dilo lapli* oun koté pou viv ké kontré
Amande Marie Notice de projet de fin d’étude Studio « Territoires Liquides » Janvier 2021
1ère de couverture peinture acrylique le fleuve Maroni, frontière immatérielle entre les jumelles Saint-Laurent et Albina production personnelle
École Nationale Supérieure d'Architecture de Nantes - ensan -
dilo lapli* oun koté pou viv ké kontré «un lieu pour vivre et se rencontrer»
Amande Marie Notice de projet de fin d’étude Studio « Territoires Liquides » Directeurs d’études : Xavier Fouquet, Fabienne Boudon, Jean-Louis Violeau, Stefan Shankland Janvier 2021
*eau de pluie, créole guyanais
Le fleuve le Maroni Guyane 1985 ©Paul Kali, diapositive
Le nom Guyane est d’origine amérindienne. «Guiana» signifie «terres d’eaux abondantes» en Arawak, un dialecte amérindien.
6 juin. Il est 15h lorsque tu arrives à Saint-Laurent du Maroni, après ces trois heures de voiture depuis Cayenne. Ce matin encore tu étais à Paris, sérré.e dans le RER B en direction de l’aéroport Charles de Gaulle. Tu as pris l’avion sous un beau ciel bleu pour rejoindre un autre continent, l’Amérique. Plus précisément la partie sud du continent américain car c’est en Guyane française que tu as atterri.e en fin de matinée. Entourée du Suriname à l’ouest et du géant Brésil à l’Est, la Guyane est l’une des ces anciennes colonies françaises, dorénavant départements, situés loin de leur métropole. Tout comme la Martinique, la Guadeloupe, Mayotte et bien d’autres, elle représente la France d’outre-mer, éloignée géographiquement, culturellement et économiquement. Lorsque tu décolles de Paris, tu pars à l’aventure, vers l’inconnu de ces terres françaises que l’on ne voit à la télé que lors du décollage d’une fusée ou d’un carnaval haut en couleurs. Tu quittes les immeubles haussmanniens et les grands boulevards bétonnés pour rejoindre les nuages, survoler l’océan Atlantique et parcourir plus de 7 000 km vers l’Ouest. C’est la grande épopée vers l’Amazonie. A ce moment, que penses-tu de la Guyane ? Comment te la représentes-tu ? 6
Les parcelles agricoles se confondent et s’effacent à mesure que l’avion prend de l’altitude. Paris n’est plus qu’une tache grise au milieu d’un océan de verdure et bientôt la terre s’efface pour laisser place à une blanche immensité, crémeuse et cotonneuse. Durant les neuf heures de vol qui te séparent de Cayenne, tu as le temps de t’imaginer mille et unes histoires, de te raconter milles et un paysages. Tu verras finalement qu’aucun d’eux ne colle réellement à la réalité. Lorsque le grand oiseau amorce finalement sa descente et que la terre apparaît petit à petit, les parcelles agricoles du paysage parisien ont laissé place à un manteau vert. Du vert partout, du vert à perte de vue. La forêt amazonienne s’impose. L’avion survole ce tapis vert plusieurs minutes, tu te sens engloutie par la forêt. La cime des arbres se précise, ils sont nombreux et ne laissent rien paraître du sol guyanais. La Guyane reste un mystère. Ce spectacle est enivrant, vertigineux. Là où l’urbanisation n’a pas encore gagné, où seuls les fleuves, comme des brèches dans la forêt équatoriale, permettent la navigation, se dessine la Guyane, le département le plus boisé de France. Les villes guyanaises sont essentiellement regroupées sur le littoral et aux abords des fleuves. Aucune d’elles n’est à l’échelle de Paris bien que la taille du département soit comparable à celle d’un pays comme la Belgique. 7
C’est aux abords de la plus ancienne ville, depuis toujours la plus grande, que tu fais ton entrée sur le sol guyanais. L’aéroport Cayenne/Félix Eboué t’accueille, bienvenue à Cayenne. Il est 11h et bien que tu aies décollé 9h plus tôt, le décalage horaire te ramène quelques heures dans le passé. Tu as quitté.e un paysage français, européen, pour te retrouver au cœur d’une ville équatoriale. Ici rien de semblable à la métropole. C’est comme ça que tu appelles la France, ici tu es un métropolitain, un métro comme disent les guyanais. Cayenne est une ville coloniale, construite en damier en 1743 par les premiers colons européens. A bord du taxi qui te conduit au centre de Cayenne, tu observes les grandes maisons de maître, ces maisons créoles typiques aux toits largement débordants. Nombre d’entre elles sont dégradées et le chef-lieu a perdu de sa superbe. Assis à l’ombre sur la terrasse du bar des palmistes, mon oncle Yves t’attend pour te conduire à Saint-Laurent du Maroni. Le soleil tape, l’air est lourd, il fait chaud pour un métro.
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12h. En Guyane, en juin c’est la saison des pluies et ton trajet jusqu’à Saint-Laurent est entrecoupé de soleil. Il fait chaud et humide mais le vent qui vient de la mer à travers les vitres baissées te rafraîchit. ` Tu longes la côte pour atteindre celle que l’on appelle désormais la Capitale de l’Ouest. Saint-Laurent ne cesse de se développer depuis le départ du bagne. Tonate, Kourou, Sinnamary, Trou Poisson, Iracoubo, Organabo, les villes guyanaises défilent le long de la route Nationale 1, la seule qui traverse le territoire d’Ouest en Est. Après avoir roulé 175 km vers l’Ouest tu atteint Organabo, la dernière ville sur ta route avant Saint-Laurent, qui se trouve encore à 80km. La N1 perce la forêt pour connecter entre elles les villes du littoral. Grâce à elle tu as atteint Saint-Laurent et te voilà à l’entrée de la ville vedette de ces dernières années. Suivant toujours la RN1, tu traverses le quartier Malgache, puis le quartier Haïtien, deux des nombreux quartiers spontanés de Saint-Laurent. Comparables à des bidonvilles, ces quartiers qui se sont diffusés le long des routes et chemins, sont la conséquence du développement démographique de la fin du XXème siècle. Le manque de logements à Saint-Laurent oblige ses habitants, les nouveaux comme les plus anciens, à construire eux-même leur maison. En longeant ces quartiers, tu remarques leur pauvreté et leur vétusté. Malgré la 9
débrouillardise dont ont fait preuve les saintlaurentais, ces bouts de ville ne sont pas raccordés à la trame urbaine et ne profitent pas des services publics. Tu le remarques à cause des déchets qui jonchent le sol des rues adjacentes. Après le quartier Haïtien, nommé ainsi en raison de l’origine de ses habitants, tu arrives dans le centre historique, au cœur de l’ancien quartier coloniale. Le tracé des rues te rappelle Cayenne mais les bâtiments t’en éloignent. Ici la brique a le monopole. La ville est rouge. Couleur brique. Construite pour l’administration pénitentiaire et par les bagnards, la ville historique de Saint-Laurent est un musée à ciel ouvert de l’époque du bagne. Tu longes de grandes maisons coloniales de briques rouges jusqu’au port. Là, le Maroni s’ouvre à toi, large et traversé par les pirogues. En face, ce que tu aperçois sur l’autre rive c’est Albina, une ville du Suriname. 17h. Assis.e à la terrasse du café Les Amis Du Néréides, face au fleuve, savoure ton rhum, nous sommes arrivés à bon port. Profites de la chaleur qui tombe avec la nuit, il est 17h et les moustiques vont bientôt arriver, enfile ta veste et ton pantalon. Le soleil est couché et le vent finit de rafraîchir l’air, les saintlaurentais envahissent les rues et les langues se mélangent. 10
Créole, haïtien, surinamais, hollandais, anglais, awapak, brésilien, ici tu entends de tout et eux ne s’entendent pas entre eux.
Les enfants jouent au foot aux lumières du soir, la chaleur devient supportable et la ville s’éveille. Ce n’est pas dans le centre que tu trouveras le plus d’animation mais bien dans les quartiers alentours. Repose toi, demain nous partons à la découverte de Saint-Laurent, je te montrerais son port et son fleuve, son marché et ses villages amérindiens. Nous irons faire un tour du côté de l’ancien aéroport et longer le Maroni. Peut-être qu’une pirogue nous conduira à Albina. N’oublie pas ton chapeau, ta crème solaire et ton eau, ici ce sont les tropiques, le climat est équatorial et les pluies quotidiennes ne suffisent pas à rafraîchir l’air humide et lourd.
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1. aéroport de Paris Charles de Gaulle, Paris, France métropolitaine, embarquement à bord du vol AF852
14. Kourou, la ville spatiale est la plus importante des villes se trouvant sur le chemin entre Cayenne et Saint-Laurent. Elle s’est développé avec l’arrivée de la base spatiale.
2. décollage pour rejoindre Cayenne, en Guyane française. L’avion prend de l’altitude
15. La Guyane est très peu urbanisée 16. après avoir traversé la côté par la forêt, Saint-Laurent se dessine
3. les champs de Roissy se font de plus en plus petits 4. Paris n’est plus qu’une tâche grise au milieu d’un océan vert
17. le long des axes se sont construits des quartiers informels, où les saint-laurentais sans logements ont bâtis leur maison
5. l’océan Atlantique relie le continent européen au continent sud-américain où se trouve la Guyane
18. Saint-Laurent, comme toutes les villes de Guyane, est une ville très verte, l’Amazonie est présente partout
6. la côte Guyanaise se devine sous les nuages et la cime de la forêt Amazonienne
19. c’est aussi une ville coloniale et sa trame orthogonale rappelle Cayenne
7. la forêt amazonienne recouvre 90% du territoire guyanais et dissimule le département vu du ciel
20. ville de fleuve, les échanges avec sa voisine surinamaise, Albina, sont quotidiens. Le fleuve, le Maroni, est un espace très spécial, qui permet la naviguation en son long .
8. l’aéroport Cayenne/Félix Eboué se devine 9. attérissage à Cayenne, chef-lieu du département 10. Cayenne est une ville coloniale, construite au bord de l’Océan, selon une trame orthogonale 11. direction Saint-Laurent du Maroni en empruntant la RN1 qui se creuse au milieu de la forêt 12. sur le chemin se trouve plusieurs petits villages, tous desservis uniquement par cette route nationale 13. ces villages sont généralement bien plus petits que Cayenne et sont parfois seulement constitués de quelques habitations
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Et voilà, on peut visiter la Guyane avec Google map. Les données et avancées technologiques nous permettent désormais de visiter le monde au travers de nos écrans. Les nombreux sites internet et blogs nous content les voyages, les rencontres, les émotions de ceux qui sont sur place ou qui sont allés voir . Malgré ces outils parfois d’une grande précision, rien ne vaut l’expérience personnelle et la confrontation des sens à l’environnement. Sentir la force du vent, la puissance du soleil, l’odeur des cuisines, des rues, l’importance de l’ombre, c’est expérimenter et éprouver le site. Mais plus encore, recueillir le quotidien c’est entrer dans l’intimité d’une vie, saisir les subtilités d’un quotidien. Alors parce qu’un projet ne se fait que difficilement sans la connaissance du terrain, sans l’épreuve des sens, lorsque ce n’est pas possible il faut entendre et analyser les mots et les images, prendre la température. La Guyane je l’ai rencontrée chez mes grands-parents mais je l’ai visitée comme vous le faite aujourd’hui, à travers des récits et des images satellites. C’est pourquoi j’ai souhaité que votre première approche du territoire rende compte de mon parcours de découverte. Ce projet de PFE s’est fait par couches successives d’apprentissage du territoire et de ses habitudes. Photo par une photo, anecdote par anecdote, souvenir par souvenir, discussion par discussion. Il est temps à présent de transmettre les sensations et ressentis que j’ai pu apprécier lors de mes recherches et de mes lectures. Bon voyage.
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La Guyane française se trouve sur le continent sud-américain, entre le Brésil et le Suriname.
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Mille merci. Merci à mes partenaires de projet avec qui nous avons formé un joyeux trio, qui ne se connaissait pas mais qui a foncé. Merci Célia et Stéphanie, pour votre engagement, ce projet est le nôtre. Merci aux enseignants du studio Territoires Liquides. Ce sujet est passionnant et votre approche pédagogique nous a permis d’arriver aux bouts de nos idées. Merci Xavier Fouquet, Fabienne Boudon, Jean-Louis Violeau et Stefan Shankland. Merci à ma famille qui, une fois de plus, a su me guider. Merci à mon oncle Yves, la Guyane ne m’a jamais semblé si proche et j’espère la rencontrer très vite. Merci à mes grands-parents pour leur intérêt et merci pour ce patrimoine. Merci à mes parents et à mon frère, qui croient en moi et me poussent vers le haut. Merci à mon éternelle colocataire et amie qui, depuis les montagnes, me fait des cartes et m’encourage. Merci Léonie. Merci à mes colocs qui m’ont fait rire. Merci Adrien et Luc. Merci Rania pour nos discussions inspirantes. Merci à mes ami.e.s, vous êtes des rayons de soleil plus brillants chaque jour. Merci à ceux qui m’ont aider, de près ou de loin, un projet ne se fait jamais seule et c’est bien là, la beauté de ce monde.
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Sommaire ___ 01.
Bienvenue en Guyane française p.25 ___un lien familial ___l’espoir déchu de la départementalisation ___l’agitation qui en découle est le terreau de mon travail ___terre d’Amazonie ___la situation de crise a pris le dessus ___Saint-Laurent garde le cap
p.31 p.33 p.36 p.41 p.45 p.46
02.
Saint-Laurent, une ville aux mille problèmes p.51 ___4 saisons au gré des pluies p.54 ___l’immigration comme paramètre essentiel de développement p.57 ___l’organisation décousue des quartiers de Saint-Laurent p.58 ___inégalités d’accès aux services commerciaux déjà peu nombreux p.60 ___60% des habitations sont auto-construites et informelles p.65 ___aglutinées dans des quartiers qui sont livrés à eux-même p.68 ___mais dans un lieu public, nous sommes tous égaux p.74
03.
«dilo lapli», un projet pour les habitants p.79
___raconter le projet à la manière de Junya Ishigami, peintures
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p.80
___accompagner le mouvement, enjeux et intentions ___au coeur des quartiers spontanés, face aux vents, implantation ___oun koté pou viv ké kontré, programme ___collecter, protéger, rassembler, plan de toiture ___calculer les besoins et les capacités pour être autonome ___la pluie et le soleil sont acteurs
p.94 p.98 p.103 p.106 p.110 p.114
04.
à la manière de Junya Ishigami. Freeing architecture p.121 05.
pensées et développement d’idées p. 131
___il faut un début à tout ___découper le monde en essentiel/non essentiel ___miser sur la jeunesse pour réduire le communautarisme ___le diable se cache dans les détails ___rien n’est en trop mais tout est prévu ___un chantier-école
06.
fin de la notice, début d’un positionnement p. 149 23
p.133 p.134 p.138 p.140 p.142 p.144
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bienvenue en Guyane française
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01.
la route reliant Cayenne à Saint-Laurent Guyane, 1968 ©Paul Kali, diapositive
une route à Saint-Laurent Saint-Laurent, 2019 ©Yves Bhagooa
Le port de Saint-Laurent Guyane, 1968 ©Paul Kali, diapositive
Le bord du Maroni Saint-Laurent, 2019 ©Yves Bhagooa
___ dresser le tableau de la Guyane ___ «Ancienne colonie, aujourd’hui département français d’outre-mer, la Guyane offre une richesse culturelle et des paysages incroyables. Simple terre d'accueil des peuples amérindiens jusqu’au XVIème siècle, elle se développera entre les mains des colons français voulant déployer leur nouvel empire. A quelques 7 000 km de l’Hexagone, la Guyane est française mais n’a rien de comparable à la métropole. Située au sein du continent sud-américain, elle porte en elle les cultures du monde. Des cultures qui se chevauchent et se recontrent. Elles sont Amérindiennes, de ses ancêtres, puis africaines, transportées avec les esclaves du temps des colonies. A ces cultures, s’entrelace l’influence européenne des colons et cette rencontre donne naissance à la culture créole. La Guyane est plurielle, elle se mêle et s'entremêle. Le climat tropical qui rythme ses journées l’éloigne encore un peu de l’imaginaire français. Son soleil harassant et ses pluies tropicales ont fait d’elle un territoire où règne la nature. La Guyane est comme un immense tapis vert, qu’elle protège et qui protège ceux qui s’y abritent. Déployant sa nature sauvage et indomptée sur la majeure partie de son territoire, la Guyane n’est définitivement pas à l’image de sa métropole. Elle est née sous la domination française mais c’est bien son histoire qui la définit. Enclave européenne sur le continent sud-américain, elle marque sa différence et arbore fièrement ses couleurs. C’est une terre d’importation et de migrations, elle a connu l’esclavage et le bagne. Au XXème elle est transformée par l’acte de départementalisation et l’installation du Centre Spatial Guyanais. 28
Marquée par ces périodes historiques qui ont modelé son paysage et sa démographie, elle se retrouve aujourd’hui en plein prise de conscience, emportée par un tourbillon démographique. Depuis sa départementalisation en 1946, la Guyane est prise de toute part par des flux migratoires qui ont multiplié sa population par dix. En moins de 70 ans, elle a accueilli plus d’immigrants qu’elle n’a eu d’habitants sur son territoire depuis sa création. Très peu urbanisée et équipée au sortir de la colonisation, son nouveau statut entraîne des besoins que la Guyane n’est pas en mesure de satisfaire. Les événements de la fin du XXème siècle - sa position de département français, son explosion démographique, son nouveau fonctionnement économique - ne sont pas sans conséquence et le département est aujourd’hui à l'orée d'une nouvelle ère. Confrontée à un virage qu’elle doit à tout prix maîtriser, au risque de se retrouver dans une position irrémédiable, la Guyane s’active. L’évolution démographique exponentielle plonge le département dans une crise matérielle et sociale de grande envergure. Son statut européen miroitant sur le continent sud-américain. La demande en matière de logements et d’équipements s’intensifie d’année en année. Qui plus est, les milliers de personnes vivant clandestinement sur le territoire empêchent aux collectivités d’évaluer correctement les besoins de la population. Malheureusement, le mauvais développement de la Guyane l’empêche, de répondre aux besoins de la population. Alors que les besoins actuels nécessitent la construction d’au minimum 10 000 logements par an, on en construit aujourd’hui en Guyane seulement 3 000.» Extrait de mon mémoire de master,
rendu en juin 2019
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repas de famille chez Yves, le frère de ma grand-mère Cayenne, Guyane, 1985 ©Paul Kali, diapositive
Il ne s’agit pas d’un département comme les autres Ce n’est pas simplement une ville intéressante. La Guyane est ma famille. Saint-Laurent sont mes racines. La Guyane est là pour moi depuis toujours. Elle est venue avec mes grands-parents maternels lorsqu’ils sont partis pour la métropole en 1960. Embarquée dans leurs valises, elle n’en est jamais repartie. La Guyane est pour moi un territoire éloigné et flou mais qui se précise d’années en années, d’un mémoire à un pfe. Il n’est pas évident de réaliser la richesse d’un sujet lorsqu’il fait partie d’un quotidien. Avant que ne se pose la question d’un sujet de mémoire, la Guyane n’a jamais été autre chose que le paradis perdu des mes grandsparents. L’objet d’un lointain révolu d’une mélancolie pas si triste. Accrochés à la Guyane par les liens familiaux, elle est dans leurs pensées, dans leurs rêves et dans la tête. Leurs souvenirs sont si limpides qu’ils semblent récents. La Guyane n’est pas si lointaine dans le cœur de ceux qui la chérissent. Du moins la version de ces terres qu’ils ont quittées. Elle a bien changé la Guyane du XXème siècle. Perdus les voisins qui deviennent la famille, perdues les discussion sur les bancs sortis devant les maisons lorsque le soleil a laissé place aux étoiles. Perdues l’intimité de la ville, les jalousies martiniquaises en guise de mur, les arbres fruitiers dans les cours, les plantes et les fleurs. Les récits de mes grands-parents sont d’une richesse inégalée. Un flot de souvenirs, une vie passée, un autre monde. Car la Guyane vit sa vie, elle grandit, elle change, accueille de nouveaux amis. Ses paysages revêtent des constructions à la mode, des accessoires derniers cris.
«
Jadis moi dans mon enfance, le quartier c’était une vie familiale. J’ai été affecté une année à St Laurent du Maroni, il n’y avait pas les communications comme il y a maintenant, aller à St Laurent c’était la piste, ça prenait 3 jours. Ma mère me disait, les voisins, si à 6h du matin comme d’habitude ses volets n’étaient pas ouverts tout le monde débarquait chez elle, inquiets ! c’était ça la vie qu’on menait !
» Paul Kali, mon grand-père 31
«
Quand je suis revenue la seconde fois en Guyane, ma mère était restée en France, elle habitait toujours la maison de famille à Cayenne, eh bien quand je suis revenu, peut-être le lendemain, la voisine d’en face m’a apporté du bouillon c’était comme ça qu’on vivait !
» Paul Kali
La Guyane ne vous serait pas racontée de la même façon aujourd’hui, ni par ses habitants, ni par ses visiteurs. D’aussi loin que je m’en souvienne, mes grands-parents n’ont jamais voulu retourner en Guyane après leur dernier voyage en 1996. Ils se sont heurtés à l’évolution rapide du département à la fin du XXème siècle, qui a profondément modifié ses paysages et ses habitants. Ils ne se sentent plus chez eux. Est-ce un sentiment isolé ou une réalité partagée ? Comment d’un espoir de l’assimilation est-on passé à l’état actuel, catastrophique, de la Guyane ?
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___ l’espoir déchu de la départementalisation ___ Pendant près de deux siècles, les quatre colonies que regroupent aujourd’hui les DOM réclament la départementalisation. Jusqu’alors refusée, leur requête sera finalement entendue et approuvée en 1946 par l’Assemblée constituante. C’est l’espoir d’un nouveau souffle, d’un développement porté par la France, la sixième puissance mondiale, un pays qui représente la modernité et la mondialisation. C’est faire partie de l’union européenne. C’est la possibilité de se développer, d’entrer dans cette mondialisation, dans ce tourbillon économique et social qui agite aujourd’hui le monde. Cette transition tant attendue à l’époque, ne produit pas l’effet escompté. Alors que la départementalisation était perçue comme le symbole d’une intégration et la promesse d’un développement social et économique semblable à celui de la métropole, la Guyane ne décolle pas. L’économie locale peine à se développer, les guyanais sont peu nombreux, les infrastructures manquent, même les plus élémentaires, le coût de production est élevé et la dépendance commerciale vis-à-vis de la métropole empêche toute progression. Malgré tout, la départementalisation n’est pas sans conséquences. Elle provoque des bouleversements économiques, démographiques, culturels. Sur le plan économique, elle est synonyme d’aides budgétaires. Ce nouveau statut débloque des fonds et améliore le niveau de vie de façon significative. Le salaire minimum est mis en place et la politique sociale de la France assure des aides financières aux plus démunis. Sur le plan démographique, elle est la raison d’un accroissement spectaculaire de la population. La Guyane est devenue un paradis français au cœur du continent sud-américain. La politique d’immigration mise en place depuis la colonisation des terres favorise les nombreuses migrations et le droit du sol accroît le taux de natalité. La population de la Guyane ne cesse de s’agrandir, et les besoins qui en découlent sont largement supérieurs aux possibilités d’accueil. Sur le plan culturel, le basculement de la colonie en département accroît le sentiment d’appartenance à une culture guyanaise, à une “créolité” et la question de l’identité se fait de plus en plus ressentir. Qui est guyanais et qui ne l’est pas ? 33
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Les vagues migratoires à différentes périodes de l’histoire de la Guyane, representatives de la politique migratoire très ouverte du territoire
___ cette agitation est le terreau de mon travail ___ Tous ces changements se sont opérés en moins de 70 ans et continuent de faire bouger les guyanais. Cette agitation a été le terreau de mon travail de mémoire. Après avoir étudié pendant plus d’un an la Guyane et ses modèles, ses changements et ses cultures, j’ai soutenu en juin 2019 une analyse sur les habitats créoles guyanais, parfait exemple de l’évolution guyanaise. En plus de me passionner, cette année de recherches a eu des retombées positives qui ont motivé la poursuite de ce travail. Elle a permis à mes grands-parents de nous transmettre leur héritage, de raconter leurs histoires, de renforcer nos liens. Pour les besoins de l’exercice j’ai également échangé avec mon oncle, résidant près de Saint-Laurent, avec qui je suis encore régulièrement en contact. Voilà un premier pied posé sur le territoire. Ce mémoire a été l’occasion de rendre hommage à ma famille et de découvrir, par le biais d’une analyse architecturale, la Guyane. Mon intérêt pour ces terres familières persistant sur le plan architectural et urbain, j’ai pensé à prolonger ce travail avec mon projet de fin d’étude à l’Ensan. Il ne s’agit pas simplement de reprendre mon sujet de mémoire et de l’approfondir mais plutôt de trouver un sujet relatif à la Guyane et à la thématique du studio Territoires Liquides, qui m’intéresse par son approche. La Guyane est un territoire liquide. Urbanisée essentiellement à proximité des axes navigables, mer et fleuves, constituée d’un sol meuble et régulièrement inondée par ses pluies quotidienne, elle est le parfait sujet. L’eau fait partie du quotidien des guyanais et ce depuis toujours. L’eau de pluie particulièrement car elle était utilisée pour se laver lorsque l’eau courante n’était pas encore installée dans les maisons.
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Dans la cour il y a un beau puit central, on avait de l’eau tout le temps, il était toujours rempli car il pleuvait beaucoup et qu’il était alimenté par la nappe phréatique. C’était un puits sans pompe, il fallait puiser avec le seau. C’était la corvée du matin. Il y avait le coup de main hein, tu laissais tomber le seau dans le puits, un geste, spring, le seau se remplissait, on le portait, on allait le déverser dans les bails, on appelle ça des bails, les tonneaux.
» Paul Kali 36
«
Mes frères n’avaient pas le droit de se doucher dans la douche, elle était reservée aux filles, donc ils avaient une grande bail eux aussi mais qui était remplie par l’eau de pluie comme il pleut beaucoup c’est toujours rempli
» Line Kali
L’eau est aussi un problème, où plutôt l’accès à l’eau. Les vagues migratoires de la fin du XXème siècle ont propulsé sur les terres guyanaises des millions de nouveaux habitants, entraînant une pression démographique dans les villes. Des centaines de familles habitent dans des conditions insalubres et l’accès à l’eau potable au coeur de ces quartiers est un véritable enjeu.
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chez mes grands-parents, bois de guyane, ailes de papillon et arts Noirs-Marron
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Chez mes grands-parents, au fil des années, malgré le temps et les déménagements, la présence guyanaise persiste. Elle se déguise dans des figurines en bois, une horloge suspendue au mur qui prend la forme du département, se découvre dans un tableau, un bol en bois. Elle influence l’organisation du jardin et se retrouve dans la cuisine, les insultes en créoles, les histoires de mariages imaginaires et les crocodiles qui vivent sous la baignoire. Les membres de la famille qui viennent régulièrement en métropole rapportent souvent un bout de Guyane et les messages des frères de ma grand-mère perpétuent le lien.
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l’imprenable forêt amazonienne Guyane, 1994 ©Paul Kali, diapositive
___ terre d’Amazonie ___ La Guyane est aussi le lieu rêvé pour expérimenter le rapport de l’homme à la nature. C’est une terre d’Amazonie, son histoire commence avec ses premiers habitants, les amérindiens, des peuples de la forêt, qui vivent avec et grâce à elle. Le conflit arrive avec le colon, qui veut posséder la Terre et dominer la forêt et ses peuples. Ensuite, au temps du bagne, les quartiers pénitentiaires sont tournés vers cette forêt amazonienne, dos au fleuve, comme un message aux bagnards “exploitez la”. Finalement le colon a vite abandonné l’idée de prendre l’ascendant sur cette Amazonie. Loin d’un rapport de dominance, les guyanais ont adopté un rapport particulier à leur environnement. Est-ce par l’influence amérindienne ou bien un héritage des esclaves africains, un état d’esprit sud-américain ou une méthode colonialiste, toujours utile qu’on retrouve chez les guyanais du temps de la colonie un certain équilibre. La départementalisation, amenant avec elle le pouvoir d’achat et accentuant la précarité, a, semblet-il, perturber cet équilibre. La modernisation a pris le pas sur la relation à l’environnement. Le climat tropical, impitoyable, n’a laissé d’autres choix aux colons que de s’adapter à lui et non l’inverse. L’architecture coloniale est très souvent, pour des raisons d’hygiène et de confort, un objet architectural pensé pour survivre dans des climats ardus. La plupart des villes de Guyane étant des villes coloniales, le modèle architectural créole traditionnel est un mode d’emploi, un exemple de l’architecture bioclimatique. Soucieuse autant de son environnement que de son habitant et de ses coutumes, la maison créole traditionnelle est, à l’inverse de son équivalent moderne, un parfait objet climatique et social. Au temps de la colonie, les constructions sont pensées comme des refuges au climat tropical agressif. Les murs sont poreux, les jalousies martiniquaises assurent l’aération permanente des intérieurs même lorsque portes et fenêtres sont fermées. Les toits largement débordants empêchent au soleil de pénétrer à l’intérieur et sont les protecteurs du promeneur extérieur. Leur pente est accentuée afin d’assurer l’écoulement des eaux de pluie. L’étude de ce modèle traditionnel révèle une multitude de détails qui en font le meilleur allié de l’habitant. Les maisons, particulièrement, ont traduit coutumes et usages. On observe en Guyane plusieurs niveaux d’intimité. Le visiteur est reçu avec plaisir au sein de la maison mais il ne franchit pas la limite du privé. 41
A Cayenne par exemple, la maison est tournée vers la cour, sauf les salles de réception qui se trouvent côté rue. A Saint-Laurent, la galerie, qui est périphérique, accueille plusieurs types d’espaces. Celui ou l’on reçoit donne sur la rue et non sur le jardin, lieu de l’intimité familiale. Au XXème siècle, le monopole du béton, le désir de modernité et plusieurs facteurs complexes transforment la construction. Avec l’arrivée des voitures, la poussière s’installe en ville et grâce à l’installation de la climatisation, la maison créole peut se fermer. D’un point de vue environnemental et économique cette modification est catastrophique. L’explosion démographique, facilitée par une succession de décisions politiques, visant à peupler la Guyane, oblige le département à construire vite. Résultat, des quartiers rapidement pensés et des habitats réduits voient le jour. Les premiers immeubles apparaissent. Les multiples communautés qui peuplent désormais la Guyane ne sont pas prises en compte, pas plus que le nouveau schéma familial, les aspirations de la jeunesse guyanaise ou encore la situation économique des habitants. L’absence d’offres et de solutions entraîne un développement peu harmonieux sur le territoire, impulsé par tout un chacun, avec les moyens du bord. Les quartiers spontanés côtoient les quartiers pavillonnaires édifiés dernièrement, des quartiers bâtis avec des “cages à lapins”1. On construit désormais des habitations où le confort thermique est délaissé au profit de la rentabilité et de la rapidité d’exécution. Alors que traditionnellement, l’architecture créole est pour l’habitant un refuge contre la chaleur, les habitations actuelles ont abandonné toutes préoccupations environnementales. L’heure est à l’efficacité. Il faut construire vite et beaucoup.
RICHTER Monique, “Pour une réhabilitation de l’habitat créole à Cayenne”, Editions L’Harmattan, Paris, 2010 1
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rue Franklin Roosevelt, Cayenne Guyane, 1994 ©Paul Kali, diapositive
___ la situation de crise a pris le dessus ___ Finalement la situation de crise a pris le dessus. Quelques années après ces constructions “en dur”1, les premiers retours sur expériences sont sans appel. Le témoignage de Maeva Leroy2, architecte au sein de l’association AQUAA, concernant les nouveaux habitats relate du changement qui s’opère dans le monde de la construction. Les bâtiments que l’on construit aujourd’hui, sur trois étages ou plus, n’offrent pas d’espaces publics, bridant ainsi la relation à la nature. Alors que la culture sud-américaine entretien une étroite relation à la Terre, les architectes du XXIème siècle coupent les habitants de leur identité et de leur culture, un acte qui d’après Maéva Leroy “va potentiellement entraîner de vrais problèmes, c’est là que ça va péter dans quelques années.” La transformation de la colonie en département signifie aussi la mise aux normes des bâtiments, des normes qui parfois, vont à l’encontre du modèle créole. Par exemple, le soubassement prévu pour anticiper les pluies quotidiennes et isoler la maison ne correspond pas aux normes handicapées françaises. Ces normes PMR, mises en place en Guyane il y a seulement quatre ans, ont entraîné la modification du modèle créole. Beaucoup des nouvelles constructions du XXIème siècle sont de plain-pied - notamment les maisons accueillant un commerce en RDC - tandis que le climat de la Guyane reste le même. Les pluies quotidiennes transforment la ville en véritables “marécages”3. De plus, l’urgence étant à l’habitat, on délaisse les programmes publics que l’on juge secondaires. Résultat, les villes manquent d’équipements publics, d’écoles, de supermarchés.
1 Les constructions «en dur» désigne les bâtiments construits en béton, en opposition aux bâtiements au bois construits juqu’alors. 2 Lors d’un entretien téléphone, le 24/10/2019, j’ai eu l’occasion de discuter avec Maéva Leroy. L’association AQUAA, basée à Cayenne, sensibilise et conseil les particuliers sur le sujet de l’architecture bioclimatique en milieu Amazonien. 3 Témoignage de Maeva Leroy, architecte au sein de l’association AQUAA, Cayenne
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___ Saint-Laurent garde le cap ___ Saint-Laurent du Maroni, où s’implante le projet, est d’un intérêt particulier de par sa proximité au fleuve le Maroni mais aussi considérant les estimations à la hausse concernant son avenir. Cayenne est aujourd’hui bloquée par sa géographie, les fleuves qui l’entourent empêchent son expansion. Bien que l’urbanisation se rapproche dangereusement de la forêt, Saint-Laurent a du potentiel. De plus, sa position stratégique en fait un lieu de croisement, entre les villages du fleuve, le Suriname, et le reste de la Guyane. C’est aussi à Saint-Laurent que la pression démographique se fait le plus ressentir. Son lien avec Albina, ville du Suriname, la place en tête des villes françaises enregistrant le plus haut taux de natalité. En cause, la loi du droit du sol en vigueur en France, qui offre la nationalité française aux nouveaux nés sur le territoire français. Le fleuve étant la seule frontière physique entre les deux pays, les échanges sont incontrôlables et les femmes quittent le Suriname pour accoucher en Guyane. Cette frontière immatérielle profitent aussi aux immigrants qui tentent de s’installer sur un territoire européen. En 2020 Saint-Laurent est la deuxième ville la plus peuplée après Cayenne et les estimations la placent en tête de ligne à l’horizon 2060. Dans toute la Guyane, c’est à Saint-Laurent que l’on dénombre le plus d’habitats spontanés. Un recensement en 2013 a comptabilisé 60% des habitations comme étant de l’auto-construction, soit 20 000 personnes vivant au sein de ces quartiers, dans des habitats souvent insalubres et dangereux.
«
Aujourd’hui la ville de Saint-Laurent avec une population estimée de 40 597 habitants (INSEE, 2012) est la deuxième ville de Guyane après Cayenne. Capitale du Maroni, capitale du bagne, capitale de l’Ouest, capitale des marronages, capitale culturelle guyanaise, ville d’Arts et d’Histoire, ville frontalière, SaintLaurent cumule de nombreux adjectifs représentant son histoire, sa population en lien avec l’embouchure du Maroni. Les Ateliers de
»
Cergy, “Saint-Laurent du Maroni, la transition urbaine d’une ville française en Amazonie, document de contexte”, Atelier International de Maîtrise d’Œuvre Urbaine, Edition Les Ateliers de Cergy, Avril 2016, p.58
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Saint-Laurent du Maroni, à l’Ouest sur la carte, est séparée du Suriname seulement par le Maroni, le fleuve dont elle tient son nom
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Maisons et pirogues le long du Maroni Guyane 1981 ©Paul Kali
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Saint-Laurent, une ville aux mille problèmes
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02.
Saint-Laurent du Maroni, une ville entre fleuve et Amazonie superficie : 4 830 km2 population : 42 612 hab. (2017)
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Saint-Laurent-du-Maroni est la plus grande ville de la côte Ouest guyanaise. Située à trente kilomètres de l’embouchure du fleuve Maroni, elle s’adosse, comme Cayenne, à l’Amazonie. Les fleuves du plateau des Guyanes, jadis seuls axes de communication du territoire, ont accueilli les premières implantations amérindiennes. Par la suite, plusieurs villages s’y sont créés et parmi eux, Saint-Laurent-duMaroni qui s’est développée en prenant appui sur ce positionnement stratégique, entre terre et mer. Saint-Laurent est une ville pénitentiaire qui a évolué pour les besoin du bagne. Simple village jusque dans les années 1850, construite par et pour le bagne, elle est laissée à l’abandon lorsque ce dernier ferme en 1946, alors léguée aux mains de la population guyanaise. Saint-Laurent-duMaroni continue aujourd’hui son expansion, portée par l’ère du 21ème siècle, elle garde toujours une trace de son histoire au cœur de ses rues. Avant l’installation du centre pénitencier, la colonie est surtout effective sur l’île de Cayenne et ses environs et ne se ressent pas dans l’ouest guyanais. De part sa position géographique, Saint- Laurent est davantage en contact avec le Surinam et notamment la ville d’Albina qui se trouve en face, sur la rive gauche du fleuve. Les échanges entre le Suriname, ancienne colonie hollandaise, et la Guyane sont permanents, le Maroni représentant un bassin de vie important. Le fleuve ne sera jamais ni totalement français ni totalement surinamais, il incarne un lieu de résistance aux dynamiques coloniales françaises et hollandaises. Ville de fleuve, aujourd’hui deuxième ville la plus peuplée après Cayenne, les estimations la place en tête de ligne à l’horizon 2060. Sa situation de ville frontalière avec le Suriname implique bon nombre de préoccupations, aussi bien sociales, économiques que démographiques.
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___ 4 saisons au gré des pluies ___ La Guyane se situe dans la zone équatoriale de l’hémisphère Nord et se trouve dans une zone de circulation atmosphérique Est/Ouest que l’on nomme ZIC - Zone Intertropical de Convergence. Ce phénomène, qui constitue l’élément déterminant de son climat, est caractérisé par la création d’une zone de basses pressions. Au sein de cette zone, se rencontrent les alizés du nord-est et ceux du sud- est, un rendez-vous qui génère de fréquentes et fortes averses. On y observe des cumulonimbus, nuages générateurs d’orages et des précipitations violentes. Les passages de la ZIC, deux fois par an au-dessus de la Guyane, déterminent ainsi la saison des pluies et organise le cycle saisonnier du département en quatre saisons inégales : La petite saison des pluies :
De mi-novembre à mi-février se déroule la petite saison des pluies. Pendant cette saison, de décembre à février les pluies sont relativement localisées et de courte durée alors qu’en janvier le ciel est chargé et déverse sur le département des précipitations soutenues et abondantes qui font baisser la température. Durant cette saison, les températures varient peu, conséquence d’une insolation minimale.
Le petit été de mars :
Vient ensuite le “petit été de mars”, une saison où les températures remontent et où la pluie se calme. La Guyane reçoit un air maritime humide venant de l’Océan Atlantique. On l’appelle aussi le petit été car les journées sont ensoleillées et rappellent la belle saison du soleil.
La saison des pluies :
Dès le mois d’avril, la ZIC remonte la Guyane du Sud au Nord et amène la saison des pluies. Le département est alors submergé par des pluies fortes et qui peuvent durer plusieurs jours et ce jusqu’à mai voir mi-juin. Le ciel est sombre et chargé de pluie. Ensuite, de mi-juin à juillet, l’ensoleillement augmente et les pluies diminuent. La ZIC s’efface peu à peu pour laisser place à la saison sèche.
La saison sèche :
De mi-août à mi-novembre, la ZIC est rejetée au Nord et laisse place au soleil et aux hautes températures. Même lors de cette période sèche, comparable à un été en France métropolitaine, les pluies sont rares mais pas inexistantes.
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la petite saison des pluies
le petit été de Mars
la saison des pluies
la petite saison des pluies
la saison sèche
précipitations 90%
78% 64%
58%
60%
54%
240mm
76%
68%
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47% 33%
30%
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80mm
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comparaison avec les données météorologiques de Bordeaux
160mm
37%
taux d’humidité 100%
81%
83%
80%
82%
87%
88%
85%
83%
79%
81%
78%
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50%
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ensoleillement 15h 9.1h
10h
7.8h
8.2h
8.2h
9.7h
8.9h
10.3h
10.8h
10.7h
10.8h
10.8h
9.6h
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températures 35°C
30°C
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25°C
Guyanais de langue maternelle créole 30%
Autres 4% Hmong 5%
Européens (à plus de 95% français) 13% Antillais (fr) 5% Bushinengués 6% Amérindiens 3% Chinois 4% Surinamais (hors Bushinengués) 13%
Haïtiens 10% Brésiliens 10%
Camembert communautaire les 11 communautés principales de Guyane
40 000
30 000
20 000 10 000
0
1980
2000
Évolution démographique de Saint-Laurent source: INSEE
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2020
___ l’immigration comme paramètre essentiel de développement ___ Le XXème siècle est enfin synonyme de croissance démographique pour le département. Une forte hausse de la natalité, associée à des vagues successives d’immigration, offrent à la Guyane cette augmentation de la population tant espérée du temps de la colonie. Alors que le premier recensement de l’INSEE, en 1954, comptabilise 27 800 habitants en Guyane, il recense, en 2016, 270 000 habitants sur le territoire. En 60 ans la population de la Guyane a été multipliée par 10. Le contexte géopolitique de la France explique cette population grandissante et multiculturelle. La croissance de la Guyane s’apparente à celle qu’ont connue les autres pays d’Amérique. Ces pays dont l’arrivée de millions d’immigrants est à l’origine de leur déploiement, admettent l’immigration comme un des paramètres essentiels à leur développement. L’imaginaire guyanais admet depuis des années le couple “développementpeuplement”1 et de par son histoire, la présence de plusieurs groupes socioculturels distincts. La départementalisation de la colonie boulverse aussi le cours de l’histoire. Le statut français miroite au milieu des pays sud-américains et apporte avec lui non seulement une hausse des naissance dû au droit du sol mais également une évolution du schéma familial. Les familles s’agrandissent, plus d’enfants signifiant plus d’aides financières. Le nombre d’enfants par famille augmente considérablement et la population guyanaise du XXème siècle devient de plus en plus un peuple jeune. Bien avant les grandes vagues migratoires, quatre grands groupes de population se partagent déjà les terres. Après les amérindiens arrivent les Bushinenge, descendants des Noirs Marrons. Les Créoles de Guyane - en opposition au créoles venus des Antilles - et les Métropolitains, de l’époque moderne, vivent ensemble. La multiculturalité est donc depuis toujours bien présente et intégrée, aussi bien dans l’imaginaire de la Guyane que dans le quotidien de ses habitants. Malheureusement elle est aujourd’hui bafouée par le communautarisme de plus en plus fort au sein des villes. 1 MAM LAM FOUCK Serge, “La société guyanaise à l’épreuve des migrations, 1965-2015”, Université de la Guyane, Editions Ibis Rouge Editions, 2015
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___ L’organisation décousue des quartiers de SaintLaurent ___ Saint-Laurent est une ville marquée par sa multiculturalité. Du fait de son histoire, plusieurs communautés s’y côtoient dans le respect des coutumes. Les premiers habitants, avant même que la ville coloniale ne soit créée, sont les Amérindiens, sur le territoire depuis, dit-on, -10000 avant Jésus-Christ. De manière plus fiable on date les premières installations progressives des groupes amérindiens au 1er siècle de notre ère. Ces populations amérindiennes ont cohabité en paix pendant des siècles avant l’arrivée des premiers Européens. Les colons ont tenté de soumettre les amérindiens au travail mais sans succès. Certaines populations se sont réfugiées dans la forêt et d’autres ont décidé de rester à Saint-Laurent pour former des villages indépendants. Ces villages fonctionnent selon le système de chefferie propre à la culture amérindienne. Ils prennent part à la vie saint-laurentaise et ont négocié une cohabitation amicale avec l’administration de la ville. Le centre ville historique est quant à lui porteur d’une identité patrimoniale. Dense et structuré, il rassemble l’essentiel des équipements, commerces et services de la commune. L’urbanisation de Saint-Laurent est caractérisée par les nombreux quartiers informels qui se développent anarchiquement le long des axes de circulation. Cette urbanisation diffuse échappe à toute tentative urbaine d’uniformiser le territoire. Une autre partie de la ville est constituée de pôles secondaires à caractère monofonctionnel. Équipements, activités économiques ou encore des zones d’habitat, résultant des premières opérations RHI, Résorption de l’Habitat Informel, dans les années 1990. Ces opérations ont formé des quartiers isolés les uns des autres, Charbonnière, Sables blancs, ... Une immense partie du territoire reste ensuite complètement désertée par la population du fait de la présence de la forêt dense.
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Village Paradis Village Paddock Les cultures
Ville Coloniale
Maroni
centre ville historique route de Fatima
Village chinois
Les Malgaches
extension du centre
Quartier Haïtien
RN1 vers Cayenne
Maryflore
La charbonnière
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Les sables blancs
Village balaté
village amérindien
Les écoles
La Fontaine Chekkepatty ZAC Saint-Maurice construction en cours
Saint-Louis
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Saint-Maurice
cartographie des différents types de quartiers de Saint-Laurent
légende :
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ville coloniale, centre historique Paul
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légende
le quartier chinois, extension du centre
ville coloniale, centre historique
villages amérindiens
le quartier chinois, extension du centr
RHI, lotissement, logement social villages amérindiens urbanisation diffuse le long des routes social RHI, lotissement, logement
urbanisation diffuse le long des routes quartiers spontanés
projet ZAC St quartiers Maurice spontanés
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zone d’intervention projet ZAC St Maurice zone d’intervention
___ inégalités d’accès aux services commerciaux déjà peu nombreux ___
«
Le niveau actuel des équipements à Saint- Laurent ne correspond pas à la taille de la commune. Afin de suivre le rythme démographique, les priorités se sont portées sur les équipements scolaires. Malheureusement, la mise au second plan des équipements sportifs, ludiques et culturels posent problème dans les nouveaux quartiers périphériques. Les différents services et équipements publics sont majoritairement situés dans le centre-ville, confrontant les populations déjà éloignées physiquement à des situations d’inégalités d’accès aux services de la Ville du fait de l’absence de transports publics. Les Ateliers de Cergy p.90
»
L’absence de transports publics à Saint-Laurent est un problème majeur. Pour limiter son impact sur les habitants, le PADD de la ville, publié en octobre 2013, met l’accent sur le développement de “centres de proximité”. Il s’agit de réduire les besoins en mobilité en dotant les espaces résidentiels de pôles de centralité attractifs, liés à la vie dans les quartiers. Actuellement le marché central, qui est l’un des principaux lieux de distribution pour les habitants, se situe au Nord, au cœur de la ville coloniale. Parsemées dans toute la ville se trouvent également les nombreuses épiceries, tenues principalement par la communauté asiatique. Pour le reste, les saint-laurentais font leurs courses au supermarché Super-U qui se trouve également dans la partie nord de la ville. Deux grandes surfaces sont en projet, pour pallier le besoin croissant auquel cet unique supermarché ne peut répondre. Englobées dans des projets de centres commerciaux, prévus au Sud et à l’entrée Est de la ville, ces projets vont totalement modifier les habitudes de consommation et de déplacement des saint-laurentais. Ces nouvelles centralités commerciales vont aussi propulser le développement urbain des quartiers à proximité. Le centre commercial prévu au Sud vient s’installer le long de la route Paul Isnard. Situé dans une zone peu urbanisée pour le moment, le projet se place en prévision d’un étalement certain de la ville vers le sud. Notre parcelle de projet se trouve à quelques kilomètres de la route Paul Isnard et propose un complément à l’installation d’une grande surface. Plutôt tourné vers la production agricole locale, notre marché est comme une extension du marché central, accessible facilement pour les quartiers sud de la ville. 60
CULTURE VIVRIERE
ABATTIS + HMONG
MARCHE
SURINAME
RUE GUYANE Epicerie
Epicerie
Epicerie
EPICERIE
MONDE
METROPOLE
SUPER U
-V j > `i ` ÃÌÀ LÕÌ > i Ì> Ài] iÝ >ÕÃÌ Ûi° Àj` ÌÃ \ ƂÌi iÀÃ `i iÀ}Þ schéma de distribution alimentaire, non exhaustif. Soure : Ateliers de Cergy.
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le marché central de Saint-Laurent, un lieu de recontres ©Yves Bhagooa
ZAC Saint-Maurice construction en cours
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Cartographie des équipements commerciaux de Saint-Laurent légende : habitat spontané équipements commerciaux zones d’activités en projet zone d’intervention
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les boites aux lettres d’un quartier informel à Matoury, Cayenne ©Paul Kali
___ 60% des habitations de Saint-Laurent sont autoconstruites et informelles___
«
Le terme d’habitat spontané est associé, souvent avec confusion, à l’informalité, l’illégalité, l’insalubrité. De façon objective, l’habitat spontané est défini comme la construction sans titres ni droits de terrain physiquement disponibles. Il s’agit d’un mode informel de production de logement, basé sur l’autoconstruction. L’informalité interroge la production de logement dans la ville planifiée et régie par un cadre légal (propriété, permis de construire, etc.). L’existence de quartiers spontanés et leur organisation relèvent d’initiatives individuelles ou collectives et reposent sur des savoir-faire vernaculaires. Ces savoir-faire vernaculaires questionnent l’expertise de l’aménagement. Les Ateliers de Cergy p.76
»
Les auto-constructions que l’on retrouve à Saint-Laurent sont la conséquence directe de la crise du logement subie par le département. Contrairement aux bidonvilles, qui résultent d’un non accès au logement, les quartiers spontanés existent car il n’y a tout simplement pas assez de logements pour tous. En effet, au déficit global de logements, causé par les mouvements migratoires de la deuxième partie du XXème siècle, s’ajoute un manque de logements adaptés. Les nouvelles constructions ne correspondent pas à la situation économique et sociale des habitants. Il n’y a pas assez d’offres de logements sociaux, peu sont prévus pour les familles nombreuses et ils sont souvent construits sur un modèle métropolitain. Ces incohérences ont précipité la situation d’urgence et obligé les habitants de Saint-Laurent à construire eux-même leur habitat. Ces habitants ne sont pas forcément en situation irrégulière. Au contraire, une étude faite sur un des quartiers à Saint-Laurent a permis de recenser 66% habitants en situation régulière, 20% en situation facilement régularisable, et moins de 10% d’habitants en situation irrégulière ou irrégularisable.Ce sont aussi bien des nouveaux arrivants que des guyanais, installés ici depuis des années. Parfois regroupés, ils ont formé de véritable quartiers au sein de la ville. On retrouve aussi des constructions diffuses dans les espaces ruraux, plus 65
éloignées du centre- ville, créant un paysage urbain décousu et accélérant l’étalement urbain. Ces constructions rappellent les cases populaires créoles, ces maisons érigées par la classe moyenne dans les villes guyanaises du XIXème siècle. C’étaient des petites maisons modestes, de plain pied. Leur structure était en bois, tout comme les murs. Surélevées du sol d’environ 50 cm à l’aide de billes de bois équarries, elles étaient généralement auto construites et sommaires Au XXIème siècle, la composition est semblable, les murs sont essentiellement faits de planches d'un bois importées du Suriname1 et le toit de tôles récupérées ou achetées. On recense, comme dans tous types de constructions, différents niveaux de finitions de ces maisons. Si certaines sont en relativement bon état, nombre d'entre elles sont insalubres et accueillent parfois des familles entières.
«
L’habitat spontané n’est pas que réservé aux populations précaires, il concerne également des ménages avec des revenus, formels ou informels, n’arrivant pas à accéder ni au marché locatif social ni au marché de l’accession à la propriété. Ces différentes populations diversifient les paysages et les formes des quartiers spontanés. De la cabane à la villa, l’habitat spontané rompt en de nombreux points avec les représentations traditionnelles du bidonville. Les Ateliers de Cergy p.76
»
1 l’exploitation forestière n’étant pas régulée au Suriname, les stocks sont plus importants et les prix attractifs. En plus de détruire la forêt sur le territoire surinamais, l’importation de bois en Guyane neutralise le marché guyanais qui ne peut concurrencer avec son voisin.
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croquis des habitats et extensions des quartiers Chekepatty et Paul Castaing, réalisés par le Gret, 2013
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___ les quartiers spontanés sont livrés à eux-même ___ Bien qu’au cœur de la ville, les quartiers spontanés ne sont pas raccordés à la trame urbaine. Ni les routes, ni les équipements, ni les réseaux n’y parviennent. Outre les déchets qui ne sont pas ramassés, traînant au bord des routes, et l'électricité amenée illégalement et installée dangereusement, les quartiers informels n’ont pas de réseau d’eau potable. Impensable d’envisager un quotidien sans eau courante lorsque l’on sait que l’eau est une ressource essentielle, aussi bien sur le plan hygiénique que pour le confort de vie. D’ailleurs la première intervention de l’OMS, ou de tout autre organisme, dans des quartiers comme les bidonvilles ou les quartiers informels, concerne l’accès à l’eau. Devant l’ampleur de l’urbanisation spontanée à Saint-Laurent du Maroni, la commune a installé des bornes fontaines dans plusieurs quartiers afin de faciliter l’accès à l’eau potable. Ces bornes fontaines fonctionnent grâce à des cartes magnétiques payantes qui s’achètent auprès de la Société Guyanaise des Eaux.
«
Réponses à l’absence de réseau d’eau potable dans les quartiers d’habitat spontané, elles restent une solution indigne et peu suffisante au regard des normes internationales. L’organisation des Nations unies (ONU) a en effet reconnu l’accès à l’eau potable comme un droit de l’homme, et l’organisation mondiale de la santé (OMS) a estimé que la «distance raisonnable» d’un ménage à un point d’eau potable est de 200 mètres maximum. Le MaroniLab
»
Même avec l’installation des bornes fontaines, l’ensemble des habitants n’a pas accès à l’eau. Non seulement il n’y a pas assez de bornes pour remplir les conditions de l’OMS, à cela s'ajoutent des dégradations importantes sur celles installées. Sur les 31 bornes, réparties sur 16 sites, recensées par le MaroniLab, seules 18 sont en état de marche. Pour compenser, les habitants ont recours à des sources alternatives qui présentent de nombreux risques sanitaires. 68
Maroni Fatima route de
RN1 vers Caye
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Cartographie de l’accès à l’eau potable à Saint-Laurent du Maroni.
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habitat spontané, non relié au réseau d’eau de la ville réseau d’eau de la ville
Borne fontaine en fontionnement Borne fontaine défectueuse
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Zone de documentation
Les tuff tanks Sans accès au réseau d’eau de la ville, les habitants des quartiers spontanés ont mis en place la récolte d’eau pluviale grâce à des tuff tanks. Bien qu’insuffisante, cette installation n’est pas sans intérêt et constitue un premier apport d’eau, pour la vaisselle ou le rinçage des wc par exemple. Malheureusement cette eau, impropre à la consommation, est aussi utilisée comme apport d’eau potable, ce qui représente un réel enjeu sanitaire.
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les criques Les criques à proximité des quartiers spontanés acceuillent des usages hors du commun : les habitants en manque d’eau, l’utilisent pour se laver, faire la vaisselle, laver leur linge, les enfants y jouent, et les déchets y sont jetés.
les criques sont de véritables décharges publiques
les habitants s’y lavent
les enfants en et les familles font leur terrain utilisent l’eau pour de jeux faire leur vaisselle
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Les ménages qui en ont les moyens achètent de l’eau en bouteille.
«
en 2014, avant l’installation de bornes fontaines à Chekepatty, le GRET estimait à l'issue d’une enquête socio-économique dans le quartier que les dépenses liées à l’eau potable représentaient 170€ par mois pour les ménages. La dépendance aux bornes fontaines, qui permet un accès à l’eau potable au prix de vente classique de la SGDE, demeure donc très forte. Le MaroniLab
»
Le non accès au réseau pousse aussi certains habitants à se raccorder illégalement au réseau d’eau de la ville, provoquant ainsi des coupures d’eau dans les foyers.
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bornes fontaines installées dans le quartier spontané Chekkepatty à SaintLaurent. ©MaroniLab
___ dans un lieu public, nous sommes tous égaux ___
«
À Saint-Laurent, les principaux espaces ouverts urbains sont situés sur les bords du Maroni, lieux d’échanges, de mobilités mais aussi de divers usages selon l’endroit et la temporalité. Les seules véritables places publiques sont situées dans la ville coloniale avec la place du marché et les différents jardins et squares peu qualifiés. Les Ateliers de Cergy p.82
»
L’espace public manque à Saint-Laurent. Dans l’urgence de la construction, on oublie les lieux communs, les lieux à-côtés, ceux qui ne servent à rien mais sont nécessaires à tous. Un chemin entre deux immeubles est certes un espace public, commun à tous mais à Saint-Laurent ils ne sont pas travaillés pour être des lieux de partage. Ces lieux presque résiduels, ne sont pas aménagés pour accueillir un usage spécifique. Qui a envie de rencontrer ses amis, debout sur un chemin de terre, entre des boites aux lettres et des déchets ? Est ce que le communautarisme est favorisé par l’absence de lieux pour tous, qui encouragent la rencontre? Il est difficile de le savoir. Ce qui est sûr c’est que ce n’est pas en restant chez soi et en croisant ses voisins seulement à la supérette que l’on crée du lien. Les espaces neutres, où les populations se croisent, sont aussi des lieux de mélange. Certes le mélange peut créer des situations d’opposition mais il réduit les a-priori, les préjugés. L’espace public c’est aussi sortir de chez soi sans avoir besoin d’aller quelque part. Prendre l’air, s’aérer la tête et les idées, souffler. La maison n’est pas un refuge pour tous. Dans un lieu public, nous sommes tous égaux, il n’appartient à personne. C’est un endroit pour partager le temps et l’espace. En Guyane particulièrement, le lieu public doit être pensé pour s’adapter au climat. Si on veut qu’il soit utilisable tout au long de la journée, il ne peut être complètement extérieur, au risque d’être envahi par les eaux et submergé par le soleil. Il ne peut non plus être totalement fermé car la perméabilité aux vents est indispensable.
«
De plus, les espaces extérieurs sont soumis aux aléas climatiques de la saison des pluies et aux fortes chaleurs pendant la saison sèche. Dans les usages, cela se traduit par une inoccupation des espaces extérieurs entre environ 13h et 15h, quand le soleil est au zénith. A contrario, quand le soleil se couche vers 18h les espaces ouverts s’animent. Les Ateliers de Cergy p.82 74
»
La hall couverte du marché de Saint-Laurent ©tomalex
le marché de Saint-Laurent du Maroni Guyane 1996 ©Paul Kali
78
«dilo lapli», un projet pour les habitants
79
03.
Parfois l’architecture est un moyen de rassembler une foule d’idées et de gens
80
une prise de position qui découle d’un besoin chercher le lieu pour l’accueillir
81
respecter le déjà-là se connecter compléter
82
aucune modification de l’environnement existant se glisser se faufiler au creu de ce qui existe c’est accepter ce qui est la pour ce que c’est
83
une colonie vide d’hommes et de femmes un acte administratif change la colonie en département du travail, des transferts de corps. un Etat français des lois, des aides des migrations par milliers des centaines d’enfants à Saint-Laurent
84
85
un fleuve comme frontière ce n’est pas une frontière c’est un lien
86
Suriname et Guyane jumelles adorées jumelles détestées pour les uns par les autres
chacun à ses bonnes raisons 87
des identités se croisent mais ne s’entendent pas
88
l’emprise s’étend la ville prend de la place la forêt est tout proche encore combien de temps avant la rencontre fatale pour qui?
89
au coeur d’une ville saturée de gens mais en manque de logements
l’auto-construction est la réponse elle est probablement la solution
90
des maisons rassemblées mais déconnectées entre elles et de la ville
des petites maisons partout mais pas de lieu commun ni de lieu à soi
91
92
au creu de sa main l’enfant a capturé une goutte d’eau il la porte avec attention jusqu’à sa mère qui puise dans la réserve d’eau de la dernière pluie pour cuisiner leur repas
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enjeux Alimenter un quartier spontané en eau potable Notamment les quartiers spontanés qui ne sont pas raccordés au réseau existants, ou seulement par des raccords pirates. Cet enjeu implique de s’adapter à la croissance démographique de la ville mais aussi à l’élévation du niveau de vie des habitants de Saint-Laurent. Il faut donc proposer un volume d’eau nettement supérieur à celui dont dispose actuellement les habitants.
Trouver une production d’eau alternative et complémentaire La production actuelle d’eau potable à Saint-Laurent repose sur des captages d’eau du fleuve. Non seulement cette production est consommatrice d’énergie mais elle est aujoud’hui insuffisante pour la population grandissante.
Composer avec l’existant Proposer des infrastructures complémentaires aux installations de traitement de l’eau et aux réseaux de la ville. Travailler avec la construction projetée de la ZAC Saint-Maurice
Réduire le communautarisme, des espaces publics pour les quartiers Retrouver une vie de quartier, favoriser les échanges et les rencontres entre les différentes communautés de Saint-Laurent. Proposer des espaces publics dans les quartiers spontanés qui en sont dépourvus
Acceuillir la population jeune de Saint-Laurent, plus nombreuse d’année en année 94
L’ACCÈS À L’EAU, UN DROIT ACCOMPAGNER LE MOUVEMENT RASSEMBLER
©routard
95
©tomalex
intentions
Accompagner le mouvement Capter l’eau de pluie Il n’existe actuellement à Saint-Laurent aucune infrastructure pour la récupération de l’eau de pluie. Les pluies représentent pourtant une grosse quantité d’eau, notamment durant la saison des pluies.
Concevoir et installer “La Station” de traitement des eaux de pluie. Cette station récupère les eaux pluviales et les traite afin de les rendre potable.
Stocker l’eau Les espaces de stockage permettent de minimiser l’impact de la saison sèche sur l’approvisionnement en eau. Le nombre de cuves est évolutif et la capacité de stockage peut augmenter selon les besoins.
Proposer des espaces publics autour de l’ombre et de l’eau, des éléments fédérateurs L’eau est pretexte à rassembler les habitants des quartiers alentours. Autour de points de puisage d’eau mais aussi de mise en scène de l’eau. Le projet propose d’articuler des espaces publics autour des différents programmes. Par la création d’ombres et de points, d’eau, ces espaces partagés situés à proximité des quartiers existants et futurs, peuvent acceuillir différents usages. 96
Favoriser le local Utiliser des matériaux et techniques locales, limiter l’empreinte carbone et favoriser la production et les savoirs-faire de SaintLaurent.
Travailler avec l’environnement Prendre en compte l’environnement, le milieu comme partie prenante du projet. (prise en compte des saisons -sèche et humide)
Offrir à la population jeune de SaintLaurent du Maroni une infrastructure
ludique et commune
Outre le logement, Saint-Laurent manque d’infrastructures, plus spécifiquement à destination de la population jeune de plus en plus importante. A travers des jeux d’eau et des installations ludiques, le projet a pour vocation de rassembler les jeunes des différents quartiers et de différentes communautés au sein d’un espace qui leur est dédié.
Mettre en place l’irrigation raisonnée des cultures par la récupération et le traitement par phytoépuration des eaux usées. 97
___ où s’implanter pour avoir un rayonnement maximal ? ___ plan de situation Le projet s’adresse à la population présente dans les quartiers alentours. S’insérer au coeur des quartiers spontanés en pleine expansion, prendre part au développement de la ville en se plaçant à proximité de la future grande ZAC, diminuer l’impact du manque d’infrastructure en profitant d’une route existante, utiliser une crique pour rejeter les eaux usées nettoyées, penser à long terme en s’implantant dans un lieu qui permettra au projet de s’étendre, se rapprocher des exploitations agricoles pour tester l’irriguation raisonnée des cultures par l’eau de pluie.
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ZAC Saint Maurice
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___ intercepter les vents, se protéger du soleil ___ plan masse Le projet s’implante face aux vents dominants venants de l’Est. Les différents espaces sont en quinconce afin de ne pas bloquer l’arrivée des vents. Ils ne sont pas parfaitement perpendiculaires pour éviter de grandes façades exposées Ouest, pour le soleil.
GSPublisherVersion 0.69.100.65
99
___ prendre en compte l’environnement pour concevoir une architecture bioclimatique___ Il est important de prendre en compte l'influence des bâtiments les uns par rapport aux autres, et de ne pas gêner ou être gêné par les constructions alentour.
Lorsque le vent est perpendiculaire à la façade principale, la disposition en quinconce diminue l'effet de masque et la ventilation sera meilleure qu'avec une disposition linéaire
Lorsque le vent est de biais par rapport aux façades, la disposition en quinconce diminue les zones de turbulence à l'arrière des maisons qui rend la ventilation difficile. Schémas d'après A. Bowen, Classification of air motion systems and patterns, dans PASSIVE COOLING, Editions I. Clark et K.Labs, 1980
Si on oriente le bâtiment face aux vents dominants, on profite au maximum de cette ressource naturelle peu gourmande en énergie.
©ADEME, Guide pratique pour la maison, vivre dans une maison saine, confortable et économe en énergie, 2008
100
Pour se protéger du soleil, il faut éviter les surfaces orientées à l'ouest ©AQUAA
La toiture s'adapte à la course du soleil ©ADEME, “ECODOM+, Guide prescriptions techniques pour la performance énergétique des bâtiments en milieu amazonien”, 2010
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vue du ciel maquette 1:500 102
___ «oun koté pou viv ké kontré» un lieu pour vivre et se rencontrer ___ programme
un marché animé par les producteurs locaux
des bassins de phytoépuration pour nettoyer naturellement les eaux usées un espace généreux à la disposition des habitants
des points d’eau, potable et non potable un lavoir et des jeux pour la population jeune de Saint-Laurent
une station qui récupère et traite l’eau pluviale afin de la rendre potable
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___ se connecter, compléter, approvisionner ___ Le PADD de Saint-Laurent, publié en 2013, nous informe du projet de construction d’une zone d’activité le long de la route Paul Isnard, au sud de la ville. Située à proximité de la ZAC Saint-Maurice en construction, elle est probablement en lien avec les 3 400 logements prévus. Ce centre commercial de grande ampleur est en projet depuis 2013 et annonce une superficie totale de 66 000 m2. 1 C’est une grande avancée pour Saint-Laurent et la réponse à des besoins croissants. En parallèle se trouve notre marché. Loin d’être comparable à un centre commercial, il est au contraire son opposé, un marché de proximité, alimenté par des producteurs locaux. Le marché ne répond pas aux mêmes besoins qu’un centre commercial et vient compléter l’offre commerciale de Saint-Laurent. Dilo lapli est un lieu à l’échelle des quartiers pour qui il est construit. C’est un endroit pour se retrouver autour des ramboutans et des bananes, c’est où il faut aller si l’on veut discuter avec son marchand de manioc. A l’image du marché central de Saint-Laurent, au nord, qui réunit quatre fois par semaine un bon nombre d’habitants, devenant un haut lieu de la vie sociale, le marché de Dilo lapli se connecte aux quartiers éloignés du centre et leur propose un marché proche de chez eux. C’est un marché du quotidien où, tous les jours, on trouve à quelques mètres de sa maison, un boucher, un fleuriste, un traiteur Bushi, un vendeur Hmong un boulanger ou encore un poissonnier.
1 D’après le journal en ligne France Guyane, https://www.franceguyane.fr/actualite/ economie-consommation/le-projet-du-futur-centre-commercial-balate-en-libre-consultation-338066. php
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ZAC Saint-Maurice construction en cours
rout
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Paul
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Cartographie des équipements commerciaux de Saint-Laurent légende : habitat spontané équipements commerciaux zones d’activités en projet zone d’intervention
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___ collecter, protéger, rassembler ___ plan de toiture Les toits se déploient au-dessus du sol tel les ailes d’un grand oiseau. Un oiseau qui se servirait de ses larges ailes pour capturer l’eau, et la déverser dans son nid pour ses petits. Comme les ailes de l’oiseau, les toits s’inclinent et leurs rainures dirigent les pluies tropicales vers les rigoles qui courent au sol, le long des espaces. Mais les toits ne sont pas seulement des capteurs d’eau, ils sont largement dimensionnés pour protéger du soleil celui qui voudrait s’y attarder. Comme un immense parasol, ils débordent et s’avancent pour bloquer le soleil tropical. Ils se touchent, se chevauchent, ne forment plus qu’un pour accompagner le voyageur d’un bout à l’autre du bâtiment Leur protection permet le rassemblement, la déambulation, la pause, la célébration
GSPublisherVersion 0.65.100.71
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schéma de principe du circuit de l’eau, du captage à la distribution
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circuit de l’eau légende eaux de pluie traitement de l’eau pluviale eau non potable eau potable eau potable stockée eau non potable stockée distribution dans les bornes fontaines eau non potable eau potable eaux usées traitement par phytoépuration l’eau propre est ensuite deversée dans la crique en contrebas 108
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___ les besoins en eau mis en parallèle avec les capacités de collecte ___ Estimation de la population vivant aux alentours et concernée par le projet : 300 personnes estimation concernant uniquement le marché : 40 commerçants, 8fois/ mois.
«
Le premier principe de base de la gestion durable de l’eau consiste à adapter la qualité de l’eau aux usages qu’on en fait. Les besoins quotidiens en eau rigoureusement potable d’une personne ne dépassent pas 5 litres. eautarcie.org
»
Les besoins en eau du projet sont calculés afin de dimensionner les toits mais aussi la Station de traitement. Par soucis d’économie, ils sont divisés en deux catégories, l’eau potable et l’eau non potable. Besoins en eau potable : 175 400 l/mois soit environ 60m3/mois
Pour le marché Rincer les légumes, faire la vaisselle (5L/jour/personne) / 40p x 5l =200 litres Utilisation des lavabos des toilettes (2L/jour/personne) / 200p x 2l = 400 litres Pour les habitants Boire (2L/jour/personne) / 300p x 2l = 600 litres Cuisiner (5L/jour/personne) / 100p x 5l = 500 litres Faire la vaisselle (8L/jour/personne) / 100p x 8l = 800 litres
Besoins en eau non potable : 31 400 l/mois soit environ 150m3/mois Pour le marché Nettoyer le sol (30l/jour/personne) / 40p x 30l = 1200 litres Toilettes (6l/personne) / 2x (40p x 6l) = 480 litres Pour les habitants Toilettes (6l/jour/personne) / 100p x 6l = 600 litres Le lavoir (20l/jour/personne) / 20p x 20l = 400 litres Se laver (20L/jour/personne) / 200p x 20l = 400 litres
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1 000 m2
1 700 m2
1 100 m2 800 m2 1 100 m2
GSPublisherVersion 0.65.100.71
Au total l’ensemble des toits présente une surface réceptrice à l’eau de pluie d’environ 6 000 m2
la petite saison des pluies
le petit été de Mars
la saison des pluies
la petite saison des pluies
la saison sèche
précipitations 90%
78% 64%
58%
60%
54%
68%
240mm
76%
70% 57%
47% 33%
30%
32%
80mm
0%
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taux d’humidité Au maximum, 100%
50%
0%
160mm
37%
81%
en juin, nous pouvons récolter 1 200m3 d’eau Au minimum, en septembre, seulement 300m3 83%
80%
82%
85%
88%
87%
111
83%
79%
76%
78%
81%
___ être autonome en eau et réduire l’impact de la saison sèche ___ Bien qu’il pleuve régulièrement en Guyane, en période de saison sèche, l’eau peut venir à manquer. Les besoins en eau du projet avoisinent les 300m3 par mois, hors en mars c’est tout juste la quantité d’eau récoltée. Pour éviter la pénurie d’eau et ainsi réduire l’impact de la saison sèche, l’eau de pluie récoltée et inutilisée lors de la saison des pluies est stockée dans de grandes cuves au sous-sol. Semies-enterrées, les cuves protègent et gardent l’eau le temps nécessaire. Au vu des estimations démographiques, la population concernée par le projet risque fortement d’augmenter et avec elle, les besoins en eau. Prendre en compte l’environnement du projet c’est prévoir cette évolution rapide et ancrer le projet dans une réalité à plusieurs temps. Nous avons dimensionné les cuves selon les besoins en eau et les capacités de traitement de l’eau de pluie. On se base sur un fonctionnement permanent de l’usine, ce qui nous permet de traiter l’eau au fur et à mesure. La «potabilisation» de l’eau pluviale en eau potable nécessite 4 étapes tandis que 2 étapes seulement permettent d’obtenir une eau non potable mais utilisable pour nettoyer, rincer, etc...
112
axonométrie éclatée focus sur la Station et les cuves semiesenterrées
113
___ La pluie et le soleil sont acteurs ___ Les pentes justement orientées des toits créent l’événement lors des pluies quotidiennes. Dirigés en un point pour créer une cascade ou bien en monopente pour fabriquer un rideau de pluie, les toits déversent l’eau en des points stratégiques. Les pentes sont également pensées en fonction des usages et de la course du soleil. L’assemblage de ces contraintes a dessiné le plan des toitures. Le toit du marché, en ailes de papillon, réunit l’eau en un point, créant une petite cascade. La vitesse ainsi produite permet à l’eau de pluie d’arriver jusqu’au lavoir et de l’alimenter, tout en passant par une grande rigole en escaliers, terrain de jeux pour les enfants. Lorsqu’il ne pleut pas, cette rigole peut rester un lieu de jeu, devenir un lieu de rencontre, ou encore se transformer en lieu de passage. La pluie et le soleil deviennent acteurs des déplacements. Le chemin empruntable n’est pas le même qu’il pleuve ou que le soleil brille. Le toit du deuxième marché, dirigé en monopente vers l’intérieur, s’ouvre vers les habitations à l’Est, comme une invitation. A l’Ouest, la pluie fabrique un rideau, comme un écran d’eau entre les espaces de restauration et la rigole. L’eau de pluie tombant de ce côté peut ainsi se diriger vers le lavoir et rejoindre le chemin de l’eau de la cascade. La totalité des toits est ainsi pensée. Le chemin de l’eau, au toit comme au sol, fabrique des espaces changeant avec la pluie, crée des ambiances mouvantes.
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les nuages sont lourds de pluie maquette 1:500
le soleil brille maquette 1:500
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les toits protègent et accueillent les rencontres 117
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Le Maroni Saint-Laurent, Guyane, 1974 ©Paul Kali
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à la manière de Junya Ishigami. Freeing architecture
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04.
pense à l’architecture non comme une entité indépendante mais comme un objet résultant des forces naturelles tel que la pluie le vent le soleil qui le façonne
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123
Il pleut tous les jours à Saint-Laurent des mois plus que d’autres Avec de l’eau de pluie on peut arroser son jardin nettoyer ses sols rincer ses légumes laver ses vêtements se laver
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si on l’a traite on peut la boire et cuisiner avec
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apporter de l’eau c’est rassembler par la force des choses
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Le soleil brille tous les jours à Saint-Laurent rester sous cette étoile de feu est peu supportable inconsciemment ou non l’ombre est maître du jeu elle délimite des espaces
créer de l’ombre c’est inventer des lieux qui varient avec le temps
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créer de l’ombre c’est rassembler par la force des choses
129
130
pensées et développement d’idées
131
05.
___ il faut un début à tout ___ Afin d’élargir mes sources lors de la rédaction de mémoire j’ai interviewé plusieurs acteurs du secteur de la construction guyanaise, à Nantes, à Paris mais aussi à Cayenne et à Saint-Laurent. Comme une première entrée timide dans l’univers guyanais, j’ai entrouvert la porte d’un nouveau monde, qui est plein d’opportunités. Les premiers échanges m’ont donné envie de nourrir cet intérêt pour la Guyane et son futur et d’en faire des possibilités pour mon propre futur. La cause guyanaise me tient à cœur et travailler à l’améliorer peut se révéler passionnant. Puisqu’il faut un début à tout, j’ai envisagé ce projet de fin d’étude comme un projet pour la Guyane. Tout au long du semestre j’ai veillé à garder le cap, le cap d’un projet réaliste et réalisable. Durant nos quatre mois de réflexion en équipe, chaque sujet qui se présentait à nous était débattu selon le prisme du réalisable. Cette idée est-elle possible ? Si non, pourquoi et peut-on transformer notre idée afin qu’elle soit réalisable ? Si non, on change d’idée. Si oui, est-ce possible à Saint-Laurent ? Si non, on change d’idée. Si oui, est-ce qu’une entreprise locale peut s’en occuper ? Si non, peut-on penser à l’importer soit de métropole, soit d’Albina? Si non, peut-on trouver une alternative? Si oui, en comptant l’impact carbone, économique et social, est-ce intéressant ? Si non, on change d’idée. Qui cette idée va-t-elle impacter ? De quelle manière ? Positive ou négative ? Existe-t-il une étude, un résultat pour Saint-Laurent, qui nous permette de connaître l’impact réel de cette idée et ainsi de la quantifier ? (par exemple pour les places de parking, nous nous sommes fiés aux résultats de l’enquête du PADD indiquant les modes de déplacements des saint-laurentais) Outre les besoins, qu’elle réelle utilisation sera faite de l’espace, d’après notre estimation? Avec cette méthode, nous avons pensé le projet jusqu’à la phase chantier. 133
___ découper le monde en essentiel/non essentiel ___ L’urgence à Saint-Laurent m’a guidée dès le début du semestre vers un programme social, un programme nécessaire. Il me paraissait presque insultant d’envisager autre chose que ce dont ont besoin aujourd’hui les saint-laurentais, autrement dit, des logements. La situation actuelle de notre monde, cette pandémie qui nous oblige à nous priver de toutes activités jugées “non essentielles”, a nuancé mes pensées. Un cinéma, un square, une bibliothèque, un café, sont des programmes tout aussi essentiels qu’une opération de logements. La culture et le partage, les à-côtés, sont essentiels et le sentiment d’absence qu’ils ont laissé dans nos quotidiens en cette année 2020 parle de lui-même. Après mes recherches sur les habitants des quartiers spontanés, leur niveau de vie plutôt modeste, voire pauvre pour certains, était pour moi synonyme d’urgence. Je lisais au même moment l’essai de Martin Heidegger sur l’importance de l’habiter, «Batir, Habiter, Penser»1. Le philosophe allemand distingue se loger et habiter et incrimine les opérations de logements qui se veulent trop rentables et déconnectent leurs habitants de leur «être-aumonde». La crise du logement de ces dernières années en Guyane a donné naissance à des habitats génériques et si rentabilisés qu’ils ne tiennent compte ni du climat ni des modes d’habiter. Si d’apparence ces nouveaux logements semblent être une solution, à long terme ce système de production n’est pas viable. Réduite et cloisonnée, la maison guyanaise a dû laisser de côté tout ce qui faisait d’elle un logement adapté. Les habitats traditionnels de Guyane sont à l’image de leurs habitants. Nés de l’histoire des peuples et de leurs cultures respectives, ils apportent une réponse adéquate à des besoins spécifiques. Lissant coutumes et traditions, se détournant de l’environnement, certains habitats du XXIème siècle ne correspondent ni à la population hétéroclite de la Guyane, ni à son climat. C’est pourquoi l’auto-construction est une clé, une réponse à ce problème qu’il faut valoriser et accompagner.
1 HEIDEGGER Martin, “Essais et conférences”, chapitre “Bâtir habiter penser”, Edition Gallimard, Paris, 1958
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Mais ça je ne l’ai pas compris tout de suite. Dans l’urgence, j’ai eu la même réaction que les politiques publiques, il faut aux habitants de Saint-Laurent au minimum un logement décent et donc le programme le plus adapté est une opération de logement. Mais une vie modeste ne signifie pas une vie sans distractions, sans plaisirs, sans culture(s). L’urgence ne se trouve pas que dans le logement mais aussi dans les salles de spectacles, les piscines. La privation de nos libertés individuelles, aller au cinéma, se promener librement, retrouver des amis dans un bar, nous a fait prendre conscience de l’importance de ces instants. Mais aussi de leur fragilité.
«
Un truc qui reste c’est de découper le monde en essentiel/ non-essentiel. Je déteste l’idée de diviser le monde comme ça. Je refuse de concevoir l’humanité comme ça. Après il va falloir être rentable, être utile, mais c’est dégueulasse. Et qui choisit ? Qui établit cette grille de lecture de l’humanité ? On est bien plus
Marina Foïs, interviewée par les » Inrockuptibles, décembre 2020 beaux que ça.
Et ces espaces sont aussi importants à travailler qu’un habitat. L’Homme, au cours de sa vie, n’arrête jamais d’habiter. Il habite sa maison, son jardin, il habite les rues, habite les cafés, les centres commerciaux. Il habite la salle de cinéma lorsqu’il se rend à une séance et le parc lorsqu’il se balade. L’homme habite son lieu de travail plusieurs jours par semaine et la forêt derrière sa maison les week-ends. Dans son essai Martin Heidegger nous enseigne l’étymologie allemande, qui attribue la même racine aux mots bâtir, habiter, être et soigner. Autrement dit, l’Homme habite sur terre, en bâtissant son abri qui lui permet d’être-au monde car cette construction prend soin de lui et de son environnement. Nous devons aujourd’hui repenser nos modes de fonctionnement et de construction. Revoir nos priorités et remettre en question ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. 135
A Saint-Laurent, la construction de logements et d’écoles a été la priorité de la collectivité. Le manque de moyens oblige la ville à faire des choix, à établir des priorités, mettant ainsi de côté la construction d’équipements communs. De plus, les quartiers informels se développent sans stratégie urbaine et les maisons s’agglutinent les unes sur les autres, à proximité des routes. Aucune place n’est laissée à des constructions autres, à des promenades ou à des lieux de rencontre ou de solitude. L’état des lieux réalisé par le MaroniLab sur le quartier spontané Checkepatty a révélé l’organisation spatiale de ce dernier. Dans certains secteurs, un espace vide est laissé par les habitants pour faire un terrain de foot. La plupart du temps néanmoins les seuls lieux de rencontre et de liberté hors de la maison sont les cheminements. Une ville agréable à vivre ne peut être constituée seulement de logements, aussi confortables soient-ils. C’est pour toutes ces raisons que nous avons choisi de mettre l’accent sur l'à-côté. Qui plus est, les habitants se sont révélés meilleurs que les promoteurs ou les architectes pour concevoir le logement qui leur correspondait. Mettre l’accent sur l’à-côté c’est accompagner, plutôt que de remplacer, ce mouvement informel.
«
»
Les logements auto-construits sont de grande taille et bien plus en adéquation avec la taille des ménages. Les Ateliers de Cergy p.78
«
Les objectifs visent à viabiliser les terrains en apportant des réseaux et en structurant la voirie, de permettre aux familles de demeurer sur place et maintenir le tissu social existant. Les Ateliers
»
de Cergy p.78
136
L’auto-construction est une solution à la crise du logement que nous avons jugé primordial de mettre en avant. Il est important d’accompagner ce mouvement que la ville ne peut de toute façon pas contrôler. Tout comme elle ne peut pas contrôler les migrations et l’explosion démographique certaine des prochaines années. La population ne cesse d’augmenter et l’offre de logement ne tient pas la cadence. Les quartiers spontanés vont donc s'accroître et se multiplier. Accompagner le mouvement c’est composer avec ces données, cette évolution inéluctable et tenter, par notre action sur le territoire, d’apporter une amélioration.
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___ miser sur la jeunesse pour réduire le communautarisme ___ Puisque l’on évoque les cheminements de pensées, un autre tournant important s’est joué durant le semestre. Un de nos postulats de départ concernait les nombreuses communautés présentes à Saint-Laurent. En comparaison avec les récits de mes grandsparents, à l’époque où la culture créole était la culture dominante, les relations sociales d’aujourd’hui sont bien plus distantes. Le langage est très important au sein des structures sociales. Le créole est parlé partout dans la rue et le français reste la langue professionnelle, scolaire ou bien politique et assure la communication avec la métropole. Un langage commun est aussi un élément de liaison entre différentes populations, culturellement et originairement disparates. Chaque groupe socioculturel en Guyane possède son propre dialecte mais tous sont en mesure de communiquer grâce à l’usage du créole. Les dernières grandes vagues migratoires de la dernière moitié du XXème siècle, ont précipité sur le territoire guyanais, une multitude d’immigrants non créolophones. La grande part de ces populations présente au sein des villes, brouille cette connexion et participe à l’éloignement des communautés. Le manque de communication encourage le phénomène de repli dont est victime aujourd’hui la Guyane et prend part au regroupement communautaire. Afin de contrebalancer cette tendance, il faut éduquer la nouvelle génération à un langage commun ou bien simplement les habituer à en parler plusieurs. Etant donné la part importante de jeunes à Saint-Laurent, on peut envisager de miser sur cette jeunesse pour un rapprochement des populations et combattre le communautarisme. Les enfants n’ont que faire de cette barrière de la langue et se font des amis à la vitesse de l’éclair. Une aire de jeux, un espace de liberté, et les enfants qui s’y retrouvent, s’y trouvent. La multiculturalité de la Guyane est une richesse. Réussir à améliorer les relations entre les communautés qui, aujourd’hui, ne savent pas communiquer, peut se révéler une force pour le département.
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Partant de cette envie de cohésion, nous avons imaginé notre projet comme un lieu de rencontre, un espace neutre qui appartient à tous. Rassemblés à l’ombre de la pluie et du soleil, autour de l’eau, autour des étales, autour du lavoir, au creux des galeries, les guyanais se retrouvent, se trouvent. Les enfants y occupent une place particulière car ils sont la clé. Les espaces sont pensés pour que leur jeux soient infinis, tout en étant connectés aux usages des parents. Par exemple, le mur qui protège le lavoir des regards, est en réalité un mur d’escalade. Au fil du semestre, les discussions et les remarques du studio nous ont poussé à réfléchir à cette cohésion, au rassemblement que l’on souhaitait à tout prix créer. Sans abandonner cette idée, une nuance vient la compléter. Une amie avec qui j’ai discuté de la solitude dans l’espace public m’a fait remarquer que les espaces à soi y sont quasiment inexistants. Par définition la ville est un lieu d’échanges, d’interactions, c’est un espace profondément public et partagé. La ville n’appartient à personne, elle est à tous, mais cela ne signifie pas que nous devions en permanence être ensemble. Encore plus dans le contexte particulier de Saint-Laurent où des ménages vivent regroupés dans une pièce unique, parfois deux, pour une famille entière. Il existe peu d’espace à soi au sein des quartiers spontanés. Au milieu du dynamisme de l’échange, au détour de la rencontre, à côté du partage de connaissance, au creux du rassemblement, peut se cacher un recoin. Un recoin pour soi, soi tout seul, sans personne. Pour lire ou apprendre, réfléchir ou dormir, éviter ses parents ou éviter ses enfants.
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___ le diable se cache dans les détails ___ Économique ne veut pas dire sommaire. Il est évident que dans ce contexte, le coût du projet est une donnée primordiale et doit être un élément décisionnaire. La complexité du projet se trouve dans cette épaisseur, cette limite entre le prix et l’envie. C’est chercher, et trouver, la solution qui assure un rapport convaincant entre “ce que l’on veut avoir” et “ce que l’on peut se permettre”. Par exemple, la structure bois du projet, lisible et efficace, est aussi pensée pour délimiter les lieux. Doublés en périphéries, les poteaux reprennent la figure de la galerie créole et marquent, sans les fermer, les différents espaces du programme. De même, le toit, simple feuille de tôle posée sur les chevrons de bois, revêt plusieurs fonctionnalités mais est travaillé pour rester léger et fin, comme une feuille de papier qui vole au-dessus de nos têtes. La structure porteuse du toit est décalée et se termine 15cm avant le bout de la tôle afin de donner l’impression qu’elle n’existe pas. La structure est bien sûr fonctionnelle mais pas que. Elle est choisie dans des bois particuliers, l’Angelique et le Gonfolo, des arbres endémiques du plateau des Guyane. Pour des raisons d’approvisionnement il est plus sûr de se baser sur deux bois plutôt qu’un seul. Le Gonfolo est particulièrement recommandé pour la charpente, il sera donc utilisé pour les pannes et les chevrons. Les poteaux quant à eux seront fabriqués dans les troncs de l’Angelique. Une attention particulière est portée aux aspects finis des matériaux et aux ambiances qui en découlent. Les murs de brique, froids mais chaleureux par leur couleur fabriquent des espaces sous les toits, à l’intérieur de la structure de bois. Parfois, ils sont mur, ils protègent et isolent. Parfois ils sont poreux, ils délimitent un espace sans le couper totalement des autres. Bien que le projet soit la vitrine d’une architecture simple, nous avons choisi de ne pas laisser le côté fonctionnaliste décider de l'esthétique du projet mais d’aller plus loin et d’apporter toujours une fonctionnalité multiple, à plusieurs niveaux.
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Déclinaison de pattern de briques pour maitriser l’ensoleillement, la ventilation et l’intimité des espaces. PATTERN 1 Un motif plein pour protéger des espaces comme les toilettes, les locaux techniques, ... pour assurer une aération permanente la partie haute des murs est faite d’un pattern plus aéré comme le pattern 3
PATTERN 2 par exemple le mur Est du workshop doit être plutôt opaque afin de protéger du soleil tout en laissant passer quelques rayons pour un éclairage naturel.
PATTERN 3 très ouvert, ce pattern permet une grande aération mais aussi une interaction entre les espaces, très adapté au marché par exemple. Les rayons du soleil passant entre les interstices viennent dessiner des ambiances particulières.
PATTERN 4 Un motif ludique les briques en relief dessinent un terrain de jeu et créent du contraste avec leur ombre projetée.
Au coeur du projet, les murs en briques revêtent différents patterns selon l’usage des espaces correspondants. Différents patterns sont parfois associés selon les besoins.
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___ rien n’est en trop mais tout est prévu ___ Chaque décision dans le projet se rapporte à une problématique ou une donnée réelle. Rien n’est en trop mais tout est prévu. La beauté de l’architecture se trouve parfois dans l’attention portée à chaque détail, la place de l’usager, le choix de matériaux locaux, le respect des traditions, des savoir-faire. Sublimer le simple, mettre en valeur le fonctionnel. Ce travail de détail et de simplification s’érige en exemple, comme le manifeste d’une architecture accessible et rentable. La structure est pensée pour être compréhensible et ne nécessite pas de technique particulière autre que celle du travail du bois, déjà présente en Guyane. Les murs, en brique, reprennent les dimensions des briques produites à Cayenne et sont conçus sur le modèle des murs de Saint-Laurent. Pour éviter le surplus de matière, les murs sont placés dans la trame structurelle et reprennent, lorsqu’ils prennent la place des poteaux, les charges. Rien n’est en trop, mais tout est prévu. Les cuves de stockage sont semi-enterrées pour profiter de la capacité d’isolation de la terre. De l’espace est ainsi libéré au rez-de-chaussée. Ces cuves sont en béton pour maximiser la conservation de l’eau, qui ne doit pas être exposée aux aléas climatiques. Elles sont autoporteuses et soutiennent aussi la dalle béton du niveau supérieur. Nous voulions les espaces du rez-de-chaussée sur le même niveau, pour la fluidité du programme. Le placement semi-enterré permet donc aussi de rentabiliser la pente, plus forte à cet endroit, qui nous donne une différence de niveau non négligeable. Avec une vue imprenable et apaisante sur les bassins arborés de phytoépurations, protéger par les murs de la station, assis sur une brique, on peut profiter d’un moment de calme. La ventilation est naturelle et assurée par la porosité des espaces. Les murs sont pensés pour être structurels tout en laissant passer les vents dominants et assurer le confort thermique du projet. Selon les besoins, le mur est plus ou moins poreux, jouant ainsi avec l’entrée de lumière et l’intimité des espaces. En suivant la course du soleil, on allonge plus au moins les toits pour protéger les murs trop exposés.
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Prenons l’exemple du workshop. C’est un espace très libre, prévu pour accueillir diverses activités, à toute heure de la journée. Une première épaisseur en périphérie reprend les principes de la galerie créole et n’est délimitée que par les poteaux en bois. La toiture déborde particulièrement sur les côtés Est et Ouest, les plus exposés au soleil. Cette galerie est publique, accessible à tous, elle n’est jamais fermée. Protégée du soleil, largement ouverte aux vents et aux paysages, c’est un lieu de rencontres et de pause. Si l’on décide de continuer et de franchir cette galerie, on arrive sur un espace plus intime, protégé par des murs de briques. Ces derniers ne sont pas totalement fermés. Au Nord, il n’y a pas de soucis de vis-à-vis et le soleil est peu présent, il est donc très ouvert, pour laisser passer les vents et la lumière. À l’inverse, la façade Ouest donne sur le reste du bâtiment, le mur est donc plus fermé pour préserver l’intimité. Ce qui nous arrange car c’est aussi la façade la plus exposée au soleil.
plan rez-de-chaussée 1:500 focus sur l’espace workshop
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___ un chantier-école ___ Grâce à cette réflexion en amont, la mise en œuvre est transmissible et la phase chantier peut se révéler bénéfique. Le chantier peut ainsi s’envisager sous la forme d’un chantier participatif. Par ce biais, nous atteignons deux objectifs. D’une part faire entrer les habitants sur le site dès la phase de chantier c’est leur ouvrir les portes, c’est les inviter à s’approprier ce bâtiment qui sera le leur. L’appropriation d’un lieu augmente les chances qu’il soit réellement utilisé et entretenu, respecté par les utilisateurs. Le but est de leur remettre symboliquement les clés de ce projet. D’autre part, comme le rapport d’enquête du Gret nous l’apprend, plus de 80% des habitants des quartiers spontanés sont intéressés par l’apprentissage d’une technique de construction afin d’améliorer eux-même leur logement. Le chantier du projet est une opportunité unique pour commencer cet accompagnement technique, qui peut ensuite se poursuivre grâce aux espaces libres prévus pour ces ateliers. “Plus des trois quarts des ménages (81% soit 108 des 133 ménages) qui déclarent souhaiter conserver leur logement actuel se disent prêts à participer à des travaux. Ces travaux concernent aussi bien le logement des ménages, que les autres maisons du quartier ou le quartier lui-même. 128 chefs de ménage pourraient participer à l’auto construction/ auto finition d’un nouveau logement ou à l’amélioration du logement actuel et ce, la semaine et le week-end. Quatre-vingt-dix-neuf d’entre eux seraient intéressés par un dispositif d’accompagnement technique, une aide technique ponctuelle ou une formation de type chantier école. Les dix-huit autres se considèrent suffisamment qualifiés et ne sont pas demandeurs de ce type d’accompagnement technique (on pourrait imaginer s’appuyer sur leurs compétences pour accompagner les autres familles, dans le cadre d’un dispositif d’accompagnement technique à mettre en place dans une opération expérimentale.)»1
1 « Rapport d’enquête dans le quartier de Chekepatty » fait partie du livrable n°12 de la mission conduite par le Groupement Gret – Pact – Agir pour la DEAL de Guyane intitulée « Aménagements alternatifs à l’urbanisation spontanée : mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage, commune de Saint-Laurent du Maroni »
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2
3
4 5
4m
une trame de 4m x 4m en périphérie et de 8m x 8m à l’intérieur assure la stabilité de l’ensemble. les murs sont placés de sorte à remplacer les poteaux bois, afin d’éviter le surplus de matière. ils assurent également le contreventement de la structure. 1
couverture légère en tôle ep 6cm
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poutres en bois section 10cm x 40cm
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chevrons en bois section 10cm x 20 cm
4
poteaux en bois section 30cm x 30cm
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murs en brique de terre crue ep 25cm
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Ma grand-mère, Line Kali, assise sur le muret de sa maison à Saint-Laurent Guyane 1958
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___ fin de la notice, début d’un positionnement ___ Quelle est ma place ? quel est mon rôle ? qu’est ce que je veux porter ? Certains ont fait de l’architecture une arme de pouvoir, de puissance. D’autres l’utilisent comme signal, comme alerte. Moi je l’imagine comme une arme du quotidien. L’architecture est un objet du quotidien. L’architecture n’est pas toujours un signal dans la ville mais elle est toujours un signal dans l’histoire, un témoin du temps qui passe mais aussi du temps qui est passé mais qui reste dans les choses qu’il a laissé en chacun de nous. Chaque homme a une culture, parfois il en a plusieurs, parfois il en change, il arrive qu’il la partage avec d’autres, qu’il la transmette. L’architecture est un témoin, un organisme vivant au rythme des saisons, des années, des populations. Nous avons le devoir de mémoire et l’architecture en est un outil. Certains disent que l’anthropocène est un trop plein d’architecture1. Mais alors que dire lorsque l’architecture s’allie, s’aligne à la nature. L’anthropocène est le trop plein de tout, pendant trop longtemps. Il serait heureux de retourner au temps où la consommation de l’Homme n’impactait pas le système solaire dans lequel il se trouve. Il serait heureux de se promener au cœur de villes respectueuses de la Terre sur laquelle elles prennent racines. On pourrait fantasmer sur un retour en arrière, une prise de conscience générale, une réduction drastique de notre empreinte. L’Homme doit aujourd’hui retrouver son humilité, réaliser sa petite taille. Mais ce n’est pas possible. Nous sommes allés trop loin et nous sommes trop nombreux, trop consommateurs, trop modernes. Il ne s’agit pas de régresser, de vivre comme à la préhistoire. Il s’agit d’améliorer. De changer la direction de la proue et prendre le virage indispensable à la survie de la Cène, comme à celle de l’Anthropo. Alors face à ça, agissons. L’architecture peut être un allié, un levier.
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BELLANGER Aurélien, émission La Conclusion, France Culture, 11/10/2018
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«
Encore trop pollueur et énergivore, le secteur du bâtiment dégage à lui seul "39% des émissions totales de CO² liées à l'énergie" et consomme "36% de l'énergie finale". "Il est essentiel que notre travail lié au secteur des bâtiments et de la construction change radicalement au cours des deux prochaines années", juge Joyce Msuya, directrice exécutive par intérim de l'ONU Environnement. batiactu.com
»
Le secteur du bâtiment est l’un des plus polluant, il est l’un des plus importants à contrôler. C’est peut-être ici que nous avons un rôle à jouer en tant que concepteur de la ville. La construction a un poids énorme, renverser la balance signifie poser ce poids de l’autre côté, du côté d’une consommation raisonnée.
«
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Le secteur de la construction est le principal responsable de l’augmentation de la masse anthropique reporterre.net En 2020, ce que produit l’homme est plus lourd que la totalité des êtres vivants. Et l’industrie du bâtiment en est la première responsable. Ces chiffres, alarmants, me confortent dans ma position déjà bien ancrée. Nos projets doivent prendre en compte ces données et plus encore, doivent, au lieu de les conforter, les contredire. Tout comme les projets qui sont faits d’assemblages de choses, d’objets récupérés, notre projet est un assemblage. Un assemblage de culture, de procédés, de traditions, de données urbaines, de résultats d’enquêtes, de données météorologiques. Notre projet est un mélange d’informations que nous avons mixées, parfois juxtaposées, à notre manière, afin d’en faire un endroit pour les autres. A la manière de l’architecte Junya Ishigami qui démonte pour les assembler ailleurs, d’anciennes maisons de retraités, nous piochons des composantes de la Guyane pour les assembler ici. Son projet Home for the Ederly, met bout à bout des souvenirs. En récupérant les maisons des résidents, ils les enveloppent dans des espaces réconfortants, et ses habitants, alzheimers pour beaucoup, se raccrochent à ces espaces connus. Notre projet invoque et fait appel à des choses qui résonnent pour les guyanais, anciens ou nouveaux résidents. 150
Un matériau, un espace typique, une galerie revisitée, tout ces éléments participent à l’appropriation du projet. Un projet peut être un exemple, un chemin à suivre. Comme Anna Heringer ou le collectif TYIN qui combinent savoirs-faire locaux et expériences professionnelles pour imaginer des architectures pour hommes, femmes et enfants. J’ai appris dans les projets de ces architectes l’importance du rapport à l’autre, du pouvoir de l’architecture dans la préservation des hommes et de leurs cultures mais aussi la richesse de l’échange. Si une critique doit être faite à la fin de ce projet de fin d’étude, ce serait le détachement au lieu. Distance et pandémie oblige, je n’ai pas pu me rendre sur place, expérimenter le site et rencontrer les populations locales. Malgré les échanges réguliers avec ma famille guyanaise, j’ai senti comme un décalage. Il me manquait le partage, la discussion, l’apprentissage d’un lieu que je ne connais pas, par ceux qui le connaisse le mieux. Avoir une formation d’architecture ne suffit pas, d’après moi, à imaginer un lieu à destination des autres. C’est la moitié du chemin, l’autre étant à parcourir avec les autres protagonistes.
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axonométrie du projet des toits en tôles, des murs en briques, des sols en béton, de l’eau de pluie qui traverse les espaces
rendez-vous à la soutenance (:
«ils n’ont que faire de ton sort de ta faune et de ta flore ce qu’ils veulent c’est voler ton or t'appauvrir encore et encore je ne veux plus jamais te revoir au sol pendant que leurs fusées décollent la vie nous a forcé à nous séparer formation ou bien écoles et ça sera pour un aller retour si un autre jour je prends mon envol mais pour l’instant je t’aime fort Ma Guyane» Guyane, Lesnah
*eau de pluie