Pratiques et représentation de l'espace dans les grands ensemble du projet à l'usage

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Pratiques et représentations de l’espace dans les grands ensembles: Du projet à l’usage Le cas des 4000 de la Courneuve Anouk Vialard, ENSA Paris Val de Seine , Mémoire de master, 2013/2014 Léo Legendre, Gérard Charcosset

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Je tiens particulièrement à remercier mes encadrants, Léo Legendre et Gérard Charcosset. Je remercie aussi les responsables du point d’accueil de l’OPHLM 93,les habitants ainsi que Sarah Loélia Aknin, Liselotte Paix, Iris Jasson, ma soeur et ma mère.

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La Courneuve - Grand ensemble - Appropriation Usage - Les 4000 - Patrick Germe - Espace partagé Participation - Espace public - Collectivité - Habitants Détournement d’usage - Colboc - Résidentialisation

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Ce mémoire retrace l’évolution de la cité des 4000 de la Courneuve au travers des espaces extérieurs et des espaces partagés: les espaces collectifs. Ce travail de recherche est en partie basé sur des entretiens faits avec les architectes, habitants et bailleurs sociaux. Ce travail est une analyse de la morphologie urbaine du grand ensemble de la Courneuve qui met en avant les dysfonctionnements au sein des espaces extérieurs et partagés. C’est en fonction de l’usage et des pratiques des habitants dans ces espaces que les dysfonctionnements ont été observés. Cette analyse permet d’une part de fixer les enjeux et les limites des ces espaces collectifs en fonction d’une époque donnée et d’autre part de réfléchir aux alternatives permettant une meilleure qualité de vie au sein des espaces publics.

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Introduction

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Partie 1 : les 4000 au temps de Renoir : le temps des promesses

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I. II. 1.

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2.

Le contexte socio-économique La morphologie de la ville moderne les volontés des architectes et des élus : le projet A. Les espaces partagés B. Les espaces extérieurs a. Eclatement de l’espace visuel b. L’espace libre c. Le mail de Fontenay Les habitants : entre usage et appropriation a. Géographie de la barre

Partie 2 : L’après Renoir : le temps des changements

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I. II. 1.

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Le contexte Une nouvelle morphologie, la ville nouvelle ? La réponse des architectes : le projet A. La requalification des espaces extérieurs a. Le mail de Fontenay b. Le centre commercial B. Les opérations de constructions neuves a. Opération de logements: Jam/Germe b. Opération de logements: Emmanuelle Colboc


2.

La place de l’habitant : l’usage

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Partie 3 : Enjeux, limites et alternatives 103 I. Les enjeux de cette nouvelle urbanité 104 II. Les nouvelles perceptives pour les espaces communs et publics dans le logement social 105 1. La Résidentialisation 105 A. Définition, émergence 106 B. La mise en pratique de cette forme urbaine 107 2. Les espaces publics aujourd’hui dans les grands ensembles d’habitation 109 III. Alternatives 1. La participation A. Définition, Émergence B. Enjeux 2. Réalisations A. Intentions B. La transformation de l’espace public 3. Limites

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Conclusion

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Bibliographie Sitographie Annexes

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INTRODUCTION


Le grand ensemble est le symbole de l’urbanisme des années soixante. Ces formes urbaines sont le résultat d’une construction rapide dûe à la crise du logement caractéristique de la période des Trente Glorieuses. L’exclusion des quartiers, leur enclavement, le manque d’équipements ainsi que leur dégradation reflètent l’échec urbanistique de ce type de constructions. Ces problématiques restent encore au cœur des politiques urbaines actuelles, notamment à l’ère du Grand Paris. Située à La Courneuve, dans la petite couronne Nord de la banlieue parisienne, la cité des 4000 fait partie des constructions très stigmatisées et controversées de l’époque. Ce quartier est né de l’urbanisation effrénée de la fin des années soixante, dans un contexte socio-économique fort différent de celui d’aujourd’hui, où les problématiques d’intégration, du respect du site ou du développement durable n’étaient pas considérées comme primordiales. Les bâtiments ont été construits dans l’urgence car il fallait reloger un grand nombre de personnes. Ce grand ensemble, dont la qualité architecturale n’est pas absente, a subi les effets cinglants d’une construction-éclair, d’un rapport au sol défaillant et d’une ghettoïsation progressive, sans que l’on puisse réellement appréhender toutes les raisons de cet échec. Par ailleurs, les bâtiments se sont dégradés très rapidement après leur mise en service tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. En effet, dès 1971, le ministre du logement de l’époque, Albin Chalandon, a constaté, lors de sa visite des 4000, d’importants vices de construction. Au regard de l’évolution dans le temps de cet ensemble, représentatif des opérations d’après-guerre et des questionnements actuels autour des grands ensembles, nous le qualifions de « laboratoire d’analyses urbaines », c’est-à-dire de lieu d’expérimentation. Les changements qu’a connu la cité des 4000, illustrent le constat d’une constante évolution de la ville qui ne peut être en conséquence pensée comme figée. En effet, en 60 ans le paysage urbain de cette cité a considérablement changé, évolué. En seulement 10 ans, cette cité était déjà obsolète. Il a fallut l’ajuster en fonction de la demande et des raisons de « l’échec ». Je souhaite alors analyser et mettre en exergue les 10

différents ajustements subis et vécus par cette cité, du point de vue architectural et urbanistique mais aussi


de celui de ces habitants. Pratiques et représentations de l’espace dans les grands ensembles- Du projet à l’usage : ce travail s’appuiera sur l’analyse du quartier de la Tour, avec ses rénovations urbaines et ses opérations de logements, tant du point de vue des architectes, habitants et pouvoirs politiques. Afin d’analyser les usages, et les représentations de ces différents acteurs qui ont participé à cette expérience urbanistique, la méthodologie choisie s’est portée sur des entretiens semi directifs à tendance biographique. Les entretiens semi directifs permettent d’aborder un certains nombres de thèmes nécessaires pour comprendre les logiques du terrain sur lequel porte ma recherche. Ainsi j’ai pu aborder des questions relatives à des sentiments, des perceptions, des idéologies au sens que lui donne Raymond « un ensemble organisé de représentations », « une certaine vision du monde », « un cadre de référence.»1 L’entretien facilite le recueil d’informations, aidant la mise en évidence de faits particuliers. Cette implication que j’ai ressenti lors de la conduite de tous mes entretiens a eu un impact sur moi et ma façon d’envisager mes questions, j’ai pu leur poser des questions plus personnelles et comprendre des mécanismes, mais aussi des ressentis et des représentations qui une fois analysés ont approfondi ma réflexion. La conversation a favorisé l’émergence de nouvelles idées, de nouveaux questionnements, ainsi j’ai pu aborder des thèmes qui à première vue ne m’étaient pas apparus. Mes nombreux parcours dans la cité ont révélé un réel manque d’appropriation des espaces publics. Je m’attacherai donc à analyser les usages et les détournements d’usage ainsi que les représentations des différents acteurs. Des usagers d’une part, c’est-à-dire les habitants, et d’autre part des concepteurs, demandeurs financiers, à savoir les architectes/urbanistes, les pouvoirs politiques et les bailleurs. Cette analyse se focalisera sur deux échelles différentes : celle des espaces publics extérieurs et celle des espaces communs au sein des bâtiments. Dans cette logique, il s’agira d’analyser en quoi, l'étude de cas des 4000, illustre la place primordiale des espaces collectifs dans la conception des grands ensembles de logements ? Cette recherche s’organisera en deux temps, l’époque de la barre Renoir et le temps du changement, 1.Raymond H., Haumont N., Les Pavillonnaires, Paris, L’Harmattan 2001. in Blanchet A., Gotman A., L’Entretien, 2e édition, Armand Colin, Paris, 2007, p .23.

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aujourd’hui. Dans un premier temps, je m’intéresserai au projet urbain. En étudiant la demande, l’organisation, la composition spatiale et en analysant le point de vue des architectes, des urbanistes, des paysagistes et des décideurs, j’aborderai alors les deux types d'espaces évoqués plus haut : -

d'une part les espaces partagés (au sein des immeubles d’habitation) tels que les halls, les couloirs de

circulation, les locaux-poubelles, les cages d’escalier, les ascenseurs, les espaces aux boîtes aux lettres…) -

et d'autre part les espaces extérieurs publics, tels les abords de la barre Renoir, les espaces verts et le

centre commercial. Parallèlement, j’analyserai la manière dont les habitants se sont approprié l’espace, en m’appuyant sur leur point de vue. L'idée est d’essayer d’identifier les pratiques et les perceptions des habitants dans ce type d'espace, avant et après les rénovations urbaines. Mon questionnement concernera la façon dont les dysfonctionnements constatés ont été pris en compte (ou pas) et en quoi les diverses modalités d’intervention ont apporté des réponses (ou pas). Dans quelle mesure l'architecte, dans des opérations de logements, intègre-t-il les usages et les représentations que les habitants se font des différents espaces qu'ils habitent ? Enfin, en étudiant comment les espaces partagés et les espaces publics se sont transformés, je tenterai de comprendre comment les caractéristiques de la vie collective ont évolué et comment cette évolution peut témoigner des enjeux et des impacts que peuvent avoir des interventions dans l’espace public d’un grand ensemble.

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Partie 1: Les 4000 au temps de Renoir: le temps des promesses

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La Courneuve

Les 4000 SUD

Paris

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La Courneuve dans son environnement


I. Le contexte socio-économique Après la seconde guerre mondiale, la France est confrontée à une grave crise du logement liée aux destructions et à la vétusté du parc immobilier. Il faut alors reconstruire. On parlera de promesse. Les grands ensembles ont répondu en leur temps à la promesse de reconstruction. Ils ont pallié à la nécessité impérieuse de moderniser et industrialiser une France faisant appel à une main d’œuvre issue de la décolonisation et qu’il fallait donc loger. Paul Chemetov propose une recontextualisation de ces différentes opérations urbaines. « On peut dire qu’entre ’55, où on construit 250.000 logements par an, et ’75 où on en construit 550.000, tout cela en chiffres arrondis, se met en place une mutation d’une rare violence dont on n’a absolument pas pris la mesure : la France rurale devient urbaine. Statistiquement la France arrête d’être rurale au début des années’30, mais, dans les faits, la France de 20 millions d’urbains à la sortie de la guerre passe aujourd’hui à 45 millions d’urbains. Donc ça, en deux générations, je crois que personne - et surtout pas les gens qui sont en charge de ces problèmes - n’a pris la mesure de ce que ça veut dire, ce que ça veut dire sur tous les plans : de l’éducation, des transports, des mobilités, des équipements, des services, du rapport au paysage, de tout ». 1 Cette population, d’origine diverse, arrive en France à la fin des années quarante, début des années cinquante. Parmi eux, beaucoup vivaient dans des bidonvilles. C’est donc dans ce contexte d’urgence sanitaire et d’impérieuse nécessité que l’on a construit ces grands ensembles afin d’d’intégrer ces populations dans des logements neufs et salubres et de leur fournir des équipements publics adéquats. C’est à peu près à la même époque que l’on remet en question la ville du XIXème siècle. Il y a donc une corrélation très forte entre les évolutions sociétales et les volontés architecturales de changements.

1. Extrait d’entretien in Regards, juin 1990

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La cité des 4000 dans les années 60 Source: Archive départementale de Seine Saint Denis 18


II.

La morphologie de la ville moderne

Nous sommes donc à l’aube de la ville moderne, conçut en opposition du modèle traditionnel. C’est dans cette optique qu’en 1933, se tient à Athènes une assemblée des Congrès Internationaux d’Architecture moderne (les C.I.A.M) où sont définit un ensemble de principes réunis dans une charte. Ce n’est que huit ans plus tard, en 1941 qu’apparait à Paris la charte d’Athènes. Ce manifeste entend appréhender le problème architectural contemporain en préservant une architecture moderne tout en rendant la ville fonctionnelle. La ville du XIXème siècle leur paraissait anachronique. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les grands ensembles, vastes quartiers de logements. La charte d’Athènes de Le Corbusier devient rapidement une référence pour les élus, les architectes et les urbanistes. Ses conclusions concernent à la fois les habitations, les loisirs, le travail, la circulation et le patrimoine historique de la ville. Parmi ces multiples principes, je relèverai : -

« La population est trop dense à l’intérieur du noyau historique des villes ainsi que dans certaines

zones d’expansion industrielle 1» : des densités de 250 habitants à 300 habitants par hectare et des maisons de six étages sont considérés comme acceptables. -

Le besoin de restaurer, pour les nécessités de l’hygiène, les conditions de nature : « soleil, espace,

verdure » qui sont les « trois premiers matériaux de l’urbanisme 2» -

La condamnation de « l’étroitesse des rues, l’étranglement des cours », ce qui conduira au bannissement

des rues, mais aussi des places : « les reconstructions élevées le long des voies de communication et autour des carrefours sont préjudiciables à l’habitation : bruit, poussières et gaz nocifs […]. La maison ne sera plus soudée à la rue par son trottoir mais se dressera dans un milieu propre où elle jouira du soleil, d’air pur et de silence 3» -

L’affirmation du zoning (séparation des différentes fonctions) : « habiter, travailler, se recréer (dans les

heures libres) circuler ».L’objectif est de distinguer les lieux de travail et d’habitation et de les séparer les uns 1 Le Corbusier, La charte d’Athènes, 1971 2 Ibid 3 Ibid

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Chemin de grue, construction des 4000 Source: Archive de la Courneuve 20


des autres par des zones de verdures. -

La séparation des trafics selon leur vitesse et leur nature : il faut « séparer radicalement, dans les

artères congestionnées le sort des piétons de celui des véhicules mécaniques », d’où l’importance accordée aux chemins piétonniers, la nécessité d’un « lit de circulation particulier pour les poids lourds, […] des voies de transit indépendantes, […] des croisements à niveaux séparés »

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Ces grands principes, à l’origine de la conception des grands ensembles, se retrouvent donc dans la cité des 4000 de La Courneuve.

1.

Les volontés des architectes et des élus : le projet

L’aventure urbanistique commence à la fin des années cinquante. L’office HLM de la ville de Paris cherche à construire des logements sociaux hors de la capitale. Il choisit la Courneuve où il possède une trentaine d’hectares. Ce grand ensemble se doit alors de répondre à des objectifs quantitatifs atteignables dans des délais courts en mobilisant les moyens les plus innovants tout en limitant les coûts de production. Dans cette première période, relativement courte, est véhiculée une vision positive du grand ensemble qui allait permettre d’intégrer la population. Les mairies communistes avaient fait de la crise du logement leur priorité politique locale et étaient tout à fait favorables à la construction sur leur commune de ZUP (Zone à Urbaniser en Priorité). Dans ce cadre, la construction des 4000 logements par l’OPHLM (Office Public d’Habitation à Loyer Modéré) de la Ville de Paris pouvait constituer un échange de bons procédés pour une mairie qui souhaitait avant tout développer un grand programme de logements qui réponde aux attentes de ces habitants, ouvriers pour la plupart, et qui n’avait pas les moyens de lutter contre les menaces d’une spéculation foncière sur ces terrains. Les immeubles construits comprennent 4000 logements, d’où cette appellation. A travers ces constructions, conçues par les architectes Christian Tambuté et Henri Delacroix transparaissent les préceptes de la Chartes 1 Ibid

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d’Athènes. Les premiers locataires arrivent en 1963. La recherche architecturale et esthétique n’est pas à l’ordre du jour mais les logements sont de grande qualité et l’industrialisation massive permet aux prix de baisser. En effet, pour l’époque, ces logements sont très confortables. Ils comportent wc, salle de bain, chauffage, ascenseur et vide ordure. La morphologie de la barre permet à chaque logement d’être traversant et d’avoir des vues agréables. Monsieur et Madame Gillet, 87ans, parlent ainsi « d’âge d’or » de la cité qu’ils appelaient « la cité Bleue», « c’était alors sa couleur du temps béni où l’on s’émerveillait de marcher sur du parquet et de posséder une baignoire ».1 Il s’agissait pour l’époque d’un grand luxe dans un contexte où la population n’avait pas forcément accès à l’eau courante. Il y a donc dans ces grands ensembles une réelle avancée technique. Par ailleurs, ces bâtiments ont été coulés en béton, à l’aide de techniques performantes utilisant un chemin de grue et du coffrage en tunnel. Ils mettent en œuvre un nouveau procédé, le « procédé Estiot, qui permet de livrer 120 logements par mois. Sur le chemin de son engin, le grutier accomplit sa tâche de fourmi et avance jour après jour le château de carte en béton qui grouillera bientôt de 120 000 habitants.»2 Les 4000 représentant un espace de grande ampleur, je me concentrerai sur la partie sud et notamment sur le quartier de la tour, un espace compris entre le centre commercial, le mail de Fontenay et la barre Renoir. Je me focaliserai plus particulièrement sur les espaces extérieurs, les espaces verts, les commerces, et enfin les espaces partagés dans la barre Renoir. A ce propos Sandra Parvu écrit « Il s’agit de rétablir un axe horizontal pour essayer d’appréhender les grands ensembles par l’examen des échanges entre ces derniers et son contexte, le dessin de l’espace entre bâtiments ainsi que l’observation des pratiques de ces espaces par les habitants. »3 Ainsi, j’analyserai principalement les espaces extérieurs mais dans leur relation avec le bâti. Je m’intéresserai 1. L’humanité, 10/12/1999 2.Architecture d’aujourd’hui, n°259, oct 1988 3. Sandra Parvu, Journal de bord de quatre chantiers, grands ensembles en situation, Metis Presses, 2010, p129

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premièrement aux espaces partagés car c’est une continuité de l’extérieur vers l’intérieur. Or, aux 4000, les espaces extérieurs ont été pensés principalement par rapport au bâti. Il me semble alors plus logique d’observer et d’analyser les espaces intérieurs, tels que sont les parties communes, en premier lieu. A.

Les espaces partagés

Dans cet ensemble, le rapport entre l’espace extérieur et l’espace intérieur ne se laisse pas facilement appréhender. Certes, le bâtiment fait office de barrière visuelle mais l’espace extérieur se prolonge vers l’espace intérieur que sont les parties communes, espaces partagés au statut particulier. En effet, on parle d’espace privé, mais cet espace, comme son nom l’indique, est partagé entre une multitude d’habitants. Il s’agit soit d’un prolongement de logement (qui lui fait purement partie de l’espace privé) soit d’un prolongement de l’espace extérieur (qui lui fait purement partie de l’espace public). C’est pourquoi je m’attache aux espaces partagés car leur statut est sensible. En effet, l’ambigüité quant au statut d’un espace peut engendrer des détournements d’usages. Chamboredon note à ce propos que les conflits opposant les jeunes et les adultes dans les grands ensembles sont en partie dûs au statut incertain et mal défini de ces espaces « interstitiels », entre le domaine privé et le domaine public. Pour mémoire la barre Renoir a été construite en 1962 par l’office HLM de Paris. C’est un immeuble imposant de 15 étages, de 186m de long et 11m de large, d’une hauteur de 43m. IL était constitué de 362 logements occupés par 1200 locataires, soit 270 foyers. Ainsi, ces 1200 locataires se partageaient ascenseurs, cages d’escalier, halls d’entrées, caves, locaux poubelles, couloirs de distribution… Il y avait évidement plusieurs halls donnant accès aux différentes parties du bâtiment, c’est à dire des espaces faisant généralement office de lieu de rencontre pour les habitants d’un même immeuble. Leurs dimensions permettaient une grande capacité d’accueil et le stationnement y était donc possible. L’absence de système de sécurité rendait l’accès totalement libre. Il est important de souligner ici que le rapport particulier entre le statut privé des espaces partagés et leur facilité d’accès, a rendu floue la frontière entre espace privé et espace public. N. Habraken démontre

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que comme il s’agit de deux catégories toujours relatives : quelle que soit l’échelle retenue, un espace est toujours public pour certaines sous-populations et privé pour d’autres. Le critère employé pour opérer cette distinction est celle du libre accès et du libre mouvement à l’intérieur de cet espace. Le hall d’un immeuble est ainsi public pour tous les habitants de l’immeuble, mais privé pour les non-habitants, les espaces ouverts communément définis comme étant publics sont en réalité publics pour les citoyens d’un pays, mais privés pour les étrangers ne disposant pas d’une autorisation à entrer le pays. Ces espaces sont ainsi devenus des lieux de retrouvailles. Les espaces partagés, tels que je les vis dans mon immeuble sont seulement des espaces de circulation. Parfois, je rencontre une voisine et, entre le hall et la cage d’escalier, nous échangeons quelques mots. A Renoir, la situation est différente. Les espaces partagés deviennent des lieux de vie. La manière dont ils ont été conçus par les architectes n’est pas la cause d’une telle appropriation. Il n’y a, dans ces espaces partagés, rien de différent ou de particulier. L’espace pour les boites aux lettres, les halls, les ascenseurs, les cages d’escaliers sont tout à fait basiques. Malgré tout, ces espaces partagés sont devenus autre chose que des lieux des passages, ils ont pris vie, une appropriation dont il serait intéressant de déterminer l’origine. La barre Renoir et les 4000 en général, brassent une population aux origines ethniques très différentes. Les habitants viennent des Comores, d’Algérie, du Sénégal, du Maroc… La sociabilité caractéristique du hall d’entrée -sociabilité des seuils- n’est pas le seul fait des adolescents. Comme nous dit David Lepoutre : « le matin, les femmes qui reviennent de faire leurs courses s’attardent facilement quelques instants avant de remonter dans leur étages. Quand le temps est clément, certains pères de familles descendent volontiers, le soir, au pied de la barre. Il y a là un trait reconnaissable de la culture à la fois populaire et méditerranéenne »1. Les modes de vie et les modes d’habiter ne sont pas les mêmes qu’en France. Les espaces partagés sont donc habités tout en n’appartenant à personne. Un bailleur est chargé de leur entretien, sinon ils sont laissés aux bons vouloirs des habitants. Ils sont ainsi devenus un prolongement de l’espace privé, du logement 1 David Lepoutre, Coeur de banlieue, Codes, rites et langages, Odile Jacib, 1997, p46

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Les habitants occupaient les lieux comme si ils étaient chez eux mais l’apparition progressive de dégradation souligne qu’ils ne respectaient pas cet espace comme leur propre logement.Les dégradations sont arrivées plus tard. Au départ, les différents habitants aimaient à se retrouver, échanger, et passer du temps dans les espaces communs. Les jeunes jouaient au football dans les halls, à la chasse à l’homme dans les cages d’escalier. Le climat était convivial. Pendant 30 ans, le docteur Amar a vécu et travaillé à Renoir. Arrivé à la Courneuve des 1968, il décrit : « la convivialité régnait alors à la citée des 4000. Chacun faisait sa vie pour créer, au final, un univers vivant, chaleureux et toujours fraternel. En été, dans les années 70, les habitants prenaient l’ascenseur avec un panier à la main et pique-niquaient tous ensemble sur les pelouses de la rue Renoir »1. Mais il me paraît étonnant de vivre et d’habiter ces espaces partagés privé alors que la Courneuve proposait énormément d’espaces extérieurs libres. On peut se demander pourquoi les jeunes et les moins jeunes ne préféraient-ils pas occuper des espaces extérieurs plutôt que d’habiter des espaces partagés dont l’usage qu’ils en ont fait n’était pas prévu ? Qu’est ce qu’un espace libre ? De quels types d’usages est-il question ? Et enfin en tant qu’architecte, concepteur d’espace, nous préoccupons-nous réellement des usages ? Pour répondre à ces différentes questions, il me semble primordial d’expliquer comment ces espaces extérieurs ont été pensés et comment ils s’articulent les uns aux autres pour comprendre et analyser la manière dont les espaces extérieurs ont été vécus et vivaient. B.

Les espaces extérieurs

A propos de ces espaces, Sandra Parvu écrit : « L’échelle à laquelle on a construit les grands ensembles a produit un effet pervers, qui a été de geler des territoires gigantesques en les assimilant à des espaces publics, donc inaliénables. Le vide entre les bâtiments a été déclaré espace public (…) Les grands ensembles sont devenus des objets indépendants les uns des autres, des morceaux de sucres, sans prise en compte des espaces et des vides qui les séparent » 2. Je me propose d’expliquer en quoi, et comment ces espaces 28

1 Extrait d’entretien in Regard, juin 1989 2 Sandra Parvu, Journal de bord de quatre chantiers, grands ensemble en situation, MetisPresse, 2010, p129


extérieurs sont devenus des espaces délaissés, qui apparaissent de premier abord comme l’espace impensé du projet. Comme expliqué précédemment, les grands ensembles répondent aux principes de la charte d’Athènes. Nous allons voir en quoi grâce à l’exemple très pertinent des 4000 de la Courneuve. a. Eclatement de l’espace visuel Selon David Lepoutre : « La cité des 4000 est singulièrement impressionnante lorsqu’on y pénètre de nuit par la rue Langevin-Wallon(…). L’espace visuel se ferme rapidement et le regard est bientôt écrasé par les grands immeubles sombres(…) cette impression est d’autant plus saisissante que l’endroit est seulement éclairé par des projecteurs blancs disposés au sommet des bâtiments, c’est-à-dire à près de quarante mètres du sol ne diffusant qu’une lumière insuffisante et blafarde. » 1 Les 4000 se conçoivent en plan masse. On ne réfléchit plus en terme de rue mais de lignes horizontales et de points verticaux qui composent l’espace vide. Les constructions ne bordent pas la rue, elles sont en retrait pour ne pas souffrir des pollutions de la rue et ne donnent plus la forme de l’espace public. Le bâti est en relation avec les zones libres. C’est alors ces zones libres dont il est question. Quelle est réellement leur statut? Quel est l’usage donné par les architectes ? Sandra Parvu décrit ces espaces : « Sur le plan masse, ces vides sont présentés par un fond vert abstrait suggérant une végétation aussi générique qu’infinie, ou alors les bâtiments flottent sur la page blanche sans trouver d’assise véritable, sur un sol non dessiné, et par conséquent inexistant »2. Ces barres monumentales sont alors posées dans un espace libre. b. L’espace libre L’espace libre est par conséquent défini ni comme un espace privé ni comme un espace public. Cet espace libre devient un espace partagé, un espace commun au sein des barres. Il y a donc une confusion totale pour les usagers. Cet espace libre se dilu dans l’espace privé qui devient entièrement public alimentant cette ambiguïté dans les espaces partagés vécus comme espaces publics. Ces espaces libres sont des espaces résiduels qui entourent le bâti, qui se mêlent aux trottoirs et au cœur d’îlot. Il n’y a pas de limite, du moins, elles ne sont pas perceptibles. Les abords de Renoir alors deviennent 1 David Lepoutre, Cœur de banlieue, Codes, rites et langages, Odile Jacob, 1997, p36) 2 Sandra Parvu, Journal de bord de quatre chantiers, grands ensemble en situation, MetisPresse, 2010, p129

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La cité des 4000 dans les années 60 Source: Archive départementale de Seine Saint Denis

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des non lieux. Il n’y a pas de traitement particulier entre la barre, le trottoir et la rue puisqu’ils n’existent pas. Il en résulte une lecture difficile de l’espace des 4000. La composition du plan masse est orthogonale, les barres sont parallèles. Cela donne des espaces très similaires dans le parcours de la cité. L’usager n’a plus de repère, l’espace manque d’identité qui facilite sa compréhension : « l’éclatement de l’espace urbain, et la disparition de la rue, principe de base de l’urbanisme des grands ensembles, sont également perceptibles dans les usages toponymiques des adolescents. Les noms de rue officiels du plan de ville ne servent plus en effet à désigner les voies mais, par glissement métonymique, les immeubles qui les bordent. Quant aux numéros et aux lettres, ils sont habituellement remplacés par les couleurs des halls d’entrée, plus facilement repérables »1. Ainsi, l’espace public pénètre dans l’ilot, et aux abords des bâtis, il y une perte de repère et donc une liberté totale dans le parcours. On peut alors parler de dilution de l’espace public. En effet, dans la ville traditionnelle, les usagers de l’espace public dépendent de sa structure, des activités qu’on trouve dans le bâti qui le limite. La délimitation de cet espace entraîne la canalisation de l’espace public, qui lui permet de voir émerger une activité collective, contrairement à la ville moderne et ici aux 4000, où l’espace public n’a plus de limite. L’éclatement visuel de la ville et la composition en plan masse à la recherche d’un nouvel horizon laissent place à une nouvelle qualité d’espace public, l’espace libre. Celui-ci n’est plus encadré et fermé par le bâti, il est infini et se dilue dans l’espace privé. Ainsi, il pénètre dans et autour de l’îlot. Le flux des individus s’en trouve transformé puisqu’il n’est pas enfermé entre les bâtiments de la ville. Cela a pour effet de diluer la collectivité. La rue et ses fonctions s’éclatent tandis qu’elle se confond avec les abords de son bâti. On peut faire la même observation pour les espaces verts. En effet, ces espaces font partie de l’espace libre et donc sont dilués dans l’espace public. Ils n’ont pas de statut définit. Ils participent à la confusion ambiante qui règne aux 4000. J’analyserai, à titre d’exemple, le mail de Fontenay. D’une part, il est présent dans le périmètre d’étude et d’autre part, il a subi beaucoup de transformations dues à une appropriation inadaptée. C’est pourquoi c’est un espace très pertinent pour analyser son évolution dans le temps et dans ses pratiques. De plus, alors qu’aux 4000 le bâti est l’objet de toutes les attentions, c’est le seul espace non 1 David Lepoutre, Cœur de banlieue, Codes, rites et langages, Odile Jacob, 1997, p42

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Le mail de Fontenay dans les annĂŠes 60 32

Source: Archive de la Courneuve


bâti qui ait subi des transformations si fréquentes. Il s’agit donc de déterminer pourquoi cet espace vert non bâti a davantage attiré l’attention que d’autres aux 4000 et en quoi il en devient alors un espace particulier. c. Le mail de Fontenay Jacques Sgard a été le paysagiste, le concepteur des espaces verts des 4000 de 1958 à 1965. Malheureusement, la place du paysagiste était très restreinte alors que les espaces libres et non qualifiés très nombreux. Il raconte que la collaboration avec les architectes s’avéra très difficile car ces derniers n’envisageaient pas de consulter un paysagiste pour composer le plan masse. Une fois les bâtiments, les voiries et les parkings dessinés, il ne reste plus qu’à faire des propositions pour les espaces octroyés. Le rôle d’un paysagiste est donc dès le départ établi par les architectes comme celui d’un dessinateur d’espaces marginaux, résidus de formes bâties, fragments délaissés. Jacques Sgard se plaindra à plusieurs reprises de ce que les espaces extérieurs ne sont pas conçus dans une logique d’ensemble. Il me semble intéressant de souligner que la barre Maurice de Fontenay, appartenant au mail, est la seule aujourd’hui à être encore debout. Ces deux éléments, l’un bâti et l’autre non fonctionnent ensemble. Cet espace avait été pensé par Jacques Sgard comme un « centre rassembleur » ouvert à toute la population : « quand il a été crée, c’était le seul dans son genre et d’une certaine façon il était déjà assez central, et c’était le seul où on pouvait faire quelque chose. Ce mail pour moi c’était une rambla ! Un espace public avec des jeux, mais planté. Planté de façon à ce qu’on puisse échapper un tout petit peu aux bâtiments (…) C’était un espace très ouvert pour se balader. »1 Ce mail, à la vue des différentes appropriations et des problèmes aux 4000, a évolué. Il était d’abord organisé sur une trame de platanes, dont la géométrie donnée par les arbres, mais aussi par les haies d’arbustes était principalement linéaire. Il a ensuite été réaménagé. Une topographie de bosses et de collines a été mise en place. Ensuite, tout cela a été aplani. Ces différentes interventions répondent à un certain type d’appropriation qu’on abordera plus tard. Mais ici, l’élément majeur ne serait-il pas que les 4000 ne disposent pas de parc à proprement parler ? Ce mail est sans doute, le seul espace qui peut y ressembler dans son contenu (jeux, toboggans, herbes, arbustes...) mais dont le statut n’est pour autant pas celui d’un parc. 1 Sandra Parvu, Journal de bord de quatre chantiers, grand ensemble en situation, Metis Presses, 2010, p155

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Le rêve du paysagiste EXTRAIT D’ENTRETIEN Les espaces livrés étaient des espaces non maîtrisés. Ce qui nous laissait entre quelques barres… C’est terrible! Ce que l’architecture ne pouvait pas faire, on a essayé de le faire avec le travail sur l’espace. Par exemple, les barres sont extrêmement longues, longer une barre c’est pénible, donc il fallait essayer de trouver d’autres espaces, essayer de créer une complexité au sol que l’architecture ne donnait pas. Et ça, à La Courneuve, je n’y suis pas arrivé. Un tout petit peu, peut être. Il fallait recomposer de l’espace qui n’existait pas. Un espace où l’on se sent bien, mieux. Voilà mes rêves de jeune paysagiste ! (Il rit.)

Vides et verts : les parkings EXTRAIT D’ENTRETIEN Jacques Sgard, paysagiste, conception espaces verts 4000, 1958-1965 La question des espaces extérieurs n’était pas abordée ou plutôt elle était abordée à travers les parkings : on faisait les bâtiments et les parkings en conséquence et ce qui restait c’était l’espace vert. Cela a continué longtemps comme ça. Ce qui fait que souvent on traitait, je ne veux pas dire des délaissés, mais enfin des espaces aléatoires

Extrait d’entretien 34

Source: Les réenchantements de la Courneuve


C’est un espace, fermant la nuit, doté d’horaires et de règles, recevant du public, mais qui appartient à la ville. Or, le mail ne correspond en rien à cela. Il fait partie des espaces libres. Néanmoins, si sa fonction et son usage sont définis, sa nature et son statut ne le sont pas. Il y a donc encore ici une perte de repère. Même si les grilles qui séparent le mail aux « circulations » servent de barrières visuelles, l’accès est libre à toutes heures du jour et de la nuit, la confusion sur la nature de cet espace est réelle. A moins que cet espace ne soit pensé et réalisé comme un lieu appartenant seulement à la barre Maurice de Fontenay avec une utilisation réservée aux habitants et dont l’accès est contrôlé. Nous verrons alors que ce mail a été approprié de cette manière. C’est-à-dire, que la barre appartient à l’espace qui lui est attenant et inversement. Il semblerait donc que le bâti ait la place la plus importante au sein de ce grand ensemble. Le zoning de la ville a amené à construire des quartiers qui répondent à la fonction de se loger. Ainsi, les bâtiments n’ont qu’une seule fonction : loger. On ne retrouve plus les commerces au pied des immeubles. Les RDC sont occupés par des logements, halls, ou loges de gardiens. Les points de rencontre que sont les commerces se retrouvent aux 4000 rassemblés en un seul lieu. L’espace est divisé par pôles et ses fonctions ne sont plus diversifiées. L’espace public n’est plus animé par les commerces de proximité et les équipements de quartier qui favorisent la rencontre. Néanmoins, les 4000 bénéficient d’un centre commercial très animé. Certes, c’est un espace dédié aux commerces, à la vente, et à l’achat, son activité n’était pas mêlée aux habitations mais ce centre commercial était très apprécié. Les habitants en parlent avec beaucoup d’entrain comme un vrai lieu de vie et d’activité. « Au pied de Renoir, il y avait des marchands de meubles, vendeurs hifi, coiffeur, charcutier, poissonniers »1, nichés sous une dalle de béton partiellement ajourée. C’était la fierté du département, et des habitants. On se rend bien compte que cette cité manquait terriblement de lieux conviviaux tels que le centre commercial, des espaces d’échange et de rencontre. L’habitant se sent alors partie prenante d’une communauté qui appartient à un espace, l’espace du quartier. Ce sentiment d’appartenance me semble nécessaire pour la bonne entente et une certaine appropriation de l’espace. Mais le manque de limite ou la limite incertaine entre public/privé entraina des détournements d’usages et des dégradations.

1 habitant, regard janvier 1999

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2.

Les habitants : entre usage et appropriation

Dans le dictionnaire le petit Robert, deux définitions du terme « usage » ont attiré mon attention : « pratique que l’ancienneté ou la fréquence rend normale, courante, dans une société donnée (coutume, habitude, mode, mœurs) » et « le fait d’appliquer, de faire agir (un objet une matière) pour obtenir un effet qui satisfasse un besoin, que cet objet, cette manière subsiste, disparaisse ou se modifie. Façon dont doit être utilisée une chose »1.Par rapport à la première définition, les usages faits dans les espaces partagés de la barre Renoir sont tout à fait cohérents. Je parle des usages tels que l’occupation pacifiste et les différents jeux d’enfants. La fréquence rend normal ce type d’usage qui pourtant n’avait pas été prévu. Cette « chose », qui en l’occurrence est l’espace, ne devait pas être utilisée de cette manière. Mais les habitants se sont approprié l’espace à leur manière et ont donc détourné certains usages. Qu’entendons-nous par appropriation ? Pour David Lepoutre : « ces espaces occupés maintenant depuis plus de trente ans par une population (…) qui s’y établit durablement semblent avoir acquis, aux yeux des gens qui y résident, le statut de véritables espaces habités au sens où l’entendait Pétonnet, c’est-à-dire appropriation investie et socialement valorisés. C’est du moins de cette manière que l’on peut interpréter d’une part, les stratégies adolescentes de gestion de l’image des lieux et, d’autre part, leurs représentations très construites autour de ce qu’on pouvait appeler « un imaginaire » des grands ensembles ».2 Il est indispensable d’observer dans quelles mesures les individus et les groupes s’approprient formellement ou informellement les espaces. La notion d’appropriation véhicule deux idées dominantes. D’une part celle d’adaptation de quelque chose à un usage défini ou à une destination précise, d’autre part celle qui découle de la première, d’action visant à rendre propre quelque chose. C’est une action qui nous permet d’apprivoiser, d’adapter à soi, un lieu, un milieu, et de le transformer en support de l’expression de soi. C’est une démarche active et volontaire. Nous pouvons alors nous questionner sur le rapport entre appropriation et espaces partagés. Comme son nom l’indique, l’espace est partagé entre plusieurs personnes, potentiellement différentes, ne partageant pas les mêmes envies, les mêmes besoins, les mêmes plaisirs. Si l’appropriation est le fait de faire sien un espace, comment procéder lorsqu’il est partagé 36

1 A. Rey, J.Rey Debove, dictionnaire, le petit Robert, 1986) 2 David Lepoutre, Cœur de banlieue, Codes, rites et langages, Odile Jacob, 1997, p33


et appartient donc à une multitude d’individus ? Cette distance entre l’appropriation et les espaces partagés engendre forcément des conflits d’usages. J’entends par conflit d’usage différents individus ayant chacun leur droit vis-à-vis d’un espace mais dont la limite entre l’espace privé et l’espace public n’est pas réellement définie. Ainsi, l’usage appliqué à l’espace en question est ambigu et ne satisfait pas l’intégralité des usagers. Cela renvoit alors aux détournements d’usage. Dans cette optique, quels ont été les usages par rapport à cette nouvelle morphologie ? En découlent-ils? D’autre part, comment deux espaces dont le statut juridique est opposé peuvent ils bénéficier de la même appropriation ? La raison semble évidente. La limite ambigüe de ces deux espaces entraine une confusion chez l’habitant, notamment dans cette cité où la drogue était assez présente. Ainsi, chaque sous espace, recoins, lieux cachés abritaient des réunions informelles. Ceci peut expliquer pourquoi les parties communes et certains espaces peu visibles du centre commercial par exemple sont utilisés de la même manière, par un type d’habitant. Cette appropriation n’est pas a généraliser mais elle a causé beaucoup de maux. La souillure des lieux est également un phénomène très présent dans cette cité. Certains habitants avaient des pratiques extrêmes vis-à-vis des espaces collectifs consistant par exemple à jeter toutes sortes d’objets à travers les fenêtres. L’espace au pied de la barre était alors jonché de déchets en tout genre. Le paysage était alors souillé et dégradé. Il me semble primordial de distinguer souillure des lieux et mésusages, bien que les deux soient très liés. La souillure des lieux a entrainé une dégradation qui participe à son tour à l’abandon et à la mise à l’écart de certains espaces, qui deviennent alors des espaces stigmatisés et délaissés. Ils sont appropriables par des groupes de pairs à la recherche de ce type de lieux pour des réunions informelles. « Le centre commercial de la Tour, avec ses nombreux passages et son parking, fait figure de point de rencontre pour le grand ensemble. Mais il y a d’autres points « chauds » occupés presque en permanence par des groupes de pairs : lieux stratégiques, lieux dont la configuration est simplement favorable aux réunions informelles, halls d’entrée fréquentés par des leaders. L’entrée A de l’immeuble Renoir, par exemple est souvent déserte ou bien seulement fréquentée par des enfants en bas âge, tandis que l’allée B, voisine, est occupée presque tous

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les jours, de la fin de l’après-midi jusque tard dans la nuit, par un groupe de pairs plus ou moins constitué.»1 En rendant des lieux à l’origine propres et vivables en des espaces sales et angoissants, certains habitants peuvent alors emprunter cet espace d’une toute autre manière. C’est en ça qu’il y a détournement d’usage. On comprend bien la différence entre l’entrée A et l’entrée B de la barre Renoir. Elles sont similaires en termes d’espace mais sont occupées différemment. Les halls, cages d’escaliers, sont souillés par l’urine et les étrons. Les murs sont tagués et abimés. Ces actes de vandalisme permettent à l’individu concerné de marquer son territoire. Il s’approprit un espace qui à l’origine appartient à la communauté, et il se l’accapare. Toutes sortes de dérives peuvent alors être envisagées, telles que la drogue ou les vols. Selon David Lepoutre, la fréquentation prolongée de cet habitat influence en profondeur les comportements et il est difficile de ne pas céder soi même au laisser aller ambiant. Ainsi, « les habitants ont cessé de se sentir concernés par l’hygiène des lieux qui leur sont socialement imposés»2 mais leur espace de vie, leur logement reste quant à lui toujours impeccable. L’espace privé qu’est le logement reste dans un état de propreté irréprochable. Selon Bourdieu : « le quartier stigmatisé dégrade symboliquement ceux qui l’habitent et qui, en retour, le dégradent symboliquement»3. C’est donc un cercle vicieux, l’espace est stigmatisé, alors souillé, et l’enchainement se perpétue et ses usages aussi. De tels mécanismes m’amènent à considérer que la composition de l’espace, qu’il soit privé ou public, influ sur les comportements et les conduites des individus et que la non limite entre privé et public engendre et favorise certains usages. Mais il ne faut pas pour autant en conclure que l’architecture et la composition urbaine constituent les seuls critères d’intervention. Les détournements d’usages ne sont pas forcément dus à la morphologie urbaine. Ainsi l’architecte/urbaniste/paysagiste peut essayer de trouver des solutions, de pallier à des manques, mais il n’est pas le seul maillon de la chaine. Son intervention, isolée, ne suffit pas.

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1 David Lepoutre, Cœur de banlieue, Codes, rites et langages, Odile Jacob, 1997, p33 2 Lepoutre op.cit, p 41 3 Pierre Bourdieu, La misère du monde, Effet de lieu, Seuil, 1993


a. Géographie de la barre La morphologie des 4000, et notamment la disposition du bâti, entraîne donc certains usages. Le bâtiment flotte et n’a pas de réelle assise. Il est perdu au milieu de l’espace libre, indéfini, faisant également des abords des barres des espaces indéfinis aux caractères ambigus. La zone autour de la barre devient un terrain de jeux mais aussi un lieu de rassemblement des jeunes de la barre. Les parents ont une visibilité sur cet espace. Les enfants, adolescents sont donc surveillés, ou du moins savent qu’ils sont vus. Passer du temps en bas de leur barre, occuper l’espace, leur donne un sentiment d’appartenance. Ils revendiquent cet espace comme étant le leur, marquant leur territoire à l’image du comportement animal. Le territoire des 4000 est divisé en périmètre correspondant aux différentes barres et à leurs zones non construites. Ainsi, chaque barre représente un secteur habité par ses habitants. Les habitants des différents secteurs ne se mélangent pas au pied de leur barre respective mais dans un lieu neutre tel que le centre commercial. C’est ainsi que la rue, par glissement, a donné son nom à une barre et enfin à un secteur tel que« Renoir, Presov… » Ce nom représente donc la barre en tant que bâtiment mais aussi ses alentours, sa zone non construite. La rue n’étant pas un élément assez dessinée aux 4000, et dans les grands ensembles en général, elle perd son usage original et sert alors d’appellation pour tout un quartier, comme si elle pouvait irriguer un ensemble d’éléments. Il y a un conflit d’usage et donc un détournement d’usage dû à une morphologie urbaine très peu adaptée. L’habitant de la barre reste avec les habitants de son immeuble, se déplaçant seulement de l’intérieur vers l’extérieur. A travers leur barre, les habitants s’identifient et se reconnaissent entre eux. Ainsi, à une entité bâtie correspond une entité non bâti attenante. Cette pratique des habitants souligne l’emprise territoriale de l’objet puisque le bâti génère un espace en sa base et que ce dernier va être approprié par les habitants. Ainsi, la manière dont est composé le plan masse a ici une grande influence sur les conduites des individus et l’emprise du bâti va guider des comportements qui sont finalement assez logiques. La représentation de l’espace entraîne des pratiques. Ces différentes analyses sont observables dans le mail de Fontenay, bien qu’ici ce soit le mail qui ait donné son nom au quartier et non la barre Maurice de Fontenay. Il n’en demeure pas moins qu’un espace public prévu pour la totalité des habitants des 4000 a été approprié par les habitants de la barre dont il est limitrophe.

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Il y a donc ici aussi un glissement. Cet espace, a priori ouvert à tous, a été dans les faits approprié par les habitants de l’immeuble. Il correspond à la cour de l’immeuble ou au jardin privé (privatisé) de la barre dont, de part sa proximité avec cette dernière, il en est devenu l’espace vert attenant perçu comme un lieu de jeux privatif. L’espace aux 4000 est donc dicté par l’objet. C’est l’objet bâti qui organise le non construit, ce qui explique, entre autre le désordre et les conduites détournées dans les parties communes et les espaces extérieurs. L’espace non bâti devient la résultante de l’espace construit. La logique voudrait que les deux éléments soient pensés avec la même importance pour que les Courneuviens puissent jouir de chaque qualité spatiale. Cette cité véhicule donc à ses débuts une vision positive du grand ensemble. En effet, les entretiens montrent que les habitants se réjouissaient de la vie autour du centre commercial. C’était un vrai lieu de convivialité et de retrouvailles. Mais rapidement, le modèle urbain semble mal vieillir pour des raisons qui sont, pour certains, principalement sociales, même si les formes urbaines et les objets architecturaux sont fustigés. Cette cité des 4000 a fait l’objet de beaucoup de projets de rénovation et de sollicitations de changement. La manière dont les habitants se sont approprié ces espaces en est certainement une des raisons. Mais cette appropriation n’est elle pas dûe à un espace initialement inapproprié ? Les volontés de rénovations urbaines sont alors légitimes. Elles répondent à des usages détournés et à un quartier qui vit d’autre part une crise de l’emploi pour les jeunes. L’insécurité, la précarité engendrent alors des dégradations que l’on ne peut pas attribuer à une mauvaise composition de l’espace. On met très vite en doute la capacité des 4000 à s’inscrire dans la durée. Ce territoire va donc muer et évoluer dès la fin des années 70. Cette cité devient un laboratoire de recherche pour tous ses acteurs. La rénovation urbaine engage les grands ensembles dans une nouvelle durée. Je m’attacherai donc à déterminer qu’elles ont été les rénovations urbaines, de comprendre dans quelles mesures elles ont été entreprises et enfin à analyser la manière dont les usagers se sont appropriés les différents espaces. Cette analyse des pratiques au temps des changements me permettra d’envisager et d’affiner clairement le lien entre l’espace et ses usagés. 40


La plus grande avancée EXTRAIT D’ENTRETIEN Mme Gonzales, 5 enfants, retraité «Disons qu’avant c’était une ville dans la ville. Parce qu’ils ont fait un centre commercial maintenant heu.. de mon point de vue, ce n’est pas ça qu’ils auraient dû faire. Si vous regardez les commerces que j’avais avant. Il y avait Prisunic, il y avait André, il y avait Bata, il y avait deux bar-restaurant, il y avait Baby Confort, il y avait les Meubles Damal ( ?), une droguerie, une quincaillerie, deux poissonneries, il y avait un marchand de légumes, un bureau de tabac, il y avait un marchand de fleurs. Donc on avait tout sur place ! On avait une boulangerie, Nicolas, on avait aussi un bijoutiers, on avait une auto-école, un cinéma. C’était vraiment une ville dans la ville ! C’était allumé jusqu’à deux ou trois heures du matin, on pouvait s’y promener. Ah oui ! Mais ça, ça a duré jusqu’en 70, 75. Après.. Alors moi j’avais un collègue qui avait une droguerie et il s’était formé une équipe pour faire des rondes le soir, parce qu’ils cassaient les vitrines parce que déjà ça commençait à se dégrader à l’époque voyez. Et après, ça s’est dégradé à grande vitesse quand l’Office a repris le .. pour un franc symbolique !» Le centre commercial : convivial et super ! EXTRAIT D’ENTRETIEN Monique, 60 ans, veuve, trois enfants, retraitée, membre de différentes associations. On avait tout, ici. Tout, tout, tout : le poissonnier, un bazar, le marchand de meubles, un marchand de glaces, jusqu’au fleuriste ! Je pourrais vous y emmener les yeux fermés et vous dire : « là, il y avait ça, et là, il y avait ça ». C’est vrai qu’à y penser aujourd’hui, ça fait mal au cœur …Mais bon, à l’époque, en bas, juste quand vous descendez, c’etait comme un petit village de commerces. Sur le trottoir, il y avait des valises, un autre commerçant déposait sa table avec des habits … D’abord c’etait « bonjour ! », puis « ça va ? », et hop ! Même si on ne se connaissait pas, même au début, dès la première semaine que j’etais là. Et moi, comme je n’avais pas encore des meubles, je n’étais pas encore installée, je prenais ma petite fille et puis j’allais en bas pour voir les gens, pour dire « Bonjour ! », et les gens : « Bonjour ! Tiens, vous ! ça va ? ». C’etait très, très convivial, amical. 41 Source: Les réenchantements de la Courneuve


Le Centre commercial dans les annnĂŠes 60 42

Source: Archive de la Courneuve


Le jeu : les collines du mail EXTRAIT D’ENTRETIEN Tahar, 31 ans, marié, un enfant, animateur socio-culturel Quand j’etais petit, le mail etait un espace sans fin. Il y avait plusieurs collines qui allaient de bout en bout. Il y avait de la verdure, des platanes … les arbres qui etaient plantés sur toute l’allée … et en automne – pour te dire ! – on nageait dans les feuilles qui tombaient ! Quand il neigeait, sur les collines on faisait de la luge. Et quand il pleuvait, on faisait de la luge aussi (rires) ! Quand il y avait du soleil, on se roulait dans l’herbe : on se mettait dans des cartons, parce que des fois il y avait des chiens qui faisaient leurs besoins dans l’herbe … On jouait aussi aux billes : on faisait des trous dans la terre. Il y avait beaucoup de terre ! Il y avait des chemins qui traversaient cet espace et qui amenaient de l’immeuble (Maurice de Fontenay) au centre commercial … des petits chemins … c’etait la petite ballade … avec des bancs au milieu (…). Il y avait un carré qui faisait office de stade de foot pour nous. Il y avait aussi deux tables de ping-pong, mais nous, on jouait surtout au football. Et de l’autre côté il y avait le toboggan (…). J’ai des bons souvenirs de cet espace ! Le mail EXTRAIT D’ENTRETIEN Laure, étudiante en science «Mais au tout début, quand on y habitait, le Mail pour moi, c’est une grande esplanade plate, bétonnée, avec de temps en temps des arbres qui poussaient. Ça a été vite le bazar, à cause des deux roues qui fonçaient dessus etc. donc c’est là que les jeunes s’imaginaient ce terrain de cross, c’était pour les vélos, génial ! Mais pour éviter que les engins motorisés n’accèdent au mail, ils avaient construit des dunes. Mais donc cette esplanade, c’était un peu le forum. Je me rappelle qu’il y avait un terrain de boule sur ce truc-là et que c’était une grande surface que tu traversais pour aller au centre commercial. Donc moi, j’étais à François Villon et je longeais le Mail, j’étais dans l’allée commerciale mais qui longeait le mail, donc pour moi c’était comme ça. Cette grande esplanade qui n’a pas duré éternellement, qui a vite été transformée. Oui parce que ça a toujours posé problème cet espace. Je ne sais pas comment était faite cette architecture, mais il y avait des grands courants d’air... Donc je ne sais pas si c’était pour cacher ce vent ! Source: Les réenchantements de la Courneuve

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Partie 2: L’après Renoir: le temps des changements

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I.

Le contexte

La ville de la Courneuve est engagée dans un processus de renouvellement urbain depuis plus de 20 ans. Il vise à lutter contre la relégation spatiale et l’exclusion sociale en entamant une requalification architecturale et urbaine du grand ensemble. Pour comprendre les volontés de projet qui ont amené au nouveau quartier de la Tour (2000) il me semble indispensable de définir qu’elles ont été les intentions du concours lancé en 1981. En effet, c’est une démarche globale qui doit s’analyser au fil du temps. Ce concours, dont l’objectif était de retrouver une âme plutôt qu’un look, visait à l’intégration dans la ville et à la restructuration du grand ensemble des 4000. La municipalité choisit le scénario le plus complexe «réhabilitation-destruction-reconstruction ». Le but principal était de désenclaver cette cité, c’est-à-dire, de la reconnecter avec sa ville. Il fallait établir une continuité entre l’espace du grand ensemble et l’espace de la ville: « il était d’abord demandé aux concurrents d’inscrire l’espace des 4000 dans la ville et dans ce secteur dans la banlieue Nord tout en lui restituant sa perméabilité»1.Les demandes pour le concours vont synthétiser tous les dysfonctionnements (analysés dans le chapitre 1 de ce mémoire) liés à la ville moderne et essayer de les traiter : « pour rétablir la perméabilité des supers ilots du grand ensemble, il était demandé d’inclure dans le périmètre actuel des 4000, quinze mille mètres carrés d’ateliers, locaux artisanaux, bureaux, répartis en petites unités pour rompre avec une mono-fonctionnalité qui exclut toute personne étrangère à la cité et appauvrit les échanges de ceux qui l’habitent »2. L’idée principale de « se loger » ne suffit plus et se ressent chez Les habitants un besoin de changement. Le manque de commerce est donc envisagé comme un manque de sociabilité et entraine ces demandes spécifiques pour redynamiser ce quartier. Ces projets doivent permettre d’atténuer le sentiment d’enferment et de repli dont les habitants des 4000 souffrent. En effet, des expressions telles que « ghettos, lieu de relégation » apparaissent dès la fin des années 60. Les médias relèguent ces idées : «Les architectes des grands ensembles étaient des enfants du cubisme. Ils étaient fascinés par les «beaux plans», apurés comme 46

1 Banlieues fragiles, extrait d’entretien, James Marson Centre Georges Pompidou - Centre De Creation Industrielle, 1984, p38 2 Ibid


des tableaux de Mondrian. Ils ont donc fait des machines à loger, sans réfléchir aux conséquences […]. Leurs cités ont peu d’entrées, et toujours en «baïonnettes», comme on dit dans le jargon, c’est-à-dire en chicane. Résultat, aujourd’hui il suffit d’y installer deux ou trois gamins pour «choufer» (ndlr regarder), et le grand ensemble devient une citadelle imprenable. De même, les concepteurs ont multiplié les impasses, rendre le lieu plus convivial. Désormais, elles servent de bases de repli aux dealers et aux receleurs. Architecture, urbanisme, politique de peuplement... dès l’origine certaines cités étaient, plus que d’autres, destinées à devenir des quartiers de haute insécurité » 1. Les objectifs de l’office HLM de la ville de Paris étaient les suivants : « Il faut insister sur le fait que, dans chacun de ses éléments, l’ensemble urbain de la Courneuve a été, dès l’origine, voulu tel qu’on le voit aujourd’hui. Il y a eu a cet égard totale communication de pensée entre les différents membres de l’équipe constituée par l’Office et les architectes MM.H. Delacroix et C. Tambute. Ainsi, rien n’a été ajouté après coup, qu’il s’agisse du centre commercial ou des autres éléments d’équipement. (…) On a voulu aussi créer des allées marchandes grouillantes de vie et au centre des points de rassemblement où se forme l’âme de la ville nouvelle. Pour cela on a donné à tout ce centre symbolisé par la tour, une densité plus forte encore. 2» Entre les intentions de projet des architectes MM.H. Delacroix et C. Tambute et les critiques d’un espace ambigu, des logements vétustes et d’une insécurité ambiante, on entreprend la requalification urbaine des 4000. Ce sont ces différents allers-retours qui font de ce territoire un laboratoire d’analyses urbaines où les habitants peuvent sembler faire office de cobayes. Ces habitants en ont assez de l’aventure, ils veulent un peu d’air, oublier les murs lézardés, l’ascenseur et le chauffage en panne, les labyrinthes de voies qui ne mènent nulle part. Arrive alors le temps de l’espoir.

1 Le Nouvel Observateur, 26 octobre 1995 2 Banlieues fragiles, extrait d’entretien, James Marson Centre Georges Pompidou - Centre De Creation Industrielle, 1984, p37

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II.

Une nouvelle morphologie, la ville nouvelle ?

Les détournements d’usage et le contexte ambiant attestent du besoin d’évolution de cette ville. En 1984, le patrimoine des 4000, qui appartenait à l’office HLM de la ville de Paris est légué à la ville de la Courneuve, alors plus à même de gérer son territoire et de mieux contrôler l’équilibre social de sa commune malgré une situation financière préoccupante. Néanmoins, plusieurs opérations de rénovation sont menées à bien, concernant avant tout le bâti, ce qui soulèvera de nombreuses objections « Ne s’occuper que du bâti, c’est faire un lifting à un cancéreux et c’est donc s’illusionner sur la nature des problèmes. Pourquoi donc consacrer autant d’argent et d’énergie à changer l’esthétique des lieux ? (…) Probablement parce que c’est ce qu’il y a de plus facile à faire. »1 C’est en 1986 qu’on démolit la première barre : la barre Debussy. Le processus de démolition-reconstruction est alors lancé. Les barres sont petit à petit détruites laissant place à de nouvelles constructions. Je m’intéresserai tout particulièrement à la démolition/reconstruction de la barre Renoir, comprise dans le périmètre de la Tour. C’est un périmètre intéressant en tant qu’objet d’étude car il dispose des points phares des 4000 : le centre commercial, la tour et le mail de Fontenay et constitue le point de repère. J’envisagerai dans un premier temps les demandes faites sur ce secteur puis la manière dont les architectes y ont répondu et enfin l’appropriation des habitants, à la lumière du précédent chapitre et des enseignements que permettent le temps écoulé. Cette étude nous permettra de déterminer si les transformations ont permis à ce secteur et à la ville en général de trouver un équilibre. Les habitants au fil des transformations s’approprient-ils les espaces extérieurs qu’ils habitent ? L’usage prévu des espaces est-il respecté ? En d’autres termes, la composition spatiale permet-elle aux habitants d’avoir des repères et de vivre harmonieusement dans ces espaces qu’ils habitent ? Enfin, La distance entre le projet et la réalité vécue au lendemain de la construction des 4000 est-elle aujourd’hui réduite grâce aux transformations urbaines ? 1 Le monde, 2 octobre 2001

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Etudier un même territoire sur deux périodes distinctes permet de comprendre les dysfonctionnements et les raisons des changements. C’est cette temporalité qui confère aux 4000 ce titre de laboratoire urbain. En effet, c’est le caractère évolutif de la ville qui est le plus surprenant. Puisque les éléments de la ville ne peuvent être considérés comme figés et qu’il faut sans cesse anticiper, comment l’architecte peut-il appréhender la ville et ses pratiques ? Le constat fait à propos de ce secteur par l’OPHLM 93 est sans appel : la nécessité de changement est urgente. Cet organisme cite des dysfonctionnements urbains et de gestion (dégradation du bâti, enclavement, illisibilité de la trame viaire, découpage en volume, équipements peu valorisés, ilots surdimensionnés, absence de qualification des espaces et d’identification de leur usages). Par ailleurs, la paupérisation progressive des habitants de ce secteur et l’augmentation des phénomènes d’insécurité ont amené la ville à réévaluer les difficultés du secteur. Les difficultés engendrées à la fin des années 90 ne sont pas sans rappeler celles encourues au début des années 80, au moment du lancement du concours. Les volontés de projet de 1996 sont donc un prolongement et peut-être un aboutissement de ce qui a été commencé il y plus de 20 ans. C’est un projet d’ensemble, global, divisé en différentes périodes. Ainsi, il s’appuie sur l’expérience de la ville de la Courneuve développée dans le cadre des projets urbains depuis 1984. Dans le cadre du Grand Projet Urbain, engagé en 1996 et du Grand Projet de ville signé en janvier 2000, la démolition de la barre Renoir marque une nouvelle et importante étape du processus de restructuration et d’intégration urbaine engagé par la ville de la Courneuve. Les 4000, s’enfonçant de plus en plus dans la crise, un grand concours d’urbanisme est lancé pour le réaménagement du quartier de la Tour. C’est celui de l’urbaniste Paul Chemetov qui est retenu, lui revient la charge de donner les grandes lignes directrices pour la ZAC de la Tour. La ville « s’invente un autre avenir ». Selon lui, «ce territoire a subi une violence extravagante1». Paul Chemetov pour qui «l’ensemble a été réalisé en dépit du bon sens » tempête : « je ne comprends toujours pas comment on a pu faire de telles enclaves. De véritables grumeaux urbains, insolubles dans la soupe de la ville ! Quand on construit massivement au même moment, en un même lieu, les problèmes de vieillissement et de structure, les problèmes humains, tous les problèmes arrivent en même temps. 2» 1 Projet Urbain, n°18, septembre 1999 2Ibid

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L’architecte veut replacer l’homme au cœur de la cité. Il conçoit un projet urbain comme un lieu d’échange et de vie. Son ambition est de rendre la ville chaleureuse et attractive. Cette barre était conçue pour durer 20 ans, elle aura tenu près du double. Se pose alors la question de la pérennité des bâtiments et du décalage entre un programme temporel et la réalité. Gilles Poux, maire de la Courneuve insiste sur le fait « qu’il ne suffit pas de refaire une rue, il faut reconstruire des parcours sociaux, étudier avec chacun l’aménagement urbain mais aussi des réponses pour l’accès à la formation, à l’emploi. C’est ainsi que peut se reconquérir la citoyenneté mise à mal. 1». Les priorités immédiates et pour les cinq ans à venir traduisent et valident les propos. Avec la disparition de la barre Renoir, une nouvelle architecture de la voirie verra le jour, qui va redonner de la lisibilité et du sens à l’espace public. « Parmi les projets immédiats nous pouvons citer, le réaménagement de l’avenue du Général-Leclerc et de la place faisant la jonction entre le centre culturel et le centre commercial, celui du centre commercial de la Tour, ainsi que la création de nouvelles voies. 2». La ville donne plusieurs indications : •

Reconstruction du centre commercial de la barre Renoir

Construction de bâtiments destinés à l’accueil d’associations, à une multitude d’entreprises et un

centre de formation •

Construction d’un ensemble de petits bâtiments de 120 logements

Réhabilitation et remodelage des équipements publics (centre culturel, centre municipal de santé,

groupe scolaire) •

Amélioration du maillage de circulation

Création d’un jardin public et de nouveaux cheminements

En réponse, Paul Chemetov propose d’agir principalement par le redécoupage de l’espace pour constituer une trame nuancée d’espace public et d’espace privatif, de parking, de jardins et de voiries et de créer un 1 L’élu d’aujourd’hui, 3 janvier 1999

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2Extrait d’entretien de Gilles Poux in Regard, mai 2000


maillage qui fait défaut aujourd’hui au quartier. Aux yeux de l’architecte, séparer espace public et espace privé devrait permettre une meilleure appropriation du quartier par ses habitants. Deux vastes espaces publics constituent la colonne vertébrale du projet : un vaste mail planté (le mail de Fontenay) ponctué de jeux pour les enfants et un espace public minéralisé qui devrait constituer un lien entre les 4000 et l’extérieur, c’est une ouverture et un point de rencontre proche du centre commercial. Enfin, des immeubles de logements verront le jour à l’emplacement de l’ancienne barre Renoir. Je vais donc analyser la manière dont les architectes en question, Emmanuelle Colboc et Jam/Patrick Germe se sont appropriés les directives de Chemetov. Quels ont été leurs éléments de réponses par rapport à la question de l’usage ? L’architecture créée a-t-elle réglé certains dysfonctionnements ? Quelles ont été les interventions au niveau du mail et du centre commercial ? Quelles conclusions pouvons-nous tirer en comparant ce secteur avant les années 2000 et maintenant ? Enfin, peut-on vraiment parler de « nouvelle morphologie », de nouvelle ville ?

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Espace collectif EXTRAIT D’ENTRETIEN Emilie CAPELE chargée de mission « rénovation urbaine » à l’OPHLM93 Ce qu’ils font ? Dans le cadre de nos PRU (Projet de Rénovation Urbaine), nous accompagnons la mise en œuvre et l’avancement des projets de RU au sein de l’Office (construction, réhabilitation, démolition, relogement) / nous représentons l’Office aux différents instances de suivi technique et de pilotage / nous assurons des missions transversales de coordination et de pilotage entre les services internes de l’Office concerné par les opérations en ANRU et les acteurs externes (ville, agglo, aménageur). Bref rappel En 2005, l’office municipal de la Courneuve, se sépare de son parc de logements au 4000. Il y a une dévolution entre OPAC Plaine Commune Habitat qui récupère le nord, c’est-à-dire 1200 logements et l’OPH 93 qui récupère l’Ouest et le centre ville, c’est-à-dire 2800 logements. La gestion précédente n’était pas exemplaire. L’OPHLM 93 a récupéré un patrimoine dégradé et très peu entretenu. Ils ont du tisser des liens avec les locataires et tenter de connaitre ce patrimoine. L’OPH93 gèrent les locataires et les relogements (par exemple : pendant la démolition de la barre Balzac, c’est eux qui se sont occupés de gérer les habitants). A : Par rapport aux espaces communs, quelle a été la demande ? E.C : Nous voulions une séparation claire entre l’espace public et l’espace privé. Nous avons suivi les grandes directives de la ville de la Courneuve. Les espaces communs dans les barres sont comme une plaie dans les mémoires, il fallait pour les nouveaux logements, une distinction physique lisible. A : Pourquoi parlez-vous de « plaie » en ce qui concerne les espaces communs ? E.C : En prenant, la barre Balzac comme exemple, car en 2000, au moment de la démolition de la barre 54


Renoir, l’OPH 93 n’était pas encore en charge du projet. Les halls étaient complètement appropriés par certains habitants. D’un part, le trafic de drogue était omniprésent dans les espaces communs et aux abords de la barre. Les dealeurs étaient très bien organisés. Le parcours de la drogue était même fléché. Il y avait des halls stratégiques, en général, ceux aux extrémités de la barre. L’espace leur appartenait. D’autre part, les halls étaient dégradés physiquement. Il y avait des graffitis, des tags partout. Ainsi, les directives principales étaient claires : il ne fallait plus de confusion entre l’espace du logement et l’espace commun appartenant à tous les habitants de l’immeuble. A : Par conséquent, comment les architectes ont traité cette demande ? E.C : En ce qui concerne l’opération des architectes Germe et Jam, ils ont aménagé un espace résidentiel entre clôture et hall. Mais cet espace est indiqué dans le PLU. C’est donc une volonté de la ville. On parle d’espace tampon, d’espace d’agrément. Les cours permettent des percées visuelles, il y a des jeux pour les enfants. Ces espaces de jeux sont des lieux de rencontre et de sociabilité mais au sein d’un espace OPH93. Par rapport à la sécurité/contrôle, il y a aujourd’hui une clôture avec un code et à l’entrée des halls, il y a un défilement des noms. On parle de double contrôle d’accès. L’espace résidentiel, entre l’espace public et l’espace privé est donc protégé. De plus, pour une meilleure gestion, il y a un gardien, qui s’occupe au quotidien des espaces communs. C’est un interlocuteur primordial pour nous et pour les habitants. Il gère honorablement les conflits.

Extrait d’entretien, octobre 2013 Source: entretien personnel

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Espace collectif EXTRAIT D’ENTRETIEN Latifa Farnault : délégué de Dugny qui est en charge de la gestion du patrimoine l’OPH 93 sur le territoire de la Courneuve A : Que pensez-vous des espaces publics ? Qu’est ce qui s’y passe aujourd’hui ? Quelle est votre demande ? LF : Notre demande, est celle d’une cohérence de gestion, d’entretien, qui en l’occurrence est géré par Plaine commune. Nous on gère le patrimoine de l’OPH93 aux limites de nos propriétés. A : Alors pouvez-vous me parler des parties communes et des espaces partagés ? LT : Les problématiques sont les suivantes : un manque d’appropriation des lieux par les locataires A : Qu’entendez-vous par appropriation ? LT : On peut avoir par exemple des cours intérieures au sein des immeubles d’habitation, ces cours font l’objet de beaucoup de réclamations de la part de nos locataires, à savoir : attroupement, occupation par des très jeunes. Cette occupation génère des nuisances sonores et des dégradations A : Mais, au départ, ces espaces sont fait pour les jeunes, donc il n’y a pas de détournement d’usage ? LT : Oui, mais pour un public bien ciblé, en l’occurrence les jeux s’adressent aux 3/6 ans. Mais il y a une dérive de l’utilisation de ces jeux. L’occupation se fait par des ados, des plus grands, et surtout, il y a une pénétration dans l’espace privé qui pose problème aux locataires. A : c’est-à-dire ? LT : On parle de lieux privé car ce sont des personnes extérieures qui entrent dans les parties communes. Alors, il y a des locataires, qui disent que ce n’était pas une bonne idée d’avoir aménagé ce genre de cours à cause des nuisances sonores et des intrusions dans l’espace privé. 56


A : Au cours d’un entretien précédent, j’ai cru comprendre que la volonté principale dans les nouvelles constructions, c’était justement une séparation claire de l’espace privé et de l’espace public. Ces cours, répondent-elles à la demande ? LT : Aujourd’hui la distinction n’est pas encore très claire, et les locataires s’en plaignent. On remarque que dans les autres groupes de logements qui n’ont pas de cours, cela se passe mieux. Mais il y a d’autres types de difficultés : respect des règles de vies, dégradations des parties communes (graffitis, détritus, sacs poubelles éventrés) A : Est-ce que la dégradation est similaire au temps des barres ? LT : Non, elle n’a rien avoir. Mais certains mésusages sont encore d’actualité. Dans le neuf, il y a un réel problème autour de l’usage des lieux, au delà de la porte du logement ce n’est plus chez eux. On ne respecte pas les parties communes, car c’est un espace qui ne nous appartient pas. Aujourd’hui, certains locataires s’inquiètent de la dégradation. Ils ont en mémoire les dégradations irréparables au temps des barres. Ils ont peur que la situation s’enkyste. C’est pourquoi ils réagissent très vite, ils anticipent. En effet, des interrupteurs sont cassés, les détecteurs incendies brulés. Malgré le double contrôle d’accès, des personnes étrangères à la résidence occupent les lieux, grimpent sur les terrasses, jouent dans les cages d’escaliers. Ainsi, les personnes qui dégradent ne sont pas forcément des locataires. A : Selon vous, certaines formes d’espaces peuvent elles influencer des usages ? LF : Nous sommes formellement contre les halls traversant, les halls trop grands. Avant les halls étaient beaucoup plus grands. La réponse des architectes dans les groupes de logement rue Renoir, est une vrai réponse sur ce que doit être le hall ici. L’espace permet seulement une circulation, on peut difficilement y stationner. C’est la même chose pour les couloirs de circulations. Des que c’est grand, ca devient compliqué à gérer. C’est pourquoi, les locataires souhaitent que les espaces communs soient réduits au maximum. Ils savent qu’ils auront du mal à les gérer, et nous aussi. C’est pourquoi, il n’y a pas de cave. Les caves sont le lieu de violence et d’intrusion. Pour des raisons de sécurité et de tranquillité, on fait le choix de ne pas en mettre. Dans le patrimoine ancien, nous sommes en train de les neutraliser. Bien que beaucoup de locataires militent pour garder leurs caves, car c’est un vrai élément de confort.

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1.

La réponse des architectes : le projet

La barre Renoir, détruite le 8 juin 2000, permet à une nouvelle composition urbaine de voir le jour. Grace à cette démolition, un nouveau maillage apparait. Paul Chemetov veut absolument que le système viaire de la Tour soit réaménagé pour effacer ses impasses (rue aboutissant au niveau des nappes de stationnement). On crée alors de nouvelles rues qui se raccordent aux voiries existantes. C’est ainsi qu’apparait la rue du 17 octobre 1961 et que la rue Renoir reprend sa fonction de rue. La rue du 17 octobre 1961 est connectée aux deux grandes voies principales et elle permet d’alimenter les nouveaux logements, le centre commercial et la pépinière d’entreprise. Ces rues amorcent une nouvelle découpe parcellaire préalable à la requalification du quartier, l’aménagement des espaces extérieurs et la réalisation des opérations de logements. La vue en plan masse avant/après est assez spectaculaire. L’avant montre un espace concentré, recroquevillé sur un centre absent alors que l’après profite de voies qui aboutissent quelque part. L’humain se repère beaucoup mieux, le bâtiment est ancré dans le sol, il y a un socle. La rue reprend de son sens, elle dessert mais accompagne. Elle retrouve son statut. L’idée était de désenclaver et c’est grâce à ce système de rue que le quartier peut petit à petit reprendre vie. A.

La requalification des espaces extérieurs

Cette analyse a pour objectif de révéler les enjeux des nouveaux projets mais surtout de mettre en avant les changements et les différences qui ont permis aux habitants de mieux s’approprier cet ensemble en fonction des usages induits par le type d’espace. La qualification des usages des espaces extérieurs du quartier de la Tour, floue, difficile à utiliser et à gérer, entraine leur dégradation progressive. On parle alors de difficultés d’usage d’où la nécessité de reconquérir ces espaces libres et de leur conférer un statut clair et lisible. Cette requalification s’articule autour d’une délimitation des différents espaces (public/privé) par contraste et par traitement spécifique (arboré, minéral)

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Le mail de Fontenay aujourd’hui 60

Source: photo personnelle


se déclinant selon différentes thématiques : mail, place, placette, jardin, passages piétonniers. C’est avant tout à travers la compréhension des nouveaux espaces extérieurs et de l’aménagement des abords des nouveaux immeubles que les habitants découvrent donc une nouvelle appropriation. On ne parle alors plus d’espace vert mais de paysage. Le vocabulaire change, il devient plus sensible. Le traitement du territoire est alors plus doux car l’une des volontés de la ville de la Courneuve est aussi d’attirer de nouvelles populations. Il s’agit donc d’une position à la fois esthétique et dogmatique. C’est la première fois aux 4000 que l’on souhaite faire du beau. La ville doit être fonctionnelle mais, dorénavant, esthétique pour ses usagers. L’homme est donc placé au cœur du projet. Les 4000 d’avant représentaient un habitat nouveau pour un homme nouveau et la fonctionnalité du grand ensemble répondait à deux éléments basiques : résider et dormir. Cette conception ne faisait aucune place à la notion de paysage. C’est surement la raison pour laquelle Jacques Sgard ne trouvait pas sa place au milieu des architectes, urbanistes de l’époque. Cette nouvelle manière d’aborder le paysage ouvre donc de nouvelles perspectives qu’il faut désormais introduire dans l’existant, soulevant ainsi la question du passage de la mémoire au projet. a. Le mail de Fontenay Le paysage est un endroit où l’on aime venir flâner. La flânerie introduit un rapport au temps. C’est un espace où l’on peut rêver, s’oublier, rencontrer des gens, c’est aussi un lieu de convivialité. Le rôle des concepteurs est de mettre la lenteur au service de ses usagers. La flânerie doit alors être une notion inculquée et palpable dans les espaces extérieurs nouvellement réalisés. Au travers de ma courte expérience aux 4000 et des dires des habitants, je vais donc y envisager la place accordée à la flânerie mais également si cette dernière améliore la qualité de vie des habitants. Pour cela, je prendrai comme exemple le mail de Fontenay et la place derrière le silo du parking. Le mail a fait l’objet d’une rénovation alors que la place est un nouvel élément urbain. Ainsi, le mail subit de nouvelles transformations ayant comme but l’aération du quartier de la Tour. L’aménagement de ce square est la première pierre du projet de reconstruction des 4000. Il devait servir d’articulation entre le nord et le sud du quartier.

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Le mail de Fontenay aujourd’hui 62

Source: photo personnelle


Les buttes sont démolies et l’espace est aplani. On remet donc en question les réalisations précédentes. Le sol revient au niveau 0. Les buttes sont remplacées par des zones réservées pour les enfants et à la circulation piétonne. Ici aussi, l’homme est placé au cœur du projet. Il faut aménager un espace qui soit à la fois agréable à l’intérieur mais qui soit connecté aux différents points importants du secteur. Par ailleurs, l’objectif de cette rénovation était de rendre un parc aux habitants du secteur. Il fallait réussir à dissocier le mail de sa barre. Cette dernière étant toujours debout aujourd’hui. Articulé autour de quatre axes principaux, le square est traversé par une large allée piétonne en granit beige. Cette allée permet d’organiser le parc mais aussi d’aller d’un bout à l’autre. C’est donc une voie publique. De part et d’autre de ces grands axes, des jeux pour les enfants et des tables de ping-pong sont disposés. Il y a des bancs qui ponctuent cet immense espace. Enfin, les habitants racontent que cet espace était cadré par des haies, des buissons qui faisaient le tour. Ces haies, d’une certaine hauteur, permettaient des échanges illicites. Elles créaient des espaces sombres et cachés, où certaines personnes en profitaient pour voler ou autre. D’autre part, des rats se promenaient dans ces buissons. Pour ces deux raisons, ils ont été complètement rasés. Mais ces haies avaient l’avantage de couper, de créer une limite entre la barre et le square. C’est-à-dire qu’ils rendaient cet espace plus intime. Ils l’autonomisaient du reste du secteur. Le projet se caractérise par sa richesse en végétaux. En effet, Paul Chemetov et Pierre Georgel (urbaniste/paysagiste) expliquent vouloir réunir des arbres tous différents en terme d’espèces mais dont les feuillages ont une certaine ressemblance. Enfin, le centre est planté de platanes. Cet espace situé entre le centre commercial et la pépinière d’entreprise et la barre Maurice de Fontenay, a une position idéale en termes de flux. En effet, il lie tous les différents pôles d’attractivité du quartier. C’est donc un élément des plus importants de la composition urbaine. Il a une place stratégique. Ainsi, il me parait indispensable que cet espace soit attractif et fonctionne bien pour irriguer alors le reste du quartier.

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Le mail de Fontenay aujourd’hui Source: photo personnelle 64


On remarque l’utilisation du mot « square » et non « mail » par les concepteurs. Cette appellation est beaucoup plus douce et accueillante. Elle appelle l’enfant, le couple, l’adolescent à rêver et à profiter de cet espace riche en couleur. Mais ce terme, « square » utilisé, est-il correct ? Un square est supposé être un espace réglementé et dont l’accès et les horaires sont contrôlées. Or, le square, que j’appellerai l’espace de Fontenay, est ouvert au public, il est en libre accès. Ainsi, pourquoi y-a-t-il une distance entres les intentions du projet et sa réalisation ? Pourquoi ne pas avoir aménagé un espace contrôlé ? Cette ambigüité ne permet pas de définir clairement la nature et la fonction de cet espace vert. Il est accessible n’importe quand dans la journée mais il y a une clôture autour qui le délimite de l’espace de circulation. Mais pourquoi le délimiter si leur fonction est identique, c’est à dire circuler dans l’espace libre ? J’ai été relativement déçue car j’avais lu plusieurs articles sur le mail avant de m’y rendre et ces écrits laissaient croire que c’était autre chose qu’un espace de déambulation. Or ceci n’est que partiellement vrai. C’est un espace où l’on reste, on joue certes mais uniquement pour les habitants de la barre Maurice de Fontenay. Les mères de famille aiment s’y retrouver, discuter sur un banc, regarder, surveiller leurs enfants mais il n’y a pas assez de jeux et d’espace intimes qui appellent à la rêverie et à la découverte. Cet espace est en fait une grande esplanade plantée. Les concepteurs ont voulu raser les collines, alors qu’elles appelaient justement aux jeux et à la flânerie mais elles étaient également source de problèmes puisqu’elles permettaient aux individus de se cacher et de dealer. Il y a donc un grand paradoxe. Comment, peut-on, en tant qu’architecte aux 4000, créer un espace qui invite au voyage tel qu’est traditionnellement un parc sans pour autant créer des recoins et des lieux trop intimes? Pourtant, les espaces intimes sont sources de découvertes et de jeux. Comment gérer cette contradiction ?

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Le mail de Fontenay aujourd’hui 66

Source: photo personnelle


Cet espace vert est donc assez problématique car il est coincé entre cette grande barre, la tour et le centre commercial. Il y a un problème d’échelle. On se sent complètement écrasé par cette barre de 13 étages, bien qu’il y ait des circulations Est/ Ouest. Ainsi, en ayant fait de cet espace une articulation entre le nord et le sud du quartier de la Tour, il devient un espace articulé entre deux c’est-à-dire un espace qui en dessert d’autres. Il perd sa fonction de square dans la ville mais cela correspond aux souhaits Gilles Poux : « l’idée était d’en faire un jardin parisien. Un endroit qu’on puisse traverser pour aller faire ses courses, emmener ses enfants à l’école, les faire jouer ou discuter entre eux aussi». Cet espace n’est pas un lieu de flânerie et de détente, il est devenu, comme désiré, un lieu de passage qui n’arrive pas à lier les deux fonctions. Il y a donc encore en 2013, une terrible confusion et une ambigüité vis-à-vis de la nature de l’espace. Il devient alors assez vide et perd de son sens. De plus, le mail est entouré d’espaces de circulation que je ne sais comment nommer. Ce ne sont pas des rues car il n’y a ni trottoir ni chaussée, (même piétonne), ni nom mais des dessertes qui font partie de l’espace indéfini, l’espace libre. Pour moi, cet espace reste un mail qui ne peut pas avoir l’appellation de parc ou square. C’est un nœud de flux, un espace de distribution, le jardin privé de la barre, perdu entre des voies de circulations. Il perd alors sa fonction majeure. Ni vivant pas au quotidien, la parole donnée aux habitants me permettra de constater s’ils utilisent cet espace comme un lieu de voyage. Ainsi, l’usage voulu pour cet espace est-il respecté ? Les habitants s’y sentent-ils mieux ? C’est-à-dire, est-il plus adapté à leur besoin ? La place Houdremont est un contre exemple. En effet, elle a une fonction et un rôle bien défini. Cette place, très minérale, c’est l’espace qui nous introduit au quartier de la tour et permet à ses habitants de s’y arrêter, d’y discuter sur les nombreux bancs mis à disposition. Elle conserve et entretient donc son rôle d’espace public d’entrée de ville. De plus, elle libère les vues et ouvre l’horizon vers d’autres espaces plus privés. C’est un lieu de rassemblement, une porte d’entrée du quartier. Il n’y a pas de détournement d’usage car les habitants se l’approprient en respectant sa nature. C’est un espace ouvert, de déambulation et de stationnement dont le statut est clair. C’est donc une intervention urbaine « réussie » car habitants et concepteurs vont dans le même sens. La lisibilité et la clarté de cette place permettent aux habitants de se l’approprier en fonction d’usages prévus. 67


Le Centre commercial aujourd’hui Source: photo personnelle 68


Cette comparaison d’un espace à deux époques différentes, dans le cas du mail, rend compte d’un réel problème d’usage. Ces concepteurs imaginent cet espace multifonctionnel, à la fois lieu de passage et « square parisien ». Il me semble impossible de concilier les deux, car il y une confrontation des usages et donc de l’appropriation des habitants. Peut être faudrait-il le rendre monofonctionnel et ainsi limiter son accès au seul plaisir de la flânerie pour qu’il puisse être considéré et vécu comme un parc. La place, au contraire, dispose d’un statut très lisible et, bien que destinée à plusieurs usages, elle conserve son statut, ce qui ne porte pas l’habitant à confusion. b. Centre commercial Le centre commercial fait partie des éléments importants du quartier. C’est ici que la plupart des habitants se retrouvent. C’est donc un lieu à préserver, c’est un espace qui doit être entretenu pour que l’ensemble des habitants puissent jouir de ses qualités. Les habitants me décrivent un sentiment de bonheur quand ils se remémorent leurs souvenirs à propos du centre commercial. Ils décrivent cet espace comme étant, entre les années 60 et 70, un lieu de vie et d’activité extraordinaire. L’offre en terme de commerces était assez diversifiée : cinéma, poissonnerie, marchand de meubles, Lidl… Les habitants s’y sentaient bien, ils n’avaient pas besoin de sortir du quartier pour faire leurs courses. Il fait figure de point stratégique le plus important aux 4000. Mais ce centre tombe en désuétude, des boutiques sont laissées à l’abandon, des vitrines sont cassées. Cet espace sous la dalle était un lieu où l’insécurité régnait. Les espaces intimes et cachés des grands axes où la police circule sont très présents dans le centre commercial et donc très prisés par les trafiquants. Il nécessite une restructuration/rénovation. Il faut limiter les espaces favorables aux pratiques illégales. La morphologie du centre commercial était compliquée et peu rassurante. Elle mettait à l’abri des regards les trafics en tout genre. C’est pourquoi la composition spatiale a été changée. Il s’agissait d’éliminer les recoins et les galeries excentrées afin que les conditions de visibilité soient maximales. Ainsi, l’usager peut se promener sans risque de faire une découverte malencontreuse. Les commerçants sont vus de l’extérieur et les services de police et d’urgence peuvent alors intervenir beaucoup plus vite. En effet, l’espace est plus accessible et la dalle est partiellement ajourée. Cette ouverture permet de dégager de l’espace au sol et de faire entrer de la lumière. Les lieux sont alors moins

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Le Centre commercial aujourd’hui Source: photo personnelle 70


sombres. L’espace de stationnement du centre commercial est reconverti en parking résidentiel. Cette rénovation du centre commercial a-t-elle été vraiment efficace ? Les habitants sont ils satisfaits ? Les architectes ont-ils su adapter l’espace pour plus de sécurité mais aussi pour qu’il reprenne vie ? Le centre commercial aujourd’hui est un espace où il y a peu de commerces. Les différents individus continuent de s’y retrouver mais le lieu n’est pas vraiment vivant. Il n’est que l’ombre de ce qu’il était dans les années 60. Compte tenu de sa position centrale dans le quartier, mais aussi de l’animation sociale et de la vitalité qu’il est susceptible de générer, ce nouveau centre commercial est un peu décevant. Certes, la sécurité est de mise, et les groupes de pair ne s’y retrouvent quasiment plus. Mais les commerces de proximité qui pourraient créent une vie de quartier manquent terriblement. Cet espace commercial est un bloc, il n’y a pas de circulation possible entre les boutiques. Il est peu propice aux rencontres et à la flânerie. Néanmoins, le café rallie des habitants. Les hommes s’y retrouvent. L’espace devant la pépinière d’entreprises est aussi investi par les femmes et leurs enfants à la sortie de l’école. L’espace prend vie à certains moments de la journée mais cela est très minime, il n’y a pas de réelle vie de quartier ou ambiance de quartier générée par le centre commercial. Pourtant, on imagine cela possible. On voit comment cet espace pourrait prendre davantage vie, comment les habitants pourraient se retrouver dans des lieux plus propices aux rencontres, plus attrayants. Aujourd’hui cet espace ne rassemble pas ses usagers, c’est seulement un lieu de passage, on n’y reste pas. La convivialité et le foisonnement d’activités, décrits par les habitants jadis, ne se ressent absolument plus. Il dispose d’un potentiel certain mais qui est aujourd’hui inutilisé, presque laissé à l’abandon. On peut alors se demander comment le redynamiser ? La composition spatiale y est-elle pour quelque chose ? Mais la question essentielle est celle du changement constant. En effet, il a semblé nécessaire de faire évoluer ce centre commercial, devenu trop dangereux et déserté par les commerçants. Aujourd’hui partiellement rénové, ce dernier a perdu de son attractivité. Doit-on s’attacher à des souvenirs passés ? Peut-on parler d’échec ou de réussite pour cette rénovation ? Mais si l’objectif est l’appropriation d’un espace par ses habitants, cette rénovation n’est elle pas un échec, dans le sens où les usagers ne font pas de cet espace le leur ? 71


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Olivier Duvernois, chef du projet du quartier de la Tour au sein du service urbanisme de la ville de la Courneuve disait : « il faut absolument réussir le réaménagement du centre commercial, ce sera le signal fort qu’attendent les habitants »1. Qu’en est-il aujourd’hui ? Ce réaménagement est-il « réussi »? La parole sera donc donnée aux habitants pour comprendre leur point du vue, bien que la simple observation du quartier m’a permis de tirer des conclusions sur les pratiques des habitants et donc sur l’organisation de cet espace. Le réaménagement du quartier de la Tour du point de vue des espaces publics est encore en cour. En effet, pour que le quartier prenne vie réellement, il faudrait repenser et améliorer les deux points stratégiques, c’est-à-dire le mail de Fontenay et le centre commercial. Néanmoins, la volonté de désenclaver le quartier et de le connecter au maillage existant est une réussite. Les différentes nouvelles voies s’intègrent parfaitement et les impasses ont été supprimées. En revanche la question des « non rues » telle que l’on peut en croiser aux abords du mail de Fontenay reste fondamentale. Ces dessertes ont un statut encore peu clair et perdent l’usager dans l’espace. Dès lors, on peut se demander quelles ont été les opérations de constructions neuves à l’emplacement de la barre Renoir ? Quels ont été les principes générateurs des projets ? Les architectes ont-ils pris en compte les usages passés en essayant de les contrer ou les adaptant ? Quels ont été leurs éléments de réponses visà-vis de ces pratiques ? De nouvelles pratiques en sont-elles nées ? Quel rapport existe-t-il entre le bâtiment et son assise ? C’est-à-dire, entre l’espace privé et les abords du bâtiment ? Les abords appartiennent-ils toujours aux bâtiments ? Ou les opérations de rénovation ont permis de désolidariser les deux ? Cela a-t-il eu un impact sur la qualité de vie de l’habitant ? C’est-à-dire, qu’en est-il de l’espace libre d’autrefois ? Enfin, comment la transition entre espace intérieur et espace extérieur a-t-elle été pensée ? B.

Les opérations de constructions neuves

La reconstruction de Renoir doit proposer une alternative cohérente à l’urbanisation ancienne des barres tout en assurant le passage en douceur d’une forme urbaine à l’autre. Il s’agit de s’intégrer pleinement au « paysage des 4000 » tout en y développant un tissu urbain opposé. Il faut alors affirmer les qualités 1 Le Médiateur, Avril 2000

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résidentielles d’un nouveau quartier à bâtir. Le projet résidentiel au quartier de la Tour repose sur deux aspects principaux : comme vu précédemment, la qualité paysagère de l’espace public que préfigure le mail de Fontenay et la fabrication progressive d’un tissu urbain de petits immeubles collectifs, points qui vont être abordés dans cette partie.

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Travailler les limites EXTRAIT D’ENTRETIEN Paul Chemetov, architecte, Lauréat du concours du quartier de la tour (1996) Toute architecture, tout urbanisme commence par des limites ; qu’elles soient des cloisons, qu’elles soient des horizons, qu’elles soient des rues, des limites qu’il faut traverser, des limites, des seuil …intérieurs, extérieurs.. Donc, tout le travail sur les limites, les traversées, les intérieurs et les extérieurs qui est basique, je l’ai un peu réinstallé à La Courneuve ; je récupère le stock amont, pour aller vers le flux à val, c’est tout ce que j’ai fait, en récupérant un certain nombre de choses pour passer des témoins, et en permettant aux gens qui interviendront après moi, la Colboc, le Germe, le Paurd de faire autre chose.

Extrait d’entretien Source: Les réenchantements de le Couneuve 75


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a. Opération de logements JAM/Germe Je m’intéresserai premièrement à l’opération de Patrick Germe (JAM). La parcelle à construire présente plusieurs caractéristiques déterminantes pour le futur projet : •

Elle est située aux confins de la commune, pratiquement équidistant de Saint-Denis et du centre de

la Courneuve. •

Elle est située à l’arrière du centre commercial, ouvrant une longue façade sur la cour de service de la

pépinière d’entreprise dessinée par Paul Chemetov. •

Elle est organisée en longueur, sa largeur réduite interdit de développer une double épaisseur bâtie,

elle constitue un « bâtiment-ilot » qui reproduit implicitement la morphologie des barres anciennes. •

Elle est en relation immédiate avec la Tour et le mail de Fontenay

Ces différents éléments ont conduit les architectes aux hypothèses suivantes. Le programme sera décomposé en 4 immeubles indépendants formant des cours-jardin ouverte à l’Ouest comme à l’Est. Le «bâtiment ilot» est rendu perméable transversalement, afin qu’aucune des deux grandes façades ne soit arrière. La rue Renoir est élargie permettant de planter un troisième alignement d’arbres. L’accès aux unités résidentielles est unique au travers des cours jardins ouvertes sur la rue Renoir. La construction des plots est longitudinale parallèlement à Fontenay. La structure « dérive » de la géométrie ancienne des 4000 est transposée à différents échelles d’usage (ouverture des logements et des cours, liaison entre l’est et l’ouest du site). On comprend que les différentes intentions de projet répondent à la demande de résidentialisation du bailleur. En effet, pour qu’il n’y ait plus de confusion possible entre les différents types d’espace, le bailleur (OPHLM93) a imposé aux architectes de traiter la question de résidentialisation. L’espace privé et l’espace public doivent être très bien délimités. Ainsi, le but est de savoir comment les architectes ont répondu à cette demande et comment ils ont traité la question des espaces partagés. Les architectes se sont attelés à la question difficile de la résidentialisation. L’opération doit aussi tenir son périmètre, se recréer ses propres limites là où le mouvement moderne, en donnant l’espace à tous ne le

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Plan de masse 78

Source: OPHLM 93


laissait à personne. Ainsi, l’espace libre analysé au premier chapitre est bien l’élément qui pose problème, cela vient confirmer mon questionnement. La manière dont était disposée la barre et son rapport à l’espace public était tellement confus qu’il y avait des détournements d’usage. Le but est de distinguer les différents types d’espaces pour que l’usage fait par les habitants y soit approprié. Jam et Germe architectes répondent de manière assez équivoque. Ils touchent aux limites. Leur réponse est assez subtile et délicate mais les usagers devront réussir à la comprendre pour la faire leur et donc pour respecter l’usage prévu. Leurs propositions reposent sur un principe « d’ilot ouvert » qui superposent deux définitions à priori contradictoires. La création d’un espace fermé, « cloisonné » et divisé, d’unités résidentielles privées et un espace ouvert lié au paysage et bâti pavillonnaire créé. Cette dualité entre espace fermé et ouvert, entre lieu de la cour, espace appartenant collectivement à une communauté d’habitant et l’altérité du paysage, me semble à la base de la structure poétique du projet. Le parcours pensé par les architectes définit les limites des différents types d’espace. C’est un parcours qui traverse l’espace public (la rue) et qui finit au sein de l’espace privé (le logement) en passant un espace partagé (les cours jardin). La rue Renoir est agrandie, permettant de donner une respiration à l’ensemble de l’espace. De plus, cet élargissement permet de planter un troisième alignement d’arbres. Les plantations du mail Renoir retrouvent celles de la rue de la Tour. Les deux voies de désenclavement du site, rue Renoir et rue de la Tour constituent un ensemble paysager cohérent. Les cours jardins privées prolongent les plantations de l’espace public, les cours-jardin et le mail promenades sont en résonnances. Ici, l’usager, reconnait le type d’espace dans lequel il est. Les différents types d’espaces sont délimités et reconnaissable. Les abords des bâtiments ne ressemblent plus à un terrain vague. La rue, le trottoir, la chaussée et les arbres plantés déterminent les frontières. L’espace public ne correspond plus à la « géographie de la barre ». L’emprise au sol du bâtiment est clairement délimitée et l’espace public a un statut et une place distincte. Ici, l’espace libre n’existe plus. C’est le maillage qui dicte alors les limites entre privé et public. L’accès à chaque unité se fait à partir du mail Renoir, au travers de la cour, surélever de 50 cm et fermée par une grille. Les petites courettes sont donc visibles de l’espace public mais non accessibles pour les habitants qui ne résident pas dans l’immeuble. L’accès est contrôlé grâce à un interphone. L’entrée est signalée grâce à un auvent qui contient le portail et protège l’interphone. Les différents temps du parcours, du passage de l’espace public à l’espace privé sont bien représentés. Les types d’espaces sont signalisés

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AxonomĂŠtrie Source: OPHLM 93 80


subtilement. L’habitant franchit dont le portail et arrive dans l’espace de la cour. Les architectes ont créé des cours jardins entre les 4 plots. « Les architectes ont appliqué une logique de résidentialisation, intercalant entre l’espace public et l’espace privé tout une série de filtre1 ». Ces différents filtres permettent aux habitants de se repérer. Dès que l’on franchit les grilles séparant la rue des cours communes, l’espace s’intériorise : le traitement des sols délimite de manière subtile des zones réservées à l’agrégat, au passage aux jeux enfants en évitant de tomber dans l’écueil du tout signalétique ou du chacun chez soi. Ces espaces sont des espaces partagés par les habitants du plot. Ces cours jardin sont indépendantes et closes, associées à un bâtiment. La cour est donc l’élément qui permet la transition entre l’espace de la rue, l’espace public et l’espace du l’immeuble, l’espace privé. C’est une pause dans le parcours, c’est une transition avant de rentrer chez soi ou de sortir dehors. C’est donc un lieu où les différents habitants peuvent se retrouver, discuter, prendre le temps. Cet espace est à la fois extérieur car il n’est pas couvert mais intérieur car il est au sein de l’ilot, il fait parti de l’espace privé. Ce lieu de transition est d’une grande ingéniosité puisqu’il permet aux habitants de réaliser qu’ils rentrent dans l’espace privé. Ils prennent petit à petit conscience que ce lieu leur appartient mais qu’il appartient aussi aux autres habitants. C’est un espace partagé par les enfants qui résident dans l’immeuble et par les autres habitants de l’immeuble. Ces cours-jardin ont deux fonctions. En effet, en fond de cour, il y a un jeu pour enfant qui leur est destiné et réservé mais cet espace de transition permet aussi de desservir l’immeuble où se croisent différents usagers. Il y a donc ici, une confrontation entre deux types d’usagers et d’usage au sein d’un même espace. C’est en cela que les architectes touchent les limites de l’usage puisque, bien que cet espace soit délimité par un traitement au sol différent, la confusion peut se faire. On peut alors se demander si les habitants ont compris cet espace subtil et transitionnel. Et comment se le sont-ils appropriés ? Cet espace de transition se prolonge au niveau des boites aux lettres, qui sont à l’extérieur mais dans l’espace privé, contrairement à la barre du mail, où les boites aux lettres étaient placées dans le passage traversant. Elles étaient sans arrêt cassées, elles ont donc récemment été placées dans le hall de la barre. Cet espace est 1 Archiscopie, n°85, avril 2009, p16-18

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Espace partagĂŠ, cour-jardin Source: photo personnelle


couvert par un auvent. L’architecture vient délimiter les espaces, elle suggère des pauses dans le parcours. L’architecture propose, suggère et guide l’habitant. Ensuite, l’habitant franchit une nouvelle porte codée avant d’arriver dans l’espace du hall à proprement parlé, mais il peut emprunter directement les escaliers qui sont à l’air libre. Ces escaliers sont tous aussi subtils. On pourrait dire en paraphrasant les architectes du Team X, qu’ils forment de véritables « rues verticales », alternative au boyau sombre de l’immeuble contemporain. Etant extérieur, l’escalier devient un véritable lieu que l’on peut s’approprier, où l’on peut imaginer se rencontrer ou s’évader un instant de son logement. Mais les espaces partagés aux 4000 ont un lourd passif. Quant il est question d’appropriation d’espace partagé, tel que les escaliers, les habitants, ont souvent peurs. Ils se rappellent des dérives et des dégradations. Les architectes de cette opération ont donc flirté avec les limites du public et du privé. Ils ont essayé d’initier et d’éduquer les habitants à un nouveau type d’espace tout en considérant et en ayant en mémoire les mésusages passés. C’est une réponse assez osée mais de grande qualité qui confère aux habitants une certaine responsabilité, celle du respect du lieu et d’un usage approprié des espaces qui leur sont prêtés. La rencontre avec les habitants me permettra de comprendre quel usage ils font de ces lieux mais également si ils ont acceptés la proposition des architectes.

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Espace partagĂŠ Source: photo personnelle


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Plan de situation 86

Source: Agence Emmanuelle Colboc


b. Opération de logements: Emmanuelle Colboc La démolition de la barre Renoir laisse à l’architecte Emmanuelle Colboc l’opportunité d’intervenir sur ce territoire. La rénovation urbaine fait naître une nouvelle rue, celle du 17 octobre 1961, qui recoupe la rue de Genève. Elle devient un grand axe comme le voulait Paul Chemetov, qui conseillait fortement d’y mettre l’entrée principale. Cette rénovation urbaine crée alors un îlot, typologie surprenante dans le tissu déjà hétérogène du grand ensemble. Cette parcelle triangulaire est bordée par des rues très différentes dans leurs ambiances. L’architecte veut insister sur leur variété et les accompagner, elle veut les conserver et essayer de les retranscrire dans son architecture. La demande principale de la FIAC (Foyer des Invalides des Anciens Combattants), était la résidentialisation. C’est donc une volonté partagée par les différents clients. Emmanuelle Colboc va intervenir en réaction à l’existant, non pas au style architecturale mais aux défauts de cette époque. « La négation totale du sol par des bâtiments posés sans interface »1.Le maillage d’arbres donne à la rue une largeur cohérente que des espaces plus ou moins abandonnés distendent à l’excès. Ce constat pousse l’architecte à maitriser le sol centimètre carré par centimètre carré, dans un but d’usage, de séparation précise entre domaine privé et domaine public. Ainsi, la demande du client et les intentions de l’architecte sont les mêmes. L’objectif est de retrouver des usages précis en fonction de la nature de l’espace. Pour l’architecte, les qualités du site pouvaient nourrir une certaine convivialité. L’architecture s’accorde aux différentes ambiances des rues. Les typologies des unités résidentielles sont donc différentes : un immeuble collectif, des plots, et des maisons. Elle s’est attachée surtout à la qualification des rues et à l’échelle pour apporter une ambiance différente : « la bonne échelle d’un bâtiment compte davantage que son architecture »2 Par ailleurs, la demande de résidentialisation impose à l’architecte une seule entrée pour l’ensemble des bâtiments. Le parcours de l’habitant commence donc dans la rue du 17 octobre 1961. L’ensemble de l’ilot est entouré par un bandeau de pierre au niveau des RDC. Ce traitement du soubassement marque la séparation 1 Projet Urbain, septembre 1999, n°27, p18 2 Ibid

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Plan de masse 88

Source: Agence Emmanuelle Colboc


entre la rue et le logement. L’architecte travaille sur différents seuils successifs qui lui vont être déterminant dans son projet. Le parcours créé permet à l’habitant d’accéder en douceur à son logement. Le passage entre l’espace public et l’espace semi-public se fait grâce à une grille codée. L’habitant est alors dans un espace protégé qui lui appartient. Une légère pente le guide au sein d’un espace partagé. La loge du gardien est face à l’entrée, ce qui lui permet de surveiller les allés et venus. L’habitant réalise qu’il est dans un espace surveillé, qu’il peut se l’approprier mais qu’il appartient aussi à d’autres. Cet espace partagé est une cour plantée d’arbres. Ce jardin est destiné à tous les habitants de l’îlot. Emmanuelle Colboc a créé des espaces qui peuvent être appropriés par les différentes tranches d’âge : des jeux pour enfants, des bancs devant le coucher du soleil… Cette entrée unique, permet donc à l’ensemble des habitants de l’ilot de rentrer chez eux par un jardin, l’élément fédérateur qui permet aussi de desservir chaque logement. De plus, cette entrée permet à l’ensemble des logements d’être surélevés. Ainsi, les habitants du RDC ne sont pas gênés par les vues… Le parcours est séquencé. Une fois dans l’espace partagé, c’est la deuxième séquence qui commence. Ce jardin permet aux habitants de s’identifier à ce lieu. Ils sont dans cet espace chez eux car ce grand jardin planté n’est accessible que par les résidents de l’îlot (et parfois leurs invités). Quand j’ai visité cette opération, une femme était dans la rue devant moi, et elle tenait son enfant par la main. Après avoir franchit la grille, elle a lâché la main de son enfant et ce dernier s’est mis à courir en toute liberté. Cette expérience rend compte de la liberté des enfants qui y habitent. Les parents savent qu’ils sont au sein d’un espace clos, qu’ils ne peuvent pas s’enfuir. Colboc réussi donc à créer un espace qui participe à la convivialité de l’îlot mais aussi qui permet aux différents habitants de jouir des qualités d’usage de cet espace. Ce lieu est partagé par tous les habitants, ainsi, si dégradation il y a, tous les habitants sont concernés. On peut imaginer que ces dégradations dérangeront la collectivité et que la personne responsable sera vite repérée et devra nettoyer. Ce type d’espace permet de responsabiliser les jeunes adultes. Ce jardin est planté d’arbres, ce qui lui permet de conserver sa fonction de lieu de détente, de retrouvailles et de jeux. Mais les arbres empêchent par exemple, que cet espace devienne un grand terrain de foot, ou un lieu de réunions informelles.

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Séquence d’entrée Source: Photo personnelle


Avec ce jardin, Colboc cherche à recréer une convivialité perdue. Elle préfère fabriquer un espace semi public seulement pour les habitants de l’îlot plutôt qu’un espace public qui s’infiltre partout et qui peut devenir très rapidement un espace libre sans limite nette. Ce jardin permet aussi de desservir les logements. C’est un nouveau seuil du parcours. Différentes venelles sont dessinées et mènent l’habitant jusqu’au hall, qui devient alors un espace partagé mais beaucoup plus individualisé. Chaque plot, maison sont munis d’un hall privatif. Le jardin est en fait l’espace commun à tous les habitants et les halls sont les espaces partagés uniquement par les habitants du bâtiment. Ainsi, plus on se rapproche de l’espace privé et plus l’espace s’individualise et devient intime. Il y une progression lente dans le parcours public/privé. L’architecte marque les différents temps du parcours. Les halls traversants sont surmontés d’auvent qui dessinent la limite de propriété. La transparence des halls apportent une convivialité visuelle : la vue sur le jardin est donnée à tous, y compris aux passants même si l’indépendance d’usage est respectée. L’épaisseur donne de l’intimité aux logements par des jardins en pleine terre. Tout est fait pour qu’on ait la capacité d’être bien chez soi et dans cet espace semi public. Certains logements donnant sur le jardin ont un accès direct depuis celui-ci, au bout d’une petite venelle. Colboc réunit tous les éléments caractéristiques d’un hameau. Elle va individualiser au maximum l’accès au logement, comme si on rentrait dans une maison. La barrière végétale entre l’espace semi public et le logement permet des espaces plus intimes. Ainsi, des courettes et des jardins complètement privatif sont créés, abrités des vues par ces barrières végétales. L’architecte travaille donc avec l’épaisseur. Cette dernière lui permet de créer des seuils et différents types d’espaces, tandis que le parcours lui permet de «créer une tendresse entre le moment où l’on ferme la porte de chez soi et le moment où l’on est dans la rue »1. Colboc a donc respecté les usages du passé en créant un espace clos et partagé par tous les habitants de l’ilot. La réponse donnée par Emmanuelle Colboc est d’une grande délicatesse pour les individus qui y habitent. L’îlot se prêtait très bien à cet espace central fédérateur. Mais pour respecter si bien la limite entre le privé et le public, l’architecte n’a-t-elle pas créé un espace fermé et hermétique ? Contrairement à l’opération de JAM 1 Emmanuelle Colboc, Extrait d’entretien du 17 décembre 2013

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Espace partagĂŠ Source: Photo personnelle


et Germe, l’espace partagé est au centre, il est donc très peu visible de la rue. Il participe à la convivialité de l’îlot mais donne l’impression d’une forteresse fermée accentuée par le ruban de pierre qui entoure le bâti. C’est un parti assez radical mais qui permet aux habitants d’avoir un espace vert appropriable, chose rare dans le quartier. La typologie de l’îlot, et l’alignement du bâti au niveau des rues permet de dégager enfin un espace public lisible. La rue retrouve sa fonction première et n’est pas investie de manière anarchique. Pour cette opération, l’architecte joue aussi avec les limites entre privé/public mais au sein d’un espace clos et non visible de l’extérieur. Elle donne aux habitants un espace de rencontres et de libertés encadrées. Ces deux opérations révèlent les failles et les manques du grand ensemble et répondent à une appropriation sauvage des habitants aux temps des 4000. L’îlot résidentialisé semble être la typologie la plus adaptée aux usages. L’îlot peut être, très ouvert visuellement comme l’est celui de JAM et Germe ou, très fermé comme l’est celui de Colboc. Ces deux opérations permettent une lisibilité du quartier par ses habitants. Le quartier de la Tour, grâce à ses nouvelles rues et ses opérations de logements, se recréer petit à petit. La limite entre espace privé et espace public est alors nette. Les architectes ont su détourner les demandes en intégrant dans chaque projet un vrai espace partagé, autre que les halls et couloirs de circulations. Ils prennent vie et sont des lieux de forte convivialité, reprenant les pratiques faites aux temps des 4000 dans des espaces inappropriés. Aujourd’hui, l’emprise de l’îlot sur le territoire et le nouveau maillage délimitent les types d’espace. Ainsi, les pratiques tendancieuses, telle que le trafic, les vols n’ont plus leur place dans l’espace privé de l’immeuble. Ces pratiques existent toujours mais elles sont cantonnées à certains endroits très précis dans le secteur dont le statut est encore peu clair.

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85 logements EXTRAIT D’ENTRETIEN Emmanuelle Colboc, architecte A: Pouvez vous me parler du projet ? EC: Le client, la FIAC (le Foyer des Invalides des Anciens Combattants), n’avait pas construit récemment beaucoup de bâtiments quand il a fait ce projet et avait quelques inquiétudes d’aller à la Courneuve. Face à ces inquiétudes, la principale demande qui m’a été faite était de résidentialiser l’ensemble des 85 logements. Il m’a donc été imposé de créer une seule entrée à coté de la loge du gardien à partir de laquelle on pouvait desservir l’ensemble des logements (ainsi le client avait l’impression de surveiller mieux son patrimoine). Je n’ai pas considéré cette volonté comme une contrainte mais comme une donnée. J’ai essayé de retourner cet argument un peu négatif à la positive en me disant que j’avais ici l’occasion de dire que je rentre chez moi par un jardin. Cette demande m’a vraiment intéressé car elle m’a donné l’opportunité de desservir à partir d’un jardin et donc d’offrir un mode de desserte de ces logements qui pouvait être très différent selon l’endroit ou l’on habite (d’un coté ou d’un autre de la rue). A: Vous aviez des directives, vous ne pouviez pas choisir ? EM: On nous a conseillé de les faire de ce coté la. Ils voulaient que l’on construise en équerre le long de cette rue principale et en face du centre culturel. Quand j’ai vu l’ensemble des trois rues j’ai préféré plutôt insister sur les différentes ambiances de ces rues et les accompagner. Chaque plot contient 5 logements avec une partie commune qui appartient à ces derniers. Cette partie commune est composée de plusieurs seuils. On est dans la rue, puis on rentre à la porte d’entrée, qui est une première séquence. Il y a ensuite les venelles qui vont chacune dans différentes directions et pour finir, la limite de la partie commune qui appartient aux 5 logements. 94


Les façons de rentrer

chez soit sont donc toutes différentes et l’ambiance des halls

diffère

nombre

par

rapport

au

de

logements :

Ces

seuils

successifs

font

le

projet.

Faire rentrer tous les logements par l’intérieur de l’îlot m’a permis de construire au dessus du niveau du rez – de – chaussée de façon à éviter les plein - pieds avec la rue. Au niveau des flat et des duplex, l’accès est individualisé. A: Donc en réalité, toute cette parcelle ne s’aborde que par un accès ? E M: Oui mais j’ai proposé aussi un autre accès qui est le grand porche existant (j’ai imposé au client de garder cette porte) qui aujourd’hui n’est pas équipé d’un digicode mais qui je suis sure, dans l’évolution de la ville, deviendra un passage important A: Et quels sont les retours par rapport au fonctionnement de l’ensemble ? E M: Chaque endroit est habité comme nous l’avions imaginé, les endroits pour les enfants, un autre plus pour les personnes agées, les espaces pour faire du sport … Nous avons vraiment fait en sorte de recréer une convivialité grâce aux parties partagées. Tout est fait pour qu’il y ai une capacité à la fois à être bien chez soi mais aussi bien dans les espaces semis publics. A: Nous pouvons donc aborder ici la limite parfois difficile à établir entre le public et le privé … Oui, cette question est très importante, c’est d’ailleurs pourquoi je parle ici d’espace semi-public. Nous ne sommes pas chez nous, mais pas encore totalement dans la rue. C’est selon moi, la possibilité de créer ces lieux la, lieux intermédiaires, qui me paraît très intéressante dans les logements. Bien que nous puissions pas toujours tout décontextualiser, si vous n’étiez pas aux 4000, auriez vous autant fermé, clôturé, ou auriez vous fait différemment dans un idéal ? La question de résidentialiser était une question de base, donc je ne sais pas si je résidentialiserais autant pour d’autres projets.

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2.

La place de l’habitant : l’usage

Les espaces du grand ensemble EXTRAIT D’ENTRETIEN Louis, 45 ans, chômeur (Je suis dans la cours des immeubles de GERME) A : Que pensez-vous de l’espace des boites aux lettres ? L : C’est super bien, pour une fois qu’ils font quelque chose de bien A : Les terrains de jeux sont utilisés ? L : Oui très souvent, des qu’il fait bon. C’est un espace très adapté pour les petits. Mais malheureusement les personnes âgées trouvent que ca fait trop de bruit. A : Que pensez-vous de l’accès dans l’espace privé ? L : Je me sens en sécurité avec ce double contrôle. Je suis vraiment satisfait. EXTRAIT D’ENTRETIEN Une fille devant le mail de Fontenay A : Ca fait longtemps que vous travaillez ici ? Vous habitez ici ? P : Oui j’habite ici depuis que je suis née, j’ai 26 ans A : Qu’est ce que vous pensez des espaces partagés ? P : Avant c’était sale et ca sentait très mauvais. Le premier étage de la barre était dédié aux dealers. Aujourd’hui c’est propre, c’est mieux A : Qu’est ce que vous pensez de votre quartier ? P : C’est mieux, mais ca manque terriblement d’activité, c’est inactif, il ne se passe rien 96


A : Qu’est ce que vous pensez des espaces libres ? P : On reste, on s’assoit, mais c’est vide. Ca manque d’endroit où se poser. Il y a un vieux bistrot dans le quartier mais il n’y a pas de bar de jeunes. A : Vous allez dans d’autres quartiers à La Courneuve ? P : Pas trop, enfin sur les terrains de baskets parfois mais sinon on reste la EXTRAIT D’ENTRETIEN Un homme près du centre commercial A : Ca fait longtemps que vous travaillez ici ? Vous habitez ici ? P : Ca fait 35 que j’habite ici, je ne travaille pas A : Qu’est ce que vous pensez de votre quartier ? P : Moi je suis content, il n’y a plus de voyou, ca se passe très bien A : Qu’est ce que vous pensez des espaces libres ? P : Il y a trop de parkings et ca manque d’espaces vert et d’endroits pour sortir. On est obligé d’aller à Paris. A : Vous pensez quoi des changements de ce quartier ? P : Je ne sais pas trop, les commerces, avant c’était mieux. Aujourd’hui c’est mort… il n’y a plus de vie. Mais bon aujourd’hui, il y a moins de problèmes

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EXTRAIT D’ENTRETIEN Maurice, un jeune qui travaille dans une association, au service jeunesse de la Courneuve A : Ca fait longtemps que vous travaillez ici ? Vous habitez ici ? M : c’est la troisième année, oui j’habite tout près, avant j’habitais dans l’immeuble qui a été détruit, Renoir. A : Qu’est ce que vous pensez des parties communes dans votre immeuble ? M : On passait beaucoup de temps dans le hall, on jouait. Mais j’étais plus petit. On jouait au football, au basket. A l’entrée, il y avait deux murs et on faisait des têtes à têtes. Même dans les escaliers, on faisait des chasses à l’homme, des cache-cache. Il y avait aussi beaucoup de trafics dans les halls. C’était très sale et tagué. Mais moi j’ai grandi dedans, pour moi c’était comme ça un immeuble. Je réalise depuis le relogement la différence. Aujourd’hui, dans le neuf, ce n’est plus pareil. Les jeunes ne font pas la même chose que nous. Aujourd’hui, ils ont des consoles, ils n’ont pas besoin de sortir et d’inventer des jeux. A : êtes-vous satisfait des changements, par rapport à la barre ? M : oui c’est largement mieux. Mais je ne sais pas si ca se passe mieux. Il y a moins de solidarité entre nous. A : au niveau des espaces extérieurs ? M : Ca a bien changé ! Avant, il n’y avait que des collines ici. Ils ont tout rasé, et tout aplanis. Regardez aujourd’hui, c’est un terrain de jeux qui ne sert à personne, c’est une perte d’espace. C’est un rien. Sur 200 habitants, il y en deux qui doivent l’utiliser. C’est dommage car c’est un espace ouvert, mais on ne l’utilise pas. On est aussi content car les magasins ont réouvert, à une époque ils avaient presque tous fermé. Il nous restait Lidl, la pharmacie, la boulangerie. Aujourd’hui, on est content du super marché. On se retrouve souvent devant.

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Ces rénovations urbaines ont pour objectif d’améliorer la qualité de vie des habitants de la Courneuve. Aujourd’hui, sont-ils satisfaits des changements ? Et comment se repèrent-ils dans ce quartier en perpétuelle démolition/reconstruction ? Les 4000 sont moins éternelles que Rome mais la cité ne cesse de se reconstruire sur elle. Les entretiens montrent bien que les habitants des 4000 reconnaissent les qualités sociales du quartier. Ils se connaissent, partagent l’histoire du quartier et s’entendent bien. Ils rendent compte d’une évolution assez positive, la majorité d’entre eux est satisfaite des changements. L’insécurité et les troubles disparaissent petit à petit. Les rénovations urbaines sont en partie responsables de cet essor positif. Cependant on dénote encore des dysfonctionnements à savoir le manque d’activité et d’espace collectif appropriable. Ils qualifient leur quartier « d’inactif », il n’y a pas de véritables lieux de rencontre, ou d’espaces attractifs pour les jeunes qui s’ennuient. Les espaces extérieurs présentent encore des dysfonctionnements que les habitants soulèvent très bien. C’est notamment le cas du mail de Fontenay, dont l’usage est encore très confus. Les parkings ont une place très importante et détériorent les qualités de l’espace public. Cette grande esplanade est difficilement appropriable et mériterait un nouveau traitement, une vrai adaptation dans le tissu urbain et dans le nouveau maillage. C’est pourtant un lieu stratégique et très grand. Un nouvel aménagement et une requalification claire de son statut pourraient donner aux habitants du quartier un espace de flânerie et de promenade. C’est l’espace libre, non défini autour de ce mail que je remets encore en cause aujourd’hui car il manque de repère et n’est rattaché à rien. Ainsi, le centre commercial et le mail sont reliés par des dessertes de nature peu claires, piétonnes, dont le traitement au sol est le même mais qui n’aboutissent nulle part. Ces espaces sont encore le lieu de retrouvailles informelles et d’échanges illégaux. Le centre commercial ne bénéficie plus de la même chaleur et convivialité qu’autrefois, au grand dam des habitants qui regrettent l’entraide et le sentiment d’appartenance à une même communauté. L’espace libre leur permettait de se rassembler alors qu’aujourd’hui se fait ressentir le manque d’espaces fédérateurs. Le centre commercial n’est que l’ombre du précédent. Malgré tout, de nouveaux espaces près de la pépinière

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d’entreprise rassemblent un public hétérogène, à différents moments de la journée. Néanmoins, cette nostalgie n’empêche pas les habitants du quartier de la tour de se sentir mieux et de vouloir protéger leur nouvel espace de vie des dérives du passé. Les opérations de constructions neuves révèlent les qualités de l’espace public ainsi créé. Ce nouveau parcours, de l’espace public à l’espace privé plait à ses usagers. Les abords des bâtiments sont respectés et ne sont plus investis par des groupes de pairs. L’absence de confusion y est donc bénéfique, tout comme la résidentialisation qui semble rassurer. Elle permet aussi de nouveaux types d’échanges puisque les rencontres se font plus facilement au sein des espaces partagés, propices aux fêtes des voisins ou de quartier. Les habitants découvrent de nouvelles pratiques et peuvent s’approprier ces espaces partagés collectivement. Les rencontres ne se font plus forcément dans le logement, espace très privé. Mais, évidemment ces espaces partagés sont aussi à l’origine de certains malentendus, les jeux pour enfants sont parfois utilisés par des plus grands, ce qui provoque des discordes entre les habitants par exemple. De même, ils sont assez proches des logements et sont des lieux plutôt sonores ce qui gêne Les personnes âgées. Mais ces faits sont sans commune mesure avec les troubles du passé. L’espace partagé des logements étant l’élément manquant au quartier, les habitants ne veulent pas qu’il soit dégradé. Il fonctionne et vie bien. « C’est la base de la fabrication d’un projet de logement »1. Ainsi, l’espace partagé est l’essence même du logement. Mais ce type d’espace clos et fermé ne pousserait-il pas les individus à s’y cloisonner ? La sociabilité du quartier perd alors ses principaux acteurs comme l’illustre la déception des habitants quant au nouveau centre commercial dénué de pouvoir fédérateur. Ce constat semble annoncer un quartier où la sociabilité serait de plus en plus difficile car, les espaces ne s’y prêtant pas, les habitants optent pour ceux clos et sécurisés.

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1 Emmanuelle Colboc, Extrait d’entretien du 17 décembre 2013


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Partie 3: Enjeux, limites et alternatives

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I.

Les enjeux de cette nouvelle urbanité

La ville proposée aux temps des 4000 n’était pas adaptée et a subi de nombreuses transformations grâce à différents concours de 1981 à nos jours. Les enjeux de cette nouvelle urbanité étaient donc de rendre la ville aux habitants, les usagers, ceux qui vivent et font la ville. Ces concours visaient d’une part à reconnecter des ensembles isolés à la ville et ce par des opérations de remaniements des voies et des coutures urbaines. Cela implique un remaniement de la trame viaire, qui découpe de nouveaux espaces au sein de la cité : Certaines rues se prolongent ou sont coupées pour désenclaver le quartier. Le nouveau maillage découpe alors des ilots plus clairs. D’autre part, il s’agit de redéfinir une propriété en clarifiant le statut des espaces grâce à un découpage de l’espace public. Le premiers pas de cette opération vise à répartir les espaces non bâtis entre les organismes privés ou publics. C’est ce qu’il s’est passé en 2005, avec la séparation du patrimoine foncier entre Plaine Communes Habitat et l’OPHLM 93. Elle permet d’établir un droit de propriété et donc de répartir les responsabilités de gestion et d’entretien. Ainsi, les ilots dessinés par Paul Chemetov sont découpés foncièrement, attribuant une portion d’espace à l’immeuble de logements afin de l’inscrire dans le sol. Cette opération vise à délimiter les espaces libres et continus pour différencier la rue du jardin privatisé de l’immeuble et du jardin public. Le but de cette résidentialisation est donc de recréer un tissu urbain basé sur les rues et sur le système parcellaire. En donnant une portion de l’espace à l’immeuble et en recréant cette interaction entre le bâti et l’espace public, celui-ci se clarifie. Ce remaniement donne naissance à des ilots qui comprennent immeubles, parking et jardin. Cette démarche tend à définir les polarités dans le quartier et à les restructurer dans la ville. Le système parcellaire apporte ici une clarification de l’espace qui offre une meilleure lisibilité du quartier et une requalification architecturale qui améliore le confort des habitants. Les différents architectes en charge des projets cherchent à construire de nouvelles typologies dans la cité afin d’offrir une diversité architecturale comme l’illustrent ces différentes opérations. On retrouve alors de 104

nouvelles formes d’habitat : plot, maisons et immeubles collectifs. Les habitants ont alors le choix, s’en est


fini de l’architecture standardisée. Cette variété du paysage urbain permet de proposer une multitude de forme d’habitat. L’habitant n’a plus l’impression de vivre dans une « cage à lapin ». Dès lors les besoins de la ville ne sont plus les mêmes. Il n’y a plus autant de personnes à reloger. Les opérations de logements se différencient les une des autres, chaque habitant peut s’identifier à sa forme d’habitat, qui n’est pas la même que celle de son voisin. Ces nouvelles démarches influent donc sur les usages qu’on trouve dans le quartier, les usages préexistants qui disparaissent ou sont déplacés, et les nouveaux usages qui apparaissent et accompagnent les nouveaux programmes implantés. Ainsi, peut-on parler d’un modèle de renouvellement urbain qui prend en compte les espaces collectifs ?

II. Les nouvelles perceptives pour les espaces communs et publics dans le logement social Depuis le début des années 1990, l’articulation des espaces publics aux espaces privés est au coeur des interventions dans les grands ensembles. Un usage adéquat de l’espace public est un moteur pour une ville fonctionnelle et conviviale. De nouvelles opérations ont vu le jour, sous le nom de résidentialisation. De quoi s’agit-il exactement ? Quels types d’espaces sont alors créés ? Quelle relation existe-il entre ces espaces communs privés et les espaces publics ? Enfin, qu’en est-il de l’espace public ?

1.

La Résidentialisation

Les premières opérations de résidentialisation sont apparues au début des années 1990. Il s’agissait de sécuriser, d’embellir et de faciliter la gestion. A cette époque, l’Etat, incitait à la hiérarchisation et à l’affectation des espaces en fonction de leurs usages. 105


A.

Définition, émergence

La résidentialisation serait « l’action par laquelle on établit ou on retrouve une distinction claire et opératoire entre espace privé et espace public 1». L’idée est de donner des statuts juridiques clairs, public ou privé donc, aux espaces extérieurs, intégrant désormais leur maitrise foncière et en « procédant à des découpages parcellaires qui réorganisent la domanialité et établissent des espaces entre les immeubles et les espaces publics ou rues créés »2.Elle se traduit essentiellement par une sectorisation de l’espace, une redéfinition des statuts et des usages des espaces extérieurs ainsi que des modes de gestions. Ces quartiers sont donc recomposés en petites résidences qui ont un propriétaire, le bailleur. Ces unités résidentielles permettraient aux habitants de se sentir davantage chez eux, ils pourraient s’approprier l’espace qui leur est alloué. Il s’agit donc d’une recherche de l’appropriation des espaces collectifs privés par les résidents, permettant un contrôle social et un partage des règles collectives d’usage des espaces. La notion de règle apparaît comme centrale. Pour que la collectivité puissent jouir des qualités de l’espace proposé, il faut que celle-ci respecte certaines règles du vivre ensemble. L’objectif est de créer des poches de vie au sein d’un quartier. C’est une vie sociale pacifiée qui semble être le but ultime de l’opération. Selon Agnès Dollfus, la résidentialisation «traduit une démarche répondant au souci d’abolir ce qui distingue les grands ensembles d’habitat social du tissu urbain banal : fractionner de grands bâtiments en petites unités résidentielles, différencier les fonctions et les statuts des espaces et réaffirmer les limites entre le sol municipal à vocation d’espace collectif et le foncier privé à l’usage plus individuel d’une entrée, d’un immeuble ou d’une unité de voisinage 3». Ici, il est question de revenir à la ville traditionnelle. C’est un retour en arrière. Il y a donc un retour aux qualités premières de la ville. Philippe Panerai défend l’idée de « retrouver le jeu banal du tissu urbain 4». Mais c’est la capacité de la ville à évoluer et à créer un nouveau tissu urbain qui est ici le 1 Collectif, De la cité à la « résidence» : Repères pour la résidentialisation, Union sociale pour l’habitat (USH), avec l’aide du Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), janvier 2004, p3 2 MOLEY Christian, Les abords du chez-soi : en quête d’espaces intermédiaires, Editions de la Villette, 2006, p175 3 DOLLFUS Agnès, « De la barre à l’îlot résidentiel », dans Diagonal, n° 158, novembre-décembre 2002, p18

106

4 PANERAI Philippe, LANGE Julien, Le restructuration des grands ensembles, Etudes foncières, n° 88, automne 2000, p8


nouvel enjeu. C’est dans l’ouvrage, « De l’ilot à la barre », qu’il développe cette volonté : « construire la ville aujourd’hui pourrait signifier l’affirmation d’une volonté de retrouver, avec des formes peu être différentes, les qualités de la ville ancienne : la proximité, le mélange, l’imprévu. Un espace public accessible à tous, des activités qui se mêlent, un bâti qui s’adapte et se transforme, des voisinages non programmés »1. Il met donc en avant l’importance de proposer des formes différentes, dont ferait partie La résidentialisation. Cette nouvelle notion emerge aussi en réponse à des préoccupations sécuritaires. Les grands temps de la délinquance et du trafic en tout genre ont engendrés ce type de forme urbaine. Il faut délimiter les espaces privés pour que les usages y soient appropriés. La tranquillité et la sécurité sont ainsi les premiers motifs cités dans les opérations de renouvellement urbain. C’est un argument clefs dans le débat. La résidentialisation semble ainsi être le résultat de plusieurs facteurs : à la fois une montée de l’individualisme et des préoccupations sécuritaire mais aussi de la remise en valeur de la notion d’espace public et enfin du retour à la ville traditionnelle. B.

La mise en pratique de cette forme urbaine

Cette nouvelle typologie est celle rencontrée dans le nouveau quartier de la Tour pour qui Patrick Germe et Emmanuelle Colboc ont conçu deux types de résidentialisation. Ce type d’opération se repère en général par l’utilisation d’une clôture, ou d’un élément qui délimite de manière nette l’espace privé de l’espace public. Les immeubles sont enfermés entre eux. Selon leurs dispositions, et la morphologie de l’ilot, ils proposent différents espaces collectifs privés. Ce type de forme fait référence à la promotion privé, aussi bien sur le plan de l’image que sur le plan des espaces proposés qui permettent aux habitants de cette résidence de jouir de ses qualités. Cet espace n’appartient plus aux citadins mais il appartient à l’habitant de l’immeuble. Encore une fois, l’immeuble résidentialisé va dans le sens de la montée de l’individualisme, les habitants se replient entre eux. Il n’y pas plus de place pour l’imprévu et les nouvelles rencontres. 1

Philippe Panerai, Jean Castex, Jean-Charles Depaule, Formes Urbaines, de l’ilot à la barre, Parenthèses, 1997

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Aujourd’hui, dans le logement social, et notamment dans les rénovations urbaines de grand ensemble, l’espace partagé devient donc résidentialisé. Il répond au principe selon lequel chaque espace acquière un usage défini et où la propriété du sol revient alors à celui qui en a l’usage. Clarifier les fonctions des lieux et leurs usages permet de contribuer à la réduction des conflits d’usage et des usages à fortes nuisances. Le nouvel espace partagé privé Le type d’espace créé est un espace résidentiel de proximité, privé ou d’usage privé, propriété du bailleur et approprié par les résidents eux-mêmes décomposables en espaces « uni-familiaux » correspondant à un seul logement (jardin en RDC). Il est alors non bâti, il correspond en général à un espace vert ou de jeux. Il permet aux résidents de se retrouver, de jouer… Ces jardins sont souvent situés en cœur d’ilot. C’est sans doute préférable car une situation sur rue rendrait visible un espace inaccessible aux autres, en quelque sorte excluant. De plus, ce jardin est très sécurisant pour les parents car les enfants peuvent y jouer en toute liberté. Ces espaces sont traités de manières à ce que les habitants puissent y rester longtemps, sans avoir l’envie d’aller voir ailleurs. Par ailleurs, ils peuvent aussi être situés entre les différents bâtiments qui composent l’ilot à l’image de l’opération de Germe. Ils sont bordés par une clôture qui laisse place au regard des autres. Ces espaces visibles peuvent donc être convoités par des tiers comme c’est le cas à la Courneuve où des non résidents profitent de ces lieux, créant ainsi des litiges au sein de cet espace partagé privé. Ce nouvel espace représente l’espace commun dans le logement social des grands ensembles. Désormais, les habitants ne restent plus devant les barres ou près du centre commercial mais dans cet espace. Cette reconquête de l’espace collectif privé à tendance à laisser pour compte l’espace public. Or, cet espace est moteur de convivialité et de rencontres. A la vue des ces transformations urbaines et à l’apparition de cette nouvelle forme d’habitat, qu’en est-il de l’espace public dans ces quartiers rénovés ?

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2. Les espaces publics aujourd’hui dans les grands ensembles d’habitation Ces grandes rénovations urbaines ont rendu la ville fonctionnelle. L’espace est d’avantage lisible et l’usager se repère plus facilement. Mais ce type de projet n’apporte pas en général de nouveaux projets d’équipements ou de nouvelle fonction à la ville. Hormis de nouvelles formes d’habitat, ces opérations n’entrainent pas d’activité locale comme des commerces de proximités, des ateliers, bien qu’on puisse imaginer le faire. Ainsi, elle tend à restructurer des pôles actifs en leur donnant une forme, un statut public dans la ville sans forcément les renforcer. On réalise alors que le maillage apporte une certaine fonctionnalité à la ville mais n’apporte pas plus d’urbanité. Ces opérations rendent la ville fonctionnelle sans se soucier de son fond. Selon Jade Tabet, cette logique sécuritaire « reproduit la logique nivelante de fonctionnalisme le plus dur ». En effet, chaque espace a alors une fonction distincte. Il y a donc une négation de la notion de plaisir et de surprise. Cette distinction est pour lui une « négation de l’urbanité ». La ville organisée en pôle laisse peu de place à la notion de flânerie ou de rêve. L’espace public perd de son intérêt. Il ne fait plus parti de ces pôles attractifs ou fédérateur. De plus, la résidentialisation transforme l’espace public en résidu. Cet espace devient le reste de l’autre. Il n’est plus considéré comme un espace à part entière mais seulement comme un délaissé. La résidentialisation rimait souvent avec amélioration de la gestion urbaine, une attente de changement de comportement des habitants et de sécurisation. On observe aujourd’hui une tendance à faire de l’espace public un résidu, un obstacle à l’appropriation. Toujours selon Jade Tabet, l’espace public apparait comme « un résidu du découpage de l’ensemble des unités autonomes »1. L’accent est mis sur « la délimitation des espaces privés», le découpage d’espaces protégeant l’immeuble. Mais l’espace public devient un résidu car l’espace commun privé concentre alors presque toutes les 1 JABET Jade, La résidentialisation du logement social à Paris : paradoxes et retournement des discours et des pratiques dans les opérations de requalification des grands ensembles , dans Les annales de la recherche urbaine, n° 83-84, septembre 1999, « Au risque des espaces publics », p159

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fonctions, entraintant une redondance entre les deux. Les espaces partagés au sein des ilots résidentialisés sont multifonctionnels. La fonction majeur de l’espace public se retrouve enfermé dans un espace partagé mais privé et dont l’accès est limité aux seuls habitants. Comment peut-on revaloriser un espace alors que toutes ses fonctions sont réaménagées et réutilisées par un autre ? Quelle plus-value possède-t-il ? Ces deux espaces apparaissent comme complémentaires. Chaque catégorie d’espace doit être le support d’usages appropriés, l’intimité et les relations de voisinages pour l’espaces privé, la fréquentation collective, le côtoiement, les jeux pour l’espace public. Rien ne sert de prévoir de multiples espaces de jeux ou d’espace vert alors que l’espace public en est déjà doté. Les deux espaces se font concurrence alors qu’ils n’ont pas la même vocation, la même nature. Le fait de surcharger un espace partagé par des jeux pourrait le rendre trop attractif. En effet, des enfants qui n’auraient pas la chance d’avoir ce genre d’équipements pourraient s’introduire dans la résidence d’où la nécessité de les rendre à l’espace public pour qu’ils soient profitables à tous. Ces espaces de jeux constituent un levier important pour favoriser l’animation dans l’espace public. D’autres espaces peuvent être aménagés pour satisfaire différentes tranches d’âges. Un équilibre est donc à trouver, car si l’espace privé est trop vaste, attractif et visible depuis la rue, il desservira l’espace public et suscitera des usages publics. On observe donc une forte réduction d’espace public au profil d’espace privé. Cet espace public ne trouve plus sa place autant qu’avant. Il est moins convoité. Quels espaces prévoir pour les usages publics ? L’un des principes de bases est de redonner un caractère urbain à la voirie. La voiture prend une place tellement considérable aujourd’hui que la rue en pâtit. Il faudrait augmenter la largeur des trottoirs mais diminuer celle de la chaussé. L’homme doit rependre place dans le quartier. C’est en partie la rue qui lui permet de sociabiliser, d’observer, d’être vu et elle ne devrait pas avoir pour seule fonction de permettre la circulation. Or, c’est aujourd’hui le cas. Les rues sont réduites à leurs fonctions circulatoires. 110

Les opérations de résidentialisations ayant pour objectif de réduire au maximum l’espace public pour éviter


que les jeunes se l’approprient, il vient à manquer. Dans ce type d’opération la rue perd de son intérêt et sert simplement à relier des espaces , sans aucune notion de découverte. Les éléments attractifs se retrouvent en cœur d’ilot. Ainsi, de nouveaux parcours adaptés aux usages existants sont à penser. Ils doivent être en corrélation avec les flux de piétons. L’idée est de leur faciliter leur trajectoire tout en les ponctuant d’espaces de vie qui ne peuvent pas faire partie du domaine privé. Cela engendrerait des détournements, des parcours illogiques, des pertes de temps. Aujourd’hui, l’espace public et l’espace privé ont autant d’importance car ils sont destinés aux mêmes usages. Pour que l’espace public retrouve de son intérêt au vu de son rival, il doit être suffisamment important. Aux 4000 de la Courneuve, l’espace privé est très imposant. Il ponctue le paysage urbain. Les clôtures le délimitant donnent au quartier une allure carcérale. La manière dont l’espace privé est conçu conditionne l’espace public. Il faut également veiller à ne pas enfermer l’espace public en cœur d’ilot car il risque d’être cerné par l’espace résiduel, souvent clôturé, donc d’être complément enclavé et considéré comme un espace privé. Il doit retrouver une place au sein de ce nouveau maillage. La place Houdredot me semble être bon exemple de ce quoi être l’espace public aujourd’hui au sein du grand ensemble car elle rassemble et irrigue le quartier. Elle est ouverte sur la ville et sur les nouvelles voies créées. L’espace public va sans doute manquer. Ainsi, les derniers espaces de rencontres seront appropriés par tous. Si aucun espace n’est prévu pour les jeunes, on risque fort de rencontrer des résistances, des dégradations car les nouveaux espaces peuvent être identifiés comme des lieux à usages qui ne sont pas pour eux. Cet espace doit être valorisé pour permettre une meilleure structuration et l’irrigation du quartier. La logique sécuritaire entraine une dégradation de la rue et la rue se limite alors à sa fonction circulatoire. Elle devient un résidu du découpage. Les rues deviennent bricolées, ajustées et ne reprennent pas les flux majoritaires et existants. On ne peut pas imposer des parcours dénués de sens pour les habitants. Ces rues doivent être un moyen (se déplacer) mais aussi une fin (un parcours, une promenade). Cette logique conduit à créer des rues sans vie. L’espace public est donc nié, mis à l’écart. L’espace privé est plus facile à gérer car il rassemble moins de personnes. Les villes délaissent donc l’espace public au profit de l’espace privé partagé. 111


Cette logique sécuritaire, la résidentialisation, peut mettre en péril les usages publics qui se retrouvent alors dans l’espace partagé privé. L’espace public perd alors de son intérêt au sein du quartier. Comment faire pour éviter ce glissement ? Allons-nous vers des quartiers dénués d’espaces publics ? Quelles solutions peuventelles être envisagées ? Faut-il regrouper les différentes activités dans des espaces strictement publics, prévoir des équipements ouverts à tous ?

III. Alternatives Ce glissement d’usage nous amène à réfléchir et à proposer des alternatives. Comment rendre à l’espace public son attractivité dans les opérations de rénovations urbaines ? Il s’agit, ici, de tirer de nouvelles pistes de réflexions sur le renouvellement de l’espace public dans les grands ensembles de logements.

1.

La participation

La participation des habitants tant à la conception qu’à la construction des espaces publics du grand ensemble de logement favorise-t-elle son appropriation? Et ce dans le but de recréer une « spontanéité vitale 1» au sein des espaces public. A.

Définition, Émergence

Ce mouvement remet en question le processus de création architecturale et les outils de conception de la ville. Lucien Kroll est l’un des premiers architectes à utiliser la notion d’appropriation dans ses projets. Elle apparait à la fin des années soixante avec les Ateliers publics d’urbanisme dont le but était d’associer dans les travaux d’aménagements habitants, techniciens et administrateurs. Lucien Kroll remet en question la radicalité des grands ensembles de logements et l’inadéquation de cette architecture avec ses habitants: «Je n’ai jamais cru à la production de maisons comme des automobiles : cela n’a jamais réussi; ce n’est pas 112

1

Lefebvre Henri, du rural à l’urbain, proposition pour un nouvel urbanisme, p188, 2001


le même objet ni les mêmes responsabilités »1. C’est ainsi qu’il va intégrer l’expérience des habitants pour la conception du projet. C’est derniers sont alors actifs. L’architecte leur donne la parole tout en gardant sa plume pour la création architecturale pure. D’autres suivront cette démarche, tel que Herman Hertzberger, un architecte Hollandais qui va considérer l’usager comme un pilier central dans le processus de conception et le placera au cœur du projet. Selon lui, c’est le fond qui doit être amélioré et ce, avec la participation de ce qui vont vivre le projet, les habitants. Il porte un grand intérêt à l’architecture au service de la vie de tous les jours et critique vivement l’architecture contemporaine qui n’existe que pour la forme et prend le parti de construire pour l’espace plus que pour l’objet. Pour cela il décide d’adopter une démarche participative en consultant les futurs usagers. Ce mouvement soulève la question de la place de l’usager ou de l’habitant dans la mise en place d’un projet. Ainsi Henri Lefebvre oppose deux modalités de créations de projets : « l’être humain crée selon deux modalités distinctes : l’une spontanée, naturelle, aveugle, inconsciente, l’autre de façon intentionnelle, réfléchie, rationnelle. Le problème aujourd’hui, c’est de permettre au second mode de création de rattraper le premier et de le dépasser 2». La participation des habitants est une action, une démarche volontaire, un travail. B.

Enjeux

La participation peut être envisagée à deux étapes : celle de la conception et celle de la construction. Dans le premier cas, les habitants participent au projet en amont. Ils donnent leur idées, leur ressentis. Ils collaborent avec l’architecte. Les idées des usagers sont prises en compte par l’architecte/urbaniste pour que l’espace crée correspondent leur plus possible à leur attentes. Le but est d’impliquer les futurs usagers pour qu’ils se sentent concernés et leur faire prendre conscience de l’importance du rôle qu’ils jouent dans l’élaboration du projet. Le but est alors d’interroger les personnes concernées sur l’usage qu’elles font de cet espace 1 KROLL Lucien, 8 octobre 1987, Conférence « A propos des sans-abris » Organisée par l’lncorporated Association of Architects and Surveyors Londres, Kensington Town Hall 2 Lefebvre Henri, du rural à l’urbain, proposition pour un nouvel urbanisme p18, 2001

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et la manière dont elles conçoivent l’espace public aujourd’hui. Ainsi, l’architecte pense premièrement au fond et seulement après à la forme. A ce propos, Patrick Bouchain écrit : « Puisqu’on ne cesse de parler de développement économique et d’intégration sociale ou culturelle, la première des choses est de regarder qui, dans la proximité de ce qui va être construit, est capable de réaliser cet ouvrage : un habitant, un artisan, une entreprise qui pourrait être acteur, avec d’autres, de la transformation de son environnement. Ensuite, il faut repérer qui, aux alentours, se servira de cet ouvrage, s’en occupera. (…) Si l’architecture était envisagée comme cela, on se poserait peut-être moins la question de forme et plus la question de fond, et il y aurait davantage d’enchantement dans les choses produites, qu’il s’agisse de logement social, d’espace de travail ou d’espace public, car c’est le fond qui, une fois posé, fait la forme, qui est elle-même l’expression du groupe qui a été constitué pour réaliser cet ouvrage.1 » Dans le deuxième cas, les habitants participent au projet mais dans sa réalisation. Ils construisent, aux cotés de spécialistes, leurs futurs espaces. L’architecte livre un projet facilement modifiable qui permet au futur usager de le transformer, de changer son usage. Patrick Bouchain écrit à ce propos: « Laisser l’architecture ouverte pour que quelqu’un qui s’en sert prenne sa place et la transforme est une manière de faire participer l’usager à la transformation de l’œuvre et de lui permettre par ce travail d’en faire une critique positive »2. La notion de temporalité est donc omniprésente. Le projet va évoluer au fil des années, des époques et des usagers. Il pourra être modifié, adapté, ajusté. Les architectes ont alors besoin de la parole des habitants, ces entretiens deviennent un savoir essentiel dans la conception du projet. Les habitants peuvent d’une part s’exprimer sur leurs usages, leurs habitudes, mais d’autre part ils peuvent aussi proposer des idées en fonction de leurs besoins. Il y donc deux types de participation. Cette notion permet de renforcer le rôle de chacun pour que chacun y trouve sa place. L’usager porte alors une double casquette : Il devient acteur du projet dans le processus de conception/construction mais aussi par l’usage qu’il en fera. On parle donc d’appropriation par l’action, le projet étant le fruit de la participation. L’habitant créé des affinités, des liens avec ce qu’il a pensé et construit. Ils donnent d’eux-mêmes. Cette participation permettrait 114

1 Patrick Bouchain, Construire autrement, comment faire ? L’impensé, actes sud, 2006, p27-28 2 P. Bouchain, op cit, p65


donc une revalorisation des populations puisque l’habitant est alors valorisé, mis en avant. De plus, elle entraine inéluctablement une attache identitaire, une certaine affection. Il me semble qu’un espace, une réalisation ne sera pas ou peu dégradé, s’il a été pensé au préalable par les usagers. Tout comme on ne dégrade pas son propre logement, on ne dégrade pas « son espace public » qui devient personnalisé. L’habitant peut s’y retrouver. Patrick Bouchain écrit à ce propos : « Laisser l’architecture ouverte pour que quelqu’un qui s’en sert prenne sa place et la transforme est une manière de faire participer l’usager à la transformation de l’œuvre et de lui permettre, par ce travail, d’en faire une critique positive 1» La participation serait alors un moyen pour recréer un espace public attractif. Celui-ci serait plus facilement appropriable et respectable. Par le biais de quel type de projet la participation se traduit-elle ?

2.

Réalisations

A.

Intentions

« N’est-il pas possible en étudiant comparativement ces ensembles, de décrire, les fonctions, de les classer, de les hiérarchiser, tout en cherchant à atteindre par ce bais ce qui a disparu momentanément, la spontanéité vitale »2. C’est dans cette démarche que s’inscrit l’intervention locale. Nous allons voir en quoi elle apporte une réponse aux maux de l’espace public, collectif, dans les grands ensembles de logements aujourd’hui. La parole donnée aux habitants et mon observation personnelle rendent compte du manque d’attractivité de l’espace public. On l’a vu, l’espace privé partagé regroupe de nouvelles activités. Il devient fédérateur au même titre que l’espace public l’était. Nous étudierons donc des projets de petite échelle. Il s’agit de renforcer la vie locale pour faire émerger une nouvelle attractivité et ainsi intensifier la collectivité qui en émerge. Comme le dit Patrick Bouchain : « Il faut expérimenter l’architecture, le projet n’est qu’une hypothèse. C’est 1 Patrick Bouchain, Construire autrement, comment faire ? L’impensé, actes sud, 2006, p81 2 Lefebvre Henri, du rural à l’urbain, proposition pour un nouvel urbanisme, p188)

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Espace collectif Source: http://www.leslaboratoires.org/projet/la-semeuse/la-semeuse

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Bruit de Frigo Source: http://www.bruitdufrigo.com/


par la mise à l’épreuve de cette hypothèse que naîtra l’expression de la vie dans l’architecture»1. C’est donc une démarche qui place l’habitant au cœur du projet qui devient un acteur principal de la vie de quartier. B.

La transformation de l’espace public

Ce processus vise à sensibiliser les habitants aux particularités et à l’évolution de leur environnement afin de solliciter leur connaissance et leur savoir faire pour participer à son renouvellement. Il existe plusieurs types d’interventions mais la démarche est similaire. C’est avant tout une œuvre collective singulière. Le quartier devient l’expression de la convivialité, de nouveaux types d’espaces apparaissent et appellent à la rencontre. Le but est de révéler les qualités de l’espace public et d’en apporter de nouvelles. C’est donc autour d’une relation architecte/habitant que l’œuvre voit le jour. L’espace libre ou vide devient un terrain d’expérimentation afin de lui donner de nouveaux usages afin de susciter un nouvel intérêt pour l’habitant. Il existe différentes approches quant à ces réalisations. L’une est davantage paysagère et vise à animer des vides urbains, l’autre est plutôt de l’ordre de la réalisation, mettant la productivité de l’espace au cœur de la collectivité. Ces interventions urbaines sont initiées par des associations telles que les laboratoires d’Aubervilliers, « la Semeuse ». Ce collectif initie une réflexion autour de la place du vivant dans nos sociétés contemporaines. C’est un projet organique fédérateur de liens entre l’Homme et son espace pour imaginer ensemble un avenir plus durable dans le contexte de développement de la ville. Un autre collectif, « Bruit de Frigo » s’interroge sur l’amélioration du cadre de vie des habitants. La ville de Dax, associée à l’Office Publique de l’habitat, a lancé la réhabilitation du quartier Cuyés. Tout deux ont missionné le collectif pour travailler avec les habitants sur la requalification des espaces publics. Le Cabanon Cuyés est une petite architecture temporaire construite au cœur du quartier. Ce dispositif d’activation et de prospective urbaine est un lieu de rendez-vous qu’ils ont imaginé puis construit pour rencontrer et mener des ateliers avec les habitants. Durant 5 jours, autour d’un feu de bois, les habitants de Cuyés sont venus échanger, partager leurs idées, leurs envies pour améliorer le cadre de vie de leur quartier. 1 Patrick Bouchain, Construire ensemble le grand ensemble, Habiter autrement , p 3

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Ce travail de collecte de paroles, et d’idées a pour objectif de nourrir l’étude urbaine de L’Agence Traverses. Cette démarche vise à reconsidérer les espaces libres et laissés à l’abandon et à y répondre par des actes spontanés et évolutifs. Il s’agit de révéler une faiblesse locale, de reconsidérer son potentiel et de répondre aux attentes des usagers, avec eux. Ainsi, ces interventions localisées constituent de nouveaux pôles d’attractivité. Ils redynamisent le quartier et donne un nouveau souffle à l’échange et à la rencontre. Ils permettent de créer de l’enchantement, de la surprise, du renouveau. C’est l’idée de flânerie et de promenade qui pourra alors s’installer dans un quartier assez hermétique et stérile. Ces nouveaux pôles d’attractivité et de convivialité permettent de restructurer le quartier et de recréer du lien social au sein de l’espace public. L’objectif est de laisser la singularité et la subjectivité produire leurs effets.

3.

Limites

La participation rassemble plusieurs types d’interlocuteurs. La gestion et l’organisation sont donc très compliquées à mettre en œuvre rapidement. Cette nouvelle approche demande beaucoup de patience pour les organisateurs et les décideurs. Ce procédé, qui nécessite donc beaucoup de temps, pourrait difficilement être mis en place à une plus grande échelle. Cette démarche met en avant le problème du caractère évolutif des interventions. Il y a une très forte implication et identification des habitants. L’œuvre créée est très personnalisée. La question de l’adaptation pour les générations suivantes est donc problématique. Comment faire en sorte que ces interventions soient appropriables par tous et notamment par les nouveaux habitants qui n’ont pas participé au projet ? De plus, ces interventions sont de l’ordre de la micro-échelle. Elles sont très localisées et participent à redonner de la vie mais dans un secteur précis. Elles n’irriguent pas l’ensemble du quartier mais résolvent un problème local, sans pour autant répondre aux situations environnantes. L’impact est donc minime. Ces projets sont trop isolés et peinent à dialoguer avec leur contexte. Ces micros interventions sont souvent de l’ordre de l’éphémère, du furtif. Elles présentent un coté périssable assez gênant. Les habitants savent 118

qu’elles vont disparaitre rapidement et ne prennent donc pas assez le temps de s’invertir.


La résidensialisation permet une lecture plus lisible du quartier. Désormais, l’habitant possède une adresse qui correspond à une rue. C’est un véritable changement qui engendre des usages appropriés en fonction du type d’espace mais cette logique de sectorisation délaisse les qualités de l’espace public. La vie collective au sein de cet espace, est alors altérée. C’est donc en plaçant l’habitant au cœur des projets que l’espace public pourra retrouver de sa spontanéité et attractivité. Seulement, ce type d’intervention présente des limites.

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120


CONCLUSION

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Cette étude m’a permis de montrer comment la morphologie de l’espace influence, sans la déterminer, la qualité de la vie collective. La morphologie du grand ensemble n’était pas adaptée aux usages des habitants. Ces derniers s’appropriaient alors les moindres espaces libres, délaissés ou vides. C’est pourquoi une nouvelle génération de chercheurs s’interrogent sur la reconquête du sol. C’est une méthode de fabrication de la ville par une planification en plan masse. Ainsi, un nouveau maillage voit le jour qui permet une meilleure lisibilité de l’espace. Les statuts des espaces sont redéfinis, entraînant des nouveaux usages ou des usages existants mais déplacés. Mais ces interventions de résidentialisation présentent des limites. Elles n’apportent pas plus de qualité en terme d’urbanité. La qualité de la vie collective se dégrade voire disparait au sein des espaces publics et perd alors toute attractivité. On cherche donc à la renouveler grâce à des micros opérations, mais ces interventions très localisées sont souvent sources de conflits entre les habitants. Néanmoins, c’est une démarche qui place l’habitant au cœur des initiatives, lui offrant des projets à son échelle, lui permettant de répondre à son quotidien, ses habitudes. L’espace est donc conçu par la collectivité qui l’occupe à l’aide de spécialistes. Cette étude n’a pas pour but d’apporter une réponse aux 4000 de la Courneuve mais de poser les enjeux de l’intervention sur la morphologie des espaces collectifs. Ces espaces sont des lieux de rencontre et de lien social. C’est par l’usage que l’on en fait que la ville prend vie, d’où la nécessité de permettre aux habitants de participer pour réaffirmer et revitaliser ces espaces. Cette approche comparative dans le temps de l’espace collectif (privé ou public) affirme la capacité de la ville à se retourner sur elle-même. Ce laboratoire d’analyse urbaine rend compte de l’importance d’une architecture qui ne se referme pas à ses besoins du moment, mais qui vise à prendre en compte l’évolution de la société. Il démontre la nécessité de la prise en compte des savoirs, des habitudes, des usages et des paroles des habitants dans la conception d’un projet urbain ou architectural. Le projet pour le projet a-t-il un 122

sens si l’on ne prend pas en compte la dimension sociale et culturelle ?


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ANNEXES

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Emmanuelle Colboc ENTRETIEN complet A:Pouvez vous me parler du projet ? EM: Le client, la FIAC (le Foyer des Invalides des Anciens Combattants), n’avait pas construit récemment beaucoup de bâtiments quand il a fait ce projet et avait quelques inquiétudes d’aller à la Courneuve. Face à ces inquiétudes, la principale demande qui m’a été faite était de résidentialiser l’ensemble des 85 logements. Il m’a donc été imposé de créer une seule entrée à coté de la loge du gardien à partir de laquelle on pouvait desservir l’ensemble des logements (ainsi le client avait l’impression de surveiller mieux son patrimoine). Je n’ai pas considéré cette volonté comme une contrainte mais comme une donnée. J’ai essayé de retourner cet argument un peu négatif à la positive en me disant que j’avais ici l’occasion de dire que je rentre chez moi par un jardin. Cette demande m’a vraiment intéressé car elle m’a donné l’opportunité de desservir à partir, comme je viens de le dire, d’un jardin et donc d’offrir un mode de desserte de ces logements qui pouvait être très différent selon l’endroit ou l’on habite (d’un coté ou d’un autre de la rue). Je vais commencer par bien vous expliquer le projet avant de rentrer dans le vif du sujet : ( elle me montre les plans ). La première chose à aborder est la parcelle : ce projet s’implante dans une parcelle triangulaire qui est bordée par des rues extrêmement différentes dans leur angularité. Il nous a été demandé de faire l’entrée principale des logements sur la nouvelle rue, axe principal entre la place traversante et la rue Chenay. A: Vous aviez des directives, vous ne pouviez pas choisir ? EM: On nous a conseillé de les faire de ce coté la. Ils voulaient que l’on construise en équerre le long de cette rue principale et en face du centre culturel. Quand j’ai vu l’ensemble des trois rues j’ai préféré plutôt insister sur les différentes ambiances de ces rues et les accompagner. En faisant rentrer tout le monde par le même endroit, comme nous avons des silhouettes très différentes, il y a aussi évidement des typologies de logements différentes. Chemetov voulait vraiment que la rue plein nord soit la rue principale, chose pour laquelle je n’étais pas d’accord car mettre des logements plein nord n’est pas conseillé . J’ai préféré faire des silhouettes de plots de façon à fermer les façades sur la rue en créant des creux qui mont permis de créer des duplex qui ouvrent vers l’ouest.

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Chaque plot contient 5 logements avec une partie commune qui appartient à ces derniers. Cette partie commune est composée de plusieurs seuils ; On est dans la rue, puis on rentre à la porte d’entrée, qui est une première séquence. Il y a ensuite les venelles qui vont chacune dans différentes directions et pour finir, la limite de la partie commune qui appartient aux 5 logements.


Les façons de rentrer chez soit sont donc toutes différentes et l’ambiance des halls diffère par rapport au nombre de logements : Ces seuils successifs font le projet . Faire rentrer tous les logements par l’intérieur de l’ilot m’a permis de construire au dessus du niveau du rez – de – chaussée de façon à éviter les plein - pieds avec la rue. Au niveau des flat et des duplex, l’accès est individualisé.

A:Donc en réalité, toute cette parcelle ne s’aborde que par un accès ? EM: Oui mais j’ai proposé aussi un autre accès qui est le grand porche existant (j’ai imposé au client de garder cette porte) qui aujourd’hui n’est pas équipé d’un digicode mais qui je suis sure, dans l’évolution de la ville, deviendra un passage important. En effet, son emplacement me paraît stratégique car il est directement branché à la place traversante et proche du métro. A: Chaque plot est individualisé ? EM: Oui, tout est fait pour individualiser le plus possible. C’est un dispositif qui marche vraiment bien : la ville se densifie, on peut dire que la société se durcit aussi donc ce que j’aime beaucoup dans ce dispositif c’est que, par exemple, j’arrive avec mes enfants en leur tenant la main dans la rue mais une fois que j’ai franchi la grille ils peuvent aller ou ils veulent, rejoindre leurs amis … Il y a une convivialité qui peut se réinstaller car tous les gens qui habitent à cet endroit l’assimile à un « chez eux » qui permet de créer une certaine cohésion sociale. Il y a une identification au lieu qu’on peut assimiler à un grand village, un « hameau ». C’est ce travail la qui est passionnant. A: Avez vous des retours des habitants, des élus par rapport au projet ? EM: C’est un projet qui a été très bien reçu par tout le monde, il y a d’ailleurs un élu qui habite dans un de ces logements qui est très content, ils sont tous très favorables à cette opération de manière générale. A: Et quels sont les retours par rapport au fonctionnement de l’ensemble ? EM: Chaque endroit est habité comme nous l’avions imaginé, les endroits pour les enfants, un autre plus pour les personnes agées, les espaces pour faire du sport … Nous avons vraiment fait en sorte de recréer une convivialité grâce aux parties partagées. Tout est fait pour qu’il y ai une capacité à la fois à être bien chez soi mais aussi bien dans les espaces semis publics. Nous pouvons donc aborder ici la limite parfois difficile à établir entre le public et le privé … Oui, cette question est très importante, c’est d’ailleurs pourquoi je parle ici d’espace semi-public. Nous ne sommes pas chez nous, mais pas encore totalement dans la rue. C’est selon moi, la possibilité de créer ces lieux la, lieux intermédiaires, qui me paraît très intéressante dans

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les logements L’histoire de la reconstruction avait un peu oublié la question de l’évolution de rythmes entre l’espace le plus public et l’espace le plus privé, c’était assez brutal. Il existe différentes façons de travailler sur ce thème. Par exemple, il pourrait parfaitement y avoir l’installation d’immeuble à tour dans la place traversante qui est pourtant un très grand espace public, très affirmé. Cela marcherait extrêmement bien car la typologie de la tour fait une relation très forte entre la verticalité justement de la tour et l’horizontalité de l’espace public. On peut dire que le thème majeur de notre génération est alors la reconquête du sol par rapport aux grands ensembles. Bien que nous puissions pas toujours tout décontextualiser, si vous n’étiez pas aux 4000, auriez vous autant fermé, clôturé, ou auriez vous fait différemment dans un idéal ? La question de résidentialiser était une question de base, donc je ne sais pas si je résidentialiserais autant pour d’autres projets. Mais ce que je sais, c’est que je trouve que si nous avons le potentiel de construire des logements dans une parcelle un peu grande dans laquelle on peut dégager un espace qui appartient à tout le monde, j’ai vraiment envie de le faire. C’est un moyen indéniable de pouvoir donner de la convivialité entre les gens. A: A partir de quel moment sent on qu’un espace se privatise ? EM: Si vous redonnez de la convivialité vous tirez à la positive l’espace partagé. Si vous faites en sorte que chacun rentre chez soi et ne croise jamais personne dans l’habitat collectif, premièrement ce n’est pas possible car il y a au minimum un ascenseur pour tout le monde, un hall, et deuxièmement cela va a l’encontre d’un « vivre ensemble» Souvent, plus les projets de logements sont denses plus le rapport entre une verticale et une horizontale est violent ( c’est un peu différent pour la tour ) : il n’y a alors aucune « tendresse » aucun « moment partagé » . L’idée de notre génération est de faire une synthèse de ce qui a déjà été fait, d’en tirer des conclusions et de fabriquer à partir de tout ca. Par exemple, quand vous vous promenez dans un village n’importe où en France, vous vous sentez bien dans la rue, il y existe une ambiance, vous y voyez une maison de trois logements et une autre différente ; c’est toute cette mixité d’habiter qui me semble intéressante à revoir et traiter. C’est la base de la fabrication d’un projet de logements : vous ne pouvez pas réfléchir à un projet de logements sans réfléchir fondamentalement à ca. Notre but en tant qu’architecte est de faire en sorte que les gens se sentent bien dans leur habitat.

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Ahmed Bouzouaid ENTRETIEN complet sociologue urbaniste, président de muse D territoires La pépinière d’entreprise dans laquelle travaille Ahmed est située entre les nouveaux logements rue Renoir et la tour. Il y a une place, avec des places de stationnements et des commerces. Nous avons fait une visite du quartier. A : Parlez-moi de cet espace AB : C’est un espace qui vit plutôt bien. C’est une place qui prend vie, après la sortie d’école. Il y a tous types de personnes, les vieux, les groupes de mamans qui se regroupent, les jeunes. Malheureusement l’été c’est une place qui est rythmée par les rodéos. Mais en tout les cas, il y a du mouvement. C’est un cœur qui fait le lien entre des axes importants : l’axe qui mène au stade de France, le tram au niveau des six routes, le RER de la Courneuve. Il y a aussi la médiathèque qui vient d’être livré récemment et qui marche très bien. A : Que pensez-vous de cet espace de parking au plein milieu ? AB : Ce parking fonctionne bien. N’oublions pas que nous sommes en banlieue, ici si tu n’es pas véhiculé, tu es mort. Ici, tout le monde a une voiture. Nous passons entre le mail de Fontenay et la pépinière d’entreprise. AB : un espace perdu, c’est celui la. On ne sait pas vraiment ce que c’est, c’est désagréable. Mais aujourd’hui ca va beaucoup mieux. Auparavant, il y avait une haie entre la barre et cet espace public. Mais ils l’ont rasé, car elle cachait les dealeurs. Il essaye au maximum de d’éviter les espaces cachés, confinés. Cet aménagement générait trop de disfonctionnement. Des la haie coupée, l’espace respire. On voit de l’autre côté. Malgré ça, cet espace est perdu. Il est indéfini. On se rend alors compte du vide de cet espace. C’est un délaissé, un air de rien. Personne ne s’y arrête, les deux jeux pour enfant sont laissé à l’abandon. En continuant la promenade : AB : les voitures se garent sur le trottoir. C’est bondé. C’est un dysfonctionnement, mais il n’y a pas assez de place. Les gens n’ont pas de scrupule pour se garer sur le trottoir. Si ce n’est pas de l’appropriation ça ! Nous sommes devant les nouveaux logements de Patrick Germe AB : c’est un ilot résidentialisation. C’est bien intégré au tissu urbain. Pour l’instant ca marche bien. Mon questionnement se porte sur l’après, sur la gestion de ces espaces. Le nouveau centre commercial fonctionne très bien. Il est visible. C’est un point de repère. C’est un marqueur dans la ville.

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LOGEMENTS COLBOC

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LOGEMENTS GERME

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