Manager par la marque

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Jean Baptiste COUMAU, Jean-François GAGNE et Emmanuel JOSSERAND

Manager par la marque

© Éditions d’Organisation, 2005 ISBN : 2-7081-3233-4


chapitre 4

les choix à faire par le management Maîtriser, choisir, décider, trancher ; voilà des leitmotiv qui baignent les cursus des Business School – lors des nombreuses études de cas par exemple. Dans la pratique, vous avez peut-être la sensation de ne pas toujours être en mesure de choisir. La lourdeur des contraintes, le poids du consensus dans votre organisation, la pesanteur des enjeux, la gravité des risques ont souvent laminé vos marges de manœuvre. Vous-même dites d'ailleurs souvent à vos subordonnés : « Oui mais là, on n’a pas le choix ! » Installer un management par la marque va réclamer une tout autre posture. Initier une telle démarche réclame des choix en amont. Cela va vous demander un investissement personnel important, susceptible de vous engager, au sens où les échecs pourront directement vous être attribués. Vous devrez prendre des risques et faire des choix parfois contre-intuitifs, vous devrez aussi heurter certaines habitudes et parfois trancher entre les tenants d'options totalement opposées. Dans le management par la marque, c'est vous qui devrez choisir la route et le moment, puis tenir le manche au décollage. Vous ne devrez jamais quitter le cockpit avant d'avoir atteint l'altitude de croisière.

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Mais l'installation d'un management par Les décisions de marque sont des la marque est également une orientation décisions de patron. collective à faire prendre à toute votre organisation. C'est une impulsion qui vient d'en haut mais qui doit se décliner dans toute l'entreprise de façon transversale plutôt qu'en cheminée. Dans ce chapitre nous abordons ce qui est vraiment important dans le démarrage d'un projet de management par la marque : c'est-à-dire votre rôle et vos choix. En effet, vous aurez à faire ces choix avant de

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démarrer, face à une grande diversité de situations de départ, confronté aux principaux champs de décisions qui s'ouvriront à vous au fur et à mesure et aux leviers de management que vous devrez continuer à tenir. Ce n'est que dans le chapitre suivant que nous aborderons ce qu'il convient de faire, étape par étape, et surtout comment le faire. Montrons donc les orientations clés avant de parler des outils car de celles-ci dépend le succès. Les curseurs à régler avant de démarrer sont :

• L'architecture de marques ; • La configuration des lancements ; • L'articulation entre les étapes interne et externe ; • Le rythme de mise en tension de l'organisation. Nous considérons que ce sont les quatre facteurs de succès du management par la marque. En matière d'architecture de marques nous poussons à une remise en question des choix historiques du marketing et nous en expliquons les raisons. Pour des questions d'impact, nous poussons à des lancements en bigbang, donc à des prises de risques forts que nous analyserons. L'articulation des étapes internes et externes est un élément clé qu'il convient de régler en fonction de la situation. Nous essayons d'apporter des grilles d'analyse et un éventail de choix.

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Pour mettre en tension votre entreprise, une grande part de la réussite viendra enfin de votre talent à impulser à cette transformation une dynamique soutenue. Pour réussir sur ce dernier point dites-vous que le premier levier que vous avez est de « tenir la montre » : maîtrisez le rythme, surprenez, imposez des délais tendus, accélérez le tempo !


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Donner un coup de hache dans l'architecture de marques Nous pensons que le temps des architectures de marque complexes est compté. Nous analysons le détail de ce phénomène dans les parties suivantes1. Dans cette première étape nous proposons une méthode de diagnostic permettant de simplifier au maximum l’architecture de marques.

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L’approche traditionnelle en marketing conduisait à introduire de multiples niveaux de marques cloisonnés entre eux. Cette approche, utilisée par plusieurs générations de chefs de produit, est le modèle mental qui a porté le développement des fonctions marketing des années soixante à quatre-vingt-dix. Son origine se situe dans les marchés de grande consommation. Il se Une architecture simple est un justifie par la nécessité de sursegmenter impératif clé pour la mise en œuvre. les marchés pour positionner et justifier des écarts de prix importants entre des produits aux fonctions similaires. Le rayon des shampoings est un des meilleurs exemples de sursegmentation que l'on puisse trouver ; cette pratique conduit à une multiplication à la fois du nombre des marques et des niveaux de marques et empêche le lien entre produits vers la marque corporate. C'est encore une pratique courante chez les grands lessiviers : même si PROCTER & GAMBLE a communiqué sur la rationalisation de son portefeuille de marques dès le début des années quatre-vingt, ses marques constituent toujours un ensemble cloisonné et sans lien avec le nom du groupe. Un modèle alternatif est apparu dans les années quatre-vingt-dix. Il a pris source dans le secteur des services où l'approche produit est moins importante que l'approche institutionnelle vis-à-vis du client. Il a permis l'émergence de la gestion de marque et la création de postes de Brand manager dans les entreprises. Il aboutit à une concentration des moyens de communication sur une seule marque. Il facilite une gestion multi-canal tout au long de l'expérience client, la différenciation se faisant dans la relation client et non plus dans le produit ou dans la communication. 1. Pour plus d’informations sur ce point, voir le chapitre 7 « La montée du corparate », dans la troisième partie.

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Ce nouveau modèle a été rapidement pris en compte par certains tenants de l'ancien pour des raisons de coûts et pour pouvoir rester dans la course à la notoriété globale face aux marques de services. Plusieurs géants dans leur secteur comme L’ORÉAL, DANONE ou NESTLÉ sont passés à une architecture décloisonnée exploitant systématiquement les synergies entre les différents niveaux de marque. Ce décloisonnement, associé à une simplification du portefeuille, est essentiel pour pouvoir manager par la marque. UNILEVER l’a bien compris et lance pour les années à venir un vaste programme qui va permettre à la fois de concentrer les investissements sur un nombre réduit de marques à l’échelle mondiale et de créer le lien entre les marques commerciales et la marque corporate UNILEVER. C’est donc l’un des derniers bastions de l’hyper-segmentation qui change de camp, très certainement pour le plus grand bien de l’entreprise. L’un des objectifs de ce changement est justement de permettre une articulation entre des opérations de communications externes institutionnelles et les efforts de management au sein du groupe. Dans un environnement où la relation avec le client, le service, la nécessité de concentrer les investissements et les messages ainsi que le développement international deviennent incontournables, ces changements dans l’architecture de marques sont inéluctables. Nous présentons tout d’abord la logique dans laquelle il faut se placer pour aborder une simplification du portefeuille de marques. La suite de cette partie traite du comment et présente les outils de diagnostic qui permettent de mener à bien le décloisonnement. Il est utile de se pencher sur les théories marketing descriptives des architectures de marque.

Kapferer1 propose une typologie des marques comportant six catégories. La Marque produit correspond à un seul produit, elle vise à véhiculer une innovation et permet dans certains cas d’accroître la part de marché en limitant les causes d’échec. Maintenir une marque 1. Voir Kapferer J.-N., op. cit., Éditions d’Organisation, 2001.

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L’architecture de marques vue par le marketing (e. 8)


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produit indépendante représente toutefois un coût important pour l’organisation. La Marque ligne regroupe un ensemble de produits complémentaires dont l’objectif est de satisfaire un besoin complet. Les différents produits sont reliés par l’usage et par la déclinaison du même concept. La Marque gamme regroupe un nombre important de produits autour d’une même promesse. Contrairement aux marques lignes, les marques gammes ne sont pas focalisées sur la satisfaction d’un seul besoin ; elles rassemblent des produits impliquant la maîtrise des mêmes compétences. Une marque gamme peut comporter plusieurs lignes qui viennent structurer cet ensemble très large. Une Marque caution peut venir se superposer aux niveaux précédents. Dans le cas de la marque caution, c’est la marque de niveau inférieur – produit, ligne ou gamme – qui domine. La maque caution vient donner une crédibilité à la marque cautionnée. La Marque source est un cas de figure proche, c’est cette fois la marque source qui domine le niveau inférieur. L’univers de référence est celui de la marque source et non celui du produit. La Marque ombrelle est censée correspondre à une situation où tous les produits portent le même nom de marque et ne se distinguent que par leur nom générique (voiture ou plat cuisiné). La marque ombrelle doit permettre de capitaliser sur un seul nom et donc de réaliser des économies d’échelle dans le cadre d’un développement international.

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Cette approche descriptive des architectures de marque a trois inconvénients majeurs. D'abord elle entre dans une nuance parfois poussée à l’extrême. Ensuite, il est parfois difficile de faire correspondre la réalité au découpage proposé.

Ainsi, une marque comme CANON est traditionnellement présentée comme une marque ombrelle, omniprésente. Pourtant, elle s’articule avec des noms de produits qui deviennent progressivement des marques, par exemple les appareils photo EOS ou IXUS. De la même manière, on peut présenter BENETTON comme marque gamme alors qu’il s’agit également d’une marque corporate.

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Enfin, les architectures sont complexes et imbriquées et la distinction effectuée ne permet pas de faire le lien avec des préoccupations managériales. Il nous paraît plus simple de partir de la structure des architectures réelles. Le détail des niveaux produit, ligne, gamme et ombrelle et leurs imbrications peuvent être d'une telle complexité que consommateurs et managers s'y perdent ; laissons ceci au marketing. Le point qui nous intéresse ici est celui de l’articulation entre marketing et management.

1. Il peut y avoir un recouvrement entre le découpage organisationnel et le découpage commercial, une marque divisionnelle pouvant également être une marque produit, ligne ou gamme.

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Il faut donc concevoir différemment l’architecture de marques si l’on veut bénéficier d’un effet de levier en interne. On peut, dans ce cas, ne retenir que trois niveaux. Le premier niveau correspond à l’ensemble constitué par les marques produit, ligne et gamme ; il s’agit pour nous des marques commerciales. Le deuxième niveau est celui des marques divisionnelles : ces marques correspondent à l’activité d’une division ou d’une unité opérationnelle au sein d’un groupe ; elles peuvent servir de caution, d’ombrelle ou de source pour les marques commerciales, que le niveau corporate soit impliqué ou non. C’est à ce deuxième niveau qu’il est possible de faire du management par la marque puisqu’il correspond à une réalité organisationnelle et non uniquement à une segmentation marketing1. Dans les Le management par la marque ne entreprises décentralisées, où chaque peut s’appuyer que sur un découpadivision dispose d’une autonomie ge correspondant à une logique importante, il est vraisemblable que la organisationnelle. marque divisionnelle soit le bon niveau de mise en œuvre du management par la marque. Il en va de même dans des entreprises très diversifiées, au sein desquelles il est peut-être difficile d’adopter la marque corporate pour l’ensemble des activités. Au troisième niveau, les marques corporate correspondent au nom d’un groupe pouvant être présent dans différentes activités (cf. tableau suivant). La marque corporate est plus facilement utilisée dans des groupes centralisés et peu diversifiés. Il n’y a toutefois pas de règle absolue en la matière, certaines marques corporate – en particulier les marques japonaises comme CANON, MITSUBISHI ou YAMAHA – sont utilisées comme marques uniques dans des activités très différentes.


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Pour YAMAHA, les activités vont des instruments de musique aux motos en passant par la Hi-Fi. A contrario, un groupe comme DAIMLER-BENZ conserve de nombreuses marques ayant chacune leur autonomie et souvent des noms de modèles : MERCEDES, JEEP, DODGE… Nous conserverons donc pour la suite une logique à trois niveaux qui permet de coller à une logique organisationnelle : marque corporate (toute l’entreprise), marque divisionnelle (marque réservée à une division, une unité opérationnelle ou une filiale) et marque commerciale (marque réservée au niveau produit, gamme ou ligne).

Management par la marque et organisation Organisations décentralisées/diversifiées

Organisations centralisées/peu diversifiées

Niveau

Division ou unité opérationnelle

Groupe

Marque

Marque corporate ou divisionnelle

Marque corporate

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Décloisonner le portefeuille de marques L’objectif du décloisonnement du portefeuille de marques est la construction d’un système cohérent entre les valeurs des marques corporate et/ou divisionnelles d’une part et les positionnements des marques commerciales. C’est donc un système de marque que l’on cherche à élaborer dans lequel les différents niveaux s’enrichissent. C’est seulement dans ces conditions que le management par la marque prend tout son sens. Il s’agit donc bien d’un objectif managérial et non uniquement d’une rationalisation des investissements publicitaires. Les marques commerciales doivent représenter les valeurs corporate sur le terrain et l’on ne peut pas faire l’économie de ce lien entre les niveaux, sans créer une tension forte qui enlève à la marque sa capacité à générer du sens, tant pour les salariés que pour les clients. Le décloisonnement d’un portefeuille de marques peut s’appuyer sur un premier diagnostic réalisé à partir de la matrice de décloisonnement du portefeuille de marques. Deux dimensions peuvent être retenues pour constituer une matrice de décloisonnement du portefeuille de marques : la congruence vis-à-vis de la marque institutionnelle (divisionnelle ou corporate) et le

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potentiel tactique et/ou stratégique. Ce diagnostic général sur le portefeuille doit être complété par un diagnostic de marque plus approfondi par la suite.

Une première dimension : l'intégration de considérations tactiques ou stratégiques Il convient de prendre en compte ces considérations qui peuvent pousser certaines entreprises à conserver une architecture à marques multiples (relativement cloisonnées dans leur dimension commerciale) ou encore, à pratiquer une politique d’utilisation de marques ombrelles reliées aux marques commerciales. Avant de prendre de telles décisions, il est nécessaire de mettre en regard le potentiel stratégique de la marque sur cette dimension tactique et stratégique et le coût de la création ou du maintien d’une marque indépendante.

Un autre objectif stratégique correspond à la nécessité d’occuper le marché. C’est notamment utile lorsque la marque a atteint, pour une zone géographique donnée, une part de marché importante. Par exemple des entreprises comme POINT P ou COLAS conservent parfois, sur certains départements, deux ou plusieurs marques afin de maintenir un choix pour leurs clients. C’était clairement dans le monde de la grande consommation l’un des motifs les plus fréquents de multiplication de marques proches mais ayant un positionnement marketing légèrement différent. Comme nous l’avons indiqué, le mouvement s’est inversé et cette approche devrait être maintenant réservée à des situations très particulières dans laquelle la concurrence se trouve localement limitée.

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Il s’agit tout d’abord des situations de lancement de certains produits. Il est parfois difficile d’imposer avec une seule marque un nouveau standard ou une innovation sur un marché. Cette contrainte est d’ailleurs telle que dans l’industrie pharmaceutique, les entreprises n’hésitent pas à se lancer dans des opérations de comarketing avec leurs concurrents. Le cas de l’industrie pharmaceutique est un peu extrême mais le fait de disposer de plusieurs marques pour lancer une innovation peut s’avérer utile. C’est également très coûteux et il est clair que, dans un environnement où les lancements internationaux deviennent la norme, le lancement d’une nouvelle marque, sans ombrelle, implique un coût très important. Ce cas de figure reste donc exceptionnel.


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Dans le même esprit, une architecture à marques multiples peut permettre de couvrir plusieurs segments. Dans ce cas, les synergies industrielles et logistiques peuvent être exploitées pleinement, tout en offrant une gamme, un niveau de prix ou un style différent pour chacune des marques. L’entreprise peut ainsi élargir la surface sur laquelle elle exploite ses ressources et ses compétences.

Le groupe GAP dispose de trois marques qui mobilisent des compétences similaires : OLD NAVY, THE GAP et BANANA REPUBLIC. Chaque marque est positionnée à un niveau de gamme différent et le groupe peut ainsi occuper l’ensemble du marché du prêt-à-porter. Notons toutefois que dans ce cas, le cloisonnement n’est pas une fatalité ; il existe de nombreuses marques pour lesquelles la signature corporate demeure possible.

C’est le cas D’ACCOR et de ses diverses marques, FORMULE1, IBIS, NOVOTEL, MERCURE, SOFITEL… Le développement international peut parfois impliquer de conserver des marques locales qui représentent historiquement une part de marché importante et un fort capital de marque.

Ainsi, après avoir choisi de recentrer le groupe DANONE sur quelques activités clés comme l’eau et les yaourts, Frank Riboux a axé le développement du groupe sur une combinaison de marques mondiales et de « champions locaux ». Les « champions locaux » permettent en effet d’occuper le marché ou de couvrir plusieurs segments pour limiter la place laissée aux concurrents.

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Toutefois, dans la majorité des cas, il reste possible de passer à un schéma de type marque ombrelle. Dans certains cas, l’architecture de marques peut permettre de protéger certaines activités vis-à-vis d’activités plus risquées. La peur de l’effet « domino » est souvent évoquée pour justifier un cloisonnement excessif entre les marques. Cet argument peut être pertinent dans certaines circonstances, mais il ne tient que dans des situations relativement bénignes. En cas de crise grave, le consommateur, guidé par les médias,

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établit facilement le lien entre une marque et l’ensemble du groupe qui la produit (voir par exemple le mouvement de boycott engagé par certains consommateurs sur les produits du groupe DANONE, suite à l’annonce de la fermeture de plusieurs sites de production LU). Cette protection peut toutefois être utile en cas d’échec commercial ou de performance décevante sur certains marchés. Il est donc envisageable de se protéger de la sorte sur un nouveau marché mais dans ce cas, l’utilisation de la marque institutionnelle prendra le relais.

Les enjeux tactiques et stratégiques Lancer une catégorie de produits Occuper le marché Couvrir plusieurs segments Conserver le positionnement des marques locales Se protéger des activités risquées

La seconde dimension : la congruence de la marque commerciale avec les niveaux institutionnels Plus cette congruence est forte et plus il sera aisé de créer des liens entre les niveaux institutionnels et commerciaux. S’il est en pratique très souvent possible de créer ces liens entre les différents niveaux, c’est en partie parce que le consommateur est davantage habitué à décrypter ces architectures plus complexes, mais également plus conformes à la réalité des entreprises.

Cela a été la démarche adoptée pour le lancement sans succès D’OYYO par le CLUB MÉDITERRANÉE. Même si les médias ont fait le lien entre les deux marques, ce lien n'a pas été explicitement

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Le point le plus fondamental est le degré de compatibilité des valeurs de la marque commerciale avec celles de la marque institutionnelle. Cette convergence des valeurs est importante vis-à-vis du consommateur mais également vis-à-vis des employés. En l’absence d’une convergence entre les systèmes de valeur, il est impossible de nouer des liens entre les différents niveaux de marques. Certaines entreprises tentent ainsi d’isoler un concept particulier qui capitalise pourtant sur les compétences de l’entreprise.


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établi par l’entreprise et la communication a été clairement cloisonnée : catalogues, sites web… Il ne faut pas négliger le risque de synergies négatives quand on crée des liens entre les divers niveaux de marques. C’est d’ailleurs l’un des motifs le plus souvent évoqués pour limiter les extensions de marques. Le risque porte essentiellement sur une dilution de l’image ou encore sur une dégradation de cette image. Il est donc important de vérifier l’absence de synergies négatives.

On peut se demander si, après le rachat des CLUBS AQUARIUS, le CLUB MÉDITERRANÉE a bien fait de les intégrer sous sa propre marque. Ces clubs bas de gamme n’ont-ils pas contribué à troubler l’image de marque de l’entreprise ? La stratégie récente incluant la fermeture de nombreux « deux tridents » est un indice corroborant cette hypothèse. Un autre point important est la perception, par le consommateur, du lien existant entre les activités. Les entreprises japonaises et coréennes sont souvent mises en avant pour leur capacité à utiliser leur marque corporate pour l’ensemble de leurs activités très diversifiées. Certaines parviennent ainsi à construire une image dont la cohérence est perçue par le consommateur, c’est le cas par exemple de CANON1. Pour d’autres, l’ampleur de l’activité et la faiblesse de la marque crée une dilution de l’image qui a un effet négatif. C’est le cas de conglomérats comme DAEWOO dont la légitimité n’est pas clairement établie. La congruence ne doit pas uniquement être évaluée au regard de la perception de la marque par le consommateur. Les aspects métiers doivent également entrer en ligne de compte et peuvent permettre d’asseoir la légitimité d’une marque corporate sur un champ assez large.

a réussi à être présent dans des secteurs aussi variés que l’automobile et les outils de jardinage grâce à sa maîtrise des compétences liées aux moteurs.

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HONDA

1. Cette capacité à bien utiliser leur marque corporate sur des catégories de produits très différentes semble être un avantage spécifique aux entreprises asiatiques. Même des marques récentes comme LG et SAMSUNG sont de bons exemples. Il n'existe, à notre connaissance, aucune recherche académique sur le sujet identifiant les facteurs qui expliquent cet avantage compétitif. À suivre donc…

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Une entreprise ou un secteur peut, grâce à cette logique, éduquer les consommateurs sur les liens existant entre ses activités diverses. La limite est alors clairement celle des liens réels entre les activités et donc la crédibilité de ces liens.

La congruence Compatibilité des valeurs Absence de synergies négatives Perception du lien par le consommateur Proximité des métiers

L’évaluation selon les deux dimensions de la congruence et des enjeux tactiques et stratégiques permet de construire une matrice de décloisonnement du portefeuille de marques. Les marques peuvent être représentées, de manière classique par un cercle représentant leur poids dans le chiffre d’affaires. Cela donne une idée rapide de l’importance prise par chaque marque dans le portefeuille. La logique de décloisonnement du portefeuille doit permettre de simplifier celui-ci au maximum en conservant le moins possible de marques isolées. En particulier, il est important d’éviter de conserver des marques reposant uniquement sur des éléments tactiques sans réel potentiel. Pour permettre d’instaurer un management par la marque efficace, il faut toujours rechercher la marque source ou ombrelle en remontant le plus haut possible et si possible jusqu’au niveau corporate.

Dans le cas particulier où la convergence est forte mais associée à une marque ayant un fort potentiel tactique et stratégique, il est possible de créer des liens entre la marque commerciale et le niveau divisionnel ou corporate. Il convient alors de faire un choix et de trancher en faveur de la marque ombrelle, de la marque source ou encore de la marque caution. L’important est alors d’associer progressivement la marque commerciale aux marques de niveau supérieur.

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Les prescriptions de la matrice sont simples : dans les cas où la congruence est suffisante et où le potentiel stratégique et tactique de la marque est faible, la solution adaptée est l’absorption de la marque par une opération de rebranding. C’est alors la marque divisionnelle ou corporate qui est mise en avant, la marque commerciale étant supprimée.


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Les marques qui, tout en ayant une congruence faible, ne possèdent pas de potentiel stratégique et commercial n’ont pas de réelle raison d’être exploitées à long terme. Il est probable que ces marques perdent leur suprématie à long terme et les investissements nécessaires à leur maintien sont toujours élevés. Plusieurs solutions d’abandon sont alors envisageables. La première solution est de maintenir ces marques, en limitant les investissements, tant qu’elles sont rentables, puis de les retirer ensuite du marché. La seconde solution est l’abandon immédiat (éventuellement en les vendant si elles ont toujours un potentiel). Il est en effet possible que certaines entreprises aient une logique stratégique différente et que la congruence soit plus forte pour elles. Il faut alors clairement contrôler que la vente n’entraîne pas une concurrence dangereuse pour l’entreprise. Le dernier cas est celui où le cloisonnement demeure la seule solution envisageable ; il concerne les marques ayant un potentiel important mais une congruence faible. C’est le cas des « champions nationaux » dont nous avons déjà parlé. Le maintien de la marque n’implique pas nécessairement un cloisonnement de toutes les fonctions de l’entreprise. Comme nous le verrons dans le chapitre 7, le fait de conserver certaines marques non reliées au portefeuille n’interdit pas de faire du management par la marque. Il est toujours possible d’assurer l’articulation de la communication externe et du management. Il est également possible d’exploiter des synergies sur la fabrication, la logistique, la recherche… Mais aussi éventuellement pour le contact avec certains clients.

C’est le cas par exemple de KIMBERLEY CLARKE qui a choisi de maintenir une diversité de marques et, en même temps, une organisation par enseigne de distribution. Ainsi, malgré la diversité des marques, les aspects commerciaux sont gérés de manière transversale.

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Le schéma suivant (f. 7), présenté sous forme de matrice, illustre les options qui sont offertes. Il faut toujours être prudent lorsqu’on utilise des matrices de portefeuille. L’outil est utile mais parfois trompeur. Il est intéressant d’intégrer, aux côtés de la matrice, un diagnostic plus précis sur l’état de santé des marques analysées. Cette information permettra de tempérer les

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La matrice de décloisonnement du portefeuille de marques (f. 7) Congruence

Absorber

Associer

Abandonner

Cloisonner (maintenir ou créer)

Potentiel tactique/stratégique

prescriptions parfois un peu abruptes de la matrice. La question fondamentale est alors celle du vieillissement de la marque analysée. Bontour et Lehu1 proposent une grille de diagnostic (e. 9) La démarche de diagnostic que nous avons proposée permet à l’entreprise de simplifier et de décloisonner son portefeuille de marques. Les étapes suivantes sont la création de la direction de la marque et la réflexion sur le référentiel de valeurs de l’entreprise.

Il existe des ouvrages marketing spécialisés sur les marques qui traitent de manière détaillée du diagnostic de marque. De manière extrêmement rapide, on peut estimer qu’une marque ayant une notoriété assistée supérieure à 30 % mérite un traitement particulièrement soigné. Au-delà d’indicateurs basiques comme la notoriété (top of mind, spontanée, assistée…), il peut être nécessaire de mener un véritable audit de marque qui permette de constater le degré de vieillissement d’une marque. Nous reprenons ici les travaux de Bontour et Lehu2 pour donner quelques jalons. Le tableau ci-dessous 1. Bontour A. et Lehu J.M., Lifting de marque, Éditions d’Organisation, 2002.

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Le diagnostic de marque (e. 9)


chapitre 4. les choix à faire par le management

liste les principaux facteurs à prendre en compte pour évaluer ce degré de vieillissement. Technologie produit

R & D produit et process

Caractéristiques produit

Qualité et innovation

Position concurrentielle

Part de marché et arrivée de nouveaux entrants

Circuit de distribution

Référencement et caractéristiques des points de vente

Cible

Renouvellement de la cible et baisse de l’implication

Âge perçu de la marque

Audit complet de l’image : perception par les leaders d’opinion, associations, catégorisation, positionnement/concurrents

Extensions

Pertinence des extensions de marques et licences

Communication

Part de voix et ton de la communication

Favoriser les big-bang plutôt que les biseaux Dans les réglages clés à effectuer par le top management, la pulsation du changement est le deuxième point après la simplification de l'architecture de marques. Doit-on changer très vite, sans délai, en une seule fois ; ou alors, convient-il d’obéir à un schéma graduel et progressif dans le temps ? La réponse à cette question, importante dans la mise en place d’un management par la marque, suppose deux niveaux d’analyse. Le premier concerne la caractérisation de la posture d'évolution de la marque sur le marché. Le deuxième concerne la prise en compte des composantes des évolutions envisagées.

La caractérisation de posture d'évolution de la marque sur le marché

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Elle fait apparaître trois concepts très différents :

• le lancement de marque,

2. Bontour A. et Lehu J.M., op. cit., Éditions d’Organisation, 2002.

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• le changement de marque, • le relancement. Un lancement de marque correspond à la mise sur le marché sui generis d’une nouvelle marque. Un changement de marque correspond à la substitution d’une marque ou d’un périmètre de marque. Un relancement correspond à une modification de certaines composantes externes de la marque (triptyque de marque, logo et identité visuelle, éléments de communication, packaging de l’offre…). Dans un lancement, la marque qui se lance se retrouve avec pas (ou peu) de contraintes liées à une situation préétablie. Un choix va devoir être fait entre au moins trois options d’introduction : deux options relativement classiques et une troisième, plus originale. Le point commun de ces options d’introduction est d’être dans la logique de big-bang, puisqu’il n’y a aucune transition à effectuer avec une autre marque antérieure. La première option d’introduction obéit à une approche séquentielle de communication institutionnelle et d’image, puis de lancement de l’offre (produit ou service). La deuxième option d’introduction repose sur une forte communication autour de l’offre elle-même, en occultant la communication institutionnelle et d’image.

successives en France. ACTE I : le lancement du « 9 », opérateur de téléphonie fixe. Le lancement est institutionnel et la communication qui vise à fonder la notoriété de la marque ne s'appuie qu'indirectement sur l'offre. Cet acte I se termine en juin 2002 avec la session de l'activité à LD-COM. ACTE II : TELECOM ITALIA choisit une entrée moins tonitruante et, cette fois, à visage découvert ; c'est le lancement en octobre 2003 de TELECOM ITALIA France. Contrairement à l'approche retenue pour le « 9 », la communication est centrée sur l'offre ADSL et son tarif. C'est donc l'offre plutôt que la marque qui est mise en avant.

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TELECOM ITALIA a suivi les deux écoles pour ses deux implantations


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La différence essentielle entre les deux options tient au terrain de notoriété que la marque veut conquérir avant de lancer son offre. L’option plus originale consiste à faire établir la communication par le client luimême, en lui donnant un rôle de prescription auprès de ses cercles de connaissances (logique du « bouche à oreille »). Ce dernier schéma correspond généralement à un choix délibéré de développement focalisé en terme de cible dans un premier temps, puis d’extension de la diffusion à un niveau plus large, dans un second temps.

Cela a été le cas des lancements D'ABSOLUT VODKA avec une focalisation importante au lancement en terme de cible (les gays) et de circuit de distribution (les boîtes de nuit et les bars) ou bien de NESPRESSO en terme de cible (people) et de médias (marketing direct). Dans les changements de marque (substitution de marque ou de périmètre de marque), la différence essentielle avec les lancements de marque tient à la prise en compte des situations de départ et des risques inhérents aux changements. La prise en compte des contraintes d’organisation est nécessaire et même une politique affirmée de passage rapide et immédiat à la nouvelle marque peut devoir être conditionnée par une batterie de critères. Les conditions de passage des points de vente acquis par l’enseigne POINT P à la marque de l’enseigne (e. 10), en est une parfaite illustration. Ceci explique pourquoi les changements de marque en big-bang sont plutôt rares.

Intégration des indépendants rachetés chez POINT P (e. 10) P est un des acteurs majeurs sur le marché de la fourniture de matériaux de construction pour usage professionnel (70 % de son activité) ainsi qu’aux particuliers. Le groupe a fait, de longue date, un choix de croissance externe comme complément à la croissance organique. Les points de vente rachetés ont vocation à passer rapidement sous le nom du groupe POINT P. Mais des

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POINT

situations exceptionnelles de conservation de la marque d’origine de l’enseigne rachetée ont déjà eu lieu. La politique d’intégration (des enseignes rachetées) à la marque POINT P applique donc deux principes directeurs : d’une part, le changement de marque se fait quand les employés sont rentrés dans le système et, d’autre part, on ne peut pas changer de marque sans

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une approche spécifique de l'organisation et du changement

avoir changé l’organisation. Indépendamment du choix sur la vitesse de passage à la marque POINT P, un ensemble de mesures sera systématiquement engagé : application immédiate de la politique RH de POINT P (classification, rémunération…), application des modes de management de POINT P, mise à niveau et intégration des systèmes d’information et du backoffice permettant d’obtenir notamment un reporting rapide, une fiche de paie POINT P et des synergies logistiques. Le choix de la marque pour l’enseigne tient toujours compte de l’analyse des résultats de l’enseigne dans sa géographie (zone de chalandise). Le critère de décision pour la vitesse de passage sous la marque POINT P est la

situation de l’enseigne rachetée : une enseigne peu ou pas rentable passera plus vite sous la marque qu’une enseigne rentable. Dans le cas d’une enseigne peu ou pas rentable, le biseau n’est pas jugé nécessaire (les opportunités sont estimées largement supérieures aux risques) ; le changement de marque sera mené très rapidement, souvent en parallèle avec un changement de management. Dans le cas d’une enseigne rentable, la question est toujours posée : « Quelle est la valeur ajoutée, pour le client, du changement d’enseigne ? » Le changement de marque d’une enseigne rentable n’est en général pas réalisé moins de 12 mois après le rachat.

Dans les relancements, la prise en compte des situations de départ est aussi importante, mais l’impact des changements qui s’opèrent est moindre. Les risques à prendre en compte sont également inférieurs. Comme l'impact média d'un big-bang est important, les entreprises tranchent souvent en faveur de ce schéma. À quelques détails d'exécution près, cela a été le choix de WANADOO (changement de logo et de promesse) et de GAZ DE FRANCE (idem). La figure (f. 8) regroupe, autour de quelques exemples, les choix que certaines entreprises ont opérés entre big-bang et biseau suivant les différentes situations d’entrée de leur marque sur le marché.

Pour les cas de rebranding (changement de marque) et de revamping (relancement de marque), le choix doit tenir compte de quatre composantes d’évolution de la marque. La première composante à prendre en compte est la relation entre la marque et le client et en particulier le cycle de relation avec le client.

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Les quatre composantes d'évolution de la marque


chapitre 4. les choix à faire par le management

Cartographie Big-bang/Biseau (f. 8) Lancement Biseau

Big-bang

Nespresso Body Shop

Changement Philips ➝ Whirpool Treets ➝ M&M's Seita ➝ Altadis FTM ➝ Orange

Relancement

Wanadoo Gaz de France

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Cette première composante intègre des éléments théorisés depuis longtemps ; nous citerons (dans le désordre) : image de la marque, notoriété de la marque, fidélité du client à la marque, qualité perçue par le client. Ces différents points sont largement développés notamment par Aaker1. Facteur moins bien appréhendé dans la littérature managériale, mais pourtant tout aussi déterminant dans la décision d’aller plus ou moins vite dans l’introduction de la marque, le cycle de relation avec le client, nécessite lui aussi une attention particulière. Par cycle de relation avec le client, il faut entendre d’une part la fréquence d’achat du produit, mais aussi la fréquence des contacts entre l’entreprise et le client qui, par voie de conséquence, va mettre ce dernier en relation avec la marque (opérations de conseil avant-vente, suivi de la transaction d’achat, service après-vente, conseil, opérations de fin de relation contractuelle…) et enfin la durée d’engagement (volontairement consentie ou forcée, suivant les points de vue) entre le client et l’entreprise. Pour illustrer ce dernier point, dans une décision d’introduction de la marque, la prise de décision ne se fera pas avec la même sensibilité suivant que la relation du client avec la marque est hebdomadaire et très compétitive (achat d’un yaourt en « hyper ») ou que le client a souscrit un abonnement (à un périodique) pour une durée de 12 ou de 24 mois.

1. Aaker D.A., “Capitalizing on the value of a Brand Name”, in Managing Brand Equity, 1991.

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une approche spécifique de l'organisation et du changement

La deuxième composante à prendre en compte est la profondeur du changement dans l’architecture de marques à venir. Touche-t-on au niveau commercial, au niveau divisionnel ou au niveau corporate, à deux d'entre eux ou aux trois niveaux à la fois ? S'agit-il réellement d'un changement de marque ou de l'insertion d'une nouvelle marque à un niveau qui n'était pas activé dans l'architecture d'origine ? Ou bien encore, s'agit-il d'une réduction du nombre de niveaux de l'architecture de marques liée à une congruence forte et à une importance stratégique moindre des marques que l'on souhaite supprimer. Quelques remarques de bon sens peuvent servir de principes d'action. L'insertion d'un nouveau niveau dans l'architecture de marques s'apparente à un lancement ; la traiter par le big-bang apporte plus d'avantages que d'inconvénients. De même, la réduction du nombre de niveaux de l'architecture de marques liée à une congruence forte et à une importance stratégique moindre des marques que l'on souhaite supprimer peut se traiter par le big-bang, tant que l'on préserve quelques repères essentiels pour le consommateur. Le remplacement de CHAMBOURCY par NESTLÉ s'apparente à ce schéma. Il s'agissait de supprimer le niveau divisionnel ; en conservant le graphisme de CHAMBOURCY dans le nouveau logo NESTLÉ pour les produits frais, l'entreprise a maintenu ce qu'il fallait de repères pour les clients de la marque.

Bien sûr, ce sont les changements de marque au niveau commercial qui présentent le plus de risques à être traités sous le mode du big-bang. On notera au passage que moins les autres niveaux sont présents sur le produit – le niveau commercial étant le seul à être activé – plus c'est difficile. Ainsi, TWIX a pris un an pour remplacer RAIDER et WHIRPOOL trois ans pour lâcher PHILIPPS. Dans tous les cas, la possibilité de procéder par un big-bang dépend beaucoup de l'importance stratégique relative de la marque utilisée au niveau commercial, de son niveau de

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La plupart du temps, les changements de marque au niveau divisionnel ou corporate sont également traités par le big-bang, quand les niveaux commerciaux sont maintenus ; à la rotation des produits près, c'est le schéma qui a été retenu lors de la fusion de MOTTA et MIKO et du remplacement de la première marque par la seconde sur Carte d'Or, Magnum ou Viennetta.


chapitre 4. les choix à faire par le management

congruence avec la marque qui la remplace et de la conservation d'un certain nombre de repères et de codes pour les clients. Enfin, paradoxalement, les changements impactant tous les niveaux peuvent être traités par le big-bang quand ils permettent à la fois de simplifier l'architecture de marques (en supprimant les niveaux non stratégiques) et d'améliorer la congruence entre les niveaux qui demeurent. Là encore, la conservation des éléments clés pour les clients est un facteur de succès.

C'est largement le cas du remplacement d'ITINERIS, OLA, MOBICARTE, et FRANCE TELECOM MOBILES par ORANGE ; dans ce cas, les grands axes de structuration du marché et certaines offres centrales ont été conservés. La troisième composante à prendre en compte est l'articulation entre le changement de marque et la modification de l’offre. Ce point concerne la prise en compte d’un changement d’offre à l’occasion d’un changement de marque et de ses implications, tant en interne qu’en externe. Le concept de modification d’offre doit être entendu dans un sens très large, pour couvrir les problématiques très différentes entre secteurs : changement de formule ou de packaging, changement de segmentation ou de structuration de l'offre, changement de tarification ou de gammes de produits.

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De tels choix impliquent des questions importantes de mise en œuvre. Si un changement d’offre est décidé dans le cadre d’un changement de marque, quelles en seront les implications, en amont, sur les processus, les systèmes d'information, voire la chaîne de valeur de l’entreprise ? Quelle en sera la part interne (délais de conception du changement de processus ou de modes de fonctionnement, délais de mise en œuvre…) et quelle en sera son impact sur le marché (durée de la communication nécessaire pour expliquer le changement aux partenaires, aux clients, durée nécessaire pour mettre en place le changement sur l’ensemble des points de vente, auprès de l’ensemble des clients, enchaînement et séquencement des opérations) ? Plus l’entreprise choisira un changement profond et « en rupture », plus la phase consacrée à la communication, à l’explication et à la mise en œuvre sera longue (f. 9).

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une approche spécifique de l'organisation et du changement

Changement incrémental vs en rupture (f. 9)

Degré de changement

+

– Temps nécessaire pour l'intégration du changement

Une réponse positive peut s’imposer car la mise à niveau de l’offre exerce un effet mobilisateur et accélérateur en interne et salutaire en externe. Sur l’interne, la mobilisation des différents métiers de l’entreprise pour améliorer l’offre va donner d’une part une traduction très concrète du sens et de la promesse de la marque aux salariés impliqués (effet de mobilisation) et, d’autre part, elle va servir d’accélérateur pour la prise en compte des valeurs de la marque. L’expérience montre en effet qu’on intègre plus vite les valeurs et la substance d’une marque quand on pense « client » que lorsqu’on pense à soi, en interne. Sur l’externe, la transformation de l’offre va permettre de mettre cette dernière, et donc la marque, au niveau des attentes des clients et de renforcer ainsi le terrain favorable pour l’établissement de la nouvelle marque. La quatrième composante à intégrer est le différentiel de revenus, de coûts et de risques entre les différentes options (big-bang ou biseau). Ce

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La modification de l’offre, dans le cadre d’un changement de marque, amène une deuxième réflexion, qui concerne la démarche même dans laquelle l’opération doit être envisagée et conduite. Dans un schéma de mise en place d’un management par la marque, peut-on accepter de faire une simple opération « de façade » (changement externe), sans toucher à l’offre ? Doit-on, au contraire, associer les différents métiers de l’entreprise à la volonté de mettre l’offre à niveau ?


chapitre 4. les choix à faire par le management

calcul doit donc mettre en évidence l'avantage ou le désavantage économique à substituer sans délais une marque à une autre et en une seule fois par rapport à un biseau graduel laissant coexister les deux marques, pendant une certaine période, avant que l’ancienne ne disparaisse. Plus précisément, le calcul doit actualiser (prise en compte du facteur temps) le différentiel coûts/revenus/volatilité des options, en intégrant les éléments récurrents et les éléments exceptionnels (qui n’apparaîtront qu’une fois). Étape 1 (f. 10) : la constitution du tableau de coûts/revenus des marques, à partir du modèle simple, décrit ci-dessous.

Tableau de coûts/revenus des marques (f. 10) Modèle revenus/ coûts de la marque

Impact parts de marché :

Investissements médias

Ventes volume

Investissements hors médias

Ventes valeur

Autres investissements

Étape 2 (f. 11) : la caractérisation des éléments exceptionnels, à partir du modèle décrit ci-dessous.

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C’est sur la base de ces différents paramètres qu’un calcul financier pourra être mené pour appréhender le différentiel entre les options proposées. Le calcul sera d’autant plus simple que les marques soumises à changement sont gérées de façon autonome (logique de P & L) par opposition à des marques d’entreprise où les effets induits d’image (impact des investissements d’image corporate, de sponsoring…) et la simple allocation des ressources associées à la marque seront plus difficiles à intégrer.

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une approche spécifique de l'organisation et du changement

Caractérisation des éléments exceptionnels (f. 11) Coût retrait marque X

Dépenses spécifiques et non récurrentes destinées à effectuer le retrait

Coût introduction marque Y

Dépenses spécifiques et non récurrentes destinées à effectuer l'introduction

Coût biseau de X à Y

Coût big-bang de X à Y

Coût direct : ventes perdues, baisse de parts de marché

Surcoûts éventuels du big-bang par rapport au biseau liés à l'effet de vitesse (coûts de substitution, campagne média, ...)

Coût indirect : perte de visibilité et de notoriété de la marque, coût de rétablissement de l'équilibre, ...

Le schéma (f. 12) illustre le degré de criticité des quatre composantes selon les différentes situations d’introduction de la marque sur le marché. La situation de changement de marque cumule les facteurs critiques.

Analyse de criticité (f. 12) Changement de marque

Lancement

Relancement

Relation entre la marque et le client Profondeur changement architecture marques Articulation avec l'offre Différentiel coûts / revenus / valeur

Criticité moyenne

Criticité forte

Mais l’analyse de ces seules composantes ne traduit pas tout, loin de là ; l’identification des risques et des opportunités qui sont associés aux options doit être aussi prise en compte. Ce dernier point nous permet de mettre en évidence quelques fausses croyances souvent associées à la construction des schémas d’introduction de marque.

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Criticité absente


chapitre 4. les choix à faire par le management

Première fausse croyance : la marque retirée disparaît instantanément L’exemple de substitution de la marque NISSAN à DATSUN aux États-Unis est une bonne illustration.

La substitution eut lieu entre 1982 et 1984 (au profit de NISSAN). Le montant cumulé dépensé sur la campagne média au profit de NISSAN fut au bas mot de 100 millions de dollars ; bien entendu, plus aucun investissement publicitaire ne fut engagé sur DATSUN à partir de 1982. Et pourtant, une étude média de 1988 mis en évidence que la notoriété de DATSUN (6 ans après son retrait) était l’égale de celle de NISSAN. Deuxième fausse croyance : un schéma de changement de marque par le big-bang est impossible parce que trop risqué De notre point de vue, un facteur décisif dans la qualité d'un changement de marque tient à la cohérence des choix qui sont faits en amont, à leur exécution sans faille et sans retour en arrière coupable. En un mot, c'est une affaire de conviction et de qualité d’exécution, comme l’exemple de l'introduction d'ORANGE l’illustre bien. Les choix d'ORANGE peuvent se résumer ainsi : « Tout et tout de suite ! » La nouvelle marque et les nouvelles offres !

ORANGE : Trois axes de réflexion pour une introduction

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par le big-bang (e. 11) Précédé par l'introduction en bourse d'ORANGE, le rebranding de FRANCE TELECOM MOBILES en 2001 aboutit au lancement ex nihilo d'ORANGE en France, tant en interne qu’en externe, en faisant la transition avec la marque divisionnelle (FTM) et avec OLA, MOBICARTE et ITINÉRIS (marques commerciales). Le choix, en terme de mode de lancement, se porta sur une introduction en big-bang.

Trois axes de réflexion principaux ont orienté cette décision. • La volonté de faire simple et la constance des convictions des dirigeants ont d'abord joué un rôle important. Disposant d’une référence avec ORANGE en Grande-Bretagne (marque unique, aspirationnelle), l’équipe française acquit très vite la conviction qu’il n’y avait qu’une seule voie à suivre : une introduction forte d’ORANGE pour établir sa notoriété

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très rapidement, idéalement sans biseau, c’est-à-dire en limitant au strict minimum la transition. Cette logique s’est exprimée selon les quatre choix structurants qui ont été faits. Premier choix : apporter un vrai bénéfice au client et au prospect à l’occasion du changement de marque (ne pas faire du simple « cosmétique ») ; l’offre devait être mise à niveau, améliorée, refondue. Deuxième choix : ORANGE portant en elle la simplicité (une des valeurs de la marque), l’architecture de marques devait être simple ; exit donc les schémas de marque ombrelle (ORANGE) laissant une place aux marques produits (ITINÉRIS, OLA…). L’architecture de marques décidée est celle d’une marque globale : ORANGE devint donc à la fois marque divisionnelle et marque commerciale ; seul MOBICARTE est conservée en tant qu'appellation. Troisième choix : rester simple jusqu’au bout. Cela s’illustra par le choix de ne pas rapatrier les anciens packs ITINÉRIS et OLA au moment d'installer, en linéaire, les nouveaux packs ORANGE. Les anciens packs furent laissés dans les linéaires et proposés simplement à l’achat dans un sac ORANGE ! Quatrième et dernier choix : ne maintenir que les repères nécessaires pour que le client s'y retrouve, notamment la structure de l'offre et certains produits comme le forfait ajustable. • Le deuxième champ de réflexion porta sur la capacité d'absorption du marché. Une analyse fut faite sur la faculté des clients et des partenaires à

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intégrer plusieurs étapes successives dans le changement de marque par opposition à un changement de marque en une seule fois. Les conclusions furent que leur attention ne pourrait pas être maintenue dans le temps, que la communication serait bien plus percutante si tous les messages étaient donnés en une seule fois, par opposition à des schémas de communication en « fondu enchaîné », beaux sur le papier mais concrètement très compliqués. La prise en compte de la consommation d’énergie interne nécessaire pour faire aboutir plusieurs étapes séquencées dans le temps fit aussi nettement pencher la balance dans le camp du changement par le big-bang, articulé avec une très courte phase d'annonce. • La troisième analyse porta sur les coûts. Le comparatif des coûts entre les deux options fit apparaître, pour le schéma d’introduction en biseau, un risque de dilution de l’investissement média entre la marque à lancer (ORANGE) et les 3 marques à entretenir (OLA, MOBICARTE et ITINÉRIS), le temps de la transition. Par opposition, un changement par le big-bang permettait de concentrer l’investissement média sur la nouvelle marque. Il fit aussi apparaître l'existence, pendant la durée du biseau, de coûts de transition (logistique, gestion des linéaires, publicité sur le lieu de vente, animations des ventes) assez élevés, sans qu’un avantage déterminant puisse les compenser. Trois outils pédagogiques ont été utilisés pour « faire passer », en interne, la décision d'abandonner rapidement

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une approche spécifique de l'organisation et du changement


chapitre 4. les choix à faire par le management

FRANCE TELECOM MOBILES, ITINERIS, OLA et MOBICARTE1.

• Tout d'abord, un cadre général, a permis d'étalonner les critères de succès de l'opération de changement de mar-

que en terme de résultats financiers, de satisfaction clients, de capacité organisationnelle et d'excellence opérationnelle.

Balanced Scorecard des critères de succès du projet Succès Financier

Succès Clients

Retour sur les investissements Pub

Partenariats Acquisition Fidélisation

Valeur du Parc

Mobilisation de la force de vente Implication de tous

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Succès Organisationnel

Ce cadre pédagogique a permis de construire la conviction que le succès devait être tant interne qu’externe et que ces deux composantes ne devaient pas être opposées, mais associées et largement intégrées. • Les variables de choix, ont ensuite été présentées sous forme de gestion de scénarios. Les différents champs d’application du rebranding ont été construits (distributeur, prospect, client, interne) ; les variables d’action, sur chacun de ces champs, ont été formulées puis regroupées en scénarios cohérents et discriminants ; les options de big-bang ou de biseau ont été introduites dans les scé-

Biseaux de transition Harmonisation des processus

Succès Opérationnel

narios et testées, en particulier sur les contraintes et les opportunités qu’elles généraient. Cette présentation a permis de convaincre de l'intérêt du scénario avec big-bang. Une fois les enjeux du big-bang approfondis, une déclinaison de ce choix et de ses impacts sur les différents processus fut réalisée pour construire une histoire d’ensemble pour l'introduction d'ORANGE. Cette histoire a permis de mobiliser les différentes composantes de l'organisation sur les tâches qu'elles devaient accomplir dans le cadre de l'opération.

1. ORANGE n'a conservé MOBICARTE qu'en tant qu'appellation produit en la « délogotypant ».

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une approche spécifique de l'organisation et du changement

1. Variables

2. Scénarios

Définition des champs : • Distributeur et prospect • Client en base • Interne ■ Identification des variables par champ

■ Construction de sousscénarios par champ ■ Validation des variables par sous-scénario ■ Construction de scénarios d'ensemble ■ Mise en cohérence ■ Analyse discriminante (+, –)

4. Risques et opportunités

5. Choix

■ Identification des natures de risques ■ Mise en évidence des opportunités ■ Synthèse des scénarios

3. Impacts et conditions de mise en œuvre ■ Identification des contraintes ■ Impact des scénarios sur les contraintes ■ Identification des thèmes d'action

6. Plan de mise en œuvre ■ Construction du rétro plan ■ Planning détaillé ■ Communication

Les premiers thèmes de travail identifiés pour le lancement Négociation avec la distribution

Lancement de nouvelles offres

Approvisionnement et merchandising

Promotions

Animation pdv et vente aux clients

La conclusion générale que nous pouvons formuler, c’est que les questions de timing d’action sont parmi les plus délicates, dans une évolution de marque. Pour ORANGE, la fenêtre de tir était étroite mais a été saisie. L’exemple

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Facturation de Client Utilisateur Facturation et commissionnement des distributeurs

Changement d'offre

Fidélisation

réussi d'ORANGE indique aussi qu’un big-bang, est possible, parfois souhaitable : même si les risques sont plus importants, un big-bang est souvent plus simple et toujours moins coûteux qu’une introduction en biseau. © Éditions d’Organisation

Communication et publicité


chapitre 4. les choix à faire par le management

Articuler les étapes internes et externes Pour une direction générale, s'engager dans le management par la marque c'est partir à l’aventure avec de multiples acteurs. En interne, ce sont : les différentes directions de l’entreprise et les différentes parties prenantes (cadres dirigeants, management intermédiaire, collaborateurs, partenaires sociaux). En externe, il s’agit : des clients, des fournisseurs, des distributeurs et des partenaires, plus ou moins proches. C'est aussi partir à l'aventure avec une interrogation récurrente : quelle articulation construire entre l’interne et l’externe, comment établir une dynamique vertueuse entre le (re)lancement ou le changement de marque et la transformation en profondeur de l'entreprise ? Nous vous proposons une démarche en quatre étapes qui a fait ses preuves. C'est, selon nous, la voie généralement la plus sûre, mais elle doit bien évidemment être modulée en fonction de votre cas particulier ; c'est là la question du rythme que nous abordons dans la section suivante. Les quatre étapes sont les suivantes (f. 13) :

• Fonder la marque ; • Lancer l'externe ; • Construire la transformation en interne ; • Pérenniser le management par la marque.

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L’étape de fondation a pour objectif d’établir la vision, la mission, la promesse de la marque, ses valeurs et leur référentiel (les outils correspondants seront présentés dans le chapitre suivant). L’étape de lancement externe a pour objectif de mettre la marque (et les nouvelles offres associées) sur le marché. Cette étape est celle de la mobilisation des acteurs internes (puis des partenaires externes) pour mener à bien toutes les activités concourant à la mise en place de la marque sur le marché. Elle s'appuie sur une campagne média et hors média pour lancer/relancer la marque et/ou ses offres. L’étape de transformation a pour objectif d’établir la marque en interne, non pas in abstracto mais concrètement, dans les actes, les atti-

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une approche spécifique de l'organisation et du changement

tudes et les comportements des salariés. Elle s’appuie sur l’appropriation des valeurs et de leur référentiel par les salariés, grâce à un programme de démultiplication, à l’identification de voies de progrès et à la mise en place d’engagements. La transformation vise à articuler l’activité quotidienne des salariés avec la marque. L’étape de pérennisation a pour but de maintenir l’alignement de l’entreprise avec la marque dans le temps. Elle s’appuiera sur la correction régulière des écarts constatés dans la mise en œuvre des engagements de la marque et sur un programme de mise à niveau régulier de l'offre. Elle s'appuie donc sur des ressources internes pour faire évoluer l'offre.

Les quatre grandes étapes (f. 13)

Fonder

Transformer Pérenniser Lancer

Nous l'avons déjà souligné, au cœur du management par la marque réside l'idée que l'externe et l'interne sont indissociables. On ne peut pas appréhender un (re)lancement externe sans une évolution de l'entreprise ? Mais la réciproque est en partie vraie également ; le contraire serait étonnant et quelque peu artificiel : livrer les promesses de la nouvelle marque nécessite un minimum de mobilisation des salariés.

L’argument principal de cette proposition est de permettre aux salariés de travailler en profondeur sur les sujets qui vont établir la marque de façon durable en interne, avant d’aller la porter à l’extérieur. Dans un tel schéma qui donne un primat à l’interne, la mise en place des engagements (détaillée dans le chapitre suivant) sera déterminante.

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Si vous avez bien suivi notre raisonnement vous pensez même maintenant qu'une transformation en amont serait sans doute une meilleure solution.


chapitre 4. les choix à faire par le management

Mais l'équilibre à trouver, tant en terme d'efficience que de coût, est souvent différent. En effet, le (re)lancement externe peut avoir un rôle de mise en tension, de mobilisation et d’accélération pour la démarche de transformation interne. Il nécessite un passage à l'acte très rapide et la marque devient ainsi une évidence incontournable en interne. Si la transformation ne s'appuie pas sur le lancement, l'énoncé des valeurs, de la mission… risque réellement de passer pour une démarche incantatoire. L'organisation s'enlise car personne ne croit à ce qui est perçu comme la dernière lubie du management. Le lancement permet d'accroître le rythme, il fait monter la pression et donne des points de repère. Le lancement génère le momentum et crée des attentes auxquelles l'entreprise devra répondre. Vous pouvez choisir de moduler votre approche et d'en faire plus en interne et plus tôt ; vous pouvez entamer la transformation interne, préparer intégralement vos nouvelles offres avant de procéder à un changement en interne. Dans certains cas, s'il n'y a pas d'urgence particulière, il peut en effet être plus sage de procéder progressivement, de bétonner en interne avant de passer à l'externe. Mais dans ce cas, attention à la motivation, car sans lancement externe, pas d'électrochoc libérateur d'énergie. À vous alors de créer une dynamique en interne, de stimuler vos troupes en les intégrant dans des projets d’entreprise ayant la nouvelle marque en ligne de mire. Gare à l'enlisement cependant : certains des outils que nous proposons dans le chapitre suivant peuvent vous aider à vous sortir d'une éventuelle apathie précédant le lancement, à vous de les orchestrer de manière dynamique.

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Notre démarche en quatre étapes doit également être nuancée en fonction du type d'évolution envisagée. L’articulation entre l'interne et l'externe doit être gérée différemment s'il s'agit d'un lancement, d'un relancement ou d'un changement de marque. La façon d'introduire ces trois changements en interne n'est pas la même. La situation de départ étant fondamentalement différente, les réponses affectives et les attentes des salariés ne seront pas les mêmes. Dans un lancement de marque, l'enjeu est l'association des salariés au lancement mais aussi, lorsque c'est possible, à la démarche de création. Dans le lancement, on part en quelque sorte d’une page blanche et tout est donc à créer. Les salariés doivent à la fois comprendre et s'approprier la nouvelle marque, à partir des éléments de repère que vous leur

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une approche spécifique de l'organisation et du changement

donnez. C'est uniquement dans ces conditions qu'ils pourront ensuite développer l'offre dans l'esprit imaginé par le management.

Dans un changement de marque, un effort de démultiplication fort doit être fait vis-à-vis des salariés et cet effort doit couvrir plusieurs axes : d'abord les raisons qui motivent la suppression de la marque préexistante, ensuite les éléments de l'ancienne marque qui seront éventuellement conservés et sous quelle forme (valeurs ou repères graphiques, par exemple), enfin les éléments de la nouvelle marque (vision, mission, promesse, valeurs…) avec les objectifs qui lui sont assignés. La démultiplication en interne de ces éléments est particulièrement importante pour que chacun puisse faire son « deuil » de l’ancienne marque. L'une des difficultés est celle de l'orchestration en interne des grands évènements du changement de marque (dévoilement du logo, lancement de la campagne média), tout en conservant le souci de confidentialité lié à ces grandes manœuvres. Dévoiler en interne sans compromettre un effet de surprise vis-à-vis de l'extérieur est parfois difficile. En tout état de cause, si une évolution importante de l'offre est nécessaire, l'interne est nécessairement impliqué assez tôt. Les étapes de mise en place du management par la marque vont donc différer suivant la situation de l’entreprise et de sa (ses) marque(s).

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Dans un relancement, seules certaines composantes de la marque sont modifiées. La situation peut paraître plus simple mais s’avérer beaucoup plus compliquée. Plus simple, car on ne change pas tout. Le nom, certains produits, la démarche qualité sont autant d'éléments de focalisation identitaire qui peuvent aider les salariés à conserver le sens de la marque, à se rattacher à son histoire pour définir la nouvelle marque. Cependant, la situation peut être plus compliquée précisément pour les mêmes raisons. Le fait de ne changer que certains éléments peut donner l’illusion d’un non-changement. Le fait de conserver par exemple un nom ou certains produits peut venir compliquer la renaissance de la marque. Dans cette situation, la communication interne est importante, afin de bien délimiter le champ du changement. Un discours clair sur les éléments qui changent (et ceux qui restent inchangés) et sur les causes de ce changement est nécessaire. Néanmoins, comme dans les autres cas, ce sont le relancement en interne, l'élargissement de la gamme, la nouvelle campagne de publicité, le symbole fort de nouveaux budgets alloués qui permettront à l'interne de réaliser qu'un changement est en cours.


chapitre 4. les choix à faire par le management

Reprenons le détail des opérations dans les cas de relancement et de changement de marque. Dans une situation de modification de certaines composantes externes de la marque (relancement), la conduite d’ensemble d’un projet de management par la marque sera assez différente. La distinction principale avec le cas de lancement tient à la prise en compte des acquis du passé de la marque, de son histoire (f. 14).

Le relancement (f. 14) Construire Fonder Lancer

Transformer Évaluer et refonder

Pérenniser et faire évoluer

Relancer

L'évidence du relancement, c'est la présence d'éléments de focalisation ancrés dans l'histoire de la marque. Les fondations existent tant en interne qu'en externe et la difficulté consiste à reconstruire sans ébranler l'édifice et sans mettre en péril ce précieux capital de marque qu'il a été si difficile de bâtir. Que la promesse et les valeurs aient été formalisées ou non, elles existent et chacun en a une interprétation plus ou moins partagée. Les produits sont positionnés sur des cibles qui ellesmêmes ont leur lecture de l'histoire de la marque.

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La situation sans doute la plus fréquente est celle d'une marque un peu « vieillotte » ou carrément dépassée mais dont la notoriété ou le capital de sympathie est élevé, à la fois pour les salariés et pour les clients. La relance de HARLEY DAVIDSON, dans les années quatre-vingt, est un très bon L'exercice consiste à revitaliser et exemple. Mais attention, on peut rapide- refonder la marque tout en préservant l'essentiel. ment décevoir dans un tel exercice. Le risque est de se limiter à un « simple rhabillage de façade » qui amène souvent les critiques en externe et en interne : « On n’a rien changé… Tant d’argent dépensé pour ça ! »

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une approche spécifique de l'organisation et du changement

L’engouement suscité autour du clip Cachou LAJAUNIE a relancé la marque produit passée entre-temps dans les mains du groupe SCHWEPPES CADBURRY. L'équation clé du management par la marque (interne = externe) est donc plus que jamais d'actualité dans un relancement. En l'occurrence, il est peu probable que l'externe soit oublié mais l'interne est souvent le parent pauvre et, après l'effervescence des premiers budgets de pub, le soufflé risque fort de retomber. Donc, si nous maintenons nos quatre étapes clés, il faut tout de même en souligner les nuances. La différence la plus importante est évidemment au début de la démarche. Le relancement n'est plus un lancement mais une étape d'évaluation/refondation. Cette étape charnière doit établir les points forts de la marque, ceux qui seront conservés et renforcés, c'est pour eux que l'on maintient la marque au lieu d'en changer ; elle doit également définir les points de rupture avec le passé, ceux sur lesquels on va devoir recréer, tant en L’étape d’évaluation et de refondation externe qu’en interne. Elle passe par une de la marque a pour objectif essentiel prise de conscience de l’état réel de la de définir l'ampleur des changements marque en interne et en externe. Il s'agit qui doivent être opérés. de faire la part entre les croyances non fondées et les perceptions avérées. Elle va s’appuyer sur un bilan externe et sur un bilan interne de la marque.

L’étape de transformation a pour objectif essentiel de rétablir la marque en interne. L’appropriation et la démultiplication du sens de la marque sont essentielles : d’une part, pour établir le lien entre ce qui sera projeté en externe avec l’interne et, d’autre part, pour faire monter « à bord » l’interne par rapport aux changements. Finalement, il s’agit là de la meilleure façon d’éviter le syndrome du « on n’a rien changé ». C’est un point qui peut paraître anodin mais qui est essentiel car il est symboliquement fort, tant pour l'interne que pour l'externe. Il faut porter une attention particulière à la mise à niveau de tous les documents, internes et externes, pour intégrer la nouvelle symbolique de la marque. Ces différentes étapes sont illustrées ci-dessous (f. 15).

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L’étape de relancement externe s’appuiera sur l’établissement d’un nouveau référentiel de positionnement des offres. Il s'agit de changer, de promouvoir le nouveau positionnement, de lancer la nouvelle offre, de remplacer le logo, de modifier les points de vente…


chapitre 4. les choix à faire par le management

Démarche de relancement (f. 15) • Mise à niveau de tous les documents internes • Appropriation des valeurs et du référentiel • Démultiplication des valeurs • Identification des voies de progrès • Mise en place des engagements pour la marque

• Bilan externe de la marque • Bilan interne de la marque • Choix sur la profondeur du revamping à opérer • Révision de la promesse de la marque • Révision des valeurs et de leur référentiel

Construire Fonder Lancer

Transformer Évaluer et refonder

Pérenniser et faire évoluer

Relancer

• Établissement du nouveau positionning statement de la marque • Choix sur les variables externes à modifier • Exécution des changements sur ces variables • Lancement de la marque

La situation de changement de marque présente une similitude de démarche avec le relancement : celle-ci doit prendre en compte l'histoire de la marque remplacée. Une promesse, des valeurs, un positionnement sont déjà présents et vont avoir une influence sur la perception des changements apportés. La différence principale réside évidemment dans une rupture plus marquée et symbolisée par le changement de nom. Cette différence fondamentale impose une adaptation de la démarche et de ses étapes.

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À nouveau, c'est l'étape initiale, celle de la transition, qui cristallise la distinction ; cette étape de substitution et de fondation vient fixer les contours d'introduction de la nouvelle marque, sa position dans l'architecture de marques, le rythme de la substitution, sa promesse, son positionnement et ses valeurs. L’étape de changement externe est également une étape forte durant laquelle l’ancienne marque est retirée du marché et la nouvelle marque installée. Cette transition est essentielle car elle vient ancrer la nouvelle identité de la marque, à la fois en interne et en externe. Il faut que la nouvelle marque trouve sa place dans les esprits, en externe c'est néces-

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saire pour éviter un échec commercial de court terme, en interne c'est impératif pour assurer la transformation nécessaire et tenir les nouvelles promesses de la marque. L’étape de transformation assure la compréhension et la transition entre les deux marques en interne ; elle s’appuie sur une démultiplication systématique des messages liés à la nouvelle marque auprès des salariés, afin de faire partager ses fondements. Elle permettra ainsi aux salariés de comprendre et d’adhérer aux changements puis, de devenir des acteurs de ces changements. Comme dans les autres scénarios, l'équation interne = externe impose qu'ils deviennent les acteurs de la transformation de la nouvelle marque, qu'ils contribuent à la définir et à lui donner son sens. Le schéma (f. 16) illustre les étapes de la mise en place d’un management par la marque dans une situation de changement de marque, ainsi que les principales activités à mener.

Démarche de changement (f. 16) • Mise à niveau de tous les documents internes • Appropriation des valeurs et du référentiel • Démultiplication des valeurs • Identification des voies de progrès • Mise en place des engagements

• Choix de la substitution • Construction de la nouvelle architecture de marque • Choix de la vitesse d'introduction (big-bang et biseau) • Révision de la promesse et des valeurs

Construire

Lancer

Substituer Lancer • Établissement du nouveau positionning statement de la marque • Recensement des éléments de communication et relogotypage • Choix sur les variables externes à modifier • Exécution des changements sur ces variables • Substitution de marque

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Pérenniser et faire évoluer

• Mise à niveau de l'offre (rétro fit) • Correction des écarts sur la mise en place des engagements

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Fonder

Construire


chapitre 4. les choix à faire par le management

Les situations de lancement, de relancement et de changement de marque sont différentes. Néanmoins, certains séquencements et enchaînements y sont identiques ou proches. Les principaux outils utilisés dans chaque étape seront détaillés dans le prochain chapitre. Pour utiliser un vocabulaire plus marketing, cela se résume à une question simple : faut-il délivrer avant de promettre ou promettre et livrer plus tard ? Nous avons vu les avantages des deux postures : la première a pour elle l'avantage de la légitimité, la Une des principales décisions est seconde est facteur de dynamisme. À l'articulation temporelle entre externe vous de choisir, en fonction de vos et interne. enjeux et de la perception que vous avez de vos risques. Si vous dirigez, au Royaume-Uni, une myriade d'entreprises achetées au forceps par un grand groupe français et que vous souhaitez donner le nom de votre maison mère à cet ensemble disparate, il vaut mieux entamer l'intégration et la transformation interne avant de promettre quoi que ce soit aux clients. Vous risqueriez gros tant en interne qu'en externe à ne pas procéder ainsi. Si en revanche, vous êtes à la tête d'un ancien groupe public miné par la sclérose de sa technostructure et l'emprise des grands corps, vous agirez différemment. Si vous voulez donner un nouvel élan à ce groupe en faisant à la fois des acquisitions qui vous ouvriront d'autres champs que l'hexagone et des réformes en profondeur, de stratégie, de son mode de management et de sa culture, vous opterez pour un changement de marque préparé dans un cercle restreint. Celui-ci vous aidera à tirer l'ensemble de votre projet en posant votre vision, la nouvelle mission que vous assignez à cette marque et une promesse qui vaut engagement pour l'ensemble de l'entreprise en amont de sa transformation réelle.

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Donner du rythme Bien sûr, une partie de la réussite du management par la marque dépend de votre propre talent à mettre votre entreprise sous tension. Ce n'est pas nouveau pour vous. Vous êtes habitué à tenir la montre. Vous savez impulser un rythme en posant des jalons ambitieux à moyen terme ; vous savez « décoiffer » vos collaborateurs à l’aide d’idées nouvelles quand ça ronronne, challenger vos équipes en leur fixant des délais tendus et presser l'allure de croisière jusqu'au point de rupture !

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une approche spécifique de l'organisation et du changement

La conception du rythme à donner Le problème du rythme se résume à deux questions :

• Doit-on aller vite en forçant la marche ou au contraire faut-il faire reposer la construction de la marque en interne sur un schéma qui laisse à l’organisation le temps d’absorber les messages et de les assimiler, permettant une adhésion plus profonde à moyen terme ?

• Doit-on considérer le rythme comme une variable d’exécution, maîtrisable et ajustable ou comme une contrainte d’environnement ? Que répondre à ces deux interrogations ? Tout d’abord une vitesse minimale est nécessaire pour éviter l’enlisement, mais aller trop vite empêche l’organisation de véritablement s’approprier les messages de la marque ; ensuite, l’external branding servira d’accélérateur et donc une démarche de construction purement interne sera plus longue… et surtout beaucoup plus ennuyeuse, pour vous comme pour vos collaborateurs. La gestion du rythme est sans doute l’un des facteurs de réussite les plus importants. La logique du projet permet de lancer une mise sous tension de l’organisation mais le respect des grands équilibres de l’organisation est important. Il est impossible de tout changer à la fois dans une entreprise. Or, le management par la marque a des conséquences sur tous les aspects et sur toutes les fonctions de l’entreprise (organisation, stratégie et positionnement…). De plus, le rythme du changement conditionne l’appropriation du modèle par chacun des employés. L’équilibre se construit au fil des projets par une combinaison d’évènements internes et externes.

L’équilibre du projet (f. 17)

Événements Externes

Temps

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Événements Internes


chapitre 4. les choix à faire par le management

La dynamique initiale résulte d’une combinaison de l’organisation par projet avec une vision de ce que le management par la marque peut apporter à l’entreprise et à ses employés. Cette vision est le point de départ du La vision est le point de départ du management par la marque. Elle management par la marque. La vision doit être formulée de manière inteldoit être formulée de manière intelligi- ligible pour tous. ble pour tous1. Elle doit décrire, de manière émotionnelle, ce que sera l’entreprise demain, grâce au management par la marque. Ce type de message est nécessairement lancé par le président de l’entreprise ; il est le seul à pouvoir transmettre sa vision. Ce pas initial est fondamental pour créer la dynamique. Il est ensuite possible de marteler davantage le message et de lui donner du contenu, notamment par le biais des outils classiques de communication interne. Mais rien ne remplace un membre du comité de direction dans une telle situation. Les dirigeants doivent se « mouiller » et rendre la démarche crédible.

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Chez ORANGE, faire passer la vision était d’autant plus important que la marque était importée et qu’elle pouvait être perçue comme une prise de pouvoir par les Anglais. Il fallait donc à la fois rassurer et convaincre. Pour montrer l’engagement de la direction et communiquer la vision du changement, un road-show des membres du comité exécutif (tournée nationale des unités) a été organisé dans toute la France. Chaque employé a ainsi pu assister à une présentation de la démarche par deux membres du Comex et poser les questions qui lui tenaient à cœur. Ce geste initial est celui qui a amorcé un état d’esprit différent, l’état d’esprit ORANGE. La spirale du management par la marque est maintenant lancée, elle prendra corps au fil des évènements du projet (f. 17). L’un des évènements importants sera la définition du référentiel de valeur. Il vient renforcer et donner du contenu à la vision. D’autres évènements internes jalonneront le projet ; ils seront présentés en détail dans le prochain chapitre : mise en place de la direction de la marque, recrutement des ambassadeurs, prise d’engagement par les directions, opérations de 1. Collins J. et Porras J., Built to Last. Successful Habits of Visionary Companies, Harper Business, 1994.

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une approche spécifique de l'organisation et du changement

démultiplication, communication… Ces événements retrouveront un écho dans les opérations orientées vers l’externe : travail sur le portefeuille de marques, lancement de campagnes publicitaires, opérations physiques, logistique… L’aspect opérationnel prend rapidement une place importante pour assurer la réussite du projet vis-à-vis de l’externe. Quand il faut à la fois lancer de nouvelles offres, changer les packaging, « rhabiller » les enseignes, lancer une campagne de pub, la dynamique s’impose d’elle-même. L’utilisation de ces différents outils en interne et l’ordre d’introduction des évènements externes peuvent être modulés.

Naviguer entre les tensions Il est important de garder une certaine souplesse et sa capacité de compromis pour préserver l’équilibre du projet, au regard d’un certain nombre de tensions fondamentales : interne/externe, changement/ stabilité, apathie/stress ou encore action rapide/durée (f. 18).

Les tensions du management par la marque (f. 18)

Interne Changement

Externe Stabilité

Apathie

Stress

Action rapide

Durée

La première tension évidente est celle qui existe entre l’interne et l’externe. Quand l’énergie des employés est concentrée sur un lancement compliqué en externe, il est difficile de leur demander de réfléchir sur les fondements de la marque. Dans certains cas, en particulier dans les circonstances où une forte pression existe du fait de l'ampleur des tâches à mener, le référentiel de valeur est souvent construit et utilisé tardivement. Il peut s’avérer particulièrement démotivant quand, à la suite d’un (re)lancement, des dissonances entre les valeurs et la promesse de la marque apparaissent. Avant, il est difficile de l’ancrer

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La nature des tensions


chapitre 4. les choix à faire par le management

réellement dans la conscience de chacun, il manque de contenu, il n’y a pas assez d’éléments pour l’ancrer. Après, cela peut s’avérer trop tardif, si l'entreprise est passée à d'autres urgences. Plus prosaïquement, l’importance de l'investissement de chacun est nécessaire pour réussir le lancement externe ; cet investissement donne une force et une crédibilité nouvelles au travail sur les valeurs. À chaque situation correspond une solution particulière. Chez ORANGE, le référentiel a été introduit assez tôt, mais l’appropriation du référentiel s’est faite progressivement, après le lancement. Dans les cas où l’échéance est moins proche, il est sans doute préférable de travailler en amont sur le système de valeurs.

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La seconde tension est un écho de la première ; les événements doivent être combinés de façon à ne pas tout changer en même temps. Il faut trouver un savant équilibre entre un changement qui dynamise les troupes et une stabilité qui évite l'explosion de l'entreprise. Il est important de garder une certaine souplesse dans l’accompagnement du changement. Cette souplesse est d’autant plus importante que l’opération est exigeante en externe. Il faut savoir renoncer à certains aspects qui ne sont pas indispensables. Par exemple, les délais peuvent être trop courts pour combiner le lancement d'une marque et celui d'un nouveau produit. Il vaut alors mieux décider de lancer la marque sans cette modification fondamentale. De la même manière, les engagements du management pour livrer la promesse de marque et respecter ses valeurs doivent être amorcés pendant la phase de lancement, mais peuvent très bien n'être mis en avant que plus tard. Ils prennent ainsi le relais du lancement pour maintenir la dynamique du changement. Un changement intense sur certains aspects n’est possible que si une certaine souplesse est maintenue sur d'autres. Il existe une troisième tension : entre stress et apathie. L’équilibre entre stabilité et changement a un impact direct sur la tension existant entre le stress et l’apathie. Le seul critère sur ce point correspond au degré de pression que les employés peuvent supporter. L’objectif est de parvenir à faire en sorte que le plus de monde possible monte à bord (f. 19) et se trouve impliqué rapidement dans le projet sans toutefois provoquer une tension trop importante au sein de l’organisation. L’utilisation de la marque doit permettre de faire passer plus facilement le message et donc d’obtenir plus rapidement une implication de l’ensemble des salariés. Leur courbe doit se rapprocher de celles des autres. Si l'on ne parvient pas à mobiliser suffisamment l’interne dans

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une approche spécifique de l'organisation et du changement

son ensemble, un petit groupe de pionniers (la direction de la marque et ses ambassadeurs) en avance sur le reste de l’entreprise, se trouve isolé et en porte-à-faux.

Obtenir une montée à bord plus rapide (f. 19)

Moteurs

Pionniers

Direction

Impliqués Marketing

Ensemble des salariés

La dernière tension concerne l’axe temporel. Le projet doit être capable de gérer une situation qui puisse devenir pérenne. Assurer la dynamique du projet à court terme, c’est assurer des résultats rapides et tangibles sur certains points, ce sont les fameux quick hits, actions rapides à fort impact. Le rythme du projet La stabilité du projet dépend de sa doit typiquement permettre de relancer capacité à maintenir un équilibre la dynamique du projet à l’aide d’un entre les besoins de l’externe et la événement interne ou externe, dès que capacité de l’interne à supporter le celle-ci s’essouffle. À terme, ce sont changement, entre les employés et davantage les aspects internes qui les clients. deviennent caractéristiques du management par la marque. Une fois l’opération initiale lancée, l’externe vit une vie plus normale et l’interne doit permettre de redynamiser l’externe, de continuer à développer la promesse de la marque. Une orchestration réussie, c’est un projet qui progresse rapidement sans faire peser une pression excessive sur l’entreprise mais aussi en sachant trouver un rythme qui permette la pérennisation.

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Concernés


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