Ne paraît pas aux mois de juillet-août. 9, rue Berckmans 1060 Bruxelles
DÉPOT À BRUXELLES X
Libertes!
BELGIQUEBELGIE PP 1/2345 BXL X
AVRIL 2008 – N°443 – LE MENSUEL D’AMNESTY INTERNATIONAL
JAPON
AIRS MARTIAUX COURBER LA CHINE MANIF LE 3 MAI
GEMBLOUX AG 2008
É D ITO R I A L
«RETOURNER» LES JEUX C
e qui étonne dans le brouhaha actuel sur le boycott ou non des Jeux olympiques, c’est qu’il vienne si tard. En réprimant durement les manifestations au Tibet, les Chinois seraient «allés trop loin». Pourtant, il est clair depuis longtemps que la République populaire de Chine se moque des droits humains. Mais, lorsque le CIO avait annoncé la tenue des JO en Chine, c’était avec la «promesse» que la situation des droits humains se verrait «naturellement» améliorée dès lors que les Jeux arriveraient. Une réplique sportive, en quelque sorte, du discours souvent entendu en Chine : quand l’économie va, les droits humains progressent. Les manifestants tibétains, souvent au prix de leur vie, ont réussi à ramener les responsables occidentaux à la réalité. Le drame qui se joue au Tibet n’est que la partie visible de l’Himalaya de violations qui constituent le quotidien de nombreux Chinois. Un énorme coup de balai a été donné pour réduire au silence tous les opposants qui auraient voulu profiter des Jeux pour s’exprimer, tandis que celles et ceux qui ont tenté de faire le lien entre les JO et les problèmes qu’ils dénoncent ont été particulièrement ciblés.
De même, toute revendication autonomiste est considérée comme «terroriste», non seulement du côté de Lhassa, mais aussi au Xinjiang (Turkestan chinois), où les militants ouïgours payent au prix fort leur revendication autonomiste. En fait, ce sont surtout les pays occidentaux qu’embarrassent les manifestants tibétains. Car la Chine est une «bénédiction» : 70 % de ses réserves en devises sont placées en dollars, amortissant ainsi les remous de la crise américaine, tandis que les bas prix des produits Made in China maintiennent une inflation relativement basse en Europe… Au point qu’en 2006, certaines multinationales produisant en Chine l’ont menacée de… délocaliser dans un autre pays lorsque le gouvernement chinois a envisagé d’accorder certaines (timides) avancées sociales aux ouvriers. S’il est difficile de demander le boycott à des athlètes qui ont passé des années à se préparer, il est du devoir des gouvernements d’exprimer clairement aux autorités chinoises leur désapprobation totale quant à la situation des droits humains dans ce pays. Par ailleurs, rien ne «nous» empêche de «retourner» les JO. Qu’il s’agisse pour nos représentants d’arborer fièrement la Déclaration universelle des droits de l’Homme partout et d’en rappeler le contenu à tous leurs interlocuteurs chinois. Ou pourquoi pas, comme le suggérait le 21 mars Yvon Toussaint dans les colonnes du Soir, un geste «déplacé» de certains sportifs lors des cérémonies ? Les JO seront ce que notre volonté d’agir en fera. Il reste peu de temps pour le rappeler fermement aux Chinois. Faute de quoi, nous en serons réduits à boycotter… nos écrans de TV. e Philippe Hensmans, directeur d’AIBF www.amnesty.be/jo
Libertés ! • Rue Berckmans, 9 – 1060 Bruxelles • Tél : 02 538 81 77 Fax : 02 537 37 29 • libertes@aibf.be • www.libertes.be • Éditrice responsable : Christine Bika • Rédacteur en chef : Pascal Fenaux • Comité de rédaction : Bruno Brioni, Thandiwe Cattier, Valérie Denis, Véronique Druant, Samuel Grumiau, Anne Lowyck, Brian May, Suzanne Welles • Ont collaboré à ce numéro : Gilles Bechet, Aurélie Chatelard, Paul Jobin, Antoine Pattefoz, Tetsuya Takahashi et Julien Winkel • Iconographie : Brian May • Maquette : RIF • Mise en page : Gherthrude Schiffon • Impression : Remy Roto • Couverture : Un mouvement de jeunesse japonais en tenue de combat s’apprête à entrer dans le sanctuaire de Yasukuni («Temple du Pays apaisé»), à Tokyo. Construit en 1869 pour rendre hommage aux Japonais «ayant donné leur vie au nom de l’empereur du Japon», les âmes de plus de deux millions de soldats japonais morts entre 1868 et 1951 y sont déifiées. Tokyo, août 2006. © AFP / Kazuhiro Nogi
CHANGEMENT D’ADRESSE – ATTESTATION FISCALE – MODIFICATION, ANNULATION OU NOUVELLE COTISATION DE MEMBRE/DONATEUR(TRICE) Madame Michele Ligot : mligot@aibf.be je change d’adresse (inscrire uniquement la nouvelle adresse) Nom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Prénom: . . . . . . . . . . N° de membre: . . . . . . . Adresse: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N° . . . . . bte . . . . . . . . . . Code postal: . . . . . Localité: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél (obligatoire): . . . . . . . . . . . . . . . E-mail: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Oui, j'adhère aux objectifs d'Amnesty et souhaite devenir membre Je répartis le montant de : ma cotisation de mon abonnement sur toute l’année en complétant ce coupon et en le renvoyant à Amnesty International, 9 rue Berckmans à 1060 Bruxelles. Tout montant qui dépassera 14,87 e (prix de la cotisation ou de l'abonnement), sera considéré comme un «don», et par là-même jouira de la déductibilité fiscale pour autant que ce supplément soit de 30 e ou plus. Je verse tous les mois, au départ de mon compte n° . . . . . . . . . . – . . . . . . . . . . . . . . la somme de : 2,5 e 5e . . . . . . . . e (toute autre somme de mon choix) au profit du compte 001-2000070-06 de Amnesty International à partir du . . . . . . . . . . et jusqu’à nouvel ordre. Je conserve le droit d’annuler ou de modifier cet ordre à tout moment. ou je verse en une fois le mandat de . . . . . . . . . . . . . . au compte 001-2000070-06 Nom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Date de naissance: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N° . . . . . . . . bte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Localité: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél (obligatoire): . . . . . . . . . . . . . . . . E-mail: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Profession: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Date: . . . . . . . . Signature:
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SOMMAIRE ACTUEL
■ Irak : Carnages synchronisés ■ Paroles : «N’importe qui peut vous tuer,
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même la police » ■ Insolites-Brèves
DOSSIER JAPON : AIRS MARTIAUX ■ Les défis d’un regain ultranationaliste ■ Esclaves de réconfort ■ La terreur et le secret ■ Les syndicats entre pression et renouveau
MOUVEMENT
■ «Au Congo, la plupart des initiatives
proviennent des femmes...» ■ Faire courber la Chine – Manifestation le 3 mai à Bruxelles
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ISAVELIVES.BE
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CULTURE/AGENDA
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■ Lettres du mois ■ Bonnes nouvelles
■ Kamituga, une tragédie congolaise ■ Leçon de manipulation ■ Couleurs d’Indochine
ACTU EL ZIMBABWE HARCÈLEMENT ET INTIMIDATION Lors des élections du 29 mars, le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion n’a cessé d’être foulé aux pieds. On a relevé de nombreux actes d’intimidation, de harcèlement et de violence contre les militants de l’opposition. Le 7 mars, trois membres du Mouvement pour le Changement démocratique (MDC) de Morgan Tsvangirai collaient des affiches de campagne à Bulawayo lorsque des membres de l’Organisation centrale de Renseignements (CIO) leur ont ordonné de les enlever, les mâcher et les avaler… Cela n’a manifestement pas empêché la défaite de la Zanu-PF, le parti du président Robert Mugabe, au pouvoir depuis la fin du régime ségrégationniste blanc de l’ancienne Rhodésie. À l’heure de mettre sous presse, les résultats officiels n’étaient pas encore proclamés. e
ÉGYPTE SIDA ET PERSÉCUTION Le 4 mars 2008, au Caire, le ministère public a mis en accusation cinq hommes pour «pratique de la débauche», infraction qui désigne dans le Code pénal égyptien les relations homosexuelles entre hommes consentants. Le Procureur principal a affirmé à un avocat de la défense que ces hommes ne devraient pas être autorisés à «circuler librement dans les rues», car ils représentent «un danger pour la santé publique». Selon l’Initiative égyptienne pour les Droits de la Personne, une ONG cairote, des médecins du ministère égyptien de la Santé et de la Population ont soumis les détenus à un test de dépistage du VIH sans leur consentement et ceux dont la séropositivité a été révélée ont été enchaînés à des lits d’hôpital pendant plusieurs semaines. e
LIBÉRIA COMBATTANTES Dans un nouveau rapport (A flawed process discriminates against women) publié le 31 mars 2008, Amnesty International dénonce la discrimination qui touche les femmes combattantes ou associées aux forces combattantes, largement exclues du programme de Désarmement, démobilisation, réadaptation et réinsertion (DDRR). Rendu public à Monrovia, le rapport a été précédé d’un concert et de la projection du film Women of Liberia : Fighting for Peace. Rejetées socialement, la majorité de ces femmes avaient été contraintes de prendre les armes pour se protéger des violences sexuelles, venger la mort de membres de leur famille, profiter de gains matériels ou survivre, mais aussi en raison de la pression de leurs pairs. Ces femmes ont servi de commandantes, de porteuses, d’espionnes, d’esclaves sexuelles, de cuisinières et de mères. e
UKRAINE ASILE BAFOUÉ Les 4 et 5 mars derniers, 11 demandeurs d’asile tamouls ont été renvoyés de force vers le Sri Lanka par les autorités ukrainiennes. Or, ces demandeurs d’asile avaient tous été enregistrés auprès du Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à Kiev entre août 2007 et janvier 2008 tandis que six d’entre eux avaient fait une demande de statut de réfugié auprès des autorités ukrainiennes. Ils avaient été arrêtés et battus par les services de sécurité ukrainiens (SBU) à la fin du mois de janvier. e
Abu Abdullah (d), un commerçant chiite, vient de perdre deux de ses fils lors d’un attentat-suicide au camion piégé commis contre le marché ouvert de Sadriyah. Bagdad, 4 février 2007. © AP / Khalid Mohammed
IRAK
CARNAGES SYNCHRONISÉS Cinq ans après son invasion par les forces conduites par les États-Unis et le renversement de la dictature baasiste, l’Irak est toujours en plein chaos. La situation des droits humains est désastreuse, un climat d’impunité règne dans le pays, l’économie est dévastée et les problèmes des réfugiés continuent de s’aggraver.
L
’Irak reste l’un des pays les plus dangereux au monde malgré la forte présence des forces de sécurité américaines et irakiennes. Des centaines de civils irakiens sont tués chaque mois. Les groupes armés, notamment ceux opposés au gouvernement irakien et à la Force multinationale (FMN) emmenée par les États-Unis, commettent des attentats aveugles et se rendent coupables d’enlèvements et de tortures. Depuis début 2006, la violence s’est intensifiée et revêt un caractère de plus en plus religieux. Les groupes armés sunnites et chiites s’en prennent aux membres des autres confessions et chassent des communautés entières des quartiers mixtes, ce qui a eu pour conséquence le déplacement de plus de 4 millions de personnes, dont 2 millions sont aujourd’hui réfugiées en Syrie et en Jordanie. Les civils ne sont pas non plus à l’abri face à la FMN et aux forces de sécurité irakiennes. Un grand nombre de personnes ont été tuées en raison du recours à une force excessive, et des dizaines de milliers d’autres sont détenues sans inculpation ni jugement. La peine de mort a été rétablie en 2004 et des centaines de condamnations à mort ont été prononcées. Au moins 33 personnes ont été exécutées en 2007, souvent après un procès inéquitable. Le fait que les autorités irakiennes n’enquêtent pas efficacement sur les nombreuses atteintes aux droits
humains – commises par les forces de sécurité ou par les milices – et ne traduisent pas en justice les responsables de ces actes ne contribue pas à améliorer la situation. Les conditions économiques restent également très mauvaises. La plupart des Irakiens souffrent du manque de nourriture, d’abris, d’eau et d’hygiène, et ont un mauvais accès à l’enseignement, aux soins de santé et à l’emploi. Selon Oxfam, en 2007, 70 % des Irakiens n’avaient pas accès à l’eau potable et 43 % vivaient avec moins d’un dollar par jour. Huit millions d’Irakiens ont besoin d’une aide d’urgence, les plus touchés étant les enfants. Le taux de malnutrition infantile est passé de 19 % pour la période 1991-2003 (alors que l’Irak de Saddam Hussein était frappé de lourdes sanctions internationales) à 28% en 2007. La région du nord de l’Irak, peuplée essentiellement par des Kurdes, connaît une stabilisation ; les actes de violence y sont moins nombreux et la prospérité économique et les investissements étrangers progressent. Néanmoins, là aussi, de graves violations des droits humains continuent d’être commises, y compris des arrestations de personnes ayant exprimé pacifiquement leurs opinions politiques divergentes, des actes de torture, des mauvais traitements, des condamnations à mort et des «crimes d’honneur» contre des femmes.
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ACTU EL LA GUERRE PRIVATISÉE Par ailleurs, dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme», les États-Unis et le Royaume-Uni ont le plus souvent confié des tâches essentielles du domaine militaire et de sécurité à des sociétés privées. Bon nombre de ces entreprises sont basées aux ÉtatsUnis et au Royaume-Uni. Les tâches sous-traitées à ces sociétés vont de la sécurité des fonctionnaires et des projets de reconstruction au soutien logistique, de la formation du personnel militaire et de sécurité au fonctionnement et à l’entretien des systèmes d’armement. Dans certains cas, le personnel de ces sociétés remplit des fonctions très sensibles, par exemple celle de traducteur ou d’interprète lors des interrogatoires de personnes soupçonnées d’actes de terrorisme. Les gouvernements ne se préoccupent généralement pas de l’implication des sociétés de sécurité et des sociétés militaires privées dans des fusillades, des homicides et des actes de torture, entre autres atteintes graves aux droits humains commises en Irak. Le cas le plus connu reste la fusillade du 16 septembre 2007 à Bagdad qui a marqué l’actualité. Ce jour-là, des employés de la société Blackwater avaient tué 17 civils irakiens. Le ministère de la Justice des États-Unis a créé en 2004 une «équipe spéciale chargée des atteintes aux droits des détenus» qui devait se pencher sur tous les cas de torture et de mauvais traitements infligés aux détenus par des agents de sociétés privées sous contrat avec le gouvernement américain, et tout
particulièrement sur les cas de torture signalés à Abou Ghraïb. Plus de trois ans se sont écoulés, mais l’équipe spéciale n’a fait inculper aucun employé d’une société privée pour atteinte aux droits des détenus.
UN TERRIBLE BILAN HUMAIN Pour rappel, l’invasion de l’Irak avait débuté le 19 mars 2003. Le président américain, George W. Bush, avait déclaré la fin de la guerre en mai de la même année et, le 8 juin 2004, le Conseil de sécurité de l’ONU avait adopté la Résolution 1546, selon laquelle l’occupation de l’Irak devait prendre fin avant le 30 juin 2004 et la FMN quitter le pays à la fin de l’année 2005. Depuis, la présence de cette force a été prolongée d’année en année par le Conseil de sécurité et les autorités irakiennes. Le pouvoir exécutif a été rendu au gouvernement irakien en juin 2004 mais les gouvernements qui se sont succédé ont été incapables de faire cesser la violence et d’instaurer une paix durable. Selon une étude réalisée en janvier 2008 par l’OMS et le ministère irakien de la Santé, 151 000 personnes ont été tuées entre mars 2003 et juin 2006. D’après la Mission d’assistance des Nations unies pour l’Irak (MANUI), 34 452 personnes ont trouvé la mort au cours de l’année 2006 et des milliers d’autres ont été blessées. e P.F. Pour en savoir plus : Carnage and despair : Iraq five years on (MDE 14/001/2008)
L’INSOLITE POLITIQUE ET GÉNÉALOGIE Selon la New England Historic Genealogical Society, le candidat à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine Barack Obama - qui plaisante souvent sur le fait qu’il est un lointain cousin du vice-président républicain Dick Cheney - a des liens de parenté avec le président Bush, l’ancien Premier ministre britannique Winston Churchill et les anciens présidents américains Gerald Ford, Lyndon Johnson et Harry Truman. En outre, celui qui pourrait être le premier président noir des États-Unis est également un descendant de Robert Lee, le chef des armées confédérées (sudistes) lors de la guerre de Sécession. Quant à Hillary Clinton, elle serait liée à la chanteuse Madonna et à l’écrivain Jack Kerouac, et par ses racines canadiennes francophones aux chanteuses Céline Dion et Alanis Morissette. Ce n’est pas tout, alors qu’Obama est cousin au 9e degré avec l’acteur Brad Pitt, Hillary Clinton est, elle, cousine au 9e degré avec sa compagne Angelina Jolie. L’arbre généalogique du candidat républicain John McCain présente moins de surprises: il révèle principalement qu’il est un cousin au sixième degré de la Première dame Laura Bush. e (AFP)
PAROLES JAMAÏQUE
«N’IMPORTE QUI PEUT VOUS TUER, MÊME LA POLICE» Dans un nouveau rapport intitulé «Laissons-les s’entretuer» - La sécurité publique dans les quartiers pauvres (1) et rendu public le 1er avril lors d’une conférence de presse à Kingston, Amnesty décrit le quotidien de centaines de milliers de Jamaïcains victimes de la violence des bandes armées et de la répression et du mépris des forces de police.
L
a Jamaïque a l’un des taux les plus élevés d’homicides imputés à des policiers et de meurtres des Amériques. Ainsi, rien qu’en 2007, près de 1 500 personnes ont été victimes de meurtre et 272 ont été tuées par la police. Dans la soirée du vendredi 27 juillet 2007, Ravin Thompson, âgé de 18 ans, était chez sa tante Pinky, qui habite un quartier défavorisé de Kingston, lorsque sont arrivées deux jeeps transportant chacune quatre soldats et un policier. Les policiers ont ouvert le feu tandis qu’ils poursuivaient un jeune homme qui tentait de leur échapper, avant de s’engouffrer dans la maison de Pinky. Ravin a été atteint à l’épaule et au bras par les policiers. Sa tante a demandé aux policiers d’emmener son neveu à l’hôpital et a insisté pour l’accompagner dans la jeep. Un soldat l’a poussée hors de la jeep et lorsque Pinky est enfin arrivée à l’hôpital, Ravin était mort. L’autopsie a révélé que son corps portait quatre blessures par balle et qu’il avait été plus que probablement achevé dans la jeep avant d’arriver à l’hôpital. Le Bureau of Special Investigations (BSI) et la Police Public Complaints Authority (PPCA) ont ouvert une enquête mais personne n’a été inculpé. Des habitants de Majesty Gardens, un ghetto de Kingston, témoignent. «Si vous avez un pistolet, vous n’êtes pas en sécurité parce que des bandits attaquent ceux dont ils savent
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«N’amenez pas vos fusils», un écriteau dans une rue du quartier populaire de Majesty Gardens. Kingston, 4 octobre 2007. © AI qu’ils ont une arme à feu. Si vous n’en avez pas, vous n’êtes pas en sécurité non plus, car n’importe qui peut venir vous tuer, même la police. Et même si vous n’avez rien fait vous courez quand même un risque, parce que si l’un de vos proches a mis les gangs en colère et que ceux-ci n’arrivent pas à mettre la main sur lui, ils viennent vous trouver. «Quand nous étions en pleine «guerre», nous ne pouvions pas boire d’eau potable car il fallait se rendre dans un quartier voisin pour s’approvisionner aux cuves, mais on ne pouvait pas traverser cette zone parce qu’elle était trop dangereuse et que les gangs du coin considéraient toute personne de chez nous comme une menace […] La nuit, nous devions tous dormir par terre, que ce soient les enfants ou la grand-mère, tout le monde ; nous nous mettions sous le matelas car les tirs peuvent parfois traverser la maison et tuer. «Un voisin recherché par une bande armée refusait de prendre parti. Comme il n’a pas voulu choisir de camp, ils ont incendié sa maison et détruit tout ce qu’il avait ; il s’est enfui mais ils sont revenus pour tuer son fils et sa mère.» e P.F. (1) «Let them kill each other» – Public Security in Jamaica’s inner cities (AMR 38/001/2008)
DOSSIER
JAPON
AIRS MARTIAUX Le 15 août 1945, après les bombardements de Nagasaki et Hiroshima à l’arme atomique par les États-Unis, la capitulation de l’armée japonaise marquait la fin de la Seconde guerre mondiale. Cette guerre avait été jalonnée d’innombrables atrocités, qu’il s’agisse du travail forcé dans les territoires occupés, de l’exploitation sexuelle de plusieurs centaines de milliers de prisonnières et de nombreux massacres, dont le plus sinistrement célèbre reste assurément celui de Nankin (qui était alors la capitale de la Chine nationaliste) où au moins 150000 Chinois de tous âges furent assassinés. Occupé par l’armée américaine, le Japon adoptait en mai 1947 une constitution libérale limitant drastiquement les prérogatives de la maison impériale et de l’armée. De même, sous la pression de l’administration militaire américaine, un sérieux bémol était mis au discours nationaliste et conquérant qui avait guidé la politique japonaise jusqu’à l’effondrement de 1945. Le Japon s’est rapidement remis sur pied en développant un modèle social conjuguant des normes traditionnelles plutôt autoritaires (ce qu’illustre le recours massif à la peine de mort) avec un capitalisme agressif, et souvent aux dépens d’un pluralisme, certes constitutionnellement garanti, mais qu’illustre peu le système politique. Retour sur un Japon en proie à un réveil nationaliste.
À l’occasion de la première d’un film révisionniste du réalisateur (et gouverneur de Tokyo…) Shintaro Ishihara, des hommes revêtus de tenues de pilotes de chasse kamikazes de la Seconde guerre mondiale font une haie d’honneur. Tokyo, 6 avril 2006. © AFP / Kazuhiro Nogi
LES DÉFIS D’UN REGAIN ULTRANATIONALISTE Depuis les années 90, l’opinion publique et les gouvernants se sont rapprochés de la droite extrême, cultivant le passé militaire du Japon, le révisionnisme, le nationalisme offensif et la xénophobie. Analyse.
U
n citoyen européen serait très surpris de découvrir, alignés sur les rayons les plus en vue des grandes librairies de Tokyo, nombre d’ouvrages affichant ouvertement leur nationalisme échevelé, leur révisionnisme historique ou leur opposition aux droits humains. Nul doute qu’en France, ces ouvrages seraient taxés d’extrémisme de droite. Beaucoup d’entre eux aiment à souligner les menaces militaires que représentent la Chine ou la Corée du Nord et des slogans comme kenkanryû («détester la mode coréenne») invitent sans vergogne à la haine contre les Coréens ou les Japonais d’origine coréenne. D’autres entendent «prouver» que le massacre de Nankin et l’esclavagisme sexuel pratiqué par l’armée japonaise (le problème dit des «femmes de réconfort») ne sont qu’une «manipulation organisée par les forces anti-japonaises à l’intérieur et depuis l’extérieur du pays». D’autres encore appellent à «la résurrection du magnifique peuple japonais, capable d’affirmer avec force son identité», à «la reconquête de la fierté du Japon», à se débarrasser de «l’histoire masochiste enracinée
dans le pays depuis 1945 par l’injuste procès de Tokyo mené par les puissances victorieuses». Impossible de nier l’impact de telles publications, qui affichent parfois des ventes de plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. On peut trouver de nombreuses causes à ce phénomène, qui a commencé dans les années 90 pour se généraliser dans la seconde moitié de la décennie. Avec la fin de la Guerre froide, le Japon s’est retrouvé confronté à une globalisation effrénée, ce qui a provoqué, comme partout, une réaction de repli sur «l’identité nationale». De plus, dans le cas du Japon, on a souvent parlé, depuis les années 70 et jusqu’aux années 80, d’un «nationalisme de grande puissance économique». Avec l’explosion de la «bulle spéculative» à la fin des années 80, le pays est entré dans une longue période de dépression, et cette forme de nationalisme s’est vite érodée. C’est dans ce contexte que se sont multipliés, pendant les années 90, les procès exigeant des réparations pour les crimes de guerre japonais commis lors de la guerre d’invasion et de la
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DOSSIER de l’opinion publique s’est largement rapprochée de la droite extrême. De plus, l’enlèvement de treize Japonais par la Corée du Nord, reconnu publiquement devant le Premier ministre Junichiro Koizumi par le dirigeant coréen Kim Jong-Il (qui a également précisé que huit d’entre eux étaient morts et a présenté des excuses) a créé une très grande émotion au Japon et provoqué la montée d’une ligne dure, marquant la résurgence d’un nationalisme offensif.
CRIMINELS DE GUERRE HONORÉS Depuis le début du XXIe siècle, les hommes politiques japonais ont eux aussi compris ce virage à droite de l’opinion et ont décidé de flatter cette tendance. Le symbole le plus fort est certainement les visites de l’ancien Premier ministre Koizumi au sanctuaire Yasukuni, six en tout depuis son arrivée au pouvoir en 2001. Le sanctuaire a été construit l’année suivant la restauration de Meiji (en 1869), afin d’honorer comme des héros tous les soldats morts à la guerre au sein de l’ex-armée japonaise. Ce sont ainsi près de 2 470 000 morts au combat, depuis Meiji jusqu’à la défaite dans la guerre du Pacifique en 1945, qui sont révérés comme des kamis (divinités du culte shinto) dans ce sanctuaire devenu le symbole spirituel du militarisme japonais. Ces visites ont aussi été vivement critiquées à l’intérieur du pays, car elles constituaient une infraction au principe de séparation de l’Église et de l’État inscrit dans la Constitution d’après guerre. Mais, surtout, le sanctuaire Yasukuni a accepté depuis 1978 d’honorer les âmes de quatorze criminels de guerre de classe A, comme l’ancien Premier ministre Hideki Tôjô (sept d’entre eux avaient été condamnés à mort pendant le procès de Tokyo, sept autres étaient morts en détention). La visite au sanctuaire du Premier ministre pouvait donc être perçue comme un déni de la part de l’État japonais de ses responsabilités envers les victimes de la Seconde Guerre mondiale, c’est pourquoi les gouvernements coréens et chinois ont fait part de leur indignation. Jusqu’à présent les Premiers ministres avaient toujours fait preuve de circonspection. Mais Koizumi, tout en clamant qu’il ne niait en aucun cas les responsabilités du Japon, a rejeté les critiques émises par les gouvernements chinois et coréens en les accusant d’«ingérence», et a continué ses visites au sanctuaire. Les relations avec la Chine et la Corée se sont alors dégradées à tel point que toute conférence au sommet avec ces pays devint impossible. Malgré tout, au Japon, il en a tiré une énorme cote de popularité. Cette politique a en outre procuré au sanctuaire Yasukuni un tel regain de popularité auprès des jeunes générations qu’il en est devenu un symbole du nationalisme japonais encore plus fort que l’empereur luimême.
EXTRÊME DROITE
l Dirigeant du principal parti japonais, le Parti libéral-démocrate, le Premier ministre Junichiro Koizumi (remplacé en août 2006) est guidé par un prêtre shintoïste lors d’un pèlerinage au sanctuaire de Yasukuni. Ce sanctuaire à la gloire des guerres passées suscite la colère des anciennes nations occupées par le Japon durant la Seconde guerre mondiale, comme la Chine, la Corée, les Philippines, etc. Tokyo, 14 janvier 2003. © REUTERS/Toshiyuki Aizawa
colonisation. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’intensification de la Guerre froide avait fait sombrer dans l’oubli les nombreux procès et les réparations impayées, aussi le problème fut-il considéré comme «réglé» par le Japon. En Chine, dans la péninsule coréenne ou dans le Sud-Est asiatique, de nombreuses victimes de la guerre virent leurs plaintes étouffées par les régimes autoritaires locaux, et beaucoup d’entre elles périrent avant d’avoir pu toucher la moindre indemnité. Mais avec la fin de la Guerre froide, la politique d’ouverture menée en Chine et la démocratisation de la Corée, des Philippines et de Taïwan, les victimes survivantes purent enfin porter plainte devant les tribunaux japonais. Il y eut ainsi près de quatre-vingts procès dans les années 90, à commencer par ceux concernant les «femmes de réconfort» (lire également p. 7). Si ces plaintes furent accompagnées par des mouvements de soutien au Japon, on a surtout assisté à une réaction massivement hostile. En effet, la majorité de la population dorénavant constituée par des générations nées après-guerre n’acceptaient pas de voir leur pays condamné pour des «crimes» dont elles n’avaient pas souvenir. De nombreux artistes et universitaires ont multiplié les campagnes médiatiques à grande échelle pour justifier la domination coloniale et la guerre d’invasion et condamner «le charme de l’histoire masochiste» en militant pour une «renaissance de la fierté japonaise». C’est dans ce contexte qu’une majorité
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L’arrivée au pouvoir, en 2006, de Shinzô Abe (prédécesseur de l’actuel chef du gouvernement, Yasuo Fukuda) représente le sommet de ce mouvement de «droitisation». On peut même dire qu’avec lui, c’est finalement l’extrême droite japonaise qui a réussi à prendre le pouvoir. Il est
Ce manuel scolaire ultranationaliste - où l’on reconnaît le Mandchoukouo, État chinois satellite créé en 1931 par le Japon en Mandchourie – a été agréé par le ministère japonais de l’Éducation. Tokyo, 5 avril 2005. © REUTERS/Yuriko Nakao
DOSSIER j Dans ce camp de prisonniers de guerre établi en Birmanie, 20 «femmes de réconfort» coréennes sont gardées par des soldats américanojaponais, en compagnie de leurs anciens geôliers. Photo tirée de l’exposition organisée à Tokyo en octobre 2005 par Amnesty International et l’Active Museum for War and Peace, Justice for Survivors of Japan’s Military Sexual Slavery System: Still waiting for justice after 62 years. Myitkyina, 14 août 1944. © National Archives, USA
le petit-fils de Nobusuke Kishi, qui, après avoir été suspecté d’être un criminel de guerre de classe A, est devenu un Premier ministre typique de l’aile droite dans les années 60. C’est lui qui a renouvelé dans des circonstances difficiles le traité très controversé de sécurité militaire nippo-américain. Abe n’hésite pourtant pas à afficher sa fierté concernant cette sulfureuse ascendance. Dès son arrivée au pouvoir, il a repris à son compte bon nombre des exigences de la droite japonaise la plus dure : critique du procès de Tokyo, révisionnisme historique et révérence au sanctuaire Yasukuni. Il ne cesse d’appeler à la «sortie du régime d’après guerre», dont les piliers sont la Constitution pacifiste élaborée sous l’occupation américaine et la Loi fondamentale sur l’éducation qui garantit la liberté de l’enseignement. Et même si son manque d’expérience politique ne lui a pas permis de se maintenir au pouvoir plus d’un an, il aura réussi dans l’intervalle à faire réformer la loi sur l’éducation afin de promouvoir un enseignement plus patriotique, à changer le mode de réforme de la Constitution par le biais du référendum et à redonner à l’Agence des forces d’autodéfense le rang de ministère à part entière : autant de réformes que les conservateurs japonais n’avaient jamais réussi à faire adopter, malgré toute leur détermination. Le discours critique vis-à-vis du procès de Tokyo, incarné par Shinzô Abe, révèle cependant un des paradoxes fondamentaux de la droite japonaise, puisque c’est ce procès qui a assuré la survie du système impérial japonais en dégageant l’empereur Shôwa (Hirohito) de toute responsabilité dans la guerre. Autre paradoxe fondamental de la droite, celle-ci en appelle à la «sortie du régime d’après guerre» tout en préservant une alliance inconditionnelle avec les États-Unis, qui ont pourtant institué ce «régime». Pire encore, sa vision de l’histoire, inacceptable hors des frontières du Japon, constitue un point faible décisif. Et pourtant, malgré ses paradoxes et ses faiblesses, le «nationalisme agressif» paraît plus fort que jamais depuis la fin de la guerre. Il est ainsi tout près d’obtenir la résurrection pure et simple de l’armée japonaise. Grâce aux premiers pas qu’ont constitués les opérations conjointes avec les forces américaines et le soutien apporté au Japon dans leur effort de guerre, il semble qu’il sera bientôt impossible d’empêcher la droite japonaise d’accomplir ce rêve. e Tetsuya Takahashi, professeur à l’Université de Tokyo (Traduit du japonais par Tristan Brunet)
ESCLAVES DE RÉCONFORT
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vec Femmes de réconfort, Jung Kyung-a, auteure coréenne de BD aborde l’expérience des femmes recrutées de force par l’armée japonaise pour les maisons closes militaires. «Réconfort», un euphémisme pour qualifier ces victimes d’enlèvements et de viols que l’humiliation a contraint au mutisme pendant plus de cinquante ans et qui n’ont toujours pas obtenu réparation. C’est à partir du témoignage d’une grand-mère, fille de colons néerlandais d’Indonésie, que Jung Kyung-a replonge les lecteurs dans les années 30, lors de la guerre sino-japonaise. Réquisitionnées dans les camps de prisonniers ou enlevées à leur famille avec la promesse d’un travail à l’usine, près de 200 000 femmes ont été réduites en esclavage sexuel pour l’agrément de l’armée impériale. Pour le Japon, la gestion directe des prostituées se justifiait par des arguments contestables sur l’hygiène, la réduction des viols et la valorisation du sentiment guerrier des soldats. Trois figures principales rythment le récit : la Hollandaise Jan Ruff O’Herne, prisonnière des Japonais, Aso Tetsuo, médecin de l’armée chargé d’examiner ces femmes, et la Coréenne Lee Ok-Sun, autre victime de la traite. Jung Kyung-a fait des apparitions ponctuelles, elle dialogue avec les personnages, alternant commentaires pertinents et précisions didactiques. Riche en références, l’ouvrage permet d’appréhender le contexte politique et social pour comprendre comment l’armée japonaise a réussi à mettre en place un tel système et à le tenir secret aussi longtemps. Le style manga apporte un souffle léger avec un trait caricatural et le décalage de certains dialogues et personnages ne manque pas d’humour. Cet usage de la dérision donne toute sa force à la peinture de cette page sombre de l’histoire japonaise. e Aurélie Chatelard
Femmes de réconfort, esclaves sexuelles de l’armée japonaise, Jung Kyung-a, coédition Au diable vauvert - 6 Pieds sous terre, 2007.
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DOSSIER PEINE DE MORT
LA TERREUR ET LE SECRET Sujet tabou, la peine capitale au Japon ne suscite pratiquement aucun débat. Pourtant, les procédures judiciaires sont controversées, les conditions de détention très dures et les condamnés sont exécutés dans la plus grande discrétion, malgré quelques récents efforts de transparence, après avoir passé parfois des décennies en prison.
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n décembre 2007, le ministère de la Justice – qui se borne d’ordinaire à annoncer a posteriori les exécutions sans plus de détails – a communiqué l’identité de plusieurs condamnés à mort. Mais le culte du secret demeure. En décembre, la mise à mort des détenus, dont l’un était âgé de 75 ans, a valu au Japon une nouvelle volée de critiques, entre autres de la part du Haut-commissaire de l’Onu pour les droits de l’homme. Reste que les pressions internationales ne semblent pas effrayer les gouvernements successifs, et pour cause : en 2002, le Conseil de l’Europe menaçait le Japon de lui retirer son statut d’observateur auprès de l’organisation si aucun progrès notable n’était constaté au 1er janvier 2003. Résultat, en 2007, le Conseil brandissait à nouveau la même menace… Le nombre de condamnés à mort n’a jamais été aussi élevé en trente ans : 46 en 2007, contre 44 en 2006. Et 106 détenus se trouvaient dans les couloirs de la mort en 2007, un record depuis 1980. Neuf ont été exécutés durant l’année écoulée. Okunishi Masaru, lui, n’a pas eu cette «chance», en tout cas son supplice n’a pas été abrégé : à 81 ans, il attend d’être exécuté depuis plus de quarante ans ! Condamné à mort en 1961 mais ayant introduit des recours, il est victime de l’extrême lenteur de la procédure. Et les exemples abondent : Teruo Ono et Kazuo Sagawa ont été pendus le 16 décembre 2001 pour des crimes commis respectivement en 1977 et 1981 ; en 1997, l’écrivain Nirio Nagayama a été exécuté trente ans après sa condamnation (Libération, 11 novembre 2004). En théorie, un ordre d’exécution doit être signé personnellement par le ministre de la Justice dans les six mois qui suivent la condamnation définitive. Histoire d’accélérer les procédures et de respecter ce délai, le nouveau ministre de la Justice, Kunio Hatoyama, partisan de la peine de mort, a proposé en octobre que l’exécution intervienne «automatiquement» dans les six mois. Il estime en effet que signer ces arrêts constitue une charge émotive trop lourde. Si le précédent ministre, Jinen Nagase, avait fait pendre dix meurtriers, certains ont instauré un moratoire de fait, à l’image de son prédécesseur, l’avocat bouddhiste Seiken Suguira, pendant quinze mois. La proposition de Kunio Hatoyama a provoqué un tollé dans les rangs des abolitionnistes et des ONG de défense des droits de l’Homme, dont la section japonaise d’Amnesty International, qui y voient surtout une manière d’augmenter la cadence des exécutions. En réponse, le ministre s’est dit «prêt à écouter les opinions de ceux qui s’opposent à la peine capitale», ajoutant : «Si vous pensez que six mois sont une période trop courte pour obtenir un nouveau procès ou une grâce, alors nous devrions envisager de réviser la loi actuelle.»
CRUAUTÉ Quoi qu’il en soit, chaque jour peut être le dernier pour les prisonniers, informés le matin même qu’ils vont être conduits au gibet. «Ni les condamnés ni les familles ne sont prévenus à l’avance de l’exécution», confirme l’avocat Yuichi Kaido, qui milite pour le respect des droits des prisonniers. Dès lors, remarque-t-il, la décision du ministre de la Justice de nommer les condamnés à l’opinion «ne constitue aucunement un quelconque «progrès». De plus, les condamnés à mort continuent de rester cloîtrés en cellule individuelle sans possibilité de communiquer avec d’autres prisonniers. Durant leurs entretiens avec l’avocat ou la famille, il y a toujours un gardien à côté.» À la cruauté des conditions de détention et d’exécution, s’ajoute le risque d’erreur judiciaire. En effet, en attendant son procès, le suspect est détenu en garde à vue, à l’origine pour pallier le manque de places dans les prisons. Les suspects peuvent passer jusqu’à vingt-trois jours dans des cellules de la police tout en étant soumis à de longues périodes d’in8 Libertés ! Avril 2008
l Arrêté en 1949 pour le meurtre de deux personnes, Sakae Menda a passé 34 ans dans le «couloir de la mort», avant d’être acquitté en 1983 de toutes les accusations qui pesaient sur lui. Il est le premier prisonnier japonais jamais sorti du «couloir». Londres, 17 octobre 2007 © AI
terrogatoire. Résultat, estime Amnesty International, les sentences capitales sont souvent prononcées à l’issue de procès iniques alors que les suspects, après de longs interrogatoires, des menaces et des actes de violence, ont «avoué» leurs crimes. Or l’aveu l’emporte sur la preuve… Amnesty International cite le cas de Akahori Masao, condamné à mort en 1958 à l’âge de 25 ans pour viol et meurtre. Il a toujours proclamé son innocence : «Ceux qui m’interrogeaient m’ont frappé à la tête, quasiment étranglé avec leurs mains et roué de coups de pied… J’ai décidé d’acquiescer à toutes leurs questions parce que je ne résistais pas à la torture.» Ce n’est qu’en 1987, après quatre requêtes devant les tribunaux, qu’un nouveau procès s’est ouvert. Akahori Masao a été acquitté à l’âge de 59 ans, après avoir passé trentequatre ans derrière les barreaux.
OPACITÉ La peine de mort au Japon est entourée de secret. Les conditions de détention et d’exécution sont particulièrement opaques, les mises à mort se déroulent souvent lors des vacances parlementaires, lors d’élections ou de jours fériés. La population est maintenue le plus possible dans l’ignorance, tout est fait pour éviter l’émergence de débats sur la question – les sondages, par exemple, sont biaisés. Pourtant, relève Amnesty International, le moratoire instauré de facto de 1989 à 1993 par le ministre de la Justice n’avait suscité aucune opposition notable de la part de la population ni aucune augmentation de la criminalité. Mais, l’air du temps est à la propagande sécuritaire au nom des familles de victimes. Mariko Fujita, d’Amnesty International Japon, relève que «la situation est déplorable, les informations sur les meurtres sont consommées comme un divertissement. Les médias diffusent des détails sensationnalistes et suscitent la haine contre les coupables. Et le sentiment d’insécurité grandit.» Yuichi Kaido fait la même analyse, citant, outre les personnalités médiatiques habituelles, le cas d’un avocat qui a dénoncé à la télévision ces «mauvais» confrères qui défendent les condamnés à mort, invitant les téléspectateurs à envoyer des messages de protestation au Barreau national pour réclamer des «mesures disciplinaires» à leur encontre. La peine capitale semble donc avoir encore de beaux jours devant elle. De toute façon, ce n’est pas un châtiment cruel, la Cour suprême l’a établi en 1948. En accord avec la Constitution japonaise, qui prohibe de telles punitions… e Antoine Pateffoz
DOSSIER
LES SYNDICATS ENTRE PRESSION ET RENOUVEAU Au Japon prédomine aujourd’hui une conception exclusive et étouffante d’une harmonie forcée entre l’employeur et l’employé, avec la complicité des syndicats. Mais quelques formations minoritaires continuent de lutter, notamment sur les questions de santé publique.
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Etsuya Washio, dirigeant du syndicat majoritaire Rengô, lors de la Fête du Travail. Tokyo, 1er mai 1999. © REUTERS/ Kimimasa Mayama
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e syndicat japonais fait plus souvent office d’annexe du service du personnel que de véritable porte-parole des employés. Cette vision du syndicalisme mérite d’autant plus d’attention qu’elle s’est déjà diffusée dans le reste du monde à travers la réussite modélisée de certaines de ses grandes entreprises (lire l’encadré). Elle tend à s’imposer au sein des instances onusiennes, notamment l’OMC (Organisation mondiale du commerce), ce qui n’est pas très surprenant, mais aussi, et c’est plus gênant, à l’OIT (Organisation internationale du travail) de par son statut de représentation tripartite (gouvernements, employeurs et travailleurs), et parce que le Japon y exerce une influence proportionnelle à sa contribution financière. Enfin, cette conception d’un syndicalisme consensuel, hostile à toute négociation conflictuelle incluant le recours à la grève ou d’autres réactions collectives de la part des employés, tend également à s’imposer parmi de grandes fédérations syndicales, non sans tension avec les responsables syndicaux qui envisagent différemment leur rôle. La montée en puissance de la Chine au niveau mondial ne risque pas de corriger cette tendance, bien au contraire. Néanmoins, comme toute société démocratique garantissant la liberté d’expression, le Japon a suscité lui-même ses propres «anticorps» contre ce virus antisyndical. Les premières formations syndicales au Japon virent le jour à la fin du XIXe siècle, à peu près à la même époque qu’en Europe et en Amérique du Nord. Il faut toutefois attendre la Constitution de 1947 pour que la liberté syndicale soit pleinement garantie. La confédération Sanbetsu, proche du Parti communiste, n’en fut pas moins très vite décimée par une vaste «purge rouge», dans un contexte tendu par la guerre de Corée. La confédération Sôhyô, créée en 1950, proche du Parti socialiste, prit le relais d’un syndicalisme indépendant et revendicatif sur les questions salariales, l’anti-nucléaire et le pacifisme. Les grèves se succédèrent dans les grandes entreprises privées (acier, charbon, chimie, automobile…). La dernière grande grève se déroula en 1960, à la mine de charbon de Miike, sur l’île de Kyûshû.
Par la suite, le coopérationisme prôné par la confédération Dômei s’est imposé pleinement, éliminant pratiquement toute éventualité de grève dans les entreprises privées, si l’on omet quelques mouvements minoritaires durant l’effervescence sociale générale des années 1968-1972. Entre la fin des années 60 et le milieu des années 80, il y eut un sursaut de la part des syndicats des services publics qui constituaient la dernière assise populaire de la Sôhyô. Le syndicat des chemins de fer tenta ainsi de s’opposer à la privatisation, mais dans une société désormais absorbée par la consommation de masse, les cheminots furent stigmatisés comme des fonctionnaires paresseux par une campagne médiatique bien orchestrée et la privatisation fut achevée en 1987. Deux ans plus tard, la Sôhyô rendait les armes et fusionnait avec sa rivale, la Dômei, pour former la Rengô en 1989. Celle-ci revendique aujourd’hui plus de 6,5 millions d’adhérents. C’est elle qui est censée représenter les travailleurs japonais à l’OIT et dans les grandes confédérations internationales comme la CSI (Confédération syndicale internationale). Mais la plupart de ses cadres partagent les mêmes valeurs coopérationistes que les grands dirigeants d’entreprise, voire un train de vie comparable, et sont donc plus enclins à répercuter les arguments de la direction que ceux des travailleurs. Ainsi, malgré ses déclarations, la Rengô ne réussit guère à fédérer les travailleurs précaires, qui représentent aujourd’hui plus de 20 % de la population active. La Rengô ne défend plus guère les enseignants que le ministère de l’Éducation veut forcer à chanter l’hymne à l’empereur et à saluer le drapeau national hinomaru, sous peine de sanctions et de licenciement (1).
RÉSISTANCES Parallèlement, depuis le milieu des années 80, de nouvelles organisations syndicales se sont fait jour. Certes elles sont encore minoritaires, mais beaucoup plus dynamiques que la Rengô, mieux ancrées dans le tissu associatif local, notamment avec le bureau d’Amnesty International à Tokyo, et par de tel biais, en lien avec la société civile d’autres pays, particulièrement en Asie. Parfois elles réussissent même à faire bouger la Rengô grâce à des initiatives originales, en particulier sur les questions de santé publique relatives au travail ou aux politiques industrielles. Ainsi, en 2006, ces syndicats sont parvenus à empêcher un projet de loi visant à déréguler les heures de travail supplémentaires, en impliquant la Rengô et plusieurs partis politiques (Parti démocrate, Parti social-démocrate et Parti communiste), et en fédérant le mouvement social qui s’était développé depuis les années 90 autour des familles de victimes de karôshi (mort brutale par surmenage de travail : infarctus, embolie cérébrale…) ou de karôjisatsu (suicide dû à un surmenage de travail). Depuis 2005, à la faveur d’un scandale et grâce à vingt ans de lutte au niveau local avec les victimes de l’amiante, ces syndicats ont réussi à susciter une vaste campagne médiatique (analogue à celle que connut la France en 1995-1996) permettant d’aboutir à une interdiction complète de l’amiante en 2006 et visant à obtenir un système d’indemnisation digne de ce nom. L’enjeu est d’importance pour le reste de l’Asie puisque, alors qu’elle tendait à décliner, la consommation d’amiante a repris depuis 2000 dans des proportions dantesques (la Chine est aujourd’hui le premier consommateur mondial, devant l’Inde), augurant à terme d’une épidémie encore plus importante que celle qui frappe aujourd’hui l’Europe et l’Amérique du Nord. Dans cette course contre la mort, les nouveaux syndicats japonais ont su affirmer la force fondamentale de la liberté syndicale pour déjouer le chantage à l’emploi, faire valoir l’exercice du droit syndical comme droit à un environnement sain, non pollué. Il s’agit là d’une question vitale pour un très grand nombre de personnes à travers le monde. Toutefois, elle est encore loin de faire l’unanimité dans les pays européens eux-mêmes, où l’on a encore beaucoup trop tendance à fermer les yeux sur l’exportation de matières toxiques selon le principe que ce qui est désormais mauvais pour notre santé peut être bon pour le développement économique des pays en voie de développement. e Paul Jobin, maître de conférences à l’Université Paris-Diderot (1) Cf. la pétition : http://vpress.la.coocan.jp/nezu-french.html.
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MOUVEMENT CERCLE BENENSON BRUXELLES, LE JEUDI 10 AVRIL À 20H00 LES ENFANTS SOLDATS AVANTPREMIÈRE DU FILM «EZRA» ET RENCONTRE Ezra, jeune ex-soldat sierra léonais, essaie tant bien que mal de retrouver une vie normale après la guerre civile qui a ravagé son pays. Son quotidien est partagé entre un centre de réhabilitation psychologique et un tribunal de réconciliation nationale organisé sous l’égide de l’ONU. Durant le procès en réhabilitation auquel il participe, Ezra doit affronter sa soeur qui l’accuse du meurtre de leurs parents. Il a traversé cette violente guerre civile complètement drogué et alcoolisé et ne se souvient de rien. Reconnaîtra-t-il l’horreur et permettra-t-il à sa soeur et à sa communauté villageoise d’accéder au pardon ? Le film Ezra a reçu le Grand Prix Étalon d’Or au FESPACO (Panafrican Film and Television Festival of Ouagadougou) et a été sélectionné dans de nombreux festivals internationaux réputés comme le SUNDANCE aux États-Unis, le Festival du Film de Londres ou encore le Festival du Film africain de Milan. Lieu : Palais des Beaux-Arts – Salle M – rue Ravenstein 23 – 1000 Bruxelles Entrée : 10 e (adultes) – 7,5 e ( -26 ans + 60 ans et demandeurs d’emploi) - gratuit ( membres du Cercle Peter Benenson (uniquement sur réservation ; 50 places disponibles)) Réservation : 02/507 82 00
Projection de film bilingue Rencontre en français en présence du réalisateur Newton I. Aduaka et des acteurs Mariame N’Diaye et Émile Abossolo M’bo En collaboration avec Bozar Cinéma e
GROUPE 156 – TOURNAI Le samedi 19 avril, de 13h00 à 20h00, dans le cadre de la SEMAINE DE LA SOLIDARITÉ à Tournai, le Groupe 156 tient un stand qui comprend une expositions de photos sur le Myanmar (Birmanie), une pétition et une vente de bougies, bics, briquets,… Où ? À Choiseul (Avenue Bozière),
Par ailleurs, le mardi 22 avril, à 20h00, dans le cadre du GALA CINÉMA AMNESTY, le Groupe 156 organise également la projection d’Ezra (voir détails sur le film ci-dessus).e Où ? Au cinéma Imagix (Boulevard Delwart 60 – 7500 Tournai)
GROUPE 8 - FOREST LA DICTÉE D’AMNESTY Le samedi 12 avril 2008 à 10h30, venez tester votre orthographe et gagnez l’un des nombreux beaux prix. e Où ? À l’Institut Sainte Ursule, avenue des Armures 39, 1190 – Forest (Bruxelles, Altitude 100) Places en prévente : 4 e pour les 15-20 ans et 7 e pour les + de 20 ans, payées par virement au compte 034-1964966-02 avant le 9 avril. Sur place, 5 et 8 e. Tél : 02 476 03 63 – Email : AmnestyG8@gmail.com Petite restauration possible sur place
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GROS
PLAN
«AU CONGO, LES INITIATIVES PROVIENNENT DES FEMMES...» Françoise Guillitte, responsable du programme Droits des femmes pour AIBF, s’est rendue en mission dans l’est du Congo, à l’initiative du Secrétariat International (SI) d’Amnesty. But de l’opération : collecter un maximum d’informations concernant l’état des droits humains et plus particulièrement ceux des femmes et des enfants soldats... Rencontre.
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rançoise, tu es partie en mission dans l’est du Congo à l’initiative du Secrétariat International d’Amnesty. Quel était le but de cette visite qui s’est déroulée du 15 février au 6 mars 2008 ? En réalité, le Secrétariat International d’Amnesty organise deux missions en République Démocratique du Congo chaque année. Le but est d’accompagner Andrew Philip, le chercheur spécialisé sur les thématiques propres à ce pays. Dans le cadre de la mission à laquelle j’ai participé, il s’agissait, à peine un mois après la conférence sur la paix dans l’est du Congo organisée le 23 janvier à Goma (NDLR – la conférence, qui a réuni des représentants de la plupart des partis politiques et des milices, a permis d’arriver à un accord concernant un cessezle-feu effectif, un retrait militaire et le déploiement de casques bleus dans les zones sensibles pour y protéger la population civile), de s’intéresser à la situation des populations civiles, des personnes déplacées, des enfants soldats et des femmes victimes de violences sexuelles dans une région du pays encore secouée par de violents affrontements entre les milices et l’armée régulière. J’ai donc été conviée en raison de mon expertise à propos des femmes victimes de violences sexuelles et des enfants soldats. Plus globalement, le but de la mission était d’accumuler assez d’informations de première main afin de pouvoir produire un rapport et de faire par la suite une série de recommandations au gouvernement congolais ainsi qu’aux pays occidentaux et ce dès le mois de mai. En quoi a consisté ton travail sur place ? Nous avons tout d’abord rencontré les autorités locales. Il faut savoir à ce sujet qu’Amnesty ne fait jamais de visites «surprises» et que notre organisation s’annonce toujours aux autorités... Une fois celles-ci rencontrées, nous avons eu différentes réunions avec les gens travaillant sur le terrain, comme la MONUC (NDLR – la mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo) ou les activistes des droits humains. Quel était le but de ces rencontres ? Notre volonté était bien évidemment de se faire une idée de la situation sur le terrain avant de mener nos propres investigations. La MONUC, par exemple, disposait de précieuses informations sur l’état de dangerosité de certaines zones, de certaines routes. La République Démocratique du Congo est un pays en guerre... Il faut donc prendre ses précautions avant de partir en promenade...
Tu parles de «nos propres investigations»... Peuxtu nous en dire un peu plus à ce sujet ? Il faut savoir que les autorités congolaises avaient un message à faire passer à propos des sujets auxquels nous nous intéressions. Notre mission était de l’entendre mais, bien entendu, par après, de nous faire aussi notre propre opinion, d’aller voir ce qu’on ne voulait peut-être pas nous montrer... Et qui était ? Des victimes... Beaucoup... Nous avons été les rencontrer en essayant de nous faire accepter, ce qui n’a pas toujours été évident. Ces gens sont dans le dénuement le plus total et il a été complexe de leur expliquer que nous n’étions pas une organisation humanitaire, que nous n’avions pas de médicaments, pas d’argent, pas de matériel à leur donner, mais que nous étions là pour recueillir leurs témoignages afin de pouvoir faire connaître la situation dans laquelle ils se trouvent au reste du monde, à la communauté internationale, et pour que, surtout, justice soit faite. La population est victime d’atrocités dues aux combats, aux milices ou à l’armée et se tait parce que, si elle parle ou si elle réagit, elle risque de graves représailles. Pour donner un exemple, les milices ont toujours tendance à monter leur campement près d’un village qu’elles peuvent ainsi visiter la nuit venue pour le piller ou venir violer les femmes. Si les villageois se laissent faire, ils survivent. S’ils réagissent, ils risquent leur vie. Il faut savoir qu’en République Démocratique du Congo, c’est la loi de la gâchette. Le système judicaire est en rade par manque de moyens et l’impunité règne... Tu parles des femmes victimes de violences sexuelles. Quelle est la situation ? Elle n’est heureusement plus comparable à ce qu’on avait encore pu voir en Ituri l’année passée, même s’il nous a été impossible de trouver des chiffres fiables. Cependant, il ne se passe pas une nuit sans qu’on apprenne qu’une femme a été violée. Et comme je l’ai déjà dit, le problème réside dans le fait que les auteurs de ces viols sont non seulement membres des milices ou de l’armée, mais également de la population civile. Est-ce que ces viols ont une «raison d’être» ? On a beaucoup parlé du viol comme arme de guerre... C’est vrai. Cependant, ici, ma réponse sera nuancée. On peut parler de viol comme arme de guerre si l’on envisage la situation que j’ai évoquée un peu plus tôt concernant ces milices qui exploitent et pillent les villages. Dans ce cas, il s’agit clairement d’une
MOUVEMENT communautaire... Là, les femmes peuvent souffler quelques jours, reprendre le dessus. Il faut savoir qu’il y a une terrible stigmatisation des femmes violées. Leurs maris les rejettent... Elles sont donc doublement victimes... Mais elles se battent... La volonté est donc là... La volonté du peuple, oui. As-tu l’impression que la communauté internationale s’est désintéressée de la situation en République démocratique du Congo et qu’il y a eu une sorte de désinvestissement après les élections qui s’étaient plutôt bien déroulées en juillet (NDLR – élections législatives) et octobre 2006 (NDLR – élections présidentielles) ? Dans un premier temps, la communauté internationale a donné beaucoup d’argent, mais elle a laissé le gouvernement congolais gérer ces fonds, lesquels ne sont que rarement parvenus aux victimes et aux associations de terrain. De surcroît, pour revenir à la problématique des viols et lier cela à la question de l’argent, je crois que les autorités s’intéressent beaucoup plus au potentiel économique de la région, très fertile et riche en minerais, plutôt qu’à la problématique des femmes violées. Françoise Guillitte, responsable du Programme Droit des femmes. Bruxelles, 31 mars 2008. © Fabrice Kada arme de déstabilisation de la communauté villageoise. Si celle-ci se révolte, ou bien pour seulement la dissuader de le faire, on va la punir ou l’effrayer en s’attaquant, par exemple, aux femmes et en les violant. Par contre, pour ce qui est des civils violant leurs voisines, on se trouve «juste» en présence d’un crime commis en toute impunité. En fait, il n’y a plus de règles de droit en République démocratique du Congo, plus de cadre juridictionnel. Vu que le système judicaire ne fonctionne pas, les violences sexuelles ne sont pas réprimées, et chacun peut se dire «allons-y»... Nous avons recueilli des témoignages de femmes, parfois très jeunes (NDLR - jusqu’à 13 ans) ayant subi des atrocités quelques fois difficiles à entendre... Certaines ont été, et c’est surtout le fait des milices, véritablement torturées au point de finir par en mourir... Mais que voulez-vous ? Les magistrats ne sont pas payés, manquent même de stylos et de papier et les juges d’instruction doivent payer eux-mêmes les moto-taxis qui les amènent sur les lieux de certains crimes, alors qu’ils ne sont euxmêmes déjà pas riches. Les policiers, quant à eux, disposent d’un salaire de 12 dollars par mois, une misère. Dans ces conditions, il n’est pas possible d’avoir une justice qui fonctionne... Personne ne vient en aide à ces femmes ? Si, elles-mêmes. Elles ont une volonté incroyable de s’en tirer. Partout à l’entrée des villages, on peut lire des pancartes affichant «Association de Femmes pour la Paix», «Collectif de femmes solidaires», «Solidarité féminine», etc, etc. Vu qu’il n’y a rien, vu qu’il n’y a aucune structure, aucune infrastructure, elles font beaucoup de choses par elles-mêmes, elles s’organisent en petites associations, en petites communautés, parce que c’est la seule façon de s’en sortir. Nous avons ainsi rencontré une femme, déjà violée à deux reprises, qui a fini par ouvrir, chez elle, un espace où les femmes victimes de violences sexuelles peuvent venir se rencontrer, se parler, se réconforter. Elle s’est organisée pour recevoir des médicaments, elle fait de la sensibilisation, elle entretient un petit champ
Et pour la question des enfants soldats ? Il faut savoir qu’il y a eu un programme, le programme DDR (NDLR – Désarmement, Démobilisation, Réinsertion), qui a été mis en place. Celui-ci avait pour but de démobiliser les milices et de les réinsérer au sein des troupes gouvernementales... Pour nous, ce système a connu beaucoup de défaillances... Dans la pratique, un grand nombre d’enfants soldats, qui étaient membres des milices, ont été placés dans des CTO (NDLR – Centres de transit et d’orientation) au sein desquels on tente de leur redonner un certain cadre en leur offrant une scolarité de base, en pratiquant une vie en communauté, entre enfants... Le problème réside dans le fait que beaucoup de ces enfants n’ont qu’un souhait : rentrer chez eux pour aider la famille, ce qu’ils font très souvent. Mais une fois rentrés au village, les milices les enlèvent, parfois même jusque dans les écoles, et les enrôlent à nouveau de force. C’est un cycle sans fin, d’autant plus que ces jeunes, après les horreurs qu’ils ont vues et qu’ils ont commises, ont perdu certains repères. Les travailleurs sociaux sur place, malgré toute leur bonne volonté, ont fort à faire avec cette violence refoulée mais qui revient régulièrement à la surface au travers, notamment, des récits des enfants… Sur quoi allez-vous insister dans les pages du rapport ? Nous allonrs insister sur l’absolue nécessité de protéger les populations. Au travers de témoignages collectifs, cela apparaîtra aisément. Nous allons également émettre des revendications précises comme l’application du droit, l’arrêt de l’impunité, l’octroi de moyens pour venir en aide aux femmes victimes de violences et la protection des activistes des droits humains. Un souhait pour conclure ? Oui… Ce pays, c’est un peu le mien, puisque j’y suis née… Pour moi, c’est naturellement le plus beau pays du monde… J’aimerais juste que les autorités de la République démocratique du Congo se rendent compte que pour le reconstruire et revenir à la paix, il faudra aussi investir dans la protection des femmes en leur donnant voix au chapitre. e Propos recueillis par Julien Winkel
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE D’AIBF 2008 DERNIER RAPPEL Samedi 26 avril 2008 à l’Espace Senghor de Gembloux Inscription : www.amnesty.be ou 02 538 81 77 09h00 - 13h00 : Rapports, bilans et discussions 14h30 - 17h00 : Conférence : Justice internationale ou raison d’État ? Quatre conférenciers renommés discutent des enjeux les plus déterminants pour l’avenir du droit pénal international. OU 14h30 - 17h00 : Rencontre : Thomas Gunzig et ses amis discutent de l’engagement dans la vie littéraire. 17h45 : L’impro rencontre les droits humains 18h30 : Cocktail 19h00 : Concert : Zita Swoon, Akro et Monsoon (à l’Aula Magna, Louvain-la-Neuve)
FORMATIONS COLLECTION PRINTEMPS-ÉTÉ Il reste encore de la place pour les modules suivants : Le 14 mai de 19h00 à 22h00 Découvrir Amnesty Le 17 mai de 09h30 à 16h30 Mission et fonctionnement d’Amnesty Le 24 mai de 10h00 à 16h30 Homosexualités et droits humains Le 31 mai de 10h00 à 16h00 La protection internationale des droits fondamentaux Le 7 juin de 09h30 à 12h30 La protection des réfugiés Le 12 juin de 19h00 à 22h00 Découvrir Amnesty Le 14 juin de 10h00 à 16h30 Combattre la torture (Liège) Le 21 juin de 10h00 à 16h30 Les violences conjugales Le 14 juin de 09h30 à 17h00 Parler d’Amnesty en public Le 21 juin de 09h30 à 17h00 Parler d’Amnesty en public Toutes ces formations ont lieu à Bruxelles sauf «Combattre la torture» qui sera donnée à Liège. e Pour vous inscrire et/ou obtenir des détails concernant le contenu des formations, rendez-vous sur notre site Internet : http://www.amnesty.be/formations Pour tout renseignement, n’hésitez pas à nous contacter par Email à formations@aibf.be ou par téléphone au 02/538 81 77, de préférence les mercredi, jeudi et vendredi.
URGENT AIBF ENGAGE DES BÉNÉVOLES Amnesty International Belgique Francophone recherche, pour le Service Accueil de son Secrétariat national, des collaborateur(trice)s bénévoles pour rejoindre une équipe dynamique. Votre mission : assurer un accueil optimal du public interne et externe, répondre aux appels téléphoniques, envois de courrier et colis, vente du matériel promotionnel. Votre profil : vous êtes fiable, rigoureu(x)se, organisé(e), ayant le contact aisé. Notions d’anglais, de néerlandais et d’informatique souhaitées. Être proche des valeurs d’Amnesty ! Impératif : durée minimum 6 mois à raison de 2 demi-jours/semaine e Contact et informations : Elisabeth Deleu (02 538 81 77 ou edeleu@aibf.be)
Libertés ! Avril 2008 11
MOUVEMENT FAIRE COURBER LA CHINE ?
REJOIGNEZNOUS LE 3 MAI À BRUXELLES !
Ce sont aussi 80 groupes locaux qui, sur le terrain, font un travail d’action et de sensibilisation aux droits humains. Pour vous y joindre, contactez votre régionale. SECRÉTARIAT NATIONAL AIBF Rue Berckmans 9, 1060 Bruxelles 02 538 81 77 Fax : 02 537 37 29 www.amnesty.be
En 2001, Liu Jingmin, vice-président du Comité de candidature de Pékin aux Jeux olympiques (JO), déclarait que si l’organisation des JO était confiée à la capitale chinoise, cela «contribuerait au renforcement des droits humains». Sept ans plus tard, le bilan de la Chine en matière de droits humains s’est aggravé.
B
eaucoup espéraient que les Jeux serviraient de catalyseur pour des réformes, mais la répression qui, partout en Chine, s’abat actuellement sur les militants et les journalistes a lieu, non pas malgré, mais bien à cause de l’organisation des JO. C’est ce qui ressort du rapport People’s Republic of China: The Olympics countdown – Crackdown on activists threatens Olympics legacy (ASA 17/050/2008). Au Tibet, depuis le 10 mars 2008, des centaines de personnes ont été arrêtées à la suite des manifestations. Ces personnes, notamment celles qui sont soupçonnées d’«activités séparatistes», risquent d’être maltraitées ou torturées par les forces de sécurité chinoises. Compte tenu du black-out quasi total sur le Tibet et les régions environnantes, il est difficile de vérifier les informations qui nous sont communiquées de part et d’autre. Une chose est sûre, cette chape de silence bafoue l’engagement qu’avaient pris les autorités de garantir une «liberté totale des médias» à l’approche des Jeux. Dans le reste de la Chine, de nombreux militants ont été incarcérés à l’issue de procès motivés par des considérations politiques et sont par conséquent des prisonniers d’opinion. Un nombre croissant de personnes sont placées en résidence surveillée. Des crimes contre la sécurité nationale définis en termes vagues, comme le «séparatisme», la «subversion» et le «vol de secrets d’État» sont utilisés pour engager des poursuites contre des personnes menant des activités légitimes et pacifiques de défense des droits humains. En mai 2006, Pékin a étendu le recours à la forme de détention sans jugement appelée rééducation par le travail, dans le but de «nettoyer» la ville avant les Jeux. En dépit des promesses qu’elles ont faites en juillet 2001 de laisser une «liberté complète aux médias», les autorités continuent d’utiliser le délit d’«incitation à la subversion» et d’autres infractions relatives à la sécurité de l’État pour poursuivre et emprisonner les écrivains et les journalistes qui exercent leur droit à la liberté d’expression.
POUR EN SAVOIR PLUS http://www.amnesty.be/jo http://www.isavelives.be/jo MANIFESTATION NATIONALE Le 3 mai à 14h00 au croisement de l’avenue de Tervueren et de l’avenue de Putdael à Bruxelles (WoluweSaint-Pierre). Nous nous rendrons en cortège jusqu’à l’ambassade de Chine, située avenue de Tervueren 463 à 1160 Bruxelles (Auderghem).
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SECRÉTARIAT INTERNATIONAL Easton Street 1, London WC1X ODW United Kingdom 00 44 207 413 5500 AMNESTY INTERNATIONAL VLAANDEREN Kerkstraat 156, 2060 Antwerpen 6 03 271 16 16
Des Tibétains face à des policiers anti-émeute chinois dans la capitale du Gansu. Xiahe, 16 mars 2008. © AP / Andy Wong
Internet fait également l’objet d’une vaste censure. Des affichettes de la police avertissent désormais un grand nombre des 210 millions d’internautes chinois de ne pas se rendre sur les sites «illégaux». Cette police virtuelle est visiblement destinée à encourager l’autocensure en rappelant aux utilisateurs que les autorités surveillent de près les activités sur la Toile. Il semble également que la Chine ait mis en place le système de censure et de filtrage sur Internet le plus étendu, le plus sophistiqué et le plus vaste au monde. Enfin, malgré certaines évolutions positives comme la réforme du système d’application de la peine capitale, la Chine reste le pays du monde qui a le plus recours à la peine de mort. De même, la (relativement) plus grande liberté d’information accordée aux journalistes étrangers est éclipsée par le blocage de la réforme du régime de la détention sans procès, par la répression contre les défenseurs des droits humains, par la censure d’Internet et des communications par téléphone mobile.
QUE DEMANDE AMNESTY ? Amnesty International demande à la Chine d’autoriser immédiatement les enquêteurs de l’ONU et les observateurs indépendants à se rendre au Tibet et dans les régions voisines ; de mettre un terme aux arrestations arbitraires, à l’intimidation et au harcèlement des militants ; de mettre fin à la détention administrative punitive ; d’autoriser tous les journalistes à rendre compte de la situation sur l’ensemble du territoire chinois de manière exhaustive et en toute liberté ; de relâcher tous les prisonniers d’opinion et de réduire le nombre d’infractions passibles de la peine capitale, en prélude à l’abolition de ce châtiment. e
RESPONSABLES RÉGIONAUX D’AMNESTY BRABANT WALLON Jean-Philippe CHENU chemin de la Terre Franche 13 1470 Genappe 010 61 37 73 – jpchenu@aibf.be BRUXELLES Tanguy PINXTEREN Rue de la Flèche 16 A, 1000 Bruxelles 02 513 77 10 – tpinxteren@aibf.be HAINAUT OCCIDENTAL Myriam DELLACHERIE rue Basse Couture 20, 7500 Tournai 069 22 76 18 – mdellacherie@aibf.be HAINAUT ORIENTAL Nicole GROLET av. Elisabeth 6, 6001 Marcinelle 071 43 78 40 – ngrolet@aibf.be LIÈGE Jean-Pierre ANDRÉ Responsable de transition jpablegny@yahoo.fr 04 387 51 07 Christine BIKA Responsable de la gestion de la permanence – C/O Bureau régional d’AI – rue Souverain Pont 11 – 4000 Liège – du lundi au vendredi de 13h30 à 17h30 04 223 05 15 bureaudeliege@aibf.be LUXEMBOURG Daniel LIBIOULLE Avenue de la Toison d’Or 26 6900 Marche en Famenne 084 31 51 31 dlibioulle@aibf.be NAMUR Romilly VAN GULCK Rue Vivier Anon 8, 5140 Sombreffe 071 88 92 51 rvangulck@aibf.be
IS AV ELIV ES . B E B O N N ES N O UV EL L ES Dans tous les pays du monde, des gens sont libérés grâce au travail des membres d’Amnesty. Des témoignages émouvants nous parviennent des prisonniers libérés ou de leur famille. Ils montrent qu’une action de masse peut avoir des résultats pour un meilleur respect des droits humains.
MAROCAIN INTERNAUTE GRACIÉ Fouad Mourtada, un jeune informaticien et internaute marocain de 26 ans a été remis en liberté mardi à la faveur d’une grâce royale. Il avait été condamné en février à une peine de trois ans d’emprisonnement et à une amende de 10 000 dirhams (environ 880 euros) pour avoir créé le profil du prince marocain Moulay Rachid sur le site Facebook. Deux délégués d’Amnesty International avaient assisté au procès de Casablanca qu’ils avaient déclaré non conforme aux normes internationales d’équité. Pour Amnesty, les affirmations selon lesquelles Fouad Mourtada a été maltraité par la police durant son interrogatoire doivent toujours faire l’objet d’une enquête. e
IRAN LAPIDATION EMPÊCHÉE Mokarrameh Ebrahimi a été libérée le 17 mars de la prison de Choubin, dans la province de Qazvin (nord-ouest de l’Iran), avec son plus jeune enfant, Ali, qui vivait avec elle en prison. Elle était emprisonnée depuis onze ans et avait été condamnée à la mort par lapidation pour adultère. Jafar Kiani, avec lequel elle a eu deux enfants et qui avait lui aussi été condamné, a été lapidé à mort le 5 juillet 2007. Au moins dix femmes restent menacées d’une lapidation à mort, de même que deux hommes (dont un ressortissant afghan dont l’identité n’est pas connue). Depuis le lancement de la campagne Stop Stoning Forever, le 1er octobre 2006, six personnes ont toutefois pu échapper à la lapidation. e
UKRAINE / BÉLARUS EXTRADITION SUSPENDUE Igor Koktych, actuellement détenu en Ukraine, ne risque plus une extradition immédiate vers le Bélarus (Biélorussie), où il risquait d’être victime de torture ou d’être condamné à la peine capitale à l’issue d’un procès inéquitable. Igor Koktych, musicien de rock, est accusé du meurtre d’une proche à Baranovici (Bélarus), en janvier 2001. Or, avant son arrestation, il aidait les jeunes de Baranovici à lutter contre la toxicomanie et d’autres problèmes sociaux. L’organisation de concerts rock avait suscité l’hostilité de la police bélarusse. La Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a demandé aux autorités ukrainiennes de ne pas extrader Igor Koktych au Bélarus et le Procureur général ukrainien a répondu aux lettres des militants d’Amnesty International en citant explicitement la décision de la CEDH. e
RUSSIE
ENLÈVEMENT DE JOURNALISTES ET D’UN DÉFENSEUR O
leg Orlov, un défenseur russe réputé des droits humains et trois journalistes de la chaîne de télévision russe REN TV ont été enlevés à leur hôtel par des hommes masqués dans la soirée du 23 novembre 2007, à Nazran (Ingouchie). Leurs agresseurs les ont emmenés à bord d’un véhicule puis les ont battus et abandonnés dans un champ. Oleg Orlov s’était rendu à Nazran pour rencontrer des confrères du bureau local de l’ONG Mémorial. L’enlèvement a eu lieu la veille d’une manifestation devant dénoncer des violations des droits fondamentaux dont les forces de sécurité se seraient rendues coupables. Selon Oleg Orlov, les vigiles de l’Hôtel Assa avaient reçu l’ordre de quitter leur poste. Deux heures après leur départ, une quinzaine d’hommes masqués et armés sont arrivés à l’hôtel, ont mis en joue le personnel et ont fait irruption dans la chambre d’Oleg Orlov. Ces hommes lui ont ordonné de s’al-
j Oleg Orlov © DR
longer sur le sol, demandé ce qu’il faisait à Nazran et exigé qu’il leur remette tout ce qui lui appartenait. Il a reçu des coups dans les côtes parce qu’il protestait. Ses agresseurs lui ont pris ses affaires et lui ont recouvert la tête d’un sac en plastique. Ils l’ont ensuite entraîné dehors et l’ont embarqué dans un minibus avec les trois journalistes. Le véhicule a franchi sans encombre de nombreux barrages policiers à Nazran, ce qui incite à penser qu’il appartenait aux forces de sécurité. Au bout d’une heure environ, le minibus s’est arrêté et les quatre hommes ont été jetés à terre et frappés à coups de pied à la tête et sur le reste du corps. e
MODÈLE DE LETTRE Monsieur le Procureur, Oleg Orlov, un défenseur russe des droits humains et trois journalistes de la chaîne REN TV ont été enlevés à leur hôtel par des hommes masqués dans la soirée du 23 novembre 2007, à Nazran (Ingouchie). Leurs agresseurs les ont emmenés à bord d’un véhicule qui appartenait manifestement aux forces de sécurité, puis les ont battus et abandonnés dans un champ. L’enlèvement a eu lieu la veille d’une manifestation devant dénoncer des violations des droits fondamentaux dont les forces de sécurité se seraient rendues coupables. En tant que membre/sympathisant(e) d’Amnesty International, je vous demande qu’une enquête exhaustive et impartiale soit menée. Dans l’espoir d’une issue favorable à ma requête, je vous prie d’agréer, Monsieur le Procureur, l’expression de ma considération distinguée. Signature : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LETTRE À ADRESSER À : Yuri Turygin, Procureur de la République d’Ingouchie Ul. Fabrichnaya 9 Nazran 366720, République d’Ingouchie, Fédération de Russie
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Libertés ! Avril 2008 13
IS AV ELIV ES . B E RWANDA
MODÈLE DE LETTRE
MINISTRE PRISONNIER D’OPINION C
harles Ntakirutinka, ancien ministre rwandais, purge une peine de dix ans de prison. Il a été reconnu coupable d’incitation à la désobéissance civile et d’association de malfaiteurs à l’issue d’un procès inique. Amnesty International le considère comme un prisonnier d’opinion et demande qu’il soit libéré sans condition. Charles Ntakirutinka a été à la tête de plusieurs ministères sous la présidence de Pasteur Bizimungu, entre 1994 et 2000. En mai 2001, il a participé à la création du Parti démocratique du renouveau (PDR-Ubuyanja) avec l’ancien président Pasteur Bizimungu et six autres personnes. Ces huit hommes ont été arrêtés en avril 2002, jugés au cours d’un procès inique et sur base de dépositions obtenues sous la contrainte, voire sous la torture, puis emprisonnés, dans
un contexte où le parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR), menait des opérations de répression contre l’opposition politique. Le FPR les avait accusés d’avoir organisé des réunions clandestines et d’avoir eu le projet de troubler l’ordre public, de provoquer une guerre civile et d’assassiner des responsables gouvernementaux. À l’exception de Charles Ntakirutinka et de Pasteur Bizimungu, tous ont été condamnés à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs, peine qu’ils ont purgée. Pasteur Bizimungu, qui a bénéficié d’une plus grande attention de la part des médias que Charles Ntakirutinka, a été libéré à la faveur d’une grâce accordée par le président Paul Kagame le 6 avril 2007. Charles Ntakirutinka est détenu à la prison centrale de Kigali. Sa peine devrait prendre fin en 2012.e
Monsieur le Président de la République, Charles Ntakirutinka, ancien ministre rwandais, purge une peine de dix ans de prison. Il a été reconnu coupable d’incitation à la désobéissance civile et d’association de malfaiteurs à l’issue d’un procès inique. Arrêté en avril 2002 avec l’ancien président Pasteur Bizimungu et 6 autres fondateurs du Parti démocratique du renouveau (PDR-Ubuyanja), Charles Ntakirutinka a été jugé au cours d’un procès inique et sur base de dépositions obtenues sous la contrainte, voire sous la torture. Il est détenu à la prison centrale de Kigali. Sa peine devrait prendre fin en 2012. En tant que membre/sympathisant(e) d’Amnesty International, je vous demande la libération immédiate et inconditionnelle du prisonnier d’opinion Charles Ntakirutinka. Dans l’espoir d’une issue favorable à ma requête, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée. Signature : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LETTRE À ADRESSER À : Président Paul Kagame Présidence de la République BP 15 Kigali Rwanda Fax : +250 58 43 90
COPIE À ENVOYER À : Ambassade du Rwanda Avenue des Fleurs 1 – 1150 Bruxelles Fax : 02 763 07 53 – Email - ambarwanda@gmail.com http://www.isavelives.be/fr/node/1199
COMMENT AGIR EFFICACEMENT ?
TARIFS POSTAUX
Les cas exposés concernent des victimes de violations des droits humains dont s’occupe Amnesty International. Chaque appel compte. Un texte (à écrire ou à photocopier) vous est proposé pour chaque cas. Dans l’intérêt des victimes, écrivez en termes mesurés et courtois aux adresses indiquées. Ces lignes sont lues partout dans le monde par les quelque 1800000 membres d'Amnesty International. Elles sont reproduites dans de nombreux pays par des dizaines de journaux et constituent la clé de voûte de l'action du mouvement.
Lettres (jusqu’à 50 grammes) Europe : 0,80 e (Prior) ou 0,70 e (Non Prior). Reste du monde : 0,90 e (Prior) ou 0,75 e (Non Prior) La surtaxe aérienne est incluse (étiquette requise).
CUBA
MODÈLE DE LETTRE
UN MÉDECIN EMPRISONNÉ M
arcelo Cano Rodríguez, médecin et défenseur des droits humains, passera cette année encore le 7 avril, Journée mondiale de la Santé, dans sa cellule de prison. Coordinateur national du Colegio Médico Independiente de Cuba (Association médicale indépendante de Cuba) et membre de la Commission cubaine des Droits humains et de la Réconciliation nationale (deux ONG non reconnues par le gouvernement cubain) a été arrêté le 25 mars 2003 dans la ville de Las Tunas. Il enquêtait sur l’arrestation d’un autre médecin, Jorge Luis García Paneque. Ce dernier, membre comme lui de l’Association médicale indépendante, avait été interpellé quelques jours auparavant en même temps que des dizaines d’autres dissidents au cours d’une vague de répression. Jugé puis reconnu coupable
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d’avoir participé à des activités «contrerévolutionnaires», Marcelo Cano Rodríguez s’est vu reprocher d’avoir rendu visite à des prisonniers et à des membres de leurs familles, et d’avoir des contacts avec Médecins sans frontières. Il a été condamné à 18 ans de prison et est détenu à la prison d’Ariza, dans la ville de Cienfuegos, à environ 250 kilomètres au sud-est de La Havane, où vit sa famille. Cet éloignement rend difficiles les visites de ses proches. Amnesty International le considère comme un prisonnier d’opinion. En février 2008, quatre prisonniers d’opinion ont été libérés et Cuba a signé deux traités internationaux relatifs aux droits humains. Toutefois, au moins 58 prisonniers d’opinion sont toujours incarcérés à Cuba, parmi lesquels figurent des enseignants, des bibliothécaires, des journalistes et des défenseurs des droits humains. e
Monsieur le Président de la République, Marcelo Cano Rodríguez, médecin et défenseur des droits humains, est Coordinateur national du Colegio Médico Independiente de Cuba (Association médicale indépendante de Cuba), membre de la Commission cubaine des Droits humains et de la Réconciliation nationale, et en contact avec l’ONG Médecins sans Frontières. Arrêté le 25 mars 2003 dans la ville de Las Tunas, il a été jugé et condamné à 18 ans de prison pour activités «contre-révolutionnaires». En tant que membre/sympathisant(e) d’Amnesty International qui le considère comme un prisonnier d’opinion, je vous demande la libération immédiate et inconditionnelle de Marcelo Cano Rodríguez. Dans l’espoir d’une issue favorable à ma requête, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée. Signature : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LETTRE À ADRESSER À : Sr. Raúl Castro Ruz, Presidente Havana, Cuba Fax : +53 7 8333 085 – Email : cuba@un.int
COPIE À ENVOYER À : Ambassade de Cuba Rue Roberts Jones 77 – 1180 Bruxelles Fax : 02 344 96 61 – Email : mission@embacuba.be http://www.isavelives.be/fr/node/1198
C U LT U R E AGENDA THÉÂTRE
C’EST DANS LE POCHE
KAMITUGA, UNE TRAGÉDIE CONGOLAISE
A
près la version courte du film (52 minutes), présentée en mai 2006 au Centre Wallonie – Bruxelles de Kinshasa, les réalisateurs Yvon Lammens et Colette Braeckman proposent à présent une version rallongée de 18 minutes de leur documentaire L’or noyé de Kamituga. Ville minière située dans l’est du Congo, Kamituga ne se trouve qu’à 180 Km de Bukavu, mais l’on s’y croirait au bout du monde. La route est coupée et seuls de petits porteurs desservent cette ville minière où, durant les années de guerre, aucun Européen n’osait s’aventurer. Kamituga symbolise le désastre et la tragédie économique de tout un pays : installations pillées, cartes géologiques volées, etc. Fini le temps où la SOMINKI (Société Minière et Industrielle du Kivu) assurait à ses travailleurs logement, école et soins de santé en échange de l’extraction de la cassitérite – d’où l’on tire l’étain – et l’or, objet d’éternelles convoitises. Les anciens mineurs et leurs familles sont depuis d’interminables années pris en tenailles entre les différents acteurs du conflit. La misère, la violence et l’exploitation sont maintenant le quotidien, mais ils gardent malgré tout l’espoir... e P.F.
L’or noyé de Kamituga d’Yvon Lammens et Colette Braeckman
Sortie en salles : À Bruxelles (Actor’s Studio) à partir du 9 avril. À Namur (Caméo) à partir du 9 avril. À Charleroi (Le Parc) à partir du 9 avril. À Mons (Plaza Art) à partir de mai 2008. À Liège (Le Parc/Churchill) à partir de mai 2008. Attention : 0,50 e par ticket seront reversés à Amnesty International
KIDS Un jeune en tue un autre... pour un MP3, pour une cigarette, pour un territoire... Cela se passe à Bruxelles, Ostende ou Binche... Un jeune tire sur 3 personnes par conviction raciste à Anvers... La Belgique découvre l’horreur d’une violence gratuite et absurde. Elle cherche à l’expliquer, à lui donner des raisons sociales, éducatives ou économiques... Des jeunes manifestent pour plus de sécurité. Des psys expliquent, les politiques votent des lois, les parents se lamentent. On parle de stage parental, de plus de policiers, de plus de caméras en rue, de mesures contre le racket et le steaming chez les jeunes, de décrochage scolaire, de nouvelles lois sur la protection de la jeunesse, de la répression, des incivilités, du renforcement des pouvoirs... Le passage à l’acte de ces jeunes nous choque parce que nous ne le comprenons pas. Est-ce le début de l’apocalypse ? Pour le metteur en scène Pietro Varrasso, «parce que les victimes et les auteurs de ces actes sont encore étroitement associés par leur âge à l’enfance, à la force et à la beauté de la vie en pleine croissance, les crimes des uns et la mort des autres heurtent profondément, d’autant plus que les circonstances paraissent souvent absurdes, injustes et les mobiles terriblement futiles. (…) Très vite, on cherche des explications, on les trouve et on s’y tient : libre accès aux armes de tout genre, démission des parents et pédagogues, crise des valeurs, prolifération et banalisation des modèles ultra-violents, télé baby-sitter, modification profonde du rapport au réel, prédation comme mode de subsistance et impunité y compris chez ceux qui devraient faire modèle, culture de l’immédiateté de l’avoir, humiliation de certaines couches sociales, phénomène de l’enfant-roi, etc.» Or, à l’instar d’Elephant de Gus van Sant, Kids refuse l’explication sommaire ou la posture morale, mais s’ancre dans une forme d’appréhension particulière des événements : une approche plus sensorielle que sociologique, plus poétique qu’explicative: un cocktail explosif de paroles, de musique, de danse et de vidéo. Mise en scène : Pietro Varrasso ; avec : Fabrice Adde, Simon Drahonnet, Jérémy Gendrot, Anabel Lopez & Séverine Porzio e Au Théâtre de Poche, Bois de la Cambre, Chemin du Gymnase 1A, 1000 Bruxelles, du 15 avril au 10 mai 2008 à 20h30. Relâche les dimanches et lundis. Réservations : 02 649 17 27 – reservation@poche.be
LEÇON DE MANIPULATION
A
u cinéma, on a le droit de se réjouir de la souffrance et de l’agonie d’innocentes victimes sans être taxé de pervers. Normal, c’est pas pour du vrai. «Un long-métrage, c’est vingt-quatre mensonges par seconde» affirme le cinéaste autrichien Michael Haneke qui, tout au long de sa carrière, n’a cessé de mesurer le pouvoir et l’attrait de ces mensonges sur le spectateur. Avec Funny Games, réalisé en 97, il laissait un couple bourgeois se décomposer entre les mains sadiques de deux jeunes gens aux belles manières et tout de blanc vêtus. La violence qui se déchaîne est d’autant plus incompréhensible qu’elle semble sans raison ni fondement et que les agresseurs appartiennent au même monde que leurs victimes. Profitant de ce jeu de massacre, le cinéaste met à plat les artifices de la fiction et casse les codes en s’adressant directement au spectateur. Dix ans plus tard, il réalise lui-même un remake américain, quasiment à l’identique. Quoi de plus logique que de situer ce thriller-vérité dans un pays saoulé par la fascination de sa propre violence au travers de l’image tronquée qu’en donne son cinéma. Les ingrédients n’ont pas changé, un couple bourgeois, le gosse, et des anges de la mort. Coulé dans le moule hollywoodien, porté par des acteurs parfaits et impeccablement dirigés, le film a gardé sa force intacte. Il perd sans doute un peu de la froideur de la première version pour gagner en efficacité et distiller un malaise tout aussi insidieux. La vision reste éprouvante comme devraient l’être tous les mensonges. e Gilles Bechet
Funny Games US de Michael Haneke, sortie le 16 avril.
COULEURS D’INDOCHINE
L
a conférence de Postdam qui a scellé le sort des vaincus de la deuxième guerre mondiale s’est aussi penchée sur le sort de l’Indochine. Le sud du 17e parallèle sera investi par les forces anglaises tandis que le nord sera livré au général chinois Tchang Kaï–chek. Les colons français n’ont pas été consultés, et encore moins le peuple vietnamien. En septembre 1945, Saigon bruisse de rumeurs, de coups de feu et de manifestations. Alors que les troupes japonaises sont en débandade et que les anciens maîtres du pays attendent leur heure, les différentes factions indépendantistes avancent leurs promesses et guettent les faux-pas de l’adversaire. Plongé dans la tourmente de l’après-guerre, le deuxième volume de la série BD vietnamienne de Baloup et Jiro dévoile une période peu connue de l’ancienne colonie française. Puzzle sensible et intimiste, le récit croise les destins de ses personnages, marionnettes de l’Histoire. Il y a Hai, le leader trotskiste idéaliste et Thi, une jeune militante pragmatique qui ne croit plus aux idéologies, et aussi un soldat japonais démobilisé devenu sourd après l’explosion d’une bombe. Dans une ville où les armes ont le premier mot et où les cadavres flottant sur le fleuve dissimulent des grenades, il n’est pas facile de garder le cap de ses convictions. Découpée en brefs chapitres introduits par un texte de mise en situation, cette BD servie par des magnifiques couleurs, intenses et parfois saturées a su trouver un ton original et parfaitement maîtrisé. e G.B. Chinh Tri vol 2 Le choix de Hai, Clément Baloup, Mathieu Jiro, Le Seuil, 104 p. couleurs,18 e.
Libertés ! Avril 2008 15