La chanson de Roland Le combat des chevaliers Le combat s’engage entre l’arrière-garde franque et les Sarrasins, sans que Roland ait accepté de rappeler son oncle Charlemagne.
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Un duc est là, qui a nom Falsaron; il était frère du roi Marsile. Il tenait la terre de Dathan et Abiron; sous le ciel el n’est pire félon1. Entre les deux yeux si large est son front qu’un grand demi-pied on peut y mesurer. Il a grand deuil de voir mort son neveu, sort de la presse2 et se met au galop, et lance un cri de guerre des païens. Envers les Français il est très injurieux : « Aujourd’hui douce France perdra son honneur ! Olivier l’entend, en grande colère. Il pique son cheval de ses éperons d’or, va le frapper d’un vrai coup de baron. Il brise l’écu et rompt le haubert, au corps lui met les pan du gonfanon3, à peine hampe l’abat mort des arçons4 ; regarde à terr, voit le glouton gisant, et lui a dit, d’un ton plein de fierté : « De vos menaces, vilain5, je n’ai souci.
Traître Sortir de la foule. 3 Morceau d'étoffe quadrangulaire, comme la bannière, qui termine par des pointes. 4 Hors des étriers. 2
Frappez, Français, très bien nous les vaincrons ! » Il crie Montjoie6, c’est l’enseigne de Charles.
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Un roi est là, qui a nom Corsablix ; il est de Barbarie, un étrange pays ; il appela les autres Sarrasins. « Cette bataille, nous pouvons bien la soutenir, car des Français il y a assez peu. Ceux qui son là, nous pouvons les mépriser, par Charles pas un ne sera protégé. Voici le jour qu’il leur faudra mourir. » Bien l’entendit l’archevêque Turpin7 ; il n’est pas d’homme qui veuille tant haïr. il pique son cheval des éperons d’or fin, d’un grand élan est allé le frapper. Il brisa l’écu, démailla le haubert son grand épieu parmi le corps lui mit, le perça bien, mort le vit vaciller, à pleine hampe l’abat mort au chemin ; regarde à terre, voit le glouton qui gît et pourtant tient à lui parler, dit-il : « Vilain païen, vous en avez menti ! Charles, mon seigneur, nous protège toujours, Nos Français ne pensent pas à fuir. Vos compagnons, nous les ferons tous rétifs. Voici une nouvelle : il vous faut mourir. Frappez Français ! Que nul de vous ne se relâche ! Ce premier coup est nôtre, Dieu merci ! » Il crie Montjoie, pour occuper le terrain. Et Gérin frappe Malprimis de Bringal ; son bon écu ne lui vaut un denier : il en brise la boucle de cristal, en fait tomber à terre la moitié : lui rompt le haubert jusqu’à la chair, son bon épieu lui enfonce dans le corps. Le païen tombe à terre d’un seul coup, et Satan emporte son âme. Et son compagnon Gérier frappe l’amurafle8, brise l’écu et le haubert démaille, son bon épieu lui met dans les entrailles pousse bien, le lui passe à travers le corps et l’abat mort sur le champ, à pleine hampe9
Injure, le vilan s’oppose au noble. Cri de guerre qui sert à rassembler les soldats, à lancer une attaque, à acclamer le suzerain. 7 Un des douze pairs de France, archevêque de Reims. 8 Dignitaire chez les Sarassins. 9 Tout l’épieu dans le corps. 6
Olivier dit : « Belle est notre bataille. »
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Le duc Samson va frapper l’almaçour10, Brise l’écu, orné d’or et de fleurs - le bon haubert ne le garantit guère – tranche le cœur, le foie et le poumon et l’abat mort, qu’on le regrette ou non. L’archevêque dit : « C’est un coup de baron. »
Et Anseïs laisse son cheval courir, et va frapper Turgis de Tortelose, brise l’écu sous la boucle dorée, de son haubert déchire les mailles doubles, du bon épieu au corps lui met la pointe, pousse bien, fait traverser tout le fer, A pleine hampe le renverse au champ mort. Et Roland dit : « C’est un coup d’un vrai preux. »
1. Observez la longueur des strophes. Dans quel but les deux premières sont-elles longues ? Quel effet crée la brièveté des suivantes ? Quel est le but, la fonction poétique dans le mélange de longueur des strophes ? 2. Analysez la manière dont les guerriers et le combat sont décrits. Sur quels éléments la voix poétique s’attarde-elle, quelles figures de rhétorique sont utilisées ?
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Un autre dignitaire Sarassin.