Défi : Au boulot les créatures !

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Jeunesse éphémère.

Je m'en souviens encore comme si c'était hier. Toute la presse mondiale en a parlé cette semaine-là. « Une nouvelle cure de jouvence ? », lançait le HuffPost. « Du sang jeune pour booster les vieux cerveaux », précisait BFMTV. Tout a changé le 4 mai 2014, date de la publication dans Nature d'une étude sur la transfusion de sang de jeune souris chez leurs aînées. « Nos données démontrent que l'injection de sang jeune contrecarre le vieillissement au niveau moléculaire, structurel, fonctionnel et cognitif de l'hippocampe ». Ah ça, croyez-moi, l'information n'est pas tombée dans l'oreille d'un vieux sourd.

À partir de là, les choses sont allées très vite. Vous imaginez bien que ce sont ceux qui ont le plus d'argent qui veulent en profiter le plus longtemps possible, et si possible avec toute leur tête. C'était couru d'avance ; ils ont investi en masse dans la recherche pour s'assurer que ce qui était valable pour les souris l'était bien pour l'homme. Jamais étude clinique n'aura pris si peu de temps. Enfin si, celle sur le contrôle de la télomérase aussi a été relativement rapide, mais ça représentait plus de boulot. Les investissements étaient sans comparaison. Cela dit, ce n'est pas moi qui vais me plaindre. S'il n'y avait pas eu le 4 mai 2014, je n'aurais certainement pas le job en or que j'ai aujourd'hui. La suite a été plus délicate. Dans un premier temps, ils ont cherché à généraliser la monétisation du don de sang. Beaucoup de pays comme la France avaient encore des textes officiels qui décrétaient que « le sang ne peut être source de profit financier ». Les relations privilégiées des riches et des politiques ont rapidement eu raison de ces quelques bâtons dans les roues locales. Voyez, tout le monde était gagnant : les vieux achetaient le sang aux jeunes et les jeunes étaient payés – juste ce qu'il fallait pour les faire revenir régulièrement. Deux flux se croisaient, l'argent circulait. Le nombre de dons a pulvérisé tous les records


de l'histoire de la transfusion à cette période. Malheureusement, personne n'avait pris en compte un facteur non négligeable : les jeunes sont cons. Mais cons ! Vous n'avez pas idée. Que croyezvous qu'ils ont fait avec tout ce fric ? Hein ? Pourquoi bosser quand il suffit de donner un peu de soi ? Ils se sont donc mis à s'amuser ! Alcool, drogues, sexe – et qui dit sexe, dit MST, vous savez, le SIDA, les hépatites, etc. 24h sur 24, 7 jours sur 7. Et bruyants en plus de ça. Une vraie nuisance. Non seulement leur sang est devenu totalement inutilisable, mais eux, ces abrutis transpirant la connerie par tous les pores, étaient maintenant une charge pour la société. Une génération entière bonne à foutre à la poubelle. Pardon, je m'emballe. Ne pleurez pas, voyons. Ce n'est pas contre vous. Vous, vous êtes quelqu'un de bien. Vous le savez, n'est-ce pas ? Là, n'ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal. Vous m'êtes trop précieuse. Chuuut. Où en étais-je ? Ah oui. Et les « entre-deux », comme on dit, me demanderez-vous ? Les pauvres entre 23 et 60 ans quoi. Ils ont cru pouvoir se révolter contre le système. « Pour protéger leurs enfants », disaient-ils. À mon avis, c'était surtout pour protéger leur retraite et leurs vieux jours, mais passons. On aurait pu s'attendre à un peu mieux de leur part quand même. Ils étaient en situation de précarité, et ils auraient logiquement dû être trop occupés à survivre un jour de plus pour penser à leurs enfants. Coca-Cola faisait le reste depuis que la télévision servait à vendre du temps de cerveau disponible. Mais non, une révolte, une révolution. Genre ! À qui a profité le chaos, d'après vous ? Aux riches, bien sûr. Encore une fois, Saint-Fric nous a sauvés. Saint-Fric, priez pour nous. Les milices privées, il n'y a que ça de vrai, croyez-moi. Les milices ont réglé deux problèmes d'un coup : le cas des adultes les plus rebelles et la surpopulation mondiale. Et vous voulez que je vous dise ce qui était encore plus beau ? Non ? Pourtant c'est intéressant, je vous assure. D'un côté, il a fallu gérer un sacré


paquet d'orphelins dont les parents avaient été massacrés et de l'autre, attention, certains sont venus les vendre volontairement ! Ça a été le début de l'opération : un enfant – un gros chèque. Les états se sont retrouvés en quelques mois avec un stock d'enfants et d'adolescents libres de droits. Vous avez probablement entendu parler des saumons de Norvège. La notion de productivité vous est peut-être même familière. Les gens aimaient vraiment beaucoup la chair rose du saumon. En plus, on leur disait que c'était bon pour la santé, qu'il fallait en manger pour faire le plein d'oméga-3. Face à la demande croissante, l'industrie a, comme toujours, cherché à optimiser la production. Des grands bassins fermés, des alevins, des granulés pour nourrir tout ce petit monde, des pesticides pour lutter contre les poux et une bonne dose d'antibiotiques parce qu'on n'est jamais trop sûr. Le système était bien rodé et il aura fallu un moment avant que les autorités sanitaires y mettent le nez. Elles ont trouvé un cocktail de neurotoxines, métaux lourds, mercure, dioxine dans les poissons. Bon pour la santé... Mouais. Peut mieux faire. Je vous rassure, aujourd'hui, il n'y a plus que du saumon sauvage de première qualité sur le marché. Plus besoin de payer une fortune pour en déguster, c'est le seul disponible. Il arrive à l'homme de réfléchir parfois. Vous entrapercevez la suite, n'est-ce pas ? La société avait donc ce stock d'« alevins » sur les bras dont il fallait faire quelque chose. Soudain, quelqu'un s'est dit que l'homme et le saumon avaient beaucoup plus en commun qu'on ne pouvait l'imaginer. Ainsi est apparue une espèce bien particulière : l'humain d'élevage. 100% élevé en batterie. Jusqu'à 13 ans, il grandit, on le laisse tranquille. Puis de 14 à 18 ans, il se reproduit à loisir. De toute façon, il n'a pas grand-chose à faire d'autres de ses journées et il faut penser à reconstituer le stock. À partir de 18 ans, on le siphonne. À 23 ans, il est recyclé. Aucune chance que vous ayez vu Soleil vert, vous êtes beaucoup trop jeune. Il ne vaut peut-être mieux pas cela dit.


Regardez-moi dans les yeux un instant. Arrêtez donc de remuer la tête comme ça, je ne voudrais pas laisser de marques sur votre joli visage. Voilà. Soleil vert, vous n'en avez jamais entendu parler. Parfait. Reprenons. Le problème... L'homme réfléchit parfois. Certes. L'homme a surtout une propension certaine à refaire les mêmes erreurs. Encore et encore et encore. Les jeunes issus de ces fermes ne sont pas aussi bons pour la santé des vieux qu'on le disait. Il faut lutter en permanence contre les poux, les épidémies, l'automutilation – si vous avez l'estomac bien accroché, je vous montrerai les photos, elles font vraiment mal au cœur. La consanguinité était un souci majeur aussi, mais pour ça, il y a maintenant des programmes d'échanges entre fermes du monde entier. Le métissage a même le mérite de produire de beaux produits. Ça reste néanmoins un produit d'élevages réservé aux plus « pauvres ». Même si les riches se sont débarrassés des pauvres, il y aura toujours quelqu'un de plus pauvre et quelqu'un de plus riche. C'est mécanique. C'est sans fin. Les riches-nouveaux pauvres (quelle ironie !) se nourrissent donc à partir d'humains d'élevages, et les riches vraiment très riches ont les moyens de se payer mes services. Ou ceux de mes collègues d'ailleurs. Nous nous sommes rendus indispensables et, parallèlement, c'est devenu un milieu très concurrentiel et dangereux au fil des années. Car, voyez-vous, c'est du grand art de mettre la main sur des gens comme vous. Loin de moi l'idée de m'envoyer des fleurs, mais il faut un vampire talentueux comme moi pour y arriver. Bien sûr vous connaissez l'existence des vampires, sinon vous ne seriez pas en liberté à votre âge. Quelqu'un vous a appris à échapper à la traque, et même à vous défendre peut-être. Mais le boulot a été mal fait de toute évidence. Je vous ai senti de tellement loin, j'avais hâte de vous goûter pour m'assurer de la qualité de la marchandise. La chasse a été bonne, vous êtes parfaite.


Je vois poindre une question dans votre esprit. Pourquoi ? Oui, pourquoi vous chasser, vous, alors qu'il me suffirait d'offrir la vie éternelle à quelques riches en échange d'un gros chèque ? Si les choses pouvaient être si simples, ce serait merveilleux. Taux de survie au grand saut ? Inférieur à 1 pour 100 000 000. Autant dire qu'il vaut mieux jouer à l'Euro Millions et espérer devenir un nouveau riche et pouvoir se payer les traitements antisénescences dernier cri. Hmmm. Pourquoi je vous raconte tout ça déjà ? Ah oui, je me souviens. Désolé, je suis tellement bavard. Mais il fallait que vous compreniez votre valeur. La valeur de votre vie aux yeux de mes employeurs. Car vous êtes un saumon sauvage. Un produit de première qualité. Vous ne connaissez pas les fermes. Vous avez eu la chance d'avoir des parents qui vous ont aimé au point de vous cacher toute votre courte vie et de vous protéger des dangers de ce monde. Vous avez connu le grand air, vous avez reçu une petite éducation, vous avez même dû courir pour survivre. Vous êtes naturelle. Et vous êtes vierge. 18 ans et toujours vierge. C'est si rare de nos jours. Un dégénéré aurait pu vous tomber dessus depuis longtemps, il en reste encore trop. Plus de souci à vous faire maintenant, vous allez être bichonnée pendant 5 ans. À vous le luxe, le calme et la volupté. Petite chanceuse. Allez, venez, ne faisons pas attendre mon client, la limousine blindée et son escorte sont arrivées. Ce serait dommage qu'un concurrent puisse mettre la main sur vous maintenant. Surtout pour moi. Certains n'ont aucun respect pour le travail des confrères, si vous saviez. En tout cas, vous venez de me payer une année sabbatique à me tourner les pouces. Les vierges ont toujours eu beaucoup de succès. Une vieille amie, qui a mal fini, me le disait déjà au XVIe. Ah, Elizabeth. Elle avait tout compris avant tout le monde. L'avenir est dans le sang des jeunes.


Un entretien inattendu !

Je viens d’avoir seize ans. Si on n’avait pas évolué un peu, je serais déjà mariée à un vieux qui fait deux fois mon âge. Je suis née au XIXe siècle. Dès qu’elle est montée sur le trône, Notre Majesté la Reine Victoria a fait voter une loi qui nous permet, à nous la gente féminine, de faire à peu près ce qu’on veut. Certains nous traiterons toujours de vieille fille à vingtcinq ans si on n’est pas marié mais maintenant on peut l’être sans aucune obligation quelconque en premier. Les traditions sont toujours là surtout pour des familles aristocratiques qui pensent que les meilleures alliances sont les mariages. Je trouve ça nul, j’ai toujours voulu me marier avec l’homme que je veux et que j’aime, un petit détail qui a son importance. Mes parents ne m’ont jamais forcé à épouser un homme ou à m’élever dans ce but. Ils sont assez libres pour des aristocrates surtout qu’ils sont une des plus puissantes familles de l’Empire Britannique. Vous l’aurez déduit je suis une aristocrate. J’ai même deux frères, et en plus jumeaux. Ils sont beaux, intelligents et idiots à leur heure perdue. Ce dernier point ils ne le montrent pas en public, sinon on crierait au scandale. Avec mes frères nous avons deux ans de différence, ils vont reprendre l’affaire familiale, ils sont encore un peu jeune, tout juste dix-huit ans. Mon père a une grosse entreprise industrielle, on peut y faire des voitures sans besoin de chevaux, ça roule avec une machine. Il y a toutes sortes de fabrications dans cette entreprise, automates, pistolet, tout qui peut se rapporter au fer, ou des éléments qui peuvent être


fabriqués, façonnés. Mon père a un avantage : ma mère est une excellente sorcière. A eux deux ils forment un couple hors du commun. Mais le petit plus et qui me plait vraiment, il fait des armes pour les espions de sa Majesté, je vais souvent les voir pour qu’ils apprennent à me défendre. Ça m’a aidé il y a deux mois. Bref. On peut être en danger tout le temps surtout pour une jeune fille qui se promène dans les rues sombres pour trouver l’entrée secrète qui mène à son entretien d’embauche. Le monde surnaturel côtoie, au grand jour, le monde des communs des mortels depuis quelques siècles. Le meilleur c’est le mien, bien évidemment, les choses évoluent de plus en plus. Mon père est un hybride il peut se transformer en loupgarou et être un vampire aussi. Mes frères et moi avons hérité de tous les gênes. J’ai une préférence pour la magie. Mes yeux brillent quand je m’exerce. Le plus important pour le moment est de trouver cette fichue entrée secrète. Ca fait déjà quelques minutes que je fais le tour et j’en vois aucune. Je vais devoir servir de ma magie. Je ferme les yeux, je trouve ça plus distingué même si je n’en ai pas vraiment besoin. Je me concentre, ouvre les yeux et vois une petite entrée dans la pierre. J’étais dans une rue à côté du Palace de Buckingham mais une rue sombre reste une rue sombre où qu’elle soit. L’espèce de porte s’ouvre et je rentre. Un gros boom se fait entendre, je me retourne et je constate que la « porte » s’est refermée. Ça fait un peu flipper. Pour l’occasion j’étais habillée d’une robe noire avec un corset pas trop serré. J’ai quand même seize ans je ne peux pas être sexy comme une grande dame en plus c’est un entretien d’embauche. C’est grâce à un des espions que j’ai la chance d’avoir cet entretien.


Je me souviens, il m’a dit : « Tu dois trouver l’entrée ! ». Ah ah, la bonne blague ! Pour l’avoir trouvée, je l’ai trouvée ! Une petite cachotière cette porte. J’arrivais au bout du couloir et d’un coup un homme se dresse devant. Il devait avoir dans les quarante ans, brun avec des cheveux gris qui commencent à sortir. - Vous êtes mademoiselle Starling ? dit-il d’une voix grave. - Oui, monsieur. - Suivez-moi ! Il se tourna d’un seul coup. Je le suis jusqu’à une porte eeuuuh en or. Non, je n’y crois pas ! Elle est vraiment en or ! Grâce à mon pouvoir je reconnais tous les éléments et ses dérivés. - Asseyez-vous dans ce fauteuil, me dit-il en me montrant le dit fauteuil. Je m’assis et attends sagement. - Mademoiselle Starling, vous avez été retenue parmi les candidatures pour être une assassin au servir de sa Majesté, vous devez savoir que c’est un poste qui a des responsabilités et qui est trié sur le volé. Vous avez été chanceuse d’avoir cet entretien. Certaines personnes, de n’importe quel secteur, qui travaillent pour la couronne depuis tant d’années n’ont pas eu cette chance, vous comprenez ? - Oui, monsieur. - Vous savez dire que ça ? - Oui, monsieur enfin non je ne sais pas dire que ça.


Ça part déjà mal. Il faut que je me ressaisisse, ce travail est pour moi. J’inspire, j’expire puis : - J’ai postulé car je sais que je peux en être capable surtout depuis l’incident d’il y a deux mois. C’est dans mes gênes de tuer. Si je peux aider Sa Majesté avec mes pouvoirs, je le ferais volontiers. C’est vrai que je ne pourrai pas tuer de sang-froid mais je défendrai le monde qui m’entoure. J’avais dit ça d’une seule traite. Je crois que mes joues étaient rouges comme une tomate. - Vous devez avant tout protéger Sa Majesté et si elle dit de tuer une personne, vous devez exécuter cet ordre. Après quelques secondes de silence, le monsieur, je ne savais toujours pas son nom, dit : - Je suis désolé pour vous, vous êtes jeune, sans expérience, ça ne va pas le… Une porte s’ouvre d’un seul coup. Je ne l’avais pas vue. Ce soir je ne sers strictement à rien, d’habitude, je peux tout percevoir et savoir qui approche mais pas ce soir. Le Monsieur que je vais nommer cheveux-qui-commencent-à-être-gris se lève très vite de son siège : - Votre Majesté ! Sitôt je me lève : - Votre Majesté, dis-je en m’inclinant.


Elle était très jolie je trouve, et jeune. Nous étions en 1837, l’année où Sa Majesté Victoria est devenue reine. Nous avons juste deux ans de différence. - Richard, ne faites pas cette tête, mademoiselle Starling est très bien vue depuis sa petite mésaventure d’il y a deux mois. Vous vous êtes fait kidnapper et vous n’avez pas hésité à tuer ceux qui allaient vous faire du mal. Quand on vous a trouvé, il y avait des demoiselles dans un triste état qui allaient être vendues. Vous les avez sauvées, je ne peux que vous féliciter. Il s’appelle Richard ? Je ne le voyais pas avec ce prénom. Petit mésaventure ? C’est un euphémisme comme si c’était ma faute. Elle reprit : - Pendant deux ans, vous allez être formé par les meilleurs. Je sais que vous avez quelques petits dons particuliers qui peuvent nous être bien utile. Ce que je sais c’est que vous avez hérité des gênes de vos deux parents par ce fait, vous êtes douée dans beaucoup de domaine. Ce que je ne comprends pas, pourquoi devenir un tueur, un assassin ? - Votre Majesté, je ne serais jamais une bonne fille de la société, j’adore la connaissance, je n’arrêterai pas d’apprendre. Depuis que vous êtes Reine, certains veulent vous tuer à cause de la loi qui est passé. Je pense que le monde a besoin de changement même si ça doit être progressif. Je ne pense pas que je tuerai de sang-froid, mais pour défendre oui. Vous ferez une bonne Reine et avec mes contacts dans la haute société, je pourrai savoir


beaucoup de chose. Je n’aime pas les bals pour ce faire voir mais je ferai une exception pour vous. C’était médiocre mais c’est tout ce que je pouvais dire. Je n’étais encore qu’une jeune fille et ma maturité n’était pas au plus haut ces temps-ci. Elle sourit et dit : - Je vous engage, je l’ai déjà dit. Je sens qu’on va bien s’entendre mais vous allez être formé pour ça et vous avez encore besoin de vos parents. Dans deux ans, à vos dix-huit ans vous allez commencer et je sais qu’on va faire de grande chose toutes les deux. En cet instant, je compris que la reine était une sorcière et d’après la décharge de pouvoir qu’elle dégageait une très puissante sorcière. Elle a cette lueur dans les yeux, un peu comme moi. Elle est redoutable, je n’aimerai pas être son ennemi. - Enfin Votre Majesté, vous ne pouvez pas... - Assez Richard ! Vous allez la mettre en contact avec qui vous savez ! Sortez maintenant ! Il sortit presque en courant. Ooh le pauvre, je n’aimerai pas être à sa place. - Quant à vous mademoiselle Starling, vous allez me rendre visite très souvent. Je n’ai confiance en personne mais quelque chose me dit que je peux avoir la vôtre. En privée, vous pouvez me parler comme vous voulez, en public ça sera Votre Majesté et ses codes. - Oui, Votre Majesté, en m’inclinant.


J’étais toujours inclinée. Mes jambes étaient pliées, mon buste un peu en avant mais je relevais la tête, presque comme un défi. J’ai un tempérament de feu pour une jeune fille de mon siècle. C’est très mal vu. Je la regardais droit dans les yeux et voit un monde, si on ne fait rien, qui sera réduit à néant. Elle me sourit et dans ces yeux, des flammes apparaissent. Seules les personnes qui ont cette caractéristique sont choisies par la Magie, j’insiste sur la majuscule. J’en fais partie, certains nous appelle les Elus, d’autres les Destructeurs du Monde. Nos pouvoirs peuvent être tellement grands que nous pouvons exterminer tous les êtres vivants du monde, ça dépend des personnes. J’ai l’impression d’avoir pactisé avec le Diable. Nos destins étaient de se croiser. Pourtant, ce que je ne savais pas à ce moment-là c’était qu’une grande amitié et une aventure dans un monde encore dominé par les hommes, nous attendait.


Marilou Boutin et le poltergeist fé tichiste « Pourvu que cela marche... » Assise au centre de la boutique déserte, Marilou ôte ses escarpins. Aussitôt se manifeste le tremblement coutumier des boîtes à chaussures empilées contre les murs ; il est déjà là. Croisant les doigts, la jeune fille brandit la télécommande de la chaîne Hi-Fi... -:Quelques explications semblent s'imposer... Marilou Boutin est une sorcière. À ce mot, le quidam imagine une vieille décrépie, vivant au sommet d'une tour délabrée et touillant inlassablement dans un chaudron avec le manche de son balai. Marilou n'est pas ainsi. Elle, c'est une sorcière moderne — elle possède même un mixeur ! Aujourd'hui, Marilou tente de sauver son emploi. Parce qu'elles travaillent, comme tout le monde, les sorcières modernes ! Elle, elle vend des souliers dans une petite boutique du centre-ville. La devanture affiche « Chaussures Deslauriers » en lettres dorées et, en dessous, en peinture un peu écaillée, l'on a dessiné une couronne de lauriers. « Elle symbolise l'excellence ! » aime à dire monsieur Deslauriers ; Marilou, elle, y voit surtout un très mauvais jeu de mot. Mais elle acquiesce,


car monsieur Deslauriers est son patron et qu'elle tient à rester en bons termes avec lui. Vendeuse de souliers, c'est une excellente place, pour une sorcière. D'une part, Marilou y excelle, grâce à ses pouvoirs de persuasion hors du commun, et, d'autre part, plus que beaucoup d'autres, ce lieu lui plaît. N'est-ce pas un peu magique, au fond, un magasin de chaussures ? Partout de la moquette, qui étouffe les pas et ainsi préserve la grâce du silence ; partout une odeur de cirage... Un côté labyrinthique, aussi, étant donné l'ampleur du stock qu'il a fallu entasser dans un espace si réduit — et puis il y a partout des boîtes ! Qu'y a-t-il de plus magique qu'une boîte ? Quoi mieux que cet objet sait à la fois dissimuler et susciter la curiosité ? C'est le mystère dans son essence la plus concrète ; Pandore en témoigne ! Marilou étant sorcière, elle aime les boîtes. Et étant femme avant d'être sorcière, elle aime les chaussures ! Alors, c'est peu dire qu'elle aime son emploi. D'où son dépit lorsqu'un poltergeist a fait son nid dans la boutique de monsieur Deslauriers... De tout temps et bien malgré elles, les sorcières ont provoqué des phénomènes des plus étranges. C'est un fait bien documenté : elles attirent le surnaturel comme des aimants : qu'une ait un chagrin d'amour et la banshee hurlera des nuits durant, qu'une autre ait un rhume et une forêt entière peut en dépérir. C'est logique, en somme, car l'on ne peut détenir un tel pouvoir sans qu'une petite partie ne s'échappe. Hélas, ces fuites ont souvent des effets désastreux... Marilou n'a rien contre un peu de désordre, loin de là. Elle en a elle-même provoqués de beaux dans la


boutique, certains jours où monsieur Deslauriers s’est absenté ; se souvenant d'une formule de psychokinésie inutilisée depuis ses années d'école, elle y a sans doute organisé les plus formidables spectacles de claquettes que la ville a jamais connus. Mais les manières d'un poltergeist ne valent pas les siennes : si elle ne se laisse aller à ces folies qu'en l'absence de clients, lui n'a pas peur de mettre le bazar en leur présence. Dans un premier temps, elle s'est forcée à tousser pour masquer le grondement des boîtes animées par l'esprit frappeur, puis elle a blâmé des travaux dans l'immeuble ou dans la rue, sans toujours convaincre. Monsieur Deslauriers, lui, est absolument imperméable à toute chose surnaturelle ; son esprit si terre-à-terre ne les remarque tout simplement pas. C'est l'une des raisons pour lesquelles Marilou a précisément postulé dans sa boutique, mais voilà que son employeur, aveugle à toutes les choses étranges qui surviennent soudain dans son univers, remarque tout de même un air mécontent chez bien des clientes... et un ralentissement de ses affaires. La sorcière en est donc venue à craindre pour son poste, qu'elle risque fort de perdre si le boutiquier s’imagine que c'est son service qui indispose la clientèle. Qui plus est, le poltergeist est un pervers. Il ne s'excite qu'à la vue de pieds, lorsqu'une cliente essaie une paire de souliers. Et, visiblement, le spectacle lui plaît car il se montre de plus en plus agité… de même qu’étonnamment peu impressionné par les efforts de Marilou pour le chasser. Elle a saupoudré partout du sel, dessiné des pentacles sous les tapis, brûlé des encens spéciaux... En vain : peu importent les désagréments qu'elle lui cause, son plaisir de hanter les lieux reste plus


fort. -:La solution est venue d'un certain Gregory. Alors qu'une après-midi Marilou se trouvait obligée d'inventer ce qui lui semblait être la millième excuse au vacarme que faisait l'esprit frappeur, il cessa subitement son remue-ménage, lâchant les boites en carton auxquels il était agrippé depuis des jours. Un immonde bruit de chasse d'eau retentit, puis fit place à un calme si peu coutumier qu'il en était étrange, comme si le poltergeist s'était enfui à travers une canalisation. La boutique était restée silencieuse, si ce n'est pour la radio que Marilou avait pris l'habitude d'écouter, espérant dissimuler son problème par la musique qu'elle diffusait sans interruption. Les ondes portaient alors la chanson réclamée par Gregory : le générique de la série Ghostbusters... C'était logique, en somme : pour un esprit, ces paroles devaient être un affront terrible, ou peut-être une menace. Marilou aurait voulu les passer en boucle, et être ainsi débarrassée de l'intrus. Cela risquait cependant de ne plaire ni à monsieur Deslauriers, ni à ses clientes... Sachant cela, il lui fallut plusieurs jours pour mettre au point un plan. Par chance, les deux semaines de fermeture annuelle approchaient. Le patron en profitant toujours pour partir en vacances dans son camping-car, elle aurait quartier libre pour faire le ménage dans le magasin. La voilà donc seule dans le rayon « pointure 36 », apprêtant à mettre son plan à exécution. Elle a à peine


découvert ses pieds que le poltergeist en trépigne d'excitation. Les siens, il ne les avait encore jamais vus et, d’après sa réaction, il devait attendre impatiemment cet instant. Près d'elle, une rangée de bottes s'effondre en dominos… Marilou en conclut que c'est le moment : elle brandit la télécommande comme une baguette magique, et presse la touche de lecture. Aux premières mesures de Ghostbusters, avant même qu'on entende Ray Parker Jr, le poltergeist s'enfuit avec le même bruit de tuyau que la première fois. Satisfaite, elle remet ses escarpins et se promet de recommencer l'opération trois fois par jour jusqu'au retour de monsieur Deslauriers. Si elle se souvient bien de cet article relatif aux expériences de Pavlov sur le conditionnement, qu'elle a lu un jour dans quelque magazine, cela devrait résoudre définitivement son problème. Si cela fonctionne avec un chien, cela fonctionnera sûrement avec un poltergeist, car celui-ci n'est guère plus intelligent ! À terme, le stimulus négatif de la chanson sera chez lui si profondément associé à celui, positif, des pieds que sa réaction d'effroi face au premier devrait s'imposer aussi au second. Alors, elle saura sans peine chasser cet indésirable, puisqu'il ne pourra plus se raccrocher à son fétiche pour trouver la force de résister aux sortilèges de la sorcière... À trois reprises chaque jour, Marilou réitère donc l'opération. À chaque fois, il se manifeste plein d'entrain dès qu'elle découvre ses orteils. Alors il fait trembler les meubles, les murs, entrechoque les boîtes… Une fois, il manifeste même son plaisir en entortillant des lacets, les transformant en une pelote de dix-mille nœuds. Mais chaque fois, cependant, il s'enfuit aussitôt que


Ghostbusters retentit dans la boutique. Enfin, Marilou commence à observer des signes de fatigue chez son adversaire. Il semble moins enthousiaste en l’observant délacer ses chaussures puis, finalement, en vient à déguerpir par avance, avant même qu'elle mette en route la chaîne Hi-Fi, juste de la voir se pencher pour renouveler cet épouvantable enchaînement. Elle en déduit qu'il est temps de procéder à un nouvel exorcisme. -:En quelques formules, Marilou a triomphé du poltergeist fétichiste : il ne reviendra pas de sitôt hanter la boutique. Maintenant, il lui faut cependant y mettre de l'ordre, car monsieur Deslauriers sera de retour dès le surlendemain. Courageusement et le cœur léger à l'idée que s’est éloignée l'épée de Damoclès menaçant son emploi, elle ramasse les boîtes en carton renversées, réorganise les rayonnages. Il n'y a en somme que la pelote de lacets qu'elle ne parvient à démêler. « Bah, cela me fera un porte-clefs... »


Réceptionniste de nuit

Bon ben quand faut y aller faut y aller… Pas trop le choix la crise est pour tout le monde, humain comme vampire, si je veux survivre il me faut un boulot. Quand je pense que de mon vivant j’étais Vicomte, riche et oisif. Je ne vais pas ressasser ça toute le nuit je dois remplir ce satané formulaire d’embauche…

HOTEL STARLIGHT PALACE - Fiche de candidature pour un emploi Réceptionniste de nuit Nom : Vicomte Jean-Baptiste Armand Louis Villeneuve de Lacroix Date de naissance : 12 janvier 1690 1990 à Villeneuve sur Croix Adresse : Manoir de Lacroix Ville : Villeneuve sur Croix Département : Seine et Marne Code postal : 77235 Téléphone : 06710552682 – disponible du coucher du soleil à l’aube Adresse électronique : Vic2delacroix@gmail.com Situation Familiale : Célibataire (Bon en fait je suis marié depuis 1905 mais ce n’était que pour des questions administrative concernant l’ouverture d’une maison close)


Nombre d’enfants : 1 fils, décédé en 1765. Paix à son âme. (J’ai créé un vampire en 1893 ça compte comme un enfant à charge ça ?) Disponible à partir du : 01/06/2014 N° de sécurité sociale : 1900177235113 11 (Heureusement que j’ai pensé à me faire faire de faux papiers avant de postuler.) Salaire souhaité : 3000€/mois, sinon ce n’est pas la peine. (J’ai un certain standing à respecter. Faut pas abuser, je ne vais pas perdre mon temps dans un palace à faire du lèche bottes à des bourgeois pour un salaire de misère !) Poste demandé : Réceptionniste de nuit, comme indiqué en haut à droite de ce formulaire. (C’est écrit en haut du formulaire, et puis que veux-tu que je fasse d’autre, hein, je ne supporte pas la lumière du jour !) Êtes-vous français ? Oui et mon arbre généalogique est à votre disposition (Je suis le Vicomte Jean-Baptiste Armand Louis Villeneuve de Lacroix, ce n’est pas assez français comme nom ?) Avez-vous déjà travaillé dans cette société ? Non (Par contre je suis du genre à fréquenter ce genre d’endroit en tant que client, enfin si mes finances ne s’étaient pas écroulées aussi lamentablement, dur de vivre la grande vie en 2014.) Avez-vous déjà était condamné pour un crime ? Oui Non (Enfin il faut dire aussi que je n’ai jamais été pris, non pardon je raconte des bêtises, en 1755 j’ai été accusé de meurtre, pour une fois que j’étais


innocent. Enfin une broutille, j’ai été pendu mais il m’en faut plus que ça pour m’arrêter, par contre je peux certifier que le vrai responsable a lui été châtié, un sang d’un goût merveilleux, je m’en délecte encore.) Formation : Précepteur à domicile jusqu’à mes 18 ans. Un vicomte n’a pas à aller salir ses culottes sur les bancs de l’école du peuple. Diplôme : 2007 BAC S, Lycée International Meaux 77 – Licence d’Histoire, Université Paris 2, je devrais être en mesure de présenter ces documents lors de l’entretien. (Penser à passer commande de ces diplômes via internet.) Emploi précédent : Directeur de maison close – Réceptionniste de l’Hôtel de la gare à Villeneuve sur Croix - Etablissement fermé en mars 2013 suite à un incendie criminel. (Fallait que je maquille les 3 morts de la chambre 19 en accident, et puis j’ai gardé du papier en-tête je pourrais toujours présenter un beau certificat de travail. Je devrais peut-être tuer les anciens propriétaires pour être sûr que la sécurité du Palace ne puissent pas remonter jusqu’à eux. NB : Tuer Mr et Mme Lameaud demain soir). Service Militaire : En règle avec la Journée d’Appel , j’ai lu sur internet que c’était obligatoire donc je l’ai fait. (Sinon j’ai servi 4 ans dans la cavalerie de l’Armée Française de 1710 à 1714, juste avant d’être transformé en vampire, ensuite j’ai pris mes distances et j’ai laissé les humains s’entretuer, tout en continuant d’en tuer.) Langues pratiquées : Anglais courant – Espagnol courant – Allemand courant – Italien courant – Russe notions – Latin Grec ancien (Quand on est immortel on a le temps de voyager et d’apprendre, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai besoin d’argent, j’aimerai bien visiter les USA) Loisirs : Escrime, lutte, tir à l’arc (Traquer, chasser et tuer des gens pour les vider de leur sang.)


Je certifie que mes réponses sont exactes et honnêtes. (Je certifie que tous mes mensonges sont exacts et honnêtes. J’engage de plus mon honneur, enfin ce qu’il en reste, à ne tuer aucun futur collègues, ni les clients de l’hôtel, par contre je ne saurais être tenu responsable de leur sort une fois la note payée.) Si cette candidature débouche sur un emploi, des informations fausses ou erronées indiquées dans ce formulaire ou pendant mon entretien peuvent entraîner mon licenciement. (Ou la mort du responsable de ce licenciement.) Signature DELACROIX

Date 7 mai 2014

Envoi du mail confirmé. Bien y a plus qu’à attendre. J’espère qu’ils ne seront pas trop longs à répondre.

« 10/09/2014 14h45 - nouveau mail de RH Hôtel Starlight Palace Monsieur, En réponse à votre candidature en date du 9/05/2014, je suis au regret de devoir vous informer que celle-ci n'a pas été retenue. Soyez cependant assuré que cette décision ne met pas en cause vos qualités personnelles, ni même celles de votre formation. Nous sommes très sensibles à l'intérêt que vous portez à notre entreprise, et conservons vos coordonnées afin de vous recontacter au besoin. Nous vous souhaitons une pleine réussite dans vos recherches futures. Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes salutations distinguées. Elisabeth Roland Directrice des Ressources Humaines » « Très sensible », mais bien-sûr ! « Ne remet pas en cause mes qualités personnelles », qu’est-ce que tu en sais ce n’est pas avec ce bout de papier que tu


vas me connaitre. Moi, par contre, j’ai bien envie de te rencontrer Elisabeth, tu as mes coordonnées, très bien, moi aussi j’ai les tiennes. Je sens que je vais me faire un repas de directrice de ressources humaines ce soir.


Soif de Sara Jelic

Je me présente : je suis Daniel, l'une des ombres, quelqu'un de la nuit, sans crainte de la lumière du jour, c'est moi. Depuis une centaine d'année, j'habite ce jeune corps, le même que lorsque j'avais vingt ans, sans la durée et libéré de la peur suprême qu'est la mort. Le sentiment est indescriptible, comme si le temps s'est arrêté pour moi, comme si j'étais gelé dans la glace intemporelle. Mais ne m'enviez pas et ne pensez pas que c'est facile de devenir un vampire. Je sais ce que vous imaginez : on vous mord et voici, vous êtes un vampire. Eh bien, la vérité est très différente. Si différente, qu'elle peut vous sembler un fantasme exagéré mais croyez-moi, c'est pire que vous pouvez imaginer. Oh excusez-moi, je dois vous embrouiller l'esprit de mes mots, rassurez-vous, je vais vous raconter mon arrivée ici et vous mener à la salle de votre entretien d'embauche. Vous me suivez ? Continuons donc... Je m'en souviens comme si c'était hier. Clair comme le jour. Je ne vais pas vous ennuyer avec une description minutieuse de l'époque où j'ai vraiment eu vingt ans. Je dois seulement vous dire que c'était une époque où nous, villageois, partions vers les villes éclairées et goudronnées, promettant de meilleurs avenirs à bon nombre d’entre nous. La vie à la campagne n'avait plus aucun sens et s'était coincée dans la boue, n'arrivant plus à avancer. Je comptais les dalles carrées menant vers l'usine où m'attendait une partie de mon rêve. L'usine, bâtiment de brique rouge entouré de deux grandes cheminées crachant la fumée noir pour nuire au soleil. Il a bien mérité, pensais-je, pour toute les fois qu'il avait brulé les champs de mon père laissant notre faible récolte de blé et d’autres vivres décimées. C'était là-bas que je changerais ma condition de paysan. Là-bas où mon existence se verrait améliorée. Avec ces pensées, j'atteignais l'entrée. Je n'eus même pas le besoin


de frapper, quelqu'un m'ouvrit instantanément. Une femme superbe, une de ces belles femmes des villes qui me demanda souriante: « Etes-vous Monsieur Daniel Clavel ? » C'était la première fois qu'on m'appelait monsieur. Ca me plaisait déjà. -Oui, je le suis, avait-je répondu alors avec enthousiasme. -On vous attendait. Venez, le patron veut vous voir. -Je ne suis pas en retard ? -Oh que non, vous êtes même en avance... avait-elle dit avec un petit sourire amical. Me voilà entré dans le cœur de mes espérances. Je visionnais les locaux : immenses, démesurés et grandioses. Partout, des couleurs sombres aux murs. Les fenêtres larges dégageaient les rayons du soleil, seules sources apparentes de cette pièce car je ne voyais pas de lampes autour. Le directeur était là, adossé contre l'encadrement de la porte qui devait mener à l'intégralité de l'usine. Sa chevelure longue et lisse était d'une blondeur éclatante et encadrait un beau visage dont les yeux vert scintillant me fixaient. Il portait son habit typique, la veste noire, la chemise blanche, la cravate rouge, le pantalon noir et les chaussures laqués. Il ne cessait de se gratter le menton d'une belle élégance. « Vous voilà, Daniel Clavel ! », m'accueillit-il d'une voix joyeuse mais grave. -Euh, bien... bonjour... balbutiai-je à sa vue. Oui, je suis Daniel. -Léo Maréchal, ravie de faire votre connaissance... avait-il ajouté en me serrant la main chaleureusement. Evidemment, je restai raide et droit comme un I, un peu désarçonné. Je devais entrer dans un nouveau monde loin des campagnes boueuses -C'est bien que vous ayez répondu à notre annonce, vous êtes le premier, et en plus vous êtes venu de suite pour nous voir. Bravo ! Nous recherchons des employés réactifs compétent et sachant saisir des opportunités mais avant, je vous montre les lieux de votre futur fonction, histoire de vous mettre dans le bain...


-Oui, je devrais... voir, répondais-je. Mr Maréchal avait légèrement esquissé un nouveau sourire avant de me conduire vers les ateliers de production. Là commença ma visite. On passait de couloirs à une petite salle où des travailleurs emballaient des cosmétiques : rouge à lèvres, fond de teint, fard à paupières, parfum... avec les matériaux présent, ils donnaient forme aux objets allant servir à des gens mondains où de la ville voulant s'embellir. Deux fois par an, avant Noël ou Pâques, ce genre d'objet arrivaient dans la petite épicerie de mon village et toutes les filles s'empressaient devant les étagères espérant qu'un jour, elles pourront s’offrir une de ces merveilles et ressembler aux femmes mondaines des villes. Ces produits sophistiqués, inédit dans mon environnement natal, me fascinaient. Bien sûr, je suis un homme et les maquillages ne sont pas du tout pour l'utilisation masculine mais un petit fond de teint pouvait effacer des traces de fatigue apparente et mettre de l'éclat au visage. Et puis, je voulais aussi une femme sentant le parfum et non l'herbe mouillé et la sueur de labeur. Les gens portaient tous d'uniformes noir et des chemises blanches, sans doute proscrites par le règlement. Aujourd'hui, dès vous pensez aux ouvriers, vous avez toujours l'image de personnes désespérées, sales, n'ayant plus aucune envie de vivre, le regard las... eh bien, ici, ils semblaient contents, certes un peu épuisés et pâles, mais avec un grand désir de poursuivre ce labeur. Et ils étaient d'une propreté immaculée ! Le fonctionnement était à la chaine mais ils se parlaient entre eux. Certains ont commencé à me dévisager et à me saluer de geste amical. Ils m'avaient l'air sympathique. Ainsi serait ma nouvelle famille. Des employés mieux traités et ayant des liens assez fort pour soutenir leur métier. J'avais une pensée pour mes frères et sœurs dans leurs habits tâchés et puants. Mon employeur me mena dans une autre salle où quelques autres travailleurs vérifiaient les objets, appliquant des étiquettes, testant même les produits en question. Je me rappelle juste que cette salle était la seule à avoir une couleur aussi claire que le bleu lavande.


Des boites en cartons contenaient toutes ces choses qui allaient être exportées dans d'autres contrées et qui pourraient rendre beaux les gens ordinaires et les célébrités comme des musiciens ou du cirque. Vous êtes encore avec moi ? Bon, continuons... Je ne puis me souvenir de la totalité des lieux visités mais juste qu'aucun comportement, fait où manière suspect ne m'attirait l'attention. Aucune trace de manifestation étrange n'était détectée chez les salariés et dans les endroits. Leurs regards affectifs, leurs fluidités, leurs déplacements quelque fois anormaux, leurs chuchotements... rien ne m'alertait, oh rien du tout. Durant la visite, mon futur patron me parlait de la fondation de l'entreprise, du nombre d'employé (près de deux cent personnes qui travaillaient dans l'usine), de la qualité de leurs produits, du développement durable et constant qui rapportait des résultats satisfaisants et confiant... j'ai oublié les mots, je vous en prie mais moi, à ces instants, j'étais comme un enfant rentrant dans un magasin de jouets. L'idée que je travaillerais ici et que je confectionnerai des cosmétiques qui seront distribués partout me plaisait énormément, si bien que je ne songeais même pas au salaire. Nous montions dans le premier étage, sur des escaliers rouges, puis nous arrivons au principal couloir où les hauts gradés se rendaient. Des secrétaires aux stagiaires rodaient, apportaient des dossiers. Le rythme normal d'une entreprise, pensai-je. Cependant, quelque chose m'intrigua : pendant qu'on s'approchait de la salle où mon embauche devait se conclure, une employée sortit de conférence m'a bousculée accidentellement. Elle s'est excusée et est partie en vitesse mais... elle sentait mauvais. Une odeur infecte émanait de cette femme et m'avait gêné. Je me suis dit : Oh rien, elle a dû oublier de se laver... tu parles, j'aurais dû m'enfuir à ce moment-là... Mr Maréchal empoignait la petite porte noire mais m'avait déclaré d'un ton soudain sévère : « Monsieur Clavel, vous allez enfin passer votre entretien d'embauche mais je vous préviens, vous


pouvez rentrer chez vous dès cet instant. Dès que vous entrerez, vous ne pourrez plus revenir en arrière. » -Ah et pourquoi reviendrai-je en arrière ? Je veux ce travail ! Tout me plait déjà ! -Donc, vous entrez en renonçant à tout ? -A tout, oui... Encore aujourd'hui, j'aurais dû comprendre ce a tout comme trait de ma vie. J'avais décidé de mon destin sans avoir connaissance des sous-entendus du directeur. Et j'entrai. Une pièce lugubre, avec une table blanche, deux chaises des papiers et un stylo. Des lumières rouges emplissaient cet endroit. Je pus m'assoir sur la chaise. Mr Maréchal, déjà assis, avaient les coudes posés sur la table et les poings sur les joues, il me demandait : « Bien, Daniel, vous voici. Maintenant, on peut passer aux choses sérieuses. » -Oui, c'est sûr. -Tout d'abord, lisez le document. -Je ne vous montre pas mes pièces d'identités, mes certificats d'études et mes... ? -Oh non ! Tout cela sera inutile maintenant. Lisez. J’abaissai la tête pour y lire une feuille avec des écritures rouges, prévoyant le contrat définitif de mon embauche sans aucune garantie de rétraction et de licenciement exceptionnel en cas de faute gravissime. Le contrat n'indiquait pas mon futur poste mais que l'employé devrait 'montrer ses capacités et ses aptitudes au travail et ne jamais avoir soif au point de ne pas pouvoir exécuter ses tâches courantes'. Ce détail, je ne comprenais pas, vu que l'usine ne fabriquait que de la cosmétique. Hélas, mon esprit encore naïf de paysan ne voyait pas l'entendu de ces mots... « Ceci est votre contrat. Veuillez signez. », souhaitait Mr Maréchal, les mains sur la table désormais. Prenant le stylo noir, je signais sur le rebord libre, basculant pour toujours mon existence. Une fois fait, je croisais les bras, attendant les questions


ponctuelles de mon patron. Celui-ci prit une inspiration et dit : -Alors, Daniel, depuis quand voulez-vous obtenir ce poste ? -Depuis quelque temps. Je ne sais mais cela doit faire quelques années. -Et pourquoi ? -Je ne supporte plus la vie à la campagne. Nous n'avons pas les bienfaits que possèdent les gens des villes, les récoltes sont devenus dures... je ne veux pas finir isolé et faiblard dans un village. Je veux intégrer à cette nouvelle société, plus facile et plus accessible. Je veux changer de vie. -C'est louable comme motivation. Mais un peu superficiel. -Comment ça ? -Notre entreprise veut des personnes sérieuses et qui ne prennent pas les décisions à la légère. Justifiez-vous peu plus ! -Eh bien, j'ai toujours rêvé que j'irai dans une vie où je ne serais plus obligé de travailler dans les champs, de subir des coups de soleils, des maux de dos. Je n'en pouvais plus d'être frappé par ce soleil incessant, toujours ingrat, nous jouant des tours en provoquant la destruction des vivres. Je ne veux pas avoir une vie de riche mais j'ai toujours vécu dans une extrême pauvreté. Il y avait des jours où je ne mangeais pas, où je ne buvais pas. Ce qui est étrange, c'est qu'autant, je n'avais pas vraiment faim et je pouvais me passer de la nourriture, autant la soif me torturait. Je ne supporte pas d'avoir soif ! -La soif ? Hum, intéressant... vous préférez avoir soif plutôt que de faim... convaincant... -J'ai l'impression que manger m'alourdit et m'assomme alors que boire me redonne de la force. -Oh que oui ! Boire donne effectivement bien de la force et d'autres choses. Enfin, un vrai argument ! -J'aime boire. Mais je reviens à moi. J'ai vu votre annonce à l'entrée de notre épicerie. Quand j'ai appris que votre usine cherchait une recru ayant de 'excellentes mains' et pouvant supporter des conditions exceptionnels mais donnant de l'eau à


profusion, j'ai sauté sur le pas. Je remercie mon père de m'avoir forcé à apprendre de lire. Enfin, un vrai travail ! Fini les champs et les cultures ! J'ai dû dire au revoir à mon vieux père, je n'ai pu le faire avec ma mère et mes sœurs, elles étaient aux champs mais je leur aie promis que je leur donnerais un peu d'argent venant de mon labeur pour les aider. Et... voilà. Je leur aie promis de leur expliquer quand je reviendrai. -Bien. Mais voyez, vous ne pourrez plus revoir vos parents, ni vos sœurs hélas. Les aider financièrement, oh que oui. Mais revenir vers eux, les serrer dans vos bras, etc., plus jamais. -Pourquoi ? Il soupira. -Parce que... la soif est plus forte que tout, cher Daniel. -La soif ? Je ne saisis pas, navré... -Vous avez encore une étape pour être enfin embauché. Vous devrez accepter une nouvelle réalité et réfuter toutes vos certitudes que vous avez eues en venant ici. Je vous préviens : cela fera mal et vous aurez beau crier, hurler, supplier, vous serez un nouvel employé. Tout cela est nécessaire pour être embauché chez nous. J'étais resté presque stupéfié par les termes qu'il avait utilisés. En quoi mon embauche m'infligerait de telle douleur ? Idiot j'étais. Je venais de signer un pacte diabolique. Vous frissonnez ? Vous vous posez la même question ? Mr Maréchal se releva, s'étira presque gracieusement, prit un torchon et s'essuya tout le visage. Je me disais qu'il devait repousser toute trace de sueur. Mais non. Quand il retira les mains, la peau normale avait cédé la place à une teinte livide, morbide. Ses yeux brulaient d'un rouge flamboyant terrifiant, inouï. La terreur m'envahit par ce visage démoniaque et je me repliais sur ma chaise, ayant conscience tout de même que je ne pourrais plus m'échapper. L'horreur s'accentua quand il fut derrière moi, d'une rapidité surhumaine comme s'il s'était téléporté. Et qu'il ouvrit grandement la bouche pour dévoiler deux canines blanches d'une brillance


extraordinaire, telles des poignards bien affutés, dégageant également un effluve désagréable, la même venant de la femme croisée tout à l'heure. Mon patron était un vampire. Une créature de nuit qui buvait le sang des vivants. Et qui allait en faire de même sur moi ! J'avais balbutié, effrayé : « Que... que... monsieur, laissez-moi partir ! Qui... êtes... oh mon Dieu ! » Le vampire m'avait giflé en guise de réponse. -Première règle, mon petit Daniel : il est interdit de prononcer le moindre mot entourant la religion ici. Nous sommes profondément anticléricaux du fait de notre nature. Vous n'avez plus le choix, vous avez signé. Vous vouliez apaiser votre soif et venir parmi bous... Ce vieux pervers qui est le Dieu avait dit : Fait attention ce que tu me demandes car je pourrais exaucer tes vœux... Désolé... A peine prononça-t-il ces phrases qu'il me plaqua au sol, bloquant toute tentative de fuir. Je me débattais, complétement terrorisé mais je devais me rendre à l'évidence : j'étais au service d'un monstre et j'avais délibérément décidé de quitter mon monde pour joindre la sienne. Mr Maréchal me perça le cou en dépit de mes efforts. Une douleur atroce se répandit en moi. Je sentais mes veilles tranchées se vider de leur sang, absorbé par ce démon qui maintenant sa morsure. Ma température corporelle avait vite chuté, le froid éternel était rentré en ce démon qui maintenait sa morsure. Après cela, ma vision était devenue extrêmes faible, minime, flou. Je ne discernais qu'une ombre agenouillée vers moi, se mordant la paume de la main et me l'appliquant contre la bouche, le goût acre du plasma s'écoulant dans ma gorge avant que mes yeux se renferment Je me suis réveillé dans un endroit sinistre, aussi noir que les autres. J'avais mal au crâne et je manquais plusieurs fois de trébucher mais j'avais remarqué que ma vision s'était améliorée, au point de voir les minuscules taches ensanglantées : j'étais devenu nyctalope. Incrédule, j'avais longuement observé mes mains : elles étaient extrêmes pâles, incolore. En palpant mon pouls, je remarquais également que celui-ci ne battait plus, que mon cœur


s'était donc stoppé. Puis, je me couvris le nez : une mauvaise odeur semblait sortir de moi. Une voix surgit : « Prenez ce parfum, le fond de teint et les lentilles. » Mr Maréchal se tenait là, me montrant un flacon, une boite recelant de petites billes et un fond de teint. Je les pris, encore sous le choc. Il ajoutait : « Maintenant, vous savez pourquoi nous fabriquons ces cosmétiques. Vous êtes un vampire. Nos produits vont vous déguiser en un bon humain dès que vous les aurez appliqués dans votre peau. Les humains ne savent pas que nous émanons une odeur de cadavre, du fait que nous sommes morts. Qu'ils sont stupide, n'est-ce pas ? Cette odeur pourrait nous trahir au sein des vivants. Ensuite, il faut couvrir à tout prix toute votre peau avec le fard, un homme très très crayeux est vite remarqué et puis, vous devez dissimuler ces yeux rouges. Auparavant, nous étions chassés par les villageois parce que nous n'avions guère d'artifices pour nous dissimuler parmi eux Mais la révolution industrielle à donner une brillante idée à mon ancien supérieur d'utiliser la cosmétique humaine et la détourner pour en inventer les nôtres. Si vous saviez combien notre usine s'est développée... .Bien sûr, on vend la plupart de nos produits aux humains qui restent vaniteux et superficiels mais notre priorité est le bienfait de tous vos nouveaux semblables. Vous pouvez mener une vie ordinaire dans les villes sans susciter les soupçons et boire à votre soif. Vous avez la chance, nous les anciens, nous étions obligés de nous cacher et de vivre dans les cryptes ou dans les cercueils... en tout cas bienvenu venu parmi nous, Vous nous serez utile, nous avons besoin de gens comme vous. » -Je... je... -Ne vous inquiétez pas, vous allez vous habituer. Vous n'êtes pas le premier que j'ai mordu. Votre réaction est tout à fait convenable. Ah ! J'ai oublié de vous parler de votre poste et votre salaire, pardonnez-moi... Donc Daniel, votre poste sera... -Après ! J'ai soif ! Je veux boire maintenant !


-Bien entendu, j'ai pensé à cela. Tenez (il me tendit une petite fiole au liquide rouge), j'ai commandé pour vous un litre de sang en provenance d’hôpital pour les enfants...On boit bien ici chez nous... Après, pendant vos congés et vos heures libres, vous pourrez venir en ville pour trouver les proies. Je vous laisse aux soins de nos supérieurs pour vous expliquer tous les détails... Et c'est ainsi que je devins vampire, moi Daniel Clavel. Je me souviens encore du goût exquis de ma première bouteille sanguine. Le sang des gamins est divin ! Je vous le conseille vivement ! Plongé dans ce nouvel univers, je me montrai excellent en mon poste, celui de créer les parfums. Inutile de dire qu'en peu de temps, je fus le meilleur employé possible et je réussis même à gravir les échelons : maintenant, vous voyez c'est moi qui dirige l'usine. Mr Maréchal a disparu après avoir effectué une sortie en ville en n'étant pas revenu, on a conclu qu'il a du être tué par un chasseur de vampire et c'est moi qui me suis emparé de sa place. Je vous aie tout raconté. Je vous ai livré tous les détails. Mais que se passe-t-il, vous tremblez ? Vous me suppliez de vous laisser s'enfuir ? Oh que non, vous avez voulu obtenir un poste chez nous, vous avez signé de votre plein gré. Il faut faire attention à ce qu'on demande à ce salaud qu'est Dieu car il pourrait exaucer vos vœux... je suis navré, vous devez faire le même chemin que moi et de toute façon, j'ai soif...


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