V&S Mag' Hors-Série Nouvelles #3

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Vampires & Sorcières Hors série nouvelles #3

Les cinq meilleures nouvelles du défi de Noël ! Chani Jack Harkness Anastasia Asmodée Rory


Edito Chez Vampires & Sorcières, on aime les défis ! Pour Noël nous avons organisé un petit défi de nouvelles avec les règles suivantes : «Nous vous demandons d’écrire une nouvelle comportant au maximum 1000 mots et comportant les mots obligatoire suivants : sapin – cercueil – cannelle – glögg – fourchette – Noël – Santa Claus – salopette – betterave – tonneaux – poussette – centrifugeuse – époisses – incongru Attention, pour que votre texte soit validé, il faut que tous les mots de la liste soient utilisés. Les 5 meilleures seront publiées lors d’un hors-série Spécial Noël.» Et donc voici le mag hors-série avec les 5 nouvelles qui ont reçu le plus de votes ! Chani est notre grande gagnante, Jack Harkness est arrivé second, Anastasia troisième et Asmodée et Rory sont 4e et 5e ex-aequo ! Voici leurs nouvelles, bonne lecture ! Exécutrice Rédactrice en chef de Vampires & Sorcières


Sommaire Chani L’imposteur Jack Harkness Fantaisie de Noël Anastasia L’invitée de Noël Asmodée L’espirit de Noël Rory Noël passé, présent et futur


Chani L’imposteur

A

ssis dans son fauteuil préféré, face au feu qui dansait dans l’immense cheminée, il sirotait un verre de glögg en passant mentalement en revue le planning à venir. Une odeur de cannelle flottait dans l’air de la vaste pièce remplie de paquets qui ne laissaient qu’une petite place pour le traditionnel sapin. Eh oui, même lui cédait à la tradition, et décorait sa maison. Ses proches trouvaient tout ce cinéma incongru de sa part, mais le vieil homme était toujours aussi facétieux : malgré ses innombrables hivers, il prenait plaisir à faire tourner les siens en bourrique.

I I

l reposa son verre sur un des vieux tonneaux reconvertis en table pour l’occasion, la vraie ayant disparu quelque part sous l’amas de cadeaux en attente de livraison.

l décida de faire un dernier tour à l’atelier, en fait une vieille grange dépoussiérée, afin de vérifier que ses troupes étaient en ordre de bataille. Arrivé devant la grange, il prit une grande inspiration. Il était nerveux. Il fallait que tout soit parfait. Si tout se passait bien, il en sortirait auréolé de gloire. Mais si c’était un fiasco, il serait haï de certains, raillé de tous, et il ne le supporterait pas, ça non. S’il échouait, il en mourrait, c’est sûr. Et l’autre viendrait le narguer une dernière fois alors même qu’on le mettrait dans un cercueil. Non, il refusait cette issue. Tout irait bien, il n’avait pas le choix.

D

ans l’atelier, les farfadets s’activaient pour tout terminer dans les temps. Ils connaissaient les idées noires du vieil homme et étaient tellement dévoués qu’ils faisaient leur possible pour que tout se déroule bien.

I

l entra et ses employés se pressèrent autour de lui. Toujours paternaliste, il félicitait l’un, envoyait celui qui affichait une petite mine se reposer, réajustait la bretelle de la salopette d’un autre. Exigeant, mais bienveillant, jamais personne n’avait eu à se plaindre de la façon dont il les dirigeait.

L

es derniers cadeaux attendaient d’être précautionneusement recouverts de papier aux couleurs vives. Il y avait bien entendu des jouets modernes, bien qu’âgé il savait ce qui faisait plaisir aux enfants. On trouvait des jeux vidéo dont sont de plus en plus friands les enfants, mais aussi les traditionnels trains électriques, poussettes, poupées ou voitures télécommandées. Oui, il avait tout prévu, les petits seraient heureux.


D

ehors, les rennes étaient déjà attelés. Il prit une betterave fourragère pour chacun, et leur donna leur friandise en leur caressant l’encolure. Ils étaient certes jeunes et inexpérimentés, mais le vieil homme savait qu’ils ne le décevraient pas. Les animaux aussi l’appréciaient, et ils lui obéiraient au doigt et à l’œil.

D

e retour dans la pièce principale, il se fit un encas léger, pain et fromage. L’époisses fondait sur son palais, et son goût puissant emplit sa bouche, lui procurant un immense plaisir. Il était gourmand, son tour de taille pouvait en témoigner. Hors de question de partir l’estomac vide, il fallait prendre des forces avant le départ, la nuit serait longue.

D

ans quelques heures, il partirait, sous les encouragements de ses farfadets, le traineau rempli de tous les cadeaux souhaités par les enfants. Il avait estimé le temps nécessaire pour faire sa tournée dans une fourchette de sept à huit heures, grand maximum. Serré, mais réalisable.

O

h oui, l’autre allait avoir la surprise de sa vie. Pendant des années, il avait rêvé qu’il disparaisse, voire de le passer lui-même à la centrifugeuse, ou bien de l’empoisonner… Mais cette fois-ci, il tenait sa revanche. L’autre serait ridiculisé. Oh oui, il se réjouissait d’avance. Il allait reprendre la place que l’autre lui avait volée il y a bien longtemps. Il serait de nouveau aimé de tous, attendu, fêté, et reconnu à sa juste valeur. Les yeux du vieil homme pétillaient de bonheur, et il souriait en imaginant la mine déconfite de l’autre demain matin. Demain matin… Demain matin, les enfants, émerveillés trouveront les jouets de leurs rêves au pied du sapin. Leurs yeux brilleront, et ils sentiront un énorme élan d’amour pour lui.

O

ui, demain, nous serons le 6 décembre, et saint Nicolas aura volé la vedette à l’autre, l’imposteur, le Père-Noël ou Santa Claus, quel que soit son nom…


Jack Harkness Fantaisie de Noël

U

ne boule de feu fonça sur nous. On eut juste le temps de renverser une table et de plonger derrière pour se protéger.

— Tu peux me rappeler ce qu’on fout ici ? Lâcha Cercueil, ma fiancée.

S

a remarque était pertinente et je commençais sérieusement à me poser la question. Au lieu de me recevoir des boules de feu, j’aurais pu être tranquillement chez moi, attendant Santa Claus, tout en sirotant mon glögg et en m’envoyant des biscuits à la cannelle. Non. J’étais là, dans une cave sordide, au beau milieu d’une bataille entre vampires et sorciers. Pourquoi étions-nous là ? Pour le savoir, il fallait revenir au matin même.

I

l était dix heures en cette veille de Noël quand je décidai de faire un tour à mon bureau. Je ne voulais pas m’attarder, car j’avais des courses à faire pour le réveillon. Je devais simplement consulter mes mails. Une inconnue m’attendait. — Bonjour, Monsieur Hansters, dit la femme d’une cinquantaine d’années. Je viens vers vous pour une affaire. Je voudrais que vous retrouviez ma fille. Elle n’a pas donné signe de vie depuis quinze jours. — Écoutez, Madame… — Deville. — Écoutez, Madame Deville, continuai-je, je ne prends plus d’affaires en ce moment. Je ferme pendant les vacances. — S’il vous plaît, Monsieur Hansters, aidez-moi. Vous êtes mon seul espoir.

L

e désarroi de Madame Deville me fit changer d’avis. On était le 24 décembre et je savais qu’on ne pouvait pas laisser une famille comme ça. J’acceptai la mission. Elle m’expliqua que sa fille, Marika, était partie avec un homme, un dénommé Vlad. La dernière fois qu’elle les avait vus, elle lui avait dit qu’elle passait la soirée au Savana Club, une boîte branchée.

S

i elle savait. La pauvre. Le Savana Club était un endroit glauque qui servait de repère à un groupe de vampires qui faisait régner la terreur à Bordeaux. Et ça ne m’aurait pas étonné que le Vlad en question fasse partie de cette joyeuse bande de suceurs de sang.


J E

’acceptai donc la mission qu’on me proposait. Après avoir reconduit Mme Deville, je pris mon trench et je décidai d’aller faire un tour au Savana. n bas de l’immeuble, Cercueil m’attendait. Enfin, Hélène. Cercueil était le surnom dont nos amis l’avaient affublée à cause de son métier. Elle était médecin légiste.

— Dis-moi, Hansters, on ne peut pas te faire confiance, fit remarqué ma fiancée sur un ton désabusé. — Ma chérie, je vais t’expliquer, répondis-je. Je lui racontai l’histoire sans trop rentrer dans les détails. — Je t’accompagne et après on va faire les courses, OK ?

O

n se dirigea vers le Savana Club. La porte d’entrée était défoncée. Ça ne présageait rien de bon. D’un pas assuré et mon 9 mm à la main, je poussai le reste de la lourde avec mon pied. Un silence de mort régnait dans la pièce principale. Soudain, un bruit sourd retentit en bas, vers la cave. Nous nous dirigeâmes vers le sous-sol. Après avoir descendu l’escalier, nous arrivâmes dans une grande salle sombre. On ne voyait rien à plus de trois mètres. J’aurais pu confondre une betterave avec une courgette, pour vous dire. — Tout semble trop calme… m’étonnai-je. Nous continuâmes à explorer l’endroit quand, tout à coup, mon genou heurta l’un des tonneaux qui fit vaciller une barre en fer et la fit tomber bruyamment au sol. — Oups, dis-je.

A

près quelques secondes d’immobilité, un cri désespéré déchira le silence.

— Ça doit être Marika, chuchota Cercueil. Au fond de la salle, on distinguait soudain une lueur blanchâtre. — À terre ! criai-je.

N

ous nous baissâmes juste à temps. La boule de feu s’écrasa contre le mur qui se trouvait derrière. En un rien de temps, la cave se transforma en un champ de bataille. Les vampires, tapis dans l’ombre, sortirent leurs crocs et se jetèrent sur les sorciers qui venaient d’apparaître sous la voûte centrale. Ces derniers lancèrent leurs sorts tout en esquivant des morts-vivants qui virevoltaient autour d’eux comme des feuilles de salade dans une centrifugeuse. Parmi les sorciers, je reconnus Hadrien, mon frère jumeau. — Grégoire ! me hurla-t-il, qu’est-ce que tu fous là ? — On m’a engagé pour retrouver une jeune fille. — Tu la récupères et vous vous barrez d’ici, OK ? Sinon, croyez-moi ça sentira le sapin pour vous…


L

e frangin n’avait pas tort. Il n’y avait pas de temps à perdre. Je pris Cercueil par la main et nous courûmes vers la grille du mur ouest d’où sortaient les cris. J’entraperçus Marika, habillée en minisalopette avec un top blanc à moitié déchiré. Je tirai dans la serrure pour la faire sauter. — Ne me faites pas mal, dit Marika d’une voix terrorisée. — N’ayez crainte. Je viens de la part de votre mère. Elle m’a engagé pour vous retrouver.

A

vec Marika, nous retournâmes vers l’escalier pour rejoindre la surface. Une boule de feu fonça sur nous et nous nous abritâmes derrière la table renversée. Un vampire nous surprit et tira brusquement Cercueil contre sa poitrine musclée. Elle commença à lutter. — Un coup de main ne serait pas de refus, fit-elle en se débattant. Non pas que le corps à corps ne me déplaise, mais c’est que son haleine fétide sent l’époisses, ou le roquefort… Bref, ça pue…

J

e tâtai le sol à la recherche d’un objet. Je pris le premier à portée de main.

— Tiens, prends ça, répondis-je en lui lançant une fourchette en bois. Ça fera l’affaire.

E

lle récupéra l’ustensile de cuisine et le lui planta dans les côtes. Il finit en poussière.

— Fais-moi penser à acheter des tampons, dit-elle en essuyant du sang qui coulait le long de ses lèvres. — Ce n’est pas incongru, comme propos ? lui lançai-je — Non, je ne crois pas, me répondit-elle d’un ton taquin.

N

ous grimpâmes l’escalier et sortîmes le plus rapidement possible. Je faillis même renverser une maman avec sa poussette dans la précipitation.

— Merci de m’avoir sauvée, déclara Marika avec des trémolos dans la voix. — De rien, dis-je

M

arika s’éloigna dans la rue.

— Bon, maintenant qu’on s’est bien amusé, on va faire les courses, Hansters ? demanda Cercueil.


Anastasia L’invitée de Noël 1.

N

ous étions la veille de Noël ce soir, alors que beaucoup seront avec leur famille, moi je serai chez mes voisins. Cette année, ma famille serait dispersée pour les fêtes, chacun partirait dans sa belle-famille. On se retrouverait pour la Saint Sylvestre.

M

oi c’est Anna, je suis auteure et traductrice, et histoire de sortir un peu de ma jolie petite maison et de me mêler à la population locale, j’enseigne les arts martiaux. J’ai hérité d’une maison au printemps ; mon amie Élisabeth Bruèissa me l’a léguée. Mais heureusement, elle est toujours présente, et continue de m’enseigner le contrôle de ma magie. Apparemment, je suis une sorcière un peu spéciale, je contrôle les éléments en me concentrant (c’est le plus dur !), et je vois les esprits des défunts. Ce qui est bien pratique dans le cas présent je l’avoue, car cela fait à peine un an que j’ai rencontré Élisabeth.

C

’était dans une librairie de livres anciens à Bordeaux, nous avons discuté boutique, puis sympathisé autour d’un thé, et de fil en aiguille, nous sommes devenues amies. Je lui ai rendu visite dans sa charmante maison et c’est là qu’elle m’a dit que nous étions semblables. Jamais auparavant, je n’avais avoué mes « petits secrets » à quiconque, pas même à ma famille. Mais Élisabeth avait ressenti mon aura, moi sans expérience, juste qu’elle était différente. C’est ainsi que sous son autorité j’ai pu développer et surtout maîtriser mes pouvoirs.

M N

ais revenons à nos moutons, ou plutôt, en ce qui me concerne, à mes loups. Enfin, ils ne sont pas réellement à moi, ce sont juste mes voisins.

os maisons étaient les seules à des kilomètres à la ronde. Chris Lobatàs vivait dans un ancien château viticole avec sa fille Léa ; et son frère... Adam (plus d’1m85 de muscles, châtain foncé, les yeux noisette, et oups… l’alpha !). 2.

M

e voilà donc préparée, j’avais fini par choisir une robe de soirée empire, en mousseline de soie noire avec un col en V et un dos nu, un modèle indémodable, mais qui me donne l’air à la fois élégant et sexy. Le plus difficile étant de dompter ma


longue chevelure blonde !

T

out en marchant le long de leur allée ; j’admirais leur château et la végétation qu’ils avaient su mettre en valeur grâce à un bel éclairage. On pouvait admirer ses vieux chênes et à l’approche de la cour, des lilas des Indes dans de beaux tonneaux de vin.

J

e fus accueillie par Adam et Léa, qui me sauta littéralement au cou.

- « Bonsoir Anna ! On dirait le chaperon rouge avec ton manteau, ria-t-elle. Tu vas voir, on a tout bien préparé pour le Père Noël. Je lui ai même installé une assiette avec des biscuits à la cannelle et un verre de lait sous le sapin ! » Elle était surexcitée ! - « Bonsoir Anna, tu es ravissante. Rentre vite te mettre au chaud. Et toi Léa, laisse lui au moins le temps d’arriver ! - «Merci, bonsoir vous deux et encore merci pour votre invitation.» Il était beau à se damner dans son costume…

J

’avais bien fait d’opter pour l’élégance, car tout le monde était en habit de soirée, même Sophia. La louve et moi étions diamétralement opposées, elle était grande, brune, pulpeuse et moi blonde, et à peine 1m70, avec mes talons aiguilles ! Elle ne m’aimait pas et c’était réciproque ! Elle était ce genre de personne qui parle fort et rit à tout ce que disent les hommes, surtout Adam… Bref, à peine entrée dans le salon, où l’on m’avait d’office donné un verre de Glögg, ce vin chaud épicé, qu’elle m’attaqua : - «Ah non ! Il ne manquait plus que la sorcière blanche ! - Bonjour Sophia, le plaisir est partagé en ce qui te concerne, crois-moi. - Sophia, gronda Adam, je te prie d’être correcte et aimable envers mon invitée ! - Déjà que l’on se tape les caprices de la petite sur son repas Laponien, ses expériences avec la centrifugeuse (il y avait divers jus sur la table, je pouvais en reconnaître certains : betterave, carotte, tomate…), et regarde les gosses, ils ont dû s’habiller en salopette comme les lutins de Santa Claus !» Elle fulminait et moi, je jubilais. - «Vois le bon côté des choses, tu aurais pu être déguisée en Rudolphe !»

À

peine avais-je prononcé ces mots, qu’elle me sauta dessus, toutes griffes dehors, balançant au passage verrine et fourchette. J’eus juste le temps de la projeter 5 mètres plus loin. Elle était effrayante partiellement transformée, crocs et griffes dehors. Pourtant, je n’avais pas peur, je savais, car je l’avais déjà fait dans le passé, que je pouvais la maîtriser à distance. Adam s’interposa, et lui ordonna de se calmer. Je dois avouer que je n’étais pas fière de moi. Mais au diable la bienséance, elle l’avait bien cherché !


3.

A

u cours du repas, l’ambiance s’était adoucie et je dois dire que je passais une bien agréable soirée. Quand vint minuit, nous en étions aux fromages, mais Français pas Laponien : camembert, Ossau-iraty, époisses… nous étions tout de même le «pays aux 300 fromages !»

L

es enfants se hâtèrent d’ouvrir les cadeaux, le Père Noël avait été très généreux ! Il y avait là toute sorte de jouets, des toupies Beyblade, des voitures, des Légo, des poupons dans leur poussette et même ces nouvelles poupées mannequins à l’effigie de Monster High. Elles représentent des enfants de célèbres monstres et dorment dans des cercueils ! Totalement incongru pour Noël, mais qui étions nous pour les blâmer, nous sommes des lycanthropes et une sorcière.

C

’était enivrant de partager le plaisir de la meute. Et comme un plaisir n’arrive jamais seul… Adam me prit la main et m’embrassa tendrement.

- «Tu étais sous le gui. Joyeux Noël !» Dit-il avec ce sourire qui me faisait fondre.

E

t la soirée n’était pas encore terminée …


Asmodée Esprit de Noël

L M

es étoiles de Noël brillent d’un incomparable éclat. Surtout les nuits de réveillon. Alors, ce n’est plus une lumière stellaire, mais un feu divin qui les embrase.

anon était assise devant sa fenêtre. De là où elle se tenait, installée dans un fauteuil en osier, elle ne perdait pas une miette du spectacle céleste. De la débauche d’illuminations lointaines, clignotantes parmi le firmament des ténèbres. Dans son appartement, la jeune femme à la trentaine passée n’avait qu’un petit sapin vert décoré. La seule fantaisie de son chez-soi. Pas de superflu pour célébrer Noël, fête privilégiée entre toutes. Plus maintenant. Plus depuis que le landau et la poussette étaient vides. Manon ne conservait ces derniers vestiges d’un bonheur enfui que par mélancolie. Comme si des objets pouvaient encore la rattacher d’une manière ou d’une autre à son bébé. Plus de surenchères festives depuis que Marc, son compagnon, était parti peu après le drame, avec quelques affaires.

L U

a simplicité se voulait de circonstance en l’honneur de la sainte nuit.

n retour à des valeurs simples, loin des tonneaux de bières de Noël, des utilisations intensives de cartes bancaires et du matraquage publicitaire à la gloire de Santa Claus, du vieux barbu… peu importait le nom qu’on lui donnait.

C

ela fera bientôt deux ans. Deux ans qu’elle avait versé toutes les larmes de son corps sur le petit cercueil. Comme bien d’autres avant lui, son couple ne résista pas à l’épreuve du deuil d’un enfant. Manon ne tenait rigueur à personne de ses déboires. De ce malheureux tour du destin. Bien sûr, la tentation fut forte, à un moment donné, de haïr le monde entier. Mais non. Après que son existence se vit passer à la centrifugeuse, la jeune femme se résigna à la nostalgie et au désespoir. Mais de l’anéantissement intérieur, se révélèrent à Manon de nouvelles perspectives. Une force de croyance inédite.

P

arfois, suite à une souffrance intérieure trop violente, il arrive que la conscience et les sens se transcendent. Cet état de grâce spirituel permet alors de déceler l’invisible que les yeux ne peuvent voir.

E

n ce soir de fêtes, Manon attendait. Car lors du réveillon précédent, un miracle lui était apparu. Une merveille surpassant les rêves. Depuis, elle savait : l’esprit de Noël existait bel et bien ! Elle en ressentait l’effervescence chez ses voisins et


partout dans le quartier alentour. Une conviction intime, pulsant à travers son être, lui murmurait qu’une magie ancienne était à l’œuvre.

L

’année précédente, après un repas frugal composé d’une brioche à la cannelle et d’un morceau d’époisses – le même menu que ce soir – Manon avait rejoint la fenêtre. En scrutant le velours nocturne du dehors, elle avait aperçu des silhouettes flottant au-dessus des toits de la ville. Elle crut tout d’abord à un rêve éveillé, à une perte de raison. Mais non, nul doute dans son cœur. Des anges auréolés de pure innocence qui déversaient de la poussière d’argent… Qui encore de nos jours croyait en eux ? Pourtant, elle les distinguait aussi clairement que la lune qui nimbait leurs ailes. Ils s’affairaient dans la clandestinité pour apporter espérance et félicité aux hommes.

L

es artisans de l’esprit de Noël… Derrière sa fenêtre, Manon versa des larmes qui ne rimaient pas avec désespoir. Pas cette fois-ci. La pensée incongrue que cette révélation ne puisse être que le fruit d’une hallucination ne l’effleura même pas.

E

lle s’émerveillait devant la vision des anges répandant leurs bienfaits. Soudain, elle remarqua l’un d’eux en particulier. Assis sur une gargouille de l’immeuble d’en face, immobile, il l’observait. Lui ne jetait pas de poussière d’étoiles sur la ville et dans les cœurs. Marginal de l’irréelle chevauchée, il regardait dans la direction de Manon. Ce n’est que lorsque sonnèrent les douze coups de minuit que la créature ailée se décida à bouger. Elle vola jusqu’à la fenêtre et frappa doucement aux carreaux. La jeune femme hésita. Oh, guère plus de quelques secondes. Fébrile, indécise, elle ouvrit sa maison à l’étrange visiteur. Ce dernier entra.

L

’ange se plaça devant elle et continua à la fixer. À l’étudier comme si elle était la première femme qu’il n’eut jamais contemplée. Tous deux si proche… Le convive affichait sans complexe sa nudité. Plumage immaculé, cheveux en forêt de boucles blondes, yeux aux abysses contenant toute l’immensité de l’univers. Une créature asexuée. Son visage renvoyait une ineffable tristesse, contrairement à ses comparses qui continuaient à dispenser une paix éphémère au-dehors.

L

a femme et l’ange s’observèrent mutuellement ce soir-là, pendant des minutes qui semblèrent s’étendre sur une éternité. Celle à qui ont avait arraché son vœu de maternité et celui qui n’avait su la protéger. Ils jaugèrent leurs souffrances respectives et se comprirent. Entre eux, pas besoin de paroles.

M

anon saisit l’entière affliction de l’ange. Elle ne lui tint pas rigueur de son échec, lui qui était censé veiller sur les siens. Les rôles s’inversèrent, c’est la jeune femme qui prit le visiteur dans son giron. Elle le berça, le cajola, le consola.


C E

e fut une douce et longue nuit dans les bras l’un de l’autre.

t cette année encore, Manon espérait que son visiteur reviendrait. Que le miracle de la divine présence se produirait à nouveau. Son repas fut expédié avec une salade de betteraves. En se dépêchant pour rejoindre la fenêtre au plus vite, elle n’avait même pas débarrassé l’assiette et la fourchette abandonnées sur la table.

S V

eule la venue du visiteur aux ailes silencieuses était d’importance.

êtue d’une salopette décontractée par-dessus son pull-over, un verre de Glögg à la main, Manon attentait à présent. Elle inspectait les cieux obscurs et les étoiles dans une prière tacite. Une prière implorant de sentir une fois encore la douceur de sa peau, de goûter au sel de ses larmes.

E

nfin. Une forme humaine, irradiante de beauté, s’approcha de la fenêtre tandis que derrière elle, débutait le ballet dans anges. La créature frappa aux carreaux et Manon sourit en ce soir de Noël éternel. Et ce fut toute la clémence du ciel qui se déversa dans son âme.


R R

Rory Noël passé, présent et futur

oyaume de France, 1733.

elevant ses jupes d’une manière qu’elle savait totalement inappropriée, Suzanne courait à perdre haleine. Chaque pas qu’elle faisait en était un de plus vers la liberté. Mais comment s’en réjouir alors que les sabots des chevaux du Marquis de Chably martelaient le sol gelé derrière elle ?

L

e chemin de terre que la jeune femme parcourait déboucha sur une petite grille en fer forgé ornée d’une élégante croix chrétienne. Un cimetière. Sans réfléchir, Suzanne s’y engagea, sillonnant entre les pierres tombales jusqu’à ce qu’elle se heurte à un corps massif. Un corps vivant, Dieu soit loué, appartenant à une robuste gouvernante qui aida Suzanne à rétablir son équilibre. Dans l’autre main la vieille femme tenait une poussette rutilante dans laquelle un nourrisson commença à s’égosiller. — Aidez-moi ! supplia la jeune femme, mettant de côté son habituelle fierté.

C

omment expliquer à cette vieille femme qu’elle aspirait à ce à quoi aucune femme n’avait droit, qu’elle ne voulait plus jamais être touchée par les mains vieillissantes de son mari, qu’elle ne souhaitait tout simplement plus être la Marquise de Chably ? — Si c’est ton désir... dit la vieille femme avec un fort accent russe.

E

t sans plus un mot elle poussa Suzanne dans le dos, la propulsant directement dans une cavité fraîchement creusée. La jeune femme ne vit ni cercueil, ni cadavre, simplement une infinité noire qui la happa totalement.

E S

urasia, 3033.

uzanne avait mal, incroyablement mal à la tête. Et cette abominable odeur n’arrangeait en rien la situation. La jeune femme n’aurait jamais pensé cela possible, mais c’était pire que les relents d’époisses de la ferme voisine ! Avec difficulté, elle ouvrit les yeux pour apercevoir deux pupilles couleur cannelle appartenant à un regard inquiet et bordé de longs cils. Suzanne se redressa vivement. — Qui êtes-vous ? Où suis-je ? demanda-t-elle avant d’inspirer une grande bouffée d’air.


S

on regard voleta à travers la pièce tel un papillon affolé, se posant sur les détails qui l’entouraient ; le piano recouvert d’un tissu, la salopette tachée de l’homme qui lui faisait face, le sapin et la grande fenêtre par laquelle on ne voyait que du ciel. — Il me semble que c’est à moi de poser les questions, la réprimanda l’homme, la menaçant gentiment d’un pinceau recouvert de peinture. Que faites-vous chez moi et où est votre bracelet d’identification ?

T

ate observait la jeune femme avec perplexité. Il ne put s’empêcher de la trouver magnifique malgré son regard apeuré et ses vêtements qui dataient visiblement d’un autre siècle. Était-elle une de ces rebelles qui vivaient en marge de la société, se réfugiant parmi les bêtes sauvages dans le peu de nature que l’Homme avait laissé sur la Terre ? — Je ne comprends pas ce que vous dites.

T

ate soupira et tendit la main vers les chaussures de la jeune femme qui laissaient des marques sales sur le sol de la pièce qu’il tentait de rénover.

— Que faites-vous ? S’inquiéta-t-elle. — Je vous débarrasse de vos chaussures, vous salissez tout. — Comment ? Bas les pattes, c’est incongru ! — Je m’excuse, mais après cela ne s’en ira pas, c’est pire que du jus de betterave votre gadoue là. — Ôtez vos mains, j’ai des relations, le Roi lui-même vous fera enfermer ! — Vous connaissez le Roi Bao ? — Le Roi Bao ? Mais vous n’êtes pas sérieux ? Avez-vous trempé la tête dans quelques tonneaux de vin, inhalé des vapeurs de glögg ? dit Suzanne en se mettant à rire, oubliant presque sa peur. — De quel Roi parlez-vous dans ce cas ? répliqua Tate en haussant un sourcil moqueur. — Louis XV, bien entendu !

L

’homme ouvrit des yeux ronds.

— À quelle époque vous croyez-vous ? — C’est bientôt Noël, répondit Suzanne, troublée par l’étrangeté de cette question. — D’accord, mais en quelle année ? répliqua-t-il après avoir émis un claquement de langue impatient. — 1723.

T

ate porta la main à ses cheveux, ne sachant que penser et encore moins que dire. Était-elle folle ? Échappée d’un asile ? Mais alors, comment expliquer ses vêtements et son apparition soudaine dans une pièce fermée au 102e étage de l’un des


plus grands gratte-ciels du monde ?

U

n bruit soudain le tira de ses réflexions.

— Qu’est-ce ? S’inquiéta Suzanne. — La centrifugeuse. Cela sert à mélanger la peinture à intervalles réguliers, dans une fourchette de cinq à dix minutes, expliqua-t-il après une courte pause. — Ah. Un ange passa jusqu’à ce que Tate s’éclaircisse la gorge. — Nous sommes en 3033 et notre pays, l’Eurasia, est sous le règne du Roi Bao. Nous vivons dans des hauteurs d’acier par peur de rencontrer les animaux sauvages qui foulent le sol désormais aride. Notre identité est entièrement définie par ça, expliquat-il en montrant un bracelet blanc et lisse fixé à son poignet. Ah oui, j’oubliais, Santa Claus n’existe pas, ajouta-t-il avec un clin d’œil.

S

uzanne émit un « Pfft » faussement indigné avant de réfléchir réellement à ce que l’homme venait de lui dire. C’était impossible.

— Je voulais simplement fuir le Marquis, dit-elle tout bas, comme pour elle-même. — C’est plutôt réussi, semblerait-il. Il soupira. Comment vous appelez-vous ? — Suzanne. — Et bien, bienvenue au 31e siècle Suzanne, je m’appelle Tate Dechably.



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