La Baleine 170 - Déchets, une seule solution : la prévention !

Page 1

Depuis 1971

3,20 € / Eté 2012 N°170

www.amisdelaterre.org

Déchets Une seule solution, la prévention !

Les Amis de la Terre


3

2

Édito

Le changement, c’est maintenant ? Ces dernières semaines ont été riches en événements politiques… Un nouveau président, de nouveaux députés et, en peu de temps, deux ministres de l’Ecologie ! Nicole Bricq a fait un bref passage à ce ministère et a été remplacée par Delphine Batho sans avoir eu l’occasion d’y poser sa marque. L’écologie reste donc le parent pauvre du gouvernement : après avoir été abandonné par NKM – devenue porte-parole de l’ex président-candidat –, le ministère donne l’impression de servir de variable d’ajustement pour les personnalités que le nouveau chef d’État souhaite avoir dans son gouvernement. La Conférence environnementale est la première victime de ce manque de positionnement politique sur la thématique qui est la nôtre. Alors que le candidat François Hollande!avait annoncé qu’il souhaitait mettre le dialogue environnemental au même niveau que le dialogue social, la réalité montre qu’on est loin du compte. Au jour où j’écris ces lignes (fin juin), ni le timing, ni les thématiques, ni les modalités ne sont encore établis. Même constat en ce qui concerne les négociations internationales sur le climat. Le sommet de Rio+20 a vu triompher les puissances économiques et financières qui ne voulaient surtout pas d’un accord qui aurait pu contraindre leurs projets et nuire à leurs intérêts. Du coup, les seuls engagements pris consistent à annoncer qu’on décidera... plus tard ! A contrario, les thématiques développées au Sommet des Peuples – conférence alternative organisée à Rio en parallèle au sommet de l’ONU – ont connu un remarquable succès médiatique, notamment notre campagne sur la financiarisation de la nature. Les journalistes commenceraient-ils à percevoir ce que nous savons déjà depuis longtemps, à savoir que le changement viendra par la base, par le peuple ? Car, dans cette désespérante morosité, nous ne nous décourageons pas. Nous avons eu en Avignon, début juin, une Assemblée fédérale des plus encourageantes. Dans un cadre très agréable, et avec un accueil très sympathique du groupe local du Vaucluse, nous avons tous “planché” sur les pistes d’élargissement du réseau, d’amélioration des échanges entre les groupes locaux et entre les groupes et le “national”. Il s’agissait aussi de trouver des idées pour favoriser l’implication de tous dans nos campagnes et nos mobilisations, de renforcer notre image et notre communication. Les idées ont fusé, démontrant que l’énergie militante reste intacte, voire renforcée. > MARTINE LAPLANTE

Avignon, juin 2012 Assemblée fédérale des Amis de la Terre France

Présidente des Amis de la Terre France

Conférences-débats

Pour une sortie du nucléaire immédiate 7 > 10 FRANCE > Politiques publiques

Stop aux subventions contre-nature Prix Albert-Londres

“Zambie, à qui profite le cuivre ?” > L’UE et les OGM Désaccords d’experts sur l’interdiction française du MON810 > Pétrole et gaz de schiste Et c’est reparti pour un tour… > Ressources Refusons la surconsommation et l’accaparement de terres Deuxième forum européen

Non aux grands projets inutiles !

11 > 17 DOSSIER Déchets Une seule solution, la prévention > Recyclage Le traitement des déchets,

c’est pas du propre Tendance Tri mécano biologique : trop beau pour être vrai > Initiatives Redevance incitative : l’expérience de Manspach > Déchets organiques Je composte, tu compostes, il composte… > Alternatives Donnons une seconde vie à nos objets, pensons à la réparation ! > Emballages alimentaires Des commerçants disent stop au gaspillage Contre le suremballage “Le levier financier est le plus efficace” 18 ACTIONS > Assemblées générales de grands groupes français Dénoncer

les activités controversées

19 LE COIN DES LIVRES > Areva en Afrique, de Raphaël Granvaud

> Un nouveau site pour les Amis de la Terre 20 PRATIQUES

> Acheter sans plastique… le parcours du combattant > Humeurs Ça sent le roussi Depuis 1971

“Se ranger du côté des baleines n’est pas une position aussi légère qu’il peut le sembler de prime abord.” Trimestriel • Eté 2012 • n°CCPAP : 0312 G 86222 (en cours de renouvellement) Direction de la publication Martine Laplante Rédaction en chef Lucile Pescadère Comité de rédaction Sophie Chapelle, Philippe Collet, Alain Dordé, Caroline Hocquard, Laurent Hutinet, Caroline Prak Ont collaboré à ce numéro Les Amis de la Terre Haute-Loire, Claude Bascompte, Camille Lecomte, Philippe Le Corneur, Juliette Renaud, Eric Meunier, Ronack Monabay, Annelaure Wittmann, Alain Zolty Mise en pages Edwige Benoit Relations presse Caroline Prak (01 48 51 18 96) Impression sur papier recyclé Offset Cyclus 90g avec encres végétales • Stipa (01 48 18 20 50) Ce numéro comporte en encart jeté la brochure La nature n'a pas de prix ! publiée en juin 2012 par les Amis de la Terre France dans le cadre du Sommet de Rio.

Photo de couverture © Korrigan

Photos Lucile Pescadère

Martine Laplante, présidente Christian Berdot, vice-président Bénédicte Bonzi, secrétaire fédérale Gérard Eripret, trésorier Geneviève Santelli, trésorière adjointe

Suppléants Thierry Avramoglou, Claude Bascompte, Marie-Christine Gamberini, Lucile Pescadère, Henry Tidy

officielle, les peuples se mobilisent > Changer de paradigme Poser les bonnes questions pour remettre en cause la croissance perpétuelle > Japon Le gouvernement s’acharne à relancer le nucléaire

Le Courrier de la Baleine n°170

L’assemblée fédérale des Amis de la Terre France s’est tenue les 2 et 3 juin derniers en Avignon. Au cours de ce temps de réflexion et de convivialité, les membres des groupes locaux ont élu leurs représentants au conseil fédéral, dont voici la liste :

Alain Dordé, Olivier Dubuquoy, Christian Foilleret, Alexandre Mourot, Véronique Sinou, Annelaure Wittmann, Alain Zolty

4 > 6 INTERNATIONAL > Rio+20 Face à l’échec de la conférence

La Fédération des Amis de la Terre France est une association de protection de l’Homme et de l’environnement, à but non lucratif, indépendante de tout pouvoir politique ou religieux. Créée en 1970, elle a contribué à la fondation du mouvement écologiste français et à la formation du premier réseau écologiste mondial - Les Amis de la Terre International - présent dans 77 pays et réunissant 2 millions de membres sur les cinq continents. En France, les Amis de la Terre forment un réseau d’une trentaine de groupes locaux autonomes, qui agissent selon leur priorités locales et relaient les campagnes nationales et internationales sur la base d’un engagement commun en faveur de la justice sociale et environnementale. Nos sites internet • www.amisdelaterre.org • www.renovation-ecologique.org • www.ecolo-bois.org • www.produitspourlavie.org • www.prix-pinocchio.org • www.financeresponsable.org Contactez-nous Les Amis de la Terre - France • 2B, rue Jules-Ferry, 93100 Montreuil • 01 48 51 32 22 • france@amisdelaterre.org


4

INTERNATIONAL

INTERNATIONAL

5

Changer de paradigme Poser les bonnes questions pour remettre en cause la croissance perpétuelle

© Natacha Cingotti

Lors de la Marche des femmes, le 18 juin dernier à Rio – l’une des nombreuses mobilisations de cette semaine.

En 1972, le Club de Rome publiait le rapport Meadows, connu en français sous le titre Halte à la croissance. L’étude, devenue depuis incontournable, fut l’une des toutes premières à présenter les limites des ressources naturelles et à démontrer le caractère irréaliste d’une croissance perpétuelle dans un monde fini. Quarante ans plus tard, Dennis Meadows vient en France présenter l’édition actualisée de l’ouvrage¹. Il constate d’emblée un échec à maintenir l’empreinte écologique globale dans le cadre des limites planétaires. En 1965, l’humanité avait besoin de l’équivalent de 0,7 planète pour ses activités, aujourd’hui elle en consomme 1,5. En quatre décennies, le message du rapport Meadows a donc été singulièrement modifié. “Dans les années 1970, l’objectif était de ralentir le système avant qu’il ne franchisse des limites considérées alors comme inatteignables ; aujourd’hui, le problème est bien plus compliqué puisqu’il s’agit de revenir dans ces mêmes limites en évitant conflits et catastrophes”, explique l’auteur.

Rio+20 Face à l’échec de la conférence officielle, les peuples se mobilisent Alors que les négociations officielles se sont conclues avec l’adoption d’une déclaration marquée par son extrême faiblesse, le Sommet des Peuples a été un événement réussi et mobilisateur.

Une semaine de mobilisations La délégation des Amis de la Terre réunissait près de cinquante personnes, venues d’une vingtaine de pays, reflétant la diversité et la richesse de la fédération internationale. Le choix avait été fait de concentrer les efforts sur le sommet alternatif, et c’est ainsi que Les Amis de la Terre, au premier rang desquels bien sûr les membres brésiliens et latino-américains, s’étaient fortement investis depuis plusieurs mois dans l’organisation de cette rencontre internationale. Le résultat en valait la peine, puisque le Sommet des Peuples a accueilli en moyenne 40 000 participants par jour. Et mercredi 20 juin, lors de la journée mondiale de mobilisation, il y avait 80 000 personnes qui défilaient dans les rues de Rio. D’autres manifestations ont ponctué cette semaine de mobilisation, notamment pour dénoncer les activités et les projets de l’entreprise minière brésilienne Vale ou en solidarité avec les habitants du quartier de Vila Autodromo (à Rio de Janeiro, à quelques centaines de mètres du sommet officiel), menacés d’expulsion par un projet immobilier lié aux jeux olympiques de

2016. Chaque défilé, coloré et rythmé par les percussions et les chants des manifestants, permettait par son énergie contagieuse d’entretenir ce souffle d’espoir indispensable pour poursuivre les débats le jour suivant. L’un des objectifs du Sommet des Peuples était de renforcer l’articulation des luttes au niveau mondial et pour cela différentes assemblées “plénières de convergence” ont eu lieu. Si chacune de ces assemblées était centrée sur une thématique spécifique – telle que la souveraineté alimentaire ou l’énergie et les industries extractives – toutes suivaient néanmoins la même progression : la première séance était consacrée au décryptage des causes structurelles de la crise et des fausses solutions, la seconde aux alternatives et la dernière, à la construction d’un agenda commun de luttes et de campagnes. Il y avait une volonté réelle de sortir du cadre des combats “sectoriels” – tels que ceux contre les grands barrages, contre les agrocarburants, contre les mines ou encore contre les OGM – afin de trouver les points de convergence qui permettent d’agir de façon globale pour changer les relations de pouvoir et le système actuel. Des multinationales omniprésentes En fil conducteur s’est exprimée la volonté de lutter contre l’impunité des entreprises multinationales, mais aussi la nécessité de dénoncer et de rompre les relations de complicité qui les lient aux gouvernements du niveau local jusqu’au niveau international. C’est d’ailleurs l’un des messages centraux que portait la fédération des Amis de la Terre international, qui a lancé à l’occasion de Rio+20 la campagne “Libérons l’ONU de l’emprise des multinationales !”

En effet, le poids démesuré et grandissant des lobbies des entreprises dans les négociations internationales et dans les différentes agences des Nations unies explique pour une grande part qu’elles aillent d’échec en échec. Au lieu d’apporter des solutions concrètes et nécessaires pour le bien des peuples, chaque sommet officiel est accompagné de mesures et d’“idées phares”, souvent distillées très en amont, qui ne contribuent qu’à aggraver les crises écologique, climatique et sociale actuelles. Les grands bénéficiaires en sont les multinationales, et en premier lieu celles des secteurs de l’énergie, de l’eau et du complexe agro-industriel : si elles ont promu l’agenda de l’économie verte cette année, c’est parce que la multiplication des outils de marché et le poids croissant des acteurs financiers leur permettent de continuer à détruire l’environnement et à violer les droits des communautés, notamment grâce aux mécanismes de compensation. Et, pendant qu’on s’enlise dans la création de ces instruments au service du secteur privé, on s’éloigne de la signature d’engagements contraignants et de la mise en place des changements et des solutions indispensables. Alors que, comme on s’y attendait, le résultat de la conférence officielle est largement décevant, le bilan du Sommet des Peuples est très encourageant. Il a permis notamment de démasquer les dangers de l’économie verte et de la financiarisation de la nature, et de montrer une fois de plus que les peuples sont porteurs d’alternatives concrètes et réalistes. > JULIETTE RENAUD Chargée de campagne Finance privée

Pour en savoir plus Rejoignez la campagne “La Nature n’est pas à vendre !” ww.amisdelaterre.org/economieverte

Choisir le cheminement L’issue est selon lui inéluctable et n’offre qu’une alternative : si les hommes ne renoncent pas à la croissance économique par eux-mêmes et ne tracent pas volontairement le cheminement vers une société compatible avec les limites planétaires, la nature le fera implacablement et avec pertes et fracas. Changements climatiques, raréfaction des ressources, pic pétrolier, épuisement de la biodiversité, pénuries alimentaires ou encore crise de l’euro sont autant de prémices de l’effondrement à venir du système. Dennis Meadows en est convaincu : nous connaîtrons dans les vingt prochaines années autant de bouleverse-

© Dennis Meadows, Les Limites à la croissance, éd. Rue de l’échiquier, 2012

Beaucoup d’énergie, d’énergie positive et collective… C’est avec ces deux mots qu’on pourrait résumer l’ambiance qui s’est dégagée du Sommet des Peuples. Il s’est tenu du 15 au 23 juin à Rio de Janeiro (Brésil), en parallèle de la Conférence des Nations unies sur le développement durable. Face à l’esprit morose et au pessimisme entourant le sommet officiel de Rio+20 – qui s’annonçait comme un échec avant même d’avoir commencé –, les représentants de mouvements sociaux et d’organisations des cinq continents s’étaient donnés rendez-vous à l’Aterro do Flamengo.

© Caroline Prak/Les Amis de la Terre

La dernière version du rapport du Club de Rome sur les limites à la croissance vient d’être publiée en français. En quarante ans la situation a bien changé, rendant plus urgente la transition vers une société soutenable.

Paris, le 24 mai dernier. Lors d’une conférence publique, Dennis Meadows présente l’édition actualisée du rapport du club de Rome – quarante ans et toutes ses dents.

ments politiques, énergétiques, environnementaux et du niveau de vie qu’au cours du siècle passé. Il ne tient qu’à l’homme d’élaborer et de mettre en œuvre une société soutenable. Comment y parvenir ? “Ce n’est pas mon propos, je ne suis pas capable de donner les réponses, mais j’espère poser les bonnes questions”, répond l’auteur. Si en effet l’objet de l’ouvrage n’est pas d’offrir une solution à toutes les questions, il propose néanmoins trois lignes directrices : la sobriété, l’efficacité dans l’usage de l’énergie et des ressources et le recours aux énergies renouvelables. Il pointe aussi

Croissance mondiale de la population humaine et de certaines activités anthropiques de 1950 à 2000 évolution évolution 1950 1975 sur 25 ans 2000 sur 25 ans Population mondiale (en millions) 2 520 4 077 160 % 6 067 150 % Véhicules immatriculés (en millions) 70 328 470 % 723 220 % Consommation de pétrole (millions de barils/an) 3 800 20 512 540 % 27 635 130 % Consommation de gaz naturel (milliards de m3/an) 184 1 251 680 % 2 627 210 % Consommation de charbon (millions de tonnes/an) 1 400 3 300 230 % 5 100 150 % Capacité de production d’électricité (millions de Kw) 154 1 606 1 040 % 3 240 200 % Production de maïs (millions de tonnes/an) 131 342 260 % 594 170 % Production de blé (millions de tonnes/an) 143 356 250 % 584 160 % Production de riz (millions de tonnes/an) 150 357 240 % 598 170 % Production de coton (millions de tonnes/an) 5,4 12 230 % 18 150 % Production de pâte à papier (millions de tonnes/an) 12 102 830 % 171 170 % Production de fer (millions de tonnes/an) 134 468 350 % 580 120 % Production d’acier (millions de tonnes/an) 185 651 350 % 788 120 % Production d’aluminium (millions de tonnes/an) 1,5 12 800 % 23 190 % Sources : PRB ; American Automobile Manufactures Association ; Ward’s Motor Vehicle Facts & Figures ; Ministère de l’Energie américain ; ONU ; FAO ; CRB

la grave erreur qui consiste à se focaliser sur la technologie et à considérer qu’elle apportera une solution aux ravages causés par la surexploitation des ressources ou qu’elle en repoussera les limites. Un oxymore bien pratique Selon Meadows, si une part importante des citoyens comprend et accepte cet indispensable retour dans les limites planétaires, le plus difficile reste de concrétiser le changement – se défaire des habitudes des uns et des autres et prendre en compte l’inconfort lié au changement de repères. Dans cet exercice, la tentation de préserver la sacrosainte croissante en la repeignant de vert est une dangereuse illusion. “On doit bien comprendre que le développement durable est un oxymore qui sert de justification aux mauvaises habitudes”, alerte Dennis Meadows. “Une empreinte écologique globale à 1,5 planète, cela n’a plus de sens ; on ne peut plus chercher à ‘développer’ ce système afin qu’il ‘dure’”. Il s’agit plutôt de s’orienter vers un système résilient, une société qui puisse résister aux chocs. Pour baliser le chemin de cette mutation, il faut orienter la société en pensant à long terme. L’abandon d’un système politique basé sur le court terme, la réduction du pouvoir de la finance et le renforcement des liens sociaux, du respect et de la convivialité figurent ici > PHILIPPE COLLET en bonne place. 1 Dennis Meadows, Les Limites à la croissance (dans un monde fini), éd. Rue de l’échiquier, 2012.


INTERNATIONAL

FRANCE

Japon Le gouvernement s’acharne à relancer le nucléaire

L’annonce de la relance de deux réacteurs à Ohi a suscité de fortes réactions : une pétition appelant à l’abandon de l’énergie nucléaire a déjà réuni 7 millions de signatures, des milliers de manifestants se sont regroupés devant la résidence du Premier ministre les 15 et 16 juin, et, le 29 juin, à Tokyo, ils étaient des dizaines de milliers dans la rue. Du jamais vu ! Sur le plan international, une demande de soutien émanant des Amis de la Terre Japon et d’associations asiatiques vigoureusement opposées à tout redémarrage de centrales atomiques au Japon1 a été formulée. Y faisant suite, les Amis de la Terre France, sans nier “la lourde et multiforme responsabilité de notre pays dans la prolifération planétaire de matières et technologies nucléaires”, ont écrit à l’ambassadeur japonais en France pour qu’il relaie les demandes d’arrêt auprès de monsieur Noda, le Premier ministre japonais2. Pour Martine Laplante, présidente des Amis de la Terre France, “toute banalisation politicienne du péril planétaire que représente aujourd’hui encore la situation à Fukushima et des effets de la radioactivité déjà dispersée au Japon serait d’une incommensurable gravité pour l’ensemble de l’humanité et ses chances de survie à court terme sur cette planète.” Une protestation nécessaire La décision de relancer les réacteurs a longuement été préparée. Le premier Ministre a justifié la remise en marche des unités 3 et 4 d’Ohi par de prétendues pénuries d’électricité à venir, l’arrêt des réacteurs privant le pays de 30 % de sa production électrique antérieure : l’énergie nucléaire reste selon lui “une source cruciale d’électricité”3. Les deux réacteurs d’Ohi, exploités par Kansai Electric Power, ont été jugés sûrs par l’Agence de sécurité nucléaire, placée, entre autres, sous la tutelle du ministère de l’Industrie, ouvertement

© ImageBank

Le Premier ministre japonais a ordonné le 16 juin le redémarrage de deux réacteurs nucléaires. Une décision antidémocratique et scandaleuse, face à une opinion japonaise mobilisée pour l’arrêt du recours à l’énergie atomique.

Les réacteurs de la centrale d’Ohi, au Japon, sont depuis quelques semaines au cœur de vifs débats dans la société nippone.

pronucléaire. Les motifs d’opposition sont pourtant nombreux. De fait, la décision du gouvernement intervient alors qu’on ignore encore la vérité sur la fusion de trois réacteurs à Fukushima. En outre, les Amis de la Terre Japon soulignent que le Premier ministre japonais s’appuie sur des stress tests. Or, à ce jour, des mesures de sécurité essentielles exigées par ces tests n’ont pas été mises en œuvre à Ohi. De plus, tout nouveau référentiel de normes de sécurité doit être formulé et supervisé par une agence de sûreté nucléaire véritablement indépendante... qui n’existe pas encore : les procédures parlementaires à ce sujet viennent juste de commencer. Enfin, la forte augmentation de l’activité sismique au Japon depuis le tremblement de terre et le tsu-

nami géant du 11 mars 2011 est alarmante, avec la présence de failles sismiques actives non loin des réacteurs d’Ohi, et peut-être même sous le site nucléaire. Malgré l’opposition d’une très large majorité des Japonais et de certains membres et députés de son propre parti, monsieur Noda a affirmé que le gouvernement assumerait pleinement ses responsabilités devant la population en cas de relance.

> CAROLINE PRAK

1 Parmi ces associations : Citizens’ Nuclear Information Center, Green Action, No Nukes Asia Forum, Peace Boat et Shut Tomari. 2 Texte complet sur http://www.amisdelaterre. org/Non-au-redemarrage-de-deux.html 3 Annonce faite le 15 juin 2012 lors de la conférence de presse qui s’est tenue à Tokyo.

Conférences-débats Pour une sortie du nucléaire immédiate Pierre Lucot est membre du bureau national du mouvement Utopia et conseiller fédéral à EELV. Quant à Jean-Luc Pasquinet, c’est un objecteur de croissance, membre de longue date du comité Stop Nogent. Tous deux, simples citoyens “responsables”, ont co-rédigé Nucléaire, arrêt immédiat. Pourquoi ? Comment ? Refusant le consensus de l’acceptation de la catastrophe que portent de fait les scénarios de sortie “progressive”, ils ont souhaité, par ce court essai édité chez Golias, “dépasser l’approche technicienne volontairement attachée à cette funeste industrie, et apporter leur modeste contribution à la nécessaire et urgente réappropriation populaire d’un choix fondamental de société.” Adhérents, groupes locaux, invitez donc ces auteurs à présenter leur scénario dans le cadre de conférences-débats sur les modalités d’arrêt du nucléaire ! Contacts pierre-lucot@orange.fr ; jlp38@wanadoo.fr ; tél. : 06 79 69 53 79.

7

Politiques publiques Stop aux subventions contre-nature Des associations et de nombreux économistes lancent l’appel “Stop aux subventions à la pollution” qui demande l’arrêt des subventions néfastes à l’environnement. Les Amis de la Terre appellent aussi à des choix d’investissement cohérents et à l’accompagnement de mesures garantissant justice et équité. Malgré les crises écologique et économique, la France continue à soutenir la réalisation d’infrastructures ou à exonérer de taxes des activités qui participent à la destruction de l’environnement, aux changements climatiques, à l’appauvrissement de la biodiversité, à l’artificialisation des sols, à la pollution de l’air et de l’eau et à la surexploitation des ressources naturelles. La plus évidente des dénonciations porte sur les aides – soutiens et exonérations – qui représentent en France plusieurs dizaines de milliards d’euros. Plusieurs rapports récents, élaborés par la Cour des comptes, le Sénat et le Conseil d’analyse stratégique ont pointé du doigt ces aides dommageables à l’environnement et à la santé publique. Les exemples les plus criants sont l’exonération de la taxe intérieure pour le kérosène des avions (3,5 milliards d’euros) ; le taux réduit pour le fioul utilisé comme carburant (1 milliard d’euros) ; le remboursement partiel de la taxe sur l’énergie aux transporteurs routiers (300 millions d’euros) ; la défiscalisation des agrocarburants (196 millions d’euros). Pour des choix fondés sur l’équité Les Amis de la Terre soutiennent l’appel “Stop aux subventions à la pollution”. Toutefois, il est essentiel de rappeler que la fiscalité n’est qu’un des leviers possibles. Les choix d’investissements et d’infrastructures, ainsi que des mesures réglementaires qui s’appliquent à tous sont indissociables d’une démarche résolument inscrite dans une perspective de justice sociale. Ce qui conduit à penser à d’autres leviers que de nouveaux outils fiscaux. Supprimer ces exonérations fiscales ou réductions de TVA sans remettre en cause

L’exonération de la taxe intérieure pour le kérosène fait perdre chaque année à l’Etat 3,5 milliards d’euros de recettes fiscales.

© Carrib

6

les extensions d’infrastructures correspondantes serait en effet totalement incohérent. Par exemple, la suppression de l’exonération de taxe pour le kérosène doit s’accompagner de l’arrêt des projets de nouveaux aménagements d’infrastructures aéroportuaires. De la même manière, la suppression des dérogations sur les carburants et les agrocarburants doit signer l’arrêt des projets d’infrastructures autoroutières. Les mesures fiscales sur les engrais ne devraient pas être dissociées d’une conditionnalité des aides et d’une légalisation de la production, de l’échange et de l’usage des Produits naturels peu préoccupants (PNPP) constituant les alternatives. Et, enfin, pour mettre fin au mésusage que constituent trop souvent les véhicules d’en-

treprises, il convient de supprimer la distorsion fiscale de l’avantage en nature par rapport à l’équivalent en rémunération. Chaque jour, on nous annonce des mesures d’économies budgétaires pour la France… Commençons par nous débarrasser de ces privilèges injustifiables et de ces choix d’investissement contre-nature. Pour conclure, il est essentiel que cette démarche induise, comme le revendiquent les Amis de la Terre, une remise en cause par la France des politiques publiques menées par des institutions financières nationales (Coface, AFD, etc.) et internationales (Banque mondiale, BEI…) : elles financent souvent des projets au mépris des impacts environnementaux et sociaux.

>

CLAUDE BASCOMPTE

Prix Albert-Londres “Zambie, à qui profite le cuivre ?” Les Amis de la Terre se réjouissent de l’attribution du prix Albert-Londres, le plus prestigieux de la presse francophone, au documentaire “Zambie, à qui profite le cuivre ?”, des journalistes Alice Odiot et Audrey Galley. Ce film s’appuie sur le travail mené par les Amis de la Terre France dans le cadre de leur campagne sur la Banque européenne d’investissement (BEI) et le secteur minier en Afrique. Il dénonce l’implication de la banque publique de l’UE dans la mine de Mopani en Zambie. Les deux réalisatrices expliquent : “Ce film est parti d’un constat simple dressé par les Amis de la Terre : chaque année, de l’argent public européen destiné à lutter contre la pauvreté en Afrique tombe dans les mains de multinationales richissimes qui possèdent et exploitent des mines en Afrique. A travers ce film et l’exemple de la mine de Mopani nous avons pu mettre en lumière les conséquences sociales et environnementales désastreuses de l’extraction du cuivre en Zambie, mais aussi l’évasion fiscale massive dont est victime le pays.”

Anne Sophie Simpere, ancienne chargée de campagne aux Amis de la Terre et partie prenante du film, poursuit. “Le documentaire a été une formidable aventure et sa diffusion a largement contribué à l’avancée de notre campagne et a permis à d’autres organisations de se saisir du problème. Mopani est un cas d’école qui a fini par convaincre de nombreux décideurs ». Les Amis de la Terre suivent le projet Mopani depuis 2009, en collaboration avec des ONG zambiennes. La pression médiatique, liée notamment à la diffusion du documentaire, la publication de rapports et d’audits fiscaux accablants et la mobilisation de nombreux députés européens ont conduit la BEI à exclure Glencore et toutes ses filiales de son portefeuille de prêts. Une première pour une Banque qui n’avait jamais établi de liste noire pour exclure de l’accès à ses fonds publics des entreprises au comportement douteux. Et un succès notable pour les associations.


8

FRANCE

FRANCE

L’UE et les OGM Désaccords d’experts sur l’interdiction française du MON810

Pétrole et gaz de schiste Et c’est reparti pour un tour…

Les experts du groupe OGM de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) ont estimé, dans un avis publié le 21 mai dernier, que les arguments scientifiques avancés par la France ne permettaient pas de justifier l’interdiction de mise en culture du maïs MON810. Cependant, la lecture minutieuse de cet avis montre que les opinions des experts ne sont pas aussi tranchées.

Après l’adoption de la loi Jacob interdisant la fracturation hydraulique, les collectifs anti gaz de schiste avaient un peu suspendu leurs activités. La publication sur le site Internet du ministère de l’Ecologie de nouvelles demandes de permis d’exploration d’hydrocarbures non conventionnels relance la mobilisation.

© Parlement européen/Pietro Naj-Oleari

Fin 2010, des citoyens et des associations apprennent que des permis d’exploration de gaz et de pétrole de schiste ont été accordés par le ministre de l’Ecologie de l’époque, Jean-Louis Borloo, dans la plus grande discrétion. Très vite, ces citoyens et ces organisations, qui connaissent les ravages causés en Amérique du Nord par la fracturation hydraulique (technique utilisée pour extraire les gaz et huiles de schiste), se mobilisent et se constituent en collectifs. Des rassemblements de protestation s’organisent un peu partout sur le territoire français, comme celui de Villeneuvede-Berg (Ardèche) qui réunit près de 20 000 personnes ou de Doue (Seine-etMarne). La contestation est telle qu’une loi censée interdire la fracturation hydraulique est votée en juillet 2011 – les juristes qui examinent cette loi de près s’apercoivent cependant très vite qu’elle ne règle rien en réalité et qu’elle n’a pour objectif que de calmer les esprits. La mobilisation s’apaise ainsi provisoirement, jusqu’à ce que deux événements relancent les hostilités...

Parlement européen, mai 2010. Rebecca Harms, co-présidente du groupe écologiste, interpelle le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, au sujet des OGM en France.

La France avait surtout pointé que “la réévaluation du MON810 publiée en 2009 n’a pas été réalisée selon les nouvelles lignes directrices publiées par l’AESA en 2010.” L’AESA ne répond ni à cette critique, ni aux propos de la France sur l’outil statistique défaillant – “la puissance statistique des expériences sur les organismes non cibles est très limitée”. Or, si l’Etat pétitionnaire doit présenter une évaluation des risques scientifiquement correcte, l’AESA, évaluateur de ces risques, doit, elle, juger cette qualité à partir de ce qui lui est fourni. L’AESA a déjà reconnu cette défaillance de l’outil statistique. Pour le maïs MON810, le fait d’avoir validé un dossier sur la base de tests statistiques qu’elle juge elle-même inadéquats ne saurait justifier sa persistance dans l’erreur. Des lacunes dans les données La conclusion de l’AESA selon laquelle l’interdiction française n’est pas justifiée scientifiquement est donc à relativiser, car elle porte principalement sur des désaccords entre experts. Bien malin celui qui tranchera alors entre des positions divergentes ! On notera aussi qu’en ce qui concerne les arguments en rapport avec les impacts sur les insectes non cibles ou l’apparition de résistance chez les insectes cibles notamment, l’AESA renvoie aux plans de surveillance après commercialisation – plans dont elle avait pourtant déjà critiqué la mise en œuvre par Monsanto. Et la France rappelle

que de tels plans de surveillance ne sont pas obligatoires, la décision d’autorisation donnée en 1998 n’en faisant pas état ! Enfin, la France cite dans son mémoire l’étude récente de Hilbeck et al. qui montre la toxicité de la protéine insecticide Bt Cry1Ab sur la coccinelle à deux points (Adalia bipunctata). L’AESA, elle, feint de croire que l’impact évoqué est limité au seul cas décrit de ce coléoptère. Or le point fondamental de cette publication est bien que la spécificité de la protéine Cry1Ab n’est pas limitée à certains papillons (lépidoptères). La sensibilité d’un coléoptère à cette toxine insecticide soulève donc des problèmes d’ampleur bien plus générale au plan environnemental que le seul cas de la coccinelle. En viendrait-on à obliger la France à renoncer à l’interdiction du MON810 au prétexte que les études nécessaires pour prendre en compte ces données nouvelles n’ont pas encore été faites ? Pour la suite, la Commission ne pourra agir seule. Elle pourrait en revanche, sur base de l’avis de l’AESA, proposer aux Etats membres d’obliger la France à lever son interdiction nationale. Mais on imagine mal que les sept pays disposant actuellement d’une interdiction nationale (Allemagne, Hongrie, Autriche...) la suivent sur ce terrain. Prudente, la Commission a annoncé qu’elle réfléchira à cela après le Conseil > ERIC MEUNIER européen de mi-juin. Délégué général d’Inf’OGM

Manifestation des collectifs devant l’Assemblée nationale, à Paris, en mai 2011.

ces collectifs des gens qui n’ont pas une culture militante se rassembler pour défendre leur territoire : des associations dont ce n’est pas l’objet se mobilisent, des enfants prennent la parole pour défendre leur avenir. Arrêtés anti gaz de schiste Les habitants ne veulent pas laisser la richesse de leur terre, leur eau, la qualité de l’air aux mains d’exploitants dont on sait, malgré les propos lénifiants de leurs communicants, à quel point ils sont sans vergogne. De nombreuses communes ont ainsi voté des arrêtés municipaux afin de s’opposer à la recherche d’hydrocarbures de schiste. C’est la cas notamment en Seine-et-Marne, dans l’Aisne et dans le Var – où près de 90 % des communes ont pris de tels engagements. Partout, des réseaux de vigilance et d’alerte se mettent en place afin d’assurer une réponse rapide et structurée à l’éventuelle arrivée de foreuses (et des inévitables norias de camions qui les accompagnent) dans leur région. Si la mobilisation semble avoir perdu en nombre par rapport au début de l’année 2011, elle a sans aucun doute gagné en vigilance et en organisation. Heureusement, car il va en falloir : les pétroliers se sont récemment réunis en une nouvelle association et le célèbre syndicat des foreurs, dans une lettre au président de la République, continue d’avancer des arguments trompeurs comme l’indépendance énergétique. Voilà l’exemple parfait d’une justification fallacieuse : comme l’indique en effet l’Agence internationale de l’énergie elle-même, les ressources d’hydrocarbures non conventionnels (catégorie dans laquelle on classe le gaz et pétrole de schiste) restent marginales en France. Mais les sociétés Toreador et Hess – alias Zaza Energy – ont prévu d’entreprendre des travaux de forage dans le secteur de Doue (Seine-et-Marne) à partir du mois de juillet ; Hess a d’ailleurs inauguré le 22 juin dernier de nouveaux locaux à la Ferté-Gaucher, non loin de Doue. Surtout, la crise climatique nous impose de revoir notre modèle énergétique au plus vite, allant vers une consommation réduite en énergies fossiles, principale cause du réchauffement global de notre planète. La vigilance reste donc de mise !

> PHILIPPE LE CORNEUR

© Nicolas Sawicki

Dans leur réponse au mandat de la Commission européenne du 23 février dernier portant sur l’interdiction française de mise en culture du maïs MON810, les experts se sont appuyés sur cinq types d’arguments. Premièrement : les renvois à un avis antérieur de l’AESA pour les arguments que la France avait déjà utilisés pour justifier sa première interdiction (adoptée en 2008 et annulée par le Conseil d’État en 2011). Deuxièmement : les désaccords scientifiques entre experts européens et experts français sur certains articles. Troisièmement : les articles lus différemment et qui servent à chacun pour justifier sa position, comme l’étude de Chambers de 2010 utilisée par la France pour souligner les effets négatifs du maïs MON810 sur la croissance de certains organismes aquatiques, et par l’AESA pour montrer qu’il n’y a aucune différence observée sur l’abondance de ces organismes. Quatrièmement : les accords sur certains articles mais pour lesquels l’AESA limite la portée ou renvoie à des plans de surveillance post-commercialisation. Enfin, les absences de réponse pures et simples. Mais, quelle que soit l’approche adoptée, l’AESA conclut, invariablement que “le groupe OGM de l’AESA considère qu’aucune nouvelle preuve scientifique […] n’était présente dans la documentation apportée par la France en appui de sa décision d’interdiction.”

Contourner la loi Hiver 2011. Lors d’un colloque présidé par le Premier ministre et la ministre de l’Environnement, les participants posent ouvertement la question des moyens éventuels qui pourraient être utilisés pour contourner la loi d’interdiction, votée cinq

mois plus tôt. La réaction des militants est immédiate. Le collectif Ile-de-France, soutenu par diverses associations, organise un contrecolloque. Le rassemblement, qui se tient le 17 janvier, réunit près de trois cents personnes au Conseil régional d’Ile-deFrance. Des experts scientifiques reconnus et des militants engagés de longue date dans la lutte y présentent les nombreux dangers liés à l’exploitation des gaz et huiles de schiste. Le second événement marquant a lieu en février. Le site Internet du ministère de l’Ecologie met en ligne quatorze nouvelles demandes de permis de recherche – principalement en Ile-de-France, mais aussi dans l’Ain, dans le Jura et dans plusieurs départements du Sud-Ouest (la carte des permis de recherche est accessible sur le site du ministère¹). Or on sait que la phase d’exploration utilise les mêmes procédés dévastateurs que celle de l’exploitation (voir La Baleine n°165). Une fois de plus, ni les élus locaux, ni la population n’ont été informés de ces démarches. Là encore, la réaction ne se fait pas attendre. Les groupes se mobilisent et organisent de nombreuses réunions d’information et de débats dans les territoires concernés. De nouveaux collectifs se créent dans les régions, jusqu’alors peu mobilisées, qui découvrent cette lutte. Il est remarquable de trouver dans

9

1 http://www.developpement-durable.gouv.fr /-Permis-de-recherche-carte-des-.html Pour en savoir plus et intégrer l’un des multiples collectifs anti gaz et huile de schiste http://www.nongazdeschiste.fr


10

FRANCE

11

Ressources Refusons la surconsommation et l’accaparement de terres

Eté 2012

Les pays les plus riches – infime partie de la population – pillent de plus en plus les ressources des pays du Sud, au détriment des hommes et de l’environnement. En évaluant cette prédation, l’Union européenne fait un geste. Mais il faut continuer à nous mobiliser pour réduire nos consommations.

1 Depuis 197

DR

de terres est limitée, la surconsommation des uns signifie l’impossibilité pour d’autres de répondre à des besoins fondamentaux comme cultiver la terre pour se nourrir. Sans compter que cela s’accompagne d’une dégradation écologique de leurs terres. Actuellement, 60 % des terres que nous consommons sont situés en dehors de nos frontières2.

Alors que les Européens font partie des plus gros consommateurs de ressources au monde, le Parlement européen a soutenu, le 30 mai dernier, une demande des Amis de la Terre visant à estimer notre utilisation de ressources. Quatre indicateurs ont été choisis pour mesurer les impacts cachés de nos consommations : l’empreinte en eau, l’empreinte en terres, la consommation de matières premières et les émissions de carbone1. Ce premier pas vers une Europe plus économe dans sa consommation de res-

sources n’est cependant pas un aboutissement. La Commission européenne et les gouvernements nationaux doivent désormais prendre des mesures pour améliorer la façon dont nous utilisons les ressources et cesser de retarder leur mise en œuvre. Les impacts sociaux et environnementaux de la surconsommation européenne des ressources se font en effet déjà sentir. La pression qu’exerce la consommation européenne sur les terres est source de conflits. Dans un monde où la quantité

Réduire nos consommations Cette surconsommation de terres est la conséquence d’une alimentation trop riche en viande, de notre dépendance à la voiture ou encore de la frénésie pour les produits électroniques. Les terres agricoles sont ainsi utilisées pour produire l’alimentation du bétail ou des agrocarburants, quand elles ne servent pas à installer de gigantesques chaînes de production. Cet accaparement de terres s’accompagne d’une extraction de ressources à un rythme effréné et engendre des pollutions et des montagnes de déchets. Les Amis de la Terre interpellent le Commissaire européen chargé de l’Environnement via une pétition3 : vous aussi, faites entendre votre voix pour que l’Europe réduise sa consommation en signant cette pétition sur notre site Internet.

Déchets Une seule solution, la prévention ! “Tout le monde veut sauver la planète, mais personne ne veut sortir les poubelles.”

> CAMILLE LECOMTE

Chargée de campagne Mode de production et de consommation responsables 1 Plus d’informations sur les quatre indicateurs sur http://www.foeeurope.org/resource-use 2 Synthèse du rapport “L’Europe, dépendante des terres des autres” 3 www.amisdelaterre.org/resources.html

Avant d’en arriver à ce constat, Jean Yanne, auteur de cette phrase criante de vérité, a certainement passé beaucoup de temps à observer les réactions des riverains d’usines de traitement des déchets. Florilège de propos entendus au coin d’une benne : “Il en faut bien, des décharges, mais ‘ils’ n’ont qu’à les construire là où il n’y a personne” ; ou encore : “Quand même, maintenant, avec les technologies modernes, ‘ils’ peuvent faire des usines qui ne polluent pas, qui neutralisent les odeurs, ou qui produisent même de l’énergie ou de la vapeur d’eau avec les déchets.”

Pour en savoir plus www.amisdelaterre.org/Dette-ecologique.html Pétition www.amisdelaterre.org/resources.html

Du 7 au 11 juillet dernier s’est tenu à Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, le deuxième forum européen contre les grands projets inutiles imposés. Le premier s’était réuni en 2011 à Venaus (Val de Susa, Italie). Le choix de Notre-Dame-des-Landes pour cette deuxième édition ne devait bien sûr rien au hasard, la lutte que mènent depuis des années les habitants contre le projet d’aéroport en faisant un lieu emblématique. Partout en Europe, des projets pharaoniques, dévoreurs de biodiversité, de terres agricoles et de subventions publiques (aménagements et infrastructures de transports, incinérateurs, centrales nucléaires, projets urbains délirants....), ne répondant pas aux besoins des populations mais à ceux d’un système productiviste, se font concurrence dans la course à la croissance et à la fuite en avant.

L’enjeu de ce forum était d’avancer dans l’identification de ce qu’est un grand projet inutile, de faire converger les luttes et construire ensemble des alternatives. Organisé avec la participation des collectifs No Tav (Italie), Stuttgart 21 (Allemagne), Cade (Pays basque), EuroVegas no (Espagne), Stop HS2 (Grande Bretagne) et plusieurs autres, avec le soutien d’associations nationales dont les Amis de la Terre, ce forum a connu deux temps forts : le week-end, une large rencontre entre la population et les différentes luttes européennes, ponctué par une grande action symbolique le dimanche matin ; les trois jours suivants, un travail en atelier sur les nombreuses thématiques liées au thème du forum qui a débouché sur l’adoption d’un texte de conclusion et d’une pétition citoyenne auprès du Parlement européen.

> ALAIN DORDÉ

www.amisdelaterre.org

Deuxième forum européen Non aux grands projets inutiles !

Où se trouve le site idéal d’implantation d’une usine ? Quelle est la meilleure technologie d’élimination des déchets ? Réponse dans les deux cas : il n’y en a pas. Un centre de traitement des déchets sera toujours une nuisance, même discrète (à l’instar de l’usine d’incinération enterrée d’Issy-lesMoulineaux en région parisienne, aux fumées rendues invisibles par un système de chauffage) Les Amis de la Terre, impliqués dans plusieurs luttes locales pour une meilleure gestion des déchets, prennent toujours le soin de mettre les élus en garde contre la tentation de la fuite en avant technologique. En effet, quelle que soit la technique retenue pour “gérer” ces déchets

– brûlés, enfouis, compactés, méthanisés, stabilisés… –, cela revient toujours à disperser dans la nature des cendres ou des composts remplis de résidus de plastiques et de produits toxiques. Trace indélébile de nos modes de production et de consommation sur notre environnement, l’augmentation constante de la quantité et de la toxicité des déchets est la racine du problème. Il n’y en fait qu’une seule et unique solution : la prévention. Il faut jeter moins. Donc, consommer moins. En France, les quantités d’ordures ménagères et assimilées collectées par les municipalités atteignaient 24,8 millions de tonnes en 2009, soit une relative stagnation par rapport à 2000. La loi Grenelle 1 vise à réduire la production d’ordures ménagères et assimilées de 7 % par habitant entre 2008 et 2013, soit 1,5 millions de tonnes en moins¹. Cela représente l’équivalent de presque neuf tours Montparnasse ! Bien que déjà énorme, ce serait pourtant encore largement insuffisant, compte tenu de l’accumulation des déchets des décennies précédentes, qu’aucune technologie n’élimine par magie.

Les reporters de La Baleine ont trouvé aux quatre coins de France et de Navarre des élus, des entreprises et des citoyens qui consomment moins, jettent moins… et > ANNELAURE WITTMANN vivent mieux. Référente Modes de production et de consommation responsables 1 Source : Commissariat général au développement durable, 2010.


12

DOSSIER

DÉCHETS UNE SEULE SOLUTION, LA PRÉVENTION !

Recyclage Le traitement des déchets, c’est pas du propre

exploitants d’incinérateurs y injectent… des produits chimiques. Lesquels génèrent, à leur tour, des effluents liquides et résidus solides : les REFIOM. Hautement toxiques, ces REFIOM sont entreposés dans des centres de stockage spécialisés et constituent une source de pollution diffuse de l’environnement sur le long terme. Quant aux fumées évacuées dans l’atmosphère, elles contiennent toujours, et ce malgré les phases d’épuration, des particules fines sur lesquelles se sont fixés les polluants. Transportées par les vents, ces particules retombent sur l’environnement, se fixent sur les végétaux et peuvent contaminer toute la chaîne alimentaire, jusqu’à l’homme. La liste ne s’arrête pas là, puisqu’il faut ajouter à cela l’émission de C02 en très grande quantité. “La France, avec ses 127 incinérateurs répartis sur l’ensemble de son territoire, émet près de 10 millions de tonnes de C02 par an”, indique Delphine Lévi Alvarés.

Chaque année, les ménages français produisent 29 millions de tonnes de déchets¹. Seul un tiers de ces ordures est recyclé, le reste est mis en décharge ou incinéré... Une catastrophe pour l’homme et son environnement.

Les cheminées jumelles de l’incinérateur d’Ivry, aux portes de Paris. Le procédé de l’incinération, basé sur la combustion des déchets, permet certes de réduire leur volume... mais il génère aussi des fumées et des résidus toxiques.

Ce matin, en sortant de chez vous, vous avez déposé votre sacpoubelle dans la benne prévue à cet effet. Un geste anodin, habituel… On jette et on passe à autre chose. Mais savez-vous ce qui se passe après le passage du camion des éboueurs ? Gare à la dioxine ! En France, un tiers à peine de nos ordures ménagères est recyclé ou composté. Que deviennent les 68 % restant ? Selon Eurostat, organisme chargé de la production des statistiques officielles de l’Union européenne, 36 % des déchets municipaux français sont mis en décharge et 32 % de ces mêmes déchets sont incinérés¹. Annelaure Wittmann, référente Modes de production et de consommation responsables aux Amis de la Terre, trouve ces chiffres inquiétants. “Quand on connait la liste des inconvénients liés à ces techniques, ce n’est pas vraiment une bonne nouvelle. Il n’y a pas de mystère : cela signifie que les ordures incinérées ou enfouies, loin de disparaître par magie, se transforment alors en polluants de l’air, de l’eau et des sols”, explique-t-elle. L’incinération, procédé basé sur la combustion des déchets, permet certes de réduire le volume des déchets... Mais elle génère aussi des fumées et des résidus toxiques pour l’homme comme pour la nature. Chaque tonne d’ordures brûlée dans un

incinérateur produit en moyenne 6 000 m³ de fumées, 300 kg de résidus solides – les mâchefers –, ainsi que 40 à 80 kg de résidus d’épuration des fumées (REFIOM)². Les mâchefers contiennent des métaux lourds mais aussi de la dioxine, un polluant organique ultra toxique classé cancérigène par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). “Le problème avec la dioxine, c’est qu’il s’agit d’une substance dangereuse même à des quantités infimes. On parle de substance ‘sans seuil’, car seule l’exposition suffit”, précise Delphine Lévi Alvarès, chargée de mission Incinération et stockage des déchets pour le Centre national d’information indépendante sur les déchets (Cniid). Aujourd’hui, les mâchefers sont utilisés comme sous-couche routière et disséminés sur tout le territoire français sans qu’aucune réglementation suffisamment soucieuse de la santé publique ne vienne encadrer leur utilisation. Fumées, résidus et effluents toxiques La dioxine est aussi présente dans les fumées issues de la combustion des déchets. On peut trouver dans ces mêmes fumées des métaux lourds, des oxydes d’azote et du soufre. Afin de réduire la quantité d’un certain nombre de ces polluants, les fumées sont passées dans différents systèmes de filtration. Pour cela, les

© Alain Bachellier

Pollution de l’air et des sols Voici pour l’incinération. Et qu’en est-il de la mise en décharge ? Une fois acheminées sur le site d’une des 250 décharges françaises (aussi nommées centres de stockage ou d’enfouissement), les ordures sont déchargées pêle-mêle dans des trous appelés casiers. Elles sont tassées afin de réduire leur volume et de favoriser la fermentation des matières organiques. Cette décomposition par fermentation des déchets produit un jus, le lixiviat. Ce jus est chargé de multiples bactéries, de métaux lourds et de substances toxiques provenant des différents déchets. Aujourd’hui, les casiers sont tapissés d’une membrane censée isoler le sol de ces jus. Ils sont également équipés de drains dont le rôle est de capter le lixiviat et de le conduire vers des stations de traitement. “Le problème, précise Delphine Lévi Alvarès, c’est que ces membranes ont une efficacité limitée dans le temps. Elles commencent à se fissurer et à perdre leur imperméabilité avant même que les déchets aient fini de se décomposer. D’où des pollutions des sols et des nappes phréatiques.” La décomposition des déchets produit aussi des gaz et en particulier du méthane, dont le potentiel d’effet de serre est vingt-cinq fois plus élevé que celui du C02. La législation contraint les exploitants des décharges à mettre en place des systèmes de captation de ces gaz. Sauf qu’en réalité, seule une partie de ces derniers est recueillie pour être ensuite transformée en électricité ou en chaleur. Le reste est brûlé dans des torchères, avec pour conséquence le rejet dans l’air de fumées contenant des substances toxiques.

13

A côté de ces deux principaux modes de traitement des déchets, se développent d’autres techniques. L’une d’entre elle, le tri mécano biologique, est très à la mode (voir encadré ci-dessous). Delphine Lévi Alvarès décrypte les dessous de ce qui passe pour une panacée. “Attention, le tri mécano biologique est présenté comme un traitement mais il ne s’agit en fait que d’un pré-traitement. Il ne résout pas du tout le problème car, après le passage des ordures dans une unité de tri mécano biologique, il reste encore une grande quantité de déchets qu’il faut soit incinérer soit mettre en décharge.” Le recours à l’incinération n’est pas une fatalité Alors, que faire ? Les différents modes de traitement des déchets utilisés jusqu’à aujourd’hui présentent, tous, des dysfonctionnements dont les répercussions sont dramatiques pour l’homme et son environnement. Pour la référente Modes de production et de consommation des Amis de la Terre, il existe bien une solution. “La clé, c’est la prévention. Et cela passe notamment par la réduction de la consommation matérielle. Il faut acheter moins d’objets, privilégier les biens durables, allonger la durée de vie des produits via leur entretien et leur réparation”, déclare-t-elle. “Cela suppose de produire et de mettre sur le marché des produits durables, réparables, réutilisables et, dans la même logique, de bannir tout ce qui est jetable.” Annelaure Wittman évoque aussi la question des déchets organiques et insiste là encore sur l’aspect préventif. “En premier lieu, il faut lutter contre le gaspillage alimentaire et faire du compost. Le compostage de proximité est préférable, pour ne pas avoir à transporter des épluchures dans des camions aux frais du contribuable. Il vaut mieux composter chez soi, dans un lombricomposteur, un composteur de jardin ou de pied d’immeuble. On peut ensuite utiliser le compost dans son jardin ou dans des espaces publics.” Des collectivités locales et des groupements de citoyens ont mis en place des actions allant dans ce sens (voir pages suivantes). De toute évidence, le recours à l’incinération et à la mise en décharge n’est pas une fatalité.

> LUCILE PESCADÈRE

1 Chiffres Eurostat pour l’année 2008 2 Chiffres du Centre national d’information indépendante sur les déchets (Cniid) Pour en savoir plus www.france-incineration.org

Tendance Tri mécano biologique : trop beau pour être vrai Depuis quelques années, la mode est au tri mécano biologique (TMB). Ses promoteurs le présentent comme l’alternative écologique à l’incinération et à l’enfouissement. De quoi s’agit-il ? Le TMB est un procédé industriel qui permet d’effectuer en usine le tri des ordures ménagères. Différents systèmes de filtration permettent d’isoler ce qu’on appelle les biodéchets (déchets biodégradables des parcs et jardins, déchets alimentaires et de cuisine, papiers et cartons) afin de les valoriser sous la forme de compost ou d’énergie (biogaz) via une unité de méthanisation. Sur le papier, l’initiative semble tout bénéfice. D’une part, le volume de déchets incinérés ou mis en décharge

diminue et, de l’autre, le biogaz réduit notre dépendance aux énergies fossiles. Sauf que tout n’est pas si simple. Comme le rappelle Delphine Lévi Alvares du Cniid (voir ci-dessus), le TMB ne peut pas être considéré comme un mode de traitement mais plutôt comme un pré-traitement : plus de la moitié des ordures transportées sur les sites TMB devra finalement être incinérée ou enfouie. Ceci pour deux raisons. Premièrement, seules de faibles quantités de matières recyclables peuvent être triées par le TMB. Deuxièmement, la qualité du compost ainsi produit est sérieusement remise en cause, ce qui conduit à sa mise en décharge plutôt qu’à son épandage sur des terres agricoles. Dans 1 m³

de compost, on peut ainsi trouver jusqu’à 5 kg de verre et métaux, 2 kg de plastiques rigides, 750 g de films plastiques, 450 g de métaux lourds, ainsi que des micropolluants (hydrocarbures, paraben, phtalates…)* connus pour leur nocivité – le contact avec ces substances peut provoquer le développement de cancers, de malformations congénitales, de maladies neuro-végétatives et cardio-vasculaires. Craignant une pollution et une dégradation de la qualité des sols, plusieurs chambres d’agriculture, comme en Ile-de-France et dans l’Eure, se sont déclarées défavorables à l’utilisation d’un tel compost. *Normes NF U44051


14

DOSSIER

DÉCHETS UNE SEULE SOLUTION, LA PRÉVENTION !

Initiatives Redevance incitative : l’expérience de Manspach

Déchets organiques Je composte, tu compostes, il composte…

En 1999, une municipalité du Haut-Rhin mettait en place un nouveau mode de collecte de déchets : la pesée embarquée (aussi appelée redevance incitative). Les Amis de la Terre Haute-Loire et le Collectif valorisons nos déchets (CVD) ont rencontré le maire de la commune. Compte-rendu.

En France, des communes et des communautés de communes se sont lancées dans un processus de collecte des déchets organiques. Exemple avec le Smicval, l’organisme responsable du traitement des ordures dans la région de Libourne.

Dany Dietmann, maire de Manspach, nous livre son analyse de l’expérience collective menée dans sa commune et quelques réflexions autour du tri, de la valorisation des déchets et, bien sûr, de la redevance incitative. Compte-rendu. Première leçon : il faut porter un autre regard sur les déchets – notamment ne pas oublier que le secteur de la récupération, du tri et du recyclage représente en France un potentiel de 350 000 emplois. D’autre part, il ne faut pas perdre de vue que le tri sélectif demande un effort de la part des habitants. Cet effort, pour être durable, doit être soutenu par les pouvoirs publics et récompensé par une réduction visible des coûts. Ceci peut être obtenu par un choix judicieux des investissements publics. Le conseil municipal de Manspach a ainsi refusé en 1990 de participer à la construction de l’incinérateur de Mulhouse car, outre les problèmes sanitaires et environnementaux connus, cela aurait entrainé la multiplication par trois du prix du service actuel de gestion des déchets. Impliquer la population Ensuite, le dialogue avec les habitants est essentiel. La communauté de communes de la Porte d’Alsace, qui rassemble trentetrois communes et 13 228 habitants, a investi dès le départ dans la participation et l’information de la population. Ainsi, elle a très vite organisé des sondages et des débats au sein des conseils municipaux, mis en place un ambassadeur de tri dans les milieux scolaires et proposé des réunions avec les habitants pour trouver des solutions concertées... Dès 1994, l’intercommunalité a promu le compostage via des formations. Il s’agissait d’enseigner à la population les bons usages en matière de tri et de compostage et de l’aider dans l’utilisation de composteurs, individuels ou collectifs. En outre, des plate-formes pour les “biodéchets” avec des accès gérés par un gardien ont été mises à la disposition de la population. Les biodéchets ainsi collectés représentent 25 à 30 % du poids des déchets ménagers. Les effets ont été spectaculaires : non seulement, en soustrayant les biodéchets, le gisement est devenu plus propre mais, en prime, la masse des ordures ménagères est tombée à 200 kg par an et par habitant – contre 375 kg en 1990.

15

Enfin, pour éviter de pénaliser les personnes à mobilité réduite et diminuer au maximum les coûts, l’option des déchetteries permanentes fut écartée au bénéfice de collectes sélectives en porte à porte de certains matériaux (plastiques, papiers et cartons, métaux). Le fait de collecter davantage de produits recyclables a procuré de nouvelles recettes à la communauté de communes via la revente de ces produits. Ces recettes ont permis d’atténuer les dépenses réalisées pour mettre en place cette politique de réduction des déchets. Une baisse significative La dernière étape a été la mise en place de containers à puces, selon le système de la “pesée embarquée”. Cette innovation technique a donné des résultats à plus long terme : il a fallu dix ans, de 1999 à 2011, pour diminuer significativement la production de déchets et passer de 200 kg de déchets par an et par habitant à 78 kg. Il faut noter enfin que les incivilités (décharges sauvages) ne représentent que 7 m3 de produits résiduels ménagers, soit 200 g par an et par habitant. La communauté de communes de la Porte d’Alsace a conservé la fourniture des bacs (via des marchés publics), la facturation, l’établissement des calendriers de ramassage et la communication. En revanche, elle externalise la collecte et la valorisation des produits recyclables. Suite à cette expérience pionnière, les lois Grenelle I et II de 2009 et 2010 prévoient la généralisation à l’ensemble du territoire français de la tarification incitative, déclinée soit en taxe (taxe d’enlèvement des ordures ménagères, ou TEOM), soit en redevance (redevance d’enlèvement des ordures ménagères ou REOM) comprenant une part fixe et une part variable. La part variable doit être définie en fonction du volume ou du poids des déchets produits par un foyer. Toutefois, l’expérience de l’intercommunalité de la Porte d’Alsace montre qu’il convient d’avoir une action sur plusieurs leviers à la fois – notamment sur les leviers pédagogiques et logistiques –, le seul levier financier ne pouvant tenir lieu de politique publique.

>

LES AMIS DE LA TERRE HAUTE-LOIRE

Très efficiente, la démarche de la commune de Manspach s’inscrit cependant dans le long terme : il a fallu dix ans, de 1999 à 2011, pour diminuer la production de déchets et passer de 200 kg de déchets par an et par habitant à 78 kg.

La plate-forme de compostage du Smicval traite les biodéchets préalablement triés par les habitants de la région de Libourne.

Il y a tout juste dix ans, les habitants du pays libournais ont vu débarquer chez eux d’étranges personnes… Elles prétendaient que le contenu de leur poubelle pouvait être récupéré et valorisé. Il n’était pas seulement question du papier et des emballages carton mais aussi et surtout des déchets organiques – c’est-à-dire l’ensemble des déchets végétaux et alimentaires, appelés “biodéchets”. Depuis, l’idée – qui, au début, pouvait paraître un peu saugrenue – a fait son chemin. Si tout le monde ne pratique pas encore le tri des biodéchets, une part croissante de la population a compris l’intérêt d’un tel système de collecte. Petit retour en arrière. A la fin des années 1990, les élus locaux repensent le dispositif de collecte des ordures ménagères résiduelles (OMR). Convaincus de l’intérêt que représente un ramassage sélectif des déchets, ils décident de mettre en place une gestion multi-filières. En toute logique, ils en viennent à s’intéresser aux matières organiques (déchets verts et biodéchets) qui représentent 40 % du total des OMR – de plus, en territoire viticole, le potentiel local de débouchés pour un compost issu des biodéchets est important. La conclusion s’impose : pour un tri “à la source” et une collecte efficaces, il faut impliquer les habitants. Ne pas culpabiliser C’est ainsi que le Syndicat mixte intercommunal de collecte et de valorisation du Libournais Haute-Gironde (Smicval) met en place une stratégie pour capter la matière organique. Dans un premier temps, il conçoit une grande opération de sensibilisation et d’information de la population. Des réunions publiques sont organisées dans chacune des 141 communes qui dépendent du syndicat. Et les agents du service communication de proximité se lancent dans une campagne de porte à porte pour expliquer à chacun l’intérêt et le fonctionnement de la collecte des biodéchets. En partant d’un principe simple (toujours d’actualité) : ne pas culpabiliser. Nicolas Sénéchau, directeur général du Smicval, explique la démarche. “Surtout pas de discours culpabilisants. D’abord parce que personne ne veut entendre ce genre de propos – et c’est totalement improductif. Le but du jeu, c’est de montrer ce que l’on peut faire avec la matière organique et de présenter les

avantages du dispositif. Nous montrons le compost aux personnes que nous rencontrons, nous leur disons : voilà ce que vous pouvez faire avec les biodéchets qui sont dans votre poubelle. Nous leur disons aussi : faites ce que vous pouvez. L’essentiel, c’est de lancer le processus.” Composteurs, “bio–seaux” et sacs en amidon En parallèle, le syndicat organise le dispositif de captation des biodéchets… ou plutôt les dispositifs. Car là aussi, l’objectif est de faciliter la tâche aux utilisateurs et donc de s’adapter aux particularités locales. Dans les communes rurales, le Smicval distribue des composteurs individuels et propose l’aménagement d’espaces de compostage dans les lotissements. Pour aider les nouveaux usagers, des “maîtres composteurs” – des volontaires ayant bénéficié d’une formation –, organisent régulièrement des animations sur le sujet. Aujourd’hui, près de 22 % des ménages du secteur disposent d’un tel équipement. Dans les zones urbaines ou semi-urbaines, c’est un système de collecte qui a été mis en place. Les 40 000 habitants des treize communes concernées ont désormais un bac de plus sous leur évier (un “bio-seau”) et des sacs en amidon à mettre à l’intérieur. Et le local à poubelles de chaque immeuble a été doté d’un bac conçu pour recevoir ce type de déchets. 130 professionnels (établissements scolaires, commerçants, artisans…) se prêtent aussi au jeu et participent, à titre expérimental, à cette collecte. En 2011, 1115 tonnes de biodéchets ont ainsi été compostées (soit 24 kg par foyer). Il faut ajouter à cela la matière non mesurable produite par les ménages équipés de composteurs individuels. “C’est relativement faible mais cela s’inscrit dans une dynamique globale”, déclare Nicolas Sénéchau. “Maintenant, nous réfléchissons à d’autres projets qui nous permettraient de développer cette filière.” Une étude devrait être lancée dans les mois à venir afin de mieux saisir les réticences éventuelles. Autre piste, en cours d’expérimentation dans l’une des communes : la baisse de la fréquence de collecte du bac d’ordures ménagères au profit des recyclables (emballages et biodéchets). Retours d’expé> LUCILE PESCADÈRE riences d’ici un à deux ans.


16

DOSSIER

DÉCHETS UNE SEULE SOLUTION, LA PRÉVENTION !

Alternatives Donnons une seconde vie à nos objets, pensons à la réparation !

Emballages alimentaires Des commerçants disent stop au gaspillage

La réparation est un geste simple pour réduire nos prélèvements de ressources et notre production de déchets. Faire réparer ses produits permet d’allonger la durée de vie de nos biens et de faire vivre de nombreux artisans de la réparation et les structures de l’économie sociale et solidaire.

d’un quartier parisien participent à une opération pour réduire la production d’emballages alimentaires. Témoignages.

© Pierre Schwaller

Des dynamiques à encourager Plus de 50 000 brocantes et vide-greniers sont organisés chaque année en France et les consommateurs sont de plus en plus enclins à acheter des proPlus de 50 000 brocantes et vide-greniers sont organisés chaque année en France. duits de seconde Les consommateurs sont de plus en plus enclins à acheter des produits de seconde main. main, comme en témoigne la progresNotre société de consommation est fondée sur un renouvellesion régulière des ventes sur les sites de mise en relation type ment rapide des produits et un culte pour les nouvelles technoeBay ou le Bon coin2. Cet engouement pour les produits d’occasion est un moyen de faire redécouvrir les savoir-faire des rélogies. Cette course à l’innovation a pour conséquence un acparateurs. Des journées de la réparation commencent ainsi à être croissement en volume et en toxicité de nos déchets : vite acheorganisées par des collectivités ou des associations lors de brotés, nos biens sont en général vite jetés. Si le recyclage apparaît cantes, pour faire connaître les artisans locaux et redonner aux comme un moyen de valoriser nos déchets, il ne peut constituer consommateurs le réflexe de faire réparer leurs objets3. la solution ultime car il y aura toujours des déchets qui échapLa réalisation d’annuaires “de la seconde vie des produits” peront au processus de collecte, de traitement et de valorisaentre aussi dans cette dynamique. Ces annuaires aident chacun tion. L’acquisition de nouveaux biens qui ne seront que partielà trouver les bonnes adresses pour faire réparer, louer, emprunlement collectés et recyclés nécessitera le prélèvement de nouter, acheter et vendre d’occasion mais aussi donner, échanger ou velles ressources. s’informer sur l’allongement de la durée de vie des produits. Une La réparation permet, elle, de retarder la mise au rebut d’un initiative à encourager : une étude a révélé que sur les 63 % de objet et donc de réduire notre production de déchets. L’intérêt enconsommateurs qui avaient l’intention de faire réparer leur objet vironnemental de la réparation a été mis en avant par la directive en panne, seuls 44 % le faisaient effectivement, les autres abancadre sur les déchets de 2008 qui a érigé le réemploi et la répadonnant faute d’avoir trouvé un réparateur en qui ils avaient ration comme les options à privilégier dans la gestion des déconfiance1. C’est dans cette logique que Les Amis de la Terre chets, avant même le recyclage. Malgré les bénéfices éconoParis lanceront à la rentrée leur annuaire sur le site www.produits miques et écologiques de la réparation, le secteur de la réparapourlavie.org. tion est en difficulté. Enfin, les structures de l’économie sociale et solidaire, avec en tête Emmaüs, Envie et le Réseau des Ressourceries permettent La réparation, un secteur en difficulté de concilier geste écologique et solidaire. Elles offrent une activité La réparation a été mise à mal par notre modèle de consommaà des milliers de personnes qui collectent, réparent ou vendent les tion. D’une part, la miniaturisation et la complexification de nos objets, avec pour objectif la lutte au quotidien contre l’exclusion. appareils électriques et électroniques ont restreint le recours à la Toutes permettent de réduire notre pression sur les ressources réparation à cause de la difficulté technique et du coût de la rénaturelles et de parvenir à un partage plus équitable des resparation. Les réparateurs ont dû s’adapter pour réparer nos nousources entre tous les êtres humains. Soutenons-les ! veaux produits quand, dans le même temps, les constructeurs li> CAMILLE LECOMTE mitaient l’accès aux manuels techniques de réparation et aux Chargée de campagne Modes de production et de consommation responsables pièces détachées. D’autre part, la baisse des prix dans le secteur du textile a 1 ADEME, Actualisation du panorama de l’offre de réparation, septembre 2010. conduit à une surconsommation de vêtements et de linge de mai2 Mes courses pour la planète, les chiffres de la consommation responsable, son. Ainsi, en France, nous jetons 17 kg de déchets textiles par édition 2010. an et par personne, dont 9 kg de vêtements. Les couturiers ont 3 Pour plus d’informations sur les journées de la réparation : Réseau Idéal, Conseil général de la Dordogne. fait les frais de ce nouveau phénomène. Entre 2006 et 2009, ce

Quand les salariés du centre national d’information indépendante sur les déchets (Cniid) sont venus me présenter leur action, j’ai tout de suite adhéré. Je ne suis pas une écolo dans l’âme mais ça m’a paru important de le faire. C’est ma petite contribution à la protection de l’environnement”, explique Sonia, qui gère avec sa famille la boulangerie “La baguette de Paris”. Cette jeune et dynamique pâtissière fait partie de la quarantaine de commerçants du XIe arrondissement de Paris qui a accepté de jouer le jeu de l’opération “Mon commerçant m’emballe durablement”. Mise en place il y a un peu plus d’un an par le Cniid, cette opération vise à inciter les marchands et leurs clients à réduire leur consommation d’emballages alimentaires. “Un gros travail de sensibilisation” Tous se sont engagés à adopter une ou plusieurs des douze propositions d’actions conçues avec et pour eux. Quelques-uns ont décidé de ne pas distribuer automatiquement de sacs ou de couverts en plastique, ni de serviettes. Certains ont mis en place une consigne pour les boîtes et les bouteilles. D’autres encore invitent les clients à s’équiper de cabas. Sonia, elle, a décidé de faire payer les sacs en plastique que, bien sûr, elle ne propose plus systématiquement. Et ça marche. “La quantité de sacs qui sortent du magasin a baissé de moitié. Mais ce n’est pas toujours très bien perçu par les clients. Ça peut même parfois donner lieu à des miniscandales ! Il y a un gros travail de sensibilisation à effectuer.”

©Caroline Prak/Les Amis de la Terre

secteur a enregistré une baisse d’activité importante : le nombre d’entreprises a diminué de 28 % et le nombre d’emplois de 33 %1. Cependant, avec la crise économique et la prise de conscience qu’on ne pouvait plus tout jeter, de nouvelles dynamiques voient le jour.

Depuis un peu plus d’un an, des commerçants

17

La jeune femme n’est pas la seule à avoir constaté une réticence de la part des clients. C’est également le cas de Véronique, de la “Boucherie de Charonne”. “Ça ne fonctionne pas du tout. On continue, on s’est engagés, mais c’est très difficile… Les consommateurs ne l’acceptent pas. J’ai même perdu une cliente comme ça.” En revanche, pour Anne-Catherine, la gérante du “Bar à soupes”, à quelques pas de là, tout se passe bien. “C’est une bonne démarche, cela permet de mettre en commun, de partager les bonnes idées pour produire moins de déchets.” Son petit secret : offrir un dessert aux clients qui ramènent régulièrement > L. P. leurs sacs ou réutilisent les contenants. Pour en savoir plus www.moncommercantmemballedurablement.org

Anne-Catherine, la gérante du “Bar à soupes”, rue de Charonne, à Paris.

Contre le suremballage “Le levier financier est le plus efficace” Jean-François Patingre est expert en éco-conception. Il a enseigné cette matière pendant plusieurs années à l’université de Cergy-Pontoise. Il évoque pour La Baleine la question du suremballage. Quelle est la part du suremballage dans notre production de déchets ?

On ne sait pas répondre facilement à cette question. Selon les dernières études, en ce qui concerne le secteur de l’alimentaire, on estime que 7 à 10% de la production des déchets sont liés au suremballage. Le poids du marketing et le développement des portions individuelles sont en grande partie responsables de cette tendance.

Existe-t-il des réglementations pour contraindre les industriels à réduire le volume des emballages ?

Parmi la multitude de normes et règlements sur les emballages, il existe des directives exigeant des industriels qu’ils n’utilisent que le minimum nécessaire pour emballer leurs produits. Mais cette notion de minimum nécessaire est très floue. Il n’y a pas de contraintes objectives, d’obligations techniques normalisées qui seraient de toute façon très difficiles à déterminer. De plus, ces réglementations ne s’accompagnent d’aucune mesure coercitive. Dans le domaine de la lutte contre le suremballage, la loi n’est pas forcément l’outil le plus efficace.

Quels sont les leviers d’action envisageables ?

Le levier le plus efficace est le levier financier. Il faudrait augmenter de façon importante la contribution sur les emballages qui ne sont pas effectivement recyclés (ni même recyclables, dans certains cas). Ainsi, les entreprises se tourneraient automatiquement vers des matériaux et des conditionnements plus respectueux de l’environnement. Mais j’insiste aussi sur le rôle fondamental que, nous, consommateurs-citoyens, pouvons jouer, par exemple en délaissant les portions individuelles, en privilégiant l’achat de pots économiques, d’éco-recharges de lessives, en buvant l’eau du robinet… > PROPOS RECUEILLIS PAR LUCILE PESCADÈRE


18

19

ACTIONS

Rencontre L’épopée d’Areva en Afrique

Assemblées générales de grands groupes français Dénoncer les activités controversées

En publiant Areva en Afrique1, Raphaël Granvaud et l’association Survie dénoncent le mythe de l’indépendance énergétique française et dévoilent les dessous de l’accaparement de l’uranium africain par Areva au prix d’ingérences politiques et de conséquences environnementales, sanitaires et sociales catastrophiques pour les populations locales. Entretien avec l’auteur.

Les Amis de la Terre se sont rendus cette année aux assemblées générales de Total et de trois banques françaises. Au programme : sables bitumineux, spéculation sur les matières premières agricoles et mines de charbon. Au cours du mois de mai 2012, les Amis de la Terre se sont invités aux assemblées générales (AG) de Total, de BNP-Paribas, du Crédit agricole et de la Société générale. Il s’agissait d’interpeller les dirigeants et d’informer les actionnaires sur les activités désastreuses de ces entreprises. L’objectif est de rendre publics les projets controversés dans lesquels ces entreprises sont impliquées et de faire pression pour obtenir l’arrêt de certains projets – ou, du moins, de réelles avancées en termes de responsabilité sociale et environnementale. Lors de l’assemblée générale de Total, les Amis de la Terre ont ainsi interrogé l’entreprise sur le très contesté projet d’exploitation de sables bitumeux de Bemolanga, à Madagascar. Ils en ont profité pour remettre à ses dirigeants un prix Pinocchio pour l’ensemble de leur “œuvre”. Malgré le fait que la “transparence” soit l’un des principes fondamentaux affichés par Total, l’entreprise n’a pas jugé bon de diffuser les questions des actionnaires lors des questions orales, sous prétexte qu’il “n’existe aucune obligation légale de retransmettre l’assemblée générale dans son intégralité”. Des banques climaticides En ce qui concerne la BNP-Paribas, les questions ont porté sur son rôle dans la financiarisation croissante de la nature. En janvier dernier, un rapport des Amis de la Terre Europe avait épinglé la banque sur ses activités et les Amis de la Terre France avaient demandé au groupe de retirer du marché leurs produits dérivés sur les biens alimentaires. Les responsables de la “banque d’un monde qui change” ont répondu de façon délibérément ambiguë et ignoré le fait qu’ils commercialisaient ce type de produits financiers. Pourtant, en réponse à l’un des questionnaires qui leur avaient été envoyés, la banque avait elle-même reconnu, il y a quelques mois, avoir quelque 700 millions d’euros d’exposition aux matières premières agricoles – au travers de produits tels que les fonds négociés en bourse (exchange traded funds) et les “produits dérivés de plusieurs indices de matières premières”. Lors des AG du Crédit agricole et de la Société générale, les Amis de la Terre ont interpellé les dirigeants sur leurs investissements dans le charbon. En effet, selon le dernier rapport de Banktrack (réseau international de surveillance des activités du secteur des banques privées), ces deux institutions appartiennent au club des vingt banques les plus climaticides. Elles sont notamment impliquées dans les projets de

Comment la France peut-elle prétendre réduire sa dépendance énergétique grâce au nucléaire ?

Des militants étasuniens protestent contre le soutien de Bank of America aux industries minières. Des banques françaises sont elles aussi impliquées dans le Mountaintop removal, un procédé qui dévaste les montagnes, notamment celles des Appalaches.

centrales à charbon de Kusile et de Medupi, en Afrique du Sud. Cette dernière émettra 25 millions de tonnes de CO2 par an (ce qui équivaut à 5 % des émissions françaises annuelles). Investissements toxiques Bob Kincaid, un militant étasunien qui lutte depuis de nombreuses années contre l’exploitation du charbon dans les Appalaches était aux côtés des Amis de la Terre à ces deux assemblées. La technique utilisée aux Etats-Unis est appelée le Mountaintop removal – MTR pour les intimes. Derrière ces deux mots se cache une exploitation minière à ciel ouvert qui consiste à raser à l’explosif jusqu’à 300 mètres du sommet des montagnes pour atteindre les veines de charbon qui se trouvent en dessous. Cette ruée vers le plus toxique des hydrocarbures nécessite l’utilisation quotidienne de plus de 3 000 tonnes d’explosifs. On évalue à plus de cinq cents le nombre de montagnes qui ont déjà été ainsi irrémédiablement détruites, en même temps que quelque 3 200 kilomètres de cours d’eau. Or le Crédit agricole et la Société générale détiennent des dizaines de millions d’euros d’actions et d’obligations dans des entreprises lourdement impliquées dans le MTR, comme Alpha Natural Ressources, Arch Coal ou Consol Energy. Bob Kincaid est un homme en colère. Il est président du conseil d’administration

de l’organisation Coal River Mountain Watch et l’un des membres fondateurs de l’Appalachian Community Health Emergency Campaign, deux associations qui luttent contre l’exploitation des mines de charbon dans les Appalaches. Il explique que “ce type d’exploitation est un véritable scandale. Il ne pourrait exister sans le soutien sans faille des réseaux financiers internationaux. Pourtant, près d’une vingtaine de rapports scientifiques prouvent que cette technique d’extraction provoque un nombre considérable de malformations congénitales, de cancers, de maladies cardiaques et pulmonaires chez les habitants des Appalaches.” Bien entendu, une fois encore, les dirigeants de ces deux banques ont nié en bloc tout engagement dans ce type de projets, en invoquant le respect de leurs politiques sectorielles en matière sociale et environnementale. L’accueil qui fut réservé aux Amis de la Terre présents à ces AG fut houleux, mais il en faut plus à Bob pour se décourager. “Aux Etats-Unis, certaines assemblées générales se déroulent sous protection policière. Ici, nous avons peut-être été hués mais certains actionnaires sont venus s’entretenir avec nous à la fin. C’est bien la preuve que nous avons raison d’y aller.” A suivre…

>

RONACK MONABAY

Chargé de campagne Institutions financières internationales

Depuis quarante ans, le thème de l’indépendance énergétique grâce au nucléaire civil est un leitmotiv des discours politiques. En réalité, il s’agit d’un mythe, particulièrement vivace, fondé sur des manipulations statistiques – dont la principale consiste à considérer, dans les indicateurs officiels, l’uranium comme une banale matière première, alors que le pétrole et le gaz sont comptabilisés comme des matières énergétiques. Or, dès l’origine de son programme nucléaire, la France importe une large proportion du combustible et, depuis 2001, son intégralité. Pire, cette “indépendance énergétique” revient à considérer le sous-sol des anciennes colonies comme propriété française. C’est particulièrement vrai pour certains Etats africains comme le Gabon et le Niger, dont les mines alimentent depuis des décennies le nucléaire français. Nier notre dépendance à l’uranium africain revient à passer sous silence la privation de souveraineté et le pillage de leur sous-sol. On retrouve là une certaine vision de la politique française en Afrique…

Cette politique énergétique est au croisement de la propagande nucléaire et de la rhétorique néo-coloniale.

On retrouve les mêmes protagonistes dans chacun de ces deux domaines. De Gaulle est à la fois le fondateur du Commissariat à l’énergie atomique et l’instigateur, avec Jacques Foccart, de la Françafrique. Même chose pour Pierre Guillaumat qui a été le père du programme nucléaire français – de la bombe au recours à l’atome par EDF – puis le premier président d’Elf, dont la caisse noire finança les barbouzeries françafricaines. Ce néo-colonialisme s’est perpétué jusqu’à tout récemment : Nicolas Sarkozy a soutenu Areva lors des négociations du prolongement de son contrat au Niger. Areva a aussi recours aux “diplomates” parallèles, tels que le colonel Denamur, ancien attaché militaire à l’ambassade de France au Niger, Dominique Pin, un ancien de la cellule Afrique de l’Élysée, Patrick Balkany, maire de Levallois-Perret, ou le Belge George Forrest – un homme d’affaires surnommé le vice-roi du Katanga [au sud de la République démocratique du Congo, ex-colonie belge, cette région est réputée pour la richesse de son sous-sol]. Qu’en est-il des populations concernées ?

L’exploitation de l’uranium engendre une triple catastrophe. D’abord pour l’environnement : la pollution radioactive s’ajoute aux ravages des industries extractives ; déchets et stériles2 sont laissés à l’air libre et les nappes

“Nier notre dépendance à l’uranium africain revient à passer sous silence la privation de souveraineté et le pillage de leur sous-sol.”

phréatiques et le sol sont contaminés de façon irrémédiable. Pour la santé, ensuite : jusque dans les années 1990, aucune des mesures de protection et de suivi des travailleurs, appliquées dans les mines françaises, n’était respectée dans les mines gabonaises ou nigériennes. Et, bien sûr, pour les populations : les expropriations, la destruction du pastoralisme nomade touareg et le développement de bidonvilles dans les cités minières constituent une catastrophe sociale. Quand les mines ferment, ces villes sont abandonnées faute d’activité et à cause de la pollution radioactive.

> PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE COLLET 1 Editions Agone. 2 stériles : produits constitués par les sols et les roches lors de l’exploitation d’une mine.

Internet Un nouveau site pour les Amis de la Terre Les Amis de la Terre ont mené en 2011 un travail important autour de la refonte du site Internet principal de l’association www.amisdelaterre.org, dont le lancement est prévu à la rentrée 2012. Grâce à un menu enrichi, le nouveau site présentera les différentes activités de l’association, réparties en cinq sections : transition écologique ; agriculture, ville et biodiversité ; justice économique ; énergie et industries extractives ; risques et technologies. Une place plus importante sera consacrée à l’identité des Amis de la Terre France : notre fédération, riche de groupes locaux, d’alliés et de partenaires, membre du premier réseau écologiste mondial, pâtit cependant en France d’un réel manque de notoriété. Il est urgent de le combler ! De même, la transversalité des actions menées sur le terrain par les groupes et la fédération sera valorisée, comme les manières d’agir avec les Amis de la Terre, de prendre part à la vie associative, d’exploiter les potentialités offertes par les réseaux sociaux, etc. Enfin, avec un espace dédié, vous trouverez plus facilement en ligne les articles de La Baleine. Merci à tous les bénévoles et salariés qui ont pris part à ce projet !

Des journées d’échanges autour de ce site sont prévues en Rhône-Alpes, en Midi-Pyrénées et en région parisienne. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à contacter Caroline Prak, chargée de communication caroline.prak@amisdelaterre.org


Le Courrier de la Baleine

Depuis 1971

Le journal des Amis de la Terre

Pratiques Acheter sans plastique… le parcours du combattant Je suis prêt. J’avance invisible dans l’hypermarché. Personne ne se doute de ce qui se trame. Pourtant, je vais faire, seul, échec au complot mondial de l’emballage plastique. Premier objectif : jus de fruits. Un froid sibérien règne dans les allées. “Bio” en grosses lettres sur l’étiquette des bouteilles. Je touche, c’est mou. Pouah ! Deuxième essai : emballage d’apparence carton. Faux. C’est du complexe triple couche. Mauvais. Que faire ? Un ange passe avec des jus en bouteilles de verre dans son caddy. Cela existe. Je les trouve. Objectif atteint. Progression vers les fruits et légumes. Haricots verts en vrac. Je vois de multiples mains d’automates arrachant d’un rouleau des sacs translucides dans lesquels elles jettent qui ses tomates bios, qui ses asperges sauvages, ses olives certifiées, ses concombres “circuit court” ; un végétal par sac pour la pesée. La polymérisation des monomères d’éthylène et son aboutissement : le sac pétro-plastique dans le ventre de la tortue luth, connaît pas. Comment emballer mon poisson ? Que faire avec mes haricots en vrac ? J’ai une illumination. Je déniche les sacs-poubelle biodégradables à base d’amidon de maïs, sans bisphénol A, s’il vous plaît ! De retour devant mes haricots, un doute affreux m’étreint : et si, à leur place, on plantait du maïs transgénique pour fabriquer des sacs biodégradables ? Bon, désormais, je me servirai en vrac avec mon seul cabas au vrai marché de rue du jeudi. Aux viandes, c’est sans appel. Tout est sous barquette – non dégradable, non recyclable, non réutilisable et, heureusement, non fractionnable. Direction la poissonnerie.

© F. Clerc

Notre reporter s’est lancé un défi de haute volée : remplir son chariot en évitant tout produit emballé dans du plastique. Récit.

C’est chez le boucher qu’il est le plus difficile d’éviter le plastique...

Comment embarquer mon filet de morue ? j’hésite. Une queue s’est formée. La tension monte. Pas de temps à perdre. Finalement le préposé abdique et place ma morue dans mon sac-poubelle bio vert-fluo avec une moue de dépit. “Ça va dégouliner”, dit-il tristement dans l’indifférence générale. Je suis toujours invisible du vrai monde. Le sac bio aussi. Contenants en verre Voilà le beurre dans du papier et les pâtes dans des boîtes en carton. Voici de la crème fraîche en pot de verre, des yaourts aussi. Le café ? A la rigueur la boîte de métal de l’ami Max-l’équitable fera l’affaire. Mais son couvercle en plastique pose problème. J’irai demain me servir chez le torréfacteur du coin. Au rayon fromages, la préposée s’aperçoit un instant de mon existence parallèle en mettant mon Crottin de Chavignol dans le sac poubelle bio. Elle comprend. Elle murmure “Ah ! vous avez bien raison…” Et d’un geste d’automate la voilà qui saisit à nouveau un sac pétro-plastique dans lequel elle précipite un excellent Curé-nantais

convoité par la cliente suivante. Ce fut, je l’avoue, une déception terrible. Je faillis abandonner mais, une fois encore, je résistais. Huile ? dans du verre. Jambon à la découpe ? dans du papier. Savon ? dans du papier aussi. Bravo ! Et puis… catastrophe ! Produit-vaisselle, lessive, lait longue-conservation : tous otages de contenants carbonés. Comme pour la viande, il me faudra sécuriser des sources d’approvisionnements en vrac chez les biocoops. A la caisse, mes sacs poubelles bioverts chargés de poissons, de choucroute, de haricots, de fromages, défilent joyeusement sans aucun emballage plastique. Je jubile, j’ai vaincu ! Derrière moi, les clients sont silencieux. Le regard absent. Leurs chariots sont bourrés à ras bord de produits plastifiés. Aucune question. Je quitte les lieux, ni vu ni connu. Pourtant, comme disait l’autre sur la lune : j’ai fait un petit pas pour un humain, mais un grand bon pour l’humanité. C’est pas rien ! Il ne me reste plus qu’à passer à la télé pour que j’existe.

> ALAIN ZOLTY

Humeurs

Ça sent le roussi Dans le domaine des gadgets high-tech, les liseuses numériques ont, semble-t-il,

encore des difficultés à trouver acquéreurs. Il est vrai que le livre papier résiste et conserve tout son charme, en sollicitant discrètement d’autres sens que la vue. Pour n’évoquer que l’odorat, qui n’a jamais apprécié l’odeur de poussière des ouvrages d’antan ? Forte de ce constat, une entreprise audacieuse a voulu contribuer à la promotion de la lecture électronique en offrant la possibilité de lire une œuvre numérique tout en ayant la sensation de “sentir” un vrai livre. Ses hardis concepteurs ont créé Smell of Books (odeur de livres), une bombe aérosol qui parfume votre écran en reproduisant l’odeur du papier imprimé. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Après avoir donné une odeur aux liseuses numériques, pourquoi ne pas personnaliser à leur tour les œuvres qu’elles contiennent ? On pense évidemment à la fragrance d’une petite madeleine trempée dans le thé pour agrémenter la lecture de la Recherche du temps perdu de Proust, au parfum vénéneux des Fleurs du mal de Baudelaire, aux mille senteurs de la Provence pour l’œuvre de Giono, et aux effluves de goudron frais pour aromatiser Sur la route de Kerouac. Déjà complètement embaumés pour notre part, nous vous laisserons imaginer le fumet de La nausée de Sartre et résoudre le casse-tête du parfum de l’Argent de Zola – puisque, comme chacun sait, celui-ci n’a pas d’odeur ! > ALAIN DORDÉ


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.