Photo de couverture : La Passerelle pour Emmaus Coup de Main, par Niclas Dünnebacke. Saint Denis, France, 2013 Photo réalisée par Cyrus Cornut 2
Le réemploi des matériaux, au-delà du manifeste Le réemploi face à la norme
FRIAS Anacris Séminaire d’initiation à la recherche Domaine Matérialité et Tectonique Dirigé par Antonella MASTRORILLI et Ghislain HIS 2018-2019
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Je remercie mes professeur.e.s, Antonella Mastrorilli et Ghislain His, pour avoir cru en mon travail et m’avoir soutenu, même dans les moments de doutes. Je les remercie de m’avoir poussé à interroger la réalité du réemploi, plus loin que la simple appétence que j’avais au début. Je remercie également Esther, coéquipière durant ce séminaire et relectrice assidue, avec qui j’ai toujours eu plaisir à discuter, de réemploi et d’autres choses. Je remercie mes proches, qui m’ont tout à la fois relu, aidé, critiqué, interrogé, tenu la main. Enfin je remercie tous ceux qui se sont intéressés, s’intéressent ou s’intéresseront au réemploi, et qui font bouger les choses à leur échelle.
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INTRODUCTION Si le réemploi de matériaux est un sujet qui intéresse de plus en plus les constructeurs aujourd’hui, il reste souvent associé à une architecture manifeste, et non reproductible sur le marché. La multitude d’articles traitant du réemploi n’aborde pas ou peu le processus qu’il implique dans le détail, et se cantonne plutôt à des articles de divulgations évoquant des projets expérimentaux. Si à l’origine il était question de traiter la question du réemploi en général, au fil des lectures, traiter le réemploi par le biais de la norme s’est imposé. En effet, d’après une étude de l’ADEME1, c’est la norme qui pose le plus problème pour l’utilisation de tels matériaux, et donc son déploiement à plus grande échelle. Elle ne serait pas assez explicite pour faciliter la compréhension et les risques encourus ou non lors de l’utilisation de matériaux de réemploi. Cette recherche a pour objectif de comprendre si l’architecture de réemploi en France est vraiment impossible, ou bien s’il existe des moyens pour la mettre en place effectivement. Il semble important de noter que ce travail se concentre sur le réemploi des matériaux de construction pour l’architecture, et plus spécifiquement les matériaux issus de la déconstruction réfléchie des bâtiments. Celle-ci s’oppose à la démolition, qui remet tous les matériaux au niveau de gravats. Ce mémoire s’intéressera à tous les types de matériaux, qu’ils soient du premier ou second œuvre, et qu’ils soient utilisés pour leur usage initial ou pour un autre. Dans ce travail, est entendu par « réemploi » tout élément issu de la déconstruction d’un bâtiment, qu’il soit réemployé ou réutilisé. Il existe une différence entre ces deux termes, qui fera l’objet d’une explication plus approfondie, mais pour permettre la bonne compréhension du sujet, le terme de « réemploi » sera utilisé indistinctement. Les matériaux de réemploi sont une réponse possible face au besoin d’une architecture plus durable et respectueuse de son environnement, puisqu’il s’agit
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ADEME, RDC Environment, éco BTP, & I Care Consult, Identifications des Freins et des Leviers au réemploi de produits et matériaux de construction - rapport final, Avril 2014 (http://www.ademe.fr/identification-freins-leviers-reemploi-produits-materiaux-construction, consulté le 23/11/16)
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d’éviter à ces matériaux de devenir des déchets qui seront, au mieux recyclés, au pire enfouis. En France, le domaine de la construction est d’ailleurs responsable de 81% de la production de déchets2. Aujourd’hui, de nombreux matériaux pourraient être récupérés sur chantier, mais faute de moyens (financiers ou temporels), de connaissances (a-t-on le droit de réutiliser ce matériau ?), ou de volonté, ils sont quasiment tous jetés. Si l’on va plus loin, le réemploi pourrait d’ailleurs devenir une nécessité, puisque la loi transition énergétique de 2015 impose une valorisation (réutilisation, recyclage ou réemploi) des déchets à hauteur de 70% d’ici 20203. Cela semblait donc important de comprendre toutes les subtilités de l’utilisation de matériaux de réemploi, et surtout d’appréhender comment, en pratique, les acteurs du réemploi agissent pour mettre en place une véritable filière. Ce travail vient à la suite d’autres travaux d’étudiants en architecture sur la question du réemploi, mais l’aborde d’un biais qui n’avait jusqu’alors pas été traité.
Brève histoire du réemploi Le réemploi, bien qu’il soit aujourd’hui considéré comme une innovation, fait partie inhérente de l’histoire de la construction. Il en existe de nombreux exemples à travers toutes les périodes. Il ne sera pas question ici d’en faire un inventaire, mais il est intéressant de citer plusieurs exemples pour montrer le pouvoir de ce phénomène. Pour compléter cet historique, le texte de Lionel Devlieger4, et la conférence de Laetitia Mongeard et Vincent Veschambre5 sont intéressants à découvrir. En tout cas, à l’origine le réemploi était surtout utilisé de façon pragmatique, alors qu’il va plutôt l’être du point de vue environnemental aujourd’hui. En effet, le gain économique à l’époque est vérifié : il est moins couteux de réutiliser des matériaux que de les faire
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https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/dechets_chiffres_cles_essentiel2018_01 0690.pdf, Déchets, chiffre-clés : l’essentiel 2018, ADEME, consultable sur le site https://www.ademe.fr/, mis en ligne en Mars 2019, consulté le 4/04/2019 3 Loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour une croissance verte 4 DEVLIEGER Lionel, « L’architecture à l’envers », Criticat 18, Automne 2016, p.90-101 5 MONGEARD Laetitia, VESCHAMBRE Vincent, Eléments pour une histoire de la déconstruction : évolution en matière de démolition de l’habitat, Deuxième congrès francophone d'histoire de la construction, Vaulx-en-Velin (France), Jan 2014
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venir de loin (ce qui, en plus, peut représenter une charge temporelle considérable). Par exemple, dès le II siècle, à Toulouse, le réemploi devient une nécessité. La ville s’accroit énormément, et les carrières d’argile s’amenuisent. Comment alors continuer à construire et à faire évoluer la ville ? La réutilisation s’impose, et l’on reconstruit avec les ruines des bâtiments dont on ne voit plus l’utilité. Par ailleurs, durant le Moyen-Age, les exemples d’églises reconstruites à partir d’autres sont nombreux. Cela permet à la fois de montrer du respect pour la religion passée, mais aussi pour montrer la puissance de la nouvelle qui s’érigera à sa place. La notion de propriété n’est alors pas inventée, et les bâtiments (mis à part les bâtisses religieuses) appartiennent à tous une fois qu’ils sont abandonnés par son habitant6. Puis à la Révolution, ces églises sont pillées afin de construire des maisons de bourg, puisqu’elles représentent un pouvoir qui n’est plus reconnu. Jusqu’à la guerre, la revente était une pratique très courante. C’est ce que Rotor a pu démontrer, en retrouvant des extraits de journaux proposant des encarts sur la revente de tels ou tels matériaux provenant d’un bâtiment en déconstruction [ANNEXE 1]. Proche de nous, la gare de Lille est un exemple important du réemploi, puisque c’est à l’origine la Gare du Nord de Paris qui a été reconstruite à l’identique à Lille Flandres. L’ensemble des matériaux a été annoté puis transporté par train, pour enfin être remonté de la même façon à Lille. Le virage pour le « tout-neuf » se fait progressivement depuis la Révolution Industrielle, mais il est toutefois très brusque avec l’essor de la société de consommation, où les matières premières deviennent si peu chères qu’il devient plus avantageux de toujours tout refaire à neuf. De plus, le savoir-faire se perd, et aujourd’hui les constructeurs sont moins formés à ce genre de problématiques. Il existe toutefois, même à cette période, des exemples de réemploi qui ont marqués la construction, notamment avec des mouvements tels que les Earthships7 qui se développent en Amérique, n’utilisant quasiment exclusivement que des matériaux de
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FOULQUIER Laura, « La carrière de pierres : la récupération de l’antiquité à nos jours », dans Collectif Encore Heureux, Matière Grise, cat. expo., Pavillon de l’Arsenal Paris, Du 26 septembre 2014 au 25 janvier 2015, Paris, Editions du Pavillon de l’Arsenal, 2014, p.63-68 7 Pour plus de détails, consulter : MANIAQUE Caroline, « Le cas américain : de la contre-culture au green business », dans Matière Grise, Paris, Editions du Pavillon de l’Arsenal, 2014
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seconde-main. Le réemploi n’est donc pas l’histoire de quelques-uns, mais bien une pratique qui a connu plusieurs essors différents.
Le réemploi, un sujet partiellement traité Ces dernières années, de nombreuses recherches ont été menées par l’ADEME et Bellastock8 notamment. Elles ont donné lieu à des documents de recherche fondés sur des projets réels, tels que REPAR19 et REPAR210. Pour REPAR1, il s’agit d’une étude de cas de la déconstruction sur le site des entrepôts Printemps de Plaine Commune. Ce rapport a permis d’étudier quelles méthodes sont les plus efficaces pour déconstruire un bâtiment en vue de son réemploi, du point de vue de la récolte, mais aussi et surtout de la réutilisation des matériaux (où est-il préférable de les stocker ? comment les ranger pour rendre le réemploi efficace ? le réemploi in-situ est-il une solution viable ?). REPAR2 a été envisagé comme la suite de REPAR1. Ce travail propose de montrer comment il est possible de réutiliser les matériaux récupérés, à travers plusieurs études de cas. Il s’agit également de mettre en place une méthode reproductible pour un même « type » de matériaux, ou en tout cas de développer une méthode qui pourrait être adaptée à d’autres projets. Il en résulte un rapport en 6 parties, composés d’études de cas et de retours d’expériences pouvant servir pour de futurs maîtres d’œuvre. Ce rapport s‘adresse plutôt aux architectes, dans une position d’AMO. Avant cela, l’ADEME avait édité un rapport décrivant tous les freins possibles11 à l’utilisation de matériaux réemployés, d’après des recherches menées au sein des différents acteurs de la construction. Enfin, le collectif Encore Heureux a édité, suite à
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Bellastock est un collectif d’architecte monté en 2006 dans l’ENSA de Paris-Belleville. Ils sont spécialisés depuis une dizaine d’années dans l’économie circulaire du bâtiment, et plus spécifiquement au réemploi des matériaux. Ils organisent des ateliers ouverts à tous sur les matériaux biosourcés, réalisent des études pour le réemploi de matériaux sur des sites en déconstruction, et mettent en place des projets collaboratifs en matériaux de réemploi. 9 BELLASTOCK, ADEME, BENOIT J, SAUREL G, HALLAIS S, REPAR 1 : réemploi comme passerelle entre architecture et industrie, 2012-2014 10 BENOIT J, SAUREL G, BILLET M, BOUGRAIN F, LAURENCEAU S, REPAR 2 : Le réemploi passerelle entre architecture et industrie, Mars 2018 11 ADEME, RDC Environment, éco BTP, & I Care Consult, op. cit., Avril 2014
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une exposition12, le livre Matière Grise13, qui est une compilation d’exemples de projets utilisant des matériaux réemployés, et de textes et interviews concernant le réemploi. Ce travail dresse un portrait général des matériaux de réemploi, s’intéressant aussi bien à l’histoire proto et post-réemploi, mais également à des réalités plus techniques grâce à des entretiens avec des professionnels de la construction, du droit, etc. Ce travail nous a semblé manquer d’un volet plus complet sur la mise en pratique réelle, ne traitant pas vraiment la question du stockage, des démarches à suivre, etc. Depuis le début de cette recherche, de nombreuses conférences et journées d’études ont également eu lieu, montrant un intérêt croissant de la profession pour cette question. Bien que ces documents soient une source importante de connaissances, la plupart des ressources à propos du réemploi restent des articles de divulgation. Au-delà de ces quelques acteurs, ainsi que le CSTB et des travaux menés au sein des ENSA, peu de recherches scientifiques sont menées sur le sujet. A la suite de la lecture de ces documents, il nous a semblé que la question de la norme n’était que partiellement traitée, bien qu’elle semble être très problématique. Ces recherches nous mènent ainsi à une problématique centrale : En France, quelles démarches possibles pour utiliser concrètement des matériaux de réemploi pour l’architecture ? L’idée ici est de comprendre quelles sont les possibilités qui s’offrent à ceux qui voudraient s’intéresser au réemploi. Plus particulièrement, comment il est possible (ou non) de faire du réemploi malgré des normes parfois difficiles à appréhender. Cette recherche permettra de mieux comprendre les freins juridiques que rencontrent les acteurs de la construction (architectes, entreprises de construction, maitre d’ouvrage…), et de proposer des pistes pour éviter ces freins. Il s’agit de s’interroger sur la possibilité de déployer le réemploi en France, en mettant cette pratique en perspective avec les normes qui en prescrivent l’usage. Ce travail se base sur une hypothèse centrale : la norme n’est pas, à elle-seule, un frein rédhibitoire à
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Matière grise : Matériaux / réemploi / architecture, commissariat scientifique : Encore Heureux architectes, Julien Choppin & Nicola Delon, du 26 septembre 2014 au 25 janvier 2015, au Pavillon de l’Arsenal, Paris, France 13 Collectif Encore Heureux, Matière Grise, Paris, Editions du Pavillon de l’Arsenal, 2014
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l’utilisation de matériaux de réemploi. Celle-ci se base à la fois sur une intuition (des exemples ponctuels semblent montrer que le réemploi est possible), mais également sur des entretiens avec des acteurs du réemploi, par exemple Zerm14. Lors d’une discussion avec Lola Bazin, l’une des membres de l’association, nous avons mis en lumière la difficulté des acteurs de la construction à appréhender le réemploi, au-delà de son statut juridique. Il semble que leur réticence se fondent plutôt sur des aprioris que sur des problématiques réelles. Cette hypothèse sous-entend qu’il existe des moyens concrets de faire du réemploi, tout en s’adaptant aux normes en vigueur.
Méthodologie Pour répondre à cette question, plusieurs outils seront utilisés. D’abord, une analyse des normes en vigueur lorsque l’on parle de réemploi est nécessaire. Pour cela, les textes de loi concernant le réemploi et le recyclage, mais aussi les normes mises en place par le CSTB seront étudiées et interrogées. Cela sera mis en perspective par des textes édités par les acteurs du réemploi tel que REPAR1 et 2, ou des guides écris par Rotor. Aujourd’hui, il est complexe voire contradictoire de définir ce qu’est un matériau de réemploi. De nombreux éléments entrent en compte pour savoir si un matériau est déchet ou non, et s’il sera réemployé ou recyclé. De plus, utiliser des matériaux de réemploi implique un mode opératoire différent, plus « allongé » dans le temps. En effet, les matériaux ne sont pas toujours disponibles à priori, et il faut parfois adapter le projet. C’est l’objet de la première partie de ce mémoire. Elle se concentre sur la façon dont les normes prescrivent aujourd’hui l’utilisation de matériaux réemployés. Y seront traités les différentes définitions juridiques liées au réemploi (qu’est-ce-que remployer ? réutiliser ? un déchet ?), mais également la déconstruction et le stockage de tels matériaux, et ce que cela implique en terme de responsabilité, et enfin la question de l’assurabilité de projet de réemploi, et plus
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Zerm est une association d’architectes, fondée en 2015. Elle est spécialisée dans la réhabilitation et le réemploi, et a monté en 2017 Le Parpaing, un « comptoir de matériaux de réemploi » à Roubaix. L’équipe est aujourd’hui appelé pour réaliser des chantiers de démolition en tant qu’ « expert réemploi ».
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particulièrement quelles questions sont plus problématiques lorsqu’il s’agit d’assurer de tels projets. Suite à cette première partie évoquant la problématique de la norme face au réemploi, il est intéressant de montrer des projets ayant utilisés de tels matériaux, que cela fut réussi ou non. Ce travail s’appuiera sur 5 études de cas, des projets réalisés entièrement ou en partie avec des matériaux de réemploi. Chacune d’elles se concentrera sur une approche différente (définies au nombre de 4) du réemploi. Celles-ci sont toutefois complémentaires les unes des autres, et souvent liées au sein d’un même projet. Les aspects juridiques, économiques et temporels seront abordés pour chaque exemple, mettant l’accent sur les opportunités et les difficultés rencontrées lors de l’utilisation de matériaux de réemploi. Cela permettra de comprendre quel fut l’impact réel de la norme sur ces projets, et si elle a effectivement rendu difficile l’utilisation de matériaux réemployés. Ces études de cas seront étayées par le travail de Bellastock et l’ADEME (REPAR2), ainsi que celui mené par Rotor. Enfin, la dernière partie est envisagée comme une projection du réemploi dans le futur, et s’appuie sur des innovations à venir qui pourrait changer le statut des matériaux de réemploi. Il s’agit notamment du permis d’expérimenter, un projet de loi visant à alléger les contraintes liées à la construction, dont un des volets concerne le réemploi. Cette « loi sur la liberté de création » permettrait d’expérimenter des dispositifs architecturaux, de nouveaux matériaux, etc., tant que l’objectif de performance global du bâtiment est atteint (en terme d’énergie, de sécurité, de confort, etc.). Cette future loi semble permettre aux matériaux de réemploi d’entrer dans le marché de la construction plus facilement, mais qu’en est-il vraiment ? Les futures réglementations semblent d’ailleurs aller dans le même sens, notamment la RT2020, qui intégrera la notion de cycle de vie par exemple. A contrario cependant, l’absence de filière bien en place en France reste encore aujourd’hui un problème de taille. Si elle ne se développe pas, nous pouvons imaginer que le réemploi restera un
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travail de convaincus. Cette problématique sera étudiée, notamment à la suite d’une conférence sur le réemploi ayant eu lieu à l’ENSA de Grenoble15. A travers ce travail, il s’agit donc de comprendre quels facteurs limitent les projets dans leur utilisation de matériaux de réemploi. Plus particulièrement, il s’agit de mettre en avant des façons de faire qui permettraient ou permettent déjà l’utilisation de matériaux réemployés, pour comprendre quel avenir pour de tels matériaux. Pour cela, les 4 approches traitées (le réemploi comme innovation, l’approche pragmatique, l’approche critique, et l’approche intégrale) offrent déjà un point de vue sur ce qu’est le réemploi aujourd’hui, et surtout sur les possibilités qu’ils offrent déjà à différentes échelles. Cela permet également un retour critique sur notre approche personnelle du réemploi, que nous confrontons très souvent à des normes qui ne sont finalement peut-être pas si contraignantes. Ce travail est enfin l’occasion d’interroger la réalité tangible du réemploi, afin de savoir s’il est réellement une solution envisageable aux problématiques d’aujourd’hui, tels que le développement durable, l’aspect financier des chantiers, la temporalité des projets d’architecture, etc.
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Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, Université Grenoble Alpes et Grenoble Alpes-Métropole, Cycle de 3 journées « Réemploi et pratiques constructives : vers une économie circulaire des ressources du bâtiment », ENSA Grenoble (France), le 09 Novembre 2018, le 22 Mars 2019, le 14 Juin 2019
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TABLE DES MATIERES INTRODUCTION
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Brève histoire du réemploi
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Le réemploi, un sujet partiellement traité
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Méthodologie
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I. ETAT DES LIEUX : Comment les normes prescrivent-elles l’utilisation des matériaux de réemploi aujourd’hui ?
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a. Une question de définition
18
Le statut de déchet en construction
18
Réemployer ou réutiliser ?
20
b. Une démarche codifiée
24
Déconstruire plutôt que détruire
24
Stockage sur site ou hors site ?
28
c. Responsabilité et assurabilité
31
Responsabilité des acteurs
31
Le rôle de l’architecte
33
L’assureur doit-il craindre les matériaux usagés ?
34
Les organismes de certification dans la réglementation des matériaux : le cas du CSTB
36
II. ADAPTABILITE : Le réemploi possible, à travers 4 approches 39 a. Le réemploi comme innovation
40
LA R&D en matière de réemploi
40
L’ATEX, solution ou contrainte ?
41
13
ETUDE DE CAS : Siège Du Conseil De l’Union Européenne, Philippe Samyn & Partners, 2005-2016
43
b. Réutilisation de matériaux peu normés : vers une approche pragmatique du réemploi
47
L’exemple de Rotor et Rotor Deconstruction/Consulting (DC)
47
Changement de destination : deux études de cas :
49
ETUDE DE CAS La passerelle, Niclas Dünnebacke, St-Denis, 2013
49
ETUDE DE CAS réaménagement d’un plateau tertiaire pour Michelin, Rémi Laporte et Gilles Racineux, Clermont-Ferrand, 2014-2015
53
c. Réécrire un nouveau cahier des charges : vers une approche critique du réemploi
56 Les « fiches-produits » chez Rotor/Opalis
56
Le « Vade-Mecum pour le réemploi hors-site » par Rotor/Opalis
58
Guides « La Fabrique du Clos » pour Maitrise d’ouvrage et maitrise d’œuvre, par Bellastock
59
ETUDE DE CAS Le travail de Bellastock au Clos Saint-Lazare, Stains 60
d. Construire pour mieux déconstruire : vers une approche intégrale du réemploi
64 Vers des architectures réversibles
64
ETUDE DE CAS : Maison personnelle, Jean Prouvé, Nancy, 1954
67
III. EVOLUTION : Quel futur pour le réemploi ?
73
a. Le « permis d’expérimenter », bénéfique aux matériaux de réemploi ? 74 Principe des permis de faire et permis d’expérimenter
74
Mise en œuvre de ce permis
75
Des limites importantes au réemploi
76
A terme, la logique de performance plutôt que de moyens
78
14
b. Les règlementations sont amenées à évoluer
79
Label Economie Circulaire : une commande publique exemplaire ?
79
Norme XP X30-901 : finalement une norme pour le réemploi ?
81
RT2020 : cycle de vie et bilan carbone
83
c. L’absence de filière, un problème majeur pour l’expansion du réemploi en France
85 L’offre en matériaux de réemploi n’est pas développée
85
Le recyclage reste une plus grande filière de traitement
87
Un manque de professionnels et de timing
88
Quel modèle économique pour le réemploi ?
90
CONCLUSION : La norme rend difficile le réemploi, mais pas impossible. 93 GLOSSAIRE ANNEXES BIBLIOGRAPHIE SOURCES ICONOGRAPHIQUES
101 103 1202 127
15
16
PARTIE I
ETAT DES LIEUX : Comment les normes prescrivent-elles l’utilisation des matériaux de réemploi aujourd’hui ?
17
D’après les études de l’ADEME, les normes semblent être le plus gros frein à l’expansion de l’utilisation de matériaux de réemploi. Dans cette première partie, il sera question à la fois de comprendre quelles sont les règlementations qui posent problème, et à la fois de comprendre en quoi elles sont problématiques vis-à-vis du réemploi. Une première partie sera donc dédiée à la définition du réemploi au regard des réglementations, pour montrer qu’il existe déjà à ce niveau-là des difficultés pour les différents acteurs. Ensuite il sera expliqué en quoi ce flou normatif rend les concepteurs, assureurs et constructeurs méfiants quant à l’utilisation de matériaux de réemploi. La question de la responsabilité est un des points les plus complexes pour les professionnels.
a. Une question de définition Le statut de déchet en construction Pour comprendre les notions liées au réemploi de matériaux, il faut comprendre ce qu’est un déchet dans le secteur de la construction. Environ 81% des déchets produits en France sont issus de la construction16, dont 93% proviennent des démolitions et réhabilitations seules, c’est donc le plus gros producteur de déchets. Le Plan National Prévention Déchet prévoit une réduction des déchets de construction d’ici à 2020, en imposant de valoriser le plus de déchets possibles, pour attendre les 70% de déchets valorisés d’ici là. Mais qu’est-ce qu’un déchet en France ? C’est une question complexe, qui pourrait faire l’objet d’une autre recherche. Cependant, il existe des règlements définissant la notion de déchet. Selon la loi du 15 juillet 1975 (transposition de la Directive 75/442/CEE), un déchet est tout « produit que le détenteur destine à l’abandon ». Pour compléter cette définition, une directive européenne du Code de l’Environnement en 2008 (Article L 541.1.1) précise que le déchet est « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’obligation de se défaire ».
16
https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/dechets_chiffres_cles_essentiel2018_01 0690.pdf, Déchets, chiffre-clés : l’essentiel 2018, ADEME, consultable sur le site https://www.ademe.fr/, mis en ligne en Mars 2019, consulté le 4/04/2019
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Dans ce sens, tout élément sortant du chantier doit-il être considérer comme déchet ? C’est en fait au détenteur de décider du statut de l’objet. Cela passe par un diagnostic, à réaliser en amont de la démolition. Depuis le décret n° 2011-610 du 31 mai 2011, le maître d’ouvrage est obligé de réaliser un diagnostic déchets pour les bâtiments de plus de 1000m², ou ceux ayant accueillis des substances dangereuses. Il doit contenir une liste de tous les matériaux/produits/équipements, en nombre, état et localisation, ainsi qu’une piste concernant les filières de gestion possibles de ces déchets, notamment s’ils sont réemployables. Les déchets dangereux devront être traités indépendamment. Cette loi permet d’éviter l’abandon de substances, puisqu’un détenteur de déchets doit s’assurer de sa bonne gestion. Une entreprise de construction doit donc gérer ses déchets jusqu’à leur traitement, même s’ils sont confiés à une entreprise spécialisée. Un suivi des déchets doit être mis en place et conservé 3 ans. Cela permet de retrouver la source de chaque déchet. Ce décret se présente comme facilitateur quant à l’utilisation de matériaux de réemploi. En effet, la source de chaque déchet doit être connue, et peut être utilisée pour s’assurer de la fiabilité des gisements. Cela permet aussi de mettre en place un contrat sûr en cas de dons, cédant ainsi la propriété du producteur à la personne qui en fait la demande. Il est intéressant de mettre ce décret en perspective de ce qui se fait déjà aux USA depuis plusieurs années. Les fabricants de matériaux et produits sont responsables de leurs marchandises jusqu’à leur fin de vie, et chaque entreprise a donc son propre système de valorisation. Beaucoup d’entre eux en profitent pour vendre leurs produits usagés pour moins cher, ce qui permet à la filière de réemploi d’être très bien fournie. Daovone Sribouavong17 l’évoque en ces termes : « Ce sont tous des prestataires différents qui maîtrisent parfaitement leur produit et qui ont déjà la logistique nécessaire. Les meilleures personnes pour réemployer leur produit, c’est eux. »18. Cependant, sans obligation légale, il n’est pas envisageable que cela se fasse à grande échelle en France.
17
Daovone Sribouavong est la fondatrice du site Matabase, un site spécialisé dans la revente de matériaux de réemploi, et base de données sur le réemploi en France. Elle est également experte en économie circulaire, et à ce titre participe à des conférences et des recherches sur le sujet. 18 « Réemploi, les friperies du bâtiment », consultable sur : https://www.demainlaville.com/reemploi-les-friperies-du-batiment/ (consulté le 29.02.19)
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Une fois le statut des produits clarifiés (sont-ils des déchets ou non ?), il est possible de différencier le réemploi de la réutilisation. Bien que tous deux soient utilisés indistinctement dans ce travail, il est intéressant de comprendre les subtilités de chacun. En effet, ce sont aussi ces différences qui rendent le réemploi difficile à appréhender pour ceux qui aimeraient s’y intéresser.
Réemployer ou réutiliser ? Selon le type de déchets, les possibilités de traitement diffèrent. Les déchets inertes et/ou non-dangereux peuvent être traités par19 : -
Prévention/réemploi : il s’agit d’éviter à l’objet de devenir déchet, en le réutilisant de la même façon que son usage premier. Le don, la vente d’occasion et l’utilisation sur-site entrent par exemple dans le réemploi.
-
Préparation à réutilisation : lorsque l’objet est devenu un déchet, il est possible de le récupérer, et de changer son statut par sa revalorisation.
-
Recyclage : lorsqu’un déchet est retraité en substance/matière identiques ou non à leur usage initial. Il y a en partie destruction de l’objet et de sa mémoire.
-
Valorisation : le déchet est utilisé en substitution à d’autres substances
-
Elimination : le déchet gardera son statut, et ne servira pas à d’autres fins. Par exemple, par incinération ou enfouissement.
D’après les directives européennes, le réemploi représente le meilleur traitement possible, et l’élimination l’option la moins efficiente. En effet, en éliminant toutes traces du produit, il y a production d’énergie, dégagement de substances polluantes, et perte de mémoire de l’objet. Or aujourd’hui, les directives tendent vers une économie plus durable, et donc une conservation, au moins partielle, des composants de l’architecture.
19
Directive Européenne Cadre Déchets, Article L541-1-1, 17 décembre 2010
20
A contrario de l’élimination, et comme l’explique Jean-Marc HUYGEN dans son livre La Poubelle et l’architecte20, le réemploi serait la meilleure solution, puisqu’elle ne fait appel à aucun apport d’énergie et conserve entièrement la mémoire de l’objet. Dans ce sens, il est à privilégier face au recyclage. Il est également meilleur qu’une récupération, puisque l’objet n’est jamais devenu déchet. Cela sera expliqué plus tard, mais le statut de déchets complique la réutilisation des matériaux, il est donc préférable de l’éviter au maximum. Avec le réemploi et la récupération, la complexité de l’objet reste entière. C’est le principe de complexité défini par Huygen21 : un objet, pour être fabriqué, nécessite un apport d’énergie, dont il garde la mémoire en lui, de par la forme qu’on lui donne, mais également en son « essence » d’objet. Il est alors plus stable, il est au maximum de son principe de complexité : tout action postérieure ne pourra qu’en diminuer la mémoire. « En conservant au maximum la matière (ou le matériau, ou l’objet) à son niveau de complexité, on conserve au maximum sa mémoire (forme et histoire) sans dépense d’énergie. C’est une conservation maximale et non totale car il y a vie, donc usure inévitable et changement d’usage. 22 »
Si le réemploi et la réutilisation sont présentés comme les meilleures solutions, il reste cependant à bien les différencier. En effet, toutes les définitions ne s’accordent pas. D’après la transcription des directives européennes, seul le statut de déchet peut différencier une action de réemploi d’une action de réutilisation. Notons à ce propos que seule la retranscription française de ces directives différencie ces deux termes. Dans la version initiale, en anglais, le seul terme de « re-use » est employé. Ce n’est pas anodin, puisque dans les textes, cela complexifie la compréhension des responsabilités de chacun. Cela sera approfondi dans une prochaine partie.
20
HUYGEN Jean-Marc, La poubelle et l’architecte, Editions l’impensé, Acte Sud, 2008, p.11 (Avant-propos) 21 Ibid. p.18 22 Ibid. p.23
21
Dans la version française, la réutilisation est définie comme « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau. »23, alors que le réemploi correspond à « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus.»24. La définition du déchet étant elle-même assez vague, il a été défini que pour qu’il y ait réemploi, un tri in-situ par un professionnel doit être réalisé. Si ce n’est pas le cas, alors on considère les matériaux comme des déchets, et donc l’action de les utiliser à nouveau comme une réutilisation. Dans cette première définition, le statut de déchet est le plus important, avant l’usage qui reste secondaire. Selon les acteurs de la construction cependant, une nuance existe. Dans Matière Grise, Laura Foulquier explique que « la réutilisation désigne le nouvel emploi d’un élément pour un usage similaire à celui de son emploi initial, alors que le réemploi désigne le nouvel emploi d’un élément pour un usage différent de son emploi initial »25. D’après cette définition, une porte récupérée et réutilisée comme une porte s’apparente à la récupération, quand une porte réutilisée comme façade représente une action de réemploi. Ce n’est pas la notion de déchet qui fait foi ici, mais l’usage. Cette définition va plutôt à l’encontre de ce qui est exprimé par la directive européenne. C’est une définition partagée par Jean-Marc Huygen. Il dit à ce propos que le réemploi «est l’acte par lequel on donne un nouvel usage à un objet tombé en désuétude, qui a perdu l’emploi pour lequel il avait été conçu et fabriqué [...] l’objet devient nouveau matériau, riche des traces de son ancien usage, pour construire autre chose »26. Lorsqu’il s’agit d’usage, les définitions se contredisent donc. De ce fait, il a été choisi pour ce mémoire de parler de « réemploi » pour désigner des actions de « réemploi » et des actions de « récupération », indistinctement. Ce qui intéresse ici, c’est finalement l’action de sauver des matériaux de la poubelle, et d’utiliser à nouveau des matériaux qui ont déjà servi.
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Directive Européenne Cadre Déchets, Article L541-1-1, 17 décembre 2010 Directive Européenne Cadre Déchets, Article L541-1-1, 17 décembre 2010 25 FOULQUIER Laura, « La carrière de pierres : la récupération de l’Antiquité à nos jours », dans Collectif Encore Heureux, op. cit., 2014, p.63 26 HUYGEN Jean-Marc, op. cit., 2008, p.11 24
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Figure 1 Schéma illustrant les notions de réemploi, réutilisation et recyclage, Produit par l'ADEME pour le document « Réemploi, réparation et réutilisation, édition 2015 », disponible ici : https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/reemploi-reparationreutilisation-2015.pdf
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b. Une démarche codifiée Utiliser des matériaux de réemploi, ce n’est pas seulement remplacer les matériaux neufs par des matériaux usagés. La plupart du temps, cela demande d’adapter des façons et des savoirs faire pour réaliser un chantier plus efficace et plus circulaire dans son approche du développement durable. Nous verrons ici comment se mettent en place de tels chantiers, et ce que cela peut changer pour le métier d’architecte.
Déconstruire plutôt que détruire Lorsque l’on fait le choix des matériaux de réemploi, les logiques de construction deviennent un peu différentes. Il faut d’abord s’approvisionner différemment en matériaux. D’après le rapport Repar 227, l’offre en matériaux de réemploi est déjà conséquente. Il existe plusieurs plateformes numériques, mais également des entreprises qui récupèrent les matériaux et les entreposent avant leur vente. Ces matériaux sont récupérés directement après déconstruction sur chantier ou proviennent du surplus de chantier. Ils sont souvent destinés à la benne. Il peut également s’agir de dons de particuliers, mais c’est plus rare. Ces entreprises existent depuis longtemps, surtout concernant les « antiquités », qui ont toujours été très prisées. Cependant, dans les faits, certaines Régions sont bien mieux pourvues en matériaux de réemploi que d’autres. Nous ne pouvons pas encore parler de filière du réemploi, car il semblerait que le recyclage soit encore souvent préconisé. Lorsque l’on parle de réemploi dans le bâtiment, la déconstruction sélective s’impose. Laetitia Mongeard et Vincent Veschambre parle de la déconstruction comme d’un « anoblissement » de la destruction 28. En effet, elle nécessite un savoirfaire et une technique qui ne sont pas nécessaires pour détruire. Dans l’article « Pierre
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BENOIT J, SAUREL G, BILLET M, BOUGRAIN F, LAURENCEAU S, REPAR 2 : Le réemploi passerelle entre architecture et industrie, Mars 2018, 28 MONGEARD Laetitia, VESCHAMBRE Vincent, «Eléments pour une histoire de la déconstruction : évolution en matière de démolition de l’habitat », Deuxième congrès francophone d'histoire de la construction, Vaulx-en-Velin (France), Jan 2014
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par Pierre, pas à pas »29, Sebastien Sureau, délégué général du syndicat national des entreprises de démolition (Sned) explique que lors d’une déconstruction, les matériaux sont triés par types, et chacun à l’étage où ils ont été démontés. Cela évite de mélanger les matériaux, ce qui les rendraient impropres au réemploi. Il ne s’agit pas toujours de démonter complètement les éléments, mais de les trier plutôt par familles : ainsi une fenêtre restera complète, mais rangée avec les autres fenêtres disponibles. Cela implique une organisation spatiale très particulière, qui devra être décidée en amont du chantier. Il l’explique en ces termes : Sur chantier, la méthodologie de déconstruction diffère d’une démolition classique où se pratique le tout-à-la-benne. « L’enjeu est de travailler matériau par matériau, ou plutôt grand élément par grand élément, précise Sebastien Sureau, délégué général du syndicat national des entreprises de démolition (Sned). Cette manière d’opérer permet d’organiser la logistique de tri par matériau et par niveau. Elle évite le tri en pied de bâtiment, où le risque est plus grand que les produits soient mélangés les uns aux autres et perdent de ce fait leur potentiel de valorisation. » 30
Bellastock31 a réalisé à ce propos un document énonçant les démarches à suivre en cas de déconstruction32. Ce document sera étudié plus en détail dans la seconde partie de ce travail. Toutefois, ils préconisent de réaliser un plan de déconstruction précis, et de le partager avec l’entreprise en charge. Ce plan devrait être accompagné de préconisations pour les entreprises, et des indications (quantitatives mais aussi visuelles) des éléments à récupérer. Bellastock dessine par exemple des croix et des marquages de découpes sur les murs qu’ils souhaitent récupérer, très visibles et sans équivoque. Ensuite, pour réaliser le plan de stockage, il
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PAVIE Virginie, « Pierre par Pierre, pas à pas », Les cahiers techniques du bâtiment n°367, Mars 2018, p.37 30 Ibid. 31 Bellastock est un collectif d’architecte monté en 2006 dans l’ENSA de Paris-Belleville. Ils sont spécialisés depuis une dizaine d’années dans l’économie circulaire du bâtiment, et plus spécifiquement au réemploi des matériaux. Ils organisent des ateliers ouverts à tous sur les matériaux biosourcés, réalisent des études pour le réemploi de matériaux sur des sites en déconstruction, et mettent en place des projets collaboratifs en matériaux de réemploi. 32 https://www.caissedesdepots.fr/sites/default/files/medias/lab_cdc/03-bs-oph93_closguide-moe.pdf, Guide maitrise d’oeuvre La Fabrique du Clos, BELLASTOCK et OPH93, date de mise en ligne 26 septembre 2016, consulté le 16/08/18
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est nécessaire de connaître à peu près la quantité de matériaux à récupérer, pour avoir une idée du volume occupé. Pour cela, le diagnostic déchet est très important. Ces préconisations sont très adaptées à un projet de déconstruction sélective choisi. Quand ce n’est pas le cas cependant, elles sont difficilement applicables. Avec leur rapport REPAR133, l’ADEME et Bellastock travaille sur le chantier de déconstruction des entrepôts Printemps sur l’île-Saint-Denis. Sur ce chantier, un premier abattage est effectué, et les matériaux sont triés une fois abattus. Il ne s’agit pas d’un scénario idéal pour le réemploi, dans lequel les matériaux sont d’abord déposés manuellement. C’est de ce constat que Bellastock a formé l’hypothèse que le réemploi pouvait s’effectuer en adaptant seulement légèrement les façons de faire habituelles. Cette démarche est intéressante car les entreprises de déconstruction aujourd’hui n’ont peu ou pas d’avantages à déconstruire soigneusement (temps plus long, et prix plus élevé), et ne font donc pas la démarche de la dépose sélective. Les entrepreneurs voulant s’attaquer au réemploi devront donc en général s’adapter. Ce chantier de déconstruction se divise en plusieurs étapes. D’abord, un diagnostic doit être réalisé – c’est la loi – pour tout chantier de plus de 1000m². C’est le cas ici, où le potentiel de réemploi du site a été identifié, en qualité (quelle filière de matériaux ? dans quel état ? quelle dimension ?), et quantité (combien de mètre linéaire ? combien d’éléments identiques ?). Le but de ce diagnostic est d’informer sur le potentiel du bâtiment, mais aussi et surtout sur des préconisations en termes de dépose, d’extraction et de stockage. Suite à ce diagnostic peut être réalisée la déconstruction même. Dans un premier temps, les matériaux fragiles (d’après les données du diagnostic) sont déposés manuellement. Le rapport préconise que ces manipulations soient réalisées en s’adaptant au chantier. Une attention est portée au temps que l’on peut dédier à cette dépose, aux outils disponibles, et enfin à la sécurité des ouvriers. Une fois ce premier tri effectué, les équipes de démolition ont procédé à l’abattage, puis un second tri est réalisé par les équipes de Bellastock. Tous ces matériaux sont ensuite acheminés dans le lieu de stockage (sur site), aux vues de la
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BELLASTOCK, ADEME, BENOIT J, SAUREL G, HALLAIS S, REPAR 1 : réemploi comme passerelle entre architecture et industrie, 2012-2014
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Figure 2 Carte de l'offre concernant le réemploi en France, produite par materiauxremploi.com. En rouge : lieux accueillant des évènements sur le réemploi ; en vert : recyclerie/ressourceries ; en bleu : spécialistes du réemploi (mise en œuvre)
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préparation au réemploi. Ils y seront traités (testés, nettoyés, découpés) afin de les rendre aptes à une réutilisation. C’est une étape essentielle, mais elle demande de la main d’œuvre supplémentaire par rapport à un chantier classique.
Stockage sur site ou hors site ? Le réemploi in-situ n’est pas toujours possible, voire désiré. Pour rester dans une éthique d’économie circulaire, il est nécessaire d’avoir un territoire bien desservi en ce qui concerne l’offre de réemploi. Le caractère local des matériaux est un des critères premiers dans une démarche circulaire. Il est nécessaire que l’achat se fasse le plus proche possible des chantiers en question. A ce propos, l’équipe de Matériaux Réemploi (et notamment Morgan Monet, son créateur) a mis en place une carte34 des différents acteurs du réemploi en France. Elle se complète grâce à la participation des lecteurs et des entreprises qui souhaitent y apparaitre. Bien que l’information soit partielle pour le moment, elle permet néanmoins d’avoir une idée de l’offre autour de soi. Elle met surtout en avant que de très nombreuses régions ne sont pas du tout équipées pour le réemploi. La filière du réemploi n’est pas encore présente, ce qui rend difficile la mise en œuvre de matériaux réemployés. Ce point a d’ailleurs été évoqué lors d’un entretien avec Zerm (le 09/11/2018). Selon Lola Bazin, une des membres de l’association, l’essentiel aujourd’hui pour eux était de développer une filière de réemploi sur Lille. C’est pour cela qu’ils ont créé le Parpaing35 : ils souhaitaient impulser une dynamique de réemploi dans la région. Dans le même esprit, Rotor a lancé depuis plusieurs années une carte interactive36 de l’offre en Belgique, à travers leur plateforme Opalis. Le marché y est déjà beaucoup plus fourni, mais n’est cependant pas égal sur tout le territoire (beaucoup moins d’offres en Wallonie qu’en Flandres). Cette carte a été réalisée dans le cadre d’un concours lancé par la Région-Bruxelles Capitale. Les membres de Rotor ont rencontré les revendeurs
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http://materiauxreemploi.com/carte-acteurs-filiere-reemploi/ , consulté le 08.10.18 Il s’agit d’un « comptoir de matériaux » (d’après les termes utilisés par Zerm), où il est possible d’acheter des matériaux qui ont été récupérés sur divers chantiers déconstruits. Plus d’informations sont consultables sur : https://zerm.org/leparpaing/ 36 Consultable sur : https://opalis.be/fr/revendeurs/carte (consulté le 18/09/2018) 35
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de matériaux belges afin de comprendre comment ils fonctionnaient, et avoir un inventaire le plus exhaustif possible de l’offre présente. Cette carte est en train d’être ouverte à la France et l’Angleterre. En tout cas, durant la conférence « Réemploi et pratiques constructives : vers une économie circulaire des ressources du bâtiment »
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ayant eu lieu à l’ENSA
Grenoble, la question du réemploi in-situ a été plusieurs fois évoquées. C’est une vraie problématique des projets de réemploi et de déconstruction. En effet, le réemploi insitu, bien qu’il semble souhaitable à l’origine, peut parfois être très difficile. Premièrement, réutiliser in-situ sous-entend que les matériaux devront rester sur place de la déconstruction du premier bâtiment, à la reconstruction du second. C’est possible pour des projets de petite ampleur, ou pour de simples réaménagements, mais qu’en est-il pour des projets qui durent ? Réemployer sur place oblige à définir un espace prévu pour le stockage durant toute la durée des travaux. Cela pose problème pour plusieurs raisons : le prix du foncier étant très cher, il est souvent difficile d’allouer un espace où il n’y aura rien pour permettre le stockage. De plus, cela est parfois perçu comme une nuisance, ce qui peut être rédhibitoire pour les coordonnateurs SPS, la mairie, ou les maitres d’ouvrage. Pendant la conférence évoquée juste avant, Rotor met également en garde sur le réemploi in-situ, car les entreprises ne savent pas encore le faire. C’est-à-dire qu’elles n’ont d’une part pas l’habitude de déposer soigneusement les matériaux, mais également qu’elles ne savent pas comment stocker en vue d’un réemploi. Enfin, il faut que le stockage soit envisagé durant toute la durée des travaux, et donc se faire sur un lieu qui ne gênera jamais le reste des travaux, les ouvriers et les éventuelles machines. C’est également beaucoup plus compliqué de reconditionner les matériaux sur place, car cela demande des machines et de la place. Rotor rappelle également qu’il faut toujours penser à une solution de repli, car un gisement peut sembler de qualité, mais ne pas l’être, ou être trop difficile à démonter. Si toutefois le réemploi in-situ est choisi, il peut être
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Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, Université Grenoble Alpes et Grenoble Alpes-Métropole, Cycle de 3 journées « Réemploi et pratiques constructives : vers une économie circulaire des ressources du bâtiment », Deuxième Journée « réseaux, filières, compétences », ENSA Grenoble (France), le 22 Mars 2019
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l’occasion d’une occupation temporaire qui fait vivre le site pendant les travaux, comme le rappelle les membres de Bellastock avec la caserne Melinet. Sur cette caserne nantaise, les matériaux récupérés étaient mis en scène pour des œuvres d’art ou du mobilier, ce qui a permis d’occuper le site même avec la contrainte du stockage. Pour de nombreux constructeurs, le réemploi in-situ semble jouer un rôle sur l’obligation de marquage CE. Celui-ci est obligatoire pour tout matériau entrant sur le marché pour la première fois. Cette information est parfois mal comprise, ainsi certains constructeurs pensent que si ces matériaux sont achetés à un revendeur (et donc entrent dans le marché à un moment), ils pourraient nécessiter un marquage CE. En fait, cela n’est pas obligatoire pour les matériaux de réemploi, qui sont déjà entrés au moins une fois sur le marché (sauf en cas d’importation depuis un pays hors Europe, mais ce n’est pas souhaité). De plus, le marquage CE ne peut s’appliquer aux matériaux de réemploi, car ils ne sont pas soumis à une norme harmonisée. C’est le cas notamment quand un matériau est utilisé pour un usage différent de son usage premier : le carrelage utilisé au sol est soumis à cette norme, mais pas s’il est utilisé sur les murs. Cependant, il est recommandé de rester prudent et de vérifier ces normes pour chaque matériau récupéré, ce qui représente un frein au déploiement du réemploi. Le marquage CE est considéré comme une priorité pour l’ADEME, qui demande une meilleure définition de son obligation.
Alors que le réemploi in-situ semble à priori la solution idéale, il n’est en fait pas adapté à tous les chantiers. Il faut donc faire du cas par cas afin d’envisager la façon dont le réemploi sera organisé. En tout cas, d’après les différents acteurs, il est clair que les entreprises ne sont pas encore habituées à de tels chantiers, et qu’il faut aussi travailler dans ce sens pour les former. Enfin, reste que les droits et devoirs de chaque intervenant sur un chantier de réemploi ne sont pas clairs, et qu’il est nécessaire de les comprendre pour aller plus loin. C’est le sujet du prochain point.
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c. Responsabilité et assurabilité Responsabilité des acteurs Si le réemploi semble si difficile à assurer, c’est aussi car les responsabilités de chaque acteur sont très différentes. Il peut être assez difficile de s’y retrouver pour un maître d’ouvrage par exemple. Nous verrons quelles sont les responsabilités de chacun face à de tels matériaux, et comment les uns et les autres peuvent travailler ensemble. Toutes les informations recueillies ici proviennent des écrits 38 de Maître Elisabeth Gelot, avocate spécialisée en droit de l’environnement et économie circulaire. Si l’on travaille dans le même sens que la filière, le premier concerné par le réemploi est celui qui récupère les matériaux, puis les revend ou les donne. Ce n’est pas un statut en particulier, donc cela pourrait aussi bien être un particulier, qu’une entreprise spécialisée, que le maître d’ouvrage lui-même. Nous parlerons en premier lieu du cas du don39, qui se différencie de la vente en termes de responsabilité. S’il s’agit bien de réemploi, nous nous inscrivons dans le cadre de la prévention des déchets. Le revendeur n’est alors pas responsable au titre du code de l’environnement. De ce fait, le registre des déchets produits n’est pas obligatoire. Dans la plupart des cas, le donateur n’est plus responsable du produit qu’il donne, puisqu’il n’en est plus le propriétaire. Cependant, certains cas particuliers existent. Si le produit donné est considéré dangereux, le donateur pourra être tenu responsable en cas de problèmes. De même, si le donateur avait très largement modifié le produit de base (en changeant des pièces par exemple), il pourra être tenu responsable des dommages causés. De plus, un donateur n’est pas obligé de fournir des informations et des garanties sur les produits, comme c’est le cas pour un vendeur. En effet, il est considéré dans la loi que le donateur ne doit pas être en mesure d’avoir
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Consultables sur le site http://materiauxreemploi.com/category/droit/ (consulté en novembre 2018) 39 http://materiauxreemploi.com/responsabilite-donateurs-reemploi-materiaux-elisabethgelot/, Quelle responsabilité pour les donateurs en cas de réemploi des matériaux ?, GELOT Elisabeth, consultable sur le site http://materiauxreemploi.com/, mis en ligne le 18/02/2019, consulté le 24/02/2019
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de telles informations, et donc n’est pas dans l’obligation de les fournir. Cela n’exclut pas que si ces informations existent, elles peuvent être fournies à celui qui reçoit. Finalement, la responsabilité d’un donateur n’est que très peu engagée, à moins d’avoir modifié en grande partie le produit, ou bien s’il s’agissait d’un produit dangereux. Pour la vente40, les exigences sont différentes. D’après l’article 1112-1 du code civil, le vendeur a obligation de donner toutes les informations dont ils disposent sur le produit qu’il vend. Plus spécifiquement, et d’après ce même article, « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. ». Il est ensuite nécessaire de signer un contrat avec l’acheteur, qui agit comme une garantie. Ce contrat se veut précis afin de ne pas laisser de doutes quant à l’origine, l’état, ou aux garanties applicables au produit. Une fois ce contrat signé, le revendeur n’est plus responsable de son produit, même s’il n’a pas encore été livré à l’acheteur. D’après l’article 1583 du Code Civil, la vente est « parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé. ». Le revendeur reste toutefois responsable si le produit est défectueux, et qu’il porte atteinte à une personne ou un autre produit. Cette responsabilité peut être supprimée si le vendeur indique dans un délai de 3 mois le producteur initial du produit, qui sera alors tenu responsable. Ainsi, il est recommandé pour un revendeur de matériaux d’en connaître la provenance initiale. Dans le cas où le vendeur est un professionnel du monde de la construction, et qu’il revend son produit à un particulier, il est dans l’obligation de garantir la conformité du produit à l’usage prévu par le client (si celui-ci l’en a informé). Sa responsabilité pourra donc être mise en jeu si le produit n’est pas utilisable pour l’emploi évoqué par l’acheteur au moment de l’achat. Il est possible de sortir de ce
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http://materiauxreemploi.com/responsabilite-vente-materiaux-construction-reemploi/, Quelle responsabilité en cas de vente de matériaux de construction issus du réemploi ?, GELOT Elisabeth, consultable sur le site http://materiauxreemploi.com/, mis en ligne le 20/03/2018, consulté le 15/08/2019
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schéma si le vendeur prouve que les défauts engageant une non-conformité n’étaient pas là lors de la vente (par des photos par exemple). Enfin, la garantie sur les vices cachés est également associée aux matériaux de réemploi. Pour s’en prémunir, le revendeur peut réaliser des photos prouvant l’état des matériaux avant l’achat, ainsi que faire un inventaire des usages possibles dans son état.
Le rôle de l’architecte Elisabeth Gelot rappelle également que l’architecte, au sein d’un projet de réemploi, garde son rôle de conseil41. De ce fait, il est dans l’obligation de conseiller le maitre d’ouvrage quant à l’usage des matériaux de réemploi, aussi bien du point de vue technique que du point de vue assurantiel. De plus, la garantie décennale s’appliquant, il sera également tenu responsable en cas de dommages liés à l’ouvrage. Pour s’en exonérer, il devra prouver que cela provient d’une cause étrangère. Alors qu’il est assez simple de remonter jusqu’au fournisseur dans le cadre de matériaux neufs, pour le réemploi, cela se complique. Ainsi, l’architecte devra également s’assurer par lui-même (ou un bureau de contrôle mandaté), de la qualité des matériaux utilisés. Cela implique d’en connaître toutes les caractéristiques, mais également de les faire tester, pour ne pas passer à côté d’un défaut non-visible. Par son rôle de conseil, l’architecte peut être amené à déconseiller l’utilisation d’un matériau vis-à-vis de ses caractéristiques au maître d’ouvrage. A ce dernier de choisir s’il veut ou non les utiliser par la suite. Alors que le rôle de l’architecte n’est pas très différent selon qu’il s’agisse de matériaux neufs ou non, l’utilisation de matériaux de réemploi peut toutefois représenter un risque supplémentaire pour sa pratique. Cela notamment par l’absence de contrôle obligatoire sur de tels produits, et sur les flous concernant leurs
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http://materiauxreemploi.com/reemploi-materiaux-construction-responsabilitearchitecte/, Réemploi des matériaux de construction : quelle responsabilité pour l’architecte?, GELOT Elisabeth, consultable sur le site http://materiauxreemploi.com/, mis en ligne le 29/04/2018, consulté le 24/08/2018
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origines. En plus de modifier les temps de chantier, le réemploi représente une nouvelle mission pour l’architecte. Il existe d’ailleurs aujourd’hui des assistants à la maitrise d’œuvre spécialisé dans le réemploi des matériaux. Comme l’est un architecte pour un maitre d’ouvrage, ils sont chargés de conseiller les clients sur les bonnes pratiques à mettre en place. L’architecte peut également faciliter la mise en place d’un contrat. C’est de nouveau une nouvelle mission pour lui. Pour cela, il est préférable qu’il ait le plus de connaissances possibles sur les matériaux à utiliser, pour pouvoir répondre aux inquiétudes de l’assureur et du client. Elisabeth Gelot, donne quelques conseils : lors de l’achat ou de la réception des matériaux, l’architecte devrait s’assurer de leur provenance, de leur état et de leur capacité pour le futur usage. Pour cela, le contrôle est fait de façon exhaustive, avec des photos à l’appui pour chaque défaut. Tout cela devra ensuite être consigné dans le contrat d’achat. L’architecte devra ensuite faire part de tous les défauts trouvés au maitre d’ouvrage, afin qu’il soit au courant. Cela doit être fait par écrit, et signé par les deux parties de façon formelles (donc à l’aide d’un contrat). Ainsi, le maître d’ouvrage montre qu’il a conscience des risques mais qu’il décide quand même d’utiliser les matériaux en question. Dans cette démarche, il reste évidemment proscrit d’utiliser des matériaux présentant un vrai danger pour le chantier, la construction, ou même les ouvriers chargés de sa mise en œuvre. Si un matériau n’est pas apte à l’usage imaginé, il peut souvent être utilisé autrement sur un même chantier. Une dalle de béton ne faisant plus l’affaire en tant que dalle pourrait par exemple faire l’affaire comme gravats pour un revêtement de sol. L’architecte gardant l’obligation de conseil, c’est à lui de tourner le maître d’ouvrage vers d’autres solutions.
L’assureur doit-il craindre les matériaux usagés ? Les matériaux de réemploi ne sont pas soumis aux règles de responsabilité biennale, puisqu’ils ne sont pas neufs. Cela peut être parfois le cas, notamment lorsqu’il s’agit de surplus de chantier, qui n’ont pas été déballés, mais ce n’est pas la majorité des cas. Une assurance peut être appliquée par le revendeur afin de donner
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une plus-value à ces produits, mais elle n’est pas obligatoire. Cette liberté peut être à double tranchant, puisque sans cette assurance, les maîtres d’ouvrages ne peuvent pas être certains de la qualité des matériaux. En cas de défaut découvert plus tard, ils ne seront pas en mesure d’échanger ces mêmes matériaux. L’assurance décennale de la loi Spinetta42 de 1978, quant à elle, reste obligatoire pour livrer un bâtiment. Elle concerne les vices de construction visant la solidité de l’ouvrage, et pouvant provoquer son effondrement, mais également ceux qui pourraient rendre le bâtiment impropre à l’usage initial. Elle ne concerne donc que le gros œuvre, dont il est essentiel de connaître les qualités techniques. C’est ensuite à l’assureur de décider s’il peut effectivement assurer le bâtiment, avant début des travaux. Dans le contexte du réemploi, cela pose problème. Ne sont couvertes par le contrat de base de ces assurances que les « techniques courantes ». Elles ne concernent que les produits normalisés ayant une mise en œuvre standardisée. Ces produits doivent répondre à des normes homologuées telles que le DTU. Cependant, le réemploi bénéficie de techniques très diverses, qui ne sont pas toutes homologuées. Pour simplifier, toutes ces pratiques sont indifférenciées. Elles se retrouvent toutes sous le terme de « réemploi », et considérées comme des techniques non courantes. C’est la Commission Prévention Produits de l'AQC qui définit ce que sont les techniques courantes et non-courantes. Sont considérées comme « non-courantes » toutes les techniques ne bénéficiant pas d’une qualification des performances, d’une mise en œuvre respectant les « règles de l’art », ou un savoir-faire par l’entreprise de mise en œuvre. Plus généralement, ce sont toutes les techniques « qui appartiennent au domaine non traditionnel, c'est-à-dire ceux qui ont été mis au point récemment, qui ne bénéficient pas encore d'un retour d'expérience suffisant »43. Dans le cadre du réemploi cependant, cette définition peut poser questions. En effet, des matériaux déjà utilisés bénéficient en général de mises en œuvre courantes au même titre que les matériaux neufs. Si l’on déploie la définition au simple terme de « réemploi », alors
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Loi Spinetta du 4 janvier 1978, loi relative à la responsabilité et l’assurance dans le domaine de la construction. C’est notamment par cette loi que l’assurance décennale est rendue obligatoire. 43 D’après la définition de la Fédération Française du Bâtiment, depuis ce site : https://www.ffbatiment.fr/federation-francaise-dubatiment/laffb/mediatheque/batimetiers.html?ID_ARTICLE=2820
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c’est une technique qui a été très longtemps utilisée, dont on peut imaginer qu’une « technique courante » était en jeu. Ne bénéficiant pas d’une qualification officielle de « matériaux de réemploi », ceux-ci restent dans le domaine des techniques noncourantes. Il est difficile pour les entreprises de prendre le risque de surtaxe sur des techniques non-courantes, alors même que le réemploi ne représentera peut-être pas un gain économique par ailleurs. La définition de ces matériaux de réemploi joue vraiment un rôle dans leur diffusion, puisqu’il semble encore trop risqué à mettre en œuvre. Mais au-delà des problématiques liées à la responsabilité des acteurs, les normes techniques peuvent elles aussi être difficilement adaptées aux matériaux de réemploi. Pour cela, il semblait intéressant de s’intéresser au rôle du CSTB, qui est un des acteurs principaux dans la construction.
Les organismes de certification dans la réglementation des matériaux : le cas du CSTB Cette partie a été réalisée suite à un entretien téléphonique informel avec Nadège Blanchard, Responsable du service ARIANE (Service d’accompagnement des innovateurs de la construction) au CSTB. Le CSTB ne possède pas le pouvoir de créer des normes. Celles-ci proviennent de l’AFNOR, un organisme français chargé de mettre en place les normes. Pour cela, des « comités stratégiques (COS) » se réunissent par marchés ou thématiques pour développer des normes. Celles-ci doivent définir des objectifs et des priorités, mais également être cohérente avec des politiques plus globales (nationales, voire européennes ou mondiales). Ils ne sont pas spécialisés dans le domaine de la construction. Le CSTB peut alors être engagé par l’AFNOR pour faire partie d’un groupe de travail à l’élaboration d’un document lié à une norme, mais il n’est jamais seul dans cette démarche. Dans ces groupes, différents acteurs engagés dans les questions posées par le produit en question sont présents, tels que des professionnels de la construction (entreprise de construction, fabricants, revendeurs), des organismes certificateurs, des spécialistes de la filière…
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Les certifications (qui sont donc différentes des normes) peuvent par contre être créées par le CSTB. Elles dépendent du Code de la Consommation, et sont produites selon un référentiel de certification. D’après l’article L433-4 du Code de la Consommation 44, il « est un document technique définissant les caractéristiques que doit présenter un produit, un service ou une combinaison de produits et de services, et les modalités de contrôle de la conformité à ces caractéristiques ». De plus, il est spécifié que « l’élaboration du référentiel de certification incombe à l’organisme certificateur qui recueille le point de vue des parties intéressées ». Ainsi, le référentiel ne peut être réalisé au sein même de l’organisme, sans avoir réaliser une concertation auprès d’autres parties. Le CSTB peut piloter l’élaboration d’un référentiel, puis décerner une certification à certains produits si après essais et visites des usines ils correspondent au référentiel. Les certifications ne sont pas toujours obligatoires ; dans la plupart des cas elles sont comme une « marque » apposée à un produit. Elle représente seulement une plus-value. Bien qu’il existe plusieurs organismes de certification, ils ne sont quasiment jamais en concurrence les uns avec les autres. Ils pourraient travailler sur des mêmes référentiels, mais ne le font cependant pas. Ces certifications sont réalisées par des groupes de travail composés de représentant des professions concernées, ainsi que de sociétés en lien avec le produit. Cela induit donc qu’elles sont en partie réalisées par des fabricants, qui pourraient y voir un certain avantage. En ce qui concerne les certifications apposées aux matériaux de réemploi, il faut donc une volonté des acteurs de la filière pour lancer un référentiel. Cependant, cela semble difficile de considérer « les matériaux de réemploi » comme un ensemble homogène qui pourrait bénéficier d’une même certification. De toutes façons, il n’est pas forcément nécessaire d’avoir une telle avancée, puisqu’elle n’indique en rien une qualité particulière. Cela pourrait cependant rassurer les assureurs, qui pourrait avec cette certification, avoir une « preuve » de la part d’un organisme de certifications que ces produits sont conformes. Reste à savoir à quoi sont-ils conformes, et comment ils sont
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Consultable sur le site : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000032225352&cidTexte=LEG ITEXT000006069565&dateTexte=20160701
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testés pour le savoir. Dans tous les cas, les certifications sont souvent attribuées à des compagnies qui ont déjà une place dans la construction, puisque ce sont elles qui en font la demande. Le coût financier étant important, cela sera-t-il compatible avec des projets de réemploi à petites échelles ?
Finalement, cette première partie aura permis de montrer qu’effectivement, les normes jouent un grand rôle dans la définition et l’expansion du réemploi de matériaux. Si réemployer aujourd’hui semble complexe, c’est donc en partie suite à l’adoption des réglementations évoquées ici. Pourtant, la réglementation ne cesse d’évoluer. Nous nous intéresserons donc à comprendre comment elle peut être appliquée aujourd’hui, et comment elle prescrit l’utilisation des matériaux. Pour cela, il est pertinent de comprendre comment les acteurs actuels du réemploi s’approprient cette question, et comment ils parviennent à s’y adapter. C’est l’objet de la seconde partie, qui sera étayée par des études de cas permettant de comprendre comment, dans des contextes réels, le réemploi a été accueilli. Cette question sera abordée à travers 4 approches, toutes complémentaires, mais qui ne s’attachent pas aux mêmes problématiques.
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PARTIE II
ADAPTABILITE : Le réemploi possible, à travers 4 approches
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Bien que les normes soient complexes à appréhender, certains acteurs de la construction ont quand même fait le choix d’utiliser des matériaux de réemploi. Dans cette seconde partie, il s’agira de montrer comment ils y sont parvenus, et quelles sont les possibilités pour un MOA ou MOE d’intégrer aux cahiers des charges des matériaux usagés. La majorité des exemples choisis ont su s’adapter à la norme, qand certains ont choisis de la détourner un peu. Toutes les approches n’ont toutefois pas le même résultat : certaines, telle que l’approche par l’innovation, ne semble pas adaptées au réemploi.
a. Le réemploi comme innovation Pour la première approche, le réemploi comme innovation sera envisagé. Il s’agit de considérer que le réemploi s’inscrit dans des techniques « non-courantes », et que de ce fait il nécessite des adaptations pour être mis en place. L’ATEx sera utilisé comme exemple pour illustrer cette approche. Il rend possible la certification, pour n’importe quel maitre d’œuvre (moyennant temps et argent), d’une certaine pratique innovante, le réemploi étant considéré comme tel. A terme, cela peut même permettre de rendre plus « industrielle » une pratique. Cela demande cependant de gros investissements, qui ne sont pas toujours à la portée des maîtres d’œuvre concernés. Un Atex est de plus limité dans son utilisation : elle n’est valable que pour une technique en particulier.
LA R&D en matière de réemploi Puisque le réemploi n’est plus aujourd’hui considéré comme une technique dite « courante », il est nécessaire de passer par des procédés spécifiques. Dans ce sens, certains acteurs du réemploi étendent leur travail à la recherche et le développement spécifiquement tourné vers le réemploi des matériaux. C’est le cas par exemple de l’ADEME, qui travaille depuis plusieurs années sur l’économie
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circulaire, mais également le CD2E45 qui a ouvert un secteur spécifique au réemploi. L’ADEME a par exemple réalisé la recherche « Identification des freins et des leviers au réemploi de produits et matériaux de construction »46. Celle-ci dresse un portrait des différentes difficultés rencontrées par les acteurs de la construction lorsqu’il s’agit de réemploi, et les solutions trouvées par d’autres. Du côté des architectes français, Bellastock travaille depuis une dizaine d’années sur ces questions. Ils ont choisi d’axer leurs recherches sur des expérimentations in-situ afin de trouver des solutions techniques viables. Nous pouvons lire sur leur site internet47 que « les axes d’études se développent autour de la matière dans le projet, dont son réemploi, avec l’expérimentation de solutions techniques innovantes ». C’est dans le cadre de ce travail qu’ils travaillent avec l’ADEME sur les documents Repar1 et 2. Ces deux documents résultent d’un travail de plusieurs années, en conditions réelles (c’est-à-dire sur site) et de recherches menées conjointement avec plusieurs acteurs de la construction, par exemple le CSTB qui s’est chargé de réaliser les analyses techniques. Nous le verrons plus tard, ces études ont permis de développer des outils à l’adresse des maitres d’œuvre et maitres d’ouvrage intéressés.
L’ATEX, solution ou contrainte ? L’ATEx (Appréciation technique d’expérimentation) semble être une des clés pour faire approuver un projet de réemploi. Cette procédure permet à tout constructeurs ou concepteurs d’obtenir un avis technique sur une solution dite « innovante », afin d’être certain des capacités techniques du produit. A terme, elle permet au maitre d’ouvrage et au maitre d’œuvre d’assurer leur produit. L’ATEx vient en l’absence d’avis technique préalable. Il existe 3 types d’ATEx :
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Le CD2E se présente comme un « cluster sur les éco-technologies ». Bien qu’il ne soit pas spécifiquement lié à la construction, il mène des recherches sur l’éco-construction avec le projet EKWATION, et sur le réemploi par ce biais. Il se base à Loos-en-Gohelle (Nord), une ville reconnue pour son renouvellement urbain éco-responsable, après avoir été une ville minière. 46 ADEME, RDC Environment, éco BTP, & I Care Consult, op. cit., Avril 2014 47 www.bellastock.com/notre-activite/rd/
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A : s’applique à un produit appliqué sur différents chantiers, mais sur une durée limitée, ou pour une quantité limitée.
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B : s’applique à une technique constructive précise sur un chantier en particulier.
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C : s’applique à une technique ayant préalablement fait l’objet d’une ATEx A ou B.
Une ATEx ne mène dont pas nécessairement à une certification, elle permet seulement d’assurer la fiabilité d’un procédé sur un temps donné. Elle s’effectue en 7 temps. 1. Envoie d’une demande au CSTB, décrivant précisément la nature de la technique 2. Si réponse favorable, il faut apporter des éléments permettant d’évaluer le produit, à savoir des justifications particulières ou des résultats d’essai. Le CSTB informe également sur le coût de l’opération (qui dépend de la taille du chantier), et désigne un rapporteur. Il est chargé d’examiner le dossier, et est un professionnel chargé du contrôle technique du chantier. 3. Dépôt du dossier au CSTB (8 exemplaires). La commission aura lieu 1 mois après le dépôt. 4. Etude du dossier par un comité d’experts (nommés en fonction du produit étudié) et par le rapporteur. 5. Production d’un dossier d’analyse p-ar le rapporteur 6. Passage en commission, du rapport d’analyse du rapporteur dans un premier temps, puis avec le demandeur dans un second temps. Il devra répondre à des questions complémentaires concernant le produit et sa mise en œuvre. 7. Délibération d’un avis favorable, réservé ou défavorable. Rédaction d’un compte rendu par le CSTB. Cette certification a un coût : pour un ATEx A, entre 14 et 20K€ HT. Pour un ATEx B, de 8 à 11K€ HT. Ces prix sont donnés à titre indicatif, cependant ils peuvent représenter une très grosse partie du budget sur des projets de petites envergures. De plus, l’obtention d’un ATEx, bien qu’elle se veuille plus accessible, reste un travail
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administratif pouvant être lourd. C’est un des points qui rebute les créateurs et demandeurs. Au-delà du coût financier et de l’aspect chronophage de l’ATEx, il est difficile de le faire passer pour des matériaux de réemploi, car c’est une catégorie très large. Il n’existe pas un matériau de réemploi, mais une multitude de matériaux issus du réemploi, qui ne servent pas les mêmes objectifs et n’ont pas non plus les mêmes caractéristiques techniques. De plus, un ATEx est demandé pour un couple produit/emploi exclusif, c’est-à-dire un matériau spécifique pour une mise en œuvre spécifique. Il n’est pas reproductible pour d’autres caractéristiques. Dans ce sens, ce n’est pas l’utilisation de matériaux de réemploi en général qui profite d’un ATEx, mais seulement une mise en œuvre sur un matériau. Cela devient compliqué lorsqu’il s’agit de réaliser un bâtiment avec plusieurs matériaux de réemploi différents. L’ATEx ne semble ainsi pas être la solution à privilégier pour utiliser des matériaux de réemploi.
ETUDE DE CAS : Siège Du Conseil De l’Union Européenne, Philippe Samyn & Partners, 2005-2016
Pour illustrer cette première approche, le projet de Samyn & Partners sera utilisé. Bien qu’il n’ait pas bénéficié d’un ATEx (puisque belge), il est un exemple d’un travail coordonné entre architectes, ingénieurs, et règlementations. A l’origine, la demande avait été faite pour l’extension du siège, devenu trop exigu pour accueillir l’ensemble des Nations représentées, mais surtout les différentes réunions qui devaient y avoir lieu. Il s’agissait donc de conserver le bâtiment initial, le Justus Lipsius (datant des années 1980), et d’y ajouter un atrium dans lequel se trouve une lanterne (où se trouvent les salles de conférences)48. Dès le départ, il y avait également une volonté de faire un bâtiment exemplaire du développement durable. Cela passe par des solutions techniques (panneaux solaires par exemple), mais
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L’ensemble de l’histoire de bâtiment est décrit dans l’ouvrage : ATTALI Jean, Europa, Brussels, Editions CIVA, 2013, p.17-45
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également symboliques (ne pas produire des matériaux neufs s’ils existent déjà par ailleurs ; représenter tous les pays grâce aux châssis). Ce projet est né durant une période de transition du point de vue énergétique. En effet, il arrive lorsque l’Union Européenne commence à statuer sur des performances techniques à atteindre. De ce fait, la plupart des fenêtres jusqu’alors simple vitrage devaient être remplacées. Cela représente une grande quantité de déchets pour le secteur du bâtiment, ou, comme l’ont défini Samyn & Partners, un gisement conséquent de matériaux à récupérer. Ce sont en effet 3000 fenêtres qui ont été récupérées afin de créer une façade en double-peau49. Celle-ci permet d’abriter les salles de réunions du bruit, de la pollution du boulevard, et des intempéries. Cette double-peau fait également office d’espace tampon, ce qui permet de chauffer naturellement l’intérieur du bâtiment. Le projet est présenté comme « l’économie du réemploi associée à un travail d’ingénierie puissant”50 Le déroulement du projet peut être inhabituel pour un projet de réemploi. En effet, il y a d’abord eu une étude d’un bureau d’études techniques sur la faisabilité du projet, avant de récupérer les matériaux nécessaires. Ils ont considéré que la façade nécessitait 3000 châssis, chacun d’une dimension précise, avec la volonté qu’ils soient tous en chêne massif. Les architectes n’ont donc fait le choix du réemploi parce qu’un gisement s’est présenté à eux, mais ont en quelques sortes créer eux-mêmes le gisement. Ces châssis couvrent une surface de 3890m², et ont été récupérés dans toute l’Europe, par l’entreprise Antiekbouw, spécialisée dans la récupération d’antiquité architecturale. La récolte aura pris 1 an et demi. L’entreprise se charge également de relever les dimensions exactes de chaque fenêtre. C’est ensuite un façadier qui s’occupera du montage de l’ensemble, le tout préfabriqué en atelier. Les châssis sont assemblés au sein de cadres en acier, puis accrochés à une structure métallique bien plus grande, elle-même fermée par des double-vitrages. Le dessin de la façade était très précis avant de récupérer les fenêtres, et il sera suivi pour l’assemblage. Le procédé en devient presque industriel, puisque tout est déjà préfabriqué avant d’être acheminé
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ATTALI Jean, op.cit.,, 2013, p.67 “the economy of re-use coupled with bold engineering”, dans ATTALI Jean, op.cit.,, 2013,
p.70
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Figure 3 Le rapport entre le bâtiment initial (à droite) et son extension (à gauche), composés de châssis
Figure 4 La structure métallique sur laquelle s’accrochent les châssis.
Figure 5 Insertion du module sur la structure métallique.
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puis monté sur site. [ANNEXE 3] Dans ce sens, le réemploi n’a ici pas chamboulé le chantier, puisque le montage a été réalisé comme il l’aurait été sur du neuf. C’est la recherche en amont des matériaux qui aura pu modifier le calendrier, mais une fois récupéré, tout s’est fait comme sur un projet classique. Le budget pour ce projet n’était pas un facteur limitant. Cependant, une analyse économique a été réalisée51. L’ensemble de la façade a finalement coûté 724,86 €/m². Cela comprend 194,18€/m² pour la recherche et le conditionnement des châssis de réemploi, 361,00€/m² pour les cadres en acier inoxydable et la fixation des châssis sur ces cadres, et enfin 169,68€/m² pour la mise en œuvre. Il n’a pas été réalisé d’analyses comparatives avec des matériaux neufs, mais il est toutefois possible de voir que le réemploi n’a pas eu un très gros impact économique. Bien qu’il n’y ait pas eu de certifications très spécifiques aux matériaux de réemploi pour ce projet, celui-ci a vu le jour à un moment très particulier de la construction en Belgique. En effet, au même moment le CSTC (équivalent CSTB belge) et SECO (bureau de contrôle) souhaitaient mettre en place un système de référence concernant l’éco-construction en Belgique. En face, l’Union Européenne souhaitait un bâtiment qui s’inscrivait dans un cercle plus vertueux, ce qui a permis une collaboration entre tous les organismes. Le but était d’amener des solutions durables qui seraient choisies par l’architecte, mais en conformité avec des exigences particulières. Les ingénieurs de SECO ont ainsi pu proposer des solutions plus innovantes au projet, en concordance avec les souhaits du maître d’œuvre.52 Cela aura finalement permis d’imaginer une nouvelle certification pour la construction durable en général, mais également aider le projet à trouver des solutions permettant la mise en œuvre de l’idée originelle (utiliser des fenêtres comme seconde-peau). Si la norme n’a ici pas eu un rôle à priori, elle en a cependant eu un durant le processus de conception-construction. Cette première approche montre que le réemploi saurait difficilement s’adapter à des réglementations trop strictes, et que les procédures qui sont adaptés
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ADEME, RDC Environment, éco BTP, & I Care Consult, op. cit., Avril 2014 ATTALI Jean, op.cit.,, 2013, p.187
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au procédé innovant ne le sont pas nécessairement pour le réemploi. Cependant, lorsque le projet dispose d’assez de moyens, la norme peut être un tremplin pour innover, et l’occasion de travailler avec d’autres corps de métier. C’est le cas ici, puisque le travail collaboratif entre ingénieurs et architectes a permis de trouver des solutions plus intéressantes que celles envisagées à l’origine du projet. La partie suivante montrera comment, si le projet n’est pas adapté aux procédures comme l’ATEx, il peut tout de même faire usage de matériaux de réemploi, à travers une utilisation plus pragmatique de ceux-ci.
b. Réutilisation de matériaux peu normés : vers une approche pragmatique du réemploi Lorsque l’ATEx n’est pas envisageable, il existe d’autres approches possibles. La seconde étudiée ici est celle dite « pragmatique ». Puisque les normes sont parfois complexes à appréhender, il s’agit ici de mettre en œuvre de façons à ne pas les subir. Elle est appelée « pragmatique » car c’est l’approche la plus directe et celle qui cherche le moins à se différencier de la pratique classique des matériaux neufs. Avec cette approche, les différents acteurs évoqués cherchent à utiliser des matériaux de réemploi de la façon la plus simple possible compte tenu des normes en vigueur.
L’exemple de Rotor et Rotor Deconstruction/Consulting (DC) L’équipe de Rotor est l’une des pionnières du réemploi en Europe, étant spécialiste depuis presque 15 ans de cette question. Ils collaborent depuis plusieurs années avec la Région Bruxelles-Capitale, et dans ce cadre ils ont déjà expérimenté plusieurs actions en faveur du réemploi, et font évoluer les normes à leur échelle, en Belgique. La Région lance un concours d’idées sur le devenir des déchets de construction en 2010-12, que Rotor remporte. C’est ainsi qu’ils débutent une étude sur l’économie circulaire dans le bâtiment, qu’ils continuent à mener aujourd’hui. Ils fondent alors Opalis, une plateforme répertoriant tous les fournisseurs de matériaux de réemploi sur le territoire Belge (et bientôt français, britannique, allemand…), mais
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également des exemples de mises en œuvre, et des informations sur les matériaux (coût de traitement, prix de revient, traitement proposé…). En 2016, ils se lancent euxmêmes dans la déconstruction sélective, et ouvre Rotor Deconstruction/Consulting (DC). Cette société se charge de faire la déconstruction, le stockage et la revente des matériaux issus de chantiers qui le demandent. Bien qu’ils ne soient pas partis de ce postulat à l’origine, aujourd’hui Rotor DC vend peu de matériaux de gros-œuvre. Lors de la seconde journée d’étude de l’ENSA Grenoble53 [ANNEXE 4], Michaël Ghyoot et Cécile Guichard (membres de Rotor) expliquent qu’il n’est pas recommandé de stocker des matériaux trop statiques, car ils prennent beaucoup de place pour un prix de revente qui n’est pas proportionnel. De même, il est préférable d’avoir plusieurs produits d’une même filière, afin d’avoir une offre attractive. Ces deux données les ont donc poussés à se spécialiser, et ainsi ils ne vendent aujourd’hui que des produits de second-œuvre (à une exception près : des poutres en pin). Cela peut également être envisagé d’un autre point de vue. Rotor DC n’a peutêtre pas travaillé dans ce sens, mais pourtant, ne réemployer que ce genre de matériaux permet aussi de simplifier le rapport aux normes. En effet, une grande partie des produits récupérés s’apparentent plus à du mobilier qu’à des matériaux de construction. Il n’est pas nécessaire de les faire tester comme des matériaux de gros œuvres par exemple, ce qui représenterait un coût supplémentaire. Pour autant, ils ne sont pas exemptés des contrôles habituels, notamment en ce qui concerne la présence d’amiante, les défauts potentiels (fissures, rouille, mites…), les règlementations incendie (dans le cas de portes coupe-feu par exemple). Ces produits présentent également l’avantage d’être faciles à retirer, contrairement au gros œuvre qui demande souvent des machines plus sophistiquées. Ces matériaux ne sont pas soumis à l’assurance décennale puisqu’ils ne concernent pas le gros œuvre. Ils ne nécessiteront donc pas d’assurance ou de certifications particulières.
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Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, Université Grenoble Alpes et Grenoble Alpes-Métropole, Cycle de 3 journées « Réemploi et pratiques constructives : vers une économie circulaire des ressources du bâtiment », ENSA Grenoble (France), le 09 Novembre 2018, le 22 Mars 2019, le 14 Juin 2019
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Cette première approche peut être illustrée par l’exemple du bâtiment Réhafutur, à Loos-En-Gohelle. Il s’agit de l’ancienne Maison de l’Ingénieur, qui sert aujourd’hui de démonstrateur à un habitat minier plus écologique. Ici, le carrelage et le parquet d’origine (respectivement 18 et 62m²) ont été réemployés. Ceux-ci avaient un intérêt patrimonial, mais cela a permis également d’éviter les coûts environnementaux liés au transport (tout était stocké sur place) et à la fabrication de matériaux neufs. Ici, les matériaux n’ont pas nécessité de tests, seul un contrôle visuel a suffi. En effet, les deux matériaux ont été réutilisés en recouvrement de sol, dans le même contexte qu’initialement. Ils n’ont pas à subir les effets du gel car sont utilisés en intérieur, ni même des surcharges particulières, puisqu’utilisés pour leur usage initial. Cette approche pragmatique peut se décliner également par d’autres procédés. C’est ce qui sera évoqué ensuite, grâce à deux études de cas. Ces deux projets ont fait le choix d’utiliser des matériaux issus de réemploi, mais en changeant la destination initiale des matériaux. Changement de destination : deux études de cas : Le changement de destination ici concerne l’usage qui est fait des matériaux récupérés. En effet, ceux-ci ne sont pas utilisé aux fins qui leur sont normalement attitrés, mais pour d’autres, ce qui aura permis de détourner les règlementations qui étaient en vigueur. ETUDE DE CAS La passerelle, Niclas Dünnebacke, St-Denis, 2013 La passerelle est un abri pour familles en difficulté. Il a été dessiné par Niclas Dünnebacke (architectes sans frontières), d’après une demande d’Emmaüs Coup de Main. A l’origine du projet, les abris étaient déjà sur place. Composés d’anciennes cabanes de chantier, ils n’étaient ni protégés du climat, ni des pollutions (liées à la voie à grande vitesse à côté, autant en termes de bruits que de qualité de l’air). La demande était de réaliser une seconde-peau pour ce bâtiment, qui permettrait d’isoler l’ensemble des logements, de façon rapide (bien qu’il n’y ait pas eu de dates précises de livraison) et peu chère.
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Dans ce projet, les matériaux de réemploi ont profité d’une mise en œuvre inhabituelle. Il s’agit de fenêtres qui ont permis de réaliser une façade entièrement vitrée, servant d’espace tampon à la construction. Le réemploi a été choisi grâce à une succession d’opportunités. La première était liée aux nouvelles règlementations thermiques entrées en vigueur à ce moment-là (RT2012 notamment). En effet, pour être en accord avec ces recommandations, il a été nécessaire de changer les fenêtres des bâtiments alentour. L’architecte y a vu un gisement potentiel pour le projet, et a ainsi pu récupérer de nombreuses fenêtres. Les fenêtres ici ont des dimensions et des aspects très différents, puisqu’elles n’ont pas été sélectionnées spécifiquement. Puisqu’il s’agit d’une seconde peau permettant la création d’un espace tampon, les fenêtres n’avaient pas besoin de performances thermiques particulières, ni d’un type de vitrage spécifique. Le sens d’ouverture des fenêtres a cependant dû être inversé afin de s’adapter au projet. Compte tenu de la multitude de fenêtres différentes, les dessins techniques du projet sont vite devenus obsolètes. En effet, une fois la construction démarrée, il s’est avéré que les dimensions initialement relevées n’étaient pas tout à fait exactes, ce qui a provoqué des décalages. Il a fallu inventé le calepinage en direct. L’architecte en parle ainsi : « Étant donnée la disparité des matériaux collectés, les dessins de détails sont vite devenus inopérants. Il a fallu improviser »54. C’est cette étape qui a pris le plus de temps, car la façade a plusieurs fois était modifiée au cours de la construction. Ce projet aurait ainsi difficilement pu être mis en place dans un autre contexte. Par exemple, si la demande n’est pas faite par le maître d’ouvrage lui-même, il sera difficile de lui expliquer ce « retard » dans la construction, lié à une incertitude des matériaux. La seconde opportunité a été celle offerte par Emmaüs. Ils ont proposé les services de travailleurs en réinsertion, tous bénévoles. Cela a permis au projet d’exister malgré un budget serré, et de former en même temps des ouvriers à des pratiques spécifiques (le réemploi demandant ici de nombreuses adaptations). Les mises en œuvre ont été très spécifique au projet, mais n’ont pas nécessité pour autant
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BURINI Emma, Réemploi de matériaux et processus de production de projet en architecture, Mémoire de recherche en Master d’Architecture, Domaine Architecture, Environnement et Cultures Constructives dirigé par J-B. Marie, R. Morelli et L. Mouly, ENSA Normandie, 2015-2016, p.39
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Figure 6 : 7 En haut : le stockage dit "anarchique" des différents châssis. Figure 7 : En bas : Un des assemblages de façade, qui ne sera pas le final.
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de main d’œuvre très qualifiée. Cela a d’ailleurs représenté une difficulté supplémentaire pour le chantier, mais il était important dès le départ du projet que l’aspect social soit très fort. Ces deux opportunités, mises en parallèle, ont permis le contrôle du coût de la construction et son efficacité d’exécution.
L’aspect règlementaire n’a pas été un très gros frein ici, par contre, d’autres freins liés au réemploi ont existé. Premièrement, la question du stockage a vraiment posé problème. En effet, il a été prévu que le stockage se fasse sur site directement, bien que les fenêtres proviennent d’ailleurs. Cela permet d’éviter le coût supplémentaire d’un hangar. De ce fait, les fenêtres étaient toutes entreposées à l’extérieur, ce qui, d’après l’architecte, a représenté une gêne lors du chantier. Les matériaux ont pu être dégradés par les intempéries, et occupaient beaucoup de places comparativement au projet finalisé. Le second frein s’est présenté lors du permis de construire. La mairie a jugé qu’il était trop difficile à mettre en place, du fait du caractère très particulier du projet (habitat d’urgence, réemploi) et du lieu (au pied d’une route à grande vitesse). C’est donc par un accord tacite qu’a pu être construit le projet55. Sans cette aide, le projet aurait pu ne jamais voir le jour, puisque les démarches auraient été trop longues pour une construction nécessaire urgemment.
Au final, le projet a coûté moins de 100 000€. Cela est dû à l’opportunité de gisement qui s’est présentée, et au travail bénévole des ouvriers. Si l’on parle ici « d’usage pragmatique » des matériaux de réemploi, c’est bien dans la façon dont le projet s’est adapté aux normes qui auraient pu le bloquer, et à l’usage économique et social des matériaux mis en œuvre.
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D’après un entretien entre Burini Emma et Dunnebacke Niclas, reproduit dans : BURINI Emma, op.cit., 2015-2016, p.38
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ETUDE DE CAS réaménagement d’un plateau tertiaire pour Michelin, Rémi Laporte et Gilles Racineux, Clermont-Ferrand, 2014-2015 Il s’agit du réaménagement d’une partie du siège social de Michelin. La demande a été faite pour un aménagement « moins banal et moins couteux, plus frugal », devant encourager le travail collaboratif et l’expérimentation. En réalisant l’étude, les architectes se rendent compte que les bureaux sont situés dans l’un des premiers bâtiments à avoir été construit sur ce site de production, dans les années 50. Le réemploi de matériaux n’a pas été envisagé dès le début du projet, mais la prise de conscience de tous les déchets produits et le budget très serré ont poussé les concepteurs dans ce sens. Toutes les informations de cette étude de cas proviennent de la conférence Récupérer, Réemployer, Réinventer, principalement l’intervention de Rémi Laporte56. Deux réemplois majeurs ont été réalisés. Tous deux ont détourné des matériaux pour les adapter à un nouvel usage, comme c’était le cas avec les fenêtres du projet précédent. Tout est réalisé in-situ. Le premier réemploi réalisé est celui des faux-plafonds. Il s’agit de 400 à 450m², présents sur site mais qui ont été déposés car ils cachaient une double hauteur dans la structure. Avant la dépose, les architectes avaient jugé que ces plaques devaient être jetées, mais il s’est avéré qu’elles étaient très faciles à retirer, et qu’elles présentaient deux faces, ce qui pouvait avoir un intérêt pour la matérialité du projet. Ces dalles ont eu deux usages : le premier pour couvrir les murs en placo-plâtre et améliorer l’acoustique des lieux, et le second comme suspension pour la mise en scène de la cafétéria. Pour le premier usage, la logique était d’utiliser la structure initiale des dalles pour pouvoir les enlever facilement et les remplacer si besoin, mais l’entreprise BTP n’a pas voulu, parce qu’ils n’étaient pas sûrs des risques encourus. Ils ont donc collé les dalles sur le mur directement. Pour autant, aucune réglementation n’était en vigueur pour ce genre d’usage, ce qui n’a pas posé problème pour le permis
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CAUE du Puy-de-Dôme, Récupérer, Réemployer, Réinventer, Clermont-Ferrand (France), du 22 mars au 7 avril 2017. La présentation de l’architecte Rémi Laporte est consultable ici : https://www.youtube.com/watch?v=Pk_688RpL_g&t=2035s (consulté le 18/08/2019)
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d’aménager. Pour le second usage, les architectes ont choisi d’utiliser les dalles de façons plus poétiques, comme une succession de suspension pour la cafétéria. Il s’agit tout simplement de dalles suspendues à un fil. Cela permet de créer un filtre à la lumière et aux bruits, la cafétéria étant proche de la zone de travail. Ici, les matériaux sont plutôt utilisés comme des œuvres d’art ou du mobilier, donc les normes ne s’appliquent pas. Le second réemploi concerne les cloisons modulaires déjà présentes dans les bureaux. Elles se composent d’une structure métallique noire, d’une allège en placoplâtre blanches, et d’un vitrage transparent. Elles ont été utilisés afin de construire les espaces de reprographie et le sas sanitaires/entrée. A l’origine, ils devaient être réalisés avec les chutes de bois ayant servis à la fabrication des bureaux, mais cela ne rentrait pas dans le budget. Les architectes ont donc cherché une solution plus économique. De plus, les montants de ces cloisons présentaient une qualité esthétique selon les architectes, car ils sont en aluminium laqués noir et très fins. Ils recomposent ainsi deux boxes, en repeignant l’ensemble en noir, pour s’harmoniser avec le reste de l’espace. Une analyse économique a également été réalisée, puisque le budget était serré. Le prix de départ annoncé à 350€/m² est finalement monté à 400€/m². Cela est surtout dû aux prix pratiqués par l’entreprise de BTP (qui n’a pas été mise en concurrence). Malgré cette augmentation, ils ont pu réaliser une économie de 11% sur le coût total des travaux, et ont sauvés 25m3 de déchets.
Finalement ici, le réemploi a été envisagé comme une opportunité pour faire des économies. Les matériaux récupérés ne sont pas particulièrement intéressants utilisés dans leur domaine premier, mais les deviennent avec les concepteurs révèlent leurs « qualités tectoniques, spatiales et oniriques » (d’après les mots de Rémi Laporte). Le changement de destination a permis de réutiliser des matériaux destinés à être jetés, sans poser de problèmes normatifs. Cependant, les architectes se sont confrontés à l’avis des entreprises de construction, qui ont plusieurs fois refusé les mises en œuvre proposées, car ils les jugeaient trop dangereuses. Ces mêmes entreprises ont d’ailleurs vendu plus cher leur service car les mises en œuvre étaient inhabituelles, et ont allongé les temps de chantier à cause de nombreux désaccord
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Figure 8 L'analyse des coûts réalisés par l'équipe d'architecte
Figure 9 : Sur la gauche, la cafétéria aménagée en réemploi, Figure 10 : sur la droite, la mise en oeuvre des plaques de faux-plafond en habillage de murs.
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avec les architectes. Il est clair ici que la norme, même si elle n’est pas présente intrinsèquement, représente quand même un frein à la conception en réemploi. Les entreprises sont méfiantes quant à leur responsabilité lorsqu’elles sortent de leurs manières de faire habituelles, et de ce fait, refusent de suivre les demandes des concepteurs.
L’approche pragmatique semble être une approche plus efficace que celle de l’innovation présentée précédemment. En effet, le plus gros problème rencontré ici concerne la volonté et la capacité des entreprises à utiliser des matériaux issus de réemploi. Elles sont en effet souvent réticentes, ce qui peut être expliqué par leur difficulté à situer leur responsabilité dans un tel processus. Cette approche et celle de l’innovation souffrent d’une certaine façon de la difficulté à s’adapter aux normes en vigueur, et c’est de ce problème que partent les concepteurs évoqués dans la partie qui suit. Celle-ci s’intéressera aux acteurs qui font le choix de redéfinir les normes, et les adapter au réemploi, plutôt que de subir celles qui existent déjà.
c. Réécrire un nouveau cahier des charges : vers une approche critique du réemploi La troisième approche qui intéresse ce mémoire est celle dite « critique ». Il s’agit ici de redéfinir les codes de l’acte de construire afin de l’adapter au réemploi. Alors que les deux premiers exemples cherchaient à s’adapter aux normes et à faire avec, ici ce sont les normes qui sont amenées à évoluer pour s’adapter au réemploi des matériaux. Plusieurs acteurs du réemploi se sont intéressés à ces questions, et notamment Rotor et Bellastock.
Les « fiches-produits » chez Rotor/Opalis Chez Rotor, la redéfinition des normes est arrivée assez vite. Dès 2012, ils lancent Opalis, une plateforme qui provient d’études réalisées avec la Région Bruxelles-Capitale. Au-delà d’un recensement de tous les fournisseurs de matériaux
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de réemploi en Belgique (qu’ils ont pour la plupart rencontrés, pour comprendre comment ils fonctionnent), sur cette plateforme il est possible de trouver des « fichesproduits » de matériaux de réemploi. Par types de matériaux (« pavés, bordures, klinkers », « structure bois », « briques », …), ils ont référencé les produits les plus fréquents sur le marché, leur prix de revente approximatif, le traitement possible pour de tels matériaux, et les normes qui s’y appliquent. Par exemple, dans le cas de la brique, il est possible de lire qu’elle sera majoritairement utilisée comme brique décorative, non-portante, avec une définition précise de chaque type de brique (dimensions, aspects, fabrication à la main ou non, etc.). Au total, 6 normes s’appliquent aux briques de réemploi, tels que la NBNEN 1996-1-1 (Calcul des ouvrages en maçonnerie). Elles devront toujours être résistantes au gel, livrées déjà bien nettoyées (si revente), et au minimum à demi complètes. Enfin, on pourra lire que des briques faites main se revendent entre 0,30 et 0,60 €/pc HTVA, et que des briques de fabrication machinale se revendent entre 0,25 et 0,35 €/pc HTVA. [ANNEXE5] Ces fiches, accessibles par tous, permettent la définition d’une filière plus claire. Elles aident également les MOE et MOA pour savoir quels matériaux ils seront les plus à même de récupérer, ou ce qui se trouve déjà sur le marché pour leur projet. Cependant, ces fiches restent très pragmatiques : il n’est question que de l’usage « classique » des matériaux, et non d’une utilisation plus créative (dont on peut toutefois trouvés des exemples sur le même site). De même, le réemploi est ici envisagé du point de vue de la revente, plutôt que du point de vue environnementale. De ce fait, il est question de la légitimité des matériaux à être réemployés, dans l’optique d’être revendu, plutôt que dans leur légitimité à l’être pour réaliser des économies relatives à l’écologie.
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Le « Vade-Mecum57 pour le réemploi hors-site » par Rotor/Opalis En complément de l’offre de référencement citée juste avant, Rotor (dans le cadre d’Opalis) a réalisé un Vade-mecum s’adressant aux maîtres d’ouvrage. Le soustitre de ce document est le suivant : « Comment extraire les matériaux réutilisables de bâtiments publics ? », avec la description « Réduisez l'impact environnemental de vos chantiers sans surcoût en encourageant le réemploi avant ou pendant le marché public de travaux ». Il est destiné à rendre plus claires les démarches liées au réemploi de matériau, de l’inventaire, au démontage, à la revente, puis au réemploi effectif (hors-site). Ce vade-mecum est accompagné de documents-types techniques et juridiques, prêts à l’emploi, pour faciliter les démarches des entrepreneurs. Ces fiches permettent également, à leur échelle, de développer la filière de façon ordonnée. En effet, si elles commencent à être utilisées par tous, la démarche pourra gagner en légitimité, et s’inscrire dans les normes futures. C’est d’ailleurs dans ce sens que Rotor les mets à disposition de tout le monde. Selon Rotor, tout n’est pas bon à réemployer, et c’est ce qui est expliqué dans la première partie de ce document. A l’image du site Opalis qui rappelait quels éléments auraient une chance d’être achetés, il est question ici de définir ce qui aura de la valeur sur le marché pour les maitres d’ouvrage qui se séparent de leurs matériaux. La valeur écologique est mise en avant, mais c’est surtout la valeur monétaire qui fait foi. En tout cas, l’intérêt pour un matériau de réemploi dépend de 4 facteurs selon ce guide, que sont le facteur technique (est-ce facilement démontable ? va-t-il y avoir beaucoup de casse ?), le facteur temporel (dans combien de temps les matériaux vont-ils être démontés ? Intéresseront-ils encore un repreneur à ce moment-là ?), le facteur économique (ce matériau sera-t-il moins cher que du
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Rotor a édité un vade-mecum disponible à cette adresse : http://www.vademecumreuse.org/Vademecum_extraire_les_materiaux_reutilisables-Rotor.pdf, consulté le 03.11.2018. D’après la définition du CNRTL (Roux, Miellou, Géom., 1946, p. 254), le vade-mecum est un « recueil contenant des renseignements sur les règles d'un art ou d'une technique à observer ou sur une conduite à suivre et qu'on garde sur soi ou à portée de main pour le consulter. » Ici il est très spécifiquement axé sur le réemploi des matériaux et ses débouchés (don, vente, utilisation en marché public).
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neuf ?) et le facteur organisationnel (le temps de chantier est-il aménagé pour le réemploi ?). Le vade-mecum fait le distinguo entre 3 destinations : la vente, le don, et le marché public de services. Pour chacune des destinations, des fiches techniques sont référencées. Elles définissent comment préparer la vente/le don, la commencer, organiser les visites de bâtiment, préparer l’attribution de la vente/du don puis l’attribuer, et enfin contrôler l’exécution de la vente/du don. Chaque destination possède un exemple d’inventaire à réaliser, puis des documents techniques et des fiches à remplir pour chaque étape. Tout ce travail permet de faciliter le travail des différents intervenants (dans ce cas la MOA), et de rendre l’ensemble du processus de réemploi clair. Cela permet finalement de normaliser un processus, dans le but enfin de faire évoluer la norme dans le sens du réemploi. C’est l’idée que, puisque la norme n’est pas adaptée, il faut créer une nouvelle norme qui fera foi dans ce genre de cas.
Guides « La Fabrique du Clos » pour Maitrise d’ouvrage et maitrise d’œuvre, par Bellastock58 Alors que le document de Rotor était plutôt axé sur le devenir des matériaux récupérés, ces guides écrits par Bellastock se concentrent sur la façon dont il est possible de réemployer un matériau. Ici, il s’agit du béton, car cela a été réalisée en même temps que le chantier sur le Clos Saint-Lazare (étude de cas suivante). Il s’agit d’un retour d’expériences. Ils s’adaptent au public visé (maitrise d’œuvre, maitrise d’ouvrage ou habitant) : les explications sont plus techniques pour celui adressé à la maitrise d’œuvre. Le guide MOE s’intéresse plutôt à l’amont de la filière, à savoir le diagnostic ressource. Il propose une méthode pour faire efficacement ce diagnostic, et des exemples de fiches techniques pour la réalisation d’ouvrages en béton de réemploi.
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https://www.caissedesdepots.fr/sites/default/files/medias/lab_cdc/01-bs-oph93_closguide-moa.pdf, Guide maitrise d’ouvrage La Fabrique du Clos, BELLASTOCK et OPH93, consultable sur le site : https://www.caissedesdepots.fr/ , date de mise en ligne 26/09/2016, consulté le 16/08/2018
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Ces fiches comprennent les caractéristiques de la « première vie » du matériau, les exigences demandées pour être réemployés (dimensions mais aussi aspect mécanique), ainsi que les normes en vigueur pour l’emploi visé. Par exemple, pour utiliser une dalle béton en opus incertum, la norme NF P 98-335, relative à la mise en œuvre de chaussées urbaines, est invoquée. Des fiches de mises en œuvre sont également intégrées, afin de montrer comment l’ouvrage a été réalisé, ou comment il pourrait être reproduit. De nombreuses préconisations concernant la collecte sont également fournies (relevé visuel des éléments intéressants, marquage des éléments à réemployer, stockage). Ce qui est intéressant ici, c’est que les préconisations sont aussi données par des bureaux de contrôle, coordinateur SPS et CSTB. Cela permet d’amener un point de vue plus normatif à ce travail, qui à l’origine est réalisé par des architectes. Comme les travaux de Rotor, ces guides permettent de viabiliser la filière du réemploi. Bien qu’ils soient spécifiquement rédigés pour le réemploi du béton, ils ont vocation à être plus large, et proposent une méthode pour se tourner vers les matériaux de réemploi.
Finalement, le travail de Rotor et celui de Bellastock sont complémentaires. Alors que l’un se concentre sur la déconstruction puis la revente des matériaux, l’autre travaille avec des matériaux déjà déconstruits, et sur la façon dont ils pourraient être réemployés. Ils permettent ensemble de sortir une méthode qui pourrait être adaptée à tous types de projet de réemploi, et permettent la montée en compétence des entreprises qui s’y intéressent.
ETUDE DE CAS Le travail de Bellastock au Clos Saint-Lazare, Stains, 2016 Ce projet est à l’initiative d’OPH93, qui demande l’aménagement d’un espace public, dans un programme de rénovation urbaine proposée par l’ANRU. La question du réemploi est présente ici dès l’origine, puisque l’objectif est de mettre en place une filière locale du réemploi, et de montrer comment il est possible d’allonger le cycle de vie de la matière, tout en réalisant des gains économiques, sociaux et environnementaux. Il est question pour ce projet du réemploi de bétons uniquement, issus de la démolition des logements collectifs présents sur site (datant des années
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Figure 11 : En haut, le local Ă vĂŠlo et poubelle. Figure 12 : En bas, l'espace public et l'opus incertum.
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1960). Ces bâtiments ont l’avantage d’être très représentatifs de ce qui se faisait dans les années 60-70, et ainsi permet d’envisager une méthode reproductible. La demande était donc aussi de développer un mode opératoire technique qui s’appliquerait au réemploi des matériaux, avec définition d’une méthode, expérimentation, puis analyse des résultats. Il est d’ailleurs expliqué dans les documents de travail que cette recherche ne s’applique pas qu’au simple site d’étude, mais bien qu’il a une visée plus large en abordant des « points transversaux facilitant la prise en compte du réemploi sur l’ensemble des enjeux juridiques, assurantiels, environnementaux, économiques et sociaux. »59. Dans ce projet, 4 applications du réemploi de béton ont été réalisées. Pour chacune, des fiches explicatives ont été écrites par l’équipe de Bellastock, comprenant les exigences géométriques (épaisseur, poids, gabarits, etc.) et mécaniques (porosité, glissance, gélivité, etc.), les sollicitations subies par le matériau pour le domaine d’emploi concerné, les règlementations DTU et les règles de calcul qui s’appliquent au couple matériau/domaine d’emploi. La première est le réemploi de débris de voile béton en dallage opus incertum. Ces voiles font 8cm d’épaisseur et sont issus d’une des tours. Ils avaient été sélectionnés au préalable. La seconde concerne les planchers et murs convertis en muret de pierres sèches. Environ 15m3 ont été récupérés, en prenant soin d’éviter les morceaux ferraillés qui pourraient provoqués un éclatement dans le mur. La troisième a été utilisée pour le local poubelle et vélo. Ici, des murs de refends non ferraillés de 14cm d’épaisseur et des matériaux pour murs de refend banchés (sable et gravillons) ont été découpés en lamelle, puis superposés pour former des murs, comme avec des briques. Les mêmes matériaux ont été utilisés pour former des murs voiles porteurs et non-porteurs. Puisqu’il était question de tester la viabilité du réemploi, une étude économique approfondie a été réalisée. Ainsi, en opus incertum, le procédé classique
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Plaquette de communication : réemploi de matériaux in situ : comment concilier économie, écologie et utilité sociale, BELLASTOCK et OPH93, consultable sur le site : https://www.caissedesdepots.fr/sites/default/files/medias/lab_cdc/05-bs-oph93_clos-plaquettecommunication-cdc.pdf , date de mise en ligne 26 septembre 2016, consulté le 16/08/18, p.4
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aurait coûté 35,2€/m², alors que le réemploi a coûté 25,2€/m². Le muret en pierres a lui coûté 255,6€/m² en réemploi, alors qu’il aurait coûté 333,5€/m² en briques pleines neuves, mais seulement 163,5€/m² en parpaings neufs. [ANNEXE 6] Le réemploi n’est donc pas économique dans tous les cas de figure. Pour autant, malgré un besoin plus grand en main d’œuvre (ce qui était par ailleurs recherché pour créer de l’emploi), ils ont économisé 10€ par m² sur l’ensemble du projet grâce au réemploi.60 Le gain économique n’est donc jamais une donnée certaine. Le gain écologique par contre est toujours positif. Bellastock a observé que même pour les tâches qui semblaient très consommatrices en énergie (par exemple la transformation du béton en brique, qui a nécessité de scier et concasser), le bilan final est en faveur du remploi contre la production de matériaux neufs. Si ce projet est intéressant, c’est surtout dans sa démarche. Il a permis de définir des actions concrètes à suivre pour mettre en place une filière de réemploi dans un projet de commande public. Il permet aussi la montée en compétence des différents acteurs, puisqu’il offre des savoirs corroborés par des études de cas réels. Il peut également être utile comme exemples de ce qui est possible, auprès des MOA et des assureurs, qui sont parfois méfiants sur la question du réemploi. Cela permet enfin d’expliquer aux entreprises de construction comment ils peuvent agir dans le domaine du réemploi, sans avoir au préalable de compétence particulière.
L’approche critique évoquée semble ainsi nécessaire à l’extension du réemploi au-delà des projets manifestes. Il y a un réel besoin de trouver des normes adaptées au réemploi, et surtout de définir des démarches que tous les acteurs puissent suivre. Plus particulièrement, il semble essentiel que les acteurs sachent comment agir, quels sont leurs droits et comment ils peuvent intégrer du réemploi dans les projets, sans craindre d’être « hors-norme ». Les documents réalisés par Rotor et Bellastock sont donc essentiels, mais il serait encore plus efficace qu’ils deviennent eux-mêmes la
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https://www.caissedesdepots.fr/sites/default/files/medias/lab_cdc/01-bs-oph93_closguide-moa.pdf, Guide maitrise d’ouvrage La Fabrique du Clos, BELLASTOCK et OPH93, consultable sur le site : https://www.caissedesdepots.fr/ , date de mise en ligne 26/09/2016, consulté le 16/08/2018, p.46 et p.50
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norme. Il est entendu par-là que, à l’image des marquages CE et autres DTU, ces façons de faire s’intègrent aux « règles de l’art » de la profession. Le réemploi en soi présente cependant un intérêt moindre s’il n’est pas envisagé dans une économie circulaire, formant une boucle infinie. Dans ce sens, il faudrait permettre de réemployer les matériaux autant de fois que souhaité, et non pas une seule fois. C’est ce que propose d’étudier la partie suivante.
d. Construire pour mieux déconstruire : vers une approche intégrale du réemploi Avec l’approche intégrale, il est question d’envisager le réemploi comme une des étapes d’une dynamique plus large. Ici, les matériaux sont certes récupérés, mais ils sont surtout mis en œuvre pour pouvoir l’être facilement. C’est l’idée d’un schéma circulaire, qui, par définition, n’a pas de début ou de fin. Finalement c’est aussi sortir de la logique économique actuelle, où pour construire il faut produire de nouveaux matériaux, et repartir de zéro. Vers des architectures réversibles Pour qu’un bâtiment soit réversible et réemployable, le facteur de démontabilité est important. Sans cela, la plupart des matériaux continueront d’être abattu puis jeté, faute de pouvoir faire mieux dans le temps imparti. Pour être démontable, plusieurs recommandations sont faites, la majorité ayant été répertoriée par le site Bazed.fr61. Il est à noter que la plus grosse production de déchets dans le bâtiment provient du second-œuvre, et se sont souvent des déchets qui ne sont pas réutilisables (car collés, ou multicouches, etc.). Il est donc d’abord recommandé de
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http://www.bazed.fr/ est un site internet crée en 2012 suite à un appel à projet de R&D « Déchets du bâtiment » lancé par l’ADEME. On peut lire sur leur site internet que ce site « constitue la première initiative française d’aide globale à la conception de bâtiments pour réduire leur production de déchets à toutes les étapes de leur cycle de vie. » (http://www.bazed.fr/decouvrir-lademarche/demarche-bazed-financement-objectifs). Il propose entre autres des solutions techniques pour aider les maitres d’ouvrage et les concepteurs à construire des bâtiments plus durables, et concevoir des bâtiments « zero-déchets » (ni au moment de la construction, ni plus tard).
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réduire au maximum ces ajouts. Ensuite, bazed recommande de privilégier les mises en œuvre démontables. Cela passe aussi bien par l’utilisation de matériaux intrinsèquement démontables (donc monocouches, solides, indépendants…), que d’assemblages plutôt mécaniques (boulons, vis). Les assemblages collés ne sont pas démontables sans risque de casse important, et de plus polluent les matériaux utilisés et l’environnement en général. Il serait préférable de réduire le nombre d’assemblage, pour ne pas que cela représente une charge de travail trop grande pour les ouvriers, et donc un temps de chantier allongé. Les recommandations qui semblent les plus intéressantes pour ce travail concernent toutefois l’organisation de tels chantiers. En effet, il est plusieurs fois mis en avant que ce genre de déconstruction ne pourra pas être faite si elle n’est pas adaptée au travail manuel. De ce fait, il est recommandé de penser au séquençage lors de la déconstruction, et cela dès la conception du projet. Comment le projet pourrat-il être démonté, par quel endroit en premier, où seront stockés les matériaux ? Bellastock et Rotor l’ont montré, un chantier de déconstruction demande une organisation qui n’est pas évidente. Bien qu’il soit possible de démonter dans des lieux qui n’y sont pas adaptés, il est préférable d’avoir un lieu déjà pensé pour le faire. De même, Bazed recommande l’utilisation de « composants à taille humaine »62, qui puissent être manipulés par un ouvrier seul ou par de petites machines. Il faut cependant aussi prendre en compte que les grandes portées permettent de libérer l’espace, et de le rendre plus facilement adaptable aux nouveaux usages. De même, elles permettent souvent une économie de matière, que l’on ne retrouve pas sur une structure très serrée. Il n’est donc pas intéressant de se priver de cette aspect. Nous le verrons dans l’un des exemples à suivre, parfois la structure primaire n’est pas réemployable en soi, mais elle permet au reste de la construction de l’être. En tous les cas, ils recommandent de penser à la logistique du chantier de déconstruction, aussi bien en termes de confort de travail que de temps alloués aux différentes tâches.
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L’ensemble des recommandations http://www.bazed.fr/theme/demontabilite
peut
être
trouvé
à
cette
adresse :
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Il semble y avoir un lien très fort entre réemploi et architecture démontable. En effet, la seconde permet de faciliter la première. Pour autant, les projets construits à partir de matériaux de réemploi ne sont pas nécessairement démontables, figeant ainsi les matériaux dans leur seconde-vie. C’est cette problématique qui intéresse maintenant ce travail. Peut-on envisager de sortir du système de productionutilisation-démolition (le système actuel), pour entrer dans un système où l’on produit une fois pour toutes ? Dans ce sens, l’équipe de CANAL architecture a publié un document sur l’architecture réversible63. On peut y trouver des conseils pour construire des architectures qu’il serait possible de convertir par la suite. Il est par exemple question de réaliser des bâtiments aux dimensions compatibles à la fois avec le logement et à la fois avec le bureau. Cela peut certes être une réponse, mais il y a un risque d’arriver à des solutions standardisées qui ne seraient plus compatibles avec les usages futurs. Dans un sens, cela va à l’encontre du réemploi, qui est à priori illimité dans le temps : il sera toujours possible de faire quelque chose avec ces matériaux, de façons détournées. C’est d’ailleurs un des points de friction entre architecture réversible et réemploi, expliqué par Emile Moeneclaey dans son mémoire, qu’il démontre en ces termes : « Aujourd'hui, construire pour déconstruire réfère aisément à une architecture préfabriquée et très planifiée. Pour ce qui est de l'architecture de réemploi de matériaux, elle peut être considérée comme marginale, inadaptée et improvisée. Car tandis que l'une fait craindre l'architecture générique et banalisée, l'autre est facilement jugée comme hasardeuse. »64
Il est plus intéressant d’envisager que les deux aspects de la réversibilité (la démontabilité et l’adaptabilité) sont entièrement liés, et qu’ils permettent ensemble
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https://canal-architecture.com/sites/default/filesystem/files/publications/construirereversible-555/201704construirereversible.pdf , Construire Réversible, CANAL architecture et contributeurs extérieurs, consultable sur le site https://canal-architecture.com/, date de mise en ligne Avril 2017, consulté le 18/01/2019 64
MOENECLAEY Emile, Réemploi et adhocisme, démarche et devenir du réemploi des matériaux en architecture, Mémoire de recherche en Master d’Architecture, Domaine Matérialité, dirigé par A. Mastrorilli et R. Zarcone, ENSAPL, 2016-2017, p.42
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de rendre les bâtiments plus durables. Cela facilite à la fois le réemploi des matériaux qui peuvent l’être, mais également l’adaptation de l’ensemble du bâtiment à de nouveaux usages futurs. Il est en fait question du cycle de vie de l’architecture en général, plutôt que des éléments séparés les uns des autres. L’exemple qui va suivre entre dans ce schéma. Il évoque 2 échelles de réemploi. La première se fait à l’échelle du matériau, comme c’était le cas des projets précédents. Les matériaux utilisés proviennent en effet d’autres constructions. La seconde échelle est celle du bâtiment : il pourrait être réemployé en tant que tel pour autre chose, car le partitionnement intérieur est entièrement libre.
ETUDE DE CAS : Maison personnelle, Jean Prouvé, Nancy, 1954 Il s’agit ici de la maison de Jean Prouvé, qu’il a construit à partir de produits et matériaux issus d’autres bâtiments. Il l’évoque en ces termes : « […] n’ayant pas les moyens, [il fallait que] je construise avec des restes, car ma maison est construite avec des restes »65. A cette période, il est expulsé de son atelier par son actionnaire l’Aluminium Français, et sa situation financière est difficile66. Il doit donc construire une maison très économique. Jean Prouvé s’étant spécialisé dans la fabrication de bâtiments démontables, il a l’idée d’utiliser des parties des autres bâtiments qu’il a imaginés pour construire celle-ci. Il récupère ainsi une partie des rebus issus des habitats préfabriqués construits après-guerre, mais aussi des morceaux de prototypes qu’il avait alors conservés dans son atelier. De ce fait, tout n’est pas forcément du réemploi au sens premier du terme, puisque certains matériaux n’avaient jusqu’alors jamais été utilisés. Il explique durant un entretien qu’il utilisera des morceaux qui n’auraient de toutes façons pas pu être vendus : Comme je fabriquais à ce moment-là beaucoup de maisons pour les régions sinistrées […], il restait des panneaux, des poutres, qui sont un peu bosselées car la tôle que
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DA COSTA Isabelle, « Histoire d’une maison, le dernier entretien avec Jean Prouvé », AMC n°4, Juin 1984, p.58 66 NEUMANN Stan, La maison de Jean Prouvé, Paris, Centre national du cinéma et de l'image animée, 2014
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l’on recevait à ce moment-là, à la fin de la guerre, n’était pas de bonne qualité. Nous fabriquions tout cela en série. Je me suis dit que j’allais en tirer parti. 67
La maison est assemblée sur un flanc de colline à partir de morceaux très hétéroclites. Il récupère des structures métalliques provenant de son usine à Maxéville, des panneaux en aluminium à hublot d’une “maison tropicale” (construite à l’origine pour les colonies françaises en Afrique de l’Ouest), et des panneaux de bois (pour certains coulissants) issus d’autres constructions. Il utilise également une poutre dont l’origine reste inconnue. Il est possible de rapprocher ce projet de l’approche pragmatique évoquée en début de partie, puisqu’ici tout est fait pour être pratique, économique, et déplaçable. Ici, le choix des matériaux provient de différentes nécessités. La première nécessité était financière : il fallait trouver des matériaux peu chers, puisque la famille avait peu de moyens. La seconde était temporelle : il était impératif que la maison puisse être construite rapidement, puisque le déménagement de la famille était urgent. La dernière provenait du site : étant sur un flanc de colline, il n’était pas possible de faire venir des machines pour construire. De plus, le sol n’était pas propice à une construction lourde, puisque de mauvaise qualité : A ce moment-là, la voiture de ma femme était une Jeep, ce qui facilitait le transport des matériaux. Mais ce terrain est de très mauvaise qualité, une sorte d’éboulement. […] Dès que l’on creuse, on trouve du sable blond, inconsistant, et des cailloux, ce qui pouvait interdire de construire en matériaux lourds, à moins d’aller chercher le bon sol très loin, à vingt mètres. Nous avons donc décidé de faire une maison légère. 68
La maison est constituée d’une toiture en panneaux de bois contrecollés et arqués - supportés par un système de poutrelles et portiques et par l’armature métallique des placards - et de cloisons intérieures modulables. La structure est économe, et permet le changement en fonction des usages. Ainsi, même dans sa réalisation, la structure a été pensée pour être adaptable plus tard. En cela, cette
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DA COSTA Isabelle, « Histoire d’une maison, le dernier entretien avec Jean Prouvé », AMC n°4, Juin 1984, p.58 68 DA COSTA Isabelle, « Histoire d’une maison, le dernier entretien avec Jean Prouvé », AMC n°4, Juin 1984, p.54
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Figure 13 Vue intérieure de la maison de Jean Prouvé. Nous pouvons voir la poutre soutenant le plafond fait de panneux de bois contrecollés, ainsi que la façade vitrée prévue à l’origine pour l’industrie.
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maison s’inscrit dans une approche « intégrale » du réemploi. Cette volonté de flexibilité est forte dans le travail de Jean Prouvé, prônant une architecture qui ne peut pas s’imposer à la nature éternellement, et qui est donc amené à devoir être démontée un jour. Ici, nous retrouvons l’idée d’une architecture qui soit adaptable dans le temps, comme dans les recommandations de CANAL Architecture. Ainsi, le bâtiment dans sa totalité peut être réutilisé pour un autre usage, tel quel, ou bien être réutilisé par morceaux dans différents projets. Cela évoque donc 2 aspects du réemploi, à différentes échelles. Alors que l’ensemble du mémoire évoquait la question du réemploi des matériaux, cette étude de cas permet de regarder un peu plus loin, pour imaginer un réemploi des bâtiments. A l’échelle de ces composants, cette maison s’inscrit tout de même dans une logique de réemploi des matériaux, puisqu’individuellement ils peuvent être démontés puis réutilisés ailleurs. C’est d’ailleurs ce qui a déjà été le cas pour la majorité d’entre eux, qui avaient été montés sur d’autres projets avant d’arriver dans cette maison. Il est intéressant de noter que, bien que les différents matériaux utilisés avaient été fabriqués pour un usage précis, dans un contexte précis, ils sont utilisés ici de façon très empiriques. En effet, l’ensemble du projet est « inventé » directement sur place. Jean Prouvé dit « tout ce que je vous explique n’a pas été dessiné ; c’est venu à l’observation »69. Cela s’oppose à ce pour quoi ils ont été conçus à l’origine : la préfabrication en atelier. Il montre ainsi le potentiel d’adaptation des matériaux, même lorsqu’ils ont été pensés pour un usage spécifique. Cela peut faire écho aux propos d’Emile Moeneclaey évoqué précédemment : l’architecture « générique et banalisée » s’adapte ici à un projet qui n’est justement pas générique. Concernant la flexibilité induite par la mise en œuvre de ce bâtiment, Prouvé avait d’ailleurs conçu la maison « pour une durée de vie de dix ans »70. Ainsi, les assemblages sont pensés pour être facilement démontable, afin de quitter la maison le moment venu, sans l’abandonner sur son site. En amont de la construction, durant
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DA COSTA Isabelle, « Histoire d’une maison, le dernier entretien avec Jean Prouvé », AMC n°4, Juin 1984, p.59 70 BRADBURY Dominic, The Iconic House : Architectural Masterworks since 1900, Londres, Thames & Hudson, 2009, traduit de l’anglais sous le titre Maison Cultes : trésors de l’architecture depuis 1900, Marseille, Editions Parenthèses, 2018, p.147
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leur fabrication, les éléments avaient été pensés pour être manipulé par des ouvriers, de façon très rapide. Ils sont donc à la fois facilement manipulables (légers, de dimensions assez faibles), à la fois facilement mis en œuvre, et à la fois démontables. Les assemblages sont ainsi réalisés mécaniquement, à partir de boulonnage en grande partie.71 L’ensemble sera laissé visible, ce qui permet d’y avoir accès facilement lors de la déconstruction par exemple. La structure primaire est ici en acier, puis le reste, qui n’est pas nécessaire à la structure (que l’on peut donc associer au second-œuvre) est accroché dessus, par des systèmes d’agrafes ou d’équerres boulonnées. Lors de la déconstruction, les panneaux de bois et la structure en portique d’acier pourront être récupérés tels qu’ils ont été mis en œuvre à l’origine. Il faut cependant nuancer ce propos, puisque la chape de béton qui a été coulée pour réaliser le sol n’entre pas dans cette idée de réversibilité. Elle va même à l’encontre de ce principe. Celle-ci est coulée par-dessus chaque « portique » créé, ce qui les rend plus difficile à démonter plus tard [ANNEXE 7]. Ce choix a peut-être été lié à une nécessité induite par le terrain, mais n’est pas explicitée par Prouvé. Sur ce point, il est possible de comprendre que Prouvé ne recherchait pas avant tout à faire un bâtiment entièrement démontable, mais bien à faire au plus pragmatique pour les besoins du moment. Pour autant, le reste de la construction profite d’un désassemblage facilité et de flexibilité. Ces mises en œuvre étaient nécessaires, puisque la maison a été rapide à monter (entièrement construite en 2 mois), par des ouvriers de façons manuels. Les machines ne pouvaient de toutes façons pas accéder au terrain, trop en pente. On retrouve également ici l’idée d’une mise en valeur du savoir-faire des ouvriers, et de la nécessité d’avoir plus de main d’œuvre pour ce genre de construction. Cette maison implique donc les deux notions liées à la réversibilité, à savoir la démontabilité et l’adaptabilité, tout en utilisant des matériaux issus du réemploi. Ces derniers ont donc une seconde vie, et sont voués à en avoir d’autres plus tard, par leur facilité à être désassemblés.
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DA COSTA Isabelle, « Histoire d’une maison, le dernier entretien avec Jean Prouvé », AMC n°4, Juin 1984, p.59
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Bien que cet exemple utilise des matériaux issus du réemploi, il pose la question de l’industrialisation d’une telle pratique. Puisque les matériaux ont justement été conçus pour être démontable et utilisés ailleurs, ils sont conçus comme des produits. De ce fait, il n’est pas possible de les désassembler et de les utiliser de façon complètement dissociés. A l’inverse d’un mur en brique par exemple, dont on récupère chaque module, et qui peut servir à différents endroits et de différentes façons, ici le mur est un panneau composite, dont on récupère le panneau dans sa totalité, et non plus matériau par matériau. Cela rend donc difficile la création d’un gisement, puisqu’on ne peut pas récupérer ce produit dans divers endroits et en grande quantité, comme ce serait le cas de la brique. De nouveau, cela renvoie aux interrogations d’Emile Moeneclaey : si pousser le réemploi jusqu’à l’approche intégrale semble être la suite logique pour des constructions plus durables, cela interroge sur l’industrialisation des matériaux de réemploi, et sur leur compatibilité avec des bâtiments réversibles dans leur conception.
Pour conclure, nous voyons ici que le réemploi est effectivement possible, et qu’il est même pratiqué depuis longtemps par certains concepteurs. Chacune des approches abordées apportent sa contribution à l’expansion du réemploi. Toutefois, il est encore nécessaire de faire bouger les choses, et pour cela, Rotor et Bellastock (entre autres) font un travail important. En effet, sans aménagement des normes et sans méthode commune, le réemploi aura du mal à se démocratiser. Montrer qu’il est possible de faire du réemploi, grâce à des documents-types et des fiches de bonnes pratiques permet en tout cas aux concepteurs de se positionner pour le réemploi, et d’apporter déjà quelques réponses aux maitres d’ouvrages, assureurs et constructeurs qui seraient septiques. Nous verrons dans la dernière partie à quel futur est voué le réemploi, et si les normes vont changer d’ici les années à venir. Nous verrons quelle place prendra l’économie circulaire dans la construction, et si des améliorations sont à venir.
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PARTIE III
EVOLUTION : Quel futur pour le réemploi ?
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Cette dernière partie s’interroge sur le futur du réemploi, et plus particulièrement sur les mesures qui pourraient aider l’expansion de celui-ci. En effet, plusieurs évolutions dans les règlementations semblent être propices au réemploi. Ils donnent l’impression qu’un nouveau paradigme se prépare, puisque les principes d’économie circulaire et de diagnostic déchets vont prendre de plus en plus de place. Pour autant, qu’en est-il vraiment ? Cela permettra de montrer qu’effectivement les normes vont commencer à intégrer la notion de réemploi, mais qu’il reste cependant un problème de taille en France : l’absence de filière. Pour le moment, il reste très difficile de se fournir en matériaux de réemploi, certaines régions étant complètement dépourvues de lieux attitrés. La première partie s’intéressera au « permis d’expérimenter », un décret récent qui semble aller dans le sens des matériaux de réemploi.
a. Le « permis d’expérimenter », bénéfique aux matériaux de réemploi ? Le « permis d’expérimenter » est un décret publié en 2018 qui permet aux maitre d’ouvrage de déroger à certaines règles de construction, dans le but de « contribuer à l’amélioration du cadre de vie ». Ce permis semblait une aubaine pour les matériaux de réemploi, qui pourraient être utilisés, bien que considérés comme hors-norme. Toutefois, le permis d’expérimenter, ne semble finalement pas répondre à toutes les exigences, c’est ce qui sera abordé ici. Principe des permis de faire et permis d’expérimenter Depuis 2016, deux nouveaux décrets ont fait mention du réemploi de matériaux dans la construction. Le premier, le « permis de faire », provient d’un décret de l’article 88 de la loi du 7 juillet 2016, relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP)72. Il prévoit à l’origine, pour une durée de 7 ans, la possibilité pour des personnes publiques (et uniquement pour elles) de déroger à certaines règles de construction (à savoir les règles de sécurité incendie et d’accessibilité), sur
72
A retrouver sur le site https://www.legifrance.gouv.fr/, https://tinyurl.com/y5y4sujz (consulté le 01.03.2019)
via
le
lien :
74
des projets d’équipements publics ou de logements sociaux. Il faut toutefois que le projet atteigne tout de même les objectifs fixés par ces règles, bien que cela puisse être réalisé différemment. Avant sa publication, les professionnels de la construction y voyaient une possibilité nouvelle pour les matériaux de réemploi, puisqu’ils sont considérés comme « innovants ». Toutefois, les textes finalement entrés en vigueur ne font aucunement mention des matériaux de réemploi, et ne concernent qu’un champ réduit de projet. Il est ensuite précédé du « permis d’expérimenter », lui-même issu des premiers retours sur le « permis de faire », qui du même fait, annule le premier texte. Il provient de l’article 49 de la loi d’août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (loi ESSOC)73. Ce décret publié le 30 octobre 2018 est envisagé afin de revoir les règles de la construction, qui sont devenues très complexes et qui empêchent, selon de nombreux professionnels, l’innovation dans la construction. Comme le permis de faire, il permet de déroger à certaines règles de construction, mais il est ouvert à un plus grand public. Ils portent sur 9 domaines de la construction, dont la sécurité incendie, la performance énergétique, mais surtout, en dernier point, sur les « matériaux et leur réemploi »74. Il semblait donc une innovation dans ce domaine. Il ne s’applique que pour déroger aux « obligations de moyens », et non pas « aux performances ou résultats », c’est-à-dire plus simplement pour déroger à l’obligation d’utiliser un produit en particulier (une largeur de portes spécifiques, un système de ventilation en particulier…). Mise en œuvre de ce permis Ce permis ne peut être délivré que si deux conditions sont réunies. D’une part, il faut prouver l’obtention de résultats équivalents à la règle dérogée, bien que les moyens mis en œuvre soient différent. D’autre part, il faut que les moyens choisis soient « innovants ». Le réemploi étant aujourd’hui considéré comme un procédé « innovant », il pourrait être envisagé dans ce contexte. Pour obtenir ce permis, le
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A retrouver sur le site https://www.legifrance.gouv.fr/, via le https://tinyurl.com/yxrp8vkq (consulté le 26.03.2019) 74 https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2019/3/11/LOGL1834278D/jo/texte/fr
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maitre d’ouvrage doit faire appel à des organismes indépendants désignés (d’après les 9 domaines) par décret, avant même de déposer la demande, pour qu’ils contrôlent le procédé. Il délivrera alors une attestation mentionnant que les objectifs sont atteints, mais aussi que la mise en œuvre ne s’oppose pas aux conditions de maintenance et de sécurité du bâtiment. Ces organismes doivent être assurés, ce qui semble laisser entendre qu’ils peuvent être mis en cause en cas de non-conformité ou de problèmes survenant plus tard. Durant le chantier, un contrôleur doit également être présent afin de s’assurer que la mise en œuvre correspond aux moyens évoqués, et en atteste lorsque le chantier se termine. Si toutefois le contrôleur décide que les travaux ne sont pas conformes, alors la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux n’est pas délivrée. La direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et du Patrimoine (DHUP) a également rédigé un guide75 à l’usage des maîtres d’ouvrage, afin d’expliquer les démarches à suivre dans le cadre de ce permis. Il récapitule les différentes ordonnances et leur contenu. Bien qu’il semble s’appliquer aux matériaux issus de réemploi (notamment pour leur caractère « innovant »), ce procédé n’est pas la solution idéale. Des limites importantes au réemploi Comme rappelé par l’ADEME et Maître Elisabeth Gelot dans l’article sur le permis d’expérimenter76, les freins réglementaires au réemploi concernent surtout l’assurance (garantie biennale et décennale mal comprises), mais également le statut de déchets (donc la responsabilité des acteurs). Le permis d’expérimenter ne fait pas mention de ces freins, mais bien des matériaux en eux-mêmes, et surtout « des règles de construction » qui y sont rattachés. Elisabeth Gelot appuie son propos sur ces termes : les matériaux de réemploi ne sont en fait soumis à aucune règle de
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http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/guide_essoc_1_mars_2019.pdf (consulté le 26.04.2019) 76 http://materiauxreemploi.com/permis-experimenter-regles-deroger-elisabeth-gelot/ (consulté le 25.04.2109)
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construction, puisque les seules règles qui s’y appliquent concernent le réemploi en général, c’est-à-dire hors du cadre restreint de la construction. Les règles de construction ne concernent pour le moment que les matériaux neufs. Les matériaux de réemploi en tant que tels ne sont donc pas concernés. Pour le domaine « des matériaux et de leur réemploi », l’objectif à atteindre est le suivant : « En ce qui concerne la gestion de matériaux et de déchets issus de la démolition de bâtiments, le maître d'ouvrage, responsable de ces déchets, est tenu de s'assurer du réemploi des matériaux ou de la bonne gestion des déchets issus de la démolition de bâtiments. »77
Il semble donc qu’il serait plutôt possible de déroger au réemploi des matériaux en soi (à conditions de trouver un autre « bonne gestion » des déchets), plus qu’à utiliser le réemploi comme un procédé pour déroger à d’autres règles. Toutefois, les règles s’appliquant aux « performances énergétiques et environnementales » pourraient être une piste pour l’utilisation de matériaux de réemploi. En effet, il est précisé que : « En ce qui concerne la performance énergétique et environnementale, les bâtiments ainsi que leurs installations de chauffage, de refroidissement, de production d'eau chaude sanitaire, d'éclairage et d'aération sont conçus et construits de manière à ce que la consommation d'énergie requise pour une utilisation normale reste la plus basse possible. Ils doivent assurer à leurs occupants des conditions de confort suffisantes et des conditions de santé à un niveau équivalent à celui que permettent d'atteindre les règles de droit commun »78
Il n’y a donc plus de restrictions concernant les moyens mis en place. De ce fait, les matériaux de réemploi pourraient être utilisés comme les autres matériaux (marqués CE par exemple), tant qu’ils atteignent les « conditions de confort suffisantes ». Cela pose toutefois une question importante : les matériaux de réemploi sont-ils capables d’atteindre ces conditions, ou bien ces conditions favorisent-elles les matériaux et produits innovants dans leurs attentes ?
77 78
Article 4 du décret Décret n° 2019-184 du 11 mars 2019 Ibid.
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A terme, la logique de performance plutôt que de moyens Il faut enfin noter que cette ordonnance n’est valable que pour une durée d’un an, après laquelle elle sera remplacée par une autre. L’ordonnance à venir pour le 10 février 2020 de l’article 49 de la loi ESSOC pérennisera en effet la possibilité de déroger aux règles de construction, en autorisant ainsi l’objectif de performance plutôt que celui de moyens. A partir de ce moment, les maitres d’ouvrage pourront, de plein droit, faire appel à des innovations, tant qu’ils atteignent les mêmes objectifs. Les moyens deviendront alors optionnels, et seront plutôt des recommandations. D’après le guide « Essoc I », « cette seconde ordonnance propose une rédaction des règles de construction en objectifs généraux et résultats minimaux à atteindre, et non plus en obligations de moyens. » Ainsi, s’il est effectif que les matériaux de réemploi peuvent être utilisés dans ce cadre, cette nouvelle ordonnance pourrait largement faciliter son déploiement. En effet, les certifications telles que l’ATEx seraient ainsi obsolètes, de même que les difficultés administratives qui y étaient liées. Cela pose tout de même question, puisqu’il semblerait qu’il sera toujours question de faire vérifier les performances par un organisme indépendant. Cela pourrait rester une démarche longue et couteuse pour les maitres d’ouvrage. En tout cas, cela pourra peut-être instaurer un climat de confiance avec les assurances, qui n’auront plus de raisons d’éviter les matériaux non normés. Il reste encore à savoir quel niveau de performance devra être atteint, et si les matériaux de réemploi seront aptes à les atteindre. Ainsi le « permis d’expérimenter » ne semble pas la solution idéale au réemploi, puisqu’il n’est pas vraiment mentionné, mais reste une opportunité à saisir pour les maitres d’ouvrage désireux d’innover avec le réemploi. Ce permis pourrait tout de même simplifier les démarches, et donc s’appliquer à un plus grand nombre de projet que l’ATEx. Il est de plus intéressant que dans ce texte, la possibilité de réemploi ne soit pas cantonné à la section « réemploi ». En d’autres termes, laisser le champ libre à des approches innovantes dans tous les domaines laissent de fait le champ libre au réemploi, ce qui peut permettre de le sortir du cadre strict dans lequel il est aujourd’hui. Si les démarches se simplifient, il est possible d’imaginer que les maitre d’ouvrage et maitre d’œuvre auront de moins en moins de réticence à utiliser
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des matériaux de réemploi. Les questions de responsabilité et de statut de déchets restent
toutefois
encore
problématiques,
cette
démarche
du
« permis
d’expérimenter » gagnerait donc à être reliées à d’autres changements dans la réglementation.
Si le « permis d’expérimenter » n’est pas infaillible seul, d’autres normes à venir se présentent comme « facilitatrices » de l’utilisation de matériaux de réemploi, et pourraient accompagner ce changement. En particulier, les futures RT sont amenées à intégrer la notion d’économie circulaire, et donc de réemploi. En plus de cette nouvelle RT, les Labels Economie Circulaire et la Norme XP X30-901 font mention du concept de réemploi, puisqu’il pourrait être une solution viable de l’économie circulaire. C’est l’objet de la partie à venir.
b. Les règlementations sont amenées à évoluer L’économie circulaire semble devenir une préoccupation de plus en plus importante en France. Le Ministère de la transition écologique et solidaire s’est d’ailleurs engagé dans ce sens. Si elle est en effet devenue une priorité, qu’en est-il dans la construction, plus gros producteur de déchets en France ? Label Economie Circulaire : une commande publique exemplaire ? Depuis 2018, et avec la feuille de route de l’économie circulaire du ministère de la Transition écologique et solidaire79, publiée le 7 février 2019, la question d’une commande publique engagée est ressortie. Ainsi, l’Etat s’engage à mettre en avant l’économie circulaire dans toutes ses sphères. D’après Greg Azemar, membre du CD2E interrogé lors d’un entretien téléphonique [ANNEXE 8], un projet serait en cours afin d’intégrer la question de l’économie circulaire dans les critères d’évaluation des projets de concours pour les commandes publiques. Ainsi, pour gagner, les candidats
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https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Feuille-de-route-Economiecirculaire-50-mesures-pour-economie-100-circulaire.pdf (consulté le 15.02.2019)
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seraient obligés à prendre en compte la question du cycle de vie du bâtiment, et de l’utilisation consciente des ressources. Toutefois, bien qu’il y ait des recommandations spécifiques aux acteurs publics, il n’est jamais fait mention des constructions de bâtiments publics dans cette feuille de route. La sphère de la construction et du BTP en général semble oubliée. Il s’agit toujours d’obligations ponctuelles et personnelles (utiliser des papiers recyclés, utiliser des téléphones issus du réemploi…), mais jamais à l’échelle de la construction. De ce fait, il semble que le domaine du BTP ne soit pas une priorité, alors que l’on sait aujourd’hui qu’il produit à lui seul la majorité des déchets français. Dans cette feuille de route, il est tout de même fait mention des déchets issus de la construction. L’objectif de l’économie circulaire dans le BTP est évoqué en ces termes : « L’horizon d’une approche pleinement circulaire pour ce secteur est de faire du parc des bâtiments la banque de matériaux des constructions futures » (p.29 de ce document). Il est donc explicitement fait mention du réemploi futurs des bâtiments et de leurs composants. Pour cela, plusieurs points sont abordés, dont la question du diagnostic déchets. Il est obligatoire depuis 2011, mais ne met pas en avant les notions de réemploi. Il est ainsi évoqué que ce diagnostic sera amené à évoluer, pour plutôt viser une logique d’inventaire en vue du réemploi. Cela va donc dans le sens des recommandations faites par Rotor et Bellastock, qui réalisent déjà ce genre de démarches. Jusqu’à présent, aucune obligation légale de réemployer n’était formulée, et les différents acteurs du bâtiment privilégié plutôt le recyclage ou l’enfouissement. Le recyclage ne représente cependant que 32,1% de la valorisation des déchets inertes, contre 20,8% pour la déchetterie et 25,5% pour la remise à un collecteur. 80 Il est question dans ce sens de « former les maitres d’ouvrage » (p.30) et « renforcer les compétences et la professionnalisation des acteurs » (p.30) en ce qui concerne la valorisation des déchets. Toutefois, il n’est pas fait mention des moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs, cela pose donc question sur la réalité du dispositif. Il est
80https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/dechets_chiffres_cles_essenti
el2018_010690.pdf, Déchets, chiffre-clés : l’essentiel 2018, ADEME, consultable sur le site https://www.ademe.fr/, mis en ligne en Mars 2019, consulté le 4/04/2019
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en effet essentiel de former les différents acteurs, mais dans quel cadre cela sera-t-il fait ? est-ce qu’il s’agira d’une formation obligatoire ou facultative ? Les différents travaux déjà réalisés (par l’ADEME, par Bellastock) seront-ils utilisés comme base pour ce travail ? En effet, il est mentionné la réalisation de guides, mais sans jamais évoqués ceux qui existent déjà, et qui ont été approuvé sur le terrain par des acteurs reconnus. Il est d’ailleurs nécessaire de prendre en compte que si les normes ne mettent pas le réemploi au cœur de leurs préoccupations, il ne gagnera pas en légitimité. Ainsi, lorsque le guide évoque « une banque de matériaux des constructions futures », il devrait être précisément explicité comment cela va être mis en place. Cette question sera abordée plus tard, mais la filière est ici très importante, et cela sera difficilement mis en place si les acteurs de la construction et l’Etat ne sont pas formés à ces questions. Pour rebondir sur le réemploi des matériaux, il est écrit que le statut de déchet sera simplifié pour faciliter les opérations de réemploi. Cependant, le réemploi implique justement que le matériau ne soit jamais devenu un déchet, donc il n’est pas concerné directement par cette norme. Cela pourrait être bénéfique pour la réutilisation, mais il est nécessaire d’en savoir plus sur les conditions d’exécutions, ce qui n’est pas encore évoqué dans ce document. Globalement, ce document fait finalement assez peu mention de ce qu’il en est pour le secteur du BTP. C’est un problème assez récurrent dans les règlementations françaises : le réemploi est encore souvent abordé pour les objets du quotidien, mais assez peu spécifiquement dans la construction. Cela pose problème lorsqu’il s’agit de comprendre les droits des acteurs du BTP, puisque le réemploi n’entre dans aucune catégorie. Il n’est pas régi par des règles de l’art de la construction, ni par des normes particulières.
Norme XP X30-901 : finalement une norme pour le réemploi ? La norme XP X30-901 concerne l’économie circulaire, pas uniquement dans le bâtiment, mais plus généralement dans le système économique français. Elle a été publiée le 15 octobre 2018, d’après l’initiative d’une cinquantaine d’organisations
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françaises81. Cette norme est de type « volontaire », c’est-à-dire qu’elle est issue de la collaboration entre professionnels et utilisateurs, et que son application n’est jamais obligatoire. Il s’agit de mettre en place un mode opératoire qui pourrait être suivi par n’importe quelle organisation afin de s’insérer dans l’économie circulaire, et ainsi sortir du schéma classique linéaire. Elle permet également de reconnaître les projets qui s’inscrivent dans ce genre de démarches, et éventuellement d’en ressortir des conclusions pour le développement de cette économie. Cette norme est accompagnée par l’AFNOR, et elle est considérée comme une « première mondiale ». D’après les paroles de l’AFNOR, cette norme met en place une « méthode ouverte et non limitative pour toute organisation, afin qu’elle puisse agir à sa manière, à son rythme et potentiellement à l’échelle d’un territoire ». Elle a, à l’origine, pour objectif de « repenser les modes de production et de consommation » français, sans qu’il soit expliqué plus en détail dans quelle mesure. En tout cas, elle devrait permettre des expérimentations à différentes échelles (celle de la ville, du territoire, d’une entreprise). Cette norme étant encore en construction, il n’est pas évident d’en savoir plus sur le champ d’application. Elle aura tout de même un impact international, puisqu’elle est utilisée comme base par l’Organisation internationale de normalisation (ISO). D’après Greg Azemar, la norme XP X30-901 permet d’évaluer la pertinence d’un projet vis-à-vis des 7 piliers de l’économie circulaire défendu par l’ADEME (l’approvisionnement durable, l’écoconception, l’écologie industrielle et territoriale, l’économie de la fonctionnalité, la consommation responsable, l’allongement de la durée d’usage, le recyclage). Au moins 4 de ces piliers touchent directement le réemploi, quand les 3 autres ont un lien plus distants. En tout cas, il est très probable qu’une telle norme soit appliquée à des procédés de réemploi, qui entrent dans la majorité des principes de l’économie circulaire.
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Dans les communiqués autour de cette norme, les « organisations » ne sont jamais nommées, ce qui ne permet pas de savoir qui en est vraiment à l’origine. Toutefois, il s’agirait « d’entreprises, instituts de recherche, associations de consommateurs, évaluateurs, régions ». Cela aurait toutefois été intéressant, permettant de comprendre s’il y a sous cette norme, une question d’intérêt économique par exemple.
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Il serait par exemple possible de créer un « cahier des charges » dirigé vers l’économie circulaire, afin de montrer comment intégrer le réemploi dans les projets. Cependant, cette norme gagnerait sûrement à être spécifique, plutôt qu’être une « méthode ouverte ». En effet, cela peut-être à double tranchant : d’une part cela laisse la place à tout, donc éventuellement au réemploi, mais d’autre part, cela n’oblige pas un moyen en particulier. Ainsi, le recyclage pourrait encore être privilégié, le réemploi n’étant pas bien compris par tous.
RT2020 : cycle de vie et bilan carbone Lors de la journée étude ayant eu lieu à Grenoble, un représentant du CSTB82 s’est exprimé sur la Réglementation Thermique à venir (RT2020). Il explique que celleci fera mention du cycle de vie et du bilan carbone, ce qui n’était pas le cas de la RT précédente, très axée sur les aspects thermiques. Elle sera tournée vers des objectifs de performances, et non de moyens, comme c’est le cas dans le « permis d’expérimenter ». La RT 2012 était, elle, tournée vers des objectifs de moyens, c’està-dire vers des obligations liées à des produits spécifiques. En lien avec cette nouvelle règlementation, le représentant du CSTB exprime que d’ici fin 2019, l’analyse du cycle de vie des bâtiments neufs deviendra obligatoire. L’analyse du cycle de vie correspond à l’analyse de l’impact environnemental de toutes les étapes de la vie d’un bâtiment, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie et donc la valorisation du bâtiment. Cela passe donc par l’énergie utilisée pour fabriquer un produit/matériau à partir des matières premières, puis la mise en œuvre du bâtiment, son utilisation, et enfin sa fin de vie (démolition, déconstruction, recyclage…). La provenance et donc le transport des matériaux sont également pris en compte, puisqu’ils contribuent à créer de l’énergie grise 83. Le bilan
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Il n’a pas donné son nom lors de l’intervention. En anglais, « embodied energy », soit l’énergie intégrée au matériau. Il s’agit de toute l’énergie qui a été nécessaire à la vie d’un produit, de l’extraction des matières premières jusqu’à son traitement en fin de vie. Dans le cadre d’un bâtiment, il s’agit de la somme de toutes les énergies grises de chaque matériau, mais également de la consommation inhérente au bâtiment en lui-même, de son entretien et de sa fin de vie. 83
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carbone d’un bâtiment correspond quant à lui à l’émission de gaz à effet de serre qu’il produit, depuis sa construction jusqu’à sa fin de vie. Il ne s’agit donc pas simplement d’une analyse de l’énergie consommée au sein du bâtiment durant son utilisation (donc qualité d’isolation, de chauffage, d’éclairage etc.), mais aussi de l’énergie produite lors de sa démolition. Pour calculer le bilan carbone, il faut donc prévoir une fin de vie au bâtiment, et savoir précisément s’il sera démoli, recyclé, réemployé. De ce fait, il est possible d’imaginer que le bilan carbone rendra le diagnostic déchets d’autant plus important, et donc mieux pratiqué par les différents acteurs. Pour un bilan carbone positif, le réemploi est en première position pour réduire les effets de serre, puisqu’aucune énergie ou presque n’est produite pour détruire ces matériaux puis les réutiliser ailleurs. Il reste toujours l’énergie produite par le transport si réemploi hors-site, et l’énergie utilisée pour traiter la matière (la découper, la transformer, la reconditionner, etc.), mais cela est moindre comparée à une démolition par exemple. Pourtant, la RT2020 semble dans un sens être difficilement applicables aux matériaux de réemploi. En effet, l’objectif de cette nouvelle réglementation est que tous les bâtiments neufs atteignent un niveau BEPOS (Bâtiment à Energie Positive), donc qu’ils produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Bien que la RT2020 n’impose aucun moyen pour atteindre ces objectifs, il y a un risque, comme c’est le cas de la RT2012, de devoir utiliser des produits très technologiques ou très performants. De ce point de vue, les matériaux de réemploi ne sont pas concernés, et entrent difficilement dans le processus.
Finalement, les réglementations à venir semblent s’intéresser effectivement au réemploi, mais lorsque l’on rentre dans le détail, elles n’en font pas un outil majeur. Souvent, le réemploi est seulement évoqué, et plutôt pour les produits du quotidien, pas pour la construction. Il reste encore assez flou, même dans ces textes. Le fait de ne pas le mettre en avant comme une solution intéressante ne permet pas de pousser son déploiement, ni même simplement sa lisibilité auprès des acteurs. Toutefois, il est déjà intéressant de voir une certaine volonté à faire connaître le terme de réemploi, et son usage possible.
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c. L’absence de filière, un problème majeur pour l’expansion du réemploi en France Après avoir compris comment les normes prescrivent l’utilisation de matériaux de réemploi, et comment elles sont amenées à évoluer, il est intéressant de se questionner sur la réalité tangible de ces matériaux. En effet, au-delà de la difficulté à être dans les normes, le réemploi souffre également d’un problème de filière. Celle-ci n’existe pas encore en France, ce qui empêche les acteurs de trouver des lieux ressources du réemploi. Il s’agit de mettre en avant qu’en parallèle de l’évolution des normes, il est forcément nécessaire de faire évoluer l’offre. Surtout, il faut rendre l’identification de lieux-ressource plus simples pour les différents acteurs, et de façon plus organisée. L’offre en matériaux de réemploi n’est pas développée Malgré les normes et leur évolution, il existe encore un autre point qui pose aujourd’hui problème. L’ADEME l’avait soulevé dans son rapport Freins et Leviers84, il existe un écart significatif entre l’offre et la demande en ce qui concerne les matériaux de réemploi. Cela est dû à plusieurs facteurs, qui ensemble rendent difficiles le réemploi. Premièrement, le marché du réemploi est peu développé, et ainsi, il ne permet pas aux acteurs d’avoir une offre suffisante. D’après les revendeurs, la demande est faible du côté des maitres d’ouvrage, et le réemploi se développe plutôt chez les particuliers. Cela est dû aux difficultés vues précédemment : puisque les maîtres d’ouvrage ne sont pas certains de leurs devoirs concernant le réemploi, ils ne s’y intéressent pas. Ils n’ont pas non plus les compétences pour l’envisager, comme le rappelle l’ADEME. Les retours d’expériences ne sont pas partagés assez globalement pour être reconnus, et donc, il reste difficile pour un maitre d’ouvrage d’envisager ce qu’il pourrait faire de matériaux réemployés. L’ADEME rappelle toutefois qu’il ne suffit pas de développer l’offre, mais il est nécessaire en parallèle de « mettre en place
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RDC Environment, éco BTP, & I Care Consult, op.cit., Avril 2014, p.100-103
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l’encadrement des pratiques […] d’instaurer un climat de confiance […] avant de renforcer la prescription des matériaux et produits de réemploi ».85 Deuxièmement, l’offre française est très fluctuante, certaines régions sont mieux « fournies » en lieu de reventes que d’autres. Les maitres d’ouvrage ne savent pas forcément où chercher, l’offre est ponctuelle et toutes les offres ne sont pas liées entre elle. De ce fait, il y a un problème entre l’offre et la demande. Si c’est le maitre d’ouvrage qui fait la demande d’utiliser des matériaux de réemploi, il rencontrera des difficultés pour identifier les chantiers qui pourraient le fournir pour de tels matériaux. Souvent, bien que les chantiers soient visibles, le diagnostic déchet n’est pas réalisé assez précisément pour que les matériaux récupérables soient clairement énoncés. A l’inverse, les revendeurs, qui s’occupent donc de récupérer les matériaux sur chantier, ne sont pas très connus des maitres d’ouvrage, et rencontrent des difficultés à étendre leur réseau. Par ailleurs, s’ils étaient effectivement connus des maitres d’ouvrage, ils pourraient quand même rencontrer des difficultés à assurer leur demande. En effet, le stockage (et notamment la location d’un hangar) coûte très cher, et ils ne peuvent donc pas disposer de très grandes quantités de matériaux. C’est pourtant ce dont les maitres d’ouvrage ont besoin. C’est d’ailleurs ce que Rotor a mis en avant lors de la Journée d’Etude à Grenoble. Les membres de l’agence ont expliqué le fonctionnement des différents acteurs qu’ils ont relevés avec Opalis, et mis en lumière qu’ils étaient tous situés à l’extérieur de la ville. Cela est dû au prix de l’immobilier, qui est trop cher pour des lieux qui ne réalisent pas de très gros bénéfices comme c’est le cas des revendeurs. Par ailleurs, ils sont eux-mêmes situés dans la ville de Bruxelles, mais expliquent que cela est possible grâce à la Région, qui leur offre un lieu de stockage pour peu cher. C’est une aubaine selon eux, mais cela les laisse dans un état précaire, puisque le lieu peut être repris à tout moment par la ville. Puisqu’ils n’ont pas eu le choix du lieu, ils doivent s’adapter à ces dimensions. Notamment, ils expliquent qu’ils sont obligés de faire un choix dans les matériaux qu’ils récupèrent, privilégiant ceux qui ont le plus de chance d’être racheté (et ceux pour lequel ils ont un choix conséquent). Cette problématique rend par ailleurs les matériaux de réemploi parfois
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RDC Environment, éco BTP, & I Care Consult, op.cit., Avril 2014, p.100
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plus cher que des matériaux neufs, ce qui ne le rend pas attractif pour les maitres d’ouvrage. Le recyclage reste une plus grande filière de traitement Bien que le réemploi soit désigné comme la démarche à privilégier pour le traitement des déchets d’après les directives européennes, ce n’est pas encore lui qui est mis le plus en avant. De nombreuses directives nationales permettent de rendre plus facile et moins cher le recyclage, ce qui contribue à son expansion. A côté, le réemploi ne bénéficie pas de cette avantage. Bien qu’il pourrait être promu par d’autres manières, ne pas en faire un véritable sujet dans la recherche d’une économie circulaire montre qu’il n’est pas considéré essentiel. Par exemple, dans le guide Déchet-Chiffre Clés86 publié par l’ADEME, il est rappelé qu’une des missions phare de la Feuille de route Economie circulaire est de « Rendre le recyclage plus compétitif que la mise en décharge » (p.6, puis dans un dossier à partir de p.23). A la page suivante, dans une section intitulée « le déchet, une ressource pour l’industrie française », il est rappelé que le « recyclage approvisionne 66% de l’industrie papetière, 50% de la sidérurgie, 58% de l’industrie du verre, 6% de la plasturgie » (p.7), ainsi que des chiffres rappelant l’avantage d’une telle pratique. Concernant le BTP, le recyclage représente 32,1% du traitement des déchets inertes pour le bâtiment, et 37,2% pour les travaux publics, ce qui en fait le traitement le plus pratiqué. Par ailleurs, le terme de « recyclage » est souvent utilisé pour désigner le « réemploi », aussi bien dans les articles de revues qu’auprès des particuliers qui les confondent. Rappelons également que les structures de recyclage sont déjà très présentes dans les villes, et qu’elles bénéficient souvent d’espaces très amples, contrairement au réemploi. Il est possible d’envisager que le réemploi et le recyclage puissent cohabiter, puisqu’ils ne visent pas toujours les mêmes utilisations. Cependant, c’est visible, le recyclage est toujours privilégié, parce que reconnu par tous les acteurs de la construction depuis longtemps. Cela a été prouvé plusieurs fois, les démarches
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https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/dechets_chiffres_cles_essenti el2018_010690.pdf, Déchets, chiffre-clés : l’essentiel 2018, ADEME, consultable sur le site https://www.ademe.fr/, mis en ligne en Mars 2019, consulté le 04/04/2019
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soutenues par l’Etat ou l’Europe gagnent à se développer très fortement par la suite. C’est ce que rappelle Dominique Gauzin-Müller dans le chapitre « s’inspirer des filières des écomatériaux » du livre Matière Grise87 : « Si le gouvernement débloquait des fonds publics et encourageait les investissements privés pour les matériaux de réemploi, comme il le fait pour les biosourcés, une vraie filière pourrait émerger. Des incitations fiscales, telle une TVA réduite sur l’achat de ces matériaux, auraient un effet moteur […] »
De plus, le recyclage ne nécessite pas de nouvelles compétences, puisqu’il est pratiqué en amont de la construction, par exemple pour la création de nouveaux matériaux (des isolants faits à partir de fibre textile notamment). A contrario, pour pratiquer le réemploi il est nécessaire de faire des formations, et d’inventer « de nouveaux métiers ». Un manque de professionnels et de timing C’est en effet un autre problème qui empêche le déploiement d’une filière : les professionnels ne sont pas formés au réemploi, ils ne savent pas déconstruire, ni réemployer par la suite. Ainsi, de nouveaux métiers commencent à naître, comme celui par exemple de « déconstructeur » (en opposition au « démolisseur »), ou de « consultant réemploi », spécialisé dans l’aide à la maitrise d’ouvrage sur le réemploi. Ils sont peu aujourd’hui, mais de plus en plus de groupes d’architectes cherchent à se spécialiser dans ce sens. C’est par exemple le cas de Rotor et de Bellastock. Ainsi, il semble émerger ici une nouvelle façon pour l’architecte d’intervenir dans la construction. Il n’est plus celui qui dessine les plans, mais devient aussi celui qui dépose puis fournit les matériaux, tout en aidant les maitres d’ouvrage dans leur recherche de solutions de réemploi. Cela pourrait permettre aux architectes de se réapproprier l’acte de construire, en participant aussi bien à sa conception en amont qu’à sa déconstruction ensuite. Il faut également noter que les ressourceries sont souvent associées à du travail dit « social », à savoir avec des travailleurs en réinsertion professionnelle, ou peu qualifiés. Ainsi, en plus de créer de l’emploi durant la
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Collectif Encore Heureux, Matière Grise, Paris, Editions du Pavillon de l’Arsenal, 2014, p.121
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déconstruction (plus de main d’œuvre est nécessaire pour déconstruire que pour démolir), cela permet d’en créer en parallèle, avec les ressourceries. Bellastock a réalisé sur le chantier de Stains une étude qui montre combien de mains d’œuvre ils ont pu ainsi « gagner » grâce au réemploi. Pour l’Opus Incertum, ils définissent que pour 100m², il aurait fallu 3,9jours supplémentaires de travail par rapport à du neuf. Pour l’abris vélo, ils considèrent qu’il aurait nécessité 31,3 jours supplémentaires de travail, dont par exemple 7 jours pour la transformation, et jusqu’à 17,4 jours pour l’intégration dans le projet neuf.88 Ils expliquent toutefois qu’ils n’ont pas pu, pour des raisons de temps de chantier, faire appel à des ouvriers locaux en réinsertion. Cela montre bien que le chantier aujourd’hui n’est pas prévu pour faire au mieux, mais pour faire au plus vite, et qu’il y a ici une perte, aussi bien du côté social que du côté économique (ils rappellent par exemple qu’ils auraient pu faire des économies en faisant appel à ce type de travailleurs). Cela révèle deux choses : le remploi crée de l’emploi, donc a un impact social positif, mais se révèle plus long, et donc plus cher, ce qui n’est ni adapté au temps alloué au chantier, ni aux qualifications des travailleurs. Dans un article du Moniteur, Clément Le Fur (coordonnateur SPS et membre du groupe Zero Waste) explique : « Les professionnels raisonnent en termes de rentabilité à court terme qui ne favorise par le réemploi de matériaux. Or, ils doivent réaliser qu'un matériau jeté est une ressource achetée perdue et donc une économie potentielle gâchée. »89. Il montre ainsi qu’il y a, au-delà d’un manque de compétence de la part des professionnels, un problème temporel. En effet, les délais de construction aujourd’hui étant souvent trop courts, ils ne permettent pas de mettre en place une déconstruction sélective. Les professionnels devront souvent privilégier la démolition, alors qu’ils pourraient trouver dans le réemploi de matériaux une source d’économie. Cela est corroboré par les analyses de Bellastock. Il est intéressant de
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https://www.caissedesdepots.fr/sites/default/files/medias/lab_cdc/01-bs-oph93_closguide-moa.pdf, Guide maitrise d’ouvrage La Fabrique du Clos, BELLASTOCK et OPH93, consultable sur le site : https://www.caissedesdepots.fr/ , date de mise en ligne 26/09/2016, consulté le 16/08/2018, p.47 et p.51 89 https://www.lemoniteur.fr/article/en-avant-pour-democratiser-le-zero-dechet-dans-lebtp.1983849, Comment démocratiser le "zéro déchet" dans le BTP, KHALID Nohmana , consultable sur le site https://www.lemoniteur.fr/, date de mise en ligne 20/07/2018, consulté le 22/07/2018
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noter que selon ces mêmes analyses, le réemploi aura quand même couté moins cher que du neuf, alors que cela nécessite plus de mains-d’œuvre. Ainsi, l’aspect économique, en tout cas dans ce projet, ne semble pas être un problème par l’utilisation de réemploi, et de ce fait, seul le problème du temps se pose. De même, l’absence de filières posent problème pour eux, puisqu’ils rencontrent des difficultés à se fournir en matériaux. La recherche de matériaux peut parfois être longue, voire se faire par hasard plusieurs mois après, ce qui n’est pas adapté au rythme des chantiers. Ce genre de problème n’a pas été rencontré par les différents projets évoqués en partie 2, puisqu’ils ont souvent utilisé le prétexte du gisement pour imaginer un projet en réemploi. Cependant, tous les projets ne partent pas de la découverte d’un gisement, et l’on peut imaginer qu’une expansion du réemploi permettrait justement d’utiliser des matériaux réemployés dans des projets quelconques, comme on aurait utilisé des matériaux neufs. De ce fait, la filière doit être importante pour pouvoir s’adapter au timing des différents chantiers. Cela questionne aussi la réalité des chantiers : les temps alloués à la construction sont-ils assez importants, au regard de l’empreinte écologique et sociale que peut avoir un bâtiment tout au long de sa vie ? Peut-on continuer à construire vite tout en recherchant une plus grande qualité d’habiter ? Ces questions se posent pour les matériaux de réemploi, mais plus généralement pour l’avenir de la construction, qui devra, selon les directives européennes, devenir plus « responsable ». Ainsi, l’absence de filière est à la fois causée par, et cause de la difficulté à trouver des matériaux et de la main d’œuvre qualifié. Elle est « causée par » car sans matériaux et sans main d’œuvre qualifié pour ces postes, la filière ne peut pas se déployer, et « cause de », car sans filière, les professionnels ne trouvent pas d’intérêt à se former à un métier qui leur est difficilement accessible car peu présents. Quel modèle économique pour le réemploi ? Un dernier point semble être problématique au vue du déploiement de la filière réemploi. Cela a été mis en avant par Greg Azemar lors d’un entretien téléphonique : il existe trop de modèles économiques différents pour le réemploi. C’est également ce qu’ont mis en avant les participants de la Journée d’Etude de
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Grenoble. D’une part, il existe des lieux de stockage physiques, souvent tenus par des associations. Plusieurs de ces lieux ont également choisi l’économie sociale et solidaire, c’est-à-dire qu’ils font travailler des personnes en réinsertion professionnel. Ces structures sont souvent des entreprises familiales, comme l’ont expliqué les membres de Rotor, mais ont tendance à se perdre petit à petit. Elles deviennent de moins en moins faciles à tenir, et ne sont pas assez rentables. A côté de ces lieux physiques, de nombreuses plateformes numériques voient le jour en ce moment, notamment Matabase, Batiphoenix, Cycleup Et Leboncoin (plutôt utilisé par des particuliers cependant) en France. Rotor en possède aussi une avec Rotor Deconstruction. Celles-ci récupèrent puis inventorient des matériaux récupérés sur chantier, puis les revendent depuis leur site internet. Il faut en général aller les récupérer dans leur entrepôt, mais certaines ont choisi d’aider les maitres d’ouvrage à vendre les matériaux qu’ils possèdent sur leur propre chantier. Dans ce cas, il faut se rendre directement sur le chantier pour récupérer la marchandise. Il ne s’agit plus ici d’économie sociale et solidaire. Dans un article publié sur le site materiauxreemploi90, Save Up By Edeis dresse un portrait de ces plateformes numériques. Ils vont même plus loin, en expliquant que la manière la plus efficace de se débarrasser (par la vente ou le don) de matériaux nouvellement déconstruits était finalement le bouche-àoreille et la publicité (dans ce cas, un affichage sur la façade du bâtiment déconstruit). Cela montre que la filière n’est effectivement pas assez développée, et qu’il est encore nécessaire d’utiliser la « débrouille » pour faire du réemploi. Finalement, ce qui semble être la plus grande difficulté aujourd’hui pour le réemploi, ce n’est pas la norme, mais bien la filière. Les deux sont liées, et l’une et l’autre rendent le réemploi difficile, mais sans filière, l’évolution des normes n’est vouée à rien. Il semblerait que les deux soient amenées à évoluer ensemble pour permettre de faciliter le réemploi.
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http://materiauxreemploi.com/teste-plateformes-numeriques-economie-circulaire/, On a testé pour vous toutes les plateformes numériques de l’économie circulaire et le grand gagnant est …. L’ingéniosité !, Save Up by Edeis, publié le 16 mai 2018
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CONCLUSION : La norme rend difficile le réemploi, mais pas impossible.
Initié suite au constat qu’en France, 80% des déchets proviennent du BTP, ce mémoire s’est d’abord intéressé à la question du réemploi, très largement. Il semblait à l’origine la réponse idéale pour réduire notre production de déchets, en tant que constructeurs et professionnels du BTP. Toutefois, au fil des recherches, il est devenu évident que le réemploi rencontrait des difficultés à se développer, et qu’il n’était pas reconnu comme une manière quelconque de faire de l’architecture. De ce fait, il a semblé intéressant de comprendre ce qui pouvait empêcher son déploiement. De ce point de vue, les recherches menées par l’ADEME91 ont été un point d’entrée très important, puisqu’elles ont permis de définir que la plus grosse difficulté rencontrée par les acteurs semblait être la norme. En effet, il est aujourd’hui difficile de comprendre toutes les subtilités normatives liées au réemploi, et les acteurs ne souhaitent donc pas s’y risquer. Cette information a permis de dégager une première problématique, à savoir « en quoi les normes prescrivent l’utilisation des matériaux de réemploi ?», l’objet de la première partie de ce mémoire. La recherche a d’abord permis de montrer que ce sont les questions de déchets et de responsabilité qui freinent le développement du réemploi en France. En effet, les acteurs s’interrogent souvent sur les termes du contrat d’un projet en réemploi : sont-ils responsables des matériaux utilisés ? peuvent-ils vendre des matériaux récupérés ? le réemploi représente-t-il un risque plus grand que l’usage du neuf ? doit-on certifier les matériaux de réemploi ? Autant de questions qui sont corroborées par la méfiance des assurances : le réemploi devient donc plus cher à assurer que le neuf, ce qui représente un surcoût souvent difficile à compenser pour les maitres d’ouvrage.
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Notamment ADEME, RDC Environment, éco BTP, & I Care Consult, op.cit., Avril 2014, consulté le 23/11/16)
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La seconde partie aura permis de définir 4 approches au réemploi, chacune liée à une ou plusieurs études de cas. Celles-ci ont défini plusieurs moyens possibles pour faire du réemploi en France aujourd’hui, tout en prenant en compte les normes en vigueur. Chacune des approches n’ont pas le même potentiel, c’est-à-dire que certaines sont finalement moins adaptées au réemploi que d’autres. Par exemple, l’approche par l’innovation ne semble pas être une réponse intéressante aux vues des contraintes imposées par le réemploi. Les approches dites « pragmatiques » et « critiques » semblent être les plus efficaces, l’approche critique permettant en plus de faire évoluer les normes, et de permettre aux professionnels de monter en compétence. Cette approche semble essentielle pour créer une filière, puisqu’elle permet de poser les jalons de cette pratique. Enfin, l’approche dite « intégrale » est en effet intéressante, puisqu’elle permet d’envisager le réemploi au-delà du simple matériau, mais pose toutefois la question de l’industrialisation de celui-ci et de l’augmentation des déchets, qui prennent de la valeur. Chacune de ces approches a ainsi des avantages et des inconvénients, qu’il est bon de connaître avant de se lancer dans le réemploi. Cette seconde partie a été un retour critique sur ce qui a été dit en première partie, montrant que finalement, la norme est certes un frein au réemploi, mais elle ne l’empêche cependant pas complètement. Enfin, la dernière partie s’est intéressée au devenir du réemploi, puisque les normes sont amenées à changer. Plusieurs d’entre elles semblaient être « facilitatrices » de l’utilisation de matériaux de réemploi, c’est pourquoi elles ont été étudiées en premier lieu. Finalement, il s’est avéré que ces différentes normes n’impliquaient pas nécessairement le réemploi, voire n’en faisant jamais mention. Alors qu’elles évoquent de plus en plus une architecture écologique, avec des obligations tournées sur l’économie de ressources et le bas-carbone, le réemploi ne s’inscrit toujours pas dans la réglementation. Il est encore très souvent associé au réemploi domestique, et n’est pas envisagé comme un procédé architectural à part entière.
En concluant ce mémoire, il semble qu’il aurait été intéressant d’utiliser des études de cas qui ne soient pas françaises. A l’origine ce choix avait été fait car les normes françaises sont très particulières à la France, et se différencient des normes
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européennes. L’état d’avancement sur la question du réemploi est moins développé que dans d’autres pays, ce qui légitime également le besoin d’exemples français. Il semblait donc logique de s’intéresser uniquement à des exemples qui ont subies les normes en vigueur. Toutefois, a posteriori, l’analyse de bâtiments étrangers auraient pu mettre en lumière d’autres problématiques, plus générales, sur le réemploi, comme ce fut le cas avec l’étude sur le Siège de l’Union Européenne Les exemples américains sont notamment très nombreux, et abordent plus en détails la question du déchet en architecture, ce qui aurait pu apporter un peu plus de « pratique » à la théorie des textes législatifs. De plus, il a parfois été difficile de comprendre les enjeux de la réglementation sans en connaître toutes les subtilités, ce qui peut parfois résulter en une compréhension partielle des textes. Les résultats n’en sont pas biaisés, mais doivent parfois être nuancés. Il aurait également été intéressant d’entrer en contact avec plus d’acteurs. Le point de vue d’un assureur aurait par exemple pu être une témoignage clé sur les blocages liés au réemploi. La difficulté à trouver un interlocuteur sachant répondre aux interrogations évoquées a toutefois rendu difficile cette étape. De même, la question du réemploi reste en général traitée en surface, ainsi l’accès à des données chiffrées précises n’est pas possible. L’absence de recherches antérieures sur le sujet spécifique de la norme a rendu ce travail parfois difficile à appréhender. Ce manque d’informations fait écho à l’absence de filière soulevé en dernière partie de ce mémoire. En effet, puisqu’il n’y a pas un cadre spécifique au réemploi, il est difficile de trouver des informations sur ce même cadre. La confusion des termes (recyclage, réemploi, réutilisation) est également un problème, puisque le réemploi est souvent invisibilisé sous le terme de « recyclage ». Il semble important de mettre un dernier point critique en lumière. Cette recherche ayant été réalisée à un moment charnière concernant les règlementations, elle se trouve en quelques sortes limitées dans le temps. Ce qui a été évoqué ne sera peut-être plus d’actualité dans 2 ans. De même, ce travail ayant été réalisé sur un temps long, beaucoup d’informations qui étaient vraies au début se sont avérées différentes par la suite. Toutefois, elle aura permis de montrer ce qu’il serait bon de modifier dans les normes, afin de faciliter le réemploi en France pour ceux qui souhaitent le pratiquer. La dernière partie par exemple montre que les normes
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évoluent, mais qu’elles ne font pas du réemploi dans la construction une priorité. Surtout, ces normes étant en cours d’écriture ou tout juste mises en place, il serait bon de se renseigner par la suite sur les textes réels et leur portée règlementaire. Cela pourra faire l’objet d’une mise à jour de ce mémoire par la suite.
Par ailleurs, ce travail a permis de mettre en lumière que le réemploi reste aujourd’hui une affaire de convaincus. Il est surtout pratiqué par des professionnels ayant à cœur les questions écologiques et sociales, ou par des particuliers souhaitant faire des économies, cela dépend donc d’une volonté personnelle. De ce fait, il est intéressant de s’interroger sur le devenir d’une telle pratique. En France, des groupes d’intéressés se mettent en place, comme le « Groupe de veille_Réemploi des matériaux de construction »92, invitant les participants à discuter de leurs trouvailles en matière de réemploi, des conférences à venir, de sujets d’actualité, etc. Souvent, les mêmes noms reviennent (Bellastock, Rotor, Morgan Moinet…), mais il montre quand même un intérêt grandissant pour cette question, avec des conférences et expositions qui se multiplient en France93. Elles ne semblent toutefois pas beaucoup se diffuser hors de ce cercle. A Lille, quelques professionnels s’emparent de cette question, comme Zerm par exemple, mais la filière n’est pas du tout existante94, alors qu’en Belgique, elle commence à bien se développer. Si l’on souhaite la généraliser en France, alors des efforts politiques et des obligations légales semblent nécessaires. Si l’on souhaite la rendre plus accessible à ceux qui ont déjà à cœur de la pratiquer, alors il semble intéressant de travailler les barrières qu’imposent les normes, afin de les rendre plus perméables. L’ensemble des interlocuteurs rencontrés durant ce travail ont été d’accord sur la difficulté à mettre en place du réemploi, qu’ils soient professionnels de la construction ou non.
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Disponible à cette adresse : https://www.facebook.com/groups/1877513442468162/ A l’image de la Journée d’Etude menée à Grenoble, durant laquelle des représentants de la Mairie étaient présent pour intégrer le réemploi dans des projets urbains, ou des professionnels de la construction qui souhaitaient mieux comprendre leur rôle face à cette question. 94 Cette question a pu être étudiée à l’occasion d’un projet d’école réalisé à l’ENSAPL en même temps que ce mémoire. 93
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Enfin, le réemploi pose des problèmes théoriques qu’il est bon de garder en tête lorsque l’on s’y intéresse. Premièrement, tous les matériaux sont-ils bons à réemployer ? En effet, certains - les matériaux non-inertes - semblent moins problématiques, puisqu’ils pourraient par eux-mêmes retourner à leur état d’origine. La brique par exemple peut se dégrader d’elle-même jusqu’à redevenir terre. Les matières plastiques à l’inverse ne se dégradent jamais totalement. Si l’on pose la question de ce qui peut être réemployé, alors on pose aussi la question de ce qui peut être utilisé pour construire afin d’être réemployé. Sur ce point, les recherches sur le Cradle to Cradle sont importantes95. Produit-on pour le réemploi, ou produit-on pour construire, le réemploi arrivant ensuite comme une opportunité ? C’est une question que pose Mark Goedkoop dans l’ouvrage de Superuse96. Il interroge la nécessité, voire la pertinence, de banaliser l’utilisation de matériaux de réemploi. De plus, l’auteur interroge l’industrialisation de cette pratique, qui pourrait mener à une valorisation économique du déchet, et donc son déploiement. Il l’illustre ainsi : Théoriquement, l’augmentation de la valeur monétaire pourrait également se produire lorsque vous utilisez des parebrises de voitures provenant des surplus de stock, ce qui est l'un des meilleurs exemples de « super-utilisation ». Si ce marché commençait à prospérer parce que, pour une raison ou une autre, les parebrises de voitures devenaient à la mode dans les bâtiments, il pourrait en résulter la fabrication de parebrises de voitures neufs, fabriqués exclusivement pour être utilisées dans les bâtiments. Dès que les déchets obtiennent une valeur, ils ne peuvent plus être considérés comme des déchets. 97
Par extension, cela pose la question de la rénovation. En effet, pour réemployer, il faut nécessairement déconstruire à un moment, ne laissant pas la possibilité de rénover (bien que cela soit tout de même à nuancer, puisque les deux
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BRAUNGART Michael, MCDONOUGH William, Cradle to cradle : remaking the way we make things, Londres, Vintage Books, 2009, traduit de l’anglais sous le titre Créer et recycler à l'infini, Paris, Gallimard, 2011 96 VAN HINTE Ed ; JONGERT Jan ; PEEREN Césare, Superuse : constructing new architecture by shortcutting material flows, Rotterdam, 010 Publishers, 2007, p.45-49 97
Traduction personnelle d’une citation provenant de VAN HINTE Ed ; JONGERT Jan ; PEEREN, op. cit., 2007, p.48, dans la lanque originale : “Theoretically this kind of value growth could also occur when you use car windows from dead stock, which is one of the superuse examples. If this market were to begin to flourish because for some reason car glass became fashionable in buildings, this might result in the production of brand new car windows manufactured exclusively to be applied in buildings. As soon as waste gets a value it can no longer be considered waste.”
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peuvent être pratiqués en même temps). Avant même de déconstruire, il semble pourtant plus intéressant d’envisager de faire mieux avec ce qui est déjà-là. Ainsi, la pratique du réemploi ne serait qu’un dernier recours, après avoir pensé à la réhabilitation et à la flexibilité des ouvrages. Cette question de l’adaptabilité des ouvrages et de plus en plus posés aujourd’hui, notamment avec des projets tels que le bâtiment accueillant l’ENSA de Nantes, réalisé par Lacaton et Vassal. Ici, le projet a été entièrement pensé pour être démonté plus tard, afin de s’adapter aux changements de besoins dans la société. Si l’école d’architecture était vouée à se déplacer, le bâtiment pourrait alors facilement accueillir un nouvel usage, puisqu’il est entièrement flexible. Cela renvoie aux interrogations menées lors de « l’approche intégrale » du réemploi. Dans ce cadre, le réemploi d’éléments de petites dimensions est possible (bien qu’il n’ait pas été pensé ainsi, les matériaux de second-œuvre de l’école de l’ENSA pourraient être envisagés pour être réemployés), mais c’est d’abord la flexibilité des espaces qui est importante [ANNEXE 9]. Si l’on doit avant toutes choses arrêter de démolir, alors le réemploi peut-il se développer en parallèle ? Nous le voyons, de nombreuses questions autour de l’éthique et des qualités environnementales du réemploi se posent finalement, alors qu’il semblait à l’origine une réponse idéale aux problématiques d’aujourd’hui. Pour poursuivre cette recherche sur le réemploi, une dernière piste n’a pas du tout été abordée dans ce mémoire, mais commence à émerger. Il s’agit de la question des nouvelles technologies, et notamment des outils BIM. En effet, grâce à ces outils, il est possible de suivre, sur toute sa durée de vie, l’évolution d’un bâtiment. Cela permet notamment d’avoir un inventaire de tous les matériaux utilisés, leur état et leur besoin en termes de maintenance, et la quantité exacte de chacun d’eux. De ce fait, il sera très facile de faire un diagnostic déchets, et de savoir quels matériaux pourront être récupérés ou non. Si cela pourrait en effet être bénéfique au réemploi, une question se pose toutefois. Le réemploi est-il compatible avec une pratique hypertechnologique telle que le BIM ? Ainsi, peut-on imaginer qu’une pratique faite d’incertitudes (le réemploi) soient guidés par une pratique qui ne laisse pas de place au hasard (le BIM) ? En effet, le réemploi subit toujours des conditions que l’on ne peut pas contrôler, surtout en ce qui concerne la quantité de matériaux récupérés (le
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gisement envisagé est parfois très différent du gisement final), alors que les outils BIM se doivent d’être toujours très précis. En parallèle, il semble important de s’interroger sur la sensibilisation à faire auprès des étudiants architectes. Ce travail de recherche pourra faire écho aux interrogations des ces étudiants, qui semblent de plus en plus s’intéresser aux questions de développement durable. Pour autant, le réemploi n’est pas abordé dans toutes les écoles, ou alors l’est dans des spécialités, ce qui ne permet pas d’en prendre connaissance et de comprendre tout le système qu’il y a autour de ces questions. En plus de cela, les questions de développement durable gagneraient à être plus enseignées, le réemploi étant une réponse possible. Il serait intéressant de mener une recherche sur l’enseignement de telles pratiques au sein des ENSA. Aux vues de l’évolution des modes de vie et du besoin grandissant d’économiser l’énergie, il semblerait que l’enseignement de l’architecture puisse changer. Si le réemploi était enseigné, les étudiants apprendraient-ils à déconstruire, plutôt qu’à construire ? L’enseignement portera-t-il plus sur la rénovation que sur la construction ? Enfin, le rôle des architectes dans le déploiement du réemploi semble vraiment essentiel. S’intéresser au réemploi peut permettre aussi de s’interroger sur notre pratique au quotidien, et sur le pouvoir des architectes à faire bouger les lignes, pour tenter de réduire les tonnes de déchets produites chaque jour par le secteur du BTP.
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GLOSSAIRE Dans le cadre de ce mémoire, les termes de REEMPLOI et de REUTILISATION seront utilisés indistinctement, puisque c’est la nouvelle vie offerte à des matériaux qui étaient destinés à être jetés/détruits qui nous intéresse. D’ailleurs, seule la retranscription française des directives européennes différencie la réutilisation du réemploi. Dans la version initiale, en anglais, le seul terme de « re-use » est utilisé. Cela participe à compliquer les textes et normes. Seuls les matériaux et produits provenant de la déconstruction d’un bâtiment seront considérés, bien que certains projets de réemploi s’intéressent également aux autres déchets (domestique par exemple). Toutefois, pour clarifier :
REUTILISATION : « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau. » (Directive Européenne Cadre Déchets, Article L541-1-1, 17 décembre 2010)
REEMPLOI : « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus » (Directive Européenne Cadre Déchets, Article L541-1-1, 17 décembre 2010). Dans Matière Grise, Laura Foulquier explique que « la réutilisation désigne le nouvel emploi d’un élément pour un usage similaire à celui de son emploi initial, alors que le réemploi désigne le nouvel emploi d’un élément pour un usage différent de son emploi initial »98. D’après cette définition ce n’est pas la notion de déchet qui fait foi, mais l’usage.
DECHETS : « Toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’obligation de se défaire » (Article L 541.1.1 du Code de l’environnement). De plus la définition du déchet étant elle-même assez vague, il a été défini que pour qu’il y ait réemploi, un tri in-situ par un professionnel doit être réalisé. Si ce n’est pas le cas, alors on
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FOULQUIER Laura, « La carrière de pierres : la récupération de l’Antiquité à nos jours », dans Collectif Encore Heureux, Matière Grise, Paris, Editions du Pavillon de l’Arsenal, 2014, p.63
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considère les matériaux comme des déchets, et donc l’action de les utiliser à nouveau comme une réutilisation.
ARCHITECTURE MANIFESTE : projet servant à mettre en avant la pratique du réemploi, faisant office de prescripteur vers la « bonne » utilisation de matériaux de réemploi. Ces projets sont aussi bien destinés aux concepteurs eux-mêmes en se montrant comme un exemple de ce qui peut être fait, et aux autres acteurs, pour lequel le manifeste représente une certaine garantie de la faisabilité de tels projets. Dans le cadre du réemploi des matériaux, ces projets exemplaires sont parfois vus comme trop manifestes pour être reproductibles : ils bénéficient de conditions très favorables, d’aides financières, proviennent d’une demande très spécifique, etc.
ANALYSE DU CYCLE DE VIE : le cycle de vie représente l’ensemble des ressources nécessaire à la vie d’un bâtiment, de l’extraction des matières premières jusqu’à sa fin de vie. Son analyse est l’examen de l’impact de l’utilisation de toutes ces ressources sur l’environnement. C’est une méthode normalisée de l’ISO, qui est une « compilation et évaluation des consommations d'énergie, des utilisations de matières premières, et des rejets dans l'environnement, ainsi que de l'évaluation de l'impact potentiel sur l'environnement associé à un produit, ou un procédé, ou un service, sur la totalité de son cycle de vie » (d’après norme ISO 14040).
BILAN CARBONE : le bilan carbone d’un bâtiment est la quantité de gaz à effet de serre qu’il émet, aussi bien durant sa fabrication (et avant, l’extraction des matières premières pour le fabriquer), jusqu’à sa fin de vie (réemploi, recyclage,
déconstruction,
démolition…).
Elle
est
comptabilisée
en
« équivalent CO2 », c’est-à-dire la quantité de CO2 qu’il aurait fallu utilisé pour créer ce bâtiment.
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ANNEXES ANNEXE 1 : Article de Journal, revente de matĂŠriaux. La gazette de Charleroi, le 03 mai 1914, document partagĂŠ par Rotor. (modification du document par Rotor)
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ANNEXE 2 : Fiches de travail pour les ĂŠtudes de cas. (travail personnel)
ANNEXE 2. 1 Fiche de travail sur la Passerelle
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ANNEXE 2. 2 Fiches de travail Siège Social _ analyse de la demande
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ANNEXE 2. 3 Fiches de travail Siège Social _ analyse spécifique matériaux et budget
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ANNEXE 2. 4 Fiche de travail le Clos St-Lazare _ analyse de la demande
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ANNEXE 2. 5 Fiche de travail le Clos St-Lazare _ analyse spécifique matériaux et budget
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ANNEXE 3 : Croquis technique réalisé par l’architecte Philippe Samyn, concernant la mise en œuvre de la façade en châssis de fenêtres
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ANNEXE 4 : Compte-rendu de la 2E JOURNEE D’ETUDES REEMPLOI ET PRATIQUES CONSTRUCTIVES : vers une économie circulaire des ressources du bâtiment.#2 RESEAUX, FILIERES, COMPETENCES, 22.03.19, ENSA Grenoble Ces conférences s’inscrivent dans le cadre d’une recherche au sein de l’ENSA Grenoble (unité de recherche Architecture, Environnement et Cultures Constructives) sur le réemploi et l’architecture, à la suite d’un concours. Ces journées s’organisent en 3 dates, chacune abordant une thématique particulière. Elles suivent les grands thèmes qui doivent toujours être abordés lorsqu’il s’agit de réemploi, à savoir : le diagnostic déchets premièrement, le réseau et la filière ensuite, et enfin la conception intégrative du réemploi à la réalisation. La journée du 22 Mars portait donc sur la filière réemploi, et plus particulièrement poser les questions d’organisation de cette filière, de son modèle économique, et de sa diffusion. Elle était organisée en 4 temps. Le matin, Michaël Ghyoot et Cécile Guichard ont fait un retour d’expérience, ou plutôt « un retour et des expériences » sur leur pratique au sein de Rotor. Etait ensuite organisé une sorte d’atelier pratique sur un projet de déconstruction de la métropole de Grenoble, nommé Cadran Solaire. C’était l’occasion de parler des bonnes pratiques à avoir sur ce type de projet. Le midi un repas était prévu, l’occasion pour tout le monde de discuter entre eux de leur vision du réemploi, des problématiques qu’ils ont rencontrés, etc. L’après-midi, c’est Julie Benoît qui a fait un retour d’expérience sur la pratique de Bellastock et leur recherche REPAR. Après son intervention, un second atelier était organisé, à propos des Halles Allibert, de grandes halles métalliques en attente de projet. D’après moi, nous étions plus de professionnels que d’étudiants. C’était très intéressants car plusieurs métiers étaient représentés, aussi bien des architectes que des professionnels de la construction, mais également des élus locaux, des représentants du CSTB, etc.
PREMIERE PARTIE : ROTOR « Retour et expériences »
Rotor est depuis 2005 une association d’architecte. Ils ouvrent ensuite « Rotor Déconstruction », une société de coopérative depuis 2016, afin de stocker puis mettre à disposition des matériaux issus de déconstruction. Ils nous parlent aujourd’hui plus spécifiquement de leur travail sur Opalis, une recherche sur le réemploi en Belgique. En 2008, la Région Bruxelles lance un concours pour une étude, auquel Rotor participe. La question posée était la suivante : « est-il possible d’ouvrir des magasins de construction tout en s’inscrivant dans une économie sociale ? », la question du réemploi n’est alors pas encore posée. En 2010-12, la Région lance une autre étude qui s’intéresse au devenir des déchets de construction. C’est grâce à ces deux études qu’ils lancent Opalis, une plateforme numérique recensant tous les acteurs du réemploi en Belgique. Opalis reçoit des subventions de la Région, donc dépend totalement de ces revenus pour continuer à exister. Alors que l’étude devait porter spécifiquement sur la ville de Bruxelles, ils se rendent vite compte qu’il faut l’étendre à la Belgique, puisque les structures participant à l’économie circulaire dans le bâtiment ne se trouvent quasiment jamais en ville. En effet, le foncier urbain est beaucoup trop cher pour de telles structures, qui ont besoin d’énormément de surfaces mais qui ne gagnent pas en retour énormément d’argent.
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Pour alimenter cette base de données, les membres de Rotor ont démarchés de très nombreuses entreprises à travers le pays. Ils sont d’abord partis des pages jaunes, pour ensuite, par le bouche-à-oreilles, rencontrer de plus en plus d’acteurs du réemploi en Belgique (étendu aux Pays-Bas). Depuis Janvier, ils étendent cette étude à l’Angleterre, la France, les Pays-Bas. Ils reçoivent pour ça des subventions d’Interreg. Ils cherchent pour cela à mettre en place une méthode d’identification commune, et à stimuler les prescriptions d’éléments de construction. Les acteurs rencontrés ont des statuts juridiques différents, cependant la plupart sont des PME. La plupart du temps, ces entreprises se sont spécialisées dans un domaine en particulier : cela permet une meilleure rentabilité. Certaines font également des tests sur les matériaux pour connaître leur qualité technique, mais ce n’est pas toujours le cas. En tout cas, ils rappellent la difficulté pour un marché public d’utiliser des matériaux de réemploi, car tout doit toujours être dessiné en amont, parfois plusieurs mois à l’avance. L’offre, elle, est très versatile. Ils expliquent également que tout ce qui caractérise un matériau neuf, à savoir les marquages et documents techniques, sont absents des matériaux de réemploi. Ils ont toutefois d’autres atouts : les revendeurs connaissent très bien leurs produits, ils accompagnent toujours une vente de bons conseils, d’un savoir-faire et d’une expérience, que l’on ne retrouve pas toujours pour des matériaux neufs, vendu par des magasins non spécialisés. Pour contrer ce problème, Opalis met en place des cahiers des charges sur les matériaux courants. Ce travail est réalisé avec le CSTC (équivalent CSTB belge), afin d’en valider les recommandations techniques notamment. Rappelons toutefois que le marquage CE d’un produit n’est pas obligatoire si aucune clause n’en fait mention. La plupart du temps, les matériaux de réemploi ne possèdent pas de marquage CE, considérant l’aspect réemploi comme un « nouveau matériau ». Ils ont également réalisé avec Opalis un Vade-Mecum, spécifique à l’extraction des matériaux de réemploi, à destination des maitres d’ouvrages. Il spécifie des marches à suivre pour réaliser au mieux cette extraction. Par exemple, il est rappelé qu’il faut être sûr de pouvoir trouver preneur avant de déconstruire. Si les repreneurs sont multiples, il est préférable de définir une entreprise unique chargée de communiquer aux autres. En rencontrant ces acteurs, ils ont également interrogé la possibilité pour ce genre de métier d’être pratiqué par des travailleurs nécessitant des conditions adaptées (handicap, réinsertion…). Si cela est possible pour certains métiers, ce n’est pas toujours le cas. Cependant, toutes ces entreprises ont pour avantage de proposer de nombreux postes différents, plus ou moins pénibles, ce qui permet un renouvellement dans la journée. Quelqu’un demande à Rotor comment ils gèrent leur stock au sein de Rotor Déconstruction. Ils expliquent que ce n’est pas forcément facile, qu’il faut surtout éviter le plus possible des matériaux statiques, car ça prend beaucoup de place. Ils expliquent que même si c’est difficile, ils doivent parfois dire non à certains matériaux, qui ne vont pas se revendre ou prennent trop de place. Surtout, après avoir récolter un peu de tout, ils se rendent compte qu’il est préférable de se focaliser sur certaines filières afin de pérenniser des gammes, et ainsi assurer un apport constant et en grande quantité d’n même type de matériau. Enfin, un représentant du CSTB prend la parole afin de mettre en évidence que d’ici fin 2019, l’analyse du cycle de vie sur le neuf deviendra obligatoire. La RT 2020 intègrera les questions de cycle de vie et de bilan carbone, ce qui obligera les constructeurs à faire des
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efforts concernant la provenance des matériaux qu’ils emploient. De plus, depuis 2017, les fournisseurs de matériaux/produits doivent traiter les déchets issus de déconstruction euxmêmes, soit en les envoyant dans des filières de recyclage, soit en les offrant à la revente, soit en les enfouissant. En tout cas, ils sont tenus de savoir ce qu’il advient de ces produits.
DEUXIEME PARTIE : Etude de cas « Cadran Solaire »
Il s’agit d’un site de 3ha à la Tronche, sur lequel se trouve un ancien hôpital militaire, devenu ensuite un centre de recherches pour l’armée, et aujourd’hui vide. 7 bâtiments en tout. La demande : 220 logements + activité de recherche + Crous + RU. Il est obligatoire dans le cahier des charges de conserver le mur d’enceinte, qui représente l’identité du lieu, ainsi que certains végétaux spécifiques. Par contre, les bâtiments seront forcément démolis, il n’est déjà plus question de les garder. Ils ont défini au préalable qu’ils pourraient récupérer des moellons et des pierres de taille en bon état et en grande quantité. Ils ont vérifié le stock possible grâce à une maquette 3D. Cependant, après analyse plus approfondi, d’autres matériaux peuvent être récupérés, en très grande quantité, notamment des tuiles, des habillages de fenêtre, etc. Il est prévu de faire du réemploi in-situ. Une partie du projet est dessiné en amont de l’ouverture au concours. A partir de ces dessins, ils vérifient si le site contient assez de matériaux pour réaliser ce qu’ils ont imaginé. Si ce n’est pas le cas, ils imaginent des plans B (se fournir en neuf, prendre d’autres matériaux). Le projet ne se dessine donc pas du tout à partir du stock disponible. Rotor met cependant en garde contre le réemploi in-situ, qui présente certes beaucoup d’avantages, mais reste difficile car les entreprises ne savent pas encore faire. C’est également beaucoup plus compliqué de reconditionner les matériaux sur place, car cela demande des machines et de la place. Ils rappellent également qu’il faut toujours penser à une solution de repli, car un gisement peut sembler de qualité, mais ne pas l’être, ou être trop difficile à démonter. Ils évoquent pour finir les pavés de Paris, qui sont selon eux un cas de filière qui a très bien fonctionné. En effet, à Paris, lorsque des pavés sont retirés, ils doivent obligatoirement être envoyés au stock, et à l’inverse, lorsque l’on veut en acheter, il faut toujours passer par eux également.
TROISIEME PARTIE : Retour d’expériences BELLASTOCK
Le travail de Bellastock est présenté par Julie Benoît, membre de l’association. Elle se concentre sur le travail réalisé sur REPAR, un programme de recherche lancé avec l’ADEME en 2012. Le premier volume s’intéressait à la déconstruction des entrepôts Printemps, et à l’amont de la filière réemploi : comment on déconstruit pour que ce soit efficient ? D’après Julie Benoît, l’approche urbaine du réemploi est un des aspects les plus importants. Il s’inscrit toujours dans un contexte urbain particulier, et s’étend dans ce contexte. La question doit dans ce sens se poser dès le schéma directeur pour un projet urbain. Bellastock travaille sur Plaine Commune, un quartier en plein transformation. Ils ont défini qu’il y a sur place un stock de matériau équivalent à 40 Millions de Tonnes.
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18% des déchets du BTP sont du bâtiment, le reste des TP. Dans ces 18%, 74% sont inertes, 23% non-dangereux, les 3% restants sont dangereux (et donc non réemployables). Selon Julie Benoit, le diagnostic ressource est essentiel. Il permet de caractériser les matériaux et de définir un domaine d’usage futur. Dans ce cas, Bellastock travaille sur des contrats à mettre en place pour faciliter le réemploi auprès des MOA, MAE etc. Ils réalisent également des fiches techniques sur certains matériaux, selon 14 études de cas qu’ils ont réalisés. Ce travail a été validé par un bureau d’étude, mais est cependant ponctuel (sur des projets spécifiques). Ils cherchent aujourd’hui à réaliser ce travail à partir d’un référentiel technique plus général/générique. Avec leur étude du Clos St-Lazare, ils ont pu déduire des données montrant la pertinence du réemploi. Dans ce cas précis, la réutilisation du béton semblait très consommatrice (car il fallait le concasser, le scier, etc.), mais le bilan final est pourtant positif face à l’utilisation de matériaux neufs. Concernant l’aspect économique, le réemploi n’est pas toujours compétitif. Par exemple, une brique de réemploi coûte 1,4€ lorsqu’une neuve coûte 0,9€. Le réemploi peut être réalisé par différents acteurs, de la MOA aux recycleurs, ce qui implique des logiques un peu différentes pour chacun.
QUATRIEME PARTIE : Etude de cas Halles Allibert
Les halles Allibert sont destinées à être démolies pour des questions de sécurité, car elles sont aujourd’hui squattées. Pour l’instant, nécessité d’avoir des agents de sécurité sur le site, ce qui devient très compliqué. Il s’agit ici de savoir comment agir au mieux pour récolter un maximum de matériaux, tout en leur trouvant une destination. Le site est à vocation économique et artisanale, et possède 32 000 m² appartenant à la métropole grenobloise. Ce qui est ressorti de cette échange, c’est surtout que ce projet doit prendre son temps. Les projets urbains mettent en général une dizaine d’années à être construits. C’est une durée idéale pour parfaitement prévoir un projet de réemploi. En tout cas, il ne faut pas laisser le site abandonné trop longtemps, les différents intervenants conseillent de baser le début du projet sur des occupations temporaires, afin de redonner petit à petit vie au site. Ils évoquent l’exemple du lieu Darwin à Bordeaux, mais également les Casernes Mellinet à Nantes, dans lesquelles le stockage des matériaux a permis des démarches artistiques intéressantes. Il est rappelé que la question de la filière ne peut pas se poser sans penser au rayonnement territorial de celle-ci. Il n’est pas question de m² de surface de stockage, mais plutôt de voir ce qui existe déjà dans la région, et ce qu’on aimerait voir émerger. Il faut surtout penser une filière seulement si on peut la remplir de manières conséquentes, qu’on puisse se fournir entièrement dans un même lieu pour un projet, sinon ça ne fonctionnera pas. Dans ce sens, il est préférable de se concentrer sur un seul type de matériaux, comme l’a rappelé Rotor le matin même. Enfin, selon Julie Benoit, la ressourcerie n’est pas la bonne solution (car travail bénévole ?). Elle envisage d’autres modèles économiques pour ce genre de lieux.
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ANNEXE 5 : Fiche-produit « brique » édité par Rotor et Opalis, p.8.
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ANNEXE 6 : Analyse économique pour le Clos Saint Lazare, réalisé par Bellastock
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ANNEXE 7 : La mise en œuvre de la dalle béton de la maison de Jean Prouvé
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ANNEXE 8 : Compte-rendu de l’entretien téléphonique avec Greg AZEMAR – CD2E, Pôle économie circulaire, valorisation des déchets du BTP, le 20.03.19 Le pôle économie circulaire du CD2E se charge d’accompagner des structures sur leur gestion des déchets. Pour ça, ils se basent des d’autres travaux (par exemple ceux de bazed) pour former des entreprises/collectivités à la diffusion des bonnes pratiques en matière de construction zéro-déchets. Ils organisent des formations sur une ou plusieurs journées. Ils se concentrent à la fois sur l’éco-conception, à la fois en privilégiant les matériaux bio-sourcés ou issus de réemploi, mais également en pensant les bâtiments comme modulaire/modulable. Ils possèdent un démonstrateur à Loos-en-Gohelle, Réhafutur, un bâtiment entièrement bio-conçu (utilisant parfois des matériaux issus de réemploi). Il est possible de le visiter sur certains horaires. Greg Azemar vient d’arriver dans cette structure. Il a une formation d’ingénieurs, mais n’est pas spécialisé dans le bâtiment à l’origine. Il m’explique qu’il commence à comprendre les logiques qui opèrent au sein du BTP. Notre conversation va porter là-dessus. Le CD2E ne se spécialise pas particulièrement sur les déchets du BTP, ils font des recherches sur d’autres domaines également. Il m’explique que le BTP est cependant assez particulier concernant le réemploi, il ne subit pas les mêmes contraintes. Dans la construction, c’est plutôt la réglementation qui bloque, quand dans les autres domaines c’est plutôt l’aspect économique. Par exemple, il est très difficile de réemployer du plastique parce que ça ne vaut pas le coût (financier), ça revient plus cher. Il y a surtout un gros problème entre l’offre et la demande concernant le BTP. L’offre n’est pas assez centralisée, c’est plus compliqué de se fournir en réemploi qu’en neuf. On ne sait pas à qui revendre nos matériaux si on déconstruit soigneusement, et on ne sait pas où chercher si on souhaite en acheter. La multitude de modèles économiques (plateforme numérique, association, entreprises de revente, etc.), et l’absence de cohésion globale, pose également problème. Il y a également des problèmes plus techniques : si un bâtiment est trop vieux (et cela peut arriver vite !), on ne connait plus les caractéristiques techniques liés aux matériaux. Il est alors beaucoup plus compliqué de s’assurer de la qualité des produits récupérés, mais également de leur provenance d’origine par exemple. Enfin, c’est la question juridique qui interroge. Quel statut ont ces produits récupérés ? A quel point j’en suis responsable ? Greg m’explique par exemple que lorsqu’on fait don d’un produit, on a moins de responsabilités que si on l’avait vendu. Il n’est donc pas obligatoire de faire des tests techniques sur les matériaux, par exemple. Nous discutons ensuite des changements à venir dans la règlementation. En effet, depuis janvier 2019, les normes européennes changent. Le statut du déchet va alors évoluer. De même, il va devenir obligatoire d’intégrer un Label Economie Circulaire dans les critères d’évaluation des appels d’offre publics. Il deviendra donc obligatoire de penser à ces questions, et les projets plus exemplaires seront valorisés. Projet rénovation sur la MEL, en juillet 2019 Palais Rameau va être intégrer à un campus universitaire : donc grosse déconstruction prévue.
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ANNEXE 9 : Etude de cas de l’école d’architecture de Nantes Il s’agit de la nouvelle école architecture de Nantes, commande issue du grand projet de l’Ile de Nantes. L’ensemble des informations provient du livre de C. Paul et A. Sauvage99. L’école se compose d’une structure primaire en béton, avec des dalles à 9, 16 et 22m du sol d’origine (niveau de la rue), puis d’une structure secondaire en acier galvanisé, redécoupant les hauteurs de la structure primaire. Ainsi, dans l’école se forment une succession d’espaces en double hauteur et d’espaces plus confinés, créés par la structure métallique. Pour se faire, la structure en béton porte de grandes portées (10m), grâce à des poteaux coulés sur place et des dalles alvéolaires préfabriquées, ce qui dégage l’espace pour y permettre tous types d’usages. La structure métallique est en poteau-poutre-solive, et divise les espaces pour créer des hauteurs sous plafond de 2,7m. La structure primaire a été envisagée comme fixe, c’est-à-dire qu’elle est prévue pour durer longtemps. La structure est toutefois très simple, et de grande portée, pour ne pas figer la construction dans son usage actuel. Elle permet un renouveau total de tous les espaces, sans devoir pour autant détruire l’ensemble, pour s’adapter à un nouveau programme, les architectes envisageant le projet sur le temps long. La structure est également pensée pour être montée rapidement, sans étais. Cela permet de faire des économies, et de rendre le travail sur chantier plus facile. De plus, les architectes ont fait le choix de ne pas créer de soussol, pour pouvoir plus tard tout enlever, et repartir d’un sol (presque) vierge. Les charges admissibles sont volontairement exagérées (jusqu’à 1tonne/m²) pour laisser la possibilité à tous les programmes. Sur cette structure béton vient s’accrocher la structure secondaire, mais à l’inverse, elle est cette fois prévue pour être démontable facilement. Ainsi, elle n’est ni soudée, ni prise dans le béton. Elle se fixe sur des patines métalliques, pré-équipées sur la structure béton. De ce fait, les manipulations sont réduites, et les assemblages sont toujours accessibles pour un démontage. Cela correspond aux recommandations Bazed pour envisager le réemploi des bâtiments. Pour finir, la façade est composée de panneaux de polycarbonate de grande taille, fixés eux aussi de façon à être démontable. La grande taille des panneaux ne permet pas la manipulation à la main, par contre, elle permettra de redécouper des morceaux plus petits pour les besoins de futur édifices. Enfin, il n’y a ici aucune finition apportée à posteriori, comme des enduits, des peintures, des faux-plafonds. Les réseaux sont laissés apparents, ce qui permet à la fois d’éviter l’ajout de faux-plafond, qui sont rarement recherchés pour le réemploi, et d’être facilement accessible en cas de panne
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PAUL Caroline, SAUVAGE André, Les coulisses d’une architecture, Paris, Archibooks + Sautereau, 2013
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ou de changement. Le bâtiment est ainsi plus économe, et à termes produira moins de déchets, la première source étant justement le second-œuvre. Pour construire une telle structure, la question du stockage a également été posée. En effet, le bâtiment occupe l’ensemble de la parcelle. Dans ces conditions il n’était pas possible de stocker les produits de chantier sur le terrain. Ainsi, il a fallu déjà prévoir une marche à suivre pour monter le projet, ce qui pourra être très utile lors d’une éventuelle déconstruction. Il a été décidé que les différents matériaux seraient stockés à chaque étage, permettant déjà de réduire les déplacements. Toutefois, la majorité de la construction ayant été prévue en atelier, les assemblages se font rapidement, permettant assez vite de dégager les espaces. C’est une technique assez courante lors des déconstructions sélectives qui est utilisée ici pour la construction : commencer par stocker les matériaux par types, au niveau où ils ont été retirés. Cela permet moins de risque d’endommager les éléments à réemployer. Audelà de la possibilité de désassembler entièrement le bâtiment, il a également été question de défier les normes en vigueur. Il ne s’agissait pas de normes propre au réemploi des matériaux, mais pour autant, cela montre comment les normes peuvent être limitantes, et comment les détourner permet de changer la réflexion sur le projet. Par exemple, des espaces très ouverts comme ceux-ci, avec peu ou pas de surcouches protectrices, ni de machinerie lourde pour la ventilation, ne sont pas adaptés aux règlementations en vigueur en terme de sécurité incendie. Les architectes trouvent des compromis après de longues discussions, l’objectif étant toujours d’éviter les dérogations, qui sont couteuses et longues à obtenir. Il aura fallu démontrer à l’aide d’échantillons, de maquettes et de visites de chantier que les constructions sont sans danger, sans que cela ne fonctionne à tous les coups. Finalement, l’école d’architecture de Nantes, imaginée pour être la plus économe mais la plus généreuse possible, s’inscrit bien dans une démarche d’économie circulaire, et donc de réemploi, alors qu’aucun matériau de réemploi n’a servi à sa construction. En effet, tout est aisément démontable, c’est-à-dire que cela serait rapide, fait par des ouvriers et non des machines, et dans une économie d’énergie. Elle est adaptable aussi bien en termes spatiaux que constructifs, ce qui en fait de ce point de vue un exemple pour des projets visant l’économie circulaire. De plus, il est important de noter qu’ici tout est pensé en termes d’organisation de chantier. Les architectes ont en quelques sortes réalisé un diagnostic réemploi avant même la construction du projet, puisque tout reste visible et lisible.
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ANNEXE 10 : Compte rendu de l’entretien avec Lola Bazin, du collectif Zerm _ 9/11/2018 Lola Bazin me reçoit dans le lieu qui accueille Le Parpaing, les Ateliers Jouret (Roubaix). Nous parlons de leur association, Zerm, et des difficultés à pratiquer le réemploi en architecture. Zerm est une association montée durant les dernières années d’études de ces membres, ils n’avaient donc pas le droit d’intervenir en tant que maitrise d’œuvre. Depuis, un des membres a obtenu sa HMO. L’association se spécialise dans la réhabilitation du patrimoine et le réemploi de matériaux, dès leurs prémices. Ils obtiennent aujourd’hui de subventions de la MEL et de Roubaix, afin de faire de la sensibilisation au réemploi. Roubaix est par ailleurs une ville qui cherche à se tourner vers le zéro-déchets. Le Parpaing, leur structure de revente de matériaux, nés suite à 2 projets de réhabilitation qu’ils mènent à l’époque (en 2017), notamment un chantier de démolition à Croix (site des 3 Suisses), où ils sont chargés de la dépose des matériaux. Lola Bazin m’explique que pour rendre efficient le Parpaing (et toutes ressourceries en général, ils sont obligés de récupérer une « masse critique » de matériaux, c’est-àdire une bonne quantité, qui ne soit pas trop sur-mesure et obsolète. Elle me précise que Rotor s’est spécialisé dans des objets design, qui ont ainsi déjà une valeur en soi, et que de ce fait le sur-mesure peut être recherché. Aujourd’hui ils ne démontent plus eux-mêmes, car leur effectif et insuffisant, et qu’ils n’ont pas assez de temps. Sur un chantier à Lomme, c’est par exemple un démolisseur qui les a contactés pour leur donner des matériaux. Sur le chantier des 3 Suisses, ils ont participé à une mission de conseil avec les équipes de Bouygues. Ils ont dû réaliser un inventaire et une notice expliquant comment démolir chaque matériau. Une partie des matériaux récupérés est utilisée pour un projet avec une agence d’architecture lilloise (HBAAT), pour réaliser un abri pour animaux, et le reste est revendu au sein du Parpaing. Concernant les normes, Lola Bazin m’explique que parfois, il suffit que l’artisan ou le maitre d’ouvrage soit d’accord pour utiliser un matériau pour que cela soit fait. Par exemple, ils avaient récupéré des poutres, et un des artisans chargé de les mettre en œuvre ailleurs a considéré qu’elles étaient « sûres » et donc qu’elles pouvaient être utilisées sans risque. Nous discutons du problème de la filière. Lola Bazin utilise l’exemple de Belastock. Puisqu’ils réalisent des projets « démonstrateurs », ils n’ont pas le problème du temps qui peut se poser sur d’autres projets. De même, le réemploi insitu ne permet pas, selon elle, de développer une filière plus globale, puisque les matériaux ne circulent pas. Pour elle, il y a encore aujourd’hui un gros manque d’infrastructure et de lieux de stockage significatifs pour que le réemploi puisse se développer.
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Nous discutons enfin de l’histoire du réemploi. Elle me rappelle que le réemploi n’est pas une technique nouvelle, et qu’elle a très longtemps été utilisée comme une technique courante. Elle illustre cela avec l’exemple du terrazzo. Chez les Romains, il était réalisé à partir de débris de chantier et de chutes de marbre récupérés chez les marbriers. Zerm a d’ailleurs réalisé un terrazzo à partir de débris trouvés sur chantier. Nous sommes entre le réemploi et le recyclage, puisque le matériau d’origine n’est plus du tout visible. De même, Lola Bazin parle du mortier en tuileau, lui aussi réalisé par les Romains à partir de déchets. Ici, il s’agit d’un mortier à base de poudre de terre cuite (souvent issus de tuiles) et de chutes plus grandes. Nous visitons ensuite le Parpaing. Lola Bazin explique que le lieu est trop petit, et qu’il ne permet pas d’avoir une offre assez conséquente pour créer une filière. Il s’apparente plutôt à une vitrine de ce qui pourrait exister. De par sa taille, les matériaux exposés ne permettent pas de réaliser de grands projets, mais ils les sélectionnent tout de même en faisant en sorte d’avoir plusieurs pièces d’un même matériau.
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https://www.lemoniteur.fr/article/en-avant-pour-democratiser-le-zerodechet-dans-le-btp.1983849, Comment démocratiser le "zéro déchet" dans le BTP, KHALID Nohmana , consultable sur le site https://www.lemoniteur.fr/, date de mise en ligne 20/07/2018, consulté le 22/07/2018
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https://www.legifrance.gouv.fr/
Mémoires, thèses : -
AMSING Tatiana, Le réemploi : mutation du cerveau de l'architecte, Mémoire de recherche en Master d’Architecture, Domaine Conception, dirigé par F. Vermandel et JC Gérard, ENSAPL, 2015-2016
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BURINI Emma, Réemploi de matériaux et processus de production de projet en architecture, Mémoire de recherche en Master d’Architecture, Domaine Architecture, Environnement et Cultures Constructives dirigé par J-B. Marie, R. Morelli et L. Mouly, ENSA Normandie, 2015-2016
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COLONNEAU Téva, Anticiper l’obsolescence : construction et perspectives d’un changement de paradigme de l’architecture aujourd’hui ?, Mémoire de recherche en Master d’Architecture, Domaine Matérialité, dirigé par A. Mastrorilli et C. Felix-Fromentin, ENSAPL, 2015-2016
-
MOENECLAEY Emile, Réemploi et adhocisme, démarche et devenir du réemploi des matériaux en architecture, Mémoire de recherche en Master d’Architecture, Domaine Matérialité, dirigé par A. Mastrorilli et R. Zarcone, ENSAPL, 2016-2017
-
MOINET Morgan, Vers une filière du réemploi des matériaux de construction, Mémoire de recherche en Master d’Architecture, dirigé par Rozenn Boucheron-Kervella, ENSAB, 2014-2015
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SERVOISE Guillaume, Déchets, réemploi, recyclage : la déconstruction,-nouvelle responsabilité de l'architecte ?, Soutenance Mention Recherche dirigé par Séverine Bridoux-Michel, ENSAPL, 2016/2017
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Films et émissions de radio : -
CHASLIN François, L'architecture du réemploi et du détournement, Métropolitains - France Culture, 01/07/2012
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DELESTRAC Denis, Le sable, enquête sur une disparition, France, ARTE Télévision, 2011, Durée : 74min
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JUZA Camille, La maison de Jean Prouvé, la machine dans la forêt, Le génie des lieux, France Culture, 10/07/2016
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NEUMANN Stan, La maison de Jean Prouvé, Paris, Centre national du cinéma et de l'image animée, 2014
Conférences : -
Du réemploi des matériaux à la transformation des quartiers : recycler la ville ?, l’Observatoire de la ville, Euratechnologie (Lille, France), Mai 2016
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BERLINGEN Flore, BOUCHAIN Patrick, CHOPIN Julien, Architecture, mode de réemploi, Festival ZERO WASTE France 2018, Cabaret Sauvage (Paris, France), 29 Juin 2018
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CAUE du Puy-de-Dôme, Récupérer, Réemployer, Réinventer, ClermontFerrand (France), du 22 mars au 7 avril 2017
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Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, Université Grenoble Alpes et Grenoble Alpes-Métropole, Cycle de 3 journées « Réemploi et pratiques constructives : vers une économie circulaire des ressources du bâtiment », ENSA Grenoble (France), le 09 Novembre 2018, le 22 Mars 2019, le 14 Juin 2019 Dont Bellastock, « Réemploi : Matière, construction, Architecture » Dont Intervention de Bellastock, par Julie Benoît (22 Mars 2019) Dont Interventions de Rotor, « Retours et expériences », par Michaël GHYOOT et Cécile GUICHARD. (22 Mars 2019)
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MONGEARD Laetitia, VESCHAMBRE Vincent, Eléments pour une histoire de la déconstruction : évolution en matière de démolition de l’habitat, Deuxième congrès francophone d'histoire de la construction, Vaulx-enVelin (France), Janvier 2014
Articles de Revues : -
BICAL Arnaud, « Economie, normes, procédures, labels – contexte et matière à projet » Exercices d'Architecture N°2, 2010, p.32-37
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BILLIET Lionel ; GIELEN Maarten ; GHYOOT Michael, « Le Cerisier et la plaque de plâtre », Criticat 9, Mars 2012, p.102-113
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DA COSTA Isabelle, « Histoire d’une maison, le dernier entretien avec Jean Prouvé », AMC n°4, Juin 1984, p.53-67
-
DESMOULINS Christine, « Où en est la loi sur la liberté de création ? », D’architectures 244, Mai 2016, p.32-34
-
DEVLIEGER Lionel, « L’architecture à l’envers », Criticat 18, Automne 2016, p.90-101
-
GESLIN Félicie, « Entretien avec Julien Chopin, Le réemploi, une pratique à massifier », Les cahiers techniques du bâtiment n°359, Avril 2017, p.42-43
-
GESLIN Félicie, « Réemploi à grande échelle d’éléments du secondœuvre », Les cahiers techniques du bâtiment n°359, Avril 2017, p.44-45
-
GESLIN Félicie, « Vers 70% des déchets du BTP valorisés en 2020 », Les cahiers techniques du bâtiment n°359, Avril 2017, p.36-37
-
GUISLAIN Margot, « De la contre-culture américaine aux filières organisées », AMC n°249, Mars 2016, p.64-65
-
LAPORTE Rémi, « La Poubelle du banal. Le matériau de récupération comme matière d’une architecture éco-responsable et ouverte aux sens », Le Philotope n°12, Décembre 2016, p.185-194
-
MICHELIN Nicolas, « Les architectes sont-ils des lapins ? », L’architecture d’aujourd’hui n°377, avril/mai 2010, p.109-116
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PAVIE Virginie, « Pierre par Pierre, pas à pas », Les cahiers techniques du bâtiment n°367, Mars 2018, p.34-39
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SOURCES ICONOGRAPHIQUES Figure 1 : ADEME, Réemploi, réparation et réutilisation : édition 2015, mise en ligne Juillet 2015, p.7 Consultable sur : https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/reemploireparation-reutilisation-2015.pdf Figure 2 : Carte produite par le site materiauxreemploi.com, et alimentée par les lecteurs du site. Consultable sur le site : http://materiauxreemploi.com/carte-acteurs-filierereemploi/ , mise en ligne le 29 janvier 2018 Figure 3 : Quentin Olbrechts, Sans Titre, photo numérique, reproduite dans : https://samynandpartners.com/portfolio/europa-new-headquarters-of-the-councilof-the-european-union/ (consulté le 12.05.2019) Figures 4 et 5 : Philippe SAMYN and PARTNERS architects & engineers, LEAD and DESIGN PARTNER, Sans titre, photo numérique, reproduite dans : https://samynandpartners.com/portfolio/europa-new-headquarters-of-the-councilof-the-european-union/ (consulté le 12.05.2019) Figures 6 et 7 : Cyrus Cornut, Sans Titre, photo numérique, reproduite dans Collectif Encore Heureux, Matière Grise, cat. expo., Pavillon de l’Arsenal Paris, Du 26 septembre 2014 au 25 janvier 2015, Paris, Editions du Pavillon de l’Arsenal, 2014, p.136 Figure 8 : Rémi Laporte, Sans Titre, reproduite dans CAUE du Puy-de-Dôme, Récupérer, Réemployer, Réinventer, Clermont-Ferrand (France), du 22 mars au 7 avril 2017 Figures 9 et 10 : Rémi Laporte et Gilles Racineux, Sans Titre, photo numérique, reproduite dans http://www.auvergne-architectes.net/bureaux/amenagement.htm, consulté le 10.10.2018 Figures 11 et 12 : Bellastock, Sans Titre, photo numérique, reproduite dans https://www.flickr.com/photos/bellastock/albums/72157684013362064, mise en ligne le 29/05/2017, consulté le 04.04.2019 Figures 13 : Patrice Richard, Sans Titre, photo argentique, d.i. reproduite dans DA COSTA Isabelle, « Histoire d’une maison, le dernier entretien avec Jean Prouvé », AMC n°4, Juin 1984, p.64
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ANNEXE 1 : La gazette de Charleroi, Sans-Titre, 03 mai 1914, reproduite dans :https://www.facebook.com/436549809746792/photos/a.438628862872220/1 389246464477117/?type=3&theater ANNEXE 2.1 : Cyrus Cornut, Sans Titre, photo numérique, reproduite dans Collectif Encore Heureux, Matière Grise, cat. expo., Pavillon de l’Arsenal Paris, Du 26 septembre 2014 au 25 janvier 2015, Paris, Editions du Pavillon de l’Arsenal, 2014, p.137 ANNEXE 2.2 : Rémi Laporte et Gilles Racineux, Sans Titre, photo numérique, reproduite dans http://www.auvergne-architectes.net/bureaux/amenagement.htm, consulté le 10.10.2018 ANNEXE 2.4 : Bellastock, Sans Titre, photo numérique, reproduite dans https://www.flickr.com/photos/bellastock/albums/72157684013362064, mise en ligne le 29/05/2017, consulté le 04.04.2019 ANNEXE 3 : Philippe Samyn, croquis technique, reproduite dans ATTALI Jean, Europa, Brussels, Editions CIVA, 2013, p.86 ANNEXE 5 : Rotor, Fiche-Produit Brique de réemploi, 21/02/2013, p.8 ANNEXE 6 : Bellastock, Sans Titre, tableau numérique, reproduite dans https://www.caissedesdepots.fr/sites/default/files/medias/lab_cdc/01-bsoph93_clos-guide-moa.pdf, Guide maitrise d’ouvrage La Fabrique du Clos, BELLASTOCK et OPH93, consultable sur le site : https://www.caissedesdepots.fr/ , date de mise en ligne 26/09/2016, consulté le 16/08/2018, p.50 ANNEXE 7 : Jean Prouvé, photos argentiques, reproduites dans DA COSTA Isabelle, « Histoire d’une maison, le dernier entretien avec Jean Prouvé », AMC n°4, Juin 1984, p.59
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ABSTRACT Réemploi - Normes – Déchets – Economie circulaire Cette recherche permet de comprendre pourquoi le réemploi ne se développe pas en France, en axant la question sur les normes en vigueur. En effet, d’après la plupart des acteurs du réemploi, ce qui pose le plus problème sont les règlementations qui empêchent l’utilisation de matériaux déjà utilisés. Celles-ci sont notamment problématiques en ce qui concerne l’assurabilité des ouvrages, la responsabilité des acteurs et le statut de déchets. Il s’agit donc dans un premier temps de comprendre pourquoi elles posent effectivement problème, puis de montrer que malgré celles-ci, le réemploi de matériaux est possible en France. Pour cela, 4 approches seront étudiées : le réemploi considéré comme innovation, l’approche pragmatique (réemployer des matériaux à faible risque), l’approche critique (réinterroger les normes et mettre en place des guides au réemploi) et enfin l’approche intégrale (penser le bâtiment comme entièrement réemployable, penser la déconstruction avant même la construction). Chaque approche s’appuie sur au moins une étude de cas, afin de montrer très concrètement quels résultats (sociaux, économiques, environnementaux) ont pu être obtenu grâce à l’utilisation de matériaux de réemploi.
Reclaimed materials – Reuse – Waste – Circular economy – Legislation This research work highlights the difficulties to use reclaimed materials in France, by focusing on the legislative acts in power. In fact, the professionals all agree on the fact that legislation is the most difficult obstacle when it comes to using materials that have already been used. This legislation is problematic when related to the insurances of the buildings, the liability of each contributor and the status of waste products. The first part explains the legislative environment that leads to restraining the use of reclaimed materials in France, while the second one shows examples of buildings that used those materials anyway. This second part results in showing that reuse is, even with difficult legislative acts, possible in many different ways. To illustrate these solutions, 5 case studies have been made, in order to show a variety of possibilities, and how each one has come across its own difficulties and successes. Finally, the last part focuses on the “after” of reuse in France, with the changes that are coming soon in legislation, and the need of new places to host those materials.
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