WHAT HAPPENS
WHEN YOU PULL THE TRIGGER?
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4 5 Ken Kesey
How can you explain that you love something, or someone.
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“Is photography or slow movie the way to find ancient memories or present desires ?” Wim Wenders
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L’enfance sillonne notre personne et pourtant on n’en a que des souvenirs flous, des bribes d’événements difficilement restituables dans le temps et probablement modifiés plus d’une fois par notre esprit. Une voiture, une action, un visage, une ambiance, un objet, une odeur, une lumière. Le fonctionnement de notre mémoire est assez mystérieux. Le fondement de qui nous sommes et de ce vers quoi l’on aspire dépend d’un moment qui nous échappe. On se projette vers le futur sans savoir ce qui nous attend et on se base sur un passé dispersé et fragmenté. Lorsqu’on est enfant tout ce passe dans le ressenti et dans des choses très primaires. On prends un objet on le bouge, on l’observe, on le lance, on le met dans sa bouche. Avant de comprendre quelque chose on l’absorbe. Cela me fait penser à une interview de l’écrivain Maurice Sendak où il raconte avoir reçu une lettre de la mère d’un fan à qui Sendak avait répondu. L’enfant était si heureux d’avoir une réponse de Maurice Sendak qu’il mangea la lettre. On ne pourrait pas faire un ressenti plus juste à mon sens.
de cet ailleurs qui était à la fois exotique et familier; la lumière fascinante de la côte Ouest, les palmiers, l’architecture, les gens, les routes, le brouillard ainsi que plus généralement tout ce qui traversait mon chemin. C’était une façon de renouer avec un lieu et une maison que je n’avais pas eu le temps de saluer car je n’avais pas compris à mon jeun âge ce que signifiait un départ. La photographie était donc mon échappatoire me permettant de recréer mon histoire à travers une collection d’images personnelles pour tenter de combler un vide ainsi que d’essayer de comprendre mes origines d’une manière qui m’était propre.
Freud établit la pulsion comme l’un des fondements de la psychanalyse. La pulsion est définie par Freud comme une poussée constante et motrice qui vise à une satisfaction et qui est le moyen initial de cette satisfaction. Appelée « processus dynamique » , elle est dotée de quatre caractéristiques dont le quatrième, son but qui est, in fine, « toujours la satisfaction d’un désir qui ne peut être obtenue qu’en supprimant l’état d’excitation à la source de la pulsion» . Je pense que les artistes sont particulièrement poussés par ces pulsions parfois primitives pour comprendre qui nous sommes, d’où nous venons. Tenter de retrouver l’essence d’une chose, la beauté de la spontanéité et de la découverte. Personnellement, ce qui m’a guidé vers l’art était dirigé par des pulsions venant du passé. La quête de mes racines et d’une époque idéalisée, l’enfance.
Contempler une femme de cirque s’élancer dans les airs, les projecteurs faisant scintiller sa tenue, une pluie d’éclats et de mouvements, des choses simples et belles comme celle-ci sont fascinante. La grandeur et la beauté d’une chose m’intéressaient. Contempler un paysage qui défile à travers la vitre arrière d’une voiture pendant des heures. Observer un avion transporter des personnes quelque part, où ? A quoi pensent ces gens ? Dans quel but vont-ils là-bas ? Cette idée de penser à l’invisible appartenant au domaine des songes. Comme l’a dit Jean-Luc Godard, « les images se font quand on ne les voit pas. »
Mes parents archivaient leur quotidien et l’Amérique avec leur appareil photo toujours à portée de main. Mon père m’a offert mon premier appareil photographique lorsque j’avais environ onze ans. C’était pendant les grandes vacances d’été. A l’époque mon père m’envoyait le plus souvent possible en Californie pour rester connecter avec l’environnement dans lequel j’ai grandi jusqu’à l’âge de sept ans. Le retour de mes parents vers l’Europe ayant été difficile pour nous et assez abrupt je suis restée très connectée avec ce que j’avais connu là-bas pendant mon enfance.
Enfant, j’observais les choses mais ne me préoccupais pas d’analyser la situation, d’en donner une explication, seulement la ressentir, voir ce qu’elle provoque, à quoi je l’associe, comment je l’interprète, sur quoi je rebondis. Je recherchais des ambiances et je pense que c’est aussi comme cela lorsque l’on travail un projet artistique.
Dans les pages et chapitres qui vont suivre je m’intéresse donc comme cité précédemment à ce qui a développé durant ces années mon processus créatif, à toutes les notions qui m’ont inspirées et font parties de mon imaginaire et à la construction de mon travail ainsi que de ma pensée, mêlant textes et images ainsi que des collections d’inspirations multiples qui apparaissent parfois sous forment de fragments.
J’ai donc commencé à utiliser le medium de la photographie comme moyen de conserver tout ce qui m’entourait, d’archiver mon Eldorado, la Californie. Les paysages américains, les slogans, l’architecture et tout ce qui me fascinait 10
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“In New York I spend most of my morning talking on the phone to one B or another. I call it ‘checking-in’. I like to hear about everything the B did since the morning before. I ask about all the places I didn’t go and all the people I didn’t see. Even if a B accompanied me to a party or a club the night before I ask what happened because I may have missed something on the other side of the room. If I didn’t miss it, I forgot it. I have no memory. Every day is a new day because I don’t remember the day before. Every minute is like the first minute of my life. I try to remember but I can’t. That’s why I got married—to my tape recorder. That’s why I seek out people with minds like tape recorders to be with. My mind is like a tape recorder with one button—Erase. If I wake up too early to check in with anyone, I kill time by watching TV and washing my underwear. Maybe the reason my memory is so bad is that I always do at least two things at once. It’s easier to forget something you only half-did or quarter-did.” The Philosophy of Andy Warhol, Chapter 14.
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Taxi Driver, Martin Scorsese, 1976
Enfant, j’ai été scolarisée dans les écoles Rudolf Steiner, des établissements dont les fondements se basent également sur des choses assez idéalisées et enchanteresses. Nous avions des règles précises à suivre, c’était une communauté particulière. Pas de télévision, pas de journaux, pas de vêtements mettant en avant un logo, un slogan ou une image. Nous vivions de choses très simples. Des voyages de classe en botanique pour étudier les plantes ou à la ferme pour découvrir et apprendre des choses basiques : faire du pain, traire les vaches, préparer le sol pour le cultiver, sculpter le bois et bien plus. Des cours d’eurythmie une sorte de danse méditative pour se concentrer sur notre intérieur, des cours de poésies ou d’ateliers divers et variés tous plus riches les uns que les autres pour les enfants. Je n’avais donc pas accès comme aujourd’hui ou comme d’autres jeunes Américains de mon âge aux flux visuels de la télévision ou autre.
When the Sun Rose, Barbara Helen Berger
Mon imaginaire s’est donc principalement développé premièrement par ce qu’on y faisait, des choses du quotidien et les lectures pour enfant. Lorsqu’on me lisait des histoires toutes sorte d’images naissaient, aussi belles que violentes, qu’étranges ou drôles et je pense que c’est là que mon désir d’évasion, de la beauté des couleurs, de l’imaginaire et de la narration est né. Je pense qu’une chose si simple comme ces livres ont ouvert mon imaginaire très tôt. Des visions inspirées de choses préexistantes que l’esprit re-manipule pour se l’approprier et créer son propre univers. Ma première base de référence d’images étaient donc ces livres qui étaient mon tremplin vers un ailleurs.
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Liza Lou, Mercer Mayer
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Chien Bleu, Nadja
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Perlette, Goutte d’eau Père Castor
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The Story of Little Black Sambo Helen Bannerman
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The Maggie B. Irene Haas
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Master Elk and the Mountain Lion Jonathan London
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Nouvelles aventures de Petit Tigre, Editions des deux coqs d’or
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Les derniers GĂŠants Francois Place
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L’AILLEURS
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“I almost wish we were butterflies and liv’d but three summer days” John Keats, Bright Star
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Image: Alex Katz
Certains artistes ont représenté l’ailleurs sans jamais y être allé, comme Le Douanier Rousseau, qui peignait des paysages de jungle sans jamais avoir quitté la France.
dans la présence, d’imaginaire dans le réel, qui nous fait aimer les photographies et leur donne toute leur aura: unique apparition d’un lointain, si proche soit-il. » DUBOIS Philippe, L’acte photographique et autres essais, Bruxelles, Édition Labor-Nathan 1992.
Le goût de l’ailleurs ne date pas d’aujourd’hui. Il remonte aux grandes expéditions et à l’histoire de la colonisation. Dès le XVe siècle, des objets rapportés d’Afrique ou d’Amérique se sont retrouvés dans les cabinets de curiosités des princes et érudits européens. Le siècle des Lumières leur apportera une crédibilité scientifique. À la seconde moitié du XIXe siècle, apparaissent les premiers musées ethnographiques et les expositions universelles. Par exemple, l’ouverture du Japon au commerce international entraîne l’afflux de paravents, porcelaines etc., élargissant ainsi un horizon vers lequel les artistes s’engouffrent. Monet, Rodin, ou Van Gogh se mettent à collectionner les estampes, s’en inspirent pour leurs recherches esthétiques. Catherine Grenier (directrice de la Fondation Giacometti) explique que « cette vague japoniste, a conditionné l’émergence de la modernité, le décloisonnement du regard. On puisait ses sources non plus seulement dans la génération précédente, mais aussi dans les continents lointains. »
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L’ailleurs est une source d’inspiration pour beaucoup d’artistes. « On peut envisager différentes catégories de l’ailleurs: l’ailleurs géographique connu ou non-connu, l’ailleurs imaginé, projeté, fantasmé. L’ailleurs est multiple et complexe. Il est à la fois ce qui fuit en permanence et nous échappe, dans la mesure où l’ailleurs est toujours là où l’on n’est pas, mais il est aussi l’endroit où l’on se rend, dans lequel on voyage, qu’on explore. » BERTHET Dominique, Visions de l’ailleurs, Paris, Harmattan, 2009 La photographie s’y associe de deux manières. Premièrement parce qu’elle est profondément liée aux voyages d’exploration, dont l’essor a eu lieu durant la seconde moitié du XIXe siècle. Elle y a joué un rôle fondamental dans l’accès visuel aux territoires inconnus et aux régions extrêmes du globe. Elle a contribué à rendre compte de ce qu’était l’ailleurs. Deuxièmement parce qu’elle était considérée comme étant le médium le plus direct pour exposer la réalité. La photographie montrait « la vérité nue » : « Son ambition s’est bornée à dresser un procès-verbal et à transcrire un pays […]. Là ni fantaisie ni supercherie, la vérité nue. » (Revue La Lumière, 12 juin 1852). Or, nous savons aujourd’hui que cette idée de vérité est une utopie. Par définition, la photographie ne montre qu’un extrait de la réalité, qu’une portion de temps et d’espace très subjective. Aussi permet-elle de s’évader, de rêver, car le manque sollicite l’imaginaire du spectateur. « C’est cette hantise, faite de distance dans la proximité, d’absence 62
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I was always leaving, I was about to get up and go, I was on my way, not sure where. Somewhere else. Not here. Nothing here was good enough. Jean Nordhaus
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Après Josef Albers et Daniel Buren, Hermès a fait appel au photographe japonais Hiroshi Sugimoto pour la troisième édition spéciale de son célèbre carré de soie. Le projet s’appelle « Couleurs de l’ombre » , mais présente au contraire des rouges, jaunes, verts et bleus éclatants qui s’impriment sur ces carrés de soie de 140 centimètres de côté. Des couleurs issues de clichés pris par Hiroshi Sugimoto dans son atelier tokyoïte au petit matin, la lumière se réfléchissant sur un prisme de cristal : « Je voyais un arc-en-ciel se former, j’ai donc pris en photo des détails du spectre avec un Polaroid. » Un format « qui est comme une espèce en voie de disparition » et qui a été zoomé et travaillé dans les ateliers lyonnais de soieries Hermès pour obtenir le parfait twill, la technique de tissage des carrés. On retrouve donc vingt modèles édités en sept exemplaires chacun. Hiroshi Sugimoto est l’un des premiers photographes que j’ai découvert étant plus jeune et qui m’a marqué. On retrouve dans son travail l’idée de la contemplation, de l’onirisme et du temps qui passe. Cette série pour Hermès me fait penser en quelque sorte à son travail « Seascapes », des images en noir et blanc prises à travers le monde et toujours de la même façon avec des aplats de noirs, de gris et de blanc rendant une image presque abstraite faisant penser à une toile de Rothko. L’idée du changement de support pour un tirage photographique, mêlant la mode à l’art est je trouve toujours intéressant. « I’m trying to express the concept of natural light wrapped in natural color » , a expliqué Sugimito. Le processus a duré deux ans pour être réalisé pour la marque. À premier abord l’oeuvre touche au beau et peut être vu comme de simples assemblages de couleurs, mais lorsque l’on connaît le processus c’est beaucoup plus prenant. C’est l’étude de la lumière par fragments à travers un prisme dans la chambre de l’artiste à différentes heures de la journée, saisie avec un Polaroid, outil presque désuet, qui s’efface avec l’ère du numérique. On retrouve sa marque de fabrique, cette perfection de la lumière et de la composition faisant un clin d’oeil à Isaac Newton dont il s’est inspiré, qui au 18è siècle est le premier à avoir étudié la lumière et la couleur de cette façon. Lorsque nous observons ces foulards ou les Polaroids de l’artiste il y a, je trouve, une sorte de fascination envers la couleur et le processus pour obtenir ces tirages. Aujourd’hui avec un ordinateur nous pouvons obtenir ce que nous souhaitons, mais c’est très différent quand on pense que les couleurs des foulards proviennent de la nature, de la lumière blanche du matin pendant l’hiver à Tokyo, quand le ciel est presque translucide à cause de la forte pression à 70
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l’Ouest et la basse pression à l’Est. Que nous puissions obtenir ces couleurs par la nature elle-même est un processus très beau et simple. « En regardant ces photographies c’est comme si toutes les planètes du système solaire étaient venu nous rendre visite au même moment, » a raconté l’artiste lors d’une interview. C’est à la fois du domaine du beau et du contemplatif et d’’autre part un projet dont le concept est simple et fort.
L’île des morts 1880, d’Arnold Böcklin, faisant partie d’une série de cinq tableaux datant d’entre 1880 et 1886, m’a toujours intriguée et beaucoup plu. Celui-ci représente une île au coucher du soleil, vers laquelle se dirige une embarcation conduite par Charon, le guide des morts. À ses côtés dans le bateau, un défunt debout, dans son linceul, regarde vers la crique dans laquelle va entrer la barque. Sur l’île, une cour dans l’ombre, des rochers escarpés et de hauts cyprès donnent à l’ambiance un parfum de solitude. On lui demande pour cette commande « un tableau propice à la rêverie » . 72
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California Poem There’s trouble on the mountain And the valley’s full of smoke There’s crying on the mountain And again the same heart broke. The lights are on past midnite The curtains closed all day There’s trouble on the mountain The valley people say. Johnny Cash 13
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Study of negro, Theodore Chasseriau
« Comme beaucoup de problèmes psychologiques, les recherches sur l’imagination sont troublées par la fausse lumière de l’étymologie. On veut toujours que l’imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. S’il n’y a pas changement d’images, union inattendue des images, il n’y a pas imagination, il n’y a pas d’action imaginante. Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d’images aberrantes, une explosion d’images, il n’y a pas imagination. Il y a perception, souvenir d’une perception, mémoire familière, habitude des couleurs et des formes.
la poussée qui nous ébranle, qui met en marche la rêverie salutaire, la rêverie vraiment dynamique. Si l’image initiale est bien choisie, elle se révèle comme une impulsion à un rêve poétique bien défini, à une vie imaginaire qui aura de véritables lois d’images successives, un véritable sens vital.» Gaston Bachelard, L’Air et les Songes, essai sur l’imagination du mouvement, 1943.
La valeur d’une image se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire. Grâce à l’imaginaire, l’imagination est essentiellement ouverte, évasive. Elle est dans le psychisme humain l’expérience même de l’ouverture, l’expérience même de la nouveauté. Plus que toute autre puissance, elle spécifie le psychisme humain. Comme le proclame Blake : « L’imagination n’est pas un état, c’est l’existence humaine elle-même. À propos de toute image qui nous frappe, nous devons nous demander: quelle est la fougue linguistique que cette image décroche en nous ? comment la désancrons-nous du fond trop stable de nos souvenirs familiers. Pour bien sentir le rôle imaginant du langage, il faut patiemment chercher, à propos de tous les mots, les désirs d’altérité, les désirs de double sens, les désirs de métaphore.
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D’une manière plus générale, il faut recenser tous les désirs de quitter ce qu’on voit et ce qu’on dit en faveur de ce qu’on imagine. On aura chance ainsi de rendre à l’imagination son rôle de séduction. Par l’imagination nous abandonnons le cours ordinaire des choses, percevoir et imaginer sont aussi antithétiques que présence et absence. Imaginer c’est s’absenter, c’est s’élancer vers une vie nouvelle. Souvent cette absence est sans loi, cet élan est sans persévérance. La rêverie se contente de nous transporter ailleurs sans que nous puissions vraiment vivre toutes les images du parcours. Le rêveur s’en va à la dérive. Un vrai poète ne se satisfait pas de cette imagination évasive. Il veut que l’imagination soit un voyage. Chaque poète nous doit donc son invitation au voyage. Par cette invitation, nous recevons, en notre être intime, une douce poussée, 78
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En parlant d’ailleurs, Alex Katz a également été une inspiration et une découverte importante. Katz, est un artiste figuratif américain né dans les années 1930 au début de la Grand Dépression. Il est associé au mouvement du Pop art, mais il s’est toujours tenu à l’écart de celui-ci. Sa mère était actrice portant un grand intérêt pour la poésie et son père était un businessman. Alex Katz est particulièrement connu pour ses peintures, sculptures ainsi qu’impressions. C’est The Black Dress, portrait de sa femme Ada, au commencement des années 1960 qui a marqué le début de sa notoriété. J’ai découvert la peinture d’Alex Katz il y a environ cinq ans, via une exposition à Paris présentant quelques uns de ses portraits. Au premier abord je ne percevais pas très bien son langage. Je ne trouvais pas un grand intérêt à ses toiles présentant des portraits sur fonds de couleur unie, comme si tout relief avait été effacé et dont les visages ressemblaient à des tentatives de représentations réalistes dessinées sans doute d’après une photographie de la personne en question. Quelques temps après je me suis penchée à nouveau sur son travail. J’en ai découvert une autre facette et une toute autre approche, subtile et descriptive. Il s’agissait d’histoires que je voyais, des moments figés dont je voulais faire partie et qui étaient beaucoup plus que de simples portraits plastiques. Des paysages américains de nuit ou de jour, des fleurs colorées, des personnes s’amusant au bord de mer ou dans un paysage de campagne, des visages ou atmosphères intrigantes et légères, des couleurs vives comme des pastels, une atmosphère presque palpable relatant le quotidien ou une certaine banalité avec une ambiance comme on pourrait la retrouver dans les oeuvres de David Hockney ou de Edward Hopper dans un autre genre de peinture.
que l’on observe dans la photographie du XXè. L’artiste sera influencé dans les années 1960 par l’image cinématographique, la publicité sur les billboards ainsi que par la télévision. Alex Katz commence à peindre en grand format et rogne dans ses portraits en réalisant des gros plans. Ses portraits rappellent ce que l’on pourrait observer en photographie dans le travail de Martin Schoeller et son esthétique à la fois neutre et plastique, Garry Winogrand, Richard Avedon et Germaine Krull avec les expressions des modèles ainsi que certains cadrages, Erwan Frontin et ses natures mortes florales colorées ou encore Vivian Maier et Robert Doisneau et leurs clichés de scènes du quotidien; tous dans des genres très différents, mais où l’on retrouve soit dans une atmosphère ou dans une composition, soit dans une expression ou un mouvement, ou tout simplement des détails stylistiques des points et ancrages similaires intimement liés aux images du peintre américain. “Rather than observing a scene from afar, the viewer feels enveloped by nearby nature. Katz began each of these canvases with “an idea of the landscape, a conception,” trying to find the image in nature afterwards» (extrait d’un texte biographique sur le site de l’artiste) où ici on évoque donc ce réalisme visible à un moment donné dans la nature, rejoignant ainsi également l’univers photographique. Toutes sources d’images deviennent un même groupe s’inspirant entre elles, illustrations, gravures, billboards, publicité, cinéma etc. La simplicité et naïveté de son travail sont attirantes ; on pénètre dans ses paysages et ses dessins comme si on voulait s’y introduire et en voir plus.
Leur travail va lui aussi vers une approche photographique avec immobilité, et empreint d’une sorte de mélancolie, du vide ou de solitude et de naïveté. On retrouve dans le travail d’Alex Katz des lumières semblables à celles que l’on pourrait associer aux images de Joël Meyerowitz dans ses paysages ou plus précisément dans son livre Cape Light, par exemple. On retrouve par ailleurs dans le descriptif biographique de son site internet un passage évoquant justement ces lumières diurnes puis nocturnes qu’il travaille: “In 1986, Katz began painting a series of night pictures, a sharp departure from the sunlit landscapes he had previously painted, forcing him to explore a new type of light. Variations on the theme of light falling through branches appear in Katz’s work throughout the 1990s and into the 21st century.” Son étude de la lumière dans la peinture prends un aspect semblable à celle 82
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Blaise Cendrars Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France En ce temps-là j’étais en mon adolescence J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours Car mon adolescence était si ardente et si folle Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple d’Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou Quand le soleil se couche. Et mes yeux éclairaient des voies anciennes. Et j’étais déjà si mauvais poète Que je ne savais pas aller jusqu’au bout. Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare Croustillé d’or, Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches Et l’or mielleux des cloches… Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode J’avais soif Et je déchiffrais des caractères cunéiformes Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s’envolaient sur la place Et mes mains s’envolaient aussi, avec des bruissements d’albatros Et ceci, c’était les dernières réminiscences du dernier jour Du tout dernier voyage Et de la mer.
J’aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaives Et j’aurais voulu broyer tous les os Et arracher toutes les langues Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m’affolent… Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe… Et le soleil était une mauvaise plaie Qui s’ouvrait comme un brasier. En ce temps-là j’étais en mon adolescence J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance J’étais à Moscou, où je voulais me nourrir de flammes Et je n’avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux En Sibérie tonnait le canon, c’était la guerre La faim le froid la peste le choléra Et les eaux limoneuses de l’Amour charriaient des millions de charognes. Dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets Et les soldats qui s’en allaient auraient bien voulu rester… Un vieux moine me chantait la légende de Novgorode.
Pourtant, j’étais fort mauvais poète. Je ne savais pas aller jusqu’au bout. J’avais faim Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres J’aurais voulu les boire et les casser Et toutes les vitrines et toutes les rues Et toutes les maisons et toutes les vies Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés
Moi, le mauvais poète qui ne voulais aller nulle part, je pouvais aller partout Et aussi les marchands avaient encore assez d’argent Pour aller tenter faire fortune. Leur train partait tous les vendredis matin. On disait qu’il y avait beaucoup de morts. L’un emportait cent caisses de réveils et de coucous de la Forêt-Noire Un autre, des boîtes à chapeaux, des cylindres et un assortiment de tire-bouchons de Sheffield Un autre, des cercueils de Malmoë remplis de boîtes de conserve et de sardines à l’huile Puis il y avait beaucoup de femmes Des femmes, des entre-jambes à louer qui pouvaient aussi servir De cercueils Elles étaient toutes patentées On disait qu’il y avait beaucoup de morts là-bas Elles voyageaient à prix réduits Et avaient toutes un compte-courant à la banque. Or, un vendredi matin, ce fut enfin mon tour
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On était en décembre Et je partis moi aussi pour accompagner le voyageur en bijouterie qui se rendait à Kharbine Nous avions deux coupés dans l’express et 34 coffres de joaillerie de Pforzheim De la camelote allemande “Made in Germany” Il m’avait habillé de neuf, et en montant dans le train j’avais perdu un bouton – Je m’en souviens, je m’en souviens, j’y ai souvent pensé depuis – Je couchais sur les coffres et j’étais tout heureux de pouvoir jouer avec le browning nickelé qu’il m’avait aussi donné J’étais très heureux insouciant Je croyais jouer aux brigands Nous avions volé le trésor de Golconde Et nous allions, grâce au transsibérien, le cacher de l’autre côté du monde Je devais le défendre contre les voleurs de l’Oural qui avaient attaqué les saltimbanques de Jules Verne Contre les khoungouzes, les boxers de la Chine Et les enragés petits mongols du Grand-Lama Alibaba et les quarante voleurs Et les fidèles du terrible Vieux de la montagne Et surtout, contre les plus modernes Les rats d’hôtel Et les spécialistes des express internationaux. Et pourtant, et pourtant J’étais triste comme un enfant. Les rythmes du train La “moëlle chemin-de-fer” des psychiatres américains Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés Le ferlin d’or de mon avenir Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment d’à côté L’épatante présence de Jeanne L’homme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et qui me regardait en passant Froissis de femmes Et le sifflement de la vapeur Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel Les vitres sont givrées Pas de nature! 88
Et derrière les plaines sibériennes, le ciel bas et les grandes ombres des Taciturnes qui montent et qui descendent Je suis couché dans un plaid Bariolé Comme ma vie Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle Écossais Et l’Europe tout entière aperçue au coupe-vent d’un express à toute vapeur N’est pas plus riche que ma vie Ma pauvre vie Ce châle Effiloché sur des coffres remplis d’or Avec lesquels je roule Que je rêve Que je fume Et la seule flamme de l’univers Est une pauvre pensée… Du fond de mon cœur des larmes me viennent Si je pense, Amour, à ma maîtresse; Elle n’est qu’une enfant, que je trouvai ainsi Pâle, immaculée, au fond d’un bordel. Ce n’est qu’une enfant, blonde, rieuse et triste, Elle ne sourit pas et ne pleure jamais; Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire, Tremble un doux lys d’argent, la fleur du poète. Elle est douce et muette, sans aucun reproche, Avec un long tressaillement à votre approche; Mais quand moi je lui viens, de-ci, de-là, de fête, Elle fait un pas, puis ferme les yeux – et fait un pas. Car elle est mon amour, et les autres femmes N’ont que des robes d’or sur de grands corps de flammes, Ma pauvre amie est si esseulée, Elle est toute nue, n’a pas de corps – elle est trop pauvre. Elle n’est qu’une fleur candide, fluette, La fleur du poète, un pauvre lys d’argent, Tout froid, tout seul, et déjà si fané 89
Que les larmes me viennent si je pense à son cœur. Et cette nuit est pareille à cent mille autres quand un train file dans la nuit —Les comètes tombent — Et que l’homme et la femme, même jeunes, s’amusent à faire l’amour.
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Le ciel est comme la tente déchirée d’un cirque pauvre dans un petit village de pêcheurs En Flandres Le soleil est un fumeux quinquet Et tout au haut d’un trapèze une femme fait la lune. La clarinette le piston une flûte aigre et un mauvais tambour Et voici mon berceau Mon berceau Il était toujours près du piano quand ma mère comme Madame Bovary jouait les sonates de Beethoven J’ai passé mon enfance dans les jardins suspendus de Babylone Et l’école buissonnière, dans les gares devant les trains en partance Maintenant, j’ai fait courir tous les trains derrière moi Bâle-Tombouctou J’ai aussi joué aux courses à Auteuil et à Longchamp Paris-New York Maintenant, j’ai fait courir tous les trains tout le long de ma vie Madrid-Stockholm Et j’ai perdu tous mes paris Il n’y a plus que la Patagonie, la Patagonie, qui convienne à mon immense tristesse, la Patagonie, et un voyage dans les mers du Sud Je suis en route J’ai toujours été en route Je suis en route avec la petite Jehanne de France. Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues Le train retombe sur ses roues Le train retombe toujours sur toutes ses roues. « Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ? » Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t’a nourrie, du Sacré-Cœur contre lequel tu t’es blottie
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Paris a disparu et son énorme flambée Il n’y a plus que les cendres continues La pluie qui tombe La tourbe qui se gonfle La Sibérie qui tourne Les lourdes nappes de neige qui remontent Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l’air bleui Le train palpite au cœur des horizons plombés Et ton chagrin ricane… « Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? » Les inquiétudes Oublie les inquiétudes Toutes les gares lézardées obliques sur la route Les fils télégraphiques auxquels elles pendent Les poteaux grimaçants qui gesticulent et les étranglent Le monde s’étire s’allonge et se retire comme un accordéon qu’une main sadique tourmente Dans les déchirures du ciel, les locomotives en furie S’enfuient Et dans les trous, Les roues vertigineuses les bouches les voix Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses Les démons sont déchaînés Ferrailles Tout est un faux accord Le broun-roun-roun des roues Chocs Rebondissements Nous sommes un orage sous le crâne d’un sourd…
Fais comme elle, fais ton métier… « Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? » Oui, nous le sommes, nous le sommes Tous les boucs émissaires ont crevé dans ce désert Entends les sonnailles de ce troupeau galeux Tomsk Tchéliabinsk Kainsk Obi Taïchet Verkné Oudinsk Kourgane Samara Pensa-Touloune La mort en Mandchourie Est notre débarcadère est notre dernier repaire Ce voyage est terrible Hier matin Ivan Oulitch avait les cheveux blancs Et Kolia Nicolaï Ivanovitch se ronge les doigts depuis quinze jours… Fais comme elles la Mort la Famine fais ton métier Ça coûte cent sous, en transsibérien, ça coûte cent roubles Enfièvre les banquettes et rougeoie sous la table Le diable est au piano Ses doigts noueux excitent toutes les femmes La Nature Les Gouges Fais ton métier Jusqu’à Kharbine… « Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? »
Mais oui, tu m’énerves, tu le sais bien, nous sommes bien loin La folie surchauffée beugle dans la locomotive La peste le choléra se lèvent comme des braises ardentes sur notre route Nous disparaissons dans la guerre en plein dans un tunnel La faim, la putain, se cramponne aux nuages en débandade Et fiente des batailles en tas puants de morts
Non mais… fiche-moi la paix… laisse-moi tranquille Tu as les hanches angulaires Ton ventre est aigre et tu as la chaude-pisse C’est tout ce que Paris a mis dans ton giron C’est aussi un peu d’âme… car tu es malheureuse J’ai pitié j’ai pitié viens vers moi sur mon cœur Les roues sont les moulins à vent du pays de Cocagne Et les moulins à vent sont les béquilles qu’un mendiant fait tournoyer Nous sommes les culs-de-jatte de l’espace Nous roulons sur nos quatre plaies On nous a rogné les ailes Les ailes de nos sept péchés Et tous les trains sont les bilboquets du diable
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« Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? »
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Manuel Alvarez Bravo
Basse-cour Le monde moderne La vitesse n’y peut mais Le monde moderne Les lointains sont par trop loin Et au bout du voyage c’est terrible d’être un homme avec une femme… « Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ? » J’ai pitié j’ai pitié viens vers moi je vais te conter une histoire Viens dans mon lit Viens sur mon cœur Je vais te conter une histoire… Oh viens! viens! Aux Fidji règne l’éternel printemps La paresse L’amour pâme les couples dans l’herbe haute et la chaude syphilis rôde sous les bananiers Viens dans les îles perdues du Pacifique! Elles ont nom du Phénix, des Marquises Bornéo et Java Et Célèbes a la forme d’un chat. Nous ne pouvons pas aller au Japon Viens au Mexique ! Sur ses hauts plateaux les tulipiers fleurissent Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil On dirait la palette et les pinceaux d’un peintre Des couleurs étourdissantes comme des gongs, Rousseau y a été Il y a ébloui sa vie C’est le pays des oiseaux L’oiseau du paradis, l’oiseau-lyre Le toucan, l’oiseau moqueur Et le colibri niche au cœur des lys noirs Viens! Nous nous aimerons dans les ruines majestueuses d’un temple aztèque Tu seras mon idole Une idole bariolée enfantine un peu laide et bizarrement étrange 96
Oh viens ! Si tu veux nous irons en aéroplane et nous survolerons le pays des mille lacs, Les nuits y sont démesurément longues L’ancêtre préhistorique aura peur de mon moteur J’atterrirai Et je construirai un hangar pour mon avion avec les os fossiles de mammouth Le feu primitif réchauffera notre pauvre amour Samowar Et nous nous aimerons bien bourgeoisement près du pôle Oh viens! Elle dort Et de toutes les heures du monde elle n’en a pas gobé une seule Tous les visages entrevus dans les gares Toutes les horloges L’heure de Paris l’heure de Berlin l’heure de Saint-Pétersbourg et l’heure de toutes les gares Et à Oufa, le visage ensanglanté du canonnier Et le cadran bêtement lumineux de Grodno Et l’avance perpétuelle du train Tous les matins on met les montres à l’heure Le train avance et le soleil retarde Rien n’y fait, j’entends les cloches sonores Le gros bourdon de Notre-Dame La cloche aigrelette du Louvre qui sonna la Barthélemy Les carillons rouillés de Bruges-la-Morte Les sonneries électriques de la bibliothèque de New-York Les campanes de Venise Et les cloches de Moscou, l’horloge de la Porte-Rouge qui me comptait les heures quand j’étais dans un bureau Et mes souvenirs Le train tonne sur les plaques tournantes Le train roule Un gramophone grasseye une marche tzigane Et le monde, comme l’horloge du quartier juif de Prague, tourne éperdument à rebours. Effeuille la rose des vents Voici que bruissent les orages déchaînés 97
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Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés Bilboquets diaboliques Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais D’autres se perdent en route Les chefs de gare jouent aux échecs Tric-trac Billard Caramboles Paraboles La voie ferrée est une nouvelle géométrie Syracuse Archimède Et les soldats qui l’égorgèrent Et les galères Et les vaisseaux Et les engins prodigieux qu’il inventa Et toutes les tueries L’histoire antique L’histoire moderne Les tourbillons Les naufrages Même celui du Titanic que j’ai lu dans le journal Autant d’images-associations que je ne peux pas développer dans mes vers Car je suis encore fort mauvais poète Car l’univers me déborde Car j’ai négligé de m’assurer contre les accidents de chemin de fer Car je ne sais pas aller jusqu’au bout Et j’ai peur. J’ai peur Je ne sais pas aller jusqu’au bout Comme mon ami Chagall je pourrais faire une série de tableaux déments Mais je n’ai pas pris de notes en voyage “Pardonnez-moi mon ignorance “Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers” Comme dit Guillaume Apollinaire Tout ce qui concerne la guerre on peut le lire dans les Mémoires de Kouropatkine Ou dans les journaux japonais qui sont aussi cruellement illustrés À quoi bon me documenter 100
Je m’abandonne Aux sursauts de ma mémoire… À partir d’Irkoutsk le voyage devint beaucoup trop lent Beaucoup trop long Nous étions dans le premier train qui contournait le lac Baïkal On avait orné la locomotive de drapeaux et de lampions Et nous avions quitté la gare aux accents tristes de l’hymne au Tzar. Si j’étais peintre je déverserais beaucoup de rouge, beaucoup de jaune sur la fin de ce voyage Car je crois bien que nous étions tous un peu fous Et qu’un délire immense ensanglantait les faces énervées de mes compagnons de voyage. Comme nous approchions de la Mongolie Qui ronflait comme un incendie Le train avait ralenti son allure Et je percevais dans le grincement perpétuel des roues Les accents fous et les sanglots D’une éternelle liturgie J’ai vu J’ai vu les trains silencieux les trains noirs qui revenaient de l’Extrême-Orient et qui passaient en fantômes Et mon œil, comme le fanal d’arrière, court encore derrière ces trains A Talga 100.000 blessés agonisaient faute de soins J’ai visité les hôpitaux de Krasnoïarsk Et à Khilok nous avons croisé un long convoi de soldats fous J’ai vu, dans les lazarets, des plaies béantes, des blessures qui saignaient à pleines orgues Et les membres amputés dansaient autour ou s’envolaient dans l’air rauque L’incendie était sur toutes les faces, dans tous les cœurs Des doigts idiots tambourinaient sur toutes les vitres Et sous la pression de la peur, les regards crevaient comme des abcès Dans toutes les gares on brûlait tous les wagons Et j’ai vu J’ai vu des trains de 60 locomotives qui s’enfuyaient à toute vapeur pourchassées par les horizons en rut et des bandes de corbeaux qui s’envolaient désespérément après Disparaître 101
Dans la direction de Port-Arthur. C’est la plus belle église du monde J’ai des amis qui m’entourent comme des garde-fous Ils ont peur quand je pars que je ne revienne plus Toutes les femmes que j’ai rencontrées se dressent aux horizons Avec les gestes piteux et les regards tristes des sémaphores sous la pluie Bella, Agnès, Catherine et la mère de mon fils en Italie Et celle, la mère de mon amour en Amérique Il y a des cris de sirène qui me déchirent l’âme Là-bas en Mandchourie un ventre tressaille encore comme dans un accouchement Je voudrais Je voudrais n’avoir jamais fait mes voyages Ce soir un grand amour me tourmente Et malgré moi je pense à la petite Jehanne de France. C’est par un soir de tristesse que j’ai écrit ce poème en son honneur Paris, 1913
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«The Scratch Presse, Blaise Cepis, 2010
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Bernard Plossu
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Matthew Carven
This summer I went swimming, This summer I might have drowned But I held my breath and I kicked my feet And I moved my arms around, I moved my arms around. This summer I swam in the ocean, And I swam in a swimming pool, Salt my wounds, chlorine my eyes, I'm a self-destructive fool, a self-destructive fool. This summer I swam in a public place And a reservoir, to boot, At the latter I was informal, At the former I wore my suit, I wore my swimming suit. This summer I did the backstroke And you know that's not all I did the breast stroke and the butterfly And the old Australian crawl, the old Australian crawl. This summer I did swan dives And jackknifes for you all And once when you weren't looking I did a cannonball, I did a cannonball. The Swimming Song Loudon Wainwright III
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Joel Meyerowitz
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Bertie Van Manen
« Innombrables sont les récits du monde. C’est d’abord une variété prodigieuse de genres, eux-mêmes distribués entre des substances différentes, comme si toute matière était bonne à l’homme pour lui confier ses récits: le récit peut être supporté par le langage articulé, oral ou écrit, par l’image, fixe ou mobile, par le geste et par le mélange ordonné de toutes ces substances ; il est présent dans le mythe, la légende, la fable, le conte, la nouvelle, l’épopée, l’histoire, la tragédie, le drame, la comédie, la pantomime, le tableau peint (que l’on pense à la Sainte- Ursule de Carpaccio), le vitrail, le cinéma, les comics, le fait divers, la conversation. De plus, sous ces formes presque infinies, le récit est présent dans tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les sociétés; le récit commence avec l’histoire même de l’humanité; il n’y a pas, il n’y a jamais eu nulle part aucun peuple sans récit; toutes les classes, tous les groupes humains ont leurs récits, et bien souvent ces récits sont goûtés en commun par des hommes de culture différente, voire opposée 1: le récit se moque de la bonne et de la mauvaise littérature : international, transhistorique, transculturel, le récit est là, comme la vie. » 26
Roland Barthes, Introduction à l’analyse structurale des récits.
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Le labyrinthe est le symbole d’un voyage initiatique, dont le parcours est semé d’embûches et de dangers, parfois même mortels. Le labyrinthe est un édifice très vaste. Il contient une multitude de pièces agencées.
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Dans une interview, Georges Didi-Huberman, philosophe et historien d’art, raconte que lorsqu’on regarde une image on en cherche le symbole, l’histoire. Freud à la fin du 19è siècle découvre l’hystérie et cite que « les hystériques souffrent de réminiscence », le lieu du symptôme se trouve dans la mémoire inconsciente. Cité par Huberman « d’anachronique » dans le mesure où des temporalités différentes jouent ensembles. En parallèle de Freud au même moment tout cela se met également en place chez Aby Warburg par ses analyses. Dans le célèbre tableau de Domenico Ghirlandaio, « Naissance de Saint Jean Baptiste » , le seul personnage qui se distingue des autres dans la fresque est la femme en mouvement à droite, qui fait effraction. Warburg en analysant l’image explique que c’est dans ce dynamisme que se trouve l’effet de mémoire, que c’est dans cette représentation que le temps opère. En effet, cette jeune femme serait une survivance d’un motif de l’antiquité païenne alors que le reste de la scène et le contexte de la toile sont chrétiens. Pour Warburg les différentes temporalités se mélangent et se mettent en place. Il analyse le drapé d’une sculpture antique de N. Dell’Arca en disant que c’est une référence à la sculpture antique que Dell’Arca ne connaissait pas. D’où l’hypothèse d’une mémoire inconsciente. C’est cela qui intéresse Warburg, «non pas le symbole comme clé d’une image, mais quelque chose qui est en mouvement. »
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COOPER Diane, it struck me again earlier this morning, there are two things that continue to trouble me. And I’m speaking now not only as an agent of the Bureau but also as a human being. What really went on between Marilyn Monroe and the Kennedys and who really pulled the trigger on JFK?
COOPER (back to business) Suddenly it was twenty-five years later. I was old sitting in a red room. There was a midget in a red suit and a beautiful young woman who looked exactly like Laura Palmer. The little man told me my favorite gum was coming back in style and didn’t his cousin look exactly like Laura Palmer?
Is this the future or the past ?
COOPER In my dream, Sarah Palmer saw her daughter’s killerc rouched at the foot of her bed. Hawk sketched a picture of the killer. I got a phone call from a one-armed man named Mike. The killer’s name was Bob.
That was a tuna fish sandwich on whole wheat, slice of cherry pie, and a cup of coffee. Damn good food. Diane, if you ever get up this way that cherry pie is worth a stop.
«Mmmm....this must be where pies go when they die....mmm....» Cooper said enjoying the taste. He then looked up at the sheriff.
COOPER You know, this is - excuse me - a damn fine cup of coffee. I’ve had I can’t tell you how many cups of coffee in my life and this, this is one of the best. Now I’d like two eggs over hard. I know, don’t tell me, it’s hard on the arteries, but old habits die hard, just about as hard as I want those eggs.
COOPER The beautiful girl. Sometimes her arms bend back. She’s filled with secrets. Where they’re from birds sing a pretty song and there’s always music in the air. Then the midget did a dance. Laura kissed me on the mouth. And whispered the killer’s name in my ear.
Extraits de Twin Peaks de David Lynch
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D’où venez-vous ? C’est une question tellement simple, mais de nos jours les questions simples appellent souvent des réponses plus compliquées. Les gens me demandent souvent d’où je viens. C’est une réponse qui semble compliquée pour moi car en y réfléchissant j’ai un passeport suisse et un passeport français, mais tout de suite après ma naissance mes parents sont rentrés là où ils vivaient à l’époque c’est à dire en Californie. San Francisco étant le lieu où mes racines ont commencées et d’où je garde les souvenirs les plus chers. Pour moi c’est le lieu où tout a commencé. Hors ce serait faux de dire que je suis américaine puisque je n’ai qu’un visa de touriste lorsque je retourne là-bas. Si d’où nous venons signifie le lieu de naissance alors c’est la France, si c’est là où j’ai grandie et été instruite alors c’est la Californie et la France. Si d’où l’on vient signifie où je vis actuellement et paye mes factures alors c’est la Suisse. Si d’où l’on vient signifie le lieu qui est le plus profondément ancré en nous, ce vers quoi on aspire alors c’est l’Amérique. On pourrait passer toute une vie à récolter des morceaux de plusieurs endroits différents et les assembler en un tout, comme un projet constamment en cours de réalisation avec des mises à jours, améliorations et corrections. La notion de chez soi a en fait moins à voir avec un bout de terrain que d’un bout d’âme. En pensant à la notion de domesticité je pense à mes parents, ma soeur, mon partenaire, mes amis, à des lieux, des chansons ou atmosphères qui voyagent avec moi partout où je me trouve. Il y a ce paradoxe entre ce besoin d’avoir une appartenance à une chose physique alors que dans certaines cultures on pousse l’être humain à trouver sa maison et son lieu de vie à l’intérieur de lui-même. Ce qui serait peut-être en quelque sorte une libération. J’ai toujours eu comme modèle l’exemple de mes parents qui avaient leurs familles en un même lieu de vie, une vraie notion de maison de famille. Ils ont sillonné les Etats-Unis pendant des années pour se baser d’abord à New York puis pour élever des enfants à San Francisco, mais leurs parents, soeurs, frères cousins etc., restaient là où ils avaient passés toutes leur vie depuis l’enfance. Idem pour mes ancêtres avant ca, l’appartenance à un lieu était claire.
dit Marcel Proust « le seul véritable voyage n’est pas d’aller voir de nouveaux paysages, mais de regarder avec d’autres yeux » . Si c’est le cas, même les vieux paysages, notre maison et souvenirs deviennent étrangers, nouveaux ou différents sans la perception et projection habituelle qu’on en a. Beaucoup de gens vivant dans un pays qui n’est pas le leur, sont des réfugiés qui n’ont pas voulu quitter leur maison et brûlent de rentrer chez eux. Mais pour les chanceux parmi nous, l’ère de la mobilité nous apporte de nouvelles possibilités exaltantes. Peut-être que la notion d’où l’on vient est moins importante que d’où l’on va. Les racines sont d’avantage ancrées dans un futur que dans le passé. « Home is the place where you become yourself. » Pico Iyer, essayiste et écrivain né Britannique d’ascendance indienne a questionné cette notion et énonce qu’il est difficile d’avoir des repères en étant en mouvement. Que la clé serait dans une sorte d’apprentissage de méditation où le silence aurait une place. L’idée de bloquer les flux autours de nous pour nous concentrer en nousmême, de réapprendre l’ennui, qui par ailleurs pousse à la créativité. Rester un moment sans rien faire à notre époque semble compliqué, mais en figeant le mouvement il serait plus simple de définir une direction. Je m’étais d’ailleurs penchée pour un projet sur le protocole de « Ganzfeld » signifiant en allemand «champ sensoriel uniforme» qui consiste à mettre une personne dans un état neutre. C’est un protocole utilisé en parapsychologie pour étudier les perceptions extra-sensorielles. Le sujet est allongé, un casque sur les oreils émettant un white noise, une balle de ping pong coupée en deux dont chaque moité est placée sur les yeux du sujet et une lumière rouge diffuse dans la pièce. L’expérience dure environ 30min. Dans cet état la personne peut soit être isolée en elle même soit générer des images proches des hallucinations. Cet effet résulte de l’amplification de l’activité neuronale latente par le cerveau pour remplacer les perceptions disparues.
Aujourd’hui on peut choisir où l’on veut vivre, où on se sentirait chez soi et dans quel endroit on veut façonner notre propre identité. Le nombre de personnes vivant dans un pays qui n’est pas le leur s’élève à 220 millions. Il y a des tribu flottantes. Dans le voyage, les déplacements multiples il y a cet exotisme et ce désir de l’ailleurs qui poussent et éveillent tous nos sens, nous faisans prendre conscience de certains schémas cachés du monde. Comme l’a
La production d’hallucinations par privation sensorielle ou perceptive est constatée depuis longtemps. Les adeptes de Pythagore par exemple se retirent dans des grottes intégralement sombres pour obtenir sagesse à travers leurs visions. Les explorateurs de l’Arctique, qui ne voient rien d’autre qu’un paysage de neige blanche pendant longtemps, constatent également des hallucinations et un état d’esprit altéré, ce qui a par ailleurs aussi inspiré l’artiste américain James Turrell (partiellement inspiré par des ciels bleus) a créer plusieurs œuvres utilisant cet effet, intitulées « Ganzfelds » . Spectateurs de ces oeuvres de Turell, nous percevons plutôt des oeuvres poussant à une forme de méditation, d’atmosphère et de légèreté générale qui nous plonge dans un état nous rapprochant en quelque sorte à notre inconscient.
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Je pense que justement c’est dans une sorte d’inconscient et de subconscient que l’on se rapproche des prémices de notre personne. Le subconscient c’est, comme son nom l’indique encore, tout se qui se place juste « sous » la conscience et qui sont des automatismes acquis. C’est à dire des automatismes que l’on apprend, surtout dans l’enfance. Le contenu du subconscient a passé par la conscience avant de se greffer au niveau de ce qui est inconscient. Il est donc inconscient, mais juste «sous» la conscience, donc «sub» conscient. On peut dire que le subconscient fait partie de l’inconscient parce qu’il n’est pas conscient. Mais certains font une distinction plus nette dans le sens que, pour eux, l’inconscient est inné et ne contient pas d’acquis alors que le subconscient ne contient que l’acquis. J’ai peu de souvenirs, ma mémoire est très fragmentée, je me demande parfois si les souvenirs ou plutôt bribes et flashs qui me viennent ne sont pas faux et simplement inventés par mon esprit vers quelque chose que j’idéalise et souhaite avoir d’une manière précise en moi. C’est pour cette raison que l’art, et plus précisément l’image, a toujours été important. C’est une façon de m’accrocher à quelque chose ou de me rapprocher d’un sentiment familier. Une sorte de conservation par appropriation. D’abord, l’idée du beau m’importait beaucoup, la recherche d’un idéal, d’un échappatoire et d’une quête d’Eldorado. Ensuite c’était l’idée plus générale d’une ambiance, se rapprocher de sentiments ou de situations familières, palpables, mais pas explicables pouvant ressortir et prendre forme seulement par un processus créatif. Puis enfin est venue plutôt l’idée de conserver pour englober une chose, l’analyser sous plusieurs angles et en laisser une trace. J’ai toujours eu une appréhension par rapport à l’idée d’une perte ou d’une disparition. Le médium de la photographie me permettait de me créer un univers en m’attachant autour de quelque chose. C’est une forme d’évasion, mais aussi une manière d’assouvir un besoin de contrôle sur les choses, de sécurité.
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Alejandro Marco Montalvo
“I think the saddest memory is of a kind of light, A kind of twilight, that seemed to permeate the air For a few years after I’d grown up and gone away from home. It was limitless and free. And of course I was going to change, But freedom means that only aspects ever really change, And that as the past recedes and the future floats away You turn into what you are. And so I stayed basically the same As what I’d always been, while the blond light in the trees Became part of my memory, and my voice took on the accents Of a mind infatuated with the rhetoric of farewell.” John Koethe 33
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L’Amérique, Jean Baudrillard
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Now here 38
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He sat down on a grassy bank and looked at the city that surrounded him, and thought, one day he would have to go home. And one day he would have to make a home to go back to. He wondered whether home was a thing that happened to a place after a while, or if it was something that you found in the end, if you simply walked and waited and willed it long enough. Neil Gaiman, American Gods
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Alejandro Marco Montalvo
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Le ciel étoilé de l’oeuvre I Will Keep A Light Burning (IWKALB) sera le ciel visible dans 1000 ans : soit le ciel étoilé du 17 mai 3014. 1000 bougies illuminées au sol, pour les 1000 oeuvres de l’accrochage « Modernités Plurielles » qui traversent le temps comme autant de lumières qui éclairent notre époque. L’installation IWKALB est comme une enseigne intelligente et lumineuse de la richesse des collections du musée, autant de traces en dehors de ce que le musée contient en trésors. Ces 1000 bougies sont à l’image de ce que peut être la force de l’art, une invitation à regarder une image que l’on ne pourra jamais voir de ses propres yeux : un ciel du futur visible maintenant. Renaud Auguste-Dormeuil, I Will Keep a Light Burning, dans le cadre de la Nuit Blanche à Paris. 168
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Far in the pillared dark Thrush music went– Almost like a call to come in To the dark and lament. But no, I was out for stars; I would not come in. I meant not even if asked, And I hadn’t been. Robert Frost, excerpt from “Come In”
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La grande Ours, le soleil et la lune, Corée, XIXè siècle, Musée Guimet, Paris
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Imago Mundi, carte babylonienne, la plus ancienne carte du monde connue, datant du 6ème siècle avant J-C. La carte reconstruite par Eckhard Unger montre Babylone sur l’Euphrate, entourée d’un massif circulaire montrant Assyrie, Urartu (Arménie) et plusieurs villes, entourées à leur tour d’une «rivière amère» (Oceanus), avec sept îles disposées autour pour former une étoile à sept pointes. Le texte d’accompagnement mentionne sept régions extérieures au-delà de l’océan encerclant. Les descriptions de cinq d’entre eux ont survécu: The third island is where «the winged bird ends not his flight,» i.e, cannot reach. On the fourth island «the light is brighter than that of sunset or stars»: it lay in the northwest, and after sunset in summer was practically in semi-obscurity. The fifth island, due north, lay in complete darkness, a land “where one sees nothing,” and “the sun is not visible.” The sixth island, “where a horned bull dwells and attacks the newcomer”. The seventh island lay in the east and is “where the morning dawns.”
Carte de navigation, Îles Marshall, xxè siècle, Musée du Quai Branly, Paris.
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Une planète se dessine en île, une voie lactée en archipel, la lune est nacre et les planètes peuvent se nommer en couleurs. Tout est affaire d’imagination, et c’est toujours un voyage. Les Micronésiens et Polynésiens ont toujours été de bons navigateurs, le savoir des capitaines se substituait à toute instrumentation. Ils maîtrisaient une parfaite connaissance des trajectoires du soleil, des étoiles, des vents, des courants. Ce savoir était transmis en secret d’un maître à son élève choisi dans la parentèle. Les plus connus sont certainement les instructions nautiques des îles Marshall, appelées stick charts. Ces «cartes» très particulières sont constituées de baguettes de bois attachées les unes aux autres; de petits coquillages étant fixés à leur jointure. Les nœuds-coquillages représentent soit des îles, soit des axes des étoiles, et les bâtons, des dungungs, selon les premiers témoignages du Capitaine Winckler qui s’intéressa à ces objets. Ces dungungs marquent l’orientation de la houle. En effet, les phénomènes qui permettent d’aider le navigateur à positionner une île qui n’est pas en vue, sont la réfraction et la réflexion des vagues, cellesci prenant des directions différentes lorsque la houle touche les côtes. Les stick charts renseignaient les navigateurs sur ce point. Les cartes à bâtonnets (stick charts en anglais) sont des cartes nautiques produites par les habitants des îles Marshall afin de se repérer sur l’océan et de rallier les différentes îles du Pacifique. Souvent ces cartes étaient individuelles et donc variaient en forme : le navigateur, celui qui avait réalisé la carte, était la seule personne qui pouvait bien l’interpréter et l’utiliser. L’utilisation des cartes à bâtonnets et de la navigation à l’aide de la houle prit fin après la Seconde Guerre mondiale, lorsque de nouvelles technologies électroniques permirent une navigation plus accessible, et que les voyages entre les îles en canot se firent moins nombreux.
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Be inspired by the flame Where everything shines as it disappears. Rainer Maria Rilke, “Sonnets to Orpheus II, 12� 40
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We
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Somme nous proche de notre conscience ou en sommes nous loin ?
Par besoin de savoir, j’ai vu la nuit créer le jour
Nous vivons dans l’oublis de nos métamorphoses.
Souvent, des inspirations ou des idées viennent de façon disparate sans avoir à se baser sur un concept ou un sujet précis, comme de cadavres exquis. Mélanges entre souvenirs, inspirations présentes et de l’imaginaire, mystérieuses. Une association de choses diverses qui poussent à créer. Jean-Luc Godard disait par exemple que la plupart du temps il cherchait un titre et son scénario en découlait, uniquement inspiré de ces quelques mots pour créer tout une narration. Avec la nouvelle vague c’est toute la grammaire du cinéma qui est remise en question de multiples manières, dans le tournage, le jeu des acteurs, le montage, l’utilisation de la voix off, le rapport à l’autobiographie, la manière de filmer la ville ou les sentiments. Le surréalisme rejoint cette idée de mêler rêves, souvenirs, cauchemars, idéaux etc., à l’art, toutes les forces psychiques (automatisme, rêve, inconscient) libérées du contrôle de la raison. Entre beauté et laideur ils dépeignent des sensations.
Vous n’êtes jamais allée dans les pays extérieurs ? Non Vous mentez ... Répétez après moi. Je suis née à Tokyorama le pays où le soleil se lève, ou alors à Florence... où le ciel est bleu des mers du Sud. Ou Nueva York où l’hiver Broadway scintille sous la neige comme un manteau de fourrure.
Extraits d’Alphaville de Jean-Luc Godard et Anna Karina lisant Capitale de la Douleur de Paul Eluard. 180
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Bruno Requillart
La mythologie a également tenu une place importante dans mon imaginaire. La narration de lieux lointains et mystérieux est une autre invitation au voyage. Le mythe de l’Atlantide reste le plus fascinant depuis mon enfance. Légué par Platon, il est aussi celui du paradis perdu. Une civilisation serait tombée dans les abimes de la terre sous les eaux, une civilisation engloutie 9600 ans avant J-C. « Sous le couvert de la légende y transparaît la structure de l’esprit humain. » Voilà pourquoi, même lorsqu’ils sont fortement identitaires ces mythes ont une portée universelle. Grace aux géologues et au climatologues nous savons aujourd’hui qu’il y eut bien des cataclysmes naturels pouvant s’apparenter au déluge: bouleversements météorologiques, tremblements de terre, éruptions volcaniques, montées des eaux etc. L’autre caractéristique de ces mythes fondateurs est celle de la quête, celle de la civilisation perdue, de l’Eden perdu, de la contrée secrète, de l’objet sacré, de la terre promise. C’est l’Atlantide submergée, le mystérieux labyrinthe du roi Minos, la cité dorée des Incas du Pérou, d’avantage spirituelle que matérielle. Pourtant, à chacun de ces mythes on associe un lieu. Comme pour donner corps à nos songes.
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Daido Moriyama
Do you know where dreams come from ? Acetylcholine neuron fire high voltage impulses into forebrain. These impulses become pictures, These pictures become dream. But no one knows why we choose these particular pictures. 50
Twin Peaks, David Lynch
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LO! Death has reared himself a throne In a strange city lying alone Far down within the dim West, Where the good and the bad and the worst and the best Have gone to their eternal rest. There shrines and palaces and towers (Time-eaten towers that tremble not) Resemble nothing that is ours. Around, by lifting winds forgot, Resignedly beneath the sky The melancholy waters lie. No rays from the holy heaven come down On the long night-time of that town; But light from out the lurid sea Streams up the turrets silently, Gleams up the pinnacles far and free: Up domes, up spires, up kingly halls, Up fanes, up Babylon-like walls, Up shadowy long-forgotten bowers Of sculptured ivy and stone flowers, Up many and many a marvellous shrine Whose wreathëd friezes intertwine The viol, the violet, and the vine. Resignedly beneath the sky The melancholy waters lie. So blend the turrets and shadows there That all seem pendulous in air, While from a proud tower in the town Death looks gigantically down. There open fanes and gaping graves Yawn level with the luminous waves; But not the riches there that lie In each idol’s diamond eye,— Not the gayly-jewelled dead, Tempt the waters from their bed; For no ripples curl, alas, Along that wilderness of glass; 190
Jean Painlevé
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No swellings tell that winds may be Upon some far-off happier sea; No heavings hint that winds have been On seas less hideously serene! But lo, a stir is in the air! The wave—there is a movement there! As if the towers had thrust aside, In slightly sinking, the dull tide; As if their tops had feebly given A void within the filmy Heaven! The waves have now a redder glow, The hours are breathing faint and low; And when, amid no earthly moans, Down, down that town shall settle hence, Hell, rising from a thousand thrones, Shall do it reverence. The City in the Sea By Edgar Allan Poe
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Alicja Kwade, « Gegenwartsdauer » (faisant parti de ces termes allemands intraduisibles en termes précis combinant plusieurs significations, mais « temps présent » serait une définition). Pour Alicja Kwade, le terme est envisagé a priori dans son acception la plus scientifique. La durée du présent est définie par des normes internationales: c’est une fraction de seconde infiniment petite, imperceptible et fugitive. Avant celleci, c’est déjà le passé et après, c’est déjà le futur. J’ai découvert ce projet à la galerie Kamel Mennour à Paris en 2013. Cette oeuvre présente deux tonnes de bouts de palmiers fossilisés vieux de 65 millions d’années. Ils sont disposés dans une salle de la galerie, posés sur le sol et disposés par taille dans des teintes grises et brunes. L’artiste a récupéré et mis en morceaux des palmiers venant d’Alexandrie quand le désert était encore une forêt, avant qu’un astéroïde ne s’écrase sur la Terre, mettant fin à l’ère Crétacé. Dans une interview l’artiste dit que ce qui l’intéresse également c’est cette idée que ces fossiles sont à la fois « a stone but it’s a tree. Why reality is a reality and when does it begin ? When does it end ? What is present, what is past what is future ? Present is like 3 seconds and that is what present for us is ». L’idée du temps, de la transformation des choses, de la trace ainsi que du sens marquent son oeuvre et traite de quelque chose qui nous fascine tous et nous dépasse. Galerie Kamel Mennour, Paris
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grass
Why
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the
green?
Au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris au cours de l’exposition « Magie, Anges et Demons dans le judaïsme », j’ai découvert une bague ornée d’une maison, ce sont des bagues de fiançailles traditionnelle Juive.
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Habiter le Campement, Cité de l’architecture à Paris
Avant même de penser à l’architecture, c’est la question de demeurer qui se pose. A la Cité de l’Architecture à Paris, j’ai récemment vu l’exposition « Habiter le Campement », celle-ci interroge le rapport entre la notion d’habitat, qui implique une pérennité, et celle du campement, qui suppose un état provisoire. Cela dans le but de montrer que des milliers de personnes se sont établies et organisées de manière durable dans des campements, pour « habiter » les camps et « faire ville ». La commissaire et le comité scientifique ont ainsi déterminé un corpus composé de six typologies de campements — nomades, voyageurs, infortunés, réfugiés, conquérants et contestataires. Cet inventaire hétérogène de campements, ces marges qui ne sont pas si marginales, nous parlent de la société, d’un monde qui « s’encampe ». Nous découvrons des constantes transversales à l’univers du campement, qui tissent un lien entre les hommes, qu’ils soient forains, touristes, militaires, réfugiés ou astronautes.
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La Carte Ruinée est un roman écrit par l’écrivain japonais Kobo Abe en 1967. C’est l’histoire d’un détective anonyme, engagé par une belle femme alcoolique, pour trouver des indices liés à la disparition de son mari. Dans le processus, le détective est donné une carte (abimée) qui est censés l’aider, mais qui se révèle à la fin être d’avantage comme une métaphore des lignes directrices qu’on devrait avoir dans la vie. 53
L’impossibilité de trouver des indices pertinents pour l’aider à résoudre le mystère conduit le personnage principal à une crise existentielle qui se construit lentement de l’intérieur et finalement le met en position de s’identifier à l’homme qu’il était censé trouver.
«Where can it be found again, an elsewhere world, beyond maps and atlases,” Seamus Heaney in the final lines of A Herbal. 202
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Profession: reporter, Michelangelo Antonioni
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Boys Don’t Cry, Kimberly Peirce
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Cities of Gold and Mirrors, Cyprien Gaillard
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La JetĂŠe, Chris Marker
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2001 Odyssée de l’Espace, Stanley Kubrick
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Twin Peaks, David Lynch
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Twin Peaks, David Lynch
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In The Mood for Love, Wong Kar-Wai
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In The Mood For Love, Wong Kar-Wai
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Twin Peaks, David Lynch
« Partant d’un souvenir d’enfance au cours duquel un panneau d’acajou, situé en face de mon lit, avait joué le rôle de provocateur optique d’une vision de demi-sommeil et me trouvant, par un temps de pluie, dans une auberge au bord de la mer je fus frappé par l’obsession qu’exerçait sur mon regard irrité le plancher dont mille lavages avaient accentué les rainures. Je me décidai alors à interroger le symbolisme de cette obsession, et, pour venir en aide à mes facultés méditatives et hallucinatoires, je tirai des planches une série de dessins, en posant sur elles, au hasard, des feuilles de papier que j’entrepris de frotter à la mine de plomb. » Max Ernst
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Avec le surréalisme, en 1920, André Breton expérimente avec Philippe Soupault l’écriture automatique. Quatre ans plus tard, dans le premier manifeste, il revendique « l’automatisme psychique pur » comme fondement de la pratique surréaliste. Ainsi l’écrivain Max Morise peut-il proclamer, dans le premier numéro de La Révolution surréaliste : « Admirons les fous, les médiums qui trouvent moyen de fixer leurs plus fugitives visions, comme tend à le faire, à un titre un peu différent, l’homme adonné au surréalisme ». Les images alors doivent être visions plutôt que représentations, instinctives plutôt que préparées. L’appareil photo, qui ne réclame ni conscience ni métier de la main, apparaît dès lors comme un objet providentiel. L’automatisme photographique se joue de plusieurs manières : hasard de l’accident chimique, alliances fortuites, enregistrement non réfléchi, remploi d’images ou encore montage. Il ne s’agit donc pas de fabriquer des images au sens traditionnel, mais de faire de l’image une expérience à la fois inconsciente et cultivée.
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Surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924. C’est à Paris, alors capitale mondiale de l’art que va se former le noyau dur du mouvement et la première réflexion surréaliste avec la rencontre entre Breton, Aragon, Soupault, Péret et quelques autres. Ils participent à l’élaboration d’un nouvel état d’esprit, ils recherchent quelque chose qui ne se trouve pas dans les mœurs de la société de l’époque, un moyen d’exprimer leur vision du réel et d’explorer les rouages de l’inconscient. De cette mise en commun d’idées naît le premier manifeste du surréalisme en 1924 où sont posées les bases du mouvement.
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Abelardo Morell
De Chirico a créé un univers où les objets se mettent à faire des signes, sa peinture est « métaphysique » parce qu’elle transpose la réalité au-delà de la logique habituelle ; elle joue sur le contraste entre la précision réaliste des objets et de l’espace représentés, et la dimension onirique que le peintre leur donne. Il travaille sur la capacité du rêve à générer des mondes à partir d’un élément connu.
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Outre l’inspiration venant des livres pour enfants, des mythes, de road movies ou encore de la musique, le mouvement de la Beat Generation rejoint cette idée de narration et d’ailleurs. Comme Miles Davis improvisant la bande sonore du film Ascenseur pour l’Echafaud au fil des images de Louis Malle qu’il découvre, Jack Kerouac pour narrer son aventure à travers son oeuvre Sur la Route écrit 6000 mots par jours entre le 2 et 22 Avril 1955 et colla toutes les pages ensemble pour créer un large rouleau de 9 mètres de long, prenant l’allure d’une route et le rythme d’une partition. “I wrote it in one go, letting the subconscious express itself in its own way. (...) I let the words flow out in uninterrupted waves, half awake, hardly knowing what I was doing except that I was writing. ” La Beat Generation, était un mouvement littéraire et artistique qui commença à la fin des années 1940 aux Etats-Unis après la Seconde Guerre Mondiale et au prémices de la Guerre Froide. Le mouvement littéraire est né à San Francisco, aux alentours de 1950. Il réunit poètes et romanciers comme Allen Ginsberg, Gregory Corso, Gary Snyder, Jack Kerouac et William Burroughs. Le contexte historique, politique et culturel de l’époque est reconstruit par des photographies, des éphémères, des documents historiques, des manuscrits, des films expérimentaux et des enregistrements sonores. Ce mouvement marque la libération du monde de l’édition aux États-Unis avant de devenir une référence pour le mouvement gay, un mode de vie de la jeunesse des années 60 et la libération sexuelle de la génération suivante. La Beat Generation a aussi contribué à enrichir le mythe américain. Sur La Route, le roman le plus connu de Kerouac, est une ode aux grands espaces, à l’épopée vers l’ouest, à la découverte de mondes nouveaux. Alliant créativité débordante et fascination pour les milieux underground des villes des côtes Est et Ouest des États-Unis et tout l’art qui s’y crée (littérature, jazz, etc.), ce mouvement témoigne également d’un attachement profond aux grands espaces, à la nature et aux spiritualités chamaniques dans lesquelles l’être humain est partie intégrante du Cosmos.
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“Soon it got dusk, a grapy dusk, a purple dusk over tangerine groves and long melon fields; the sun the color of pressed grapes, slashed with burgandy red, the fields the color of love and Spanish mysteries.” Allan Ginsberg
Le 21 décembre 1958, Brion Gysin écrit dans son journal : “Had a transcendental storm of colour visions today in the bus going to Marseille. We ran though a long avenue of trees and I closed my eyes against the setting sun. An overwhelming flood of intensely bright colours exploded behind my eyelids: a multi-dimensional kaleidoscope whirling out through space. I was swept out of time. I was out in a world of infinite number. The vision stopped abruptly as we left the trees. ” Brion Gysin parle à son ami scientifique Ian Sommerville de la possibilité de reproduire le phénomène qui l’a conduit à avoir ces visions. Sommerville lui répond et lui dit avoir confectionné une simple machine à impulsions lumineuses avec un cylindre de papier perforé et une plaque tournante de 78 tours par minute. Ils expérimentèrent plusieurs découpes pour la machine, que Gysin nomma alors Dreamachine. C’est la première oeuvre à découvrir les yeux fermés. Les impulsions lumineuses stimulent le nerf optique et modifient la fréquence des impulsions électriques du cerveau. L’utilisateur peut alors voir apparaître des motifs de couleurs complexes, à la luminosité croissante, derrière ses paupières fermées. Ces motifs peuvent devenir des formes et des symboles tourbillonnants, jusqu’à ce que l’utilisateur se sente submergé de couleurs. Cette expérience peut être très intense, mais pour y mettre fin, l’utilisateur de la machine n’a qu’à rouvrir les yeux.
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In a surrealist year O it was a spring of fur leaves and cobalt flowers when cadillacs fell thru the trees like rain drowning the meadows with madness I once started out to walk around the world but ended up in Brooklyn, that Bridge was too much for me.
A CONEY ISLAND OF THE MIND, 1958, Lawrence Ferlinghetti, “The title of this book is taken from Henry Miller’s INTO THE NIGHT LIFE. It is used out of context but expresses the way one felt about these poems when I wrote them as if they were, taken together, a kind of Coney Island of the mind, a kind of circus of the soul.”
Lawrence Ferlinghetti (né le 24 mars 1919) est un poète américain, plus connu comme co-fondateur de la librairie City Lights Booksellers & Publishers et d’une maison d’édition du même nom qui a fait paraître les travaux littéraires des poètes de la Beat Generation ainsi qu’a œuvrer pour la reconnaissance artistique de l’écrivain et poète Charles Bukowski. 260
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A Supermarket in California What thoughts I have of you tonight, Walt Whitman, for I walked down the sidestreets under the trees with a headache self-conscious looking at the full moon. In my hungry fatigue, and shopping for images, I went into the neon fruit supermarket, dreaming of your enumerations! What peaches and what penumbras! Whole families shopping at night! Aisles full of husbands! Wives in the avocados, babies in the tomatoes!--and you, Garcia Lorca, what were you doing down by the watermelons ? I saw you, Walt Whitman, childless, lonely old grubber, poking among the meats in the refrigerator and eyeing the grocery boys. I heard you asking questions of each: Who killed the pork chops? What price bananas ? Are you my Angel ? I wandered in and out of the brilliant stacks of cans following you, and followed in my imagination by the store detective. We strode down the open corridors together in our solitary fancy tasting artichokes, possessing every frozen delicacy, and never passing the cashier.
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Where are we going, Walt Whitman ? The doors close in an hour. Which way does your beard point tonight ? (I touch your book and dream of our odyssey in the supermarket and feel absurd.) Will we walk all night through solitary streets ? The trees add shade to shade, lights out in the houses, we’ll both be lonely. Will we stroll dreaming of the lost America of love past blue automobiles in driveways, home to our silent cottage ? Ah, dear father, graybeard, lonely old courage-teacher, what America did you have when Charon quit poling his ferry and you got out on a smoking bank and stood watching the boat disappear on the black waters of Lethe ? Allen Ginsberg 262
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From
c o a s t
to
coast
to
s e a
shinning sea
Quittant le mouvement de la Beat Generation, mais restant dans l’art américain je souhaite m’arrêter ici sur le travail « Red Headed Peckerwood» 2005-2011, de Christian Patterson, un photographe que j’ai suivi quelques mois à New York. Lui aussi très ancré dans la photographie américaine et les mystère de ses sujets. Christian Patterson est un photographe autodidacte né en 1972 dans le Wisconsin. Il a suivit William Eggleston quelques années après avoir arrêté de travailler dans les affaires. Il vit et travail aujourd’hui à New York.
passée et d’une histoire révolue ayant marqué l’histoire d’un pays. C’est représentatif d’une des facettes des États-Unis avec ses aventures tumulteuses. On sent également l’influence de William Eggleston, dans les couleurs ou parfois la « banalité » du sujet d’une image. L’artiste se place entre passé et présent mêlant le réel et le fictif. La photographie reste au coeur de son œuvre, mais elle est accompagnée de documents ainsi que d’objets ayant appartenu au couple ou à leurs victimes. On y découvre notamment une carte, un poème, une lettre d’aveux, un animal en peluche et bien plus encore.
J’ai découvert cet artiste lors d’une conférence à l’Ecal. Son travail m’a marquée et beaucoup interpellée. Son livre traite de Charles Starkweather, tueur en série de 19 ans, et de Caril Ann Fugate, sa petite amie de 14 ans, qui est par ailleurs la plus jeune femme dans l’histoire des États-Unis à avoir été condamnée pour meurtre. En 1956, alors âgée de 13 ans, Caril Ann Fugate fait la connaissance de Charles Starkweather avec lequel elle se mit rapidement en couple. Il avait quitté l’école et travaillait comme déchargeur de camions à l’entrepôt Western Newspaper Union. Le 21 janvier 1958, comme Fugate le déclara plus tard, elle était rentrée chez elle pour découvrir que Starkweather avait tiré et tué son beau-père, Marion Barlett, ainsi que sa mère, Velda.
Ce qui m’intéresse, c’est l’idée de partir d’une histoire préexistante et de la développer conceptuellement et personnellement en mélangeant différents médiums pour dresser un portrait, une histoire entre fiction et réalité, une narration.
Il aurait ensuite étranglé et poignardé à mort la demie-soeur de Caril, Betty Jean, alors encore bébé. Durant les sept jours qui suivirent, le couple resta dans la maison avec les corps, renvoyant tous les visiteurs, ce qui souleva les soupçons de la famille de Fugate. Starkweather et Fugate s’enfuirent alors en voiture à travers le Nebraska dans une tournée de vols et de meurtres, tuant sept autres personnes avant d’être arrêtés. Le livre de Patterson retrace l’histoire de ce couple entre archives et réinterprétations personnelles. D’un point de vue technique les photographies présentes dans le livre appartiennent à différents registres, dont la photographie médico-légale, des références au photojournalisme, la photographie judiciaire, l’appropriation d’images, la photographie documentaire ainsi que de paysage: du feu, des images un peu crues en noir et blanc de lieux, le mouvement du vent sur une botte de paille, des symboles des États Unis avec par exemple un collage de pin-up, des photos de nuit d’un motel ou encore des lieux déserts, des pages graphiques peintes à la main avec des textes tel que «Fruit Cake 98cents», des natures mortes d’objets liés au crime ou la violence, l’atmosphère d’une période 266
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Christian Patterson
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Road at Night House on Fire
Falling Flowers
Tree on Fire
Telephone
House of Cards
Christian Patterson
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Lors d’un entretien avec Erik Kessels, où je lui avais montré différents projets que j’avais réalisés, il m’avait fait part du fait que mes travaux les plus forts étaient ceux que j’avais réalisés autour d’une personne ou d’une histoire en particulier. Il avait pointé mon travail sur ma grand-mère où se mêlent photographies d’intérieur de son manoir, des écrits correspondants à ses réponses à mes questions (une odeur, un peintre, un objet etc.) et, pour finir, le jour de son décès j’avais réalisé des photographies autour de chez elle dans son jardin essentiellement, car elle était botaniste et j’avais en tête la phrase « earth to earth, ashes to ashes ». C’était donc un portrait, mais sans jamais montrer physiquement ma grand-mère. C’était elle via ce qui l’entourait, par conséquent ce qui faisait parti de son intime et qui constituait sa personne.
et qui raconte une histoire, en dressant un portrait complet de son sujet. Une histoire qui peut être personnelle ou non, mais qui parle au spectateur à différents niveaux et laisse une part d’interprétation à celui qui regarde. On présente des faits réels, une documentation diverse et variée, et d’autre part un point de vue d’avantage créatif, plus onirique peut être, et surtout personnel.
Un autre projet a découlé de celui-ci, fortement lié. Obsédée par l’image de la mort dans mon sommeil, j’ai entrepris un travail dans un crematorium où j’observais et capturais à travers un minuscule hublot de surveillance le processus d’incinérations. La première heure on ne voit que des flammes, puis les deux heures restantes on observe l’effacement du corps abstrait de l’humain se réduire en poussière. J’en ai plus récemment réalisé un livre en travaillant avec une machine analogique, une technique d’encrage qui joue avec la pression. L’encre charbonneuse s’efface des pages au fur et à mesure de la lecture, faisant ainsi écho au sujet. Le dernier projet était mon Atlas d’images réalisé dans le cadre d’un cours avec Marco Poloni. Mon atlas confrontait des images d’archives de famille, mais où celle-ci n’est jamais physiquement présente à l’exception de ma mère, mais qui est toujours un peu cachée ou loin dans l’image. Elle rythme mon livre comme un fil conducteur. J’ai confronté à ces archives familiales de Californie des archives liées à la migrations, donc des oiseaux migrateurs, des voitures multiples, des images de météorologie, des animaux aquatiques de la côte californienne et des images de constructions de chemins de fer ou de route. Enfin, mon dernier projet sur lequel nous nous sommes attardés, est un projet de 9 mois. Il s’agit d’un livre photo sur mon partenaire et notre relation. Un portrait via des natures mortes d’objets lui appartenant, des photographies de paysages de lieux en lien avec notre histoire, des portraits de lui et de nous et quelques autoportraits de moi. Ce qui m’a touché dans le travail de Christian Patterson et qui rejoint mes travaux cités ci-dessus, c’est cette idée de garder une trace et de rendre hommage à quelque chose de fort 274
Christian Patterson
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LA COLLECTION COMME OEUVRE D’ART
Pour clore ce travail d’écriture et d’images liées aux thématiques qui ont enrichi mon univers artistique et nourrit mes aspirations diverses, je souhaite terminer conclure par un chapitre qui découle des pages précédentes et qui reflète cet ouvrage dans sa globalité. Après avoir abordé, entre autre, des notions telles que l’ailleurs, la quête et l’évasion, l’imaginaire, les mythes et le sensoriel, des carambolages de choses, mais aussi la mémoire et l’identité; la notion sur laquelle je vais conclure est celle de la collection, du collectionneur, de l’enquêteur passant d’interviews variées de personnes concernées par ce sujet, la photographie vernaculaire, ainsi que par la notion du journal, et de l’art comme travail de vie. Je m’arrêterai sur quelques artistes dont le travail m’a beaucoup intéressée soit par l’idée simple de montrer, archiver ou représenter des collections, soit des travaux d’avantage dans l’idée documentaire et personnelle, liés à des quêtes intérieures, à la conservation et collecte d’un entourage familier en passant aussi par la notion de journal et terminant par la photographie vernaculaire.
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Henry Leutwyler
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Interview avec Antoine de Galbert J’ai eu l’occasion de poser quelques questions à Antoine de Galbert, le fondateur de mon musée favori à Paris dédié aux collectionneurs en tous genres et de toutes époques: «La Maison Rouge».
[A] Quand avez-vous avez commencé à collectionner? Est-ce que ce désir a toujours été présent dans votre vie?
ou est-ce que ce sont vos parti pris? [AG] A la Maison Rouge je n’ai jamais travaillé avec des scénographes.
[AG] J’ai toujours amassé mais la collection proprement artistique [A] Considérez-vous la collection a commencé à la trentaine. plutôt comme une façon d’enregistrer et d’absorber le monde ou [A] Y a-t-il eu un point de départ et des fragments, ou plutôt comme comment expliquez-vous ce goût de une simple évasion? collectionner? [AG] Plutôt qu’évasion, il s’agit plutôt [AG] On ne comprend pas toujours comment d’un voyage à la fois intérieur nait une collection. On achète un et physique. Se comprendre en démoulin à café, puis deux, puis couvrant le monde des autres. trois… un jour on en a 100 et l’on prend conscience qu’on est [A] Qu’est-ce qui vous fait vibrer dans devenu un collectionneur de mouune pièce que vous découvrez et lins à café. que vous souhaitez acquérir? [A] Y a t-il un objet dans votre collection qui vous tient particulièrement à cœur? [AG] Impossible de hiérarchiser, chaque objet a un sens, une histoire, il faudrait un incendie pour savoir lequel d’entre eux je sauverais en premier [A] Comment faites-vous vos choix d’expositions? Et comment choisissez-vous les personnes à présenter?
[AG] Ceci est inexplicable et indicible, comme peut l’être le désir. [A] Est-ce un travail à temps plein ou plutôt un loisir qui c’est transformé en l’institution de la Maison Rouge? [AG] Du jour où je suis « entré en art » le mot métier a disparu de mon vocabulaire. [A] Avez-vous un médium favori? [AG] Non
[AG] Si vous parlez de la programmation de la Maison Rouge, elle s’inspire nécessairement de ma collection.
[A] Est-ce que vous vous considérez artiste? [AG] Non
[A] Pourquoi avoir attendu si longtemps pour présenter une partie de votre collection personnelle ? était-ce trop intrusif pour vous ? [AG] Par modestie ou par pudeur,jusqu’au jour où enfermées dans des placards près de 3000 œuvres n’avait plus de sens. [A] Laissez-vous un scénographe s’occuper de la mise en espace des œuvres
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[A] Quelle période artistique vous plait tout particulièrement? une culture? [AG] Aucune culture ni aucune période en particulier. C’est l’histoire de l’homme qui m’intéresse. Comment explique t-on sa mort chez les papous, les tibétains, les catholiques etc…
Beaucoup d’artistes ont fait de leur quotidien leur oeuvre. Archivant objets, lieux et personnes au fil du temps, pour en garder une trace, pour comprendre certaines réalités qui nous échappent ou pour montrer des faits et instants personnels envers lesquels parfois le spectateur peut s’identifier ou qu’il peut découvrir. Le travail de Nan Goldin par exemple, photographe américaine, est inséparable de sa vie. Marquée par le suicide de sa sœur en 1963, c’est en photographiant sa famille qu’elle entame son œuvre photographique qui, par la suite, reste très proche de l’album de famille, par sa technique comme par ses sujets. Elle considère, depuis sa jeunesse, la photographie comme le médium idéal pour conserver des traces de vie, permettant ainsi de faire naître une deuxième mémoire. On pense aussi à des artistes tel que Sophie Calle ou encore Larry Clark.
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Les images de Larry Sultan dans “Pictures from Home” (1982-92) font partie de l’album familial, composé en partie comme un roman visuel, regroupant des photos de famille, des memento mori et du texte. Larry Sultan a grandi dans la San Fernando Valley, en Californie, qui est devenu une source d’inspiration pour plusieurs de ses projets. Son travail combine la photographie documentaire et la mise en scène pour créer des images du paysage psychologique aussi bien que physique de la vie de famille dans une banlieue aisée. Un enregistrement intime de l’existence banale des événements quotidiens et des rituels trouvés dans la maison, capture l’optimisme, l’humour, la dislocation. Il révèle des vies intimes. Sultan comprend la fonction de la caméra comme principal instrument de la famille, de la connaissance de soi et de l’auto-représentation par laquelle la mémoire familiale se perpétue, en l’utilisant pour réexaminer son entourage. Pour ce projet, Sultan est donc retourné dans les années 80 dans sa Californie natale et a travaillé en combinant des photographies contemporaines avec des images fixes captées dans des vidéos de familles, des fragments de conversations, des écrits et d’autres souvenirs. Le résultat est une sorte de collage narratif dans lequel la frontière entre le documentaire et la mise en scène devient de plus en plus poreuse. “What drives me to continue this work is difficult to name. It has more to do with love than with sociology.“
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Grand collectionneur, Andy Warhol, illustrateur, cinéaste, peintre, producteur et homme d’affaires, est lui aussi obsédé par les lacunes de sa mémoire et par la crainte de ne pas se souvenir de tout ce qu’il fait, voit ou entend, le poussant à créer et enregistrer sous différentes formes. Je m’intéresse non pas à la facette de son travail qui s’attarde sur la consommation de masse et sur un mode de vie américain, mais sur la facette d’avantage personnelle et discrète de son art. Il enregistre tous ses appels, photographie au Polaroid des petites collections de choses de son quotidien pour les analyser et les immortaliser, film ses invités en permanence dans sa Factory, mais aussi et surtout il créait des «time capsules». Une «capsule temporelle» en français est une œuvre de sauvegarde collective de biens et d’informations, comme témoignage destiné aux générations futures. Les capsules temporelles sont parfois créées puis enterrées lors de cérémonies. Warhol mettait tout ce qui lui passait entre les mains dans des cartons, tickets de restaurant, invitations, pages de magazines, objets, photographies, courrier personnels et bien plus. 610 cartons de tranches de vies. Des capsules de temps qui figent pour chacun d’eux un espace de temps correspondant à une période importante de la vie et de la démarche créative du roi du Pop Art. C’était comme un rituel: il avait toujours à côté de son bureau un carton de déménagement dans lequel il empilait en vrac tout ce qui lui passait entre les mains. Une fois le carton plein, il le scellait et l’envoyait à un dépôt.
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« Love affairs get too involved, and they’re not really worth it. But if, for some reason, you feel that they are, you should put in exactly as much time and energy as the other person. In other words, «I’ll pay you if you pay me.» People have so many problems with love, always looking for someone to be their Via Veneto, their soufflé that can’t fall. There should be a course in the first grade on love. My ideal wife would have a lot of bacon, bring it all home, and have a TV station besides. » The Philosophy of Andy Warhol Chatper 3, Love (Senility).
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Sunday morning Praise the dawning It’s just a restless feeling By my side Early dawning Sunday morning It’s all the wasted years So close behind Watch out the world’s behind you There’s always someone around you Who will call It’s nothing at all Sunday morning And I’m falling I’ve got a feeling I don’t want to know Early dawning Sunday morning It’s all the streets you’ve crossed Not so long ago Watch out the world’s behind you There’s always someone around you Who will call It’s nothing at all Watch out the world’s behind you There’s always someone around you Who will call It’s nothing at all Sunday morning Sunday Morning, The Velvet Underground and Nico 1967 292
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J’ai découvert il y a quelques années au Guggenheim Berlin l’artiste mexicain: Gabriel Orozco, y était présentée “Asterisms”, une installation sculpturale et photographique de l’artiste compilant des milliers de détritus collectés sur deux sites «équitables», l’un près de son domicile à New York et l’autre en basse-Californie, une biosphère côtière protégée au Mexique, qui est aussi le dépositaire des flux de déchets industriels et commerciaux de l’ensemble de l’océan Pacifique. Il s’agit d’un thème récurrent dans l’œuvre d’Orozco, un travail qui ces dernières années est fait de rencontres poétiques avec des matériaux banals et une interrogation parfois radicale mais toujours sensible sur la tension présente entre nature et culture. Il a créé ainsi une grande installation sculpturale avec la collecte de ces ordures, le métal et le plastique des bouées, des ballons de sport, bouteilles en verre, ampoules incandescentes, des rames en bois, des objets divers en métal tels que des vis et des charnières, du polystyrène sous différentes formes, des éléments de chantier, casques et rouleaux de papier toilette ossifiées… en les soumettant à l’arrangement taxonomique sur le sol de la galerie. Ce tapis sculptural monumental de près de 1.200 objets est accompagné de douze photographies à grande échelle, images des objets individuels dans un décor de studio, organisées par typologies de matière, couleur et taille.
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Henry Leutwyler, «Documents», Steidl Photographe Suisse basé à New York, Henry Leutwyler entreprit pendant 12 ans une chasse au trésors pour son dernier livre qui découle en quelque sorte de son précédent travail “Neverland Lost: A Portrait of Michael Jackson” (Steidl, 2010). Henry Leutwyler a déclaré : «Les gens qui m’intéressaient vraiment sont morts avant que je puisse les photographier. Donc j’ai pensé faire une liste de mes héros et quelques vilains et de rechercher ce qu’ils possédaient.» Document est le résultat de douze années de rêve, de recherche, de chasse aux objets, telles que les sandales du mahatma Gandhi, les lunettes de John Lennon (et le revolver qui l’a abattu), le pinceau de Warhol, la chaussure de Muhammad Ali, le portefeuille de James Dean, le fauteuil du réalisateur Antonioni, la machine à écrire d’Audrey Hepburn et la liste s’allonge… jusqu’a 124 photographies. Lors d’une conversation dans son studio new-yorkais, Leutwyler parle avec passion de ceux qui l’ont inspiré : «L’aspect noir et criminel du travail de Weegee, Robert Capa (...)». « Le livre de Leutwyler parle d’anthropologie, d’archéologie moderne et définitivement de photographie. Ces objets quotidiens sont photographiés de près sans artifices. Et pourtant, une ombre ou son absence, un fond blanc ou pas, on peut «voir» Elvis Presley derrière ses lunettes, Jack Ruby tenir le revolver qui tua Lee Harvey Oswald ou Richard Avedon porter son chapeau au travail sur son projet In The American West. Ce sont des natures mortes avec de la vie, des preuves de vies de création, d’art, de sport, de science et parfois de crime». « Ce livre est un livre de portraits, portraits de choses, de choses qui parlent… qui n’ont pas besoin d’attaché de presse, de coiffure ou de maquillage et quasiment pas de Photoshop… »
De haut en bas et de g. à dr.: fauteuil d’Antonioni, Harmonica de Bob Dylan, Pinceau d’Andy Warhol, Valises de Marylin Monroe, Revolver qui tua John Lennon, La boutonnière de Charlie Chaplin dans City Lights. 298
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mais aussi l’histoire de sa mère, des textes et photos de famille. Je m’arrête ici sur certains travaux qui m’ont interpellée durant notre rencontre, mais je vous invite à consulter son livre et son travail de manière plus approfondie.
L’hiver dernier j’ai passé un semestre à New York pour assister Christian Patterson dans le processus de son travail pour Vevey Images qui m’intéressait beaucoup et se rapprochait de réflexions, références et idéaux auxquels j’aspirais également. J’eu le plaisir d’interviewer cet artiste plasticien et photographe Tom Ericsson, connu sous le nom de TR Ericsson dont je vais vous parler et plus tard également dans l’interviewe qui est la comclusion de ce travail.. Patterson ayant découvert le travail de cet artiste, il l’a invité dans son atelier pour qu’ils se rencontrent et parlent de leurs démarches et projets en cours. Ericsson, est né en 1972 à Cleveland dans Ohio et vit actuellement à Brooklyn. Il travaille à travers différents médiums comprenant des œuvres photographiques, des objets sculpturales, des œuvres audio et vidéo. Il utilise fréquemment sa propre biographie comme point de départ pour explorer des thèmes universels d’identité et de perte. Son livre Crackle & Drag, représente la tentative de l’artiste de composer avec le suicide de sa mère en 2003. À travers des photographies trouvées et des éphémères, ainsi que sa voix enregistrée, Ericsson invoque la présence de sa mère pendant qu’elle vivait, ainsi que son souvenir d’elle pendant sa vie et dans les années qui ont suivi sa mort. Comme une sorte de processus de deuil et d’exploration à travers une multitude de projets réunis dans cet ouvrage,
Sa série «Nicotine Dreams»(2008) est inspirée par les dernières années de la mère de l’artiste. Les cigarettes fumantes placées sous des écrans de sérigraphie permettent à la nicotine de créer des taches picturales tout en détruisant l’écran, ce qui donne des images dorées et nostalgiques d’un arbre de Noël, d’une maison et d’autres images sentimentales. L’odeur piquante émise par les dessins renforce l’amertume des souvenirs de l’artiste. “My mother smoked. Two years after she died I was selling her house and nothing could get the nicotine stains off the walls and ceilings”.
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Ericsson créa “Thirst” une série de neuf magazines. Le titre vient de la pièce de théâtre de Eugene O’Neil, auteur favori de sa mère. Le premier numéro sorti en 2000 se présente comme une revue artistique, après celui-là, les numéros deviennent autobiographiques. Le numéro six est réalisé pendant le décès de sa mère, c’est l’unique couverture qui montre Ericsson. Le titre “Perfect” apparait, signifiant le désir de l’artiste de tenter de mener une vie parfaite loin des complications et souffrances que sa mère traversa durant ses années de vie.
L’oeuvre en haut à gauche, “Breath” contient le souffle de l’artiste et celui de sa femme Rose. Elle fut commandée à l’artiste pour rendre hommage à un homme nommé John Crews qui sauta par la fenêtre de son appartement pendant un incendie. Ericsson s’est basé sur un objet qui avait été gonflé par le défunt pour créer cette pièce qui évoque aussi “55cents Paris Air” de Marcel Duchamps. Avec différentes techniques il joue sur le souffle et la voix en faisant en sorte que de la buée apparaisse dans l’urne jouant entre présence et absence. Sur l’extérieur est gravée un poème de T.S. Eliot. L’oeuvre d’à côté est un tirage sur du papier «Carbon Xerox». La dernière oeuvre est un texte écrit par sa mère ensevelie dans le cocktail favori de celle-ci. 304
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A gauche une image de sa série «Etant donné» inspirée de l’oeuvre de Duchamps, symbolisant la mort, le sexe et la renaissance par rapport à la phase dans laquelle était l’artiste à ce moment là avec sa nouvelle vie. A droite, des images de sa série “Narcissus ” Les deux travaux réalisés avec de la poudre de graphite.
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OTHER DAYS AROUND ME “Oft in the silly night, Ere slumber’s chain has bound me, Fond memory brings the light of other days around me.” Thomas Moore
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Cyrano Les feuilles ! Roxane Elles sont d’un blond vénitien. Regardez-les tomber. Cyrano Comme elles tombent bien ! Dans ce trajet si court de la branche à la terre, comme elles savent mettre une beauté dernière, et malgré leur terreur de pourrir sur le sol, veulent que cette chute ait la grâce d’un vol ! Acte V scène V avant la mort de Cyrano, Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand, 1897
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The Wrong Roadtrip, Andrea Stern
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The Wrong Roadtrip est le récit d’un trio et d’un voyage, d’une errance; un petit livre auto-publié très expressif et chargé du ressenti de l’auteur. “This is how I felt shortly after embarking on a spontaneous and ill-conceived adventure with friends. Little happens on the road and, even less is spoken. The random clicks from my camera breaks the claustrophobic silence as we drive West along endless highway. With the furtive impulse of a shoplifter, I shoot on the fly without a plan. Available light, a scarce commodity, on the road, at night, I use what I find from the steady glare of taillights to a motel table lamp. Out of step and out of place, my hand held camera is my confidant and closest travel companion.”
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Brice Marden’s Notebook, Sept. 1964-1967, Karma Brice Marden, né en 1938 à Bronxville, dans la banlieue de New York, est un artiste peintre et graveur américain. Au milieu des années 1960, il a développé un sens raffiné et délicat de la couleur. Ses œuvres sobres et déconcertantes contribuent à définir la peinture minimaliste. Au milieu des années 1980, Brice Marden, graveur et dessinateur de longue date, introduit la gestualité : sous le pinceau apparaît le trait influencé par la calligraphie. Le MoMA à New York organise en 2006 une rétrospective itinérante de ses dessins et peintures.
“Mars black, lemon yellow, use muddy white Don’t forget the young blonde in La Dolce Vita. Scenes in country café and post orgy on the beach. She is the one Benno Calls the Purity symbol. Orange green grey”
On y trouve des photographies, des collages (coupures de presse, tickets de spectacles, etc.), des dessins ou croquis, des prises de note et des textes qui sont une fenêtre dans l’esprit de l’artiste. On y voit ses centres d’intérêt, ses influences, ses réflexions.
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Marilyn Monroe & Ed Feingersh, 1955
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Dans les pages qui suivent on retrouve un assemblage d’extraits des journaux de notes de Marylin Monroe ici associés à des images d’Ed feingersh qui suivit Monroe et immortalisa l’icône sur plusieurs années. Sans doute la figure la plus photographiée de sa génération elle continue à susciter fascination et intrigue. 1955 a été une année de changement pour Marilyn Monroe. Après avoir quitté Hollywood pour New York et abandonné son contrat avec la Twentieth Century Fox, Marilyn n’était plus «juste une blonde bête», mais un vrai renégat. En Janvier, Marilyn a formé une société de production avec le photographe Milton Greene et a déménagé dans une suite à l’Hôtel Ambassador. En dépit de la spéculation frénétique, Marilyn a largement évité la publicité. Habillée de vêtements décontractés et sans maquillage, elle a erré dans la ville sans être reconnue et a découvert « la méthode », une approche théâtrale plus profonde, plus difficile, avec Lee Strasberg à l’Actor’s Studio. Marilyn commença également le long et difficile parcours de la psychanalyse à cette époque. En mars de 1955, Greene et Marilyn conviennent que son image a besoin d’un coup de pouce. Son désir de se prouver une «actrice sérieuse» avait été ridiculisé par la presse, dont beaucoup prédisaient que la «sex symbol» détruisait sa propre carrière. Au cours d’une semaine mouvementée, le photojournaliste Ed Feingersh suivit Marilyn, que ce soit pour faire ses courses, manger ou s’habiller. La vie quotidienne de Marilyn a ainsi été capturée en film. Selon Robert Stein, rédacteur en chef à l’époque, Feingersh était également un personnage plutôt imprévisible. « Il a vécu dans le moment, laissant des moments le prendre où qu’ils aillent... Il a dû avoir un appartement ou une pièce quelque part, mais dans toutes nos années en tant qu’amis proches, je ne l’ai jamais vu... Son énergie était sans fin... La vie avec lui ne s’arrêtait jamais. Contrairement aux photographes de glamour pour lesquels Marilyn avait posé à Hollywood, Feingersh n’était pas intéressé de créer des illusions. Inspiré par Henri Cartier-Bresson, Feingersh a refusé de permettre que ses photos soient recadrées. Ses plans granuleux et monochromes de Marilyn étaient parmi les plus réalistes jamais pris, pourtant son sujet est resté beau.
venu un mode de vie. De retour dans sa chambre d’hôtel, habillée pour la soirée d’ouverture de Chatte sur un toit brûlant, elle a réalisé une performance pour Feingersh, s’éclaboussant du Chanel n°5 sur elle-même. Stein a commencé à remarquer de nombreuses similitudes entre Feingersh et Monroe. « Les deux étaient en quelque sorte plus directement liés à la vie que le reste d’entre nous, et plus vulnérables. Comme Marilyn, Eddie s’adonnait à l’autoparodie pour masquer la douleur d’être sans défense contre la vie quotidienne et, comme elle, désespéré de faire le bon usage des cadeaux de leurs vies. « Chacun tenait à un idéal de l’art comme si c’était la vie elle-même, et, comme il s’est avéré l’être pour les deux. Les films de Marilyn et les tableaux d’Eddie faisaient que ceux qui les voyaient se sentaient plus vivants, mais en même temps craignaient pour leur sécurité, sentant le prix qu’il faudrait payer pour leur ouverture lumineuse », a raconté Robert Stein.
Marilyn n’a plus jamais retravaillé avec Feingersh. Il s’est marié et a lutté avec l’alcoolisme et la dépression. Il a cessé de boire, mais la dépression s’aggrava. Peu à peu, il venait de moins en moins au travail et finalement plus du tout. Un soir le photographe reçu l’appel d’une femme qui l’aimait depuis des années. Il l’a retrouva et mourut dans son sommeil pendant la nuit. La mort solitaire de Feingersh a des échos avec le destin tragique de Marilyn. « Au cours des années, j’avais demandé à Eddie d’essayer une thérapie,» continua Stein, «mais mon plaidoyer ne pouvait pas rompre sa certitude que la souffrance était inséparable de son don, qu’il ne pouvait échapper à l’un sans perdre l’autre. Dans le monde d’aujourd’hui, lui et Marilyn, d’ailleurs, auraient pu être aidés par des médicaments ou des traitements, mais à l’époque, il n’y avait pas une telle bouée de sauvetage. « Depuis, ceux qui ont aimé le travail d’Eddie ont essayé d’obtenir des musées qu’ils lui donnent la reconnaissance qu’il mérite», conclut Stein. « Mais il n’a pas été plus facile de l’aider dans la mort que pendant sa vie. Presque toutes ses impressions et ses négatifs, si étroitement tenus, éparpillés et disparus, sont de magnifiques tableaux perdus. »
Certaines des photos étaient plus artificielles que d’autres: par exemple, la célèbre série dépeignant Marilyn dans le métro de New York. Elle n’a jamais utilisé les transports publics, de peur d’être attaquée. Pour Marilyn, être photographiée n’était pas un inconvénient, c’était de-
Toutefois, les images de Feingersh de Marilyn ont été trouvés dans un entrepôt de New York en 1987, et acheté par l’archiviste Michael Ochs dans le cadre d’un plus grand lot de documents non examinés. Les travaux d’Ed Feingersh ont depuis fait l’objet de nombreuses expositions. Ils sont maintenant parmi les images les plus populaires de Marilyn, révélant à chaque spectateur sa beauté naturelle, et l’art unique d’Ed Feingersh.
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Peter Beard Ce dernier à également été une forte source d’inspirations étant plus jeune. Ses travaux étant fortement liés aux thématiques qui m’ont toujours intéressée. J’ai pris plaisir à m’aventurer dans ses oeuvres remplies tantôt de textes tantôt de peintures ou encore de photographies ainsi que d’informations venant toquer à la porte de mon imaginaire. Peter Beard, né le 22 janvier 1938 à New York a grandi sur la côte Est des États-Unis. Il commence à prendre des photographies et à tenir un journal dès onze ans. Sa passion de l’Afrique vient peut-être de ses parents, héritiers du fondateur de la compagnie de chemins de fer « The Great Northern», Railway, aux Etats-Unis qui lui inspirent ce désir d’ailleurs. Photographe animalier autant que de mode, aventurier, dessinateur, collectionneur, reporter, il a été l’ami d’Andy Warhol, Truman Capote, Francis Bacon, Jacqueline Onassis ou de Mick Jagger, faisant poser dans la savane les mannequins les plus cotés pour Vogue ou encore Playboy. En 1955, il réalise son premier voyage en Afrique et, de 1957 à 1961, il étudie l’histoire de l’art à l’université Yale. Au début des années 60 il rencontre au Danemark Karen Blixen (auteur entre autre du roman Out of Africa) dont il admire le travail et avec qui il travaille jusqu’en 1962. La même année il décide de s’installer au Kenya dans une ferme nommée Hog Ranch à côté de celle de Blixen. À partir de 1964, il étudie les éléphants, les crocodiles et les hippopotames de Tsavo Park (Kenya). Il publie son premier livre en 1965 : The End of the Game, qui témoigne d’une façon originale (mélange de photographies, textes, documents) de la disparition des éléphants au Kenya. Il écrit aussi entre autres Zara’s Tales, publié en 2004, qui avait suscité mon attention étant plus jeune. Cet ouvrage est dédié à sa fille Zara, on y découvre un récit rempli de contes sur le voyage, ses quêtes personnelles ainsi que plus généralement l’Afrique et ses animaux magiques qui ne cessent de fasciner le photographe, et qu’il célèbre en dépeignant la faune et le paysage africain. « J’aime la densité, je n’aime pas le vide», déclare Beard. L’artiste se saisit de l’air du temps et de ses obsessions pour des collages très personnels. » 336
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«Cet univers ivre d’images est un événement psychique, alchimique et incomplet, peut-être alimenté par l’idée de l’artiste selon laquelle il est possible d’avoir une révélation en réunissant des choses sans rapport, comme l’opposition des pôles d’un aimant,» commente l’écrivain et journaliste Owen Edwards, en introduction des deux volumes du coffret que publie Taschen en 2006.
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Leigh Ledare Né à Seattle, Washington en 1976, Leigh Ledare est un artiste multidisciplinaire, il utilise régulièrement la photographie, l’archive, le texte et le film, questionnant les notions de subjectivité et l’aspect performatif de l’identité.
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Max Doyle, connu sous le nom de Scrap Doyle est un photographe que j’ai découvert sur Instagram. Il présente ses travaux photographiques dans ses carnets sous une forme aussi de journaux et carnets de recherches.
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From the dark end of the street To the bright side of the road We’ll be lovers once again on the Bright side of the road Little darlin’, come with me Won’t you help me share my load From the dark end of the street To the bright side of the road Into this life we’re born Baby sometimes, bay sometimes we don’t know why And time seems to go by so fast In the twinkling of an eye Let’s enjoy it while we can Won’t you help me sing my song From the dark end of the street To the bright side of the road From the dark end of the street To the bright side of the road We’ll be lovers once again On the bright side of the road We’ll be lovers once again On the bright side of the road We’ll be lovers once again On the bright side of the road Bright Side of the road, Van Morrison
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Pour conclure cette dernière partie de mon mémoire liée à la collection sous différentes formes et au journal personnel, je souhaite aborder une notion qui y est également liée à ces registres et dont on parle peut-être moins mais qui est très présente de nos jours : la photographie vernaculaire. Il a fallu plus de 100 ans pour que la photographie accède au rang d’art à part entière et aujourd’hui il fait partie du champ photographique. Etymologiquement, le mot « vernaculaire » est dérivé du latin, «verna» qui signifie «esclave» et de « vernaculus » voulant dire esclave né dans la maison, par opposition à ceux qui ont été acheté ou échangé. Ce terme est par conséquent lié à la domesticité, il est également appelé « home-made » par les américains. « Par extension, le mot recouvre donc tout ce qui est confectionné, élevé, ou cultivé à la maison. » Il est d’avantage destiné à la consommation personnelle qu’à la commercialisation. Dans le système capitaliste, le vernaculaire est l’envers de la marchandise industrielle. Il échappe par conséquent à la domination du marché. « Est vernaculaire, en somme, tout ce qui demeure périphérique ou extérieur aux flux mondiaux du capital et tout ce qui, de gré ou de force, se dérobe à son contrôle. » (Pierre Frey, Learning from Vernacular. Actes Sud 2010). Faite à l’origine sans volonté artistiques, sans but de réaliser une oeuvre d’art sans pour autant la juger dépourvue de qualités artistiques, la photo vernaculaire détient une esthétique involontaire, mais véritable. Le mot circonscrit donc, tout d’abord, une zone de l’activité humaine liée à la servilité. Qui rend service comme grand ensemble à la photographie scientifique, documentaire, de police, ou médicale. Dans un deuxième temps la photographie vernaculaire est également domestique. La famille est l’une de ses principales zones de circulation. Toute la production des amateurs constitue l’autre grand réservoir du vernaculaire. Les clichés amateurs servent à écrire le grand récit familial. Cette catégorie d’images fascine les artistes dès le 20è siècle. Man Ray par exemple incite à s’inspirer de la photographie vernaculaire qui détient une vérité et une beauté singulière. « Ici et là, cachée parmi des centaines de snapshots banals, repose une image qui offre des possibilités d’exploration. » Man Ray. L’invention du photomontage par les dadaïstes résulte de la presse illustrée où il y avait plus d’images que de textes. L’avènement de la télévision a 350
également influencé le Pop Art. Cela a apporté un renouveau artistique. Les artistes servant de médiums, aident au tri des montagnes de données et fixent notre regard sur quelque chose de donné. Les Américains ont été d’avantage attentifs au vernaculaire que les Européens. Le MoMa lui a d’ailleurs consacré la première exposition en 1944 : The American Snapshot. Il faut également préciser qu’une photographie ne devient réellement vernaculaire qu’à partir du moment où elle perd sa valeur d’usage initial. Aujourd’hui la photographie vernaculaire a une place centrale. De plus en plus d’artistes travaillent à partir d’images préexistantes et n’utilisent que ce médium comme fabrication d’images car il y a un flux et un matériel de travail considérable grâce à son hyper accessibilité via internet ou bien dans des lieux de seconde main où l’on retrouve des albums ou des négatifs ainsi que des images en tout genre éparpillées, attendant leur prochaine destination et usage. C’est d’ailleurs triste, mais intéressant de se réaliser que c’est en voie en disparition. Aujourd’hui on ne tire plus nos négatifs pour les placer dans des boîtes ou des livres pour créer une entité familiale ou de vie quotidienne. Tout se digitalise et se conserve dans des plateformes digitales, numériques et technologiques en tout genre. Mais la photographie vernaculaire en tant qu’objet à collectionner sur des supports physiques n’existera bientôt plus. Les artistes ne se sont pas simplement intéressés à ces images, ils les ont aussi collectées, préservées et même diffusées. Ils sont donc devenus les premiers historiens, exploitants et promoteurs du vernaculaire. On retrouve parmi les précurseurs Bérénice Abbott, Lee Frielander, Walker Evans et Martin Parr. Mais aussi une bonne part de l’école de Düsseldorf, formée par Bernd et Hilla Bercher dans les dernières décennies du XXè siècle, a construit sa renommée sur cette forme d’appropriation. « Comment défendre d’une part la photographie comme art et expliquer de l’autre qu’il est possible de produire une image intéressante, au 125è de seconde, en appuyant sur un bouton un peu au hasard? Il appartient donc à la génération qui arrive après cette première période de légitimation de réintroduire le vernaculaire dans l’intélligence de la photographie, d’élucider le mystère de sa force poétique et de sa puissance critique. » Clément Chéroux, historien de la photographie et conservateur au Centre Pompidou 351
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Clare Strand, Girl Plays With Snake, 2016, MACK
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Erik Kessels Rencontré au cours de mes études à l’Ecal pour travailler avec lui, Kessels est un artiste, un concepteur et un conservateur hollandais avec un intérêt particulier pour la photographie, tout particulièrement pour la photographie vernaculaire. Il est également directeur créatif de KesselsKramer, une agence de publicité à Amsterdam. Erik Kessels est donc lui aussi un grand collectionneur d’images. Allant de l’album d’un couple qui au fil du temps se photographie uniquement tout habillé, dans des piscines; à l’album d’une famille qui n’arrive jamais à faire apparaître leur chien noir dans leurs photos sauf la dernière de l’album où celle-ci, surexposée fait disparaître tout autour et on ne voit plus que le chien. Et encore bien plus d’albums riches en découvertes. Kessels déniche toutes sortes de merveilles dans des brocantes et sur internet. Il fait parti de ces personnes qui travaillent avec le flux énorme d’images auquel nous avons accès aujourd’hui et les retravaille en livre ou en installation, reflétant cette nouvelle étape de la photographie. Aujourd’hui on se perd dans les méandres d’internet et l’hyper accessibilité aux images, certains comme lui dirige le spectateur vers ce qu’il y trouve d’intéressant pour leur donner une nouvelle vie, une nouvelle histoire.
Ci-dessus l’installation 24HRS of Photos, plus de reliures, de pages, de dates et de classements. Erik Kessels a téléchargé et tiré toutes les images postées sur Flickr au long d’une même journée: 950 000 photos, sitôt prises, sitôt oubliées, qui tombent en avalanche dans la salle qui leur est consacrée. On marche sur elles, on les brasse, on les ramasse par pelletées: un ourson avec sa mère, de jeunes Chinoises à moitié nues, des bonshommes bodybuildés, des paysages sans intérêt, des couples de toutes tailles et de tous gabarits. « Les frontières entre vie privée et vie publique ont été dynamitées, note Erik Kessels. C’est là l’album du XXIe siècle. » 362
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David Campany, Gasoline, Mack, 2013 Ce livre présente une collection de 50 années d’images de stations d’essence aux Etats Unis entre 1944 et 1995.
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Une conversation avec TR Ericsson.
Tom Ericsson est un artiste New-Yorkais que j’ai rencontré l’hiver passé dans l’atelier de Christian Patterson. Son travail ainsi que sa façon d’en parlé ont particulièrement attiré mon attention. J’ai parlé et présenté précédemment son travail, qui traite du passé, de sa famille et de l’archive. Des thématiques qui sont également des bases de mes projets personnels. Cela m’intéressait de connaitre son parcours, ses façon d’aborder ses projets si personnels et leur présentations à un public plus large. Dans cette interview qui devient plutôt une conversation, j’introduis parfois des travaux à moi puis lui me parle en echo de son travail. En partant d’une dizaine de questions en découle des réponses, des histoires et de évocations très intéressantes, j’ai ainsi trouvé adéquat de finir ce travail d’écriture en le concluant par notre entretient. J’ai préféré le laisser en anglais pour lui laisser son authenticité.
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[A] HI! [TR] Hi! can you pronounce your name again for me? Angelique? how do you say it in english? [A] Angélique, it’s the french of Anjelica, it’s a flower.
[TR] Oh okay, Angelique, that’s nice, how are you today? [A] I’m good! thanks. I’m finishing my dissertation, talking about all my references and inspirations and where my creative process started. I think that my most interesting works, and the ones that thrilled me the most, are, as yours relatedt to death or disappearance. I was always inspired by the apprehension of a loss. For example I just finished working on a book in which the images follow a cremation process during three hours and the printing technique I used is pretty experimental and analog, I played with black chalk, ink and fading blacks. This project was done after my grandmother died, I was with her in the room when she passed away. I was obsessed by death and by the idea of getting old after that. So I decided to confront it and spend hours and days in a crematorium. I watched bodies burst into flames and vanish. So this whole project was also about loss and the discovery of a new form of expressing this project into a personal and experimental work. So yeah, that was an example, to start and talk first about how I got interested more into your work because I know we have, in a way the same interest in some things and the way our works are motivated. I mainly started photography to immortalise things, making a collection to surround myself with pictures, it was a sort of sub-
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conscious therapy. Everything was related to my abrupt departure from California when I was a child and the fear of loosing something again. [TR] That’s a beautiful introduc tion, congratulations, it’s very interesting. [A] Thank you, I would be happy someday to show you some of my work and talk about it. [TR] I would love that. [A] So my first question is «how did you start being interested in art or photography? Did it start mainly when your mother died? [TR] My father was an artist, I grew up in a home watching him paint on week-ends, he was someone frustrated, I think that had an impact on me as a child. His other job was working for a greeting card company. My mother’s family which most my work is about, is a very eccentric family, and my grandfather, lived in a home in which he ran a bookstore out of there, he had a lot of art and poetry, so art was really in the air for me, in a place like Ohio where normally it would be less. So I grew up around it, I would draw a lot being young. I always wanted to be an artist as far as I remember. It’s all I have known. But it was very sort of « old fashioned » you know, I had no idea about photography or contemporary art or modern art, mainly just painting references until I reached my twenties and started to live in New York. Painting and drawing didn’t connect and relate to my personal life, and when I was struggling with those issues my grandmother died. It was 1999, and I remember because I was away from home and I was looking around me in my studio at these
“I think when you’ve really really drilled out to the most idiosyncratic detail, data of the personal, ironically that’s when you really get it to the universal. I don’t know quite how to explain that, it’s a bit of a paradox. But I’ve learned that my story, the more personal I tell it, the more I watch other people light up in their own stories. It engages them because I think the key work here is « authenticity ». I think whenever your dealing with very personal work, the only mistake you could really make to be unconvincing is to fail at being authentic.” meaningless paintings that had nothing to do with this dramatic thing that was happening to me. I began drawing from a photograph of my grandmother with a pen and an absent mind. And that really caused a shift and I started to question things and paying attention to modern and contemporary art. I realized art could also be a story-telling device, a narrative device. When I realized that possibility I was also at that time quickly inheriting family photographs that I thought were really meaningful and I began painting them as a way to keep in a way painting alive for me but quickly I didn’t like the paintings but the photographies seemed more meaningful and so I started a magazine, which I called « Thirst » and I self-published it, it was a way to introduce the narrative. So to your concept of longing it relates in a way. I was using art as a way to block an emotional, visceral response to my existence and it was important to me to let go of that first kind of art making in favor
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a weird kind of vengeful way, I saw the world around me after my mother’s death a cruel kind of response to loss. It angered me greatly. You know people are watching baseball, and go to art museums, and galleries and art can be colorful and beautiful and all but I didn’t see all this responding to our deeper questions of who we are and death and loss and it was angry to me. I wanted my work to be so overly personal that that would be a problem. So I aimed for it, to lock people out. Oddly though I had a career and I earn a living as an artist so it’s a very strange game I’ve played. But I have learned a lot playing it. It can’t be personal enough for me. People are afraid of how personal it is and then it insights me to be even more personal. Because I’ve learned how valid that is. I think when you’ve really really drilled out to the most idiosyncratic detail, data of the personal, ironically that’s when you really get it to the universal. I don’t know quite how to explain that, it’s a bit of a paradox. But I’ve learned that my story, the more personal I tell it, the more I watch other people light up in their own stories. It engages them because I think the key work here is « authenticity ». I think whenever your dealing with very personal work, the only mistake you could really make to be unconvincing
of this other form of conceptual photographic work. [A] I sometimes have a fear of making projects that are so personal that they might not interest others. I recently started a project based on 8mm films from my grandfather, I did a work about the beauty of my parent’s life and childhood in an ideal castle like house, and my grandmother was a botanist so I played a lot with the images from her glowing and shining garden and I had this fragmented poem about plants that sometimes resonated along with the images. Weren’t you worried that making such personal projects might not interest a large audience or other people? does the aesthetic of vernacular photography help? [TR] I love the question. It’s a big question for me. When I really began drilling down into this art, it wasn’t that I was being an artist, and it wasn’t that I was thinking of an art audience. It was almost the opposite. I wanted to do something so personal that I locked everyone out. Almost in
is to fail at being authentic. That’s the key, Authenticity. I see a lot of people work in all these personal veins and when it doesn’t work for me it’s usually because of that. I feel they are being artistic, but they are not really authentically driven to tell the truth of the story. A little pause, the story of your grandmother resonated, my grandmother was also very much in her yard and I have a solo show opening up in May in Philadelphia, that is only about my grandmother and her house. That’s interesting. [A] I base myself on the past a lot, yet it’s a period I have very few memories of. For example my childhood in San Francisco inspires a lot of my creative world and it seems like an ideal time to me in so many ways but at the same time I don’t know if the memories I have from there are real or invented, it’s hard to work and base myself on a time that I’m not sure of, I just know it makes and made me feel good. It’s more about atmospheres and primitive feelings. Aside from everything you have that belonged to your mother do you have a good recollection of the rest? When did your first memories start? What do you think was your oldest memory? [TR] Well I can answer that strangely because I’ve thought about it a lot. I was probably about two or
“Memory is getting increasingly interesting to me. I’ve actually started creating an archive of memory in a whole different way. To respond to what’s absent and to see what’s left in my mind. It’s a real complexity. It’s also interesting to narrate a time where you weren’t alive. How can one do that authentically?” 373
three years old, and I always just remember that everything is white and filled with light. I recall, and some toys, but very bright also. Maybe glass doors, and the light streaming in. It’s… yeah… just white and filled with light. A dreamy light, dreamy memory, and that’s it. Other from that I actually have kind of a bad memory. I can’t remember so much, to the point that it’s weird…There’s a « Kinks » song if you know the band, where they say people take pictures of each other just to prove that the moment really happened, it’s a beautiful song, about archiving the moment and I think I also conflate my archives with reality, where I’m not really remembering a reality, I’m more transposing a snapshot photograph. Memory is murky and dreamy, and slippery, hard to get hold of. Even though I have a vast collection of archives all that resonates is how empty it actually is. Memory is getting increasingly interesting to me. I’ve actually started creating an archive of memory in a whole different way. To respond to what’s absent and to see what’s left in my mind. It’s a real complexity. It’s also interesting to narrate a time where you weren’t alive. How can one do that authentically? I’m only looking from the present at what’s left of the past. I don’t try to impose more meaning or more narrative than I would be capable of, I just leave the archive speak for itself, and let the emptiness remain. No memory and photography is very linked. [A] I remember my mother when I was younger and taking pictures of everything and anything she was telling me to slow down and be careful because she said that was the cause of me lacking of memo-
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ries, being behind my camera made me not absorb the moment properly. That’s what makes you forget the moment. You are recording but not analyzing.
what ever surrounded my mother I tried to make art out of. So the question became: how do you make art out of alcohol ? how do you make art out of cigarettes ? how do you make art out of smoke ? or whatever. Moving forward I kind of started returning to my roots because I wanted to make drawings. For example with the series « Narcissus » I always loved graphite, and used to work in powdered graphite but it became a more conceptual material for me. I like it also because it’s friable meaning it is unstable and could break appart, and it resonated also well with our lives, unstable, unfixed. My works are unfixed, unstable, they have to be framed or else they would be easily destroyed. The idea comes first but as I have a painting background I imposed a materiality to my art. Photography as much as I love it has always been dissatisfying to me, as beautiful as I think it is, taking a picture and having a beautiful print is great but the printing part always lost me. It makes more sens in the dark room, with the chemicals and the atmosphere there’s an alchemy but today with the Inkjet prints I want to love it but it always feels empty. They come out of the machine and they seem flat and not alive and there’s nothing I can do about it. It’s just true for me, it’s my way of seeing it. I need to rip things, manipulate them, give them another potential of work and form. I work with photographs but then I like the conflict with how to not make it flat and how to bring a print to life like a painting or a drawing.
[A] I agree with her but also disagree. It’s funny, my mother in law who is 95 remembers everything, she is so dialed into the moment all the time, she has no inner dialogue at all. And I think that what I’ve learned is that I don’t have a bad memory, it’s most of the time I am thinking about things inside of me instead of maybe what’s going on outside of me. I’m always wondering how I’m feeling, what’s going on, always trying to analyse, I’m never just in the moment purely. I always have an internal dialogue going on. I have an excellent memory of literature and art because it’s part of that inner dialogue, because that’s where my head is all the time. I’m always trying to figure out what I’m doing here. My daughter though helps me to bring myself into the moment. [A] Yeah that also must be interesting having a kid and seeing how they analyse situations and their state of mind about things and happenings. How did you start exploring the multiple and unusual techniques that you use throughout your book and projects? [TR] To me technique comes second. Whereas when I was younger it was primary. So I gave that up in favor of technique being a narrative tool. To me rather than having a particular tool I just approach a narrative way of working and figure out what techniques fit with the narratives. So that’s what generates the diversity. I’m not interested in art for art’s sake. I’m not interested in art materials particularly. For example
[A] Did you have a decisive moment in your work? one day did you start working differently? Did one project make you think or process differently?
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[TR] Yes, when I shifted from painting to personal archive works. I’m a hard worker. It never shuts off in my mind. I work in bursts, It’s my nature. When I was studying I went to classes 12 hours a day. With «Crackle and Drag» it was intense, working non stop by day and dreaming of it at night. For the book I gave every inch of my time, then the video that came along with and then for the installation I had less time but sometimes it’s good to be overwhelmed and not work things the same way. I can get lost for a while wanting to be sure about the idea, if it’s clear enough. « Is this worth what I know I’m going to give to it, and what I know I need it to be in the world. » That is the biggest, neurotic, difficult moment. When that’s clear, nothing gets in my way. It came clear to me that my life as an artist was very uncertain, because I was an artist it didn’t mean I would be successful, or have money, or be okay or that other people would like my work, there were no guaranties. It was unsettling, we of course want our lives to matter you know. So I thought what would I do that if nobody cared I wouldn’t regret doing it. I was lucky, I now have a career one could only ever dream of having. It was slow and constantly questioning things. I also learned not everything you do is wrong, sometime the viewer is wrong. The personal is very hard to make into art. You can get lost. Fundamentally it’s story telling and there are a lot of bad ways to write stories and very few ways to write a good story. It take years to put your mind around things. I’ve learned to make my work bolder and more frontal and less quiet, it was another accomplishment. Sometimes things have to come to
you it’s not always you that have to do things. It can be a question of the right moment too. [A] How many steps do you take in the making of a book or video or just a project in general?
of a same project. It’s constantly on going. I’m constantly in contact with people and sometimes have studio visits. Sometimes some visits and insights about my work and my life can be incredible. This happens quite a lot because my work tends to make people gravitate around what I do. In my work others see theirselves in and it becomes beautiful dialogs. Like right now with you, you see. My work and life is a constant dialog with others around something where I’m always learning about the work or myself. It was once a very isolated and lonely life for me and is now becoming a much more involved and privileged life with all the share of interests and encounters. So yes all these dialogs influence and inspire me and my work. Working on the past doesn’t feel like the past. I’m living now, looking back at something. My work is actually rooted in the present even though much of it is the past. It takes time to flesh out the narrative and complete it for others, it’s rooted in my heart but you have to put it out in the world in a way others can understand and connect the dots. My book was a gift, I got to structure everything together and have that narrative thread spread out to make one piece of work.
people to get inside like in a dream. So I often think of the poetic when I think of my installations. I try to leave a lot of room and ambiguity in my installations. It guides most of my decision making. [A] Do you have a favorite poet?
[TR] It’s very different for every project. Process is never mapped out because I usually venture into techniques I discover and do not understand. My process is unpredictable. I try to keep that, there is a lot of truth and spontaneity there. I’m not interested in mastering a particular technique, I want to remain true to the work, and function with layers and discovery, it has always been very satisfying. [A] How do you work on your installations and the language between your different art pieces that are presented together? How do you make them communicate together throughout space? [TR] I alway think of poetry. It’s a tricky word, poet, poetry, poetic, my grandfather’s books were mainly poetry books. For me life is like a poem rather than a novel. Poetry, in a few lines captures a mood or an emotion. Also because there is more emptiness and ambiguity there, it allows
[TR] It would be hard to name one. Rilke comes to mind, I seem to go back and forth to him, Rimbaud that I’ve been reading since I was young, more contemporary there is Balano a south american writer, the Beat poets.To be honest I don’t like most poetry, it can also just become easy an abstract, it can be intolerable. My book title « Crackle and Drag » actually comes from a poem of Sylvia Plath, it’s potentially the last line of her last poem. Music for me is also poetry, lyrics drive me. [A] Do you seek feedback from other people or artists while you are working on a project? Does it influence in anyway your work? [TR] My work is a life project. I’ve only come to realize that recently. All the projects I thought different well they were still part of a single one. As Eames would say even if my objects are different they are the continuity
“So everything is really just time based, funeral, memorial, and that’s how I approach visual art. I think it is a medium for death. Music for example is for me a medium for life. It’s momentary, clean. But art is always about death to me and I love it for that reason, it’s just so close to our humanity, and these objects outlast us a bit longer, very beautiful.” 376
[A] What does working on such a long period Imply, what does continued work on a single concept throughout the years involve? [TR] It’s purely a benefit because it’s time based already. What I have always found remarkable is how you look back on things you have done in another time. For example one of my magazines I did right after my mother died and on the cover is a self-portrait. It could seem vain to put myself on the cover, specially since it
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could almost be a fashion photography, but it was the opposite, it was more of a representation of my state of mind, angry and in conflict with myself. Looking back at it now I realize how much I have shifted from that place and time and feeling. It’s not me anymore. It’s a younger 30 year old man, that man didn’t have a child, my actual career etc.. I was so pleased by that feeling. I love the way I’m changing and the way I’m changing influences what I am looking at. A 30 year old man looking at a photograph of his mother who died a few weeks ago versus a 44 year old man looking at a photograph of his mother who died 15 years ago are two very different people and two different ways to look at something. Work is all time based wether it’s film or photography or visual art in general. Basically we are all making little memorials, even if we don’t think we are. From the moment the brush stop the paintings begins a new journey and being a thing in the world. I love that. So everything is really just time based, funeral, memorial, and that’s how I approach visual art. I think it is a medium for death. Music for example is for me a medium for life. It’s momentary, clean. But art is always about death to me and I love it for that reason, it’s just so close to our humanity, and these objects outlast us a bit longer, very beautiful. [A] What are your future projects? [TR] I’m working on a text based project which is a big deal for me. Removing the image, entirely, yet it’s lavishly visual in terms of the text and what they describe. Cinematic but also risky, it’s so minimal in terms of what you can do to it. It’s just another vi-
gnette, like all the other works that is adding to my entire story. I have also a solo show coming up in May in Philadelphia, in which I focus on my mother’s mother and one in Syracuse, New York which opens in September. That’s a bit of a departure too because as personal as my work will remain it is drifting to a little more of a broad concept which is the way we bring each other into the world, I think there is a lot of ways in which we all give birth to each other. [A] Did you ever worry about making a living exclusively from your art? [TR] I wish I could answer in a more straightforward way. I did not come from a wealthy family. I’ve been living in New York for 25 years, one of the most expensive cities in the world and I only had a job once for a year. I’m not sure how I’ve done all this, I live pretty minimally, Duchamps said « It’s not what you make, it’s what you spend », meaning that if you keep your standards living low, you gain more freedom and time. I’ve always done that. Yet I’ve lived a pretty lucky life. I have two homes, two studios, I’ve been lucky. Many people have been supportive of me. My father used to tell me « don’t let anyone tell you that you can’t make a living out of art » he’s told that to me since I was a little boy. I just believed I could, and insisted on it. I’ve always had time to read and write and make art. I’m only realizing now at 44 how lucky I was. Everyone else seems to complain they have no time and they need money, I had those struggles but I always made the time. My whole life has been spent reading, writing and making art, without making really any money and now I make a pretty good living from
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my art and have for many years. I think also because, it’s a funny story, I went to art school and I dropped out, I didn’t like it. I remembering being 18 years old and doing every wrong thing I could so that I wouldn’t be qualified to have a job and make money, so that I could only be able to be an artist and growing old I would be scared but I won’t have any other skills, I would have to stay an artist. So I did that and it worked because that is all I know what to do (laugh). Friends of mine for example had a rock band but they studied design and they are now doing design, not having a music band. I think at such a young age I was smart to do that, because I knew at some point I would get scared of the lifestyle of an artist, but in a way there was nothing else I could do than making what I know best: art. I was never tought, I always made art and sold it and the prices get bigger over the years. But it’s always a struggle, it’s always terrifying. The problem is you can’t really listen to anyone, we all have such different backgrounds and lifestyles and dreams and also the world is changing rapidly which also changes art careers and art. I can’t speak but, what I could say that is a constant, is that when I got out of art school, the first thing is it’s not money, it’s not career, it’s not making art, you’re just lost in a blink community, you’re in a community where everybody cares about art, teachers, students etc.. you’re defined, « I’m going to art school », when I got out I was just a weirdo who does art. I was freaked out by that, because it was such an exciting journey and suddenly I’m a weird guy in an apartment making art and nobody
cares. That was a shock. That’s what I had to deal with. Plus I’m a loner, I’m not a community person. I like to be invited but I’m not good in building a community. I just want to be alone and read. I found now a community professionally. But I’m still wildly alone. That’s the central thing I would say about art life, it’s a lonely life in the end. I think there is a lot of potential and power in limitation, be open and ready for it, it’s challenging and great if it is accepted. Accept limitations and make the work anyway. There is a lot of power there. Don’t think you can’t do something because of something else. My whole career has been based on limitations and I’m addicted to it. [A] We’ve talked about everything that interested me and even more than I could hope for. It was so inspiring and interesting to talk with you and have this great conversation. I’m grateful we got to meet each other last winter in Christian’s studio and that one year later I’m including you in my end of studies thesis work, and making a beautiful conclusion to this project. Looking forward on hearing from you and seeing you again in the future, I’ll share some of my works with you soon when all this crazy year of work is over, I would be happy to have your opinion and share some thoughts around them. [TR] Absolutely! stay in touch! What you are doing sounds fantastic, I’m excited for you and I wish you the best of luck. You seem to be going through an intense end of school period so good luck! Get in touch for sure. Thank you also for your interest in my work. I really appreciate it. Bye!
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Crédits Images
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59 André Breton
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60 Jack Kerouack pour R.Fran
Unknown, Illustration
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Hemet Maze, California
28 Daido Moriyama 29 VintageLasVegas.com 30 Hedi Slimane 31
Robert Longo
32 Yves Klein Série doubles pages (par ordre d’apparence):
Cosmos: A Space and Time Odyssey, Fox
55 Georges Méliès
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Jack Kerouack
42 Rockwell Kent 62 Robert Frank 43 Abelardo Morell 63 Bernard Plossu 44 Livre ésothérique 64 Yto Barrada 45 Mori Yusan 65 Field Museum 46 Mori Yusan 66 Andy Warhol
Daido Moriyama
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Erwin Blumenfeld 67 Unknown, Vernacular
Vintage Las Vegas Website
48 Jules Verne 68 Joseph Beuys
Archive Météorologique
49 Pieter Bruegel the Elder 69 Joseph Beuys
Stanley Kubrick
50 Archive Familiale
Archive Météorologique
51 381
Archive Familiale
Colophon:
Conception graphique: Angélique Stehli et Sarah Di Venosa Typographie: Everett, Nolan Paparelli, Ecal Papier: Munken Print White, 100gr Imprimé et relié à l’Ecal Remerciements: Joël Vacheron, Luc Andrié, Jean-Sébastien Stehli, Violette Stehli, Antoine de Galbert, TR Ericsson, Jules Moskovtchenko, Caroline Ventura.
Travail de mémoire d’Angélique Stehli Ecal 2016/2017
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