Geneaologie de la 6e facade

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GÉNÉALOGIE DE LA 6E FAÇADE ANDRZEJ GWIZDALA



Andrzej Gwizdala

Généalogie de la 6e façade.

2013 - 2014 Janvier 2014



Remerciements d’études, Monsieur Grulois Geoffrey, pour sa patience, sa disponibilité et ses précieux conseils au cours de cette année académique. Je voudrais aussi remercier mes parents, mon oncle et ma tante de m’avoir aidé à surmonter les obstacles pendant mes études. Merci.


«Absence and the ephemeral are not negativity, but the presence of indescribable essence. If architecture is simply defined as a permanent construction, it will be incapable of responding to the diverse and capricious exigen1 cies of the contemporary metropolitan individual.» Iihyun Kim «I have always been concerned with the animation of the ground condition. The ground has the highest urban potential and has been neglected by 2 traditional architecture. The ground plane should open up and multiply.» Zaha Hadid

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KIM Iihyun, «Reality and Architecture: Totality and dissolution of the object», in AYMONINO Aldo, MOSCO Paolo Valerio, Contemporary public space : un-volumetric architecture, Skira Editore, Milan, 2006, pp.163-164. 2 HADID Zaha, Pritzker Price Acceptance Speech. http://www.pritzkerprize.com/2004/ceremony_speech1

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Avant propos Soulever le bâtiment pour offrir de l’espace public à la ville ! Aujourd'hui, cette idée généreuse soulève de plus en plus d’enthousiasme parmi les architectes de l’Europe entière. De grandes «Star Architects » comme Alsop, Hadid, Herzog & deMeuron, Koolhaas, MVRDV, rivalisent actuellement dans un concours officieux pour rendre le rez-de-chaussée le plus libre, le plus ouvert et le plus transparent possible. En effet, les opportunités offertes par l’architecture soulevée du sol paraissent aujourd’hui incontestables. Il y a à cela plusieurs raisons. La création d'espaces publics, ainsi générés sous le bâtiment, peut constituer une réponse adaptée au contexte économique et social qui pousse les architectes à ne pas sur-construire et à dessiner le vide au lieu du bâti. De même, ces espaces peuvent constituer une alternative ou un complément aux autres espaces urbains dominés par la circulation automobile. Ils ont aussi le pouvoir de devenir le concurrent efficace du développement des Malls commerciaux dont les intérieurs semi-privés semblent mettre en péril la survivance des espaces publics traditionnels de la ville. Enfin, ces espaces apparaissent comme un élément capable de gérer la relation entre espace privé et espace public, entre le bâtiment et la ville, ce qui permet de valoriser une architecture vraiment urbaine. Ces arguments nous permettent de confirmer notre intuition première selon laquelle le contexte actuel se prête bien à la création des espaces sous le bâtiment. Par ailleurs, comme nous le suggère la citation de Zaha Hadid, l’actualité de la question pousse les architectes à penser que le rez-de-chaussée libéré constitue une grande innovation de notre époque. Mais est-ce vraiment le cas ? Cet espace sous le bâtiment ne se raccrochet-il pas à la tradition de l’espace public de la ville occidentale? Quelles sont, dans ce cas, les conséquences négatives de ce déracinement inconscient? Ou, à l’opposé, quels sont les avantages potentiels résultant du rattachement de ce phénomène à l’histoire de l’espace public?

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Table des matières Avant propos………………………………………………………………….... Introduction Pourquoi une « généalogie » de la «6e façade»?................................... Pourquoi une «façade»?......................................................................... Pourquoi la «6e» façade?........................................................................ e façade………………………………………………..….. ………...... …….... .............

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……………….. I PARTIE : la 6e façade et l’espace convexe sous le bâtiment. e ……………… ………………………............ ..... ............. Exemple architectural: Unité d’habitation de Le Corbusier...………….. II PARTIE : la 6e façade et l’espace concave sous le bâtiment. ……… … Exemple architectural: Ville de Chimbote de José L. Sert…………….... e e

…………….. façade…………….…..

La 6e Exemple architectural: Logements Gallaratese 2 d’Aldo Rossi……....... e La 6e ……………. Exemple architectural: la place couverte de Léon Krier……………….... 77

III PARTIE : la 6e façade comme dépassement de division convexe/concave. La 6e 87 e

Exemple architectural: Hypo Theatiner Zentrum de Rem Koolhaas.....


Conclusion……………………………………………………………..…......107 Bibliographie…………………………………………………………..……...112 Iconographie……………………………………………………………..……122 Annexe……………………………………………………………………………...

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Fig. 1

Fig. 2

Fig. 3


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Pourquoi « généalogie » de la «6 façade» ? Ces dernières années, la prolifération des bâtiments soulevés du sol dans les villes européennes suggère que nous nous trouvons aujourd’hui dans une phase de production d’une forme urbaine, que nous allons e appeler la «6 façade» (1). Hélas, il semblerait que cette multiplication rapide s’accompagne d’un certain manque de réflexion générale sur la question. Pourquoi et comment soulever le bâtiment ? Malgré les coûts élevés de cette opération, dans de plus en plus de cas les architectes soulèvent les bâtiments sans de forts arguments si ce n’est que pour les distinguer formellement de leur environnement. Ainsi, nous observons un accroissement du nombre de projets où le décrochement du sol ne constitue pas une plus-value pour le bâtiment, mais où il génère un véritable non-lieu en dessous de lui. Pour réagir face à cette situation problématique, il nous paraît nécessaire de conceptualiser cette question, s’interroger sur la signification et les conséquences de l’acte de mise en hauteur d’un édifice. La formation de ce concept ne peut se faire autrement que par une étude rétrospective, qui répond à la question : e Comment la «6 façade» se raccroche-t-elle à la tradition d’espace public dans la ville occidentale? Nous sommes convaincus que la connaissance de ce processus permet de comprendre comment les « rez-de-chaussées libérés » peuvent s’inscrire aujourd’hui dans l’espace urbain. Dans cette logique, nous proposons une étude généalogique, un retour vers la période qui va des années cinquante aux années quatre-vingt du XXe siècle que nous jugeons le dernier âge d’or de « l’espace public sous le bâtiment ». En effet, il s’agit de la période pendant laquelle les architectes remettent en question le discours moderniste et optent pour un retour vers « l’art urbain » préindustriel (2), ce qui se traduit par l’utilisation fréquente dans leurs projets des colonnades, portiques et d’autres exemples de l’espace sous le bâtiment. Par ailleurs, ce manque de concept général se traduit aujourd’hui dans le langage courant par une multiplication de notions or ces notions ne prennent à chaque fois en compte qu’un aspect particulier de la question (3). Même si nous regroupons ces termes dans de différentes catégories, nous ne faisons que renforcer le morcellement artificiel du concept. Pour sortir de cette impasse, nous avons donc besoin d’un nouveau terme qui réinterroge toutes les facettes du problème de façon dialectique. e

Ce nouveau terme est la « 6 façade »: une notion jusque là absente, qui permet de renouer avec l’histoire de l’espace public dans la ville occidentale.

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Pourquoi une « façade » ? Le dictionnaire Larousse, définit la « façade » (de l’italien facciata, XVIIe s.) comme : Chacune des élévations d’un bâtiment présentant une importance fonctionnelle ou décorative (façades principale, postérieure, latérales ; sur rue, sur cours, sur jardin)3. Cette «importance fonctionnelle ou décorative» a pour conséquence que ce mur extérieur fait objet d’une attention particulière lors de sa conception et de sa réalisation. En ce sens, l’utilisation du terme « façade » dans notre cas, constitue une incitation délibérée aux architectes d’accorder de plus e en plus d’intérêt à la 6 façade. e Ensuite, cette référence sémantique, permet de raccrocher la 6 façade à la longue et complexe histoire de l’élément architectural, dont l’évolution traduisait la majeure partie du temps les grandes préoccupations des architectes à travers les siècles. Analogiquement, il nous paraît essentiel e que la 6 façade traduise les grandes préoccupations de l’architecture contemporaine. Néanmoins, l’utilisation du terme « façade » permet aussi d’orienter la question étudiée vers la relation entre le bâtiment et l’espace public. Il est important de remarquer que cette relation est intrinsèquement ambiguë, puisque le mur extérieur d’un édifice, est à la fois la façade de celui-ci et la façade de l’espace public qu’il délimite. Dans ce sens, la façade ne concerne pas uniquement le bâtiment, «elle doit répondre à d’autres 4 besoins que la seule séparation» , elle doit devenir un élément de transition, de contact entre les deux milieux. Enfin, le terme « façade » nous semble adéquat dans le cadre de cette étude architecturale, parce que tout en traitant des relations parfois invisibles entre la sphère publique et privée, il implique une certaine matérialité, il pose des questions de structure et de composition. Parler de la « façade » oblige alors à sortir du cadre théorique et à étudier des exemples architecturaux précis.

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Le petit Larousse illustré, Larousse, Paris, 2005 p.449. Pour une définition plus détaillée, voir Viollet-le-Duc, Eugène, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1856, Tome 5, «façade». 4 Toyo Ito cité dans LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Architecture et théories, e e XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009, p.572.

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Pourquoi la « 6 » façade ? e

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Le terme 6 façade vient en extension de l’idée de 5 façade que Le Corbusier utilisait pour désigner le toit-jardin, un des « cinq points d’une architecture nouvelle » (1927). Ce rapprochement délibéré est fait pour, en premier lieu, souligner que la e 6 façade doit être comprise comme un concept plutôt qu’une forme. Deuxièmement, il profite du basculement sémantique fait par Le Corbusier lorsqu’il utilise le mot façade, qui désigne habituellement un plan vertical, pour parler d’un plan horizontal, espace destiné à l’usage des gens. De e e manière similaire, la 6 façade, aussi bien que la 5 façade ne doit pas être réduite uniquement à la face inférieure d’un volume soulevé, mais pensée comme un espace ouvert pour les hommes, espace créé par la décision consciente de décrocher le bâtiment du sol. e Enfin, Le Corbusier relie l’apparition de la 5 façade avec les innovations technologiques de son époque. Dans la même lignée, nous partageons la e conviction que la prolifération actuelle de la 6 façade est la conséquence de l’avancée technologique de notre époque permettant de décrocher de plus en plus le bâtiment du sol. Néanmoins, nous sommes aussi sceptiques par rapport à cette interrelation, dans la mesure où nous estimons que de nos jours, dans trop de cas les moyens remplacent la fin. e

Définition de la 6 façade. e

Pour définir ce que noue entendons par la 6 façade, une notion jusque là absente mais qui désigne un phénomène existant depuis des années, nous avons recours à un manifeste. Etant conscients des limites d’un travail de fin d’études et sans prétendre à l’exhaustivité, nous estimons que cette formule nous permet de préciser l’objet de l’étude, mais à la fois elle sous-entend un autre enjeu du mémoire: spécifier ce que l’espace public sous le bâtiment devrait être aujourd’hui. e

Manifeste de la 6 façade : e

1. La 6 façade est un prolongement d’espace public, accessible aux piétons. e 2. La 6 façade est un espace située au niveau zéro, ou en contact direct avec le rez-de-chaussée urbain. e 3. La 6 façade est un espace défini par un bâtiment en surplomb, un volume avec un intérieur et un programme propre. e 4. La 6 façade est un espace capable d’accueillir une fonction indépendamment du bâtiment qui la surplombe.

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NON Fig. 4

OUI, MAIS SEULEMENT SI DÉLIBÉRÉ


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5. La 6 façade est un espace qui délibérément introduit une nouvelle relation entre le bâtiment et la ville. e 6. La 6 façade est un espace auquel l’architecte porte une attention particulière lors de conception et de réalisation d’édifice. Pour comprendre à partir de quel moment un décrochement du sol devient e la 6 façade, il est essentiel de ne pas considérer celle-ci seulement dans son aspect morphologique, mais avant tout comme l’application d’une idée architecturale (4). Par conséquent, dans certains cas, c’est la connaise sance de l’intention de l’architecte qui permet de statuer s’il s’agit d’une 6 façade ou pas. Enfin, dans le cadre du présent travail de fin d’études, nous allons nous intéresser uniquement aux projets situés dans le milieu urbain. D’une part parce que c’est en ville que nous observons le plus d’exemples de l’espace sous le bâtiment. D’autre part parce que nous considérons que c’est en e ville que la 6 façade a le plus de sens comme un élément de gestion de relation entre le bâtiment et l’espace public. Objectifs de l’étude Ce travail de fin d’études cherche, en premier lieu, à répondre à la question: e Comment la 6 façade se raccroche-t-elle à la tradition d’espace public dans la ville occidentale? Autrement dit, nous allons essayer de comprendre, comment l’emploi de la e 6 façade dans les projets a permis aux architectes de la période entre les années cinquante et quatre-vingt, de rompre avec, ou s’inscrire dans la continuité de ce qui est considéré par les historiens de la ville, comme les 2 grands modèles d’espaces urbains: la ville fermée-préindustrielle puis la 5 ville ouverte-moderniste . En effet, nous nous apercevons que chaque architecte appuie sa théorie 6 soit sur le refus soit sur le retour aux idées de ses prédécesseurs . De plus, à l’intérieur de chaque prise de position nous pouvons isoler de différentes sous-attitudes. Ainsi, pour le «refus général» nous distinguons 5

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Ces deux modèles correspondent aux deux grandes visions d’urbanisme : «culturaliste» et «progressiste» présentées par Choay Françoise dans L’urbanisme, utopies et réalités, une anthologie, Éditions du Seuil, Paris, 1979. 6 N.B. Il est clair que ces deux attitudes sont souvent complémentaires et l’une peut entrainer l’autre. Néanmoins, ce n’est pas toujours le cas, ainsi par exemple : le refus de fonction comme déterminante de la forme, n’entraine pas forcément une autre prise de position particulière. Enfin, même si les deux sont reliées, il est intéressant de distinguer la cause de la conséquence.

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«le renversement» et le «refus». Pour le «retour général» nous discernons 7 «l’imitation», «le retour» et la «réinterprétation» . La mise au clair de ces attitudes complexes et souvent implicites, permet de tisser le fil rouge de ce travail, dans la mesure où elles se reflètent dans e l’usage spécifique de la 6 façade. Sur leur base nous allons donc pouvoir e affirmer dans quelle tradition spécifique s’inscrit la conception de la 6 façade particulière de chaque architecte et ensuite vérifier ces hypothèses à travers un exemple représentatif. Par conséquent les objectifs de ce travail de fin d’études sont : e 1. Déterminer le lien entre la 6 façade et le modèle urbain, ouvert ou fermé. e 2. Trouver des architectes de la période étudiée qui valorisent la 6 façade dans leurs projets. 3. Comprendre comment les prises de positions théoriques de ces e architectes se reflètent dans leur utilisation générale de la 6 façade. e 4. À travers d’un exemple emblématique, analyser comment la 6 façade s’articule à chaque fois avec l’espace public et quelle relation elle établit entre le bâtiment et la ville. 5. Sur base de la théorie et de la pratique, conclure dans quelle tradition e d’espace urbain s’inscrit réellement la conception de la 6 façade de chaque architecte. Hypothèses de l’étude e

1. La 6 façade constitue un élément architectural fondamental de la conception du modèle de la ville ouverte, moderniste. e

2. La 6 façade constitue un élément architectural fondamental de la conception du modèle de la ville fermée, préindustrielle, reprise par les architectes de la période entre les années cinquante et quatrevingt. e

3. Étant donné que la 6 façade existe dans les deux traditions, il est possible qu’elle soit un élément de réconciliation entre celles-ci.

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!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Nous faisons ici usage des termes introduits par Alan Colquhoun dans Recuil d’essais critiques, Architecture moderne et changement historique, Pierre Madraga Editeur, Liège, 1985.

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Méthode de recherche e

La généalogie de la 6 façade est une recherche bibliographique qui passe par plusieurs types de sources: secondaires-préparatoires, ensuite primaires, puis secondaires et enfin tertiaires. 1. Nos recherches ont commencé avec la série de conférences du théoricien et historien d’architecture, Jacques Lucan à la Faculté d’architecture LaCambreHorta (2012) et puis la lecture du livre Composition, noncomposition Architecture et théories, XIXe-XXe siècles du même auteur. Cet ouvrage a constitué une source préparatoire essentielle pour la façon e d’aborder la 6 façade, dans la mesure où l’auteur a introduit deux notions fondamentales qui nous ont permis de relier l’architecture à l’urbanisme : l’espace concave et l’espace convexe. En peu de mots, selon Lucan, le premier correspond à l’idéal de la ville fermée, préindustrielle et le deu8 xième correspond au modèle de la ville ouverte, moderniste . Ces notions à la frontière entre l’architecture et l’urbanisme constituent le lien entre la e 6 façade et les deux grandes traditions d’espace public en ville occidentale. Le livre de Lucan s’est avéré aussi fondamental, dans la mesure où il nous a fait découvrir les relations entre l’évolution de la théorie architecturale et la composition de certains éléments en architecture. Il a constitué donc l’inspiration première pour l’idée de ce travail de fin d’études. Enfin, c’est grâce à ce livre, que nous avons découvert pour la première fois les écrits théoriques sur la relation entre le bâtiment et la ville de Le Corbusier, Venturi, Rowe et Koolhaas, qui par la suite ont été développés dans ce mémoire. 2. Nous sommes passés ensuite à la recherche des architectes de e l’époque qui valorisaient la 6 façade dans leurs projets. Ainsi, la deuxième source préparatoire a été le livre « Revues d’architecture dans les années 1960 et 1970 », dont l’auteur stipule que pendant ces deux décennies «la revue est considérée comme la colonne vertébrale des 9 mouvements novateurs». Cette source nous a permis alors de choisir certaines revues, comme sources premières pour la recherche de projets et de textes théoriques.

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!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Nous développons ces aspects plus en détails dans le chapitre 1.4 de cette étude. Voir aussi Jacques Lucan «Nécessités de la clôture ou la vision sédentaire de l’architecture», Alberto Abriani, Matières, EPFL-CM, Lausanne, 1999. Sornin Alexis, Revues d'architecture dans les années 1960 et 1970 : fragments d'une histoire événementielle, intellectuelle et matérielle : actes du colloque international tenu les 6 et 7 mai 2004 au Centre canadien d'architecture, CCA, à Montréal, p.9.

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Toutefois, elle nous a permis aussi de recouper ensuite ces sources en fonction des tendances générales et des évènements historiques qui ont influencé les revues. Nous avons choisi donc de dépouiller systématiquement les revues suivantes : Carré bleu (1959/60- 1968). L’architecture d’aujourd’hui (1963) (1968-1975). Casabella (continua) (1953-1965) (1973-1975). Bulletin d’informations des Archives d’Architecture Moderne (1975-1980) 3. Après le dépouillement des revues d’architecture, nous avons procédé à un regroupement de projets et de textes qui traitaient indirectement de la e 6 façade. Ceci nous a permis de dégager certains personnages et mouvements clefs pour la question étudiée, comme Jose Luis Sert et C.I.A.M. 8, Aldo Rossi et la Tendenza, Léon Krier et le Mouvement Pour la Reconstruction de la Ville Européenne. Ces architectes sont venus en complétement de Le Corbusier, Venturi, Rowe et Koolhaas sélectionnés auparavant. 4. Pour comprendre comment la prise de position théorique de ces e architectes a influencé leur conception de la 6 façade, nous sommes passées à la lecture des sources premières- leurs propres écrits. Pour chaque architecte, nous avons essayé de nous limiter à un livre-manifeste de l’œuvre de son auteur. Nous avons choisi de lire : Le Corbusier, Vers une architecture (1923), Sert, Rogers, Tyrwhitt, The Heart of the City (1951) Rossi, Aldo, Architecture de la Ville (1966), Venturi, De l’ambiguïté en Architecture (1966), Koolhaas, Delirious New York (1978) Krier, Vidler, Architecture Rationnelle (1978), Rowe, Koetter, Collage City (1978) 5. Pour replacer ces architectes dans leurs contextes et compléter les informations sur leurs prises de positions générales, nous avons fait usage des sources secondaires sur l’histoire de la ville, puis l’histoire de l’architecture et de la théorie architecturale au XXe siècle: Banham R., Théorie et design à l’ère industrielle, (1960) Benevolo L., Histoire de la ville, (2004) Choay F., Espacements, l’évolution de l’espace urbain en France, (1969)

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Colquhoun A., Essays in architectural criticism : modern architecture and historical change (1985) Ellin N., Postmodern Urbanism, revised edition, (1996) Frampton K., Modern Architecture : A critical history (1985) Jenks C., Postmodern Classicism : the new synthesis, (1980) Tafuri M., Storia dell’architettura italiana 1944-1985 (1986) Nesbitt K., Theorizing a new agenda for architecture an anthology of architectural theory 1965-1995 (1996) 6. Enfin, pour compléter toutes ces informations, nous avons eu recours aux sources tertiaires: les thèses, les mémoires et les sites internet. Structure de l’étude Conscients des limites d’un travail de fin d’études qui rendent impossible l'étude exhaustive de la pensée de tous les architectes, nous avons considéré que chaque livre-manifeste comporte une idée clef. Il s’agit d’une notion qui permet de synthétiser et conceptualiser l’usage e particulier de la 6 façade pour chaque architecte et le mouvement dont il est le représentant. Ces six notions clefs sont : -le concept des pilotis de Le Corbusier (et les Modernistes) -le concept d’espace concave sous le bâtiment de J.L. Sert (et C.I.A.M. 8) -le concept de type analogue d’Aldo Rossi (et les Néorationalistes italiens) e -le concept de la 3 typologie de Léon Krier (et le M.P.R.V.E) -le concept du poché (urbain) de Venturi, Rowe (et les contextualistes) -le concept de congestion urbaine de Rem Koolhaas Dans la suite du travail, nous faisons surtout référence à ces six notions e clefs qui, selon nous, influencent à chaque fois l’usage de la 6 façade de façon à ce qu’elle s’inscrive dans le modèle de la ville ouverte et l’espace convexe, ou bien dans la tradition de la ville fermée et l’espace concave. La mise au clair de ces concepts nous permet d’expliciter les liens et e comparer les différents exemples de la 6 façade du vingtième siècle. e Enfin, nous essayons de voir à quel point la 6 façade sous influence de certains de ces concepts, possède le potentiel de dépasser l’opposition convexe/concave à l’échelle d’un projet architectural situé dans le milieu urbain. Ainsi, pour répondre aux objectifs du travail et pour vérifier les hypothèses proposées, les 6 notions clefs sont regroupées en trois parties faisant le

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lien entre la question de la 6 façade et les deux visions urbanistiques opposées. Les conclusions de chaque chapitre concernant une notion sont ensuite à chaque fois vérifiées à travers un exemple architectural emblématique. Par conséquent la structure du travail se présente de manière suivante : e

- I PARTIE : la 6 façade et l’espace convexe sous le bâtiment e Dans cette partie, nous montrons comment la 6 façade sous forme des pilotis permet de réaliser le rêve moderniste de l’espace continu et convexe. Exemple architectural : Unité d’habitation de Marseille de Le Corbusier e

- II PARTIE : la 6 façade et l’espace concave sous le bâtiment Dans cette partie, nous montrons comment à partir des années 1950s les architectes redécouvrent l’espace concave sous le bâtiment. Exemple architectural : Ville de Chimbote de J.L. Sert Ensuite nous voyons comment la notion du type analogue, permet aux e architectes des années 1960s de réinterpréter à travers la 6 façade la tradition de l’espace concave. Exemple architectural : Logements Gallaratese 2 de Aldo Rossi e Enfin, nous voyons comment la notion de la 3 typologie, pousse les e architectes des années 1970s à imiter les exemples préindustriels de la 6 façade. Exemple architectural : la place couverte de Léon Krier e

- III PARTIE : la 6 façade comme dépassement de l’opposition convexe/concave. Dans cette partie, nous montrons comment les notions du poché (urbain) e et de la congestion urbaine, bouleversent la perception de la 6 façade, qui devient alors un élément capable de dépasser l’opposition entre la vision convexe et concave. Exemple architectural : Hypo Theatiner Zentrum de Rem Koolhaas Enfin, dans l’annexe, nous proposons de voir un répertoire de vingt projets contemporains qui créent un espace public sous le bâtiment.

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Le cadre et les limites de l’étude Dans ce travail de fin d’études nous nous limitons à l’analyse des six e notions que nous jugeons essentielles pour l’évolution de la 6 façade dans la période entre les années cinquante et quatre-vingt. Néanmoins, une de ces notions, les pilotis, sort de ce cadre chronologique. Le retour dans la première partie aux idées de Le Corbusier avant la seconde guerre mondiale, nous paraît essentiel pour la pleine compréhension de tous les processus qui ont lieu pendant la période étudiée. Par ailleurs, nous remarquons aussi que ce n'est précisément qu’à partir des années cinquante que les idées de Le Corbusier deviennent populaires et commencent à être appliquées partout en Europe. Ainsi, se pencher sur les pilotis dans ce travail, paraît d’autant plus légitime et nécessaire. En ce qui concerne le choix des projets étudiés, nous analysons uniquement des projets qui répondent aux critères restrictifs déterminés dans le e «Manifeste de la 6 façade». Ainsi nous n’étudions pas les passages, ou les galeries commerçantes, qui se trouvent sous une verrière, ni d’autres espaces, dont le caractère n’est pas essentiellement public. De même, tous les projets analysés sont obligatoirement situés dans le milieu urbain de la ville occidentale, et ils constituent à chaque fois des réponses spécifiques de leur époque à la question du centre-ville. Nous n’analysons donc pas les bâtiments complétement en dehors de la ville, ni les projets soulevés uniquement pour répondre aux conditions topographiques ou climatiques du site. e

Enfin, étant donné que la 6 façade en tant que phénomène n’a encore jamais fait l’objet d’une étude générale, et que les projets analysés n’ont jamais été regardés uniquement sous cet angle et très rarement confrontés entre eux, il est possible que nos observations apparaissent comme subjectives. Mais quelle est la juste limite entre l’interprétation et la compréhension ?

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Fig. A1. HENARD Eugène, Rue Future, 1910

Fig. A2. LE CORBUSIER, La ville-pilotis, 1915


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I PARTIE : la 6 façade et l’espace convexe sous le bâtiment. e

Chapitre 1. La 6 façade et le concept des pilotis. 1.1. Evolution du concept des pilotis. L’espace public sous le bâtiment est un phénomène observable dans la ville occidentale depuis des siècles. Cependant, à part quelques exemples reconnus aujourd’hui comme faisant partie du patrimoine architectural européen, il s’agit le plus souvent d’un produit anonyme de la ville, un fond silencieux dans le foisonnement quotidien de nos espaces urbains. Toutefois, en 1927 cet ordre des choses se trouve bouleversé, lorsque Le Corbusier (1887-1965) publie l’article «Les cinq points d’architecture nouvelle». Cette publication marque le tournant capital dans l’affranchissement e de la 6 façade, puisque pour la première fois dans l’histoire, l’espace public sous le bâtiment, sous forme de pilotis est élevé délibérément au rang d’un concept, un élément fondateur de la «nouvelle architecture». Néanmoins, même si l’an 1927 est aujourd’hui considéré comme l’année e de naissance officielle de la 6 façade, l’idée de décrocher le bâtiment du sol germe déjà dans la tête de l’architecte suisse plusieurs années auparavant. Elle se reflète à la fois à l’échelle urbanistique, dans le projet de la « ville-pilotis » et à l’échelle architecturale, dans le projet de la Maison Citrohan. Ainsi, en 1915, Le Corbusier, influencé par le travail d’Eugène Hénard sur 10 « Les études de transformations de Paris 1903-1909 » (A1) élabore un projet de «ville-pilotis» (A2). Selon l’architecte, ce modèle, pouvant s’appliquer à des villes existantes sans déformer le tissu urbain traditionnel, « ne faisait rien moins que tripler la surface circulable de la ville; elle était réalisable, correspondait à un besoin, coûtait moins cher, était plus saine 11 que les errements actuels» . L.C. justifie: Cette conception des pilotis (…) s’appliquait à la ville courante, telle que le Paris d’aujourd’hui. Au lieu de fonder en excavant et en construisant d’épais murs de fondations, au lieu de creuser et de recreuser éternellement les chaussées pour y établir (travail de Sisyphe) les conduites d’eau et 10

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Lors de sa conférence à Londres "Les Villes de l'avenir" en 1910, Eugène Hénard présente un modèle de "la Rue Future". Cette vision propose de séparer verticalement des piétons et véhicules et elle permet de cacher les infrastructures sous un sol artificiel. Voir : SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier, L’Unité d’habitation de Marseille, Éditions Parenthèses, Marseille, 1992, p.148. 11 LE CORBUSIER, Vers une architecture, Editions Champsarts, Paris, 1995, pp.44-45.

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Fig. A3. WILEY CORBETT Harvey , City of the Future, 1913


de gaz, les égouts et les métros, et les réparer sans fin on eût décidé que les nouveaux quartiers seraient construits à même le sol avec les fondations remplacées par un nombre logique de poteaux de béton ; ceux-ci eussent porté le rez-de-chaussée des immeubles et, en encorbellement, les dalles des trottoirs et des chaussées. Sous cet espace gagné, d’une hauteur de 4 à 6 mètres, auraient circulé les camions lourds, les métros remplaçant les tramways encombrants etc., desservant directement les sous sols des immeubles. Un réseau entier de circulation, indépendant de celui des rues destinées aux piétons et aux voitures rapides, eût été gagné, ayant sa géographie propre, indépendante de l’encombrement des maisons : forêt de piliers ordonnée par ou la ville eût fait l’échange de ses marchandises, son ravitaillement, toutes les besognes lentes et massives qui aujourd’hui embouteillent la circulation. 12 Cette vision de la ville répondant aux préoccupations économiques et hygiénistes, met en place une division verticale de la circulation et reste encore très éloignée des visions ultérieures de Le Corbusier concernant l’espace sous le bâtiment. Selon l’architecte elle a l’avantage de proposer un système qui en théorie ne modifie pas la structure urbaine traditionnelle, bien qu’en réalité la mise en place d’un tel «sol artificiel» nécessiterait sans doute la destruction de toute la ville. Par ailleurs, dans son ampleur et sa manière de gérer la circulation urbaine, la conception corbusienne se rapproche des visions futuristes de Harvey Wiley Corbett (1873-1954) pour New York (1913) (A3). La différence réside dans le fait que l’architecte américain fasciné par le phénomène de la congestion urbaine, propose une série de plate-formes en terrasses, sur lesquelles se croisent les automobiles avec les piétons, tandis que L.C. décide de séparer complètement la couche de «circulation lourde» de la couche de la ville située audessus. L’espace sous le bâtiment apparaît donc comme un lieu technique, caché et fermé qui ne s’entrecroise jamais avec l’espace public traditionnel. Par conséquent, nous ne pouvons pas vraiment considérer e qu’il s’agit de la 6 façade publique telle que nous l’avons définie auparavant.

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Fig. A4. LE CORBUSIER, Maison Citrohan, 1922

Fig. A6. LE CORBUSIER, Maison Citrohan, 1922

Fig. A5. LE CORBUSIER, Villa Savoye, 1928

Fig. A7. LE CORBUSIER, Villa Savoye, 1928

Fig. A8. LE CORBUSIER, “Toute la vie se déroule dessous” Toulouse, 1932


A l’échelle architecturale, Le Corbusier reste fortement impressionné par l’impact potentiel des pilotis sur la conception de bâtiment. En décrivant la 13 «Maison Voisin» , il s’enthousiasme : Il semblait jusqu’ici qu’une maison fut lourdement attachée au sol par la profondeur de ses fondations et la pesanteur de ses murs épais. Ce n’est point par un artifice que la maison Voisin est l’une des premières à marquer le contre-pied de cette conception. La science de bâtir a évolué d’une manière foudroyante en ces derniers temps ; l’art de bâtir a pris racine fortement dans la science. 14 Pour la première fois l’architecte suisse montre que le décrochement du sol est plus qu’une solution technique, il a une valeur symbolique et il constitue des véritables prémices annonçant l’avènement de la «nouvelle architecture» fondé sur la croyance en la science. Nous apercevons cette influence dans l’évolution du projet de Maison Citrohan, notamment dans sa deuxième version (1922) qui est soulevée sur des pilotis (A4). Il est intéressant de remarquer que dans ce projet, l’espace sous le bâtiment généré par les pilotis, diffère encore fortement du rez-de-chaussée libre de La Villa Savoye (1929) (A5) qui est considérée comme une application exemplaire des «cinq points d’architecture nouvelle» (1927). Dans « Les Heures claires », Le Corbusier traite l’espace créé par les pilotis comme un véritable hall d’entrée qu’il connecte spatialement et fonctionnellement avec le reste de la villa. Ainsi, il place à ce niveau le hall d’entrée et les pièces de vie pour les domestiques. La cave est enterrée au sous-sol (A6). Dans le même esprit, de nombreux croquis et photos annotées de l’époque montrent que l’architecte suisse perçoit les pilotis comme un lieu important de la maison (A8). En revanche, dans la Maison Citrohan dessinée sept ans auparavant, il associe les pilotis au « sous-sol soulevé » (le rez-de-chaussée étant situé à +3m) et il y implante le garage et les caves, sans établir de liaison directe avec la partie habitable (A6). Ainsi, pour entrer dans la villa, il ne faut même pas passer par l’espace sous le bâtiment, et celui-ci est relativement invisible depuis la rue. Enfin, ce manque d’interrelation entre la villa et les pilotis dans la Maison Citrohan, sous-entend qu’à cette époque, la conception corbusienne de l’espace sous le bâtiment reste encore fortement dominée par la logique hygiéniste. Nous pouvons donc conclure que ce projet constitue un 13

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LUCAN Jacques, Le Corbusier-Une Encyclopédie, Éditions du Centre Pompidou/CCI, Paris, 1987, p.470. 14 Le compte rendu sur la maison Voisin se trouve dans LE CORBUSIER, OZENFANT Amédée, L’Esprit nouveau, n°2, Paris, 1920, p.211.

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intermédiaire entre l’espace sous la dalle autonome de la ville-pilotis et la e conception plus ouverte, voir convexe de la 6 façade telle qu’il va l’appliquer dans ces projets ultérieurs. 1.2. Les pilotis comme le premier point d’architecture nouvelle. Cependant, tout au long des années vingt du XXe siècle, les pilotis se libèrent de leur aspect hygiéniste et leur rôle au sein de la vision générale de l’architecture de Le Corbusier, augmente progressivement. Pour comprendre pourquoi selon l’architecte suisse, les pilotis constituent des véritables prémices qui annoncent l’avènement de la «nouvelle architecture», il convient de revenir brièvement vers une idée plus générale de la relation entre la structure et «l’art de bâtir». Ainsi, nous remarquons qu’encore au début des années vingt, dans Vers une architecture, la prise de position de L.C. par rapport à la question de la construction, ne semble pas très claire. D’une part il affirme que : En architecture, les bases constructives anciennes sont mortes. On ne retrouvera les vérités de l’architecture que quand des bases nouvelles auront constitué le support logique de toute manifestation architecturale. 15 Mais d’autre part il constate que : L’architecture a un autre sens et d’autres fins que d’accuser des constructions (…) C’est bien pour un élève des Arts et Métiers qui tient à faire preuve de ses mérites. Le bon dieu a accusé les poignets et les chevilles, mais il y a le reste. 16 Cependant, nous observons que déjà quatre ans plus tard, l’engagement de L.C. par rapport à la question de la construction est beaucoup plus clair et ferme. Il affirme avec une grande dose de certitude: on peut accepter que les grandes époque d’architecture sont assises sur un système pur de structure. Ce système pur de structure qui satisfait aux exigences insatiables de la raison apporte à l’esprit une satisfaction, un émerveillement, une joie qui suscitent l’expression spirituelle et purement intellectuelle d’un système pur de l’esthétique architecturale. 17

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LE CORBUSIER, Vers une architecture, Editions Champsarts, Paris, 1995, p.48. 16 ibid., p.86 cité dans LEMOINE B. « Perret, Le Corbusier, Divergences et connivences », l’Architecture d’Aujourd’hui n°249, 1987, p.47. 17 LE CORBUSIER, « l’Esprit de vérité », L’Architecture Vivante, automne et hiver 1927, cité e e dans LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Architecture et théories, XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009, p.370.

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Ainsi, selon Le Corbusier, pour arriver à « l’esprit nouveau », il est nécessaire de comprendre et définir un nouveau système de structure, claire et logique qui doit trouver son expression dans un nouveau langage architectural. Pour établir ce nouveau système, Le Corbusier part de la fenêtre et de la toiture. Le troisième élément faisant système, apporté par le nouveau mode de structure sont les pilotis : « le ciment armé nous donne les 18 pilotis ». Ces trois éléments forment ensemble « les infinies et extraordi19 naires richesses d’un plan nouveau » . En effet, c’est à partir de ces trois éléments que Le Corbusier commence la formulation des « cinq points d’une architecture nouvelle » énoncés pour la première fois à l’occasion de l’exposition du Weissenhof à Stuttgart 20 (1926), dans cet ordre : 1. Les pilotis 2. Les toits-jardins 3. Le plan libre 4. La fenêtre en longueur 5. La façade libre Ces points de doctrine sont parallèlement énoncés dans un article intitulé «Architecture d’époque machiniste» publié dans le Journal de psychologie normale et pathologique (1926) et ensuite dans L’Architecture d’Aujourd’hui (1933) ce qui leur permet de se répandre largement dans le monde 21 entier . En ce qui concerne les pilotis, Le Corbusier s’exclame: La maison sur pilotis! La maison s'enfonçait dans le sol : locaux obscurs et souvent humides. Le ciment armé nous donne les pilotis. La maison est en 18

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LE CORBUSIER, « Calendrier d’architecture », Almanach d’Architecture Moderne, Éditions Crès, Paris, 1925, p.15. 19 Ibid. p.20. 20 JEANNERET Pierre, LE CORBUSIER, Zwei Wohnhauser, durch Alfred Roth, Akadem. Verlag Dr. Fr. Wedekind & Co., Stuttgart, 1927 et dans la revue L’Architecture Vivante n°17, 1927. 21 «Les cinq points reprennent en fait les principes constructifs développés aux États-Unis par l'École de Chicago sous l'influence de l'enseignement de Viollet-le-Duc. Repris partiellement en Europe par les architectes de l'Art nouveau (Hector Guimard, dont l'école du SacréCœur construite à Paris, en 1895, respecte déjà quatre des cinq points du constructeur helvète ; seul le toit reste en pente), ils y mêlent les principes du mouvement hygiéniste de e e la fin du xix et du début du XX siècle visant à une exposition maximale au soleil afin de lutter contre la tuberculose.» Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cinq_points_de_l'architecture_moderne

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Fig. A9. “Les Pilotis�, page du Journal de psychologie normale et pathologique, 1926

Fig. A10. LE CORBUSIER, Comparaison des pilotis avec une structure traditionnelle, 1933


l'air, loin du sol; le jardin passe sous la maison, le jardin est aussi sur la maison, sur le toit. 22 (A9) Cette définition témoigne encore clairement des préoccupations hygiénistes et fonctionnelles de Le Corbusier, mais elle annonce aussi une approche plus scientifique adoptée par l’architecte qui cherche à classifier les différents composants d’un problème constructif (A10) Ainsi, «au lieu d’admettre les anciennes fondations soutenant l’édifice sans contrôle précis, les anciens murs sont remplacés par des pilotis, et la fondation de chaque pilotis est calculée exactement d’après la charge qui lui est transmise. Ces pilotis sont disposés régulièrement sans tenir 23 compte des dispositions intérieures des divers étages» . Dans ce sens, nous pouvons dire que les pilotis sont une application directe de « l’esprit nouveau» que Le Corbusier définir comme « un esprit 24 de construction et de synthèse guidé par une conception claire» et il n’est pas étonnant qu’ils deviennent le premier élément à partir duquel 25 l’architecte commence à dessiner tout le projet . e Dans cette même lignée d’apologie de la technologie, la 6 façade corbusienne produit une rupture entre l’homme moderne et le sol naturel : De nourricière, la terre devient un objet de contemplation depuis une plateforme minérale (…). La Maison ne s’immerge pas dans la nature mais se détache d’elle, le citadin rompt avec ses origines terriennes et instaure une relation avec la nature considérée seulement par rapport aux éléments naturels et aux paysages. 26 Le rôle des pilotis ne se réduit pas uniquement à la gestion de la relation entre le bâtiment et la topographie. Ils recréent un nouveau «sol artificiel» et horizontal qui facilite la circulation. La technologie permet à l’homme de dominer la nature; les pilotis, comme un avion, nous élèvent vers le ciel. Cette observation nous permet de comprendre que l’intérêt majeur des « cinq points » réside dans le fait qu’ils constituent une tentative de codifier 22

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LE CORBUSIER, «Architecture d’époque machiniste» Journal de psychologie normale et pathologique, Paris, 1926 pp.22-23. 23 ROTH Alfred cité dans FANELLI Giovanni, GARGANI Roberto, Histoire de l’architecture moderne : structure et revêtement. Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne 2008, p.280. 24 LE CORBUSIER, Vers une architecture, Editions Champsarts, Paris, 1995, p.69 25 Nous faisons ici référence à « la composition selon un plan libre inscrit dans un prisme» faisant partie du schéma des quatre règles de composition que Le Corbusier imagine en 1926. 26 AMOUROUX Dominique, La Villa Savoye, Editions du patrimoine : Centre des monuments nationaux, Paris, 2011, p.12.

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Fig. A11. LE CORBUSIER, La ville de Nemours en Afrique, 1934


le langage architectural selon un principe de renversement des valeurs classiques. Historien et théoricien d’architecture, Alan Colquhoun qualifie ce processus, le « déplacement de concepts». e De ce point de vue, la 6 façade moderniste peut être vue comme « le retournement du podium classique : la séparation classique du piano nobile et du rez-de-chaussée est reconnue mais interprétée en terme de vide plutôt 27 que de masse» . Autrement dit, si nous acceptons l’hypothèse de Colquhoun, les pilotis ne constituent pas une «création dans le vide culturel», mais une réinterprétation de l’articulation traditionnelle. La tradition et l’innovation sont si étroitement liées, que la seconde peut être entièrement comprise seulement en référence à la première. Cette hypothèse nous paraît d’autant plus intrigante, qu’elle contredit l’axiome de l’architecture moderniste selon lequel il est nécessaire de rejeter la tradition pour se tourner vers de nouvelles références. Par ailleurs, le potentiel majeur des pilotis apparaît aussi dans leur application au modèle urbain de la ville moderniste, qui selon l’historien de l’urbanisme Leonardo Benevolo, entend dépasser le vieux dualisme ville/ campagne (…). Depuis le début, les architectes modernes critiquent l’imbrication de l’intérêt public et de la propriété privée qui constitue le fondement de la ville bourgeoise, et proposent la solution alternative à mettre en œuvre : la reconquête du contrôle public sur tout l’espace de la ville. 28 Dans cette optique, les pilotis permettent littéralement la reconquête du contrôle public du terrain sous le bâtiment (A11). En introduisant un nouveau rapport avec le sol, ils modifient la relation classique entre la propriété privée et espace public, qui dans la ville traditionnelle s’établit à travers la e façade à front de rue. Ainsi, les architectes modernistes utilisent la 6 façade comme un outil pour « critiquer et rejeter les modèles d’édifices 29 propres à la ville bourgeoise : l’immeuble construit en bordure de rue» et la rue elle-même telle qu’elle existe dans la ville post-libérale. Cependant, malgré que les pilotis apparaissent comme une véritable synthèse de réponses aux différentes préoccupations des modernistes, l’espace public sous le bâtiment qu’ils génèrent est considéré par les architectes de l’époque comme un espace entièrement subordonné à 27

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COLQUHOUN Alan, «Déplacements des concepts chez Le Corbusier» dans Recueil d’essais critiques. Architecture moderne et changement historique, Pierre Mardaga Editeur, Liège, 1985, p. 59. 28 BENEVOLO Leonardo, Histoire de la ville, Éditions Parenthèses, Paris, 2004, p.432. 29 Ibid., p.436.

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Fig. A12. LE CORBUSIER, les organes libres du “Forum” de Centrosoyus, 1929

Fig. A13. LE CORBUSIER, le “Forum” de Centrosoyus, 1929


l’objet architectural qui le surplombe. Cette hiérarchisation suit le principe de « continuité de l’espace intérieur et extérieur », une des règles majeures de l’architecture moderniste, selon laquelle le plan générateur de l’espace avance du dedans vers le dehors. En effet, pour le Corbusier: «un édifice est comme une bulle de savon. Cette bulle est parfaite et harmonieuse si le souffle est bien réparti, bien réglé de l’intérieur. L’extérieur est 30 le résultat de l’intérieur» . Cette métaphore sous-entend que pour les Modernistes, chaque élément séparant l’intérieur de l’extérieur est réduit au minimum, il n’y a pas d’espace résiduel ou de transition entre les deux. e Par conséquent, la 6 façade corbusienne doit a priori être compris comme un espace complètement extérieur, une continuation du domaine public qui entoure l’immeuble. Calée entre l’objet volant et le sol naturel, elle devient formellement et fonctionnellement résultant de l’immeuble qui le surplombe. Cependant, il est important de souligner que cette subordination ne suppose pas que l’espace sous le bâtiment soit négligé ou délaissé dans les travaux de Le Corbusier. Le bâtiment de Centrosoyus à Moscou (1933) nous prouve que cet élément prend une place importante lors de l’élaboration du projet. A propos de cette entreprise, l’architecte suisse écrit : Estimant qu’on doit employer le terrain précieux qui est à notre disposition, j’ai établi un vaste système des vestibules au rez-de-chaussée soulevé. Ce vaste local solutionne d’une manière très efficace les circulations diverses et donnera aux visiteurs du Centrosoyus une impression vraiment majestueuse. (…) Le rez-de-chaussée fermé des deux plus grands corps de bâtiments est désormais ouvert sur la rue, grâce à l’introduction des pilotis assurant à tout le moins une transparence partielle.31 e

Le Corbusier, voit donc dans cet espace de la 6 façade une solution pertinente au problème d’entrée et de circulation dans le bâtiment, mais aussi un moyen de réalisation du rêve moderniste de transparence du bâtiment. Peu de temps après, pendant la conférence « Les techniques sont à l’assiette même du lyrisme », l’architecte rajoute :

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LE CORBUSIER, op.cit., p.146. 31 COHEN Jean-Louis, Le Corbusier et la mystique de l’URSS : théories et projets pour Moscou, 1928-1936, Éditeur Pierre Mardaga, Bruxelles, 1987, p.100.

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Voici les bâtiments du Centrosoyus de Moscou. Bureaux des coopératives d’alimentation, 2500 fonctionnaires. Classement obligatoire de cette foule entrant et sortant au même moment ; nécessité d’une espèce de Forum à ces heures-là pour des gens dont les galoches et les fourrures sont pleines de neige en hiver (…). Du Forum partent les ascenseurs, les « paternoster » (ascenseurs continus à « chaine à godets ») et d’immenses rampes hélicoïdales remplaçant les escaliers, permettant un débit bien plus rapide (…). Au dessus de la nappe des pilotis (…), le bâtiment devient un assemblage de « prismes » : Le tout est en l’air, sur des pilotis, détaché. Appréciez cette valeur formidable, entièrement nouvelle, de l’architecture : la ligne impeccable du dessous du bâtiment. Le bâtiment se présente comme un objet de vitrine sur un support d’étalage, il se lit entier. Les pilotis apportent une richesse de cylindres, de lumière sans une ombre ou une pénombre et aussi, pour l’esprit, l’impression d’une tension saisissante. Dessous, la lumière joue les plus fantaisistes effets. Sur le ciel, c’est la ligne impeccable de la fin de ce prisme de cristal, cerclé de pierre volcanique là où sont les parapets des terrasses(…). Plus qu’un simple contrôle de la « vague gluante »de la foule, le nouveau dispositif (…) constitue un paysage architectural pittoresque et dont la perception n’est pas donnée par la « promenade architecturale des rampes mais par un point de vue extérieur qui, seul, permet de découvrir cet « à-pic » et cette « cuvette » évoquant un horizon alpin32. A travers de cet extrait, nous voyons, que L.C. attribue une valeur allégorique à l’espace des pilotis qu’il se plaît à qualifier de «Forum» symbolisant la nouvelle société (A13). Ce «Forum» est un socle monumental inversé et une entrée majestueuse, mais avant tout il témoigne du progressisme de la société soviétique qui accepte une nouvelle relation entre l’homme et la technologie. Enfin, le détachement du sol offert par les pilotis ainsi que la grande diversité de formes des organes libres flottant dans le vide horizontal (A12), rendent possible la réalisation du rêve puriste de l’architecte suisse. Le bâtiment apparaît alors comme un «jeu savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière», tout en restant «une intrusion subtile et dis33 crète» dans le paysage, dans la mesure où il entre le moins possible en contact avec le sol. 32 33

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Ibid., p.102. ROWE Colin, KOETTER Fred, Collage City, Éditions Infolio, Gollion, 2002 p.92.

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1.3. Les pilotis et le modèle convexe de l’espace urbain. Cependant, l’analyse plus approfondie du plan de rez-de-chaussée nous montre que l’espace sous le bâtiment de Centrosoyus ne peut pas e être pleinement considéré comme une 6 façade telle que nous l’avons définie dans l’introduction de ce travail de fin d’études. Sans doute est-il question de l’espace sous le bâtiment mais est-il vraiment public? En effet, le «Forum» évoqué se présente comme un espace majoritairement fermé et offrant peu de perméabilité à l’espace urbain qui l’entoure. De plus, les seules parties à l’air libre, sont destinées aux places de stationnement pour les automobiles et l’espace pour les piétons couvert est alors réduit aux connexions entre le parking et le bâtiment. Néanmoins, le projet de Centrosoyus présente un intérêt majeur pour la e question de la 6 façade, dans la mesure où, selon Le Corbusier « il 34 institue le principe de la suppression des cours» qui est le fondement du modèle convexe de la ville moderniste. Ainsi, cet assemblage d’organes libres flottants dans l’espace devient un projet-manifeste pour l’abandon d’une figure habituelle aux compositions architecturales de l’Ecole de Beaux-Arts : la cour. Celle-ci, tout autant que son équivalent urbain, la place, sont alors remplacées par le «Forum» sous le bâtiment. e

A travers l’usage de la 6 façade dans ce projet, Le Corbusier propose donc d’instaurer un modèle architectural que l’on peut qualifier «d’hétérotopique», à l’opposé du modèle «homéotopique» de l’architecture traditionnelle. Autrement dit, l’immeuble de l’architecte suisse devient un organisme bâti indépendant, dont la configuration n’entretient plus que des relations fortuites avec les limites de son terrain d’assiette. 35 Et cette proposition renverse ainsi l’ancien modèle «homéotopique» dans lequel les entités sont homogènes, entités bâties et entités non bâties, le terrain étant totalement occupé, « sans pertes », de l’alignement de la rue à l’extrémité du jardin, d’une mitoyenneté à l’autre.36

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Architecture d’aujourd’hui, n° 10, Paris, 1933 p.108. 35 Loc.cit. 36 e e LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Architecture et théories, XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009. p.309, voir aussi COLQUHOUN Alan « the Beaux-Arts plan, le plan beaux-arts » in COLQUHOUN Alan, FRAMPTON Kenneth, Essays in architectural criticism., MIT Press, Camridge, Massachussetts, 1985.

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A l’échelle urbanistique, cette opposition «homéotypique/ hétérotopique» se traduit par celle de l’espace «concave/ convexe» que nous identifions aujourd’hui avec l’opposition entre «la ville close» et «la ville ouverte». Pour resituer dans l’histoire cette prise de position de Le Corbusier, Jacques Lucan écrit: Le Corbusier s’inscrit ainsi dans la droite ligne des préoccupations de Sitte tout en procédant à un renversement total de perspective, car dans la ville ancienne, les espaces vides sont clos (…) et avec l’urbanisme moderne, les espaces vides sont ouverts. 37 Si nous suivons cette piste, il s’avère alors qu’effectivement dans son ouvrage l’Art de bâtir les villes, (1889), Camillo Sitte oppose «concavität» et «convexität», et il explique qu’il s’agit de deux caractéristiques procédant la première de l’art et la deuxième de la logique économique: La bonne mise en valeur du sol demande donc que les parcelles aient une ligne de contour entièrement convexe, tandis que l’œil est mieux satisfait par une disposition des objets de l’espace (maison etc.) selon une ligne concave. En un mot, l’art exige la concavité et l’intérêt la convexité des 38 images. Ainsi, selon Sitte, « autrefois l’on cachait dans les bâtiments toutes les irrégularités choquantes qui aujourd’hui dans les nouveaux plans de villes, 39 se manifestent sur les places ». Autrement dit, l’espace extérieur devient aujourd’hui un résidu provenant de la répartirions la plus économique des édifices. Pour conclure, pour Le Corbusier l’espace sous le bâtiment à Moscou est un outil permettant de mettre en œuvre le modèle de la ville ouverte. En dépit de ses dimensions et de sa forme bien définie, le «Forum» de Centrosoyus est donc un espace convexe, et il constitue un projet charnière à partir duquel l’espace sous le bâtiment dans les travaux de Le Corbusier sera toujours considérée comme convexe. Mais quel est le projet de Le Corbusier dans lequel les différents enjeux de e la conception convexe sont le mieux synthétisés dans la 6 façade?

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LUCAN Jacques, op.cit., p. 383. 38 SITTE Camillo, l’Art de bâtir les villes. L’urbanisme selon ses fondements artistiques, 1989, traduit et complété par Camille Martin, Paris 1980, p.162. 39

Ibid., p.134

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Exemple architectural : l’Unité d’Habitation à Marseille de Le Corbusier, 1947



1.4. Exemple architectural : Unité d’habitation de Marseille de Le Corbusier. L’exemple qui illustre de façon la plus pertinente l’usage des pilotis dans l’architecture de Le Corbusier est l’Unité d’Habitation, connue sous nom de la Cité Radieuse de Marseille. C’est à propos de ce bâtiment construit entre 1945-1952, que l’architecte et théoricien, Jacques Sbriglio écrit : Le pilotis atteint, avec l’Unité d’habitation de Marseille, sa pleine maturité quant à son niveau de signification. C’est en effet dans ce projet que la triple dimension urbaine, architecturale et technique du pilotis trouve son accomplissement dans une sorte de synthèse de solutions envisagées jusque-là de façon fragmentaire.40 En 1945, le Ministre de la reconstruction française, Raoul Dautry passe à Le Corbusier la commande de construire un ensemble de « 8 Unités de Grandeur Conforme chargées d’abriter les 2000 habitants dont les mai41 sons ont été systématiquement détruites en trois jours par l’occupant » . L’Unité de Marseille, prévue initialement pour la zone portuaire de la Madrague, constitue le premier essai d’un projet qui doit ensuite être poursuivi dans d’autres villes. Le Corbusier reçoit alors la liberté totale de réalisation de ses concepts à l’égard de l’habitat moderne pour des classes moyennes qui, comme il l’admettra plus tard, remontent encore à sa visite 42 à la Chartreuse d’Ema en Toscane en 1907 . Ce projet est alors un véritable laboratoire, qui permet à L.C. de reconsidérer en profondeur sa conception des pilotis, qui deviennent un des éléments les plus caractéristiques de l’immeuble. Les trois premières phrases de la description du bâtiment faite par le Corbusier témoignent de l’importance que l’architecte accorde à cet élément: Érigée dans la verdure au milieu d’un vaste parc de 3 hectares et demi, baignée de lumière et de soleil, L’Unité d’habitation est orientée est-ouest et ne comporte aucune ouverture vers le nord, coté du mistral. Mesures : 165 m de longueur, 24 m de profondeur, 56 m de haut. Le bâtiment est

40

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SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier, L’Unité d’habitation de Marseille, Éditions Parenthèses, Marseille, 1992, p.56. 41 BOESIGER Willy, Le Corbusier, Œuvre complète, volume 5, 1946-1952, Les Éditions d’Architecture (Artemis), Zurich,1991, p.190. 42 Par après, il a une opportunité de développer ces idées à l’occasion du Salon d’Automne en 1922 dans son projet d’« immeubles-Villas » et puis dans le cadre du Pavillon de l’Esprit Nouveau en 1925, voir ibid. p.189.

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Fig. A14. LE CORBUSIER, Cité radieuse , 1947


construit sur pilotis. Le sol est libre et voué aux piétons, parking d’automobiles et pistes réservées de vélos. 43 En effet, comme nous allons le voir dans ce chapitre, les pilotis sont un élément clef dans la conception de l’Unité, une synthèse de solutions qui permet de retrouver une harmonie entre l’urbanisme, l’architecture et l’art. A l’échelle urbanistique, le célèbre croquis «Cité Radieuse» de Le Corbusier montre à quel point les pilotis sont un élément nécessaire pour la mise en place de la « Ville Verte ». Tout d’abord, ils « portent dans le soleil, face aux sites admirables et au sein des verdures, 350 villas totalement isolées 44 l’une de l’autre» en quoi ils permettent de dépasser le dualisme ville/campagne. Selon l’architecte, ce geste unique d’élever l’Unité rend possible la reconstruction des villes entières en harmonie avec le paysage et la nature. Ensuite, en s’inspirant des estacades d’autoroutes, les pilotis permettent de raccorder le bâtiment à la topographie et surtout de « réaliser la 45 séparation du piéton et de l’automobile. La ville devient alors un parc » , réalisant le rêve moderniste de l’espace ouvert et continu. Autrement dit, ce soulèvement permet de s’opposer au modèle traditionnel de la ville bourgeoise et d’instaurer à sa place la ville de l’espace convexe. Pour expliquer cet enjeu des pilotis, le collaborateur de Le Corbusier, André Wogenscky remarque que leur principal intérêt est aussi de libérer la vue. Le regard des piétons n’est plus canalisé entre les constructions. Il passe sous la maison, ce qui transforme toute l’esthétique urbaine. 46 Mais comment cette règle générale s’applique-t-elle dans le cas concret du bâtiment à Marseille ? Une étude plus approfondie du plan de situation/rezde-chaussée de l’Unité permet de vérifier cette constatation. D’une part, nous observons que l’orientation « nord-sud » qui situe l’Unité en oblique par rapport au boulevard Michelet, ainsi que l’usage des pilotis au rez-de-chaussée, font que lorsque nous approchons le bâtiment en voiture, il apparaît très léger. Toutefois, ce n’est qu’au moment d’arriver au parking qui longe la façade Est que nous comprenons l’effet de transpa-

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Ibid., p.194. 44 LE CORBUSIER, l’Unité d’Habitation de Marseille, Atelier des bâtisseurs Le Corbusier, Le Point, Éditions du Point, Mulhouse,1950, p.42. 45 Ibid., p.43. 46 WOGENSCKY André cité dans SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier : L’Unité d’Habitation de Marseille et les autres unités d’habitation à Rezé-les-Nantes, Berlin, Briey en Forêt, Firminy, F.L.C., Paris, 2004, p.60.

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Fig. A15. “Le regard fuit sous le bâtiment”.

Fig. A16. L’Unité, plan d’implantation.

Fig. A17. photo depuis le boulevard Michelet

Fig. A18. photo du Manoir Magalone.

Fig. A19. Vue sur le portique depuis l’interérieur du hall d’entrée.

Fig. A20. Hypothèses de tracés régulateurs pour les façades Est et Ouest.


rence évoqué par Wogenscky. Le regard fuit sous le bâtiment et s’arrête sur le parc situé de l’autre coté de l’édifice (A15). D’autre part, lorsque nous approchons l’Unité à pied depuis le boulevard Michelet, le soulèvement crée un tout autre effet. Le Corbusier, fait arriver les piétons par une large promenade, ou plutôt une place minérale en longueur qui reprend l’axe et constitue l’opposition du Parc de la Magalone du XVIIIe siècle situé de l’autre côté du boulevard (A16). Dans ce cas, nous en concluons que le soulèvement du bâtiment peut être compris presque comme un renversement délibéré du socle classique du manoir de Magalone (A17, A18). Les pilotis fonctionnent alors comme un hypostyle qui couronne la place. Cette mise en parallèle semble d’autant plus légitime que Le Corbusier force les piétons à traverser l’espace des pilotis pour entrer dans l’immeuble. Ainsi, la façade Ouest du hall d’entrée que nous apercevons depuis le boulevard, accueille seulement la moulure de Modulor et une fenêtre; la porte d’entrée se trouve côté Sud, sous le bâtiment. Plus qu’un simple espace transparent, les pilotis deviennent alors un portique d’entrée, espace de transition monumental pour accéder à l’intérieur. Enfin, nous remarquons que Le Corbusier tient tellement à cet effet spectaculaire que même lorsque nous pénétrons le hall d’entrée depuis le parking (façade Est), sans devoir passer sous le bâtiment, nous apercevons tout de suite au travers de grandes ouvertures vitrées le portique des pilotis (A19). Comme pour confirmer notre pressentiment, un des croquis du chantier est annoté par l’architecte : « hall abcd, droit hall, sera vitré 47 glace claire pour laisser passer la perspective.» Nous voyons donc que les pilotis sont plus qu’un simple espace transparent évoque par Wogensky. Le Corbusier joue sur cet aspect pour créer une série d’effets visuels qui bouleversent la manière dont le piéton découvre le bâtiment et son environnement. Par ailleurs, les pilotis étant dessinés, comme le reste du bâtiment à travers l’usage de Modulor, ils permettent de renforcer le jeu plastique de l’architecture. L’étude des hypothèses du tracé régulateur des façades montre l’influence du décrochement du sol sur les dimensions du volume général et les proportions de tous les éléments apparents (A20). Mais la mise en hauteur permet aussi de mettre en tension le bâtiment avec le sol et de valoriser ainsi ce premier.

47

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Ibid., p.62.

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Fig. A21. LE CORBUSIER, “Femme nue”, Espagne, 1934


A ce propos, Le Corbusier écrit: « appréciez cette valeur formidable entièrement nouvelle de l’architecture : la ligne impeccable du dessous du 48 bâtiment » . Cette affirmation sous-entend que les pilotis permettent à L.C. de revenir à son ancien rêve puriste de l’architecture composée des prismes purs sous la lumière. Cependant, si l’on croit Jacques Sbriglio, ce modèle de la boite en lévitation est emprunté du Pavillon suisse, construit vingt ans auparavant dans la Cité Universitaire de Paris. Pour rappel, il s’agit de l’édifice qui est considéré par les historiens d’architecture comme le projet-charnière marquant la fin de la période puriste et le début de la période structuriste dans l’œuvre de Le Corbusier. Dans cette lignée, nous pouvons considérer que les pilotis de l’Unité traduisent aussi les préoccupations structuristes de l’architecte suisse. Celui-ci écrit quelques années auparavant, en référence à Auguste Perret, que les pilotis sont « le squelette » qui permet de « réintroduire de la 49 santé » dans l’architecture . Dans ce sens, Vincent Scully ne se trompe pas lorsqu’il compare les pilotis de l’Unité de Marseille avec des «jambes 50 musclées » (A21). Par conséquente, nous pouvons considérer que dans l’Unité de Marseille, les pilotis sont un élément qui réconcilie les deux ambitions sculpturalistes de Le Corbusier. e

Nous avons vu comment se présente la 6 façade à l’échelle de tout l’immeuble et il convient maintenant de voir plus en détails comment elle s’organise à l’intérieur d’elle même. Ainsi, l’espace sous le bâtiment de l’Unité apparaît comme un grand vide de 137 mètres de long et 24 mètres de large et 8,50 mètres de haut défini par 4 éléments : -le hall d’entrée -les cages d’escalier de secours -le « sol artificiel » -les pilotis Nous allons voir maintenant comment ces 4 éléments influencent la e spatialité de la 6 façade à Marseille. Premièrement le hall d’entrée, qui est le seul élément fermé de l’Unité qui touche le sol. Son emplacement plus ou moins à la moitié de la longueur fait qu’il subdivise l’espace sous bâtiment en 2 zones qui ne communiquent pas. La plus grande des zones, située au nord, est consacrée au parking pour les voitures et les vélos. La plus petite, située au sud, joue le rôle du 48

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LE CORBUSIER cité dans ibid., p.59. 49 LE CORBUSIER, article de L’Esprit Nouveau, cité dans LEMOINE B. « Perret, Le Corbusier, Divergences et connivences », l’Architecture d’Aujourd’hui n°249, 1987, p.47. 50 Loc.cit.

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Fig. A22. Plan du rez-de-chaussée de l’Unité. doc.pers. 1.la place couverte 2.parking pour les voitures 3. les cages d’escalier transversales

Fig. A23. LE CORBUSIER, escalier de secours façade Nord, version initiale, 1948

Fig. A24. LE CORBUSIER, escalier de sec-


portique d’entrée évoqué auparavant, et d’une place couverte qui peut servir d’espace de jeu pour les enfants, ou lieu de réunion pour les habitants de l’Unité. Il est intéressant de remarquer que, malgré que les deux espaces sous le bâtiment soient clairement prévus pour répondre à d’autres types de besoins, Le Corbusier dessine les deux de façon identique- ni les proportions, ni le détail architectural, rien ne traduit cette différence de vocation. Ne s’agit-il pas d’une remise en cause partielle du principe moderniste «la forme suit la fonction» ? Le hall d’entrée est aussi l’élément qui fait le lien entre l’extérieur et l’espace des pilotis. La manière dont il est conçu traduit l’idée d’une opposition entre les deux mondes. En plan, ce caractère d’entre-deux est souligné explicitement par l’infléchissement que subit la boite au moment où elle est confrontée à la rangé des pilotis (A22). Dans l’espace, de nombreuses ouvertures font que le regard va sans effort du dedans vers le dehors; le hall est intégré dans le jardin, mais sa matérialité est celle des pilotis. Les «contrastes violentes des glaces Sécurit impeccables et du 51 béton brut » renforcent encore cette opposition. Deuxièmement, un élément important est la série des 3 cages d’escalier de secours transversales. Celles-ci sont situées de façon à ne pas obstruer les vues dans l’espace sous le bâtiment. Le dernier escalier, placé sur la façade nord est initialement prévu pour s’enrouler comme un organe libre autour du dernier pilotis (A23), mais dans la version définitive (1948), il apparaît comme la reprise à grande échelle de l’escalier pour la villa Planex à Paris (1927), qui se cache derrière la colonnade. Ainsi, la perspective de cet hypostyle reste « ouverte », aucun élément ne marque l’achèvement de la série. Enfin, nous remarquons que probablement pour la même raison, Le Corbusier abandonne aussi dans la version finale son idée de terminer la colonnade par la mise en place de 4 pilotis monumentaux sur la façade sud (1947). Troisièmement, il s’agit du « sol artificiel », qui est sans doute un des éléments qui font la particularité de l’Unité. Le Corbusier, le décrit de façon suivante: Le sol artificiel au sommet des pilotis constitue une table de 135 mètres de long et de 24 mètres de large ; il repose sur des pilotis (…). Le sol artificiel est composé de 32 compartiments dans lesquels sont placées les installations mécaniques : à gauche, l’appareillage de la production d’air

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!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! BOESIGER Willy, op.cit. p.204.

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Fig. A25. LE CORBUSIER, coupe dans

Fig. A27. Coupe dans le paquebot Aquitania 1915

Fig. A29. La 6e façade de L’Unité, 1952

Fig. A26. LE CORBUSIER, un paquebot, un palais, un gratte-ciel, une barre

Fig. A28. Coupe transversale dans L’Unité

Fig. A30. La 6e façade du Pavillon Suisse, 1933


pulsé et, à droite, le registre de distribution d’air pulsé dans les gaines 52 montantes et l’emplacement des canalisations. Certes, cet espace constitue une véritable révolution du point de vue technique car il est, pour ainsi dire, le «ventre de l’immeuble» par lequel on accède au système nerveux de l’Unité. Grâce au «sol artificiel», en cas de panne, toute installation ou machine peut être rapidement localisée et réparée (A25). Cependant, l’intérêt majeur de l’idée du « sol artificiel » se situe dans le bouleversement de l’ancienne relation entre l’homme et la « terre nourricière ». En effet, cette idée reprise de la Villa Savoye et appliquée à une plus grande échelle à Marseille, consiste à utiliser la technologie moderne, pour placer l’homme sur une plate-forme artificielle depuis laquelle il va dominer la nature. Mais, nous constatons que dans le cas de l’Unité l’architecte va un pas plus loin et, comme cela est visible sur ses croquis, le bâtiment semble flotter dans l’air comme un paquebot sur l’eau (A26). Ainsi, le « sol artificiel » peut être assimilé à la partie inférieure du bateau, qui abrite les chaufferies et les moteurs. Même la forme arrondie de cet élément qui se rétrécit sur ses extrémités semble être inspirée de la coque hydrodynamique d’un paquebot, ce qui facilite un passage plus « fluide » du regard sous le bâtiment (A27, A28). Enfin, le «sol artificiel» a pour objectif de séparer clairement l’espace des pilotis du reste de l’Unité. Nous remarquons que cette relation est beaucoup plus nette que dans le modèle d’inspiration, le Pavillon suisse. Le bâtiment parisien s’appuie sur une double poutre posée sur des colonnes placées sur l’axe central, longitudinal, tandis que dans la cité radieuse de e Marseille le «sol artificiel» recouvre uniformément toute la 6 façade (A29, A30). Ainsi, même si les deux espaces sous le bâtiment sont proportion53 nellement similaires , l’immeuble de Marseille, malgré son relèvement sur les deux extrémités, semble spatialement plus défini.

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Ibid., p.199. 53 Les proportions initiales sont - pour le Pavillon suisse : 3 mètres de haut pour 8 mètres de large; - pour l’Unité d’Habitation : 8,50 mètres de haut et 24 mètres de large. En réalité, si on enlève l’épaisseur de l’étage technique et des dalles, la hauteur de l’espace sous le bâtiment de l’Unité varie entre 5,85 mètres et 7,97 mètres.

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Fig. A31. Schéma illustrant le raccord entre un pilotis et une gaine technique.

Fig. A32. LE CORBUSIER, croquis d’intention concernant l’espace des pilotis, 1945


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Le quatrième et le plus important des éléments qui définissent la 6 façade, est la série de pilotis sur lesquels repose l’Unité. A leur propos L.C. écrit : Le sol artificiel repose sur des pilotis de 17 portiques écartés de 8.38 m/ les pilotis sont en béton et leur format répond aux fonctions : la stabilité de 54 l’ouvrage et passage de toutes les canalisations .

Le Corbusier place 34 pilotis en béton armé (dont chacun porte la charge de 2000 tonnes) espacés dans l’axe longitudinal de distance égale au double de la trame du plan de 4,19. Sur chaque paire de «jambes musclées» se trouve une double poutre de 12,60 mètres entre appuis, et 2 extrémités en porte-à-faux, chacune de 4,19 mètre. Chaque pilotis est composé de 2 demi-coques et laissé vide afin de créer une gaine verticale facilement accessible qui rend possible le passage des canalisations depuis le «sol artificiel» jusqu’au sol naturel (A31). En effet, la disposition des pilotis ne répond pas seulement aux questions structurelles, mais elle se fait selon la disposition de gaines verticales dans tout le bâtiment. Ainsi, nous pouvons dire qu’ils sont « à la base de la struc55 ture de l’Unité d’Habitation» . Par ailleurs, l’idée de regrouper la structure et les conduites dans les piliers permet de garder l’espace le plus transparent et le plus ouvert possible. Les dessins de Le Corbusier témoignent clairement de cette intention, dans la mesure, où l’architecte a tendance à exagérer par rapport à la réalité la distance entre les pilotis, pour que ceux-ci apparaissent plus comme une série d’organes libres qu’une colonnade traditionnelle (A32). Cette divergence révèle que Le Corbusier se rend probablement compte que la technologie de son époque ne lui permet pas encore de créer un espace public sous le bâtiment parfaitement continu et convexe. Enfin, les pilotis donnent à L.C. l’opportunité de développer une écriture architecturale puissante. Comme le constate Jacques Sbriglio, celle-ci s’affranchit totalement de l’expression constructive. Par l’échelle, l’utilisation de formes pleines et le soin attentif apporté à la mise en ouvre de la matière – béton brut coffré à la planche soigneusement calepiné –

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BOESIGER Willy, op.cit., p.199. 55 LE CORBUSIER, l’Unité d’Habitation de Marseille, Atelier des bâtisseurs Le Corbusier, Le Point, Éditions du Point, Mulhouse,1950, p.60.

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Fig. A33. Le rez-de-chaussée d’un silo à grain

Fig. A34. BESCHER Bernard, study of concrete cooling towers, 1972, doc. inversé


les pilotis produisent une image qui fait passer cette partie du bâtiment de 56 l’ordre de l’architecture à celui d’ouvrage d’art . En effet, Le Corbusier travaille les pilotis comme des sculptures dont les formes dessinées avec le Modulor, sont inspirées de l’architecture industrielle de l’époque. Ainsi, nous pouvons supposer que l’idée générale d’un prisme surélevé, situé librement dans le paysage naturel, et même plus particulièrement la forme des fûts vides, font référence à l’architecture des silos à grain en béton brut dont le Corbusier fait une éloge vingt-cinq ans 57 auparavant dans Vers une architecture (A33). Une autre référence industrielle qui a pu influencer L.C , sont des tours aéroréfrigérantes, que 58 l’architecte français a visitées à plusieurs reprises et dont la forme traduit 59 l’idéal de l’architecture conçue « par les effets de calcul » (A34). Nous retrouvons donc à travers ces références la pensée puriste qui fait du monde industriel et de la machine le modèle d’organisation, d’ordre et de «pureté», qualités qui permettent à l’objet d’atteindre la perfection. Enfin, pour s’assurer que ces formes pures soient bien révélées par la lumière à chaque moment de la journée, L.C. met en place un système d’éclairage artificiel que Jacques Sbriglio décrit de façon suivante: éclairés la nuit par des projecteurs, situées à leur base, ces pilotis, rendent irréelle, l’Unité d’Habitation qui mise ainsi en apesanteur, semble flotter au milieu 60 du halo des lumières de la ville. Pour terminer, le dernier élément qui fait la spécificité de l’espace sous le bâtiment de l’Unité d’Habitation est le travail très élaboré sur les textures du béton brut. Alors que le projet initial prévoyait l’utilisation d’une structure en acier, la pénurie de ce matériau dans l’après-guerre pousse l’architecte à travailler avec le béton brut qui, comme il s’est avéré plus tard, rend possible l’expression de nouvelles émotions plastiques. L.C. écrit : la réalisation de l’Unité de Marseille aura apporté à l’architecture contemporaine la certitude d’une splendeur possible du béton armé mis en ouvre comme matériau brut au même titre que la pierre, le bois ou la terre cuite. 56

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SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier, L’Unité d’habitation de Marseille, Éditions Parenthèses, Marseille, 1992, p.58. 57 Voir LE CORBUSIER, « Trois rappels à Messieurs les Architectes, le Volume », Vers une architecture, Editions Champsarts, Paris, 1995, pp.15-20. 58 FOX WEBER Nicholas, Le Corbusier, (a life), A. Knopf Publisher, New York, 2008, p.644. 59 Voir, LE CORBUSIER, op.cit. p.20. 60 SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier : L’Unité d’Habitation de Marseille et les autres unités d’habitation à Rezé-les-Nantes, Berlin, Briey en Forêt, Firminy, F.L.C., Paris, 2004, p.62.

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(…) Au décoffrage, les moindres détails des moules, la fibre même du bois, les moindres accidents de la scie apparaissent. Le Béton, le plus fidèle des matériaux, plus fidèles peut être que le bronze, peut prendre place dans 61 l’art architectural et exprimer les intentions du sculpteur. En d’autres termes, ce qui au départ était vu comme des malfaçons vouées à être recouverts avec du crépi, est tourné par Le Corbusier en avantage apportant une nouvelle richesse d’expression à l’architecture. Par conséquent, l’espace sous le bâtiment, soit la seule partie de l’immeuble à la hauteur des yeux des habitants, se transforme en laboratoire d’expériences, un patchwork de différentes textures. Dans cet esprit, la partie inférieure du sol artificiel est recouverte d’un damier résultant des coffrages de lattes de bois parallèles disposés perpendiculairement les uns aux autres, et les courbes des pilotis sont soulignées par un coffrage de lattes verticales reprenant toute la hauteur de pilier (A35). Le chef d’œuvre final est la moulure en béton de Modulor à taille réelle, située sur la façade ouest, qui rappelle les origines de tout le design. Pour conclure, nous pouvons dire que l’Unité d’Habitation confirme e pleinement l’hypothèse que la 6 façade dans les travaux de Le Corbusier se rapproche de l’idéal convexe. Dans cet exemple les pilotis ne sont plus du tout réduits à leur aspect hygiéniste, mais il deviennent un élément de syntaxe capable de répondre simultanément aux grandes préoccupations des architectes de l’époque à plusieurs niveaux : urbanistique, architectural, technologique et artistique. e Cette richesse conceptuelle de la 6 façade se reflète dans la matérialité très élaborée de tous les composants de l’espace, qui est traité généralement par Le Corbusier comme un laboratoire pour tester ses idées innovantes.

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!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! BOESIGER Willy, op.cit. p.184, p.190.

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II PARTIE : la 6 façade et l’espace concave sous le bâtiment. Chapitre 2. La redécouverte de l’espace concave sous le bâtiment. Les exemples de Centrosoyus et de L’Unité de Marseille nous ont montré que les Modernistes utilisent l’espace sous le bâtiment pour créer une architecture convexe qui traduit l’idéal de la ville ouverte. Cependant, dans les années quarante, on s’aperçoit que ce modèle de la ville ouverte va de pair avec une dilatation de l’espace public de la ville. En privilégiant le développement à proximité des autoroutes, il provoque le dépeuplement des centres de villes, une croissance incontrôlable de suburbs et la création d’espaces hors échelle humaine qui ne privilégient 1 pas les contacts directs ou les échanges entre les citoyens . Autrement dit, pour reprendre les mots de Liane Lefaivre: le paysage urbain con2 vexe « devient synonyme d’inhumanité, de désespoir et dévastation » . Dans ce contexte jugé néfaste, les architectes et théoriciens du C.I.A.M. 3 posent une question emblématique: Can our cities survive ? Par une série de textes comme The Need for a New Monumentality (1943) ou encore The human scale in City Planning (1944) ils s’interrogent sur le rapport entre l’architecture et la qualité puis l’identité des espaces publics et ils arrivent à la conclusion que le meilleur remède à cette crise serait le retour partiel à la tradition de la ville fermée, qui au niveau architectural se manifeste par le phénomène de l’espace concave. Toutefois, il reste à se demander si ce refus de l’espace convexe implique aussi le rejet de l’espace public sous le bâtiment !?

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Nous remarquons que cette situation sociale ressemble fortement à celle que décrivait Jean Jacques Rousseau dans l’Essai sur l’origine des langues (1781), que Jacques Derrida résume de manière suivante: Rousseau y montre que la distance sociale, la dispersion du voisinage est la condition de l’oppression, de l’arbitraire, du vice. Les gouvernements d’oppression font tous le même geste : rompre la présence, la coprésence des citoyens l’unanimité du «peuple assemblé», créer une situation de dispersion, tenir les sujets épars, incapables de se sentir ensemble dans l’espace d’une seule et même parole, d’un seul et même échange persuasif. DERRIDA Jacques, De la Grammatologie, Editions de Minuit, Paris, 1967, p.199 2 LEFAIVRE Liane, « Dirty Realism in European Architecture Today: Making the Stone Stony.», Design Book Review, n° 17, 1989 3 En référence au livre SERT José Luis, Can our Cities survive? An ABC of Urban Problems ,their Analysis, their Solutions, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, 1942.

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Sans nul doute, le moment charnière dans ce questionnement est la conférence de C.I.A.M. VIII qui a eu lieu en 1951 à Hoddesdon au RoyaumeUni et dont le titre intriguant est « The Heart of the City », Le cœur de la Ville. Par la suite, les idées présentées pendant la conférence sont résumées et diffusées dans la publication The Heart of the City : Towards the Humanisation of Urban Life (1952) éditée par J.L.Sert, E.N. Rogers et J. Tyrwhitt. Dans cet ouvrage à travers une série de textes, las architectes de C.I.A.M. regrettent la hiérarchie perdue des villes et ils débattent sur de solutions qui permettraient de sortir de cette crise. José Luis Sert, le président du C.I.A.M. écrit : Pour mettre fin à ce processus de décentralisation non planifiée nous devons inverser la tendance, en établissant ce que nous pouvons appeler un processus de recentralisation4. En pratique, cette recentralisation va de pair avec la révision de la relation que les bâtiments tissent avec l’espace public, dans le cadre de ce que les architectes du C.I.A.M. 8 vont appeler le nouveau «Core». Aussitôt Il s’avère qu’un des éléments principaux, qui pendant des siècles, gérait de e «façon anonyme» cette relation est la 6 façade du bâtiment. Cependant, à l’opposée des pilotis convexes de Le Corbusier, l'espace public sous le bâtiment propre à la ville traditionnelle n’a pas pour but d’isoler l’immeuble, mais de le réintégrer dans le réseau des espaces urbains. Dans cette optique, il va chercher à définir et clôturer le domaine public. En contraste avec l’espace «convexe» sous le bâtiment des Modernes de l’entre-deux-guerres, nous allons donc parler de l’espace «concave» sous le bâtiment. Pour illustrer ce phénomène, les auteurs de The Heart of the City analysent, dans la suite de l’étude du Core initiée par Giedion, les modèles de l’espace public sous le bâtiment qui apparaissent régulièrement à travers les siècles, nonobstant l’évolution de structures sociales et politiques de la ville. Ensuite, soucieux de savoir à quoi devrait ressembler le « cœur de la ville » aujourd’hui et demain, ils présentent quelques exemples contemporains, dont la majorité se sert abondamment de l’espace public sous le bâtiment.

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!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! SERT Jose Luis « Centers of Community Life » in ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, The Heart of the City : Towards the humanisation of urban Life, Lund, Humphries, Londres, 1952, p.4.

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Fig. B1. CANALETTO, “Piazza San Marco”, Venise, 1743

Fig. B2. GIEDION Siegfried, “The Agora of Pirene”, 1951


2.1. Des anciens modèles de l’espace concave sous le bâtiment. Dans la première partie du livre The Heart of the City les architectes et les historiens d’architecture tentent de définir les aspects du Core en analysant les espaces publiques de la ville traditionnelle. Ils s’inscrivent ainsi dans un courant européen plus large qui, face à la crise du modèle établi par les architectes modernistes, cherche à comprendre ce qui fait la qualité unique des espaces publics de la ville préindustrielle. En percevant le Core 5 comme «une réserve de l’esprit collectif du groupe» , les théoriciens de l’époque admirent ces espaces urbains qui continuent à fonctionner dans la ville d’aujourd’hui, malgré les changements de structures sociales. Dans leur opinion, l’exemple le plus éminent est la piazza San Marco, place aux arcades de Venise, au sujet de laquelle Philip Johnson, doute sur un ton romantique, qu’un architecte soit désormais capable de concevoir un espace de qualité comparable. Dans l’optique de retrouver la qualité perdue des places et des rues, les architectes se concentrent non seulement sur ces éléments urbains historiques, mais ils portent aussi de plus en plus d’attention aux composantes architecturales de l’espace concave : des colonnades, des portiques, des encorbellements etc... L’étude en profondeur de ces formes concaves produites inconsciemment par la ville, leur permet de mettre en évidence la façon dont s’établissent les relations entre : le bâti et le nonbâti, le public et le privé ou de façon plus générale, la relation entre la structure sociale et la forme architecturale en ville. 2.1.1. La Grèce Antique et la Stoa. L’intérêt croissant qui est porté à l’Agora comme la forme primitive de la conception démocratique de la vie grecque attire l’attention des architectes sur le modèle de la Stoa. A l’époque hellénistique, la Stoa est une promenade couverte ou un portique, traditionnellement définissant les limites de l’Agora. La Stoa est d’habitude un bâtiment, ou parfois une partie d'un bâtiment couvert, qui est fermé à l'arrière par un mur plein, et ouvert du coté de la façade principale par une colonnade (traditionnellement de style dorique) qui assure un libre accès et un espace protégé du soleil, de la pluie et du vent. Sous sa toiture les marchands vendent leurs produits, les artistes leurs ouvrages, les réunions religieuses ont lieu et les philosophes peuvent discuter leurs nouvelles idées, d'où l'étymologie du terme

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!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! «The Core as the repository of the group collective mind», dans GIEDION Sigfried, « Discussion on Italian Piazzas», in ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, op,cit., p.80.

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stoïcisme . Mais, pour Siegfried Giedon d’un le point de vue sociologique, il est particulièrement intéressant qu’aucun bâtiment ne fasse face directement à l’agora. La Stoa était suprême. Les bâtiments publics- Prytaneum, Buleuterium etc. étaient en proximité de l’agora mais derrière la Stoa. L’Agora était seulement pour la communauté : pas pour le Conseil, ni personne d’autre, mais exclusivement pour le peuple. 7 Par conséquent, nous nous apercevons que les paramètres déterminant la 8 position de la Stoa ne sont pas pittoresques mais sociaux et symboliques . Autrement dit, l’espace concave sous le bâtiment n’est pas vraiment utilisé pour délimiter spatialement l’Agora mais pour définir symboliquement le lieu de rassemblement en le mettant à distance des autres bâtiments. Celui-là fait partie intégrante de la place et pas des bâtiments qui l’entourent. La remarque de S. Giedion : «l’Agora d’Athènes n’a jamais eu de plan. Elle est émergée comme la démocratie. Elle comportait une 9 idée» s’applique aussi, en partie à la Stoa. 2.1.2. La ville médiévale et les arcades. La critique de la décentralisation et de la dilatation de la ville moderniste conduit les architectes à se tourner vers des formes urbaines plus concentrées comme celles de la ville médiévale. L’attention est portée sur les rues étroites, sur les places marchandes et sur les espaces sous le bâtiment de la tradition concave permettant d’harmoniser les composants du tissu urbain. Ces espaces concaves couverts ont une dimension pragmatique car ils protègent du soleil et de la pluie, mais ils possèdent aussi une dimension sociale. A ce propos S. Giedion cite l’exemple de Berne au XIIIe siècle, où « ces rues en arcades devinrent plus importantes pour des contacts sociaux du peuple que les places devant les églises et les hôtels 10 de ville » .

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http://fr.wikipedia.org/wiki/Stoa 7 GIEDION Sigfried, « Historical Backround to the Core » ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, op.cit., p.21. 8 Nous faisons référence ici au concept de « système de composition dynamique », connu encore comme le dispositif pittoresque d’Auguste Choisy, qui est repris par Le Corbusier pour fonder sa théorie de la ville ouverte. Cette interprétation de l’espace grecque est critiquée et jugée impertinente dans les années cinquante par Peter et Alison Smithsons. A ce propos voir SMITHSON Peter, «Space and Greek Architecture », The Listener, 16 octobre 1958, p.599. 9 GIEDION Sigfried, « Historical Backround to the Core » ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, op.cit., p.25. 10 Loc.cit.

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Fig. B3. O’LOONEY Benedict, Croquis à main levée des arcades à Berne, 2006


Fig. B4. Plan du centre-ville de Bologne avec 38 km de portiques


Par ailleurs, l’orientation de la culture médiévale «qui ne tend pas à établir 11 des modèles formels» fait que ces espaces concaves sous le bâtiment apparaissent dans toutes les villes médiévales sous d’innombrables formes locales : des rues en arcades, des couverts, des places à cornières, des traboules etc. Il est donc impossible de décrire la forme et les enjeux particuliers de chaque variante. Néanmoins, leur emplacement et leur structure générale suggèrent l’hypothèse selon laquelle ils confirment essentiellement les 3 caractéristiques de la ville médiévale, à savoir : la 12 continuité, la complexité et la concentration . Un exemple urbain dont les espaces sous le bâtiment répondent généra13 lement à la fois à ces 3 critères est le centro storico di Bologna . La construction des 38 km d’arcades (portici) dans le centre ville commence au XIe siècle, au moment où Università di Bologna (1088) connaît un développement extraordinaire et la ville observe un grand afflux d’étudiants de l’Europe entière. Ce phénomène fait émerger une nouvelle typologie de maison dans laquelle les logements pour les étudiants se situent à l’étage et les 14 commerces ou les ateliers d’artisans restent au rez-de-chaussée . Premièrement, les arcades à Bologne permettent donc la création d’un espace public continu, complexe et commun qui se ramifie à travers toute la ville dans le sens où elles assurent la transition entre les rues et les places, les cours, les jardins et les intérieurs des bâtiments. Par conséquent, elles établissent une relation complexe entre l’espace public et les espaces privés, entre les différents programmes de la ville. Deuxièmement, cet équilibre complexe est fruit d’un compromis fondé sur une réglementation précise concernant les zones de contact entre les intérêts publics et les intérêts privés. Ainsi la loi de 1288 définit les dimensions des arcades et oblige le propriétaire privé à les construire sur le sol privé si elles peuvent se rendre utiles pour la rue. Enfin, les arcades permettent de garder une grande concentration au centre ville, les passages peuvent connecter rapidement des points importants de la ville médiévale sans modifier ou dédensifier le tissu existant.

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BENEVOLO Leonardo, Histoire de la ville, Éditions Parenthèses, Paris, 2004, p.178. 12 Loc.cit. 13 N.B. Bologne constitue un très bon exemple grâce à l’échelle d’application de portiques, mais elle pose le problème dans la mesure où les arcades médiévales ont majoritairement été modifiées ou reconstruites aux cours des siècles jusqu`à nos jours. Voir http://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/5010/ 14 http://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/5010/

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Fig. B5. DI GORGIO Francesco, “Cité idéale à Urbino”, 143-

Fig. B4. ZOCCHI Giuseppe, “Loggia della Piazza della Signora in Firenze” 172-


2.1.3. La ville classique et la loggia. Le rejet de la logique purement fonctionnaliste et l’intérêt accru chez les architectes des années 50 pour la question de l’espace monumentale et 15 concave , les conduit à se diriger vers la ville classique avec ses palazzi et ses loggie. En effet, l’émergence de la nouvelle classe dominante au XIIIe siècle déplace le centre de pouvoir à l’intérieur de la ville. Les cités-états comme Florence ou Venise s’enrichissent et cette prospérité se traduit par un 16 «esthétisme accru de l’espace public» . Parallèlement, la redécouverte de la pensée humaniste et l’invention de la perspective conduisent une certaine «hégémonie du regard et à considérer l’espace public comme une construction mentale (…). L’espace urbain perd son ancrage dans la réalité 17 pour tendre vers un ordre plus abstrait» , exprimant de nouvelles valeurs. Dans cet esprit, mais à l’échelle architecturale, des portiques et d’autres espaces sous le bâtiment de la ville cessent d’être des lieux de sociabilité, et se transforment en lieux de spectacle. Ils deviennent des vêtements de cérémonie qui permettent de raccorder l’architecture médiévale à la nouvelle vision de l’espace public. Par conséquent leur emplacement n’est plus tellement déterminé par les paramètres économiques, sociaux ou climatiques mais avant tout esthétiques. Leur continuité et leur régularité permettent de dessiner «un cadre géométrique qui exprime l’universalité 18 de l’homme et de sa raison, et non plus ses particularités» . Ainsi l’arcade commerciale de la ville médiévale est remplacée par la galerie et la loggia qui constitue un vecteur de nouvel ordre social. L’influence de cette tendance classique sur l’espace sous le bâtiment est particulièrement bien illustrée par deux bâtiments de tradition concave situés sur la Piazza della Signoria à Florence. Le premier est le palais Galleria degli Uffizi (1560-1574) de Giorgio Vasari, l’immeuble que S. Giedion décrit comme une des premières rues au tracé de façades uniformes: «les trois corniches continues et légèrement en saillie, vues avec le profil symétrique de la toiture, font de cet espace un chef d’œuvre de la perspec19 tive en profondeur» . Le deuxième exemple est la Loggia dei Lanzi (13761382). Ce bâtiment, comme c’est le cas de la Stoa, devient un symbole de 15

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Voir GIEDION Sigfried, , LEGER Fernand, SERT José Luis, « Nine Points on Monumentality », 1943, in GIEDION Sigried, Architecture, You and Me ; the diary of a Development, Harvard University Press, Cambridge Massachussetts, 1958. 16 VERHASSELT Jessica, L’espace public au fil de la ville, Mémoire, Architecture (ISACF), Bruxelles, 2008, p.12. 17 Loc.cit. 18 CHOAY Françoise, Espacements, L’évolution de l’espace urbain en France, Skira editore, Milan, 2003, p.54. 19 GIEDION Sigfried, Space, Time and Architecture, The Growth of a New Tradition, 14 printing, Harvard University Press, Cambridge, 2002, p.58, traduction personnelle.

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Fig. B5. NOLLI Giambattista, “Nuova Pianta di Roma”, 1748


la démocratie florentine dans la mesure où il accueille les cérémonies les plus importantes de la République de Florence, comme l’intronisation des gonfaloniers entre autres. 2.1.4. La nuova Pianta di Roma, Giambattista Nolli. Enfin, la réflexion générale sur le Core pousse les architectes à se tourner vers le plan Nolli, qu’ils considèrent comme une illustration exemplaire ou une référence pour la composition des espaces concaves de la ville 20 traditionnelle . En 1748 Giambattista Nolli publie la Nuova Pianta di Roma sous forme de douze plaques de cuivre de surface totale de 3,7m2. Il s’agit d’un véritable projet encyclopédique du siècle de Lumières qui comme les autres plans de l’époque (Vienne de Marinoni ou Milan de Filippini) cherche à rationaliser la lecture et représenter la ville comme un système entier et pas une série de monuments isolés. Le critère rationnel est celui de la circulation ou de l’accessibilité pour le public, ce qui en pratique implique une nouvelle façon de percevoir la relation l’intérieur-extérieur, le public-privé et l’anciennouveau. La précision du plan qui met sur un pied d’égalité les espaces publics intérieurs et extérieurs dans la mesure où il relève aussi minutieusement les deux, fait que le plan de Nolli constitue un véritable tournant dans l’histoire de la cartographie urbaine au point qu’il sera utilisé comme plan de référence par l’administration de Rome jusqu’aux années 70s du 21 XXe siècle. Cette entreprise de Nolli, témoigne aussi de sa conscience que Rome perd sa grandeur au profit des autres capitales européennes, comme Paris. Dans cette optique, la Nuova Pianta constitue un retour vers le XVI siècle, 22 la période de puissance de Rome baroque en représentant la ville avec autant de vitalité, de richesse et de force que les fameuses vedute di Roma de Piranèse. Si on considère le plan dans son ensemble, c’est le fruit d’un bricolage : la superposition, le télescopage, le conflit et le compromis entre les différents espaces concaves de la ville, y compris les espaces sous le bâtiment, qui produisent cette force et cette dialectique dynamique. Jim Tice remarque que dans le plan de Nolli :

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Giedion décrit ce plan comme «delightful handicraft of the engraving (which) approches a work of art.», in ibid., p.81. 21 http://www.treccani.it/enciclopedia/giovanni-battista-nolli/ 22 «Le plan de Rome de la fin du XVI siècle est resté au peu près inchangé jusqu’au 1870. (…) Les XVII et XVIII n’on fait que compléter le décor » d’où la dénomination de Rome comme « opéra des papes », voir LAVENDAD Pierre, HENART Philippe, HUGUENEY Jeanne, l’Urbanisme à l’époque moderne : XVIe-XVIIIe siècles, Éditeur Droz, Genève, 1982, p. 40.

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l’évolution de la ville et de sa structure spatiale et formelle n’est pas vue comme une proposition statique, mais plutôt comme fortement chargé, presque volatile dialogue dynamique entre des pressions, problèmes, besoins et désirs concurrents- à la fois dans le sens humain et urbain23. Dans ce sens, il ne semble pas illégitime d’affirmer que le redécouverte du plan de Nolli constitue une incitation pour les architectes à l’utilisation récurrente des espaces concaves sous le bâtiment. Pour conclure, après une critique et une remise en question des pilotis comme élément d’architecture convexe, les architectes et les histoe riens du début des années cinquante redécouvrent tout le potentiel de la 6 façade, dans sa forme traditionnelle de l’espace concave sous le bâtiment. Ils s’aperçoivent entre autre que ces espaces : - peuvent délimiter spatialement et marquer symboliquement la présence de l’espace public, comme dans le cas de la Stoa; - peuvent être des lieux de sociabilité, qui permettent la continuité, la complexité et la concentration de l’espace urbain, comme dans les cas des arcades médiévales ; - sont intrinsèques à la question du monumentum, car ils peuvent constituer un vecteur de valeurs plus abstraits et d’un nouvel ordre social comme les loggias de la ville classique ; - témoignent et construisent la condition dynamique, complexe et conflictuelle de la ville contemporaine comme dans le plan de Rome de Nolli. Cependant, la qualité majeure des espaces sous le bâtiment réside dans le fait qu’ils ne se réduisent pas à ces caractéristiques particulières. En effet, la persistance de cette forme urbaine à travers le temps, témoigne de son indépendance et de sa flexibilité, voir de sa capacité à s’adapter aux structures changeantes de la ville. Dans ce sens, il semble légitime de dire qu’à partir des années cinquante, lorsqu’un architecte fait l’usage de l’espace concave sous le bâtiment, il ne se réfère pas nécessairement à une époque ou une tradition particulière. e La 6 façade peut potentiellement être rattachée à l’ensemble de l’histoire de la ville fermée occidentale. Elle devient alors un élément de langage postmoderne, dans lequel les architectes peuvent puiser librement pour exprimer plusieurs idées, séparément où simultanément. 23

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! «The evolution of the city and its formal and spatial structure, therefore, is seen, not as a static proposition, but rather as a dynamic, highly charged and even volatile discourse of competing pressures, issues, needs, and desires—both in urban and human terms », TICE Jim, «The Nolli Map and Urban Theory», Department of Architecture, University of Oregon, http://nolli.uoregon.edu/urbanTheory.html traduction personnelle

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Exemple architectural : La ville de Chimbote au PĂŠrou de Jose L. Sert, 1948


Fig. B6. SERT José Luis, plan de la ville de Chimbote, 1948

Fig. B7. SERT José Luis, Centre Civique de Chimbote, 1948

Fig. B8. LE CORBUSIER, Centre Administratif de la ville de St.-Dié, 1945


2.2. Exemple architectural : La ville de Chimbote de J.L. Sert. Les réflexions sur la forme du Core contemporain amènent les architectes du C.I.A.M. 8 à proposer dans la deuxième partie du livre The Heart of the City, une série de projets de l’époque qui pourraient servir en quelque sorte de modèles pour la ville d’aujourd’hui et de demain. Parmi ces exemples, le projet qui illustre particulièrement bien la relation entre l’espace concave sous le bâtiment et l’ambition de recréer le Core est le plan pour la nouvelle ville de Chimbote au Pérou dessiné en 1948 24 par J.L. Sert et L.Wiener (B6). Dans ce projet, le rôle du « cœur de la ville » est assumé par le Centre e 25 Civique qui, selon les architectes, doit être perçu comme la «5 fonction» structurant la ville. Commissionné en 1947, par une organisation gouvernementale la Corporaciòn Peruana del Sauta, ce projet prévoit le réaménagement et le développement de la ville minière de Chimbote de 12 000 habitants en un nouveau centre portuaire de la région, de 40 000 habitants. Les architectes planifient alors la construction de larges zones industrielles, une dizaine de zones d’habitation et surtout un nouveau Centre Civique (B7) qui constitue une application presque didactique des réflexions de Sert et de Giedion sur l’esthétique et l’expression populaire du Core contemporain. Pour assurer son bon fonctionnement, le nouveau Centre Civique est placé à la même distance de tous les districts d’habitation de la ville, entre le bord de la mer et l’autoroute ce qui le rend facilement accessible depuis toute la région. Selon Sert et Wiener, le Core de Chimbote est en relation avec le centre de Saint- Dié (1945) dessiné par Le Corbusier (B8). Cependant, au lieu d’utiliser de hauts bâtiments administratifs isolés, les architectes proposent d’articuler tout le centre autour d’une place centrale semi-ouverte. Ainsi, à l’opposée des idées de L.C., ils ne rejettent pas la tradition de la piazza de Renaissance- le projet de Chimbote constitue «un essai de 26 revenir à l’ancienne, bonne tradition de la Plaza de Armas coloniale» . Cet espace monumental est connectée avec des parkings en périphérie par une série de larges boulevards qui structurent le centre en le divisant en trois zones : commerciale, culturelle et administrative. Dans sa partie 24

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ROVIRA I GIMENO, Josep, Sert half a century of architecture : 1928-1979, complete work, Fundacio Joan Miro, Barcelone, 2005, pp. 129-137. 25 e La notion de «5 fonction» fait référence aux 4 fonctions de la ville moderniste: habiter, travailler, cultiver le corps et l’esprit, circuler. voir MUMFORD Eric, The CIAM disourse on urbanism, 1928-1960, MIT Press, Cambridge, Massachusetts, 2000, p.188. 26 Ibid., p.191.

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Fig. B9. SERT José Luis, Adaptationdu modèle au climat, 1948

Fig. B10. SERT José Luis, Centre Civique de Chimbote, 1948


Nord (coté fermé) nous retrouvons donc des bâtiments commerciaux à patio, de 2 à 4 étages sur pilotis. Dans la partie Ouest, les architectes situent une église et une tour de clocher qui séparent l’espace minéral de la zone verte. Par contre dans la partie Sud-Est se trouvent l’hôtel de ville, le musée et la bibliothèque à 2 étages, tous soulevés par rapport au sol. Enfin, les seuls éléments verticaux, isolés qui marquent le paysage urbain sont les deux unités d’habitation à 7 étages sur pilotis, que les architectes placent à quelques minutes à pied de la place centrale. Nous remarquons alors que presque tous les édifices du Core de Chime bote sont munis d’une 6 façade. En effet, pour Sert, le climat aride de cette zone désertique de Pérou, constitue un élément déterminant pour le choix de cette morphologie urbaine. Il annonce la volonté de créer un système dans lequel les dalles et les poteaux agissent comme un parasol, une protection du soleil, et dans lequel les magasins et les cafés sont 27 librement regroupés sous cette construction continue. Il fait ainsi référence à son discours de The Heart of the City, concernant les aspects du Core : Dans ces centres de communauté, les piétons devraient être protégés de la chaleur et du froid extrêmes. Il est curieux de noter à quel point les villes modernes ne l’ont pas pris en considération. Les rues couvertes, les portiques, les patios etc.- tous les éléments d’usage fréquent dans les villes du passé, ils paraissent tous avoir disparus de nos villes, où on attend que tout le monde utilise la voiture pour le moindre déplacement. 28 Mais, ces espaces sous le bâtiment permettent aux architectes de revenir 29 aussi aux théories de The Need of the Monumentality (1943) de Giedion . Dans cet esprit, les espaces sous le bâtiment mettent partiellement en place le concept du centre-ville accessible uniquement aux piétons. Ils offrent une grande diversité d’espaces de circulation protégés du bruit et de la congestion urbaine, comme : -des portiques commerciaux qui longent les grands boulevards menant au centre, -des places couvertes capables d’accueillir des activités communautaires à une plus petite échelle que la place centrale.

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ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, op.cit., 128 traduction personnelle. 28 SERT Jose Luis, «Centers of Community Life» in ibid., pp.11-15 traduction personnelle. 29 GIEDION Sigfried « The Need of the Monumentality» in symposium édité par ZUCKER Paul, New Architecture and City planning, Philosophical Library, New York, 1944.

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Fig. B11. Le rez-de-chaussĂŠe du Centre Civique de Chimbote, 1948 doc. pers

portique commercial place couverte passage reste

doc.pers.


-un réseau de passages strictement piétons qui permettent de potentialiser les patios intérieurs comme espaces urbanistiquement actifs, car rendus visibles et facilement accessibles depuis les boulevards et la place. Dans cette lignée nous pouvons même dire que ces bâtiments soulevés offrent une liberté presque illimitée dans l’aménagement du rez-de-chaussée. Celui-ci peut être percé de bon gré, en fonction des besoins changeants du centre ville. Par conséquent, nous retrouvons partiellement l’organicité et la complexité du plan du rez-de-chaussée propre à la ville médiévale. Ensuite, dans l’objectif de redynamiser la vie en communauté, ces portiques permettent de monumentaliser le centre ville : - la création d’une place publique couverte sous l’hôtel de ville souligne l’importance du bâtiment, mais elle traduit aussi la volonté de rendre le contrôle de la ville à la communauté. - les portiques en partie nord de la place, permettent d’articuler le centre public avec l’espace commercial. Les magasins et les cafés donnent sur la place, mais la verticalité et la régularité des pilotis offre une façade uniforme et cohérente, digne des espaces publiques de la plus haute qualité comme les piazzas et les loggie de la ville classique. Par ailleurs, le Centre Civique de Chimbote permet à Sert de montrer dans un projet les implications de ses théories présentées dans le texte The 30 human scale in City Planning (1944) . En effet, l’espace public sous le bâtiment permet de créer des lieux protégés et à l’échelle humaine, où chaque individu est sous le regard des autres : « where people can see 31 e people » . La 6 façade contraste avec les grands espaces ouverts qui ne privilégient pas les échanges entre les citoyens; elle crée de véritables «intérieurs urbains» où les gens se côtoient. Cette notion d’«intérieur urbain» fait par ailleurs référence à la posture du flâneur définie par Walter Benjamin, un grand passionné des passages parisiens qui écrit: «la rue devient un appartement pour le flâneur qui est chez lui entre les façades 32 des immeubles comme le bourgeois entre ses quatre murs» . De manière similaire, nous pouvons supposer que par la mise en place d’une série «d’intérieurs urbains» sous le bâtiment, Sert espère créer une relation plus intime entre l’espace public et le citoyen qui le découvre.

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SERT Jose Luis, « Human scale in city planning » in symposium édité par ZUCKER Paul, op.cit. pp.392-412. 31 SERT Jose Luis, « Discussion on italian piazzas», ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, op.cit., p.76. 32 BENJAMIN Walter cité dans LUCAN Jacques, «Nécessités de la clôture ou la vision sédentaire de l’architecture», in ABRIANI Alberto, Matières, EPFL-CM, Lausanne, 1999, p.23.

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Fig. B13. SchĂŠma de circulation. doc.pers.

Fig. B14. SchÊma illsutrant la relation entre les espaces sous le bâtiment et les espaces verts. doc.pers.


La continuité et la densité élevée du nouveau Core, rendue possible e grâce à l’usage de la 6 façade, pousse Sert et Wiener à parler d’un 33 nouveau type d’environnement urbain : «la tapisserie urbaine» . Dans cette structure, les bâtiments et les espaces publics sont tissés ensemble dans une relation d’interdépendance, qui se construit à travers l’espace concave sous le bâtiment. Pour décrire celle-ci, Jacqueline Tyrwhitt qualifie le projet de Chimbote comme étant « an Enclosed Formal » Core, c’est-àdire un centre-ville à plan composé des « bâtiments fortement rapprochés et visuellement reliés. Dans ce plan l’espace ouvert est l’extension du fermé, il est intégré dans l’architecture et traité selon le même esprit».34 Cette notion s’applique donc à la situation où l’espace extérieur est fermé, 35 et à l’opposé du « Enclosed informal » il est organisé selon la même logique que les bâtiments. Sans que Tyrwhitt le dise explicitement, il paraît légitime de supposer qu’il s’agit ici de la logique orthogonale et régulière des pilotis qui dessinent le paysage urbain du centre de Chimbote. L’espace sous le bâtiment devient alors un élément de connexion entre la construction rationnelle de l’architecture et la logique organique, paysagère de l’espace vert qui l’entoure (B14). En conclusion, il est intéressant de se demander pourquoi le plan de Chimbote, malgré l’abandon de l’entreprise en février 1950, devient pour les Modernistes le projet-manifeste du nouveau Core ? Nous pouvons supposer qu’une des raisons principales est la façon dont e ce projet prend position, à travers l’usage de la 6 façade, par rapport aux traditions de la ville ouverte et fermée. D’un côté les formes d’espaces sous le bâtiment utilisées par Sert et Wiener s’inspirent en grande partie de la logique de l’espace concave. Par cet intermédiaire les architectes espèrent contrecarrer la fragmentation de la société et la perte des valeurs civiques. D’un autre côté, les architectes gardent les acquis typologiques modernistes comme les pilotis qu’ils jugent toujours valables du point de vue technologique et économique. e Autrement dit, la 6 façade permet de réinterpréter la logique concave en utilisant le langage de l’architecture convexe. Elle devient alors un élément permettant de réconcilier les deux traditions. Par conséquent, nous remarquons que le terme « enclosed formal » prend un nouveau sens. Il traduit à

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FREIXA Jaume, Josep Luis Sert, Editiorial Gustavo Gili, Barcelona, 1995, p.60. 34 TYRWHITT Jacqueline « Cores within the urban constellation» in ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, op.cit., pp.105-106 traduction personnelle. 35 Loc.cit.

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présent l’enjeu de ce schéma urbanistique qui consiste à combiner les deux modèles de villes opposés. Cependant, est-ce que dans le cas de Sert et Wiener cette réconciliation ne va pas de pair avec un mauvais compromis? Malgré toute la richesse potentielle des espaces sous le bâtiment à Chimbote, est-ce que le désir d’appliquer cette solution uniformément à tout le centre-ville, ne pousse-t-il pas les architectes à adopter un système, qui peut sembler aujourd’hui, assez rigide et répétitif en plan, et peu diversifié en coupe? Est-ce que la e volonté de protéger constamment la 6 façade de la congestion urbaine ne rend-elle pas difficile l’exploitation de tout le potentiel inhérent à cet espace ? Enfin, il nous semble que toutes ces interrogations font que le plan du Centre Civique de Chimbote, tout en étant très innovant, est encore loin d’exprimer la même condition dynamique de la ville que traduisait in exemplum le plan de Nolli. ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !

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Chapitre 3. La 6 façade comme type néorationaliste. Cette redécouverte, dans les années cinquante, des différents modèles de l’espace concave sous le bâtiment, se poursuit en Europe dans les années soixante, à travers plusieurs tendances dont le dénominateur commun est la critique de la ville moderne et le retour à la ville préindustrielle. Ce retour peut s’opérer soit par une réinterprétation plus ou moins ironique de l’histoire et du présent, comme c’est le cas pour l’approche de 36 Venturi, soit par un conservatisme plus romantique qui exprime le désir de retour à l’époque où la vie était plus simple, plus saine et généralement 37 plus satisfaisante . Cette deuxième tendance se reflète aussi bien dans l’historicisme académique des Néoclassiques, que dans les interprétations plus subtiles des Néorationalistes. Pour opposer les deux mouvements, qui sont très souvent confondus par le grand public, Charles Jenks écrit: alors que le Néorationalisme produit un collage, le Néoclassicisme applique la hiérarchie et l’ordre axial. Lorsque le Néorationalisme agit par incrémentation, le Néoclassicisme applique une restructuration complète38. Cependant, cette différence se manifeste aussi dans la manière d’aborder e les modèles préindustriels de la 6 façade. Alors que les néoclassicistes proposent une simple imitation des formes passées, les nouveaux rationalistes favorisent une approche plus complexe, qui passe par une réinterprétation desdits modèles. Mais, est-ce que ceci va leur permettre de dépasser des problèmes rencontrés par les architectes du C.I.A.M. 8 sur la forme contemporaine de l’espace concave sous le bâtiment? Pour tenter de répondre à cette interrogation, dans ce chapitre nous allons nous intéresser à la réinterprétation des formes passées, utilisée par les Néorationalistes, qui est la méthode typologique.

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Warner Canham décrit le romanticisme comme : « répulsion pour l’uniformité, généralité, simplicité calculée, et la réduction du phénomène de vie à des dénominateurs communs » CAHNMAN Werner, « Max Weber and the Methodological Controversy in the Social Sciences» in CAHNHAM Werner, BOSKOFF Alvin, Society and History, The Free press of Glencoe, New York, 1964, pp.103-127 cité dans ELLIN Nan, Postmodern Urbanism, Revised Edition, Princeton Architectural Press, New York, 1999, p.18, traduction personnelle 37 ELLIN Nan, Postmodern Urbanism, Revised Edition, Princeton Architectural Press, New York, 1999, p.19 38 JENKS Charles, «Post-Modern Classicism: the new Synthesis», in Architectural Design Profile n°6, St. Martins Press, New York, 1980.

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3.1 L’influence du concept de type néorationaliste sur la 6 façade. Pour comprendre l’impact de la vision typologique relatif à l’espace concave sous le bâtiment, il est nécessaire d’expliquer brièvement la question du «type néorationaliste». En effet, la réapparition de cette notion dans les années soixante, s’inscrit dans le contexte de crise du modèle d’urbanisme convexe, moderniste. Pour cette raison elle se focalise avant tout sur le rapport entre l’architecture et la ville, en quoi elle diffère légèrement de ce que l’on a l’habitude de comprendre aujourd’hui par le terme «typologie». 39

Le «Néorationalisme» est un mouvement qui apparaît dans les années soixante en Italie et qui réunit rédacteurs de Casabella Continua, et les étudiants de E.N. Rogers (rédacteur de la revue entre 1953-65) ce dernier ayant participé au C.I.A.M. 8. Plus tard, la nouvelle tendance se clarifie à travers les contributions de E.Bonfanti, M.Scolari, (rédacteurs de Contraspazio) V.Gregotti (Il territorio dell’architetura, 1966), G.Grassi (La construzione logica dell’architettura, 1967) et les travaux de M.Tafuri, S.Muratori et C.Aymonino, regroupés à l’occasion de grands événements comme la e 15 Triennale de Milan en 1973 ou l’exposition « Rational Architecture » à Londres en 1975. Mais, la figure clef du mouvement est l’architecte milanais, Aldo Rossi 40 (1931-1997). Théoricien, journaliste et enseignant d’architecture . Il publie en 1966 l’Architettura della città (Architecture de la ville), un ouvrage qui acquiert rapidement le statut de manifeste du Néorationalisme et qui permet à un public international plus large de comprendre la vision typologique de l’architecture et de la ville, proposée par le mouvement. Dans l’Architettura della città, l’auteur légitime la production architecturale 41 en stipulant que l’architecture peut être comprise en termes de «science» dont l’instrument principal est la typologie. En effet, influencés par les théories des Lumières et notamment celles d’Antoine Quatrèmere de

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Le terme « Néorationalisme » fait référence au mouvement rationaliste italien des années vingt du XXe siècle. Celui-ci, se développant sous une influence du fascisme, refuse la logique fonctionnaliste qui conduit au rationalisme abstrait de l’architecture du style international. Au lieu de cela, il propose une réinterprétation du patrimoine historique italien. Voir le manifeste «Note» du «Grupo7» publié en 1926 dans « Ressegna Italiana». 40 De 1961 à 1964, Rossi est rédacteur de la revue Casabella-Continuà, ou il travaille avec E.N. Rogers. Ensuite il enseigne aux: « Instituto Universitario di Architettura » à Venise, Politecnico de Milan, ETH de Zurich et « Cooper Union » de New York et de Venise. 41 ROSSI Aldo, «Architecture as a science», in The Architecture of the City, (Oppositions Books) The MIT Press, Massachusetts, 1984, p.107.

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Quincy (1795-1825), les néorationalistes voient dans la typologie un moyen de reconstituer un nouveau code de composition architecturale: Le mot type ne représente pas tant l’image de la chose copiée ou parfaitement imitée, mais plutôt l’idée qui est la base de création du modèle (…). Modèle entendu dans le sens de l’usage artistique pratique (…) doit être répété minutieusement dans sa forme, le type au contraire, sert à créer des objets, qui ne doivent pas absolument se ressembler (…). Tout est précis et donné dans un modèle : tout est plus ou moins vague dans le 43 type. Dans cette optique, les néorationalistes voient le type comme une logique, une règle de base de construction de la forme qui s’oppose au «modèle 44 fermé» du Modernisme. Ainsi, influencés par la pensé structuraliste de Claude Lévi Strauss, qui constate l’existence des structures universelles/ archétypiques de l’esprit, les nouveaux rationalistes tendent vers une vision où les types peuvent être considérés comme les formes invariables qui sous-tendent l’infinie variété de formes de diverses constructions (dans ce cas ils se rapprochent de la notion d’archétype ou de type original). (…) Ce type à une connotation génétique : c’est l’essence qui imprègne la version originale et que les formes suivantes rappelleront.45 Par ailleurs, cette opposition entre le type néorationaliste et le modèle des Modernistes mérite d`être clarifiée, dans la mesure où elle jette une nouvelle lumière sur la rigidité évoquée des espaces sous le bâtiment du Centre Civique de Chimbote. En effet, les Modernistes utilisent aussi la notion du «type », mais dans le sens où il est assimilé au «prototype» ou «standard». Dans Vers une architecture, Le Corbusier écrit : il faut tendre à l’établissement des standarts pour affronter le problème de la perfection.(…) Etablir un standart c‘est épuiser toutes les possibilités pratiques et raisonnables, déduire un type conforme aux fonctions, à rendement maximum, à emploi

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L’auteur de la définition du mot « type » publiée dans le Dictionnaire historique de l’architecture (1832). 43 ROSSI Aldo, The Architecture of the City, (Oppositions Books) The MIT Press, Massachusetts, 1984, p.40. 44 MONEO R. «On typology», Oppositions, 13, pp. 23-45, 1978 cité in GUNEY Yasemin, «Type and typology in architectural discourse», UFAE, Balikesir, 2007, pp.8-9 45 COLQUHOUN Alan, Architecture moderne et changement historique. Receuil d’essais critiques, Éditions Mardaga, Bruxelles, 1985, p.23.

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minimum des moyens, main-d’œuvre et matière, mots, formes, couleurs, sons46. Dans ce fameux texte, où L.C. compare le Parthénon à l’automobile, le type est à comprendre dans son «acceptation darwinienne, comme produit 47 d’une longue sélection» , d’établissement de standards. Mais la nécessité de la reconstruction dans le contexte de l’après-guerre fait que cette notion de standard va renvoyer de plus en plus aux produits de l’industrie et la production en série devient la logique principale de conception de l’architecture. Dans ce sens, le « type » moderniste s’approche de la notion de « modèle » que Quatremère de Quincy définit comme la reproduction mécanique d’un objet. Il se veut le résultat d’une étude scientifique des besoins de l’homme, et comme l’écrit Gregotti : «ce modèle orienté vers la 48 production devient anti-spécifique et universellement applicable (…)» . Ainsi, dans le cas de Chimbote, la volonté de reproduire rapidement et à zéro l’entièreté du nouveau centre, oblige les architectes à adopter pour le rez-de-chaussée la logique de la production standardisée des pilotis. e Le résultat est une 6 façade uniforme et presque universellement applicable, dont l’existence et les dimensions sont fixées à l’avance par les architectes avec l’objectif de créer des lieux pour la vie en communauté e réduite alors au concept de la 5 fonction. Nous pouvons en conclure, que la rigidité évoquée de l’espace sous le bâtiment du centre de Chimbote est une conséquence de l’adoption de la logique de modèle, et dans cette lignée il paraît légitime de dire que la méthode typologique permettra probablement de dépasser ces limites. Par conséquent, nous nous apercevons que le grand avantage de la vision typologique réside dans le fait qu’elle ne constitue pas seulement un simple moyen d’analyse et de classification des formes urbaines, ce à quoi on a tendance à la réduire aujourd’hui. De façon explicite, elle devient une inspiration créatrice pour la construction de nouvelles formes adaptées aux nouvelles exigences programmatiques et sociales de l’époque, qui permet d’éviter la simple imitation proposée par les néoclassiques et de dépasser la rigidité du modèle moderniste.

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LE CORBUSIER, Vers une architecture, Editions Champsarts, Paris, 1995, pp.105-108 écriture originale. 47 LUCAN Jacques, Le Corbusier-Une Encyclopédie, Éditions du Centre Pompidou/CCI, Paris, 1987p. 417. 48 GREGOTTI Vittorio « the Grounds of Typology », in Casabella, n°509-510, 1985, pp. 4-8, traduction personnelle; voir aussi MONEO Rafael, «On typology » Oppositions n°13, New York, 1978 pp. 23-45.

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Cependant, à quel point pouvons-nous considérer la conception e concave de la 6 façade comme un type néorationaliste? Quels sont les autres avantages qui découlent de ce changement de perspective? Malgré le fait que l’espace concave sous le bâtiment ne soit pas au centre de l’intérêt des études typologiques dans Architettura della città, ils existe trois raisons principales qui nous amènent à concevoir cet élément comme un type néorationaliste. Premièrement, il s’agit de la persistance sous différentes formes de cet élément dans la ville préindustrielle, qui suggère qu’il peut être considéré comme une forme urbaine autonome et prédominante. Deuxièmement, il s’agit de l’omniprésence de cet élément dans les travaux théoriques et des projets d’architecture néorationalistes. L’arcade, la colonnade, le portique et l’encorbellement apparaissent de façon récurrente dans tous les projets néorationalistes en dépit de leur fonction, contexte social ou géographique. Troisièmement, c’est la nature propre «d’élément entre l’architecture et l’urbanisme» qui en fait le type néorationaliste. Dans la mesure où il gère la relation entre le bâtiment et la ville, il entre pleinement dans les préoccupations des nouveaux rationalistes pour qui la typologie prend surtout le sens comme une certaine conception des rapports de l’architecture à la ville. e

Si la 6 façade est considérée comme un type, alors cela va de soi qu’il ne s’agit pas d’un simple changement de terminologie, mais d’un basculement qui permet de jeter une nouvelle lumière sur l’ensemble des modèles d’espace concave sous le bâtiment redécouverts dans les années cinquante. Premièrement, regarder ce groupe de modèles comme un type, permet de l’inscrire dans une continuité, voir homogénéité historique et culturelle, qui dépasse le concept moderniste de l’historicisme. Autrement dit, cela refuse la classification moderniste de l’architecture qui postulait l’incapacité d’anciennes formes à répondre aux besoins de l’homme moderne. Ainsi, les arcades, les portiques et les colonnades, précédemment remplacés par les pilotis peuvent revenir au dictionnaire de l’architecture contemporaine. Deuxièmement, cette conception stipule qu’en tant que type, l’espace concave sous le bâtiment est une forme monumentale. En adaptant la conception de Giedion et Sert qui renvoyait à la vie en communauté, la vision néorationaliste de monumentalité se réfère à la permanence et à la mémoire qui déterminent le caractère public. Le monument, du terme latin monumentum, (« tout ce qui rappelle quelque chose, ce qui perpétue un

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Fig. C1. ROSSI Aldo, Théâtre Paganini à Parme, 1964

Fig. C2. Photo de l’intérieur du théatre de Sabioneta 1588-1590


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souvenir » ) est alors perçu comme une forme d’action de la «mémoire 50 collective» en ville, qui devient alors le « théâtre de la mémoire» . e Ceci explique l’utilisation de la 6 façade dans l’architecture de grands édifices publics, comme par exemple le Théâtre Paganini à Parme (1964) (C1), que Rossi considère comme le premier projet où il affronte la problématique du monument. Selon l’architecte italien: Le théâtre peut permettre la production d’un spectacle, mais il possède d’abord sa propre réalité architecturale. (…) Quand on conçoit un théâtre, il est donc préférable de ne pas trop tenir compte de sa fonction ; les artisans parviendrons toujours à adapter l’édifice. (…) Pour l’architecture il en va autrement : elle ne peut se référer à tel ou tel spectacle ; elle exprime l’essence même du théâtre. Ainsi sa forme ne se transforme-t-elle 51 pas, ni l’idée même du théâtre . Ce concept de permanence du théâtre et de son idée est alors traduit par Rossi sous la forme de portiques de cylindres et de colonnes monumentaux qui donnent à cet espace contemporain la charge sémantique du théâtre traditionnel de la Renaissance (C2), qui témoignent de son carac52 tère public et qui selon Rossi «ne nécessitent aucune explication» . Troisièmement, cette conception typologique rend indépendant l’espace sous le bâtiment de la question de sa fonction, car elle réfute l’axiome moderniste «la forme suit la fonction». Bien que cette logique, poussée à son extrême soulève de réelles questions en rapport avec le caractère public de l’espace créé sans aucun rapport à son usage, les néorationalistes rejettent obstinément le fonctionnalisme comme déterminant de la forme. Ceci, comme ils l’affirment, à cause de son refus de complexité et son incapacité à expliquer la persistance des formes urbaines une fois que 53 leur fonction a changé ou est devenue obsolète. Nous remarquons que ceci permet de comprendre pourquoi nous retrouvons les mêmes formes d’espace sous le bâtiment dans des bâtiments à statut, échelle et programme diamétralement différents. Nous pouvons 54 e même supposer que ceci conduit à une «relative autonomie» de la 6 façade, qui libérée de toutes contraintes fonctionnelles, est à la fois libérée

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GAFFIOT François, Dictionnaire latin-francais, Éditions Hachette, Paris, 1934, p.993. En référence aux idées de Giulio « Delminio » CAMILLO et son ouvrage L’Idea del Theatro, 1550. 51 ROSSI Aldo cité dans FERLENGA Alberto, Aldo Rossi tout oeuvre, Éditions, Konemann, Cologne, 2001, pp. 36-37. 52 Loc.cit. 53 ELLIN Nan, op.cit., pp.24-25 54 FRAMPTON Kenneth, Modern Architecture: A Critical History, Thames and Hudson, London, 1984, p.294 50

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Fig. C3. ROSSI Aldo, croquis comparant la maison Borgo Ticino et la maison étudiante àTrieste, 1974

Fig. C4. ROSSI Aldo, cimetière San Cataldo, 1972

Fig. C5. Photo aérienne du cimetière San Cataldo, 2013


d’un quelconque symbolisme extrinsèque à l’architecture et peut être librement réinterprétée dans de nouveaux projets. Ainsi, les projets et les dessins de Rossi pourraient témoigner de cette liberté, lorsqu’il rapproche les corps flottants de la maison à Borgo Ticino (1973) avec les barres surélevées de la maison étudiante à Trieste (1974) (C3). La différence de statut public/privé, de contexte et surtout d’échelle de l’espace sous le bâtiment, n’empêche pas l’architecte d’utiliser le premier projet comme référence pour le deuxième, car il se focalise uniquement sur la nature architecturale de cet espace, détachée de sa fonction. Enfin, pour les néorationalistes, la question de la typologie se pose surtout dans la relation entre la ville et l’architecture car «c’est dans les faits 55 urbains qu’elle (typologie) se manifeste avec le plus de clarté» . Par conséquent, appréhender l’espace concave sous le bâtiment dans les termes typologiques, c’est lui attribuer la capacité de porter la signification d’un fait urbain. Dans ce sens, l’usage de cet élément dans un projet manifeste le désir de recréer une certaine forme du phénomène d’urbanité, qui selon les Néorationalistes est absent dans le modèle urbanistique des Modernistes. Ceci explique sans doute la récurrence de cet élément dans les projets néorationalistes de reconstruction de centres de villes dénaturés par la reconstruction rapide de l’Après-guerre. Cependant, l’exemple qui illustre cette corrélation de la façon la plus éloquente est le projet de Cimetière San Cataldo à Modène de Rossi et Braghieri (1971)(C4,C5). Dans ce projet situé dans les champs, en périphérie de la ville, les architectes cherchent à recréer une sensation d’urbanité pour faire référence à la tradition étrusque ou romaine qui perçoit un 56 cimetière comme une « ville des morts » et dans laquelle les tombaux 57 reprenaient la forme spatiale de la maison . Pour exprimer cette idée, Rossi et Braghieri font abondamment recours au type de bâtiment-galerie, posé sur portique. Le rez-de-chaussée du bâtiment, qui comme une muraille de la cité médiévale entoure le cimetière, est donc une double colonnade en voile en béton, publique, où les visiteurs peuvent se promener et acheter des fleurs. A l’étage se trouve un espace plus intime, des colombaires, qui est en quelque sorte la maison des morts. Tout compte fait, nous pouvons supposer que pour les architectes néorationalistes, cet 55

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Dans le cas de Rossi nous observons une sorte de confusion intentionnelle entre ville et architecture qui accompagne le propos typologique. Voir CROIZE Jean Claude, FREY Jean-Pierre, PINON Pierre, Recherches sur la typologie et les types architecturaux : actes de la table ronde internationale, Editions L’Harmattan, Paris, 1991 p.35. 56 HANNESEN Han Gerhard, Aldo Rossi : Architect, Wiley Academy, New York, 1994, p.43. 57 Rossi fait directement référence au tombeau romain d’Eurysacès de premier siècle avant J.C. située devant Porte Maggiore à Rome.

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espace sous le bâtiment évoque une forme de phénomène urbain, car il peut être perçu comme une rue commerciale qui, comme dans la ville traditionnelle établi une relation entre les espaces publics comme la place centrale du cimetière, et les « demeures privées », comme les colombaires à l’étage. Par ailleurs, n’est-il pas vrai que la répétition de la colonnade minimaliste en béton brut crée une sorte de fond monotone, silencieux et dynamique à la fois, qui évoque le rythme monotone des façades d’une ville ? Pour conclure, la conception typologique de l’espace concave sous le bâtiment, lui attribue un nouveau potentiel à la fois comme moment d’analyse de la ville et de son histoire, mais aussi comme vecteur de création de nouveaux projets. Bien qu’elle ne prenne pas explicitement un côté dans le conflit entre la ville de la tradition convexe et celle concave, cette méthode typologique appuie sa critique du modèle moderniste sur la réinterprétation des phénomènes observables dans la ville préindustrielle. Les Néorationalistes refusent la vision historiciste, l’absence de monumentalité, le déterminisme fonctionnaliste et le caractère jugé anti-urbain de la ville ouverte, mais ils ne se réduisent pas au retour direct à la ville fermée, comme le propose le courant néoclassique. e

L’usage qu’ils font de la 6 façade traduit particulièrement bien la complexité de ces intentions, même si comme nous allons le voir dans les prochains chapitres, à l’intérieur de ce groupe, ils existent au moins deux e sous-tendances qui conçoivent la relation entre la 6 façade et la ville concave de façon radicalement différente. D’un côté, nous allons aborder le concept du type «analogue» propre à Rossi, qui développe les idées vues jusqu’à présent. e D’un autre côté, nous allons nous attarder sur l’idée de la « 3 typologie » répandue parmi les nouveaux rationalistes du Nord de l’Europe, qui semble se rapprocher beaucoup plus de la conception traditionnelle de l’espace concave.

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3.2 La 6 façade et l’analogie de Rossi. Comme nous venons de le voir, l’espace concave sous le bâtiment constitue, comme c’est le cas pour tous les néorationalistes, un des éléments de composition fondamentaux dans la production de Rossi. Cependant, contrairement au reste de la Tendenza italienne, avec le temps l’architecte italien s’éloigne de la conception canonique de Quatemère de Quincy, pour donner une dimension beaucoup plus personnelle à son architecture. Il apparaît alors ici dans tout son côté synchronique, comme un pont humain entre une approche visant l’objectivité et une conception presque autobiographique de son œuvre. En effet, ces deux perspectives se trouvent réconciliées dans ce que Rossi appelle «l’analogie»- la notion qui, comme nous allons le voir, lui permet aussi de donner une expression très moderne (presque convexe) à son architecture abstraite de la tradition concave. Par conséquent, pour bien comprendre la particularité de l’usage de l’espace sous le bâtiment dans les projets Rossi, il convient de s’attarder brièvement sur sa conception de la ville et de l’architecture analogues. L’inspiration directe pour cette conception est la peinture « Capriccio Palladiano » de Canaletto (1697-1768) (C6) qui présente un paysage fictif, 58 mais à la fois « typique » de Venise. Rossi reste fortement impressionné par la cohérence et la force de cette image, et en adaptant des idées des géographes G.Chabot et M. Halbwachs qui voient la ville comme le locus de la mémoire collective, il établi le concept de la Città analoga. Cette ville analogue, comme l’explique Kenneth Frampton, est composée de l’architecture dont les référents et les éléments sont abstraits du vernacu59 laire, dans le sens le plus large possible . Elle emprunte donc des composants particuliers de la ville concave. Cependant elle ne reprend pas sa logique compositionnelle générale. En effet, après la phase d’abstraction, les éléments sont recollés ente eux, comme Piranesi assemblait dans ses gravures les monuments de Rome antique, sans faire référence à leurs usages ou contextes originaux. Le résultat final, comme chez l’artiste du XVIIIe siècle, retient alors toute

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Cette œuvre réalisée entre 1756 et 1759 représente la vue du quartier du Rialto, selon le projet d’aménagement d’Andrea Palladio. L’œuvre conjugue des éléments réels avec des éléments tout aussi réels mais situés ailleurs (la Basilique de Vicence) et des éléments imaginaires, comme le pont du Rialto selon le projet palladien. Voir !http://fr.wikipedia.org/wiki/Canaletto 59 FRAMPTON Kenneth, op.cit., p.294.

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Fig. C6. CANALETTO, “Capriccio Palladiano”, 1759

Fig. C7. ROSSI Aldo, La ville Analogue, 1976


tension entre les éléments urbains, et refuse tout discours, signification ou origine singulières (C7). Nous nous apercevons alors que la ville analogue n’est pas seulement une image idéale à laquelle aspire Rossi, mais plutôt un fondement d’une nouvelle théorie de composition architecturale. A ce propos, l’architecte et théoricien G. Bonfanti constate qu’il s’agit d’une théorie du projet architectural pour laquelle les éléments sont préétablis et définis formellement, mais dont la signification apparaissant au terme de l’opération est le sens authentique, imprévu et original de la recherche. 60 Autrement dit, il est question ici d’un collage d’éléments qui ne prennent un sens particulier qu’au moment où ils sont tous réunis. Cependant, pour que le collage final soit capable de transmettre la même charge sémantique que l’ensemble d’origine, ses éléments doivent être nécessairement des 61 artefatti qui persistent dans le temps, indépendamment de leur usage. De cette manière, Rossi fait le lien avec la notion du monument, intrinsèque à la question de la typologie néorationaliste que nous avons vue auparavant. Nous avons analysé comment la ville analogue se situe par rapport à la ville de la tradition concave. Mais de quelle façon celle-ci se reflète dans e l’usage de la 6 façade dans les projets de l’architecte milanais? En effet, pour Rossi cette logique compositionnelle peut s’étendre de la ville à l’architecture, car comme dans la célèbre métaphore de Léon Battista Alberti « la ville est comme une vaste maison, et inversement la 62 maison est comme une petite ville» . Si le bâtiment peut être projeté selon les mêmes règles que la ville, alors comme dans la ville, les différentes parties d’un édifice sont conçues indépendamment et puis simplement juxtaposées sans volonté de créer des séquences formelles. En effet, comme le remarque Alan Colquhoun, dans le cas de Rossi, les différents éléments ne forment qu’une « collection » organisée dans une sorte d’espace imaginaire. Il y a un refus absolu 60

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Aldo Rossi, L’architecture de la ville, op. cit. Préface à la deuxième édition italienne 1970, p.220 (traduction revue par LUCAN Jacques, e e Composition, non-composition, Architecture et théories, XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009, p. 529) 61 Selon Rossi, La ville est soumise à un double processus : premièrement elle est un objet, qui est apparu comme le fruit de travail de l’homme (manufatto), deuxièmement elle est sujet de des changements liés au passage du temps, ce qui mène à l’avènement d’une œuvre autonome, un artefact (artifact). 62 ALBERTI Leon Battista, De Re Aedificatiora, 1485, cité in DEN OUDSTEN Frank, space.time.narrative the exhibition as post-spectacular stage, Ashgate Publishing Limited, Farnham, Surrey, 2011, p.28.

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Fig. C8. ROSSI Aldo, “dessin pour le nouveau cimetiere”, 1971

Fig. C9. L’intérieur du portique du cimetière San Cataldo,2011 “ces portiques ne sont encrées dans le monde réel uniquement par le jeu d’ombres qu’elles projettent sur le sol”


de développer un espace entre des immeubles en terme de perspective Renaissance (…).Ainsi, Rossi refuse toute « résolution » des formes tout achèvement de la signification. Aussi bien la ville que ses bâtiments sont 63 conçus comme des images discontinues et instantanées. Cette réflexion doit être prise en compte et appliquée de premier ordre aux espaces sous le bâtiment dans les projets de l’architecte italien, car ce sont surtout ses colonnades et portiques à voiles en béton qui au premier regard risquent de sembler les séquences visuelles néoclassicisantes. En suivant la pensée de Colquhoun, nous observons que cette indépene dance conceptuelle de la 6 façade permet de comprendre pourquoi Rossi joue librement avec l’échelle de ces colonnades, en les gonflant souvent de façon disproportionnée par rapport au reste du bâtiment, ce qui leur donne une expression inhabituelle depuis l’extérieur et de l’intérieur. En termes généraux, de l’extérieur, les espaces sous le bâtiment de Rossi sont donc conçus comme des images discontinues, indépendantes de leur entourage et du bâtiment qui les surplombe. Ainsi, cette démesure qui pourrait être interprétée comme la volonté d’accentuer le caractère public de l’édifice au-dessus, en réalité, ne veut exprimer qu’une certaine permanence de l’espace public sous le bâtiment (C8). Elle ne souligne pas sa présence dans un espace concret, mais plutôt sa présence publique dans 64 le temps . Cependant, confrontés à toute la complexité de la pensée de Rossi, nous nous interrogeons sur les limites de cette conception. Est-ce que la dislocation recherchée par l’architecte ne déforce pas le caractère urbain de ce lieu? Jusqu’à quel point le rapprochement que fait Rossi entre la monumentalité et l’urbanité est-il toujours valable? De l‘intérieur, ces espaces sous le bâtiment sont aussi conçus comme des espaces décrochés de la réalité du lieu. Ils répètent sans fin des formes géométriques neutres, dont nous pourrions dire qu’elles ne sont encrées dans le monde réel uniquement par le jeu d’ombres qu’elles projettent sur e le sol (C9). L’usage de formes de base dans la 6 façade s’explique par la valeur que Rossi attribue aux éléments permanents de la ville et qu’il essaie de transposer vers l’architecture.

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COLQUHOUN Alan, op.cit., p.23. 64 Rossi aurait préféré parler de la présence dans le temps et l’espace analogues ce qui implique la question de la mémoire collective, mais nous avons simplifié son discours pour faire ressortir certaines contrastes.

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Fig. C10. ROSSI Aldo, “Architettura domestica” , 1974

Fig. C11. OZENFANT Amédée, sans titre, 1922


En effet, c’est grâce à l’emploi de ces formes réduites au minimum, que 65 Rossi pense créer une architecture de «degré zéro» , libérée comme «un artefatto» de signification a priori et qui n’acquiert un sens qu’au moment où elle est mise dans un contexte précis. Ainsi, comme dans le cas de la ville analogue, cette réduction de formes est aussi une condition de base nécessaire pour la réussite de ses collages architecturaux. Par ailleurs, l’idée d’aller à l’essence des choses à travers l’architecture de degré zéro peut faire penser, et non sans raison, à l’architecture puriste 66 des Modernistes . En effet, Rossi admet de s’être intéressé dès ces 67 premiers projets au purisme . Même si l’architecte milanais rejette les références à la machine, et un certain désir de clarté visant l’universalité, propre à l’esthétique de l’Esprit Moderne, il partage la conviction que l’architecture doit s’inspirer des objets quotidiens et banals qui construisent l’univers courant des hommes (C10,C11). De même, pour exprimer la monumentalité il fait recours aux formes primaires, agencées dans des rapports géométriques simples d’orthogonalité, ce qui crée un espace abstrait mais émouvant à la fois. Ainsi, le plaisir que l’on ressent lorsqu’on pénètre les portiques dessinés par l’architecte italien, fait penser à 68 «l’émotion d’ordre mathématique» évoquée par les Puristes. Ensuite, si nous acceptons l’hypothèse, selon laquelle l’esthétique puriste 69 est essentiellement liée à la notion de «l’organe libre» intrinsèque à la conception de l’espace convexe, alors nous apercevons toute la complexité et ambiguïté de la conception rossienne de l’espace sous le bâtiment. En effet, celle-ci constitue un pont entre la tradition concave dont elle s’inspire et la tradition convexe dont elle reprend le langage. Dans ce sens, sans que cela soit leur but, les travaux de Rossi semblent proposer une e solution aux problèmes liés à la 6 façade rencontrés par les acteurs du C.I.A.M. 8. Pour terminer, il nous semble important de mettre l’accent sur les limites de la conception analogue, qui implique potentiellement un risque de mauvaise compréhension sémantique de l’architecture. Si l’analogie est 70 une forme de dialogue intérieur exprimé avec des formes primaires qui 65

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En référence au BARTHES Roland, Dégrée zéro de l’écriture, Editions du Seuil, Paris, 1953. 66 Nous allons appuyons ici sur l’article définissant le «purisme» dans LUCAN Jacques, Le Corbusier-Une Encyclopédie, Éditions du Centre Pompidou/CCI, Paris, 1987, pp.318-319. 67 ROSSI Aldo, Autobiographie scientifique, Éditions Parenthèses, Marseille, 1988, p.11. 68 LE CORBUSIER, OZENFANT Amédée, «Le Purisme», Esprit Nouveau n°4, Paris, 1921, p.380 cité dans LUCAN Jacques, Le Corbusier-Une Encyclopédie, Éditions du Centre Pompidou/CCI, Paris, 1987. 69 Cette hypothèse est avancée par l’auteur dans LUCAN Jacques, Composition, none e composition, Architecture et théories, XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009, p.380. 70 Pour définir l’analogie, Carl Jung écrit « La pensée « logique » est ce qui est exprimé en mots dirigés vers le monde extérieur sous forme d’un discours. La pensée « analogique »

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ne font référence qu’à elles-mêmes, alors il existe un risque qu’elle ne va pas être comprise et partagée par les usagers. Nous remarquons que cette question se pose surtout pour l’espace sous le bâtiment, car étant d’habitude vide et à la frontière entre deux sphères de publicité, il risque de devenir un simple lieu de passage auquel personne n’est attaché. Dans le cas extrême, l’analogie peut «échapper» à l’architecte et jouer en défaveur du projet. Ainsi par exemple, les espaces sous le bâtiment surdimensionnés dans l’architecture de Rossi sont souvent comparés avec l’architecture fasciste. C’est une association que Rossi refuse, en argumentant que l’architecture ne possède pas de sens politique préétabli. Néanmoins, ceci est devenu pour toujours un élément de critique de l’œuvre de l’architecte italien.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! apparaît par contre irréelle, imaginée et silencieuse. Elle n’est pas un discours, mais plutôt une médiation sur les thèmes du passé, un dialogue intérieur». cité dans introduction à «Aldo Rossi An Analogical Architecture» in NESBITT Kate, Theorizing a new agenda for architecture an anthology of architectural theory 1965-1995, Princeton Architectural Press, New York,1996, p. 345.!

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Exemple architectural : Complex Monte Amiata, b창timent D de Aldo Rossi, 1968


Fig. C11. AYMONINO Carlo, schéma de situation, 1969

Fig. C12. Plan d’implantation du complexe Monte Amiata, 1969


3.3 Exemple architectural : Logements Gallaratese 2 de Rossi. Le projet qui illustre le mieux la conception analogue de l’espace sous bâtiment de Rossi est le projet de barre de logement Gallaratese 2 à Milan. Le Professeur Geoffrey Broadbent, chercheur contemporain, a qualifié le bâtiment Gallaratese 2 comme le paradigme de la théorie de l’architecture rationnelle, semblable à la hutte primitive de Marc Antoine Laugier, considérée comme le paradigme de l’architecture rationnelle de la deu71 xième moitié du XVIIIe siècle . 3.3.1. Projet général Monte Amiata et la réconciliation des modèles convexe et concave. Le projet de Rossi fait partie du complexe d’habitation Monte Amiata, dessiné entre 1967-1969 par Carlo Aymonino et qui rentre dans la série de grands travaux immobiliers de l’Après-guerre qui ont engendré l’expansion des périphéries de la ville vers le nord et vers l’ouest. En 1967, Carlo Aymonino reçoit la commande pour la construction sur le site de Monte Amiata d’un quartier d’immeubles à appartements pour 2 400 personnes. L’initiative vient de la part d’une agence immobilière privée, cependant toutes les décisions sont prises en accord avec l’administration de la ville. Ainsi, mise à part les logements à loyer, le programme prévoit une série de fonctions publiques comme une crèche, une école et des magasins. Le projet est donc considéré comme un manifeste architectural pour promouvoir une nouvelle façon de vivre en collectivité: à moitié entre le l’Unité d’habitation de Le Corbusier et le centre civique du C.I.A.M. 8. Cette tentative se traduit dans une forme innovante, qui selon Aymonino dépasse le modèle d’architecture convexe afin de le réconcilier avec la tradition concave dans l ‘objectif de créer une ville construite seulement avec des unités morphologiquement définies. Il s’exclame : Pas de barres isolées, ou de tours, ou de maisons mitoyennes- plus de modèles indifférenciés. Aujourd’hui, par rapport à L’Unité d’Habitation de le Corbusier, nous pouvons faire un pas vers l’avant, élaborant des solutions spécifiques aux lieux d’application, nous pouvons enraciner l’objet architectural dans le contexte architectural existant, comme dans le quartier de Gallaratese, l’accorder en termes d’alternative morphologique. 71

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! BROADBENT Geoffrey, Emerging Concepts in Urban Space Design, Van Nostrad Reinhold, New York 1990, p.186.

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Fig. C13. CANDILIS, JOSIC, WOODS, Toulouse -le-Mirail 1961

Fig. C14. AYMONINO Carlo, croquis d’écolution du plan de Monte Amiata, 1967- ‘68- ‘69


(…) Nous avons atteint un tournant, que nous devons examiner. Urbattetura («architecturbanisme»)? C’est un mot que je n’utilise jamais, mais c’est exactement ce que cela signifie. 72 Il est intéressant de remarquer que par le terme «Architecturbanisme», Aymonino fait probablement référence aux idées des représentant de Team 10, qui accordent, à travers cette notion, une attention particulière aux rapports entre l’intérieur et l’extérieur et les différentes sphères de publicité en ville. A ce propos Jaap Bakema écrit : Urbanisme s’occupe de l’espace extérieur. L’architecture s’occupe de l’espace intérieur. La nouvelle architecture est fondée sur un nouveau rapport entre l’espace intérieur et l’espace extérieur (…) les structures tridimensionnelles assurant la continuité des circulations, la transition entre espaces publics et espaces privés, et l’interaction spatiale des fonctions formulées dans le programme. C’est ce que nous avons appelé «l’Architecturbanisme». 73 Il n’est donc pas étonnant que l’on retrouve certaines similitudes entre le projet de Aymonino et les structures proliférantes que Candilis, Josic et Woods proposent quelques années plus tôt pour le concours de Toulouse74 le-Mirail (1961) (C13). Cependant, à contrario des Stem, l’évolution du projet de Monte Amiata, montre que l’architecte italien s’éloigne de la structure organique et non-hiérarchique pour aller vers une organisation plus rectiligne et s’articulant autour d’un centre dont la présence est accentuée par un amphithéâtre en plein air (C14). Aymonino conserve par contre l’idée que les corps des bâtiments doivent être structurés par la circulation qui établit le lien entre l’intérieur et l’extérieur. e

Par conséquent, il projette au rez-de-chaussée une série de 6 façades qui constituent de véritables colonnes vertébrales autour desquelles s’enrobent les immeubles, et qui font transition entre les logements à la place centrale. C’est aussi dans ces espaces sous le bâtiment que l’architecte s’imagine de mettre tous les programmes publics nécessaires pour que le complexe fonctionne comme un véritable centre urbain. 72

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AYMONINO Carlo cité dans DARDI Costantino, «Abitazioni nel quartiere Gallaratese a Milano», L’architettura-cronache e storia, n°226, 1974, p.223 cité dans http://www.aamgalleria.it/GALLERY/0/2009-03/0/1236877342.pdf, traduction personnelle. 73 BAKEMA Jacob « La recherche de l’identité à travers l’espace », in L’Architecture d’Aujourd’hui, n°177, 1975, p.54. 74 LUCAN Jacques, op.cit., p.468.

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Fig. C15. ROSSI Aldo, Fragment de façade Est du bâtiment D, 1969

Fig. C16. LE CORBUSIER, Fragment de façade Ouest de L’Unité d’habitation à Marseille, 1945


Enfin, Aymonino pense avoir trouvé ainsi la solution pour rapprocher le modèle convexe de l’Unité avec le modèle concave du Centre Civique. Cependant, à l’opposé de l’intention de l’architecte, le complexe n’est jamais (ou toujours pas) devenu «un morceau de la ville». D’une part l’ensemble est clôturé avec une grille et accessible seulement par une entrée ce qui déforce le caractère public du projet. D’autre part les programmes publics au rez-de-chaussée n’ont jamais été mis en place. Ces e deux facteurs font que les 6 façades des immeubles restent des espaces vides et sans usages, ce qui, de façon ironique, souligne d’avantage la théâtralité de ce projet néorationaliste. e

3.3.2 La 6 façade dans le projet particulier d’Aldo Rossi. En 1968, pour la deuxième version du complexe qui prévoit déjà le système de 4 barres rayonnantes, Aymonino invite Rossi à participer au projet. Il lui est demandé de dessiner le bâtiment D, le plus long des édifices, qui est situé suivant l’axe Nord-Sud et qui traverse en diagonale e tout le site. Rossi garde l’idée d’une 6 façade qui se développe sur toute la longueur sous le bâtiment, mais pour d’autres aspects, son édifice prend le contre-pied des décisions de son collaborateur. Les bâtiments de Aymonino sont de larges bloques à section complexe, qui partagent tous la même couleur: le brun foncé, et une série de détails comme des balcons et des châssis rouges. La lama bianca de Rossi au contraire, est un bâtiment entièrement blanc, dérivé d’une section simple et constante: logements au-dessus d’une colonnade publique. Le vide et le plein sont unis par une maille structurelle étroite qui rend la façade continue et répétitive et qui fait penser à l’élévation de l’Unité d’Habitation (C15, C16). Cette trame permet aussi d’unifier visuellement le rythme des colonnes avec le volume qui les surplombe, ce qui crée de l’extérieur une illusion de monumentalité du portique, dont la hauteur ne dépasse pas en moyenne 4 mètres. Enfin, même si le bâtiment de Rossi est beaucoup plus bas que ces voisins de Monte Amiata, cette illusion optique fait que l’élévation 75 possède la qualité d’un «curieux jouet surdimensionné» qui compense la grande échelle des bâtiments d’Aymonino. Derrière cette façade, au rez-de-chaussée, est situé un immense espace couvert d’une longueur de 182 mètres et d’une largeur de 12 mètres, qui 75

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! IOVINE Julie , «Aldo Rossi, Architect of Monumental Simplicity, Dies at 66», 1997. http://www.nytimes.com/1997/09/05/arts/aldo-rossi-architect-of-monumental-simplicity-diesat-66.html

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Fig. C17. Plan du rez-de-chaussĂŠe du complexe Monte Amiata, doc.pers.


permet au bâtiment de s’adapter à la topographie du sol (C17). A propos de cet espace, Rossi écrit : Le rez-de-chaussée, avec portique, s’articule sur deux niveaux reliés par un escalier. Le portique est constitué de murs de 3 mètres d’épaisseur et de piliers de 1 mètre d’épaisseur. Les piliers comme les murs-piliers ont une épaisseur de 0.20 mètre. Le côté intérieur du bâtiment principal est doté de quatre colonnes d’un diamètre de 1.80 mètre. L’entraxe des colonnes est de 3.50 mètres sur la longueur du bâtiment et de 8 mètres sur sa largeur. Les murs-piliers et les piliers présentent un entraxe de 1,80 mètre. Tous les 16 murs-piliers se trouvent les escaliers : la première rampe est surélevée de trous marches par rapport au rez-de-chaussée. L’accès aux escaliers se fait par le portique comme par l’extérieur. La partie surélevée par rapport au rez-de-chaussée présente les mêmes caractéristiques : des magasins ou des locaux à usage commercial s’ouvrent toutefois sur cette galerie. Les escaliers desservent directement la coursive qui est constituée d’un espace continu, (…) cette coursive dessert les appartements. 76 Pour Rossi, le choix typologique est le moment le plus important du 77 processus de composition, bien avant le choix formel . C’est pourquoi, le choix d’usage de rez-de-chaussée libre est surtout lié à la référence typologique qu’utilise l’architecte : le ballatoio milanais des années vingt du 78 XXe siècle . Il s’agit d’un immeuble traditionnel milanais, à distribution en galerie, dont Rossi explique le choix de façon suivante : J’ai toujours apprécié l’architecture de l’immeuble traditionnel milanais, ou le couloir fixe le style de vie, influence les ressentis et les émotions quotidiennes des habitants, il influence les événements quotidiens, l’intimité domestique et les relations entre les voisins79. Dans cet esprit, lorsque l’architecte italien dessine cet espace sous le bâtiment, il se l’imagine comme une rue commerciale, dominée par la vie de ses habitants. Cette rue couverte, connectant l’entrée du complexe 76

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ROSSI ALDO cité dans FERLENGA Alberto, op.cit., p. 47. AYMONINO Carlo, GREGOTTI Vittorio, PASTOR Valeriano, POLESELLO Gianugo, ROSSI Aldo, SEMERANI Luciano, VALLE Gino, Progetto realizzato (Polis progetti), Marsilio, Venezia, 1981, p.156-157. 78 Cependant on retrouve aussi des references architecturales plus récentes comme le bâtiment INA Casa Complex, construit le long de Via Harrar, entre 1953 et 1955. Voir http://www.housingprototypes.org/project?File_No=ITA015 79 ROSSI Aldo, «An Analogical Architecture», in NESBITT Kate, op.cit., p.350, traduction personnelle. 77

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Fig. C18. La façade Ouest du Bâtiment D, 1969

Fig. C19. Il Filarete de la Ca’ del Duca

Fig. C20. La colonne onumentale dans les projets de Rossi: - Monument aux Résistants à Segrate 1965, - Complexe résidentiel à Berlin-Friedrichstadt 1980, - Casa Aurora à Turin 1985


avec une place triangulaire créée entre les bâtiments rayonnants, est structurée par trois éléments de base qui ont déjà été décrits mais sur les quels il convient de revenir pour comprendre comment ils construisent e l’espace de la 6 façade de la lama bianca. Il s’agit des 4 colonnes monumentales, des cages d’escalier et des murs-piliers en série. Premièrement, les quatre colonnes monumentales, situées à la moitié de la longueur de l’édifice, soulignent la présence de la faille divisant le bâtiment en 2, comme s’il s’agissait d’un pont avec un joint de dilatation (C18). Même si ces cylindres s’inscrivent dans le rythme de la façade car ils constituent le renversement exact du jeu plein-vide créé par les mur80 piliers , leur surdimensionnement fait qu’ils marquent une césure importante dans l’espace sous le bâtiment. Ils créent une pièce à double hauteur e qui constitue le cœur de la 6 façade et qui de l’extérieur apparaît étrangement plus ouverte que le reste du portique. Cet effet optique est dû à l’usage de la double hauteur mais aussi aux formes rondes qui atténuent l’orthogonalité de la trame et attirent ainsi le regard vers l’intérieur. En effet, Rossi admet de que la forme et les proportions de ces tambours sont inspirées du Filarete de la Ca’ del Duca à Venise (C19), qui est un élément 81 permettant à la fois d’achever dignement et d’adoucir le coin du palazzo . Enfin les colonnes marquent aussi la transition entre les deux niveaux de rez-de-chaussée. La partie inférieure, ouverte sur le parc, est reliée à travers un escalier massif en béton avec la partie supérieure dont le portique dessine la façade de la place triangulaire. C’est dans la partie supérieure, que Rossi prévoit d’implanter la majorité des commerces, soit 2 callés dans les locaux (de 6m ) entre les colonnes, soit enfermés dans des « boites » dépassants d’en dessous du bâtiment. e

Le deuxième élément qui structure la 6 façade est la série de cinq cages d’escaliers monumentales qui offrent des espaces pour s’asseoir et initient de manière très confortable la séquence de la montée dans les galeries à l’étage. Cachés derrière des voiles en béton, ces escaliers permettent aussi à Rossi de réduire partiellement l’échelle de l’espace sous le bâtiment en le subdivisant en six sous-espaces. Enfin, nous pouvons supposer que par leur biais, l’architecte essaye aussi d’instaurer un mouvement e transversal qui contredit la logique longitudinale de la 6 façade ce qui permet de casser l’effet de la perspective classique du portique.

80 81

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! En effet, la largeur d’une colonne, correspond à l’entraxe des murs-piliers, soit 1,80 mètre. ROSSI Aldo, Autobiographie scientifique, Éditions Parenthèses, Marseille, 1988. p.22 Par ailleurs, nous remarquons que cette colonne monumentale constitue un élément architectural récurrent dans les travaux de Rossi (C20).

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Fig. C21. Intérieur du portique “ est subtilement conjugé en fonction de son environnement.”

Fig. C22. La transparence du portique du bâtiment D.

Fig. C23. TERRAGNI Giuseppe, Casa Rustici, Milan, 1935


Le troisième et le plus important des éléments est le mur-pilier que l’architecte répète plus de 190 fois sur toute la longueur du bâtiment. Par e conséquent, la 6 façade apparaît comme un espace continu de 181 mètres de long et 8 m de large, rythmé par une série de lames blanches tellement resserrées qu’en passant entre elles, nous pouvons toucher en 82 même temps les deux . La largeur des murs-piliers variant entre 1 et 3 mètres permet de créer une série de plus petits espaces enfilés sur le central. Ces derniers deviennent une transition entre l’extérieur et l’intérieur du portique. Certaines des ces intervalles, côté Est ont été prévues pour accueillir des petits commerces de détail, mais finalement ce programme n’a jamais été mis en place. Dans son ensemble, le lieu engendré par ces éléments structurels se présente comme un espace abstrait et silencieux (C21). Lorsqu’on regarde en profondeur on aperçoit seulement une petite ouverture au fond et les piliers qui stratifient la perspective tout en fonctionnant comme des écrans sur lesquels se projettent les ombres du monde idéal extérieur. Néanmoins, cet espace transcendant est aussi subtilement conjugué en fonction de son environnement. En plaçant les piliers «courts» (de 1m) du côté de l’espace vert, l’architecte privilégie son ouverture en dépit du flan qui donne sur l’immeuble d’Aymonino. La différence est surtout visible lorsqu’un piéton se déplace dans l’axe longitudinal de l’espace sous le bâtiment. Alors que la façade Ouest offre une vue sur l’extérieur pratiquement en continu, la profondeur des murs-piliers de la façade Est fait qu’il n’entrevoit l’environnement que par séquences discontinues, comme s’il s’agissait d’une pellicule de film. Cependant, lorsqu’un observateur regarde, e qu’il soit à l’extérieur ou à l’intérieur, dans l’axe transversal de la 6 façade, celle-ci devient presque transparente (C21). Nous nous trouvons donc confrontés à une certaine ambiguïté de l’espace. Ce dernier s’inscrivant dans l’esprit de la tradition concave, apparaît très fermé dans l’axe longitudinal. En même temps, selon la logique du modèle convexe, il reste très ouvert lorsqu’il est vu de face. Par conséquent, n’est-il pas légitime d’affirmer que Rossi a trouvé une solution qui rend possible de réconcilier spatialement les deux conceptions opposées? Par ailleurs, cette transparence de la façade obtenue grâce à l’expression de la structure, nous fait penser à l’architecture rationaliste italienne de Giuseppe Terragni (1904-1943). Ainsi, si le minimalisme de lama bianca évoque sans doute l’austérité de la façade de Casa del Fascio (1936), l’espace sous le bâtiment de Rossi peut certainement faire penser au patio vertical de l’immeuble Rustici (1935) à Milan (C.22). Dans ce projet, le Maître 82

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! En effet, l’entraxe de ces murs-piliers est de 1,80 mètre ce qui correspond à l’étendue des bras d’un homme adulte.

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de Côme crée côté rue, une façade composée de terrasses et passerelles qui laissent la possibilité de regarder vers l’intérieur du patio. Par conséquent, l’espace est «virtuellement transparent» et les différentes sphères de publicité sont visuellement connectées entre elles. Par la notion de transparence «virtuelle» nous faisons référence au célèbre essai « Transparency : literal and phénomenal» publié en 1956 par Colin Rowe et Robert Slutzky, dans le quel les théoriciens différencient la « literal transparency », soit la transparence physique de la matière (comme le verre), avec la « phenomenal transparency », soit la transparence virtuelle qui est 83 issue d’une «qualité intrinsèque à son organisation» . Il nous semble intéressant de remarquer que le même effet de stratification des plans organisant l’espace est observable dans Gallaratese 2 de Rossi. Ainsi, lorsqu’un observateur regarde le bâtiment de face, il aperçoit 4 ou 5 plans superposés qui définissent des domaines à statut différents. Enfin, e nous pouvons supposer que c’est cette stratification virtuelle de la 6 façade qui provoque l’impression de « théâtralité » de cet espace, si souvent mentionnée par les critiques d’architecture. En ce qui concerne le fonctionnement de cette rue commerçante, quelques années après la fin des travaux, Aldo Rossi admet: je suis persuadé que le portique frontal, les couloirs ouverts fonctionnants comme les rues, les loggias vont s’inscrire dans la vie quotidienne, accentuant encore les profondes racines populaires de ce type d’architecture résidentielle. C’est pourquoi, la « grande maison » pourrait être mise le long de Naviglio à Milan ou de quelconque d’autre canal en Lombardie84. Nous retrouvons explicitement dans cette déclaration, l’idée de Rossi comme peintre analogique, qui comme Canaletto essaye de recréer une situation abstraitement typique d’une ville. Cependant, le langage choisi est diamétralement différent. Alors que Canaletto met en scène des formes architecturales traditionnelles, le geste minimaliste de Rossi contraste avec l’architecture traditionnelle de Lombardie et se rapproche plutôt de celle de la Cité radieuse de Le Corbusier. Le tableau analogue est plutôt recréé par l’usage, le style de vie des habitants. Dans ce sens, Rossi utilise avec préméditation les formes à l’expression minimaliste afin de forcer les habitants à aménager cet espace sous le bâtiment. L’architecte italien est convaincu que l’abstraction de ces 83

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ROWE Colin, SLUTZKY Robert, « Transparency : literal and phenomenal », in BARNETT Jonathan, DOBBINS Michael, Perspecta, Vol. 8, Yale University School of Art and Architecture, New Haven, Conn., 1963, pp.45-54. 84 ROSSI Aldo, «Thoughts about my recent work», in NESBITT Kate, op.cit., p.356 traduction personnelle.

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formes permet de les libérer de toute signification apriori et ainsi de les transformer en un fond neutre pour la vie humaine. Néanmoins, comment peut-il comparer l’intensité de vie dans les bâtiments au Centre de Milan avec un immeuble situé en périphérie? Quel est le sens de créer en dehors de la ville une architecture qui prétend être tellement urbaine? Il est possible que le phénomène de cette architecture consiste justement dans le fait que tout en étant privée d’un contexte préétabli, elle garde une ambition sociale forte. Selon Manfredo Tafuri, le minimalisme formel de la colonnade de Gallaratese constitue un essai de création d’une architecture «exilée de l’espace urbain, mais qui essaie de parler de son exil, de proposer une théorie de la 85 ville comme un lieu de mémoire collective» . Ainsi, en prenant une distance par rapport au contexte, le bâtiment devient tout autant que les écrits de Rossi, une œuvre critique de l’architecture et de l’urbanisme de 86 l’époque . Néanmoins, mis à part les aspects théoriques, ces mêmes questions peuvent indéniablement, toujours se poser. Il est proéminent de voir, que les premiers habitants de l’immeuble étaient indignés par les 87 dimensions du portique d’entrée comparée aux cellules de logements . e

Nous avons vu comment le choix typologique influence la 6 façade du Gallaratese 2. Toutefois la connaissance de la théorie de composition analogue, permet d’aller encore plus loin dans l’analyse de cet espace sous le bâtiment. Notamment, comme nous allons le voir, elle rend possible de décortiquer les discours et de retracer les origines plus complexes qui se cachent derrière le portique de la lama bianca. Tout d’abord, Rossi admet lui même certaines analogies entre le portique de Gallaratese et les structures conçues par les ingénieurs de l’époque, mais il fait référence en particulier au tunnel semi ouvert du Col de San Bernardino en Italie qu’il devait régulièrement traverser lors de ses 88 voyages à l’étranger . C’est pendant ces longs voyages en voiture, qu’il 85

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TAFURI Manfredo, Storia dell’architettura italiana. 1944-1985, Einaudi, Torino, 2002, p.167168, traduction personnelle. 86 Nous pouvons soupçonner qu’il s’agit entre autres d’une critique engagée de la tendance néoréaliste qui était à la mode dans les années 50 en Italie. Ce mouvement nostalgique, dont l’exemple est la reconstruction du quartier Tiburtino à Rome, proposait une mise en scène architecturale, une mimesis directe de l’architecture produite par sédimentation historique. 87 FUTAGAVA Yukio , «Carlo Aymonino / Aldo Rossi - Housing Complex at the Gallaratese Quarter», in Global Aarchitecture n°45, 1981, p.5. 88 ROSSI Aldo, «An Analogical Architecture», in NESBITT Kate, op.cit., p.350.

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Fig. C24. ROSSI Aldo, Croquis du portique, 1970

Fig. C25. ROSSI Aldo, Croquis du bâtiment, 1972

Fig. C26. DE CHIRICO Giorgio, Piazza d’Italia, 1913

Fig. C27. SIRONI Mario, Paessagio Urbano con Fabbrica e Cavalcavia, 1923


note que la répétition des piliers crée une texture continue, sans avoir pour but de créer une séquence spatiale esthétisante et porteuse d’une signification. En réfléchissant sur cet effet de texture, Rossi conclut que c’est la répétition qui permet de dépasser le monumentalisme de certaines formes simples car elle fait disparaître l’aura de l’unicité de l’élément. Dans cette logique, la colonnade au rez-de-chaussée de Gallaratese n’est pas une séquence formelle classique à base d’axe comme on peut la retrouver dans les travaux d’autres architectes postmodernes (par exemple: Michael Graves), mais plutôt une série d’éléments typiques juxtaposées dans un espace imaginaire. Grâce à la répétition, et en partie au changement d’échelle, Rossi transforme le portique d’entrée monumental en une texture, une architecture monotone et que l’on appréhender instantanément. Il est intéressant de revenir ici aux similitudes remarquées auparavant entre le minimalisme formel de Rossi et le purisme des Modernistes. Comme nous l’avons déjà vu, l’architecte italien adhère aux principes de l’esthétique de la tradition convexe, d’où une texture des murs-piliers qui est composée des volumes blancs, simples et orthogonaux. Cependant, c’est précisément cette notion de «texture», qui en fait un fragment d’un ensemble plus large, qui l’oppose à «l’organe libre» corbusien qui est défini comme une unité indépendante. Dans ce sens, une étude plus approfondie sur les limites de l’esthétique puriste devrait être menée pour voir à quel point la texture rossienne rentre dans le cadre de ses préoccupations. Néanmoins, sur base de nos observations, nous pouvons déjà affirmer avec une dose de certitude, que la notion de la «texture» permet de réconcilier l’expression puriste, propre au modèle convexe avec le caractère concave de l’espace sous le bâtiment. Si nous continuos sur cette voie nous pouvons facilement faire le lien entre la colonnade de Gallaratese et les objets de vie quotidienne que Rossi dessinait depuis son enfance. Cependant l’espace sous le bâtiment de la lama bianca nous dévoile aussi des analogies avec les références picturales, à savoir l’influence explicite de l’œuvre métaphysique des peintres italiens : Giorgio de Chirico (1888-1978) et Mario Sironi (1885-1961). Du premier, Rossi emprunte les outils comme le jeu d’échelle, mais aussi certaines formes esthétiques. La colonnade de Gallaratese ressemble fortement aux juxtapositions oniriques et répétitives des arcades de certaines peintures de Chirico (C26). Le silence et le calme présent dans les travaux de l’artiste surréaliste fait penser au silence critique de la colonnade de Gallaratese, évoqué par Tafuri.

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Enfin, comme le remarque la journaliste, critique d’architecture J. Iovine : Les gestes-signatures de Rossi : le cône, le cylindre et le carré infiniment combinés avec les colonnades et fenêtres aux échelles inattendues… pourraient sembler froids et mécaniques si ce n’est que pour son habileté à 89 manipuler les rythmes des ombres et des lumières . Et qui d’autre que les peintures de Giorgio de Chirico aurait pu mieux enseigner à Rossi comment jouer avec les ombres? Alors que l’inspiration de Chirico est de nature formelle, l’interprétation de la peinture de Sironi semble plus subtile. Rossi s’inspire de la vision du paesaggi urbani de la périphérie milanaise, que Sironi présente dans ses peintures des années vingt (C.27). L’image retracée par Sironi est celle d’une périphérie comme un non-lieu, où tout a l’air identique, monotone, où il est facile de se perdre. Les formes primitives de ses peintures flottent librement sur le plan, comme la colonnade du bâtiment de Rossi flotte dans un espace sous bâtiment, neutre et monotone. Peut-être qu’en faisant allusion à travers la colonnade à Sironi, l’architecte veut exprimer et questionner la condition « de banlieue » de l’immeuble Gallaratese? De nouveau, la monotonie de la colonnade traduit alors une certaine forme d’urbanité. Malheureusement, ce rapprochement avec les paysages urbains de Sironi est aujourd’hui utilisé avec un brin de cynisme par les critiques de Rossi, dans la mesure où la rue sous le bâtiment prévu par l’architecte italien n’a jamais fonctionné et l’espace reste très peu aménagé par les habitants. Il reste à savoir si cela est dû aux choix architecturaux faits par Rossi, qui crée finalement un espace urbain décontextualisé, où si cela témoigne de l’échec au moins partiel de la stratégie d’aménagement régional qui a mis en place ce type de communautés-satellites comme le projet de Monte Amiata. e Néanmoins, la 6 façade dans le plan général d’Aymonino, ainsi que celle du bâtiment de Rossi constitue un essai très intéressant de dépasser l’isolement du modèle convexe et en même temps la simple imitation du modèle concave. En proposant une réinterprétation de ce dernier à travers le langage proche de celui des Modernistes, elle constitue un véritable pont entre les deux traditions.

89

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! IOVINE Julie, loc.cit.

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Chapitre 4. La 6 façade et la 3 typologie de Krier. Dans le chapitre précédent nous avons opposé les Néoclassiques aux Nouveaux Rationalistes, et nous avons essayé de montrer comment la conception typologique de ces derniers permet de faire revivre à travers la e 6 façade, la tradition concave sans nécessairement rejeter le langage de l’architecture convexe. Cependant, au sein du mouvement néorationaliste il existe une fraction qui refuse d’une façon plus incisive le modèle moderniste et qui reprend la vision typologique pour fonder le retour plus direct vers l’architecture et l’urbanisme préindustriels. Dans ce chapitre, nous allons voir comment la e notion de la «3 typologie» influence l’espace sous le bâtiment en le transformant en outil de lutte contre l’urbanisme de la ville ouverte. Presque dix ans après l’édition du livre de Rossi, en 1975 à Londres a lieu une exposition architecturale qui regroupe l’œuvre de la Tendenza italienne avec les travaux d’un autre groupe d’architectes néorationalistesles représentants du Mouvement Pour La Reconstruction de la Ville Européenne (MPRVE). Ce groupe, constitué d’architectes et théoriciens européens comme Delevoy, Vidler, Ungers, Huet et dont la figure clef est sans doute l’architecte luxembourgeois Léon Krier, surgit avec la vague des manifestations de la fin des années soixante et s’établit comme une composante plus urbanistique du mouvement néorationaliste. Sur base de l’exposition de Londres, en 1978 ces architectes publient leur livremanifeste Architecture rationnelle qui rassemble les textes et les projets les plus emblématiques du mouvement. Dans cet ouvrage, tout en reprenant certaines des idées de Rossi sur la typologie, ces théoriciens mettent l’accent sur la ville et ses différents éléments, notamment l’arcade et d’autres types d’espaces sous le bâtiment, qui doivent être retrouvés, «pour que la ville puisse, à nouveau, être marchée. Redevienne un texte. 90 Clair. Lisible.» Pour réaliser cet idéal, les Nouveaux Rationalistes 91 «optent via la culture et l’histoire pour un ralentissement» , pour un retour à «l’art urbain» du XIXe siècle. Selon eux, la révolution industrielle a surtout engendré la destruction de la ville, une fragmentation de la société et une perte des valeurs civiques. Mais, l’industrialisation a eu aussi des effets désastreux sur l’architecture, en cherchant des légitimations abstraites et machinistes plutôt qu’humanistes. Pour remédier à cette situation, il est donc nécessaire de faire un retour et appuyer les bases de nouvelle architecture sur la ville préindustrielle, créée par l’homme.

90

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DELVOY Robert, VIDLER Anthony, Architecture Rationnelle : la réconstruction de la ville européenne, 1978, Éditions des Archives d’architecture moderne, Bruxelles ,1978, p.11. 91 Ibid., p.21.

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Ainsi, pour renouer avec les idées typologiques de Rossi et fonder la critique du modernisme, les théoriciens du MPRVE conçoivent la notion de 92 «troisième typologie» comme le nouveau centre d’intérêt et surtout l’élément de légitimation intrinsèque de toute production architecturale. A ce propos, Anthony Vidler s’exclame : Quoique reliés en une chaine imbrisable de continuité, colonnes, maisons et espaces urbains ne relèvent que de leur seule nature propre en tant qu’éléments architecturaux et leurs géométries ne sont ni naturalistes ni techniques, mais essentiellement architecturales. Il est évident que la nature à laquelle ces conceptions récentes se réfèrent n’est rien de plus et rien de moins que la nature de la cité même, vidée du contenu social spécifique qu’elle peut avoir à l’un ou l’autre moment particulier et qu’on laisse parler simplement de sa propre condition formelle.93 Nous remarquons que par rapport à la Tendenza italienne, cette affirmation témoigne de quelques divergences majeures concernant la conception de l’espace sous le bâtiment. D’une part, Vidler partage avec Tafuri et Rossi l’opinion que la nature des édifices doit être vidée du contenu social et politique et que l’architecture doit se légitimer par elle même. D’autre part, il s’éloigne de la vision analogue rossienne, dans la mesure où il met plus d’importance sur la condition formelle de la création architecturale. Celle-là n’est plus minimale et abstraite, mais doit faire référence et imiter des formes de la ville préindustrielle. Pour appuyer ce propos, Léon Krier affirme : Les architectes doivent faire un retour, imiter les meilleurs exemples préindustriels dans leurs proportions, leurs dimensions et leurs morphologies, aussitôt que dans leur mode de production, en utilisant les matériaux traditionnels et l’artisanat, plutôt que le mode de production industriel.94 Autrement dit la forme mais aussi la technologie architecturale doivent absolument être néoclassiques. Comme le résume Alan Colquhoun, pour ces néorationalistes il est nécessaire de revenir à la technologie d’où sont issus les axiomes de l’architecture classique. On ne peut détacher un style architectural des formes de la construction ; ils reviennent ainsi à la doctrine strictement néo-classique des origines primitives, selon laquelle la 92

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Les deux premières étant : la hutte primitive de Laugier, et l’architecture assimilée à une machine par les architectes modernistes. Voir dans : Ibid., p.23. 93 Ibid., p.26. 94 KRIER Léon, «Manifesto: the reconstruction of the European city or Anti industrial Resistance as a Global Project.» in CULOT Maurice, KRIER Léon, Counterprojects, Archives d’architecture moderne, Bruxelles, 1980.

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signification en architecture est ontologiquement liée aux techniques de construction.95 En réalité, la pratique s’avère légèrement plus élastique que le discours officiel. Ainsi, tandis que la technologie, les formes et les proportions de l’espace sous le bâtiment doivent imiter le plus possible les exemples classiques, les dimensions peuvent changer à condition que cela permette de mieux répondre aux nouveaux programmes de la ville contemporaine. Mais comment ce mimétisme conscient place-t-il les architectes du MPRVE par rapport à leurs prédécesseurs? Par rapport au type d’espace concave sous le bâtiment de la Tendenza, les théoriciens du MPRVE croient que l’imitation directe de la ville préindustrielle va leur permettre d’éviter les pièges de la conception analogue qu’ils jugent trop ambiguë et trop théâtrale pour répondre aux besoins de la e vraie ville. D’autre part, par rapport au modèle de la 6 façade moderniste, cette imitation a pour but de marquer une rupture avec les références machinistes et le déterminisme fonctionnel modernistes. Dans ce sens, nous pouvons émettre une hypothèse selon laquelle l’espace sous le bâtiment des architectes du MPRVE ne doit pas être considéré comme un retour vers une forme antérieure, mais plutôt comme une inversion du modèle moderniste, de la même sorte que Le Corbusier inversait auparavant les valeurs classiques. Ainsi, aux piliers produits par les machines, les Nouveaux Rationalistes opposent les colonnes artisanales, qui sont l’expression la plus haute des valeurs civiques. A la fragmentation de la ville moderniste, traduite par les pilotis qui marquent la séparation des fonctions, les Néorationalistes opposent des arcades comme espace de contact et de continuité entre les différentes sphères de la ville. Cette dernière idée est développée plus en détails par Anthony Vidler lorsqu’il parle «d’une chaine imbrisable de continuité» entre le bâtiment et la ville. Nous remarquons qu’il nie ainsi explicitement la ville moderniste mais en même temps il s’éloigne aussi de la citta analoga proposée par Rossi. En effet, selon Vidler, au lieu d’une ville-collage composée d’images discontinues et instantanées, la ville néorationaliste du MPRVE propose un système complexe des interrelations entre la sphère privée et le domaine public. Cette vision, à la frontière entre l’urbanisme et l’architecture, met par e conséquence plus l’accent sur le type d’espaces publics comme la 6 façade, 95

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! COLQUHOUN Alan, op.cit., p.23.

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Fig. D1. KRIER Léon, “Vertical zoning versus horizontal zoning”, 1984


dans la mesure où celle-ci est capable de gérer lesdites interrelations socialement et physiquement. D’une part, selon les théoriciens de MPRVE, l’enjeu principal lors de la conception de l’espace sous le bâtiment est le «modèle de son utilisation 96 sociale» et la façon dont il recrée l’espace public pour que celui-ci soit fini, unitaire, rationnel et social. D’autre part, le choix d‘emplacement de la e 6 façade dépend maintenant du contexte urbain, car il doit assurer une relation physique ou visuelle, claire et de continuité entre le bâti et la ville. Dans cette lignée, Léon Krier affirme : L’art de construire la ville » doit retrouver sa place dans la législation par le projet architectural complexe et la définition de types précis d’espaces urbains (la rue, la place, la colonnade, l’avenue, le boulevard, l’arcade). Une continuité spatiale qui est fonctionnellement complexe et visuellement simple va réarticuler le système contemporain de fonctions désintégrées (zoning). A l’intérieur d’une relation stricte entre la typologie des bâtiments et la morphologie des espaces de la ville, il faut redéfinir la dialectique entre édifices publics (monuments) et tissu urbain. 97 Ainsi, Krier conçoit la continuité spatiale créée par les arcades et les portiques, comme un remède, voir même un outil d’opposition directe au zoning moderniste, qu’il accuse d’être «l’outil le plus efficace de destruction d’infiniment complexe fabrique sociale et physique de la communauté 98 urbaine préindustrielle, de la démocratie et de la culture urbaine» . Sans rejeter l’idée même d’articulation de la relation public/privé par une forme de zonage, Krier oppose au modèle « horizontal » des Modernistes, sa logique de zoning «vertical» (D1). Selon l’architecte luxembourgeois, celle-ci constitue un véritable imperativus urbanitatis, soit la seule forme, nécessaire et suffisante de zonage, parce qu’elle permet de revenir à la structure fonctionnellement complexe de la ville préindustrielle, tout en gardant seulement une règle de base. Cette loi s’appuie sur la création d’une ligne imaginaire située à 7m de haut qui sépare la fonction publique, obligatoirement située au rez-de-chaussée, 99 de la fonction privée, située au dessus de cette ligne. Nous remarquons que cette opposition suggère que les problèmes considérés par les Modernistes au niveau urbanistique, selon Krier 96

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DELVOY Robert, VIDLER Anthony, op.cit., p.35. 97 Krier fait explicitement référence à l’œuvre de Camillo Sitte « l’art de bâtir la ville », mais contrairement à ce dernier il ne se limite pas aux retouches cosmétiques de l’espace urbain, mais il propose de révolutionner l’organisation sociale et politique de la ville construite par les Modernistes. Voir ibid., p.37. 98 KRIER Léon, Houses, Places, Cities, Architectural Design Profile 54, 1984, p.71. 99 Loc.cit.

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peuvent se résoudre à l’échelle architecturale, en travaillant en coupe la relation complexe entre le domaine privé et le public. Par la mise en place de la limite constante de 7 mètres, l’architecte attribue au rez-de-chaussée un statut fondamentalement public, sans égard aux dimensions et indépendamment de la fonction du bâtiment. Il paraît légitime d’affirmer que ces deux derniers postulats constituent les bases pour l’émancipation de la e 6 façade comme un espace public concave de premier ordre, tout aussi important que la place ou la rue. Ceci explique pourquoi cet élément vit une véritable renaissance dans les projets des Nouveaux Rationalistes. Nous nous apercevons que contrairement à la Tendenza, les architectes du MPRVE proposent une réelle synthèse typologique des espaces publics de la ville. Celle-ci constitue un ensemble de « règles de design » fondées sur les références formelles et technologiques néoclassiques où l’espace sous le bâtiment est explicitement posé comme un moyen de gestion de la relation public/privé. Il s’agit donc de modèle prédéterminé et beaucoup plus hermétique que celui de Rossi, mais qui a pour mérite de distinguer e clairement la 6 façade comme un type d’espace public de premier ordre, équivalent à la place ou la rue traditionnelle. D’autre part, nous remarquons aussi, que cette tendance à synthétiser et classifier les solutions ainsi que l’importance que ces architectes attribuent à la relation entre les bâtiments et l’espace publique, les rapproche beaucoup plus du mouvement anglais townscape que de la Tendenza. 100 Défini par son représentant principal- Gordon Cullen (1914-1994)101 comme « l’art de mise en relation » , ce mouvement remet en avant le piéton qui traverse la ville. Pour Cullen seul un observateur qui se déplace peut percevoir les séquences successives de relations entre les bâtiments, 102 «eye as movie camera» , c’est donc la perspective du piéton qui doit être déterminante lorsqu’on projette un nouveau paysage urbain. Il est intéressant de voir que pour l’architecte britannique cette perspective implique directement la question de l’espace concave, car par sa nature, « l’œil est 103 agoraphobe » et il ne supporte pas l’espace ouvert. C’est pour cette raison que dans les séquences urbaines de the Conscise Townscape 100

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Nous faisons consciemment impasse des idées d’Ivor de Wolfe et Nikolaus Pevsner qui rattachent les premières formes de Townscape au Pittoresque Moderniste. Voir PEVNSER Nikolaus, Visual Planning and the Picturesque, 2010. 101 Gordon Cullen écrit : « si on me demandait de définir le townscape, je dirais qu’un bâtiment, c’est de l’architecture, mais que deux bâtiments sont du townscape. Parce qu’à partir du moment où deux bâtiments sont sont juxtaposés, l’art du townscape apparaît » dans CULLEN Gordon « Prairie Planning in New Towns », The Architectural Review, n°679, Londres, 1953, p.33. 102 CULLEN Gordon « Townscape Casebook » The Architectural Review, n°636, Londres, 1949, p.366. 103 Ibid., p.365.

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(1971), nous retrouvons très souvent les différentes formes d’espaces sous le bâtiment suivies de commentaires analysant leur influence sur la perception et le ressenti de l’espace public. Enfin, nous remarquons que même si L’architecture Rationnelle du MPRVE ne fait pas explicitement référence aux idées de Conscise Townscape, les dessins de Krier témoignent de la même nostalgie et de la même obsession de l’espace concave. L’architecte luxembourgeois adopte aussi la même méthode de conception des paysages urbains que Gordon Cullen. Ainsi, les colonnades, les arcades et les autres types d’espaces sous le bâtiment dans ses projets sont vraisemblablement conçus à partir des tableaux visuels du piéton qui traverse la ville et non pas à partir les tableaux métaphysiques de Chirico, comme c’est le cas pour Rossi. Pour conclure, nous avons vu que les Néorationalistes du Mouvement Pour la Reconstruction de la Ville Européenne prônent un retour plus franc vers la tradition de l’espace concave que les architectes de la Tendenza italienne. Au lieu d’une réinterprétation qui, comme nous l’avons vu peut accepter les compromis avec les acquis modernistes, ils optent pour une imitation directe des exemples du passé. Dans cet esprit, l’espace concave sous le bâtiment devient un outil d’opposition contre le modèle convexe. Ceci détermine par conséquent son emplacement, sa forme et sa matérialité jusqu’au point qu’il devient e possible de réduire la 6 façade à une sorte de synthèse typologique. C’est à cause de ce réductionnisme et de la nostalgie qui les conduit à l’obsession de l’espace concave, que les représentants du MPRVE sont souvent critiqués par les architectes de l’époque. Néanmoins, nous remarquons que la simplicité et le pragmatisme de leurs projets font qu’ils ont beaucoup plus de succès parmi les gens ordinaires et donc aussi parmi les politiciens sensibles à la voix de l’opinion publique. Il paraît donc légitime de dire que c’est grâce à ces architectes néorationalistes, que l’espace sous le bâtiment connaît autant de succès dans les villes de la seconde moitié du vingtième siècle.

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Exemple architectural : Place couverte de LĂŠon Krier, 1970-1980


Fig. D2. KRIER Léon, Nuovo Centro Rionale, place couverte à Rome, 1977

Fig. D3. KRIER Léon, Nuovo Centro Rionale, place couverte à Rome, 1977

Fig. D4. KRIER Léon, Nuovo Centro Rionale, place couverte à Rome, 1977


4.1. Exemple architectural : la place couverte de Léon Krier. L’exemple qu’illustre de façon pertinente l’importance que les Nouveaux e Rationalistes du MPRVE accordent à la 6 façade comme un véritable composant de l’espace publique concave est le type de la «piazza coperta» (place couverte) de Léon Krier. Ce projet attire notre attention dans la mesure où il ne se limite pas à la simple imitation d’anciens modèles. En effet, la «place couverte» constitue une véritable innovation spéculant sur l’échelle et la fonction de ses composantes, tout en gardant la sensibilité et les ambitions sociales et politiques des architectes du MPRVE. La piazza coperta est un type d’édifice qui apparaît dans les années 1970 et 1980 dans de nombreux projets de Krier, notamment : la proposition pour Roma Interrota, Le projet de Kingston Upon Hull , projet de reconstruction du « teerhof » à Brême, projet pour la reconstruction de Luxembourg et le projet pour le Nouveau Quartier de la Halle à Paris. Inspiré par les exemples anciens comme le temple romain, la piazza et la loggia italiennes ou même les halles de Baltard à Paris, ce projet ne reprend en réalité jamais la forme exacte d’aucun de ces modèles. Il devrait être plutôt compris comme une réduction de ces exemples à une série d’éléments typiques, comme la colonne, l’espace couvert et le la toiture. Cette réduction permet à la piazza coperta de garder une certaine flexibilité en plan. Par conséquent, pour s’adapter à chaque contexte spécifique, la forme générale du plan peut évoluer sans modifier les composants de base (D2,D3,D4). Cependant la section de l’ensemble est à chaque fois identique, le projet garde toujours la même échelle, les mêmes proportions et la même structure classique. Cette similitude évidente rend possible de synthétiser toutes les variantes de la place couverte pour, en tirer un certain profil typologique commun. Ainsi, il s’agit d’une place abritée délimitée par une série de tours portant en même temps une toiture qui recouvre l’ensemble. En ce qui concerne le l’usage, Krier propose un centre communautaire ouvert vingt-quatre heures par jour, qu’il décrit de la façon suivante: Les tours qui entourent la place centrale abriteront des restaurants, des clubs, des locaux pour les jeux et les représentations artistiques. Les grands studios des derniers étages seront offerts à des artistes et des artisans pendant qu’ils œuvrent à l’embellissement de leur Rione (communauté). Leur travail créatif encombrera naturellement (dans les dernières étapes de réalisation) la place et pour de courtes périodes ces espaces

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Fig. D5. KRIER Léon, plan de Rome avec les Centri Rionali, 1977

Fig. D6. KRIER Léon, “les villes dans la ville”, 1970


seront remplis avec quelque grande fresque ou sculpture avant qu’on ne les emporte vers leur location définitive104. Concernant les dimensions de sa proposition, il ajoute : Dans son style et ses mesures, ce grand édifice à la fois place et monument n’est rien d’autre qu’une halle de Baltard (à Paris) un peu agrandie dans ses mesures et surtout dans sa silhouette (une halle de Baltard: 70 x 60 x 15m, la Nouvelle Halle : 75 x 75 x 30m) 105. Il s’agit donc d’une solution monumentale, dont la silhouette permet de souligner le caractère public et la présence physique de l’espace sous le bâtiment dans le paysage de la ville. Nous remarquons que c’est précisément l’échelle de ce projet qui lui donne son caractère innovant, à la fois au niveau de son impact urbain et par les dimensions de l’espace couvert. En premier lieu, nous nous apercevons que cette piazza coperta est pensée comme un élément à l’échelle de toute la ville (D5). Par son intermédiaire, Krier essaye d’amener son idée «des villes dans la ville» 106, soit une ville polycentrique qui s’oppose, selon l’architecte, à la destruction urbaine engendrée par le zonage moderniste (D6). Ainsi, la place couverte est pensée comme un centre civique ou, pour reprendre le terme utilisé par C.I.A.M. 8, le Core de chaque quartier. Ce rapprochement avec le C.I.A.M. e se révèle judicieux dans la mesure où il renoue avec la notion de la 5 fonction que nous avons vue auparavant. En effet, Krier annonce que ces nouveaux bâtiments «remplaceront les institutions sclérosées tels l’église, 107 le municipio, et finalement l’école et la casa popolare» . Il paraît donc légitime de dire que la volonté de regrouper toutes ces fonctions publiques sous un seul toit peut être interprétée comme une forme de zonage où la e place couverte devient le lieu de la 5 fonction. Dans ce sens, il n’est pas étonnant que Krier prévoit cet espace sous le bâtiment accessible uniquement pour les piétons. Le projet de la piazza coperta semble contredire partiellement le discours général de l’architecte luxembourgeois. Néanmoins, par rapport à ses prédécesseurs modernistes et néorationalistes, la proposition de Krier a l’avantage d’être plus incisive sur l’usage de e la 6 façade pour organiser le Core. Ainsi, comparé au complexe de Monte Amiata, l’espace sous le bâtiment de Krier peut sembler tout autant

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KRIER Léon, «Les 3 projets récents», bulletin des Archives d’architecture moderne, n°14, Bruxelles, 1978, p.60. 105 KRIER Léon, Le Nouveau quartier de la Halle à Paris, in bulletin des Archives d’architecture moderne, n°19, Bruxelles, 1980, p.66. 106 KRIER Léon, Houses, Places, Cities, Architectural Design Profile 54, 1984, p.38. 107 KRIER Léon, «Les 3 projets récents», in op.cit., p.60.

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Fig. D7. KRIER Léon, vue de l’intérieur d’un Centro Rionale, 1977

Fig. D8. KRIER Léon, vue de l’intérieur de place couverte à Bème, 1978


décontextualisé, mais il est plus grand, plus ouvert et à la fois mieux défini, ce qui laisse penser qu’en théorie il pourrait mieux fonctionner. En second lieu, la partie innovante dans ce projet est la valeur que Krier attribue aux dimensions et plus particulièrement à la hauteur de son espace. Pour lui, c’est par la hauteur que se gère la relation monumentalité/intimité de l’espace public. A ce propos il souligne que: la presque intime échelle urbaine de ces lieux est obtenue par un jeu de mesures et proportions qui non seulement contrôlent le plan mais, plus important, la hauteur de ces espaces, cela de telle manière à en faire de véritables pièces publiques. 108 Il s’oppose donc à l’idée moderniste du plan générateur, et il développe son idée de «zoning vertical», selon laquelle un espace public en ville n’est pas déterminé en plan mais en coupe, tout en sachant que la hauteur de cet espace influence son caractère. Dans cette lignée, Krier affirme que: Toutes les fonctions publiques prévues en souterrain soient ramenées à la surface de la rue et en mezzanine. Les souterrains ne serviront donc que 109 comme garages et à la circulation automobile. L’architecte propose donc de potentialiser le rez-de-chaussée couvert de son bâtiment en refusant d’enterrer les fonctions publiques. Il revient à l’idée de zonage piéton, mais il met aussi l’accent sur supériorité du l’espace sous le bâtiment par rapport à l’urbanisme souterrain. Une solution dont le succès international est confirmé par le Forum des Halles à Paris inauguré en 1979. Par ailleurs, une certaine ambiguïté intrinsèque à son statut, constitue une autre caractéristique innovante de ce projet. Il s’agit, comme Krier l’admet, à la fois d’un bâtiment et d’une place, à la fois d’un intérieur et d’un extérieur (D7,D8). Ces polyvalences s’opposent à la conception moderniste visant à différencier explicitement les états de choses, comme par 110 exemple: séparer clairement l’intérieur de l’extérieur . Pour comprendre pourquoi il s’agit à la fois d’une place et d’un bâtiment, il est nécessaire de s’attarder brièvement sur les composants de base de ce type d’édifice. Il s’agit des tours, de la toiture en charpente et de la place centrale sous le bâtiment. Premièrement, les tours qui permettent de libérer de l’espace public au sol tout en gardant une densité élevée. Ces tours sont fruit de l’obsession de 108

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KRIER Léon, «Le Nouveau quartier de la Halle à Paris», in op.cit., p.67. 109 Loc.cit. 110 Cet aspect est développé plus en détails dans la partie du mémoire consacrée à Venturi, chapitre 5.!

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l’architecte à démontrer que l’adaptation à la plus grande échelle de nouveaux programmes de la ville n’implique pas nécessairement le changement de la technologie de construction. Ainsi, pour pouvoir porter la toiture de simples colonnes sont remplacées par les bâtiments qui sont construits avec les matériaux et les structures propres à l’architecture classique. De projet en projet, la géométrie et les proportions des tours évoluent très peu, ce qui décèle la conviction de Krier que la forme architecturale est capable de se légitimer par elle-même et ne doit pas permuter lorsque son contexte change. Il s’agit donc en général de plots à plan carré dont le côté varie entre 10 et 15 mètres et la hauteur entre 30 et 60 mètres- le bâtiment doit être suffisamment grand pour dominer son entourage. La seule donnée qui varie au fil du temps est l’emplacement des tours par rapport à la place centrale. Alors que dans les premiers projets les plots entourent le volume vide comme le péristyle du temple romain, dans les versions qui suivent, elles se situent dans les coins et le plan de chacune est infléchi pour mieux définir la place. Enfin, dans toutes les variantes, les façades des bâtiments visent à donner au rez-dechaussée un statut particulier pour mettre en évidence son caractère public. Deuxièmement, il s’agit de la toiture qui recouvre et réunit tous les bâtiments et la place. Dans ce cas, une charpente classique se transforme en une gigantesque structure en bois qui dans certaines versions est capable d’accueillir un programme particulier. La forme et l’apparence de la toiture sont très peu modifiées de projet en projet, la seule exception étant la proposition pour la nouvelle Halle de Paris, où elle fait écho à la toiture 111 caractéristique des Halles de Baltard . Par ailleurs, connaissant la théorie de Krier, nous remarquons que la toiture, ensemble de concert avec les tours, peut être comprise comme une inversion du schéma proposé par Le Corbusier. Ainsi, au lieu d’élever un bâtiment sur une structure, l’architecte luxembourgeois dépose une structure sur les bâtiments, par quoi il met l’accent sur l’encrage de son architecture dans la tradition de l’art de bâtir classique. Troisièmement, il s’agit de la place centrale sous le bâtiment. Malgré le fait que l’architecte la compare aux espaces publics de la Renaissance, par e ses dimensions et son expression cette 6 façade fait penser à une place, ou une halle de marché médiévale ouverte sur les côtés. En effet, grâce à la mise en place des tours, cet espace concave, dont la superficie fait plus d’un tiers de la Grande Place à Bruxelles, reste très ouvert sur la ville. De 111

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Cette référence peut néanmoins paraître curieuse, dans la mesure où la structure des halles de Baltard était en fonte et elle était une innovation à son époque, alors que la structure proposée par Krier est en bois et vise l’effet contraire.

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même, l’aménagement avec les bancs et les arbres témoigne d’autant plus de son caractère public et extérieur. Néanmoins, nous remarquons aussi e que dans toutes les propositions de Krier, la 6 façade est toujours bien définie par un traitement de sol particulier, par les tours qui matérialisent ses coins et par la charpente qui surplombe et uni le tout. Ainsi, en dépit de son caractère ouvert, cette place se présente comme un très bon exemple de l’espace concave qui illustre la réconciliation de la nouvelle échelle des programmes de la ville contemporaine avec la tradition de la ville préindustrielle. Enfin, la piazza coperta apparaît dans son ensemble comme un projet manifeste pour révolutionner la façon de vivre en ville en revenant à l’idée «des villes dans la ville». Les attentes que Krier adresse à chaque fois envers cet espace concave sous le bâtiment, montrent sa conviction que l’architecture est capable de répondre à la crise sociale de son époque. Mais, elles dévoilent aussi son obsession de rompre avec le modèle de la grande ville moderniste. Cet acharnement le conduit à développer des projets qui se trouvent à la frontière entre une proposition réalisable et une utopie, ce qui se manifeste dans trois aspects: la croyance en une micro-utopie, la réduction de la place couverte à une sorte d’archétype et la foi en la force de l’architecture classique. Ainsi, premièrement, nous pouvons constater que la piazza coperta promeut un modèle de vie en micro-communautés urbaines proche de l’utopie. Nous retrouvons ici les références intellectuelles aux Gemeinschaft und Gesellschaft (1887) de Ferdinant Toennie et Handwork und Kleinstadt 112 (1919) de Heinrich Tessenov . C’est sur base de ces écrits que Krier fonde sa conviction que pour renforcer les liens sociaux, la ville doit être composée d’une série de communautés à petite échelle parce que cellesci constituent le seul contexte approprié pour la production artisanale que l’auteur considère comme la manifestation la plus haute des valeurs humaines. La place couverte est donc pour Krier l’incarnation directe de cette mini-communauté, siège de l’artisanat. Deuxièmement, le caractère imaginaire de cette architecture vient de sa réduction délibérée à une sorte d’archétype; la piazza coperta peut faire penser à la « hutte primitive » de Marc-Antoine Laugier (1753) agrandie. En effet, Laugier voit dans cette cabane rustique la réduction de l’architecture à son essentiel, il conclut que « dans tout ordre d’architecture il n’y a que la colonne, l’entablement et le fronton qui puissent entrer essentielle112

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Voir aussi: KRIER Léon, «The new traditional Town: Two plans by Léon Krier for Bremen and Berlin-Tegel», in Lotus, n° 36, 1982, p.101.

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Fig. D9. KRIER Léon, Nuovo Centro Rionale, place couverte à Rome, 1977


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ment dans sa composition» . Ainsi, en comparant les deux, nous pouvons dire que le projet de Krier constitue aussi un retour vers ces éléments de base de la syntaxe architecturale. Par ailleurs, Laugier situe l’avènement de l’architecture au moment où les troncs d’arbres deviennent les colonnes et les branches inclinées deviennent la toiture. Nous remarquons que pour devenir une «pièce urbaine monumentale», la place couverte de Krier subit quelque chose équivalent de cette transformation : les colonnes et la charpente deviennent des bâtiments. Troisièmement, le caractère utopique vient de la croyance de Krier en la force de l’architecture classique. Nous pouvons alors comparer la place couverte aux travaux d’Etienne-Louis Boullée ou Claude Nicolas Ledoux, pour qui l’architecture classique monumentale est capable de révolutionner la société. Ainsi, la piazza coperta constitue la preuve que Krier semble partager la conviction de ces architectes des Lumières que l’usage de formes géométriques simples et le jeu sur leur échelle peuvent agir sur les sentiments et la conscience morale des citoyens. Pour conclure, il est intéressant de revenir à la critique que l’architecte luxembourgeois fait par rapport aux travaux de Rossi. Alors que Krier condamne l’architecture de ce deuxième, pour son caractère (ou son ambition) métaphysique, sa propre proposition n’arrive pas à se détacher de ces traits utopistes. Il semble légitime de dire que la place couverte ne doit pas être regardée comme une proposition visant à être réalisée, mais plutôt comme une incarnation d’idée architecturale de l’espace concave sous le bâtiment, l’ébauche e caricaturale du concept de la 6 façade, qui met le bâtiment est au service du vide qu’il recouvre.

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LAUGIER Marc-Antoine, introduction de « Essai sur l’architecture », 1775, in FICHET Françoise, La théorie architecturale à l’âge classique : essai d’anthologie critique, Mardaga Éditeur, Bruxelles, 1995, p.368.

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III PARTIE : la 6 façade comme dépassement de division convexe/concave. e

Chapitre 5. La 6 façade et le poché (urbain). 5.1 Le poché de Venturi. En 1966, alors que Rossi publie son Architettura della Città, apparaît un autre livre de théorie d’architecture, que les critiques salueront comme « le texte le plus important de la théorie de l’architecture depuis Vers une 1 architecture écrit par Le Corbusier en 1923 » . Il s’agit de De l’ambiguité en 2 Architecture œuvre manifeste de Robert Venturi (1925-), architecte et théoricien américain considéré comme un des précurseurs du postmodernisme. e Pour comprendre l’influence de ce livre sur la question de la 6 façade, il est nécessaire d’introduire brièvement le discours général de Venturi qui est basé sur le refus de certaines idées importantes du Modernisme: les architectes n’ont aucune raison de se laisser plus longtemps intimider par la morale et le langage puritains de l’architecture moderne orthodoxe, parce que (...) une architecture est valable si elle suscite plusieurs interprétations combinées, si on peut lire et utiliser son espace et ses éléments de plusieurs manières à la fois3. Nous retrouvons donc en partie dans cet extrait les préoccupations de Rossi concernant le refus de tout discours, signification ou origine singulières de l’architecture. Cependant, là où Rossi propose une architecture de degré zéro capable d’assumer plusieurs significations, Venturi envisage une architecture formellement complexe, dont l’unité « tient compte de tout, même si c’est difficile, plutôt que celle qui exclut, bien que ce soit plus 4 facile» . Par conséquent, selon Venturi, l’architecture doit être complexe et contradictoire, et son ambiguïté à l’opposé des théories modernistes, se traduit par le désordre, la continuité et le dualisme. e En ce qui concerne la question de la 6 façade, c’est cette revendication de continuité et de dualisme qui va bouleverser la conception de l’espace sous bâtiment jusque-là piégé entre deux extrêmes : l’espace convexe et l’espace concave. 1

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Vincent Scully, « préface », dans VENTURI Robert, De l’ambiguïté en Architecture, Dunod, Paris, 1999 p.11. 2 Le titre de la version française, traduite en 1996 par Maurin Schlumberger et Jean-Louis Vénard est De l’ambiguité en Architecture. 3 VENTURI Robert, op.cit., pp.22-23. 4 Loc.cit.

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A propos du dualisme, Venturi écrit que l’architecture comme art devrait pouvoir affirmer deux choses en même temps, mais qu’aujourd’hui plus personne n’est capable de le faire. Selon l’architecte américain, les choses sont telles car nous obéissons à la tradition de « l’un ou l’autre » et manquons de l’agilité d’esprit (…) qui nous permettrai de nous livrer aux plus fins distinguos et aux arrière-pensées les plus subtiles qu’autorise la tradition du «à la fois» 5. e

Cette remarque possède une incidence directe sur la conception de la 6 façade car elle permet à Venturi de s’attaquer au principe moderniste de la continuité entre l’intérieur et l’extérieur. Le théoricien constate que selon les Modernistes : Même « l’espace ouvert » ou « fluide » signifie un intérieur traité en espace extérieur, ou l’inverse, et non que cet espace peut être en même temps intérieur et extérieur. Cette façon de manifester la clarté et la bonne articulation des fonctions n’a rien à voir avec une architecture de complexité et de contradiction qui cherche à intégrer (« à la fois ») plutôt qu’à exclure (« l’un ou l’autre ») 6. e

Ainsi, en appliquant la logique de Venturi à la 6 façade, il s’avère nécessaire d’abandonner la vision moderniste selon laquelle l’espace sous le bâtiment est considéré comme un espace extérieur et commencer à le définir comme un espace qui intègre les deux conditions. Cette revendication permet de jeter une nouvelle lumière sur l’ambiguïté du portique de Gallaratese qui, comme nous l’avons déjà vu, est un espace très fermé lorsqu’on regarde dans l’axe longitudinal et très ouvert, presque transparent, lorsqu’on le voit de coté. Nous ne pouvons pas non plus oublier à cette occasion, la piazza coperta de Léon Krier qui, selon l’architecte, est 7 « à la fois un édifice et une place» . Si, selon Venturi, cette ambiguïté est porteuse de signification, alors connaissant les idées de Rossi et Krier, nous pouvons essayer d’émettre quelques hypothèses. Dans le premier cas, le dualisme du portique traduit la difficulté de reproduction d’un espace urbain dans un contexte rural et dans le deuxième cas il est possible qu’il s’agisse de confondre la place, en tant que domaine public par définition, avec les bâtiments d’administration publique. Cette ambiguïté exprimerait alors la volonté de Krier de rendre le contrôle sur la cité à la petite communauté de citoyens.

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BROOKS Cleanth cité dans ibid., p.31. 6 Ibid., pp.22-23. 7 Voir dans le chapitre 4 consacré à Léon Krier.

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Pour la seconde critique de l’orthodoxie moderniste qui permet de come prendre l’usage de la 6 façade chez les postmodernes, Venturi paraphrase son mentor, Louis Kahn : « L’architecture doit contenir des mauvais espaces aussi bien que des bons », car l’irrationalité apparente d’un élément se justifiera par la rationalité qui en résultera au niveau de l’ensemble. 8 En reprenant par la suite dans son livre, l’affirmation de Eliel Saarineen 9 selon lequel un bâtiment est « l’organisation d’un espace dans l’espace » , Venturi va attacher beaucoup d’importance à l’idée de «l’espace résiduel» qui permet de gérer la relation entre deux espaces dominants. Par rapport à ce sujet, il va distinguer deux types d’espaces résiduels présents dans 10 l’architecture traditionnelle, qu’il appelle « closed poché » et « open poché » . Le premier type, correspond à une situation où le poché est « défini essentiellement par des contraintes spatiales extérieures et non par la 11 forme de la structure intérieure » . Le deuxième type que Venturi appelle « le poché ouvert » est selon l’architecte plus complexe et ambigu, mais il est intéressant dans la mesure où il jette une nouvelle lumière sur la conception de l’espace sous le bâtiment des modernistes. Pour définir celui-ci Venturi fait encore une fois référence aux idées de Kahn. Il constate que le poché ouvert peut être assimilé à « L’espace servant » de Kahn, qui abrite parfois l’équipement technique et le poché des murs de l’architecture romane et baroque car ce sont deux procédés permettant d’adapter l’extérieur à un intérieur différent. 12 Ensuite, pour élargir son discours, il va reprendre aussi la définition d’espace de transition d’Aldo Van Eyck : L’architecture devrait être conçue comme un assemblage d’espaces intermédiaires clairement délimités. Cela (…) signifie une rupture avec la conception contemporaine (disons la maladie) de la continuité spatiale, et avec la tendance à effacer toute articulation entre les espaces, c’est à dire entre l’intérieur et l’extérieur, entre un espace et un autre (entre une réalité 8

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VENTURI op.cit., p.31. Ibid., p.72. 10 Ibid., pp.82-84 Nous constatons que dans la version française, on a utilisé les termes « volume plein et fermé » et « volume plein et ouvert ». Cependant, dans ce travail, nous allons adopter la terminologie revue par LUCAN Jacques, Composition, non-composition, e e Architecture et théories, XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009, p.507. 11 VENTURI Robert, op.cit., p.82. 12 Ibid., p.84. 9

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et une autre). Au lieu de cela, la transition doit être articulée en utilisant des espaces intercalaires bien définis permettant de rendre simultanément conscience de ce qui caractérise chaque côté. Dans cette optique, un espace intercalaire fournit le terrain commun grâce auquel des extrêmes incompatibles peuvent encore devenir les phénomènes jumeaux. 13 Une fois de plus, nous retrouvons la critique du principe moderniste de continuité entre l’intérieur et l’extérieur, cependant Venturi cherche toujours à apporter plus de signification à cet espace de transition. Dans cette optique il propose de compléter le propos spatial et esthétique voir fonctionnel de Kahn par celui de l’architecte hollandais pour qui la transition en architecture possède un sens social et elle peut même devenir une analogie 14 aux dispositions mentales et au processus psychique de l’homme . Venturi considère que l’architecture moderniste n’a pas produit d’exemples pertinents du « poché ouvert ». Toutefois, sa critique est dirigée vers les théories orthodoxes du style international, et De l’ambiguïté en Architecture est riche en exemples dans l’œuvre de Le Corbusier qui sont plus complexes et ambigus que la doctrine officielle du mouvement. Il paraît donc e légitime de se poser la question de savoir si l’espace des pilotis, la 6 façade des modernistes ne constitue pas justement un exemple pertinent du « poché ouvert ». Comme nous l’avons déjà vu, il s’agit en effet d’un lieu spatialement bien défini par les piliers et le sol artificiel qui le surplombe, et son degré d’ouverture sur l’espace public qui varie d’un niveau relativement fermé comme dans le Centrosoyus, jusqu’à un niveau relativement ouvert comme dans l’Unité d’Habitation de Marseille. Ensuite, en ce qui concerne l’appréhension de cet espace, nous remarquons qu’il est bien défini dans le langage moderniste par la notion de «pilotis» et parfois accompagné de termes encore plus précis comme «le jardin sous la maison» ou « le Forum » tel e que celui de Moscou. De même, pour la fonction de la 6 façade qui, pour Le Corbusier, oscille entre les deux échelles : dans le cas de l’Unité d’Habitation il reconnaît que l’espace sous le bâtiment peut être utilisé comme un terrain de jeu ou lieu de rencontre pour les habitants mais aussi comme un parking pour tout le monde. Par ailleurs, il est intéressant de se rappeler que la disposition des pilotis est subordonnée aux descentes d’installation, mais à la fois elle cherche à ouvrir le plus possible l’espace couvert sur son 13

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VAN EYCK Aldo, Architectural Design 12, vol. XXXII, 1962, p.602. 14 Voir aussi JASCHKE Karin, « City Is House and House Is City, Aldo Van Eyck, Piet Blom and the Architecture of Homecoming » in DI PALMA Vittoria, PERITON Diana, LATHOURI Marina, Intimate Metropolis, Urban Subjects in the Modern City, Routledge, New York, 2009 pp.175-194.

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Fig. E1. KOETTER, ROWE, Plan masse de la ville de St.-Dié de LeCorbusier

Fig. E2. KOETTER, ROWE, Plan masse du centre de Parme

Fig. E3. KOETTER, ROWE, “Collage City”, 1978


entourage. Dans ce sens, les pilotis apparaissent comme des éléments où se matérialise la tension entre les forces externes et internes au bâtiment, ils sont donc la transition entre les deux. Enfin, le rôle de cet espace intercalaire apparaît ambigu dans la mesure où il est conçu pour séparer les deux domaines, mais à la fois il permet incontestablement de raccorder les deux idées dominantes: la forme convexe du bâtiment avec la continuie té de l’espace de la ville ouverte. En ce sens, la 6 façade moderniste permet de raccrocher l’architecture à l’urbanisme, car elle renforce le jeu puissant des volumes sous la lumière tout en gardant ces interventions 15 dans la nature les plus « subtiles et discrètes » . En fin de compte, malgré toutes ses limites cette hypothèse qui applique l’idée du « poché ouvert » à l’architecture moderniste n’apparaît pas complètement illégitime. Elle permet de se poser la question de savoir si l’espace sous bâtiment des modernistes n’a pas été trop vite condamné par les architectes postmodernes cherchant à appuyer leurs nouvelles théories sur le refus de la doctrine du style international. Enfin si nous suivons cette logique depuis la perspective actuelle, ne serait-il pas intéressant de reconsidérer à quel point l’espace sous bâtiment apparaît comme l’élément permettant de réconcilier les deux visions contradictoires? 5.2 Le poché urbain de Rowe et Koetter. 16

En 1978, cette idée du poché est empruntée de Venturi par Colin Rowe et Fred Koetter dans un autre ouvrage classique de la théorie architectu17 rale, Collage City. Cependant, cette fois-ci ils parlent du «poché urbain» , assimilé à la texture urbaine comme un élément permettant de dépasser l’ancienne division entre l’espace concave et l’espace convexe (E1,E2,E3). En ce sens, cette idée peut s’avérer de grande importance pour la concepe tion de la 6 façade, qui jusqu’à présent a toujours été inséparablement associée avec cette opposition. En effet, dans ce livre, les auteurs opposent deux façons de concevoir la ville : la «vision culturaliste», basée sur la tradition, la mémoire, la texture, le bricolage qui correspond à la ville close (le modèle concave), avec la

15 16 17

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! ROWE Colin, KOETTER Fred, Collage City, Éditions Infolio, Gollion, 2002, p.82. Ibid., p.111. Ibid., pp. 111-113.

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Fig. E4. Plan du rez-de-chaussée du Musée des

Fig. E5. Plan d’implantation de l’Unité d’habitation de Le Cobrusier, Marseille.


«vision progressiste», fondée sur l’utopie, la prophétie, l’objet et le design 18 total , soit la ville ouverte (le modèle convexe). Les théoriciens remarquent que le modèle convexe qui a longtemps été prédominant se trouve aujourd’hui en crise. Cependant ils refusent une restructuration totale, et proposent d’assainir les villes par incrémentation, en réconciliant les deux visions extrêmes dans ce qu’ils appellent « la ville 19 collage » . Ainsi, pour mettre en place ce collage, il est nécessaire de réhabiliter l’ancienne logique de l’espace concave. Pour revaloriser cette logique, Rowe et Koetter font un retour vers les idées du C.I.A.M. 8 en empruntant notamment l’analyse de l’exemple de Harlow, et les mêmes citations de José Ortega y Gasset (1883- 1955) que Sert a reprises pour 20 son préambule de The Heart of the City. Pour la même raison, ils vont opposer les plans de deux bâtiments exemplaires de chaque tendance : l’Unité d’Habitation de Marseille et la galerie des Offices à Florence de Vasari (XVIe siècle). Pour Rowe : Le parallèle est bien sûr transculturel ; mais la mise en opposition critique, avec quelques réserves d’un immeuble de bureaux du XVIè siècle (devenu musée) et d’un immeuble d’habitation du XXè siècle est particulièrement parlante. Car les Offices sont une sorte d’empreinte en creux de l’Unité ; mais c’est aussi un vide figuratif, actif et positivement chargé. Alors que le bâtiment marseillais a comme effet d’avaliser une société à la fois privée et atomisée, l’édifice florentin relève d’une structure plus complètement « collective » ; celui de Le Corbusier est une entité isolée qui s ‘adresse sans ambiguïté à une clientèle restreinte, tandis que le modèle à deux visages de Vasari peut remplir plusieurs fonctions. En effet, les Offices sont beaucoup plus actifs du point de vue urbanistique : construite autour d’un vide central, c’est une figure stable et de plan simple, avec un

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Pour cette opposition entre le modèle « culturaliste » et « progressiste » voir CHOAY Françoise, L’urbanisme, utopies et réalités, une anthologie, Éditions du Seuil, Paris, 1979, chapitres 4 et 5. 19 Cette idée de ville collage peut faire penser à la Città Analoga d’Aldo Rossi. Cependant l’usage que Rowe fait de cette technique de création transposée en urbanisme, est complétement différent, ce qui se reflète dans les références artistiques qu’il choisi. Pour rappel, Rossi fait référence aux artistes métaphysiques comme Sironi ou de Chirico, tandis que Rowe va surtout faire référence à la pratique cubiste du collage, comme par exemple la «Nature morte à la chaise cannée» de Picasso (1912). 20 José Ortega y Gasset cité dans ROWE Colin, KOETTER Fred, Collage City, Éditions Infolio, Gollion, 2002. p.81 et ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, The Heart of the City : Towards the humanisation of urban Life, Lund, Humphries, Londres, 1952, p.3.

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Fig. E6. Coupe transversale de l’Unité d’habitation, doc.pers.

Fig. E8. 6e façade de l’Unité, 2012

Fig. E7. Coupe transversale de la


pourtour irrégulier, suffisamment souple pour répondre au contexte immédiat. 21 e Pour comprendre l’incidence de cette comparaison sur la question de la 6 façade, il est nécessaire de comprendre comment Rowe et Koetter opposent ce bâtiment dont le plein « s’isole et s’affirme » avec un bâtiment où le vide est une idée dominante et le plein «est réduit (ou élevé) au statut 22 du simple remplissage » . En effet cette opposition est basée sur la relation figure-fond selon la psychologie de Gestalt, où la figure est l’élément sur lequel est porté l’intérêt principal, mais c’est l’existence d’un fond qui rend possible la perception de la figure. En ce sens, les deux théoriciens font une apologie de la galerie des Offices, en considérant que le bâtiment est « actif du point de vue urbanistique » parce qu’il définit clairement un espace public (la figure), en augmentant ainsi le potentiel d’identification et d’appropriation de 23 cet espace . Par la suite, Rowe et Koetter rajoutent que l’idée du « bâtiment comme remplissage peut paraître déplorablement passive et empiriste », mais « ce n’est pas toujours le cas. Car (certains bâtiments) 24 passent de la figure-façade (plein) à la figure-cour (vide) » . Cette remarque peut de nouveau s’expliquer par la particularité de la relation figure fond dans la théorie de Gestalt, qui est effectivement ambiguë dans la mesure où elle change selon le champ de perception. Si on transpose cette logique à l’architecture, comme l’explique Chrisitan Norberg-Schulz, les surfaces délimitantes (mur, façade) peuvent être de première importance avec l’entourage, tandis qu’elles forment un fond neutre pour les éléments en relief et en creux (portes et fenêtres) etc.25 Ainsi, si nous acceptons que la relation figure/fond soit de nature ambiguë, il semble tout à fait légitime d’essayer d’appliquer les mêmes critères e d’analyse à la 6 façade de la Cité Radieuse de Marseille. Si l’Unité d’Habitation apparaît effectivement comme un figure forte sur le fond du ciel et de l’espace vert qui l’entoure, depuis en dessous, elle peut e devenir un fond pour la figure présupposée de la 6 façade. Cette affirmation semblerait d’autant plus juste, que l’on a vu auparavant que l’espace des pilotis est bien défini et très élaboré en termes d’expression architecturale.

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VENTURI Robert, op.cit., p.101. 22 Ibid., p.111. 23 COLAIACOMO Beatrice, Le poché : intermporalité d’un concept, Mémoire Architecture (ISACF), Bruxelles, 2012, pp.55-57. 24 ROWE Colin, KOETTER Fred, op.cit., p.111. 25 NORBERG-SCHULZ Christian, Système logique de l’architecture, Bruxelles, Mardaga, 1974, p.170.

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Par ailleurs nous nous apercevons que l’opposition entre l’Unité et la galerie des Offices dans Collage City se fait uniquement en plan, et que pour appuyer leur propos les théoriciens opposent un plan de rez-dechaussée avec un plan de toiture, en passant sous silence l’espace sous l’Unité. Il paraît donc intéressant de continuer l’exercice commencé par les auteurs, en comparant les coupes transversales des deux bâtiments afin e de vérifier si l’Unité et sa 6 façade peuvent être considérées comme un couple figure/fond « urbanistiquement actif». e

Tout d’abord nous notons que la 6 façade de l’Unité et la cour d’Uffizi au rez-de-chaussée possèdent des dimensions similaires (21m de large et 5.85 de haut pour L’Unité et 18m de large et 6m de haut pour le rez-dechaussée des Uffizi). Ils peuvent donc a priori répondre au même type de programme. Dans les deux cas, les espaces sont prévus pour accueillir de diverses fonctions urbaines, cependant l’avantage principal de l’Unité est l’ouverture visuelle, la liberté de circulation et la protection des intempéries qu’elle offre. Ensuite, en ce qui concerne la construction du vide, les deux éléments sont subdivisés de manière similaire en trois nefs sur toute leur longueur, mais dans l’Unité les deux espaces latéraux s’ouvrent vers l’extérieur tandis que dans la galerie des Offices, ils se dirigent vers l’intérieur. Dans les deux cas les architectes dirigent l’espace en renforçant la perspective par un jeu de lignes horizontales, et ils le dynamisent par un rythme alterné des lignes verticales des piliers. Enfin, à la souplesse des limites de l’édifice de Vasari qui s’adapte à ses voisins, nous pouvons faire correspondre l’isolement de l’Unité qui permet hypothétiquement une libre évolution des bâtiments autour. Cependant, alors que dans l’Unité d’Habitation le bâtiment défini l’espace et il se dirige vers l’extérieur, dans la galerie des Offices c’est le vide central qui défini la forme du bâtiment. Celui-ci se tourne vers la cour libre de trois étages, créant ainsi un lien visuel fort entre l’intérieur et l’espace public. Par ailleurs, l’Unité offre un espace ouvert sur tous les cotés, tandis que Uffizi ferme et oriente l’espace depuis la rivière vers la Piazza della Signora, en cadrant la vue sur la tour du Palazzo Vecchio. Nous compree nons ainsi que contrairement à la 6 façade de l’Unité, le vide de la galerie des Offices a été conçu pour répondre aux éléments concrets de son contexte. Enfin, nous en concluons que, malgré un potentiel incontestable de l’espace des pilotis, ces divergences susmentionnées avec Uffizi font que l’espace sous l’Unité ne peut pas être considéré comme une figure positivement chargée et urbanistiquement active. En dehors de la question formelle de l’espace convexe/concave, et de son expression architecturale, e pour que la 6 façade soit dynamique, il est nécessaire qu’elle soit orientée

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en fonction de son contexte, et qu’elle établisse une relation d’interdépendance, voir de contact visuel fort avec le bâtiment qui la génère. Selon Rowe et Koetter, ce n’est que lorsqu’un bâtiment rempli toutes ces conditions, qu’il joue réellement sur l’ambivalence figure-fond, et qu’il peut être assimilé au « poché urbain». Dans cette lignée, les théoriciens concluent que : la fixation à l’objet, la fixation à l’espace, ne constituent plus en ellesmêmes des positions valables. Certes, l’un peut caractériser la ville « nouvelle », et l’autre la ville ancienne ; mais, si les deux modèles sont appelés à être dépassés- et non pas imités- il faut espérer une situation ou bâtiments et espaces coexisteront dans un débat permanent entre égauxdébat ou l’histoire laissera indemne chacune des deux composantes. Il s’agit là d’une sorte de dialectique entre le vide et le plein, une reconnaissance du droit de cité à ce que est explicitement planifié comme à ce qui est authentiquement non planifié, aux compositions formelles comme aux fruits du hasard, au public comme au privé, à l’Etat comme a l’individubref, un équilibre éclairé26. A l’échelle d’un bâtiment, cette affirmation peut être vue non seulement comme une véritable invitation à l’introduction de l’espace public sous le bâtiment, mais aussi comme une suggestion par rapport à la façon de e concevoir cette 6 façade. En effet, il semble nécessaire de dépasser la division rigide entre l’espace convexe et concave, et de commencer à voir le bâtiment comme un «poché urbain» dans lequel on peut librement sculpter les vides pour répondre aux éléments spécifiques du contexte. Ce bouleversement compositionnel aura une influence inestimable sur la e forme et le fonctionnement de la 6 façade, qui dans l’esprit des idées de Venturi doit devenir «à la fois» convexe et concave, intérieur et extérieur.

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!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! ROWE Colin, KOETTER Fred, op.cit., p.118.

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Fig. F1. CITROEN Paul, “Metropolis”, 1923 La congestion et la relation entre le bâtiment et le sol.


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Chapitre 6. La 6 façade comme réponse à la congestion urbaine. Nous avons vu que la notion du « poché urbain » permet de générer e la 6 façade des bâtiments en les sculptant librement comme une masse habitable. Cette façon de procéder permet de créer des bâtiments urbanistiquement actifs, qui protègent l’espace public de la ville. Cependant, les e exemples de 6 façade dans les parties les plus denses de métropoles européennes, suggèrent que l’espace public sous bâtiment apparaît comme un phénomène plus complexe, influencé par des facteurs socioe économiques, techniques et humains. En effet, la 6 façade surgit aujourd’hui comme un moyen efficace de répondre à ce qu’on appelle la « congestion urbaine ». Pour comprendre cette interrelation, il est nécessaire de revenir vers le livre Delirious New York écrit en 1978 par l’architecte hollandais Rem Koolhaas. Dans ce «manifeste rétroactif», Koolhaas explique comment à partir du XVIIe siècle, New York s’est construite naturellement selon les lois de la congestion urbaine. A travers une série d’exemples, l’auteur montre comment la culture de la densité accentuée influence la relation entre le bâtiment et l’espace public, en poussant souvent les architectes à décrocher leurs bâtiments du sol et créer ce qu’on appelle aujourd’hui la e 6 façade du bâtiment. L’idée de base du livre consiste à étudier et accepter la culture urbaine, plutôt que de mépriser la réalité de Manhattan. Nous remarquons que cette prise de position vient en opposition à la critique de la ville faite par Le Corbusier lors de son voyage à New York en 1935. L’architecte français juge que les gratte-ciels américains sont trop petits et trop serrés entre eux, c’est pourquoi ils devraient être remplacés par ses «gratte-ciels 27 cartésiens» . A contrario des idées de L.C., Koolhaas refuse le modèle urbain moderniste, qui gère la densité par la séparation, et il propose de 28 « résoudre le problème de la congestion par un surcroît de la congestion » . Ceci passe par ce que l’architecte appelle « la lobotomie de la ville », autrement dit un renversement de la situation traditionnelle, où c’est l’espace public qui endosse la densité des flux face à un intérieur qui reste plus calme. Dans la vision de Koolhaas, le poids de la congestion se trouve déplacé depuis les rues de la trame Manhattanienne, vers l’intérieur de ses blocs, il écrit : toute la frénésie hystérique et épuisante qui régnait auparavant à l’extérieur, dans le métro etc. se trouverait désormais entièrement 27

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LE CORBUSIER, « I AM AN AMERICAN. Les gratte-ciels sont trop petits!» in Quand les cathédrales étaient blanches. Voyage au pays des timides, Éditions Plon, Paris, 1937. 28 KOOLHAAS Rem, New York Délire : Un Manifeste rétroactif pour Manhattan, Éditions Parenthèses, Marseille, 2002, p.177.

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Fig. F2. Plans, coupe de Down Town Athletic Club New York, 1930 de Starret t Van Vleck


résorbée à l’intérieur des bâtiments, eux mêmes. La congestion a disparu des rues pour s’engloutir dans l’architecture29. e

Cette idée peut sembler révolutionnaire pour l’avènement de la 6 façade, mais en réalité elle puise dans la longue tradition des espaces publics couverts privatisés à New York dont l’importance a été rappelée par les théoriciens de l’architecture des années soixante comme William Whyte ou 30 Jane Jacobs . En effet, en 1916 une nouvelle loi de zonage prévoit un système de dispenses financières visant à encourager les promoteurs à prolonger les espaces publics vers l’intérieur des lots privés. Manhattan connaît alors une multiplication de différents types d’atriums et arcades (arrivant à plus de 115 en 1999) mettant en œuvre cette lobotomie de la 31 ville évoquée ultérieurement par Koolhaas . Cependant, l’architecte hollandais introduit dans cette ancienne question un nouveau concept, qui semble e essentiel pour l’apparition de la 6 façade comme réponse à la congestion urbaine. Selon Koolhaas, pour que l’architecture soit capable d’assumer son nouveau rôle, il est nécessaire qu’elle subisse un « schisme vertical ». Par ce terme, l’architecte comprend : L’existence simultanée de plusieurs programmes sur un site unique, reliés seulement par les éléments communs des ascenseurs, des conduites de service, des colonnes et de l’enveloppe externe32. (F2) Il s’agit donc d’un phénomène de libération verticale du bâtiment qui peut être partiellement associée aux idées de Léon Krier sur le zonage vertical. Comme dans le cas de l’architecte luxembourgeois, Koolhaas reconnaît le besoin de hiérarchiser les programmes, mais il refuse le concept moderniste de zonage horizontal, en proposant de superposer les différents programmes dans le cadre d’un bâtiment. Cependant, sa critique du modernisme va plus loin que celle de Krier, dans le sens où elle propose une véritable décomposition du bloc architectural. Dans cette nouvelle vision : forcé d’explorer un nouveau potentiel de création d’espaces, chaque programme cherche à générer la densité, exploiter la proximité,

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Loc.cit. 30 dans son livre The Death and Life of Great American Cities (1961) Jane JACOBS analyse ces espaces comme une alternative a la trame rigide New-Yorkais, offrant de nouveaux chemins permettant de circuler de façon qualitative en ville. 31 Voir KAYDEN Jerold S., Privately owned public spaces : the New York City experience, J. Willey Publisher, New York, 2000. 32 LUCAN Jacques, OMA- Rem Koolhaas: pour une culture de la congestion, Electa Moniteur, Paris, 1990, p.45.

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Fig. F3. HOOD Raymond, “City of Needles”, 1924 illustration par Hugh FERRIS

Fig. F4. HOOD Raymond, “Manhattan 1950”, 1930


provoquer une tension, maximaliser les frictions, organiser des « inbetweens », sponsoriser une identité et stimuler le flou».33 Autrement dit, chaque étage possède son identité et sa matérialité propre étroitement liée avec le programme qui s’y trouve, et son entourage direct. Cette idée offre un statut particulier au rez-de-chaussée, qui en raison de sa situation privilégiée de contact direct avec la trame New-yorkaise, doit générer sa propre densité et ses propres espaces «in-between », entre l’intérieur et l’extérieur qui lui permettent de gérer les flux entrant dans le bâtiment. En ce sens, le concept de « schisme vertical » peut être vu e comme une condition de base pour la création de la 6 façade dans un milieu de congestion urbaine. Cette idée est illustrée et développée à travers deux projets exemplaires, que Koolhaas considère comme l’expression la plus parfaite de l’esprit de « Manhatannisme ». Dans ces projets, le concept du « schisme vertical » e se traduit littéralement par une séparation du sol et la création de la 6 façade ce qui permet aux tours de s’affranchir de la trame urbaine rigide et de se situer librement par rapport aux flux de la ville. Le premier projet est la vision de Raymond Hood de Manhattan en 1950, publiée en 1930 (F4). Hood s’imagine le Manhattan avec des chaînes de gratte-ciel surplombant les réseaux de communication et les cimes des édifices industriels surmontant les entrées de lignes de transport. […] La proposition est de briser le mur de congestion grâce à l’implantation au dessus de la ville existante d’une nouvelle méga-échelle d’univers autonomes, entièrement fabriqués. 34 e

Dans ce cas, la création de la 6 façade permet de bouleverser la relation entre l’espace public et le bâtiment. Non-seulement le bâtiment affirme sa domination et son autonomie en se décrochant du sol, mais en plus il «viole» les limites de son bloc dessiné par la trame : La masse de chaque montagne dépasse la taille d’un seul bloc, mais ni l’existence de la montagne ni celle de la trame ne s’en trouvent pour autant compromises ; la trame traverse simplement la montagne pour créer une configuration plein/creux35

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VAN RANST Genevieve, Koolhaas: congestion urbaine? Mémoire, ISACF La Cambre, Bruxelles, 1997, pp.13-14. 34 KOOLHAAS Rem, op.cit., p.176. 35 Ibid., p.177.

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La 6 façade apparaît donc comme un élément permettant de réconcilier l’indépendance du bâtiment avec le bon fonctionnement de la trame urbaine. Ce geste de décrochement du sol trouve quelques similitudes avec le projet de la « ville-pilotis » de Le Corbusier, dessiné quelques années auparavant. Cependant, alors que l’architecte français propose de séparer les bâtiments du sol naturel pour des raisons hygiénistes, Hood fait usage du même procédé, mais pour des raisons tout à fait différentes: il cherche à dialoguer avec la congestion urbaine. Le critique d’architecture américain, Paul Goldberger remarque que contrairement à Le Corbusier, Hood n’espérait pas la destruction de l’aléatoire, de remplacer la ville désordonnée par un ordre trop rigide. Hood était beaucoup plus pragmatique, plus réaliste et plus enclin à avoir une ville qui réunisse des contradictions et des différences36. Dans cet esprit, l’architecte américain ne va pas restructurer toute la ville, en la recouvrant d’un sol artificiel, mais il va plutôt agir par addition ponctuelle d’éléments qui viennent se brancher au système urbain existant. Il choisit alors d’implanter ses tours selon la logique de surcroît de la congestion en les plaçant stratégiquement au-dessus des points importants de la ville : les carrefours, et les stations de métro, et d’autres systèmes où la e densité atteint le niveau maximal. Grâce à l’usage de la 6 façade ces bâtiments entrent dans un jeu d’interrelation complexe avec l’espace urbain. D’un coté les bâtiments peuvent directement «s’alimenter à la congestion», d’un autre coté ils permettent de matérialiser les centres de l’hyperdensité en plan et dans le paysage général de la ville. En effet, comme le remarque Koolhaas, le décrochement du sol de ces tours permet de transformer le Manhattant en « une vaste plaine métropolitaine, ponctuée par les univers autonomes des montagnes, ou tout concept de 37 réalité est définitivement rejeté comme dépassé » . De plus, dans la mesure où elle modifie la relation habituelle de l’espace e public avec le ciel, cette 6 façade devient un endroit sans précédents dans le tissu urbain de New York. Protégé des intempéries, introverti et extraverti à la fois, cet espace se situe « in-between » l’intérieur et l’extérieur, sa densité se définit par les infrastructures permettant de brancher la tour au système de congestion de la ville. Enfin, paradoxalement, c’est aussi le seul espace extérieur de la ville, d’où le piéton n’aperçoit pas les silhouettes dominantes des tours-montagnes et où ces

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GOLDBERGER Paul,«Raymond Hood and his visions of skyscrapers.» http://www.nytimes.com/1984/01/03/arts/raymond-hood-and-his-visions-of-skyscrapers.html 37 KOOLHAAS Rem, op.cit., p.177.

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figures verticales se transforment en fond pour le tourbillon de vie Newyorkais. e Toutefois, il reste à se demander à quel point cette 6 façade crée un véritable espace public de qualité dans le sens européen du terme. Pour cela nous pouvons comparer brièvement la proposition analysée par Koolhaas avec un autre projet que nous avons déjà vu - la piazza coperta 38 de Léon Krier . Pour commencer, les deux édifices jouent sur leur échelle et surtout sur la dimension verticale, pour dominer le paysage urbain où ils se situent. Ils cherchent à créer plusieurs polarités, matérialiser les points importants, pouvant jouer le rôle de nouveaux centres au sein d’une ville. Tous les deux constituent aussi des réponses utopiques, que les architectes copient de projet en projet, comme des modèles capables de répondre aux 39 grandes questions de leurs époques . Cependant, le demi-siècle qui sépare les deux architectes fait que leurs projets traduisent des enjeux presque opposés les uns aux autres. Tandis que Krier place au centre d’intérêt l’artisanat, le piéton et la communauté- il revalorise le passé, Hoods construit son projet autour de la technologie, de la circulation automobile et de la congestion- il se tourne vers le futur. Cette différence majeure laisse supposer, que l’architecte américain ne perçoit pas le rôle e de la 6 façade comme un espace public « à l’européenne », mais plutôt comme une grande infrastructure couverte, dominée par la voiture et probablement assez hostile pour le piéton. Le deuxième projet de Delirious New York qui montre l’importance que Koolhaas attribue à la relation entre le bâtiment et le sol dans le contexte de la congestion urbaine, est le projet de « la ville du Globe captif » (1972). Il s’agit d’un des projets que l’auteur situe intentionnellement à la fin de son livre pour illustrer et développer en langage architectural son discours théorique. Pour Koolhaas, ce projet est un véritable « concept métaphorique de la ville, application du Manhattanisme Enfin, la grande particularité de ce projet est le traitement de la partie basse de chaque tour, en quoi ce projet devient très intéressant pour la question de e la 6 façade.

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Il est très probable que Koolhaas connaisse déjà à ce moment là les travaux de l’architecte luxembourgeois à travers son mentor, architecte allemand O.M. Ungers qui faisait partie du MPRVE. 39 Hood va continuer a appliquer son idée de tour-montagne dans de nombreux projets par après, dont le plus connu est sa première version « Le Caprice » pour le Rockefeller Center (1929) à New York. A ce sujet, regarder KOOLHAAS Rem, op.cit., pp.185-190.

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Fig. F5. KOOLHAAS, “La ville du Globe captif”, 1972

Fig. F6. BOLLMANN Herman, fragment de “New York Picture Map 1950-60”, 1963

Fig. F7. KOOLHAAS Rem, Croquis pour O.M. Ungers, concours pour le quartier Tiergarten, Berlin, 1973-1974


Dans la «ville du Globe captif» chaque science ou manie dispose de sa parcelle. Sur toutes les parcelles se trouve une base identique, en granit poli. Pour créer des conditions physiques irréels propres à faciliter et à stimuler l’activité spéculative, ces socles, véritables laboratoires idéologiques, sont équipés de façon à suspendre les lois gênantes et les vérités irrécusables. Prenant appui sur cette solide base de granit, chaque philosophe a le droit de s’étendre indéfiniment en direction du ciel. Ces piédestaux offrent des conditions idéales pour que les bâtiments « rivalisent pour s’assurer la suprématie dans le processus d’invention, de 40 destruction du monde de la réalité phénoménale». (F5) e Nous nous apercevons que ces socles, qui traduisent l’idée de la 6 façade en termes de masse, sont en réalité de simples extrusions des limites de la parcelle dessinées par la trame Manhattanienne (F6). D’un côté ils permettent de rentabiliser le terrain privé et de garder un rapport constant avec l’espace public de la trame. De l’autre coté ils isolent les tours de leur contexte, en leur offrant une égalité de situation et de moyens. Ils transforment les bâtiments en hybrides capables de répondre à la fois à la «permanence inhérente à toute architecture, même la plus frivole» et à 41 «l’instabilité de la métropole» (F7). Ils répondent à la stricte réglementation urbaine et en même temps, ils traduisent l’idée de la ville comme exaltation d’une hyperdensité de désirs. Enfin, pour Koolhaas ces bases en granit poli ont le pouvoir de suspendre certaines lois fondamentales de l’architecture liées à la physique. Il affirme : Plus le bâtiment est haut, plus l’héritage structurel des parties hautes impose des décisions au dessous. Chaque tour représente une réduction systématique de la liberté vers l’endroit où on en a le plus besoin: le niveau de sol. 42 Dans ce sens, la mise en place de ces gigantesques socles, permet à l’architecte de libérer le rez-de-chaussée de cet asservissement structurel. Ainsi, le vide généré au niveau de l’espace public peut répondre librement à la congestion sans entraver l’expression et l’organisation de la tour qui le surplombe. Cependant, les dessins de Koolhaas nous enseignent que les socles ne sont pas simplement des blocks solides de granit, même s’ils ne sont pas 40

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KOOLHAAS Rem, op.cit., p.294. 41 LUCAN Jacques, op.cit., p.45. 42 KOOLHAAS Rem, MAU Bruce, SIGLER Jennifer, WERLEMANN Hans, Small, medium, large, extra-large : Office for Metropolitan Architecture, Rem Koolhaas, and Bruce Mau, 010 Publishers, Rotterdam, 1995, p.662.

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Fig. F8. Astor Plaza Hotel de OMA et Herzog & deMeuron, New York, 2001, doc.pers.

Fig. F9. OMA, HERZOG& DEMEURON, le rez de chaussée d’Astor Plaza Hotel, New York, 2001.


non plus des bâtiments au sens habituel du terme. Ils apparaissent plutôt comme des boites qui enferment une variété jusque là inconnue de programmes et de paysages. Suivant la pensée de Koolhaas, si le rez-dechaussée se trouve complétement libéré de son bâtiment, alors la seule loi qui le régit est celle de la trame orthogonale des rues. Par conséquent nous observons un renversement de la situation en dessus du socle. Tandis que la partie haute connaît un véritable « forma43 lisme à l’extérieur et tout fonctionnalisme à l’intérieur » , dans la partie basse la forme extérieure est strictement déterminée par la réglementation urbaine tandis que l’intérieur peut être complètement indépendant de ce qui se passe autour. Le projet de « la ville du Globe captif » met en avant la raison et exploite dans tout son potentiel l’idée de décrochement du bâtiment du sol dans la congestion urbaine. Koolhaas n’utilise pas les boites en granit pour séparer un intérieur de l’extérieur mais pour définir un espace de transition entre la tour et l’espace public, un véritable piano nobile, comme c’est le cas de la e 6 façade. Cependant, dans la mesure où cet intérieur du socle est complètement indépendant de la forme du bâtiment, la proposition de Koolhaas apparaît comme une caricature de l’idée de l’espace sous le bâtiment. L’architecte pousse consciemment à l’absurde l’autonomie de la e 6 façade, ce qui fait que son architecture devient, selon la définition de Rowe et Koetter « urbanistiquement passive ». Enfin, Koolhaas essaye de résoudre ce problème dans un projet qu’il réalise plus de vingt ans après la publication de Delirious New York. En 2001, OMA en collaboration avec Herzog & deMeuron présentent pour le concours de l’Hotel Astor Plaza à New York, une tour prismatique décro44 e chée du sol . Cette fois-ci le socle est remplacé par une 6 façade, un vide horizontal écrasé par le bâtiment monolithique. Ainsi, au lieu d’enfermer l’espace dans une boite, l’architecte joue sur les proportions plein/vide ce qui lui permet de gagner une grande liberté d’expression dans la partie haute et à la fois de bien définir l’espace en dessous. En effet ce prisme flottant recouvert d’une peau métallique, irrégulièrement perforée, occupe toute la superficie de la parcelle et il est situé suffisamment bas pour e marquer la transition entre la 6 façade et l’espace de la rue. De l’extérieur l’espace sous bâtiment apparaît complètement obscure, il se révèle 45 comme un intriguant « aimant urbain » qui attire vers l’intérieur.

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KOOLHAAS Rem, New York Délire : Un Manifeste rétroactif pour Manhattan, Éditions Parenthèses, Marseille, 2002, p.296. 44 El Croquis n°79, Oma Rem Koolhaas 1992-1996. Madrid, 1996, p.207. 45 Ce terme est emprunté de El Croquis n° 129/130, Herzog & deMeuron, Monumento e intimidad, Madrid, 2006.

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De l’intérieur, cet espace de la 6 façade garde le coté irréaliste que présentait « la ville du Globe captif ». En plus des programmes plus habituels comme un café et un hall d’entrée, tout le rez-de-chaussée est transformé en un paysage aquatique artificiel qui fait oublier au spectateur qu’il se trouve en plein centre d’une des plus grandes métropoles du e monde (F9). Par la mise en place de la 6 façade, Koolhaas crée une opposition entre un bloc massif, empirique et un espace vide et onirique. Comme dans Delirious New York il fait ainsi référence au rapport de force entre la nécessaire stabilité et la fugacité de l’architecture dans un milieu 46 de congestion urbaine .

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!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Par ailleurs, dans le contexte des attentats 11.09 nous pouvons supposer qu’en symbolisant cette opposition stabilité/fugacité en architecture, Koolhaas cherche à affronter le tabou de la tour à New York. Dans ce sens, le décrochement du sol se montre capable de répondre à des questions beaucoup plus actuelles que celles qu’il avait évoquées en 1978.

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Exemple architectural : Hypo Theatiner Zentrum de Rem Koolhaas, 1994


Fig. F10. OMA, Coupes pochées de la TGB, 1989, Paris

Fig. F11. OMA, Axonométrie présentant les vides dans la TGB, Paris, 1989

Fig. F12. OMA, Coupe transversale pochée du Hipo Theatiner Zentrum, Munich, 1994

Fig. F13. GEIST J.F., Le centre-ville de Munich avec les passages commerciaux d’aujourd’hui, 1989


6.2 Exemple architectural : Hypo Theatiner Zentrum de Rem Koolhaas. Le projet qui illustre le mieux l’influence du « poché urbain » de Rowe et e Koetter et de la congestion sur la 6 façade est Hypo Theatiner Zentrum (HTZ), la proposition que Koolhaas développe en 1994 pour un concours pour un centre commercial à Munich. Pour bien comprendre pourquoi dans ce projet Koolhaas a fait de nouveau e recours à la 6 façade, il faut le replacer brièvement dans le contexte de production générale de l’architecte hollandais de cette époque. A partir des années 1980, les recherches de Koolhaas sur l’influence de la congestion sur la composition du bâtiment, le poussent à revoir les théories de Rowe et Koetter sur la relation figure/fond et plein/masse. Après le projet pour la Très Grande Bibliothèque (TGB) de France à Paris (1989) où il procède à « un véritable renversement de la relation figure/fond. 47 Prenant le vide donc le fond comme figure» creusée dans un massif d’information, il arrive à recréer des formes jusque-là inimaginables qui répondent idéalement aux besoins programmatiques. Malgré qu’il ait renversé la logique moderniste de la figure pleine par la figure vide, comme ses prédécesseurs, il construit tout de même l’espace à partir de l’intérieur, de la fonction que joue chaque espace sculpté. Par conséquent, le bâtiment est très introverti et indifférent à son entourage direct. Les vides et la perméabilité qu’il génère au rez-de-chaussée e peuvent difficilement être appelées « une 6 façade ». Deux ans après le concours TGB, Koolhaas reconnaît qu’il devient « de plus en plus résistant aux normes d’une architecture dans laquelle chaque 48 chose se résolvait à travers l’invention d’une forme » . Au lieu donc de travailler la forme, il se propose de potentialiser le fond, c’est-à-dire une relation complexe et ambiguë entre le plein et le vide. Ainsi, tandis que dans la TGB, les vides sont travaillés comme des formes en négatif, en 1994 lorsqu’il développe la proposition pour le Hypo Theatiner Zentrum à e Munich, il abandonne l’idée de la 6 façade composée de formes géométriques simples. Le projet se situe le long de la Theatinerstrasse, au centre de Munich, à l’endroit où l’ancienne architecture de style renaissance, baroque, s’entremêle avec des interventions plus contemporaines comblant des dents creusesvestiges de la Seconde Guerre Mondiale. Ce centre-ville se caractérise par 47

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LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Architecture et théories, XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009. 48 Conférence donnée par Koolhaas en 1999 publiée dans KOOLHAAS Rem « Transomations », AMC Le Moniteur architecture, n°109, Paris, 2000.

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un grand nombre et une grande variété de passages et de galeries, qui s’y construisent sans arrêt depuis des siècles et qui depuis des années attirent 49 l’attention des architectes et des scientifiques (F13). 50 Le concours est remporté en 1995 par Herzog & deMeuron qui, comme le prévoyait le projet de Koolhaas, font référence à cette longue tradition. Cependant, alors que les architectes suisses développent explicitement la question du passage (figure vide dans la masse du bâtiment), Koolhaas décide d’organiser l’espace de façon nettement plus complexe. Il fonde e tout son projet sur l’existence d’une 6 façade continue qui sculpte le bloc depuis le rez-de-chaussée. En pochant les solides résultants, nous remarquons que le rapport de hiérarchie entre le vide et la masse n’est pas constant de section à section. Nous en concluons que les deux sont à la fois la figure et le fond. Ainsi Koolhaas se rapproche consciemment du « poché urbain » de Rowe et 51 e Koetter . Pour argumenter l’usage étendu de la 6 façade, l’architecte écrit : Durant les dernières décennies, le conflit présupposé qui se produit lorsqu’on construit à grande échelle au centre de ville européenne, a été résolu par la fragmentation de cette structure en une multitude d’éléments plus petits, qui permettent de se connecter à l’échelle de la ville traditionnelle. Dans cette conjecture, de nombreuses opportunités sont sacrifiées : -le potentiel d’organisation des programmes plus larges en sorte a ce qu’ils exploitent leurs intégrations. -le potentiel de reconnaître ouvertement la différence entre le jadis et l’aujourd’hui afin de thématiser la différence. -le potentiel d’injecter au centre ville des expériences spatiales et programmatiques qui différencient des historiques, qui offrent un spectre de conditions complémentaires. 52 e

A travers de cet extrait nous observons que selon Koolhaas la 6 façade a le potentiel d’organisation de programmes à une échelle adaptée aux 49

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A ce sujet regarder les classements typologiques faits par le géographe allemand, Walter Hantschk, dans GEIST Johann Friedrich, Le Passage : un type architectural du XIXe siècle, P. Mardaga Éditeur, Bruxelles, 1989, p.128. 50 El Croquis n° 129/130, Herzog&De Meuron, Monumento e intimidad, Madrid, 2006, p.136156. 51 Il est intéressant de remarquer que Koolhaas fait souvent recours à la technique du poché, néanmoins ce n’est qu’à la fin des années 90, qu’il va pour la première fois faire explicitement référence à cette technique de composition. Voir la conférence de Jacques Lucan sur «le poché en architecture», donnée à la Cambre-Horta en septembre 2013. 52 El Croquis n°79, Oma Rem Koolhaas 1992-1996. Madrid, 1996, p.200 traduction personnelle.

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besoins contemporains, car elle permet de fragmenter tout en gardant l’intégralité du bâtiment. Elle rend ainsi possible de réaliser par de moyens e différents le rêve Manhattanien du « schisme vertical ». La 6 façade du HTZ prolonge le milieu de la congestion vers l’intérieur de la parcelle, en créant un monde dans lequel la richesse programmatique est reflétée par une abondance d’espaces « in-between » spécifiques. Ces espaces dans leur totalité créent une expérience urbaine sans précédent. e Ensuite, pour creuser la 6 façade, Koolhaas fait référence aux deux opérations consécutives, dont l’une procède de l’extérieur et l’autre de l’intérieur du bâtiment. Premièrement, établir un volume maximal, dérivé en partie des réglementations urbanistiques, à travers les extrapolations d’une série d’angles urbains, profiles, vues et relations, qui garantissent une coexistence subtile entre le nouveau bâtiment et la substance de la ville, sans tout autant l’imiter. 53 e

Dans ce cas, la 6 façade du bâtiment et sculptée depuis l’extérieur pour répondre à l’entourage direct. Cette façon de procéder est probablement inspirée des travaux de Hugh Ferris, auxquels Koolhaas a été confronté lors de ses recherches sur New York. L’intérêt de cette technique de composition réside dans la relation étroite qu’elle établi entre le produit architectural final et le milieu de la congestion, mais aussi dans un certaine objectivisation du processus de création. A ce propos, Robert Venturi remarque : En 1929, Hugh Ferris s’était déjà emparé de la loi de zonage de New York 1916 en la convertissant en outils de décision formelle et en circonscrivant le rôle de l’architecte au point de le rendre presque inexistant. Ferris va notamment distinguer quatre mouvements dans l’évolution de la forme du bâtiment. Le premier stade serait la « représentation de la masse maximale qu’il serait possible de construire, en fonction de la loi du zonage, sur un bloc urbain entier (…) il ne s’agit pas d’un dessin d’architecte, mais simplement de la forme résultant des prescriptions légales. » La deuxième phase « consiste à tailler dans la masse pour laisser passer la lumière naturelle (…) ceci sans présager en rien la forme définitive (…) l’architecte accepte simplement une certaine masse qui lui a été remise entre les mains, il se propose de la modifier par étape (…) il est prêt à envisager 53

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Ibid., p.202 traduction personnelle.

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Fig. F14. FERRIS HUGH, “1916 zoning envelope drawings”, New York, 1922


cette progression en tout impartialité et s’en tenir au résultat final, quel qu’il soit ». Dans le troisième stade, « les grandes lignes définies au stade précédent sont découpées en rectangles qui délimiteront les espaces intérieurs traditionnels » Enfin « après suppression des parties jugées indésirables reste la masse définitive (…) qui n’est pas le bâtiment achevé et habitable puisqu’il lui manque encore l’articulation, que détermine le concepteur individuel54. (F14) Cette méthode permet alors en grande partie de se libérer des questions e formalistes et du poids du jugement subjectif de l’architecte. La 6 façade n’est plus le résultat d’une décision individuelle mais plutôt le produit des réglementations neutres qui visent à inscrire le bâtiment dans son contexte. Autrement dit, elle devient un élément de stratégie de construction 55 de volume optimal et urbanistiquement actif . e

Pour la deuxième phase de création de la 6 façade dans le projet HTZ, Koolhaas part cette fois-ci de l’intérieur : Deuxièmement, ce volume maximal, est analysé en termes de meilleure organisation programmatique, l’illumination, l’accès, la circulation, les vues, la tranquillité, le caractère urbain, le privé et le public. Dans ce processus, l’intérieur de cette forme/volume est sculpté pour créer une composition complexe de pleins et de vides qui peut être lue comme un ensemble d’objets entourés par des atriums horizontaux et verticaux, ou bien comme un espace vide unique, complexe et avec des tentacules, qui défini une série des conteneurs programmatiques. Dans son fameux plan de Rome, Nolli a représenté la ville comme une série de bloques massifs dans les quelles il sculptait des églises, des palais et d’autres édifices publics, en les intégrant ainsi dans le domaine public. Notre projet rend ce concept extensible à la section : un solide dont certaines parties sont revendiquées par la ville. C’est un édifice qui fait partie de la ville, qui présente de divers dégrées de perméabilité : depuis

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Voir le chapitre 6 du livre VENTURI Robert, De l’ambiguïté en Architecture, Dunod, Paris, 1999. 55 Il est intéressant de remarquer que la même stratégie est développée quelques années plus tard par Herzog de Meuron, pour le projet de Prada à Tokyo et Caixa Forum à Madrid qui constitue un des exemples les plus pertinents de l’espace sous bâtiment. Dans les deux cas, les architectes revendiquent : « take a zoning as a design guideline » et ils utilisent les réglementation urbaines comme des outils de détermination de la forme. Regarder aussi : HERZOG&DE MEURON, Prada Aoyama Tokyo, Milan, 2003, pp.88-89 et HERZOG&DE MEURON, Monumento e intimidad ElCroquis n°129/130 p.336-347.

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Fig. F15. OMA, Maquette des vides dans le HTZ, 1994

Fig. F16. OMA, Maquette du HTZ, 1994

Fig. F17. OMA, Maquette du HTZ, 1994


la transparence maximale au rez-de-chaussée- où il absorbe la vie et 56 l’énergie de la ville- jusqu’aux perforations dans la forme. e Cette fois-ci c’est le programme intérieur qui détermine comment la 6 façade sculpte l’édifice depuis le rez-de-chaussée. Grâce à l’espace sous le bâtiment nous retrouvons le concept de « schisme vertical » où chaque programme génère sa propre densité et les connections avec ses voisins, où il bénéficie toujours des conditions optimales en termes d’accessibilité, de vue et de lumière etc. Ce sont donc les restrictions programmatiques qui deviennent l’outil principal de conception de la forme. Si nous considérons le processus dans son ensemble, nous en concluons e qu’en général Koolhaas perçoit la 6 façade du HTZ comme l’application d’une opération impartiale, qui assume et exploite son refus de résoudre le e projet par invention d’une nouvelle forme pleine ou vide. En effet, la 6 façade du HTZ est amorphe et isotrope. Elle n’est plus le résultat de décisions compositionnelles de l’architecte mais la résultante du processus automatique d’application au projet des règles invisibles de la congestion urbaine. Le e terme « composition de la 6 façade » est alors remplacé par la notion de e 57 « stratégie de la 6 façade » . e La « stratégie de la 6 façade » s’inscrit dans la lignée des idées de Collage City dans la mesure où en agissant depuis l’intérieur et l’extérieur à la fois, elle permet de générer un bâtiment urbanistiquement actif. Néanmoins, l’approche contextualiste de Rowe et Koetter est ici dépassée, car grâce à l’espace sous le bâtiment Koolhaas arrive à réconcilier le modèle convexe avec le modèle concave à l’intérieur d’un seul édifice! De plus, comme chez Rowe e et Koetter, la 6 façade du HTZ se justifie à partir des éléments du contexte actuel et historique, cependant elle les renie en même temps, car elle crée un nouveau scénario offrant de nouvelles expériences spatiales et pro58 grammatiques . e Mais, comment ces idées se reflètent-elles dans la spatialité de la 6 façade du Hypo Theatiner Zentrum? Il s’agit d’un espace couvert, continu et irrégulier, composé de vides horizontaux et verticaux dont la hauteur varie de 1 à 7 étages. La relation figure/fond 56

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El Croquis n°79, Oma Rem Koolhaas 1992-1996. Madrid, 1996. p.200. 57 Ce terme peut être compris comme une extension plus particulière de la notion « Strategy of the void » qui est le titre du chapitre consacré au projet TGB à Paris dans KOOLHAAS Rem, MAU Bruce, SIGLER Jennifer, WERLEMANN Hans, Small, medium, large, extralarge : Office for Metropolitan Architecture, Rem Koolhaas, and Bruce Mau, 010 Publishers, Rotterdam, 1995. A ce propos voir : LUCAN Jacques, Composition, non-composition, e e Architecture et théories, XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009, pp. 554-557. 58 GARGIANI Roberto, Rem Koolhaas/ OMA: the Construction of Merveilles, EPFL Press, Lausanne, 2008, pp. 216-217.

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Fig. F18. Plan du rez-de-chaussée du HTZ avec les différences de hauteur sous plafond: 1 NIV. 2 NIV. 5-6 NIV. 7+ NIV. doc.pers.

Fig. F19. OMA, Coupes pochées transversales dans le HTZ, 1994


est plus complexe et ambiguë que dans les exemples étudiés auparavant: dans certaines situations le vide constitue des figures dominantes, créant ainsi des pièces urbaines, dans d’autres il devient seulement un vide intercalaire permettant de séparer les différents conteneurs programmatiques. Nous retrouvons donc, consolidés à l’intérieur d’un seul projet les gabarits et les situations équivalentes aux modèles concaves et convexes de e la 6 façade. D’une part, Koolhaas a fait recours aux espaces concaves sous le bâtiment: nous retrouvons la place couverte de Léon Krier, de 30 mètres de haut, coupée dans toutes les directions par des escalators mécaniques connectant les différents niveaux. Malgré que cette place soit entourée de tous les côtés par du bâti, grâce à des verrières dans la toiture, elle bénéficie d’une grande quantité de lumière naturelle. Ceci fait que lorsqu’un piéton se promène le long de la Theatinerstrasse, il aperçoit ce puits de lumière et il est aspiré vers l’intérieur du bâtiment. Nous observons que la même logique est appliquée à une plus petite échelle, à tous les points stratégiques par lesquels nous pénétrons le complexe. Ainsi, en arrivant depuis l’extérieur, le piéton passe toujours par une zone tampon plus basse pour enfin entrer dans un vide plus haut où se situent des escalators et les ascenseurs distribuant tous les étages. Nous retrouvons aussi dans le THZ de longues rues couvertes avec des commerces de détail de part et d’autre, qui par leurs proportions peuvent faire penser aux galeries intérieures du complexe Monte Amiata de Carlo Aymonino. Par contre, nous ne retrouvons pas d’espace sous le bâtiment équivalent au portique de la lama bianca de Rossi. En effet, il est intéressant de remarquer que dans les espaces couverts qui longent les rues limitrophes, l’architecte fait usage de longues voiles portantes qui obligent le passant à pénétrer à l’intérieur du bâtiment. D’autre part Koolhaas fait appel aux principes de l’espace convexe: les passages transversaux sous le bâtiment offrent des ouvertures visuelles et permettent la continuité de l’espace public au rez-de-chaussée comme dans le cas de l’Unité de Marseille. De plus, pour amener de la lumière et de l’air frais, l’architecte creuse aussi dans le bâti quelques patios extérieurs. Ces espaces dont la géométrie résulte de la forme du bâtiment, sont disposés de façon à séparer le bâtiment de Koolhaas des arrièree façades des édifices existants. La 6 façade est alors un moyen d’adapter le THZ à ses voisins- les limites du complexe deviennent souples et urbanistiquement actives.

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Fig. F20. Plan du rez-de-chaussée du HTZ, doc.pers

Fig. F21. PIRANÈSE, La carte de Campus Martius, Rome, 1762


Le plan du rez-de-chaussée montre un espace « bricolé » mais continu. Celui-ci est ponctué par quelques noyaux de circulation verticale, mais en général il n’est compartimenté qu’à travers la différence de hauteur sous plafond et un jeu sur la densité et la forme des éléments portants. Le collage généré par ces différents systèmes structurels qui s’interpénètrent chaotiquement, exprime bien les tensions intrinsèques à la congestion urbaine: le conflit entre la permanence de l’architecture et l’instabilité de la métropole. Ainsi, son tracé ressemble au dessin des ruines et par son intensité et complexité il peut faire penser à la merveilleuse carte de Campus Martius de Piranèse (1762). Ce jeu structurel et les diagonales visuelles créées par les vides verticaux, rendent l’espace dynamique et virtuellement transparent; le bâtiment est sculpté de façon à connecter visuellement les différents programmes entre eux et avec la ville. Néanmoins il est intéressant de remarquer que dans le cas du bâtiment à Munich, l’interpénétration des différentes sphères de publicité est obtenue par une méthode jusque-là inconnue. A la différence du bâtiment de Rossi, où cet effet est produit par l’addition des différentes strates, le THZ arrive au résultat comparable en enlevant de la matière. Autrement dit, au lieu de superposer les formes positives, Koolhaas e occasionne la transparence virtuelle par le biais de la 6 façade creusée dans le bâtiment, ce qui constitue une véritable innovation. Enfin, en ce qui concerne le «modèle d’utilisation sociale», pour reprendre le terme utilisé par le MPRVE, la diversité spatiale et l’abondance en lumière naturelle permettent a priori à cet espace sous le bâtiment d’accueillir différents programmes publics. L’architecte y projette une place urbaine couverte, des terrains de jeu pour les enfants, des passages marchands et même des jardins verticaux. Cependant, l’usage entièrement public de ces aménagements paraît improbable. Malgré toutes les recherches sur la transparence du bâtiment, e de l’extérieur la 6 façade à front de rue est majoritairement réduite au rezde-chaussée et relativement peu présente dans l’espace urbain. Par conséquent, à l’opposé des revendications de Koolhaas, le bâtiment THZ apparaît assez fermé sur lui-même et l’espace sous le bâtiment fait penser à l’intérieur semi-public d’un shopping mall habituel. En effet, si nous pouvons accepter la référence au plan de Nolli en termes de dynamique et de complexité de l’espace, il reste sujet à questions si le projet réussi à réellement faire entrer la ville sous le bâtiment pour construire un rapport public/privé aussi intense que celui de la Nuova Pianta di Roma.

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Conclusion Dans ce travail de fin d’études nous avons tenté de répondre à la question: e comment la 6 façade se raccroche-t-elle à la tradition de l’espace public dans la ville occidentale? Pour ce faire, nous avons posé trois hypothèses concernant ce processus : e 1. La 6 façade constitue un élément architectural fondamental de la conception du modèle de la ville ouverte, moderniste. e 2. La 6 façade constitue un élément architectural fondamental de la conception du modèle de la ville fermée, préindustrielle, reprise par les architectes de la période entre les années cinquante et quatre-vingt. e 3. Étant donné que la 6 façade existe dans les deux traditions, il est possible qu’elle soit un élément de réconciliation entre celles-ci. Le travail a été structuré en trois grandes parties dont chacune nous a permis de vérifier une supposition. Suite à nos recherches dans la première partie, nous avons pu confirmer la première hypothèse. er e Dans le 1 chapitre, nous avons prouvé que la 6 façade générée par les pilotis constitue un élément fondamental de la conception moderniste de la ville ouverte. A travers une étude de l’évolution de cet élément dans les projets de Le Corbusier nous avons démontré qu’il ne se réduit pas à son aspect hygiéniste. Avec les «5 points d’architecture nouvelle», il est élevé au rang d’un concept qui est capable d’exprimer « l’esprit nouveau » de la société de l’époque. Cependant, les pilotis ne sont pas une création dans le « vide conceptuel », mais ils incarnent le refus et/ou le renversement de certaines valeurs classiques. e Par conséquent, la 6 façade devient un élément principal de syntaxe architecturale de Le Corbusier, qui répond simultanément à toutes les grandes préoccupations de ce dernier. Elle devient un laboratoire, dans lequel l’architecte teste les différentes façons de combiner synthétiquement ses idées innovantes. Cette richesse conceptuelle trouve son expression dans la matérialité très élaborée, presque poétique de tous les composants de cet espace. Enfin, par la mise au clair de ce foisonnement conceptuel des pilotis, nous avons pu démentir leur vision négative qui circule aujourd’hui et qui, à notre e avis, est majoritairement due à l’usage banalisé et erroné de la 6 façade convexe dans les projets des orthodoxes modernistes de la deuxième moitié du vingtième siècle. Ainsi, il est possible de rétablir les pilotis comme une référence pour les architectes contemporains cherchant à créer de l’espace public sous le bâtiment dans leurs projets.

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Suite à nos recherches dans la deuxième partie, nous avons pu confirmer la deuxième hypothèse. e Dans le 2 chapitre, nous avons étudié comment la remise en question du modèle de la ville ouverte, conduit les architectes du C.I.A.M. 8 à chercher les solutions dans logique de la ville fermée. Ceci engendre la redécoue verte de la 6 façade comme l’élément qui n’isole pas le bâtiment mais qui le réintègre dans le tissu urbain. Nous avons donc opposé à la conception e convexe de la 6 façade corbusienne, l’espace concave sous le bâtiment. Nous avons vu que l’analyse des exemples historiques de cet espace conduit les architectes à considérer celui-là comme un élément capable de s’adapter aux structures changeantes de la ville et qui, réutilisé dans le projet, peut exprimer plusieurs idées séparément ou simultanément. e Dans cet esprit, la 6 façade devient un élément de réconciliation du modèle de la ville fermée avec les acquis typologiques de l’architecture moderniste. Elle rend possible la réinterprétation de la tradition concave avec le langage de la logique convexe. Par la suite nous avons étudié comment, la redécouverte dans les années soixante de la notion du type permet de bouleverser fondamentalement la perception de l’espace sous le bâtiment. Nous avons démontré que la e perception typologique offre à la 6 façade un nouveau potentiel à la fois comme moment d’analyse de la ville et de son histoire, mais aussi comme vecteur de création de nouveaux projets. Dans le chapitre 3, nous avons démontré que sous influence de la concepe tion analogique de Rossi, la 6 façade devient un pont entre la tradition concave qu’elle réinterprète et la tradition convexe dont elle reprend le langage. Cependant, contrairement aux C.I.A.M. 8, ce n’est pas le désir de réconcilier les deux visions, mais le refus de l’imitation, ou l’ambition d’exprimer l’essence de la tradition concave qui pousse l’architecte à puiser dans les formes abstraites proches du langage des Modernistes. e Par conséquent, la 6 façade devient un espace ambivalent, à la fois ouvert et fermé. D’un coté, elle veut devenir le fond neutre pour la vie quotidienne à l’image de la rue traditionnelle de la ville close. D’un autre coté, par son silence, elle s’isole de son contexte comme les bâtiments de la ville ouverte. Cette attitude contradictoire est une critique silencieuse qui exprime l’effort de la reproduction de l’espace public concave dans un contexte qui n’est pas urbain. Dans le chapitre 4, nous avons démontré comment sous influence de la e e 3 typologie, la 6 façade devient l’espace concave urbain par excellence. Nous avons vu, que Krier se focalise sur cet élément pour sa capacité à

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requalifier la dialectique entre l’architecture et le tissu urbain, et il l’envisage explicitement comme l’espace public de premier ordre, équivalent à la place ou la rue traditionnelle. Par ailleurs, nous avons vu aussi que Krier fonde son retour à la tradition e concave sur le renversement des éléments de la ville ouverte. La 6 façade devient un outil d’opposition principal contre l’architecture convexe des Modernistes. Pour ce faire, Krier élabore une sorte de synthèse typologique qui prédétermine, souvent par inversion directe des principes modernistes, tous les aspects de l’espace public sous le bâtiment. Par e conséquent, cette obsession de l’espace concave le conduit à réduire la 6 façade à l’imitation directe des exemples préindustriels. Suite à nos recherches dans la troisième partie, nous avons pu confirmer la troisième hypothèse. e Dans le chapitre 5, nous avons vérifié dans quelle mesure la 6 façade peut devenir un élément de réconciliation des deux traditions. Nous avons vérifié que la conception de l’espace concave de projets de Rossi et de Krier répond aux les revendications de Venturi concernant le dualisme et la continuité en architecture. Ensuite, nous avons vu à travers la notion du e «poché ouvert» que la 6 convexe de Le Corbusier est aussi complexe et ambiguë, et qu’elle a été trop vite rejetée par les postmodernistes cherchant à appuyer leurs théories. Pour déterminer les limites de ce rapprochement, nous avons repris le concept du «poché urbain» qui selon Rowe permet de dépasser la division e entre les traditions concave et convexe. Nous avons démontré que la 6 façade corbusienne n’est pas urbanistiquement active, ce par quoi elle ne peut pas être complètement considérée comme le «poché urbain». Néanmoins, à l’échelle d’un bâtiment ce dernier constitue une invitation à l’utilisation de l’espace public sous le bâtiment. Dans le chapitre 6, nous avons démontré que la «congestion urbaine» peut devenir une logique d’utilisation du «poché urbain». Nous avons étudié cette hyperdensité sur l’exemple de New York analysée par Koolhaas et e nous avons prouvé que ce phénomène privilégie l’usage de la 6 façade. Selon Koolhaas, pour résoudre la congestion, il faut déplacer son poids de l’espace public traditionnel vers l’architecture. Il revendique alors la nécessité de la libération de la coupe des bâtiments et il offre un statut particulier au rez-de-chaussée. En analysant les exemples cités par l’architecte hollandais, nous avons mis au clair que le décrochement du sol constitue une réponse de premier ordre aux grandes questions de la congestion urbaine. Enfin, à travers un exemple, nous avons montré comment le concept du «poché» et de la «congestion» peuvent être e synthétisés dans la 6 façade.

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Fig. 1

Fig. 2


Pour conclure Pour conclure, nous avons réussi à retracer l’évolution qu’a subi la e 6 façade dans le période étudiée, en montrant comment elle oscille entre les deux grandes traditions urbanistiques du vingtième siècle. Il s’agit de l’espace convexe des modernistes et l’espace concave réinterprété par les architectes ultérieurs. Cependant, nous ne nous sommes pas contentés avec de simples affirmations et nous avons essayé de comprendre pourquoi cette évolution a lieu. La mise en évidence de la façon dont les interrelations entre les attitudes théoriques de différents architectes se reflètent dans leurs conceptions de e la 6 façade, nous a permis de confirmer nos hypothèses de départ. Mais, elle nous a permis aussi de les détailler de façon considérable. er

Nous avons vu que le «1 retour vers l’histoire» qui a engendré la réapparition de l’espace public sous le bâtiment entre les années cinquante et quatre-vingt est en réalité un processus très complexe. Malgré le fait que nous n’avons pas pris en compte l’entièreté de la production de chaque architecte, nous avons déjà pu voir que leurs prises de positions sont presque toujours plus complexes et ambiguës de ce qu’elles paraissent au premier regard. De plus elles ont tendance à changer dans le temps. Ainsi, ce que nous avons considéré au départ comme un «simple retour» est en réalité une série, voir une synthèse de différentes prises de positions dont le potentiel ne peut être évalué autrement qu’à travers une étude et une comparaison minutieuse des cas pratiques. Dans le cadre de ce e travail c’est la 6 façade qui joue ce rôle difficile. L’objectif de ce travail ne consiste pas à privilégier la conception convexe e ou concave de la 6 façade. Bien que nous considérons avoir rétabli partiellement le modèle convexe, et nous avons exprimé notre admiration pour sa version concave, nous ne trouvons pas adéquat de choisir entre les deux. La troisième partie de ce travail traduit cet enjeu. Au lieu de les opposer, elle propose une solution dans laquelle les deux traditions se nourrissent au sein d’un seul projet. e

Néanmoins, même si cette attitude peut être très avantageuse pour la 6 façade, elle comporte aussi un risque. Il nous semble que c’est justement la dissolution de ces limites claires qui est la cause de la prolifération de mauvais exemples de l’espace sous le bâtiment dans les dernières années. Il paraît donc légitime de dire que seule une approche consciente vis à vis du passé permet de produire un espace public de qualité.

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La 4 , 5 , 6 façade … et après ? Le sujet de ce travail de fin d’études est une question difficile qui n’a jamais auparavant fait l’objet d’une étude particulière, ce qui nous a obligé à adopter une stratégie très restrictive tout en gardant un champ de vue suffisamment ouvert pour pouvoir parler du phénomène à travers les années. Sans viser à l’exhaustivité, nos reconnaissons qu’il est possible d’élargir ou de préciser la question ou de trouver d’autres exemples, qui permettent d’arriver aux conclusions similaires. e

Néanmoins, le premier pas vers la reconnaissance de la 6 façade comme un espace public de premier ordre est déjà fait et il nous semble important de s’interroger sur l’avenir de la question. D’une part, il nous paraît intéressant de continuer les recherches sur l’espace sous le bâtiment par une étude typologique plus avancée. Celle-ci e devrait déterminer et classifier les composants de la 6 façade et les différentes façons de les articuler dans l’objectif de proposer une synthèse permettant la création de nouveaux projets de ce type. Il nous semble fondamental que ce type d’étude comporte aussi l’évaluation des enjeux écologiques, structurels et économiques de l’acte de soulever le bâtiment. Enfin, nous pourrions mener aussi une réflexion sur la mise en place des dispositions légales privilégiant la création de l’espace public sous le bâtiment. e

D’autre part, il nous semble que la 6 façade s’inscrit dans un ensemble plus large de formes urbaines, que l’on qualifie à présent de « in-between ». Par ce terme nous entendons les espaces «entre-deux» qui diluent les limites entre la sphère publique et privée. Ce brouillage des limites est symptomatique de notre époque, nous l’observons même dans l’espace virtuel. Par conséquent, est-ce que la gestion consciente des espaces « in-between » e comme la 6 façade, ne devrait pas devenir aujourd’hui un des enjeux majeurs de l’Architecture ?

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Bibliographie La bibliographie est structurée selon les trois parties de ce travail de fin d’études : - L’introduction e - La 6 façade et l’espace convexe sous le bâtiment. e - La 6 façade et l’espace concave sous le bâtiment. e - La 6 façade comme dépassement de division convexe/concave. Quatre types de sources archivistiques ont été utilisés : les sources secondaires- préparatoires, notamment le livre Composition, noncomposition de Jacques Lucan; les sources primaires, ouvragese manifestes des sept auteurs majeurs pour le la thématique de la 6 façade; les sources secondaires, ouvrages des autres auteurs qui développent les idées de ces sept livres de base ; les sources tertiaires, ouvrages d’autres auteurs développant les thématiques de ce mémoire. Introduction Ouvrages CHOAY Françoise, L’urbanisme, utopies et réalités, une anthologie, Éditions du Seuil, Paris, 1979. COLQUHOUN Alan, Recuil d’essais critiques, Architecture moderne et changement historique, Pierre Madraga Editeur, Liège, 1985. JANNIERE Hélène, SORNIN Alexis, Revues d'architecture dans les années 1960 et 1970 : fragments d'une histoire événementielle, intellectuelle et matérielle : actes du colloque international tenu les 6 et 7 mai 2004 au Centre canadien d'architecture, CCA, à Montréal, Institut de recherche en histoire de l'architecture, Montréal, 2008. LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Architecture et théories, e e XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009. Articles KIM Iihyun, «Reality and Architecture: Totality and dissolution of the object», in AYMONINO Aldo, MOSCO Paolo Valerio, Contemporary public space : un-volumetric architecture, Skira Editore, Milan, 2006.

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Inconographie Introduction Fig.1 Doc. pers. Fig.2 Doc. pers. Fig.3 Doc. pers. Fig.4 Doc. pers. e

La 6 façade et l’espace convexe sous le bâtiment. Chapitre 1 Fig. A1. http://meriadeck.free.fr/Meriadeck/Urbanisme_sur_dalleLes_origines.html Fig. A2. LE CORBUSIER, Vers une architecture, Editions Champsarts, Paris, 1995, p.45 Fig. A3. http://meriadeck.free.fr/Meriadeck/Urbanisme_sur_dalleLes_origines.html Fig. A4. LE CORBUSIER, Vers une architecture, Editions Champsarts, Paris, 1995, p.201 Fig. A5. http://www.notesdestyles.com/actu/wpcontent/uploads/2009/09/corbusier.JPG Fig. A6. LE CORBUSIER, Vers une architecture, Editions Champsarts, Paris, 1995, p.201 Fig. A7. http://decorationas.org/bathroom-villa-savoye-82-rue-de-villiers78300-poissy-france/ Fig. A8. LE CORBUSIER, Le Corbusier carnets, vol.1 : 1914-1948, Herscher/Dessain et Tolra, Paris, 1981-1982. p.390 Fig. A9. BANHAM Reyner, Theory and design in the first machine age, WAF, Warszawa, 1979, p.303 Fig. A10. Architecture d’Aujourd’hui, n°249 février 1987, p.22 Fig. A11. BENEVOLO Leonardo, Histoire de la ville, Éditions Parenthèses, Paris, 2004, p.442 Fig. A12. COHEN Jean-Louis, Le Corbusier et la mystique de l’URSS : théories et projets pour Moscou, 1928-1936, Éditeur Pierre Mardaga, Bruxelles, 1987, p.102 Fig. A13. JENCKS Charles, Le Corbusier and the tragic View of Architecture, WAiF, Warszawa, 1982, p.130 Fig. A14. BOESIGER Willy, Le Corbusier, obras y proyectos/works and projects, Éditiorial GG, Madrid, 1993, p.190 Fig. A15. Photo google street-view.

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Fig. A16. http://www.culturecommunication.gouv.fr/Regions/DracPaca/Politique-culturelle/Patrimoine-du-XXe-siecle/Le-label/Lesedifices-labellises/Bouches-du-Rhone/Marseille/Marseille-8earrondissement/Marseille-Unite-d-habitation-Le-Corbusier-diteCite-Radieuse/Unite-d-habitation-Le-Corbusier-dite-Cite-Radieuseen-images Fig. A17. http://jim83.over-blog.fr/article-la-cite-radieuse---unite-d-habitationle-corbusier---marseille-45819773.html Fig. A18. http://www.marseilleforum.com/120-marseille-jardin-de-lamagalone.htm Fig. A19. SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier, L’Unité d’habitation de Marseille, Éditions Parenthèses, Marseille, 1992, p.59 Fig. A20. SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier, L’Unité d’habitation de Marseille, Éditions Parenthèses, Marseille, 1992, p.102 Fig. A21. LE CORBUSIER, Le Corbusier carnets, vol.1 : 1914-1948, Herscher/Dessain et Tolra, Paris, 1981-1982. p.483 Fig. A22. Doc. pers. Fig. A23. SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier, L’Unité d’habitation de Marseille, Éditions Parenthèses, Marseille, 1992, p.104 Fig. A24. SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier, L’Unité d’habitation de Marseille, Éditions Parenthèses, Marseille, 1992, p.104 Fig. A25. BOESIGER Willy, Le Corbusier, Œuvre complete, volume 5, 19461952, Les Éditions d’Architecture (Artemis), Zurich,1991, p.199 Fig. A26. TZONIS Alexander, Le Corbusier,the poetics of the machine and metaphor, Thames and Hudson, UK, 2001, p.161 Fig.A27. http://www.fondationlecorbusier.fr/corbuweb/morpheus.aspx?sys Id=13&IrisObjectId=5599&sysLanguage=frfr&itemPos=1&itemSort =fr-fr_sort_string1&itemCount=1&sysParentName=Home&sys Parent Id=11 Fig. A28. Doc. pers. Fig. A29. http://lagrette.free.fr/citeradieuse/pilotis.jpg Fig. A30. http://www.fondationsuisse.fr/FR/architecture2B.html Fig. A31. SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier, L’Unité d’habitation de Marseille, Éditions Parenthèses, Marseille, 1992, p.59 Fig. A32. GRAVES Michael, LE CORBUSIER, LeCorbusier Selected drawings, Academy Editions, London, 1981, p.99 Fig. A33. http://www.renatofoti.com/wp-content/uploads/2010/12/photomay11-30.jpg Fig. A34. http://www.nytimes.com/2007/06/26/arts/26becher.html?_r=0 Fig. A35. SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier, L’Unité d’habitation de Marseille, Éditions Parenthèses, Marseille, 1992, p.57

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La 6 façade et l’espace concave sous le bâtiment. Chapitre2 Fig. B1 http://www.wikipaintings.org/en/canaletto/san-marco-square-venice Fig. B2 ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, The Heart of the City : Towards the humanisation of urban Life, Lund, Humphries, Londres, 1952, p.21 Fig. B3 http://www.firstthings.com/blogs/maureen-mullarkey/wpcontent/uploads/2013/04/8tallbenny.jpg Fig. B4 http://donbosco.scuolaer.it/archivio/anno-20022003/V_B_2003/sito/Portici.htm Fig. B5 http://nolli.uoregon.edu Fig. B6 ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, The Heart of the City : Towards the humanisation of urban Life, Lund, Humphries, Londres, 1952, p.130 Fig. B7 ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, The Heart of the City : Towards the humanisation of urban Life, Lund, Humphries, Londres, 1952, p.128 Fig. B8 ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, The Heart of the City : Towards the humanisation of urban Life, Lund, Humphries, Londres, 1952, p.124 Fig. B9 ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, The Heart of the City : Towards the humanisation of urban Life, Lund, Humphries, Londres, 1952, p.14 Fig. B10 ROGERS Ernest, SERT José Luis, TYRWHITT Jacqueline, The Heart of the City : Towards the humanisation of urban Life, Lund, Humphries, Londres, 1952, p.128 Fig. B11 Doc. pers. Fig. B12 Doc. pers. Fig. B13 Doc. pers. Fig. B14 Doc. pers. Chapitre 3 Fig. C1 FERLENGA Alberto, Aldo Rossi tout oeuvre, Éditions, Konemann, Cologne, 2001, 36 Fig. C2 http://www.lombardiabeniculturali.it/blog/articoli/417/ Fig. C3 BRAGHIERI Gianni, Aldo Rossi obras y proyectos/ works and projects, Éditiorial GG, Barcelona, 1993 p.83 Fig. C4 ROSSI Aldo, MOSCHINI Francesco, Aldo Rossi, projects and drawings, 1962-1979. Academy Editions, London, 1979, p.17 Fig. C5 photo google.maps.

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Fig. C6 http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Giovanni_Antonio_Canal,_il_ Canaletto_-_Capriccio_-_a_Palladian_Design_for_the_Rialto_Bridge ,_with_Buildings_at_Vicenza_-_WGA03938.jpg Fig. C7 FERLENGA Alberto, Aldo Rossi tout oeuvre, Éditions, Konemann, Cologne, 2001, p.72 Fig. C8 FERLENGA Alberto, Aldo Rossi tout oeuvre, Éditions, Konemann, Cologne, 2001, p.51 Fig. C9 FERLENGA Alberto, Aldo Rossi tout oeuvre, Éditions, Konemann, Cologne, 2001, p.54 Fig. C10 KLOTZ Heinrich, Die revision der Moderne. Postmoderne Architektur 1960-1980, Deutsches Architektur Museum Prestel, 1984, p.233 Fig. C11 http://www.greekstatemuseum.com/kmst/collections /db/search.html?MaterialsTechniqueName=96&start=515&show=1 Fig. C12 NICOLIN Pierluigi FUTAGAWA Yukio, Carlo Aymonino / Aldo Rossi: Housing Complex a the Gallaratese Quarter, Milan, Italy, 1969-1974, Global Architecture 45, Tokyo, 1977, p.5 Fig. C13 LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Architecture et e e théories, XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009, p.468 Fig. C14 CONFORTI Claudia, Il Gallaratese di Aymonino e Rossi: 19671972, Officina Edizioni, 1981, Roma, p.36, p.39, p.50 Fig. C15 FERLENGA Alberto, Aldo Rossi tout oeuvre, Éditions, Konemann, Cologne, 2001, p.48 Fig. C16 SBRIGLIO Jacques, Le Corbusier, L’Unité d’habitation de Marseille, Éditions Parenthèses, Marseille, 1992, p.103 Fig. C17 Doc. pers. Fig. C18 FERLENGA Alberto, Aldo Rossi tout oeuvre, Éditions, Konemann, Cologne, 2001, p.49 Fig. C19 http://wikimapia.org/2502102/Ca-del-Duca#/photo/1979115 Fig. C20 http://www.flickr.com/groups/aldorossi/pool/17871256@N00/ http://www.panoramio.com/photo/31613846 http://www.panoramio.com/photo/69377867 Fig. C21 https://www.flickr.com/search/?view=ju&q=gallaratese%20rossi Fig. C22 https://www.flickr.com/search/?view=ju&q=gallaratese%20rossi Fig. C23 http://www.e-motion-lab.com/decoding_e(ye)motion/terragni_telaio.htm Fig. C24 FERLENGA Alberto, Aldo Rossi tout oeuvre, Éditions, Konemann, Cologne, 2001, p.46 Fig. C25 FERLENGA Alberto, Aldo Rossi tout oeuvre, Éditions, Konemann, Cologne, 2001, p.46 Fig. C26 http://www.wikipaintings.org/en/giorgio-de-chirico/piazza-d-italia1913

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Fig. C27 http://flickrhivemind.net/Tags/mariosironi/Interesting Chapitre 4 Fig. D1 KRIER Léon, Houses, Palaces Cities, Architectural Design Profile, St. Martin’s Press, London, 1984, p.40 Fig. D2 KRIER Léon, «Les 3 projets récents», in bulletin des Archives d’architecture moderne, n°14, Bruxelles, 1978, p.66 Fig. D3 KRIER Léon, «Les 3 projets récents», in bulletin des Archives d’architecture moderne, n°14, Bruxelles, 1978, p.63 Fig. D4 KRIER Léon, «Les 3 projets récents», in bulletin des Archives d’architecture moderne, n°14, Bruxelles, 1978, p.64 Fig. D5 KRIER Léon, «Les 3 projets récents», in bulletin des Archives d’architecture moderne, n°14, Bruxelles, 1978, p.62 Fig. D6 KRIER Léon, «projet pour la reconstruction de Luxembourg», in bulletin des Archives d’architecture moderne, n°15, Bruxelles, 1978, p.53 Fig. D7 KRIER Léon, «Les 3 projets récents», in bulletin des Archives d’architecture moderne, n°14, Bruxelles, 1978, p.64 Fig. D8 KRIER Léon, «projet pour la reconstruction de Luxembourg», in bulletin des Archives d’architecture moderne, n°15, Bruxelles, 1978, p.71 Fig. D9 KRIER Léon, «Les 3 projets récents», in bulletin des Archives d’architecture moderne, n°14, Bruxelles, 1978, p.65 e

La 6 façade comme dépassement de division convexe/concave Chapitre 5 Fig. E1 ROWE Collin, KOETTER Fred, Collage City, Éditions Infolio, Gollion, 2002, p.95 Fig. E2 ROWE Collin, KOETTER Fred, Collage City, Éditions Infolio, Gollion, 2002, p.95 Fig. E3 Couverture de ROWE Collin, KOETTER Fred, Collage City the MIT Press, Cambrige, Mass., 1978. Fig. E4 ROWE Collin, KOETTER Fred, Collage City, Éditions Infolio, Gollion, 2002, p.102 Fig. E5 ROWE Collin, KOETTER Fred, Collage City, Éditions Infolio, Gollion, 2002, p.103 Fig. E6 Doc. pers. Fig. E7 Doc. pers. Fig. E8 http://lagrette.free.fr/citeradieuse/pilotis.jpg Fig. E9 http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Uffizi_Gallery,_Florence.jpg

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Chapitre 6 Fig. F1 http://en.wikipedia.org/wiki/File:PaulCitroenMetropolis.jpg Fig. F2 LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Architecture et e e théories, XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009, p.547 Fig. F3 Image extraite de la conférence « Raymond Hood : the Brilliant Bad Boy of New York Architecture » min. 36, voir : wwww.skyscraper.org Fig. F4 KOOLHAAS Rem, New York Délire : Un Manifeste rétroactif pour Manhattan, Éditions Parenthèses, Marseille, 2002, p.175 Fig. F5 KOOLHAAS Rem, New York Délire : Un Manifeste rétroactif pour Manhattan, Éditions Parenthèses, Marseille, 2002, p.295 Fig. F6 http://www.codex99.com/cartography/110.html Fig. F7 http://www.archiveofaffinities.tumbrl.com Fig. F8 Doc. pers. Fig. F9 El Croquis n°79, Oma Rem Koolhaas 1992-1996. Madrid, 1996, p.207 Fig. F10 LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Architecture et e e théories, XIX - XX siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009, p.555 Fig. F11 http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.be/2013/11/pira nese.html Fig. F12 El Croquis n°79, Oma Rem Koolhaas 1992-1996, Madrid, 1996, p.200 Fig. F13 GEIST Johann Friedrich, Le Passage : un type architectural du XIXe siècle, P. Mardaga Éditeur, Bruxelles, 1989, p.102 Fig. F14 http://archleague.org/2010/12/hugh-ferrisss-zoning-envelopedrawings-exhibited-at-annual-exhibition/ Fig. F15 El Croquis n°79, Oma Rem Koolhaas 1992-1996, Madrid, 1996, p.200 Fig. F16 El Croquis n°79, Oma Rem Koolhaas 1992-1996, Madrid, 1996, p.200 Fig. F17 El Croquis n°79, Oma Rem Koolhaas 1992-1996, Madrid, 1996, p.203 Fig. F18 Doc. pers. Fig. F19 El Croquis n°79, Oma Rem Koolhaas 1992-1996, Madrid, 1996, p.201-202 Fig. F20 Doc. pers. Fig. F21 http://htcexperiments.files.wordpress.com/2009/09/campusmartius.png

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Conclusion Fig.1 Doc. pers. Fig.2 Doc. pers Annexe Toutes les axonométries sont des documents personnels faits dans le cadre de ce travail de fin d’études Fig.1 El Croquis n°111, MVRDV 1997-2002, Madrid, 2002, p.125 Fig.2 http://www.neutelings-riedijk.com/index.php?id=14,57,0,0,1,0 Fig.3 Doc. pers. Fig.4 http://www.telegraph.co.uk/culture/culturepicturegalleries/8650457/The -2011-RIBA-Stirling-Prize-for-architecture-shortlist-and-previouswinners.html?image=16 Fig.5 El Croquis n°111, MVRDV 1997-2002, Madrid, 2002, p.223 Fig.6 Doc. pers. Fig.7 http://www.flickr.com/photos/javier1949/ Fig.8 http://openbuildings.com/buildings/ontario-college-of-art-and-designprofile-33/media Fig.9 http://prsarahevans.com/zaha-hadid-most-futuristic-architectureprojects/phaeno-science-centre-6/ Fig.10 http://www.locclic.com/guide-vacances/category/monumentshistorique Fig.11 http://www.cyberarchi.com/dossier/index.php?dossier=75&article= 10586&photo=6 Fig.12 http://www.flickr.com/photos/estherlairlandesa/4524344494/in/ photostream/ Fig.13 http://www.archdaily.com/225155/yenikapi-transfer-point-andarchaeo-park-area-mecanoo/ Fig.14 http://jdsa.eu/bar/ Fig.15 http://www.tschapeller.com/de/#!/wu-wien Fig.16 http://www.evolo.us/architecture/the-infinite-space-stockholm-publiclibrary-bundi-pradono-architects/ Fig.17 http://misfitsarchitecture.com/2013/02/12/the-things-architects-do-no2-sanaa/ Fig.18 http://www.archdaily.com/tag/josep-lluis-mateo/ Fig.19 Doc. pers. Fig.20 http://www.archdaily.com/22466/market-hall-in-rotterdammvrdv/569966445_market-hall-rotterdam-6/

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Annexe


MVRDV, FLYING VILLAGE, VIENNE, 1999


NEUTELINGS RIEDIJK, CONCERT HALL, BRUGGE, 1999


DE ARCHITEKTEN CIE., THE WHALE, AMSTERDAL, 2000


WILL ALSOP, PECKHAM LIBRARY, LONDON, 2000


MVRDV, FONDATION FRANCOIS PINAULT, PARIS, 2001


WILL ALSOP, URBAN ENTERTAINMENT CENTRE, ALMERE, 2003


HERZOG & DEMEURON, FORUM 2004, BARCELONE, 2004


WILL ALSOP, SHARP CENTRE FOR DESIGN, TORONTO, 2004


ZAHA HADID, PHANEO MUSEUM, WOLFSBURG, 2005


JEAN NOUVEL, MUSEE DU QUAI BRANLY, PARIS, 2006


JACQUES FERRIER, TOUR PHARE, PARIS, 2006


HERZOG & DEMEURON, CAIXAFORUM, MADRID, 2007


MECANOO, YENIKAPI TRANSFER POINT, ISTANBUL, 2007


JDS, ENCANTS MARKET, BARCELONE, 2008


WOLFLANG TSCHAPELLER, SCIENCE PROMOTION CENTRE, VIENNE, 2010


BUDI PRADONO, PUBLIC LIBRARY, STOCKHOLM, 2011


SANAA, 140 LOGEMENTS A PARIS, PARIS, 2011


MATEO ARQUITECTURA, CENTRO CULTURAL CASTELO BRANCO, 2013


DECKERS, GWIZDALA, MADE IN BASEL PAVILION, BALE, 2013


MVRDV, MARKET HALL, ROTTERDAM, 2014



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