La Baleine 168 - Surconsommation et eau

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8 / 3,20 € N°16 Hiver 2011-2012

Depuis 1971

Surconsommation et eau : la cote d’alerte


Sommaire n° 168

Le clientélisme, ça commence à bien faire !

Une arme à double tranchant

6 > 9 FRANCE > Biodiversité cultivée Attaque législative

brutale des semenciers contre les paysans

Pour la liberté d’usage des semences > Maïs OGM Mon 810 Course contre

la montre pour maintenir l’interdiction

> Gaz et huiles de schiste Mobilisation

tenace face aux industriels

Réforme du code minier

Au bon vouloir des lobbies de l’extraction ? > Prix Pinocchio du développement durable 2011 Les firmes françaises

toujours à la pointe… du mensonge

10 > 11 RÉGIONS > Obsolescence programmée

La planète bradée pour la high-tech

> Compensation Biodiversité

Un nouvel alibi pour les bétonneurs Hommage Roger Belbéoch

12 > 18 DOSSIER Surconsommation et eau : la cote d’alerte > Empreinte eau

De l’eau plein nos placards Indicateurs Des outils pour une meilleure gestion internationale de l’eau > France Eau et agriculture : une politique publique incohérente et régressive > Extraction Lithium, gaz de schiste, sables bitumineux… que d’eau, que d’eau ! > Barrages géants, climat et énergie

Un choix délétère > Alternatives L’eau, source de vie, pas de profit Référendum L’Italie a dit oui à la défense du bien commun

19 LE COIN DES LIVRES > L’appel de Gaïa, de Jean-Claude Pierre > L’espoir citoyen, d’Alain Zolty > De vrais indices pour juger l’action des banques Trois nouveaux rapports

nous éclairent sur la responsabilité sociale et environnementale des banques

20 PRATIQUES > Les toilettes de l’archiduchesse

Le dossier de cette Baleine est consacré à l’eau. Partant du fait qu’elle est indispensable à la vie et qu’elle constitue un bien commun, nous aurions pu choisir bien des angles d’attaque. Ainsi, le rapport des Amis de la Terre Europe Surconsommation, une menace sur l’eau explique, au niveau mondial, comment l’eau est surexploitée par les modes de production actuels. Et le rapport que nous publierons bientôt sur les grands barrages montre les impacts délétères de ces géants. C’est sur ces deux points que nous avons mis l’accent. Mais la ressource est inégalement répartie. Certaines régions du monde sont largement pourvues, d’autres en sont presque privées. Et, si des points restent scientifiquement en débat, on sait que le changement climatique modifiera fortement sa distribution. Or, à ce jour, les instances internationales ne se sont pas saisies de la question à la hauteur des véritables enjeux, et il est à craindre que le XXIe siècle ne soit celui de la guerre de l’eau. En France, la gestion de l’eau est accaparée par trois grands groupes, à l’origine de plusieurs scandales de corruption. Nombre de communes et de syndicats des eaux s’interrogent sur un retour en régie publique. De plus en plus font ce choix. Car déléguer la gestion ne conduit pas à l’optimisation de la ressource, pendant que les factures des particuliers rémunèrent… les actionnaires!! Les usagers sont aussi les seuls à assumer les coûts de dépollution largement imputables à l’agriculture chimique, devant ceux des rejets domestiques et des industries de production, mais aussi d’extraction – les gaz et huiles de schiste menaçant d’en rajouter, et beaucoup, si les citoyens relâchaient leur vigilance. Plus fondamentalement encore, l’état des océans est plus que préoccupant. Outre les pollutions, leur acidification s’accélère à tel point que les scientifiques envisagent à présent la disparition prochaine des coquillages et crustacés! : coquilles et carapaces risquent d’être dissoutes. Toute la chaîne alimentaire marine – et au delà – est donc menacée. Mais les affaires continuent… Ces questions, et tant d’autres que les officiels refusent de considérer, seront débattues lors du Forum alternatif mondial sur l’eau qui se réunira du 14 au 17 mars 2012, à Marseille. C’est en raison de ce déni que les Amis de la Terre s’insurgent quand le président de la République déclare, lors de ses vœux au monde agricole, souhaiter remédier aux “réglementations tatillonnes” sur l’environnement et sur l’eau. En écho au fameux “l’environnement, ça commence à bien faire”, nous lui répondons que, pour les citoyens,!le clientélisme, ça commence à bien faire. > MARTINE LAPLANTE

© Caroline Hocquard

Taxe carbone pour le survol de l’Europe

Le journal des Amis de la Terre

Édito

3 > 5 INTERNATIONAL > Climat Durban : l’Union européenne

signe un accord criminel > Energie Laisser le pétrole sous terre, une idée à creuser > Forum social mondial 2012 De Porto Alegre à Rio, contre l’“économie verte”

Depuis 1971

Présidente des Amis de la Terre France Bienvenue Les Amis de la Terre France informent les lecteurs qu’ils ont eu le plaisir d’accueillir en février Valérie Colin, nouvelle déléguée générale de la fédération.

La Fédération des Amis de la Terre France est une association de protection de l’Homme et de l’environnement, à but non lucratif, indépendante de tout pouvoir politique ou religieux. Créée en 1970, elle a contribué à la fondation du mouvement écologiste français et à la formation du premier réseau écologiste mondial - Les Amis de la Terre International - présent dans 77 pays et réunissant 2 millions de membres sur les cinq continents. En France, les Amis de la Terre forment un réseau d’une trentaine de groupes locaux autonomes, qui agissent selon leur priorités locales et relaient les campagnes nationales et internationales sur la base d’un engagement commun en faveur de la justice sociale et environnementale. Nos sites internet • www.amisdelaterre.org • www.renovation-ecologique.org • www.ecolo-bois.org • www.produitspourlavie.org • www.prix-pinocchio.org • www.financeresponsable.org Contactez-nous Les Amis de la Terre - France • 2B, rue Jules-Ferry, 93100 Montreuil • 01 48 51 32 22 • france@amisdelaterre.org

INTERNATIONAL

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Climat Durban : l’Union européenne signe un accord criminel Sous les concerts d’autosatisfaction joués par l’Union européenne au lendemain de la 17e Conférence de l’ONU sur le climat se cachent des renoncements et de graves compromis. Au retour d’Afrique du Sud, les violons n’ont pas tardé à se faire entendre dans les médias. Tandis que l’Union européenne saluait l’accord comme “une percée historique dans la lutte contre le changement climatique”, Connie Hedegaard, la commissaire européenne pour le climat, commentait : “Nous pensons que nous avons adopté la bonne stratégie et cela a marché”. Et la ministre française de l’Ecologie de féliciter la délégation européenne d’avoir joué un “rôle moteur”… Le grand renoncement Pourtant, les résultats obtenus sont très loin des ambitions affichées au départ. L’Union européenne est arrivée à Durban avec une feuille de route visant à ce que tous les pays s’engagent sur un accord qui succède au Protocole de Kyoto. C’est sur un coin de table, au terme d’une dernière nuit électrique, que des représentants de l’Europe, de l’Inde, de la Chine et des États-Unis se sont mis d’accord sur trois formules juridiques (“protocole”, “instrument légal” ou “solution concertée ayant force légale”). Autrement dit, tout reste ouvert dans les futures négociations puisque rien ne garantit que les pays seront légalement contraints. Comment l’Union européenne peut-elle s’en satisfaire ? Plus grave, ce nouvel instrument ne verra pas le jour avant 2015 et ne sera mis en œuvre, dans le meilleur des cas, qu’en 2020. Selon Nnimmo Bassey, président des Amis de la Terre International, “retarder toute action réelle après 2020 est un crime aux proportions mondiales. Une augmentation de 4 °C de la température mondiale, permise par ce plan, est une condamnation à mort pour l’Afrique, les petits États insulaires, les pauvres et les personnes vulnérables de l’ensemble de la planète”. Attac ajoute : “Au moment où les rapports scientifiques convergent pour dire l’urgence des changements à mettre en œuvre, ce sommet des Nations unies restera celui du grand renoncement.” Lors de

© Conrad Richardson/Young Friends of the Earth Europe

Le Courrier de la Baleine

3 décembre 2011, Bruxelles. Des militants de Young Friends of the Earth Europe (Jeunes Amis de la Terre Europe) se mobilisent pour défendre la justice climatique au Sommet de Durban.

ces vingt dernières années, les émissions globales ont augmenté de 50 % – plus 6 % pour la seule année 2010. Attendre 2015 n’est donc pas seulement irresponsable, mais bien criminel. A bon compte… Autre fait marquant : le principe de responsabilité historique commune mais différenciée, qui avait introduit des dimensions de justice dans les négociations, disparaît du nouveau mandat issu de Durban. La nouvelle feuille de route met ainsi au même niveau de responsabilité victimes et acteurs du réchauffement climatique. Comme si l’Inde, avec 1,4 tonne de CO 2 par personne, ou même la Chine (5,2 tonnes par personne), et, surtout, leurs populations, devaient satisfaire aux mêmes exigences que les États-Unis (17,5 tonnes) ou, plus généralement, les pays de l’OCDE

L’accord qui touche le fonds Le Fonds vert pour le climat a été mis sur pied à Durban. Mais c’est une coquille vide puisqu’aucun financement n’a été prévu. Les seuls moyens de financement concrètement envisagés sont des fonds privés attirés par les marchés du carbone. Quant à la gestion de ce fonds, elle sera confiée pour l’essentiel à la Banque mondiale. Un groupe de travail va par ailleurs préparer l’éventuelle entrée

de l’agriculture dans les mécanismes de marché, en la considérant comme un puits de carbone et non comme un moyen d’assurer la souveraineté alimentaire. La séquestration et le stockage du carbone ont également été reconnus à Durban comme “mécanismes de développement propre” : les entreprises pourront ainsi gagner des crédits d’émission en continuant à extraire les énergies fossiles.

(10 tonnes en moyenne). Pour Martine Laplante, présidente des Amis de la Terre France, “ce nouveau traité est une ruse pour détourner l’attention du monde de l’échec des pays développés à respecter les engagements existants de réduction des émissions”. Procrastination forcenée Quid du devenir du Protocole de Kyoto ? Ce traité, entré en vigueur en 2005, reconnaît la responsabilité historique des pays industrialisés et assigne des objectifs obligatoires de réduction des émissions jusqu’en 2012. La conférence de Durban a seulement “pris note” de la nécessité d’examiner une nouvelle période d’engagements à la prochaine conférence – qui aura lieu à la fin de l’année à Doha, au Qatar. Toutes les décisions importantes (durée des engagements, règles de fonctionnement, etc.) ont été repoussées, sans certitude d’aboutir. Et on sait déjà que la conférence se tiendra sans le Canada, la Russie ni le Japon. Dès lors, se satisfaire du résultat de Durban, comme le font l’Union européenne et le gouvernement français, est assez déconcertant. Face à une diplomatie climatique soumise plus que jamais aux intérêts géopolitiques et aux lobbies économiques et financiers, les populations doivent imposer d’autres choix.

> SOPHIE CHAPELLE ET MAXIME COMBES

Dans le cadre du projet Alter-Echos www.alter-echos.org


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INTERNATIONAL

INTERNATIONAL

Justice sociale et environnementale : c’est sur ce thème que le Forum social mondial s’est réuni du 24 au 29 janvier 2012 à Porto Alegre, au Brésil. Plus de cent cinquante organisations s’y sont retrouvées pour préparer le Sommet des Peuples.

Il n’y a pas assez de pétrole pour maintenir notre train actuel de production et de consommation. Quant aux réserves identifiées, les exigences pour la limitation des changements climatiques nous interdisent d’en consommer plus d’un quart…

Cette année, le Forum social mondial (FSM) fois depuis sa création, le FSM a placé la En Europe, une campagne réellement avait été convoqué dans l’objectif particulier question environnementale au centre de écologiste devra pointer que sous couvert de préparer le prochain Sommet des peuses travaux. Ceci peut s’expliquer par une d’”économie verte”, il ne s’agit plus uniples qui se déroulera en parallèle de la conféanalyse divergente de ces mouvements sur quement pour les puissances capitalistes rence onusienne de juin prochain dite Rio + l’intérêt de ce Forum – et plus généralede poursuivre la logique qui justifie la pour20 [le sommet de la Terre de Rio aura vingt ment des FSM – et la stratégie à dévelopsuite de la marchandisation des ressources ans au mois de juin]. La société civile se per aujourd’hui. des pays du Sud. prépare dès maintenant à faire entendre sa Au nom de l’écologie, les promoteurs voix sur la justice sociale et environnemenSe mobiliser en France et en Europe de l’”économie verte” ambitionnent désortale – thème central de ce FSM. L’enjeu a A l’issue du sommet, le lancement d’une mais l’appropriation d’absolument toutes réuni à Porto Alegre plus de cent cinquante campagne internationale contre cette préles ressources mondiales restant disponiorganisations et mouvements sociaux, venus tendue économie verte a été acté. Elle a été bles – comme le montre l’exemple du propour la plupart d’Amérique latine. promue principalement par le bolivien Pablo jet d’extraction des gaz et huiles de schiste, Ce grand rendez-vous a constitué une Solon, un des créateurs du sommet de Coen France comme ailleurs. Cette campagne étape importante dans la poursuite de la chabamba, et plusieurs réseaux dont Attac devra aussi intégrer le soutien aux luttes lomobilisation face au nouveau projet monFrance. La participation des Amis de la Terre cales contre les projets destructeurs, tout dial d’exploitation capitaliste désormais à cette campagne demeurait en discussion en réaffirmant que le mode et le modèle de plus connu sous le nom rassurant d’“écoà l’issue de ce FSM. vie de la majorité de la population des pays nomie verte” et porté riches sont l’argument par les préparateurs de et l’alibi qui permettent Rio + 20. Il a permis de aux multinationales et faire avancer la converà leurs sous-traitants gence entre les moud’amplifier la prédavements présents de la tion. Elle sera enfin l’ocmouvance altermoncasion décisive pour dialiste, des indignés, faire connaître et pardes organisations inditager le plus largement gènes et des mouvel’alternative globale ments antisystème de proposée par les Amis tous ordres. On regretde la Terre sur la base tera une sous-repréde l’espace écologique sentation des mouveet la transition vers des ments écologistes tant sociétés soutenables. au niveau brésilien qu’inAffaire à suivre, donc. > ALAIN DORDÉ ternational, ce qui est Envoyé spécial d’autant plus paradoxal à Porto Alegre que, pour la première La plupart des participants au FSM venaient d’Amérique latine. Des voisins motivés…

D’abord au large de la Guyane. Puis en Lorraine. Maintenant, au large de Marseille. A quoi il faut ajouter le pétrole de schiste du bassin parisien. Les annonces de découverte de pétrole en “territoire français” se multiplient. Pour un pays qui n’avait “pas de pétrole, mais des idées”, c’est à se demander si la seule idée qui reste n’est pas celle se voir riche en pétrole. Les superlatifs ne manquent pas. “Historiques” pour la Guyane, “nouvel eldorado” pour la Lorraine, “Marseille nouvelle terre de pétrole” ou encore un “nouveau Qatar” pour le Bassin parisien. A y regarder de plus près, ces découvertes sont pourtant loin de changer la donne. Ecartons d’abord le pétrole de schiste parisien ou lorrain dont l’exploitation requiert la fracturation hydraulique – technique aujourd’hui interdite en France –, ainsi que la perspective marseillaise, qui a déclenché un mistral de réactions négatives. Au large de la Guyane, les estimations varient de 0,7 milliard à 5 milliards de barils, soit entre 0,05 % et 0,4 % des réserves mondiales prouvées actuelles. Mêmes eaux en Lorraine : l’entreprise australienne parie sur 2 milliards de barils. La France consomme environ 2 millions de barils par jour. Cela représente donc tout au plus quelques années de consommation française – pas de quoi frémir. A l’échelle planétaire, où l’équivalent de deux Arabie Saoudite devrait être mis en exploitation d’ici 2020 pour maintenir un niveau de production stable, c’est négligeable, voire dérisoire.

Taxe carbone pour le survol de l’Europe Une arme à double tranchant Depuis le 1er janvier 2012, les compagnies aériennes, européennes ou non, doivent rembourser 15 % de leurs émissions annuelles de carbone pour le survol du territoire européen. La Cour européenne de justice a confirmé le 21 décembre 2011 l’intégration des activités aériennes dans le système communautaire d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (Emissions Trading Schemes). Depuis son adoption en 2008, cette législation s’est heurtée à l’hostilité de nombreux pays – Russie, Chine et Etats-Unis en particulier. Les compagnies américaines ont tenté de la dénoncer comme discriminatoire, mais la Cour de justice les a déboutées en confirmant que son application “ne viole ni les principes de droit international coutumier en cause ni l’accord ciel ouvert”. Mais, tandis que le monde de l’aviation civile fait toujours front contre la mesure et que plusieurs pays évoquent des rétor-

sions commerciales, le marché, aujourd’hui ouvert, a de quoi faire des jaloux. A 8 € la tonne pour 32 millions de tonnes de CO2 annuelles, la cuvée CO2 2012 devrait rapporter au moins 250 millions d’euros sur le marché du carbone européen, le plus important du monde. L’initiative pourrait faire des émules… La Russie va augmenter les taxes pour le survol de son territoire. La Chine, qui envisage une taxe et un marché carbone dès 2015, jouera un rôle mondial déterminant sur les prix du CO2. Si l’on peut se réjouir de l’extension du principe pollueur-payeur au secteur aérien, la croissance du trafic risque de faire flamber des produits spéculatifs de type subprime sur un marché des crédits carbone très volatil – avec une grosse bulle et de nombreux effets pervers sur l’environnement. De sérieux leviers de régulation économique sont donc indispensables, et pour l’instant inexistants. > C. F.

En bref

Forçons le Japon à renoncer à la chasse à la baleine Le Japon a repris la chasse à la baleine en Antarctique, faisant fi du moratoire voté par la Commission baleinière internationale, en vigueur depuis 1986. Cette chasse est prétendument justifiée par des recherches scientifiques – lesquelles viseraient à démontrer que le nombre des baleines dans le monde est suffisamment conséquent pour pouvoir supporter… une relance de la chasse commerciale ! Il est donc essentiel de rester mobilisés pour que la flotte baleinière japonaise rentre au port et renonce, comme en 2011, à traquer les cétacés. Définitivement, cette fois.

Un trop-plein de réserves Faisons un pas de côté. Ils prospectent tous azimuts : offshore profond, sables bitumineux, schiste, Arctique, etc. Comme si creuser toujours plus profond, toujours plus loin, en prenant toujours plus de risques, allait de soit. Au mépris des récentes marées noires dans le Golfe du Mexique, au

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Energie Laisser le pétrole sous terre, une idée à creuser

© Creative Commons – http://creativecommons.org/licenses

Forum social mondial 2012 De Porto Alegre à Rio, contre l’“économie verte”

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“Pépite” de schiste bitumineux, au Congo.

large des côtes brésiliennes ou nigérianes. Et au mépris des exigences climatiques. Sur la base d’une étude du Postdam Institute for Climate Impact Research, l’ONG Carbon Tracker calcule qu’il ne faut pas consommer plus du cinquième ou du quart des toutes les réserves prouvées de pétrole, charbon et gaz de la planète d’ici 2050, si l’on ne veut pas dépasser les 2 °C d’augmentation de la température globale au delà desquels les dérèglements climatiques ne seraient plus maîtrisables. A échéance d’un demi-siècle, nous ne sommes donc pas confrontés à une pénurie de pétrole, mais à un trop-plein. Laisser le pétrole dans le sol et stopper les explorations en cours. Telle est la solution, sauf à verser dans le climato-

scepticisme ou assumer les conséquences prévisibles de cette fuite en avant pour la planète et nos sociétés. Problème : les entreprises pétrolières et gazières sont des entités privées qui ne se soucient guère de l’intérêt général. Plus décisif, leurs valeurs boursières et leur triple A sont basés sur le maintien et l’accroissement de ces réserves. Décider d’en laisser 75 ou 80 % dans le sol déclencherait un tsunami boursier exigeant le démantèlement et la mise sous contrôle public des activités de ces multinationales. Chiche !

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MAXIME COMBES

membre d’Attac France et de l’Aitec (Asssociation internationale des techniciens experts et chercheurs), engagé dans le projet Echo des Alternatives www.alter-echos.org

Surconsommation Huile de palme : ni à Port-la-Nouvelle, ni ailleurs E n janvier 2011, les Amis de la Terre France révélaient que l’entreprise malaisienne Sime Darby, l’un des plus gros producteurs d’huile de palme au monde, était en négociation avec la région Languedoc-Roussillon pour construire une plateforme de stockage et de transformation d’huile de palme sur le site de Port-la-Nouvelle (Aude). Mais le producteur malaisien a annoncé le 22 décembre suivant qu’il gelait son projet français pendant un an. D’après le collectif No Palme (Nouvelles orientations pour des alternatives locales et méditerranéennes), “Sime

Darby renonce à s’installer à Port-la-Nouvelle avant tout pour des raisons économiques”. Dans le contexte actuel, on évaluerait une baisse de 50 % des commandes à venir, tandis que le coût de l’implantation de l’usine de Port-la-Nouvelle aurait, lui, grimpé de 50 %. No Palme assure vouloir poursuivre sa lutte contre la consommation d’huile de palme en Europe, en vue de “protéger la population et la nature contre les méfaits de l’industrialisation irraisonnée de sites fragiles, et pour que les deniers publics soient réorientés vers les besoins réels des habi-

tants”. Le collectif devrait faire entendre sa voix à l’occasion du débat public qui débute en octobre prochain à Port-la-Nouvelle au sujet de l’agrandissement du port. “Le vrai problème avec l’huile de palme, c’est que nous en consommons trop et que cette dépendance est à l’origine de tensions foncières croissantes dans les pays du Sud”, estime Sylvain Angerand, des Amis de la Terre. “Nous sommes donc opposés à toutes nouvelles infrastructures conduisant à une hausse de la capacité d’importation européenne et défendons le principe d’une agri> SOPHIE CHAPELLE culture relocalisée.”


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FRANCE

FRANCE

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Maïs OGM Mon 810 Course contre la montre pour maintenir l’interdiction

La nouvelle loi sur les certificats d’obtention végétale remet radicalement en cause la liberté d’utilisation des semences par les agriculteurs et les jardiniers.

Après l’annulation des arrêtés interdisant la culture du maïs Mon 810, le gouvernement doit très vite trouver des arguments de poids pour rédiger son nouvel arrêté... avant les semailles.

C’est à la majorité des trente député(e)s présent(e)s à 23 heures ce soir-là, et malgré la forte mobilisation de la société civile et d’une partie du monde agricole, que l’Assemblée nationale a voté le 28 novembre 2011 une loi sur les certificats d’obtention végétale (COV) – certificats détenus principalement par les grandes entreprises semencières. En interdisant aux agriculteurs la possibilité de ressemer une partie de leur récolte d’une année sur l’autre, c’est-à-dire d’utiliser des semences de fermes – et ce pour la majorité des espèces cultivées –, cette loi aura de forts impacts.

Passés à la trappe…. Les arrêtés établissant depuis 2008 un moratoire français sur la culture du seul maïs OGM autorisé en Europe – le Mon 810 de Monsanto – ont été invalidés en septembre 2011 par la Cour européenne de justice et annulés en novembre par le Conseil d’Etat (CE). Depuis cette décision, le gouvernement a répété plusieurs fois son intention de rétablir l’interdiction française. Le 23 janvier 2012, la ministre de l’Ecologie, Nathalie KosciuskoMorizet, a promis qu’une mesure d’urgence (ou clause de sauvegarde) serait prise fin février, “avant la période des semailles – mais pas trop tôt avant, pour que la Commission européenne n’ait pas le temps de la remettre en cause”. Il est également certain que les requérants (Monsanto, Limagrain, etc.) ayant obtenu l’annulation des précédents arrêtés saisiront le CE en référé. Alors que certains agriculteurs ont affirmé qu’ils sèmeraient précocement le Mon 810 pour mettre l’Etat devant le fait accompli, une course contre la montre est engagée. Le gouvernement doit trouver des arguments pour établir un nouvel arrêté solide. Le recours à la mesure d’urgence prévue par l’Europe, sur laquelle reposaient notamment les arrêtés annulés, semble être une voie pour l’instant sans issue. Elle suppose d’établir l’existence de risques avérés pour la santé ou l’environnement. Mais le comité scientifique (CS) du Haut conseil des biotechnologies (HCB) a simplement fait état de doutes sérieux. Cette instance consultative a pointé que la méthodologie de l’étude d’évaluation des risques pour la santé présentée sur le Mon 810 par Monsanto en 1998 ne permettait de tirer aucune conclusion. Sur l’aspect environnemental, le CS considère que les impacts du maïs Mon 810 sur les insectes non ciblés ne sont pas pires que ceux des cultures traitées aux insecticides de façon “classique”, et que les résistances ou tolérances développées par la pyrale du maïs ne constituent pas un risque environnemental, mais économique.

Taxes ou royalties obligatoires La nouvelle loi vise en effet à interdire les semences de fermes si elles sont issues de variétés protégées par un COV français. Concrètement, les légumes, les arbres fruitiers, les vignes, les fleurs, le soja, le maïs, le sainfoin, le sarrasin, le chanvre, etc., protégés – mais aussi leurs hybrides – ne peuvent plus être reproduits. Une exception a été adoptée pour 21 espèces (blé, avoine, orge, pois, colza...) pour lesquelles l’utilisation des semences de fermes est autorisée, mais en échange du paiement de royalties versées à l’obtenteur de la variété. Ce texte aura aussi des répercussions sur les semences paysannes, variétés anciennes ou modernes, reproductibles et sélectionnées par les paysans à partir de méthodes de sélection non transgressives du vivant, et libres de droits de propriété industrielle, donc non protégées. Pour ne pas payer de royalties, les paysans qui les utilisent devront fournir la preuve qu’ils ne re-

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Si les objectifs énoncés par la loi semblaient a priori louables – intérêt général, utilisation durable et préservation des ressources – seules seront éligibles pour être intégrées à cette collection les ressources phytogénétiques dites patrimoniales ou celles qui présentent un intérêt actuel ou potentiel pour la recherche scientifique, l’innovation ou la sélection. Les autres seront vouées à disparaître.

Fini les échanges de plants et de semences ? Cette loi est une offensive sans précédent contre le travail des paysans et des jardiniers.

produisent pas de variétés protégées. A défaut, une taxe pourra leur être prélevée au moment de la livraison de leur récolte, comme c’est le déjà le cas pour le blé tendre. D’autres dispositions portant sur la commercialisation, la sélection, la conservation et le contrôle des semences invitent le gouvernement à réglementer par décret : elles peuvent être lourdes de conséquences pour les agriculteurs, mais aussi pour les jardiniers amateurs qui pourraient être soumis à des obligations (déclaration, contrôle...). Mainmise sur les ressources L’Etat pourra réglementer par décret les modalités de conservation et les conditions d’enregistrement des ressources phytogénétiques appartenant à la “collection nationale” – comme définie par le Traité international sur les ressources phytogénétiques (Tirpaa).

Le pré carré des labos et semenciers Mais qui sera chargé de déterminer les “ressources phytogénétiques” dont l’intérêt, inconnu à ce jour, pourrait se révéler vital demain ? Pourra-t-on encore conserver, cultiver et créer des ressources ne répondant pas à ces critères d’éligibilité et ne faisant pas partie de cette collection nationale ? La recherche scientifique, l’innovation et la sélection sont-elles réservées aux laboratoires de recherche et aux entreprises semencières ? Cette loi est une attaque sans précédent contre le travail des paysans et des jardiniers qui ont, eux, préservé, innové et sélectionné des centaines de variétés depuis plusieurs millénaires. Ce rôle doit perdurer et être pleinement reconnu. En principe, le Tirpaa reconnaît leur contribution et les droits qui en découlent. Mais la France, qui l’a approuvé en 2005, ne l’applique pas. Il faut donc rester mobilisés durant la période de négociation des décrets, qui seront eux aussi déterminants.

> ANNE-CHARLOTTE MOŸ

Chargée de la veille juridique du Réseau Semences Paysannes

Mobilisation Agir pour la liberté d’usage des semences En France,

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le collectif “Semons la Biodiversité” regroupe 18 associations, dont les Amis de la Terre, et travaille pour l’élaboration d’une loi de reconnaissance des droits des agriculteurs. Pour établir un réel rapport de force et s’approprier les enjeux du débat, il est possible de :

S’informer*, en parler avec vos voisin(e)s, vos ami(e)s

Organiser un événement local ou une projection, ou y participer, pour amener sur la place publique le débat sur les enjeux ayant trait aux semences, échanger des semences afin de diffuser la biodiversité, se réapproprier nos savoir-faire et nos droits collectifs… ✔ Interpeller les élu(e)s et les candidats aux élections pour les informer des enjeux et de la problématique des semences et leur demander de s’engager pour abroger cette loi. ✔ Proposer une motion aux Conseils municipaux, généraux et régionaux. Les Conseils municipaux de Grigny ✔

(Rhône) et la Chambre d’agriculture des Hautes-Pyrénées en ont déjà adoptées. (Voir modèle sur le site*) ✔ Signer et faire signer la pétition lancée par l’association des Croqueurs de carottes pour entrer en résistance et exiger l’abrogation de cette loi ✔ Rencontrer les paysan(ne)s et retrouver des liens avec eux, le sol, les pratiques paysannes, puisque c’est là qu’est la base de notre alimentation ✔ Semer la biodiversité sur votre balcon, dans les parcs, les jardins, les champs… * Plus d’informations sur www.semonslabiodiversite.com

Le miel pris en étau Mais le gouvernement pourrait recourir à d’autres arguments. En septembre 2011, une décision de la Cour européenne de justice a considéré que, en l’absence d’autorisation spécifique des pollens issus du Mon 810, les miels qui en contiennent sont interdits à la consommation humaine. Si ce maïs OGM est cultivé en 2012, de très nombreux apiculteurs français ne pourront plus vendre leur miel et retireront leurs ruches des zones de grande culture. Or, selon Guy Kastler, de la Confédération paysanne, “la disparition de ces ruches aurait

Seudo © Creative Commons

Biodiversité cultivée Attaque législative brutale des semenciers contre les paysans

Salle de l’Assemblée pleinière du Conseil d’Etat. En attendant une loi solide, gageons que les semeurs du peintre Henri Martin aideront les membres à valider le futur arrêté interdisant le maïs Mon 810.

un impact environnemental non négligeable : l’abeille domestique joue un rôle écologique majeur puisque, en raison des pesticides massivement utilisés en zone rurale, la faune pollinisatrice sauvage y est très faible. Le gouvernement pourrait en arguer pour motiver son décret.” Par ailleurs, le droit européen autorise les Etats à prendre les mesures nécessaires pour empêcher la présence accidentelle d’OGM dans les productions non-OGM (pour autant que ces mesures soient proportionnelles au risque) et la loi française de 2008 impose le respect des systèmes agraires et des filières de production sans OGM, notamment biologiques. Or Monsanto n’a pas correctement évalué le risque de coexistence des cultures et n’a pas demandé les autorisations nécessaires aux autorités responsables de la commercialisation. L’impossible coexistence L’interdiction du Mon 810 serait bien une mesure proportionnelle, puisqu’elle n’interdirait pas aux maïsiculteurs de cultiver les autres variétés disponibles, alors que son autorisation, à l’inverse, interdirait aux apiculteurs d’exercer leur activité. Juridiquement, l’argument de l’impossible coexistence semble donc le plus consistant, malgré le refus du ministère de l’Agriculture de l’utiliser et malgré l’affirmation de JeanFrançois Dhainaut, président du HCB, qui propose une concertation entre parties prenantes pour convenir des mesures de coexistence. Mais qui peut croire que cette concertation permettrait par magie aux apiculteurs de survivre en étant contraints d’éloigner leurs ruches à plus de 10 kilo-

mètres de tout champ de maïs OGM, et, même si cela était possible, qu’elle puisse être menée à bien avant les semailles du maïs, qui débutent en mars ? Guy Kastler pointe que, “en réalité, la coexistence s’est partout montrée irréalisable. Les agriculteurs du Sud-Ouest de la France l’ont expérimentée en 2006 et en 2007 et ont constaté des contaminations des pollens de plus de 30 % à plus d’un kilomètre des maïs oGM. Pourtant, aucune étude scientifique officielle n’a jamais été financée. Le seul organisme français de recherche publique ayant ouvert une expérimentation avec des semences paysannes de maïs l’a abandonnée après deux récoltes et a refusé de publier ses premiers résultats, car ils démontraient la contamination. Ce même organisme vient de refuser un financement du ministère de l’Ecologie pour étudier cette coexistence avec des apiculteurs, des producteurs biologiques et de semences paysannes. Mais faut-il des études scientifiques pour démontrer au Conseil d’Etat que l’eau mouille ?” Le risque de mise en culture est cette année d’autant plus grand que, contrairement à ce qui s’est passé en 2008, le gouvernement n’a adopté aucun arrêté interdisant la distribution des semences OGM. Les Amis de la Terre jugent inacceptable que l’interdiction des OGM en France reste suspendue à une perpétuelle guérilla réglementaire alors que la population les refuse. Dans la situation actuelle, ils réclament un arrêté solide. Mais seule une décision politique et une modification non équivoque de la loi permettraient de stabi> LAURENT HUTINET liser le droit.


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Gaz et huiles de schiste Mobilisation tenace face aux industriels

Prix Pinocchio 2011 Les firmes françaises toujours à la pointe… du mensonge

Les acteurs de l’industrie pétrolière et gazière martèlent leur détermination à exploiter le gaz de schiste et contestent les limitations légales qui leur sont opposées sur le sol français. Face à cette pression organisée, la mobilisation ne faiblit pas, et s’internationalise.

En novembre 2011, les Prix Pinocchio du développement durable ont à nouveau dénoncé les boniments des dirigeants des plus grandes entreprises françaises. Avec une forte hausse des votants.

61 permis restent en vigueur Malgré un reflux apparent ressenti après l’abrogation, en octobre 2011, des trois permis de Nant, Villeneuve-de-Berg et Montélimar, la mobilisation ne faiblit pas. Les nombreux collectifs locaux, dont les militants des Amis de la Terre sont largement partie prenante, exigent l’abrogation des 61 permis d’exploitation restant applicables, et l’abandon des presque cent demandes en cours d’instruction. Pas plus que la mise en exploitation des permis, les collectifs ne toléreront des expérimentations de stimulation de la roche, aussi destructrices et dangereuses que l’ex-

Coordinations internationales Les collectifs français sont partie prenante de la mobilisation qui se développe à travers le monde, de la Pologne à l’Irlande, du Canada à l’Australie, de l’Afrique du Sud à l’Argentine. Et des liens de solidarité internationale se tissent (jumelages, échanges d’informations, etc.), formant la base de futures mobilisations. Dans l’immédiat, c’est la construction d’une coordination européenne qui est à l’ordre du jour. Le 17 janvier dernier, jour du colloque à la Maison de la chimie, se sont rassemblés à Paris des militants venus de toute la France et des représentants de plusieurs pays touchés par les projets des foreurs, à l’occasion d’un contre-colloque organisé par le collectif Île-de-France. Ils se sont donné rendez-vous au Forum alternatif

mondial de l’eau, le gaspillage insensé de cette ressource étant l’une des raisons principales de l’opposition à l’exploitation des gaz de schiste (voir dossier pp.1218). Ni ici, ni ailleurs ; ni maintenant, ni demain : c’est le programme ambitieux que s’est fixé le mouvement anti-gaz de schiste, dans la perspective de l’indispensable transition énergétique sans laquelle aucune alternative pour un monde vivable et juste ne sera possible.

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ALAIN DORDÉ

Réforme du code minier Au bon vouloir des lobbies de l’extraction ? Attribution de permis d’exploration de gaz et huiles de schiste et de permis offshore, mobilisations citoyennes : l’année 2011 s’est conclue sur l’évidente nécessité de réformer en profondeur un code minier tout à fait obsolète. Ses fondements remontent au XIXe siècle, et le code en vigueur fut, lui, rédigé en 1956, à une époque où les préoccupations environnementales et sociales n’occupaient que peu de place dans le débat public. Ignorant ces réalités, le gouvernement s’est permis de réformer ce code

en janvier 2011, sans débat parlementaire, et en donnant la part belle aux demandes que les professionnels du secteur lui avaient adressées en 2008. Ainsi, alors que l’éventualité d’une enquête publique préalable était jusqu’ici laissée à l’appréciation des autorités locales, le nouveau code précise que “l’instruction de la demande ne comporte pas d’enquête publique”, pour les permis exclusifs de recherche. Cependant, la validation de cette réforme attend toujours, puisque le projet de loi permettant de ratifier l’ordonnance

relative à la partie législative du code n’est toujours pas à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il paraîtrait même que le texte soit en arbitrage entre les ministères de l’Énergie et de l’Écologie. Ceci devrait bien évidemment déterminer la teneur finale du texte, et l’intégration ou non des remarques de la société civile, notamment sur le respect des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’information et la participation du public. Elles introduiraient un soupçon de démocratie > R. PORCHERON dans le droit minier.

Trois lauréats de poids La catégorie “Une pour tous, tout pour moi !” récompense l’entreprise ayant mené la politique la plus agressive en terme d’appropriation et de surexploitation des ressources naturelles. Tereos, groupe agroindustriel français, a été plébiscité par le public pour son activité de production d’agrocarburants au Mozambique. Tereos détient en effet près de 100 000 hectares de terres cultivables qu’elle compte transformer en monocultures énergétiques, confisquant ainsi des terres agricoles aux populations locales. Vinci, à la campagne de communication abusive et trompeuse au regard de ses activités réelles, s’est quant à lui distingué dans la catégorie “Plus vert que vert”, pour sa tentative de verdissement du projet d’aéroport de Notre-Dame-desLandes (Loire-Atlantique). Prétendant compenser la destruction massive de terres agricoles liée au projet, Vinci se contente en effet de créer un observatoire agricole, une ferme de démonstration en face des parkings et une Amap afin “d’encourager l’agriculture durable”. Enfin, la Société Générale est récompensée dans la catégorie “Mains sales,

17 novembre 2011. Sur la scène de “Mains d’œuvre”, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), on annonce les lauréats des Prix Pinocchio de l’année.

© Les Amis de la Terre France

ploitation elle-même. Au delà de la question de ces hydrocarbures dits “non conventionnels”, l’opposition d’un grand nombre de collectifs s’étend à la poursuite de l’exploitation des fossiles “conventionnels” (pétrole, charbon, gaz), ainsi qu’aux fausses solutions que sont les agrocarburants et l’énergie nucléaire. Ils mettent l’accent sur les énergies renouvelables et surtout sur l’efficacité et la sobriété énergétiques, seuls gisements énergétiques d’un avenir soutenable.

© copyleft

Le 17 janvier 2012, un colloque sur le “bouquet énergétique” français réunissait industriels et représentants de l’État à la Maison de la chimie, à Paris. Bruno Courme, directeur de Total Gaz Shale Europe, y expliquait que, puisque la loi d’interdiction de la fracturation hydraulique votée en juillet dernier empêche cette filiale de Total d’exploiter le gaz de schiste en France, elle allait explorer et exploiter ailleurs : en Pologne, en Argentine, et même aux Etats-Unis. Mais Total, ne renonçant à rien, a déposé en janvier un recours administratif contre l’abrogation de son permis d’exploration dans le Sud de la France. Et Bruno Courme d’affirmer : “Total respecte la loi. Notre position, c’est que la loi ne justifiait pas l’abrogation de ce permis…” Tout est dit : Total et, dans son sillage, les Toreador, Schuepbach et autres Vermilion ne comptent pas reculer. Ils doivent cependant savoir que les militants anti-gaz de schiste ne sont pas près de leur dégager la voie.

Le 17 novembre dernier se tenait la très festive cérémonie de remise des Prix Pinocchio du développement durable, organisés par les Amis de la Terre en partenariat avec le Centre de recherche et d’information pour le développement. Pour cette quatrième édition, les Prix Pinocchio ont fait peau neuve : trois nouvelles catégories – retranscrivant au mieux nos activités, nos combats et nos valeurs – ont ainsi remplacé les trois catégories originelles.

poches pleines” pour son rôle de premier ordre dans le financement de la construction du réacteur nucléaire Angra 3, au Brésil, mené par Areva dans des conditions de sécurité très inférieures aux normes usuelles respectées dans ce secteur. Les groupes locaux très actifs Près de 13 000 internautes se sont exprimés cette année pour désigner les lauréats et dénoncer ainsi les impacts négatifs de ces entreprises françaises, en totale contradiction avec le concept de développement durable qu’elles utilisent abondamment. Cette augmentation importante de la participation – deux fois plus de votants qu’en 2010 – ainsi que les nombreuses actions de rue menées par les

groupes locaux pour populariser l’événement (Loire-Atlantique, Paris, Landes, Isère, Limousin, Savoie, Haute-Savoie, etc.) ont contribué à faire de cette édition un véritable succès. Les récents débats relatifs à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises démontrent cependant l’obstination des décideurs à ignorer les demandes de la société civile. Le succès de cette édition 2011 sonne donc comme un rappel à l’ordre cinglant pour ces derniers : il est aujourd’hui indispensable d’encadrer strictement ces multinationales pour parvenir enfin à des sociétés soutenables au Nord comme au Sud. > ROMAIN PORCHERON Chargé de mission Responsabilité sociale et environnementale des entreprises

Brèves

Témoignages pour Une seule planète Du 12 au 20 novembre 2011, les Amis de la Terre, au sein du réseau Une Seule Planète, ont participé à la Semaine de la Solidarité Internationale consacrée aux inégalités de consommation et de répartition des richesses. Quatre intervenants – Bruna Engel, du Brésil, José-Miguel Torrico, du Chili, Diderot Nguepjouo, du Cameroun, et Mensah Todzro, du Togo – ont témoigné devant des groupes locaux des Amis de la Terre (Isère, Drôme, Savoie, Seine-Saint-Denis et Bouches-du-Rhône) des impacts sur la ressource en eau de leurs pays des consommations des pays industrialisés. Ils ont multiplié les exemples, comme les conséquences dramatiques de la fabrication de canettes en aluminium en raison de l’extraction de la bauxite au Brésil. Les intervenants se sont rendus à Marseille dans le cadre de la préparation du Forum alternatif mondial de l’eau qui cristallisera en mars 2012 les luttes contre l’accaparement de l’eau et sa privatisation (voir dossier pages 12 à 18). José-Miguel a évoqué le désastre du lithium dans le désert d’Atacama (Chili), et en particulier la baisse du niveau des nappes phréatiques due à l’extraction de ce métal indispensable aux batteries des voitures électriques (voir pages 16-17).

Nucléaire : Socatri condamné Le 30 septembre 2011, la cour d’appel de Nîmes a condamné la société Socatri, filiale d’Areva, pour la pollution radioactive de plusieurs cours d’eau en juillet 2008, après débordement d’un stockeur de la station de traitement des effluents uranifères de l’usine de Bollène (Vaucluse). La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) avait mesuré alors une pollution 27 fois supérieure à la limite annuelle des rejets autorisés, impliquant de graves conséquences sur l’environnement. Areva devra verser plus de 500 000 euros d’amende et de dommages et intérêts, dont 160 000 euros aux parties civiles – parmi lesquelles les Amis de la Terre. La cour a condamné également le retard de déclaration de l’incident.


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Un nouvel alibi pour les bétonneurs

Alors que l’impact écologique et social de la high-tech est passé sous silence, les Amis de la Terre se sont mobilisés dans plusieurs villes de France pour dénoncer l’obsolescence programmée des produits et la stratégie du gaspillage menant à l’épuisement des ressources naturelles.

Dans la plaine de Crau, aux franges de la Camargue, la Caisse des dépôts et consignations teste son laboratoire de la “compensation biodiversité”. Elle propose aux bétonneurs locaux de financer la restauration – impossible – d’un bout de coussoul, un écosystème endémique aussi fragile que menacé.

Après un Noël faste pour les produits hightech (1,7 million de smartphones et plus de 400 000 tablettes vendus pour des millions d’euros de chiffre d’affaires), l’engouement pour ces produits se poursuit avec les soldes. Apparus il y a peu mais présentés à grand renfort de publicité comme indispensables, l’iPad et les tablettes (dont l’utilité est discutable) sont parvenus à s’imposer sur le marché, s’ajoutant à d’autres équipements – téléviseurs à écrans plats, cadres pour photos numériques ou autres téléphones portables… Plus fins, plus légers, ces nouveaux objets de convoitise ont néanmoins un impact environnemental très lourd.

Réparation et réemploi, priorité n°1 En outre, ces produits sont conçus pour être rapidement obsolètes. Leur réparation, trop rarement envisagée par les consommateurs, est encore plus rarement suggérée en magasin (ou alors pour un coût dissuasif) et l’achat d’un nouveau produit, supposé plus “performant”, est privi-

légié. Les téléviseurs, smartphones ou tablettes peuvent cependant être rapportés chez les vendeurs, ce qui est préférable à la mise en décharge ou à l’incinération – même si le recyclage de ces produits est loin d’être au point. Par exemple, il n’existe pas de procédé pour recycler les terres rares. Quand la technique de recyclage est disponible, le critère économique prévaut toujours sur la réduction de l’usage des ressources non renouvelables. Pour les Amis de la Terre, des alternatives existent pour réduire le poids environnemental lié à la fabrication des produits high-tech et aux déchets qu’ils génèrent : la sobriété dans la consommation de ces produits, l’allongement de leur durée de vie, la réparation ou le don à des associations qui vont les réutiliser en sont > CAMILLE LECOMTE quelques-unes...

Niché dans la Crau, ancien lit de la Durance situé en bordure de la Camargue, le coussoul est un écosystème de plaine unique au monde. Il abrite de nombreuses espèces menacées, comme l’Outarde canepetière, le Faucon crécerellette ou le Ganga cata, et des insectes endémiques comme le Criquet et le Bupreste de Crau. Pourtant, sous la pression de l’urbanisation galopante et de l’agriculture, cet écosystème se réduit comme peau de chagrin : les trois-quarts de sa superficie initiale ont été détruits au XXe siècle.

Chargée de campagne Modes de production et de consommation responsables En savoir plus : www.amisdelaterre.org/obsolescence

© Laurent Hutinet

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Plus petits : plus d’impacts Pour accroître la durée de vie de leurs batteries, augmenter leur rapidité ou pousser leur miniaturisation à l’extrême, la fabrication de ces biens requiert un nombre croissant de métaux. Les composants de nos produits high-tech en intègrent des dizaines, comme les terres rares, le lithium, le coltan… Et, pour chacun d’eux, la demande mon-

diale ne cesse de croître. Les marchés sont sous pression et la course à l’exploration et à l’appropriation de nouvelles mines est relancée. Or, l’extraction minière, particulièrement polluante et consommatrice de ressources naturelles, est également connue pour les conditions souvent excécrables que cette industrie réserve à ses travailleurs. Au vu de l’explosion de ces gadgets nouvelle génération, l’ère de la rareté se dessine pour un nombre croissant de matériaux. Dirigeants économiques et politiques tentent de sécuriser les circuits d’approvisionnement, et s’intéressent peu à la notion de sobriété qui serait pourtant une réponse simple, de bon sens et de moindre coût.

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Obsolescence programmée La planète bradée pour la high-tech

Pourquoi vouloir toujours un nouveau modèle ? Pourquoi tant de gadgets inutiles… et polluants ?

Brèves

Qualité de l’air : le juge parisien exempte l’État En décembre 2010, le tribunal administratif a rejeté le recours des Amis de la Terre Paris contre l’État pour non-respect des seuils européens de qualité de l’air. Bien qu’il ait reconnu que les niveaux de concentration en particules et en dioxyde d’azote ont très souvent dépassé les valeurs limites et admis que des mesures “auraient pu permettre d’atteindre l’objectif fixé par le plan dans le délai imparti”, le juge a reproché aux plaignants de ne pas avoir précisé quelles mesures du Plan de protection de l’atmosphère francilien seraient fautives. Alors que se profile une sévère condamnation de la France, puisque la Commission européenne attaque celle-ci pour les mêmes raisons, les Amis de la Terre Paris ont l’intention de faire appel. A65 : avènement d’un échec annoncé Inaugurée en décembre 2010, l’autoroute A65, longue de 150 km et reliant Langon (Gironde) à Pau (Pyrénées-Atlantiques) confirme toutes les critiques avancées depuis la formulation du projet. Seuls 4 000 véhicules l’empruntent quotidiennement, alors que certains élus obsédés de “développement” en annonçaient 20 000. L’échec n’affectera pas beaucoup A’lienor SAS, puisque le contrat de concession lui assure le paiement par la collectivité d’une indemnité de plusieurs millions d’euros par an. En attendant, 20 000 hectares de terres ont été artificialisés par l’autoroute interurbaine la plus chère de France.

L’outarde canepetière, star du coussoul.

C’est ici cependant que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) teste, grandeur nature, son laboratoire de la “compensation biodiversité”. Elle propose aux bétonneurs du coin de se racheter une bonne conscience en finançant la restauration d’un bout de coussoul. Ceci, alors même que les terrains en question sont des steppes et non du coussoul, un écosystème qu’il est impossible de reconstituer – mais les acteurs en cause jouent de cette ambiguïté. La loi de 1976 pervertie Le danger du projet ne tient pas tant dans la création de mesures compensatoires, prévue en dernier recours par la loi sur la Nature de 1976, que dans la volonté de structurer peu à peu offres et demandes et donc de créer un marché – avec toutes les dérives que cela implique… Alors qu’un débat public devrait s’ouvrir pour constater l’échec à enrayer l’urbanisation et l’érosion de la biodiversité, la compensation Biodiversité l’étouffe à l’avance. Le minis-

tère de l’Ecologie l’admet d’ailleurs à mots à peine couverts. “C’est un mode de gestion stratégique du besoin de continuer à avoir accès à des nouveaux territoires, notamment pour les industries extractives” et “cela permet de raccourcir notablement la longueur des procédures d’acceptation du projet par les communautés locales”. La fuite en avant continue, confirmée par la liste des premières entreprises ayant signé un contrat de compensation Biodiversité. On y trouve notamment la SCI La Chapelette qui achève la construction d’une (énième) plateforme logistique sur la commune de Saint-Martin-de-Crau, dans le Vaucluse. Nacicca, une courageuse association locale, a pourtant dénoncé la destruction d’espèces protégées qu’engendrait ce projet mais le préfet est passé outre... et la CDC a tendu le contrat pour faire taire définitivement la contestation. Circulez, il n’y a rien à voir. Et pour la crise écologique, ne vous inquiétez pas, on la > SYLVAIN ANGERAND compense. En savoir plus : www.nacicca.org

Hommage Nous avons appris avec tristesse le décès du physicien nucléaire Roger Belbéoch, co-fondateur du comité Stop Nogent-sur-Seine et auteur, avec son épouse Bella, de nombreux textes sur les conséquences radiologiques et politiques de Tchernobyl. Depuis 1986, arguant de l’irréversibilité mortifère des effets de disséminations massives de radioactivité, Roger prônait un arrêt immédiat du nucléaire en France, ce qui techniquement pouvait alors se concevoir par la simple remise en service transitoire – en attendant mieux – des centrales thermiques classiques existantes. Roger a appris à nombre d’entre nous à décrypter la littérature officielle, pourfendant, avec cet humour qui est la politesse du désespoir, la novlangue de l’establishment nu-

Fukushimablues… “C’est avant la catastrophe qu’il faut agir, après il n’y a plus qu’à subir.”

cléaire (“excursion nucléaire” pour perte de contrôle de la réaction en chaîne, par exemple), nous alertant sur des colloques aussi cyniques que celui tenu en 1995 sous le titre Optimisation de la radioprotection et valeur monétaire de l’homme-sievert, mais fustigeant aussi les hypocrisies politiciennes de ceux qu’il appelait les écologistes officiels. Profondément humaniste, Roger considérait qu’en matière de santé et de risque “seule l’évaluation qualitative que les non-experts font a un sens”. Mais, prévenait-il, “à tout prix, les promoteurs du nucléaire ramèneront le débat sur le terrain tranquillisant des nombres”. Ses articles pour la Lettre de Stop Nogent sont disponibles en ligne*. Après Fukushima et les énièmes reniements des écologistes de gouvernement en matière de fermetures de réacteurs, il devient vita> M.-C. G lement urgent de les relire. * http://www.dissident-media.org/infonucleaire


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Surconsommation et eau La cote d’alerte L’extraction, le traitement et la transformation des matières premières exigent souvent d’autres ressources, au premier rang desquels on trouve l’eau. Aujourd’hui, une minorité de la population mondiale exploite l’eau de manière excessive tandis que des milliards d’habitants manquent toujours des services en eau les plus élémentaires.

© Caroline Hocquard

Nos écosystèmes n’ont jamais autant été sollicités. Au cours des trois dernières décennies, l’exploitation mondiale des ressources a augmenté d’environ 60 %. Les quantités de ressources extraites sont ainsi passées de moins de 40 milliards de tonnes en 1980, à plus de 60 milliards de tonnes en 2007. Soit 25 kg par jour et par habitant ! “Nous vivons une époque caractérisée par des habitudes de consommation élevées qui dépassent les capacités des écosystèmes mondiaux à faire face et à se régénérer”. Ce constat sans appel est dressé dans le nouveau rapport des Amis de la terre Europe, intitulé Surconsommation, une menace sur l’eau1. L’extraction et le traitement des matières premières exigent souvent d’autres ressources, au premier rang desquels on trouve l’eau. Aujourd’hui, une minorité de la population mondiale exploite l’eau de manière excessive tandis que des milliards d’habitants manquent toujours des services en eau les plus élémentaires. 1,1 milliard de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable dans le monde, 2,6 milliards ne bénéficient pas de système d’assainissement de base. Ce déséquilibre est à l’origine de conflits, de plus en plus nombreux, dans les régions du monde où cette ressource est rare. Disparités extrêmes En moyenne, un habitant de l’Amérique du Nord consomme la plus grande quantité au monde en eau et en matières premières (respectivement 7 700 litres/jour et 100 kg/jour). L’Européen, quatrième plus gros consommateur d’eau par habitant au niveau mondial, utilise en moyenne cinq à huit fois plus d’eau par jour qu’un Africain (qui en consomme 3 400 litres/jour). L’utilisation de l’eau par secteurs de production est par ailleurs très disparate selon les régions du monde. Au niveau mondial, l’agriculture est de loin la plus grande consommatrice d’eau (92 %). Ce calcul prend en compte non seulement l’eau extraite pour l’irrigation, mais aussi les eaux des pluies utilisées de fait par les plantes. Ainsi, la production – et l’importation – de denrées agricoles dans des pays où le climat favorise l’évaporation pèse beaucoup sur le renouvellement des ressources hydriques. Au niveau européen, cependant, c’est l’industrie qui consomme le plus d’eau (67,4 % de la consommation totale), suivie par le secteur domestique (18,9 %) et l’agriculture (13,7 %). En termes d’extraction, toujours en Europe, l’énergie draine les

plus grandes quantités d’eau pour le refroidissement (45 %), suivi par l’agriculture (22 %), l’approvisionnement en eau potable (21 %) et l’industrie (12 %). Les courbes régionales ou nationales peuvent dévier de façon significative de ces moyennes. En Europe du Sud, l’agriculture nécessite plus de 50 % de l’extraction de l’eau (plus de 80 % pour certains pays), alors qu’en Europe occidentale ce chiffre est réduit à quelques pourcents. Ces grands écarts sectoriels montrent bien que la façon dont est utilisée l’eau est liée à la structure économique et aux habitudes de consommations d’un pays. De plus, les fortes consommations d’eau reposent bien souvent sur des importations… Bouleversement des écosystèmes locaux L’eau est bel et bien devenue un enjeu géopolitique, en même temps qu’une ressource soumise aux lois de la mondialisation. Une étude internationale allant de 1997 à 2001 a montré que 16 % de l’utilisation mondiale de l’eau est destinée à la production de marchandises vouées à l’exportation, et non à la consommation domestique. Ainsi, bien que ce soit d’une façon plus sous-jacente, l’eau circule avec les flux commerciaux, comme les autres ressources. Les concepts d’eau “virtuelle” – ou “incorporée” – dans les produits et d’“empreinte eau” visent justement à rendre cette réalité tangible pour les citoyens et les décideurs (voir “Des outils…”, p. 14). Cette analyse est fondamentale, car les importantes quantités d’eau nécessaires aux processus de production affectent les écosystèmes aquatiques qui, quand ils sont trop dégradés, ne sont plus aptes à fournir de l’eau douce potable aux populations locales. La pollution est aussi une cause grave et majeure de cette dégradation. En France, malgré sa faible part relative dans l’extraction d’eau totale du pays, l’exemple de l’agriculture montre bien cependant que, pratiquée de façon intensive, elle reste une question centrale à règlementer pour assurer la préservation de la qualité des ressources en eau (voir p. 15). L’épandage excessif de lisier et, partout dans le monde, la surconsommation de fertilisants chimiques provoquent des problèmes majeurs : modification des cycles de l’azote et du phosphore, pollution des eaux – fleuves, lacs, océans – et de l’atmosphère… L’énergie, dont dépend le modèle consumériste, est aussi très gourmande en eau. Usant de méthodes très dispendieuses

Dans la plupart des régions du monde où il n’y a pas de système d’adduction d’eau à domicile, ce sont les femmes qui assurent l’approvisionnement en eau du foyer (ici, en Inde). Parfois très éloignées de l’habitat, les sources d’eau peuvent cependant être polluées par des industries locales qui exportent des biens de consommation vers les pays occidentaux.

en eau, l’extractivisme forcené des hydrocarbures non conventionnels pousse encore dans ce sens. Au Brésil, l’extraction croissante de minerais conduit à la multiplication de grands barrages pour alimenter les usines de transformation (voir pp. 1617). Tout cela contribue à augmenter la pression sur les ressources en eau. Urgence pour préserver le droit à l’eau Des changements fondamentaux des modes de production et de consommation de notre société sont essentiels et urgents. D’ici à 2025, les prélèvements d’eau devraient encore augmenter de 50 % dans les pays en développement et de 18 % dans les pays développés. A cette date, environ 1,8 milliard de personnes dans le monde devraient vivre dans des pays ou des régions connaissant des pénuries d’eau tandis que les deux tiers de la population mondiale seront sous conditions de stress hydrique2. Le Forum alternatif mondial sur l’eau, qui se tiendra en mars 2012 à Marseille, rappelle que l’eau doit être source de vie et non de profit (voir p. 18). La demande de plus en plus importante en eau douce ne peut infiniment être satisfaite, et le droit humain à l’eau et à l’assainissement doit être défendu. “Ceux qui consomment plus que

leur part – si celles-ci étaient réparties entre tous les êtres humains de façon équitable – devront réduire leur consommation de façon significative pour permettre aux générations présentes et futures d’atteindre un niveau de vie correct”, rappellent les Amis de la Terre Europe. Cela passe par exemple par la diminution de la consommation de viande et l’interdiction de programmer l’obsolescence des biens. Cela revient surtout à nous interroger sur le lien entre utilisation des ressources naturelles, croissance économique et prospérité de nos sociétés.

> SOPHIE CHAPELLE ET CAROLINE HOCQUARD

1 Ce rapport a été réalisé dans le cadre du projet européen RedUse qui vise à mettre en évidence les niveaux de ressources naturelles consommées en Europe et les conséquences de la surconsommation sur l’environnement et dans les pays du Sud. Des pays du Nord et du Sud y participent : Angleterre, pays de Galles et Irlande du Nord, République tchèque, France, Italie, Hongrie, Brésil, Cameroun, Chili et Togo). Les principaux porteurs du projet sont Friends of the Earth Europe, Global 2000 (Autriche) et le Sustainable Europe Research Institute (SERI). Pour lire le rapport : http://www.amisdelaterre.org/Surconsommationune-menace-sur-l.html 2 Alternatives Économiques, hors-série “L’économie durable”, 4e trimestre 2009.

Quantités d’eau virtuelle importées et exportées dans le monde (par personne par an)

L’eau est une devenue une ressource mondialisée. D’immenses flux d’eau “virtuelle” (“incorporée” dans les produits que nous consommons) peuvent être mis à jour. Les Européens, les Nord-Américains et les habitants de l’Océanie sont ceux qui importent les plus grandes quantités de ressources

naturelles des autres régions du monde pour maintenir leur niveau et leur mode de consommation. De grands importateurs peuvent aussi être de très gros exportateurs. La structure économique et la spécialisation commerciale de chaque pays expliquent ces flux.

© Sébastien Legoyet. Source : rapport “Virtual water trade” de Hoekstra, A. Y. et Hung P.Q.


DOSSIER

SURCONSOMMATION ET EAU : LA COTE D’ALERTE

Empreinte eau De l’eau plein nos placards

France Eau et agriculture : une politique publique incohérente et régressive

Derrière le commerce mondialisé de produits alimentaires et manufacturés se cachent d’énormes flux de ressources naturelles, et notamment d’eau. Il est urgent de comprendre les impacts de notre niveau de consommation sur la ressource en eau de notre planète.

L’année 2011 en France a été marquée par des décisions déréglementant l’agriculture conventionnelle. Les conséquences sur une ressource en eau seront lourdes, écologiquement et financièrement. En décembre 2001, le gouvernement français a discrètement choisi de consulter le public sur des projets d’arrêté et de décret visant à supprimer l’interdiction d’augmentation des cheptels dans les zones d’excédents structurels de lisier. Ce projet, qui ajoutera incohérence et opacité à la politique publique de lutte contre les pollutions des eaux, n’est que le point d’orgue d’une série de décisions à contre-courant des défis écologiques. L’arrêté du 19 décembre 2011 autorise ainsi l’épandage de lisier sur les couverts végétaux – quand ceux-ci sont justement destinés à retenir les excès d’azote dans les sols durant l’hiver. Le texte prévoit également le relèvement des normes de production d’azote pour les vaches laitières. Le 11 octobre dernier, un décret relevait purement et simplement les plafonds d’épandage. La distance limite d’épandage par rapport aux cours d’eau avait déjà été réduite à 10 mètres – pour 35 auparavant.

L’eau est nécessaire pratiquement à chaque étape du cycle de vie des produits, depuis l’extraction des matières premières à leur transformation, leur distribution, leur recyclage, jusqu’à la fin de leur vie. Chaque produit contient donc une certaine quantité d’eau dite “incorporée”, ou “virtuelle”. Ces quantités sont considérables, et nous consommons ainsi davantage d’eau de façon indirecte que de façon directe (pour boire ou se laver). Concours de tee-shirts mouillés 140 litres d’eau pour la tasse de café du matin, 9 litres pour 1 litre d’eau embouteillée : ces chiffres interpellent sur la nécessité de réduire nos consommations. Nos habitudes carnivores sont notamment très coûteuses en eau. Le poulet est le L’Afrique de l’Ouest, spécialisée dans l’exportation du coton, plus économe, avec tout de même 432 litres est affectée par cette culture qui nécessite beaucoup d’eau. pour 100 grammes, la palme revenant à la viande bovine, avec 15 415 litres d’eau par kilogramme. Quand on virtuelle provenant de pays pauvres en eau”, note le rapport des sait qu’un Français consomme 25,4 kg de viande bovine par an Amis de la Terre Europe intitulé Surconsommation, une menace (sur un total de consommation de viande de 87,8 kg par personne sur l’eau (voir pp. 12-13 et ci-dessous). Plus de 80 % de l’emet par an – chiffres France AgriMer 2009), le calcul est ravageur. preinte eau de la consommation cotonnière européenne se situe Mais les immenses quantités de produits d’importation que en dehors de l’Europe. L’Afrique de l’Ouest s’est spécialisée dans nous consommons détournent de l’eau des écosystèmes un peu l’exportation de coton. Mais, dans ces régions arides, cette culpartout sur la planète. L’empreinte eau totale de la France (c’estture, qui nécessite d’importantes quantités d’eau, affecte profonà-dire le volume total d’eau douce utilisée pour produire les biens dément les écosystèmes et la vie des populations locales. et services consommés par les habitants), pèse pour près de la moitié (47,3 %) sur d’autres pays. Réduire notre empreinte Par exemple, parmi les produits les plus caractéristiques de la Le niveau élevé d’utilisation de l’eau dans les pays industrialisés, mondialisation de la production, et donc de la délocalisation de et en Europe en particulier, est caractéristique du niveau alarmant notre empreinte eau, un simple tee-shirt en coton équivaut à une d’utilisation des ressources par une minorité de la population consommation de 2 700 litres d’eau. Environ 45 % de cette eau mondiale. L’empreinte eau, d’un pays à l’autre, varie considéraincorporée dans le textile cotonnier provient de l’irrigation consomblement : ainsi la Chine, usine du monde, ne consomme pour mée par les plantes de coton. La pluie évaporée durant la croisses propres besoins que 1 070 m3 par personne et par an, tandis qu’aux États-Unis le mode de vie repose sur une consomsance du cotonnier représente 41 %, et l’eau nécessaire pour dimation de 2 480 m3. luer les eaux usées provenant de l’utilisation de fertilisants dans Ce déséquilibre est à l’origine de conflits, de plus en plus nomles champs et des produits chimiques dans l’industrie textile, breux, dans les régions du monde où cette ressource est rare. Pour 14 %. Sans compter les processus de transformation (nettoyage, un partage équitable des ressources entre tous les êtres humains, tissage, teinture…) et le long voyage à travers le monde que fait les Européens doivent réduire significativement leur empreinte, et notre tee-shirt avant d’arriver dans nos magasins. travailler à construire une société soutenable. > CAMILLE LECOMTE “Paradoxalement, notre système économique mondialisé et la Note : La méthodologie de l’empreinte eau provient du Waterfootprint Network, course aux produits toujours moins chers ont conduit beaucoup Pays-Bas. http://www.waterfootprint.org de pays riches en eau à être dépendants des importations d’eau

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Pesticides-azote, cocktail indémodable Les pollutions de la ressource en eau sont très majoritairement causées par l’activité agricole intensive – azote (issu principalement des lisiers) et pesticides. Rien qu’en Bretagne, la région la plus touchée par le phénomène, les animaux d’élevage produisent 227 000 tonnes d’azote par an. D’après l’association Eaux et Rivières de Bretagne, la pollution des eaux aux pesticides est maintenant permanente et de plus en plus de molécules différentes sont détectées dans les échantillons. Lutter contre la pollution aux nitrates est d’abord apparue comme un enjeu de santé publique. La réglementation appliquée en France est issue des normes européennes. Ainsi la teneur en nitrates de l’eau alimentaire (du robinet) ne doit jamais excéder 50 mg/l. Celle de l’eau “brute” (prélevée dans les milieux naturels et destinée à l’alimentation après captage et distribution) ne peut dépasser 100 mg/l. Dès lors, comment concilier des normes sanitaires et un système agricole intensif grand producteur d’azote et de rejets de pesticides ? Loin d’orienter les politiques publiques vers des actions préventives, la stratégie française consiste uniquement à développer de coûteuses politiques de dépollution et de potabilisation de l’eau, tout en encourageant l’agriculture productiviste. Non content d’être écologiquement le plus désastreux, ce choix est aussi le plus onéreux. La Cour des comptes estimait en 2010 que les traitements a posteriori de l’eau destinée à la consommation coûtent 2,5 fois plus cher au mètre-cube traité que les politiques de prévention des pollutions. Dans un rapport sur le coût des principales pollutions agricoles, paru en septembre 2011, le Commissariat général au

Des outils pour une meilleure gestion internationale de l’eau tendue en Asie, qui abrite 58 % de la population mondiale, avec seulement un tiers des ressources en eau de la planète*. Stephan Lutter, chercheur au Sustainable Europe Research Institute, qui a travaillé sur le rapport, insiste aussi sur l’importance de connaître plus précisément les zones en stress hydrique. “L’indicateur majeur utilisé est l’indice d’exploitation des ressources en eau – pourcentage de l’eau extraite par rapport aux réserves d’eau renouvelables d’une zone. Malheureusement, les données concernent souvent des zones trop grandes – en général l’échelle d’un pays, ce qui ne révèle pas les fortes disparités de la répartition de l’eau. Améliorer la qualité des données qui servent de base aux politiques de l’eau est indispensable.”

> CAROLINE HOCQUARD

* Alternatives Économiques, Hors-série “L’économie durable”, 4e trimestre 2009.

développement durable (CGDD) précise que les dépenses supplémentaires supportées par les ménages, liées aux excédents d’azote et de pesticides d’origine agricole, se situeraient entre 1 000 et 1 500 millions d’euros, soit 7 à 12 % de la facture de l’eau en moyenne. À ces dépenses, il faut ajouter celles des collectivités locales littorales dues à l’eutrophisation – phénomène des marées vertes – estimées entre 100 et 150 millions d’euros. Enfin, pour dépolluer le stock des eaux souterraines, ce sont, au minimum, 522 milliards d’euros qu’il faudrait débourser. Et l’État paie les amendes liées aux contentieux communautaires pour non-respect des directives européennes. La Bavière montre l’exemple Le CGDD cite la Cour des comptes pour qui ces résultats édifiants sont dus à “l’insuffisante volonté de l’État de remettre en cause des pratiques agricoles durablement marquées par l’encouragement au productivisme et le choix d’une agriculture intensive”. Les surcoûts liés à cette stratégie curative sont donc essentiellement supportés par les ménages, d’après les économistes du CGDD. À ces chiffres peuvent s’ajouter d’autres pertes potentielles : ostréiculture, tourisme, pêche, mais aussi chute de la biodiversité, dégradation durable ou irréversible des écosystèmes, etc. Des exemples connus montrent pourtant la voie. En Bavière, la municipalité de Munich s’est associée à l’État pour accompagner financièrement et techniquement les agriculteurs des terres situées à proximité des captages d’eau potable (6 000 ha) à se convertir à l’agriculture biologique. 83 % de ces terres sont maintenant cultivées sans intrants chimiques, avec une bonne gestion de l’azote : les teneurs en nitrates de l’eau potable ont diminué de 43 % en 14 ans, et celle des pesticides, de 54 %.

> LUCIE LEBRUN

© Cristina Barroca

Le rapport des Amis de la Terre Europe Surconsommation : une menace sur l’eau, destiné notamment aux décideurs, veut aider à construire une vision globale et plaide pour “un cadre politique qui intègre les liens entre les ressources naturelles”. Il s’agit de prendre en compte l’empreinte eau de chaque pays en fonction de ses habitudes de consommation et les flux d’eau exportés et importés. Dans l’idéal, “les pays dont les ressources en eau sont limitées devraient se concentrer à produire ce qui utilise peu d’eau, et importer ce qui en nécessite beaucoup. Les pays riches en eau devraient, eux, se spécialiser dans l’exportation de produits coûteux en eau.” Cela est d’autant plus important que certaines régions en forte croissance démographique disposent de ressources qui, comparativement, sont très restreintes. La situation est particulièrement

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© Chaunu

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En savoir plus Les marées vertes en Bretagne, conséquence avérée des lisiers.

Eau et Rivières de Bretagne http://www.eau-et-rivieres.asso.fr Rapport du Commissariat général au développement durable http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ED52.pdf


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DOSSIER

SURCONSOMMATION ET EAU : LA COTE D’ALERTE

Des quantités astronomiques d’eau sont utilisées pour forer toujours plus profond, au mépris des besoins des communautés locales. Du Brésil à la Chine, en passant par la Bolivie et l’Alberta, la guerre silencieuse de l’eau est à l’œuvre.

À l’heure des dérèglements climatiques, les partisans des grands barrages les présentent comme étant une “énergie propre, compétitive et 100 % renouvelable”, à même de répondre aux besoins des 2 milliards de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité. C’est pourtant loin d’être le cas.

Dans le désert d’Atacama, au Chili, où l’on extrait du lithium, il n’y a aujourd’hui plus aucun signe de vie animale.

C’est le métal le plus léger au monde. Surnommé “or blanc”, le lithium est partout autour de nous : dans les batteries des voitures électriques, des appareils photo, des ordinateurs ou des téléphones portables. Chili, Bolivie et Argentine sont les pays qui composent “le triangle du lithium”. D’après l’institut américain de veille géologique, la Bolivie renfermerait dans son sous-sol près de 40 % des réserves mondiales. L’extraction a d’ores et déjà commencé au Chili, à l’extrême nord du pays, dans le salar (désert de sel) d’Atacama. Dans cette zone, parmi les plus sèches de la planète – 1 mm de pluie tous les cinq à vingt ans à certains endroits –, deux compagnies, la Sociedad quimica minera de Chile (dirigée depuis sa privatisation par l’ancien gendre du général Pinochet) et la Canada lithium corporation, produisent 58 % du lithium mondial. 10 000 à 15 000 m3 d’eau par fracturation hydraulique La production de lithium nécessite d’importantes quantités d’eau. Car la saumure (solution aqueuse saturée en sel contenue dans les nappes phréatiques) est pompée en surface et étendue dans les bassins d’évaporation. Le problème est qu’aucune mesure n’est mise en œuvre pour récupérer l’eau évaporée des bassins et la réinjecter dans la nappe phréatique. Les dommages causés par l’extraction du lithium sont déjà visibles. Semblable à un immense champ labouré, le plateau d’Atacama, d’où s’élèvent d’énormes montagnes de sel blanc brillant, ne montre plus aucun signe de vie animale. Seuls des canaux énormes et des pistes parcourant le désert charrient de l’eau, gravement polluée. L’exploitation à grande échelle de la nature et de ses ressources empiète sans cesse sur de nouveaux espaces – auparavant considérés comme “improductifs” –, mettant de plus en plus en péril la disponibilité et la qualité de l’eau. Si ce type d’exploitation s’accélère comme jamais dans les pays du Sud, il n’épargne pas non plus les pays du Nord. En Alberta, une province du Canada, les compagnies pétrolières pompent l’eau sans ménagement en vue d’exploiter les sables bitumineux (tar sands). Pour les extraire, il faut en effet une quantité phénoménale de vapeur

d’eau : pour produire un seul baril de pétrole, le volume d’eau utilisé équivaut au moins à deux barils, proportion qui peut varier jusqu’à cinq… La production de ce pétrole non conventionnel consomme ainsi dix fois plus d’eau que celle du pétrole classique. L’exemple des gaz de schiste est à ce titre emblématique. Pour extraire ce gaz naturel non conventionnel, les compagnies ont développé la fracturation hydraulique (fracking). Cette technique consiste à injecter à haute pression, à plusieurs kilomètres de fond, de l’eau mélangée à du sable et des produits chimiques afin de libérer le gaz. Mais le fracking nécessite énormément d’eau, entre 10 000 et 15 000 m3 par fracturation, et plusieurs fracturations peuvent être menées sur un même puits. Les images choc du documentaire “Gasland” – de l’“eau” du robinet prenant feu – ont révélé la contamination en méthane des puits d’eau potable situés à moins d’un kilomètre des sites d’hydrofracturation. Alors que les actions contre l’exploitation du gaz de schiste se multiplient dans le monde pour obtenir des moratoires ou de nouvelles régulations, une guerre autour de l’or bleu se profile. Le profit l’emporte trop souvent sur le droit à la vie Dans de nombreux pays, la pression industrielle sur les nappes phréatiques menace de plus en plus les réserves d’eau douce disponibles, qui déjà ne représentent que 3 % des ressources hydriques de la planète. Selon le dernier rapport de l’ONG Solidarités International, en 2011, 884 millions de personnes n’avaient toujours pas accès à l’eau potable. Face à ce problème, les principaux bailleurs de fonds des pays pauvres – comme la Banque mondiale ou le FMI – préconisent aux gouvernements de privatiser leurs réseaux de distribution d’eau. Mais, sans surveillance exigeante des autorités, la logique du profit l’emporte sur le droit à la vie. Dans les villes boliviennes de Cochabamba et El Alto, de telles mesures s’étaient soldées en avril 2000 par quatre-vingt-dix jours d’émeutes, frisant la guerre civile. Dans un contexte exacerbé de crise énergétique, humanitaire et climatique, l’intérêt des investisseurs de se placer sur le marché de l’eau apparaît de plus > SOPHIE CHAPELLE ET CYRIL FLOUARD en plus limpide.

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Barrages géants, climat et énergie Un choix délétère

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Extraction Lithium, gaz de schiste, sables bitumineux… que d’eau, que d’eau !

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Belo Monte soient supérieurs aux bénéfices. 80 % du financement de ce projet est assuré par la Banque nationale de développement brésilienne (BNDES) qui réalise là le plus grand prêt de l’histoire. Seulement deux tiers de l’électricité seront destinés aux citoyens brésiliens, le tiers restant à l’industrie minière, donc à l’extraction et à la transformation des minéraux. Des concessions ont déjà été attribuées pour l’installation de ce type d’usines près du site de construction du barrage. Le gouvernement a également prévu d’investir 40 milliards de dollars dans l’exploitation du fer, du cuivre, de la bauxite et du nickel en 2014. Autant d’activités connues pour leurs caractères néfastes pour l’homme et l’environnement. Construction du barrage de Nam Theun 2, au Laos, en 2008. Aujourd’hui, 90 % de sa production électrique est exportée vers la Thaïlande.

Si le Brésil a provisoirement gelé son programme nucléaire, il accélère par ailleurs la construction de grands barrages en Amazonie. Le gouvernement vient de lancer la construction du troisième plus grand barrage du monde sur l’un des principaux affluents de l’Amazone, le Rio Xingu, dont 80 % du débit sera détourné. La construction de ce barrage de 6 km de large nécessitera de creuser deux énormes canaux de 500 m de large et de 75 km de long, soit l’équivalent du canal de Panama au milieu de la forêt ! Les deux réservoirs de Belo Monte inonderont 600 km2 de forêts tropicales, entraînant la destruction de la biodiversité le long du Xingu. Une énergie propre, vraiment ? De nombreuses études prouvent que la décomposition des forêts immergées dans les réservoirs libère de grandes quantités de gaz à effet de serre, tels le méthane et le protoxyde d’azote – respectivement 25 et 300 fois plus puissants que le CO2. Officiellement, il a été promis de couper les arbres avant la mise en service du barrage, mais tout le monde est sceptique quant à la façon dont le consortium compte s’y prendre pour couper une telle surface forestière en si peu de temps… Le barrage provoquera le déplacement de plus de 20 000 personnes, et mettra en péril la survie des populations indigènes. Pour les paysans pauvres vivant aux abords du Rio Xingu, les emplois temporaires créés par le barrage ne remplaceront pas durablement la perte de leurs terres agricoles et la diminution des réserves de poissons. Belo Monte pourrait attirer jusqu’à 100 000 migrants dans la région alors qu’au plus fort de la construction, seulement 40 000 emplois seront créés et 2 000 sur le long terme. L’arrivée massive de migrants dans une zone où rien n’est prévu pour un tel afflux de population ne manquera pas d’alimenter les tensions sociales. Avec un coût estimé à 17 milliards de dollars et une capacité de production de 11 233 MW (l’équivalent d’environ 11 tranches électronucléaires), le barrage ne produirait que 1 000 MW pendant les trois ou quatre mois de saison sèche. Une récente étude a révélé la forte probabilité que les coûts du barrage de

Une tendance mondiale L’exemple de Belo Monte s’inscrit dans une tendance mondiale. Les investisseurs publics et privés – institutions financières internationales en tête (Banque mondiale et Banque européenne d’investissement, ou BEI) – font preuve d’un intérêt renouvelé pour les grands barrages, en jouant la carte de la lutte contre le changement climatique et la pauvreté. Ces constructions titanesques présentent pourtant des impacts socio-environnementaux désastreux, sans jamais répondre aux besoins des populations. Ainsi, 90 % de l’électricité produite par le barrage de Nam Theun 2, au Laos, est exportée vers la Thaïlande. Au Cameroun, où plus de la moitié de la population n’a pas accès à l’électricité, la BEI s’apprête à financer la construction du barrage de Lom Pangar, qui permettra l’expansion d’une usine de fonte d’aluminium utilisant déjà à elle seule la moitié de l’énergie du pays. En République Démocratique du Congo, les barrages de Inga 1 et 2 ont reçu le soutien de la BEI mais leur production est essentiellement destinée aux mines du Katanga… tant et si bien que seulement 11 % de la population a accès à l’électricité. Pour répondre aux besoins en électricité des populations et assurer le respect de notre espace écologique, d’autres solutions sont envisageables, comme par exemple l’investissement dans l’efficacité énergétique. D’après une étude de 2007, le Brésil pourrait réduire la demande attendue pour l’électricité de 40 % d’ici à 2020 s’il investissait dans l’efficacité énergétique. L’énergie ainsi économisée – jusqu’à 19 millions de dollars – serait équivalente à 14 centrales hydroélectriques comme celle de Belo Monte. Des alternatives décentralisées réellement renouvelables existent, comme la petite hydroélectricité – moins de 10 MW, selon la définition de l’Agence internationale de l’énergie. Elle présente le double avantage d’avoir peu d’impacts et de répondre aux besoins des communautés locales dispersées. Au Népal, la petite hydroélectricité a permis de fournir de l’électricité à environ 40 000 ménages, tout en dynamisant un développement rural soutenable à travers la protection de l’environnement et la créa> RONACK MONABAY tion d’emplois. Chargé de campagne Institutions financières internationales


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DOSSIER SURCONSOMMATION ET EAU : LA COTE D’ALERTE

Publications

Alternatives L’eau, source de vie, pas de profit

De vrais indices pour juger l’action des banques

Du 14 au 17 mars 2012, à Marseille, se tiendra le Forum alternatif mondial de l’eau. Membre du comité d’organisation et président de la Coordination Eau Île-de-France, Jean-Claude Oliva revient sur les enjeux de cet événement dont les Amis de la Terre sont partie prenante.

Référendum L’Italie a dit oui à la défense du bien commun Le 13 juin 2011 a marqué un succès historique pour les militants de l’eau du monde entier. À l’occasion d’un référendum d’initiative populaire en Italie, 95 % des votants se sont exprimés en faveur de l’eau publique, et contre les profits sur ce bien commun. Ce référendum populaire est né de l’initiative des comités citoyens pour l’eau publique de toute l’Italie, coordonnés depuis 2006 par le Forum italien des mouvements

pour l’eau publique. La Constitution italienne prévoit que, pour proposer un référendum abrogatif, il est nécessaire de recueillir 500 000 signatures. En moins de trois mois, les comités citoyens en ont rassemblé plus de 1,4 million. Jusqu’au référendum, fixé aux 12 et 13 juin, l’information a été dérisoire. “Le plus dur n’était pas de convaincre les gens de voter OUI pour l’eau publique, mais de les informer qu’il y

avait un référendum et de faire en sorte qu’ils aillent voter”, rappelle Raphaël Pepe, membre du comité référendaire pour l’eau bien commun. C’est donc dans les rues, les écoles, les universités, en participant à tous les événements publics, en organisant des conférences, des débats, des forums, des fêtes que les comités citoyens ont fait campagne. Et si, en France, nous suivions le chemin de cette dynamique citoyenne ?

>

SOPHIE CHAPELLE

> Les banques sous pression citoyenne : l’heure des comptes

Réalisée par les Amis de la Terre et Attac dans le cadre de leur campagne commune “À nous les banques !”, cette grande évaluation citoyenne a été menée sur la base de questionnaires détaillés envoyés aux dix plus grands groupes bancaires opérant en France. Elles sont ici jugées sur leur politique de spéculation et de prise de risque, leur comportement envers les clients et les salariés, leur prise en compte de l’environnement et des populations locales, la démocratie. Verdict ? Nombre d’entre elles sont dans le rouge... > Consulter le rapport final et le classement : www.amisdelaterre.org/Nouveau-rapport-Les-banques-sous.html

> Qui finance le changement climatique ?

Un an après le nucléaire, on connaît désormais la liste des banques privées qui financent le plus l’industrie du charbon – la plus climaticide – à travers le monde. C’est le rapport “Bankrolling Climate Change”, publié par les associations Urgewald, Earthlife, GroundWork (les Amis de la Terre Afrique du Sud) et le réseau BankTrack, qui nous l’apprend. On retrouve, une fois encore, les banques françaises BNP-Paribas, Société Générale et Crédit Agricole dans le top 20 mondial. > Consulter le rapport en anglais : www.amisdelaterre.org/Qui-finance-le-changement.html

L’appel de Gaïa © Global 2000

L’eau, c’est la vie, mais c’est souvent aussi la mort. La moitié des lits d’hôpitaux dans le monde sont occupés par des malades victimes d’eaux polluées, contaminées. C’est le quotidien des pays les plus pauvres. En France, les nappes souterraines comme les fleuves recèlent des cocktails de pesticides, des nitrates à l’origine de la prolifération des algues vertes, et demain, si l’on n’y prend garde, on y retrouvera le cortège des substances chimiques utilisées pour l’extraction des gaz et huiles de schiste. Cela ne peut être sans conséquences. Qualité de l’eau et santé de la population sont partout étroitement liées. À cet enjeu social et humain se conjugue le désastre environnemental de masses d’eau dénaturées, de fleuves morts qui n’arrivent plus jusqu’à la mer. Préserver la ressource, Le 28 juillet 2010, l’Assemblée générale des Nations unies c’est garantir l’accès à l’eau potable a reconnu le droit humain à l’eau et à l’assainissement. pour tous les êtres vivants. Les pouremporté par le mouvement italien en juin 2011 (voir ci-dessous). voirs publics se sont le plus souvent avérés incapables de réBref, le FAME ne sera pas seulement un forum anti-privatisation ou pondre à ces défis. L’alpha et l’oméga de leur pensée et de leur un contre-forum, il a aussi pour ambition de relever le défi de la action a été de transformer l’eau en marchandise. Ce sera encrise mondiale de l’eau dans toutes ses dimensions. core une fois le message sans surprise qui sortira du Forum Le combat pour le droit humain à l’eau et à l’assainissement, mondial de l’eau, organisé par le Conseil mondial de l’eau – un mené par les associations, les élus et les populations depuis vingt organisme présidé par le P.-D.G. de la Société des eaux de Marans dans le monde entier, a connu une consécration historique seille, une filiale de Veolia. On n’est décidément jamais mieux avec la reconnaissance de ce droit fondamental par l’Assemblée servi que par soi-même ! générale des Nations unies, le 28 juillet 2010, à l’initiative de la Bolivie. Le FAME célébrera cet événement et lancera la nouvelle “Ça s’écrit EAU, ça se lit démocratie !” étape, qui consiste à rendre effectif le droit à l’eau et à l’assainisLe Forum alternatif mondial de l’eau (FAME), dont la manifestation principale se tiendra du 14 au 17 mars 2012 au Dock des Suds sement. Ce droit reconnu à chaque être humain exige des engaà Marseille, mettra en évidence les alternatives à cette impasse gements collectifs forts des pouvoirs publics. dramatique. Des alternatives en termes de modes de gestion, Mais comment peut-on reconnaître le droit humain à l’eau, comme la remunicipalisation de l’eau à Paris ou des gestions pud’un côté, et, de l’autre, tolérer l’exploitation des gaz de schiste bliques d’un autre type – communautaires et citoyennes – comme qui va dégrader cette même ressource à une échelle inédite ? Le celle que soutient Emmaüs-International au lac Nokoué au Bénin. droit humain à l’eau ne pourra pas se réaliser sans respect de Des alternatives écologiques, également, qui sont autant d’alterl’environnement ni sans un développement réel de l’information et natives au modèle industriel au “tout réseau” que nous connaisde la participation du public. Ce sont toutes ces dimensions qui > JEAN-CLAUDE OLIVA sons dans les pays développés. Sans oublier des alternatives ciseront mises en avant au FAME. Plus d’informations sur http://www.fame2012.org toyennes, à l’instar du référendum contre les lois de privatisation

Publiés entre fin 2011 et début 2012, trois nouveaux rapports apportent des éléments d’analyse solides quant à la responsabilité sociale et environnementale des banques.

Quand la Terre apostrophe les humains Jean-Claude Pierre (Liv’Éditions, 15€, 141 pages)

Cofondateur du réseau Cohérence, Jean-Claude Pierre est un militant breton infatigable, et un fin pédagogue qui sait distiller ses messages et convaincre par l’exemple. Ce livre est le reflet de son parcours et de sa réflexion. Il s’ouvre sur le texte d’une mise en scène – dans laquelle Gaïa, notre bonne vieille Terre, se réveille au milieu d’un salon écologiste à Lorient pour interpeller les visiteurs – et se poursuit par une réflexion sur la crise écologique actuelle. S’appuyant sur de nombreuses citations, parfois inattendues, Jean-Claude Pierre construit un plaidoyer autour de la nécessité de lier la crise écologique actuelle au problème des inégalités croissantes : la solidarité ou le chaos ?

L’espoir citoyen Manifeste pour une nouvelle gouvernance

Alain Zolty (L’Harmattan, 24€, 238 pages)

Ce manifeste propose un regard critique sur l’état du mouvement écologiste en France et analyse l’évolution du rapport de force entre les associations et les politiques autour de thèmes comme la prise en compte des limites finies de notre planète. Une réflexion de plus pour alimenter le débat sur une évolution démocratique de notre société. Alain Zolty a été conseiller national des Amis de la Terre France dans les années 1980 ; il cherche à relancer la dynamique de création d’un groupe local autour de Montpellier.

> Récolter l’argent : comment les banques européennes et la finance privée profitent de la spéculation alimentaire et de l’accaparement des terres

Tout est dit dans le titre de ce rapport publié par les Amis de la Terre Europe et qui analyse les activités de 29 banques, compagnies d’assurance et fonds de pension européens – parmi lesquels les français BNP-Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et AXA. Les Amis de la Terre dénoncent ces comportements qui mènent tout droit à une instabilité catastrophique des prix des denrées alimentaires, plongeant des millions de personnes dans la pauvreté et la faim. > Consulter le rapport en anglais : www.amisdelaterre.org/Nouveau-rapport-les-banques.html

Parce qu’il y a nécessité et urgence à produire une information plus juste sur la réalité du monde, ALTERMONDES ouvre ses colonnes aux acteurs des sociétés civiles, au Nord comme au Sud, pour faire connaître les analyses, projets et alternatives portées par les mouvements citoyens dans le monde. Revue trimestrielle destinée à toutes celles et à tous ceux qui s’intéressent aux questions de solidarité internationale, de développement durable et de droits humains, Altermondes cherche à favoriser la compréhension des questions et enjeux internationaux et à promouvoir les pratiques et les comportements responsables. Les Amis de la Terre et ALTERMONDES partagent une conviction qui les conduit à collaborer régulièrement : chacun a le droit de vivre dans un environnement sain et le devoir de le préserver. En mars prochain, à l’occasion du Forum mondial de l’eau et du Forum alternatif, la revue publiera ainsi un numéro spécial : Quelles solutions pour préserver la ressource et permettre l’accès pour toutes et pour tous à une eau de qualité ? Le dossier fera entendre la voix des sociétés civiles de Palestine, Inde, Moldavie, Afrique du Sud, Maroc, Djibouti, Brésil, Burkina Faso, Philippines, Niger, Sénégal, Ouzbékistan, Madagascar, Tchad, Cambodge… Et, dans la perspective du Sommet Rio + 20, la revue consacrera en juin un dossier aux questions de transitions écologiques . Pour s’informer, acheter un exemplaire déjà paru ou s’abonner (30 €/an)

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Le journal des Amis de la Terre

Pratiques Les toilettes de l’archiduchesse Evidence écologique, cadre réglementaire évoluant peu à peu dans le bon sens… Les toilettes sèches ont tout pour plaire. Mais, si les installations sont de plus en plus nombreuses, elles restent encore trop rares en France. Des associations, des collectivités et des particuliers tentent d’inverser la tendance. En septembre 2009, le cadre réglementaire de l’assainissement non collectif évoluait pour faire une – petite – place aux toilettes sèches en France. Ce texte permettait ainsi de régulariser la situation de nombreuses installations et, tout en laissant des questions en suspens, ouvrait la voie à des toilettes intelligentes. Les toilettes sèches, comme leur nom l’indique, sont des installations sanitaires n’utilisant pas d’eau. Elles se divisent en deux grandes catégories : le système – encore assez complexe – des toilettes dites à séparation d’urine, et celui, plus connu en France, des toilettes à compost ou à litière. Ces dernières, dont l’installation est assez simple, nécessitent des vidanges régulières. Que des avantages ! D’apparence rustique, cette seconde catégorie se démarque néanmoins de la cabane au fond du jardin de nos aïeux, à laquelle elle est trop souvent comparée, par une innovation de taille. L’apport régulier de cellulose – le plus souvent, de la sciure – stoppe le processus de décomposition et permet le début du compostage, tout en évitant les mauvaises odeurs. Si l’on a vu fleurir les toilettes sèches lors de festivals et d’événements, il est encore rare d’en croiser chez les particuliers. D’après une étude réalisée par Toilettes du Monde, en 2010, 3 000 à 6 000 ménages en étaient équipés en France ; la même année, 500 000 nouvelles toilettes sèches ont été installées en Finlande (pays dix fois moins peuplé…). Les toilettes sèches sont quasiment absentes des entreprises, des administrations et des lieux publics. Gaspillage d’eau – la consommation moyenne d’une chasse d’eau est estimée

toilettes sèches nécessite certainement de changer de regard sur nos excréments. De déchets à évacuer le plus rapidement possible, quel qu’en soit le coût financier ou environnemental, ils deviennent des ressources à gérer. Cette étape franchie, une information – voire une formation – sur le compostage et les précautions concernant les agents pathogènes est recommandée. Enfin, reste à faire le choix de l’équipement et de l’installation : autoconstruction ou achat. Si le marché de fabricants locaux de toilettes sèches est encore émergent, la France a cependant la particularité de regorger de très nombreuses structures – associations ou entreprises – qui proposent services, conseils ou locations.

Un p’tit coin d’paradis…

à 40 litres par personne et par jour –, pollution de l’eau par les matières fécales, non valorisation du compost de nos déjections… nos toilettes classique sont un non-sens écologique. De plus, le système habituel d’assainissement français, qui mélange les eaux grises (douche, lavage, cuisine) et les eaux vannes (excréments), impose un traitement important et des volumes considérables. Si des stations d’épuration traitent les eaux usées avant de les reconduire vers les rivières, leur qualité se dégrade cependant. Et le devenir des boues d’épuration est toujours problématique. Opter pour les

Des collectivités pionnières Certains lieux naturels peu accessibles (comme les refuges) sont déjà pourvus de toilettes sèches – souvent à séparation. Des collectivités engagent également une réflexion sur leurs toilettes publiques. A Pluneret, dans le Morbihan, des toilettes chimiques installées près d’une chapelle et d’un chemin de randonnée ont été remplacées par des toilettes sèches à compost. Les agents communaux se chargent de l’entretien et de la gestion du compost qui est ensuite valorisé dans les espaces verts de la commune. Des collectivités qui donnent l’exemple ?

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LUCIE LEBRUN

En savoir plus De très nombreux sites et ouvrages dispensent des conseils pour comprendre, autoconstruire et composter. Parmi ceux-ci, citons le Réseau de l’assainissement écologique qui rassemble un grand nombre de ces acteurs et produit des guides de bonnes pratiques. www.rae-intestinale.org

“Se ranger du côté des baleines n’est pas une position aussi légère qu’il peut le sembler de prime abord.” Le Courrier de la Baleine n° 168 Trimestriel Hiver 2011-2012 CCPAP n° 0312 G 86222 • ISSN 1969 - 9212 Direction de la publication

Martine Laplante Rédaction en chef Caroline Hocquard Adjoints Sophie Chapelle et Laurent Hutinet Correction et secrétariat de rédaction Gwenn-Morgan

Rambaud et Caroline Hocquard Iconographie Caroline Prak et Alain Dordé Comité de rédaction Sophie Chapelle,

Philippe Collet, Alain Dordé, Cyril Flouard, Caroline Hocquard, Laurent Hutinet, Lucile Pescadère, Caroline Prack

Ont collaboré à ce numéro

Sylvain Angerand, Maxime Combes, Marie-Christine Gamberini, Camille Lecomte, Lucie Lebrun, Ronack Monabay, Jean-Claude Oliva, Anne-Charlotte Moÿ, Romain Porcheron Mise en pages Edwige Benoit Relations presse Caroline Prak

(01 48 51 18 96) Impression sur papier recyclé

Offset Cyclus 90 g avec encres végétales Stipa (01 48 18 20 50)

Ce numéro comporte un encart jeté (bulletin d’abonnement et coordonnées du réseau des Amis de la Terre).


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