personnalités

Sources imprimées, bibliographiques et numériques

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En couverture : Photographie du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon Extrait de : Adelfo Scaranello, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon scénographie, volume 2 , Dijon , ed les presses du réel, 2020. [page en ligne sur les presses du réel] consultée le 26/05

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Introduction Lorsque j’ai visité le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon en 2019, derrière la façade néoclassique de l’ ancienne halle aux grains de la ville, je ne m’attendais pas à découvrir une telle architecture. Depuis ma visite de la Tate Modern à Londres , je suis sensible aux projets de réhabilitation. Je me suis donc beaucoup interrogée sur ce musée atypique construit en trois temps, dont les interventions, certes distinctes, dialoguent entre elles et forment un ensemble cohérent indépendamment des siècles et des idées qui les séparent. Le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon (MBAAB) est considéré comme le plus vieux musée de France, car dès 1694, des expositions d’art religieux sont installées à cet endroit. Son histoire architecturale débute réellement en 1843, avec la construction d’une nouvelle halle aux grains édifiée par Pierre Marnotte. L’édifice aux façades néoclassiques se compose sur deux niveaux accueillant à l’étage des collections d’arts. Œuvres et activités commerciales y cohabitent un temps, puis en 1883 le bâtiment est entièrement converti en musée. L’accroissement des collections décide la ville à construire un véritable espace muséal au sien des murs du bâtiment de Marnotte. Le projet réalisé de 1964 à 1971, est confié à Louis Miquel, un ancien collaborateur de Le Corbusier, très imprégné de ses réflexions sur l’architecture du musée. Ainsi l’intervention de Miquel ne doit pas être comprise qu’au regard de l’existant mais également au regard des idées de Le Corbusier et des architectes des années 1950 qui ont fait évoluer les idées autour de l’architecture muséale. Deux constructions coexistent et se répondent, celle de la halle historique de Marnotte et l’architecture expressive, en béton développé par Miquel, dans une dichotomie étonnante. En 2013, le besoin de mise aux normes d’accessibilité des lieux ainsi que l’assombrissement de l’espace dû à la dégradation de la verrière, décide la municipalité à lancer un concours d’architecture pour intervenir une nouvelle fois. L’architecte Adelfo Scaranello est retenu grâce à son projet qui cherche par le biais d’outils immatériels, (la lumière naturelle, et la transparence) à rendre plus lisible le dialogue entre l’architecture de Miquel et le bâtiment de Marnotte. Il prend des partis pris nouveaux comme celui de s’ouvrir sur la ville, témoignant d’une évolution des idées sur le musée. Ainsi, il m’a paru intéressant de comprendre ces deux architectures au prisme des discours politiques et architecturaux qui ont amené à ces projets. Comment ont évolué les politiques culturelles depuis 1950, et quels impacts ont-elles eu sur la création de musée en France ? Quels sont les grands concepts d’architecture muséale sous-jacents à ces deux rénovations ? Quels discours sur l’architecture muséale ont conduit Miquel et Scaranello vers ces choix ? Figure 1: Photographie de la façade d’entrée actuelle. La façade en pierre est de Marnotte, les occultations et le dessin des menuiseries sont déssinés par Scaranello Nicolas Surlapierre et Adelfo Scaranello, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, Dijon, les presses du réel, janvier 2019 [page en ligne sur les presses du réel] consultée le 26/05

On connaît aujourd’hui très bien les réflexions sur l’espace muséal développé par Le Corbusier notamment au travers du musée à croissance illimitée qui a beaucoup inspiré Miquel. Catherine de Smet dans Le Corbusier, penseur du musée1, tout comme Maria Cristina Cabral dans « la maison moderne des muses »2, ont écrit sur le discours tenu par le Corbusier autour du musée. Outre ces publications, ce rapport d’étude se fonde essentiellement sur l’analyse de documents issus du fond Louis Miquel, conservé au Centre d’archives d’architecture du XXe siècle, et de documents graphiques issuent de revues référençant le projet de Scaranello. Pour construire le propos, ces documents graphiques ont été mis en regard avec les idées d’autres architectes, autour de l’architecture du musée explicité dans des textes. Nous analyserons ce projet en deux temps : en premier lieu, au regard des discours politiques et culturels qui émergent dans la seconde moitié du XXe siècle, et par la suite , au prisme des discours d’architectes, montrant l’ambivalence de l’architecture du musée, entre héritage et révision du Mouvement moderne.

1 De Smet Catherine, Le Corbusier, penseur du musée, Paris, edition Flamarion, septembre 2019, 229 p.

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2 Cabral Maria Cristina, « la maison moderne des muses », Cahiers philosophiques, 2011, n°124, p. 43-65

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Un musée au coeur du centre ville historique de Besançon

I/

Le musée au prisme des discours politiques, de 1960 à nos jours 1.

Un discours politique national : la politique culturelle de Malraux

L’évolution de la vocation des équipements culturels après 1950 en France, a engendré une succession de politiques culturelles, à la source de nombreux projets de musées en province, dont celui de Besançon. Ces nouvelles orientations se sont dessinées à partir de l’entre-deux-guerres, lorsque les pouvoirs publics commencent à se rendre compte de l’importance du patrimoine, du poids des institutions héritées (musée des Beaux-Arts, théâtre et bibliothèque) ainsi que du poids économique du tourisme, incitant les municipalités à investir dans les équipements culturels. Il faut cependant attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir apparaître ce nouveau paysage culturel suite à la mise en place d’un cadre institutionnel. Le Ministère des Affaires Culturelles, créé en 1958, est attribué à André Malraux (1901-1976). Sa création marque la rupture avec les institutions héritées (dont les Beaux-Arts) et fait de la culture une affaire d’État à travers trois objectifs : la démocratisation, la diffusion et la création. La politique de Malraux a un but social de démocratisation de la culture passant par une décentralisation des lieux de culture, notamment des théâtres et des musées. Le ministère vise à rendre accessible les œuvres au plus grand nombre, c’est ce qu’on appelle communément «l’action culturelle». Ces idées se diffusent en France, et se formalisent sous la forme des maisons de la culture dont la première est construite au Havre en 19633. Ce projet pose les principes de ce que doit être un musée d’après-guerre : un musée en province, qui démocratise la culture, et qui est un lieu de création et d’exposition pour tous, tout en étant architecturalement novateur 4. La multiplication de musées en province est également facilitée par une autre institution que le ministère, la Direction des Musées de France (DMF), qui subventionne de nombreux nouveaux musées comme celui de Besançon. En effet, après-guerre, la DMF met en place une politique de modernisation des musées de province, qui lui permet de soutenir les municipalités à hauteur de 20 à 40 % de l’investissement total dans la modernisation de leur musée5.

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Figure 2 : Plan de Besançon dessiné par Valluet en 1842. Au numéro 13 figure l’ancienne halle aux grains, autour de la place de la Révolution. Extrait du site internet mémoire vive, patrimoine numérisé de Besançon [ consulté le 23/05]

La politique menée par Malraux est aussi orientée vers la conservation et la mise en valeur du patrimoine. D’ailleurs, dès 1962, la loi des secteurs sauvegardés (dite « loi Malraux ») est mise en place afin de préserver les centres historiques des villes au riche patrimoine (comme Besançon). Les années 1960 sont donc des années où les élus locaux sont sensibilisés au patrimoine, ceci explique notamment le choix d’installer le nouveau musée des Beaux-arts de Besançon dans une ancienne halle aux grains, dans le centre ville historique (voir figures 2 et 3).

2.

Un discours politique local : des enjeux pour la ville de Besançon

Un projet de musée permet de mettre en lumière le dynamisme culturel d’une ville et de la faire rayonner tant sur le plan socio-culturel que sur le plan politique et économique. La création d’un espace muséal dédié pour la collection de Beaux-arts à Besançon est donc un enjeu majeur pour Jean Minjoz6, maire de Besançon de 1953 à 1977, très impliqué au niveau de la culture7. En 1963, Georges et Adèle Besson font don de leur collection à la DMF, sous condition que les œuvres soient exposées dans leur région d’origine, la Franche-Comté. Seule Besançon leur fait la proposition d’aménager, tout spécialement, un nouvel espace muséal8. Même si il a été évoqué au départ du projet en 1963, de construire un nouveau bâtiment, la réhabilitation du musée installé dans le bâtiment de Marnotte a finalement été privilégiée, du fait de sa situation en centre urbain, et de son intérêt patrimonial. En effet, l’ancienne halle aux grains de Marnotte fait partie d’un ensemble de constructions néoclassiques qui bordent la place de la Révolution. Elles apparaissent comme des bâtiments à sauvegarder, pour leur architecture maîtrisée, leur histoire, et pour la préservation de la cohérence du centre ville. Le bâtiment, de plan carré quasi-parfait de 50 m de

Figure 3 : Plan de rez-de-chaussé, du musée avant sa deuxième rénovation. 0

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Plan de Scaranello tiré de la conférence donnée à la cité de l’architecture et du patrimoine [ en ligne], consulté le 23/05

3 Le Musée d’Art Moderne André Malraux du Havre construit entre 1953 et 1961 principalement par les architectes Guy Lagneau,(1915-1996) et Jean Prouvé (1901-1984) est la première maison de la culture en France. C’ est un musée majeur pour l’architecture d’après-guerre qui a marqué l’évolution de l’architecture des musées. 4 Girard Augustin, « Les politiques culturelles d’André Malraux à Jack Lang : rupture et continuités, histoire d’une modernisation », Hermès, la revue, 1996, n°20, p.27-41. 5 Poirrier Philippe, « L'histoire des politiques culturelles des villes », Vingtième Siècle, revue d'histoire, janvier-mars 1997, n°53, p.129-146; 6 Jean Minjoz (1904-1987) est élu maire socialiste (parti SFIO) de Besançon en 1953, fonction qu’il conservera pour trois mandats. 7 Le budget alloué à la culture en 1970 est l’un des plus important en France, s’élevant à 7 % du budget total, information tirée de Borraz Olivier, « Jean Minjoz et l’expansion urbaine (1953-1977) », In : Gouverner une ville : Besançon, 1959-1989 [en ligne].Rennes, presses universitaires de Rennes, 1998. 8 Duverget Chantal, « George Besson critique d’art et collectionneur (1882-1971) », INHA- Collection Archives de la critique d’art.

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La halle aux grains conçue par Pierre Marnotte en 1843

coté, s’élève sur deux niveaux, avec en son centre une grande cour centrale entourée d’arcades (voir figures 4 et 5). Les façades révèlent la rigueur, et la symétrie de l’architecture néoclassique, composée d’une alternance d’arcades et de pilastres. Les niveaux sont limités par des corniches qui soulignent l’horizontalité du bâtiment. Depuis sa construction la halle aux grains a toujours servi de lieu d’exposition (voir figure 7), ce qui va orienter le choix d’installer le nouveau musée des Beaux-arts de Besançon dans cet espace.

Une architecture néoclassique, symétrique et orthogonale.

Ce projet de rénovation d’envergure devait être confié à un grand nom de l’architecture du Mouvement moderne ou du moins à un architecte qui partageait les idées du Mouvement moderne. Le nom de Le Corbusier a été proposé par les donateurs, car il est bien connu des Francs-Comtois pour la Chapelle de Ronchamp (1953-55). Le Corbusier est également l’une des rares personnalités du Mouvement moderne à avoir mené une réflexion approfondie sur les musées, à travers son projet initié en 1929 autour du principe d’un musée à croissance illimitée. Refusant de réaliser le projet, ce dernier est proposé à un de ses collaborateurs André Maisonnier, lui même ne pouvant donner suite, propose à André Wogensky9, qui à son tour, va conseiller Louis Miquel10, lui aussi ancien collaborateur de Le Corbusier. Ce choix n’est pas neutre, mais il est guidé par l’ambition de faire un musée moderne novateur, qui fera connaître Besançon sur le plan culturel. C’est un projet d’importance qui se joue, et pourtant le projet est confié à Miquel, un architecte qui n’a encore que très peu construit, mais à qui la municipalité laisse de grandes libertés pour intervenir. Cette rénovation est un projet majeur de la politique culturelle de Besançon. Elle coûtera au total trois millions de Francs dont 40 % de prise en charge par l’État. Livré avec plus de deux ans de retard, le musée ouvre enfin ses portes en 1971. Critiqué par certains, admiré par d’autres, une chose est sûre : le nouveau musée avec son architecture innovante et expressive ne laisse personne indifférent.

Figure 4 : Plan du projet de Marnotte en 1843 «les trois âges de la forme : restructuration du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon», D’A d’architecture, mars 2019, n° 269.

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Figure 5 : Dessins de Pierre Marnotte en 1842 sur lesquels la charpente à lanternon remplace la rotonde initialement prévue pour couvrir l’espace central

Cependant, le musée se dégrade aux fils des années : Les visiteurs commencent à le juger sombre et austère. Le besoin de nouveaux espaces va conduire à une altération de l’architecture (par l’ajout de cloisonnement, d’obstruction des ouvertures qui viennent parasiter la lecture de l’architecture de Miquel). Le bâtiment ne répond pas aux normes actuelles en vigueur pour les bâtiments publics et ceci va décider la ville à entreprendre une nouvelle rénovation en 2012. En plus de la rénovation architecturale confiée à Adolfo Scaranello11, le musée se dote d’un nouveau projet culturel et scientifique (PCS) qui vise une plus grande ouverture culturelle et une plus grande accessibilité du musée12. Une politique volontariste est menée en direction des publics en situation de handicap et des publics éloignés de la culture. Ce PCS reprend les idées du musée pour tous développées par Malraux. Le projet de Scaranello répond à un triple enjeu : l’ouverture du musée sur la ville, la mise en accessibilité des lieux ainsi que la préservation de l’histoire architecturale. L’architecture répond-elle alors à des objectifs politiques ? et doit elle être une figure forte pour la ville, représentative de sa politique culturelle ? L’actuel maire de Besançon, Jean-Louis Fousseret, parle du projet en ces termes : « Un acte politique fort qui fera rayonner Besançon dans la nouvelle région Bourgogne Franche-Comté »13. En outre, l’importance de l’ouverture d’un musée et de son rayonnement culturel, ont été mis en valeur lors de son inauguration, montrant les enjeux politiques sous-jacents à une tel projet. Ainsi, pour le ministre de la culture Franck Riester « c’est véritablement une chance pour ce territoire, pour la ville de Besançon, pour le département et la région d’avoir un tel musée, qui, on peut le dire fait partie des grands musée français14».

Extrait du site internet du conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environement [http://fncaue.fr/pedagogie] consulté le 23/05

Figure 6 (à droite) : Gravure du « palais à tout faire », la halle aux grains en1843 Figure 7 (à gauche): Photographie de la halle en 1960, utilisée comme musée

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Extrait du site internet du CAUE [http://fncaue. fr/pedagogie] consulté le 23/05

9 Voir dictionnaire des personnalités 10 Voir dictionnaire des personnalités 11 Voir dictionnaire des personnalités 12 Annonyme, « le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, dossier de presse », musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, novembre 2018. 13 Paroles de Jean-Louis Fousseret cité dans Perruchot Christianne, « le musée des Beaux-Arts de Besançon fait peau neuve », Traces écrites news [en ligne], 4 mars 2016, [consulté le 23 mai 2020]. 14 Interview de Franck Riester dans France 3 Bourgogne-Franche-Comté, « Le musée des Beaux arts inauguré par Emmanuelle Macron », [vidéo en ligne], youtube, 16 novembre 2018 [vue le 21 mai 2020]

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L’architecture de Miquel

II/ Un musée au prisme des discours d’architectes

Une structure ascensionnelle en béton banché édifiée au centre de l’ancienne halle aux grains. 1.

Discours autour du musée à croissance illimitée

Si la filiation avec Le Corbusier15 dans le travail de Louis Miquel est indéniable, il s’inscrit dans un courant de pensée plus large, celle du renouveau du programme muséal initié dans les années 1920 et qui traverse tout le XXe siècle. La figure du musée en vigueur depuis le XVIIIe siècle est incarnée par le palais muséal, dans des édifices classiques, notamment pour les musées des Beaux-Arts. Les œuvres sont présentées dans des salles d’exposition en enfilade, dans lesquelles l’espace est figé. Les architectes du Mouvement moderne s’emparent rapidement de la question de l’espace muséal qui devrait être selon eux un espace à la fois perméable et flexible. C’est l’idée fondamentale de la création du musée moderne, qui s’exprime dans de nombreux projets dont celui du musée à croissance illimitée de Le Corbusier16. Théorisé à partir de 1930 et publié en 1939, il représente un projet novateur autour de la question du musée moderne17. Les deux idées fondatrices de ce musée moderne sont l’intériorité totale du bâtiment et la flexibilité de l’espace. Pour Le Corbusier, le musée doit être sans façade et sans rapport avec l’extérieur. La forme de spirale carrée centripète donne toujours des vues sur le centre du musée. L’attention du visiteur est ainsi focalisée sur les collections et non sur ce qui se passe à l’extérieur18. Le projet de Miquel au MBAAB s’inscrit dans cette lignée en occupant le centre du bâtiment (voir figure 9), tirant parti de la contrainte de l’enveloppe pour s’en détacher et adopter une position de repli du musée sur lui même. Il privilégie l’éclairage zénithal à l’instar des fenêtres existantes en façade qui sont alors bouchées. Le musée des Beaux Arts et d’Archéologie de Besançon a donc des façades, mais ces façades sont devenues aveugles (exceptée la façade sud). L’extension de Miquel se coupe donc de la ville, n’offrant plus de vue sur l’extérieur et recentrant l’attention uniquement sur les collections, fidèle au modèle corbuséen (voir figures 8 et 10) .

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Figure 8 : Plan du premier demi-étage du plan de Miquel, du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon Extrait du site internet du CAUE [http://fncaue.fr/pedagogie] consulté le 23/05

Figure 9 : Axonométrie en écorché du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon. Fonds Louis Miquel , Cité de l’architecture et du patrimoine, archives d’architecture du XXe siècle.

Deux tendances s’opposent autour de la question du musée en 1950. D’une part, celle de l’intériorité du musée, d’autre part celle qui cherche à s’ouvrir sur l’extérieur comme dans les projets de Ludwig Mies Van Der Rohe19. Même si le musée totalement vitré, avec une grande porosité intérieur/extérieur de Mies van der Rohe est valorisé par certains artistes et penseurs (comme Richard Serra et Alan Colquhoun20), il est largement remis en cause, en grande partie pour des raisons de conservation. Alan Colquhoun, architecte et historien de l’architecture (1921-2012) admet d’ailleurs que le musée ouvert n’est approprié que pour les musées d’art moderne et qu’il faut privilégier des salles plus traditionnelles pouvant être fermées pour les autres musées. Cette question d’ouverture du musée et de scénographie reste au centre des préoccupations des concepteurs de musée. La rénovation d’Adolfo Scaranello, quant à elle, s’inscrit plus dans cette deuxième tendance de vouloir ré-ouvrir le musée devenu aveugle sur la ville. L’une des premières mesures du projet a d’ailleurs été de déboucher toutes les arcades du cloître qui avait été condamnées, de rabaisser les fenêtres à leur niveau d’origine et de les agrandir afin d’offrir plus de perméabilité avec la ville (figure 17). La galerie du cloître conçue pour accueillir sur trois cotés la collection d’archéologie s‘ouvre sur la ville et les fenêtres deviennent, de nuit, les vitrines du musée. Cependant, ce traitement n’est pas systématique et l’architecte conserve à l’étage des fenêtres occultées par des volets reprenant le dessin des menuiseries des autres fenêtres afin de rendre lisible l’architecture classique de Pierre Marnotte en façade (figure 1).

Figure 10 : Perspectives intérieures réalisées à l’encre de chine et crayon sur calque du musée de Miquel. Fonds Louis Miquel , Cité de l’architecture et du patrimoine, archives d’architecture du XXe siècle.

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15 Voir dictionnaire des personnalités 16 Cabral Maria Cristina, « la maison moderne des muses », Cahiers philosophiques, 2011, n°124, p. 43-65. 17 Le Corbusier a réalisé trois musées reprenant les principes du musée à croissance illimitée, le musée d’Ahmedabad en Inde en 1951, le musée de Chandigarh en 1952, et le Musée National des Beaux-Arts de l’Occident à Tokyo en 1955. 18 Boesiger Willy, Le Corbusier, œuvre complète, volume 4,1938-1946 , Les Éditions d’Architecture, Zurich, 1950, 199 pp. 19 Ludwig Mies Van Der Rohe (1889-1969) a construit trois projets remarquables destinés à l’exposition : le pavillon allemand de l’Exposition Universelle de Barcelone (1929), le Musée pour une petite ville (1942) et la Neue Nationalgalerie à Berlin (1962-1968). 20 Richard Serra, « In conversation with Alan Colquhoun, Lynne Cooke and Mark Francis », ed Edelbert Köb, Museum architecture. Texts and projects by artists, Cologne, 2000, p. 85-97.

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L’architecture de Miquel

Les parentés entre le projet de Le Corbusier et celui de Miquel sont également d’ordre formel. Le projet de musée à croissance illimité offre un espace flexible qui pourrait continuer à se construire en fonction de l’accroissement des collections. Afin de répondre à ce problème moderne qui est celui de la croissance et de la flexibilité du programme, Le Corbusier propose un musée sur le plan d’une spirale carrée, basée sur un module construit par des éléments préfabriqués qui pourraient alors se répéter (voir figure 12). Pour Le Corbusier, l’emploi du carré s’oppose ainsi à la spirale ronde développée au musée Guggenheim de New York21 dans laquelle la flexibilité est inexistante. La spirale carrée correspond à l’idée de croissance illimitée et permet de faire du musée une véritable «machine à exposer».

Appropriation des idées du musée à croissance illimitée

Le choix de la spirale carrée développée dans la hauteur par Miquel invite à la comparaison avec le projet de son maître. Ces deux projets, même si ils se ressemblent par certains aspects, différent notamment car le projet de Miquel ne se développe pas horizontalement. L’impossibilité d’envisager une extension future dans un bâtiment déjà contraint a poussé Miquel à ré-envisager les conceptions corbuséennes liées au musée. Il a ainsi tiré de l’idée de croissance, la notion d’élévation qu’il a pu mettre en place dans le bâtiment de Marnotte. L’idée de bâtiment infini ne se fait donc pas dans les dimensions spatiales du plan mais dans l’élévation. La structure centrale est reliée par des passerelles aux ailes anciennes, qui ferment l’espace, ne le rendant pas modulable. L’espace d’exposition n’est pas libre ni modulable, il induit un sens de parcours vers le haut, mais qui par ses rythmes donne une impression d’infini( voir figure13). Alors qu’à cette époque des architectes comme Mies Van Der Rohe ou Lagneau au musée Malraux au Havre proposent des plans libres pour le musée ou les cimaises sont disposées aléatoirement, Miquel fait le choix d’un plan dans lequel la circulation est définie. L’espace n’est cependant pas clos pour autant, ne comportant pas de pièces mais un espace unique qui se développe en hauteur. Scaranello, quant à lui, pense «qu’en établissant de nouvelles connexions entre les deux parties de l’édifice, l’ouvrage de Miquel pourrait devenir un objet exposé au cœur du musée, un bijoux dans un écrin 22». Ne pouvant investir le centre du bâtiment, du fait de la croissance limitée de l’architecture de Miquel, il investit les galeries et les ailes anciennes pour pouvoir offrir de nouveaux espaces d’exposition. Ces nouveaux espaces s’enroulent autour de la structure de Miquel, la mettant à distance et la considèrent comme une œuvre exposée. Il ne fait pas croître l’espace d’exposition en continuité directe, mais en s’enroulant autour de la structure et en offrant des connexions ponctuelles avec cette dernière dans les étages. La scénographie mise en place par Scaranello, dans la galerie au rez-de-chaussé, offre une spatialité à mi-chemin entre le parcours unique proposé par Miquel et le plan libre développé dans les projets de Mies Van Der Rohe (voir figure 15). La disposition des œuvres induit un parcours, qui n’est pas pour autant figé et peut être facilement modulé. Figure 11 (en haut) : Maquette de la structure ascensionnelle conçue par Louis Miquel en 1968. Extrait du site internet du CAUE [http://fncaue.fr/pedagogie] consulté le 23/05

Figure 12 (en bas ) : Maquette du musée à croissance illimitée de Le Corusier. Extrait du site internet de la fondation Le Corbusier, consulté le 23/05

Figure 13 (ci-contre) : Plan schématique du parcours dans la structure de Miquel. Le sens des flêches indique le sens de la montée des rampes. Schéma AC, d’après les plans extraits du site du CAUE, consulté le 22/05

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21 Le musée Gugenheim de New York, de Frank Lloyd Wright, inauguré en 1959, marque un tournant dans la production muséale, initiant le début des gestes architecturaux à sensation. 22 Propos de Scaranello cité dans Guislain Margot, « De brut et de lumière, Le moniteur des travaux publics et du bâtiment, février 2019, n°6017, p. 60.

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Le projet d’Adolfo Scaranello

2. Discours sur la lumière et l’exposition d’œuvres.

Emploi de la lumière et de la transparence pour faire dialoguer les architectures entre-elles

La lumière est un point singulier des projets de musées. Il est nécessaire d’en avoir suffisamment pour mettre en valeur les œuvres mais il faut que ces arrivées lumineuses soit maîtrisées pour la préservation de ces dernières. Ainsi les dispositifs d’éclairage indirect comme les verrières amenant une lumière zénithale sont très utilisés dans les musées d’après-guerre. Cependant l’architecture de Miquel va à l’encontre de la vision du musée contemporain, épuré et lumineux23. Son architecture est expressive et joue avec l’ombre et la lumière. La verrière en polycarbonate éclaire le plateau le plus haut et la lumière descend dans les interstices laissés entre son architecture et le bâtiment de Marnotte et dans les doubles voire triples hauteurs (voir figure 19). Le béton banché bois de la structure renforce l’obscurité du lieu et lui donne un coté très théâtral. Miquel a mené une réelle réflexion sur la lumière au MBAAB, qui se reflète dans la mise en place de paralumes verticaux devant les baies vitrées et de paralumes horizontaux sous les verrières afin de mieux diffuser les rayons lumineux. Cependant seul celui situé au-dessus du carré de la collection Besson a perduré dans le temps. Il a finalement été retiré au profit d’une nouvelle verrière, pendant la rénovation de Scaranello. Ce système d’éclairage était-il alors vraiment efficace et en adéquation avec la contemplation d’œuvre ? Si les paralumes extérieurs du musée Malraux au Havre se sont avérés efficaces pour couper les rayons du soleil, tout en apportant une lumière nécessaire, les paralumes aux Mbbab étaient placés à l’intérieur et ont donc eu moins d’effet. La dégradation de la verrière en polycarbonate a rendu le musée très sombre et le paralume n’a pas pu pallier à ces problèmes de luminosité.

Figure 14 : Axonométrie éclatée du projet de Scaranello distinguant les grands axes de l’intervention, transparence du rez-de-chaussée, mise en valeur de la rampe de Miquel, fluidité des parcours à l’étage et travail sur la lumière en toiture. «les trois âges de la forme: restructuration du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon», D’A , mars 2019,n° 269

Figure 15: Le nouveau parcours muséographique du rez-de-chaussée mis en place par Scaranello. «les trois âges de la forme: restructuration du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon», D’A , mars 2019,n° 269

Pour cette raison, Scaranello a porté sa rénovation sur la lumière, en installant de nouvelles verrières, en cherchant au minimum à dénaturer le projet de Miquel (figures 14 et17). L’idée première était, par des outils immatériels (la transparence et la lumière), de mettre en lumière l’architecture de Miquel et d’intensifier de cette manière les dialogues entre œuvres, et les différentes interventions architecturales. Cette intervention a renforcé le caractère mystique que prend le parcours ascensionnel menant vers la lumière et les œuvres majeures du musée. En effet, le parcours du MBAAB conçu par Miquel n’est pas neutre, mais mis en scène pour ressentir le passage de l’ombre vers la lumière, et mettre en valeur la collection des Besson sur les derniers plateaux. On peut d’ailleurs supposer que l’expérience théâtrale de Louis Miquel24 lui a servi dans cette manière de penser le rapport entre le visiteur et l’espace. L’utilisation de la rampe participe à cette mise en scène25 de l’architecture. « Le problème était de créer de nouvelles surfaces d’exposition, mais aussi, à mon avis, de faciliter l’accès à l’étage et même d’essayer d’assurer une sorte de continuité entre les niveaux, les escaliers étant au contraire une rupture. Ce fut ainsi que j’eus l’idée du jeu de rampes.»26 , c’est en ces termes que Louis Miquel explique ce choix. La rampe est au MBAAB plus qu’un élément de déambulation, c’est aussi un espace d’exposition et un promontoire pour voir d’autres œuvres. Miquel développe une structure ascensionnelle en béton, composée d’une succession de plans inclinés, interrompue par des paliers, permettant d’avoir des vues constantes sur le bâtiment ancien, ainsi que sur d’autres espaces d’exposition. Le parcours est guidé, ne laissant pas libre cours au visiteur de s’orienter. Ainsi, Miquel ne met pas fin à l’exposition dite « classique », imposant une scénographie linéaire, chronologique ou par association d’idées proches. Néanmoins, les vues diversifiées sur les autres espaces, offertes tout au long de la déambulation, amènent de nouveaux dialogues entre œuvres. On peut y voir un rapprochement avec le principe de musée imaginaire27 développé par Malraux en 1947, qui cherche à réunir mentalement des assemblages d’idées. Le projet de Miquel, tout comme dans beaucoup de musées modernes, tisse des liens par le vis-à-vis entre espaces et rejoint ainsi l’idée de possibilité de lectures illimitées et de réunion d’œuvres fortuites du musée imaginaire. De la même manière, en installant la collection d’archéologie dans le cloître et en permettant la transparence entre ce dernier et le centre du musée qui accueille l’architecture de Miquel, Scaranello crée des vues intérieures entre les espaces permettant des dialogues entre eux (voir figure 17). Ce qui surprend le plus lors de la visite du MBAAB est la dichotomie entre le béton banché bois laissé brut et l’exposition d’œuvres. Alors que de nombreux musées modernes font le choix de l’abstraction en exposant les toiles sur un fond blanc et neutre, Miquel dans une volonté brutaliste, fait plutôt le choix de ce qui est préconisé par Perret en 1925, c’est

23 En 1976, Brian O’Doherty écrit White cube, l’histoire de la galerie et son idéologie dans lequel il démonte la construction historique de cet « espace idéal » d’exposition. 24 Miquel est proche d’Albert Camus, pour qui il réalisera des décors de pièces de théâtre. Il acquiert ,durant cette période, l’art de la mise en scène qui se ressent dans ces

projets de musées. 25 La rampe est un précepte moderne. Développée par le Corbusier dès 1923 pour la déambulation dans la collection d’art de la villa La Roche, la rampe va conti-

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nuer d’être utilisée, devenant un espace architectural à part entière, comme au Guggenheim de New York. 26 Extrait d’une communication de Louis Miquel sur le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon 27 André Malraux (1901-1976), Le Musée Imaginaire,1947, Paris, Gallimard.

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Un palimpseste architectural

à dire d’utiliser « le béton comme structure et ornement»28 pour le musée. Cependant Miquel ne peut pas s’opposer complètement aux Besson qui sont à la maîtrise d’ouvrage, et prévoit pour les parties de la collection Besson de les exposer sur fonds de velours de couleurs, qui ont aujourd’hui été enlevés. La couleur n’a pas disparu pour autant dans le musée, puisque Scaranello la réutilise dans les ailes anciennes, réinterprétant les couleurs des velours pour la peinture des murs des salles situées au sud (notamment pour les peintures de Courbet).

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Figure 16 : Façade Sud-Ouest et coupe du projet de Scaranello. Nicolas Surlapierre et Adelfo Scaranello, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, ed les presses du réel, janvier 2019,

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Figure 17: Coupe du projet de Scaranello. On y voit les transparences mises en place, les perspectives dégagées, ainsi que les puits de lumière Nicolas Surlapierre et Adelfo Scaranello, Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon, ed les presses du réel, janvier 2019,

Dialogue avec l’existant

Dans le préambule de « conserver ou démolir ? »29 Paul Bisegger cite Camillo Boitto qui différenciait en 1893 la conservation et la restauration. Si la première se veut respectueuse du monument historique, la seconde renvoie aux libertés prises par les architectes dans leurs interventions, allant à l’encontre d’une idée de préservation du patrimoine. Françoise Choay30 identifie également cette antinomie entre protection qui impliquerait une désertion des lieux, et accessibilité à la connaissance de ces monuments, impliquant des rénovations. Le « patrimoine historique est porteur de distraction »31, ainsi on peut constater une « muséalisation »32 du patrimoine. Elle concerne des objets mais également de l’architecture notamment au MBAAB ou Miquel utilise l’architecture de Marnotte comme cadre à sa structure ascensionnelle. L’architecture de Marnotte est la première œuvre du musée, témoignant d’un héritage. Elle est mise en scène et en valeur, par l’architecture de Miquel puis de Scaranello, ce qui la détourne de sa vocation originelle. Par conséquent, il est difficile de qualifier la première rénovation de démarche patrimoniale. D’autant plus que certains choix de Miquel vont à l’encontre de l’idée de préservation, comme le remplacement des dalles du sol par du carrelage , très critiqué car il enlève au « lieu son uniformité » et « la noblesse des choses anciennes »33. Il instaure des dialogues avec l’existant uniquement par sa distanciation et par les vues qu’il dégage sur les arcades et les murs en pierres. Si il colonise le centre de la halle, préservant les ailes anciennes et les façades, il n’en valorise l’architecture que par la confrontation de sa géométrie et des matériaux qu’il utilise. D’après Arnoldo Rivkin, « le dialogue entre le lieu architectonique et l’objet artistique se produit grâce à la recherche de la proportionnalité classique, régulière et ordonnée »34. En effet, au MBAAB, le dialogue entre les trois architectures s’instaure grâce à la géométrie et aux matériaux. De la même manière que Le Corbusier, Miquel a basé son travail sur la recherche de la proportion et de la création d’une spirale carrée, une forme forte qui vient dialoguer avec l’architecture classique de l’ancienne halle aux grains. Le bâtiment de Marnotte, qui s’inspire des plans du carnet de Durand35, est d’une grande rationalité, orthogonal et symétrique. Le rapport à la géométrie est très fort dans le projet de Marnotte tout comme dans celui de Miquel : le rythme et la géométrie font entrer en résonance ces deux architectures. Les seuls éléments ronds du musée sont la cheminée et les deux escaliers hélicoïdaux. Pour la cheminée, elle agit comme la colonne vertébrale de la spirale carrée, intégrée dans cette dernière. Concernant les escaliers, ils sont un vestige de l’ancienne distribution des étages de la halle qui a été réintégrée au projet. Tout le reste est basé sur la forme carrée et fait dialoguer l’architecture classique avec l’architecture du Mouvement moderne, même si ces deux figures architecturales témoignent de deux époques et intentions différentes. En effet le plan symétrique et rationnel du premier concepteur exprime un potentiel de réversibilité, alors que l’expressivité du plan de Miquel, donne un aspect sculptural et plus singulier à l’architecture. Le travail de scénographie établit par Scarannello, conserve cette rigueur de composition dans la disposition des éléments, tout comme dans le rythme des verrières. Les trois interventions se répondent à l’unisson grâce à l’usage de la géométrie et des règles de composition classique. Cependant, l’architecture de Miquel n’entretient pas des relations spatialement fortes avec le projet de Marnotte. En implantant sa structure au centre, il se détache de l’enveloppe et des galeries, et prend le parti de valoriser l’architecture

Figure 18: Coupe partielle indiquant les interventions de Scaranello sur les parties existantes comme l’ouverture des galeries latérales sur la cour, démolition de la verrière de Miquel et création d’éclairages zénithaux localisés.

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28 Abram Joseph et Cohen Jean-Louis. 2002. L’Encyclopédie Perret, Paris, Éd. du patrimoine. 29 Germann Georg, Shell Dieter, Conserver ou démolir ? Le patrimoine bâtit à l’aune de l’éthique, Gollion, edition infolio, 2014, pp. 148 30 Choay Françoise, « Des divers usages du patrimoines », source non retrouvée 31 Choay Françoise, « Des divers usages du patrimoines », source non retrouvée 32 Germann Georg, Conserver ou démolir ? Le patrimoine bâtit à l’aune de l’éthique, Gollion, edition infolio, 2014, p. 66-79 33 Annonyme, « La réouverture du musée repoussée jusqu’en 1970 (à moins que ce ne soit 1971…) », Est Républicain, novembre 1969. 34 Rivkin Arnoldo, « Un double paradoxe », Le Corbusier, une encyclopédie, Paris, Centre Georges Pompidou, 1987 35 Jean-Nicolas-Louis Durand (1760-1834) est un architecte français affilié au mouvement rationaliste.

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Ambiances intérieures du musée au fil du temps

par l’opposition entre la structure en béton brut dynamique et les murs en pierre statiques (figure 19), même si le béton banché bois s’harmonise avec la pierre par son aspect brut et massif. Les apports de lumière qui descendait dans les interstices laissés entre l’ancien et l’extension moderne cherchaient à mettre en valeur cette opposition. À la suite de la rénovation de 2015, cette opposition entre béton et pierre a presque totalement disparue au profit de grandes surfaces blanches éclaircissant l’espace, et donnant un aspect encore plus sculptural à l’architecture de Miquel qui devient presque une œuvre exposée dans le musée (figures 20 et 21). Si des dialogues s’étaient tissés par leur confrontation et leur résonance géométrique, l’architecture de Scaranello a fait le choix de construire avec la lumière. Ainsi le musée s’est détourné d’une partie de son passé brutaliste, pour s’inscrire dans un autre courant de l’architecture du musée, celle de l’abstraction, de la lumière, et de la transparence

Figure 19 : Photographie du musée des Beaux-Arts, clichés anonymes, avant l’intervention de Scaranello Extrait du site internet du CAUE [http://fncaue.fr/ pedagogie] consulté le 23/05

Figure 20 : Photographie prise au même endroit que la précédente après l’intervention de Scaranello. On y voit les nouvelles ouvertures en toitures, l’utilisation des murs du batiment Marnotte comme cimaise, peints en blanc, et les interstices entre l’architecture de Miquel et le bâtiment Marnotte. «les trois âges de la forme: restructuration du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon», D’A , mars 2019,n° 269

Figure 21 : Photographie de l’entrée du musée, à la liaison entre les 3 architectures, les arcades de Marnotte, la structure de Miquel en arrière-plan, et la transparence instaurée par Scaranello.

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Conclusion Le musée des Beaux-Arts de Besançon est le fruit d’une série de rencontres, de réflexions, de discours politiques et architecturaux sur l’espace muséal depuis presque un siècle. L’architecture en trois temps de ce musée découle tout d’abord de décisions politiques. Poussée par un contexte culturel en plein essor en 1960, l’institution muséale s’est démocratisée et s’est développée en province. Contrairement au musée Malraux au Havre de l’atelier LDW, première maison de la culture, l’architecture de Miquel n’est cependant pas très ouverte sur la ville. Elle ne cherche pas la démocratisation de la culture par la transparence et la perméabilité avec l’espace urbain. La rénovation de Scaranello porte sur ce point. Ses choix architecturaux sont sur certains aspects bien différents de ceux de Miquel (ouverture versus intériorité, matière versus immatérialité ), témoignant des divers discours sur le musée. Ce travail de confrontation des postures architecturales développées par Miquel et Scaranello au prisme des discours d’autres architectes sur le musée, m’a permis de me questionner sur la question du concept et de son application. En effet, l’architecture du MBAAB est intéressante car ces différents concepteurs se réapproprient des concepts, qu’ils adaptent vis-à-vis du bâtiment de Marnotte. Si Miquel développe une architecture expressive, novatrice dans la conception d’un parcours ascensionnel, l’architecture de Scaranello, quant à elle, s’inscrit beaucoup plus dans des tendances contemporaines, d’intervention subtile. Sa démarche prend plus en compte l’existant, et cherche à valoriser les deux strates du bâtiment. Le MBAAB est un palimpseste architectural dans lequel la phrase de Patrice Noviant prend tout son sens « L’approche de l’architecture n’est pas sociale, mais historique ; elle a pour champ les siècles ; elle est un espace de discours lent, de génération en génération. Toute architecture est en situation de conversation avec d’autres architectures déjà là ; toute architecture est un legs36». En effet l’architecture de ce musée prend beaucoup plus de sens lorsque qu’elle est analysée au prisme des discours qui ont amenés ces idées nouvelles. Ainsi, la première fois que j’ai découvert ce musée , l’architecture de Miquel m’est apparue tout à fait novatrice. Ce travail m’a fait réaliser que bien qu’elle soit inhabituelle, elle n’est pas avant-gardiste mais réinterprète des concepts muséaux développés à partir de 1930. Concernant l’intervention de Scaranello, il m’a été difficile de la comprendre au premier abord, car je n’ai pas connu ce musée avant sa rénovation. Je n’étais pas en mesure de me rendre compte des enjeux de luminosité et d’ouverture auxquels il a été confronté. Cette étude m’a en partie éclairée. Cependant la réouverture étant très récente, le projet est peu documenté.

J’ai initialement choisi ce sujet pour son aspect patrimonial. Mon rapport d’étude a pris cependant une toute autre direction, afin de composer avec les ressources dont je disposais, et qui m’ont amenée sur des chemins différents, mais tout aussi intéressants. Un développement et un approfondissement en master de ces questions de construction avec l’existant m’intéresserait, car je n’ai pas pu les traiter en profondeur. D’autant plus que la rénovation est un sujet très actuel et un enjeu d’avenir qui m’intéresse tout particulièrement. Figure 22 : Photographie de la façade d’entrée du musée de nuit. Le musée devient une vitrine illuminée, s’ouvrant sur la place de la Révolution. Extrait du site internet du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, consulté le 27/05.

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36 Noviant Patrice, « Carlo Scarpa Architecte », AMC, n°50, décembre 1979, p. 6

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Dictionnaire des personnalités

Sources imprimées, bibliographiques Boesiger Willy, Le Corbusier, œuvre complète, volume 4,1938-1946 , Les Éditions d’Architecture, Zurich, 1950, 199 p.

Charles-Edouard Jeanneret (1887-1965) dit Le Corbusier est un architecte, urbaniste, peintre, sculpteur et décorateur. Il a mené tout au long de sa vie des réflexions sur le musée et l’exposition des œuvres. Il a imprégné Miquel durant sa formation rue de Sèvres (notamment le principe de musée à croissance illimitée).

Cabral Maria Cristina, « la maison moderne des muses », Cahiers philosophiques, 2011, n°124, p. 43-65. Choay Françoise, Pour une anthropologie de l’espace, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 19 octobre 2006, 418 p. De Smet Catherine, Le Corbusier, penseur du musée, Paris, edition Flamarion, septembre 2019, 229 p.

Louis Miquel (1913-1987) , est un architecte né en Algérie. Durant ses années de formation, il rencontre Le Corbusier, avec qui il travaillera entre 1930 et 1935 avant de retourner à Alger. Les années 1930 à 1950 sont des années d’expériences et de découvertes qui voient naître une série de maisons. Mais il faut attendre son retour en France en 1962 pour que la carrière de Miquel prenne un virage tout autre avec la construction de trois extensions de musées (Besançon, Dijon et Dôle), la construction de deux maisons des jeunes et de la culture (Bures-sur-Yvette et Annecy) ainsi que la conception d’un nouveau musée non réalisé à Grenoble mais qui a permis de faire reconnaître l’architecture de Miquel. Adelfo Scaranello ( 1958) est un architecte originaire de Besançon. Il a donc un attachement particulier pour le MBAAB. Il exerce à Besançon et à Paris. Il a réalisé une série de musées dont trois se situent en site historique, le musée de l’abbaye à Saint Claude (2008), le musée Camille-Claudel à Nogent sur Seine (qui lui vaut l’équerre d’argent en 2017) et

Duverget Chantal, « George Besson critique d’art et collectionneur (1882-1971) », INHA- Collection Archives de la critique d’art. Germann Georg, Shell Dieter, Conserver ou démolir ? Le patrimoine bâtit à l’aune de l’éthique, Gollion, edition infolio, 2014, 148 p. Girard Augustin, « Les politiques culturelles d’André Malraux à Jack Lang : ruptures et continuités, histoire d’une modernisation », Hermès, la revue, 1996, n°20, p.27-41. Guislain Margot, « De brut et de lumière », Le moniteur des travaux publics et du bâtiment, février 2019, n°6017, p. 60. Leonardon Anne, «notice bibliographique de Louis Miquel», dans Archives d’architecture du XXe siècle, ed Mardaga, p. 269-305. [ en ligne sur les archives d’architecture du XXe siècle, consultées le 10/03]

dernièrement le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon.

Oulebsir Nabila , «Musées et architecture en France : neutralité ou décor, collection ou concept ?», Les rencontres du Léman, Architecture et quotidien du musée, icom – Conseil international des musées, juin 2008, p. 14-32.

André Wogensky (1916-2004) est un architecte français collaborateur de Le Corbusier à l’atelier de la rue de Sèvres. Il lie

Perruchot Christianne, « le musée des Beaux-Arts de Besançon fait peau neuve », Traces écrites news [en ligne], 4 mars 2016, consultées le 23/05/2020.

une amitié et établit une confiance professionnelle avec Miquel. Il est une figure déterminante dans la carrière française de ce dernier.

Poirrier Philippe, « L’histoire des politiques culturelles des villes », Vingtième Siècle, revue d’histoire, janvier-mars 1997, n°53, p.129-146. Nivet Soline, « les trois âges de la forme » D’A D’architecture, n° 269, mars 2019, p. 88-97. Annonyme, « le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon », musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon dossier de presse, novembre 2018. Annonyme, « La réouverture du musée repoussée jusqu’en 1970 (à moins que ce ne soit 1971…) », Est Républicain, novembre 1969.

Sources numériques Conférence en ligne Adelfo Scaranello , « Trois musées en sites historiques : Adelfo Scaranello, architecte, Besançon-Paris » , Cité de l’architecture & du patrimoine, 20 mai 2019, visionnée le 11/03 sur https://www.citedelarchitecture.fr/fr/video/trois-musees-en-sites-historiques-adelfo-scaranelloarchitecte-besanconparis Référence radiophonique Garrigou Lagrange Matthieu, et Catherine de Smet, « le Corbusier aux cent visages, épisode 4, le dessin et les musées de Le Corbusier », La compagnie des œuvres, France Culture, le 21 novembre 2019, [en ligne] écoutée le 03/04/2020 disponible sur https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-oeuvres/le-corbusier-aux-cent-visages-14portrait-de-larchitecte Montalbetti Jean, « un homme une ville -André Malraux à Paris (4) », Archive INA-Radio France, rediffusée sur France Culture dans les nuits de France Culture. Première diffusion le 09/01/1981, en ligne, écoutée le 16/04/2020. disponible sur https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/andre-malraux-la-culture-estlheritage-de-la-noblesse-du-monde-0

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Le Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon Louis Miquel ( 1965-1971), et Adolfo Scaranello ( 2015-2018)

Depuis 1971, deux architectures coexistent dans le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie, et se répondent : la halle historique de Marnotte et la structure en béton moderne de Louis Miquel. Toutes deux sont des architectures fortes qui dialoguent par leur confrontation, dans une dichotomie contrastée. La nouvelle transformation effectuée par Adelfo Scaranello cherche une plus grande harmonie dans le musée, et entre les architectures.

Mais quels sont les grands concepts d’architecture muséale sous-jacents à ces deux rénovations ? Quels discours sur l’architecture muséale ont conduit Miquel et Scaranello vers ces choix ?

Mots clefs : Discours- Rénovation- Concepts architecturaux- Palimpseste – Espace muséal 22


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