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Décembre 2018
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L’ i d e n t i t é c u l t u r e l l e 001
Nuit m a g a z i n e .
À tous ceux qui ne dorment pas cette nuit, la tête grugée par leurs pensées. À ceux qui ont des histoires à raconter, ceux qui laissent aller leurs émotions une fois que le soleil s’est couché.
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Trouée
Qui ? Quoi ? Quand ? Où ? Pourquoi ? Moi. Je vis. Aujourd’hui. À Montréal. Mes parents voulaient une meilleure vie. Qui ? Moi. Annie. Qui ? Une Canadienne dont les parents ont immigré du Vietnam pour fuir la guerre. Qui ? Une Québécoise. Une Québécoise d’origine vietnamienne. Une Vietnamienne. Une Chinoise. Une moitié Chinoise et Vietnamienne. Une Québécoise d’origines vietnamienne et chinoise. Une Montréalaise ? Une Montréalaise-vietnamienne-chinoise. Une Montréalaise vietnamienne. Une Montréalaise chinoise et vietnamienne ? Une Montréalaise vietnamienne et chinoise ?
our fuir la guerre. Qui ? Une Québécoise. Une Québécoise d’origine vietnamienne. Une Vietnamienne. Une Chinoise. Une moitié Chinoise et Vietnamienne. Une Québécoise d’origines vietnamienne et chinoise. Une Montréalaise ? Une Montréalaisevietnamienne-chinoise. Une Montréalaise vietnamienne. Une Montréalaise chinoise et vietnamienne ? Une Montréalaise vietnamienne et chinoise ?
Qui ? Laissez-moi du temps pour y penser. Qui ? Je ne suis plus certaine. Ça dépend des jours. Qui ?
Annie Thao Vy Nguyen, Éditorial
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C L’identité se présente devant nos yeux chaque jour sous la forme d’une palette de couleurs infinie. Cyan, magenta et jaune créent perpétuellement une infinité de camaïeux tout autour de nous, mélange après mélange.
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Camaïeu est une série de portraits peints aux couleurs de l’identité culturelle de jeunes, soit la manière dont ceux-ci s’identifient et leurs expériences.
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Makéda Ékoué, 16 ans. Quelles sont tes origines ? Ma mère vient du Cameroun et mon père vient du Togo. Je suis née ici. Comment est-ce que tes parents ont immigré ici ? Ma mère est née ici, mais elle est retournée au Cameroun après moins d’un an, où elle a vécu son enfance et son adolescence. Ensuite, quand elle avait 18 ans, mes grands-parents l’ont envoyé toute seule ici, à Québec, dans une famille d’accueil pour qu’elle puisse avoir une meilleure vie. Elle a ensuite fait ses études à Montréal après avoir déménagé, puis elle a commencé une famille. Mon père est né en France et il a été envoyé au Canada pour lui aussi avoir de meilleures opportunités. Il est venu quand il était un peu plus vieux, donc il s’est débrouillé tout seul. Je connais moins de détails du côté de mon père par contre. Mon grand-père maternel avait travaillé un peu ici (c’est d’ailleurs pour ça que ma mère est née ici), et les parents de mon père connaissaient la France, donc ils avaient une idée de la vie en Occident. C’est pour ça qu’ils s’étaient dit que la qualité de vie de leurs enfants serait meilleure au Canada. Comment t’identifierais-tu sur le plan culturel ? Quand les gens me demandent «T’es qui ?» ou «T’es quoi ?», je commence par dire que je suis Canadienne, car je m’identifie beaucoup au Canada, mais pas en particulier avec le Québec. Je me sens plus proche de la culture occidentale, mais je garde aussi un grand contact avec ma culture africaine : ma grandmère a essayé de m’apprendre la langue et je la comprends même si je ne la parle pas, je mange beaucoup de plats des deux pays chez moi et je suis allée au Cameroun cinq fois en huit ans. Je trouve que c’est important d’être fier de ses origines. Oui, je me sens plus Canadienne, mais je ne pourrais jamais dénier
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Je pense que je m’identifie comme ça car je suis née ici, mes parents sont établis depuis longtemps et j’ai fréquenté des écoles prédominamment blanches, mais je fais un effort consciencieux pour ne pas oublier mes vraies racines. Te sens-tu proche de la culture de ton pays d’origine ? Je me sens proche de ma culture camerounaise, car mes grands-parents du côté de ma mère vivent à Trois-Rivières, c’est très proche, donc je les vois beaucoup plus souvent. Aussi, je suis allée au Cameroun cinq fois, j’ai vu la ville, le village de ma mère, je connais beaucoup plus ma famille de ce côté et les traditions, tandis que je ne suis jamais allée au Togo. De plus, mon grand-père paternel est mort quand j’étais très jeune et je ne vois pas souvent ma grand-mère paternelle. Je suis donc beaucoup plus proche de mon côté camerounais pour toutes ces raisons. Par contre, d’être proche de mes racines camerounaises me donnent l’impression d’être proche de mes racines en général. Aussi, dans la famille de ma mère, il y a des choses qui doivent se passer d’une génération à une autre. La mère de mon grandpère est morte, donc ma mère est comme la nouvelle cheffe de la famille, elle a reçu des responsabilités, et ce sera aussi à mon tour un jour, car je suis moi aussi l’ainée de la famille. J’ai ainsi une certaine obligation d’être impliquée dans ma culture camerounaise en plus. Je dois par contre avouer que ce sera assez difficile de jouer ce rôle puisque je n’ai pas grandi au Cameroun et je ne peux que comprendre la langue. Je pense que mes grands-parents font des arrangements pour que ce soit moins un poids moins lourd à porter sur mes épaules, mais même ma mère qui a vécu 18 ans au Cameroun était stressée quand elle avait à recevoir ce titre, donc je suis nerveuse quand j’y pense. Il y a toutefois aussi une part de fierté dans tout ça, car ce titre haut placé vient avec une aura de respect, mes grands-parents qui occupent ce poste font bien leurs devoirs de soigner, d’amener des médicaments et de donner de l’argent. Donc, quand ils viennent au Cameroun, il y a beaucoup de respect et d’admiration pour eux, et de savoir que je viens de cette lignée, c’est un grand honneur.
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Est-ce que ça a toujours été le cas ? Non, je n’aime pas dire ça, mais quand j’étais au primaire, j’avais très honte de ma culture et j’étais dans une école avec beaucoup moins de diversité que celle où je suis présentement. Je sentais le besoin de m’assimiler aux autres: j’imitais l’accent québécois, je refusais de porter mes habits traditionnels à l’école quand ma mère voulait parfois, les gens trouvaient que mes plats traditionnels ne sentaient pas bon, donc j’avais très honte de ma culture, de mes racines jusqu’en sixième année, où j’ai commencé à plus m’assumer, à être plus fière, à vouloir éduquer les autres. Avant 12-13 ans, quand les gens se moquaient de mes plats je ne leur disais pas « C’est un plat de mon pays, vous n’êtes pas habitués », je fermais mon plat et ne mangeais pas mon lunch. Ça a été une lente évolution pour arriver à la fierté que j’ai aujourd’hui. Je pense que c’est d’atteindre l’âge adolescente qui m’a donné plus de confiance en moi dans tous les aspects de ma vie, donc ma culture était juste une des choses qui s’est améliorée parmi tant d’autres. Je ne crois pas qu’il y a eu un élément déclencheur en particulier, mais je pense aussi que le plus que j’allais au Cameroun, le plus que je voyais que c’était important pour mes grands-parents que je n’aie pas honte. Je savais que mes grands-parents n’étaient pas heureux quand mère racontait des histoires de moi qui avait honte de porter mes habits traditionnels ou d’amener mes plats, et mes grands-parents sont une source d’opinion importante dans la famille. C’est alors un mélange de tout ça qui est à l’origine d’où j’en suis aujourd’hui. Par contre, j’ai une petite sœur qui a eu honte moins longtemps que moi, elle s’est adaptée plus facilement, et c’est surtout au niveau vestimentaire. Elle avait beaucoup plus de fierté à porter les vêtements, et je pense que c’est parce qu’elle a beaucoup plus de confiance au niveau du style et de l’apparence que moi, donc ça lui permet de ne pas avoir peur de porter ses habits traditionnels et de se faire juger, car elle est bien ancrée. Es-tu déjà retourné dans ton pays d’origine ? Est-ce que ça a affecté ton identité culturelle ? La première fois que je suis allée je n’avais que 2 ans, je ne m’en souviens pas. Par contre, je me rappelle très bien des quatre autres fois : au début j’avais peur, et puis ma sœur et moi
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nous recevions beaucoup de commentaires, car même si le français est parlé au Cameroun, on avait toutes les deux un accent différent. Les jeunes du village nous le faisaient alors savoir, c’était rien de méchant ou significatif, juste des blagues. Puis, quand j’ai dis que j’avais peur au début, c’est parce que ma grandmère nous racontait des histoires exagérées d’horreurs qui arrivaient aux touristes au Cameroun pour qu’on ait peur et qu’on prenne des précautions. Par exemple, lors d’un de mes premiers voyages, j’avais amené une très belle caméra. Ma grand-mère m’avait dit de ne pas mettre ma main en dehors de la fenêtre sinon des gens la couperait pour prendre ma caméra. Ce sont des choses qui sont déjà arrivées dans des zones plus dangereuses, mais elle nous racontait ça pour que l’on soit plus vigilantes que nécessaire. Donc j’avais très peur, et mes grands-parents étaient assez occupés, donc d’être seule sans connaitre de gens puisque c’est ma famille éloignée m’avait stressé en plus. Toutefois, plus que j’ai vieilli, plus que j’ai commencé à apprécier mon expérience, car je me disais « Makéda, c’est ça tes racines, c’est ton pays, tu ne vis pas ici, mais tu dois en profiter au maximum». Je partais tout l’été, pendant deux mois, et je me disais que je devais apprécier mon expérience même si parfois je m’ennuyais de la civilisation bruyante. L’avant dernière fois que je suis allée, ma sœur est tombée malade, elle a eu le palu, c’était une situation critique, et je suis retombée dans mon état de peur initial après en être sortie. Ensuite, je suis moi aussi tombée malade, moins gravement, mais je n’étais plus certaine de vouloir retourner au Cameroun. Je suis alors allée une dernière fois, et je refuse depuis trois ans d’y revenir. C’était une bonne expérience, mais je pense que ce n’est pas mon environnement. Je vais probablement y retourner quand je serai plus vieille, dans trois ou quatre ans, mais j’avais besoin d’une pause. C’était devenu une routine de passer deux mois au Cameroun, ce n’était plus aussi agréable qu’avant. L’aspect d’émerveillement et de découverte n’était plus là, et j’ai vécu des expériences que j’aurais préférées ne pas vivre là-bas. J’apprécie toutefois le fait d’être allée autant de fois, j’ai beaucoup de souvenirs que je n’oublierai jamais, j’ai eu la chance de me connecter avec de la famille éloignée et mon pays, mais c’était assez.
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Je dis que ce n’est pas mon environnement, car même quand les plaisanteries sur moi ont arrêté de m’affecter, je continuais de me sentir comme une Outsider, une étrangère. Aux évènements, ma sœur et moi étions toujours un peu mises à part. Ça me dérangeait un peu, et au fil du temps, les petits commentaires s’accumulaient, donc j’ai fini par ne plus me sentir à ma place là-bas. Le Cameroun me manque parfois, j’en parlais justement à mon grand-père pendant l’été, mais je ne serais pas prête à y passer deux mois. Et puis il y aurait une différence si j’y allais maintenant que je suis plus grande. Je ne suis plus jeune et impressionnable, je ne crois plus à toutes les histoires exagérées qu’on me racontait, et si j’y allais, j’aimerais explorer plus que juste le village de mes grands-parents, je voudrais voir la maison de ma mère, plus liées à l’histoire au lieu de toujours voir la famille seulement. Je ferai donc un voyage comme ça quand j’aurais plus d’ambition et de motivation à y retourner. Y a-t-il eu des moments où tu as senti que la culture d’ici et celle de ton pays d’origine n’étaient pas en accord ? As-tu déjà rencontré des moments difficiles par rapport à ton identité culturelle ? Il y a beaucoup de choses sur lesquelles je ne suis pas d’accord avec mes grands-parents, et l’opinion de mes grands-parents, c’est l’opinion classique du Cameroun. Juste la façon que je m’habille, ce que je mange; c’est impossible de rester 100% fidèle à la culture camerounaise. Mes grands-parents au Canada vivent euxmêmes un mode de vie assez canadien, ils sont conscients des changements. C’est donc des petites choses du quotidien comme ça qui montrent qu’il n’y a pas un accord parfait entre moi et ma culture d’origine. Par contre, j’ai vécu peu d’expériences où je me suis dit qu’il y a un clash culturel intense… En fait, en secondaire 2, j’ai fait un projet d’art engagé sur la discrimination de la communauté LBGT. Au Cameroun, les gens sont justement très discriminatoires envers les gens LGBT, donc lorsque ma grand-mère a vu ce projet, elle a compris qu’il s’agissait d’un sujet proche de ma réalité, donc elle a trouvé ça inacceptable. Elle a dit : « Chez nous, ce genre de personne n’existe pas ». Puis, l’année dernière, quand ma mère est allée recevoir son titre au Cameroun avec mon beau-père, et à l’église, le prêtre
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avait fait un speech sur comment les Camerounais qui envoient leurs enfants en Occident se retrouvent avec des enfants corrompus qui pensent qu’être gay c’est normal. C’est une vision très discriminatoire, je ne pense pas pouvoir dire à mes grandsparents que je suis LGBT. D’ailleurs, quand j’ai annoncé ça à mes parents, la première chose que ma mère a dit c’est « Il va falloir que tu réfléchisses à comment tu le diras à ta grandmère, tes grands-parents ». C’est donc ces idées discriminatoires qui constituent le plus gros clash culturel pour moi. Et puis, je ne sais pas comment je pourrais prendre la relève pour le titre que j’avais mentionné plus tôt, j’espère que les mentalités auront changées un peu, mais je sais aussi que dans de pays d’Afrique, les changements de mentalité se font très lentement, la peine de mort étant encore une conséquence pour ce genre de choses à certains endroits. Donc, je n’ose pas vraiment espérer rendue à ce point. Mes grands-parents réalisent aussi que ma sœur et moi sommes un peu déconnectées de la réalité camerounaise, donc j’espère qu’ils vont se rendre compte qu’on ne peut pas nécessairement prendre leur place dans la communauté. J’espère ne pas besoin d’avoir l’inquiétude de « Comment est-ce que je vais pouvoir occuper ce titre en étant LGBT ? » dans le futur. Je suis consciente de comment le fait que je suis LGBT pourrait affecter ma relation avec mes grands-parents, mais j’ai seulement pensé un peu au futur plus lointain, à mes responsabilités plus tard et tout ça qui seront plus difficiles avec ce clash. Penses-tu que ton identité culturelle présente changera d’ici 10 à 20 ans ? Oui, je crois que je vais me distancer de ma culture africaine, car comme je l’ai dit, je pense honnêtement être incapable de prendre la relève et de répondre aux attentes. Ma mère n’est pas totalement investie dans son rôle, et puisque je ne vois pas souvent mon père, ce n’est pas lui qui va nouer des liens plus forts avec ma culture togolaise non plus. Mes grands-parents vont mourir un jour aussi, donc sans eux, sans l’obligation d’aller au Cameroun à chaque six mois car j’ai un rôle à remplir làbas, et avec des parents qui ne rendent pas mes liens culturels plus forts, je vais certainement finir par me distancer de ma partie africaine. Plus je vieillis, plus la connexion s’affaiblit, et
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ce n’est pas nécessairement mauvais. Je dis que c’est important d’être fier de ses racines, et je dis seulement que je serai moins proche physiquement, je n’aurai pas de liens aussi directs que l’époque où j’étais jeune et allais constamment au Cameroun, mais je garderai toujours les éléments culturels, l’héritage et la fierté. Je ne vais jamais arrêter de manger des mets du pays et de porter mes habits traditionnels dans la vie de tous les jours, de dire d’où je viens avec fierté. C’est deux choses différentes, mes grands-parents m’ont laissé un héritage que je garderai à jamais.
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Valeria Prato, 14 ans. Quelles sont tes origines ? Je viens du Venezuela, mais mon grand-père paternel vient de Colombie. Comment est-ce que tes parents ont immigré ici ? Mes parents ont commencé un processus d’immigration de 4 à 6 ans comme plan de backup au cas-où la situation au Venezuela devienne trop grave. On savait tous que les choses se dégénéraient année après année à cause du président Chavez, un président qui ne pensait qu’à ses gains monétaires personnels et qui s’en fout de la population, donc mes parents prenaient des mesures de prévention. Aujourd’hui, Chavez est décédé, mais avant de mourir, il a dit à la population (avec l’influence qu’il avait encore sur certains) de voter pour Maduro à sa mémoire aux prochaines élections. Cet homme était encore pire que Chavez lui-même, et il a réussi à être le nouveau président. Ma famille et moi sommes donc partis en 2014 un an après, quand les papiers étaient tous faits. Mes parents voulaient immigrer au Canada, mais pas au Québec, car ils s’étaient dits que ce serait trop compliqué avec la langue. On a été placés ici sans avoir choisi. D’ailleurs, beaucoup de mes amies qui sont latinas ont aussi immigré en 2014. Je ne suis pas certaine pourquoi 2014, je pense que la situation s’aggravait et que l’intuition de nos parents nous a fait partir à cette année précise, mais tout ce que je sais, c’est que la plupart des gens se disent « Fiou! On est vraiment partis au bon moment… ». C’était difficile pour moi de partir, j’avais 10 ans et j’étais vraiment fâchée; je ne voulais pas quitter même si je savais que mes parents avaient des raisons pertinentes. Toutes mes amies et ma famille sont restées là et le pire c’est qu’on ne peut même plus retourner les visiter. On risquerait fortement de ne pas pouvoir partir. Justement, quand j’étais dans
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l’avion, j’ai demandé à mes parents si l’on pouvait retourner au Venezuela pour les visiter. Ils m’ont dit que l’on pourrait peut-être, mais c’était un mensonge; ils ne voulaient pas enlever le peu d’espoir qu’il me restait même s’ils s’avaient avec certitude que ce ne serait pas possible. Ce n’était pas mon premier voyage, mais c’était bizarre d’être dans un avion sans être certaine de pouvoir retourner chez soi. Avant de partir, ma sœur et moi pouvions amener des vêtements et des jouets dans nos valises, mais on avait à faire des ventes de garage car on ne pouvait évidemment pas tout emmener. C’était difficile. Je ne savais non plus à quoi m’attendre : ni mes parents ou moi étions venus au Canada, je ne savais pas ça aurait l’air de quoi, mais je m’attendais simplement à voir la neige pour la première fois de ma vie. Je pense que je n’étais pas 100% consciente de ce qui m’arrivait en immigrant, car j’étais vraiment prise dans ma petite bulle en ne pensant qu’aux proches que j’allais délaisser pendant que mes parents, eux, devaient penser à trouver du travail, apprendre la langue et trouver un endroit où habiter. On est arrivés en août. Il faisait un plus froid qu’au Venezuela, donc à mon premier été, je ne voulais même pas me mettre en shorts. C’était difficile pour mes parents de trouver un emploi, car le diplôme vénézuélien vaut moins que celui d’ici même s’il s’agit du même emploi. Ma mère travaille donc le jour et va à l’université la nuit pour retrouver sa carrière d’avant qui était mieux rémunérée. C’est cher vivre ici! Mon père, lui, vient tout juste de se trouver un emploi il y a trois mois. La langue était une grande barrière pour la recherche d’emploi. Même après 4 ans il a de la difficulté à faire des phrases complètes. C’était dur. Comment t’identifierais-tu sur le plan culturel ? Je suis vénézuélienne. Oui, j’ai la citoyenneté canadienne, mais ça s’arrête là. Je ne me sens pas proche d’ici, et juste la langue en soi est assez difficile : des fois j’ai un gros accent et de la difficulté à trouver mes mots. Je sens seulement un sentiment d’appartenance au Venezuela, je pense que c’est parce que je voyais déjà un futur là-bas et non ici, donc c’est dur de se sentir à sa place ici. Mes amies qui ont immigré pendant la même période que moi s’identifient aussi comme ça; 10 ans, c’est une
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grande partie de sa vie passée dans un pays, on s’est bien établi dans notre petite vie et c’est dur de se sentir en appartenance ailleurs. Je pense aussi que c’est bien d’accorder de l’importance à ses origines. C’est aussi une question de représenter ton pays, j’aime bien le faire avec des petits bracelets avec les couleurs du pays ou des drapeaux ici et là. D’ailleurs, je sais que ce n’est pas tous les immigrants qui mettent autant l’emphase sur les racines que moi. J’ai un ami qui a déménagé du Venezuela quand il n’avait qu’un an, mais qui y sent encore une forte appartenance malgré le fait qu’il n’y est pas retourné depuis, tandis que d’autres délaissent progressivement la langue ou les coutumes après quelques années d’immigration. Ça dépend des gens et des familles : des parents qui mettent plus d’emphase sur les racines ou qui exposent plus leurs enfants à leur culture d’origine affectent l’identité culturelle de leur enfant, mais encore là, chaque individu est unique dans sa manière de sentir. Te sens-tu proche de la culture de ton pays d’origine ? La culture pour moi c’est tout ce qui est propre à un pays, que ce soit les activités, la musique ou les mets. Je dirais donc absolument oui, la danse, la nourriture, les traditions; je me sens proche de tout ce qui attrait au Venezuela. J’habite ici depuis quelques années déjà, mais tout est encore nouveau pour moi. Le ski, la poutine, je ne me sens pas familière avec tout ça. Est-ce que ça a toujours été le cas ? C’est en étant au Canada que je me suis sentie plus proche de ma culture. Je me suis rendue compte à quel point c’est facile de délaisser sa culture, sa langue lorsque j’ai rencontré des immigrants auxquels ça leur était arrivé, donc c’est en immigrant ici que j’ai commencé à sentir l’importance de préserver ma culture. Ce n’était pas nécessaire de préserver quoi que ce soit quand j’étais au Venezuela, mais c’est aujourd’hui que je sens ce devoir. Es-tu déjà retourné dans ton pays d’origine ? Est-ce que ça a affecté ton identité culturelle ? Comme je l’ai mentionné, je ne peux pas y retourner. Ma famille et mes amis me manquent
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même si on se facetime une fois de temps en temps. J’espère que les choses changeront un jour. Y a-t-il eu des moments où tu as senti que la culture d’ici et celle de ton pays d’origine n’étaient pas en accord ? As-tu déjà rencontré des moments difficiles par rapport à ton identité culturelle ? Une chose qui m’a choqué lorsque je suis venue ici est la différence dans les rapports entre les enseignants et les élèves. Au Venezuela, il y a une relation plus affectueuse avec les profs, on ne les vouvoie pas et on leur donne des câlins. Ici, disons que le respect est sous une forme moins amicale. Une autre différence qui m’a marqué est la liberté que les enfants ont au Canada. Ça me fait sentir que mes parents sont stricts quand ils sont comme la norme au Venezuela. Penses-tu que ton identité culturelle présente changera d’ici 10 à 20 ans ? Non, car ça fait déjà quatre ans que je suis au Canada et je ne me sens que plus proche de ma culture au fil du temps. J’accorderai toujours une grande importance à ma culture, et m’assurerai d’en faire la transmission à mes enfants. Si mon identité culturelle changerait, elle ne deviendrait que de plus en plus inclinée vers le Venezuela; mon pays d’origine est une grande partie de moi que je ne délaisserai jamais.
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Tony Nguyen, 21 ans. Quelles sont tes origines ? Je suis né à Montréal et mes parents viennent de Ho Chi Minh/Saigon au Vietnam. Comment est-ce que tes parents ont immigré ici ? Mes parents sont venus par avion en 1996, un an avant ma naissance. Ils ont immigré en pensant à moi, car la pauvreté était très présente dans les deux côtés de ma famille. Dès que mon côté paternel a eu la chance de venir au Canada, mon père a pris la décision d’immigrer. Je dis qu’ils pensaient vraiment à moi dans leur décision, car ils s’étaient dit : « Est-ce qu’on vraiment le laisser vivre dans cette misère? » lorsqu’ils pensaient à moi. Mes tantes, leurs enfants, ils ne sont pas allés à l’école, en général, le secondaire 5 marquait la fin de la scolarité. La plupart de mes cousins travaillent aujourd’hui dans des cafés ou vendent de la nourriture dans la rue avec leurs parents. Aussi, quand je dis pauvreté, c’est comme six familles de cinq chacune, dans une seule maison, donc mes parents se disaient que de s’en aller est un risque à prendre puisque n’importe quoi aurait été mieux que la situation au Vietnam. Ma mère était la seule enfant à immigrer, donc elle a laissé sa famille derrière en plus. J’étudie en photographie en ce moment, c’est dur de gagner sa vie avec ce genre de métier, donc mes parents mettent beaucoup de pression sur moi pour que je réussisse puisqu’ils ne veulent pas que moi aussi je vive comme eux vivaient (avec le stress de l’argent, la pauvreté). Il y a justement beaucoup de gens qui se plaignent de la pression de leurs parents, mais c’est facile d’oublier qu’ils veulent juste que tu vives bien en fin de compte, ils savent que tu quitteras la maison, donc ils veulent que tu n’aies pas trop de problèmes. Comment t’identifierais-tu sur le plan culturel ? Mon identité ? C’est une constante bataille
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entre deux mondes différents où je suis incapable de prendre un côté. Imagine un mur que tu es incapable de traverser. Je suis donc encore en recherche d’identité. Je suis encore dans une phase de recherche d’identité, car si je dis « Je suis vietnamien », ce n’est pas vrai pour moi, mais de dire que je suis québécois car je suis né ici, c’est aussi faux. J’aimerais avoir des mots plus précis pour me parler de mon identité et me sentir confortable. J’aimerais me sentir certain en disant « Je suis ça », ou « Je viens de là ». En parlant de mots, l’autre jour, j’ai trouvé un mot qui décrivait bien ce que je sentais. C’est le mot « xénophobie », le traitement négatif des gens étrangers, et ça inclue les gens qui sont même des étrangers à leur propre pays. Je sens de la xénophobie au Québec et au Vietnam, je n’arrive pas à sentir que j’appartiens ou que ce soit à cause de ça. Je suis traité comme un étranger ici et là-bas. Je sens que je tourne en rond, car je ne sais plus aller pour me sentir à ma place. Tout ce que je peux dire avec assurance si on me le demandait, c’est que je suis un Québécois né au Vietnam. Te sens-tu proche de la culture de ton pays d’origine ? Avant mon voyage récent au Vietnam, je me disais que la vie québécoise n’était pas faite pour moi. J’ai grandit avec une culture vietnamienne très présente, sans honte de le montrer à l’école. J’ai été dans des écoles principalement blanches, je n’étais pas très bien compris, et je ne comprenais pas si bien les autres non plus. Si je le pouvais, je partirai d’ici car je sais que je ne me sens pas confortable ici. J’essaierai de découvrir davantage la culture vietnamienne pour peutêtre trouver ce qui résonne avec qui je suis. Est-ce que ça a toujours été le cas ? Oui, peu importe où et quand, je me sens plus proche de mon côté vietnamien que québécois. Es-tu déjà retourné dans ton pays d’origine ? Est-ce que ça a affecté ton identité culturelle ? Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’ai visité le Vietnam assez récemment. Je suis parti avec l’idée que je trouverais ma place là-bas, mais c’était faux. Oui, je me sentais bien, mais ma
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présence suscitait aussi des chuchotements et des regards : on pouvait voir que je n’étais pasdu coin même si je serais supposé de pouvoir m’intégrer facilement. C’est donc pour ça que je suis dans une telle confusion identitaire : je ne me sens confortable nulle part. Aussi, au Vietnam, selon ce que j’ai vu et ce que mes parents qui ont vécu là-bas et ici m’ont dit, il y a une sorte de liberté que l’on ne retrouve pas ici. On vit en quelque sorte le « American Dream » où l’on doit constamment travailler pour arriver à une grande réussite, avoir de gros diplômes pour avoir des grosses sommes d’argents, le tout avec beaucoup de pression dans tous les aspects de la vie. Lors de mon voyage, j’ai vu que la pauvreté là-bas faisait de sorte que les gens axaient plus leur vie autour du bonheur de vivre ensemble. La pression scolaire et celle de faire beaucoup d’argent n’était pas aussi présente du tout, car les gens sont pauvres, peu éduqués et ne veulent qu’assez d’argent pour vivre, donc ils profitaient davantage des autres sources de bonheurs. Ils savent qu’ils ne peuvent pas faire plus d’argent sans leurs diplômes, et les enfants savent très bien qu’ils ne sont pas éduqués. Leur mentalité est plutôt « Comment pourrais-je faire pour trouver plus de bonheur dans mon quotidien ? ». C’est là que j’ai réalisé que cette liberté de vivre sans pression me parlait beaucoup, que la pression occidentale était trop pour moi, et ça m’a fait sentir plus proche du Vietnam que du Québec. Je trouve que ça peut facilement devenir toxique d’être constamment en train de penser à ce que l’on doit/veut faire, car on ne pense pas à simplement vivre. Ici, on nous demande dès un très jeune âge « Que veux-tu faire plus tard? », on pense à l’avenir, l’argent, le succès, c’est la pression de la société en Amérique. Y a-t-il eu des moments où tu as senti que la culture d’ici et celle de ton pays d’origine n’étaient pas en accord ? As-tu déjà rencontré des moments difficiles par rapport à ton identité culturelle ? L’esprit de liberté du Vietnam en clash avec la pression de réussir ma vie ici est la première chose à laquelle je pense, c’est justement pourquoi j’ai choisi d’étudier le métier de photographe : c’est un métier avec beaucoup de liberté, chose que je cherche. Il y a aussi des petites différences dans les coutumes bien
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évidemment, mais ces différences causent seulement un sentiment de distance quand on ne comprend pas ou quand on n’est pas habitué à ce que l’autre fait ou dit. Toutefois, ça n’affecte pas directement mon identité culturelle, c’est plus le traitement d’étranger que je reçois qui change mon sentiment d’appartenance. Penses-tu que ton identité culturelle présente changera d’ici 10 à 20 ans ? J’espère fortement pouvoir la trouver en premier lieu, je pense que je serai plus heureux à ce moment là. C’est juste plate cette solitude, de ne pas me sentir confortable nulle part sans avoir à penser à qui je suis. Puis, je pense qu’une fois que je trouverai mon identité, elle ne changera pas, car la simple recherche prend déjà énormément de temps, comment pourrais-je changer aussi rapidement après avoir enfin défini qui je suis.
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Ariana Rabbaninejad, 17 ans. Quelles sont tes origines ? Je suis 100% Iranienne. Comment est-ce que tes parents ont immigré ici ? J’ai immigré en 2014 avec mes parents et ma petite sœur qui avait 6 ans à l’époque. Mes parents ont commencé le processus d’immigration en 2010, donc ils ont appris la langue et ont fait les démarches nécessaires. Ensuite, en 2012, ils ont fait une entrevue en Turquie, pour qu’eux nous puissent nous dire si notre demande était acceptée. Une sélection se fait selon la situation des demandeurs, par exemple, puisque mes parents sont tous deux diplômés d’université, ça nous a aidé à pouvoir immigrer. Puis, le niveau de langue est aussi pris en considération. Notre dossier a donc été accepté après l’entrevue; on pouvait immigrer. Notre visa est arrivé un an et demi après, puis on est venus ici l’été 2014. Mes parents ont décidé d’immigrer pour mon futur et celui de ma sœur. Mes parents étaient satisfaits de leur vie là-bas, mais ils voulaient que ma sœur et moi ayons une bonne vie plus tard, car la situation économique en Iran était très mauvaise. La situation politique aussi n’était pas bonne : c’est très possible qu’il y ait une guerre là-bas bientôt. Il y avait aussi plus d’opportunités de carrière et de vie au Canada, en plus d’une plus grande liberté et sécurité. En Iran, on est vraiment pas libres, surtout en tant que femme. Tu es obligée de mettre le hijab, tu es discriminée si tu vas étudier en ingénierie ou dans des domaines comme ça même si ce n’est pas super explicite. Par exemple, si tu es une étudiante en architecture, personne va te dire « Pourquoi est-ce que tu étudies ça? », mais quand tu chercheras une job et en tant que fille de 23 ans, c’est presque impossible qu’on te prenne. Même si tu te fais engager, les hommes ne vont pas t’écouter quand tu leur donnes des ordres ou des avis. Quand je parle de sécurité, c’est que ce
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n’est vraiment pas sécuritaire de sortir la nuit dans les petites villes et les petits quartiers. J’habitais dans une grande ville, donc ce n’était pas pire, mais vraiment, dans les petites villes, à cinq heures, tu ne sors pas de chez toi toute seule, surtout si t’es une fille… Tu ne veux pas faire ça. J’avais 9 ans lorsque mes parents m’ont dit qu’on immigrait, donc je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait. Ma sœur, elle, était encore plus jeune, donc c’était vraiment rien pour elle. Moi, je m’attendais à un changement, mais je ne m’attendais pas à un changement aussi grand. Avant, le travail de mon père nous faisait voyager beaucoup, donc je m’attendais à ce que ce soit Le Canada, quelque chose de grandiose quand on en parlait. Je pensais à un pays hyper développé comme l’Arabie Saoudite, Dubaï et tout. J’arrive ensuite ici, et puis…(rire). J’étais un peu déçue de ce que je voyais autour de moi : il y avait l’hiver, le français à apprendre, et puis quand tu as treize ans et que tu arrives quelque part où tu connais personne et tu ne parles pas leur langue… Tu te sens vraiment seule. J’avais appris l’anglais parallèlement à ma langue maternelle, mais on n’a pas le droit d’étudier dans une école anglophone à moins d’avoir un parent anglophone. Donc le français, je l’ai appris quand on est arrivés ici. Imagine ça : quand je suis arrivée, je ne parlais même pas un seul mot. Je voyais les tableaux dans l’aéroport et je me demandais « C’est quoi cette langue ?! ». Même les pancartes dans la rue, je ne comprenais pas C’était écrit « Arrêt », et je me demandais « Pourquoi est-ce qu’il y a une ligne au-dessus du i? » quand c’était un e avec un accent circonflexe! Il y avait plein de sentiments mélangés aussi. Je ne suis pas quelqu’un qui se fait accrocher facilement, mais puisque j’ai immigré à 13 ans, c’était très facile de se faire déstabiliser, car j’étais vraiment intégrée en Iran. C’est comme si tu mettais une grenouille dans un bol d’eau froide, puis tu la sors pour la lancer dans un bol d’eau chaude. Elle commence à sauter partout, elle veut sortir, mais moi, je ne pouvais pas sortir, j’étais coincée ici. En plus, il y avait le français, mais à côté, il y avait l’accent. C’était comme deux langues différentes: j’apprenais le français à l’école, et il y avait tous les gens autour de moi qui
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parlaient avec l’accent québécois. Ça a rendu les choses encore plus difficile. Par contre, je ne me sens plus comme ça aujourd’hui. Quand on est arrivés, en juillet 2014, il restait un mois avant l’école, donc, un mois à ne rien comprendre. Et puis, on ne connaissait personne ici, et quand ma mère a enfin trouvé des amis iraniens, j’aurais été plus contente de ne pas les connaitre, car c’était des pessimistes. Ils nous disaient : « Ah, il va faire tellement froid! La langue est vraiment difficile », et c’était encore plus décourageant. Ils n’arrêtaient pas de chialer et tout, donc ma famille se disait « Oh mon dieu, mais qu’est-ce qu’on a fait ?? ». Quand l’école a commencé, j’ai appris le français. Toutefois, l’école que je fréquentais me donnait le sentiment que j’étais seule. J’étais à Lavoie, c’est majoritairement des philippins qui se parlaient dans leur langue, et je n’y comprenais rien. Ce n’était pas le français, ni l’anglais, et surtout pas le perse, c’était leur langue à eux, le tagalog. C’était donc encore pire pour moi : ils avaient leur communauté à eux, et moi, je n’avais personne. Heureusement, maintenant, j’ai ma propre communauté : j’ai mes amis iraniens, on a trouvé des amis de famille que je considère comme des cousins, et puis l’école c’est vraiment différent depuis que je suis venue à l’École Internationale de Montréal. Après un an en accueil, on m’a mis au régulier en secondaire 2. J’étais supposée d’aller en secondaire 3, mais la professeure a décidé que si je veux rentrer à l’ÉIM, c’est mieux que je sois en secondaire 2 et que je fasse l’examen pour rentrer par la suite. Par contre, j’ai redoublé plus qu’une année en théorie, si l’on tient en compte de ce que j’ai étudié. Le système d’éducation iranien, surtout en physique et en mathématique, est plus avancé. Ce qu’on apprend cette année en physique, c’est ce que mes amis et moi apprenions il y a trois ans. Je me sentais imbécile, parce que j’étais capable de tout faire, mais je devais redoubler à cause que je ne parlais pas le français, et que je devais rentrer à l’ÉIM. J’avais les connaissances d’un secondaire 3 ou 4 même, mais on m’a mis en secondaire 2, et j’étais plus vieille que tout le monde. Je me sentais aussi différente à cause de ça. On est arrivés au Canada avec 8 bagages, sans maison, sans appartement,
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rien. On a pris le taxi et on lui a demandé de nous amener à un appart’ proche, un bâtiment que l’on pouvait louer temporairement au moins deux ou trois semaines. Ça a pris beaucoup de temps avant que mes parents trouvent une job, car ma mère parlait le français, mais pas mon père, donc ils ont continué leurs études en français et mon père vient de se trouver un emploi en septembre. Ma mère en a trouvé une l’été passé. Comment t’identifierais-tu sur le plan culturel ? Moi, je m’identifie comme CanadienneIranienne, parce que je respecte tout ce qui est canadien, mais en même temps j’ai mon collier de l’Iran, je n’oublie jamais mon pays. De plus, chez nous, on célèbre Noël et le Nouvel an iranien également. Il y a toujours des gens qui diront: « Peu importe ce qui arrive, je suis Iranienne ». Moi, je ne suis pas comme ça, je suis ouverte aux deux cultures. S’il y a des gens qui veulent sortir pour l’Action de Grâce, ok, on y va, et si quelqu’un veut sortir pour le Nouvel an iranien, on sort. C’est d’être équilibrée sans vraiment rester concentrée sur un des deux. C’est sûr qu’il y a plus d’Iranien que de Canadien en moi, parce que ce ne sont que 4 ans sur 17 que je vis au Canada. L’identité culturelle, c’est un facteur de temps, mais plus un facteur d’ouverture d’esprit. Au fil du temps, j’en apprends plus sur le Canada, mais c’est l’environnement qui m’entoure qui fait de sorte que je puisse en apprendre plus aussi, si l’on est capable d’absorber la culture. Te sens-tu proche de la culture de ton pays d’origine ? Non. Tout ce qui reste de l’Iran en moi, c’est le perse et mes amis. Sinon, il n’en reste plus grand-chose, c’est vraiment triste… Je viens juste de m’en rendre compte (rire). Tout est très mélangé, tu sais. Quand tu arrives, tu ne peux pas vraiment garder les mêmes habitudes et la même culture. Tu dois changer un peu, sinon tu vas rester seul. J’étais un peu obligée de changer ma façon de penser, comment je me comportais pour m’intégrer, pour que je sois à l’aise où je suis, confortable dans ma peau. Je vais donner l’exemple le plus récent dans ma vie. Quand on est arrivés au Canada, ma mère voulait savoir tout ce qui se passait dans ma vie. Maintenant, tant qu’elle est au courant de la généralité de ce qui se passe, et tant que je
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ne suis pas prête à lui dire un truc, elle ne va pas poser de questions. En Iran, c’est surtout la mère qui est au courant de ce qui se passe en détails précis dans la vie de sa fille. Au Québec, il y a une connexion moins étroite de ce que je comprends. Tant que les parents savent que leur enfant va bien, c’est correct. On a commencé à être comme ça car je trouvais que je voulais plus de liberté. C’est une adaptation, un changement à faire pour que je sois bien ici malgré mes racines iraniennes. La culture, ce sont les habitudes, les coutumes et tout ça, c’est comment tu as appris à être dans la société, à te comporter. J’ai donc changé depuis que je suis ici. Es-tu déjà retourné dans ton pays d’origine ? Est-ce que ça a affecté ton identité culturelle ? Oui, l’été 2017. Je me suis sentie comme une Outsider. C’est à l’âge de 16 ans que je suis retournée. Beaucoup de gens s’attendaient à ce que je sois la petite fille de 13 ans qui est partie. Innocente et tout. Ce n’était pas le cas car l’immigration m’a fait grandir. Tu vis beaucoup de choses en tant qu’enfant immigrante de première génération. Je veux dire, la vie quotidienne, ce n’est pas comme un enfant né ici. C’est moi qui a parlé avec la police d’immigration quand on est arrivés ici, j’avais de grandes responsabilités, donc ça m’a fait grandir plus vite. Les gens étaient aussi déçus que je ne sois plus aussi proche de mon côté iranien. Quand tu parles en perse et que tu trouves pas un mot, tu utilises ce mot en anglais, mais eux ils étaient comme: « Wow, ça fait juste 3 ans que tu es partie là, calme-toi ». Mais ce n’était pas voulu. Ils étaient déçus dans ce sens là. Je me sentais différente d’eux aussi. En fait, je me suis sentie comme si je n’appartenais ni à la communauté iranienne, ni à la communauté canadienne. J’ai toutefois trouvé ma communauté maintenant. J’ai beaucoup d’amis iraniens, qui ont immigré ici, à la même époque que moi, qui on parcouru le même chemin. Rendu là, tu n’es pas iranienne ou canadienne, tu es un mélange des deux. J’appartiens donc à ce mélange.
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Y a-t-il eu des moments où tu as senti que la culture d’ici et celle de ton pays d’origine n’étaient pas en accord ? As-tu déjà rencontré des moments difficiles par rapport à ton identité culturelle ? Je l’avais mentionné plus tôt : je veux avoir la liberté canadienne, de sortir quand je veux, être avec qui je veux, faire ce que je veux. Mes parents n’acceptaient pas ça avant, mais maintenant, c’est mieux. Avant, ils posaient beaucoup de questions quand je sortait et n’étaient pas contents quand j’avais un 80% à l’école (ici c’est considéré comme étant bon, mais pour l’échelle en Iran, 80% c’est 16 sur 20, et pour mes parents, ce n’est vraiment pas une bonne note). Aussi, quand je vois mes amis, boire de l’alcool ou fumer comme si c’était rien, je ne peux pas accepter ça. Quand quelqu’un arrive et ça sent la cigarette, je suis comme: « Attends, step back un peu ». L’alcool et ces choses, en Iran c’est interdit, donc il y avait un gros contraste pour moi. Il y a eu des moments difficiles aussi, je vais te donner l’exemple d’il y a 3 ans, en 2015. Ça faisait un an qu’on était arrivés ici, c’était le nouvel an iranien, mais j’avais un examen de mathématiques, donc je ne pouvais pas célébrer avec ma famille à la maison. Par contre, pendant les vacances de Noël, j’étais tellement seule, et je n’avais rien à faire : tous les restaurants et les magasins étaient fermés donc pendant que mes amis étaient avec leur famille en train de célébrer, j’étais chez moi en train de regarder Netflix. C’est là que mes parents ont décidé qu’on ferait les deux. Penses-tu que ton identité culturelle présente changera d’ici 10 à 20 ans ? Non. Ça va peut-être devenir plus incliné vers le Canada, mais je ne me verrais jamais dire à quelqu’un: « Je suis 100% Canadienne ». Je vais toujours rester l’Iranienne qui a immigré au Canada.
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Annie Thao Vy Nguyen, Bagages
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Ma mère était prof de littérature à l’université Mon père ingénieur, mais ça c’tait dans l’passé De Pékin à Montréal Leur pays natal leur est égal Pourvu que leur fille puisse vivre à l’aise Au pire, leur futur c’t’une hypothèse Mon ami m’a dit qu’ici, le gouvernement est moins corrompu Après tout, à l’aéroport, c’tait écrit bienvenue On a la vie devant nous, à lui de crier, Clignez des yeux, pis 20 ans sont passés J’me souviens encore de ce jour au dépanneur Un jour d’été, en pleine chaleur Une femme aux dents jaunies, les yeux méfiants, l’air amaigri qui dit John Player’s paquet d’vingt-cinq king size John Player’s paquet d’vingt-cinq king size JOHN PLAYER’S PAQUET D’VINGT-CINQ KING SIZE Criss, parles-tu français? T’aurais du rester dans ton pays, elle dit, en soufflant presque comme si elle pouvait camoufler sa hargne en tendresse J’me souviens encore de ce jour au dépanneur Un jour d’été en pleine chaleur, Une femme d’antan, les yeux flétris, l’air amaigri Assise sur une chaise bon marché aux bords effilochés Les pieds à terre, la tête en l’air L’air de vouloir décoller Vers une autre ère, tout pour s’enfuir de cette misère Elle est là, devant moi, mais son coeur est ailleurs Maman... ça va? ... Maman, ça va? Elle regarde l’horloge, il est douze heures cinquante-sept Il est sept heures quarante-dix Il est onze heures soixante-dix-neuf C’est qu’le temps est long, à Hochelaga-Maisonneuve Mama, it’s time to go home L’affaire, c’est que son ‘go home’ est à 10 000 kilomètres de cette cage Maman, wake up, y’en a plus, de décalage Ta vie, est pas finie, alors ramasse tes larmes de jais Avant que tu t’noies dans tes jadis, pis tes avant, si j’avais Retourne au cimetière, va chercher tes anciens rêves Si seulement j’pouvais y dire D’une autre manière que dans des vers
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Je voudrais m’terrer dans son épaule Mais elle est déjà en altitude Elle a la tête dans un bocal Elle est rendue astronaute Maman, emmène-moi, moi aussi, dans l’espace Rejoindre ceux qui en ont pas voulu, du American Dream Les nostalgiques, les réveurs, ceux qui vivent à l’antérieur Les chinois, les arabes, ceux qui croient plus, au Seigneur Ange, qu’elle dit, J’peux pas, qu’elle dit, T’es américaine, souviens-toi Là-haut, trust me, c’pas ton endroit Pis au diable si t’aimes pas ça Y en a qui tueraient pour ta place Alors endure pis arrête de faire ta garce C’est que J’suis tannée, de vivre en serre C’parce qu’ici, c’est l’enfer J’ai le coeur en nénuphar mais le puits est desséché Mes larmes sont de verre, pis tout c’que j’fais c’est pleure J’ai les joues ensanglantées mais tu veux pas qu’on y aille, À l’hôpital Tu veux pas qu’on y aille, à l’hôpital Maman, pourquoi tu vois pas comment j’ai mal? Maman, j’veux juste une peau de porcelaine Maman, j’en peux plus, d’cette criss de peine Maman, j’ai pris treize pilules d’acétaminophène Maman, pourquoi tu m’as faite canadienne? Maman, j’suis désolée, J’passe juste trop d’temps isolée C’est qu’j’ai l’cul entre deux chaises, Pis je sais plus comment agir En chinoise ou québécoise, En alien ou en humaine
Angelina Guo, Ma mère
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Annie Thao Vy Nguyen, Autoportrait
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Glowzi,
artiste mulitidisciplinaire unique en son genre. Glowzi, de son vrai nom Gloria-Sherryl François, est une artiste multidisciplinaire qui ne cesse d’explorer les différentes formes d’art. Que ce soit à travers de Nwar, sa boutique née de son désir personnel d’arrêter de consommer du fast-fashion et de rendre plus funky ses propres vêtements, ou Zandoli, un duo de DJ duquel elle fait partie, Glowzi ne cesse de faire preuve d’une créativité et d’un style unique influencé par sa culture d’origine.
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Entretien avec Glowzi
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Pourrais-tu décrire ton art à quelqu’un qui ne l’a jamais vu ? Funky. Et bien assaisonné (rires). Mon art est ce que je suis au moment où je le crée. Il y a des œuvres que j’ai créées créées durant des périodes où j’étais plus en questionnement, périodes et ça se reflète à travers les formes que j’ai utilisées, par par les lescouleurs. couleurs.Sur Surle le coup, coup, je ne je me me ne dis pas dis pas ok, je ok,meje sens me sens comme comme ça alors ça l’œuvre alors l’œuvre va ressembler va ressembler à ça, mais à ça, c’est mais avec c’est un pas deunrecul avec pasque de j’arrive recul que à voir j’arrive les sentiments à voir les que j’avais lors sentiments que de j’avais la création. lors deJeladirais création. que quand Je dirais je que fais de quand l’art je visuel fais ou de musical, l’art visuel c’est ou tout le temps musical, c’est en toutchangement, le temps en changement. tout le temps en exploration. Tout le temps en C’est changement, parce que tout j’ai lalechance temps d’avoir en exploration. une mère C’est qui me parce supporte que j’aiautant la chance que je peuxune d’avoir êtremère aussiqui curieuse me supporte et expérimentale autant que dans je peux ce être que aussi je fais. curieuse et expérimentale dans ce que je fais.
On peut voir une influence de tes origines dans tout ce que tu fais, que ce soit dans la musique, Nwar, ou tout simplement ton compte Instagram. Pourrais-tu parler de tes origines et comment elles t’affectent sur le plan artistique ? C’était non-intentionnel que mon art soit influencé par ma culture haïtienne. On peut voir une grande similitude entre les traits des visages que je peins sur les vêtements de Nwar et ceux de l’art naïf/haïtien. D’ailleurs, le nom « art naïf » est un terme colonisateur pour parler de l’art haïtien, les colons qualifiant ainsi cet art dû aux couleurs vives, aux visages simples et au peu de détails présents dans l’art haïtien. Ce sont des caractéristiques visuelles de mes œuvres aussi, montrant la forte influence inconsciente de ma culture sur mon art. Par contre, j’ai aussi fait des œuvres directement en lien avec ma culture. La Baronne Yvonne, par exemple, est une exploration de l’identité haïtienne. C’était l’idée que la liberté pouvait être incarnée par la figure maternelle haïtienne : sa douceur et sa sagesse perdurant même malgré sa fureur et sa force. L’identité haïtienne est basée sur la vengeance envers les Français, mais aussi par la douceur des figures maternelles, celles-ci prenant soin de leur corps, leur culture, et leurs enfants. J’ai donc représenté cela en faisant un collage d’une photographie du corps de ma mère avec un extrait du texte Liberté ou la Mort qui est un texte haïtien important parlant de la liberté des esclaves des Français.
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La Baronne Yvonne
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As-tu toujours été aussi proche de ta culture d’origine ? Non. Avant, je me disais, après avoir lu une définition dans le dictionnaire, que l’identité se limite à l’endroit où l’on est né. Je me disais donc que j’étais Québécoise, puis je voulais aussi me conformer aux Québécois et m’éloigner autant que possible des stéréotypes associés au Noirs, j’étais dans une école très blanche. « Je n’écoute pas de rap, juste du Jean Leloup », était mon genre de mentalité (rire). C’était seulement vers mon secondaire 2 que j’ai commencé à me détacher de ces stéréotypes, c’était un passage que je sens que beaucoup d’immigrants ont eu aussi : après s’être privé de notre culture d’origine, de l’avoir dénié, on veut ouvrir ses bras et lui donner un câlin.
Penses-tu que si ton identité culturelle présente changeait, ton art changerait aussi puisqu’il est assez étroitement lié à tes origines ? Mon art est directement lié à ce que je sens sur le moment présent, donc c’est très probable qu’un changement quelconque affecte ce que je crée. Par contre, je trouve que l’identité culturelle est très difficile à trouver, car ça dépend de ce que ça implique. Par exemple, si l’on s’identifie à la culture québécoise, s’identifie-ton à l’entièreté de l’histoire du pays ou simplement à la culture québécoise que nous connaissons dans notre vie de tous les jours ? Je viens d’ailleurs d’apprendre dans un de mes cours à l’université McGill que le Canada a un passé plus étroitement lié à l’esclavage que ce qu’il prétend, essayant de cacher une réalité historique importante. Ça voudrait dire qu’il y a beaucoup de côtés sombres que l’on ne connaît pas d’un pays, donc pouvons-nous vraiment nous identifier à quelque chose qu’on ne connaît pas véritablement ?
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Tu as contribué à l’exposition «Symboles de résistance» qui rassemble plusieurs artistes s’identifiant à l’identité Noire, une exposition qui explore les multiples représentations de cette identité. On y retrouve des œuvres sous la thématique des femmes, de communautés LGBQT ou d’immigration. Considères-tu alors ton art comme étant une forme d’activisme ? Oui, car faire de l’art directement lié à nousmêmes en tant que minorité visible signifie donner une interprétation de notre propre vie. Dans les médias mainstream, on couvre rarement tous les points de vue et réalités liés aux minorités, leur représentation étant trop généralisée et ne montrant pas les nuances possibles entre l’expérience deux membres d’une même communauté. Par exemple, on parle de comment c’est d’être noir en Amérique, mais la réalité d’un Noir de deux parties de l’Afrique peuvent être totalement différentes, de mêmes pour celui venant des Caraïbes. L’œuvre que j’ai présentée à l’exposition représentait seulement mon expérience parmi une infinité d’autres, ce qui va à l’encontre d’une unidimensionnalité montrée dans les médias, donc c’est de l’activisme à mes yeux. Cette œuvre représente justement comment malgré les Noirs brillent (lien avec le fil doré utilisé) malgré le fait que la société essaie de leur en empêcher, de les effacer. Je voulais aussi montrer la malléabilité qu’a chaque Noir pour briller à sa façon avec ce fil doré aussi. J’ai pris une photo de moi de dos pour montrer que je parle des Noirs en général, et pas juste de moi.
Crédit photo: Camille Gladu-Drouin
Aurais-tu des conseils à donner aux gens qui n’arrive toujours pas à définir leur identité culturelle ? Écoute-toi, tes instincts te guideront toujours, car l’identité culturelle est comme l’art : en évolution perpétuelle, jamais fixe.
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A.D. - MĂŠditation
Je suis née ici et jamais je ne me suis sentie chez moi. Je veux dire, c’est bien l’assurance maladie et la meilleure qualité de vie qu’on a Québec, et puis je n’ai jamais eu de difficulté quant à la langue ou quoique ce soit (je l’ai dit, je suis née à Montréal) mais ici, on ne nous aime pas. C’est clair, clair comme noir sur blanc: on aime les blancs, un peu les asiatiques, mais tout ce qui sent trop fort le Moyen-Orient ou l’Afrique, on n’aime pas. Tant que mon voile est accompagné de pantalons serrés, tant que je n’applique pas grand chose de ma religion, on m’accepte, ça ne pose pas beaucoup de problèmes. Mais quand c’est une longue jupe, quand je dis que je ne serre pas la mains aux hommes ou que je ne fréquente pas les endroits où l’on boit de l’alcool, j’ai le droit à des regards méprisants, des regards de pitié, de dégoût. Des fois, on sympathise à ma triste cause et on essaye de m’ouvrir les yeux sur l’ignorance dans laquelle je vis: c’est ce que j’appelle le concept de l’égo blanc trop gonflé (c’est de ce concept d’ailleurs que découle entre autres la guerre en Iraq, (les Américains prêts à massacrer un peuple pour leur montrer la lumière)). Et c’est les mêmes qui me disent ensuite que le racisme au Québec n’existe pas. Le même professeur qui répète ses remarques sur le voile, la même directrice qui suspend l’élève arabe deux semaines et qui, pour la même connerie, donne une petite retenue au blanc, la même personne qui verrouille les portes de sa voiture quand un noir passe, les mêmes policiers qui enchaînent les bavures, les mêmes qui cèdent aux préjugés. Les mêmes qui nous répètent de retourner dans nos pays détruits par le colonialisme depuis des siècles (aujourd’hui c’est du néocolonialisme, mais ça c’est un autre sujet). Donc pour répondre à tous les journalistes qui véhiculent des idées discriminatoires, à tous les employeurs qui refusent d’embaucher tout ce qui leur semblent un brin exotique, à tous ceux qui ne nous aiment pas et qui me demandent comment je me sens au Québec, et bien je me sens comme un point noir au milieu d’une feuille blanche, et j’attends impatiemment l’été pour retrouver le soleil d’Afrique.
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Quang Hai Nguyen
Tony Nguyen, de son nom vietnamien Quang Hai Nguyen, effectue un voyage de deux mois sur sa terre mère. Pris entre deux cultures, il part avec l’espérance de trouver un endroit où il se sentirait enfin chez lui. Extrait de Quang Hai Nguyen, par Tony Nguyen.
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«J’ai voyagé dans le but de voir quelque chose d’imperceptible...»
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