Repousser les limites - Rapport complet - gaz de schiste Argentine

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Repousser les limites RAPPORT / MAI 2014

L A R U É E V E R S L E S GA Z E T H U I L E S D E S C H I STE E N PATAG O N I E A R G E N TI N E


Repousser les limites

La Fédération des Amis de la Terre France est une association de protection de l’Homme et de l’environnement, à but non lucratif, indépendante de tout pouvoir politique ou religieux. Créée en 1970, elle a contribué à la fondation du mouvement écologiste français et à la formation du premier réseau écologiste mondial – Les Amis de la Terre International – présent dans 76 pays et réunissant 2 millions de membres sur les cinq continents. En France, les Amis de la Terre forment un réseau d’une trentaine de groupes locaux autonomes, qui agissent selon leurs priorités locales et relaient les campagnes nationales et internationales sur la base d’un engagement commun en faveur de la justice sociale et environnementale.

Ce rapport a été rédigé en mai 2014 suite aux missions menées sur le terrain par Les Amis de la Terre France et l'Observatorio Petrolero Sur. La synthèse du rapport, ainsi que les versions anglaises et espagnoles sont disponibles sur le site des Amis de la Terre : www.amisdelaterre.org/rapportargentine.

Contact : Les Amis de la Terre France - 2B, rue Jules Ferry 93100 Montreuil tél. : 01 48 51 32 22 / fax : 01 48 51 95 12 / mail : france@amisdelaterre.org www.amisdelaterre.org

Document édité par Les Amis de la Terre France en mai 2014. Coordination et édition : Juliette Renaud (Les Amis de la Terre France) – Antoine Simon (Friends of the Earth Europe) – Ike Teuling (Milieudefensie). Rédaction : Diego di Risio et Fernando Cabrera (Observatorio Petrolero Sur). Traduction : Viviana Varin. Communication et relations presse : Caroline Prak 09 72 43 92 65 / 06 86 41 53 43. Maquette : www.onehemisphere.se Couverture : Torchage de gaz dans la province de Neuquén, Argentine . © Observatorio Petrolero Sur.

Ce rapport est publié avec le soutien financier de l’Union européenne, dans le cadre du projet “Mobilise for Extractive Industries Transformation”. Le contenu de ce document relève de la seule responsabilité des Amis de la Terre Europe, des Amis de la Terre Pays-Bas et des Amis de la Terre France, et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l’Union européenne.

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L A R U É E V E R S L E S GA Z E T H U I L E S D E S C H I STE E N PATAG O N I E A R G E N TI N E

RAPPORT / MAI 2014

Sommaire INTRODUCTION

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L’ARGENTINE : RESERVOIR D’HYDROCARBURES

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A. LE CONTEXTE NATIONAL B. LES HYDROCARBURES NON CONVENTIONNELS : GILET DE SAUVETAGE EN PLOMB C. DES ZONES « LIBRES DE FRACKING » ?

NEUQUEN ET LE BOOM DES GAZ ET HUILES DE SCHISTE A. LE CONTEXTE PROVINCIAL B. LES PROTAGONISTES DE LA SCÈNE DES NON CONVENTIONNELS C. LES MOUVEMENTS D’OPPOSITION AUX HYDROCARBURES NON CONVENTIONNELS

CHEVRON, PIONNIER À VACA MUERTA A. CHEVRON EN ARGENTINE ET À NEUQUÉN B. LOMA CAMPANA : UN ACCORD SUR MESURE AVEC YPF C. RÉSISTANCE ET VIOLATION DES DROITS COLLECTIFS

TOTAL, ACTEUR HISTORIQUE AU POIDS RENFORCÉ A. TOTAL ET LES HYDROCARBURES NON CONVENTIONNELS À NEUQUÉN B. AUCA MAHUIDA, AIRE PROTÉGÉE OU SACRIFIÉE ? C. TOTAL ET SON AVANCÉE DANS UNE RÉGION NON EXPLOITÉE

SHELL, NOUVEL OPERATEUR EN PATAGONIE A. SHELL ET LES HYDROCARBURES NON CONVENTIONNELS À NEUQUÉN B. AVANCÉE SUR DES TERRES D’ÉLEVAGE, DE PRODUCTION DE VINS ET DE FRUITS C. SHELL ET L’AIRE PROTÉGÉE AUCA MAHUIDA D. RAPPORTS ENVIRONNEMENTAUX : IMPRÉCISIONS ET VIOLATIONS DES PROCÉDURES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS BIBLIOGRAPHIE

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Repousser les limites

Introduction L’engouement pour les hydrocarbures non conventionnels (HNC) – tels que les sables bitumineux, gaz et huiles de schiste1 – a entraîné une nouvelle donne géopolitique dans le secteur du pétrole et du gaz. S’inspirant de l’expérience nord-américaine, débutée il y a plus de dix ans, plusieurs pays ont adopté des mesures en vue de valoriser cette nouvelle manne, dans un contexte où la production de pétrole brut conventionnel stagne. Les conséquences de cette situation pour l’Argentine sont considérables puisque, selon l’Agence américaine d’information énergétique (EIA pour ses sigles en anglais), le pays est une puissance mondiale en termes de ressources de schiste : deuxième mondial pour le gaz et quatrième pour le pétrole. Ainsi, la formation de pétrole et de gaz de schiste de Vaca Muerta, située dans la province de Neuquén, dans le nord de la Patagonie est considérée par cette même agence comme la zone exploitable ayant le plus grand potentiel en dehors du territoire nord américain.

L’importance de ces ressources a entraîné un immense intérêt de la part des grands groupes industriels du secteur. Chevron, Total, Shell, ExxonMobil, Wintershall, Petrobras et bien d’autres ont commencé différents projets, et de nouvelles annonces sont faites chaque jour. Les divers acteurs, fortement concentrés, ont exercé une énorme pression afin d’obtenir des changements législatifs en leur faveur, au détriment du bien-être général de la population : augmentation des prix, promotion des exportations et transfert des arbitrages à des tribunaux d’entreprises implantés à l’étranger, entre autres. Par ailleurs, les importations croissantes de combustibles en Argentine, dues à la chute brutale de la production d’hydrocarbures conventionnels, ont conduit à la renationalisation partielle d’YPF, l’entreprise pétrolière la plus importante du pays. L’intervention de l’État, alliée à la technologie et à l’apport financier des multinationales, a permis cet engouement pour les HNC, en vue de perpétuer une matrice énergétique qui repose quasiment dans son intégralité sur les combustibles fossiles. Cette situation a aussi été rendue possible par les vides juridiques, ainsi que par le manque de capacité régulatrice de l’État face à la mise en place à grande échelle du paquet technologique connu sous le nom de fracturation hydraulique,

donnant ainsi davantage de facilités à des entreprises comme Total, Chevron et Shell. Enfin, l’avancée des HNC est liée à l’adoption de réformes qui réduisent la consultation publique et la participation populaire. Cette tendance s’impose avec une violence à la fois implicite et explicite, qui ne laisse aucune place à la recherche de véritables alternatives énergétiques ni à l’autodétermination de la population. Face à ce constat, un grand nombre d’organisations ont lancé différentes initiatives pour mettre un frein à l’appétit des entreprises. Il ne s’agit pas d’une nouveauté, mais d’une réalité qui remonte à un siècle d’exploitation conventionnelle d’hydrocarbures, qui a laissé des passifs environnementaux flagrants. Néanmoins, ces initiatives se développent aujourd’hui à plus grande échelle, et les demandes citoyennes se sont concentrées sur les risques environnementaux, les bénéfices locaux insignifiants obtenus de cette rente pétrolière, le manque de participation et de consultation, ainsi que sur la perte de souveraineté. Les processus de résistance ont pris une ampleur nationale et aujourd’hui, plus de 30 régions se sont déclarées “libres de fracking”. Les cas de Chevron, Total et Shell, présentés dans ce rapport, illustreront les impacts que représente l’avancée de l’exploitation des HNC, et la large palette de résistances qu’elle suscite.

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Bassin de stockage d’eau sur un territoire mapuche à Neuquén. © Observatorio Petrolero Sur

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On définit par « hydrocarbures non conventionnels » une série de formations rocheuses : gaz et huiles de schiste, tight gas, gaz de couche, sables bitumineux, pétrole lourd. Bien que l’Argentine compte diverses exploitations de formations de tight gas ainsi que des réserves potentiellement exploitables de gaz de couche, les objectifs de ce rapport (sauf mention contraire) se limiteront à analyser les formations de schiste, puisque ce sont celles dont le potentiel est le plus important, mais aussi parce qu’elles impliquent nécessairement l’usage de la fracturation hydraulique.


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Les impacts des hydrocarBures non conventionnels

Avec le déclin de la production de pétrole conventionnel, les compagnies pétrolières ont étendu les frontières des activités d’exploitation d’hydrocarbures aux HNC. Les pétroles bruts lourds, le gaz de couche, le tight gas, le gaz et l’huile de schiste, entre autres, représentent une large variété de possibilités toutes plus dangereuses, polluantes, et coûteuses, le tout pour un rendement énergétique inférieur à celui du pétrole conventionnel, qui est déjà lui-même une source d’énergie aux conséquences désastreuses. Une des principales techniques d’exploitation des HNC est la fracturation hydraulique, fracking en anglais, un paquet technologique développé aux États-Unis depuis 2005. La fracturation hydraulique, pratiquée en Argentine, nécessite des millions de litres d’eau et de produits chimiques (dont la plupart sont toxiques) par puits, ce qui entraîne une forte occupation territoriale et produit de grandes quantités d’eau de reflux. Ces opérations industrielles ont par conséquent un impact considérable sur les populations locales puisqu’elles présentent un risque pour la santé, augmentent la concurrence pour l’accès à la terre, détruisent économies régionales et infrastructures et portent atteinte aux cultures locales, entre autres. Pour limiter l’augmentation des températures à 2 °C, seuil du point de non retour de la crise climatique, il est nécessaire de laisser la majorité des gisements d’énergies fossiles connus dans le sol. Dans un tel contexte, l’exploitation des HNC représente un énorme risque étant donné son fort impact climatique. Différentes études révèlent ainsi que le gaz non conventionnel est une énergie plus polluante que le gaz conventionnel et même que le charbon, principalement en raison d’importantes fuites de méthane. La réalité démontre qu’il n’est pas possible de considérer le gaz de schiste comme combustible porteur d’un nouveau modèle énergétique plus soutenable, ni comme un substitut soutenable au pétrole ou au charbon, ce que prétendent les défenseurs de la fracturation hydraulique. Les conséquences dramatiques observées aux États-Unis, pays qui a le plus expérimenté l’utilisation de cette technique, ont fait naître une opposition massive à la fracturation hydraulique dans le monde entier. Entre les pays qui ont directement interdit son utilisation (la France, la Bulgarie) et ceux qui ont mis en place des moratoires régionaux (Québec, New-York, etc.), les oppositions à la fracturation hydraulique ne cessent de croître. De la même manière, l’arrivée des HNC en Argentine a fait naître les mêmes controverses et mouvements de résistance.

Ces opérations industrielles ont un impact considéraBLe sur la santé, détruisent les économies régionales et portent atteinte aux cultures locales.

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Repousser les limites

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L’ARGENTINE : RESERVOIR D’HYDROCARBURES

Yacimientos Petrolíferos Fiscales (YPF), en tant qu’entreprise publique argentine, a défini une logique particulière d’appropriation de la rente pétrolière. Depuis sa création en 1929, jusqu’à sa privatisation en 1990, elle a quasiment monopolisé le marché national, et a développé un fort sentiment d’appartenance chez ses 50 000 employés. Sous son impulsion, des villages entiers ont été créés, mais suite à la privatisation – qui a pris fin en 1999 avec l’achat de 98 % des actions de l’entreprise par Repsol – ces villages ont subi de profondes crises économiques et sociales.

Installations d’YPF dans le bassin de Vaca Muerta. © Les Amis de la Terre France

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La renationalisation partielle d’YPF, concrétisée en mai 2012, s’est appuyée sur un profond sentiment national ainsi que sur une forte demande populaire. Néanmoins, l’objectif de cette renationalisation, loin de viser le bien-être social, a été de favoriser l’avancée des HNC, laquelle implique de nombreuses multinationales privées. Ainsi, nous présenterons dans la première partie de cette synthèse le processus de renationalisation, le contexte qui a favorisé l’exploitation des HNC, et les mouvements de résistance qui s’y opposent.


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Le contexte national

La “crise” énergétique L’Argentine a connu la fin d’une longue période d’excédent de sa balance commerciale énergétique : en 2011, le pays affichait un déficit de 3,4 milliards de dollars. Ce qui était présenté comme une « nouveauté » était en réalité une tendance installée depuis des années : l’énergie, qui représentait une partie infime des importations avant 2002, est passée à 12,7 % du total des importations en 2011 (Pérez Roig, 2013). Bien qu’un des éléments qui explique la hausse des importations soit l’augmentation de la consommation (de 30 % entre 2001 et 2011), le point essentiel reste la chute continue de l’extraction d’hydrocarbures, alors que la matrice énergétique primaire2 de l’Argentine se compose à presque 90 % de combustibles fossiles, et en majorité de gaz. Ce déclin de la production obéissait non seulement à l’évolution naturelle des gisements, mais aussi à leur exploitation abusive qui a donné la priorité, jusque dans les années 1990, au marché externe plutôt qu’au marché domestique. De 1989 à 2001, ce décrochage se manifeste par une production de pétrole qui a augmenté de plus de 66 %, tandis que l’exportation a augmenté de 300 %. En ce qui concerne le gaz, l’explosion a été enregistrée durant les années qui ont suivi la construction de gazoducs dédiés à l’exportation (Pérez Roig, 2013). Ces évolutions ne sont pas fortuites : elles sont les conséquences d’un changement de logique dans le secteur suite aux réformes néolibérales du début des années 1990. Avec la privatisation, les hydrocarbures ont cessé d’être considérés comme une ressource stratégique, et sont rapidement devenus une commodity à valoriser sur les marchés financiers.

La matrice énergétique de l’Argentine se compose à presque 90 % de comBustiBles fossiles, et en majorité de gaz.

Site d’extraction conventionnelle sur le territoire de la communauté mapuche Gelay Ko. © Observatorio Petrolero Sur

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Selon de Centre latino-américain de recherche scientifique et technique, en 2011, le gaz a représenté 50,3 % du total de la matrice énergétique, et le pétrole 36,4 % ; le reste se répartit entre l’énergie hydroélectrique (5,1 %), les renouvelables (4 %), le nucléaire (2,9 %) et le charbon (1,3 %) (Giuliani et al., 2012:2). Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine /

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Le virage néolibéral Le démantèlement des entreprises publiques (et notamment celui d’YPF) au début des années 1990 a marqué un changement brutal dans les provinces riches en ressources naturelles. Certaines estimations soutiennent que presque 85 % du personnel – sur un total d’environ 50 000 salariés – a été licencié avec la privatisation d’YPF (Muniz Terra, 2008). Tout au long de cette décennie, les entreprises privées, principalement étrangères, ont poussé à l’adoption de réformes visant à renforcer leur rôle et à les transformer en planificatrices, régulatrices et gestionnaires de la ressource. Dans un même temps, en libéralisant le cadre politique des hydrocarbures, la sphère publique nationale s’est vue dépouillée de tout mécanisme spécifique de décision stratégique et d’appropriation de la rente. Par exemple, entre 1996 et 2001, sur une rente totale de 15 642 milliards de dollars, les entreprises pétrolières s’en sont approprié 50 %, l’État national 29,5 %, les provinces 12,7 %, et les raffineries et les consommateurs 7,94 % (Mansilla, 2007). Suite à la privatisation, le marché s’est caractérisé par des situations d’oligopole, avec une logique prédatrice basée sur la maximisation des profits au détriment de l’approvisionnement à long terme de la population argentine : exportation de grands volumes de pétrole, diminution drastique des investissements, atteinte à l’environnement et fuite des capitaux vers les maisons-mères.3

Pompe à balancier sur un territoire Mapuche, Neuquén. © Observatorio Petrolero Sur

En 2011, alors que 83 % du gaz était extrait par les cinq entreprises les plus importantes – Total, Repsol-YPF, Pan American Energy, Petrobras et Pluspetrol –, 72 % du pétrole était extrait par les quatre plus grandes entreprises internationales présentes dans le pays – Repsol-YPF, Pan American Energy (jointventure formée par CNOOC, Bridas et BP), Petrobras et Chevron. En matière de raffinage, les quatre premières – Repsol-YPF, Shell, ExxonMobil et Oil Combustibles (Secrétariat de l’Energie) – concentraient presque 87 % de l’activité.

Par ailleurs, en ce qui concerne les provinces, le contrôle du soussol leur ayant été transféré, elles sont devenues les interlocutrices directes des entreprises du secteur. Ce sont aussi les provinces qui ont hérité du rôle de « police des hydrocarbures », tant en matière de production que de protection de l’environnement. Ce transfert de compétences a eu pour conséquence une désarticulation au niveau national et une diminution de la capacité de négociation : les petites provinces aux budgets limités doivent s’accorder avec de grandes entreprises pétrolières. Les provinces, en manque de ressources financières et ayant besoin de palier leurs déficits budgétaires récurrents sont devenues un allier permanent des entreprises pétrolières. Il est important de noter que les royalties – principal impôt régional sur le secteur – se situent entre 12 et 15 % en sortie de puits. Ce pourcentage est un des plus bas du continent.

Principaux producteurs de gaz en Argentine (2011)

Principaux producteurs de pétrole en Argentine (2011)

18% 30%

7%

28%

Total Pan American Energy

34%

Petrobras

9%

Apache

Autres

6%

23%

Petrobras Chevron Sinopec

5%

Autres

13%

YPF Pan American Energy

YPF

7%

20%

Source : Secrétariat d’Etat à l’Energie (Argentine), 2011. 3

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Depuis 1991, YPF est devenu le plus grand exportateur du pays (jusqu’en 2006, année où des entreprises opérant dans le secteur du soja passent au premier rang). Ainsi, à partir du moment où Repsol est devenu l’actionnaire majoritaire en 1998, le groupe a mené une politique agressive de versement des dividendes en vue d’étendre son processus d’internationalisation. À partir de 2008, cette tendance s’est accentuée et l’endettement est venu s’y greffer. Par exemple, en 2011, le taux de paiement des dividendes a dépassé de 16 % le bénéfice net alors que l’endettement a augmenté de 26 % (Rapport Mosconi, 2012).


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La renationalisation d’YPF Le déficit conséquent de la balance énergétique explique le changement d’orientation adopté à partir de 2012. En quelques mois et avec un soutien populaire important, le Congrès de la Nation a adopté la Loi de souveraineté sur les hydrocarbures (Nº 26.741), fruit d’une initiative gouvernementale. Entre celleci et son décret d’application (1277/12), le gouvernement national a prétendu reprendre et centraliser les processus de décision stratégique et politique sur le secteur. Cet ensemble de mesures juridiques entraîne trois changements essentiels. Tout d’abord, il déclare le secteur d’intérêt public national et consacre l’auto-approvisionnement comme objectif prioritaire. Ensuite, il enterre l’ensemble de lois qui donnait au marché une capacité d’autorégulation. Enfin, il exproprie 51 % des actions d’YPF4, avec pour objectif de mener à bien les principes recteurs de la loi : atteindre l’autosuffisance. Cependant, la sortie de la crise mentionnée plus tôt a connu des évolutions surprenantes voire contradictoires avec l’esprit qui animait (en théorie) initialement la renationalisation. D’une part, au-delà de la recherche d’autosuffisance, l’obtention de quantités exportables se définit comme objectif stratégique afin d’améliorer la balance des paiements. D’autre part, le statut de société anonyme ouverte est maintenu pour YPF – avec l'objectif associé de générer des dividendes pour les actionnaires. Enfin, l’État promeut l’association avec d’autres entreprises, sans considérer ni leur origine ni leur caractère (public, mixte, ou privé). Par conséquent, les conflits territoriaux tout comme les plaintes pour dégradation environnementale n’ont pas été pris en compte ; et l’élément crucial qui entra subtilement dans la discussion a été la possibilité de développer les gisements non conventionnels.

Les hydrocarbures non conventionnels : gilet de sauvetage en plomb

Malgré la difficulté à suivre la rapide succession des faits et actions concernant les HNC, lors de cette nouvelle étape, les grandes entreprises n’ont perdu ni le leadership ni la capacité à imposer des objectifs à atteindre. La sphère publique s’adapte comme elle peut et, dans le meilleur des cas, négocie la rente.

Premières annonces publiques La première annonce qui introduit timidement les HNC dans l’agenda public a été faite en octobre 2009 via Repsol-YPF. En effet, l’entreprise a annoncé qu’elle investirait dans les gaz de schiste en commençant par le gisement Loma La Lata, situé dans la province de Neuquén. Un an et demi après, l’entreprise états-unienne Apache réalisa le forage de son premier puits horizontal multifracturé, le premier en Amérique latine (Petrotecnia, 2011a). Un élément essentiel fût alors passé sous silence par les entreprises et la presse : ces deux projets se trouvent sur des territoires appartenant à des communautés autochtones mapuche, respectivement Kaxypayiñ et Gelay Ko. En avril 2011, le projet a pris une autre dimension. Ce mois-là, l’EIA publia une étude5 qui plaça l’Argentine au troisième rang – sur 32 pays, et derrière la Chine et les États-Unis – des pays possédant des ressources techniquement exploitables de gaz de schiste avec un potentiel de 774 TCF.6 En juin 2013, l’EIA publia une nouvelle étude, selon laquelle Vaca Muerta constitue la zone exploitable des HNC au plus grand potentiel après le territoire nord américain. Bien que les consultants de l’EIA aient été prudents, en affirmant que les chiffres avancés dans l’étude étaient le résultat d’une première étape d’étude encore superficielle et générale, les répercussions sur l’agenda du pays ne tardèrent pas à se produire. Ce brouhaha passa même sous silence certaines études qui remettaient en cause ce scénario d’abondance en pointant notamment du doigt les risques environnementaux inhérents à l’exploitation des HNC.

Un cadre légal sur mesure pour le secteur privé

Equipements sur le permis de Loma Campana, détenu par YPF et Chevron. © Observatorio Petrolero Sur

Le secteur des hydrocarbures n’est pas seulement structuré pas les possibilités du sous-sol mais également par les décisions qui sont prises à la surface… Dans ce sens, l’industrie pétrolière a demandé des mesures politiques qui défendent son autonomie, et lui permettent d’obtenir des augmentations des prix7, comme condition nécessaire à leurs investissements dans les HNC. En résumé, les orientations poussées par les entreprises ont été les suivantes : •

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Le reste de la composition des actionnaires se divise entre le Groupe Petersen (25,46 %), le capital flottant en bourse (17,09 %) et Repsol (6,43 %). Cette étude, qui porte principalement sur les pays importateurs, s’inscrit dans le cadre des programmes états-uniens qui visent à étendre globalement les HNC, comme le programme du Département d’État appelé Unconventional Gas Technical Engagement Program (di Risio, 2012). TCF = trillion cubic feets. 1 TCF = 28 milliards de mètres cubes. Après la crise économique de 2001 et la forte dévaluation du peso, l’État argentin a séparé le prix local des ressources d’hydrocarbures du prix international, et a fixé une valeur de commercialisation interne. Ceci a permis que l’économie ne dépende pas des fluctuations économiques du prix international, mais aussi que l’État s’approprie une partie des bénéfices liés à l’exportation : l’État national conserve la différence entre le prix international et le prix local. MMBTU = milliards de British Termal Units. 1 tonne d'équivalent pétrole (toe) = 39,68 millions de BTU.

Hausse des prix et des subventions : à travers différents programmes, les entreprises ont réussi à obtenir des incitations fiscales et des subventions. Aujourd’hui, le nouveau prix de vente du gaz est de 7,5 dollars le milliard de British Termal Units (MMBTU)8, c’est-à-dire presque 300 % de plus que « l’ancien » gaz, en raison des subventions publiques (Scandizzo, 2014). Le prix de vente des combustibles a aussi augmenté. Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine /

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Baisse des coûts : un des “goulots d’étranglement” de l’industrie est le besoin d’une disponibilité constante d’équipements pour les nouvelles opérations à mener. Pour cela, l’impôt sur l’importation de biens d’équipement a été levé (et ce, dans une période de restriction monétaire où l’importation est rigoureusement contrôlée pour tous les secteurs et types de biens). Dans cette même logique, l’État national s’est engagé à investir 1 milliard de pesos argentins9 dans l’infrastructure routière et les services dans le nord de la province de Neuquén.

Baisse des retenues aux exportations : depuis 2002, les entreprises ont réussi à diminuer le pourcentage des volumes exportés qui revenait au gouvernement national

Annulation du litige avec Repsol : la renationalisation partielle d’YPF a généré des recours juridiques de la part de Repsol. Divers secteurs10 ont alors établi comme prioritaire la résolution du conflit afin de s’associer avec YPF. Récemment, le gouvernement national a autorisé le paiement à Repsol d’une indemnisation de 5 milliards de dollars en bonus.

Cet ensemble de mesures et de demandes désarticulées a connu un véritable tournant en juillet 2013 avec la publication du décret national 929 qui a formellement validé le cadre juridique exigé par les entreprises. Ce dernier a donné lieu au Régime de promotion de l’investissement pour l’exploitation des hydrocarbures pour les projets qui prévoient un investissement supérieur à un milliard de dollars. Le lien est facilement fait avec l’accord passé entre YPF et Chevron, signé le lendemain de la publication du décret, mais la portée de cette mesure concerne l’ensemble du secteur, comme le montre la ratification d’un projet entre Total, Wintershall et Panamerican Energy quelques mois plus tard (Infobae, 23/10/2013). Les points essentiels du décret sont les suivants : •

À partir de la cinquième année d’exploitation, la commercialisation de 20 % des quantités extraites sera cotée au prix international, à la fois sur le marché externe et domestique. La libre disponibilité de devises est autorisée, alors qu’il y a un fort contrôle des changes dans le pays depuis 2011. Si ces 20 % sont exportés, ils sont exonérés de toute taxe douanière.

Il crée le statut de « Concession d’exploitation non conventionnelle » qui n’existait pas jusqu’alors. Par ailleurs, la création de nouveaux permis d’exploitation non conventionnelle est rendue possible à partir du découpage de permis existants ou de la fusion avec d’autres permis du même titulaire : les entreprises peuvent débuter de nouveaux projets d’extraction d’HNC sans nouvel appel d’offre.

Extension automatique des périodes de concession à 35 ans, violant ainsi la loi sur les hydrocarbures qui les établit à un maximum de 25 ans.

La sphère publique : YPF S.A. Le processus de nationalisation d’YPF mentionné précédemment a engendré de nets intérêts pour le développement de l’exploitation des HNC au détriment de programmes de diversification des énergies et du développement des énergies renouvelables.11 Par ailleurs, aucune avancée n’a été constatée sur le plan de la régulation environnementale étant donné qu’aucune norme n’a été établie au niveau national. La législation locale n’a pas non plus été adaptée aux exigences internationales en ce qui concerne l’obligation d’application de la consultation libre, préalable et informée des communautés autochtones, sur les terres desquelles différents types de projets sont prévus. Suite à l’expropriation, YPF est devenue une entreprise mixte dirigée par l’argentin Miguel Galuccio –ancien cadre de Schlumberger, l’une des principales entreprises de services du secteur, spécialisée dans les HNC. Selon le plan quinquennal élaboré par Galuccio, l’objectif à court terme d'YPF est la réduction des importations, puis, à moyen terme, l’autosuffisance. Sur le long terme, l’objectif stratégique sera celui de « transformer l’Argentine en exportateur net d’énergie ». Afin d’atteindre ces objectifs, l’entreprise s’est engagée à améliorer les techniques de récupération de gisements arrivés à maturité, à élever la capacité installée de raffinage, à étendre les frontières à des zones à risque (onshore et offshore) et enfin, à développer massivement des gisements non conventionnels (OPSur, 4/11/2012). Ainsi, le plan quinquennal prévoit qu'en 2017, les investissements dans les HNC représentent 40 % de l’ensemble des investissements (YPF, 2012). Dans son ambiguïté, YPF n’a pas seulement agi comme une passerelle entre l’État et les entreprises privées, dont les relations sont souvent difficiles. YPF a également partagé la vision du secteur privé sur différents objectifs : elle a stimulé des programmes de subventions, l’augmentation du prix à la sortie du puits, et du prix des combustibles. En association avec les flux de trésorerie, cette stratégie lui permettrait un financement de presque 70 %. La part restante proviendrait, entre autres, de l’association avec d’autres entreprises, comme cela a été le cas avec Chevron (OPSur, 4/11/2012). En conséquence, YPF est l’entreprise qui a le plus avancé en termes de forages, incarnant le fleuron du développement des HNC. Comme nous le verrons par la suite, la grande partie des efforts s’est tournée vers le Bassin de Neuquén (Cuenca Neuquina), même si d’autres forages ont été réalisés ailleurs, comme sur la formation D-129 du Bassin Golfo San Jorge.

Enfin, face à l’intensification des résistances et des remises en cause des « bonnes pratiques » de l’industrie, le secteur a lancé ce que le gouverneur de Neuquén a appelé une « guerre de communication », basée sur une campagne publicitaire qui a coûté des millions de dollars, dépensés en pages web, publicités dans les médias de masse, ou encore en brochures.

9 Soit 135 millions d’euros selon le taux de change de l’époque. 10 Ceci inclut des actionnaires de Repsol comme La Caixa et Pemex. 11 Par exemple, en 2006, le Programme de génération de ressources renouvelables (GENREN) a été mis en place avec l’objectif d’atteindre les 8 % d’énergie électrique nationale en 10 ans. 7 ans plus tard, les avancées restent minimes (Clarín, 08/12/2013).

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Manifestation mapuche devant un puits conventionnel d’Apache. © Observatorio Petrolero Sur


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Une des stratégies centrales du mouvement a été l’adoption d’ordonnances municipales qui interdisent la fracturation hydraulique : depuis le premier décret en décembre 2012 dans la province de Río Negro, en Patagonie, et plus de 30 autres ont déjà été adoptés à travers tout le pays. Des zones « libres de fracking » ? Les hydrocarbures non conventionnels sont présentés comme une obligation salvatrice dans un contexte de « crise » qui ne permet aucune discussion de fond ni aucune critique sur la mise en œuvre de leur exploitation. Ceci a créé une « raison d'être pétrolière » qui a subordonné les actionnaires étatiques à l’accumulation de capital du secteur privé, au détriment de droits et de garanties, parfois à travers l’usage de la force. Néanmoins, face à cette situation, un contre-mouvement s’est développé afin d’arrêter l’avancée de l’exploitation des HNC et d’ouvrir des scénarios alternatifs. Cette résistance, qui n’a fait que croître depuis début 2012, a pu se construire grâce à une diffusion rapide de l’information et à l’organisation d’un mouvement socioenvironnemental reposant sur des années de lutte. Comme nous le verrons dans le cas de Neuquén, l’industrie des hydrocarbures, comme ailleurs dans le monde, comptait déjà d’importantes oppositions et dénonciations qui ont servi de base aux nouveaux fronts et nouvelles articulations sur le plan environnemental, autochtone et économique.

Un des exemples les plus éloquents de l’application de cette « raison d'être pétrolière » a été la réponse qui a suivi l’interdiction de la fracturation hydraulique dans la ville d’Allen, province de Río Negro. Dans cette région, berceau de la production de fruits et “capitale nationale” de la poire, il existait une avancée considérable des forages et des infrastructures au sein même des vergers. La population – organisée en assemblées, en chambres de producteurs de fruits, entre autres – était parvenue à faire approuver le décret municipal. Quelques jours après, la province a déposé une requête pour inconstitutionnalité auprès de la Cour Supérieure de Justice, qui lui donna rapidement raison au détriment de la volonté populaire. Les exemples d’interdiction, de mobilisations, d’actions juridiques, etc. se multiplient et naissent de motivations diverses et variées. Ils montrent que la lutte contre le modèle extractiviste ne se limite pas aux écologistes, environnementalistes ou aux défenseurs de la conservation de la nature, et qu’elle ne se focalise pas non plus seulement sur les aspects économiques.

Chronologie Années 1990

• Réformes néolibérales et privatisation d'YPF, entreprise nationale argentine historique, rachetée par Repsol. Chute de l'extraction d'hydrocarbures associée à une augmentation du volume exporté. • Réforme constitutionnelle : le contrôle des ressources naturelles est transféré aux provinces.

Fin 2009

• Première annonce de Repsol-YPF concernant les gaz de schiste.

2010-2011

• Alors premier opérateur gazier du pays, Total devient un acteur majeur des HNC, avec 11 permis, dont 6 comme opérateur.

Début 2011

• Perforation du premier puits multifracturé, par Apache. • Une étude de l’EIA classe l’Argentine au 3ème rang mondial du potentiel d’HNC.

Mai 2012

• Renationalisation d'YPF avec des objectifs contradictoires d'autosuffisance et d’augmentation des exportations. • Le statut de société anonyme est maintenu et les dividendes aux actionnaires aussi. De même, les partenariats avec des multinationales étrangères sont encouragés, en vue de l'exploitation des HNC.

Décembre 2012

• Première ordonnance municipale interdisant la fracturation hydraulique.

Juillet 2013

• Décret national 929 : régime de promotion de l'investissement pour l'exploitation des hydrocarbures, octroyant de larges avantages aux entreprises. • Le lendemain, un accord est passé entre YPF et Chevron.

Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine /

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Repousser les limites

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NEUQUEN ET LE BOOM DES GAZ ET HUILES DE SCHISTE Le Bassin de Neuquén – qui s’étend du sud de la province de Mendoza jusqu’à l’ouest de La Pampa, Neuquén et Río Negro – représente la principale région productrice d’hydrocarbures d’Argentine. Elle est à l’origine de près de 40 % du pétrole et de 50 % du gaz produit par le pays et c’est essentiellement dans cette zone que sont dirigés les nouveaux investissements dans les HNC. Il est important de noter que 92 % des 124 640 km² du bassin correspondent à la province de Neuquén.

Comme expliqué précédemment, selon la législation argentine, ce sont les provinces qui possèdent le contrôle des ressources du sous-sol. En d’autres termes, ce sont elles qui sont en charge de l’attribution des concessions pour les zones d’exploitation. Ces dernières années, Neuquén fait face à une diminution rapide des niveaux d’extraction, principalement liée à l’épuisement de ses gisements arrivés à maturation. Les HNC se présentent comme la solution salvatrice et le gouvernement a fortement soutenu leur développement, tout en faisant taire les fortes critiques. Actuellement, il existe 155 puits de gaz et huiles de schiste, et il est prévu le forage de 323 puits non conventionnels en 2014 (Rio Negro, 28/12/1013). Il ne s’agit en fait que de la face émergée de l’iceberg car ce qui est en jeu dépasse la volonté et les objectifs de la province.

Aire naturelle protégée d’Auca Mahuida, Neuquén. © Sergio Goitía

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Selon l’étude de l’EIA de 2013, des 802 TCF12 qui sont attribués à l’Argentine, 583 TCF serait situés dans les formations Vaca Muerta et Los Molles. Les premiers résultats des industriels annoncent de bons indicateurs de profondeur, épaisseur (plus du double de Barnett, la plus importante réserve exploitable de gaz de schiste aux États-Unis), richesse organique, maturité thermale, etc. Aussi, l’infrastructure déjà en place de par la production historique du bassin pétrolier rend possible une valorisation rapide des ressources (Crédit Suisse, 2012). Dans cette seconde partie, après une description du contexte environnemental, il sera question de la particularité de la province de Neuquén, dépendante de la production d’hydrocarbures, et nouvelle terre des HNC, promus par différents acteurs, notamment le gouvernement provincial. Enfin, nous analyserons les différentes stratégies de résistances.


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Information publique inaccessible

L’accès à l’information publique en Argentine est un parcours du combattant, spécialement à Neuquén, bien que ce droit soit garanti par des normes internationales, un décret national et la législation environnementale. Les rapports environnementaux des puits non conventionnels décrits dans ce rapport furent obtenus grâce à des recours initiés par la direction des Aires naturelles protégées, par une députée provinciale de l’opposition (Beatriz Kreitman), et par des personnes affectées par les activités de Total.

L’activité d’extraction d’hydrocarBures fait concurrence à la production traditionnelle de petit Bétail.

Le contexte provincial

Paysage et géographie Au sein du territoire provincial de Neuquén, deux grands ensembles naturels peuvent être distingués : un dans la région orientale, l’autre dans la région occidentale. Dans la région orientale, qui couvre 50 % de la province, les faibles précipitations associées à de fortes variations d’une année sur l’autre, causent des années de sécheresse qui mettent en danger la productivité des petits éleveurs locaux et mapuche. C’est sur ce territoire que se trouvent les formations de schiste. Sur le plan hydrologique, il existe trois sources principales : les fleuves Colorado, Neuquén et Limay. Le premier forme un bassin indépendant alors qu’au confluent des deux autres, à l’extrémité Est de la province, se forme le fleuve Negro. La somme des débits de ces fleuves place la région parmi celles au plus fort potentiel hydrique du pays. L’aridité de la province contraste avec le vert de ses frontières où se concentre la majorité des populations. D’un point de vue géologique, dans le bassin, il existe cinq unités génératrices d’hydrocarbures susceptibles de contenir du schiste : Precuyano, les parties inférieures et supérieures de la formation Agrio, et les deux formations les plus importantes, Los Molles et Vaca Muerta, occupant plus de la moitié de la province (Chebli, et al, 2011). Vaca Muerta, la zone à plus fort potentiel, possède une très faible densité de population : moins de trois habitants par kilomètre carré. Malgré tout, il s’agit de la zone de la province qui s’est le plus développée ces dernières années, et ce, fondamentalement en raison de l’activité d’extraction d’hydrocarbures qui fait concurrence à la production traditionnelle de petit bétail. Dans cette région, après les réformes libérales et la dérégulation des années 1990, l’avancée de la production a été considérable. C’est à Vaca Muerta que se trouvent les gisements de gaz les plus importants d’Amérique latine dont celui de Loma de la Lata – dont l’opérateur est YPF, et un des principaux gisements de brut du pays (El Trapial), actuellement exploité par Chevron.13

12 TCF = trillion cubic feets. 1 TCF = 28 milliards de mètres cubes. 13 Voir la carte à la fin du chapitre. Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine /

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Création d’une identité et dépendance énergétique L’État national a consolidé son pouvoir sur le territoire à la fin du XIXème siècle au travers d’invasions militaires sanglantes contre le peuple Mapuche. Les autochtones ayant survécu ont développé différentes stratégies pour rester sur leurs terres : propriété individuelle, occupation précaire des terres et mise en place de colonies collectives. En parallèle, d’autres groupes sociaux se sont installés dans la région au fur et à mesure du développement porté par l’État. Depuis 1960, la population a connu une croissance ininterrompue, principalement d’origine migratoire. En 2010, la province comptait 551 000 habitants. Depuis le début des années 1960, le parti appelé Mouvement Populaire de Neuquén (MPN) jouit d’une hégémonie politique sur la province puisqu’il a remporté toutes les élections jusqu’à maintenant. Le MPN défend un discours en opposition avec celui du pouvoir central, ce qui a dérivé vers la constitution d’une « identité neuquine » (Favaro, 2001: 19). Avec le développement du gisement conventionnel de Loma la Lata, découvert par YPF en 1977, la province a défini son image, clairement associée aux activités d’exploitation d’hydrocarbures14 (Favaro, 2001). Aujourd’hui, les royalties provenant de ce secteur déterminent une structure économique qui repose sur l’importance démesurée accordée au secteur des services, et notamment ceux de l’État, puisque presque la moitié des emplois s’inscrivent dans le secteur public (Petruccelli, 2005). En 2008, 47,6 % du produit régional brut de la province provenait du secteur extractif, et plus précisément des hydrocarbures (Giuliani, 2013: 135). En raison de la prédominance des hydrocarbures, les spécialistes définissent l’économie provinciale d’enclave, puisqu’elle n’implique que des liens minimes avec d’autres secteurs, une faible demande de main d’œuvre, et des bénéfices qui sortent de la région, en accord avec la logique des multinationales, les opérateurs majeurs (Giuliani, 2011). Bien que les indicateurs sociaux soient meilleurs que ceux d’autres provinces du pays, les inégalités persistantes justifient que certains fassent le lien avec la notion de “malédiction des ressources naturelles”.

20% % de la production totale d’hydrocarbures

18% 16% 14% 12% 10% 8% 6% 4%

dec-13

oct-13

nov-13

sept-13

juil-13

août-13

juin-13

avr-13

mai-13

mar-13

fév-13

jan-13

dec-12

oct-12

nov-12

sep-12

2%

mois / année Pétrole « non conventionnel »

Dans un tel contexte, une confluence d’acteurs aux relations parfois tendues, compose la trame de l’exploitation d’hydrocarbures de Neuquén qui promeut le développement des HNC : l’État National et les États Provinciaux, les entreprises mixtes à majorité étatiques, et enfin, les entreprises privées (multinationales, et en moindre mesure, nationales).

L’État Provincial Le premier élément à prendre en compte et mentionné auparavant, est celui des comptes provinciaux qui souffrent d’une importante baisse en raison de la chute des niveaux d’extraction : les royalties perçues représentaient 46 % des revenus courants en 2007 mais seulement 28 % en 2011 (Giuliani, 2013: 174). Malgré tout, ce revenu est vital pour les finances de la province. La promotion des HNC, accompagnée par la nationalisation partielle d’YPF, a considérablement soulagé la province qui s’est transformée en une des grandes promotrices de cette solution à la « crise énergétique ». En réponse aux fortes critiques environnementales, la province de Neuquén a adopté un nouveau cadre normatif pour la production. L’utilisation de l’eau, élément central lors du processus de fracturation hydraulique, a été régulée en août 2012 lorsqu’ont été signées les « Normes et procédures pour l’exploration et l’exploitation des réserves non conventionnelles » (Décret provincial Nº 1483). Cette norme établit l’utilisation d’eau superficielle et interdit l’usage d’eau souterraine, à moins que celle-ci ne soit pas potable. Par ailleurs, elle impose la réutilisation des eaux de reflux (flowback) ou leur injection finale dans un puits artificiel. Dans le même temps, le gouvernement a largement diffusé des chiffres qui minimisent l’importance de l’eau utilisée pour l’exploitation : seulement 0,1 % du débit des fleuves de Neuquén serait utilisé pour la fracturation hydraulique. Sous couvert de rassurer la population, ce décret crée en réalité de nouveaux problèmes qui ont déjà été analysés par diverses études scientifiques. Ainsi, seuls 10 % des quelques 15 millions de litres d’eau utilisés pour chaque opération de fracturation hydraulique sont ensuite ramenés à la surface dans le flowback.15 Quand bien même cette eau abondamment toxique et corrosive serait réutilisée, les besoins en eau de cette industrie resteront donc très élevés. Par ailleurs, la question de l’enfouissement du flowback est également sujette à controverse car elle serait à l’origine de risques sismiques inquiétants, même dans des régions jusqu’alors sismiquement inactives, comme l’ont montré plusieurs études universitaires américaines indépendantes (Keranen, et al, 2013; van del Elst, et al, 2013; Ellsworth, 2013; Sumy, 2014).16

Production « non conventionnelle » d’hydrocarBures à Neuquén

0%

Les protagonistes de la scène des non conventionnels

Gaz « non conventionnel »

Source: Ministère de l'Energie et des Services publics, province de Neuquén, 2014.

14 / Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine

14 C’est en 1929 que du pétrole a été obtenu pour la première fois dans la province, dans la zone où se situe désormais la ville de Huincul. Depuis, la place de l’industrie pétrolière n’a cessé d’augmenter. 15 Selon des études de l’US Geological Survey (USGS) (Kappel y Zoltan Szabo, 2013) et de Downstream Strategies (Hansen y Mulvaney, 2013). 16 Si la communauté scientifique a reconnu que ces risques sismiques étaient faibles (mais pas inexistants) lors de l’usage de la fracturation hydraulique, le problème est tout autre pour l’enfouissement du flowback. Parmi plusieurs dizaines d’autres cas, il a ainsi été établi qu’en novembre 2011, dans l’Oklahoma (États-Unis), un tremblement de terre d’une magnitude de 5,7 sur l’échelle de Richter, ayant détruit 14 habitations, avait été engendré par un projet d’injection de flowback.


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Plus tard, en avril 2013, la province a modifié la Loi n°1875 de « Préservation, conservation et défense de l’environnement » : cette modification rend plus flexibles les conditions pour le forage des puits d’HNC ; elle remplace aussi l’obligation de présenter une étude d’impact environnemental par la réalisation d’un rapport d’impact environnemental (Décret provincial n°422). Dans la pratique, ces modifications signifient, entre autres, l’élimination des audiences publiques. Ces deux décrets mettent en évidence des régulations qui répondent davantage aux besoins des entreprises qu’à ceux des populations. La diminution de la participation publique durant l’approbation des projets se conjugue avec la précarisation du travail dont souffrent les employés du secrétariat d’État à l’Environnement et au développement durable. Cet organisme qui exerce le rôle de police environnementale ne possède pas la capacité opérative pour réaliser un contrôle adapté. Actuellement, 131 personnes travaillent au sein de cet organisme, dont 106 avec des contrats précaires, c’est-à-dire que leurs contrats dépendent de l’humeur du gouvernement… Seuls les 25 employés restants font partie de « l'équipe permanente ». Cependant, l’Exécutif provincial doit rapidement actualiser une grande partie de sa législation afin de l’adapter aux HNC. Ainsi, tout au long de l’année 2014, le corps législatif provincial débattra trois nouvelles lois (dont les propositions n’ont pas encore été officiellement présentées aux députés) : une nouvelle « Loi provinciale des hydrocarbures », une norme de « Protection environnementale pour l’exploration et l’exploitation de réserves non conventionnelles », et enfin, la loi qui a été présentée comme la grande innovation : le « Régime de responsabilité sociale, environnementale et communautaire » via l’investissement par les entreprises d’une partie de la rente pour des bénéfices environnementaux et sociaux. Ainsi, le gouverneur de Neuquén Jorge Sapag expose fièrement ses victoires. Lors de son discours au Club du Pétrole, qui réunit des entreprises du secteur, il a souligné que dans sa province, 400 puits d’hydrocarbures non conventionnels ont déjà été forés, représentant près de 10 % de la production provinciale de pétrole (Sapag, 12/11/2013). La norme qui régulera cette activité n’a, par contre, pas encore été discutée. Entrée du territoire de la communauté mapuche Gelay Ko, Neuquén. © Observatorio Petrolero Sur

17 Courant 2013, GyP possédait 73 permis, parmi lesquels 54 étaient en activité : trois via le droit de concession d’exploitation et 51 via des permis d’exploration (ministère de l’Energie et des services publics, 2013). 18 Apache opérait en Argentine depuis 2001 et était présent à Neuquén, Río Negro, Tierra del Fuego et Mendoza. Les exploitations des permis Anticlinal Campamento et Loma Negra affectent des territoires autochtones. Aucune concession ne fut précédée d’un processus de consultation, comme l’oblige la législation internationale (Convention 169 de l’OIT). En 2001, à Gelay Ko (bloc Anticlinal Campamento), Apache fora son premier puits horizontal multifracturé. Actuellement, sur le permis d’Estación Fernández Oro (localité d’Allen, Rio Negro), l’entreprise exploite des gisements conventionnels et non conventionnels (tight sands). La zone affectée est une des principales régions productrices de fruits du pays. Sur le permis d’Alto Verde (Mendoza) Apache a réalisé des travaux de prospection sismiques sur des vignobles. 19 A Loma Campana, Chevron et YPF se sont engagés à payer une somme d’environ 350 millions de pesos argentins à la province au titre de leur responsabilité sociale et environnementale.

Les entreprises mixtes (publiques-privées) Afin de retenir la rente pétrolière sous une autre forme que les royalties, la province a créé une entreprise d’énergie qui fonctionne comme une société anonyme : Gaz et Pétrole de Neuquén SA (GyP). L’entreprise a déjà signé une joint-venture avec l’entreprise allemande Wintershall et elle a conclu un accord similaire avec l’entreprise brésilienne Petrobras. GyP se présente comme un acteur central dont le principal capital est la possession de permis d’exploitation.17 La province cherche donc plus de rentabilité et dispose de toutes les cartes du jeu : elle légifère, s’auto-attribue des concessions, se contrôle, tire les bénéfices de la rente et réduit la participation publique. Mais quel type de contrôle pourrait-elle s’appliquer à elle-même dans un contexte où des difficultés budgétaires majeures exigent des niveaux de production plus conséquents ? Cette question est d’autant plus importante lorsque l’on réalise que GyP a directement attribué (sous la modalité de contrat direct et sans appel d’offre) des concessions à des entreprises comme Total, Shell, ou encore Pan American Energy. En exercice depuis peu, les nouveaux dirigeants d’YPF sont partis à la recherche d’associés, en vue de concrétiser leur objectif de développement des HNC. Selon l’entreprise, 150 puits ont déjà été forés à Vaca Muerta, tandis que 19 machines de forage sont actives dans la zone, et que la production journalière atteint plus de 20 000 barils de pétrole et de gaz (YPF, 18/02/2014). La première grande victoire des nouveaux gérants d’YPF a été l’accord avec Chevron via lequel est établi un nouveau cadre légal répondant aux demandes des entreprises. Par la suite, des accords de moindre envergure ont aussi été conclus, notamment avec l’entreprise de pétrochimie Dow. De plus, YPF a récemment acheté la totalité de la cinquième entreprise productrice de gaz du pays : Apache.18 Cette acquisition lui a permis de rejoindre Total au premier rang dans la production de gaz dans le pays. Cette nouvelle configuration d’YPF s’est consolidée puisqu’elle est l’entreprise possédant la superficie la plus importante dans le Bassin avec 15 000 km². Au-delà de ces changements, l’entreprise pétrolière n’a pas obtenu les investissements espérés, ce qu’elle a justifié par les actions entreprises par Repsol suite à l’expropriation : lobby sur d’autres majors du secteur et demande de dédommagement de 10 milliards de dollars auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). En février 2014, l’accord finalement obtenu avec Repsol supprime, selon la perspective des dirigeants d’YPF, les obstacles à la réalisation de nouveaux investissements (Telam, 25/02/2014). Par ailleurs, YPF, en articulation avec le gouvernement, cherche à apaiser les critiques sociales, notamment au travers de l’investissement de plusieurs millions de dollars en responsabilité sociale et environnementale (RSE), qui passe principalement par des accords avec le gouvernement provincial.19 Ce dernier a multiplié les annonces concernant la façon dont seraient dépensés ces fonds : achat de machinerie, investissement dans l’infrastructure rurale, voire même le financement d’un laboratoire de police scientifique placé sous l’égide du FBI (Neuquén Informa, 24/02/2014) ! Ainsi, tant les fonds dédiés à la RSE, que la grande campagne de publicité d’YPF diffusée dans tous les médias, tentent de faire taire les critiques.

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15


Repousser les limites

Les opérateurs transnationaux L’orientation entrepreneuriale qui a suivi la privatisation des hydrocarbures à Neuquén peut être décrite comme un tissu multi-acteurs, divers, fortement interconnectés, et « dont la direction est largement concentrée et centralisée au sein d’un noyau d’entreprises multinationales basées sur des stratégies déployées à échelle régionale et mondiale » (Landriscini, 2008). Dans le Bassin de Neuquén, les permis à haute concentration d’hydrocarbures ont été attribués à des entreprises multinationales, dont les plus importantes sont YPF, Petrobras, Chevron, Total et Pluspetrol. D’autres acteurs se démarquent également en raison de la superficie qu’ils possèdent ; leurs projets d’exploitation d’HNC sont, par ordre décroissant : Pluspetrol, GyP, ExxonMobil, Azabache, Pan American Energy, Wintershall et Shell (Crédit Suisse, 2012) (voir carte p. 18-19). La courte histoire de Vaca Muerta est semblable à celle d’autres frontières d’exploration, où de petites entreprises parviennent à ouvrir et à valoriser des zones exploitables pour ensuite les vendre à des majors. Ainsi, toutes les grandes entreprises du secteur (Shell, Total, ExxonMobil) ont acheté des actifs ou augmenté leur participation à partir de 2011, ouvrant ainsi le processus d’insertion de la région de Vaca Muerta sur les marchés mondiaux. Rien ne laisse présager que l’exploitation des HNC changera ce panorama. Les acteurs qui définissent l’avenir pétrolier sont par conséquent les grandes entreprises pétrolières, qui emploient peu – seulement 10 % des travailleurs du secteur – et dont la politique est guidée par des intérêts privés.

Estimations futures de la production journalière d’hydrocarBures à Neuquén

Milliers de m3/d

25 19,3

20,1

20,4

20,6

1,2

3,2

5,2

6,5

7,7

16,8

16,1 13,9

12,9

20

18,0

15

14,9

10 5 0 2014

2013

2015

2016

2017 année

Pétrole « conventionnel »

Millions de m3/d

50 40

44,4

45,0

5,7

7,6

38,7

37,4

30

Pétrole « non conventionnel »

46,1

47,0

47,9

11,1

14,5

17,9

35,0

32,5

30,0

20

Les mouvements d’opposition aux hydrocarbures non conventionnels

L’avancée des non conventionnels ne tient pas compte des impacts passés de l’industrie pétrolière.20 À Neuquén, elle fait face à l’opposition de trois types d’organisations hétérogènes : les peuples autochtones, les mouvements socioenvironnementaux, et les syndicats. Dans cette province pétrolière par excellence, un tel degré de mobilisation contre cette activité productive centrale, qui fournit des emplois directs ou indirects, est inédit. Ainsi, le peuple Mapuche est un des acteurs historiques qui entretient des relations conflictuelles avec les opérateurs industriels, en raison de l’occupation de son territoire. Suite à l’occupation militaire de la fin du XIXème siècle, les communautés autochtones ont été déplacées vers des zones périphériques où, souvent, l’aridité rend la vie extrêmement difficile. Néanmoins, pour leurs activités d’exploitation d’hydrocarbures, les entreprises ont eu besoin d’occuper également ce territoire jusqu’à lors méprisé. Aujourd’hui, selon un bilan réalisé par l’Observatoire des Droits de l’Homme des Peuples Autochtones, plus d’un tiers des communautés de la province sont touchées par différents niveaux de conflit en raison de la concession de leurs territoires pour des projets d’exploitation d’hydrocarbures (Scandizzo, 2014). Un des cas emblématique est celui des communautés Paynemil et Kaxipayiñ, dont le territoire est en partie situé sur le permis de Loma de la Lata (actuellement exploité par YPF), et qui a été, jusqu’à la fin des années 1990, un des principaux gisements de gaz conventionnel du pays. Il reste encore un des plus importants gisements de gaz d’Amérique latine. Les membres de la communauté ont commencé à se mobiliser en 1996 au travers d'actions visant à dénoncer la pollution de l’eau potable, qui prenait parfois feu en raison des hauts niveaux de dérivés de pétrole présents. Avec l’occupation des installations, des manifestations ou encore des demandes judiciaires, ils ont débuté une lutte qui continue encore aujourd’hui. Un recours contre l’État a même été introduit et la plainte est arrivée jusqu’à la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme, et en 1998, la province de Neuquén a été déclarée coupable de fournir ni les ressources en eau adaptées ni un environnement sain pour les communautés. Durant ce long processus, le laboratoire de l’Université Nationale du Comahue a refusé de réaliser les tests visant à déterminer la qualité de l’eau afin de conserver le financement qu’elle obtenait de la part de Repsol-YPF. De son côté, le ministère de la Santé de la province a dissimulé les premières études qui présentaient des résultats alarmants.21 De plus, à plusieurs occasions, le gouvernement a refusé de réaliser des recensements

10 0 2013

2014

2015

2016

2017 année

Gaz « conventionnel »

Gaz « non conventionnel »

Source : Ministère de l’Energie et des Services publics, province de Neuquén, 2014.

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20 Durant la négociation de l’expropriation, nombreux furent les fonctionnaires qui quantifièrent les dégâts causés par Repsol. Guillermo Coco, ministre de l’Energie, de l’environnement et des services publics de Neuquén, estima ainsi à 1,5 milliards de dollars le passif social et environnemental de Repsol-YPF (Río Negro, 14/05/2012). 21 Une des études, qui a finalement été diffusée, établit par exemple que Loma La Lata a “déclenché une série complexe d’impacts environnementaux” qui ont aggravé les conditions de vie déjà difficiles de ses habitants. Ceci en raison des 40 puits forés, des 37 km d’oléoducs, 20 km d’électroducs et des 50 km de pistes d’atterrissage. De plus, ont aussi été mis à jour des quantités considérables d’émissions de gaz à effet de serre (50 000 m3/jour), la forte contamination des sols, des fleuves ainsi que des eaux souterraines (Lisi, 1996).


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oncologiques de la population (Gavaldá y Scandizzo, 2008). C’est grâce à une lutte collective que des études ont finalement pu être menées à bien, démontrant l’impact négatif sur la santé des communautés autochtones locale.22 Il est important de souligner que cette avancée pétrolière a également des conséquences directes sur l’économie de subsistance mapuche. En effet, celle-ci repose sur l’élevage de chèvres or, dans une région sèche où l’accès à l’eau et aux pâturages est limité, cela est difficile. L’irruption des entreprises pétrolières sur le territoire implique également des conflits pour le droit à la terre et à l’eau, l’ouverture de chemins et de routes pour le forage des puits, tout comme le déploiement de toute une infrastructure qui génère déforestation et augmentation du processus de désertification (Scandizzo, 2014). Cette situation a été expliquée par le Rapporteur spécial sur la situation des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales des populations autochtones en 2012. Dans son rapport, il souligne « l’insécurité juridique des peuples autochtones sur leurs terres traditionnelles », notamment face à des projets agricoles et extractifs. Il a ainsi porté l’inquiétude des communautés concernant l’utilisation de la fracturation hydraulique qu’il a qualifiée de « particulièrement dangereuse » (Anaya, 2012). La problématique dépasse la réalité locale de ces territoires. Mandaté par le gouvernement de Neuquén, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a déterminé que 65 % du territoire provincial était affecté par l’exploitation des hydrocarbures. Sur la base d’un calcul général, les dégâts occasionnés entre 1991 et 1997 ont été estimés à 900 millions de dollars. De plus, l’analyse montre que les 550 000 hectares les plus affectés concernent des permis d’YPF (puis Repsol YPF et aujourd’hui à nouveau YPF), Pérez Compac (puis Petrobras) et San Jorge (puis Chevron), et sur cette zone, le passif environnemental a été estimé à 350 millions de dollars. L’atteinte à l’environnement constatée, tout particulièrement sur les zones pétrolières, fut si grave que le gouverneur de l’époque, Felipe Sapag, décréta pour la première fois dans le pays, l’état d’urgence environnementale (Sejenovich, 2012: 80).

Enfin, le dernier axe est celui des demandes syndicales qui font partie intégrante du mouvement d’opposition à la fracturation hydraulique. Les syndicats ont une expérience historique de résistance contre la mise en place des politiques néolibérales et, au sein de ce secteur se détachent tout particulièrement les enseignants et les fonctionnaires qui se mobilisent massivement. Les diverses perspectives d’approches ont donné lieu à une convergence de différents secteurs – le peuple Mapuche, des organisations qui luttent pour une véritable nationalisation d’YPF et l’appropriation de la rente pétrolière à des fins sociales, des féministes, des syndicats, des partis politiques, certains secteurs religieux, des étudiants, des intellectuels, des législateurs etc. – au travers d'activités ponctuelles, d'assemblées et de réseaux, comme le réseau appelé « Multisectorielle contre la fracturation hydraulique ». Bien que ces liens ne se maintiennent pas toujours dans le temps et que des ruptures s’opèrent en raison de différends parfois inévitables, les luttes continuent. Les façons de résister à l’avancée des hydrocarbures non conventionnels comme alternative énergétique et de développement varient : occupation de puits pétroliers, mobilisations massives, adoption de décrets déclarant certaines municipalités libres de fracking, présentation de recours en justice, ou encore activités informatives (débats, documentaires, concerts etc.).

« Il n’y a pas de développement dans un territoire détruit ». © Observatorio Petrolero Sur

Maison dans la communauté mapuche Gelay Ko. © Observatorio Petrolero Sur

Néanmoins, les conséquences néfastes pour l’environnement sont peu à peu tombées dans l’oubli et aucune mesure concrète n’a été adoptée. En juin 2000, le gouverneur de l’époque, Jorge Sobisch, a prolongé de 10 ans la concession de Repsol-YPF à Loma la Lata, motivant sa décision par l’importance de cette « alliance stratégique » prometteuse. Plus récemment, comme mentionné plus haut, l’Exécutif provincial a rendu plus flexibles les contrôles environnementaux. Le deuxième axe de résistance à la percée des HNC est celui des luttes socio-environnementales (contre les méga-projets miniers, les OGM etc.), qui durent depuis plus d’une décennie. Celles-ci sont organisées en assemblées, un modèle de mobilisation qui a émergé lors de la crise argentine en 2001 ; des conflits qui en Patagonie et à Neuquén ont connu de durs moments de confrontation.

22 L’étude réalisée par la société de conseil argentine Umweltschutz en 2001 a trouvé des taux considérablement élevés de plomb, cadmium, arsenic et de nickel qu’elle lie à l’exploitation des hydrocarbures. De leur côté, Falaschi et d’autres (2001) ont conclu que « les données analysées constituent un indicateur sérieux des niveaux d’exposition à des éléments comme les hydrocarbures en général, mais aussi au plomb et au mercure. Ils représentent une menace sérieuse pour la santé physique des populations, une situation d’autant plus critique au vu de l’inaction du système de santé provincial qui nie systématique ces informations ».

Membres de la Multisectorielle contre le fracking à Neuquén. © Multisectorial contra el fracking

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CHEVRON, PIONNIER À VACA MUERTA Chevron est une des plus grandes entreprises au niveau international et le principal investisseur privé du secteur énergétique en Amérique Latine (YPF, 24/08/2012). C’est par conséquent également une des entreprises avec le plus d’antécédents en termes d’impacts environnementaux, notamment en Amazonie équatorienne où, comme nous le verrons, le désastre écologique que Chevron a causé est intimement lié à l’avancée des HNC en Argentine.

Site de forage non conventionnel de Chevron à Loma Campana. © Observatorio Petrolero Sur

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En ce qui concerne les HNC, l’entreprise a en effet eu un rôle important. Elle est parvenue à obtenir une participation, en association avec YPF et via un accord « secret » (il n’a pas été publiquement dévoilé), sur la zone la plus riche en ressources d’HNC de la formation Vaca Muerta. Afin de rendre l’accord viable, l’entreprise a exigé des changements dans la législation et les politiques publiques qui lui ont accordé une protection juridique, une augmentation des bénéfices mais aussi des procédés arbitraires. L’accord en question a par conséquent dû être fortement défendu par l’Etat qui a même eu recours à la violence: la mobilisation convoquée par différentes organisations suite à sa ratification et qui a réuni cinq mille personnes a été brutalement réprimée. Plus tard, des maisons des communautés autochtones qui vivent au sein de la zone d’exploitation du projet ont même été brulées, et les responsables restent encore inconnus. Dans ce chapitre, nous analyserons brièvement les activités de Chevron en Argentine, puis, nous étudierons plus particulièrement le cas de Vaca Muerta car, en raison de sa portée, ce cas constitue une véritable percée pour l’ensemble de l’industrie pétrolière. Ainsi, comme l’énonce YPF, Chevron a obtenu bien plus qu’un accord: « le projet va inciter d’autres entreprises à accélérer leur prise de décision en termes d’investissements afin de ne pas arriver trop tard ou rester hors jeu. Le forage massif associé à ce projet permettra de confirmer les caractéristiques de Vaca Muerta comme zone productrice d’huiles et gaz de schiste, ainsi que son potentiel de commercialisation. Des entreprises comme ExxonMobil, Shell, Apache, ou encore Total, comptent déjà avec un ancrage propre et elles pourraient elles aussi accélérer leurs développements pour l’exploitation d’huiles et gaz de schiste puisque ce projet a donné lieu à un cadre de conditions favorables » (YPF, s/n). Par conséquent, Chevron a marqué le début d’un processus général de valorisation des ressources de la région qui inclut un réseau multi-acteurs à la fois assez large et fortement concentré. Il est important de rappeler ici le rôle que l’entreprise a joué sur l’expansion des HNC en Europe de l’est, grâce à un soutien considérable du Département d’Etat des Etats-Unis et son Programme d’engagement technique dans les gaz non conventionnels (UGTEP pour ses sigles en anglais) (di Risio, 2013). Vaca Muerta a ainsi pris une dimension nouvelle en devenant un actif au niveau mondial.

Chevron a exigé des changements dans la législation qui lui ont accordé une protection juridique, une augmentation des bénéfices et des procédés arbitraires

Site de forage non conventionnel de Chevron à Loma Campana. © Observatorio Petrolero Sur Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine /

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L’avancée vers l’exploitation des HNC

Chevron en Argentine et à Neuquén

Une présence historique D’après sa page officielle, Chevron Corp. s’est établi dans le pays au début du XXème siècle pour la commercialisation de combustibles et de lubrifiants. A partir des années 1980, l’entreprise a débuté des activités d'amont (upstream), puis, en 1999, avec l’achat de Petrolera Argentina San Jorge S.A., elle a consolidé son portefeuille d'investissements actuels (Chevron, avril 2013). En termes de production, en 2013, Chevron a été la sixième entreprise productrice de pétrole au niveau national, et la deuxième au niveau de la province de Neuquén (Secrétariat de l’Energie). Actuellement, son activité se concentre principalement sur le Bassin de Neuquén où elle est l’opérateur de quatre permis d’exploitation de pétrole. Trois sont localisés dans la province de Río Negro (La Yesera, Puesto Flores et Loma Negra) et un dans la province de Neuquén (El Trapial). L’entreprise détient également une participation de 14 % dans Oleoductos del Valle S.A. ; une entreprise de transport de pétrole brut du Bassin de Neuquén vers l’Atlantique (Chevron, 2013). Et surtout, comme indiqué précédemment, Chevron a signé en 2013 un accord avec YPF afin de mettre en place le premier projet pilote de production de gaz et huiles de schiste en Amérique du Sud. Son principal atout est la concession El Trapial, deuxième au niveau national en termes d’extraction de pétrole brut : l’entreprise en extrait plus de 80 % de sa production (Secrétariat de l’Energie). Depuis 1999, le titre de propriété correspond à Chevron à hauteur de 85 %, et le reste appartient à la Société financière internationale, chargée de la promotion du secteur privé au sein de la Banque mondiale. En 2011, Chevron est parvenu à étendre la durée de la concession de 10 ans, ce qui reporte la fin du permis d’exploitation à 2032 au lieu de 2022. C’est également en 2011 que Vaca Muerta a commencé à attirer les premières convoitises, raison pour laquelle l’extension du permis a été fortement liée à la garantie d’un accès à ces nouvelles ressources sans avoir à passer par les processus d’appels d’offres ouverts (ce qui implique une concurrence avec d’autres fournisseurs ainsi qu’une consultation publique).

Sa production de pétrole conventionnel est actuellement en baisse, suite à une augmentation des investissements dans la production et une baisse concernant les activités d’exploration : entre 2004 et 2012, la production de pétrole de la concession El Trapial a chuté de 43,6 % et celle du gaz dans l’ensemble de ses permis d’exploitation s’est réduite de presque 78 %, alors que dans le même temps, les réserves ont diminué de 64 % (Sabbatella, 2013). Par conséquent, Chevron s’oriente désormais vers les HNC à travers deux projets : les concessions El Trapial et Loma Campana. Sa présence sur le Bassin de Neuquén, sa solvabilité financière, ainsi que ses connaissances technologiques l’ont transformé en un acteur qui joue un rôle central dans la nouvelle avancée des frontières d’exploitation. En 2012, sur son permis El Trapial, Chevron a réalisé les premiers puits non conventionnels visant les huiles de schiste, et l’entreprise a obtenu des indices de présence de pétrole. L’année suivante, elle a réalisé un troisième puits et trois nouveaux sont également prévus (Chevron, 2013). Lors de déclarations à la presse, il a été annoncé que pour le moment, un peu moins de 75 millions de dollars avaient été investis, et que jusqu’à la fin de la durée de la concession, 200 nouveaux puits seraient forés (La Mañana, 24/03/2013). Afin de fracturer ces puits, plus de 70 millions de litres d’eau ont été nécessaires, des ressources en eau livrées par camion citerne et qui proviennent du Río Colorado. Quant aux eaux de reflux (flowback), elles ont été injectées à 3000 mètres de profondeur dans des puits artificiels, technique dont les risques ont été expliqués précédemment (Río Negro, 24/03/2013). Les installations de Chevron sur la concession constituent presque une petite ville au milieu de la steppe de Neuquén ; on y trouve un gymnase, des bureaux, un hôtel, des restaurants et même un aéroport utilisé quotidiennement. Le « campement pétrolier » présente des différences flagrantes avec les villes voisines. Par exemple, sa consommation d’électricité est le double de celle de Rincón de los Sauces, localité voisine comptant 18 000 habitants (Río Negro, 24/03/2013). Cependant, El Trapial est un permis d’exploitation de moindre envergure que la concession issue de l’accord avec YPF, dont le potentiel estimé est le plus important à l'intérieur de la zone de Vaca Muerta : le permis Loma Campana.

Loma Campana : un accord sur mesure avec YPF

La concession de Loma Campana : antécédents et contexte

Site de forage non conventionnel de Chevron à Loma Campana. © Observatorio Petrolero Sur

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YPF, qui étudiait de manière superficielle les roches mères du pays depuis 2007, a foré le puits vertical LLL.x-1 en 2010. Situé dans le permis appelé Loma La Lata Norte, son objectif direct était l’exploitation de schiste via le recours à la fracturation hydraulique. En juillet 2013, avant la signature de l'accord avec Chevron, 64 puits avaient déjà été forés, majoritairement verticaux, et 50 d’entre eux avaient été stimulés hydrauliquement de manière massive (YPF, 2013).


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Les besoins à court terme ont imposé une accélération du processus dont le gouvernement avait besoin pour la mise en place de nouveaux projets. Ce dernier avait en effet besoin d’un partenaire international de poids pour contrecarrer les campagnes légales menées par Repsol après la renationalisation (fortes actions de lobby contre YPF ainsi qu’une demande de dédommagement de 10 milliards de dollars auprès du CIRDI). Ainsi, quelques semaines après le processus de nationalisation, le PDG d’YPF s’est réuni avec les représentants de Chevron (YPF, 24/04/2012), et c’est finalement en juillet 2013 qu’a été officiellement formalisé un accord dont l’objectif était celui de réaliser un projet pilote d’exploitation d’huile de schiste sur le Río Bravo. Néanmoins, parallèlement ce processus ont eu lieu d'autres événements à prendre en compte. Ainsi, en Équateur, l’Union des affectés par Chevron-Texaco se bat pour que justice soit faîte concernant le désastre écologique et sanitaire provoqué par Texaco (entreprise achetée par Chevron en 2001). L’entreprise a reconnu avoir déversé 60 millions de m³ d’eau toxique dans les fleuves et estuaires avoisinant son permis d’exploitation. Pour ces faits, Chevron a été condamné en Équateur à payer plus de 8 milliards de dollars. L’entreprise nordaméricaine a mené une campagne de défense agressive qui a inclus le retrait d’actifs du pays, et la dénonciation d’un complot de la part des avocats et du gouvernement équatorien. Alors que toutes les instances judiciaires en Équateur avaient été épuisées, l’Union des affectés a entrepris des démarches afin d’obtenir l’exécution de la sentence au Brésil, au Canada et en Argentine, pays avec lequel l’Équateur a signé des accords le permettant. Ce collectif équatorien a ainsi porté, auprès des tribunaux argentins, une action d’embargo sur 40 % du flux de liquidités de Chevron. En novembre 2012, un juge de première instance a gelé les comptes de Chevron Argentine, décision qui fut rapidement ratifiée en seconde instance.

Les conditions imposées pour l’accord YPF-Chevron L’arrivée de Chevron sur le marché des HNC a contrarié les actionnaires des autres entreprises qui, malgré leur intérêt à investir à Vaca Muerta, n’ont pas pu avancer dans ce sens en raison du différent en cours avec Repsol. Il s’agit d’un élément qui a eu son importance. En effet, au-delà des exigences exprimées dans le projet lui-même, l’accord a été signé sous deux conditions. La première : mettre fin à l’embargo obtenu par les communautés affectée d’Équateur. La seconde : accorder des exonérations fiscales et la promotion de la production dédiée à l’exportation. En ce qui concerne la première condition, au début du mois de mars 2013, le vice-président de Chevron, George Kirkland, a fait une déclaration catégorique : « il est impossible d’avancer tant que cet embargo n’est pas réglé » (Financial Times, 13/03/2013). Très réactif et avec un accord final imminent, le PDG d’YPF, Miguel Galuccio, a fortement condamné cette demande en raison de ces « effets négatifs sur les investissements et l’emploi dans le pays » (La Nación, 28/03/2013). De leur côté, la province de Neuquén et le Syndicat des pétroliers privés ont réalisé des présentations, sous le statut d’Amicus Curiae, demandant une sentence favorable à l’entreprise. Par ailleurs, la Procureure de la Nation argentine, Alejandra Gils Carbó, a estimé que l’embargo allait à l’encontre de « l’intérêt public national » que représente l’industrie pétrolière (OPSur, 30/05/2013). Enfin, en juin 2013, cédant à ces pressions, la Cour Suprême de Justice a rejeté l’embargo, officialisant ainsi l’impunité dont bénéficient les entreprises. Quant à la seconde demande, Chevron a obtenu un régime de promotion des investissements dans les hydrocarbures (Décret 929/13). Ce dernier a été décrit en détail dans le premier chapitre, mais il faut également ajouter le décret 927 qui exonère d’impôts l’importation de capital. Le décret 929/13 a été publié un jour avant la signature du contrat entre Chevron et YPF, et il a constitué une condition exclusive concernant les investissements de cette entreprise dans le pays, en raison des bénéfices qu’il génère pour les opérateurs (augmentation des prix, extension des durées des permis, liberté d’exportation et transfert de devises, etc.). Ainsi, Chevron est parvenu à inverser le processus de décision souverain d’un pays puisque dans ce cas, le gouvernement argentin légifère non pas en fonction de l’intérêt général mais en fonction des intérêts de l’entreprise. Il est aussi important de noter que Chevron a aussi obtenu l’engagement du gouvernement national en termes d’investissements en infrastructures et services, ce qui correspond pratiquement à une subvention, se montant à environ un milliard de pesos argentins (ce qui équivalait alors à 135 millions d'euros). Un engagement qui permet de développer ce nouveau scénario : l’État National construit des bâtiments (écoles, hôpitaux et routes) qui au final, ne feront que faciliter l’exploitation des HNC à Vaca Muerta.

Site de forage non conventionnel de Chevron à Loma Campana. © Observatorio Petrolero Sur

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L'accord YPF-Chevron L’accord a tout d’abord porté sur la concession Loma Campana23, à laquelle a été annexée, à la demande d’YPF, une région nommée Loma La Lata Norte (pouvoir conféré par le décret 929/13). Celui-ci porte sur un projet pilote d’huile de schiste (durant la première année), le développement à grande échelle du projet selon les rendements de production (et portant sur les 34 années restantes du permis d’exploitation). Quant aux investissements et aux bénéfices, il est établit qu’ils seraient répartis de manière égale. Au-delà des informations transmises par les deux entreprises, la véritable envergure du projet reste inconnue. S’il est vrai que l’accord entre YPF et la province de Neuquén a été rendu public – accord qui autorise l’exploitation des HNC en association avec Chevron -, celui signé avec l’entreprise états-unienne est quant à lui méconnu : « Il reste confidentiel selon les normes appliquées à toute société qui cotée en bourse » (YPF, s/n). De plus, au niveau national, le sénateur Rubén Giustiniani (Parti Socialiste) ainsi que le député Claudio Lozano (Unidad Popular), entre autres, ont effectué des demandes d’informations complémentaires auprès de l’Exécutif, qui n’ont reçu que des réponses négatives. La concession couvre une superficie de 395 km² et elle se situe au nord des lacs Menuco et Los Barreales – principale source d’eau pour la majorité de la population de la vallée. Le projet pilote occupe quant à lui 20 km² et comme cela a été mentionné, la région concessionnée fait partie du territoire de la communauté mapuche Campo Maripe qui, comme toujours, n’a pas été conviée au processus de décision.

Le projet Loma Campana Alors que ce projet ne porte que sur 1,4 % de la zone pétrolière de Vaca Muerta (YPF, 2013), son ampleur est l’élément qui marque la différence avec le fonctionnement « classique » de l’industrie pétrolière en Argentine : la quantité d’équipements de forage équivaut, selon ses opérateurs, à un quart de la totalité des équipements du pays ; au pic de production serait extrait un volume équivalent respectivement à 74 % et à 7 % de l’ensemble du pétrole et du gaz actuellement extraits sur la province de Neuquén ; enfin, l’investissement de la première année (environ 1,1 milliards de dollars) équivaut à l’investissement total du secteur dans la province sur l’année 2011. Il est important de souligner que le projet.

En ce qui concerne les marges de profits, des analyses indépendantes ont calculé un Taux interne de rentabilité (TIR) de 24 % par an (en dollars), des chiffres bien supérieurs à n'importe quelle autre activité (Llorens, Cafiero, s/n). Selon les auteurs, avec ce niveau d'accumulation de capital, il serait possible de penser à l'autofinancement à partir des bénéfices issus du projet, et donc d'enterrer les arguments qui défendent la nécessité des investissements étrangers. D'après ces calculs, Chevron obtiendrait des profits neuf fois supérieurs aux investissements initiaux et l'entreprise récupèrerait en 8 ans le montant destiné à l'ensemble du projet. De son côté, l’État aura une faible capture des rentes (se montant environ à 8 milliards de dollars selon YPF). Par ailleurs les royalties provinciales (12 %), seront parmi les plus faibles du continent.24 Un autre impôt est celui sur les bénéfices, qui approche les 3 %, un pourcentage inférieur à celui d'un concessionnaire automobile. Tous ces montants se payent sur la base de déclarations sur l'honneur des entreprises ; il existe théoriquement un rôle de contrôle de la part de l’État, mais il est en réalité très faible, voire inexistant. En matière de production, le projet pilote proposé se compose de 115 nouveaux puits verticaux en une année, ce pour quoi seront nécessaires onze machines de forage permanentes. Lors de la deuxième année du projet sera initiée l'étape de développement de la concession dont Chevron pourra décider de la poursuite ou non. Tout au long de cette période, un total de 1562 puits additionnels seront forés, la grande majorité d'entre eux seront des puits verticaux, dans des plate-formes multi-puits(de 2 à 4 puits chacune), qui impliqueront l’activité permanente de 19 équipes de forage en simultané. Une fois terminé ce développement massif, la moyenne de puits productifs par km² se situera aux alentours de 4,25. Ces valeurs, qui sont supérieures à la moyenne calculée aux Etats-Unos (2,6 puits par km²), rendent compte de l'extrême intensité d'exploitation de la zone (Llorens, Cafiero, s/n).

Le montant global du projet se montera approximativement à 16 milliards de dollars, une somme principalement dédiée aux forages, et la rentabilité cumulée espérée par les opérateurs est de plus de 22,6 milliards de dollars. La concession concernée par l’accord avec Chevron produit principalement du pétrole de schiste, largement plus rentable que le gaz, ce que l’Argentine importe par conséquent aujourd’hui en quantités qui se montent à des millions.

23 Dans différents médias, il a été affirmé qu’YPF avait d’autres projets potentiellement prévus dans les provinces Neuquén et de Mendoza. 24 En Bolivie par exemple, les royalties approchent les 18 %; en Colombe, elles oscillent entre 5 et 25 %; au Salvador, entre 15 et 17 % (OLADE, 2010).

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Site de forage non conventionnel de Chevron à Loma Campana. © Observatorio Petrolero Sur


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Un projet marqué par les vices de procédure Le transfert de 50 % des titres de propriété du projet pilote situé au sein de la concession Loma Campana à Chevron a été rendu possible par un accord entre la province et YPF (Décret 1208/13), qui a dû être ratifié par le Parlement de la province (Loi No 2867). Tout d'abord, l'accord entre ces entreprises privées n'est même pas connu du responsable en charge de son contrôle ! Dans sa déclaration lors du débat législatif, le ministre de l’Énergie et de l'Environnement, Guillermo Coco, a ainsi déclaré connaître quelques éléments du contrat qui correspondent à ce qui avait été demandé (Parlement de la province de Neuquén, 14/08/2013: 6), tout en expliquant ne pas connaître le contrat dans son intégralité. Ensuite, autre élément important, l’ensemble du processus menant à cet accord a été marqué par de nombreux vices de procédure. En effet, il n'est pas passé par la Commission Environnement du Parlement, alors que celle-ci a un rôle stratégique, et s'est transformé en une procédure extrêmement rapide d'à peine un mois. De plus, le projet ne remplissait pas toutes les dispositions légales exigées. La conséquence a été l'absence de consultation préalable, libre et informée des populations concernées, un contrôle environnemental insuffisant et bâclé (ce qu'a reconnu le ministre lui-même) et, comme cela sera étudié par la suite, une extension illégale des durées de concessions. Ainsi, le ministre Coco, a déclaré: « ce projet ne nous donne pas le temps de disposer de cent pour cent des outils législatifs » (op cit: 13). Par ailleurs, durant le débat, il a également précisé les éléments suivants : « ce que nous avons approuvé est la faisabilité économique du projet. Cependant, nous n'avons pas approuvé l'ensemble de sa faisabilité environnementale ». Il a aussi expliqué le manque de dispositifs appropriés en annonçant la création d'une commission entre la province et l’État afin d'établir des paramètres environnementaux minimums à respecter. Enfin, ce projet est le résultat de l'imposition de conditions et de délais établis par Chevron. Le ministre Coco, a été explicite sur ceux qui ont été aux commandes: « A partir de la réflexion concernant les garanties minimales que nous demandait YPF S.A., nous avons mis en place cet acte administratif [le débat au Parlement]. Les garanties minimales étaient nécessaires car YPF avait besoin d'un partenaire financier [Chevron] » (op cit: 6). Les "conditions limites" exprimées ont été les suivantes: •

Arbitrage : La résolution de controverses sera régie en ultime recours par la Chambre de commerce international (CCI), la plus grande organisation entrepreneuriale mondiale, basée à Paris.

Surveillance et contrôle environnemental : Le contrôle environnemental et le suivi des plans de travail sera assuré « par les parties prenantes », ce qui suppose de donner à l'entreprise le même rôle que celui de l'organisme chargé de la contrôler.

Extension des contrats : L'accord établit une prolongation jusqu'à l'année 2048, ce qui est en complète contradiction avec les lois sur les hydrocarbures qui définissent une durée maximale des contrats de 25 ans.

Avantages fiscaux : La province s'engage à ne pas ajouter de nouvelles taxes à ce projet ainsi qu'à ne pas augmenter les taux des impôts en vigueur.

Responsabilité sociale des entreprises : L'entreprise versera 45 millions de dollars au Fonds spécial de la responsabilité sociale et environnementale. L'affectation des sommes sera assujettie à un accord entre les fonctionnaires et la Fondation YPF, ce qui crée encore une fois un mélange des rôles, des responsabilités et des fonctions de chacun.

Le risque environnemental est démenti en permanence par les fonctionnaires. Selon le Rapport d'impact environnemental présenté pour le développement du projet pilote de Loma Campana, les activités nécessaires à la mise en œuvre de la fracturation hydraulique ne représentent que des niveaux d'impact environnemental bas ou modérés (Geólogos Asociados, décembre 2012). Actuellement, la part des 115 puits verticaux prévus la première année déjà forés reste inconnue, bien que la presse ait informé que la conclusion de cette étape était imminente. Selon le Rapport d’impact environnemental, chacun de ces puits consomme 10 millions de litres d'eau par fracturation. L'eau est puisée dans le fleuve et transportée en camions citerne jusqu'à des bassins métalliques et des réservoirs pour y être déposée dans ce que l'on appelle des « bassins de récupération secs ». L'impact est moins important que celui généré par la méthode utilisée auparavant, qui consistait à creuser un bassin d'une superficie d'environ 100m2 sur une zone à proximité immédiate du puits. Selon les prévisions, cette méthode « minimise le risque d'infiltration de substances toxiques dans le sol et le sous-sol ». Au sein de chacune de ces plate-formes multiples (180 x 150m3), de 4 puits chacune, 40 bassins de 80m3 seront construits. Ceux-ci sont transportables et utilisés lors du processus de fracturation. Les eaux de reflux seront traitées dans une usine spécifique (PIA 2) à partir d’un procédé d'extraction des huiles, de purification et de filtration. D'après le Rapport environnemental, l'eau qui en résulte, « à condition qu'elle réponde au niveau de qualité nécessaire après une vérification en amont, sera utilisée pour la fracturation des puits » (idem: 41). Bien que le projet ne mentionne pas où sera déposée l'eau qui ne répondra pas aux exigences de qualité nécessaire, le cadre législatif de la province (Décret Nº 1483) oblige à ce qu'elle soit injectée dans des puits artificiels. En ce qui concerne le traitement des boues de forages et des déblais de forage, le rapport environnemental indique que « seront utilisés des bassins de récupération secs qui consistent en un circuit de boues spécialement pensé pour déshydrater les coupes de forage, où les déblais de forage « extraits » seront déposés dans des conteneurs métalliques. Par la suite, il sera transporté par une entreprise habilitée à l’entrepôt de Bajo Añelo, situé au sein du gisement [Loma de la Lata], de manière temporaire ». Rien n’est précisé quant à l’endroit où les déblais de forage seront définitivement déposés. Les rapports attribuent un impact limité aux fuites de gaz, alors que des études de terrain aux Etats-Unis ont révélé que les fuites de méthane dans le cadre de projets d’exploitation d’HNC étaient de 6 à 12 % (Karion et al., 2013).

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Résistance et violation des droits collectifs L’accord entre YPF et Chevron a été ratifié le 28 août 2013 par le Parlement de Neuquén. De nombreuses organisations ont appelé à une mobilisation en ce jour contre le « pacte de pillage, de contamination et de mort ». Les principales demandes se sont centrées sur la dégradation environnementale historique de la région, l’opposition à la fracturation hydraulique, la perte de souveraineté liée à l’ingérence des multinationales, ainsi que sur l’objectif d’exportation du projet et donc de « pillage » du pays. Il faut souligner à nouveau que le projet se situe à proximité même des sources où la majorité de la population puise l'eau de consommation courante. La mobilisation avait été précédée par l’occupation du gisement El Trapial par la Multisectorielle contre la fracturation hydraulique, réseau citoyen qui s’oppose à une nouvelle contamination de la région: « il existe déjà une énorme contamination, et ce sont ses responsables eux-mêmes qui sont en train de prendre la décision de promouvoir la fracturation hydraulique » (8300, 22/08/2013). En parallèle, différentes organisations ont demandé un référendum afin que l’ensemble des citoyens puisse s’exprimer sur cette question les concernant directement. Une proposition qui n’a aucunement été entendue (Gaceta Mercantil, 25/07/2013). Le 28 août 2013, la mobilisation a réuni plus de 5000 personnes. A peine les manifestants sont-ils arrivés, que la police a répondu de manière brutale durant plus de huit heures ! Le résultat a été plus de vingt blessés par des balles en caoutchouc et de nombreuses arrestations. Cependant, le fait le plus grave concerne un enseignant qui a reçu un projectile de plomb dans le torse, ce qui lui a valu une hospitalisation de plusieurs jours. Bien qu’il n’y ait pas encore d’expertise définitive, l’enseignant soutient que le projectile a été tiré par les forces de police (8300, 12/02/2014). De leur côté, les différentes instances gouvernementales ont qualifié les manifestants d’ « antidémocratiques » et d’inadaptés (OPSur, 02/09/2013). Le lendemain, en réponse à la répression, divers syndicats ont appelé à la grève et dix mille personnes ont à nouveau occupé les rues (8300, 29/08/2013).

Les droits des communautés autochtones à nouveau bafoués Comme cela a été mentionné, le projet d’YPF-Chevron se trouve au sein même du territoire de la communauté mapuche Campo Maripe, qui est donc directement affectée. Il faut rappeler que la Convention 169 de l’OIT, tout comme d’autres traités internationaux, établit que dans les projets se situant sur les territoires de communautés autochtones, il est obligatoire d’obtenir leur consentement préalable avant l’approbation du projet. La violation de ce territoire constitue un affront direct aux droits collectifs et humains, et il est même considéré comme un ethnocide par le cadre juridique international que l’Argentine a ratifié (CEPPAS, 2011). Le gouvernement de Neuquén n’a jamais respecté les conditions stipulées dans les pactes internationaux, et ce en toute impunité. Bien que la consultation libre, préalable et informée n’ait pas été appliquée (comme le stipule la Convention 169 de l’OIT, ayant une valeur constitutionnelle en Argentine), quelques jours après la session parlementaire, la communauté a accepté 60 hectares comme compensation à l’intervention pétrolière dans son territoire. Malgré cela, en mars 2014, il n’y avait toujours aucune évolution ni de reconnaissance concernant la violation des droits de la communauté alors que 13 tours de forage continuent à procéder à l’avancée des travaux sur le site.

Manifestation le 28 août 2013, contre la ratification de l'accord YPF-Chevron par le Parlement de Neuquén. © Pepe Delloro, Télam

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Carte des permis de Chevron dans la province de Neuquén

Buta Ranquil

2 Chos Malal

3

Rincón de los Sauces

Formations de schiste de Vaca Muerta et Los Molles

Plan général d'aménagement d'Auca Mahuida Añelo

Zapala

Chevron à Neuquén

1

Aire protégée d'Auca Mahuida

Cipolleti

Cutral Có

Neuqu Neuquéén Neuquén

Va. El Chocón

Permis, opérateur et entreprises associées 1. Loma Campana: YPF - YPF, Chevron 2. El Trapial: Chevron - Chevron, CFI (La Banque Mondiale) 3. Chihuidos de la Sierra Negra: YPF - YPF, Chevron

0

25

50

75km

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TOTAL, ACTEUR HISTORIQUE AU POIDS RENFORCE Présent en Argentine depuis 1978, à travers sa filiale Total Austral S.A., l’entreprise a été le principal producteur de gaz entre 2009 et 2012, avec presque 30 % du volume national (secrétariat de l’Energie de la Nation). Dans les champs Aguada Pichana et San Roque, situés dans la province de Neuquén, 9 puits non conventionnels de gaz de schiste ont été forés. Ces permis sont les atouts majeurs de Total dans le bassin de Neuquén et représentent 56 % de sa production en Argentine. Son deuxième pôle de production se trouve dans la région de la Terre de Feu, en Patagonie australe, où l’entreprise exploite des champs onshore et offshore. Par ailleurs, elle participe à la construction de réseaux de gazoducs dans la région. Dernièrement, l’entreprise s’est orientée de manière agressive vers de nouvelles contrées. Au-delà de l’exploitation de tight gas et de gaz de schiste à Neuquén, Total est aussi présent en Uruguay où elle est l’opérateur de deux blocs d’exploration (Total, 2013). D’autre part, Total a annoncé de grands investissements à

Puits non conventionnel de Total, permis San Roque, en bordure de l’aire Auca Mahuida. © Observatorio Petrolero Sur

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venir de l’ordre de 1,3 milliards de dollars pour la construction de plateformes et de puits horizontaux offshore (El Inversor Online, 23/10/2013). Ces avancées sont réalisées non sans de profonds désaccords et conflits qui, comme nous le verrons, caractérisent l’avancée des hydrocarbures non conventionnels.


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Total et les HNC à Neuquén

L’entreprise française s’est focalisée sur l’extraction de gaz, et après YPF, elle se situe au deuxième rang au niveau de la province de Neuquén où, selon le secrétariat de l’Energie, elle a produit plus de 30 % de l’ensemble du gaz de la province en 2013. Elle obtient presque la totalité de son volume via les permis d'Aguada Pichana et San Roque, où elle opère depuis 1997 et où elle partage la concession avec d’autres grandes entreprises du secteur : YPF, Pan American Energy et Wintershall. Sur ces permis, qui se démarquent comme étant parmi les plus importants du pays en termes de ressources, Total est parvenu à obtenir de larges bénéfices ainsi que des modifications législatives : bien que le délai d’exploitation de la concession était censé arriver à son terme en 2017, en 2009, l’entreprise parvint à l’étendre de 10 ans (jusqu’en 2027, décret provincial n° 235), violant la Loi nationale sur l’exploitation des hydrocarbures. De plus, l’entreprise est également présente (dans une moindre mesure), sur les permis d’exploitation Sierra Chata et Rincón de Aranda, tout comme sur le permis d’exploration Veta Escondida (tous opérés par Petrobras). Sur les deux premiers, deux puits non conventionnels ont déjà été forés. Depuis 2011, la stratégie de l’entreprise pour évaluer le potentiel de gaz de schiste a été de renforcer l’infrastructure déjà installée sur des permis d’exploitation connus, ainsi que d’étendre les délais de concession. Ainsi, jusqu’à présent, 4 puits ont été réalisés à San Roque et 5 à Aguada Pichana (sous-secrétariat des Hydrocarbures et des mines de Neuquén), et il faut ajouter 7 forages pour l’exploitation de tight gas.25 Dans le permis d’Aguada Pichana, un investissement de 400 millions de dollars a été annoncé, pour deux projets pilotes de gaz de schiste (un de gaz humide et un autre de gaz sec) qui impliqueraient 20 puits et l’ensemble de l’infrastructure associée (La Mañana Neuquén, 10/10/2013). Total espère ainsi entrer dans la phase de production d’ici la fin de l’année 2014 (Total, 2013).

Total s’est étendu agressivement à Vaca Muerta avant toutes les autres entreprises.

Faune à Auca Mahuida - Lama guanicoe. © Sergio Goitía

Tête de puits sur un site opéré par Total à Auca Mahuida. © Observatorio Petrolero Sur 25 Les formations de tight gas font partie des hydrocarbures non conventionnels, qui, par leur faible perméabilité et leur porosité impliquent l’utilisation de la fracturation hydraulique. Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine /

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Cependant, l’accent mis sur les HNC par l’entreprise a dépassé ces permis traditionnels et s’est étendu agressivement, – avant même les premières annonces concernant l’exploitation de Vaca Muerta (réalisée par Repsol-YPF en 2010) – sur la zone exploitable à Neuquén : achat de participation, au début de l’année 2010, sur les permis La Escalonada et Rincón Ceniza, suivi en janvier 2011 par l’acquisition d’une partie des permis d’exploitation Aguada de Castro, Pampa Las Yeguas II, Cerro Las Minas et Cerro Partido (Total, 14/01/2011). Jusqu’à maintenant, selon les informations révélées par le Soussecrétariat des Hydrocarbures et des Mines, Total aurait foré et fracturé 7 puits sur ces concessions. Enfin, l’entreprise française vient de vendre 42,5% des concessions qu’elle possédait sur les permis La Escalonada et Rincón Ceniza à Shell, tout en en restant l'opérateur avec également 42,5 % (El Inversor Online, 31/03/2014). Ainsi, Total est rapidement devenu un acteur majeur : l’entreprise est passée de 5 à 11 concessions en quelques mois, et elle est l’opérateur de 6 d’entre elles. À titre de comparaison, actuellement, son aire d’influence, de presque 5 300 km², représente un peu plus de 26 fois la taille de la ville de Buenos Aires, ou encore 6 % de la province de Neuquén. Il est important de noter que sur ces nouvelles concessions, l’entreprise titulaire est Gas y Petróleo de Neuquén (GyP), entreprise provinciale dont on ne connaît ni le fonctionnement ni les comptes. En effet, la signature de contrats avec les opérateurs se fait sans information ni appel d’offre public, c’est pourquoi les conditions et limites imposées par Total (ou d’autres opérateurs) ne sont pas révélées dans leur ensemble. Au manque d’information de la part des organismes publics s’ajoute le silence de l’entreprise puisque Total ne communique en aucun cas sur les techniques d’extraction utilisées ni sur l’étendue de ses contrats dans le pays. Les seules informations disponibles concernent ses investissements à une échelle globale, et se trouvent sur le site internet de l’entreprise, en anglais. Sur la page argentine de Total, aucune information concernant ses opérations lors des phases d’exploration n'apparaît, et l’accent est mis sur sa politique de parrainage, notamment dans le domaine sportif. Cette difficulté d’accès à l’information et la gestion arbitraire de Total a été dévoilée au grand jour avec le puits non conventionnel de Pampa Las Yeguas II, réalisé à l’intérieur même de l’aire naturelle protégée Auca Mahuida. Le Nord de l’aire doit déjà faire face à une exploitation de pétrole conventionnel avec des impacts socio-environnementaux considérables. Le forage a donc provoqué une forte opposition sociale dont la visibilité a révélé les nombreuses irrégularités du rapport environnemental présenté par l’entreprise.

Auca Mahuida, aire protégée ou sacrifiée ?

L’aire protégée Auca Mahuida a été créée en 1996 (décret provincial nº 1446), mais c’est seulement en 2008, année où est adoptée la loi sur les Aires nationales protégées (nº 2594), qu’est officiellement ratifiée l’existence de 11 aires naturelles protégées au sein de la province. Néanmoins, la politique de conservation n’est pas la priorité du gouvernement de Neuquén qui est loin de l’appliquer strictement, ce à quoi s’ajoute la pression des activités extractives qui menacent ces réserves.

L'importance de la conservation L'aire naturelle protégée Auca Mahuida constitue un des ensembles les plus précieux de la steppe patagonienne de par la diversité des mammifères qui s'y trouvent. La réserve est extrêmement riche et elle se compose d'espèces qui ont déjà disparu ou sont très rares dans d'autres parties de la province. On trouve notamment une des populations les plus importantes de guanaco (une espèce de la famille des lamas), des pumas, des renards gris et colorés, des chats sauvages, des furets et notamment des furets de Patagonie, des moufettes, des maras (espèce de rongeur), des canards siffleurs, des grands tatous velus ou encore des chinchilla. La faune de reptiles est méconnue et il est probable qu'il existe de nombreuses espèces endémiques de lézards à découvrir. Des dizaines d'espèces d'oiseaux ont été recensées, parmi lesquelles les nandous (espèce d'autruche), dont la population a diminué de plus de 80 % dans certaines zones de Neuquén. Cette aire naturelle est également l'habitat naturel du condor, dont les premiers nids dans la région ont été découverts il y a peu. C'est pourquoi, l'aire naturelle protégée d’Auca Mahuida a été déclarée Zone importante pour la conservation des oiseaux, et ce à partir d'une initiative internationale menée par les associations BirdLife International et Aves Argentinas. En ce qui concerne la flore, cette réserve recouvre une végétation arbustive, des prairies patagoniennes dans le district de Payunia, ainsi que des fleurs typiques des hauts plateaux andins. De plus, 14 espèces végétales endémiques, dont l'aire de répartition est restreinte à la zone de Payunia, ont été identifiées. Par ailleurs, le Mont Auca Mahuida est un lieu de cérémonie et de rituels mythologiques traditionnels pour les habitants criollos26 et mapuche. Il existe par ailleurs de nombreux sites archéologiques où l'on trouve à la fois des pétroglyphes et des peintures rupestres. D'un point de vue paléontologique, cette aire protégée présente une forte probabilité d'abriter des fossiles de dinosaures. Enfin, la réserve compte également la présence d'habitants ainsi que des puesteros.27 Environ 9 familles vivent dans cette aire protégée et leur mode de vie repose sur l'élevage de chèvres.

Faune à Auca Mahuida – Chat de Geoffroy. © Sergio Goitía

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26 Populations d'origine européenne habitant en Amérique Latine, en opposition aux communautés autochtones dites « originaires » ou « indigènes ». 27 Personnes habitant la région et vivant principalement de l’élevage extensif, en se déplaçant avec leurs troupeaux sur de larges étendues.


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Pétrole et procédures arbitraires Ce bien commun protégé que sont les aires naturelles protégées se trouve donc face à de nouveaux défis parmi lesquels le plus problématique est celui du ‘vide juridique’ qui les entoure. En effet, ce vide juridique rend difficile le travail même de l’autorité compétente, la direction des Aires naturelles protégées (DANP), en ce qui concerne les différentes missions de contrôle, mais surtout de régulation des activités extractives présentes sur ce territoire. Tout d'abord, la Loi cadre sur les Aires nationales protégées ne peut être appliquée car elle n’a jamais été assortie de son décret réglementaire, ce qui aurait dû être fait dans les 180 jours qui ont suivis son approbation, il y a 6 ans. Le projet de décret envoyé à temps par l'équipe technique de la DANP – et qui interdit les activités extractives, entre autres – n'a jamais été traité. D'autre part, le Plan général d'aménagement de l’aire a été finalisé en 2000 mais n'a jamais été approuvé par l'Exécutif provincial. Cela génère un autre vide juridique important puisque ce document prévoit une extension de l’aire protégée de 77 000 à 120 000 hectares, de façon à atteindre ses objectifs de conservation, et il établit également un zonage des activités au sein de cette aire naturelle protégée. Il s'agit d'un élément important car si ce plan avait été approuvé, les puits limitrophes, comme ceux réalisés par ExxonMobil, Shell et Total ces dernières années, se situeraient à l’intérieur de la réserve Auca Mahuida. Enfin, ce vide juridique accroît encore davantage le manque d'information de la part des techniciens de la DANP qui ne peuvent pas accéder aux rapports environnementaux des permis qui entourent l’aire. À cela s'ajoute un véritable manque de moyens. Le personnel du département technique ne possède pas les ressources nécessaires pour mener son travail à bien, comme par exemple des véhicules ou du combustible. L'ensemble de l'aire protégée compte seulement deux gardiens, dont un en contrat précaire. Le contrôle des activités extractives ne fait pas partie de leurs tâches, et ils ne reçoivent pas non plus de formation adaptée. Malgré cette situation, interviewé par les auteurs de ce rapport, un des gardes a relaté les alertes qu'il avait faites à ses supérieurs concernant l'impact environnemental que générerait le nouveau puits non conventionnel de Total, notamment du fait qu’il se trouve sur la zone de nidification des condors. Des avertissements qui n'ont jamais été pris en compte. Bien que sa capacité d’action soit très limitée, la présence d’un corps technique de la DANP permet de connaître la situation environnementale générale de la zone, contrairement à la grande majorité de la région. Au début de l’année 2012, un rapport de la DANP a comptabilisé 11 concessions d’hydrocarbures qui affectent directement Auca Mahuida. Il existerait au total plus de 69 puits - dont 6 sont situés sur la zone théoriquement intangible - ; ces puits s’accompagnent d’un ensemble de l’infrastructure et de routes de plus de mille kilomètres qui affectent la faune et la flore censées être protégées. Les entreprises impliquées, comme titulaire ou opérateur, sont les suivantes : YPF, Shell, Total, ExxonMobil, Wintershall, Pan American Energy, GyP, Medanito (dont les capitaux sont nationaux mais proviennent aussi de la Banque mondiale) et EOG Resources. Lors de l’inspection réalisée dans le cadre de ce rapport, des infractions ont été constatées sur la quasi totalité des puits, et il a donc été exigé des entreprises qu’elles mettent en place des mesures concrètes pour réparer les dégâts causés. Plus de deux ans après, rien n’a changé.

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Il est important de noter que malgré les dommages environnementaux passés et présents causés par l’industrie, son expansion se poursuit. Les techniciens interviewés soulignent que cette tendance se fait de façon irrégulière et arbitraire, comme le montre la façon dont sont réalisés les rapports environnementaux (rédigés par des consultants payés par les entreprises elles-mêmes). Les experts affirment que leurs supérieurs hiérarchiques ne prennent pas en compte leurs avis concernant les mauvaises pratiques des cabinets de conseils, qui ne réalisent pas de travail de recherche approfondi sur le terrain et se contentent d’utiliser et de copier, sans faire la moindre distinction, des informations génériques issues d’autres travaux. Les experts de la DANP mettent également l’accent sur le fait que l’organisme qui a le pouvoir de contrôler les activités de l’aire naturelle protégée, le secrétariat à l’Environnement et au développement durable, approuve systématiquement des permis de « manière conditionnelle » en raison du degré d’erreurs et de pièces manquantes. Comme l’explique l’avocat spécialisé en droit de l’environnement Juan Fittipaldi, impliqué sur des plaintes visant Total, cette pratique va à l’encontre des normes établies par le cadre juridique en vigueur (loi Générale sur l’environnement), étant donné que les rapports peuvent uniquement être totalement approuvés ou totalement rejetés (Río Negro, 5/01/2013). En résumé, l’autorité compétente ne met pas en application de manière effective la Loi sur les aires naturelles protégées dont l’objectif est la conservation à long terme de la biodiversité. Les politiques de « vides juridiques » et le manque de moyens financiers illustrent les problèmes qui se posent pour les aires protégées dans un contexte de boom des hydrocarbures non conventionnels en particulier, et des hydrocarbures en général. Il est vrai que l’exploitation des hydrocarbures existait avant la création de cette aire protégée. Néanmoins, depuis, il n’y a eu aucun mouvement de recul, bien au contraire puisque l’exploitation ne cesse de s’étendre sur l'aire. Car défendre une politique de conservation juste et adaptée impliquerait d’affronter un conglomérat de forts intérêts, ceux de l’industrie pétrolière.

Puits Pampa las Yeguas x-1 de Total, dans l’aire protégée Auca Mahuida. © Observatorio Petrolero Sur


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Total et son avancée dans une région non exploitée

En septembre 2012, Total a engagé un processus pour forer et fracturer le puits PLY.x-1 sur son permis de Pampa Las Yeguas II, dans une zone jusqu’à présent jamais exploitée par l’industrie pétrolière (qui s'était concentrée dans la partie Nord d'Auca Mahuida). L’entreprise provinciale GyP est titulaire du permis tandis que les opérations sont à la charge de Total. Le contrat mentionne également la participation d’YPF. Le puits PLY.x-1 a été un cas emblématique en raison des nombreuses erreurs et irrégularités commises malgré les avertissements de la très permissive autorité en charge des contrôles, le secrétariat à l’Environnement et au développement durable. Tout d’abord, l’étape de fracturation n’a pas été approuvée dans la phase initiale par le secrétariat à l’Environnement, c’est pourquoi une « licence temporaire » a été accordée. La principale raison invoquée a été que l’utilisation prévue de l’eau souterraine n’avait pas été habilitée. En effet, ce type d’utilisation n’est permis que dans le cas où l’eau n’est pas potable. Or, la qualité de cette eau n’était pas renseignée dans les documents fournis par l’entreprise. Malgré cela, Total a annoncé différents points d’utilisation de la fameuse fracturation hydraulique. En ce qui concerne la ressource en eau, le volume hydrique nécessaire serait de 8 millions de litres. Cette eau serait transportée en camion jusqu’à la zone d’exploitation, puis stockée dans trois citernes australiennes d’un volume global de 15 millions de litres d’eau. Total évalue le volume des eaux de reflux à 2,8 millions de litres, qui seraient également transportés en camion puis injectés dans des puits artificiels dédiés à cet usage.

En plus de l’absence d’approbation de l’étape de fracturation, une seconde irrégularité concerne directement l’autorité des aires protégées, la DANP, et a des conséquences globales sur sa capacité de régulation. S’agissant d’une aire protégée, l’avis technique de la DANP constituait une condition indispensable préalable à l’octroi de la licence environnementale. Néanmoins, comme le souligne Maître Fittipaldi, l’aval octroyé par le secrétariat à l’Environnement a été donné avant la réception de cet avis, qui de plus, s'est révélé défavorable. Ainsi, Total a débuté ses opérations sans avoir l’ensemble de ses documents en règle. De plus, les avis émis par cet organisme public sont contradictoires. D’un côté, le secteur technique – composé d'ingénieurs environnementaux, de diplômés en assainissement de l’environnement, entre autres – s’est opposé au puits en raison du manque d’information (concernant notamment des données hydrogéologiques et la faune), des nombreuses erreurs (certaines espèces mentionnées dans le rapport environnemental de Total ne sont même pas présentes sur l’aire protégée), le manque de mesures pour éviter ou mitiger l’ensemble des impacts et la tendance à les minimiser, entre autres. Le rapport technique signale que la mise en œuvre d’un puits exploratoire de ce type garantit l’avancée vers un éventuel schéma d’exploitation. Les objectifs mêmes de conservation étant par conséquent voués à l’échec. De l’autre, le directeur provincial des Ressources naturelles, Enrique Schaljo, sous l'autorité duquel est placée la DANP, a approuvé le projet et est passé outre toutes les considérations environnementales, mettant ainsi un terme à toute possibilité de discussion.

Par ailleurs, Halliburton, entreprise sous-traitante spécialisée dans la fracturation hydraulique, a fourni une liste des noms commerciaux des substances chimiques utilisées. La quantité totale d’agents chimiques à injecter n’est néanmoins pas renseignée. Parmi les produits chimiques mentionnés, celui qui se démarque en raison de sa haute toxicité est le naphtalène. L’Agence internationale de recherche sur le cancer, membre de l’Organisation mondiale de la santé, l’a classé dans le Groupe C (substance potentiellement cancérigène pour l’Homme). L’exposition à court terme au naphtalène, absorbé directement par inhalation ou par voie orale, est également associée à l’anémie hémolytique, des dommages neurologiques et des atteintes au foie. Bien qu’il n’existe pas de données sur l’absorption directe chez les hommes, la détection de ces métabolites dans les urines des travailleurs indique que l’absorption est réelle. Enfin, l’impact climatique du projet est lui aussi considérable : pour l’essai seul de ce puits, il est estimé que 300 000 m³ de gaz à effet de serre seront émis dont 92 % de méthane, un des gaz à l’effet de serre les plus importants et la principale menace pour le climat selon le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) dans son rapport paru en 2013. Sont également présents : de l’éthane, du propane, du butane, du dioxyde de carbone, et du nitrogène, entre autres. En ce qui concerne les fossés dédiés aux opérations de torchage, les documents disponibles mentionnent qu’ils sont d’une dimension de 5 mètres de large pour quinze mètres de long et 1 mètre de profondeur.

Puits non conventionnel de Total, permis de San Roque. © Observatorio Petrolero Sur Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine /

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Pénalités et plaintes dans un cadre d’irrégularités Les anomalies et vices de procédure ont pris une dimension publique lorsque Total a informé une habitante, voisine du puits, qu’une route serait ouverte à travers son terrain. En prenant connaissance du cas, son avocat, Juan Fittipaldi, a découvert que l’entreprise n’envisageait pas seulement la création de cette route, mais aussi la construction d’un puits artificiel et diverses installations pour traiter les eaux de reflux. Face à cette situation, la puestera en question a décidé d'attaquer en justice la licence environnementale accordée à Total. Les arguments avancés ont été les suivants : violation de la disposition prévoyant que, comme premier puits, celui-ci devait passer par une audience publique, absence d’information sur le traitement des eaux de reflux (étant donné que l’origine de l’eau douce n’était pas conforme à ce qui était établi), et enfin, inexistence de l’assurance environnementale obligatoire. Aussi, Fittipaldi a souligné que le rapport environnemental lui-même reconnaissait le manque de données concernant les ressources en eau traversées par le puits (Río Negro, 5/01/2013). Ce point figure clairement sur le dossier administratif où l’autorité d’application exige de Total que « durant l’étape de forage du puits soit réalisée une étude écologique (sic) qui définisse sa profondeur et les caractéristiques des différentes couches, et notamment des couches aquifères potentiellement traversées » (Dossier judiciaire 5390-000919-12, 2012: 12). Selon Fittipaldi, il ne s’agit pas là d’un fait inconnu puisque la zone d’exploitation de Total compte trois nappes phréatiques, raison pour laquelle la rigueur et le sérieux avec lesquels est mené le rapport environnemental sont d’autant plus questionnables. La révélation au grand public de ces faits a semble-t-il incité l’État à entreprendre quelques actions. En effet, au début de l’année 2013, les médias locaux ont annoncé que l’entreprise serait sanctionnée pour ne pas avoir informé du début des opérations, pour avoir détruit le terrain afin de le niveler dans le but de construire un bassin de fracturation sans en avoir l’autorisation, et enfin, pour ne pas avoir construit un pont au-dessus du canyon qui sert de limite avec l’aire naturelle (Río Negro, 1/02/2013). Malgré cela, en décembre 2013, une visite du puits par les auteurs de ce rapport, confirme que les travaux pour la construction du pont n’ont toujours pas été réalisés, et le montant final de la sanction annoncée reste encore indéterminé. Néanmoins, la révélation des faits dénoncés et leur gravité n’ont pas eu d’incidence sur Total qui, seulement un an après les contestations, a décidé de corriger la situation à sa façon en déplaçant le puits dédié aux eaux de reflux et le processus de traitement des eaux à l’extérieur des terres de la puestera. A ce moment là, le puits avait déjà été fracturé (Río Negro, 18/12/2013). Par ailleurs, une autre plainte déposée par Fittipaldi est encore en attente de jugement. Celle-ci concerne un sujet de fond puisqu’elle porte sur l’incompatibilité entre l’aire protégée et l’exploitation d’hydrocarbures ; une activité qui s’oppose à l’objectif de conservation à long terme de l’aire protégée d’Auca Mahuida. Elle porte également sur la demande d’entrée en vigueur du principe juridique de précaution sur lequel repose le droit de l’environnement. De plus, d’autres plaintes, déposées par la député provinciale Beatriz Kreitman, ont été déclarées comme non recevables par la justice (Río Negro, 21/03/2013).

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Restriction des visites, résistance des autorités et sanctions publiques Au mois de mars 2013, les employés de la DANP ont organisé une visite sur l’aire protégée Mahuida avec pour objectif de rendre compte de la situation à la population. Quelques jours avant la visite programmée, la Direction provinciale des ressources naturelles a limité l’accès à la réserve par « mesure de sécurité » contre le braconnage qui affecte l’aire (Río Negro, 12/03/2013). Bien que l’entrée de braconniers soit une problématique historique, le gouvernement n’avait jamais pris de mesure d’une telle ampleur. Malgré tout, la visite de l’aire a pu être menée. La forte réaction populaire qui suivit a poussé la Commission de l’environnement de l’Assemblée législative provinciale à demander des informations au gouvernement concernant le contrôle de l’aire naturelle et à annoncer une visite. La présidente de la Commission, Graciela Muñiz Saavedra (favorable au gouvernement) déclara que l’aire devait être sectorisée et elle souligna les interdictions établies dans le Plan d’aménagement de l’aire (Río Negro, 28/03/2013). Après ces annonces, aucune suite concrète n’a été donnée pour rendre effectif ce fameux Plan d’aménagement, qui a mis si longtemps à être adopté. Cette ambiguïté gouvernementale et le lien étroit avec les entreprises prennent donc une nouvelle dimension à travers ses interactions avec le secteur technique de la DANP. Comme cela a été mentionné, la DANP avait émis un avis défavorable concernant le puits envisagé par Total, à la fois pour des raisons de procédures et de risques. Le fait que cet organisme fasse son travail n’a pas été apprécié, ni par ses autorités, ni par les représentants de l’entreprise. Lors d’un entretien avec les auteurs, l’équipe technique de la DANP a relaté comment les fonctionnaires ont commencé à harceler les employés. Au début de l’année 2013, quelque mois après avoir émis leur avis défavorable, un processus d'instruction a été initié à leur encontre (processus administratif avec possibilité de sanction pour faute grave) : les représentants de Total ont dénoncé avoir été extorqués pour qu’un contrat soit passé avec une ONG. L'accusation fantaisiste est rejetée par les employés qui expriment l’isolement grandissant auquel ils doivent faire face pour réaliser leur travail. A l’heure actuelle, l’enquête suit son cours. Par conséquent, la sanction est un élément qui limite encore davantage les employés dans l’exercice rigoureux de leur travail puisqu’elle porte atteinte aux objectifs mêmes de leur fonction au sein de l’organisme de conservation. Ceci constitue une preuve claire de la volonté de développer Vaca Muerta dans son ensemble, en allant jusqu’à réduire la capacité régulatrice de la sphère publique dans une zone aussi vulnérable que peut l’être une aire naturelle protégée. Par exemple, alors que les 11 aires naturelles protégées occupent 2,6 % de l’ensemble du territoire de la province de Neuquén, Total possède une influence voire un contrôle via ses permis sur presque 6 % de celui-ci. Il est important de noter qu’au-delà du puits foré à l’intérieur de l’aire protégée, de nouveaux puits non conventionnels se trouvent également à proximité : sur le permis de San Roque (Total), Rincón de la Ceniza (Total), Bajo del Choique (ExxonMobil), Águila Mora (Shell), entre autres. Les employés de l’aire protégée n’ont eu accès à aucun des rapports environnementaux correspondants.


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Développement sélectif

Le permis de San Roque, opéré par Total depuis 1994, est une des concessions les plus importantes de l’entreprise : elle a représenté près de 22 % de son extraction de gaz au niveau national (secrétariat de l’Energie de la Nation). Néanmoins, ces bénéfices extraits de la région ne sont pas vraiment compatibles avec le bien-être de la population vivant à proximité du gisement Aguada San Roque. Lors d’un entretien avec les auteurs, Viviana Moyano, présidente de la Commission de développement d'Aguada San Roque, explique que le degré d’intégration des habitants est faible voire inexistant, et que la majorité d’entre eux travaille dans le secteur public ou dans l’élevage. C’est seulement l’an passé, après plusieurs demandes auprès de Total, que deux habitants locaux ont été employés par l’entreprise. À cela, l’entreprise répond que les habitants ne possèdent pas les compétences nécessaires et bien que plusieurs sessions de formation aient

Cependant, d’autres acteurs eux s’écoutent les uns les autres, et parviennent, semble-t-il, à passer des accords. En mars 2014, la présidente argentine, Cristina Fernández de Kirchner, en visite officielle en France, a eu une seule rencontre avec un acteur privé à Paris : une réunion avec le PDG de Total, Christophe de Margerie, afin de discuter des projets à venir. D’après la presse, Margerie aurait présenté les perspectives de l’entreprise concernant Vaca Muerta et les gisements offshore : « (…) il faut lancer la Terre de Feu et Neuquén avec l’exploitation du gaz non conventionnel : c’est le pari de la prochaine décennie ! ». L’entreprise à également annoncé son intention d’investir dans des usines afin de réduire la quantité d’équipements importés et les coûts des nouveaux projets (Télam, 19/03/2014).

été organisées, la situation reste la même. Moyano définit la relation avec Total comme positive et non problématique mais admet aussi qu’elle ne fait que rallonger la liste de problèmes en attente d’être résolus. Moyano dénonce les problèmes d’approvisionnement en eau et en gaz, alors qu’ils vivent sur un des plus grands gisements de gaz. De plus, la route d’accès, entretenue par l’entreprise, reste bloquée lorsqu’il pleut, ce qui isole les habitants des villages voisins. Elle reste par conséquent sceptique quant à la « révolution des non conventionnels » et d’un potentiel changement par rapport aux vingt années d’exploitation de gisements conventionnels. Moyano proposé divers projets, approuvés par Total dans le cadre de son programme de Responsabilité sociale et Petit élevage à Aguada environnementale, principalement orientés sur la renégociation San Roque. Garcíasignalés auparavant. Ceci inclut la construction © Carolina des contrats d’une piscine, la mise en place du réseau électrique ainsi que des projets productifs (comme la plantation d’espèces de plantes locales… pour remplacer celles détruites lors des opérations de nivellement de terrain réalisées par les pétroliers). Ce dialogue direct se mène sans médiation de la province qui envoie, selon Moyano, de maigres ressources sur des aspects prédéterminés puisque dans le secteur de la production, il n’existe aucune consultation ni participation de la communauté dans son ensemble. Elle conclut de la manière suivante : « Nous devrions être dans une meilleure situation, mais personne ne nous écoute ».

Bassin de décantation à ciel ouvert de Total à Aguada Pichana. © Observatorio Petrolero Sur

Petit élevage à Aguada San Roque. © Carolina García Maison à Aguada San Roque, zone de permis de Total, en bordure de l’aire protégée. © Carolina García

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Shell, nouvel opérateur en Patagonie Basée en Argentine depuis 1914, Shell est une des entreprises d’exploitation d’hydrocarbures dont l’historique dans le pays est le plus chargé. Longtemps centrée sur le raffinage et la commercialisation (elle contrôle une des usines les plus importantes, située au sein du Pôle Pétrochimique Dock Sud, et plus de 300 stations service à travers le pays), ces deux dernières années ont été marquées par un changement de sa stratégie d’entreprise puisque Shell se focalise désormais également sur l’extraction d’hydrocarbures et notamment l’extraction d’HNC dans la zone d’exploitation de Vaca Muerta, située dans la province de Neuquén. Bien que l’entreprise compte une participation sur des permis d’exploitation de gaz dans le nord du pays, avec les investissements réalisés à la fin de l’année 2011 dans le secteur pétrolier, Shell espère devenir une entreprise intégrée présente dès l’étape de production, jusqu’à la distribution en passant par le processus de raffinage. Cependant, la réalisation de cet objectif passe par l’expansion de ses opérations sur des régions dédiées à la production agricole ainsi que sur les aires protégées. À cela s’ajoutent des erreurs et omissions considérables de la part de l’entreprise dans les procédures d’attribution des permis, comme cela sera étudié par la suite.

Site de traitement des déchets d'YPF. © Ike Teuling

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Shell et les hydrocarbures non conventionnels à Neuquén L’objectif de l’entreprise concernant l’exploitation de gaz et huiles de schiste en Argentine fait partie d’une stratégie globale de développement des ressources non conventionnelles (Heinrich Böll Stiftung, 2011). Ainsi, Shell a entrepris des projets aux Etats-Unis, au Canada, en Afrique du Sud, en Algérie, en Egypte, en Chine, en Australie ou encore en Ukraine, entre autres. En parallèle, l’entreprise a financé des centres de recherche, tant en Europe comme aux Etats-Unis, et leur travail est de démontrer la « sécurité » de la fracturation hydraulique pour tenter de répondre aux fortes critiques et controverses autour de cette technique (Platform, 2013). En Argentine, la présence de Shell était pratiquement nulle sur le territoire de la Patagonie jusqu’à la fin de l’année 2011, date à partir de laquelle l’entreprise a commencé à s’étendre de manière exponentielle alors même que paraissaient les premières nouvelles concernant le potentiel de Vaca Muerta. Depuis, Shell a obtenu des participations dans 5 concessions exploratoires (qui représentent un total d’environ 1000 km²) où, jusqu’à présent, 11 puits ont été forés et fracturés dont 7 par Shell et les autres par Total. Dans tous ces cas, mise à part la concession Cruz de Lorena, opérée également par Shell CAPSA, la participation se fait au travers de sa filiale O&G Developments S.A. La première étape a été la création, tout en gardant la majorité du portefeuille d’actions et des opérations, d’une joint-venture avec l’entreprise provinciale GyP et l’entreprise argentine Medanito (cette dernière compte avec la participation de 20 % de la Société financière internationale, filiale de la Banque mondiale) afin d’explorer les concessions Sierras Blancas (166 km2) et Águila Mora (176 km2) (Río Negro, 15/12/2011). Dans le même temps, au mois de mars de l’année suivante, Shell a acheté la concession Cruz de Lorena (158km2), toute proche de Sierras Blancas. De plus, elle a signé un accord avec GyP, l’entreprise titulaire, afin de procéder au forage de trois puits exploratoires (Río Negro, 29/3/2012). Enfin, en mars 2014, Shell a acquis 42, 5 % des concessions La Escalonada (241 km2) et Rincón de las Cenizas (221 km2) qui appartenaient principalement à Total. L’entreprise française continue néanmoins à être l’opérateur avec 42,5 % du titre de propriété ; les 15 % restants restent aux mains de GyP (El inversor Online, 31/03/2014).

Tour de forage à Rincon la Ceniza. © Ike Teuling

Shell a annoncé un triplement de ses investissements dans la zone en 2014, une somme qui dépasse US$ 500 millions

Entrée du site à Aguila Mora. © Ike Teuling

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Courant 2013, Shell a annoncé la découverte d’un deuxième gisement d’hydrocarbures sur la concession Sierras Blancas, une découverte issue des puits terminés au début de cette même année (La Mañana Neuquén, 25/05/2013). Jusqu’à présent, selon le Secrétariat d’État aux mines et aux hydrocarbures de la province, trois puits auraient été fracturés à Sierras Blancas, trois autres à Águila Mora et un à Cruz de Lorena. Les bons résultats de ces prospections ont montré la voie à Shell pour augmenter ses investissements et, lors d’un entretien avec l’agence Bloomberg, l’entreprise a annoncé qu’elle triplerait le montant de ses investissements dans les HNC en 2014, une somme qui dépasse les 500 millions de dollars (10/12/2013). En raison de ces flux financiers et de leur portée, Shell est devenu un acteur important à Vaca Muerta. Néanmoins, l’affectation de ces investissements tout comme les intentions plus générales de l’entreprise demeurent inconnus. En effet, sur le site internet de Shell Argentine, il n’existe pas de données exhaustives concernant les projets, les technologies utilisées, ni les mesures prévues afin de limiter leur impact, et aucune mention n’est faite sur les conséquences sociales de l’exploitation d’hydrocarbures sur ces territoires. Seul un

Puits non conventionnel de Shell à Aguila Mora. © Ike Teuling

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communiqué de presse datant de 2012 a été publié en ce qui concerne « l’exploration puis l’exploitation de gisements non conventionnels de pétrole et de gaz dans le Bassin de Neuquén » (Shell, 08/06/2012). Comme dans le cas de Total exposé dans le chapitre précédent, il est important de noter que le titulaire de ces nouvelles concessions est Gas y Petróleo de Neuquén (GyP), entreprise provinciale dont à la fois le fonctionnement et les financements sont inconnus. La signature de contrats avec Shell et d’autres opérateur se fait sans communication ni appel d’offre public, ce qui explique pourquoi les conditions imposées par Shell (ou d’autres opérateurs) ne sont pas révélées dans leur ensemble. Cette opacité est de mise à tous les niveaux car, comme nous le verrons, Shell n’a pas rendu public le fait que deux de ses permis (Águila Mora y Rincón de las Cenizas) affectent des aires protégées, ni qu’un autre de ses permis (Sierras Blancas) se développe sur des terres agricoles sans respecter les zones d’élevage traditionnel. Ainsi, il est possible d’affirmer que sur trois des sept rapports environnementaux réalisés, la procédure compte de nombreuses omissions, erreurs ainsi que des vices de procédure.


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Carte des permis de Shell dans la province de Neuquén

Buta Ranquil

Rincón de los Sauces

Chos Malal

4 Formations de schiste de Vaca Muerta et Los Molles

1

5

Plan général d'aménagement d'Auca Mahuida

3

Añelo

Aire protégée d'Auca Mahuida

2

Zapala

Shell à Neuquén

Cipolleti

Cutral Có

Neuquéén Neuqu Neuquén

Va. El Chocón

Permis, opérateur et entreprises associées 1. 2. 3. 4. 5.

Águila Mora: Shell – GyP, Medanito, Shell. Sierras Blancas: Shell – GyP, Medanito, Shell. Cruz de Lorena: Shell – GyP, Shell. La Escalonada: Total – GyP, Total, Shell. Rincón La Ceniza: Total – GyP, Total, Shell.

0

25

50

75km

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Avancée sur des terres d’élevage, de production de vins et de fruits

Les concessions Cruz de Lorena et Sierras Blancas sont voisines de Loma Campana, la concession qui résulte de l’accord YPFChevron et qui semble être celle au plus fort potentiel dans la formation de Vaca Muerta. La concession de Sierra Blancas est celle qui concentre la plus grande activité (4 puits fracturés pour le moment) et son exploitation affecte directement la ville de San Patricio del Chañar, située au sein d’une région maintenant fortement concernée par l’exploitation d’hydrocarbures alors que l’industrie pétrolière n’était pas présente auparavant. La ville s’est construite à la fin des années 1960 autour de l’activité agricole grâce à l’irrigation à partir du fleuve Neuquén. Bien qu’elle se soit initialement développée à travers la culture de la pomme de terre, aujourd’hui, l’activité principale se centre autour de la culture de vignobles et de vergers. Faisant partie du long couloir de la Patagonie, ces activités impliquent également la localité voisine de Añelo, tout comme certaines régions des provinces de La Pampa et Río Negro. Cependant, ces activités traditionnelles doivent désormais laisser la place à l’industrie d’exploitation des hydrocarbures. La transformation qu’implique le changement de production et l’orientation vers les HNC a été portée par Shell, qui a assuré la promotion et le financement de formations au travers de son programme de responsabilité sociale d’entreprise. Dans ce cadre, depuis 2013, et en accord avec la municipalité, un séminaire est organisé afin d’améliorer l’employabilité des résidents de la zone au sein de l’industrie pétrolière (La Mañana Neuquén, 17/12/2013). Bien que Shell reconnaisse la pré-existence du secteur viticole, constitué par d’importants entrepreneurs locaux, il n’en est pas de même pour la reconnaissance d’autres acteurs bien présents : les puesteros criollos.28 Lors d’entretiens réalisés avec des habitants affectés par l’activité pétrolière (et notamment des familles qui ont toujours fait usage de la steppe pour le petit élevage), ces derniers ont dénoncé l’imposition des projets tout comme leur développement sur leurs terres sans aucune considération pour leurs activités traditionnelles, et sans la moindre consultation. Un des habitants, Ceferino Flores, dont la maison se situe à une centaine de mètres des puits, a énuméré quelques-uns des problèmes quotidiens auxquels ils doivent faire face depuis l’arrivée de Shell sur leur territoire : « Ils ont ouvert de nombreuses routes, le terrain est devenu incontrôlable, on ne sait pas qui entre ni qui sort. Sur plus de 5000 animaux que nous avions alors que mon père était encore en vie [il y a quelques années], nous n’en avons plus que 260 maintenant ». Shell n’ignore pas l’existence de ces habitants puisque l’entreprise mentionne les localités et activités économiques dans ses rapports environnementaux. Cependant, elle n’établit aucun type de relation, de compensation ou de mitigation avec les familles présentes et qui sont affectées par l’atteinte directe à l’environnement. Cette dégradation est évidemment causée par l’industrie pétrolière puisque son installation implique nécessairement un processus de défrichement, qui réduit les zones de pâturage disponibles.

28 Puesteros : personnes habitant la région et vivant principalement de l’élevage extensif, en se déplaçant avec leurs troupeaux sur de larges étendues. Criollos : Populations d'origine européenne habitant en Amérique Latine, en opposition aux communautés autochtones dites « originaires » ou « indigènes ».

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Selon la famille Flores, aux défrichements, il faut ajouter les défaillances techniques qui se produisent : filtration du réservoir dans le sous-sol ; déversement sur les routes, par les camions lors de leur sortie des puits, de liquides dont on ne connaît pas le contenu ; tâches de pétrole clairement visibles sur le terrain. Bien que les habitants manifestent leur volonté de négocier un accord avec Shell, ils soulignent le manque de dialogue avec l’entreprise et les faibles bénéfices obtenus face aux besoins de première nécessité qui restent insatisfaits. Il s’agit notamment de l’approvisionnement en eau et d’installations électriques, toujours inexistants pour eux alors que, pour ses activités, l’entreprise a mis en place ces services à proximité. Il faut noter que les échanges avec l’entreprise se réalisent sans la présence de l’État. Les habitants soutiennent qu’aucun fonctionnaire n’a vraiment été présent sur la concession. Les informations concernant les premiers puits confirment ces faits en révélant que les inspecteurs du Secrétariat d’État à l’environnement et au développement durable ne se sont rendus sur la concession qu’une seule fois. D’une manière générale, les zones de vignes et de fruits de San Patricio del Chañar se sont développées à partir d’une stratégie de diversification de la production de la province. Mais l’avancée de l’exploitation des hydrocarbures dans des régions basées sur une économie de subsistance met en péril la sécurité alimentaire et la possibilité pour les habitants de maintenir leurs sources de revenus. Même s’il est vrai que Shell a mis en place des programmes de formation, l’entreprise forme selon ses besoins. De plus, étant donné sa faible capacité d’absorption de main d’œuvre, l’insertion des habitants dans l’industrie pétrolière semble peu probable.

Oiseau mort dans un container, sur le site de Shell à Sierras Blancas. © Ike Teuling


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Shell et l’aire protégée Auca Mahuida

Rapports environnementaux : imprécisions et violations des procédures

Les caractéristiques de l'aire protégée d'Auca Mahuida, le vide juridique qui l'entoure, et les difficultés rencontrées par les techniciens et experts chargés de sa protection ont été détaillés dans le chapitre sur Total.

L'imposition et la façon de procéder si arbitraire de Shell se manifestent également quand il s'agit de respecter le cadre légal en vigueur. Le rapport environnemental présenté en janvier 2012, concernant le premier puits sur le permis Sierras Blancas, servira d'exemple pour analyser à la fois la gestion entrepreneuriale de Shell et le manque de contrôle gouvernemental. Le document, approuvé de façon conditionnelle, a été divisé en deux parties - perforation et fracturation – , avec une analyse séparée des impacts de ces deux phases. cette manière de procéder ne fait qu'aggraver ce problème récurrent de vision parcellée en remettant en cause une évaluation cumulative et globale. En séparant ces deux phases, cette méthodologie d’approbation considère chaque nouvelle activité comme des modifications permanentes du projet initial ce qui aboutit, à des incohérences et informations contradictoires à propos de l'étape de fracturation. Par ailleurs, ce rapport a été approuvé de façon conditionnelle : comme indiqué dans le cas de Total, cette pratique va à l'encontre de ce que stipule la législation en vigueur (article 12 de la Loi générale sur l'environnement Nº 25.675) puisque les rapports environnementaux ne peuvent être approuvés que dans leur intégralité ou totalement rejetés (Río Negro, 5/01/2013).

Pour le moment, Shell a perforé trois puits non conventionnels sur la concession Águila Mora alors que trois autres sont en cours de construction. Comme dans le cas de Total, cette avancée se déroule dans d’une zone qui ne comptait aucun antécédent d’exploitation d’hydrocarbures. Les puits se trouvent à proximité immédiate des frontières de l’aire naturelle protégée. Néanmoins, si le Plan d’aménagement de l’aire est approuvé, ces puits se situeront au sein même de l’aire, voire sur une « zone intouchable » (aussi appelée « zone intangible ») en ce qui concerne le premier puits. Cette région est extrêmement précieuse en termes de conservation selon le zonage établit par le Plan d’aménagement de l’aire qui, bien qu’il n’ait jamais été approuvé, est considéré comme le règlement par les employés de la Direction de l’aire naturelle protégée. Le Plan d’aménagement définit que l’aire naturelle protégée « abrite un secteur où les sols sont extrêmement fragiles et présentent de forts risques d’érosion, et à l’ouest de l’aire, des sols à la capacité d’infiltration et de rétention d’eau. Le Plan inclut également le principal point d’eau permanent de la réserve, Aguada Antigua, tout comme les sources alimentant un bassin situé à Rincón del Palo Blanco. La « zone intouchable » inclut une partie de l’habitat le plus adapté pour les populations de guanacos, de nandous, de maras et de chinchillas, et probablement des espaces de reproduction pour les condors et d’autres oiseaux des hauts plateaux andins » (2000: 8). L’activité pétrolière dans cette région devrait être particulièrement limitée : « Des activités productives ou extractives ne pourront pas se développer sur la zone intangible. Les activités scientifiques restent excluent de cette partie de l’aire, sauf si elles présentent un intérêt pour la gestion de la réserve, qui servira par ailleurs comme zone de contrôle afin d’évaluer l’impact des techniques utilisées dans d’autres secteurs de l’aire protégée » (2000:7). S’il est vrai que le rapport environnemental de Shell datant de 2013 mentionne la dite « zone intangible », l’entreprise prend en compte les limites actuelles et non pas celle prévues dans le Plan d’aménagement de l’aire, tirant à nouveau profit du vide juridique mentionné auparavant.

Faune à Auca Mahuida - Vultur gryphus. © Sergio Goitía

En ce qui concerne le rapport environnemental, les observations du Secrétariat à l'environnement et de la Direction provinciale des ressources hydriques pointent du doigt le manque de documentation de base pour le développement du projet. Parmi les critiques de ces organismes de contrôle, de nombreuses irrégularités sont signalées, notamment : des imprécisions sur la distribution et localisation des installations ainsi que sur les zones arides et les zones où se trouvent les ressources en eau, un manque d'information concernant la gestion des déchets et un manque de données sur le puits artificiel sensé recevoir les eaux de reflux, ou encore le manque d'autorisations de la part des municipalités. Quant à la fracturation hydraulique, il n'existe aucune précision sur le volume et la façon de traiter les eaux de reflux, ni les fiches de données de sécurité des produits chimiques.

Tête de puits à Sierras Blancas, site opéré par Shell. © Observatorio Petroleo Sur Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine /

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La réponse de Shell sur ces différents manquements à la loi a été de refuser d'apporter davantage de précision. L'entreprise a simplement réitéré les propos qu'elle avait déjà tenus, et l'autorité de contrôle n'a exprimé aucune opposition. De plus, l'adaptation aux exigences et à la norme en vigueur n'a pas non plus été mise en place pour le deuxième puits, pour lequel le rapport a été présenté plusieurs mois après que les nombreux manquements concernant le premier puits aient été signalés. Il semblerait que les organes de contrôle maintiennent la même rigueur que Shell concernant le respect des normes et des procédures. Ainsi, le degré de docilité et de perméabilité entre Shell et la sphère publique est clairement révélé par ces quelques exemples. Tout d’abord, Shell a signalé l’avancement de ses projets une fois

les travaux réalisés, ce qui va à l’encontre de toutes les législations en vigueur. Cependant, le Secrétariat à l’environnement approuve les nouveaux plans et se contente de préciser que « pour les présentations à venir, il sera nécessaire de mentionner les modifications qui seront apportées avant leur réalisation » (Ministère de l’Énergie, de l’Environnement et des Services publics, 2012: 34). Aussi, les dimensions du réservoir d’eau varient entre le rapport environnemental présenté par Shell en août 2012, et les dimensions enregistrées par le Secrétariat à l’environnement dans son rapport d’inspection datant d’octobre de la même année. Il s’agit là d’un élément qui n’a pas été pris en compte par l’autorité d’application, et par conséquent, aucune mesure n’a été adoptée.

Flore à Auca Mahuida. © Sergio Goitía

Déchêts sur le site de Shell à Sierras Blancas. © Ike Teuling

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Principales recommandations 1 A u x p o u v o i r s p u b l i c s f r a n cc a i s , e u r o p é e n s e t a r g e n t i n s Concernant les activités des multinationales européennes : •

Adopter des législations contraignantes imposant des responsabilités juridiques aux entreprises, qui s'appliquent aussi aux activités de leurs filiales et sous-traitants à l'étranger. Ce cadre légal doit inclure un devoir de vigilance qui oblige les compagnies à identifier, prévenir, atténuer et rendre compte des incidences de leurs activités sur les droits de l'Homme.

Imposer aux entreprises un reporting financier et extra-financier pays par pays, pour que les multinationales cessent de profiter des paradis réglementaires, fiscaux et judiciaires, qui facilitent leur main mise sur les biens naturels.

Garantir que les fonds publics ne soient ni à l’origine de violations des droits de l’Homme, ni des droits des travailleurs, ni de l’environnement, en rendant obligatoire la réalisation d’études d’impacts indépendantes concernant l’environnement et les droits de l’homme en amont du financement de projet, et un suivi exigeant assorti de sanctions en aval.

Concernant les industries extractives : •

Garantir l’accès de tous à des informations complètes et compréhensibles concernant les projets miniers et pétroliers. Mettre en place des mécanismes de plaintes appropriés aux réalités locales.

Respecter les droits des communautés, et leur place centrale dans les prises de décision concernant les biens naturels se trouvant sur leur territoire. Obtenir leur consentement libre, préalable et informé avant tout octroi de permis gazier, pétrolier ou minier.

Interdire les projets gaziers, pétroliers et miniers dans les zones d'intérêt écologique officiellement protégées, les zones déclarées Patrimoine mondial de l’Humanité ou représentant un intérêt culturel ou religieux important, et les zones de conflits ou à risque de conflit imminent.

Interdire l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures "non conventionnels" (gaz et huiles de schiste, tight gas, gaz de couche, sables et schistes bitumineux, pétrole lourd), quelle que soit la technique utilisée.

Prendre en compte de manière spécifique, dans la réglementation française et européenne, les différents hydrocarbures « non conventionnels », en reconnaissant la haute intensité en carbone des carburants qui en sont issus.

Adopter et mettre en œuvre, au niveau français et européen, des politiques ambitieuses et contraignantes pour mettre fin à la surconsommation de métaux et d’hydrocarbures, en favorisant la sobriété et l’efficacité énergétique, ainsi que le recyclage, le réemploi et la réparation.

Imposer un moratoire sur le financement par la Banque européenne d'investissement (BEI), de tout projet énergétique et minier, jusqu'à ce que la BEI ait complètement adopté les recommandations de la Revue des industries extractives de la Banque Mondiale. S'assurer que des mécanismes appropriés sont mis en place pour garantir leur mise en œuvre.

2 Aux compagnies extractives et aux banques privées •

Suspendre et arrêter d'investir dans les projets fossiles et miniers les plus controversés, notamment les projets d’exploitation de pétroles et gaz « non conventionnels » qui menacent la santé des populations, leurs moyens de subsistance, détruisent l'environnement et dont l'impact climatique est désastreux.

Prendre des engagements ambitieux et planifiés d'investissements dans les énergies renouvelables propres, et les mettre en œuvre.

Développer une stratégie de long terme pour un abandon complet des investissements dans les énergies fossiles.

30 http://www.eib.europa.eu/attachments/thematic/extractive_industries_en.pdf

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21/03/2013: “Reclamo por Auca Mahuida”. Sur internet : http://www.rionegro.com.ar/diario/reclamo-por-aucamahuida-1102628-9701-nota.aspx Repousser les limites - La ruée vers les gaz et huiles de schiste en Patagonie argentine /

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www.amisdelaterre.org Ce rapport a été réalisé dans le cadre d’une campagne commune entre Les Amis de la Terre France, Les Amis de la Terre Europe, Milieudefensie et l’Observatorio Petrolero Sur. Il est disponible en ligne ici : www.amisdelaterre.org/rapportargentine. Les Amis de la Terre France ont également produit un documentaire sur le sujet : Terres de schiste. Pour plus d'informations sur la campagne et le documentaire : www.terresdeschiste.fr


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