Libertés Janvier 2010

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Ne paraît pas aux mois de juillet-août. 9, rue Berckmans 1060 Bruxelles

DÉPOT À BRUXELLES X

Libertes!

BELGIQUEBELGIE PP 1/2345 BXL X

JANVIER 2010 – N°460 – LE MENSUEL D’AMNESTY INTERNATIONAL

SYRIE :

LA RÉPUBLIQUE DE LA PEUR IRAN RENCONTRE AVEC UNE DÉFENSEUSE

RÉPUBLIQUE TCHÈQUE À L’ÉCOLE DE LA DISCRIMINATION


É D ITO R I A L

MENACE CLIMATIQUE ET DROITS HUMAINS l e 18 décembre dernier, à Copenhague, la 15e «Conférence des Parties» (COP15) de la Convention-cadre des Nations unies sur les Changements climatiques s’est terminée sans que ses participants ne soient parvenus à l’accord juste, ambitieux et légalement contraignant que des millions de citoyens de la planète attendaient. Les quelque 120 chefs d’État réunis à Copenhague n’ont pas réussi à résoudre les problèmes empêchant de parvenir à un accord équitable, laissant les habitants les plus démunis et les plus vulnérables de la planète confrontés au risque grandissant de perdre leur toit, leur santé et leur mode de subsistance en raison du réchauffement climatique, toutes préoccupations au cœur de la campagne «Exigeons la Dignité» lancée par Amnesty en 2009. Malgré la déception causée par l’issue de la COP15, l’espoir demeure. Un mouvement impliquant des millions de personnes dans des centaines de pays a pris son essor dans le monde, les sociétés civiles ayant agi conjointement sur ce thème comme rare-

ment auparavant. Ainsi, plus de 250 organisations, dont Amnesty International, se sont rassemblées au sein d’une alliance sans précédent sous la bannière TckTckTck de la Global Campaign for Climate Action. Cependant, sous l’angle de la défense des droits humains, la lutte contre le réchauffement climatique va être de plus en plus confrontée à un cruel dilemme. Ainsi, un débat oppose schématiquement deux modes de pensée et d’action. Certains estiment que l’urgence planétaire est telle qu’elle n’autorise plus le «luxe» de la discussion démocratique et nécessite l’imposition de solutions par la contrainte. À l’inverse, d’autres craignent qu’une telle radicalité ne mette entre parenthèses la démocratie, voire la fasse passer de vie à trépas. Autrement dit, l’urgence évidente est à l’adoption de mesures économiques et technologiques courageuses contre un réchauffement climatique qui menace les droits humains que sont nos droits économiques, sociaux et culturels, tant individuels que collectifs. Mais, il faudra à l’avenir rester vigilant quant au risque que des autorités politiques, même (voire surtout) animées de bonnes intentions, soient un jour tentées de restreindre tout ou partie de nos libertés individuelles et fondamentales, au nom de l’imminence de la menace climatique, tandis que d’autres y trouveront une nouvelle justification à leur refus obstiné de toute démocratisation. À cet égard, les errements législatifs et éthiques de la «guerre contre le terrorisme» menée durant la décennie qui vient de s’écouler constituent un précédent qui devrait nous faire méditer. À l’avenir. e Pascal Fenaux

Libertés ! • Rue Berckmans, 9 – 1060 Bruxelles • Tél : 02 538 81 77 Fax : 02 537 37 29 • libertes@aibf.be • www.libertes.be • Éditrice responsable : Christine Bika • Rédacteur en chef : Pascal Fenaux • Comité de rédaction : Bruno Brioni, Thandiwe Cattier, Véronique Druant, Samuel Grumiau, Anne Lowyck, Brian May, Suzanne Welles • Ont collaboré à ce numéro : Gilles Bechet, Céline Remy (st.) et Pierre Vanrie • Iconographie : Brian May • Maquette : RIF • Mise en page : Gherthrude Schiffon • Impression (sur papier recyclé non blanchi) : Remy Roto • Couverture : Entouré de Moustafa Tlass (d) et Hassan Turkmani (g), deux «durs» historiques du régime, le président syrien Bachar el-Assad célèbre le 29e anniversaire de la guerre israélo-arabe d’octobre 1973. Damas, 7 octobre 2002 © REUTERS

CHANGEMENT D’ADRESSE – ATTESTATION FISCALE – MODIFICATION, ANNULATION OU NOUVELLE COTISATION DE MEMBRE/DONATEUR(TRICE) Madame Michele Ligot : mligot@aibf.be je change d’adresse (inscrire uniquement la nouvelle adresse) Nom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Prénom: . . . . . . . . . . N° de membre: . . . . . . . Adresse: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N° . . . . . bte . . . . . . . . . . Code postal: . . . . . Localité: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél (obligatoire): . . . . . . . . . . . . . . . E-mail: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Oui, j'adhère aux objectifs d'Amnesty et souhaite devenir membre Je répartis le montant de : ma cotisation de mon abonnement sur toute l’année en complétant ce coupon et en le renvoyant à Amnesty International, 9 rue Berckmans à 1060 Bruxelles. Tout montant qui dépassera 14,87 e (prix de la cotisation ou de l'abonnement), sera considéré comme un «don», et par là-même jouira de la déductibilité fiscale pour autant que ce supplément soit de 30 e ou plus. Je verse tous les mois, au départ de mon compte n° . . . . . . . . . . – . . . . . . . . . . . . . . la somme de : 6e 10 e 20 e . . . . . . . . e (ou tout autre montant de mon choix) au profit du compte 001-2000070-06 de Amnesty International à partir du . . . . . . . . . . et jusqu’à nouvel ordre. Je conserve le droit d’annuler ou de modifier cet ordre à tout moment. ou je verse en une fois le mandat de . . . . . . . . . . . . . . au compte 001-2000070-06 Nom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Date de naissance: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N° . . . . . . . . bte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Localité: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél (obligatoire): . . . . . . . . . . . . . . . . E-mail: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Profession: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Date: . . . . . . . . Signature:

SOMMAIRE ACTUEL

■ Palestine : La révolte n’est pas une

étude de marché la discrimination ■ Insolites-Brèves

DOSSIER SYRIE : LA RÉPUBLIQUE DE LA PEUR ■ L’hiver de Damas ■ La relégation kurde ■ Le supplice du défenseur ■ «Une caricature de “despotisme oriental”»

MOUVEMENT

■ «Le régime iranien a besoin d’un

ennemi extérieur»

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■ Contre le terrorisme, la justice

ISAVELIVES.BE

■ Lettres du mois : Mozambique, Corée du Nord

et Territoires palestiniens occupés

13

■ Bonnes nouvelles

CULTURE/AGENDA

Ne rien inscrire dans cette case s.v.p. (réservé à l'organisme bancaire)

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■ République tchèque : Les Roms à l’école de

■ Mégaphones et bulldozers ■ Le bal des mensonges ■ Humour divin

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ACTU EL AMNESTY NOUVEAU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL

j L’activiste pacifiste américaine Rachel Corrie (d) entourée de la famille palestinienne de Rafah qui l’hébergeait et dont la maison, située sur la ligne de démarcation entre l’Égypte et la bande de Gaza, fut rasée par l’armée israélienne. Rafah, 2003. © DR

Succédant à Irene Khan, le prochain secrétaire général d’Amnesty International sera Salil Shetty. D’origine indienne, Salil Shetty dirige la campagne des Objectifs du Millénaire pour le Développement des Nations Unies depuis 6 ans, après avoir été directeur général d’ActionAid, ONG internationale de lutte contre la pauvreté. Jusqu’à l’entrée en fonction de Salil Shetty en juin 2010, c’est Claudio Cordone, directeur général chargé de la recherche et des régions, qui assure les fonctions de secrétaire général ad intérim. e

LITUANIE PRISON SECRÈTE Pour la première fois, le 22 décembre 2009, un gouvernement européen a reconnu qu’un «site noir» avait existé sur son territoire, après qu’une commission d’enquête parlementaire lituanienne ait conclu que la CIA avait fait fonctionner une prison secrète en Lituanie durant la «guerre contre le terrorisme» et que, en toute illégalité, des responsables de la Direction de la Sûreté de l’État y avaient prêté assistance sans en avertir le chef de l’État et le Premier ministre. La Pologne et la Roumanie font également partie des pays qui, selon le Parlement européen et le Conseil de l’Europe, pourraient avoir fourni à la CIA des centres de détention secrets. e

BRÉSIL GRAVE CRISE POLITIQUE Une crise sans précédent a éclaté entre le président Luiz Inacio Lula da Silva et la hiérarchie militaire. Le conflit a été provoqué par le lancement, la veille de Noël, du Programme national des Droits humains qui prévoit la création d’une «Commission de la Vérité» pour enquêter sur les crimes de la dictature (1964-1985), ouvrant la voie à une révision de la loi d’amnistie approuvée par le Parlement le 22 août 1979. Contrairement aux autres pays latino-américains, cette loi qui a permis le retour des exilés politiques au Brésil mais protège également les tortionnaires, est toujours en vigueur. Elle garantit l’absence de poursuites contre les militaires tortionnaires ou auteurs de crimes. e

CÔTE D’IVOIRE TENTATIVE DE SPOLIATION Une organisation portant le nom de «Coordination nationale des Victimes de Déchets toxiques de Côte d’Ivoire» (CNVDT-CI) prétend abusivement représenter 30 000 demandeurs d’une action contre Trafigura intentée devant la justice britannique. Cette organisation demande que les 45 millions de dollars d’indemnisation dus aux victimes soient transférés sur son compte en banque. En août 2006, des déchets toxiques, acheminés à bord d’un navire affrété par l’entreprise de courtage pétrolier Trafigura, avaient été déversés en divers lieux de l’agglomération d’Abidjan, provoquant une tragédie sanitaire et le décès de 15 personnes. Les 45 millions de dollars d’indemnisation sont actuellement sous séquestre et les victimes n’ont toujours pas reçu leur argent. e

LA RÉVOLTE N’EST PAS UNE ÉTUDE DE MARCHÉ Dans son film Rachel, la documentariste franco-israélienne Simone Bitton explore les circonstances de la mort, en mars 2003, d’une jeune militante pacifiste américaine à Gaza. Transcendant les particularismes de ce drame, elle en fait une méditation cinématographique sur la jeunesse, l’idéalisme et l’engagement.

Q

u’est-ce qui vous a poussée à faire ce film ? J’étais en Cisjordanie en train de préparer Mur, mon précédent documentaire, quand Rachel Corrie a été tuée. J’étais entourée de Palestiniens et j’ai senti leur émotion. Une ligne rouge avait été franchie. C’était la première fois qu’un jeune étranger, venu en solidarité avec les civils palestiniens, était tué par l’armée israélienne, c’était très effrayant. Et puis, Gaza, c’est l’endroit de Palestine où la souffrance est la plus évidente, quotidienne et terrible. C’est le trou noir où l’on ne peut pas aller et où il n’y a pas de témoins. Si nous, documentaristes, n’allons pas là où on ne veut pas de nous, c’est la fin du cinéma documentaire. Le film est construit comme une enquête minutieuse. J’ai enquêté sur Rachel Corrie comme si j’enquêtais sur un grand personnage historique. C’est une «petite mort collatérale», un tout petit épisode dans une grande tragédie, mais j’ai voulu redonner à ce petit scandalelà une ampleur universelle. C’est très rigoureux. Je tenais à avoir tous les témoins, toutes les versions et tous les documents, pour donner à l’écran le procès auquel Rachel n’a pas eu droit. C’est un film sur la mort d’une militante, mais ce n’est pas un film militant. Le film évoque d’autres victimes palestiniennes tuées dans le silence. On retrouve régulièrement des corps sous les décombres, des vieux, des gens qui n’ont pas entendu, des enfants qu’on n’a pas pu emmener dans la panique (parce que les gens ont très peu de temps pour fuir) ou des Palestiniens qui se sont interposés pour qu’on ne détruise pas leur propre maison. La différence avec la mort de Rachel Corrie, c’est que là, il y a huit témoins.

Il y a beaucoup de non-dits dans le film, je veux que le spectateur travaille un peu, qu’il réfléchisse et qu’il se demande: «si pour elle, c’est allé jusque-là, qu’est-ce que ça doit être pour les autres ?». Une image forte est celle du Palestinien dans les ruines de sa maison. Cette image du Palestinien qui déambule dans les ruines de sa maison comme si elle était encore là, c’est une image tellement palestinienne. Les maisons perdues, les maisons détruites, c’est un fil rouge dans l’histoire de la Palestine. Nous qui connaissons le terrain, on le vit, on le voit très souvent. Très souvent, un Palestinien vous emmène voir son village qui n’existe plus, même si c’est depuis 1948. Quel impact a eu la mort de Rachel sur l’engagement des jeunes Occidentaux ? Elle a eu deux impacts contradictoires. D’une part, Rachel fut la première et par la suite d’autres étrangers ont été tués dans des situations différentes. Dans tous les groupes, les activistes étrangers ont dû remettre en question la tactique qu’ils avaient adoptée et élaborer de nouvelles règles plus prudentes d’engagement ou d’action non-violente. D’autre part, la mort de Rachel Corrie a fortement radicalisé les volontés de solidarité. Dans son université, dans les mois qui ont suivi, l’ISM (International Solidarity Movement) a reçu plein de demandes de jeunes Américains qui voulaient aller en Palestine. Le témoignage d’un militant israélien faisant référence au ghetto de Varsovie remet en perspective la question de la finalité et de l’efficacité de l’action non-violente. C’est la leçon qu’il nous donne. La révolte n’est pas une étude de marché. On se révolte parce que c’est

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ACTU EL révoltant. Bien sûr, si vous pensez qu’il ne faut se révolter que si vous êtes certain de gagner, il n’y aura plus beaucoup de révoltes dans le monde. Cela étant, on peut tout même se poser la question de la stratégie la plus efficace. À partir du moment où l’on milite, où l’on se révolte, on va se poser les questions de l’efficacité, du courage et de la répression. Mon film donne à méditer sur ces questions. Ce serait un très mauvais film s’il donnait les réponses. C’est à chacun de se pencher sur ses propres engagements de jeunesse ou d’âge mûr, de rentrer dans toutes ces problématiques qui sont universelles et intemporelles. Il y a trois ans, j’ai arrêté le cinéma pendant un an, j’ai pris une année sabbatique pour militer en faveur des sans-papiers en France. On a tout perdu, on n’a rien gagné, maintenant c’est pire. On les renvoie par charters, la cruauté, la déshumanisation sont absolues. La militance est souvent présentée comme une imbécillité accomplie par des gens un peu idiots, mais ce sont les autres qui me paraissent plutôt idiots. Le personnage de Rachel m’a aussi beaucoup touchée par ses e-mails où elle se montre très fine. Elle découvre des tas de choses qu’elle sait mettre en mots. Elle découvre l’hospitalité du pauvre. À vingt ans, ça vous change une vie. La tragédie de Rachel est une petite histoire qui finit mal, mais dans laquelle on peut puiser de la force et de l’intelligence.

Quelle est la place de l’action non-violente et son image par rapport à celle des combattants ? Pour moi, les Palestiniens sont les champions de la nonviolence, même s’ils n’appellent pas ça comme cela. Lors de la première Intifada, quand les Palestiniens «de l’intérieur» se sont réapproprié leur combat, les gamins avec les frondes contre les chars, c’était vraiment une révolte non-violente. Jusqu’ici, le bilan est désespérant, rien n’a marché : la négociation a échoué, la lutte armée a échoué. Comme tout a échoué, les Palestiniens sentent qu’ils doivent trouver autre chose. Depuis quatre ou cinq ans, il y a maintenant un mouvement d’action non-violente qui part essentiellement des villageois dépossédés de Cisjordanie, des villages qui sont grignotés par le Mur. Toutes ces manifestations hebdomadaires sont coordonnées par les comités populaires des villages, lesquels sont rejoints par des militants internationaux comme Rachel, mais aussi par des militants israéliens. C’est une résistance complètement décentralisée parce qu’il n’y a plus de stratégie politique. Il n’y a plus de direction palestinienne, il y en a deux qui sont aussi déconsidérées l’une que l’autre. Les choses viennent de la société civile qui est en train d’expérimenter de nouvelles formes de résistance. Malheureusement, elles sont de plus en plus rudement réprimées. Dans ces manifestations, il y a désormais des morts tout le temps. La situation est grave et nul ne sait sur quoi cela va déboucher. e Propos recueillis par Gilles Bechet

L’INSOLITE IRAN PEUT-ON RIRE DE TOUT ? Entre répression sanglante et crise politique, l’atmosphère n’est pas à la rigolade en Iran. Pour combattre la sinistrose ambiante, la ville de Téhéran a lancé des clubs de rire. C’est du moins ce que rapporte le journal iranien Tehrane Emrooz, repris par The Guardian. Organisés dans des centres culturels, ces cours devraient être étendus aux cercles de retraités, aux centres de santé et même aux prisons. Ils sont ouverts aux dames : une initiative hardie dans un pays où rire est considéré comme le comble de la vulgarité pour une femme. Ce projet n’a pas toujours été une partie de plaisir. L’ouverture des clubs, prévue l’an dernier, avait été ajournée : pas question de s’amuser pendant les traditionnels mois de deuil de Moharram et Safar qui commémorent le martyr de l’imam Hussein. e (D’après Courrier international)

FOCUS

LES ROMS À L’ÉCOLE DE LA DISCRIMINATION Les discriminations et la ségrégation dont sont systématiquement victimes les enfants roms dans le domaine de l’éducation continuent, bien qu’elles soient dénoncées tant à l’échelon national qu’international.

P

ublié le 13 décembre 2010 à Prague et intitulé Injustice renamed – Discrimination in education of Roma persists in the Czech Republic, un rapport Amnesty International examine les discriminations systématiques continuant à caractériser le système éducatif tchèque, en dépit d’un jugement prononcé en 2007 par la Cour européenne des Droits de l’Homme. La Cour estime ainsi que la République tchèque discrimine des enfants roms en les plaçant dans des «écoles spéciales» destinées aux élèves souffrant de handicaps mentaux légers, où ils reçoivent un enseignement de qualité médiocre. En adoptant une nouvelle loi sur les écoles en 2005, les autorités tchèques se sont contentées de rebaptiser les écoles spéciales «écoles élémentaires pratiques», mais le système d’orientation des enfants vers ces écoles n’a pas réellement changé. De même, les mesures annoncées par les autorités tchèques en décembre 2009 et censées soutenir les enfants roms dans le cadre du système scolaire classique ne vont pas suffisamment loin car elles ne sont ni exhaustives, ni légalement contraignantes. Des délégués d’Amnesty International se sont rendus dans plusieurs écoles de la ville d’Ostrava où, en 1999, 18 mineurs roms ont déposé la plainte qui a finalement débouché sur le jugement de la Cour européenne. Dans certaines zones, les enfants roms représentent plus de 80 % des élèves des écoles élémentaires pratiques. Certains enfants roms sont victimes d’une autre forme de ségrégation lorsqu’ils se retrouvent dans des écoles réservées aux seuls Roms, qui proposent souvent une instruction de moindre qualité, limitant ainsi leurs perspectives tant sur le terrain éducatif que professionnel. Ainsi, Mirek, 12 ans, et ses cinq frères et sœurs étaient élèves dans une école ordinaire de leur ville de Karvina. Cependant, après que sa famille eut été expulsée de

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Des élèves dans une classe préparatoire d’une école réservée aux seuls Roms. Ostrava, avril 2009. © AI force de son appartement, situé dans cette ville, leur mère, Helena, a décidé de placer les enfants dans une école pratique, dans la ville voisine d’Ostrava. Elle craignait qu’ils ne soient victimes de brimades et de discriminations dans une école ordinaire accueillant en majorité des non-roms, et ne voulait pas qu’ils aillent à l’école ordinaire réservée aux seuls Roms, car elle avait entendu dire que la violence y était très présente. Lorsque les enfants ont finalement été évalués en 2009, à l’issue de la période de diagnostic, Helena leur a donné l’instruction de faire délibérément des erreurs lors de l’évaluation psychologique, de sorte qu’ils soient admis dans une école pratique. Mirek a confié à Amnesty International que la plupart des sujets étudiés à l’école pratique avaient déjà été abordés dans des classes inférieures de son école précédente, et qu’on lui donnait moins de devoirs. L’orientation vers des écoles et classes pratiques censées accueillir les élèves présentant des «handicaps mentaux légers» est déterminée par les résultats d’évaluations qui ne prennent pas en compte la différence des enfants roms sur le plan culturel et linguistique, et sont susceptibles d’être faussés par les préjugés des personnels chargés de mener l’évaluation. Or, l’éducation est le principal moyen de rompre le cercle vicieux de la pauvreté et de la marginalisation qui font le quotidien d’une grande partie de la population rom du pays. e P.F.


DOSSIER

SYRIE :

LA RÉPUBLIQUE DE LA PEUR Le 6 mars 1963, le Baas, parti ultranationaliste panarabe, prenait le pouvoir en Syrie à la suite d’un coup d’État. Sept ans plus tard, à la tête d’un mouvement de «rectification», le général Hafez el-Assad prenait les commandes du Baas et de l’État jusqu’à sa mort en juin 2000, le pouvoir revenant alors à son fils Bachar el-Assad. Depuis 1963, la société syrienne vit sous la coupe d’une dictature militaire et idéologique qui exerce un pouvoir absolu sous le double régime de la loi martiale et de l’état d’urgence. L’arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad avait, un temps, fait espérer le lancement de réformes démocratiques. Mais le «Printemps de Damas» fit long feu et les défenseurs des droits humains et les opposants retrouvèrent le chemin de la prison, de l’exil ou du cimetière. En 2005, la probable implication de l’appareil sécuritaire syrien dans l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri relança les spéculations quant à une possible déstabilisation du régime syrien. En effet, en devant fuir le Liban sous les pressions, non seulement les services syriens perdirent non seulement de faramineuses prébendes, mais un million d’ouvriers syriens furent aussi privés de salaires essentiels à une économie exsangue. Cinq ans plus tard, en ayant repris pied au Liban par l’intermédiaire de ses alliés locaux, le régime baasiste syrien semble avoir retrouvé toutes ses couleurs.

Le président syrien Bachar el-Assad entouré du «Commandement régional» (syrien) du parti Baas et dont la composition a subi un relatif coup de jeune. Damas, 12 juin 2005. © AFP/SANA

L’HIVER DE DAMAS Près de dix ans après la mort d’Hafez el-Assad et l’arrivée au pouvoir de son fils Bachar el-Assad, le régime syrien est toujours fondé sur une alliance d’airain entre le parti Baas, la minorité confessionnelle alaouite, la moyenne bourgeoisie sunnite rurale et quelques argentiers sunnites citadins, le tout contrôlé par des services de sécurité et de renseignements omniprésents.

À

l’instar des autres États de l’aire syrienne historique (Liban, Palestine/Israël et Jordanie), la République arabe syrienne se caractérise par le caractère multiconfessionnel de sa société : 75 % de sunnites, 11 % d’alaouites, 10 % de chrétiens (melkites et orthodoxes), 3 % de druzes et 1 % de chiites ismaéliens. À cette répartition confessionnelle, on peut en ajouter une autre qui oppose la «ville» (hadâra) à la «campagne», à la montagne et à la «steppe» (bâdiya). Selon ces catégories, il apparaît que, à l’exception du sud-est, la «ville» voit cohabiter une majorité sunnite et des minorités chrétiennes, tandis que la «steppe» voit cohabiter musulmans sunnites, alaouites et druzes. Qui sont les alaouites? Également appelés «nusayrîs», les alaouites sont issus d’un schisme survenu parmi les musulmans chiites. Si les musulmans chiites se distinguent des sunnites par la prééminence donnée à Ali, gendre et cousin de Mahomet, les musulmans alaouites accordent en outre à Ali un caractère divin proche de celui accordé au Christ par le christianisme. À cette spécificité, on peut en ajouter une autre qui voit la doctrine alaouite, à l’instar des druzes, mêler des éléments antérieurs à l’apparition de l’islam

(mazdéisme persan, manichéisme et christianisme). Leurs alter ego au Moyen-Orient sont les alevis (turcs et kurdes) de l’actuelle République turque. Longtemps méprisés par les gouvernants sunnites (arabes ou ottomans), les alaouites se concentrent pour l’essentiel dans le nord-ouest de la Syrie, sur le djebel Ansariyya qui jouxte le Liban et où ils représentent 90 % de la population. Le développement des alaouites comme communauté politique a été encouragé par la France durant toute la période du Mandat (1918-1946), lorsque, après en avoir détaché le Liban (destiné à devenir un État dominé par la «montagne» des chrétiens maronites et des druzes) (1), Paris a organisé la Syrie sur le mode d’une confédération entre quatre États : Damas (sunnite) au centre, Alep (sunnite) au nord-est, Lattaquié (alaouite) au nord-ouest et le Djebel druze au sud. C’est dans cette configuration confessionnelle que le Baas («Renaissance»), un parti ultranationaliste panarabe, s’est hissé au pouvoir lors d’un coup d’État en mars 1963, avant de passer sous l’autorité d’Hafez elAssad en novembre 1970. Fondé en 1946 et puisant dans les théories raciales et autoritaires de l’Europe de l’époque, ce parti était à l’origine animé par des théo-

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DOSSIER

La foule se presse dans le célèbre bazar du Souk al-Hamidiyeh pour faire ses achats à l’approche de la fête islamique de l’Aïd el-Fitr qui marque la fin du mois de Ramadan. Damas, 24 novembre 2003. © AFP/Louai Beshara

riciens d’origine chrétienne et sunnite. Panarabe, le Baas se dote d’un «Commandement national» (c.à.d. panarabe) et de deux «Commandements régionaux» (Damas et Bagdad). Traversé par d’importantes dissensions régionales, confessionnelles et sociopolitiques, le Baas, outre son éclatement entre ailes irakienne et syrienne, loin de devenir le parti de masse rêvé par ses fondateurs, est ensuite devenu un parti d’encadrement des masses, avant de se «normaliser» à partir des années 90, à l’ère de l’effondrement des idéologies nationalistes arabes et surtout après la disparition du régime baasiste irakien en avril 2003. Au terme de développements qu’il est impossible de résumer ici, le Baas, à l’instar de l’armée, est devenu un instrument de promotion sociale pour les membres issus des minorités confessionnelles non citadines (alaouites d’abord, druzes ensuite), même si les sunnites y restent majoritaires. Cela dit, ce n’est pas «la» communauté alaouite qui dirige la Syrie au travers de son emprise sur l’armée et le Baas. Ce sont «des» clans majoritairement alaouites qui, grâce à des alliances ponctuelles et instables avec d’autres groupes sociaux, régionaux ou confessionnels, s’assurent le contrôle du régime. Le consensus entre alaouites est d’ailleurs loin d’être acquis, que l’on songe aux

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sanglantes rivalités qui opposèrent longtemps l’oncle (Rifaat) et le père (Hafez) de l’actuel président Bachar el-Assad ou aux rivalités entre clans alaouites issus de villages traditionnellement opposés. Le Baas et son idéologie «laïque» panarabe étaient censés transcender des clivages confessionnels considérés comme des résidus traditionalistes, antimodernes et nuisibles à l’unification panarabe. En fait, depuis que ce parti est devenu l’un des leviers de la domination d’un clan régional et confessionnel sur le reste de la société, le discours «universaliste» et panarabe joue désormais un rôle de leurre. Ce discours permet de discréditer toute forme d’opposition à la dictature en lui imputant un caractère confessionnel et de masquer la domination particulariste du clan Assad derrière un écran de fumée panarabe. Le système de pouvoir mis sur pied par Hafez el-Assad (et consolidé par son fils depuis 2000) a pourtant été menacé au début des années 80, lorsque les principales villes du pays (celles du nord), à l’exception de Damas, se sont lancées dans un mouvement de contestation de la dictature et ont revendiqué l’établissement d’un système politique pluraliste. Outre des intellectuels et des syndicats «laïques», ce mouvement était animé au niveau des classes moyennes et populaires par les Frères musulmans, «remontés» contre la minorisation de la ville sunnite par un régime dominé par la minorité alaouite. Plus grave pour le régime, même une ville comme Lattaquié, largement alaouite, fut touchée par la contestation et la répression. Brandissant l’épouvantail de la contagion de l’islamisme révolutionnaire (nous sortons tout juste de la révolution iranienne), le président Hafez el-Assad, épaulé par les «Brigades de Défense» de son frère ennemi Rifaat el-Assad, décida en 1981 de répondre à la contestation par une répression qui, pour la seule ville d’Hama, allait se solder par la mort de quelque 25 000 civils. Son pouvoir contesté jusqu’au sein même de la communauté alaouite, le clan Assad n’eut d’autre issue que de recourir à la provocation interconfessionnelle pour s’assurer le regroupement des alaouites derrière sa personne. C’est ainsi que des massacres d’officiers alaouites furent sciemment orchestrés par la Sûreté syrienne. Fondamentalement, le système de pouvoir à l’œuvre en Syrie se caractérise par la manipulation au fer-blanc des subtils déséquilibres entre classes, régions et confessions. La survie du régime passe par la menace permanente (et parfois l’exercice comme en 1981) du recours à la violence «aveugle» et massive contre la société civile, menace doublée de la menace d’un changement d’alliance entre le noyau clanique des Assad et ses obligés sunnites ou druzes. C’est la quintessence et le modèle de l’«État de Barbarie» décrit par feu Michel Seurat, ce sociologue français mort en 1986 au Liban alors qu’il y était retenu en otage par le Hezbollah fondé quatre ans auparavant. La survie du régime syrien passe également par le maintien d’un état de guerre (fût-il uniquement verbal) avec l’État d’Israël. Ce qui fait parfois dire à certains que, très paradoxalement, la poursuite de l’occupation et de la colonisation du Golan par l’État juif est l’un des meilleurs gages de survie du régime syrien, toute contestation interne étant accusée de collusion objective avec l’«impérialisme» et le «sionisme». À la mort d’Hafez el-Assad en juin 2000, le régime baasiste sembla s’ouvrir quelque peu en autorisant, non pas le multipartisme, mais la réunion de clubs de réflexion et de discussion, ainsi qu’un semblant de début d’assouplissement d’une économie dirigiste contrôlée par un quatuor de services de sécurité et de renseignements communément appelés les Moukhâbarât. C’est ce qu’on appela le «Printemps de Damas», un printemps qui vira rapidement à l’hiver lorsque ses principaux initiateurs furent arrêtés et condamnés. Au printemps 2005, soumis à une intense pression internationale suite à une vague d’assassinats d’hommes politiques et de journalistes libanais, la Syrie fut contrainte de retirer son armée du Liban, un État qu’elle occupait depuis 1976 et son engagement dans la guerre civile libanaise. À nouveau, les observateurs pensèrent un instant qu’en essuyant un tel échec politique sous la pression occidentale et en perdant un Liban source de trafics et de devises pour les services de renseignement syriens, le régime baasiste allait, sinon s’effondrer, devoir composer. Las ! Le régime fit une fois de plus appel aux Moukhâbarât pour renforcer sa mainmise sur le pays. Ainsi, en mai 2006, au cours d’une vaste opération, une douzaine de militants pour la démocratie et les droits civiques furent arrêtés, parmi lesquels l’avocat défenseur des droits humains Anwar al-Bunni et l’écrivain Michel Kilo. Depuis lors, la répression s’est accentuée et Bachar el-Assad a définitivement renoncé à réformer un État syrien branlant et sclérosé, mettre fin à sa dépendance paranoïaque à l’égard des services de sécurité et moderniser son économie. Le rideau est donc tombé définitivement sur le Printemps de Damas. e Pascal Fenaux

(1) . Voir notre dossier «Liban-Syrie : transitions à haut risque», Libertés ! n°415 de juin 2005.


DOSSIER j La police anti-émeute syrienne quadrille un faubourg de Damas pour empêcher de nouvelles manifestations suite aux événements de Qamishli, dans le nord-est du pays. Dummar, 14 mars 2004. © REUTERS/ Khaled al-Hariri

LA RELÉGATION KURDE Principale minorité ethnique d’une république syrienne qui se définit comme arabe et dont le parti au pouvoir est officiellement panarabiste, les Kurdes sont particulièrement ciblés par les services de sécurité et de renseignements.

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es Kurdes de Syrie sont sujets à de sérieuses violations des droits humains, ainsi que les Syriens dans leur ensemble, mais en tant que groupe, ils subissent également des discriminations systématiques basées sur leur identité, particulièrement dans le domaine des droits civils et politiques. Les Kurdes forment le deuxième plus grand groupe ethnique de Syrie : dans un pays à large majorité arabe (90 %), ils représentent près de 10% de la population avec près de 2 millions d’âmes. Ils sont principalement situés dans le nord et le nord-est du pays (le long de la frontière avec la Turquie et l’Irak), régions à la traîne par rapport au reste du pays en termes d’indicateurs sociaux et économiques, une situation liée aux discriminations directes et indirectes à l’encontre de la population kurde. En 1962, le gouvernement syrien a lancé une politique d’«arabisation» des zones à majorité kurde : près de 100 000 Kurdes de 300 villages ont été déplacés de force et remplacés par des Arabes dans le but de créer une «ceinture arabe» entre les Kurdes de Syrie et ceux de Turquie et d’Irak. Les villes et les villages ont été renommés en arabe. Bien que l’interdiction de l’utilisation de la langue kurde (incluant les publications en langue kurde, les noms kurdes pour les entreprises ou magasins, les cours de langue kurde ou la diffusion de culture kurde) semble être peu appliquée au niveau local, elle reste profondément injuste et ne s’applique pas aux membres des autres minorités ethniques du pays (Arméniens, Circassiens, Assyriens et Juifs) lesquels peuvent donner des noms russes ou arméniens à leurs magasins ou tenir des écoles privées. En 1992, le ministère de l’Intérieur a interdit l’enregistrement d’enfants avec des noms «non-arabes» dans la province à majorité kurde d’al-Hassaka. Ces dernières années, des dizaines de Kurdes ont été arrêtés pour avoir célébré le Nawruz, le nouvel an kurde. Plus inquiétant, une grande proportion de Kurdes de Syrie se voit dénier la nationalité syrienne et sont de ce fait tenus à l’écart de droits fondamentaux comme l’éducation, le travail ou les soins de santé. On estime à près de 360 000 ces Kurdes syriens «apatrides» qui ne peuvent se procurer ni passeport ni documents de voyage (et ne peuvent ainsi ni quitter la Syrie ni y

retourner légalement), ne peuvent ni voter ni être propriétaires, ne peuvent être employés dans le secteur public ou exercer une profession nécessitant l’adhésion à une corporation (journalistes, avocats, médecins, ingénieurs), et n’ont pas accès à l’université ou aux hôpitaux publics. Enfin, les défenseurs des droits des Kurdes et les militants de la société civile kurde en général sont victimes d’une répression sévère et sont particulièrement exposés au risque d’être arrêtés ou emprisonnés, ce qui dans de nombreux cas signifie la torture et les mauvais traitements. Les chefs d’inculpation habituellement (et souvent uniquement) utilisés contre les Kurdes sont l’«implication dans des groupements cherchant à affaiblir la conscience nationale», la «tentative de séparation d’une partie du territoire syrien en vue de l’annexer à un État étranger» ou «l’’incitation au factionnalisme», cette dernière pouvant être punie par la peine capitale. Le climat de haine semble s’être aggravé suite aux incidents de mars 2004. La tension a grimpé entre supporters arabes et kurdes durant un match de foot à Qamishli, en région kurde, et les forces de police ont réagi en tirant à balles réelles sur la foule, apparemment dans la seule direction des supporters kurdes, faisant plusieurs morts. La manifestation et la procession funéraire qui se sont déroulées le lendemain ont aussi essuyé des tirs des forces de sécurité, ce qui a déclenché des émeutes pendant deux jours. Au total, ce sont au minimum 36 personnes qui ont été tuées, presque uniquement kurdes. Aucune enquête n’a été menée sur l’usage de la force par les services de sécurité, ni sur les arrestations massives (près de 2 000 Kurdes arrêtés), ni sur les accusations de torture en détention, ni tout simplement sur les causes possibles de ces événements. En outre, dans les mois qui ont suivi, au moins six Kurdes accomplissant leur service militaire sont décédés dans des circonstances suspectes, sans doute lors de passages à tabac ou de tirs à l’arme à feu portés par des supérieurs militaires ou des collègues. L’année suivante, en 2005, la mort d’un haut dignitaire religieux a ravivé le sentiment de persécution des Kurdes de Syrie. Figure importante de la communauté kurde, Sheikh Muhammad Mashuq al-Khiznawi présidait le Centre sunnite d’Études islamiques et s’était prononcé en faveur de réformes en Syrie et d’un dialogue plus poussé entre les différentes communautés religieuses syriennes. Sheikh Muhammad Mashuq al-Khiznawi a «disparu» à Damas le 10 mai 2005. Vingt jours plus tard, son corps était remis à sa famille par les autorités, après avoir manifestement subi des tortures. e Céline Remy

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DOSSIER j Riad al-Turk, dirigeant de l’Alliance nationale démocratique. Ancien prisonnier d’opinion détenu sans jugement de 1980 à 1998, il fut à nouveau condamné à 14 mois de prison en septembre 2001 pour son rôle dans le «Printemps de Damas». © AI

LE SUPPLICE DU DÉFENSEUR En Syrie, il faut une certaine dose de courage ou d’inconscience pour militer en faveur des libertés politiques et des droits humains, courage et inconscience que d’innombrables défenseurs paient au prix fort.

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es préoccupations d’Amnesty International concernant la situation en Syrie sont nombreuses. Elles concernent principalement les arrestations arbitraires et les emprisonnements pour le seul motif d’avoir exercé pacifiquement leurs droits humains fondamentaux (tels que celui à la libre expression), les disparitions, les longues détentions au secret, l’usage généralisé de la torture et des mauvais traitements en détention, les jugements inéquitables, l’impunité pour les membres des forces de sécurité soupçonnées de violations des droits humains, les strictes restrictions à la liberté d’expression et d’association, le harcèlement des défenseurs des droits humains et le maintien de l’application de la peine de mort. Pierre d’angle de ce système, le maintien de l’état d’urgence est particulièrement inquiétant. En vigueur depuis 1963, date du coup d’État baasiste, l’état d’urgence autorise depuis 47 ans des mesures «d’exception» qui réduisent drastiquement les droits théoriquement accordés aux citoyens (principalement ceux à la liberté d’expression, d’association et de réunion) et confèrent aux forces de sécurité de vastes pouvoirs en matière d’arrestation et de détention. Le décret législatif relatif à l’état d’urgence permet également aux autorités de censurer les correspondances, les communications et les médias et de réprimer des manifestations pacifiques ainsi que des actes et des propos considérés comme critiques envers les autorités. La législation d’état d’urgence a ainsi pour résultat la détention, souvent au secret, sans inculpation ni procès et accompagnée de torture, de milliers d’opposants politiques présumés. Des centaines de prisonniers d’opinion sont maintenus en détention, parmi lesquels deux au moins – Ziad Ramadan et Bahaa Mustafa Joughel – sont détenus sans jugement depuis 2005. Cette législation spéciale a instauré des tribunaux «d’exception» (les tribunaux militaires et la Cour suprême de Sécurité d’État) qui appliquent une procédure non conforme aux normes minimales d’équité internationalement reconnues. La Cour suprême de Sécurité d’État, créée en 1968 avec pour tâche de juger les délits politiques et d’atteinte à la sécurité de l’État, a été utilisée pour condamner de nombreux défenseurs des droits humains à de lourdes peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables. Les accusés ne se voient pas reconnaître le droit d’interjeter appel et ne peuvent consulter leur avocat que de façon très restreinte. Les juges bénéficient d’un large pouvoir discrétionnaire. En outre, lorsque la Cour est informée que des déclarations ont été extorquées sous la torture, elle les considère tout de même comme des «aveux» recevables. Le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU

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estime que les procédures suivies par cette juridiction ne satisfont pas aux dispositions du Pacte international relatif aux Droits civils et politiques (PIDCP), auquel la Syrie est partie. Quant à la torture en détention, Amnesty recense pas moins de 38 méthodes différentes utilisées par les agents de sécurité, des brûlures de cigarettes aux coups à l’aide de câbles électriques en passant par l’arrachage d’ongles, les simulacres d’exécution et la brisure d’os ou de dents. Les décès résultant de tortures et mauvais traitements en prison sont fréquents, que les détenus soient politiques ou de crime ordinaire, et sans qu’aucune enquête ne soit jamais menée sur ces morts suspectes. Amnesty dispose de rapports prouvant que des enfants d’à peine 12 ans auraient été torturés en prison. Pour l’année 2008, l’association a recensé au moins 17 prisonniers qui auraient été tués par des membres de la police militaire. En outre, le gouvernement a promulgué, le 30 septembre 2008, un décret-loi qui confère aux agents de la Sécurité politique, de la police et des douanes l’immunité des poursuites pour les crimes commis dans l’exercice de leurs fonctions, hormis le cas où un mandat d’arrêt est décerné par le commandement général des forces armées. Le travail des défenseurs des droits humains est donc important, mais très risqué. Il est pratiquement impossible, étant donné la législation syrienne, de critiquer les lois, le régime politique ou la politique en matière de droits humains sans risquer d’être arrêté et emprisonné. Les organisations de défense des droits humains fonctionnent souvent sans autorisation. Les défenseurs des droits humains sont en butte à des actes de harcèlement. Les avocats Muhannad al-Hassani et Razan Zeitouneh figurent parmi les 20 défenseurs des droits humains – au moins – auxquels il est interdit de se rendre à l’étranger. En mai 2008, le Groupe de Travail sur les détentions arbitraires créé par la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, estime que l’incarcération d’Anwar al-Bunni, Michel Kilo et Mahmoud Issa est arbitraire car ils ont été condamnés pour l’exercice légitime de leur droit à la liberté d’expression à l’issue de procès qui n’avaient pas, loin s’en faut, respecté les normes d’équité internationalement reconnues. L’avocat Anwar al-Bunni a été condamné en avril 2007 à une peine de 5 ans d’emprisonnement pour ses activités légitimes en faveur des droits humains. En mai 2007, Michel Kilo et Mahmoud Issa se sont vu infliger une peine de 3 ans de prison pour avoir signé la «Déclaration Beyrouth-Damas», un texte, signé par quelque 300 Syriens et Libanais, qui prône une normalisation des relations entre les deux États. Exigeant longtemps la «réintégration» du Liban (détaché de la Syrie française en 1926), la République arabe syrienne ne reconnaît officiellement l’existence d’un Liban indépendant que depuis peu de temps et du bout des lèvres. Michel Kilo a finalement été libéré en mai 2009, mais toute contestation n’en reste pas moins dangereuse pour les défenseurs. e C.R.


DOSSIER

«UNE CARICATURE DE “DESPOTISME ORIENTAL”» Philosophe et journaliste syrien indépendant, Hassan Chatila est réfugié en France depuis 34 ans. En 2006, il nous avait accordé une interview dont nous reproduisons des extraits restés, hélas, d’actualité.

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ela fait plus de 30 ans que vous vivez en France. Quelle Syrie avez-vous quittée ? En 1975, j’ai quitté Damas pour passer mon doctorat en philosophie. Le goût de la liberté m’a amené à prendre des positions ouvertement hostiles à la politique du régime d’Hafez el-Assad, que ce soit à l’égard du Liban [envahi par l’armée syrienne en 1976] (1) et des Palestiniens, ainsi qu’en faveur des libertés démocratiques. Pour moi, la politique du général Assad consistait à réprimer tout mouvement de libération nationale et démocratique, qu’il soit palestinien, libanais ou syrien. La Syrie est gouvernée depuis 1963 par deux lois : la loi martiale et l’état d’urgence. Et, depuis l’arrivée du général Assad en 1970, le pays est écrasé par un arsenal législatif et répressif laissé à la discrétion absolue du président syrien. En quatre décennies de «cure» sécuritaire, l’État et les institutions publiques ont totalement disparu. Il s’agit en fait d’un pouvoir sans État, d’un régime contre l’État. Nous sommes dans une caricature de «despotisme oriental», un système dans lequel un semblant de pouvoir exécutif gère les affaires et l’administration, mais où, dans les faits, il ne fait que gérer la corruption et la violence contre les organes civils. Le pouvoir exécutif n’a aucun pouvoir politique concernant les orientations de politique intérieure ou extérieure, il ne fait que gérer. Si l’on cherche une société civile, on doit bien admettre qu’elle n’est réduite qu’à quelques intellectuels. À vrai dire, il n’y a plus de société en Syrie. Il y avait bien une société en formation durant les années 40, 50, à la fin de l’occupation française et dans les premières années de l’indépendance. Ces germes de société remontaient à la fin du XIXe siècle et aux dernières années du régime ottoman, à l’époque de ce qu’on a appelé la Nahda [Renaissance]. Mais le coup d’État du 8 mars 1963 est venu arrêter net toute évolution de la société, au point que l’individu n’existe plus. Un pays où il n’y a pas de droit est un pays où il n’y a pas d’homme. Si on prend la personnalité du citoyen syrien, on verra qu’elle s’est complètement déstructurée sous la pression d’appareils répressifs en guerre contre la société depuis 40 ans.

Comme au temps du Baas irakien, c’est une société où tout le monde se méfie de tout le monde ? Parfaitement. Chaque fois qu’une organisation sociale se forme, elle ne tarde pas à se disloquer parce qu’il est impossible de nouer des liens sociaux entre les individus. Dans quelles circonstances êtes-vous resté «coincé» sur le sol français ? L’officier des Renseignements (les Moukhâbarât) auprès de l’ambassade de Syrie à Paris a refusé de renouveler mon passeport et j’en ai déduit que mes interventions publiques me mettaient en danger. Cela dit, dans ce malheur, j’ai eu de la chance. Je ne suis pas venu «allonger» la liste des «disparus» syriens et ma famille n’a pas été spécialement inquiétée. Il faut dire que je ne représente pas une menace pour le pouvoir syrien, je ne suis pas un responsable politique, je n’ai ni pris les armes ni appelé à prendre les armes contre le pouvoir. Mais j’ai eu de la chance car les intimidations à l’encontre des familles et des proches sont monnaie courante. Regardez le cas du journaliste Ali Abdallah, membre du Forum Atassi. En mars [2006], il était arrêté pour avoir à nouveau manifesté devant la Cour suprême de Sûreté de l’État et réclamé la levée de l’État d’urgence. Non contents de l’arrêter, les services de sécurité ont également incarcéré deux de ses fils, Muhammad Ali et Omar. Il a été détenu deux fois depuis l’interdiction du Forum en 2005. Après la mort d’Hafez el-Assad et l’intronisation de son fils Bachar, d’aucuns avaient parié sur un «Printemps de Damas». C’était du vent ? C’était une illusion. La succession ne pouvait pas se faire dans le sang. Il fallait dresser un écran de fumée, nourrir des illusions. Six mois après l’investiture du fils, la répression était bel et bien revenue, comme en témoigne l’arrestation de plusieurs dizaines d’intellectuels et d’hommes politiques et condamnés à des peines de dix ans. Les Frères musulmans, bête noire et alibi du régime dans sa répression, ontils évolué ? Historiquement, ils portent une lourde responsabilité dans la pérennité du régime baasiste. En 1980, alors que l’opposition de gauche syrienne commençait enfin à adhérer progressivement au concept de démocratie libérale parlementaire, la Confrérie islamiste a préféré fonder sa stratégie sur la prise du pouvoir par les armes. Cela a permis au régime de réprimer dans le sang les Frères musulmans, d’embastiller toute la gauche démocratique et de dissoudre tous les ordres professionnels. Dans un jeu aussi piégé, quelle est la marge de manœuvre des ONG de défense des droits humains ? Les ONG syriennes sont en crise. Indice d’une société civile éclatée et méfiante, quand elles ne sont pas réprimées, elle s’avèrent incapables de coopérer. Dans ce contexte, le rôle d’ONG internationales comme Amnesty est essentiel pour les aider à se fédérer. e Propos recueillis par Pascal Fenaux

j À l’occasion de la Journée internationale des Droits de l’Homme, des opposants syriens réfugiés au Liban manifestent pour le respect des droits humains en Syrie. Beyrouth, 10 décembre 2009. © REUTERS/Cynthia Karam

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MOUVEMENT FORMATIONS Consultez sans tarder notre programme des formations 2010 ! Vous y retrouverez les modules sur la peine de mort, les réfugiés, les droits des femmes, la torture, la mission et le fonctionnement d’Amnesty, etc. Vous y découvrirez deux nouveaux ateliers de courte durée (01h30) : l’un porte sur les différentes façons de lutter contre l’injustice avec Amnesty et l’autre est consacré à des échanges sur la manière de parler de ses positions en faveur des droits humains dans son entourage. De plus, pour la première fois, nous vous inviterons à suivre un cycle complet sur la campagne «Exigeons la dignité». Notre catalogue est disponible en format pdf. Nous vous l’enverrons par e-mail ou par courrier sur simple demande. Vous pouvez également l’obtenir sur notre site internet et vous inscrire en ligne à l’adresse suivante : http://www.amnesty.be Les premières formations de l’année auront lieu à Bruxelles. 13 février de 10h00 à 16h00 La protection internationale des droits fondamentaux 27 février de 09h00 à 13h00 Les droits des femmes 6 mars de 10h00 à 11h30 1001 façons de soutenir les droits humains 18 mars de 19h30 à 21h00 Militant-e et fier-re de l’être… Comment en parler et défendre ses positions ? 20 mars de 09h30 à 16h30 Mission et fonctionnement d’Amnesty e Pour tout renseignement complémentaire, contactez-nous par e-mail à formations@aibf.be ou par téléphone au 02 538 81 77

FESTIVAL PAROLES D’HOMMES «NOUS NE NOUS ÉTIONS JAMAIS RENCONTRÉS… » À HERVE, SOUMAGNE, BLEGNY ET VERVIERS DU 30 JANVIER AU 13 FÉVRIER 2010

Réservations au 087 66 09 07 Infos : Clara Beelen 087 78 62 09 – 0498 03 09 66 – clara.beelen@parolesdhommes.be

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C O O R D I N AT I O N S

«LE RÉGIME IRANIEN A BESOIN D’UN ENNEMI EXTÉRIEUR» Shadi Sadr est une journaliste et avocate iranienne spécialisée dans la défense des droits humains et en particulier des droits des femmes en République islamique d’Iran. Elle s’est notamment illustrée en militant pour l’abolition de la lapidation en Iran. Emprisonnée en juillet 2009 dans la prison d’Evin dans le contexte des manifestations contestant la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la république, Shadi Sadr a été libérée onze jours plus tard à la suite de nombreuses pressions internationales, dont une Action Urgente d’Amnesty International. Elle a reçu plusieurs prix internationaux au cours de l’année 2009. Nous l’avons rencontrée à Bruxelles en décembre dernier.

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ensez-vous que la mobilisation qui s’organise à l’extérieur de l’Iran pour soutenir les défenseurs iraniens soit réellement en mesure de peser sur le sort de ces prisonniers d’opinion ? Je pense que c’est très important et que cela peut effectivement avoir une certaine influence sur leur sort. J’ai pu le constater moi-même dans mon métier d’avocate où cela n’est jamais resté sans effets. Cela s’est également vérifié après mon arrestation en juillet dernier. Je n’aurais jamais pu être libérée aussi rapidement si une mobilisation aussi importante n’avait pas été organisée autour de mon cas. Pour être efficaces, ces campagnes de sensibilisation doivent absolument atteindre un niveau très important afin que le gouvernement comprenne que les inconvénients de ce genre d’incarcération sont supérieurs à ses avantages et qu’il devient dès lors plus intéressant de libérer cette personne. Il s’agit là d’un point fondamental. Bien entendu, les autorités enjoignent systématiquement les parents, et même les avocats des prisonniers politiques, de «rester discrets et ne pas faire de bruit» autour du cas de leurs proches dans la mesure où toute campagne internationale pourrait «s’avérer contre-productive». Il s’agit là d’un discours récurrent émanant des tribunaux révolutionnaires et des services de renseignements adressé tant aux proches des prisonniers politiques qu’à ces derniers directement. L’expérience montre qu’il ne faut pas écouter ce type de «conseil» parce que le prisonnier se trouve de toute façon sous pression et n’est donc pas en mesure de raisonner sereinement. Nous, qui travaillons sur ces cas d’atteinte flagrante aux droits humains, savons combien la médiatisation et les pressions internationales sont importantes pour que ces personnes puissent être libérées ou que leurs conditions d’emprisonnement soient moins pénibles et plus généralement pour que les droits humains soient davantage respectés. Vous me direz que dans un contexte où l’une des accusations systématiquement adressées aux défenseurs des droits humains en Iran est qu’ils sont «liés à étranger», les pressions internationales qui s’exercent pour qu’ils soient libérés risquent dès lors de fournir un bon prétexte au régime pour justifier et accentuer la répression.

Sauf que dans mon métier d’avocate, j’ai vu passer de nombreux cas où des prisonniers politiques qui n’avaient bénéficié d’absolument aucun soutien international étaient de toute façon accusés par les autorités de la République islamique d’être «soutenus par l’étranger». Pour la République islamique, toute personne active dans le domaine des droits humains, qu’elle soit connue ou pas en dehors de l’Iran, ne peut être que liée à des «agents de l’extérieur». Ils n’ont donc même pas besoin de prétexte dans la mesure où cette théorie est durablement inscrite dans leur esprit. On a assisté récemment à des changements au sein de la Justice iranienne avec la nomination à la tête du pouvoir judiciaire d’un nouveau chef en la personne de Sadegh Laridjani – frère du président du Parlement Ali Laridjani – ainsi que celle d’un nouveau Procureur général de Téhéran en lieu et place du très dur et controversé Said Mortazavi. Pensez-vous que ces nouvelles nominations pourraient un tant soit peu élever le niveau de liberté en Iran et bénéficier à des militants de droits humains comme vous ? On pourrait en effet éventuellement imaginer qu’avec le départ de Said Mortazavi (1), la situation puisse s’améliorer, mais je ne pense pas que le changement puisse ne tenir qu’à quelques nominations. Des individus un peu plus modérés peuvent se montrer effectivement enclins à une certaine clémence. Mais le problème, c’est que le chef du pouvoir judiciaire en Iran n’est pas indépendant. Nous n’avons d’ailleurs pas de juges indépendants en Iran. Tous les juges des tribunaux révolutionnaires qui doivent se prononcer sur des cas politiques reçoivent tous directement leurs ordres du ministère du Renseignement, lequel est luimême désormais entièrement sous la coupe des Gardiens de la Révolution [Pasdarans, armée idéologique du régime qui s’est substituée à l’armée régulière]. Dans ces conditions, aucun changement notable n’est envisageable. La libération d’un prisonnier politique peut certes faire croire qu’une évolution se dessine, sauf que cette personne n’a finalement pu être libérée que contre le paiement d’une caution extrêmement lourde (2) et qu’elle est tout de même condamnée à une longue peine de prison (3).


MOUVEMENT j Shadi Sadr reçoit la Mensenrechtentulp («Tulipe des Droits humains») des mains du ministre néerlandais des Affaires étrangères Maxime Verhagen. La Haye, 9 novembre 2009. © AP Photo/ Peter Dejong

Comment les autorités iraniennes peuvent-elles penser que les aveux forcés des personnes condamnées récemment dans des procès à huis clos rappelant ceux de Moscou puissent paraître crédibles aux yeux de l’opinion iranienne et de la communauté internationale ? Certes, à l’extérieur de l’Iran, peu de gens croient à ce type d’aveux. Cependant, en Iran, beaucoup y croient, en particulier dans les couches les moins éduquées de la population ou dans celles qui vivent dans les petites villes de province. Ceux-là croient encore au régime. C’est une des raisons pour lesquelles la pratique des «aveux» peut continuer à fonctionner. Mais, plus fondamentalement, si le système des «aveux» peut perdurer, c’est parce que les personnes qui les extorquent en ont besoin. Tout le système de la République islamique repose sur la théorie du complot grâce à laquelle elle croit pouvoir se régénérer. Si la République islamique ne dispose pas dans son arsenal idéologique d’un «ennemi extérieur», alors l’identité de ce régime risque d’être remise en question. Il ne faut pas oublier que ce régime s’est construit et s’est stabilisé au cours d’une guerre terrible [la guerre Iran-Irak de 1980-1988] et qu’à cette époque, l’ennemi extérieur, incarné par Saddam Hussein et ses alliés occidentaux, était bien réel. Cependant, après la guerre, cette réalité n’a plus vraiment été de mise, sauf qu’il était vital pour le régime que la perspective de la menace d’un «ennemi extérieur» reste présente dans les esprits, comme c’est souvent le cas avec les régimes totalitaires. Dans un tel contexte, il est donc très important pour le régime de pouvoir accuser ceux qui veulent le changement d’être des «agents de l’étranger» et de prouver ainsi que les revendications en faveur du changement n’émanent pas de l’intérieur de la société iranienne. «Tout cela vient d’individus formés à l’extérieur de l’Iran. D’ailleurs l’opinion intérieure est avec nous», entend-on ainsi dire. J’ai moi-même été confrontée à ce type d’accusations. Lors des interrogatoires, on me disait : «vous qui défendez les droits des femmes, vous êtes en réalité des agents l’Amérique et vous travaillez à la réalisation du projet américain de Grand Moyen-Orient» (4). Lorsque j’expliquais que, «non, je mène ce combat parce que j’ai constaté moi-même qu’il y avait un problème au quotidien pour les femmes en Iran», ils me répondaient que, sans m’en rendre compte j’étais en train de travailler pour les Américains. Dans ces conditions, si je prenais conscience de cela mais que, malgré tout, je poursuivais mes activités, alors je devenais une espionne au service d’une puissance étrangère. Il s’agit là pour eux

d’une théorie inébranlable vis-à-vis de laquelle aucun compromis, aussi minime fût-il, n’est possible. Concernant la peine de mort, il semble que la République islamique ait recours, depuis bien avant les élections de juin dernier, à des exécutions visant particulièrement les crimes de droit commun en jouant sur la sensibilité de la population concernant des criminels ou des pédophiles dans une démarche qui vise à faire mieux accepter la peine de mort en Iran ... Tout à fait. D’ailleurs, il y a deux ans, une campagne dont le but était de «nettoyer les rues des voyous et de la racaille» avait été menée de façon extrêmement brutale et s’était soldée par l’exécution d’un grand nombre d’entre eux. «Ce sont eux qui violent vos enfants», avait alors affirmé le régime pour justifier cette répression très dure. Or, bon nombre de personnes arrêtées lors de cette campagne, certes pas toutes, étaient des meneurs de l’insurrection spontanée qui avait éclaté lorsque le prix de l’essence avait connu une forte augmentation et que la population avait incendié des stations-service. Bien entendu, ils n’ont pas été accusés ouvertement de cela. Ils ont alors été jugés et exécutés très rapidement, en moins d’un mois. Dans ces conditions, la population n’a manifesté aucune empathie à l’égard de ces personnes présentées uniquement comme de dangereux criminels. Idem pour ces Kurdes qui ont été récemment exécutés après avoir été présentés comme des «terroristes poseurs de bombes» ou des activistes politiques présentés à tort comme «membres de l’organisation des Moudjahiddines du peuple» et donc qualifiés de «terroristes». Le régime joue ainsi habilement sur la corde sensible de la population et sait pertinemment que les qualificatifs de «voyou», de «violeur» ou de «terroriste» suffisent à susciter de l’indifférence. e Propos recueillis par Pierre Vanrie (1) Said Mortazavi, désormais adjoint du Procureur général et également en charge de la lutte contre la contrebande, s’est rendu célèbre pour sa sévérité à l’égard de la presse et pour son implication dans la mort en détention en 2003 de la journaliste irano-canadienne Zahra Kazemi. (2) La journaliste Fariba Pajooh arrêtée le 22 août 2009 n’a pu être libérée fin décembre que grâce au paiement d’une caution d’environ 50 000 dollars. (3) La journaliste Hangameh Shahidi, libérée sous caution en attendant que son cas soit conclu en appel, a été condamnée à six ans de prison. (4) Le «Grand Moyen-Orient» était un concept néo-conservateur forgé par l’administration Bush visant à remodeler le Moyen-Orient et à y insuffler une culture politique censée pacifier les relations entre cette vaste région et les États-Unis.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE 2010

L’Assemblée générale (AG) ordinaire d’AIBF est convoquée le 20 mars 2010 à 09h30 au siège de l’association. Conformément aux statuts, une AG statutaire n’est valable que si 2/3 des membres sont présents ou représentés. AIBF comptant actuellement plus de 25 000 membres, il est peu probable que le quorum sera atteint et une seconde AG sera donc convoquée le 24 avril 2010 à Bruxelles-Capitale, AG qui pourra délibérer quel que soit le nombre de membres présents ou représentés. Le Carrefour Finances aura lieu le 17 avril au siège de l’association.

RÉSOLUTIONS Les projets de résolution et les amendements aux statuts et au règlement d’ordre intérieur doivent être adressés au Conseil d’administration (CA) au moins 60 jours avant la date de l’AG, soit pour le 23 février 2010. Les projets et les amendements introduits après l’écoulement du délai sont automatiquement écartés à l’exception des projets de résolutions d’urgence. Les projets de résolution et les amendements aux statuts et au règlement d’ordre intérieur ne sont recevables qu’à la condition d’être appuyés par la signature de 5 membres au moins. Toute résolution soumise à l’AG doit être accompagnée d’une brève déclaration d’intention et des motifs de la résolution. Toute résolution dont l’adoption aurait des répercussions non négligeables sur l’utilisation des ressources financières et/ou humaines de la section doit, pour être recevable, être introduite par des considérants, soit accompagnée d’une notice qui explique son lien avec le plan stratégique ou, à tout le moins, avec le plan opérationnel de la section.

CANDIDATURES AU CA OU AU COMITÉ D’ÉVALUATION ÉTHIQUE DES PARTENARIATS Conseil d’administration Seuls les membres de l’association depuis au moins 2 ans, en règle de cotisation, peuvent poser leur candidature au poste d’administrateur. Sauf dérogations prévues par le règlement d’ordre intérieur, les candidatures au CA doivent être envoyées par écrit au moins 60 jours avant la date de l’AG annuelle, soit pour le 23 février 2010, et adressées au siège de l’association, à l’attention de la présidente du CA (Christine Bika). Les candidat(e)s joignent à leur acte de candidature un bref curriculum vitae (une dizaine de lignes) et une lettre de motivation. Comité d’évaluation éthique des partenariats Les candidats au Comité d’évaluation éthique des partenariats doivent compter au moins 2 ans d’ancienneté en tant que membres d’AIBF et être en règle de cotisation. Ils doivent envoyer leur candidature au Secrétariat national au moins 60 jours avant l’AG, soit pour le 23 février 2010, sauf dérogation accordée par cette dernière. e

Libertés ! Janvier 2010 11


MOUVEMENT

Ce sont aussi 80 groupes locaux qui, sur le terrain, font un travail d’action et de sensibilisation aux droits humains. Pour vous y joindre, contactez votre régionale.

SECRÉTARIAT NATIONAL AIBF Rue Berckmans 9, 1060 Bruxelles 02 538 81 77 Fax : 02 537 37 29 www.amnesty.be SECRÉTARIAT INTERNATIONAL Easton Street 1, London WC1X ODW United Kingdom 00 44 207 413 5500 AMNESTY INTERNATIONAL VLAANDEREN Kerkstraat 156, 2060 Antwerpen 6 03 271 16 16 RESPONSABLES RÉGIONAUX D’AMNESTY

© Bruno Brioni

BHOPAL, 25 ANS APRÈS L

e 2 décembre 2009, cela faisait 25 ans une usine de pesticides de la société Union Carbide explosait en inde, à Bhopal. Au moins 20 000 personnes y perdirent la vie, dans les jours, les semaines et les mois qui suivirent. Aujourd’hui, le site n’est toujours pas décontaminé et la population n’a ni assez d’eau potable ni un accès suffisant aux soins médicaux. Personne n’a jamais été inculpé pour la catastrophe (1). La catastrophe industrielle de Bhopal provoqua une onde de choc et d’indignation mondiale et souleva des questions sur la justiciabilité des entreprises. Le débat ne mena cependant pas à des résultats satisfaisants pour la population de Bhopal. Seule une infime partie des victimes reçut une indemnisation.

Les terrains industriels affectés n’ont jamais été décontaminés correctement. L’usine a depuis lors été rachetée par la société Dow Chemical Company, laquelle refuse toute responsabilité dans la catastrophe et la contamination de Bhopal. Le 2 décembre 2009, une action a donc été organisée devant le siège européen de Bhopal à Bruxelles pour demander que Dow Chemical assume ses responsabilités en collaborant avec les autorités indiennes pour assainir l’environnement autour du site contaminé et en indemnisant financièrement les victimes. (1) Voir Libertés ! n° 458 de novembre 2009.

MANIFESTATION

CONTRE LE TERRORISME, LA JUSTICE D

ès son arrivée à la Maison Blanche, le président Obama posait un geste fort en signant l’ordre de fermer la prison de Guantanamo avant le 22 janvier 2010. Aujourd’hui, le bilan est mitigé. Malgré une réelle volonté de la nouvelle administration de rompre avec la politique de son prédécesseur, les résultats concrets se font attendre. En janvier 2009, Amnesty pensait manifester une dernière fois pour que Guantanamo soit fermé, pour qu’on juge les prisonniers ou qu’on les libère en accord avec les normes du droit international.

12 Libertés ! Janvier 2010

Le 21 janvier 2010, 1 an et 1 jour après le début du mandat du président Barack Obama, Amnesty International rappellera donc les obligations internationales des États-Unis et les promesses faites par le nouveau président américain. e QUAND ? Le jeudi 21 janvier de 12h30 à 13h15. OÙ ? Face à l’ambassade des États-Unis, boulevard du Régent 27, 1000 Bruxelles. Rassemblement côté avenue des Arts, entre la rue de la Loi et la rue Guimard. RENSEIGNEMENTS : ppeebles@aibf.be

BRABANT WALLON Jean-Philippe CHENU chemin de la Terre Franche 13 1470 Genappe 010 61 37 73 – jpchenu@aibf.be BRUXELLES Luis SCHOEBERL Avenue du Loriot 22 1150 Bruxelles (Woluwe-Saint-Pierre) 02 660 08 78 lschoeberl@aibf.be HAINAUT ORIENTAL Nicole GROLET av. Elisabeth 6, 6001 Marcinelle 071 43 78 40 ngrolet@aibf.be LIÈGE Poste à pourvoir Christine BIKA Responsable de la gestion de la permanence – C/O Bureau régional d’AI – rue Souverain Pont 11 – 4000 Liège – du lundi au vendredi de 13h30 à 17h30 04 223 05 15 bureaudeliege@aibf.be LUXEMBOURG Daniel LIBIOULLE Avenue de la Toison d’Or 26 6900 Marche en Famenne 084 31 51 31 dlibioulle@aibf.be NAMUR Romilly VAN GULCK Rue Vivier Anon 8, 5140 Sombreffe 071 88 66 69 rvangulck@aibf.be WALLONIE PICARDE Marie NOËL Rue Cheny 1, 7536 Vaulx 069 77 66 13 – 0499 13 57 25 mnoel@aibf.be


IS AV ELIV ES . B E B O N N ES N O UV EL L ES Dans tous les pays du monde, des gens sont libérés grâce au travail des membres d’Amnesty. Des témoignages émouvants nous parviennent des prisonniers libérés ou de leur famille. Ils montrent qu’une action de masse peut avoir des résultats pour un meilleur respect des droits humains.

BELGIQUE CONVENTION RATIFIÉE Le 22 décembre 2009, la Belgique a ratifié la Convention sur les armes à sous-munitions au siège des Nations unies à New York, portant à 26 le nombre d’États à l’avoir ratifiée. En 2006, la Belgique avait été le premier État au monde à interdire la production, le transfert, le stockage et l’utilisation d’armes à sous-munitions, ainsi que leur financement un an plus tard. Peu de temps après, la Norvège prenait l’initiative d’un processus international conduisant à l’adoption de la Convention sur les armes à sous-munitions. En mai 2008, plus d’une centaine de pays avaient approuvé son texte, avant que la Convention ne soit signée à Oslo par 94 pays. Plus de 80 pays détiennent actuellement plusieurs milliards de sous-munitions et 15 pays en ont utilisé dans plus de 30 pays et territoires de par le monde. e

CHINE DÉFENSEURS RELÂCHÉS Zhuang Lu, une femme de 27 ans qui travaillait pour l’Open Constitution Initiative (OCI, également appelée Gongmen en chinois) – une organisation d’aide et de recherche juridiques – séjourne actuellement chez ses parents, dans la province du Fujian (sud-est de la Chine). Selon ses amis, la police de Pékin a renvoyé Zhuang Lu dans la province du Fujian le 23 août. Elle l’avait relâchée la veille. La police lui a ordonné de ne pas parler de sa détention aux médias. Le 29 juillet, elle avait été interpellée par la police en même temps que Xu Zhiyong, l’avocat qui a fondé l’OCI, car ils étaient soupçonnés d’«évasion fiscale». La police de Pékin a relâché Zhuang Lu le 22 août. Le 23 août, Xu Zhiyong a été libéré sous caution en attendant les conclusions de l’enquête. e

BRÉSIL DROIT AU LOGEMENT Les familles qui avaient été violemment expulsées en août 2009 du bidonville Olga Benário, dans le sud de la ville de São Paulo, ont remporté une victoire décisive dans le combat qu’elles mènent depuis longtemps pour faire respecter leur droit au logement. Soumises à des pressions nationales et internationales, les autorités de l’État de São Paulo ont accepté de saisir le terrain dont les familles avaient été chassées ainsi qu’une parcelle adjacente à Capão Redondo. Le terrain servira à construire des logements sociaux pour les familles expulsées. Le Conseil municipal a assuré qu’il allait prendre des mesures d’urgence en leur faveur pendant les travaux, notamment sous la forme d’allocations logement. D’après des ONG locales, le changement d’attitude radical des autorités est en partie lié aux pressions internationales exercées à la suite du lancement de l’action urgente d’Amnesty International. e

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© Privé

MOZAMBIQUE

HOMME D’AFFAIRES TUÉ PAR BALLES L

e 8 novembre 2007, des policiers ont abattu l’homme d’affaires Julião Naftal Macule pendant son sommeil, dans un hôtel de Massinga, dans le sud du pays (province d’Inhambane). Il a par la suite succombé à ses blessures. Personne n’a été traduit en justice pour ce meurtre. Lorsque Julião Naftal Macule est arrivé à l’hôtel, la veille de sa mort, une personne employée dans l’établissement, croyant reconnaître Agostinho Chauque, un criminel recherché, a prévenu la police. Les forces de l’ordre ont encerclé le bâtiment. Une dizaine de policiers, parmi lesquels des membres de la Force d’intervention rapide, ont fait irruption dans la chambre de Julião Naftal Macule et l’ont tué. Des responsables de la police ont annoncé avoir capturé et tué Agostinho Chauque, présenté

comme «l’Ennemi public n° 1». Après que des journalistes eurent demandé à voir la dépouille, la police a finalement admis ne pas avoir capturé Agostinho Chauque, affirmant néanmoins qu’elle avait tué un «dangereux criminel». Le lendemain, la police a fait savoir à la famille de Julião Naftal Macule qu’elle l’avait pris par erreur pour Agostinho Chauque. À la demande pressante de la famille, une autopsie a été pratiquée. Elle a révélé que Julião Naftal Macule, touché à la cuisse gauche, s’était vidé de son sang et avait fini par succomber à l’hémorragie. En mai 2009, le procureur général a indiqué à Amnesty International que sept policiers avaient été mis en cause dans le cadre de cette affaire. Aucune information supplémentaire n’a été communiquée à la famille. e

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MODÈLE DE LETTRE Monsieur le Procureur général, Confondu avec Agostinho Chauque, un criminel recherché, l’homme d’affaires Julião Naftal Macule a été abattu dans son sommeil par la police le 8 novembre 2007, dans un hôtel de Massinga. Personne n’a été traduit en justice pour ce meurtre. Lorsque Julião Naftal Macule est arrivé à l’hôtel, la veille de sa mort, une personne employée dans l’établissement, croyant le reconnaître, a prévenu la police. En tant que membre/sympathisant(e) d’Amnesty International, je vous demande, monsieur le Procureur général, que soit menée une enquête exhaustive, indépendante et impartiale sur la mort de Julião Naftal Macule, et que les responsables présumés soient traduits en justice. Je vous prie, monsieur le Procureur, d’agréer l’expression de ma considération distinguée. Signature : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LETTRE À ADRESSER À : Exmo. Sr. Dr. Augusto Paulino, Procurador Geral da República, Procuradoria Geral da República Maputo, Mozambique Fax : +258 21 492 758/80

COPIE À ENVOYER À : Ambassade de la République du Mozambique, Boulevard Saint-Michel, 97 B – 1040 Bruxelles (Etterbeek) E-mail : ambamoz@yahoo.fr ou mozambiqueembassy@yahoo.com Fax : 02 732 06 64

Libertés ! Janvier 2010 13


IS AV ELIV ES . B E CORÉE DU NORD

MODÈLE DE LETTRE

ENLEVÉ EN CHINE K

ang Gun, ressortissant sud-coréen, a été enlevé en Chine par des agents nord-coréens. Il a été vu pour la dernière fois le 4 mars 2005 dans la province du Jilin, frontalière de la Corée du Nord. Selon les informations recueillies, il a été emmené en Corée du Nord. Détenu durant six mois dans un centre dépendant de l’Agence de sécurité nationale à Chongjin, dans la province du Hamgyong du Nord, il a été soumis à des interrogatoires et peut-être torturé. Il a ensuite été conduit dans un centre de détention de la capitale, Pyongyang. Il pourrait subir de nouvelles tortures, voire être exécuté. Kang Gun, qui a grandi en Corée du Nord, était agent dans les services de la sécurité nationale. En 2000, il a fui son pays, gagnant d’abord la Chine puis la Corée du Sud. Il a acquis la nationalité sud-coréenne. En 2004, il militait pour faire connaître les violations des

© Privé droits humains perpétrées dans son pays d’origine et aidait les Nord-Coréens qui cherchaient à gagner la Corée du Sud. En février de cette année-là, il a transmis à une chaîne de télévision japonaise des images tournées secrètement dans un camp pour prisonniers politiques de la province du Hamgyong du Sud. Des centaines de Nord-Coréens franchissent chaque année la frontière avec la Chine. Depuis les années 1990, des milliers de personnes ont été arrêtées dans ce pays et renvoyées de force en Corée du Nord, où un grand nombre sont placées en détention durant de longues périodes et subissent la torture. Certaines sont exécutées. e

Monsieur le Président, Kang Gun a été enlevé en Chine par des agents nord-coréens en mars 2005. Détenu et sans doute torturé pendant six mois à Chongjin, il a ensuite été conduit dans un centre de détention de Pyongyang. Il risque de nouvelles tortures, voire d’être exécuté. Monsieur le Président, en tant que membre/sympathisant(e) d’Amnesty International, je vous demande, de remettre en liberté Kang Gun et de l’autoriser à quitter la Corée du Nord, à moins qu’il ne soit inculpé d’une infraction dûment reconnue par la loi et traduit sans délai devant les tribunaux, dans le respect des normes d’équité. Je vous demande également de reconnaître la détention de Kang Gun et de révéler le lieu où il se trouve. Je vous prie, Monsieur le Président, d’agréer l’expression de ma considération distinguée. Signature : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LETTRE À ADRESSER À : Kim Jong-il Chairman National Defence Commission Pyongyang, République populaire démocratique de Corée

COPIE À ENVOYER À : Ambassade de la République populaire démocratique de Corée 73, Gunnersbury Avenue,W5 4L LOND Londres Fax : +44 20899220

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COMMENT AGIR EFFICACEMENT ?

TARIFS POSTAUX

Les cas exposés concernent des victimes de violations des droits humains dont s’occupe Amnesty International. Chaque appel compte. Un texte (à écrire ou à photocopier) vous est proposé pour chaque cas. Dans l’intérêt des victimes, écrivez en termes mesurés et courtois aux adresses indiquées. Ces lignes sont lues partout dans le monde par les quelque 1800000 membres d'Amnesty International. Elles sont reproduites dans de nombreux pays par des dizaines de journaux et constituent la clé de voûte de l'action du mouvement.

Lettres (jusqu’à 50 grammes) Belgique: 0,59e; Europe: 0,90e; reste du monde: 1,05e. La surtaxe aérienne est incluse (étiquette requise).

TERRITOIRES PALESTINIENS OCCUPÉS

MODÈLE DE LETTRE

DÉTENU SANS JUGEMENT L

e 3 mars 2008, les autorités israéliennes arrêtaient Khaled Jaradat, enseignant du secondaire à Silat al-Harthiya, un village de Cisjordanie. Il est détenu sans inculpation ni jugement en Israël, à la prison de Ketziot. Un mois après son arrestation, Khaled Jaradat s’est vu notifier son placement en détention administrative pour une durée de six mois. La mesure a été renouvelée en octobre 2008, puis une deuxième fois en avril 2009. Selon le Shabak (Service de Sécurité générale), Khaled Jaradat est membre du Djihad islamique, une organisation radicale palestinienne responsable d’actions violentes contre des civils israé-

liens et interdite en Israël. Comme le Shabak n’a présenté aucun élément à l’appui de ses allégations, Khaled Jaradat et son avocat ne sont pas en mesure de contester sa détention devant les tribunaux. Khaled Jaradat a été placé plusieurs fois en détention administrative ; la période la plus récente s’est déroulée entre août 1998 et mai 2001. Il a ensuite été assigné à résidence dans sa ville natale pendant une année. Ses enfants ont grandi sans la présence régulière de leur père. Son épouse, Um Hadi, ne peut actuellement aller le voir en prison car son permis de visite a expiré en mars 2009 et n’a pas été renouvelé. e

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14 Libertés ! Janvier 2010

Mon Général, Arrêté le 3 mars 2008, Khaled Jaradat est placé en détention administrative, c’est-à-dire, sans inculpation ni jugement en Israël, à la prison de Ketziot. Selon le Shabak, Khaled Jaradat est membre du Djihad islamique. Mais, sans preuve à contester, Khaled Jaradat et son avocat ne sont pas en mesure de contester cette détention devant les tribunaux. En tant que membre/sympathisant(e) d’Amnesty International, je vous demande la remise en liberté de Khaled Jaradat, à moins qu’il ne soit inculpé d’une infraction dûment reconnue par la loi et jugé sans délai et de manière équitable. Je vous prie, mon général, d’agréer l’expression de ma considération distinguée. Signature : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LETTRE À ADRESSER À : Major General Gadi Shamni Commander of the Israel Defense Forces in the West Bank GOC Central Command Military Post 01149, Battalion 877, Israel Defense Forces, Israël Fax : +972 2 530 5724

COPIE À ENVOYER À : Ambassade de l’État d’Israël, Avenue de l’Observatoire, 40 B – 1180 – Bruxelles (Uccle) E-mail : cons-sec@brussels.mfa.gov.il Fax : 02 373 56 17


C U LT U R E AGENDA THÉÂTRE AU POCHE TERRORISM

Ecrite avant le 11 septembre, Terrorism met en scène le terrorisme insidieux qui teinte les rapports quotidiens entre les individus. La violence raciale, sexuelle, psychologique, hiérarchique que chacun dans la société d’aujourd’hui peut subir ou faire subir à ses semblables. Un groupe de passagers est bloqué à l’aéroport suite à une alerte à la bombe, une femme reçoit son amant chez elle mais leur jeu sexuel tourne à la violence, une secrétaire harcelée se pend dans la salle de repos de son entreprise, une vieille dame invite son amie à empoisonner son gendre «ethnique», des pompiers visionnent des photos morbides de catastrophes et se défoulent sur le souffre-douleur de la brigade... Les frères Presnyakov exposent avec un humour acide et une acuité certaine l’effet de la terreur sur nos consciences, cette obsession grandissante de la sécurité (ou de l’insécurité) ainsi que ce que la peur de l’Autre provoque dans nos inconscients à la fois collectifs et individuels. La pièce, écrite en 2000, est précurseure de l’air du temps actuel où les effets du terrorisme sont profondément inscrits en chacun de nous aujourd’hui. La peur du terrorisme est désormais un phénomène qui s’immisce de plus en plus sournoisement dans les facettes intimes, familiales, professionnelles et sociales de nos collectivités. Âgés respectivement de 40 et 35 ans, les frères Oleg et Vladimir Presnyakov vivent en Sibérie. Inséparables, ils sont à la fois dramaturges, scénaristes, metteurs en scène, producteurs et acteurs. Leurs pièces sont animées d’un esprit sardonique et impudent. Les frères Presnyakov se nourrissent des conversations entendues dans la rue et les commerces. Écrite en duo comme toutes les autres, Terrorism est la plus connue de leurs dix pièces. A sa création au Théâtre d’art de Moscou en 2002, elle a reçu le Prix de la meilleure nouvelle pièce. e Du 12 janvier au 6 février 2010 à 20h30 (relâche les dimanches et lundis). Bois de la Cambre, 1A Chemin du Gymnase - 1000 Bruxelles Réservations : 02 649 17 27 ou reservation@poche.be

MÉGAPHONES ET BULLDOZERS

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e 16 mars 2003, Rachel Corrie, une jeune Américaine de 23 ans, périt ensevelie devant un bulldozer blindé de l’armée israélienne. En compagnie d’autres pacifistes occidentaux, elle tentait de s’opposer à la destruction de maisons palestiniennes dans le sud de la bande de Gaza à quelques mètres de la frontière égyptienne. Après une enquête sommaire, l’armée israélienne a classé l’affaire, s’exonérant de toute responsabilité. Avec patience et obstination, Simone Bitton mène l’enquête, confronte les images du drame, les témoignages des compagnons de la jeune activiste et les affirmations de l’armée israélienne. Au-delà d’une impossible reconstitution des faits, elle cherche avant tout à comprendre le contexte du drame et ce qui a poussé ces jeunes gens à se lancer dans un combat généreux et inégal. Dans les e-mails que Rachel envoyait à sa famille, on la sent partagée entre la lucidité et l’idéalisme, et un sentiment d’accomplissement personnel qui contraste avec la dureté du réel. Simone Bitton ne cherche pas à faire de la jeune Américaine une sainte ou un martyr. Entre naïveté et inconscience, le don de soi obéit autant à une quête de sens personnelle qu’à des motivations altruistes. Puisant dans toutes les sources d’images disponibles, qu’elles proviennent des caméras de surveillance israéliennes, de films et photos amateurs ou de journaux personnels, la réalisatrice s’interroge aussi sur le statut et la place de l’image dans ce type de combat. Et comme le constate avec fatalisme une compagne de Rachel, la mort d’un Palestinien anonyme ne vaudra jamais un film.. e Gilles Bechet Rachel, de Simone Bitton, Sortie le 6 janvier 2010 au Flagey

LE BAL DES MENSONGES

C

ela promettait d’être une belle soirée. Une entreprise pharmaceutique invite tout son personnel à une réception dans un château. Tout le monde est sur son 31 et tout le monde a des nœuds dans l’estomac, car sous le couvert du lancement d’un nouveau produit, il s’agit en réalité d’une épreuve de coaching où une conversation impromptue entre un verre de mousseux et un plateau de zakouskis cache une évaluation des compétences, décisive quant au futur de la carrière. On assiste à un jeu de massacre et de faux-semblants, alimenté par le moulin à rumeurs, car l’entreprise a quelques soucis financiers. Dans une écriture astucieuse, le réalisateur revient sur des scènes-clés en dévoilant certains éléments volontairement occultés, en fonction du point de vue des personnages. Un jeu de caches et contre-caches qui réserve des surprises, celui qui apparaissait comme une victime devenant un bourreau. Une métaphore pour restituer le fonctionnement du monde de l’entreprise où chacun est de fait interchangeable et où tout le monde surveille tout le monde. Écrit bien avant la crise actuelle, ce premier film d’un jeune réalisateur français qui a étudié à l’INSAS prend évidemment aujourd’hui une résonance toute particulière. Très plaisant à voir, Rien de personnel n’a rien d’un film militant et rappellerait plutôt les comédies sophistiquées où souffle un vent d’anarchie. Une brise bienvenue pour contrer les vents mauvais de l’économie spéculative balayant le monde du travail. e G.B.

Rien de personnel, de Mathias Gokalp, sortie nationale le 20 janvier

HUMOUR DIVIN

U

n beau matin, un singe du Zoo du Bronx reçoit une conscience en cadeau et avec elle les concepts de dieu, de mort et de culpabilité et ... une érection en béton. Pour se libérer de tout ce qui rumine dans son crâne et dans son corps, il se met à peindre avec des excréments sur la vitre de sa cage. Comme le soulagement attendu ne vient pas, il décide de se noyer dans la marre de son enclos. À sa mort, un autre primate reçoit à son tour une conscience. Dans les notes qu’il jette sur le papier pour préparer un exposé sur la Shoah, un adolescent vivant à New York distille des bouts d’histoires entendues dans sa famille, il imagine aussi ce qu’il ferait si des nazis débarquaient en pleine nuit pour l’emmener en camp de concentration. Pour surmonter cette épreuve, il puise des leçons de sagesse dans le film Holocauste autant que dans ceux de Bruce Lee. Epstein, cadre subalterne d’une multinationale décide un jour de créer un Golem à partir de 12 sacs de terre. Pour la première fois de sa vie, il a sous ses ordres quelqu’un qui voit en lui, Dieu tout puissant. Dans les premiers temps, c’est chouette d’avoir sous la main quelqu’un pour apporter une bière, faire la vaisselle ou le jardin jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il n’y a pas de marche arrière, puisque la Kabbale n’indique pas comment détruire un Golem. Une deuxième créature n’y changera, bien entendu, rien du tout. Absurdes, iconoclastes et hilarantes, les nouvelles de ce jeune auteur new-yorkais né dans une famille juive orthodoxe explorent par l’humour les liens de l’homme et de la religion, les limites et les tabous qu’elle lui impose. Confronté à ses peurs et à ses doutes, l’homme voit le cadre rassurant qu’il s’est construit se fissurer avec ses certitudes. Passant de la légèreté au drame, de la trivialité à l’émotion, les nouvelles d’Auslander jettent un regard ironique sur siècle qu’on nous avait dit religieux. e G.B. Attention Dieu méchant, Shalom Auslander, Belfond, 157 pages, 18,50 e

Libertés ! Janvier 2010 15


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