ECOLE NATIONALE SUPERIEURE D’ARCHITECTURE ET DE PAYSAGE DE LILLE – ANNEE 2012 / 2013
ARCHITECTURE(S) D’URGENCE DE L’ÉTHIQUE À L’ESTHÉTIQUE
Mémoire de recherche de master par Amélie DEGUINGAND Sous la direction de Séverine BRIDOUX-MICHEL SEMINAIRE DE RECHERCHE Conception et expérimentation architecturales, urbaines et paysagères
Image de couverture : planisphère tirée du site www.waouo.com
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier, Séverine Bridoux-Michel, directrice du séminaire de recherche intitulé Conception et expérimentation architecturales, urbaines et paysagères, pour son suivi hebdomadaire et sa liberté donnée à nos orientations de recherche, Corinne Treherne, actrice active de la Croix-Rouge internationale, pour le temps accordé à ma recherche, sa rapidité de réponse à chaque requête et sa perspicacité, Christine Chateauminoix, conceptrice-rédactrice de la revue Metalmorphose du groupe Arcelor Mittal et Véronique Goudinoux, historienne et théoricienne de l’art contemporain, pour leur intervention pleine d’énergie au sein du séminaire, leur intérêt et enthousiasme pour ma recherche, Eric Lavelaine, chef de mission pour la fondation Architectes de l’urgence en Haïti et en Libye, pour les échanges de mail, riche d’informations dans les premiers temps de la recherche.
AVANT-PROPOS Dans l’objectif de définir un sujet de recherche pour la constitution de mon mémoire, l'architecture d'urgence s'est avérée être un thème d'étude envisagé immédiatement. Il s’agit d'un domaine de recherche ne me laissant pas indifférente, sûr de me motiver à m’investir pendant toute la durée du travail, voire au-delà. Ce caractère de l'architecture m’intéresse tout particulièrement. L'architecte en occident, dans l'exercice classique de sa fonction, souvent limitée aux bornes des frontières de son pays, répond aux besoins et aux envies d'hommes et de femmes vivant dans des régions développées, à des besoins matériels non nécessaires à l’existence mais qui rendent la vie plus belle. Dans ce cadre différent de l'urgence, les architectes deviennent des urgentistes du bâtiment assimilable à une intervention en médecine. Il faut alors agir vite, prendre rapidement les bonnes décisions pour assurer la survie d’un maximum de personnes et répondre par la construction à des besoins qui vont souvent au-delà du matériel. J'admire chacune des personnes qui chaque jour se batte pour ceux qui n'ont pas ou plus la chance de vivre sous un toit. J’avais envie et besoin que ma recherche me permette de redonner un sens empli de générosité au métier d’architecte. Il me paraissait important de me prouver que l’architecture n’a pas uniquement des visées lucratives. Je souhaitais que cette étude soit un moyen d’étudier une pratique loin du facteur économique et de la course aux bénéfices tout en conférant à la discipline une valeur nécessaire, loin de l’opulence française. Le domaine de l’humanitaire redonne à l’architecture une grande dimension humaine et sociale, parfois relayée au second plan dans les projets élaborés en France et où il est possible d’édifier de beaux projets avec peu de moyens.
SOMMAIRE REMERCIEMENTS ................................................................................................................................................. 3 AVANT-PROPOS ................................................................................................................................................... 5 SOMMAIRE ........................................................................................................................................................... 7 INTRODUCTION .................................................................................................................................................... 9
I.
L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS ........................................................................................... 13 I.
SPÉCIFICITÉS D’UNE DISCIPLINE....................................................................................................................................................................... 13
II.
LÉGITIMITÉ ET QUALITÉ DE L’ARCHITECTURE DANS L’URGENCE ..................................................................................................................... 18
III.
DEUX ACTEURS DE L’HUMANITAIRE.................................................................................................................................................................. 22
II.
PROCESSUS D’ELABORATION D’UN PROJET DANS L’URGENCE ............................................................................................. 31 I.
LE PASSAGE DU PROJET DE MAINS EN MAINS ................................................................................................................................................. 31
II.
DES MEMES ACTEURS TOUT AU LONG DU PROCESSUS.................................................................................................................................. 33
III.
L’ECHANGE DE CONNAISSANCES, DE SAVOIR-FAIRE ...................................................................................................................................... 42
III.
QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE .....................................................................................................................................................46 I.
LA NOTION DE QUALITÉ ARCHITECTURALE ...................................................................................................................................................... 46
II.
PÉRENNITÉ ......................................................................................................................................................................................................... 48
III.
USAGES .............................................................................................................................................................................................................. 54
IV.
FORMES .............................................................................................................................................................................................................. 59
CONCLUSION ...................................................................................................................................................... 71 BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................................................. 75 ANNEXES ............................................................................................................................................................ 81 TABLE DES MATIERES ........................................................................................................................................ 115
L’architecture d’urgence, vaste champ d'exploration à définir, ouvre énormément de terrains d’étude et de questionnements. La constitution d’un savoir le plus complet possible et la construction d’une base de connaissances solides dans ce domaine spécifique sont nécessaires avant de pouvoir définir la problématique et les enjeux de la recherche. Les questions sont multiples, floues et désorganisées, les réponses devant orienter vers une problématique plus claire et particularisée. Quelles sont les personnes qui s'investissent pour cette cause humaniste ? Quel est le fonctionnement des organisations humanitaires qui œuvrent dans ce sens ? Quelles sont les priorités dans une intervention ? Comment se met-elle en place ? Quelles sont les techniques de construction ? Quel est le rôle de la population démunie sur place ? Quelle est la mission de l'architecte dans ces situations de crise ? Qui fait l'acte de construire ? Quelles sont les relations entre les architectes, leurs savoir-faire occidentaux et les techniques traditionnelles des populations locales ? Existe-t-il une manière de faire qui prend le pas sur l'autre ? Comment les associer ? Cette association de culture enrichit-elle le projet ? Ces questionnements apparaissent intéressants puisqu’ils sont rarement posés, ouvrant à une pratique peu explorée, en dehors des frontières. Les réponses à ces premières questions, d’ordre global, ne sont pas aussi évidentes à trouver qu’espéré. Cette typologie d’architecture, bien que considérée par certains comme un phénomène de mode humanitariste, regroupe finalement peu d’écrits. Aucun ouvrage n’aborde cette branche de l’architecture de manière générale. Toute source d’information s’avère alors précieuse : ouvrages, articles de revue, mémoires de recherche, articles du web, vidéos, etc. Mais le fruit de cette recherche apparait insuffisant. Dans la quête de plus grandes investigations il est indispensable de se tourner vers des écrits produits en dehors des frontières. Cette discipline ouverte à l’international évolue avec un langage universel, l’anglais. Les plus grandes sources d’informations se trouvent donc dans cette langue. Plusieurs ouvrages sont riches d’enseignements dont Beyond
shelters, architecture and human dignity, 1 un ouvrage en anglais coordonné par Marie Aquilino aujourd’hui actrice active de la reconstruction d’Haïti et enseignante à l’école spéciale d’architecture de Paris. Elle procède à une compilation de 25 articles écrit par les experts de l’humanitaire dans le domaine de l’architecture à travers le monde. Cette série d’exemples permet de brasser beaucoup de problématiques liées à l’urgence et de manière d’y répondre. 1
[Sous la direction de] AQUILINO, Marie, Beyond shelter, architecture and human dignity, New-York, Métropolis Book, 2011 Voir aussi : Architecture for Humanity, Design like you give a damn, architectural responses for human crises, Londres, Thames & Hudson, 2006 Et : Architecture for Humanity, Design like you give a damn [2], building change from the ground up , Londres, Thames & Hudson, 2012
9 INTRODUCTION
INTRODUCTION
Un gros travail de traduction est alors nécessaire. 10
Pour nous français, il s’avère difficile de disposer des informations sans peine, voire impossible d’avoir accès à une approche globale de cette branche de l’architecture. L’objectif du mémoire va donc dans ce sens. Il ne s’agit pas de produire une recherche extrêmement précise sur un point particulier, d’autres personnes travaillant plus spécifiquement dans le domaine seraient sans doute plus en mesure de le faire mais plutôt de composer un écrit satisfaisant les besoins d’une personne novice en quête d’informations. Le but est donc de combler ce manque. La production est ainsi relativement générale permettant d’ouvrir un large éventail des pratiques dans d’urgence et de comprendre quels sont les processus qui permettent de concevoir dans un univers aux mille contraintes. Quelles formes prennent ces architectures ? Sur quels facteurs l’accent est mis pendant la conception ? Quelle valeur possèdent les productions quand on les analyse plus en détail ? En français, uniquement deux livres retiennent particulièrement l’attention quant aux pratiques actuelles dans ce domaine : l’expérience de Patrick Coulombel avec les Architectes de l’urgence 2 et une compilation de projets d’étudiants réalisés à la suite d’un workshop franco-québécois sur l’habitat d’urgence.3 Ce second ouvrage propose un large panel de petits projets d’abris, aux idées plus ou moins innovantes et répondant à des problématiques techniques, environnementales, sociales et sanitaires. L’idée de faire travailler de jeunes architectes sur cette question est étonnante puisque cette notion est rarement abordée en école. Mais ce livre révèle aussi une première problématique. Le site d’implantation est au choix, à justifier, il s’agit finalement d’un site vierge que les étudiants vont modeler en fonction du projet. Ici, l’environnement s’adapte au projet, ce n‘est pas la conception qui est relative au contexte. Penser à la conception de ces architectures d’urgence est une bonne initiative mais imaginer des cabanes révolutionnaires parachutées sur un site fictif semble beaucoup moins intéressant. Cette lecture révèle donc un premier enjeu : le lien entre reconstruction d’urgence et contexte in-situ. Est-ce une nécessité d’adapter le premier au second ? Nous le démontrons et orienterons les recherches en fonction. Ensuite, rapidement se pose la question de la qualité dans ces architectures spécifiques. Édifier rapidement, et avec peu de moyens, semble difficilement cohabiter avec le bien construire. Qui pourrait affirmer avant de lire cette recherche que les productions dans l’urgence sont souvent dotées de grandes qualités architecturales ? Et qui peut être en mesure de définir la notion de qualité architecturale ? Ainsi la problématique du mémoire peut être reprise par deux grandes questions : quelle place attribue-t-on à la qualité architecturale dans l’urgence ? Et quelles sont les démarches dans le processus de conception qui permettent d’y parvenir ? Pour déterminer précisément quelles démarches contribuent à la conception et à la production de la qualité 2 3
COULOMBEL, Patrick, Architectes de l’urgence, un nouveau métier de l’humanitaire , Paris, L’Harmattan, 2007 [Sous la direction de] EYRAUD Thierry & WHITE Jacques, Autour de l’urgence, modules d’habitation , Université de Saint-Etienne, 2007
architecturale, puis dans un second temps quelles peuvent être ces qualités, il semble primordial de passer par l’analyse de certains exemples. Les protagonistes de la construction humanitaire sont extrêmement nombreux, que ce s’égarer dans une multiplicité d’exemples piochés ici et là, nous nous concentrerons uniquement sur deux acteurs choisis avec soin : TYIN Tegnestue et La Croix-Rouge. Ce dernier, plus connu pour ses actions médicales et alimentaires se révèle être un exemple pertinent puisqu’aucun ouvrage, aucun article ne parle de sa production architecturale. Nous démontrerons ici l’intérêt de sa production et la grande richesse de ses méthodes pour des réalisations en grand nombre. Au contraire, TYIN Tegnestue connait aujourd’hui une grande médiatisation et communique beaucoup sur ses projets. Nous verrons que beaucoup de conditions opposent ces deux intervenants mais ces différences permettent d’aborder bon nombre d’éléments de réponse aux problématiques. Des démarches furent engagées pour obtenir les informations indispensables au développement des recherches concernant la Croix-Rouge. Ces documents, encore une fois en anglais, nous ont été transmis directement par l’organisme. Ensuite, un entretien avec Corinne Treherne, travaillant aujourd’hui à Genève au département Construction
Reconstruction de la Fédération Internationale a agrémenté l’étude,5 elle-même ayant également produit un mémoire de recherche à l’école d’architecture de Lille sur son expérience au Viêt-Nam.6 Son point de vue est ainsi présent tout au long du texte. Quant aux documents concernant TYIN, dans une stratégie de communication, ils sont tous disponibles en téléchargement sur leur site internet ou au travers de blogs alimentés régulièrement pendant les projets. Il s’agit ensuite d’échafauder un processus comparatif de leurs deux démarches et de leur deux productions en fonction de critères définit au fil de lecture d’ouvrages théoriques. Ainsi, le développement s’organise en trois parties. Avant d’entreprendre une tentative de réponse, il est absolument nécessaire de poser le contexte, puisque l’architecture d’urgence est une discipline dont on parle peu et qu’il faut cerner les limites de l’étude. La première partie a donc pour but de définir le champ d’investigation et de présenter les spécificités de cette discipline. Elle décrit également les acteurs étudiés et pose clairement les questionnements. La seconde partie a pour mission d’étudier le processus d’élaboration d’un projet dans ces situations de crise afin de déterminer comment se met en place la production d’une qualité. Elle se concentre sur le rôle de chacun au fil des différentes étapes et montre que la conception est basée sur l’échange de connaissances et de savoir-faire. Enfin, la troisième partie tente de définir quelles sont les qualités d’une architecture d’urgence à partir de points de vue théoriques de chercheurs, donc d’approprier certains raisonnements au contexte spécifique de l’urgence. Enfin, cette recherche est dotée d’un objectif ultime : montrer que nous avons beaucoup à apprendre, dans nos principes établis en occident, de cette architecture pour les communautés pauvres. 4
Abrégé ONG dans la suite du texte Entretien réalisé le 26 février 2013 dont la globalité est retranscrite en annexe – Annexe 1 pages 81 à 90 6 TREHERNE, Corinne, De la permanence dans l'urgence : pour les populations démunies du Vietnam , Lille, 2005 5
11 INTRODUCTION
soit des Organisations Non Gouvernementales 4 ou des architectes travaillant en agences indépendantes. Afin de ne pas
12
I. L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS I.
SPÉCIFICITÉS D’UNE DISCIPLINE
Comme nous l’avons vu dans l’introduction, deux termes apparaissant incompatibles s’associent dans cette recherche : Architecture et Urgence. Cette combinaison attribue à l’architecture un champ d’application particulier, transformant ses principes et lui offrant une définition nouvelle. Alors, qu’entend-on ici par architecture d’urgence ? Que regroupe dans cet écrit cette vaste appellation ? En quoi cette architecture dite d’urgence est-elle particulière ? Quelles sont les spécificités de cette architecture conçue et édifiée par des professionnels spécialisés ? Quels sont les facteurs auxquels ils sont confrontés qui modifient voire transforment leur processus de conception ? 1.
Une branche de l’humanitaire
Aujourd’hui, dans les articles de revues et sur internet, nous constatons l’apparition d’un nouveau métier, celui d’architecte de l’urgence, une branche particulière du métier, en plein essor. C’est à partir de l’exercice de cette profession que nous définirons la notion d’architecture d’urgence, un vague et vaste concept qui nécessite d’être circonscrit afin de qualifier correctement le champ d’exploration. Par exemple, la revue La pierre d’angle dénomme le japonais Shigeru Ban d’ « architecte de l’urgence », étant un professionnel « conscient de la nécessité de construire rapidement des logements bon marché pour les réfugiés des catastrophes naturelles » 7. Travaillant depuis les années 80 sur une architecture qui serait composée de matériaux recyclés, il met à profit ses recherches en 1995 lorsqu’il souhaite venir en aide à la population de Kobé touchée par un lourd tremblement de terre. Il crée alors une architecture à bas coût faite de tubes de carton en papier recyclé encollé ayant des délais de construction extrêmement courts. Cette appellation nous vient aussi du nom de la fondation créée par Patrick Coulombel en 2001 à la suite des inondations de la Somme. Dans son livre, titré Architecte de l’urgence, un nouveau métier de l’humanitaire, 8 il nous retrace l’histoire de cette ONG, exprime la diversité de ses actions et développe ses processus d’intervention. Depuis sa création, elle est intervenue dans une trentaine de pays en faveur des victimes de catastrophes naturelles, aidant à surmonter la situation de crise dans toutes les phases du relèvement, de l’évaluation des dommages au relogement durable. Selon le fondateur, l’exercice de la profession dans l’urgence est réellement une orientation spécifique du
7 8
Réduire la vulnérabilité – Shigeru Ban « un environnementaliste accidentel » , La pierre d’angle, Paris, octobre 2007, n°45, p. 47 COULOMBEL, Patrick, Architectes de l’urgence, un nouveau métier de l’humanitaire , op. cit.
L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS
13
métier c’est pourquoi il a créé, il a quelques années, un mastère spécialisé urgentiste bâtiment et infrastructure. Ces professionnels exercent finalement dans le domaine de l’humanitaire pour aider les plus défavorisés, au nom de la 14
solidarité. Nous nommons donc architecture d’urgence, l’architecture ainsi produite, regroupant les productions conçues par cette typologie d’architectes, par ces urgentistes du bâtiment, une architecture mise en place pour répondre à des besoins essentiels, vitaux, dans une situation d’urgence. Cette pratique particulière de la discipline se retrouve sous diverses appellations dans les articles de revue comme « la reconstruction face à l’urgence » ou « l’architecture postcatastrophe. » 9 2. L’Urgence Voyons maintenant quels sont les critères qui définissent l’architecture d’urgence, que nous avons cernés précédemment, et qui en font une discipline différente de celle que l’on connait dans un exercice classique. Pour qualifier l'architecture d'urgence et prouver sa spécificité, nous déterminons trois paramètres essentiels qui influent sur le processus de conception et donnent donc une particularité aux projets. a. Délai et budget « L’objectif c’est de trouver 100.000 logements, tout de suite et sans argent, c’est ça l’urgence. » 10 Evoquant la difficile reconstruction d’Haïti à la suite du séisme de janvier 2010, Patrick Coulombel, avec son franc parlé, nous donne ici d’emblée deux facteurs clés et déterminants dans l’urgence : la rapidité d’action et le budget limité. Le terme urgence soulève immédiatement des questions de temporalité. Lorsqu’on s’intéresse à sa définition dans le dictionnaire, une urgence est « une nécessité d’agir vite » ou encore, adaptée au domaine de la médecine, « une situation pathologique dans laquelle un diagnostic et un traitement doivent être réalisés très rapidement ». 11 La dimension temporelle et plus précisément le court délai pour concevoir et produire sont primordiaux. Il s’agit d’être capable de reconstruire le plus rapidement possible, puisque bien souvent la vie de nombreuses personnes, à plus ou moins long terme, est en jeu. Les projets sont gouvernés par un souci d’efficacité et de rendement. Construire vite est le mot d’ordre. La dimension économique apparaît également être un facteur déterminant de ces projets. La population touchée est
SERON-PIERRE, Catherine, Reconstruire face à l'urgence, Le moniteur des travaux publics et du bâtiment, Paris, n°218, octobre 2012, p. 81-91 COULOMBEL, Patrick dans un entretien réalisé par HAUWUY, Julie pour L’Architecture d’Aujourd’hui, Paris, Mars-Avril 2012, n°388, p. 162 11 Selon le Larousse 9
10
démunie et les dons subventionnent le projet. L’architecture doit être mise en place avec le moins d’investissement financier possible. La limitation extrême des financements dans ces situations d'urgence est donc un caractère de la rapidité d’action, elle induit nécessairement un processus de conception et de construction particulier. b. Contexte d’intervention Ensuite, un troisième et dernier facteur, vient s’ajouter aux premières spécificités. L'architecture d'urgence, comme nous l’avons définie, implique nécessairement une architecture s'implantant dans un contexte particulier, ne serait-ce que par la situation de crise à laquelle elle doit faire face. D'abord les contextes géographiques, climatiques, sociologiques, économiques, politiques, etc. modifient inévitablement les caractéristiques des futures constructions. Par exemple, dans le cadre d'une reconstruction post-catastrophe, les facultés de résistance aux désastres climatiques prévisibles vont intervenir dans la conception et transformer le futur projet. Les matériaux sur place, les traditions, la disponibilité et la qualification particulière de la main-d’œuvre locales sont d’autres paramètres, non exhaustifs, influencés par le contexte qui transforment l'architecture et sa conception. Mais au-delà des caractéristiques de la future construction, c’est aussi la définition des principes même de l’architecture qui se retrouve métamorphosée. La pratique du métier se voit transformée. Pour mieux comprendre l’influence de ce paramètre, on peut mettre en parallèle ce facteur contexte dans le domaine de l’architecture et celui de la médecine. Rony Brauman, président pendant douze ans de l’association Médecins Sans Frontière nous raconte au travers d’entretiens avec Catherine Portevin son expérience humanitaire aux quatre coins du monde, dans un recueil au titre évocateur Penser dans l’urgence. Bien que la pratique professionnelle soit différente entre médecin et architecte, on va retrouver des similitudes dans l’influence du contexte sur la pratique et sur ses conventions. « Par exemple, selon les critères de la médecine d’urgence, une péritonite doit être opérée immédiatement mais, dans le contexte local, cette opération ne pouvait avoir lieu sans l’approbation du conseil de famille. » 12 Lors de sa première expérience de terrain dans l’humanitaire au Bénin, Rony Brauman, confronté à une situation d’urgence grave, un patient lourdement malade, se retrouve dans l’incapacité de l’opérer, mettant une vie en péril, pour des raisons socioculturelles lui semblant futiles. Bien que cela soit inconcevable pour le professionnel qu’il est, il doit attendre trois jours l’autorisation de la famille pour enfin venir en aide au patient. Ainsi, le contexte local peut, d’une part, provoquer l’incompréhension de l’expert, puis entraine souvent une adaptation de sa pratique en fonction des coutumes du pays d’intervention.
12
BRAUMAN, Rony, dans Penser dans l’urgence, parcours critique d’un humanitaire , Paris, Editions du Seuil, 2006, p.53
15 L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS
spécifique, contrainte supplémentaire à prendre en compte dès les premières phases d'élaboration du projet. A l’image
« J’ai accepté cette logique. A première vue, on peut la considérer comme une non-assistance à personne en danger, comme un manquement à l’éthique médicale qui met le patient au centre des préoccupations du médecin. Pourtant il 16
est vite devenu clair à mes yeux qu’il n’y avait pas de scandale moral mais une autre distribution des responsabilités et du pouvoir sur les corps. » Rony Brauman a dû réviser ses conventions établies et apprendre à comprendre et accepter d’autres mœurs, allant parfois à l‘encontre de la déontologie occidentale. La pratique du spécialiste dans un contexte qui lui est étranger entraine une redéfinition des principes de base du domaine. Ainsi, on voit bien que le contexte bouleverse les manières de réagir, de penser, de produire. Comme en médecine, la conception de l’architecture va se voir transformée. L’influence du local bouleverse les critères qui définissent l’architecture pour l’architecte en occident.
3. Des architectures d’urgence a. Urgence permanente ou urgence immédiate et soudaine L’architecture que nous qualifions d’urgence est mise en place dans deux cas de figure. D’une part, elle s’édifie de manière quasi instantanée à la suite de catastrophes naturelles. Tremblement de terre, inondation, ouragan, cyclone, sécheresse, etc. ces désastres climatiques ou sismiques entraînent de lourds bilans humains et matériels. Et malheureusement, nous ne sommes pas tous égaux devant ces catastrophes. Les victimes les plus touchées sont généralement les personnes déjà vulnérables vivant dans les pays en voie de développement. Il s’agit d’une reconstruction pour tenter de redonner aux sinistrés ce qu’ils ont perdu dans la catastrophe et de les rendre moins vulnérable en vue d’une éventuelle récidive. D’autre part, on retrouve également cette typologie d’architecture, avec les mêmes caractères que nous lui avons conférés précédemment – rapidité d’action, petit budget, contexte particulier – dans des situations d’urgence permanente au développement. Par exemple dans les bidonvilles ou les favelas, la situation d'urgence dure. Au-delà d'une reconstruction après des destructions considérables, il s'agit parfois simplement d'une construction. L'édification de nouveaux logements, sécurisés et bâtis selon des plans urbains dessinés, ou la création d’équipements communautaires ou publics devient alors un moteur pour appréhender l’avenir. b. Différentes typologies de reconstruction Une multiplicité d’exemples étudiés nous permet de distinguer trois phases dans une reconstruction d'urgence par une organisation humanitaire. Parfois, elles se succèdent, d’autres fois, certaines étapes sont brûlées, spécifiquement à chaque situation d’urgence et en fonction de la nécessité d’agir vite et des financements.
Phases de reconstruction d’urgence en fonction du facteur pérennité — Image tirée de Shelter Project 2010, édité par la Croix Rouge —
D’abord, on voit naître une réponse instantanée par la mise en place d’abris d’urgence dit shelters. Cette phase intervient à la suite d'une destruction massive par une catastrophe naturelle ou lors d’un déplacement de populations pour cause de conflits. Le but est de toucher le maximum de personnes dans l’objectif de les protéger et d’assurer leur survie. L’abri, démontable, s’apparente à une tente et doit pouvoir s’édifier en un minimum de temps. Il est envoyé vers la zone touchée, en kit puis monté sur place en quelques heures. Il est incontestablement provisoire. Ensuite, l’habitat transitionnel est la seconde étape. Il s’agit d’une réponse d’urgence évolutive, d’un projet qui pourra se transformer à l’avenir. Dans ce cas, « la conception dans la phase d’urgence essaie d’intégrer la dimension à plus long terme. » 13 Soit un squelette remplissable est construit, une structure simple qui reste en place et qui pourra être améliorée par les propriétaires au fil du temps, soit un kit d’urgence réutilisable est fourni dont les matériaux et fixations pourront être réemployés pour la future construction d’un logement pérenne. Enfin, la reconstruction durable avec des propriétés de résistance accrues est une phase qui intervient généralement dans un second temps, après la mise en place de shelters si ce passage fut nécessaire. Elle offre un relogement sécurisé à long terme aux plus démunies, un réel espace de vie privatif et définitif où la famille peut se reconstruire durablement. Dans le cas d’une reconstruction post-catastrophe, cet abri possède des caractéristiques physiques lui permettant de résister aux prochains désastres et donc de servir de levier à la réinsertion des propriétaires, leur assurant sérénité en vue de nouvelle perturbations climatiques. Quelle que soit la typologie, du temporaire au durable, on observe un retour aux fondements de l’architecture. Ces contextes d’intervention et les facteurs temporels et économiques font naitre des architectures particulières, simples et modestes. L’architecture d’urgence rappelle les fondamentaux de la construction d’un hébergement : bâtir un toit, une surface décollée du sol qui va permettre à des individus de se mettre à l’abri, de se réfugier dessous pour se protéger des nuisances venant de l’extérieur.
13
TREHERNE, Corinne, dans l’entretien réalisé le 26 février 2012
L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS
17
II. 18
LÉGITIMITÉ ET QUALITÉ DE L’ARCHITECTURE DANS L’URGENCE
Martin Chénot, architecte-enseignant à l’école d’architecture de Saint-Etienne, soulève une problématique : « Y a-t-il une place pour l’architecture dans ces situations extrêmes ? Dans tous les cas, les premiers problèmes à régler sont sanitaires : eau, assainissement, abris. L’éventualité d’une quelconque qualité spatiale semble très secondaire, face à la logistique nécessaire pour assurer la survie des populations sinistrées. » 14 Prenons le cas d’une reconstruction post-catastrophe. S’insérant dans un contexte extrêmement particulier, dans lequel au premier abord seule la survie compte, la conception et la construction de bâtiments peuvent paraître superflues et dérisoires. La construction ne permet pas de sauver des vies de manière immédiate comme peuvent le faire les soins dispensés par les médecins, qui eux apparaissent indispensables. Alors comment l’architecture peut-elle légitimer sa production dans un contexte de crise ?
1.
Reconstruire une population
Juste après une catastrophe, le rôle de l’architecture est différent de celui de la médecine. Quand cette dernière porte secours, l’architecture protège. Les shelters montés au plus vite mettent en sécurité les survivants, leur offrent un toit pour continuer à vivre. Et lorsque les médecins partent, une fois chacun soigné physiquement, l’architecture n’est-elle pas un bon moyen de poursuivre le chemin, une projection pour apaiser la douleur psychologique ? Par la reconstruction matérielle, ils rebâtissent leur vie et leur moral. Nous verrons dans la deuxième partie comment l’architecture, par l’investissement de la population, peut devenir une des sources de renaissance, permettant à la communauté d’envisager l’avenir. De plus, elle devient un facteur de développement pour les plus démunis, participant à la remise en état de l’outil économique, phase primordiale selon Patrick Coulombel. Il nous explique lors d’une conférence à la suite du séisme en Haïti, 15 qu’au-delà du logement qui permettra aux habitants de reprendre pied, l’architecture d’urgence ne passe pas que par la construction de bâtiment. Les architectes doivent être polyvalents et mettre tout en œuvre pour la reprise rapide du système économique local. Par exemple, à Sigli, au Sri Lanka, à la suite du tsunami de décembre 2004, les Architectes de l’urgence ont commencé par reconstruire des bateaux, permettant à la population de retourner pêcher, activité principale de la ville.
14 15
CHENOT Martin dans Autour de l’urgence / modules d’habitation, Publication de l’université de Saint-Etienne, 2007 Vidéo de conférence : Haïti demain, au lendemain de la catastrophe, du 8 février 2010, au Pavillon de l’Arsenal à Paris
On voit que l’architecture parvient par divers moyens à légitimer sa conception dans l’urgence mais qu’il ne s’agit pas
19
réellement d’une évidence. Alors peut-on oser parler de qualité architecturale pour ces structures rudimentaires
L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS
2. Qualité et urgence
édifiées dans de brefs délais avec peu de moyen et dans un contexte de crise, loin du confort connu par l’architecte occidental ? Quelle place attribue-t-on à la qualité dans l’urgence ? Est-ce nécessaire de produire une architecture de qualité ? a. La qualité, un luxe superflu ? Un article intitulé Une autre Thaïlande racontant l'histoire de deux jeunes architectes norvégiens et de leur projet à Bangkok, soulèvent cette question de la qualité dans l'urgence : « Même dans ce contexte, la qualité architecturale ne relève pas du luxe superflu mais de la nécessité. » 16 Au premier abord, cette phrase sous-entend qu'il existe des contextes où la pauvreté des populations pourrait éventuellement permettre de produire une architecture sans qualité, simplement un toit nécessaire qui leur permettrait de survivre. Leur pauvreté a-t-elle besoin de ce luxe superflu que serait la qualité ? Il apparait évident qu’une bonne reconstruction ne peut s’envisager sans une architecture de qualité et Olivier Namias affirme la qualité en tant qu’exigence incontestable. Mais d’abord, qu'entend-on par qualité architecturale ? On peut d’ores et déjà s’interroger sur le sens de ce terme et s’il prendrait éventuellement un sens différent lorsqu’on le placerait dans le domaine particulier de l’urgence. Aucune définition n'est donnée dans cet article. Au travers des photos qui constituent la majeure partie du dossier, la qualité architecturale semble alors associée à une expression contemporaine de l'architecture. Ces photos sont à l'image de celles que l'on peut trouver dans les magazines d'architecture contemporaine. Elles montrent une architecture nue, sans usagers mettant en valeur une écriture architecturale forte, des formes géométriques simples créant une esthétique graphique. On y observe des jeux de lumière et d'ombre créés par une utilisation particulière du matériau bois. Certaines photos sont prises dans l'obscurité où les bâtiments sont mis en lumière par des éclairages artificiels.
Bains publics Safe Haven et orphelinat en Thailande 16
NAMIAS, Olivier dans Une autre Thaïlande, A vivre, Paris, janvier/février 2010, n°52, p. 116
Cependant, au-delà de l’image, à la lecture de certains descriptifs, on se rend compte que la qualité va bien plus loin que ces simples rapports à l’image. L’auteur évoque des atouts techniques (résistance, inondabilité), écologiques 20
(récupération des eaux), sociaux (participation des populations), culturels (programme de bibliothèque), fonctionnels (minimum hygiénique toute l'année), économiques, de confort, et d’autres types encore. Alors où se situe vraiment la qualité dans ces architectures particulières ? La notion de qualité architecturale prend-elle un sens différent dans l’urgence ? A ce sujet, lorsqu’on évoque la qualité de l’architecture produite, Patrick Coulombel est clair. Dans un langage cru il nous avoue que « ce n’est pas parce qu’on travaille pour des pauvres qu’on doit faire de la merde. » 17 Une nouvelle fois, la qualité semble indispensable. Mais alors, dans un projet réalisé avec tant de contraintes, quelle forme peut-elle prendre ? La troisième partie de la recherche tentera d’y répondre
b. Qualité et processus de conception Il apparait pertinent de croiser la question de la qualité architecturale avec le projet dans des situations d'urgence, en se concentrant sur le processus de conception puisque la qualité semble être issue des considérations de cette étape. Shigeru Ban partage ce point de vue et met en place une conception extrêmement réfléchie dans le but de produire une architecture de qualité. En 2005, il est invité à reconstruire 70 maisons à Kirinda au Sri Lanka et porte une attention particulière à la justesse de sa conception, fort de certaines erreurs faites lors de la reconstruction à Kobé où moins d’une vingtaine d’exemplaires de sa maison en tube de carton ont été construits. « Si les maisons ne sont pas des objets aussi singuliers que d’autres réalisations de l’architecture japonaise, leur qualité architecturale, indépendamment de l’efficacité de leur plan, vient de la justesse de la conception et de l’évidence des solutions employées, à la fois techniquement performantes, simples à mettre en œuvre et apportant une qualité spatiale et formelle actuelle. » 18 Ainsi donc, pour parvenir à une architecture de qualité, il s’agit de définir sur quel(s) paramètre(s) l’architecte a mis l’accent lors de sa conception. La qualité de la réalisation va être issue d’une bonne conception. Daniel Siret et Olivier Balaÿ 19 se sont intéressés à ce lien entre qualité architecturale et processus de conception. Ils confrontent le projet dans ses phases d’esquisse et la perception de la réalisation finale à travers l’exemple de la salle d’audience du palais de justice de Nantes, par le biais des ambiances lumineuses. Ils observent les convergences mais surtout les décalages entre les qualités programmées dans la conception et celles exprimées dans la construction. L’ambiance de cette salle dans l’architecture construite est effectivement bien différente de la représentation 17
Vidéo de conférence : Haïti demain, au lendemain de la catastrophe, du 8 février 2010, au Pavillon de l’Arsenal à Paris NANTOIS, Frédéric dans Shigeru Ban, La beauté contre la tragédie, D’Architecture, Paris, Novembre 2006, n°159, p. 51 19 Dans Qualités architecturales, conceptions, significations, positions , Paris, Jean-Michel Place, 2006, p.27 à 40 18
spectaculaire proposée lors du concours. Il est intéressant de noter la qualité projetée dans la conception n’est pas forcément celle perçue par les usagers. L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS
21
Salle d’audience du palais de justice de Nantes conçu par Jean Nouvel, image du concours et photo de la réalisation — Image tirée de Qualités architecturales, conceptions, significations, positions , Paris, Jean-Michel Place, 2006 —
Regardons maintenant un projet de logement construit en Haïti par la fondation Architecte de l’urgence à la suite du séisme ayant ravagé l’ile en 2010. La perspective de la maison est simple, un dessin au trait sans superflu, décrivant avec bonne foi les caractéristiques de la future construction. En comparant cette image au projet construit, nous observons la grande vérité de la vue proposée lors de la conception.
Maison reconstruite en Haïti, perspective projetée lors de la conception et photo de la réalisation — Images projetées lors de la conférence de Patrick Coulombel, Haïti, deux ans après —
L’architecture d’urgence définit donc un contexte de conception tout autre. La conception est fortement ancrée dans la réalité, basée sur des éléments factuels. Il n’est pas question de représentations spectaculaires laissant entrevoir des qualités utopistes dans le but de remporter un concours. Aucun caractère ostentatoire, les dessins sont extrêmement simples et ne proposent pas des caractéristiques que le projet une fois bâti ne pourra pas posséder.
Ainsi, à l’inverse d’un projet qui doit vendre son image ou démontrer une spécificité ou une quelconque innovation, dans le contexte spécifique de l’urgence au développement, les qualités souhaitées en phase d’esquisse vont souvent être 22
des qualités construites. C’est pourquoi il semble intéressant d’étudier le processus de conception pour déterminer d’où sont issues les qualités.
III.
DEUX ACTEURS DE L’HUMANITAIRE
Pour tenter de répondre à notre problématique de manière claire, sans se disperser, nous nous attacherons uniquement aux productions de deux organisations humanitaires : TYIN Tegnestue et La Croix-Rouge. Ces associations humanitaires d’échelle opposée apparaissent comme deux exemples appropriés permettant d’aborder de nombreuses caractéristiques. De grandes différences dans leurs années d’expérience, l’impact quantitatif de leurs interventions, l’urgence dans laquelle ils viennent en aide, leurs effectifs et la qualification de ceux-ci, pourraient nous amener à croire que la comparaison de leur démarche est impossible. Les divergences sont intéressantes à remarquer et, basées sur des mêmes intentions, on observe aussi des similarités dans leurs processus de conception et de construction. Tous deux produisent des architectures de qualité mais nous verrons que ces qualités vont prendre différentes formes. Commençons par les présenter brièvement et par comparer leur structure pour mieux comprendre leur démarche ensuite. 1.
TYIN Tegnestue a. Histoire et effectif
Andreas Grontvedt et Yashar Hanstad dans une de leur réalisation, un centre de formation en Indonésie — Image de couverture du portfolio de TYIN Tegnestue Architecture —
TYIN Tegnestue est une association caritative récemment crée, en 2008, par deux étudiants en architecture norvégiens : Andreas Grontvedt Gjertsen et Yashar Hanstad, « qui s’ennuient durant leur études et sont découragés par Trondheim en Norvège et ont développé plusieurs projets dans des pays pauvres, ayant cette volonté de s’engager pour les populations les plus démunies en améliorant leur qualité de vie. Leur premier projet, celui de l’extension d’un orphelinat par six petites maisons à Noh Bo en Thaïlande a été couronné d’un grand succès architectural et médiatique, à l’origine de nombreuses publications. Par la suite, la quasi-totalité de leurs réalisations est parue dans les revues, à savoir deux bibliothèques, des bains publics et un centre communautaire en Thaïlande ainsi que dernièrement un centre de formation à la production de cannelle en Indonésie. 21 Mais médiatisation est-il synonyme de qualité ? Est-ce parce qu’ils connaissent de nombreuses publications qu’ils produisent nécessairement une architecture de qualité ? La critique architecturale est-elle juge incontestable de la qualité ? Ils ont également conçu et bâti des vestiaires et une tribune pour un stade de football en Ouganda, un projet plus discret. Il est intéressant de noter que jusqu’à aujourd’hui ils sont intervenus face à une urgence permanente, pour l’aide au développement des populations, et non dans le cadre d’une reconstruction post-catastrophe, grâce à des fonds venant de sponsors privés norvégiens. Enfin, dans un contexte différent, ils ont réalisé la réhabilitation d’un hangar à bateau sur les bords de mer dans leur pays d’origine, dans lequel nous reverrons des mêmes préoccupations. Leur travail a été présenté lors d’une exposition intitulée Construire Ailleurs qui s’est tenue à la villa Noailles du 14 février au 28 mars 2010, à la suite de laquelle un livre a été édité. 22 Ajoutons que l’année passée, TYIN a remporté au côté de quatre autres architectes le Global Award for sustainable architecture , un prix qui récompense chaque année depuis 2007 des professionnels innovants développant une architecture contemporaine durable et éthique dans les pays en développement comme dans ceux développés. Pour finir, leur dernier projet de centre de formation en Indonésie a remporté le prix du bâtiment culturel 2012 décerné par le site internet Archdaily. Tyin est donc une agence d’architecture œuvrant dans l’humanitaire, reconnue dans ce domaine, et au-delà. Depuis sa création, l’agence s’est agrandie. Andreas et Yashar se sont entourés d’autres jeunes architectes. De plus, ils collaborent avec d’autres architectes norvégiens comme Sami Rintala ou avec des architectes originaires du pays dans lequel ils vont travailler à l’image de Kasama Yamtree en Thaïlande, qui connaissent les problématiques locales. A cela s’ajoutent des groupes d’étudiants en architecture de Norvège ou d’ailleurs. Par exemple, étudiants norvégiens, allemands et thaïlandais se mêlent pour la réalisation du centre communautaire Klong Toey à Bangkok. 20
LECLERC, David, TYIN Tegnestue, l’acupuncture humanitaire, D’Architecture, Paris, Mai 2011, n°200, p. 50 Pour visualiser ces projets, des fiches se trouvent en annexe – Annexe 3 pages 97 à 108 22 [Sous la direction de] SARANO Florence, TYIN / ANNA HERINGER, Construire Ailleurs – Building elsewhere, op. cit. 21
23 L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS
leur premier stage dans des agences d’architecture locales. » 20 Depuis, ils ont obtenus leur diplôme à l’université de
b. Philosophie 24
Florence Sarano nous dresse un beau portrait de cette petite ONG dans les premières pages du livre édité à la suite de l’exposition Construire ailleurs. Elle nous explicite leur philosophie et leur manière d’envisager l’aide humanitaire. On comprend bien leurs intentions et le rôle qu’ils ont envie de jouer. « Ils souhaitent mettre l’architecture au service des communautés délaissées, dans le respect de leur environnement. » Pendant leurs études, ils décident de quitter tout le confort dont ils bénéficiaient en Norvège. Ils partent monter un projet en Thaïlande, désirant mettre leurs connaissances à profit. Ils pensent pouvoir transmettre leur savoir ailleurs. Par ces volontés d’engagement, aucun doute, l’architecture est bien pour eux un levier qui va permettre aux populations de poursuivre leur développement. Marie-Hélène Contal dans le portrait de TYIN pour le magazine du web Le courrier de l’architecte met en avant cette caractéristique dans leur mission : « L’innovation, c’est que personne n'attendait que l’architecture — ce luxe ! — soit d'un quelconque secours dans les situations où il n’y a plus rien et qu’elle s’y révèle au contraire comme un levier, par sa capacité à incarner une histoire collective. » 23
c. Méthode de travail L’agence TYIN, très extravertie, n’a pas peur de parler de ses méthodes de travail. Très habile dans le maniement des moyens de communications actuels, elle nous montre qu’elle souhaite partager les clés de ses processus d’élaboration d’un projet. Par exemple, des blogs alimentés au quotidien nous racontent les activités engagées à l’autre bout du monde.
Représentation de la boite à outil de l’architecte TYIN — Dessin réalisé par Mio Oribe Ueno Stuberg pour la couverture du livret mis en ligne par TYIN Tegnestue—
23
http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_3100
Dans cette volonté de communiquer, elle met en ligne sur son site internet un petit livret numérique intitulé TYIN créer de belles et utiles structures, en toutes circonstances. […] Elle contient des conseils pratiques sur la façon de procéder sur des projets aux délais serrés, à petits budgets et ressources limitées. » 24 Nous retrouvons ici les paramètres essentiel à l’architecture dite d’urgence : les facteurs temporels et économiques. TYIN exprime à travers ce guide ses outils et méthodes indispensables à la réalisation d’un bon projet, donc nous dévoile sa philosophie de conception et de construction, deux phases difficiles à distinguer dans le domaine particulier de l’urgence. Nous voyons apparaitre, d’une part, des objets matériels et concrets nécessaires à l’élaboration du projet. TYIN Tegnestue évoque ses outils de conception : tout le matériel nécessaire au dessin mais surtout le tableau blanc effaçable qui est selon eux l’outil de conception le plus efficace, en atelier ou sur site. Il donne lieu à des dessins intuitifs qui devront prouver leur qualité s’ils ne veulent pas être effacés. Ensuite, les architectes insistent sur le fait que la conception et la construction dans l’urgence soient un travail de terrain : on observe des outils de construction tel que la scie et le marteau, des boulons préférés aux clous, l’antibactérien pour se laver les mains, la trousse de secours en cas de pépin, etc. Nous voyons dès lors que selon eux il est nécessaire de s’investir pleinement voire de prendre des risques. « Vous serez touché par le projet. Il y aura du sang, de la sueur et des larmes. Il y aura de la poussière, de la boue de la laideur. »
Exemple d’outils que l’on peut trouver dans la caisse
24
Traduit de l’anglais dans TYIN architect’s toolbox, livret crée par l’agence TYIN Tenestue : http://www.tyinarchitects.com/toolbox/
25 L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS
architect’s toolbox : la caisse à outil de l’architecte TYIN. « La caisse à outils contient les outils dont on a besoin pour
D’autre part, nous découvrons aussi des éléments plus abstrait, incarnés par des représentations concrètes. Tout au long du feuillet, on trouve des prescriptions sur l’intégration dans le contexte local : un projet sera bon si les 26
concepteurs se sont complétement immergés, avec un grand respect, dans leur nouvel environnement. Ils revendiquent cet aspect de leur démarche par le dessin de bracelets ethniques faits de fils de tissu. On imagine que s’investir dans un projet est synonyme de vivre en complète harmonie avec le local et ses traditions. A cela s’ajoutent quelques notes poétiques : un dictionnaire des belles erreurs car l’incompréhension donne parfois naissance à de beaux inattendus, un cœur rouge sang puisqu’il est essentiel de mettre du cœur dans le projet, ou encore un disque devant permettre de trouver l’inspiration, en dehors des bornes de l’architecture. Ensuite, toujours dans un souci d’échange avec les autres, l’appareil photo fait partie de la boite à outil. Il sert selon eux à raconter des histoires, à prendre du recul par rapport au travail fourni, à communiquer des idées et donc peut être à donner envie à d’autres de s’investir à leur tour. Ils utilisent donc cet outil depuis leur première réalisation et réalisent ainsi des montages vidéos. Leurs animations vidéos sont des time-laps : une série de photos prises à des moments différents, mises à la suite, dans un ordre chronologique, avec par séquence un même point de vue, qui permettent en quelques minutes de retranscrire une évolution sur plusieurs jour ou semaines. Au départ, se focalisant sur la construction, aujourd’hui, on peut voir sur la vidéo de leur dernier projet, des images de la conception.
Conception du projet de centre de formation Cassia Coop au travers de divers outils — Photos issues du time-laps mis en ligne par TYIN Tegnestue—
Cette vidéo démarre par une séquence ayant pour point de vue un ponton sur la mer, au cours de plusieurs moments, de jour comme de nuit. En quelques secondes, ils nous plongent dans le contexte et nous laissent imaginer que ce fût la première phase de leur démarche, l’observation, l’immersion dans l’environnement local. On voit ensuite les membres
de l’équipe rejoindre une bâtisse traditionnelle ou ils se mettent à réfléchir. Tous réunis autour d’une grande table, membres de l’équipe TYIN Tegnestue, étudiants, ou jeunes thaïlandais, échangent, en présence de leur outil de se forment, se défont, constituant une réflexion grâce à plusieurs outils, manuels ou informatiques. Ils dessinent, réalisent des maquettes, manipulent la matière, discutent, puis dinent ensemble à la nuit tombée, dans la tradition.
2. La Croix-Rouge a. Histoire et effectif La Croix-Rouge est dans l’humanitaire la plus grande et la plus célèbre organisation du monde. Elle est créée en 1859, lors de la bataille de Solferino, par un citoyen suisse, Henry Dunant, qui portait secours avec l’aide des populations civiles locales aux soldats des deux camps sans discrimination. Ensuite, grâce à la signature de différentes conventions, la structure de l’organisation se développe et s’étend géographiquement. Aujourd’hui, ce mouvement humanitaire d’aide et d’assistance aux personnes est présent dans 187 pays par le biais de sociétés nationales. Rien de comparable avec TYIN, dont l’action parait bien insignifiante à côté de celle de la Croix-Rouge. 25 Les actions de la Croix-Rouge ne sont pas spécialisées dans le domaine de l’architecture. Elle intervient à la suite de grands désastres climatiques, sismiques ou de guerre. Ses projets architecturaux prennent donc place dans le cadre d’une reconstruction post-catastrophe.
Volontaire de la Croix-Rouge au travail, apportant nourriture et matériel de soin à une région en crise — Photo issue du site www.croix-rouge.fr — 25
Comparaison de la quantité des missions des deux acteurs de l’humanitaire en Annexe
27 L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS
conception fétiche, le tableau blanc, toujours à proximité. Ensuite en plein air sous une structure de bois, des groupes
Des millions de bénévoles et d’employés œuvrent pour cette ONG.26 La fédération internationale est la branche de la Croix-Rouge qui dirige les opérations de secours et de développement à la suite des catastrophes naturelles et qui 28
coordonne les actions des sociétés nationales. L’échelle d’intervention de cette organisation humanitaire est donc extrêmement vaste, d’une coordination à l’échelle du globe jusqu’à un développement de mission en lien avec la communauté d’un village. b. Philosophie La Croix-Rouge se définit par « une éthique de tolérance et de dialogue » 27 qu’elle souhaite diffuser au maximum. Elle prône l’aide à autrui quel qu’il soit, de manière totalement désintéressée. Sept principes fondateurs, proclamés dès 1965 par une conférence internationale, la décrivent de manière admirable : humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité, universalité. De plus, tous les dix ans, la Croix-Rouge développe une stratégie, une marche à suivre pour les dix prochaines années. La dernière en date, rédigée à l’aube de 2010, la « Stratégie 2020 », se définit par trois objectifs principaux : « -
sauver des vies, protéger les moyens d’existence, renforcer le relèvement après les catastrophes et les crises
-
promouvoir des modes de vie sains et surs
-
promouvoir l’intégration sociale et une culture de non-violence et de paix » 28
Logo de la stratégie 2020 développé par la Croix-Rouge — Couverture du livret édité par la Croix-Rouge en 2010 disponible sur www.ifrc.org —
26
Comparaison des effectifs des deux acteurs de l’humanitaire en Annexe http://www.croix-rouge.fr/La-Croix-Rouge/Un-mouvement-international/Origines 28 Fédération Internationale de la Croix-Rouge, Stratégie 2020, Sauver des vies changer les mentalités , Genève, 2010 27
L’architecture n’est qu’une des multiples manières grâce à laquelle la Croix-Rouge accomplie ses missions. Mais elle nous prouve que ce domaine tient un rôle efficient dans le relèvement des populations. Le logo de la stratégie 2020 est de la pluie, est représenté sur l’un d’entre eux. On voit donc bien que la Croix-Rouge fait porter une grande responsabilité à l’architecture dans la mise en place de ses objectifs, malgré le caractère ostentatoire qu’elle peut posséder au premier abord.
Les objectifs de la Croix-Rouge sont bien différents de ceux de TYIN Tegnestue et leurs manières de procéder dans la reconstruction le sont aussi. Selon l’organisation humanitaire la plus importante du monde, pour qu’une intervention soit de qualité, il faut qu’elle touche le plus de sinistrés possible. Le premier indicateur de qualité va être la quantité. Corinne Treherne nous affirme cette hypothèse lorsqu’elle énonce les caractéristiques premières d’une réponse de qualité, d’un projet réussi. Après quelques secondes de réflexion, la réponse est effectivement claire : « Si tu as une réponse d’urgence, tes indicateurs qualitatifs vont être légèrement plus quantitatifs que qualitatif. […] La priorité dans l’urgence c’est de sauver des vies. » 29 Il est important pour la Croix-Rouge de produire beaucoup, au contraire de TYIN qui se concentre sur des projets à toute petite échelle. Ce paramètre modifié inévitablement leur processus de conception et comme nous l’envisageons déjà, la définition de la qualité de leur production. Patrick Coulombel, voit lui une incompatibilité entre qualité et quantité : « Les ONG généralistes ont certaines habitudes, privilégiant la quantité à la qualité. » 30 On ne pourrait selon lui, pas dans le même temps produire beaucoup et bien. Nous verrons plus tard, quelles qualités peuvent incarner les architectures produites par ces ONG généralistes, réexaminant le point de vue de l’ancien président d’Architectes de l’urgence. c. Méthodes de travail La Croix-Rouge est beaucoup plus discrète que TYIN Tegnestue sur ses méthodes de travail. Sur internet, pas de boite à outil du bénévole, ni de vidéo retraçant les étapes de conception. Beaucoup de réponses se trouvent dans des documents édités par la fédération internationale qui a pour mission de coordonner l’aide à l’internationale. « Pour être efficace nous devons être fortement professionnalisés. » 31 confie Jean-Michel Monod, directeur adjoint des opérations au comité international de l’organisation, dans un article intitulé Les nouveaux humanitaires, un métier en
mutation. Les architectes sont présents dans les effectifs de la Croix-Rouge uniquement depuis quelques années, dans
29
Propos recueillis lors de l’entretien COULOMBEL, Patrick dans un entretien réalisé par HAUWUY, Julie, L’Architecture d’Aujourd’hui, Paris, Mars-Avril 2012, n°388, p. 162 31 http://www.redcross.int/FR/mag/magazine2001_4/humanitaires.html 30
29 L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS
composé de trois petites icones qui incarnent la force de l’union. Un toit porté par un homme et une femme, les abritant
un désir de professionnalisme, au côté de spécialistes qualifiés comme des ingénieurs, des statisticiens, des économistes, etc. Cependant, leur effectif est limité. 30 Les Sociétés Nationales riches, c’est-à-dire les sociétés moins sujettes aux catastrophes et ayant les moyens d’aider, ont toutes une liste de personnes formées prêtes à être déployées si besoin sur le terrain. Selon l’échelle de la catastrophe un ou plusieurs experts sont envoyés sur place. Par exemple, dans le cas d’Haïti vingt à trente personnes sont intervenues en support aux opérations. Mais en général, pour des missions à plus petite échelle, une unique personne assume ce rôle puisque le principe fondamental pour la Croix-Rouge est de former des volontaires de la société nationale du pays touché. Ces personnes qualifiées sont « délégué shelter ». Pour obtenir cette qualification, elles ont passé la formation STT (Shelter Technical Training), organisée par la Croix-Rouge depuis 2006 deux fois par an. Peuvent accéder à cet enseignement, des personnes ayant une connaissance constructive avancée (niveau master) : ingénieurs, architectes, constructeurs ou urbanistes. Ainsi, l’organisation s’entoure d’architectes mais pour chaque mission très peu sont dépêchés sur le terrain. L’architecture s’édifie donc quasiment sans architectes. L’action est conduite par le chef de projet, issu de la formation STT, qui supervise et coordonne les activités mais surtout qui travaille en partenariat avec la société nationale du pays touché et toute la communauté. La population est effectivement active et devient actrice du projet. L’expert tient finalement un rôle qui s’apparente plus à l’assistance technique et au contrôle de la qualité. Cette nécessité de construire beaucoup à laquelle s’ajoute le peu d’architecte sur le terrain transforme les méthodes de conception du projet. Construire 10.000 logements d’urgence pérennes après une catastrophe et partir en mission en faveur d’une petite communauté pour un projet architectural à petite échelle sont deux approches de l’humanitaire complétement différentes. Ainsi, comparer ces deux démarches s’avère très intéressant.
II. PROCESSUS D’ELABORATION D’UN PROJET DANS L’URGENCE L’objectif est d’étudier le processus de conception dans l’urgence, afin de définir les démarches d’élaboration d’un projet dans ce contexte qui permettent d’aboutir à la production d’une architecture de qualité. Dans un premier temps, des écrits théoriques récents nous montrerons les problématiques actuelles dans la mise en place de la qualité. Puis nous verrons, au travers des exemples de nos deux organisations humanitaires, comment un processus spécifique dans l’urgence peut parfois déjouer ces contraintes.
I.
LE PASSAGE DU PROJET DE MAINS EN MAINS
L’étude théorique de cette première partie a pour ambition de comprendre le processus de développement d’un projet, de son origine jusqu’à son achèvement, dans le but de définir les raisons d’une perte de qualité éventuelle. 1.
Une production collective
Posons le point de vue de Rainier Hoddé, architecte enseignant à l’école d’architecture de Paris Val de Seine et chercheur au centre de recherche sur l'Habitat : « De nombreuses recherches ont établi que le dénouement du projet architectural était consubstantiel d’une pluralité d’acteurs et ne pouvait se réduire à la figure unique et héroïque de l’architecte popularisé. […] Les qualités n‘adviennent que relayées par de multiple acteurs. » 32 Il nous montre que le projet d’architecture est le résultat du travail et de l’investissement de centaines, voire de milliers de mains aux savoir-faire et connaissances différents recouvrant un large éventail de domaines. Le processus pour parvenir à un bâtiment enfin édifié est long et complexe, l’intervention de chacun des acteurs est décisive et c’est la qualité des opérations misent en œuvre par chacun qui additionnée les unes aux autres créent la qualité architecturale de la production. Finalement, les auteurs des deux ouvrages analysés : Qualités architecturales, conceptions, significations,
positions, et La qualité architecturale, Acteurs et enjeux, rejoignent le point de vue de Rainier Hoddé : « la qualité se conçoit, se perçoit, se reçoit collectivement. » 33
Effectivement, aujourd’hui, dans le processus de réalisation d’un projet en France, les différents acteurs se succèdent, intervenant dans leur champ d’action, les uns après les autres, au sein de phases qui se mêlent difficilement. Caractérisons, de manière un peu caricaturale, le déroulement des étapes d’un projet en se concentrant sur ses différents acteurs. D’abord, la maitrise d’ouvrage définit les objectifs et besoins du projet. Elle propose l’implantation géographique et le programme détaillé auquel un budget et un calendrier sont associés. Ensuite, par concours ou 32 33
HODDE, Rainier, dans l’introduction de Qualités architecturales, conceptions, significations, positions, Paris, Jean-Michel Place, 2006, p.17 BIAU, Véronique & LAUTIER, François, dans La qualité architecturale, Acteurs et enjeux, Paris, Editions de La Villette, 2009, p.18
QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
31
simplement de manière choisie par les instigateurs, le projet ainsi défini par un cahier des charges passe entre les mains de la maitrise d’œuvre. En alliant contraintes et intuitions, les concepteurs tentent de coller au plus près de la 32
commande. La maitrise d’œuvre est une grande équipe composée des architectes mais aussi de nombreux professionnels qui complètent les manques en connaissances spécifiques : bureau d’étude, économiste… Un permis de construire est ensuite déposé. On s’en remet donc, à l’appréciation des institutions qui ne peuvent juger du projet que par l’intermédiaire d’une série de pièces écrites et graphiques. Si le permis est accepté, les architectes détaillent le projet et constituent un dossier de consultation des entrepreneurs. A la suite d’études de marché, l’architecte établit le phasage des intervenants successifs. Enfin, le chantier peut démarrer et le projet passe ainsi entre les mains des différents constructeurs. L’architecte conserve un rôle dans cette phase en intervenant de façon régulière auprès des entreprises pour vérifier la conformité de l’exécution des travaux avec les dessins. Une fois le bâtiment livré, après visite et validation de la maitrise d’ouvrage, ce sont les usagers qui investissent les lieux et prolongent la vie du bâtiment.
2. Une perte de qualité ? Les comptes rendus de recherche alimentant la première partie du livre Qualités architecturales, Conceptions,
significations, positions nous montrent « la grande difficulté, voire l’impossibilité, à incorporer et à ne pas perdre des qualités tout au long du projet, ce qui entraine la révision des représentations convenues et rassurante que l’on s’en fait. » 34 On se rend compte qu’au cours de ces différentes phases, dont les personnages principaux sont chaque fois différents, il est difficile de communiquer l’ensemble des éléments qui déterminent le projet et ses qualités. On ose ainsi imaginer qu’il serait nécessaire (bien qu’impossible ?) que chacun des multiples intervenants participe à l’ensemble des phases. Véronique Biau et François Lautier nous affirment que des réflexions sont en cours dans le but d’envisager des améliorations au processus : « Dès que l’on place les interactions au cœur des processus de production de la qualité, les outils de ces interactions, outils de coopération deviennent décisifs : les moyens de communication ouvrent dans ce domaine des perspectives consistantes. On sait qu’il s’agit là d’un axe de recherche majeur dans le secteur du BTP, nécessaire du fait des différences de nature des phases du procès de construction comme de la diversité des intervenants, de leurs modalités d’actions, d’expression et de représentation. » 35 Jean-Claude Bignon, Gilles Halin et Sylvain Kubicki, membres du centre de recherche à l’école d’architecture de Nancy, confirment ce point de vue : « Nous pensons qu’aujourd’hui un enjeu pour le développement de la production de bâti repose sur l’amélioration des processus coopératifs à tous les moments du système productif. » 34 35
HODDE, Rainier, dans l’introduction de Qualités architecturales, conceptions, significations, positions , op. cit., p.14 BIAU, Véronique & LAUTIER, François, dans l’introduction de La qualité architecturale, Acteurs et enjeux, op.cit.
Des chercheurs semblent donc en quête de méthodes qui permettraient d’accroitre les interactions entre les différents protagonistes de la conception et de la réalisation, dans l’objectif d’accroitre la qualité architecturale. Le domaine l’élaboration d’un projet d’architecture ?
3. Qualité et contexte « La qualité n’est pas indifférente au contexte. Que se passe-t-il lorsque l’on change d’environnement culturel, technique, réglementaire, organisationnel ? » 36 La qualité et son élaboration seraient d’après Véronique Biau et François Lautier relatives au contexte puisque les conditions de la conception y sont nécessairement différentes. Le domaine spécifique de l’urgence bouscule les principes et les rôles des acteurs du projet établis dans une conception
classique que nous avons vu séquencés. Comment une répartition différente et un cloisonnement différent des tâches de chacun des protagonistes peuvent devenir un enjeu essentiel pour concevoir et édifier la qualité architecturale dans une réalisation ?
II.
DES MEMES ACTEURS TOUT AU LONG DU PROCESSUS
Observons maintenant le processus d’élaboration d’un projet dans l’urgence. Il semblerait qu’une redéfinition du rôle des différents intervenants permette d’éviter certaines pertes de qualité. 1.
L’architecte
Analysons donc le rôle et la place de l’architecte dans ce type de projet. Il ne s'agit pas de donner une définition au métier d’architecte, mais de proposer une série de réflexions sur le travail particulier mis en place dans ce contexte. a. Le problème de l’identité L'architecture d'urgence souvent conçue par des architectes étrangers, intervenant dans un environnement qu’ils ne connaissent, à priori, pas. Le contexte géographique, économique, socio-culturel, politique de la zone d'intervention conditionne nécessairement la conception des nouvelles constructions. Qu’en est-il de la qualité de l’œuvre produite lorsqu'elle est conçue par un architecte issu d’un environnement différent de celui dans lequelle l'architecture va être reçue, perçue, vécue ? On peut aussi se demander jusqu'à quel stade l'architecte peut introduire des concepts propres à sa culture sans porter atteinte aux traditions locales ? Quel est son rôle et quelle attitude doit-il adopter ? 36
BIAU, Véronique et LAUTIER, François, dans l’introduction de La qualité architecturale, Acteurs et enjeux, op. cit.
33 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
particulier de l’urgence n’est-il pas un bon champ d’exploration quant à une nouvelle définition des rôles dans
Comme le souligne Michel Conan, l’architecte est guidé au fil de son œuvre par ce qu’il nomme des thèmes
architecturaux. 37 Cela signifie que l’on va retrouver dans ses réalisations des questionnements, des manières de faire, 34
des techniques, des esthétiques qui seront les mêmes ou auront été le fruit de légères évolutions. On peut alors s’interroger si on retrouverait effectivement ces thèmes dans la conception d’urgence. Le processus de conception est-il propre aux situations d’urgence ou l’architecte possède-t-il une philosophie particulière que l’on retrouve à travers chacun de ses projets ? Daisuke Sugawara nous donne son point de vue quant à l’attitude que doit adopter l’architecte : « Je pense que le rôle de l’architecte est de construire des relations fortes. En d’autres termes, il doit lire l’environnement dans son ensemble et produire une réponse adaptée, mais aussi faire preuve de souplesse – ne pas se concentrer sur les aspects habituels tels la forme ou la couleur. » Et regrette que certains « construisent des choses qui expriment leur particularités propres ou importent la dernière tendance jusqu’à la zone sinistrée ». Ces situations de crise ne sont selon lui « pas le moment pour faire œuvre d’architecture. La zone sinistrée est déjà pleine de gens formidables, de technologies, d’éléments et d’information. » 38 Alors comment l’architecte réussit-il à tirer parti des atouts du contexte local ? Comment conserver et mettre au premier plan l’identité, la culture et la tradition des populations touchées ? Est-ce compatible avec l’importance des interventions mises en place par les ONG ? Nous pouvons également nous interroger sur la marge de manœuvre laissée à l’architecte. La conception semble dictée par le contexte local (traditions, mode de construction, matériaux disponibles, qualification particulière de la main d’œuvre), par les volontés des habitants, par des exigences techniques de résistance, etc. Quelle est la part de liberté laissée aux concepteurs après avoir apporté une réponse à toutes ces problématiques ? La conception dans ces situations d’urgence offre-t-elle toujours une part de création à l’architecte ou devient-il un coordinateur apportant des compétences ? Mais est-ce vraiment la question à se poser dans ce type de situation ? b. Un architecte engagé Avant tout, l’architecte intervenant dans les situations d’urgence se donne pour mission de faire respecter l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. L’article stipule que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux, ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de […] perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendante de sa volonté. » 39 Par ses actions de solidarité, il tente d’offrir à chacun les bases d’une vie décente. Il s’agit donc bien d’un architecte engagé, loin d’une pratique classique. Il met en place une architecture éthique dans le but de relever une population dévastée. 37
CONAN, Michel, Concevoir un projet d’architecture, Paris, L’Harmattan, 1990 SUGAWARA, Daisuke, dans le dossier Reconstruire face à l'urgence, Le moniteur, Paris, n°218, octobre 2012, p. 89 39 Disponible sur www.un.org 38
En raison d’un contexte souvent inconnu, la mission de l’architecte demande plus que dans tout autre cas une analyse poussée des caractères locaux. Dans une perspective pragmatique, son action démarre par une analyse détaillée du d’immersion pour comprendre l’architecture traditionnelle locale, détecter ses potentiels et pointer ses lacunes, afin de ne pas apporter une réponse standardisée mais bien une réponse appropriée, spécifique et différente à chaque intervention. TYIN s’entoure de professionnels ou d’étudiants locaux qui leur font découvrir les problématiques du quartier touché, comme pour le centre communautaire Klong Toey, que nous étudierons plus en détail par la suite. La Croix-Rouge travaille quant à elle en partenariat avec la société nationale du pays dans lequel elle intervient, des collaborations essentielles pour comprendre les enjeux locaux. Ainsi, en raison d’un contexte d’intervention inconnu par les architectes, dès cette première phase de projet, les rôles de chacun commencent à se mêler.
c. Un concepteur évanescent Lorsque nous évoquons avec Corinne Treherne les qualités d’un bon architecte de l’urgence, les critères sont clairs : « Je dirais que les meilleures réponses c’est dans le cas où l’architecte envoyé s’est vraiment plié à l’écoute des besoins locaux et à quasiment disparu. L’architecte doit être très humble et quasiment disparaitre dans le geste de la conception. » 40 Pour la Croix-Rouge, la mission de l’architecte au-delà de celle de bâtir est de « former des gens à être responsable et à avoir des connaissances pour être autonome. » Il est important que l’architecte s’efface puisqu’en fin de mission, il doit partir et la population doit continuer seule. Son objectif est de transmettre des capacités et manières de réagir dans l’éventualité d’une nouvelle catastrophe, de renforcer les compétences locales. L’objectif pour TYIN est similaire. Andreas témoigne : « Ce n’est pas mon idée qui sera importante ou celle des étudiants avec qui on travaille mais plutôt celle des gens qui utilisent l’endroit. » 41 Le but du passage de TYIN dans une région est de transmettre des notions qui suivront les habitants, de former les ouvriers et non d’imposer leur conception du projet. Les choix ne se font pas uniquement par l’architecte et les habitants n’ont pas pour but ultime de prendre possession de l’édifice une fois bâti. Les frontières se troublent. Olivier Namias, de manière générale dans son article De l’urgence au développement, nous le fait lui aussi remarquer : « L’architecte doit accepter qu’une part du projet, création de l’usager, lui échappe » 42 Il apparait donc important que l’architecte adopte une position de retrait dans son rôle de créateur, sa vrai mission étant ailleurs. Plus discret pendant la conception, le professionnel n’impose pas ses désirs architecturaux mais reste cependant bien une figure de proue du projet, puisqu’il est à l’origine de l’investissement de la population et transforme les aspirations des habitants en propositions valides. Ainsi, concevoir un projet dans l’urgence redéfinit le rôle de l’architecte. 40
Propos recueilli lors de l’entretien Traduit de l’anglais dans l’Interview réalisée par Flore Zanchi le 6 mai 2012 pour le site internet Floornature.com 42 NAMIAS, Olivier, De l’urgence au développement, Ecologik, Paris, juin/juillet 2008, n°3, p. 60-65 41
35 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
terrain. Pour TYIN comme pour la Croix-Rouge, chaque projet démarre toujours par une phase d’observation,
d. Un architecte bâtisseur 36
Voyons maintenant si la phase de construction participe elle aussi à l’effacement des limites entre l’architecte et les autres acteurs du projet. Nous pouvons ré-évoquer l’expérience de Rony Brauman. Il témoigne dans ses entretiens de la mission particulière conférée au médecin dans le domaine de l’humanitaire, une pratique assez éloignée de celle qu’il exerçait en France : « Un médecin dans un camp de réfugiés devait davantage savoir manier pelle et pioche, installer des tuyauteries et tester l’eau qu’être dans son dispensaire à consulter des malades et administrer des médicaments. Ces tâches très concrètes, satisfaisantes en elles-mêmes, permettent aussi de contenir les sentiments d’étrangeté et d’anxiété que l’on éprouve dans un contexte où l’on n’arrive pas à trouver de repères stables. » 43 La pratique du métier d’architecte se transforme aussi dans le domaine de l’urgence. TYIN et leur caisse à outil nous démontrent que l’architecture d’urgence est une architecture de terrain où il faut s’investir physiquement. Une fois la phase de construction démarrée, l’architecte devient un artisan comme les autres sur le chantier. Sur site, avec les entrepreneurs locaux, il s’investit dans la mise en œuvre du projet, dans la peau d’un constructeur.
Andreas Grontvedt un des bâtisseurs du centre de formation — Image tirée du blog mise à jour pendant le projet —
Séance de formation de la population par la Croix-Rouge au Nigéria — Image fournie par Corinne Treherne —
www.tyintegnestue.no/sumatra/
Pour la Croix-Rouge, l’architecte ayant participé à la conception prend rarement part à la construction. Il possède un rôle de suivi, de conseil et d’évaluation pendant cette phase. Cependant, il mouille également sa chemise ! Il prend les outils de construction dans l’objectif de montrer des techniques particulières. Le chantier prend alors la forme d’une salle de classe en plein air. Dans les deux cas, on imagine que le but est de casser les préjugés des populations quant à une hiérarchie entre les hommes. Il s’agit de tisser des relations ou chacun est mis sur un pied d’égalité. 43
BRAUMAN, Rony, dans Penser dans l’urgence, parcours critique d’un humanitaire , op. cit. p.66
De cette manière, l’architecte se décloisonne de sa position de noble créateur. Suivant le projet, de son commencement jusqu’à la remise en mains aux bénéficiaires, il tend à s’effacer lors de la conception et participe activement au
2. Les bénéficiaires Etudions à présent la mission des futurs usagers dans le projet. Leur rôle semble aussi se décloisonner des simples bénéficiaires. Ils participent activement au projet, quasi depuis son origine. a. Le rôle décisif de l’investissement de la communauté « La meilleure façon de modérer un traumatisme psychologique est de faire participer les gens dans une action collective positive. » 44 Il semble nécessaire que la population locale soit l’acteur principal de la reconstruction. Donner un projet commun doit permettre de redonner vie et motivation à la communauté, de reprendre pied ensemble. La reconstruction de la vie communautaire, les relations sociales sont primordiales dans le relèvement de la population. Il faut mobiliser la communauté pour lui redonner confiance. Pour Hitoshi Abe, œuvrant après le tsunami au Japon, la démarche dans l’urgence est simple et résume de belle manière cet engagement communautaire nécessaire : « reconstruire, c’est d’abord rétablir une confiance entre les gens et les lieux. » 45 De plus, chaque Homme mobilisé est deux mains et une tête pensante qui s’ajoutent au projet. Une capacité à raisonner offrant des orientations de conception et un potentiel de main-d’œuvre pour la construction. Voyons dans quelle mesure chacun peut et doit intervenir dans la reconstruction. b. Une conception menée par la population Commençons par nous intéresser rapidement à la pratique d’Hassan Fathy. Dans les années 60, on était loin des considérations actuelles pour l’architecture humanitaire. On peut cependant établir beaucoup de parallèles entre l’architecture de ce concepteur égyptien et les procédés utilisés aujourd’hui dans l’architecture d’urgence. Pierre Bernard le décrit ainsi : « Hassan Fathy n’est pas un crayonneur de plans, sa pensée va d’abord aux hommes, à leurs gestes, à leurs rêves. Hassan Fathy est un architecte : un poète, un ethnologue, un constructeur. Son œuvre s’érige à partir des autres : des artisans qui façonnent les formes, des paysans pour qui il bâtit. » 46 Dans son ouvrage
Construire avec le peuple, 47 Hassan nous raconte son expérience d’architecte à Gournah où il reconstruit un village entier pour reloger 7000 habitats démunis. A travers une vision traditionaliste, il reconsidère le travail des artisans 44
FITRIANTO, Andrea, citation traduite de l’anglais dans l’article Learning from Aceh, tirée du livre Beyond shelter, Architecture and human
dignity, New-York, Métropolis Book, 2011 45
Dans le dossier de SERON-PIERRE, Catherine, Reconstruire face à l'urgence, Le moniteur, Paris, n°218, oct. 2012, p. 83 BERNARD, Pierre dans la préface de Construire avec le peuple, Paris, Sindbad, 1970 47 FATHY, Hassan, Construire avec le peuple, op. cit. 46
37 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
chantier. Ce suivi et cet investissement constant semblent participer à l’élaboration d’une plus grande qualité du projet.
comme véritable prouesse technique, leur vouant admiration et respect. Il valorise le travail manuel faisant de chaque construction un modèle unique. Par cette conception qui priorise un retour aux procédés anciens et à la tradition, sans 38
le vouloir, Hassan Fathy a forgé une vision avant-gardiste de la reconstruction de masse à moindre coût. « La culture venue des racines
Mais une culture venue d’ailleurs
traverse tiges, bourgeons feuilles et fleures,
renversée sur les hommes les pétrifie ;
d’une cellule à l’autre comme un sang vert
les voici comme des poupées en sucre
et nourrit l’espace sous la pluie
que les pluies généreuses de la vie
de cette odeur de jardin arrosé.
transforment en une pâte informe et lourde. » 48
Par ces vers poétiques, on voit l’importance de la tradition et du rôle fondamental acteurs locaux. La conception doit naître in-situ et émaner de la culture autochtone. Il ne s’agit en aucun cas d’importer des visions venues d’ailleurs. Nait de cette philosophie, la conception participative. Il ajuste son architecture au local et notamment aux matériaux disponibles sur place, il adapte également ses dessins en fonction des volontés et des besoins des habitants. Il les incite à s’impliquer dans le projet dès les premières phases de celui-ci. Alors, comment la Croix-Rouge et TYIN mettent en place aujourd’hui cette vision initiée par Hassan Fathy ? Une des problématiques de la Croix-Rouge est la suivante : comment produire beaucoup, en peu de temps avec seulement quelques architectes sur le terrain ? Il est ainsi important qu’elle partage et propage les critères d’une
bonne reconstruction, d’une reconstruction sécurisée. Comment transmettre des informations par l’intermédiaire parfois d’un seul professionnel à toute une population afin d’éviter certaines erreurs en lien avec les risques climatiques ou sismiques auxquels elle est continuellement soumise ? Aujourd’hui pour répondre à cette difficulté, elle met en place une stratégie de communication et propose des manuels répertoriant des directives de reconstruction en fonction de principes de sécurité. 49
Réunion publique sur la façon de mener à bien la reconstruction en Inde — Image tirée d’un document fourni par Corinne Treherne, After the Tsunami Sustainable building guidelines for South-East Asia — 48 49
FATHY, Hassan, Construire avec le peuple, op. cit. Pages de couvertures de manuels de communication de la Croix-Rouge disponible en Annexe – Annexe 4 page 111
La Croix-Rouge est ainsi à l’origine de la rédaction d’un manuel proposant des prescriptions générales. Le guide intitulé pratiques de conceptions et de constructions sécurisées à la suite de différentes catastrophes : tremblements de terre, vents violents, inondations ou encore incendies ou glissement de terrain. Ce manuel ne s’adresse pas aux professionnels de la construction, il est destiné aux bénévoles, voire au futures bénéficiaires qui doivent comprendre les principes fondamentaux d’une bonne reconstruction. Ce livret est avant tout un outil de communication tentant de diffuser les principes simples de sécurité, de transmettre des connaissances vers une population la plus large possible, dans le but de lui permettre d’envisager une conception sans risque. Prenons l’exemple des principes à respecter dans une zone sismique à risques. Ils se déploient sur plusieurs échelles, de l’implantation dans l’environnement jusqu’aux prescriptions techniques et constructives d’une partie spécifique de l’habitation. Les énumérations de principes se font par l’intermédiaire de schémas, simples, compréhensibles par tous, qui facilitent la communication. Ces connaissances sont essentielles pour envisager une conception partagée.
Préférer les sols plats aux terrains pentus
Préférer les sols stables aux terrains remblayés
Garder une distance de sécurité avec les murs de soutènement
Garder une distance de sécurité entre les bâtiments
Rendre indépendant les bâtiments adjacents
Construire l’abri sur de solides fondations reposant sur un sol stable
Choisir et produire des matériaux de bonne qualité
Privilégier des formes simples, symétriques et compactes
39 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
Shelter safety handbook, some important information on how to build safer , fournit des éléments de base pour des
Pour TYIN, le relèvement de la zone meurtrie doit aussi se faire par la population elle-même. Elle implique au plus tôt la population et chacun de leur projet est basé sur la participation. Par exemple, pour la réhabilitation en bibliothèque d’un 40
vieux local abandonné, en Thaïlande, les articles de revue nous racontent bien leur démarche. Le travail commence par une campagne d’affichage invitant les habitants du quartier à venir exprimer leurs souhaits ou leur manque quant à un équipement public particulier. Ils éprouvent d’abord des difficultés à faire participer la population. Au début, uniquement les enfants viennent pour dessiner, comme s’ils allaient à la garderie mais au fur à mesure du temps, les réunions publiques régulières rassemblent de plus en plus de monde. Elles permettent de discuter, de dessiner avec les habitants, dans le but de développer un sens d’appartenance au projet le plus tôt possible. Après quatre mois de conception collective, le programme de bibliothèque se définit. Ensemble, ils choisissent également les matériaux de construction, des matériaux récupérés disponibles sur place et leurs techniques de mise en œuvre. Ces mois de réflexion offrent un temps de construction très court, de deux semaines uniquement. Cette méthode ayant fait ses preuves, TYIN reproduit ce processus pour d'autres de ses projets, tel que pour le centre communautaire Klong Toey.
Conception participative menée par TYIN Tegnestue : Enfant exposant son dessin pour le centre communautaire et groupe de thaïlandais définissant le programme de réhabilitation du vieux local — Photographies par Passi Alto disponibles en téléchargement sur le site www.tyinarchitects.com —
c. Une main d’œuvre qualitative La population, après s’être investie dans la conception prend également part à la construction. Connaissant le projet et ses méthodes de mise en œuvre, le gain de temps semble évident. Les habitants ayant participé à la conception de la bibliothèque sont ceux-là même qui ont pris part au chantier de réhabilitation. La main d’œuvre est gratuite et bénéficie d’une grande envie, dans l’attente de pratiquer les lieux.
QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
41
Construction participative menée par TYIN Tegnestue : Petite fille creusant les fondations du centre communautaire et thaïlandais œuvrant pour édifier la bibliothèque du vieux marché — Photographies par Passi Alto disponibles en téléchargement sur le site www.tyinarchitects.com —
La Croix-Rouge met en place par exemple sur certains projets un système ODR : Owner Driven Reconstruction : une reconstruction menée directement par les propriétaires, une méthode de reconstruction qui implique les populations touchées à rebâtir leur propre maison. Le futur propriétaire, après avoir reçu une brève formation devient le chef de chantier de son propre bien. Il décide des tâches qu’il peut réaliser lui-même et va chercher une main d’œuvre plus qualifiée chez les entrepreneurs locaux si besoin.
Construction par les propriétaires de leur propre maison au Tadjikistan à la suite du tremblement de terre en juillet 2006 — Image tirée de Shelter Project 2010, édité par UNhabitat et la Croix-Rouge —
Prenons l’exemple de ces habitants touchés par un tremblement de terre au Tadjikistan qui reconstruisent leur propre maison, dont le projet est décrit dans Shelter Project 2010. Ils élaborent une maille en branche de mûrier, technique développée par l’institut de technologie du pays permettant d’accroitre les propriétés de résistance sismique d’un mur. Shamsov Sharofidin, 58 ans, chef de famille témoigne : « Maintenant, ma maison est solide et je ne vis plus dans la peur des tremblements de terre comme par le passé. Ma maison possède des cadres de renfort en bois et je suis sûr qu'il peut
protéger ma famille contre les futurs tremblements de terre. » 50 Cette méthode a donc l’avantage de fournir une grande satisfaction aux populations meurtries. Les habitants sont plus sur d’eux, plus confiant pour envisager l’avenir. Ils ont 42
construit eux-mêmes et savent que la construction de qualité les protégera des prochaines catastrophes éventuelles. De plus, ce procédé offre le privilège de reprendre le travail de manière anticipée. Effectivement, la Croix-Rouge attribut un petit salaire à ces habitants-ouvriers.
III.
L’ECHANGE DE CONNAISSANCES, DE SAVOIR-FAIRE
L’idée d’une conception à sens unique disparait complétement dans ce type de processus. Chacun des acteurs du projet à la possibilité d’alimenter la conception. On n’est pas face à un architecte seul maitre à bord, détenteur des connaissances, dessinant son projet et imposant ses choix aux futurs utilisateurs. Ici, le projet s’élabore par l’échange. L’architecte apporte ses connaissances et son expérience et les bénéficiaires offrent leur culture des savoir-faire locaux. Frédéric Nantois dans son dossier L’engagement humanitaire par l’architecture évoque cette caractéristique et la nomme : « complémentarité des savoirs » 51 à travers l’exemple de la construction d’une école primaire dans le village de Koulangou au Togo. La construction, parfois en terre parfois en béton, oscille entre « savoir traditionnel et techniques actuelles » issue d’une conception avec la population locale, sur les traces d’Hassan Fathy.
1.
La prise de conscience d’un échange
Nous avons vu qu’il est essentiel que la population soit l’un des acteurs principal du projet. Mais face à la puissance de l’engagement des ONG, comment faire en sorte que cette population ne devienne pas assistée ? Comment faire pour qu’elle s’implique dans le projet ? Comment lui démontrer qu’elle a un rôle à jouer et que son investissement est nécessaire à la production d’un projet de qualité au long terme ? Une nouvelle fois, la Croix-Rouge propose un guide pour tenter de répondre à ces problématiques, PASSA, Participatory
Approach for Safe Shelter Awareness, publié par la fédération internationale en avril 2011. Ce livret à l’attention des chefs de projets et les bénévoles de sociétés nationales développe une méthode de prévention des risques et de conception, basée sur l’investissement de la communauté local. Il s’appuie sur un principe : chacun possède une connaissance et des idées qui peuvent contribuer à la résolution des problèmes. Le guide explique donc comment 50 51
Traduit de l’anglais dans Shelter Project 2010, UNhabitat & la Croix-Rouge, 2012 NANTOIS, Fréderic dans le dossier L’engagement humanitaire par l’architecture , D’Architecture, Paris, Novembre 2006, n°159, p. 52
instaurer une approche participative dans la région. Le but est d’organiser des rencontres de quelques heures toutes les semaines avec les habitants, pendant un ou deux mois pour les sensibiliser aux dangers et aux questions de
Le guide propose une série d’activités, huit au total : retracer le profil historique de la zone, cartographier la zone et identifier les risque, définir la fréquence et les conséquences des risques, identifier les caractéristiques d’un hébergement sûr ou dangereux, chercher des options pour améliorer la sécurité, élaborer des schémas de mise en œuvre des améliorations, penser et cherches des solutions aux éventuels problèmes et enfin développer une procédure de contrôle pour évaluer les nouvelles solutions. Par ce biais, les communautés définissent leurs propres stratégies, pour résoudre les problèmes de leurs cultures constructives locales et ainsi rendre plus efficaces et qualitatives les techniques de construction traditionnelles. On se rend compte que l’aide humanitaire apporte indéniablement un certain nombre de connaissance nécessaires dans le relèvement de la population mais il ne s’agit pas d’un mécanisme à sens unique. Le travail des architectes ne peut se faire sans l’investissement des habitants. La connaissance du contexte local est nécessaire pour développer au mieux un projet dans le respect des traditions. La communauté donne par exemple des clés fondamentales dans la compréhension des modes de vie et des techniques ancestrales. On voit naître une réelle collaboration entre acteurs locaux et exportés. Les architectes ont besoin de la population et il est important qu’ils leur communiquent cette idée.
Modèle d’un poster à réaliser lors de l’activité 4
Sri-Lankais participant à l’activité 4
— Image tirée du guide PASSA —
— Image tirée de Post-disaster settlement planning guidelines —
Des dessins sont nécessaires à ces activités, permettant de communiquer et de faire réagir. Ils sont réalisés spécifiquement à chaque intervention pour être en parfaite adéquation avec les traditions locales. Pour un réel investissement, les habitants doivent pouvoir s’identifier aux modèles qu’ils voient dessinés. Les vignettes représentent donc un style architectural traditionnel, des personnes vêtues de costumes régionaux, des paysages spécifiques à la
43 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
sécurité puis développer leurs compétences, leur démontrant que les réponses se trouvent dans leur propre culture.
zone géographique, les essences d’arbres locaux, etc. Les dessins sont simples, en noir et blanc, sans ombre ni détail. Ils sont un langage universel pouvant faire parler tout le monde, passant la barrière de la langue ou de l’écrit. 44
Exemples de dessins utilisés au Bangladesh — Image tirée du guide PASSA —
2. Le prototype Les organisations humanitaires développent un autre processus particulier pour favoriser l’échange entre les acteurs du projet. Au-delà des réunions de conception collective, des architectures expérimentales sont édifiées pour aborder le projet de manière plus concrète. a. Un prototype, une source d’expérimentation Quand on regarde le diagramme des phases du processus d’élaboration d’un projet mené par la Croix-Rouge,52 on se rend compte qu’après la conception de ses logements et leur approbation par les autorités, la phase de construction démarre par l’édification d’un prototype, une phase clé et indispensable. Il est mis en place pour chaque projet. Cette première édification échelle 1 remplit de nombreuses missions. Il est le lieu d’un échange d’idées et de savoirs. Il permet aussi d’informer les habitants et provoquer un retour d’information. Corinne Treherne, est convaincue de l’importance de cette étape : « Pour que les gens se rendent comptent de l’espace, pour qu’ils se l’approprient et soient capable de le commenter, pour aussi établir la liste en termes de quantité de matériau, la meilleure chose c’est de passer à l’échelle 1. » 53 Pour comprendre son intérêt, prenons l’exemple des projets qu’elle a elle-même réalisé avec la Croix-Rouge au ViêtNam dans les années 2000 où cette phase était déjà inéluctable. 54 D’abord, le prototype est un outil pédagogique. Il est l’occasion de montrer de nouvelles techniques nécessaires à une architecture sécurisée. Les habitants des communautés ont pu découvrir une technique de fondation qui leste la structure légère. Ils ne connaissaient pas ce procédé puisque dans l’architecture traditionnelle la structure auto-stable était simplement posée sur la fondation, 52
Phases d’élaboration d’un projet type de la Croix-Rouge en Annexe Propos recueillis lors de l’entretien 54 TREHERNE, Corinne, De la permanence dans l'urgence : pour les populations démunies du Vietnam , Lille, 2005 53
mais en cas d’inondation, l’hébergement pouvait être emporté par le courant. Le modèle permet également d’aborder la notion de triangulation qu’il est préférable à favoriser à l’encastrement traditionnel toujours pour des raisons de
Ensuite, le prototype est une édification test qui permet de vérifier l’efficacité du modèle. C’est une première expérimentation offrant la possibilité de réajuster la première conception. D’une part elle permet d’identifier les problèmes techniques pour ensuite envisager des pistes d’amélioration. Grâce à lui, il est possible de contrôler la qualité des matériaux fournis par les entreprises locales, la résistance des assemblages, la facilité de construction, etc. Il permet aussi d’évaluer les contraintes logistiques en quantifiant les besoins en matériaux et en vérifiant les possibilités d’approvisionnement. D’autre part, elle permet de vérifier l’adéquation du modèle avec le mode d’habiter traditionnel et de modifier la conception en fonction de la réaction des habitants. Bien qu’ayant contribués à l’élaboration du projet, il est plus facile pour les futurs propriétaires de percevoir l’espace crée, de se rendre compte s’il peut satisfaire pleinement leurs besoins, par l’intermédiaire d’un édifice bâti que par un panel de dessins.
b. Une architecture prototype Nous ne retrouvons pas cette phase dans le processus de conception de TYIN, sans doute du fait de l’échelle beaucoup plus réduite de leurs projets. On peut dire que c’est le projet en lui-même une fois terminé qui joue le rôle de prototype. La présentation du projet d’orphelinat Soe Ker Tie dans le livre Construire ailleurs semble décrire le rôle d’une architecture-prototype : « Après 6 mois d’un long et mutuel processus d’apprentissage avec les habitants de Noh Bo, nous espérons avoir laissé derrière nous quelque chose d’utile. Des principes importants tel que la manière d’assembler, l’économie des matériaux, la prévention de l’humidité, peuvent probablement conduire à une tradition de construction durable dans l’avenir. » La description explicite également l’aspect mutuel du processus. Il existe réellement une réciprocité entre les acteurs et l’apprentissage existe bien pour chacun des deux protagonistes. « Un bâtiment n’est pas une œuvre qu’on achève mais une activité qu’on développe » 55 On voit donc que le projet ne prend pas fin lorsque la construction se termine, mais que l’intention va bien au-delà. Le développement d’une population ne coïncide pas avec la date de fin de la construction du projet. Le relèvement sera beaucoup plus long et la mission des humanitaires ne se réduit pas à une production architecturale. Il s’agit plutôt d’une incursion dans un processus, qui doit laisser des traces. La construction doit par exemple être l’occasion de montrer des techniques d’assemblage, servant de modèle pour les futures constructions lorsque TYIN ne sera plus sur le terrain.
55
TYIN Tegnestue, pour l’exposition Appeal for an Architecture of Necessity, Septembre 2009, Virserum Art Museum, Smaland, Suède
QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
45
résistance.
III. QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE 46 Le processus d’élaboration d’un projet dans l’urgence semble accroitre la probabilité de retrouver les qualités conçues dans la production finale, en raison de l’effacement des frontières entre les rôles des différents acteurs du projet. Il apparait intéressant maintenant d’examiner quelle qualité l’architecture possède dans ce contexte. Dans cet objectif, la méthodologie sera similaire à celle mise en place précédemment. Une première partie basée sur des points de vue théoriques permettra de cerner les problématiques et critères de définition de la qualité architecturale. Puis, au regard d’une opinion spécifique, nous analyserons les productions de nos deux organismes humanitaires pour en déduire le sens que prend la notion de qualité architecturale dans ce contexte.
I.
LA NOTION DE QUALITÉ ARCHITECTURALE 1.
Qualité et architecture
Commençons avec le point de vue de Véronique Biau et François Lautier, une bonne approche qui nous permet de comprendre la difficulté à définir la notion de qualité architecturale. Ils nous expliquent que la qualité d’un objet est facile à déterminer. Il s’agit une propriété à laquelle s'ajoute un jugement de valeur, positif en l’occurrence. A travers l’exemple du moteur, ils nous indiquent que la qualité s'estime à travers la comparaison de facteurs mesurables. « Ce service est décrit à travers quelques indicateurs mesurables et donc comparables de l’un à l’autre des moteurs qui sont sur le marché : prix, consommation, rendement énergétique, fiabilité, etc. » Par des analogies suivant ces paramètres, l’acheteur saura établir le moteur ayant la plus grande qualité pour lui. Ils s'interrogent ensuite, de manière logique, sur la possibilité d'estimer la qualité dans le domaine de l'art. Les difficultés apparaissent, il ne semble pas exister de facteur mesurable qui permette la comparaison. « Comment comparer un tableau de Raphaël à celui d'un Cézanne ou d'un Rothko ? » 56 Ainsi, lorsqu’on passe dans le contexte de l’architecture, la notion de qualité, semble bien plus compliquée à définir. L'architecture apparait caractérisée par deux aspects, entre art et objet industriel. Se posent alors de nombreuses questions quant à la qualité et sa mesure. Les chercheurs nous montrent toute la difficulté à définir cette notion. Une définition résumée est impossible à donner, trop de variables entrant en considération, divergeant de plus en fonction des points de vue et de la relation des personnes à l’édifice. Par exemple, critique architecturale et usager peuvent-ils définir de la même manière la qualité d’un projet ? Nous allons tenter cependant de trouver quelques éléments de réponse en énonçant un certain nombre de positionnements, notamment celui de Philippe Dehan.
56
BIAU, Véronique & LAUTIER, François, dans l’introduction de La qualité architecturale, Acteurs et enjeux, op.cit. p. 13
2. Une qualité plurielle
deux ouvrages de référence évoquant la qualité architecturale s’accordent à dire que la qualité serait plurielle, composée finalement d’une multitude de qualités, perçues de manières différentes en fonction de chacun. Rainier Hoddé, chercheur et professeur à Paris, est un fervent défenseur de ce point de vue : « L’incantation immanente à la qualité architecturale fait place à l’hypothèse d’une qualité plurielle qui oblige à explorer, à recenser et à caractériser plus rationnellement les qualités d’un bâtiment. » 57 Selon lui, il est impossible qu’un bâtiment possède la et l’unique qualité architecturale, toute puissante. Au contraire, le bâtiment posséderait des qualités, qui seraient identifiables dans plusieurs domaines. Nous penserons donc la qualité ainsi, comme plurielle et tenterons de poser les critères à travers lesquels elle peut se définir.
3. La position de Philippe Dehan Les points de vue étant multiples et divergents, il apparait essentiel de se concentrer sur une opinion afin d’analyser, au détriment peut être d’une exhaustivité, les architectures d’urgence produites par nos deux exemples. Il semble intéressant d’étudier la qualité architecturale à travers le point de vue de Philippe Dehan, entre art et usages.58 A l’image de l’introduction de Véronique Biau et François Lautier, il démarre son texte en nous rappelant qu’il n’est pas aussi simple de définir la qualité architecturale que celle des produits industriels. Puisqu’en architecture « le tout est plus que la somme des parties. » A cette somme de parties s’ajoute une unicité du produit, définit par une multiplicité d’usages, un site particulier et une longue durée de vie. Quand on voit la production quasi industrielle de la Croix-Rouge, pouvons-nous encore croire à l’unicité du produit et donc aux qualités architecturales qui en émanent ? La qualité pour cette ONG est-elle égale à la somme des parties comme dans l’industrie ? Est-ce par l’unicité de ses réalisations que TYIN parvient à trouver une plus-value ? La manière dont P. Dehan classe l’architecture entre art est usages est intéressante. L’architecture est un art donc sa valeur est inévitablement difficile à déterminer. Mais il attribue à l’utilisateur une position centrale, il « n’achète pas l’édifice pour ses qualités formelles et artistiques formelles en priorité, mais pour ses qualités d’usage et de durabilité. Sa valeur d’art est la cerise sur le gâteau. » Ce point de vue réaliste parait l’être encore plus dans le domaine de l’urgence, quand on connait la nécessité pour les populations d’édifier un toit. La qualité étant pour lui aussi plurielle, il nous propose différents critères selon lesquels nous pourrons analyser nos réalisations. Il repart des écrits fondamentaux de l’architecture et reprend la division qualitative tripartite de Vitruve Firmitas, Utilitas, Venustas. « Je 57 58
HODDE, Rainier, dans l’introduction de Qualités architecturales, conceptions, significations, positions , Paris, Jean-Michel Place, 2006, p.12 DEHAN, Philippe, La qualité architecturale entre art et usages dans La qualité architecturale, acteurs et enjeux, op. cit. p88
47 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
Avant d’évoquer le point de vue de P. Dehan, posons un premier élément de définition. Beaucoup de réflexions dans nos
pense que ce découpage analytique est fondateur de la discipline et que malgré certaines évolutions dans les termes et les contenus, il reste pertinent. » Il nous propose donc d’envisager la qualité sous trois référentiels : pérennité, usages 48
et formes. Il situe la qualité à « un point d’équilibre entre ces trois parties. » Pour lui, la qualité, les qualités, sont associées à des propriétés de l’édifice. Il sera donc plus facile pour nous de les repérer afin d’envisager que devient ce point de vue quand on le déplace dans le domaine particulier de l’urgence. La notion de qualité architecturale peut-elle y être définie par les mêmes critères ou prend-elle un sens différent ?
II.
PÉRENNITÉ
Commençons par analyser le critère pérennité dans les architectures d’urgence et notamment dans les productions de la Croix-Rouge et TYIN Tegnestue. Philippe Dehan décrit ainsi ce premier référentiel : « C’est la question de la solidité, qui intègre les questions du vieillissement, et de l’entretien du bâtiment, et auxquelles il faut ajouter aujourd’hui la durabilité environnementale. » Quand il s’agit de sauver des vies à l’instant t, est-il important d’envisager le devenir de la construction des décennies plus tard ?
1.
Un paramètre essentiel à la reconstruction ? a. Les risques du temporaire
Il y a quelques décennies, l’aide humanitaire en termes d’élaboration d’abris pour la survie des peuples meurtris, se résumait à la distribution de tentes ou autres toits rudimentaires par les ONG au même titre qu’elles pouvaient distribuer de l’eau potable ou des sacs de riz. Si cette étape est parfois toujours nécessaire aujourd’hui dans une première phase d’aide, elle est également source de risque et de dégâts. Cet hébergement immédiat n’est pas conçu pour offrir un nouveau lieu de vie aux sinistrés. Pourtant parfois, par manque de moyen, de temps, et d’aide au développement, les logements provisoires deviennent habitats permanents pour des dizaines d’années. Et dans l’éventualité où aucune aide de premier secours n’est fournie aux sinistrés, ces camps vont naturellement sortir de terre, bâti par les habitants avec des matériaux récupérés de-ci de-là. Ces campements de fortune devant s’ériger loin de la zone détruite occupée par des amas de débris, avec ce risque qu’ils s’établissent de façon durables, sont lourds de conséquences. D’abord, les habitants sont tout aussi fragiles qu’avant dans l’éventualité d’une nouvelle catastrophe. Aucune reprise en main du pays n’est initiée, ne permettant pas aux habitants de reprendre confiance ou d’établir des liens communautaires. Elle n’offre pas non plus d’apport ou de partage de connaissances. On assiste finalement à la création de nouveaux bidonvilles. Comme nous le dit Riken
Yamamoto, associé à Shigeru Ban pour la reconstruction de Kobé suite au tremblement de terre de 1995 « aux victimes du séisme se sont ajouté celles de cet hébergement standard, qui déracinées et isolées, ont péri d’ennui. » 59 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
49
Camp d’Accra de plus de 20.000 personnes à de Port au prince deux ans après le séisme en Haïti — Image tirée livret Séisme en Haïti, Bilan et regard sur deux ans d’action —
Le livret Séisme en Haiti, Bilan et regard sur deux ans d’action , édité par la Croix-Rouge, évoque ce problème et les difficultés d’y faire face. Grégory Rondeau, responsable de la zone Haïti pour la Croix-Rouge française rappelle bien que leur « but ultime, c’est de donner une autre alternative à la vie en camps pour les populations, de leur trouver une solution de relogement durable. » Malheureusement, on constate que deux ans après le séisme, plus de 500.000 personnes vivent toujours dans des camps de fortune et restent plus vulnérables que jamais. L’aide humanitaire ne peut donc s’arrêter au shelter assurant la survie, elle se doit d’aller plus loin pour relever le peuple touché de manière durable. Pour nous, comme pour Patrick Coulombel, aucun doute : « l’urgence, c’est reconstruire de manière définitive. » 60 Le facteur pérennité est donc essentiel et effectivement pris en compte dans le domaine de l’urgence.
b. Des architectures conçues pour durer TYIN conçoit uniquement des architectures permanentes et pérennes. L’éventualité d’une architecture temporaire ne semble pas envisageable, le but étant d’accompagner la population à long terme. Dans une interview réalisée par Flore Zanchi, pour le site Floornature.com, Andreas Grontvedt se confie sur la question du durable : « Nous ne considérons pas la durabilité en soi, mais nous pensons que c’est un choix évident quand on dispose d’un budget limité. Si vous construisez un bâtiment, utiliser l'argent et des ressources pour ça, il doit se maintenir dans le même état, durer pendant une plus longue période de temps.» 61 Il ne s’agit donc pas d’un objectif premier mais le contexte de l’urgence semble l’imposer. 59
SERON-PIERRE, Catherine dans Reconstruire face à l'urgence, Le moniteur, Paris, n°218, octobre 2012, p.82 COULOMBEL, Patrick, Interview France Inter, 25 octobre 2011 à réécouter sur www.franceinter.fr 61 Traduit de l’anglais sur http://www.floornature.com/architects/interviews/andreas-g-gjertsen-tyin-tegnestue-architects-7795/ 60
c. Le transitionnel dans l’objectif du permanent 50
Au contraire d’une intervention ponctuelle, à petite échelle, comme peut le faire TYIN, est-il possible de reconstruire en masse de l’hébergement permanent ? La Croix-Rouge semble avoir trouvé une réponse à cette question. La nécessité d’une réponse ultra rapide dans le but de sauver le maximum de vies ne permet pas de reconstruire immédiatement après la catastrophe des hébergements permanents pour chacune des personnes touchées. Cependant, « La tente c’est comme un kleenex, elle est utilisée et puis ensuite elle se jette. » 62 Il ne s’agit donc pas non plus de livrer à profusion des abris d’urgence. Afin d’éviter ce phénomène, la Croix-Rouge a cherché un moyen plus efficace pour répondre rapidement aux besoins tout en proposant une solution durable. Cette solution est celle de l’habitat transitionnel, une structure intermédiaire entre la tente et la construction en dur. Le mémoire de Corinne Treherne décrit très bien cet habitat et son processus d’élaboration. 63
Synthèse du processus du projet d’habitat transitoire au Viet-Nam — Document tiré du mémoire de recherche de Corinne Treherne —
Le processus de conception est le même que celui mis en place pour un projet pérenne. L’habitat transitionnel bien qu’il soit un passage momentané vers le permanent est une architecture pérenne. Il s’agit finalement d’un projet conçu pour durer, qui serait inachevé. Cet aspect non exhaustif de la construction permet le gain de temps nécessaire dans ces situations de crise et une production rapide en grand nombre. En fin de mission ce n’est pas un produit fini qui est délivré, mais une structure rudimentaire offrant dans un premier temps un toit sécurisé, résistant aux prochains désastres éventuels. Si une nouvelle catastrophe se produit, les familles ne voient pas leur habitat une fois de plus détruit, perdant tout, mais capitalisent alors et enrichissent par la suite leur logement au gré de leurs économies.
62 63
Propos recueilli lors de l’entretien TREHERNE, Corinne, De la permanence dans l'urgence : pour les populations démunies du Vietnam , Lille, 2005
La structure élémentaire est un squelette que les habitants habillent : d’abord par des remplissages légers qu’il est facile de se procurer tel que la bâche, le bambou, la paille tressée ou la tôle, ensuite par des panneaux de bois voire par extensions facilement par des percements dans les poteaux ou poutres par exemple. Enfin l’intérieur des squelettes est aménagé, notamment par un traitement particulier du sol ou des murs.
2. Quelle durabilité ? a. Vers un relèvement au long terme D’abord, dans l’urgence, lorsque l’on parle de durabilité, il semblerait qu’on évoque avant tout autre paramètre, l’aspect long terme du relèvement. La mission mise en place par l’aide humanitaire doit être durable, c’est-à-dire profiter à la population démunie pour une long période, dans l’objectif d’améliorer la situation de la zone touchée définitivement. Prenons l’exemple de la reconstruction à la suite du tsunami qui a dévasté l’Asie du sud-est en 2004, au lourd bilan humain et matériel : 230 000 morts et plus d’ 1 500 000 sans-abri. L’ampleur de la catastrophe est immense, tout comme les besoins de relogement. Par exemple, dans la seule province d’Aceh (57000 km²), il est nécessaire de bâtir 120 000 nouvelles maisons et d’en réhabiliter 150 000. On est dans le cadre d’une reconstruction de masse où il faut produire énormément de logement, le plus rapidement possible et avec peu de professionnels qualifiés sur le terrain. Comme on l’a vu, les projets de la Croix-Rouge s’appuient sur des manuels de building guidelines , de directives de construction. A la suite de cette catastrophe, un guide est édité : After the tsunami, sustainable building guidelines for
South-East Asia, par l’UNEP, United Nation Environnement Program et Skat, une organisation Suisse travaillant dans le champ du développement et de l’humanitaire. Ce livret distribué aux chefs de projet de la Croix-Rouge a pour objectif d’améliorer la conception des maisons, en minimisant ses impacts négatifs. L’enjeu majeur de ces prescriptions est effectivement de mettre en place une reconstruction durable qui consiste à « satisfaire les besoins de la présente génération sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leur propres besoins », dans le but de meilleurs résultats à long terme. Les principes d’une reconstruction durable sont énoncé ici, et tout porte à croire qu’il s’agit d’un, voire du, paramettre essentiel. On retrouve par exemple parmi les plus importants : la participation de la population dans le processus de décision, l’ancrage du projet dans le contexte local, la reprise des principes de l’architecture traditionnelle. La reconstruction durable ne prend pas en compte uniquement la conception des maisons mais aussi la manière dont vont s’implanter les unités sur le territoire, les infrastructures, les espaces verts, etc. puisque ceux-ci ont un impact sur de nombreux facteurs tels la qualité de vie ou les dépenses énergétiques.
51 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
une maçonnerie en parpaings ou briques. La structure est également conçue de manière à pouvoir y ajouter des
52
Icones associés aux cinq typologies de recommandations
A chacune des étapes d’une bonne démarche à suivre est associé une série de recommandations de cinq types : techniques, économiques, environnementales, institutionnelles et sociales. Ainsi pour chacune des phases du projet on voit naitre, parfois une série de schémas, le plus souvent des explications écrites qui vont définir selon les cinq catégories précédentes des prescriptions à respecter.
Exemple de croquis explicitant les recommandations d’une échelle urbain vers une échelle domestique
b. Durabilité environnementale En France, la notion de durabilité est immédiatement associée à celle de développement durable. Ainsi, nous pouvons également nous interroger sur l’impact environnemental de ces opérations massives de reconstruction. Les ONG dont l’objectif est de bâtir en grand nombre sont-elle toujours soucieuses des dégâts d’une construction massive sur le milieu où elles s’implantent ? Est-ce d’une importance quelconque pour la petite échelle des projets de TYIN ? On comprend l’importance de ce paramètre quand on pense à l’ampleur de la tâche à accomplir en Asie du sud-Est. D’innombrables programmes de reconstruction sont mis en place à grande échelle et la demande en matériau de construction est énorme. On imagine bien que l’impact environnemental mal maîtrisé peut entrainer d’immenses dégâts irréversibles : déforestation, pollution des eaux, de l’atmosphère, épuisement des ressources, production excessive de déchets, etc. La typologie de prescription environnementale dans le guide de reconstruction fait particulièrement attention à cette problématique. Le désir est énoncé sans hésiter par Corinne Treherne : « C’est notre contrainte d’avoir ce principe de sustainability, d’un développement durable. » Et dans les enquêtes que réalisent l’organisation à la suite des projets, l’impact de la reconstruction sur l’environnement fait partie des critères examinés dans ces évaluations qualitatives des réponses.
A plus petite échelle, l’impact est indéniablement différent, cependant les préoccupations sont les mêmes. Evoquons le dernier projet en date réalisé par TYIN Tegnestue, un centre de formation à la production de cannelle terminé fin 2011 site sur lequel il intervient. Les arbres fortement présents, transcrivent l’identité du lieu, il leur parait donc important de ne pas les abattre. Ainsi, deux arbres centenaires restent édifiés magistralement au centre du patio et le projet se développe autour, comme un écrin à la nature. Ensuite, les matériaux sont renouvelables et trouvés sur place, ce qui évite toute nuisance environnementale due au transport. Toute la structure du bâtiment, poteaux en Y et poutres, est en bois de cannelier issu de la forêt avoisinante. Dans ces zones tropicales, ce type de bois est disponible à profusion. On le retrouve donc ici en grande quantité et à proximité, double qualité. Les machines permettant le sciage et le rabotage du bois se trouvent in-situ à quelques mètres de la future construction. Aux yeux de tous, le matériau, ressource locale, prend une place primordiale et acquière une richesse. De plus, les briques utilisées pour les murs des différentes cellules en périphérie de la cour sont également produites localement. Chaque élément de la construction est fait main, produit sans polluer, loin des dépenses énergétiques de la production d’objets manufacturés.
Site de la future construction avec les deux arbres centraux
Découpe in-situ des troncs de la forêt voisine
— Photos tirées du blog tenu par TYIN Tegnestue, mis à jour quotidiennement pendant le projet —
c. Durabilité sociale ? Lorsque qu’Andreas Grontvedt poursuit son discours sur la durabilité avec Flore Zanchi, une autre donnée entre en jeu, une autre manière d’envisager cette durabilité, peut-être moins courante : « Actuellement, nous sommes conduits par la mentalité du gaspillage, on achète quelque chose et si cela ne fonctionne pas, on en achète un autre. Le problème réside dans le mot durabilité, il est devenu à la mode. Il ne faut pas mélanger ce que nous appelons la durabilité
publicité avec la réelle durabilité en architecture. Pour nous, le développement durable correspond beaucoup à l’aspect social du projet, parce qu’il a besoin d'être connecté aux rêves des gens et aux visions de la situation locale. Nous préférons utiliser le terme durabilité sociale plutôt que durabilité technique ou énergétique. »
53 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
sur l’île de Sumatra en Indonésie, une région d’où provient 85% de la production mondiale de cannelle. TYIN respecte le
Le projet réalisé en Thaïlande pour la communauté Klong Toe est un bon exemple pour illustrer la durabilité sociale. Cette zone, la plus grande et vieille en termes de logements informels à Bangkok, souffre du manque de services 54
publics, d’éducation, d’assainissement, etc. Le chômage, la violence, la criminalité, le trafic de drogue y sont élevés et affectent le climat social. L’édification d’un terrain de football visant également à être un lieu de rassemblement et d’échanges se veut être un outil pour tenter de résoudre certains problèmes sociaux, dans une stratégie au long terme. La conception et la production, réalisées avec le soutien des acteurs locaux au travers d’interviews, d’ateliers et de réunions publiques, est sans doute une première étape vers une tentative d’union de la société, dans un objectif à long terme.
Site du projet du centre communautaire Klong Toey avant et après réalisation — Photos de Passi Alto disponible en téléchargement sur www.tyinarchitects.com —
Lorsqu’Andreas nous décrit les intentions de ce projet, on comprend que la volonté première est de recréer du lien social : « Je pense qu’en Thaïlande, le sens et la pratique de l'espace public n'est pas dans l'esprit des gens, sans doute parce que le gouvernement ne fait aucun effort pour développer ce type de lieu. Nous avons vraiment voulu faire un endroit où les gens peuvent se rencontrer et interagir d'une manière sociale et pas seulement pour des raisons pratiques ou d'affaires. »
III.
USAGES
Philippe Dehan décrit ainsi ce second référentiel : « l’utilité ne peut se limiter à la réponse au programme. Dans un bâtiment, les fonctions sont plurielles et les usages dépassent la fonction. La qualité d’usage c’est la mesure selon laquelle le bâtiment donne ou pas satisfaction aux usagers dans l’instant, dans la durée et dans la longue durée. » Cette notion d’usage et d’adéquation aux besoins des bénéficiaires dans le contexte de l’urgence apparait plus qu’ailleurs essentielle. Tentons de voir quelles formes elle prend et quelle proportion ce référentiel de qualité revêt dans ces situations particulières.
Une architecture au plus près des besoins 55
a. Concevoir avec et pour Véronique Biau et François Lautier nous avouent que « les profanes […] sont le plus souvent absents des photos d’architecture et pourtant le bâtiment n’aurait de raison d’exister sans eux, comme enseignants et élèves ou médecins et patients tiennent leur existence de leur coprésence. »
64
On en déduit que l’adéquation entre volontés des
utilisateurs et propriétés de l’édifice est absolument nécessaire. On a vu que nos deux acteurs de l’humanitaire usent d’une méthode participative dans la conception de leurs projets, ainsi cette adéquation de la réalisation avec les souhaits des usagers est infaillible. Les décideurs originels, ceux qui ont exprimé leurs volontés pour créer une architecture concluante, sont également ceux qui vont vivre dans les édifices ainsi créés. Comment pourrait-on trouver meilleure cohérence entre désirs et réalité pour ces utilisateurs ? La question de l’usage et de l’adéquation aux besoins pose la question des différents jugements et donc des juges de la qualité. Jean-Michel Léger et Rainier Hoddé dans un texte intitulé Architectures singulières, qualités plurielles s’interrogent sur l’éventuelle domination des futurs usagers : « Le jugement des habitants est-il le jugement dernier ? »
65
Ils expriment l’unicité de chaque opération et la réelle nécessité d’une bonne connaissance des usages et
besoins des habitants pour déterminer la direction à prendre au projet. Nous pensons que dans le domaine particulier étudié, plus que dans tout autre, ce jugement, celui des bénéficiaires est primordial et nous voyons que tout est mis en œuvre pour une réponse efficace aux besoins.
b. Unicité de la réponse La justesse de la conception provient également de l’unicité de celle-ci en fonction du contexte. Si on observe plus en détail l’organigramme des phases successives de déroulement d’un projet par la Croix-Rouge, on se rend compte qu’à chaque étape, les choix se font en fonction du site d’intervention. Après l’analyse du site, le projet se définit relativement au contexte : environnemental, économique, technique, social, culturel et institutionnel, tout comme la conception des logements. Le choix de la forme, des matériaux, des techniques et composant de construction de manière appropriée au climat, à la culture locale, résistant aux risques naturels. Corinne Treherne nous affirme cette vision spécifique de chaque mission : « chaque désastre a sa propre réponse. Tout est contextualisé. On ne va jamais appliquer le copy and paste (Copié-collé). Jamais un design, une réponse ou une approche, à travers différents pays. » 64 65
BIAU, Véronique & LAUTIER, François, dans l’introduction de La qualité architecturale, Acteurs et enjeux, op.cit. p. 19 HODDE, Rainier & LEGER, Jean-Michel, dans Qualité architecturale et innovation, II. Etude de cas , Paris, PUCA, 1999, p.116
QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
1.
2. Une architecture fonctionnelle 56 a. La qualité de vie Daisuke Sugawara, architecte japonais œuvrant dans l’urgence, résume l’objectif d’une reconstruction d’urgence, il prône « l’amélioration de la qualité de vie grâce à des techniques simples. » 66 L’architecture d’urgence, architecture de la simplicité, de la nécessité, attribue au confort une place fondamentale dans la hiérarchie des qualités. Mais la notion de confort prend sans doute un sens différent que celui que nous connaissons en occident. Un toit sécurisé est déjà une situation confortable en comparaison avec la précédente situation précaire.
b. Priorité à l’utile Pour TYIN Tegnestue et Andreas Grontvedt, chaque élément doit exercer une fonction : « Quand tu travailles dans un bidonville, tu dois penser simplement et tous les choix doivent aboutir à des résultats construits qui sont nécessaires, utiles et utilisables. » 67 Et cela se vérifie à l’intérieur comme à l’extérieur des constructions, rien ne semble laissé au hasard. Quand on regarde le plan d’implantation des six maisons que constituent l’extension de l’orphelinat à Noh Bo, on peut imaginer que l’implantation a été déterminée à la suite de choix murement réfléchis et qu’ils n’ont pas été posés comme des objets dans un espace vide. 68 Les espaces extérieurs jouxtant les cabanes ont été dessinés avec soin et des fonctions leur ont été attribuées. De plus, des jeux de niveau décuplent la multiplicité des usages possibles et donnent une spécificité à chaque espace. On retrouve dans les espaces interstitiels, un endroit pour jouer aux échecs à l’ombre d’un grand arbre, des bancs isolés en périphérie pour un peu d’intimité, d’autres réunis autour d’un barbecue pour des moments de partage. Sur les photographies, on remarque l’énergie déployée à créer un sol de qualité. Les chemins d’accès aux entrées des petites maisons ont été recouverts de pavés ou de gravillons agglomérés qui offrent aux enfants un parcours propre tout au long de l’année, même en période de fortes pluies.
66
SUGAWARA, Daisuke, interviewé par Yuna Yagi, dans le dossier Reconstruire face à l’urgence, op. cit. p.88 Traduit de l’anglais sur www.floornature.com 68 Fiche projet en Annexe 67
QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
57
Chemins d’accès et espaces interstitiels entre les maisons papillons en Thaïlande de TYIN Tegnestue — Photos de Pasi Aalto disponible en téléchargement sur www.tyinarchitects.com —
c. L’utile, une qualité sociale ? On peut mettre en parallèle la démarche de TYIN avec les réflexions sur la stratégie des entre-deux de Carin Smuts, architecte sud-africaine, désireuse de participer au développement des quartiers défavorisés de son pays. Dernièrement, l’Architecture d’Aujourd’hui consacre à cette femme engagée sont dossier principal. Carin nous livre sa philosophie : « Si l’on en revient aux traditions, où que l’on soit dans le monde, on observe que les interactions sociales se déploient dans les entre-deux. Dans les villages traditionnels sud-africains, par exemple, les habitants dormaient dans des huttes mais toutes les autres activités se trouvaient en dehors, entre les huttes. On peut faire la même constatation avec les formes d’habitat spontané : l’activité se déploie en dehors des cabanes, car à l’intérieur on ne fait qu’y dormir, c’est trop exigu.» 69 Par ses projets elle tente de répondre à une question « Comment favorise-t-on l’interaction sociale par l’architecture ? La réponse se trouve notamment dans ces entre-deux, qui constituent un lieu d’échange naturel. » Comme on l’observa avec TYIN, les fonctions et divers usages sont envisagés dès la conception. Ainsi usage et relation sociale semblent intimement liées. Revenons au centre de formation Cassia Coop. Au travers du blog mis à jour régulièrement pendant le projet, nous comprenons que dès le début l’intention est d’insister sur le facteur social. Ce centre de formation semble être un espace favorable à l’interaction entre les différents acteurs de la chaîne de production de la cannelle. Dans la géométrie du projet, cette idée principale prend la forme d’un patio central. Il s’agit d’un entre-deux, entre intérieur et extérieur, entre chacun des programmes du projet. C’est un espace social, un lieu d’interaction, de conversation à usages multiples. La qualité sociale, issue de cette multiplicité d’usage, semble être primordiale. 69
SMUTS, Carin dans le dossier Carin Smuts, Energy and people, L’Architecture d’Aujourd’hui, Paris, Mars-Avril 2013, n°394, p. 22-49
d. Au-delà du fonctionnel : le jeu 58 Le rêve, la poésie, sont deux éléments qui vont permettre aux différents concepteurs de dépasser la simple résolution technique et fonctionnelle d’un projet. TYIN envisage l’option d’une construction ludique comme un élément principal de reconstruction. Ces considérations qui peuvent paraitre secondaires ou futiles s’avèrent être une source de vitalité, de renaissance. Ayant pour mission de trouver une solution d’hébergement à des enfants, TYIN conçoit, dans son projet d’extension d’orphelinat, de petites unités construites en bambou, à l’image de petites cabanes. Au regard de la production, on imagine qu’ils concentrent leur conception à créer un monde adapté à l’enfant, à la fois une aire fonctionnelle à vivre mais aussi et surtout une aire de jeux. Beaucoup d’activités sont permise par la structure au gré de l’imagination des enfants. Ils peuvent par exemple grimper à l’intérieur, jouer ensemble, se créer des scénarios ou se parler à travers les tubes de bambou. Pour rendre leur cabane encore plus ludique, ils décident d’ajouter à l’extérieur une planche de bois maintenue par des rondins, pendue à la structure du toit, pour que les petits puissent faire de la balançoire. Bien plus qu’une description technique ou matérielle, ce sont ces informations qui sont transcrites sur le dessin de la coupe transversale du pavillon, témoignant de l’importance de ce paramètre dans la conception des architectes. 70
Une architecture conçue pour jouer, une source de vitalité — Photos de Pasi Aalto disponible en téléchargement sur www.tyinarchitects.com —
TYIN transcende le projet par une plus-value ludique. Donner le sourire aux enfants fait également partie de la démarche d’élaboration d’un projet en d’architecture d’urgence. 70
Document sur la fiche de projet en Annexe
Dans la continuité de cette priorité donnée à l’usage, les architectures proposées dans l’urgence sont souvent appropriables, adaptables, dans le but de pouvoir se transformer en fonction de chacun et de l’évolution des besoins. a. Appropriable avant la construction On remarque que l’architecture est appropriable dès la phase de conception grâce à la conception participative. Grâce au dialogue créé avec le futur habitant, l’appropriation du logement se fait bien avant qu’il en prenne possession et qu’il s’y installe. Lors de la mise en place du prototype par exemple, la visualisation en volume du projet leur permet déjà d’imaginer comment ils pourront l’investir, comment ils pourront l’adapter à leur typologie familiale, à leur mode spécifique de vie, à leurs activités, etc. La conception leur appartient, le projet leur appartient, et ceci dès l’esquisse. Ainsi, ils se projettent déjà dans leur futur logement avant même qu’il ne soit bâti. b. Appropriable après la construction De plus, on voit également qu’une fois la construction officiellement terminée par l’encadrement de l’aide humanitaire, une part de liberté est laissée au futur propriétaire. Comme on l’a vu avec l’architecture transitionnelle, le nécessaire sécurisé est fourni, de manière identique pour chacun, mais la construction est ensuite appropriable par les différents habitants. Corinne Treherne voit naître différentes appropriations à ses maisons Vietnamiennes, des adaptations qui avaient été envisagées dès la conception mais aussi d’autres plus inopinées.
IV.
FORMES
Philippe Dehan décrit ainsi ce troisième et dernier référentiel : « les qualités formelles de l’objet architectural ne sont pas absolues. Contrairement aux photos des revues d’architecture, on ne voit pas un bâtiment comme un tableau sur une cimaise. Les formes s’appréhendent de manière dynamique, dans le mouvement, dans l’usage, et la relation avec le contexte. C’est pourquoi les formes doivent être jugées sous différents angles : urbain, spatial et esthétique. » Voyons l’importance de ce paramètre et son devenir dans l’urgence.
71
Selon le sens attribué à « ouverture » par Umberto ECO dans L’œuvre ouverte, Paris, Editions du seuil, 1979
59 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
3. Une architecture ouverte 71
1.
Quelle place pour la qualité formelle ?
60
a. L’apparence, perception d’une première qualité architecturale ? La qualité esthétique est sans doute le paramètre qui vient en premier à l’esprit lorsqu’on évoque nous évoque la notion de qualité architecturale. Notre première relation avec une architecture passe par le regard et l’observation : de loin, elle s’édifie devant nous. Caroline Lecourtois, chercheur à l’école d’architecture de Paris La Villette, dans un texte intitulé Quelles qualités pour
l'espace architectural? nous montre que l'aspect esthétique, l'apparence est la première appréhension qui s'offre à nous donc qu'elle va participer à l'élaboration de la qualité. « Il n’en est pas moins vrai qu’avant qu’on la perçoive, l’architecture s’offre à notre regard, s’exposant à nos yeux sous ses apparences et ambiances, ancrant sa première appréhension dans le champ de l’esthétisme. » 72 Nous comprenons donc ensuite que la qualité est une notion relative aux sens, à la perception de chacun, qu'il s'agit d'un jugement qui va donc dépendre de la personne qui reçoit, qui perçoit. La qualité va donc être perçue de manière différente en fonction du vécu de chacun, de sa personnalité, de sa culture. « Le débat collectif s’engage ou se poursuit ; expert et commission peuvent avoir du mal à anticiper de façon critique les projets de plus en plus complexes et de plus en plus péremptoires, sachant que leur expertise technique sera de peu de poids lorsqu’on lui opposera l’esthétique architecturale, ou plutôt son substitut éthiquement correct, la qualité architecturale. » 73 Nous voyons bien que nous ne pouvons pas parler de qualité sans aborder la notion d’esthétique qui apparait comme primordiale, voire dominante.
b. Qualité formelle et urgence Mais qu’en est-il de cet esthétisme dans les situations d’urgence quand l’objectif premier et de sauver des vies ? Y a-t-il du temps pour ça ? Est-ce toujours une caractéristique aussi primordiale à prendre en compte ou peut-on se passer de ce facteur ? Les articles détaillant des réalisations dans l’urgence évoquent ces questionnements et semblent unanimes quant à ces interrogations. Une fois encore, comme dans tout autre contexte, ce paramètre esthétique parait essentiel. Olivier Namias est clair : « Valable dans le Nord comme le Sud, cette architecture n’entend pas sacrifier l’esthétique à l’économie. » 74 Les financements réduits n’empêchent pas de produire une belle architecture.
72
LECOURTOIS, Caroline, Dans Qualité architecturale et innovation, I. Méthode d'évaluation , op. cit, p.76 HODDE, Rainier, dans l’introduction de Qualités architecturales, conceptions, significations, positions , op. cit., p.14 74 NAMIAS, Olivier, De l’urgence au développement, Ecologik, Paris, juin/juillet 2008, n°3, p. 60-65 73
Au Sri-Lanka, dans la reconstruction post-tsunami, Shigeru Ban met en place une stratégie particulière celle de « la beauté contre la tragédie. » 75 Dans l’objectif de relever la population touchée, il apparait important aux yeux du premières de Ban sont d’apporter une résonnance esthétique au projet, apportant fierté à la population. Cependant la notion va prendre des caractéristiques particulières dans ce contexte singulier. Florence Sarano dans
Construire ailleurs émet cette hypothèse : « Là-bas, imaginer autrement, c’est aussi créer une esthétique différente : celle de la sensualité de la terre rouge, de l’ombre des bambous, de la courbe du pneu coupé en deux et qui devient gouttière, de l’empreinte des mains qui ont construit généreusement ce mur si charnel. […] Ce ne sera pas l’esthétique de la boite lisse industrialisée et parachutée ni celle de l’assemblage hétéroclite en matériaux récupérés mais celle de la danse collective qui forme, au rythme des pieds, la terre du plancher ou celle du souvenir commun de ce même geste précis, effectué par tous, assis au sol pour découper les lanières de bambou. » L’esthétique est bien présente mais va naître de facteurs différents, spécifiques aux contextes et modes de production. L’apparence formelle ne semble cependant pas une priorité. Andreas Grontvedt confie à Flore Zanchi son point de vue quant à cette question. La notion d’esthétique devient, à ses yeux, presque superflue, contingente. « Dans notre esprit, l’esthétique n'est pas un élément nécessaire pour rendre nos projets durables parce que nous croyons en des projets qui aident les personnes à interagir, dans un sens social. On espère pouvoir trouver une sorte d'esthétique universelle qui consisterait à rendre plus facile les projets des gens qui vivent dans la région. » 76 L’objectif esthétique de la construction n’est peut-être pas une priorité mais il n’en est pas moins un élément de réflexion pour TYIN. Voyons ce qu’il en est réellement de cette problématique dans leurs projets.
2. Une esthétique du low-cost a. Esthétique contextualisée Andreas Grontvedt ajoute : « Je pense que l'arrogance occidental typique que nous avons, c'est de croire que la culture, l'art et l'esthétique sont réservés exclusivement pour l'élite. » 77 Ainsi, TYIN prône la richesse de chacun des peuples, de chacune des communautés quel que soit leur implantation géographique ou leurs ressources. Chacun possède dans ses racines une typologie artistique et esthétique qui lui est propre. Ils se donnent pour mission de la magnifier. Ils réussissent chaque fois à tirer parti du local pour proposer une esthétique propre au site, à son histoire, à ses coutumes. 75
NANTOIS, Fréderic, Shigeru Ban, la beauté contre la tragédie , dans le dossier L’engagement humanitaire par l’architecture , op. cit. p. 50 Traduit de l’anglais sur www.floornature.com 77 Traduit de l’anglais sur www.floornature.com 76
61 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
professionnel d’édifier une belle architecture. En plus de nouvelles qualités spatiales ou d’usage, les intentions
L’esthétique provient donc de l’unicité des projets réalisés. D’une part parce qu’ils sont pensés in situ donc spécifiquement en fonction de l’environnement et de ses caractéristiques géographiques, sociales, économiques, de 62
ses ressources, de ses coutumes, etc. D'autre part et surtout parce qu’à l’intérieur de chaque projet, chacun des éléments produits est unique, différent de tout autre, avec les qualités et les défauts d’un produit fait main. Chaque pièce du puzzle est exceptionnelle, bien loin des éléments conçus en série par l’industrie, tous exactement identiques. L’unicité et la beauté du travail fourni par les artisans participent à développer une esthétique. Cette esthétique est identitaire, reflet de la culture locale, loin d’un développement uniformisé.
b. Esthétique issue du matériau « L’architecte doit tirer de la matière première une esthétique qui apporte du sens. » 78 Tel est le point de vue de MarieHélène Contal quant à la manière de produire une esthétique pour TYIN Tegnestue. L’organisation humanitaire a à cœur d’utiliser les matériaux offerts sur place. En Thaïlande, pour les maisons Soe Ker Tie, ils mettent en œuvre le bambou. Sa vitesse de croissance spectaculaire, pouvant aller jusqu’à un mètre par jour dans ce climat favorable, rend cette ressource inépuisable, durable, nécessitant très peu d’énergie et d’argent pour son transport et son utilisation dans la construction. La tige principale est riche en silice, ce qui la rend très dure. Le bambou est donc connu pour ses propriétés de résistance, qui vont parfois au-delà de celle de l’acier. Ses fibres longitudinales et sa structure creuse ponctuée par des nœuds pleins, lui permettent de résister aux différents types d’efforts que ce soit en compression, traction ou flambement. Ce matériau peut donc être utilisé pour la structure des bâtiments, indifféremment en tant que poutre ou poteau. Il est également mise en œuvre pour le remplissage des parois grâce au tressage ou pour l’assemblage par ligature. Les architectes de TYIN réussissent à tirer parti de ce matériau aux nombreuses caractéristiques de qualité. Issus, en Norvège, d’une culture constructive largement orientée sur le bois, ils ont acquis la capacité à réfléchir rapidement une fois sur place avec les données locales. C’est grâce à cette mise en œuvre particulière et variée que TYIN parvient à mettre en place une esthétique. Une esthétique issue du matériau, de sa transformation, de son appropriation. Si on observe avec quelle manière le remplissage des parois est opéré, on note la juxtaposition de divers assemblages de bambous sectionnés différemment. Par exemple, sur un même pan de mur, on observe jusqu’à quatre remplissages différents, de longues bandes régulièrement horizontales et verticales formant un tressage dense, d’autres à majorité horizontale créant un tressage laissant entrer plus de lumière, des bambous encore entier simplement accolés empilés les uns sur les autres et enfin des sections circulaires de bambou adjointes offrant un arrangement très perforé.
78
http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_3100
QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
63
Diversité de la mise en œuvre du bambou pour le remplissage des parois des cabanes papillon — Photos de Pasi Aalto disponible en téléchargement sur www.tyinarchitects.com —
Le même soin quant aux matériaux et à leur mise en œuvre est pris dans le centre de formation Cassia Coop. Sur leur blog, ils postent le 25 août 2011 un article intitulé Une palette de matériaux limitée, mais belle… 79 Aucun texte, simplement une succession d’images. Parlant d’elles-mêmes, elles ne nécessitent pour eux aucun commentaire. On y retrouve le bois de cannellier, ainsi que son écorce, la brique et la pierre locale, enfin le tissage traditionnel en feuille de palmier.
Beauté des matériaux disponibles sur place — Photos tirées su blog du projet Cassia Coop —
A la beauté issue directement du matériau et de sa pureté, s’ajoutent des objets réellement décoratifs comme par exemple les cadres remplis de bâtons de cannelle sur la façade principale face à la rue et au lac de Kerinci. Semblant peut être superflu dans une urgence au développement, ils sont un élément de plus qui révèle l’identité du lieu, lui offre une valeur ajoutée, une beauté, pour finalement quelques dollars de plus.
79
http://www.tyintegnestue.no/sumatra/
64
Cadres remplis de bâtons de cannelle arrangés de manière différente créant des ouvertures plus ou moins opaque dans le mur — Photos de Pasi Aalto disponible en téléchargement sur www.tyinarchitects.com —
Observons rapidement ces mêmes préoccupations, dans un contexte différent, en Norvège. Dans une attitude une nouvelle fois durable, ils ont choisi de ne pas démolir l’ancien bâtiment alors en très mauvais état, souhaitant tirer parti de la carcasse. 80 Ce baraquement est lié à l’histoire et aux traditions du pays, où la pêche était autrefois une des ressources économiques principales. On peut imaginer au regard de leur philosophie que c’est pour cette raison qu’ils n’ont pas souhaité le détruire. On retrouve également dans ce contexte le soin apporté aux matériaux et à leurs techniques de mise en œuvre. Le bois qui servait au remplissage des façades a été retiré pour n’avoir plus qu’un squelette puis il a été réutilisé, remis en œuvre d’une autre manière. On le retrouve par exemple en bardage intérieur. Dans d’autre cas, il a servi à coffrer le béton. Dans un site quasi désertique et très mal desservi, le recyclage des matériaux est une bonne option, une fois encore. On retrouve également la mise en place d’un travail in-situ. Le bois est découpé sur place pour s’adapter au mieux au site montagneux irrégulier.
c. Esthétique spatiale La lumière du soleil qui traverse les différentes textures de bambou des cabanes papillons est filtrée de manière variée et projette donc de nombreux motifs d’ombres sur les parois intérieures. Le mur devient un élément de grande qualité. Un élément de transition entre l’intérieur, l’abri, et son environnement. Il est une limite protégeant de l’extérieur mais il doit aussi offrir la possibilité d’être une ouverture mettant en relation avec la vie autour, afin de ne pas être qu’un lieu de replis. Il permet de « laisser passer le regard pour surveiller les autres enfants du groupe, chuchoter d’une unité à l’autre, se passer un objet, ressentir l’air sur sa peau, glisser sa jeune main dans le tube pour saisir celle de l’autre : autant de limites habitées. » 81 80 81
Fiche projet en annexe TYIN Tegnestue dans la description des maisons Soe Ker Tie, Construire Ailleurs, op.cit.
Le bâtiment, par le fait d’édifier un nouvel élément dans un paysage, transforme l’environnement et transforme également notre rapport au monde. La fenêtre laisse passer le regard vers l’extérieur et donne à voir cet et enrichir la relation entre le dedans et le dehors. La paroi n’est plus une simple cloison qui enclot l’espace mais un filtre d’une grande richesse. Nous retrouvons ici la qualité formelle urbaine et spatiale qu’évoque Philippe Dehan. La construction d’un bâtiment provoque inévitablement l’édification d’un nouvel élément de paysage qui transforme nos rapports à l’environnement. Au-delà de l’esthétique, la qualité formelle par cette poésie qui s’instaure entre intérieur et extérieur est bien présente dans ce projet. Yashar Hanstad dans le catalogue de l’exposition Construire Ailleurs décrit à sa façon et de belle manière cet aspect formel de la qualité : « le projet d’architecture est un processus de transformation du contact brutal avec la réalité. »
d. Esthétique et usages, deux facteurs indissociables ? Les différentes textures obtenues oscillent entre réponses pragmatiques, solutions techniques et volontés esthétiques. Le maillage très serré protège de la pluie, l’assemblage de section ronde ventile efficacement la pièce, le maillage plus lâche laisse entrer plus de lumière tout en jouant le rôle de pare-soleil, conservant une température raisonnable à l’intérieur. On voit ainsi qu’il est difficile de dissocier qualité esthétique et usages. Les belles photos que nous découvrions en première partie dans l’article d’Olivier Namias Une autre Thaïlande sont un moyen de communiquer la production d’une architecture de qualité mais nous prenons bien conscience que l’esthétique est loin d’être l’unique qualité.
Images qui communiquent le projet des maisons papillon dans le reportage d’Olivier Namias Une autre Thaïlande
65 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
environnement, parfois dévastateur. Pouvoir y glisser la tête, le buste, un membre, va offrir d’autres usages possibles
3. Quels rapports à l’architecture traditionnelle ? 66 En ce qui concerne les rapports qu’entretiennent les nouvelles constructions avec l’architecture traditionnelle, TYIN Tegnestue et la Croix-Rouge semblent posséder deux philosophies complétement différentes.
a. Reproduire l’architecture traditionnelle Prenons pour exemple une reconstruction menée à la suite du séisme ravageur de janvier 2010 en Haïti, que l’on retrouve dans le livret intitulé Shelter Projet 2010 compilant les principaux programmes d’hébergement d’urgence mis en place par la Croix-Rouge cette année-là. Pour revenir brièvement sur le contexte, rappelons qu’Haïti est un pays très pauvre, dont plus de 70% de la population vit avec moins de deux dollars par jour. Les quartiers y sont surpeuplés et l’accès aux services vitaux difficiles. Dans les premier mois qui ont suivi le séisme, les organisations humanitaires, présentes en grand nombre, sont parvenues à fournir à quasiment chacun des sinistrés un abri d’urgence protégeant de la pluie et du soleil. Ensuite, au fur et à mesure du déblaiement des décombres, de nombreux projets de logements plus durables se sont mis en place. Analysons une de ces reconstructions pérennes. Après le séisme, les maisons en bois, construites avec une technique traditionnelle spécifique à Haïti, ont beaucoup mieux résisté à la catastrophe que celles en structure béton. De plus, même si l’édifice s’est effondré, les blessures causées sont beaucoup moins lourdes. Le projet né d’une approche participative qui dure une dizaine de jours. La phase de dialogue entre la population et les membres de la Croix-Rouge a pour but de comprendre le mode de vie de la communauté touchée visant à comprendre les activités quotidiennes de chaque membre de la famille. A ces orientations s’ajoutent l’analyse des techniques traditionnelles. Ces savoir-faire, apparemment efficaces face aux catastrophes, sont un réel atout. Bien connu de la population, ils seront faciles et rapides à mettre en œuvre. Cette technique ancestrale est celle du Kay-Klisé : un tressage typiquement haïtien de lattes de bois. Le remaniement principal de l’habitat traditionnel consiste à changer la matière première du tissage pour une meilleure résistance. Du pin traité sous pression remplace le bois que les haïtiens pouvaient trouver sur place. Cette matière première n’est pas disponible en Haïti, il est donc nécessaire de l’importer. Une fois préfabriqués, les panneaux sont transportés sur le site puis assemblés par boulonnage, préféré au cloutage habituel. De la même manière, la tôle traditionnelle assurant l’étanchéité de la toiture a été mise de côté au profit de tôles ondulées bitumineuses, choisies pour leurs propriétés thermiques et de résistance. Nous remarquons ainsi que la philosophie liée au matériau est bien différente de celle de TYIN Tegnestue.
QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
67
Assemblage de panneaux préfabriqués issus de la technique traditionnelle — Images tirées du guide Shelter Project 2010 —
Outre des matériaux plus résistants, de manière globale, la forme de la nouvelle construction est très similaire formellement à la maison dans laquelle pouvaient vivre les habitants avant le sinistre : surface, proportion, hauteur sous plafond, forme de la charpente, place des ouvertures, terrasses couverte, etc.
Reconstruction de logement en Haïti à la suite du séisme sur le modèle du local — Images tirées du guide Shelter Project 2010 —
En abordant avec Corinne Treherne la question de l’esthétique de la construction et de son aspect formel, la réponse semble évidente. « Bien sûr, si les gens ont l’habitude d’avoir un toit deux pentes, on ne va pas faire un toit à une pente, on va faire un toit à deux pentes. Mais de toute façon, cette forme, cette typologie architecturale, elle est traditionnelle, issue d’un contexte climatique et culturel. » 82 On comprend bien que la similitude avec la typologie spécifique au
82
TREHERNE, Corinne, dans l’entretien réalisé le 26 février 2013
contexte est un paramètre important de la démarche de la Croix-Rouge. La volonté de cette organisation est de collé au plus près de l’apparence de l’architecture locale puisqu’elle ne s’est pas établie de manière anodine. A la suite de 68
l’analyse du contexte local, et des traditions de la zone touchée, selon elle, « bien souvent, la meilleure réponse est de reproduire ce que les gens ont perdu. » En comparant les deux images de manière plus précise, on remarque que la nouvelle construction est surélevée de plusieurs dizaines de centimètres, sans doute dans le but de prévenir des éventuelles inondations. Avant, les pierres au pied de la façade semblaient empêcher l’eau de pénétrer à l’intérieur du logement. La nouvelle solution parait plus efficace. De même, la partie haute des murs pignons est ajourée, on peut imaginer que cela permet à l’air de circuler et donc de ventiler naturellement le logement. « Ce n’est pas importer une réponse, ou une technologie, c’est bien se rendre compte de ce que les gens faisaient par le passé, en éventuellement l’améliorant, mais en gardant en tête que c’est cette dimension de réduction des risques qui peut être un des vecteurs d’amélioration de la réponse » ajoute Corinne Treherne. Donc, si évolution du modèle local il y a, il s’agit d’améliorations techniques qui ne transforment que très légèrement la forme de l’architecture traditionnelle.
b. Revisiter l’architecture traditionnelle La démarche et la philosophie de TYIN Tegnestue à ce sujet est bien différente. Nous avons vu qu’ils réutilisent les matériaux locaux mais également qu’ils réinterprètent leur mise en œuvre. De la même manière, ils n’hésitent pas à revisiter l’aspect formel de la construction traditionnelle pour lui donner une esthétique nouvelle.
Maison et tissage en bambou traditionnels de la région Noh Bo en Thaïlande — Images tirées de www.pattaya-location-beach-front.com —
Reprenons, à travers l’exemple des maisons Soe Ker Tie, la question de la forme du toit, évoquée plus tôt par Corine Treherne. L’habitat spécifique à la région de Bangkok en Thaïlande, possède un toit à double pente auquel vient abris conçus par TYIN, on peut affirmer que l’objectif n’a pas été de se calquer sur le modèle local. La géométrie est complétement réinterprétée. Un pan unique, en légère pente vient couvrir le clos du logement, un second avec une inclinaison plus marquée sert d’auvent à la séquence d’entrée. Cette forme particulière favorise la ventilation naturelle. Elle permet également la récolte et le stockage des eaux de pluie. Cette nouvelle caractéristique est un avantage notable, puisque la région est confrontée au problème du manque d’eau pendant la saison sèche. On peut imaginer que le changement de matériau, d’une matière végétale vers la tôle métallique s’est pensé dans un souci d’efficacité d’écoulement des eaux. De plus, les habitants surnomment ces cabanes les maisons papillons. Ce toit possède ainsi la qualité de donner une forme et donc une identité particulière au projet.
Vue globale d’une maison papillon — Photo de Pasi Aalto disponible en téléchargement sur www.tyinarchitects.com —
TYIN n’a pas peur de choquer en intervenant de manière décalée avec l’architecture traditionnelle. Ils n’ont pas peur non plus d’imaginer que les populations puissent s’adapter à de nouvelles formes. Ils semblent même oser penser qu’ils puissent faire évoluer les traditions. « Dépasser l’héritage » 83, cette belle formulation est introduite par Marie-Hélène Contal pour évoquer la philosophie des projets de TYIN. Portant une très grande attention aux techniques de construction traditionnelles héritées de génération en génération, ils interviennent dans l’objectif de montrer la qualité de ces techniques, de les faire continuer à vivre et de les préférer aux techniques importées. Cependant, au-delà d’une simple copie, ils tentent de retravailler, d’améliorer, de réinterpréter ces savoir-faire locaux pour les transcender.
83
www.lecourrierdelarchitecte.com/article_3100
69 QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE
éventuellement s’ajouter un troisième pan, abritant une partie extérieure. En observant la forme que prend le toit des
70
CONCLUSION
L’architecture telle que nous l’avons étudiée, pourrait être qualifiée, sans jugement négatif, d’architecture pour les
pauvres. Puisqu’elle s’édifie dans un contexte de crise, où les priorités sont ailleurs, il semblait difficile pour elle de se légitimer. Et envisager sa qualité paraissait utopiste. Remettre cette idée en question s’est avéré captivant, car à l’encontre des préjugés. Qui peut désormais nier que les productions dans l’urgence sont dotées de grandes qualités architecturales ? Les deux grandes questions constituant notre problématique : quelle place attribue-t-on à la qualité architecturale dans l’urgence ? Et quelles sont les démarches dans le processus de conception qui permettent d’y parvenir ? ont trouvé des éléments de réponse. Pour y parvenir, nous avons démontré que la qualité produite est effectivement liée aux spécificités du processus de conception. L’étude des méthodes d’élaboration d’un projet pour la Croix-Rouge et pour TYIN Tegnestue permettent de mettre en avant l’effacement des limites entre les rôles des différents acteurs. Architecte-bâtisseur, bénéficiaireconcepteur, de nouvelles casquettes permettent un échange de connaissance efficace et évitent une perte de qualité au fil des étapes du projet. Par ce processus, caractéristique de l’urgence, nous assistons ainsi à la naissance d’une réelle œuvre collective, loin de la toute-puissance de la création de l’architecte occidental. Il est important de prendre conscience que seule la population touchée à le pouvoir de se reconstruire. L’aide extérieure soulage les blessures et offre un élan. Le rôle de l’architecte est de permettre à la population de mesurer la richesse de sa culture, remise en question à la suite d’un désastre. Les financements extérieurs, moteur qui impulse le processus de reconstruction, combiné à l’enseignement d’instructions de sécurité, leur offre les perspectives d’un futur plus sûr. Il apparait donc important que l’architecte soit discret pendant la phase de conception et laisse la main mise sur le projet aux populations, aux futurs propriétaires. Un projet à long terme est le meilleur moyen de reprendre confiance en l’avenir. Nous nous interrogions sur l’identité de l’architecte dans ce contexte et sur sa marge de manœuvre dans la conception. Etait-ce primordial ? Les problématiques évoquées sont finalement bien loin de ces questionnements et le contexte semble trop fort et complétement inapproprié pour faire émerger l’identité de l’architecte dans les productions, ses
thèmes architecturaux comme les dénomme Michel Conan. Bien que ces considérations apparaissent désormais futiles, on peut cependant observer l’empreinte de TYIN Tegnestue au travers de ses différentes réalisations. Norvégiens, ils ont acquis par leurs traditions et au cours de leur formation une grande culture constructive du bois. Qu’ils travaillent dans leur pays d’origine ou à l’autre bout du monde pour une communauté pauvre, chaque fois ils anoblissent le
CONCLUSION
71
matériau. Ils travaillent avec respect le bois et attribuent beaucoup de soin à sa mise en œuvre. Cette délicatesse pour le produit est remarquable et identitaire dans chacune de leur production. Cependant, leur raisonnement reste adapté 72
spécifiquement au contexte. Au-delà du processus particulier permettant la conception puis la production de qualité, nous avons également vu concrètement comment nous pouvions caractériser ces qualités. Au regard des points de vue des chercheurs, la définition de la qualité architecturale n’est facile à donner pour personne. La position de Philippe Dehan, schématique et efficace, permet de bien cerner la question au travers de trois critères ; pérennité, usage, forme. Nous réalisons cependant que ces trois facteurs, étudiés indépendamment, sont finalement indissociables. Les décisions prises pendant la conception, menant à une production de qualité, ont bien été régi par cette trilogie simultanément, et non séparément. Les deux exemples, ainsi qu’une multitude non citée, confirment que la pérennité de l’architecture est un facteur essentiel de reconstruction. La perspective d’avenir est un enjeu primordial, redonnant confiance et espoir à la population. Le projet au long cours doit laisser des traces, des enseignements. Il doit permettre aux populations de bien prendre conscience des problématiques de leur région et donc des processus de fabrication du bâti qui en découlent, notamment en terme de sécurité. Les apports ne sont pas uniquement techniques, ils sont aussi sociaux. Les architectes laissent derrière eux de nouvelles techniques d’assemblage mais aussi la croyance en la force de la communauté dans la perspective de nouveaux projets. Ensuite, comme nous pouvions l’envisager le facteur fonctionnel est une qualité essentielle dans l’urgence dont doivent être dotées les constructions. La qualité d’usage, améliorant la qualité de vie, est primordiale. Mais ce désir fonctionnel, d’adéquation au besoin va également bien au-delà. Le sourire des enfants thaïlandais en est la preuve. Enfin, l’aspect formel, est bien, lui aussi, un critère fondamental dans l’urgence, comme dans tout autre contexte plus
classique. Les architectes ont bien conscience qu’ils édifient un nouvel élément de paysage et ont à cœur de créer du beau. Posséder un beau logement ou un beau centre communautaire offre une fierté à l’habitant se projetant plus facilement vers l’avenir. L’esthétique nait de plusieurs façons, très souvent de la relation de l’architecture à l’environnement et de son adéquation avec le contexte, par la mise en valeur de la terre locale, de ses matériaux, savoir-faire et main d’œuvre. Au-delà de la diversité des problématiques abordées, nos deux exemples, par comparaison, ont permis de révéler de nombreux contrastes dans les philosophies et démarches. L’objectif du nombre lors d’une reconstruction en masse entraine indéniablement un processus de conception particulier. 10.000 logements ou six petites maisons ne peuvent
s’édifier par une même méthode et les qualités ainsi produites prennent inévitablement des formes différentes. Dans un projet à plus petite échelle, les concepteurs s’attachent davantage aux détails. Par exemple, TYIN apporte une plus-value ludique dans la construction des cabanes papillon et soigne particulièrement le traitement des espaces d’entre-deux, offrant une multiplicité d’usages. La Croix-Rouge dessine des plans urbains pour structurer une nouvelle portion de ville mais, de par l’ampleur du projet, il est impossible de penser chaque espace interstitiel. La reconstruction en masse transforme également la manière d’appréhender formellement l’architecture. L’un se calque sur la tradition locale et apporte une plus-value technique, l’autre tente de dépasser l’héritage pour transcender la forme traditionnelle. Ensuite, on a vu que la qualité demeure dans l’unicité, dans l’artisanat, la singularité par le travail des mains. Il est forcément plus difficile de retrouver ce paramètre dans la production de la Croix-Rouge, quand la priorité est quantitative. La publication dans les revues d’architecture n’est pas gage de qualité mais son absence semble révéler l’incompatibilité entre masse et innovation. Leurs considérations, surtout d’ordre technique et fonctionnel, ne leur permettent pas de singulariser leur production architecturale, au contraire de TYIN. L’architecture de la Croix-Rouge trouve sa force ailleurs. Sa valeur réside davantage dans la qualité de sa démarche, plus que dans la singularité et la remarquabilité de sa production. L’organisation humanitaire accomplit avec succès sa mission : bâtir beaucoup, en respectant les qualités qu’elle se fixe, avec peu de professionnels sur le terrain. La France, pays privilégié, est moins vulnérable face aux catastrophes naturelles, de par sa localisation géographique et grâce à une politique développée de prévention des risques. Mais n’aurions-nous pas finalement beaucoup à apprendre, dans nos conceptions classiques, de cette architecture d’urgence et de la manière dont elle se met en place ? Ne serait-ce pas des exemples à analyser avec plus d’intérêt ? Nous constatons une perte de qualité dans le processus qui mène à la construction d’un projet classique. Cette discipline au-delà des frontières redéfinit le rôle des acteurs. En effaçant les limites entre le bénéficiaire, l’artisan et l’architecte, chacune des phases semble facilitée et la perte lors du chantier des qualités envisagées pendant la conception apparait réellement moindre. Cette organisation des tâches est-elle impossible à mettre en place dans notre pays ? De plus, la conception participative menée par la population, dont il est inutile de rappeler les propriétés bénéfiques, s’avère d’une grande richesse. Face à l’efficacité de ce processus, il est légitime de s’interroger sur sa rareté dans notre culture ? Et quand est-il en occident de cette vision du low-cost ? Aujourd’hui touché par la crise, n’est-il pas temps de s’intéresser à ce type de méthodes ? En France, lors d’un projet de logement, un budget de 1.200 euros du m² s’avère serré et impose beaucoup de concessions. TYIN, pour le centre de formation à la production de cannelle à Sumatra,
CONCLUSION
73
construit 500 m² avec seulement 30.000 euros, un bâtiment au coût donc de 60 euros par m². Comment aujourd’hui construire en France avec un budget aussi serré ? Difficile de croire que la différence réside uniquement dans le coût 74
de la main d’œuvre. Ils construisent de plus de manière pérenne, et parviennent sans grand discours quant au
développement durable à concevoir une architecture en respect avec son environnement. Ce qu’on observe dans l’urgence n’est-il pas un phénomène avant-gardiste que l’on risque de retrouver dans notre culture d’ici quelques décennies ? On assiste à la naissance d’une nouvelle typologie d’architecture, moins opulente mais plus pertinente. Une architecture où la contrainte financière devient une réelle source d’inspiration, d’innovation. Dans notre course au développement durable et à la basse consommation, loin des appellations BBC ou RT 2012, n’estce pas une réponse écologique simple, s’implantant en respect avec l’environnement ? L’architecture recycle et évite le gaspillage, à mille lieues de notre société de consommation actuelle. Cette pratique différente définit également une esthétique nouvelle. La beauté provient du matériau et de son brutalisme. L’architecture est simple et ne laisse pas de place à l’artifice. La beauté réside dans la sobriété. Elle instaure aussi un retour vers la mémoire du passé en réutilisant et magnifiant les techniques traditionnelles. Elle se veut plus en lien avec l’artisanat, recherchant la beauté dans l’unicité de la production. 84
84
A lire ROCCA, Alessandro, Architecture low cost, low tech : inventions et stratégies, Paris, Actes Sud, 2010
L’architecture d’urgence Ouvrages Architecture for Humanity, Design like you give a damn, architectural responses for human crises , Londres, Thames & Hudson, 2006 Architecture for Humanity, Design like you give a damn [2], building change from the ground up, Londres, Thames & Hudson, 2012 [Sous la direction de] AQUILINO, Marie, Beyond shelter, architecture and human dignity, New-York, Métropolis Book, 2011 COULOMBEL, Patrick, Architectes de l’urgence, un nouveau métier de l’humanitaire, Paris, L’Harmattan, 2007 [Sous la direction de] EYRAUD Thierry & WHITE Jacques, Autour de l’urgence / modules d’habitation, Université de Saint-Etienne, 2007 [Coordinateur] GILI GALFETTI, Gustau, Shigeru Ban, GG portfolio, Barcelone, 1997 [Sous la direction de] SARANO, Florence, TYIN / ANNA HERINGER, Construire Ailleurs – Building elsewhere, Hyères, Ed. Villa Noailles, 2010
L'urgence permanente : compte rendu des rencontres internationales de Venise et Marseille, Marseille, Galerie Encico Navara, 2002
Mémoire de recherche DUCHEMIN, Claire, Architecture humanitaire, appauvrissement ou enrichissement des cultures ?, Marne-la-vallée, 2009 GERARD, Anne, Urgence, Lille, 2009 TREHERNE, Corinne, De la permanence dans l'urgence : pour les populations démunies du Vietnam, Lille, 2005 DELAU, Sophie & MEROU, Sophie, La reconstruction post-tsunami vers un développement au Sri Lanka, Paris La Villette, 2007
Dossiers Généraux AQUILINO Marie & SOULEZ Juliette, Architectes de l'humanitaire, Archistorm, Paris, juillet/août 2010, n°43, p. 68-77 NAMIAS, Olivier, De l’urgence au développement, Ecologik, Paris, juin/juillet 2008, n°3, p. 60-65 NANTOIS, Fréderic, L’engagement humanitaire par l’architecture, D’Architecture, Paris, Novembre 2006, n°159, p. 43-57 SERON-PIERRE, Catherine, Reconstruire face à l'urgence, Le moniteur des travaux publics & du bâtiment, Paris, n°218, oct. 2012, p. 81-91 WIILS, Eric, Architecture to the rescue!, Architect, Angleterre, Septembre 2010, n°9, p. 140-181
75 BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
Articles spécialisés 76
ESTEVEZ, Daniel et FREY, Pierre, Carin Smuts, Energy and people, L’Architecture d’Aujourd’hui, Paris, Mars-Avril 2013, n°394, p. 22-49 HAUWUY, Julie, Entretien avec Patrick Coulombel, L’Architecture d’Aujourd’hui, Paris, Mars-Avril 2012, n°388, p. 162 MERLINO, Carine, Urbanisme de l’urgence, Haïti : reconstruire vite et pour longtemps , Le moniteur, Paris, 17 fév. 2012, n° 5647, p. 22-25 MERCIER, Delphine, Haïti, urgence de la reconstruction, La pierre d'angle, Paris, n°53/54, juillet/août 2010, p. 60-63
Réduire la vulnérabilité – Shigeru Ban « un environnementaliste accidentel » , La pierre d’angle, Paris, octobre 2007, n°45
Publication de TYIN Tegnestue (uniquement en français) CONTAL, Marie-Hélène, Hangar à bateaux à Aure et belvédère de Seljord, Norvège, D’Architecture, Paris, mai 2012, n°208, p.79-83 NAMIAS, Olivier, Une autre Thaïlande, A vivre, Paris, janvier/février 2010, n°52, p. 116-127 LECLERC, David, TYIN Tegnestue, l’acupuncture humanitaire, D’Architecture, Paris, Mai 2011, n°200, p. 50-53 LE BERRE, Marion, Centre de formation à la production de cannelle, L'humain avant tout, Ecologik, Paris, déc./janv. 2013, n°30, p.118-125 Deux bibliothèques en Thaïlande, TYIN Tegnestue Architectes, L’arca International, juillet/août 2011, n°101, p.42-55
Livrets divers Architectes de l’urgence, Architectes de l'urgence = Emergency Architects, Paris, Editions de la fondation, 2006 Croix-Rouge française, Séisme en Haiti, Bilan et regard sur deux ans d’action, Paris, 2012 Fédération Internationale de la Croix-Rouge, Shelter safety handbook, some important information on how to build safer, Genève, 2011 Fédération Internationale de la Croix-Rouge, Transitional shelters, height designs, Genève, 2011 Fédération Internationale de la Croix-Rouge, PASSA, Participatory approach for Safe Shelter Awarness , Genève, 2011 Fédération Internationale de la Croix-Rouge, Post-disaster settlement planning guidelines, Genève, 2012 Fédération Internationale de la Croix-Rouge, UNHCR, UNHABITAT, Shelter project 2010, 2012 Fédération Internationale de la Croix-Rouge, Stratégie 2020, Sauver des vies changer les mentalités , Genève, 2010 Projet Sphere, Standards minimums sur les abris, l’habitat et les articles non alimentaires, 2000 UNEP & SKAT, After the tsunami, sustainable buliding guidelines for south-east Asia, France, 2007
La qualité architecturale
[Sous la direction de] BIAU, Véronique & LAUTIER, François, La qualité architecturale, Acteurs et enjeux, Paris, Ed. de La Villette, 2009 [Sous la direction de] DEHAN, Philippe, Qualité architecturale et innovation, I. Méthode d'évaluation, Paris, PUCA, 1999 [Sous la direction de] DEBARRE, Anne, Qualité architecturale et innovation, II. Etude de cas, Paris, PUCA, 1999
Sujets connexes BRAUMAN, Rony & PORTEVIN, Catherine, Penser dans l’urgence, parcours critique d’un humanitaire, Paris, Editions du Seuil, 2006 CONAN, Michel, Concevoir un projet d’architecture, Paris, L’Harmattan, 1990 D’ERM, Pascal, Vivre ensemble autrement, Paris, Ulmer, 2009 ECO, Uberto, L’œuvre ouverte, Paris, Editions du seuil, 1979 FATHY, Hassan, Construire avec le peuple, Paris, Actes Sud, 1970 HURSLEY Timothy & OPPENHEIMER Andrea, Rural Studio, Samuel Mockbee an architecture of decency, Priceton Architectural Press, 2002 HUYGEN, Jean-François, La poubelle et l’architecte, Vers le réemploi des matériaux, Paris, Actes Sud, 2008 RAPOPORT, Amos, Pour une anthropologie de la maison, Paris, Dunod, 1972 RAPOPORT, Amos, Culture, architecture et design, Paris, Infolio, 2003 ROCCA, Alessandro, Architecture low cost, low tech : inventions et stratégies , Paris, Actes Sud, 2010 RUDOFSKY, Bernard, Architecture sans architectes, Paris, Ed. du Chêne, 1964
BIBLIOGRAPHIE
77 [Sous la direction de] HODDE, Rainier, Qualités architecturales, conceptions, significations, positions , Paris, Jean-Michel Place, 2006
Web 78
Articles cités dans le mémoire CONTAL, Marie-Hélène, Portrait, TYIN, publié le 25-04-2012 sur www.lecourrierdelarchitecte.com MOOREHEAD, Caroline, Les nouveaux humanitaires, publié en octobre 2001, sur www.redcross.int ZANCHI, Flore, Interview, Andreas G. Gjertsen, TYIN Tegnestue Architects, publié le 6-05-2012 sur www.floornature.com
Articles complémentaires ALBERT, Marie-Douce, Patrick Coulombel, architecte là où il y a urgence, publié le 10-03-2010 sur www.lemoniteur.fr DEFRENNES, Marine, Haïti : deux ans après le séisme, la reconstruction est au point mort, publié le 12-01-2012 sur www.terrafemina.com GRUNEWALD, François, Les enseignements de la catastrophe, publié en décembre 2010, disponible sur www.urd.org GRUNEWALD, François, L'argent, l'urgence et la reconstruction, publié en novembre 2000, disponible sur www.urd.org MARTIN, Laetitia, La Croix-Rouge s’est engagée sur la construction de 30.000 abris, publié le 19-05-2010 sur www.croix-rouge.fr TALLES, Olivier, Les ONG se substituent trop à l’état défaillant, publié le 12-01-2011, disponible sur www.urd.org SANDERSON, David, Architects are often the last people needed in disaster reconstruction, publié le 30-03-2010 sur www.guardian.co.uk G, C, Carin Smuts : l’architecture participative récompensée, publié le 29-09-2008, sur www.maisonapart.com
Sites alimentés par nos deux protagonistes www.croix-rouge.fr
www.tyintegnestue.no
www.redcross.int
www.ugandapost.blogspot.fr
www.icrc.org
www.tyintegnestue.blogspot.fr
www.ifrc.org
www.tyinhaiti.com www.tyintegnestue.no/sumatra
Site de certaines organisations humanitaires majeures www.iom.int
www.archi-urgent.com
www.unicef.org
www.architectureforhumanity.org
www.urd.org
www.inhabitat.com
www.authentiqueaventure.com
www.sheltercluster.org
www.emergencyarchitects.org
www.unhcr.org
Documents audio et vidéo Conférence
Haïti demain au lendemain de la catastrophe, 8 février 2010, Paris, Pavillon de l’Arsenal, à revisionner sur www.dailymotion.com Reconstruire en Haïti : deux ans après le séisme, 10 janvier 2012, Paris, Pavillon de l’Arsenal, à revisionner sur www.archi-urgent.com Interview
Président des Architectes de l'urgence au Bellatar show, juin 2009, à revisionner sur www.youtube.com Interview France Inter de Patrick COULOMBEL, 25 octobre 2011, à réécouter sur www.franceinter.fr Reportage
Architectes de l’urgence, février 2010, Arte, Globalmag, à revisionner sur www.youtube.com Reportage au siège de la fondation architecte de l’urgence, 10 janvier 2012, France 3, à revisionner sur www.youtube.com Timelapse de projet
Cassia Coop training center, publié le 16 octobre 2012, sur www.youtube.com, à partir de la Chaine TYINtegnestue Timelapse of Safe Haven Library, publié le 13 juin 2011, sur www.youtube.com, à partir de la Chaine TYINtegnestue Community Lantern Timelapse, publié le 31 mai 2011, sur www.youtube.com, à partir de la Chaine TYINtegnestue
79 BIBLIOGRAPHIE
www.basicinitiative.org
80
ANNEXES
ANNEXES
81
1.
ENTRETIEN
Compte rendu d’entretien avec Corinne Treherne, le 26 février 2013
Vous êtes donc passée par l’école d’architecture de Lille ? Et vous trouvez actuellement à Genève ? La maison mère, le secrétariat général est basé à Genève, pour la Croix Rouge internationale. Je suis issue de l’école d’architecture de Villeneuve d’Ascq, ça m’a un peu amusé de savoir que des étudiants de l’école d’architecture travaillaient sur le sujet. Je suis assez contente, ce n’est pas très courant on va dire. Par contre je ne suis pas très habituée à parler en français alors…
J’ai lu votre mémoire intitulé De la permanence dans l’urgence. Ça fait donc déjà pas mal d’années que vous travaillez dans l’architecture d’urgence à la Croix rouge ? Dans l’humanitaire, oui, depuis 99.
Vous n’avez travaillez que dans l’humanitaire ou vous avez aussi travaillé aussi sur d’autres projets dans un contexte plus classiques ? Avant en fait j’ai travaillé comme chargé d’opérations à la SEM Euralille pendant quatre ans, les quatre premières années d’Euralille j’étais chargée de projet mais je ne faisais pas de la conception je faisais de la maitrise d’ouvrage donc je suis assez peu conception, je suis plutôt programme management. Management projet. Et à la suite de ces années à Euralille donc je m’occupais essentiellement des programmes espaces publics, logements, écoles, et gare, la gare internationale, la gare TGV, et le supermarché Carrefour. J’ai quitté Euralille parce que je voulais travailler à l’étranger, travailler plutôt dans un domaine humanitaire où là j’ai été amenée à aller au Viêt-Nam, j’y suis restée quatre ans, d’où la petite étude que tu as du lire.
C’est à la suite de ces années que vous avez écrit le mémoire ? En fait je suis restée quatre ans au Viêt-Nam, j’ai suivi deux opérations, deux ans au centre Viêt-Nam et deux dans le Mékong dans le sud Viêt-Nam. Et ces années-là donc, j’ai commencé à travailler pour la Croix rouge française.
Votre travail était cette fois plus basé sur la conception ?
On n’utilise pas le terme conception, on utilise le terme projet, programme, ou réponse, réponse à quelque chose. Nous à la croix rouge internationale c’est la réponse aux désastres naturels à ses impacts sur le domaine construit e t notre 82
travail est premièrement de faire une évaluation des besoins en tenant en compte aussi les ressources possibles et en fonction de ça d’établir un projet, un projet qui a pour objectif de réhabiliter, de redresser la situation de rapporter un minimum à la population sinistrée. Donc bien souvent la réponse commence par une réponse d’urgence mais quand on a les moyens on essaie de lier ça à une réponse qui est un peu plus durable qu’on appelle Early recovery et recovery donc plutôt les phases de redressement, qui comprend notamment éventuellement de temps en temps la reconstruction d’un habitat permanent.
Donc dans le mémoire, c’est de l’habitat permanent que vous avez mis en place ? Non, on le considérait comme un abri transitionnel, ou transitoire. Il y a trois données dedans. D’abord, le principe était de donner une réponse dans l’urgence qui correspond bien sûr aux pratiques locales, à la typologie architecturale, etc. etc. En ayant une prise en compte de la réduction des risques pour le futur c’es t à dire l’analyse de l’architecture locale. On avait identifié des carences, des défaillances, des risques potentiels par manque de savoir-faire ou d’absence de technicité. Donc en améliorant dans la conception le dessin pour que celui-ci réduise les risques futurs donc c’est la dimension risk reduction et donc la troisième dimension c’est une réponse d’urgence qui n’est pas vu comme un habitat permanent dans la mesure où là ce que l’on proposait c’est juste un squelette, juste une structure. Par contre la structure permet au bénéficiaire dans le moyen et le long terme par le biais d’aménagements, d’améliorations, de la transformer en habitat permanent. Donc c’est tout le principe qu’on essaie de mettre en place, c’est-à-dire que la conception dans la phase d’urgence essaie d’intégrer la dimension à plus long terme. On considère que la solution doit être plus un processus qu’un produit, un processus qui permet au gens justement de se redresser.
Vous ne considérez donc pas le projet de la même manière que lorsqu’on peut concevoir en France ? Non, quand tu vas utiliser le terme habitat permanent, tu vas considérer que c’est une maison clé en main. C’est une maison dans laquelle tu peux habiter immédiatement dans laquelle, il y a une porte, une fenêtre, dans laquelle tout le clos couvent est intégré c’est ça une maison permanente. C’est ce que les gens avaient avant ils n’avaient pas simplement un squelette ou une structure. Là on ne fournissait que la structure donc considérait que ce n’était pas de l’habitat permanent, mais transitionnel. Ce qui permet justement à la population de passer d’un état à un autre de manière transitoire.
Vous avez un retour par rapport à ce travail ? Vous avez pu avoir des nouvelles de ces constructions et savoir ce qu’elles sont devenues aujourd’hui ? Alors on a fait plusieurs évaluations et notamment des évaluations qu’on a ciblées comme étant des évaluations socioéconomiques. Dans l’ensemble, c’est assez positif. Pour la plupart, les structures ont été viabilisé de manière permanente en fait comme on l’avait supposé.
Voilà, bien souvent le premier remplissage était très basique, très léger, paille tressée, etc. Ce que les gens pouvaient avoir rapidement sur place. Mais tu imagines qu’avec le temps les gens ont peut-être plus de moyens financiers puisqu’ils ont été aussi protégés des futurs désastres. L’impact des futurs désastres ne les a pas déstabilisés donc ils ont continué à avoir des revenus, un peu plus constants. Ils n’ont rien perdu et par cela même on eut quelques économies qui leur permettait à la fois aussi d’agrandir, de renforce l’habitat en question, là par justement des systèmes de murs plus solides, type bardage, en investissement plus de moyens. Dans le centre Viêt-Nam ça a été très vite, les gens sont passés de la paille tressée à la maçonnerie, de briques.
A chaque fois que vous entreprenez un projet, ce facteur de pérennité est essentiel ? Ou devez-vous parfois vous contraindre à édifier un abri à cause de l’urgence, du manque de temps imparti ? On essaie toujours. C’est notre contrainte d’avoir ce principe de sustainability, d’un développement durable. Et donc effectivement, on préfère dans l’urgence donner aux gens un produit qui fonctionne bien. Produit, je dis produit car dans la réponse d’urgence, historiquement on distribuait beaucoup de tentes or la tente n’a pas du tout cette dimension-là de sustainabiblity. La tente c’est comme un kleenex, elle est utilisée et puis ensuite elle se jette. Elle ne pourra jamais être transformée pour devenir un habitat plus permanent ? Donc on donne, on distribue de moins en moins de tente et ce qu’on distribue actuellement le plus, c’est ce qu’on appelle le Shelter Kit. C’est un kit qui comprend des outils, des moyens de fixations, corde, clous, etc. etc. des bâches plastiques. Et on préfère distribuer ça parce que les gens, en général, grâce à ça peuvent à la fois être capable de dresser rapidement un emergency shelter, un abri d‘urgence mais par la suite également peuvent réutiliser dans la durée ces outils, ces moyens de fixation pour renforcer, réparer, reconstruire un habitat plus permanent, donc quelque part c ‘est une solution, une approche qu’on développe beaucoup plus que la distribution traditionnelle d’un emergy shelter, d’un abri comme une tente.
Ces kits sont envoyés ? Ce ne sont pas des produits que l’on peut trouver sur place ? On a les deux. On a des stocks pré-positionnés à travers le monde. On a plusieurs stockages de matériaux essentiels, de produits, de matériaux essentiels dans l’urgence qui sont pré-positionnés sur différentes plateformes logistiques dans le monde. On a aussi des fois des stocks dans les pays à risque. Si besoin est, parce que ça se sont des produits standardisés au niveau mondial, donc dans certains cas parfois il est bon aussi de les adapter aux coutumes locales, on les complémente par des achats locaux sur des produits que l’on trouve sur des marchés locaux. Par exemple si il faut rajouter un outil spécial qu’on utilisa qu’au Bengladesh et qu’il faut aller sur le marché local du Bengladesh pour l’acheter c’est assez lent comme démarche. On est en urgence c’est difficile car bien souvent on n’a pas le produit en quantité nécessaire, ou en qualité nécessaire. On essaie de le faire en complément mais c’est toujours un chalenge, toujours une deuxième vague de réponse.
83 ANNEXES
Comment ? Par remplissage des murs par exemple?
A la suite de ces emergency shelter, vous avez des projets qui sont mis en place plus spécifiquement à chaque zone ? Chaque désastre à sa propre réponse. Tout est contextualisé. On ne va jamais appliquer le copy and paste (copié-collé). 84
Jamais un design, une réponse, une approche, à travers différent pays. C’est des situations totalement différentes, pas uniquement d’un point de vue culturel, climatique, mais aussi la situation, les ressources peuvent être différentes. Un désastre dans un même pays peut être de nature totalement différente, ou les ressources vont être perçues de manière différente. Je vais te donner un exemple, une inondation au Mozambique, une année va toucher des gens dans une zone rurale où il n’y aura pas d’autre solution que de les déplacer. Une autre année, elle va toucher les gens dans une zone peut être un peu moins rurale où il y aura déjà des équipements publics existant comme des écoles on pourra accommoder ces gens immédiatement dans les écoles. En fait à chaque type de désastre et chaque contexte on va identifier, alors là c’est notre approche de la conception, quelle réponse sera la mieux adaptée.
A ce moment-là, c’est une étude qui est faite pour identifier quelles sont les traditions dans la zone touchée, les techniques de construction utilisées sur place etc. pour ensuite donner place au projet ? L’avant-projet compte toujours l’analyse des pratiques locales, des matériaux et des ressources locales, des profils techniques de la main d’œuvre locale, des modes d’habité, du climat et aussi bien souvent la meilleure réponse est de reproduire ce que les gens ont perdu, c’est ça qu’il faut garder en tête. Ce n’est pas importer une réponse ou une technologie, c’est bien se rendre compte de ce que les gens faisaient par le passé, en éventuellement l’améliorant, mais en gardant en tête encore une fois que cette dimension de réduction des risques peut être aussi un des vecteur d’amélioration de la réponse.
Peut-être par une technicité qu’ils n’ont pas ? Ou par une technicité oubliée. Bien souvent elle existe mais elle a été oubliée. Donc la retrouver.
Vous faites participer la population pour monter pour monter le projet ? Pour le bâtir ? Indispensable. A toutes les phases du projet, la communauté ou les bénéficiaires doivent être consultés. On a plusieurs outils. On a par exemple les guidelines comme par exemple le Post-disaster settlement planning guideline. C’est une approche de la construction, de la reconstruction où en fait bien souvent pour cette reconstruction les bénéficiaires sont totalement en charge de la construction. A la fois dans leur développement provisoire et dans la reconstruction proprement dite. On a aussi le guide PASSA c’est un guide qui met en avant l’approche participative. Les communautés peuvent identifier leurs propres forces et faiblesses et décider justement du plan d’action le plus approprié pour améliorer justement leur condition de vie. Donc ça se sont des outils par exemple qu’on utilise. Il est clair que dans tout état du projet et essentiellement si la réponse au projet est de fournir un abri, un logement - parce qu’on peut aussi fournir d’autres choses pour supporter le problème, on peut aussi fournir de l’argent aussi par exemple ou des supports techniques, on n’est pas obligé de donner le produit « maison » - mais si la réponse est d’offrir des matériaux
ou un produit « maison » dans ces cas-là, ce produit-là, son design, sa conception doit être décidée par consultation des communautés concernées. Faso. Chaque année le Burkina a des inondations et donc avec la société nationale on les a formé, la manière d’utiliser ce kit et à l’assistance à apporter en fonction des besoins des bénéficiaires. Dans le but de mettre en place rapidement un habitat temporaire, provisoire. Et ce qui est assez marrant, c’est que les gens ont commencé à se sentir assez à l’aise et professionnel pour assister les populations sinistrées. Donc ils reportent ce qu’ils ont appris, comment ils ont procédés et récemment il y a eu un autre désastre au Burkina, qui n’était pas une inondation qui était un déplacement de population et cette société nationale, la Croix Rouge Burkinabé a dit : et bien on va appliquer les mêmes techniques, le même design, les mêmes produits ; on est formé, nos volontaires sont formés, on peut assister la population. Donc ils ont commencé à acheter le bois, acheter les kits, et commencé à les distribuer. Et la population qui était dans les camps a refusé. Totalement refusé, parce que c’était une population nomade, d’une autre ethnie, déplacée, qui avait totalement un autre mode d’habité. Et donc tout le bois à servi à faire des lits en fait à la place des maisons et les gens ont fait complétement autre chose. La société nationale met bien en avant dans les recommandations encore une fois de toujours, toujours s’assurer d’avoir consulter les bénéficiaires avant le lancement d’un projet.
Etes-vous confronté aux problèmes de langue dans la transmission des informations ? Notre rôle est d’assister la société nationale des pays. Donc normalement notre rôle n’est pas vraiment d’être en direct communication avec les bénéficiaires. On assister la société nationale qui elle est en direct communication avec les bénéficiaires. Donc on a toujours quelqu’un avec nous de la société nationale qui facilite la résolution des problèmes de langues, qui fait le lien entre nous.
Qu’est-ce que pour vous une réponse de qualité ? Quand peut-on dire qu’un projet est réussi ? Alors les indicateurs de qualité c’est compliqué. Qu’est-ce qu’on demande ? Alors, tout dépend à quelle étape de la réponse on se situe. Si tu as une réponse d’urgence, tes indicateurs qualitatifs vont être légèrement plus quantitatifs que qualitatifs. Et tes indicateurs qualitatifs vont être peut-être d’une autre nature que lors d’une réponse à moyen terme et long terme. La priorité dans l’urgence c’est de sauver des vies. La priorité à moyen et long terme c’est d’améliorer les conditions de vie. Donc tu avoir d’autres indicateurs qualitatifs. Mais bien entendu c’est toujours quelque chose que nous avons en tête. C’est pour ça que par exemple sur les produits, en terme d’assistance de secours en abris d’urgence que ça soit la distribution des tentes ou des kits, on a des labels qualité des produits. On a des catalogues ou on a des spécifications très détaillées des produits pour s’assurer justement de leur qualité. Produits dans le domaine de l’abri, du logement mais on a aussi dans ces catalogues des produits dans le domaine de la santé, de l’eau et l’assainissement. Donc oui, la qualité est indispensable. On fait pour les projets à moyen et long termes, les gros projets de reconstruction beaucoup d’évaluations, pour évaluer justement l’impact qualitatif par le biais d’enquête de satisfaction des bénéficiaires. Dimensionner des évaluations sociales et économiques pour voir les
85 ANNEXES
On a par exemple un cas qui utilise le kit abri donc les bâches plastiques et les outils dans un contexte qui est le Burkina
impacts aussi au niveau de la communauté. Et là actuellement j’ai dans mon département une collègue qui travaille sur un outil pour évaluer. Une structure basée en Angleterre. C’est un outil utilisé dans nos pays développés pour évalue r 86
justement des codes, des standards des niveaux de durabilité. Donc, qualité, sustainability. Donc c’est petit peu compliqué mais ça touche pas uniquement la qualité du design, au niveau de son confort, au niveau de son intégration dans le contexte culturel et social mais ça touche aussi l’impact sur l’environnement… ça touche vraiment beaucoup de domaines. Donc c’est des indicateurs sur des niveaux de confort, climatique, ventilation, isolation, waterproof, etc. mais aussi d’autres choses, si effectivement il n’y a pas d’impact négatifs sur l’environnement, si ça peut être recyclé, quel est l’impact carbone, etc. Y a vraiment différents niveaux qui vont du bénéficiaire au niveau de la planète, dans les analyses de l’évaluation qualitative des réponses.
C’est donc des critères qui sont toujours mesurables ? Critère quantitatif c’est facile, qualitatif c’est beaucoup plus difficile. Il est clair que bien souvent, c’est pour ça qu’on travaille sur ces standards en ce moment, c’est essentiellement le feedback, le retour, des bénéficiaires qui peuvent te donner une appréciation. On fait donc des enquêtes socio-économiques. Et tu dois les faires pas uniquement à l’instant t quand le programme est terminé mais tu dois le faire aussi plusieurs années après, à moyen terme et long terme. Parce que sur le coup les gens sont peut être très satisfaits parce qu’ils n’avaient pas d’autres options. Mais voir aussi comment après ils se sont approprié la réponse, et il est indispensable dans ce cas-là de faire des évaluations à long terme également. Mais encore une fois dans l’urgence, c’est d’autres indicateurs, ce dont on a besoin c’est vraiment, de produits rapides. C’est la rapidité qui est indicateur de qualité, la simplicité et le coût pour pouvoir touché le plus grand nombre. Bien sûr tu pourrais développer des produits ultra-perfectionnés, des tentes fantastiques, mais si c’est pour toucher 1% de la population sinistrée, là c’est un problème. La qualité c’est à un autre niveau.
La notion de qualité prend donc un tout autre sens dans ce domaine particulier de l’humanitaire par rapport à une conception dans un contexte classique ? Je pense que l’aspect sustainability est assez commun. On peut y voire des similitudes. En termes de confort aussi il a certaines similitudes. Mais on est à un autre niveau. Oui totalement. Et encore une fois ça dépend du contexte. Une réponse à un tremblement de terre en Italie par exemple, les standards proposés seront certainement différents de ceux d’une réponse à la suite d’une inondation au Bengladesh.
A cause du facteur économique ? Pas uniquement. C’est aussi être cohérent dans la réponse. Parce même si on essaie de toucher le plus grand nombre de personne, on ne touchera jamais 100%. Et le gouvernement bien souvent assiste aussi à … Si on commence à fournir des réponses très sophistiquées, et que l’autre partie de la population qui n’a pas été touchée, enfin qui a été touchée mais qui n’a pas reçu notre assistance, elle va recevoir un autre type d’assistance d’un standard moindre, on peut générer des conflits. Donc on doit aussi absolument cordonner notre réponse, avec l’accord des autorités locales pour
s’accorder, avec aussi une coordination avec les autres organisations internationales présentes. Je ne sais pas si tu as entendu parler du groupe sectoriel Cluster Approach, l’objectif est justement de coordonner et d’harmoniser notre 87 ANNEXES
réponse.
Dans un projet, y a-t-il une place pour l’aspect esthétique de la construction ? Est-ce un facteur important, du moins pris en compte lors des phases de conception? Ça fait partie des critères culturels. C’est plus l’image que renvoie l’habitat traditionnel. Donc bien sur si les gens ont l’habitude d’avoir un habitat avec un toit deux pentes, on ne va pas faire un toit à une pente, on va faire un toit à deux pentes. Mais de toute façon cette forme, cette typologie architecturale, elle est traditionnelle, elle est issue d’un contexte souvent climatique et culturel. Les deux pentes parce que c’est une région où il pleut beaucoup ou très venteuse. Quatre pans ça serait encore meilleur. Donc en fait c’est à la fois la connaissance du design intrinsèque que peut avoir une architecture liée à son environnement, à ses risques, climatiques essentiellement, et on essaie de transposer le design de manière à être le plus possible de ce que les gens ont l’habitude d’avoir. On fait par exemple une formation de trois jours sur l’usage du shelter kit, ce qu’il où il n’y a que des outils, des moyens de fixation et des bâches. Tu travailles avec une société nationale et tu leur demande pendant une journée d’abord d’analyser leur mode d’habitat traditionnel, le plus pauvre, celui qui est à risque. Et ensuite tu leur dit : voilà, on vous donne le kit et maintenant vous allez avec ce kit tenté de reproduire un emergency shelter, un abri d’urgence, qui prend en compte votre analyse préalable. L’analyse préalable est formelle, elle devait être expliquée, pourquoi un toit deux pente, pourquoi une porte ou deux portes, pourquoi des grandes fenêtres ou des petites etc. Et ce qu’ils doivent tenter de recréer en utilisant des bâches plastiques et des bouts de bois doit être le plus proche de leur habitat traditionnel.
Donc l’esthétique du bâtiment va être de collé au plus près à l’habitat traditionnel ? On essaie oui. Alors pour les programmes à plus long terme où on a plus de moyens d’investissement pour de la reconstruction, on va même plus loin parce que bien souvent, c’est beaucoup plus une approche là où les bénéficiaires peuvent être ou sont directement liés à la reconstruction. Donc ils peuvent avoir des choix esthétiques, des choix sur plusieurs designs. On peut leur fournir aussi par exemple, de la peinture, selon leur besoin. C’est à eux de choisir les couleurs ou d’autres aspects esthétiques. Ils ont une liberté d’exprimer leur gout sur le bâtiment. En sachant que l’on est une organisation qui refuse par exemple de mettre le logo de la Croix Rouge sur les maisons qu’on produit. Parce que justement on considère que la maison appartient à la personne qui la reçoit. Et on essaie un maximum à ce qu’il se l’approprie donc on va mettre en place des systèmes pour que l’appropriation soit optimisée.
J’ai entendu un bon nombre de fois Patrick Coulombel à la tête de l’association Architecte de l’urgence parler du niveau de finition et de l’importance de ce facteur pour produire un projet de qualité. Vous êtes assez d’accord avec lui ? Non ! Je connais bien Patrick et je ne suis pas trop d’accord avec lui ! On est des fois un petit peu en guerre d’ailleurs ! En fait, si je peux schématiser, encore une fois c’est, c’est … Je comprends ce qu’il veut dire. Mais son souci à lui c’est
d’envoyer des architectes français travailler à l’étranger et assister. Moi mon souci c’est de former les gens sur place pour être capable d’être autonome. Donc il est clair que ce n’est pas la même chose. J’ai vu pas mal d’opérations que 88
cette organisation a faites. Il y a des bonnes réponses, il y en a des moins bonnes. Ça dépend vraiment de l’architecte qui a été envoyé en fait. Je dirais que les meilleures réponses c’est dans le cas où l’architecte envoyé s’est vraiment plié à l’écoute des besoins locaux et a quasiment disparu. L’architecte doit être très humble et quasiment disparaître dans le geste de la conception. Par contre, notre rôle dans les deux cas, alors pour moi c’est plutôt de renforcer les compétences locales plus que d’envoyer des experts internationaux, dans tous les cas l’objectif est encore une fois qualitatif. Il est clair que la plupart des désastres pourraient avoir un impact moindre si l’aspect qualité de la construction, certains codes standards, procédures de constructions étaient respectées.
Donc entrainerait moins de destructions ? Exactement. Et notre rôle est aussi avec ce volet de réduction des risques de conseiller advocacy, de plaidoyer, de faire le plaidoyer auprès des autorités locales, auprès des professionnels locaux, pour justement que cette qualité technique soit respectée et que l’on n’oublie pas cette fois-ci de mettre assez de ciment avec le sable pour faire des parpaings par exemple. Donc ça c’est notre rôle. Responsabiliser les gens. Montrer aux bénéficiaires que c’est à eux aussi de vérifier la qualité de l’habitat qu’ils vont recevoir ou construire. Parce que les dégâts ça va être pour eux, ça va pas être pour nous. Responsabiliser les professionnels locaux, renforcer leur professionnalisme, responsabiliser les décideurs locaux, les autorités locales également sur ces aspects-là.
Le rôle de l’architecte est donc effectivement de s’effacer ? De s’assurer du bon déroulement des opérations sans s’imposer ? Et de s’assurer que toutes les étapes sont bien… C’est vraiment une gestion de projet. S’assurer que tous ces aspects là : qualité, participation des bénéficiaires, plaidoyer, coordination, soit bien prise en compte et former bien évidemment les gens. C’est vraiment du capacity building comme on dit, c’est vraiment former des gens à être responsable et à avoir ces connaissances pour pouvoir être autonome. S’effacer c’est aussi se dire que demain on sera plus là et le même type de désastre risque d’apparaitre, malheureusement c’est souvent très cyclique voir récurèrent et au contraire il faut renforcer les compétences locales.
Les formations se font d’une manière pratique ou théorique ? Pratique. On construit. On travaille en ce moment avec Cratère. Ils reviennent d’une mission au Nigéria où on a fait une formation très très pratique sur différentes techniques de fondation pour améliorer les fondations aux inondations.
Je voyais à la lecture de votre mémoire que vous aviez mis en place un prototype à l’échelle 1. C’est toujours le cas, à chaque projet ?
Si tu veux solliciter le feedback des bénéficiaires, bien souvent c’est des gens qui ne savent pas lire pas écrire, regarder un plan ils en sont bien incapable, regarder un dessin, ils ne le comprendront pas. Pour que les gens se liste des besoins en termes de quantité de matériau, la meilleure des choses c’est de passer à l’échelle 1. Toujours.
C’est aussi par ces prototypes que les techniques sont enseignées aux populations ? Exactement. Enseignées et améliorées aussi. C’est par ces échelles 1 que si les populations sont directement concernées par la construction elle-même, elles apprennent à construire. Parfois ce n’est pas un proto, c’est plusieurs proto. Parfois c’est un proto par communauté. On essaie de faire vraiment des systèmes de formation effet boule de neige. Tu formes une personne et à la fin tu en a 400 qui sont formées. Et puis ça si tu veux c’est facile à analyser. Parce que dans les contraintes, je t’avais parlé de rapidité, de coût, etc. mais au-delà des indicateurs qualitatif c’est aussi toute les contraintes logistiques. Donc, la taille, le poids, les quantités de matériau… C’est souvent des grosses contraintes donc il faut passer par l’échelle 1 pour régler tout ça. Si effectivement tout passe dans un camion, si effectivement tu peux tout transporter sur des petits bateaux, des petites barques. Faut tout tester.
Au fur à mesure des années, quand les projets fonctionnent bien, c’est des expériences à noter pour le futur, qui permettent d’agir encore plus vite en cas de nouvelle catastrophe ? On essaie, c’est un peu notre rôle mais là-dessus on n’est pas très bon. L’objectif c’est ça effectivement. On dit toujours Lesson learned, lesson learned, lesson learned… Leçon apprise. Il faut capitaliser, il faut capturer mais on n’est pas très bon en mémoire institutionnelle. D’abord ce département auquel j’appartiens est quand même assez récent, il a été créé il y 6 ans. Avant on faisait des projets mais il n’y avait pas une entité directement qui avait pour but de consolider les expériences passées, de développer des outils appropriés, de conseiller. Donc on essaie de faire de notre mieux dans ce sens-là. On essaie de faire des évaluations, on essaie d’informer notre audience pour à chaque fois Build back better, comme on dit. Et avoir des meilleurs projets, des meilleurs programmes. Mais on a encore beaucoup de chemin à parcourir pour être très efficace car malheureusement dans ce milieu professionnel, il y a beaucoup de changement, de turnover. Tu as beaucoup de gens qui vont suivre un projet mais qui vont quitter cet univers de l’humanitaire après pour replonger dans une vie plus traditionnelle, pour des raisons économiques ou familiales. Dans à chaque fois on est obligé de reformer une nouvelle génération. On a du mal à garder des gens dans la durée. Et c’est vrai que c’est un travail aussi un peu précaire parce que comme un docteur a besoin de maladies pour avoir des clients, nous on a besoin de désastres pour avoir du travail. Donc malheureusement, il y a pas mal de gens qui n’ont pas d’emploi dans le domaine donc qui quittent effectivement le domaine parce que dans la durée ce n’est pas évident d’en vivre. Et à chaque fois, il faut former de nouvelles personnes et recapitaliser. Et tenter de faire avancer les choses pour que les programmes suivant soient plus efficaces.
Finalement, qu’est ce qui est mis en place concrètement ?
89 ANNEXES
rendent compte de l’espace, pour qu’ils se l’approprient, et soient capable de commenter dessus, pour aussi établir la
La structure dans laquelle je travaille sert à ça. Dans le domaine de la recherche et de l’évaluation, on a créé une structure au Luxembourg qui a pour vocation de capitaliser tous les aspects techniques de la construction. On essaie 90
de mettre ça en place aussi à travers certains sites web qui donnent accès à de la documentation, à des cas d’étude. On fait beaucoup de documents, de case studies, le shelter projet par exemple, c’est une revue que l’on fait avec le département chaque année et qui capitalise les techniques d’approche. De la réponse d’urgence à la reconstruction de logement. A côté de ça on a, comme toute organisation, les contraintes financières qui font qu’on fait ce que l’on peut faire. On aimerait bien faire mieux mais bon…
A chaque fois qu’on projet est monté, les personnes qui y travaillent sont forcément envoyées sur place ? Ou une partie du travail peut s’effectuer ailleurs ? Ça dépend. Il peut y avoir une partie du projet effectuée ailleurs. Comme on peut avoir des personnes à temps plein sur place. C’est très variable suivant le type de réponse.
Pour la mise en place d’une construction durable, l’architecte va se trouver sur place ? S’il n’y a pas de compétence locale, oui, il sera sur place. Après ça dépend aussi de l’échelle. Cette mission sur place peut aller de quelques mois à plusieurs années.
Comment les personnes travaillent-elle quand elles ne sont pas sur place ? Là, c’est plus de l’assistance. D’abord une réponse ponctuelle qui est apportée quand on considère que la population a déjà des compétences. On met en place alors des missions ponctuelles d’évaluation qui ont lieu au cours des processus de construction. On essaie de tirer parti des capacités locales.
Tous les projets sont dessinés par l’intermédiaire de plans, coupes, etc. ? Quasiment. Mais bien souvent c’est quand même une architecture très simple. Qui ne demandent pas un haut niveau de dessin. Les dessins sont nécessaires parce qu’ils permettent par exemple d’établir la liste des quantités. Ils permettent aussi de noter des instructions à suivre lors des processus de construction. Aussi pour le suivi, par exemple des pratiques techniques sur les différentes étapes de construction. Tu crées aussi des outils d’évaluation. Comme en France quand tu vas vérifier sur un chantier si tout a été fait dans les règles de l’art. Là aussi tu vas avoir à créer des formats d’évaluation technique. Et tu peux éventuellement envoyer des gens qui vont aller faire ces évaluations à partir du moment où ils ont une grille d’analyse qu’ils comprennent.
91 ANNEXES
2. COMPARATIFS
DOCUMENT 1 – Comparaison des effectifs de nos deux protagonistes DOCUMENT 2 – Comparaison quantitative des interventions de nos deux protagonistes
92
Effectif de TYIN Tegnestue
TYIN TEGNESTUE Un élan de solidarité
ANDREAS GRONTVEDT
DES ÉQUIPES D'ÉTUDIANTS
YASHAR HANSTAD
DES ACHITECTES ASSOCIÉS
DES PROFESSIONNELS LOCAUX
des dixaines de personnes engagées
Effectif de la Croix-Rouge
LA CROIX ROUGE Un mouvement humanitaire
LE COMITE INTERNATIONNAL DE LA CROIX ROUGE
LA FEDERATION INTERNATIONNALE DE LA CROIX ROUGE
LES SOCIETES NATIONALES DE LA CROIX ROUGE
Organisation humanitaire Suisse intervenant exclusivement en situation de conflit et gardien du DIH, le Droit International Humanitaire
Coordinateur des actions des sociétés nationales en cas de catastrophe et les soutient dans leur développement
Acteurs nationaux qui répondent aux besoins du pays dans lequel ils sont implantés et agissent à l'international en cas de demande de la société nationale du pays concerné
187 sociétés nationales
13 milions de bénévoles
94
Les projets de TYIN Tegnestue depuis sa création fin 2008 Mars
Novembre
2009
Mai
6 Maisons papillons Noh Bo, Thaïlande Safe Haven Thaïlande
Octobre
2010
Janvier
Avril
Janvier
2011 Réhabilitation d'un hangar à bâteau Aure, Norvège
Vestiaires et tribune Ibanda, Ouganda
Mars
Avril
Klong Toey Bangkok
Août
Octobre
2012
Centre de formation Sumatra, Indonésie
Bibliothéque Bangkok, Thaïlande
Les projets de la Crois Rouge uniquement pour l'année 2010 dans le cadre d'une reconstruction pérenne Mai
2009
Décembre
Février
2010
Mai
2011
2012
Relogement de 10.000 familles Tremblement de terre, Chili Relogement de 10.000 familles Tremblement de terre, Haïti Construction de 650 logements Typhon Ketsana et Mirinae, Viet-Nam Déplacement de population
Construction de 2.200 logements Guerre civile, Sri Lanka Construction de 30 logements Inondations, Roumanie (Re)construction de 7.000 logements Typhon Megi, Philippines Décrue Construction de 1.400 logements Guerre civile, Kyrgystan Construction de 1.000 logements Tremblement de terre, Malawi
Construction de 22.000 habitats transitionnes et 3.000 maisons Inondations, Pakistan
96
85
97 ANNEXES
3. FICHES PROJET TYIN TEGNESTUE
DOCUMENT 1 – Fiche projet Maison papillon « Soe Ker Tie » DOCUMENT 2 – Fiche projet Centre communautaire Klong Toey DOCUMENT 3 – Fiche projet Centre de formation Cassia coop DOCUMENT 4 – Fiche projet Bibliothèque Old market DOCUMENT 5 – Fiche projet Reconversion d’un hangar à bateau
85
Les fiches ont été réalisées à partir de documents disponibles librement en téléchargement sur le site internet de TYIN Tegnestue : www.tyinarchitects.com
ANNEXES
99
Maisons papillon "Soe Ker Tie" Noh Bo, Tak, ThaĂŻlande Novembre 2008 / FĂŠvrier 2009 - 9000 Euros
Processus de conception et de construction
Open courtyard
Path made of local brick Common entrance for two units
Yard with BBQ and benches
Elevated water storage Swing
Quiet bench
Stair of old tyres
Secluded porch
Chesstable in the shade of a big tree
Plan 1:200
Riverbed
1. The rainwater can easily be collected 2. The beds layout offers both privacy and social interaction
TYIN tegnestue, Soe Ker Tie House drawing section scale 1:200 paper A3
1
2
3. A simple opening in the facade is great for talking or playing shop 4. Old tyres are used for the foundation 5. A swing of bamboo and ropes, for one or many...
5
3 4
TYIN tegnestue, Soe Ker Tie House drawing section scale 1:100 paper A5
Coupe 1:100
Projet construit
100
ANNEXES
101
102
ANNEXES
103
104
ANNEXES
105
106
ANNEXES
107
108
109 ANNEXES
4. PROCESSUS D’ELABORATION
DOCUMENT 1 – Pages de couverture de manuel de communication édités par la Croix-Rouge DOCUMENT 2 – Processus type d’élaboration d’un projet réalisé par la Croix-Rouge 86
86
Planche schématique réalisée par simplification et remaniement d’un document en anglais tiré d’ After the tsunami, sustainable buliding
guidelines for south-east Asia, France, 2007
110
ANNEXES
111
112
TABLE DES MATIERES
113
114
REMERCIEMENTS ................................................................................................................................................. 3 AVANT-PROPOS ................................................................................................................................................... 5 SOMMAIRE ........................................................................................................................................................... 7 INTRODUCTION .................................................................................................................................................... 9
I.
L’ARCHITECTURE D’URGENCE, MODALITÉS ET PARTICULARITÉS ........................................................................................... 13
I.
SPÉCIFICITÉS D’UNE DISCIPLINE....................................................................................................................................................................... 13 1.
Une branche de l’humanitaire................................................................................................................................................................... 13
2.
L’Urgence .................................................................................................................................................................................................... 14 a.
Délai et budget ..................................................................................................................................................................................... 14
b.
Contexte d’intervention ....................................................................................................................................................................... 15
3.
II.
Des architectures d’urgence .................................................................................................................................................................... 16 a.
Urgence permanente ou urgence immédiate et soudaine ............................................................................................................. 16
b.
Différentes typologies de reconstruction ........................................................................................................................................ 16
LÉGITIMITÉ ET QUALITÉ DE L’ARCHITECTURE DANS L’URGENCE ..................................................................................................................... 18 1.
Reconstruire une population .................................................................................................................................................................... 18
2.
Qualité et urgence ...................................................................................................................................................................................... 19
III.
a.
La qualité, un luxe superflu ? .............................................................................................................................................................. 19
b.
Qualité et processus de conception ................................................................................................................................................. 20
DEUX ACTEURS DE L’HUMANITAIRE.................................................................................................................................................................. 22 1.
TYIN Tegnestue .......................................................................................................................................................................................... 22 a.
Histoire et effectif .............................................................................................................................................................................. 22
b.
Philosophie .......................................................................................................................................................................................... 24
c.
Méthode de travail .............................................................................................................................................................................. 24
2.
La Croix-Rouge .......................................................................................................................................................................................... 27 a.
Histoire et effectif .............................................................................................................................................................................. 27
b.
Philosophie .......................................................................................................................................................................................... 28
c.
Méthodes de travail ............................................................................................................................................................................ 29
115 TABLE DES MATIERES
TABLE DES MATIERES
II.
116
PROCESSUS D’ELABORATION D’UN PROJET DANS L’URGENCE ............................................................................................. 31
I.
LE PASSAGE DU PROJET DE MAINS EN MAINS ................................................................................................................................................. 31 1.
Une production collective.......................................................................................................................................................................... 31
2.
Une perte de qualité ? ............................................................................................................................................................................... 32
3.
Qualité et contexte .................................................................................................................................................................................... 33
II.
DES MEMES ACTEURS TOUT AU LONG DU PROCESSUS.................................................................................................................................. 33 1.
L’architecte ................................................................................................................................................................................................ 33 a.
Le problème de l’identité ................................................................................................................................................................... 33
b.
Un architecte engagé ......................................................................................................................................................................... 34
c.
Un concepteur évanescent................................................................................................................................................................ 35
d.
Un architecte bâtisseur ..................................................................................................................................................................... 36
2.
III.
III.
Les bénéficiaires ....................................................................................................................................................................................... 37 a.
Le rôle décisif de l’investissement de la communauté .................................................................................................................. 37
b.
Une conception menée par la population ........................................................................................................................................ 37
c.
Une main d’œuvre qualitative ............................................................................................................................................................ 40
L’ECHANGE DE CONNAISSANCES, DE SAVOIR-FAIRE ...................................................................................................................................... 42 1.
La prise de conscience d’un échange ..................................................................................................................................................... 42
2.
Le prototype ............................................................................................................................................................................................... 44 a.
Un prototype, une source d’expérimentation ................................................................................................................................. 44
b.
Une architecture prototype .............................................................................................................................................................. 45
QUALITÉ(S) DANS L’URGENCE .....................................................................................................................................................46
I.
LA NOTION DE QUALITÉ ARCHITECTURALE ...................................................................................................................................................... 46 1.
Qualité et architecture ............................................................................................................................................................................. 46
2.
Une qualité plurielle ...................................................................................................................................................................................47
3.
La position de Philippe Dehan ...................................................................................................................................................................47
II.
PÉRENNITÉ ......................................................................................................................................................................................................... 48 1.
Un paramètre essentiel à la reconstruction ? ...................................................................................................................................... 48 a.
Les risques du temporaire ................................................................................................................................................................ 48
b.
Des architectures conçues pour durer ........................................................................................................................................... 49
c.
Le transitionnel dans l’objectif du permanent ................................................................................................................................ 50
2.
Quelle durabilité ? ...................................................................................................................................................................................... 51 a.
Vers un relèvement au long terme.................................................................................................................................................... 51
b.
Durabilité environnementale ............................................................................................................................................................. 52
c.
Durabilité sociale ? ............................................................................................................................................................................. 53
USAGES .............................................................................................................................................................................................................. 54 1.
Une architecture au plus près des besoins ........................................................................................................................................... 55 a.
Concevoir avec et pour ................................................................................................................................................................... 55
b.
Unicité de la réponse ......................................................................................................................................................................... 55
2.
Une architecture fonctionnelle ................................................................................................................................................................ 56 a.
La qualité de vie .................................................................................................................................................................................. 56
b.
Priorité à l’utile ................................................................................................................................................................................... 56
c.
L’utile, une qualité sociale ?............................................................................................................................................................... 57
d.
Au-delà du fonctionnel : le jeu ........................................................................................................................................................... 58 Une architecture ouverte ........................................................................................................................................................................ 59
3.
IV.
a.
Appropriable avant la construction ................................................................................................................................................. 59
b.
Appropriable après la construction ................................................................................................................................................. 59
FORMES .............................................................................................................................................................................................................. 59 1.
Quelle place pour la qualité formelle ? ................................................................................................................................................... 60 a.
L’apparence, perception d’une première qualité architecturale ? ............................................................................................... 60
b.
Qualité formelle et urgence .............................................................................................................................................................. 60 Une esthétique du low-cost ...................................................................................................................................................................... 61
2. a.
Esthétique contextualisée................................................................................................................................................................... 61
b.
Esthétique issue du matériau............................................................................................................................................................ 62
c.
Esthétique spatiale ............................................................................................................................................................................. 64
d.
Esthétique et usages, deux facteurs indissociables ?.................................................................................................................... 65
3.
Quels rapports à l’architecture traditionnelle ? ................................................................................................................................... 66 a.
Reproduire l’architecture traditionnelle ......................................................................................................................................... 66
b.
Revisiter l’architecture traditionnelle ............................................................................................................................................. 68
CONCLUSION ...................................................................................................................................................... 71 BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................................................. 75 L’architecture d’urgence ....................................................................................................................................................................................... 75 La qualité architecturale ........................................................................................................................................................................................ 77 Sujets connexes ....................................................................................................................................................................................................... 77 Web ........................................................................................................................................................................................................................... 78
ANNEXES ............................................................................................................................................................ 81 1.
ENTRETIEN .................................................................................................................................................................................................... 81
2.
COMPARATIFS .............................................................................................................................................................................................. 91
3.
FICHES PROJET TYIN TEGNESTUE ........................................................................................................................................................... 97
4.
PROCESSUS D’ELABORATION ................................................................................................................................................................... 109
TABLE DES MATIERES ........................................................................................................................................ 115
117 TABLE DES MATIERES
III.