DOUBLE
LECTURE
FIN DU TABLEAU, MOMENT SUSPENDU
Je pense le début du XXème siècle. Un été brûlant. Un tas d’ordures se détachait à travers le désert. Plus rien d’autre n’existe. L’air s’essouffle. Je m’abstiens de renoncer à l’ennui.
Fin du tableau. Etendue dans l’eau, de cette souffrance, elle prononce : -
Que je les venge.
Elle le dit alanguie dans une eau rouge. Eau rouge. Eau trouble. Eau incertaine. Eau douteuse. Un repas qui a mal tourné. La chance et le hasard n’existent pas. Avant d’oublier tout son corps s’agite. Retombe flasque, humainement tiède.
Elle redonne vie aux souvenirs.
(Polysémie. Fin du tableau sur scène, la pièce se composant d’une succession d’images jouées et incarnées. Sections. Une suite d’actions exécutées. « Images » imaginées et recomposées à l’écrit. Mots compris et nécessairement interprétés lors de la retranscription illustrée, vous réalisez, exécutants. Fin du tableau pensé comme peinture. L’ère abstraite absorbe toute représentation. Jeu avec les limites du visible et du compréhensible. Fin du tableau induit l’idée de finalité et de but. Narration par didascalies. Moment suspendu, entre-deux, temps d’attente, histoire capricieuse par un jeu d’allers retours entre époques et personnages, narrateurs, rôles secondaires.)
(L’autre époque qu’on dit encore contemporaine. Imaginez le début du XXème siècle, quel rapport avec le nôtre ? Il fait chaud. Voyez des flammes ravager les golden hills californiennes. Ondulations noires. L’été brûle littéralement. Plénitude et envie de plonger dans n’importe quelle eau. L’eau, ici, est chaude même en tournant le robinet sur froid de nuit ne vous donnera pas satisfaction. Oubliez le froid, rêvez du jaune comme absolu. La pluie n’existe pas. C’est d’ailleurs étrange de ne retrouver cette odeur de pluie fraîche sur l’asphalte que par jets d’arrosage. Perturbation nasale. Ils s’enivrent à rendre ce gazon vert alors que seul le faux gazon perdure en vert puis s’efface et blanchit en vert pâle. Ordures par prolongement à ce que le XXIème siècle apporte au précédent. Mirage d’avancées soudaines. Tableau pointilliste. Variations et variantes, tout s’achète et se jette. Plus rien d’autre n’existe, plus rien qui soit comparable. L’air s’essouffle et je serai seule contre le monde, contre l’Homme. Regardez The killing of a sacred deer. L’innocent meurt. Le dernier Homme sera le premier. Le dernier homme de Mary Shelley. Penser l’apocalypse revient à repenser l’Eden, tout y est.)
(Introduction finie, la pièce commence, on en vient à elle. Elle souffre et sait. Elle n’est pas étendue littéralement dans une eau claire, jeu par opposition aux explications précédentes. L’eau désirée est ici présente en abondance, suffisante en soi. Mais on ne voit pas de l’eau, transposition de liquides, jeux de scène. Obsédée par la vengeance, c’est la seule pensée qui reste.)
Etre principal dans un état de désolation extrême, au sol allongée, la tête tournée vers nous posée sur un bras, elle semble s’être écroulée d’épuisement. Elle est recouverte d’un voile attaché autour du cou et de la taille, le spectateur ne le saura pas mais verra seulement le rouge teinter peu à peu le textile et la noyer. S’enivrer.) (Elle redonne vie à tout ce qu’ils ont vécu. Ils c’est-à-dire l’humanité car ni vous, ni moi, ni elle, sont nés au début du XXème siècle.)
Les années 1920. Décolletés plats, dos-nus. Fourrures d’hermine. Perles. Paillettes. Aucun instant obscène, les costumes de scène de ces castes indignes. Moments de débauche et d’envie. Heures de jouissance. Heures d’oublis des élites.
Pour la réplique gardez la même structure, le rapport au présent. -
L’amour sélectif.
Un temps. (La voix est terrible en moi par des baisses successives, sa voix, se mit à parler). -
Je te dirai comment la brûlure, les désirs secrets…
Souffle qui passe. - Deviennent une substance perceptible et comment l’éclat nocturne pourrait être l’effet des ténèbres et comment celui-ci guette chaque geste. D’ailleurs cela n’a plus aucune importance. Il faut piéger les Hommes, les faire respirer.
À son passage, baisse de l’éclairage. Théâtre du baptême. Décor intact. Décor intégral. Théâtre en échec. Surplus. Sur la scène. -
Femme dans des oiseaux en crise.
Méchanceté en elles. Leur souffle oppressé buvant peu de lumière. Désespoir sans peine, regards
(Premier retour en arrière, l’entre-deux guerres, moment bref. 3 femmes s’avancent et ne prêtent pas attention à elle, marchant sur le plateau revêtu de ces habits d’époque : ‘’Décolletés plats, dos-nus. Fourrures. Perles. Paillettes’’. Talons de 4-5 cm. Elles sont enjouées, on le devine à leur pas irrégulier. Elles font et défont les fourrures ou les lancent au-dessus de leur épaule. Elles altèrent gestes élancés et saccadés. Leur corps est habité par l’habitude machinale. S’habiller, prétendre avoir chaud ou froid, remettre négligemment la bretelle pour qu’elle tombe nécessairement. Premiers pas de danse dans l’eau rouge et l’une d’elles trébuche.)
Réplique à elle-même. Perdue dans le temps faites lui dire ces paroles comme si c’était un ressenti authentique. Amour sélectif car il n’y a rien d’autre que des critères subjectifs par rapport à l’expérience de l’esthétique dépendant de l’idée de l’idéal de culture de chacun. Il n’a de monde de partage qu’en utopie. Narrateur, moi ou elle, ce n’est pas mon histoire, je la lui fais dire pour qu’elle vive encore le temps d’incarner ce rôle. Les autres s’arrêtent et seules ses lèvres rouges prononcent ces mots. L’éclairage ne l’éclaire pas seulement, elle est luisante de lumière par opposition aux ténèbres qu’elle évoque et dans lesquelles les autres disparaissent. Souffle qui passe. Souffle traversant toute la salle, scène et gradins. Piéger les Hommes, les faire respirer, renvoie à les arrêter dans la course vers leur propre fin, les faire réaliser qu’il y a le temps, le temps d’espérer, le temps d’être, le temps d’avoir plusieurs vies et qu’une seule ne suffit à peine pour devenir un seul Homme.
ahuris, elles rient.
La dérive théâtrale. Fougue iridescente. Corps entremêlés. Vaguement troubles, chocs attendus. Tes yeux.
- Elle descendit, des routes poussiéreuses, dans l’attente du spectateur, plus aucune réalité. Images démultipliées, l’image animée. L’image en mouvement. Contemplation en champs libre. Recherches sculpturales. Tournants brusques.
Elles s’envolent et elle, qui reste, parle d’elle à la troisième personne. - Lui l’amenant. Ce n’était rien, à sa poursuite, à qui d’autre. Que l’immense étendue, Encore, Courant accouplée, Légèrement décentrée, Haut en bas, Ne regarde personne, Question d’un visage, contre sa gorge, L’affaire d’une seconde, d’être vus, d’yeux affamés, s’y perdre, pas de cillement, Les fumées acides.
Puis la lumière diminue jusqu’à disparaître. Temps de 3 respirations dans le silence total et projection sur ces 4 femmes qui n’ont toujours pas bougé. Image d’une scène biblique les intégrant au décor. Image baroque immobile où «ça grouille ». - Femme dans des oiseaux en crise déclenche des rires. Rires doux, tendres, s’élevant, s’allongeant, narquois soudainement par l’air qu’elles prennent à regarder autour d’elles en se dévisageant. L’une s’arrête et rit hystériquement soudainement, voyant un détail qui nous échappe. Elles composent un canon en trio se tordant, s’articulant étrangement, revenant sur leurs pas pour voir encore pour rire. 4 femmes entrelacées au sol. Pièce noire qui progressivement est parasitée par des chocs lumineux (ressenti). Leurs corps en tas ne se distinguent pas. Le public en prend conscience quand elles débutent leurs mouvements. L’espace scénique est submergé par des apparitions soudaines d’ombres projetées. Mapping sur zones blanches de zébrures. Trop plein d’effets, on ne distingue plus le sol des murs ni du plafond. Perte de repères spatiaux. L’ensemble paraît habité d’une dynamique autonome. Est-ce que les mouvements des corps provoquent ces images fugitives ou est-ce que les corps génèrent ces ombres surdimensionnées ? Le mapping donne un mouvement propre aux ombres. Au sol les corps se superposent et s’emmêlent, les membres bougent au ralenti. Les corps se prolongent à travers les ombres et se déforment. La torsion est telle que courbes corporelles et projections linéaires s’échauffent, prêtes à s’élever et se rompre. Les projections ralentissent par moments et les corps continuent leur travail. Le public pensera « combien de temps encore ? » ce sont 15 min d’attente en car rien d’autre ne se passe. Chaque geste est délié au maximum, à outrance jusqu’à répéter à plusieurs reprises les mêmes suites. Le nombre dépendra de ce qui sera produit en essai. « Tes yeux » est évoqué par une danseuse qui se détache des autres, elle s’extrait par mouvements brusques, happée par la masse elle nécessite plusieurs tentatives pour prendre de l’élan et s’en défaire.
Rechute. L’effet stroboscopique reprend 5 secondes. Tout s’agite, son corps est pris de mouvements qu’elle ne contrôle plus, telle une régurgitation d’une sculpture de Rodin, à la fois prise par les gestes du maître et dépliant les voiles comme Loïe Füller.
Ventre rond et gonflé d’angoisse, quelque chose a grandi dans la peur.
Elle n’a jamais pu se voir de si près. Omnisciente par la mort. - La terre ferme, que je veux jusqu’au jour. La main de l’être suprême cueillait toujours ces couleurs fanées, morceaux d’ombre et l’embouchure de silence mouvants, lent, réglé mécaniquement. Il s’acquitte de sa tâche. On en vient à des inconnus qui peuvent s’en procurer une odeur de pluie, l’air humide, celui de la chute. Quand le corps perd toute substance physique et se désagrège, ils sont là à attendre. Sur le côté. Ensuite les années 1990 les font jouer par défaut. Vie sous surveillance. Je reculai mon genou, saisis le bras qui toucha le genou démembrant l’écran. Violence des corps. Débris de corps. Le tout, cette suite d’actions, renversa en arrière, le corps de l’acteur et l’intention déplacée conduit l’ensemble à paraître maladroit comme si cet état était maladif, sans issue, venant à terme. Pour cette raison elle emprunte l’escalier raide, issue de secours, mille kilomètres jusqu’à l’embouchure des autres mondes. - L’apocalypse selon lui débordera du moniteur. Retour en arrière, les années 1960. Marquer un arrêt. - Voguer entre nos mains lasses, mains blanches que personne d’autre ne prendra. Marquer un temps. L’espace scénique s’ouvre, on enlève tout, le mur et le socle. Elle est toujours là au centre à divaguer, la tête affalée, sur ce que le public n’aura bientôt plus envie d’entendre, il se sera lassé et aura quitté la pièce selon ses indications. Je me suis élancée et levai le store, ouvrant ainsi le cadre de l’autel, l’unique fenêtre. Tableau blanc. Le tir et l’impact. Si bien qu’enfin les bacchantes s’accaparent l’effet papillon. Pas de pleurs sans larmes. Soudainement elle est vide et trouée. Elle suffoque. Son éclat est révélé, elle apparaît puissante, en convulsion.
Si quelque chose existe au-dessus de nous pourquoi n’entend-il pas nos mots ? La souffrance règne.
Une brume vient du fond et engouffre le visible. Il existe.
L’apocalypse déborde du moniteur, on la regarde. Immobiles.
- Que je donne tes reproches. A qui d’autre. Question de la réception. Extinction de l’éclairage, même sur le visage. Respirer profondément, allant quelque part. Elles vont au-delà. Démonter l’invisible. Effacer les paroles de cet assemblage de réel.
Première de couverture FIGURATION VISAGE, 2019, Anna Kretschmer