Jonas Dahlberg-Hall of Mirrors

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JONAS DAHLBERG hall of mirrors ĂŠditions Archizoom



JONAS DAHLBERG hall of mirrors éditions Archizoom

Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition Hall of Mirrors de l’artiste Jonas Dahlberg, présentée du 20 février au 23 mars 2013 à Archizoom, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. Published in conjunction with Hall of Mirrors, an exhibition by artist Jonas Dahlberg, showing 20 February to 23 March 2013, Archizoom gallery, Ecole Polythechnique Fédérale de Lausanne.


Exposition / Exhibition Direction Archizoom / director Cyril Veillon Comité Archizoom / board Harry Gugger, Dieter Dietz, Jeffrey Huang, Inès Lamunière, Yves Weinand - professeurs EPFL Conception / creation Jonas Dahlberg Administration et coordination d’événements / administration and events coordinator Pascale Luck Logistique et production / logistic and production Jean-Robert Gros Technique audiovisuelle / audiovisual equipment EIDOTECH Berlin, Radek Pater, Alicja Adamczyk, Christian Moeltner Montage / setting up of display Antoine Amphoux, Adrien Cochard, Julien Ngao, Jade Rudler, Pauline Seigmeur, Olivier Terni, Lauréline Zeender - étudiants EPFL

Publication Editeur / editor Cyril Veillon Conception graphique / graphic design Atelier Poisson Rédaction et coordination / editing and coordination Aurélie Buisson Textes / texts Marie Theres Stauffer, Caroline Dionne Photographies / photographs ©Jonas Dahlberg ; ©David Quattrocchi (pp. 6, 7, 8) L’art du baroque : architecture, sculpture, peinture, ed. par Rolf Toman, Cologne : Konemann, cop. 1998. (p. 36) Traductions / translations Isabelle D. Taudière (GB-F), Jill Denton (D-GB), Stefan Kristensen (D-F) Photolitho Scan graphic, Nyon Impression et reliure / printing and binding Presses Centrales, Lausanne Publié par / published by Archizoom, EPFL, Faculté ENAC, Lausanne, Switzerland http://archizoom.epfl.ch ©2013, Archizoom EPFL, Jonas Dahlberg, photographers, designers, authors. All rights reserved. Printed in Switzerland / Imprimé en Suisse ISBN : 978-2-8399-1198-6


AVANT-PROPOS / Cyril Veillon, directeur, Archizoom Architecture, cinéma, mouvement, scénographie. Un fil conducteur ? L’espace. Ayant étudié l’architecture avant de devenir artiste, Jonas Dahlberg circule en permanence entre ces différents univers. Son travail se singularise par l’utilisation prépondérante de la maquette. Ce véritable outil d’expression lui permet de concevoir des lieux – qu’il nomme « no man’s land entre espace, objet et image » – aux travers desquels il interroge l’influence de notre cadre de vie sur nos perceptions intimes et sonde notre mémoire. Alors que la maquette se voit concurrencée par les logiciels de modélisation informatique, il nous semble essentiel, en tant que lieu d’enseignement, de mettre en exergue l’importance de son utilisation dans la genèse d’un projet d’architecture. Bien plus qu’un outil de représentation, elle est, par sa forme abstraite, fictive ou figurative, un excellent moyen de recherche et d’expérimentation. L’œuvre artistique de Jonas Dahlberg l’exprime avec pertinence. Marie Theres Stauffer signe ici un essai sur les notions d’espace et de réalité. La réflexion se pousuit par une conversation entre Caroline Dionne et Jonas Dahlberg. Nous les remercions de leurs contributions. Ce projet est né de l’initiative du comité directeur d’Archizoom, présidé par Harry Gugger et composé de Dieter Dietz, Jeffrey Huang, Inès Lamunière et Yves Weinand. Nous remercions égalemement Luca Ortelli, directeur de l’Institut d’Architecture de l’EPFL, l’équipe Archizoom, Pascale Luck et Jean-Robert Gros, Aurélie Buisson pour la rédaction de textes et la coordination de l’édition, l’Atelier Poisson qui a signé la mise en page avisée de cet ouvrage, et les traducteurs Isabelle D. Taudière, Jill Denton et Stefan Kristensen. Un grand merci aussi à la Loterie Romande et à nos fidèles partenaires pour leur précieux soutien financier sans lequel ce livre n’existerait pas.

Forew0rd / Cyril Veillon, director, Archizoom Architecture, cinema, movement, scenography. What do they all share? Space. Before he became an artist, Jonas Dahlberg studied architecture, and he has always moved between these two spheres. His work is characterized by the frequent use that he makes of scale models. As a means of expression, they enable him to design places – he calls them ‘no man’s lands between space, object and image’ – which he uses to examine how our living space influences our intimate perceptions and probes our memory. Today, when mock-ups are so often replaced by computerized digital models, it seems to us to be vital as educators in architecture to insist on the importance of the scale model in the genesis of a project. More than simple means of representation, by their abstract, fictive or figurative form, models are an excellent aid for research and experiment. This is what the artistic production of Jonas Dahlberg shows so pertinently. You will find here an essay by Marie Theres Stauffer dealing with notions of space and reality. And there also is the transcript of a thoughtful conversation that Caroline Dionne had with the artist. We thank them for their contributions. The project grew out of an initiative by the Archizoom board, which is chaired by Harry Gugger and is composed of Dieter Dietz, Jeffrey Huang, Inès Lamunière and Yves Weinand. Our thanks go to Luca Ortelli, director of the Institute of Architecture at EPFL, to the Archizoom team, Pascale Luck and Jean-Robert Gros, Aurélie Buisson for editing of texts and publishing coordination, to the Atelier Poisson who did the book’s careful layout, and to translators Isabelle D. Taudière, Jill Denton and Stefan Kristensen. Special thanks go to la Loterie Romande and our faithful partners for their much appreciated financial support, without which this work would not have been.

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Untitled (Horizontal Sliding) 2000 10


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Untitled (Vertical Sliding) 2001 12


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One Way Street 2002 14


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Weightless Space 2004 16


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Three Rooms 2008 18


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View Through a Park 2009 22


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Shadow Room 2011 28


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Espace et réalité Marie Theres Stauffer, Université de Genève Jonas Dahlberg nous donne avant tout des espaces à voir. Des suites d’espaces intérieurs par exemple, comme dans Untitled (horizontal sliding, 2000)1 : ce travail est dominé par des pièces complètement vides aux murs blancs et nus, parfois couverts de boiseries blanches. Sur les sols irréguliers, on remarque des reflets de lumière, particulièrement dans les pièces très sombres. Le spectateur a amplement le temps, dans les lents travellings de gauche à droite, d’observer non seulement ce lieu, mais encore à travers les portes ouvertes les pièces voisines bien éclairées (cf. p. 10 haut). « Que voit-on là ? » se demande le spectateur, « que se passe-t-il ici ? » Ces questions se posent avec d’autant plus d’acuité au moment où la projection est dirigée littéralement sur le mur : sans crier gare, le mur séparateur à droite s’interrompt et la paroi commence à glisser au centre de l’image (cf. p. 10 bas). Derrière, on voit une nouvelle suite de pièces, à son tour effacée par une césure dans le mur séparateur. Glisser et basculer La coupure dans un élément définissant l’espace n’est annoncée par rien et se produit en principe de manière discrète, intégrée dans le rythme lent de la vidéo. Il se produit cependant pour le spectateur une rupture réelle qui fait basculer l’expérience visuelle à plus d’un égard. Non seulement l’espace clos semble s’ouvrir, mais encore, ce qui a été vu doit être interprété à nouveaux frais. Si l’on croit avoir à faire avec une suite de pièces en principe habitables, on est contraint d’opérer un changement d’échelle et de comprendre la construction comme une maquette. Pour qui connaît déjà le travail de Dahlberg, la reconstruction minutieuse d’espaces connus et une régie de lumières imitant la réalité à merveille créent malgré tout un doute quant à ce qui se passe et exposent le spectateur aux changements inattendus dans la succession des images.2 La question de la nature et de la fonction de l’événement perceptif se pose aussi pour d’autres travaux vidéo de Dahlberg. Il n’est souvent pas simple de déterminer à quelle catégorie appartient l’espace que l’on voit : réalité construite ? Projection d’une réalité future ? Réalité dans la maquette ? Réalité en tant que maquette ? Fiction poétique ? Voilà seulement quelques questions que l’on peut poser. Du moins, les facteurs perturbants calculés de manière exacte par l’artiste, comme le mur coupé dans Horizontal Sliding, le plafond percé dans Untitled (Vertical Sliding) (2001), ainsi que les coins légèrement arrondis des constructions dans One-Way Street (2002) (cf. p. 14), donnent des indications sur la question « où nous sommes ».3 Les questions plus fondamentales telles « que voit-on ? » et « que se passe-t-il au juste ? » ne trouvent pas de réponse satisfaisante, mais se trouvent élevées à un autre niveau. En ce sens, il vaut la peine d’approfondir l’analyse de Horizontal Sliding. En effet, on regarde cette vidéo à partir d’un certain point de vue.4 Depuis ce point de vue, certaines sections de la maquette sont clairement visibles alors que d’autres se laissent seulement entrevoir et restent largement inaccessibles. Le désir de percevoir toute l’articulation des espaces reste en suspens, de même que le souhait de voir la construction dans son ensemble. Par là, Dahlberg crée une sorte de piège qui entretient la curiosité du spectateur. Il le tient sous le charme de la course lente et douce de la caméra. On doit donc s’engager dans un parcours prédéterminé, dans une expérience visuelle qui se déploie en glissant : une alternance de l’espace et de la matière, un rythme du clair et de l’obscur, tel qu’il a été conçu par l’artiste. Par le rythme lent, on acquiert progressivement la conviction que les constellations changeantes de l’espace, de la lumière et de la surface constituent les événements centraux des vidéos, expliquant ainsi pourquoi ce déroulement continu et régulier n’a besoin d’aucune autre image ou niveau sonore.

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La réduction des « protagonistes » et du rythme rendent précisément possible pour le spectateur de s’impliquer consciemment. Dans Horizontal Sliding, Dahlberg a intégré un type de porte très commun dans les immeubles de logement au 20e siècle. On connaît cet élément de son propre logement à Lausanne, Berlin ou Copenhague. De tels éléments « significatifs » sont également présents dans d’autres vidéos. On a vu déjà souvent les tapisseries à fleurs de Vertical Sliding (cf. p. 12) dans les couloirs de vieux hôtels modestes, des films ou des séries de photographies des années 1990. La plante en pot qui vole dans Weightless Space (2004) colonisait vers 1970 presque toutes les fenêtres fleuries d’Europe et revendique encore sa place chez les grands-parents (cf. p. 16).5 De tels éléments simples mais suffisamment spécifiques attirent notre attention – il faut qu’il n’y ait pas grand chose d’autre – et laissent place à des lectures, associations et interprétations personnelles. Dahlberg pose consciemment ces éléments comme des « attracteurs » sémantiques ouverts ou, comme il le dit, des archétypes qui touchent presque tout le monde (d’une manière ou d’une autre). Galerie des glaces Alors que l’accès visuel aux travaux de Dahlberg est balisé lentement mais sûrement par l’artiste, le spectateur jouit d’un espace de participation à l’œuvre au niveau de l’interprétation.6 Dahlberg luimême explique que le spectateur se projette dans le film en réfléchissant aux propriétés de l’espace et aux quelques éléments de l’aménagement. Intégré ainsi dans l’image filmique, on se tient en quelque sorte face à son « soi intérieur ». Dahlberg désigne ce processus comme « spéculaire »7. Que veut-il dire exactement par là ? A mon avis, c’est le processus réflexif de la pensée, de l’association et de la reconstruction des souvenirs (avec la sensation concomitante « d’être renvoyé à soi-même »), qui se trouve comparé au processus de la réflexion dans un miroir, sur lequel des ondes sont renvoyées et qu’un contexte est redoublé. L’importance du thème de la réflexion est attesté par le titre de l’exposition : Hall of mirrors. Dahlberg se réfère par là explicitement à la grande galerie des glaces du château de Versailles que Louis XIV avait fait construire par l’architecte Jules Hardouin Mansart et l’artiste Charles Le Brun entre 1678 et 1686.8 Il est éclairant d’explorer d’autres parallèles entre la grande galerie de Versailles et les interventions de Dahlberg à Lausanne. L’installation centrale de Dahlberg à l’EPFL comprend six films ; trois d’entre eux sont arrangés le long de parois noires à intervalles réguliers.9 La galerie à Versailles suit une typologie similaire : la lumière du jour entre par dix-sept grandes fenêtres en arcades aussi hautes que la corniche. Le mur face aux fenêtres est conçu selon le même principe : on y trouve également dix-sept arcades dans lesquelles sont placées des glaces réfléchissantes (cf. p. 36). Les miroirs et les fenêtres sont sur le même axe et possèdent une forme correspondante : ils ont des mesures analogues et on peut voir un parallèle entre le placement des miroirs et celui des fenêtres. Ces aspects ont pour effet que les miroirs captent directement la lumière qui entre par les fenêtres et la réfléchissent : les visiteurs de la galerie se promènent donc entre des éléments lumineux. Mademoiselle de Scudéry avait exprimé ce régime de lumière par la métaphore suivante : « [J]’appelle [cette belle galerie] une allée lumineuse parce qu’elle est éclairée comme si le soleil lui-même l’éclairait. »10 Elle fait directement allusion à Louis XIV, le Roi Soleil. En effet, la galerie de glaces peut être lue au plan symbolique comme le réflecteur du Roi Soleil : le matériau qui reflète la lumière apparaît comme le medium idéal pour le roi rayonnant dans la mesure où il accueille et renvoie son éclat. Que Louis XIV soit présent ou non dans dans la galerie, il se dessine dans le medium du miroir, il s’y atteste continuellement et l’éclat qui en émane s’y trouve multiplié.11 Malgré ses dimensions nettement plus limitées et l’absence de symbolique particulière de la part de son commanditaire, l’installation de Dahlberg permet aussi de se mouvoir entre des champs lumineux. Mais l’analogie ne relève pas seulement du ressort structurel et typologique. Elle s’opère également au

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niveau de l’image. A Versailles, les miroirs réfléchissent non seulement la lumière, mais aussi le parc, une partie des intérieurs, ainsi que les membres de la cour. La grande galerie compte parmi les premières pièces à travers lesquelles on pouvait voir des images en mouvement en grand format. 12 Nous les considérons à présent, après avoir vu les films de Dahlberg, comme une évidence. Un autre parallèle surprenant entre les films de Dahlberg et la galerie versaillaise concerne l’intégration du spectateur dans l’image en mouvement. Comme on le sait, le Roi Soleil tenait une cour nombreuse rassemblée à Versailles et lui offrait des divertissements innombrables. Ceux-ci étaient réglés par un protocole détaillé, de sorte que la noblesse était mise en rapport avec le roi à travers une sorte de chorégraphie interminable, qui lui permettait d’affirmer son statut absolu. La galerie des glaces formait, avec des miroirs en grand format dans d’autres pièces d’apparat, cette structure savante, et offrait aux courtisans les images qui les assuraient de leur appartenance à une élite sociale. En effet, seul le miroir permet de se voir en compagnie d’autrui, de se tenir face à soi-même et se voir de ses propres yeux comme une partie d’un cercle privilégié. En même temps, les miroirs favorisaient l’ordre cérémoniel, ils en renforçaient le déroulement à plusieurs égards : ils obligeaient à participer, à s’insérer, à porter avec les autres le processus arrangé avec art. On peut même dire qu’ils avaient le caractère d’une instance de contrôle. Chaque courtisan pouvait, voire devait, s’examiner ; chacun pouvait et devait examiner la performance des autres, et se trouvait donc aussi exposé aux regards inquisiteurs des autres.13 Ici, l’effet sur les hommes d’un élément architectural particulier, le miroir, ou plutôt son instrumentalisation en vue d’un certain comportement social, devient clair. Dahlberg thématise dans ses travaux autant l’effet physique que psychique de l’architecture sur les hommes. Il le fait cependant en mettant d’autres accents. L’artiste suédois ne poursuit avec ses travaux aucune ségrégation sociale, il ne revendique pas de les ranger dans un système hiérarchique. Les spectateurs de l’installation sont libres de s’y impliquer. Avec chaque nouvelle œuvre de Dahlberg, on découvre de nouvelles expériences de l’espace, de la lumière et des choses en mouvement, que la réflexion, le cours des pensées, peuvent développer. 1. Cf. Jonas Dahlberg, Untitled (Horizontal sliding), 2000. Installation monocanal, vidéo, noir-blanc, sans son. Durée : 38’22’’ (en boucle). Projection : au moins 4 x 3 m. / 2. Depuis le milieu des années 1990, Dahlberg travaille avec des maquettes d’architecture, qui forment la base de ses travaux vidéo depuis 2000. Entretien de l’auteure avec l’artiste, Lausanne, février 2013. / 3. Cf. Jonas Dahlberg, One-Way Street, 2002. Installation monocanal, vidéo, noir-blanc, sans son. Durée : 3’48’’ (en boucle), dimension : au moins 4 x 3 m, ainsi que Untitled (Vertical Sliding). Installation monocanal, vidéo, noir-blanc, sans son. Durée : 28’26’’ (en boucle), dimension : au moins 4 x 3 m. / 4. Le modèle est conçu comme un panoptique au centre duquel la caméra est installée. / 5. Cf. Jonas Dahlberg, Weightless Space, 2004. Installation monocanal, vidéo, enregistrement en couleurs d’un film noir-blanc, sans son. Durée : 22’10’’ (boucle). Dimensions : au moins 4 x 3 m. / 6. Justement, dans l’art contemporain, on compte toujours avec le spectateur engagé qui participe d’une manière déterminée à l’œuvre d’art. Il fait partie de processus esthétiques, visuels, et souvent aussi performatifs, dans lesquels une œuvre d’art se situe mais n’est pas entièrement clôturée. C’est Umberto Eco qui a parlé de manière particulièrement influente en 1962, dans un contexte littéraire, de l’œuvre ouverte, un concept qui produit aussi de l’effet transféré dans le domaine des arts visuels. Voir Umberto Eco, Opera aperta. Forma e indeterminazione nelle poetiche contemporanee, Milan, Bompiani, 1962. En relation avec les films de Dahlberg, il me semble important de différencier les degrés de possibilité de participation du spectateur. / 7. Conversation de l’auteure avec l’artiste, Lausanne, février 2013. / 8. Ibid. / 9. L’installation forme la pièce maîtresse de l’exposition, entre l’installation sonore An imagined city et l’installation vidéo Three rooms. Ces trois parties ont en commun le thème de la spatialité, la dynamique de l’interprétation et de la mémoire ainsi que les ruptures tranchées et pourtant légères. / 10. Madeleine de Scudéry, Conversations nouvelles sur divers sujets dédiés au Roy, vol. 1, Paris, 1684, p. 19. / 11. Voir Marie Theres Stauffer, Spiegelung und Raum. Theoretische Diskurse, bauliche Praktiken, thèse d’habilitation, Université de Berne, 2008, tapuscrit, p. 111 (publication à paraître). / 12. Vers 1650, les premières galeries de glaces apparaissent en France, comme dans l’Hôtel Lambert (Paris), les cabinets de glaces de l’Hôtel Lauzun (Paris), aux châteaux de Maisons et de Vaux-le-Vicomte. Voir Béatrice Viven, « Le cabinet aux miroirs », in Bulletin de la Société des Amis du Château de Maisons, 1, 2006, pp. 73-84 ; Claude Mignot. Le château de Maisons, Maisons-Laffitte, Paris, Editions du Patrimoine, 1998 ; Patrizia Brattig, Das Schloss von Vaux-le-Vicomte, Cologne, Abt. Architekturgeschichte, 1998 ; Béatrice de Andia, Nicolas Courtin (éds), L’île Saint Louis, Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 1997 ; Jean-Pierre Babelon, Demeures parisiennes sous Henri IV et Louis XIII, Paris, Hazan, 1991. Les surfaces réfléchissantes à Versailles dépassent les dimensions connues jusqu’alors et permettaient aux spectateurs de se voir le corps tout entier. Voir Stauffer 2008 ainsi que Béatrix Saule, « La galerie au temps de Louis XIV. De l’ordinaire à l’extraordinaire », in La galerie des glaces. Histoire & restauration, Dijon, 2007, p. 54. / 13. Voir Stauffer 2008 pp. 129-130.

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Space and Reality Marie Theres Stauffer, University of Geneva Jonas Dahlberg primarily gives us rooms to look at: sequences of interior spaces, as in Untitled (Horizontal Sliding, 2000).1 Predominant in the latter are completely empty rooms with unadorned white walls and occasionally with wainscoting, likewise painted white. Reflections of light speckle the uneven floors, particularly those areas in deepest shadow. While the camera slowly pans from left to right the spectator has sufficient time not only to take in the immediate space but also to look through open doors into the brightly lit rooms beyond (cf. p. 10 top). ‘What is it we are looking at here?’ the spectator asks. ‘What exactly is happening here?’ These questions attain particular urgency at the moment when the camera comes smack up against the right-hand partition wall, which unexpectedly breaks away. The camera then glides on, pursuing the wall centre-screen (cf. p. 10 bottom) before exposing the suite of rooms behind it, which is dissolved in turn quasi, by a break in the next wall. Slide and Tilt Nothing announces that a separating wall is about to be revealed in cross-section. The spatial shift is always discreet: the video slowly pans further, without interruption. The spectator however experiences a distinct break in several respects, one that puts a tilt on what he has previously been looking at. Now, not only the closed room appears to have been broken open, but also everything previously seen is open to reinterpretation. Anyone who imagines he is dealing here with a fundmentally habitable suite of rooms must now assume a change in scale and read the construction as a model. Even someone already familiar with such work of Dahlberg’s – the meticulous reconstruction of familiar rooms, lit in an extremely realistic fashion – is initially in the dark about what he is seeing when confronted with unexpected shifts in the stream of video images.2 Questions as to the nature of what one is seeing or as to the purpose of what is happening arise when viewing not only Horizontal Sliding but also any other of Dahlberg’s video pieces. It is often not clear which category the space we see belongs to. Is it a built reality? A projection of a future reality? Reality on a model scale? Reality as a model? Poetic fiction? ... These are just some of the questions posed. At least a few hints as to ‘where we are’ can be gleaned from the artist’s precisely calculated interference factors, such as the cross-sections of walls in Horizontal Sliding, the perforated floors in Untitled (Vertical Sliding) (2001), or the slightly curved edges of the buildings in One-Way Street (2002) (cf. p. 14).3 However, none of these serves to answer fundamental questions, such as ‘What is it we are looking at here?’ or ‘What exactly is happening here?’, but only to raise them to a new level. In this regard, it is worth taking another look at Horizontal Sliding. For our viewpoint vis-à-vis the action in this video work is always the same.4 Consequently, some sections of the model are clearly visible to us while others come into view only briefly, successfully eluding our gaze. Any desire either to experience or view the spatial structure in its entirety remains unfulfilled. This is how Dahlberg creates suspense and keeps the spectator wondering – and he also keeps him under the spell of the camera’s smooth, slow course. The spectator therefore has to remain open to a pre-determined course, to a smoothly unfolding visual experience, to a change of space and matter, and to rhythmic shifts from light to dark, such as Dahlberg has conceived them; and the slow pace gradually opens his eyes to the fact that shifting constellations of space, light and surface are the primary action in these works of video, which is why their steady progression requires neither secondary action nor soundtrack. It is precisely this limited number of ‘protagonists’ and slow tempo that allow the spectator to play a conscious, associative role. On the set of Horizontal Sliding, Dahlberg installed a type of door

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that was commonly in use in conventional early twentieth-century residential buildings. It is an item one is familiar with from one’s own home in Lausanne, Berlin or Copenhagen or perhaps also from one’s immediate social circles. Such descriptive elements feature also in his other videos. The floral wallpaper in the hallway in Vertical Sliding is something one has either come across personally in modest, aging hotels or seen in films or photo series of the 1990s (cf. p. 12). The suspended potted plant in Weightless Space (2004) invaded every European living room around 1970, and still lays claim to a permanent home at a great-uncle’s or great-aunt’s place (cf. p. 16).5 Such simple but sufficiently specific elements attract our attention – there is little else to do so! – and leave room for personal associations and interpretations. Dahlberg consciously uses such elements as semantically open ‘attractors’ or, as he says, as archetypes that (somehow) reach almost everyone. Hall of Mirrors While Dahlberg slowly but decisively directs the visual access to his artworks, the spectator has room to participate in them at the interpretative level. 6 Dahlberg himself says that, insofar as the spectator begins to reflect on the characteristics of the rooms and the few decorative elements, he projects himself into the film; and that, once integrated in the cinematic image in this way, he finds himself quasi face to face with his ‘inner self’. Dahlberg calls this process ‘mirroring’.7 What does that mean exactly? In my opinion, the reflective process of scrutinizing one’s thoughts, of making associations and of reconstructing memories (as well as the sense one thereby has of ‘being thrown back on one’s own resources’) are comparable here, to the reflective process engendered when beams or rays of light are refracted by a mirrored surface and ‘double a context’, so to speak. How important reflection is as a theme is evident not least in the exhibition’s title: Hall of Mirrors. Dahlberg makes an explicit reference to the grand Hall of Mirrors in the Palace of Versailles, built from 1678 to 1686 by the architect Jules Hardouin Mansart and the artist Charles Le Brun for Louis XIV.8 It is instructive to reflect on other parallels between the grande galerie at Versailles and Dahlberg’s interventions in Lausanne. The artist’s central installation at the EPFL comprises six films installed in two sets of three at regular intervals along parallel, black-clad walls.9 The gallery at Versailles evinces a similar typology: through the seventeen imposing arched windows that extend from the floor to the cornice along the longitudinal wall, daylight floods into the room. The wall opposite follows a similar pattern: there too, one finds seventeen arches. These are not glazed with transparent panes however, but clad in mirrored glass (cf. p. 36). Yet the arches and windows lie on the same axis and both their design and dimensions are aligned. Moreover, the arrangement of the individual plates in the mirrored surfaces echoes that of the windows’ sash bars. This design ensures that the mirrors directly catch the daylight falling through the windows and bounce it back into the room; any visitor to the room thus moves between luminescent elements. In 1684, Mademoiselle de Scudéry dressed this radiant regime in the following metaphor: ‘[I] call [this beautiful gallery] a radiant promenade because it is lit up as if the very Sun itself were shining on it’.10 She thereby plays directly on Louis XIV’s emblematic alias: ‘the Sun King’. The Hall of Mirrors can accordingly be read at the symbolic level as a reflector of the Sun King: for material that reflects the light seems to be the ideal medium for a ‘radiant’ king, insofar as it absorbs and then reflects his splendour. Whether Louis XIV is present in the grande galerie or not, the mirror as a medium distinctly evokes the Sun King, permanently confirms his glory, and magnifies his splendour.11 One moves between regularly aligned light fields also in Dahlberg’s installation, although its dimensions are much less grand, and its symbolism less geared to bolstering its creator’s reputation. The analogy is clear nonetheless, in both structural and visual terms. The mirrors at Versailles reflect

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not only light, but also the courtiers, the park and parts of the Palace interiors. The grande galerie thus ranks historically among the very first places where it was possible to see large-scale moving images.12 This is something we tend nowadays to take as a given, in Dahlberg’s films or any others. Another surprising parallel between Dahlberg’s films and the galerie at Versailles concerns the integration of the spectator in the moving image. It is a well known fact that the Sun King maintained a large court at Versailles, for whose pleasure and distraction endless entertainment was arranged. Like other features of court life, it was subject to a strict and detailed etiquette, and the noblesse accordingly found itself engaged in a permanent choreography that revolved around the king and constantly upheld his position of absolute power. The Hall of Mirrors and likewise the huge mirrors in other splendid rooms of state not only reflected images of this elaborate web of human conviviality but also offered courtiers assuring evidence of their membership in a social elite. For it is only in the mirror that one is able to see oneself in the company of others, or to step up to meet oneself, or to see with one’s own eyes that one ranks among the privileged few. At the same time, the mirrors at Versaille fostered awareness of the order sought there in ritual and ceremony, and they reinforced the proceedings in several respects: they invited, or even demanded participation in and compliance and personal commitment to an artfully contrived procedure – and served insofar as a kind of controlling or supervisory instance. For every courtier could, indeed had to monitor himself; everyone could, indeed had to monitor the performance of others – and found himself in turn at the mercy of their gaze.13 Here, it is impossible to overlook the impact on man of a particular architectural element – the mirror – or, more specifically, of the way the mirror is deployed in relation to specific patterns of social behaviour. Dahlberg likewise explores in his work the physical and psychological impact of architecture on people. Yet he sets other accents. The Swedish artist by no means aspires to social segregation in his work and nor does he seek to integrate in a hierarchical system anyone who views his work. Rather, he leaves it to the spectator to decide whether and in what way he wishes to become involved in Dahlberg’s installations. Each new work by this artist allows the spectator to experience spatial effects, light and moving objects in novel ways, and to further develop them by means of reflection, which is to say, by bouncing around ideas like beams of light. 1. Cf. Jonas Dahlberg, Untitled (Horizontal Sliding), 2000: single-channel, b/w, silent video (38:21 mins), screened as a loop installation. Minimum dimensions 4 x 3 m. / 2. Dahlberg has worked with architectural models since the mid 1990s, and has based video works on them since 2000. Author’s conversation with the artist, February 2013. / 3. Cf. Jonas Dahlberg, One-Way Street, 2002: single-channel, b/w, silent video (38:21 mins), screened as a loop installation. Minimal dimensions 4 x 3 m; and Untitled (Vertical Sliding) 2001: single-channel, b/w, silent video (38:21 mins), screened as a loop installation. Minimum dimensions 4 x 3 m. / 4. The model is conceived as a panopticon, at the centre of which the camera is installed. / 5. Cf. Jonas Dahlberg, Weightless Space, 2004, also known as ‘colourful footage of a colourless film set’: single-channel silent video (22:10 min.), screened as a loop installation. Minimum dimensions 4 x 3 m. / 6. In contemporary art in particular, the committed spectator who in a certain sense participates in the artwork is regularly taken as a premise. He thus becomes part of aesthetic-visual and often also performative processes within which the artwork is situated but not conclusively formed. In 1962, in the literary context, Umberto Eco’s talk of opera aperta (open-ended work) proved particularly influential and this concept likewise has an impact when transferred to the visual arts. See Umberto Eco, Opera aperta. Forma e indeterminazione nelle poetiche contemporanee, Milan: Bompiani, 1962. In relation to Dahlberg’s films it seems important to me to differentiate between the various degrees of participation available to the spectator. / 7. Author’s conversation with Jonas Dahlberg, Lausanne, February 2013. / 8. Idem. / 9. The installation constitutes the heart of the exhibition and was shown between the audio installation An Imagined City and the video installation Three Rooms. All three sections of the exhibition address the theme of spatiality, the dynamics inherent to interpretation and remembrance, and breaks of the sudden or smoother kind. / 10. Madeleine de Scudéry. Conversations nouvelles sur divers sujets dédiés au Roy. Vol. 1. Paris 1684 p. 19: ‘[J’]appelle [cette belle gallerie] une allée lumineuse parce qu’elle est éclairée comme si le soleil lui-même l’éclairait’. / 11. Cf. Marie Theres Stauffer. Spiegelung und Raum. Theoretische Diskurse, bauliche Praktiken. Habilitation thesis, University of Bern 2008, p. 111 (in the manuscript; publication forthcoming). / 12. The first halls of mirrors were created in France around 1650: for example, the gallery in the Hôtel Lambert and the cabinet of mirrors in the Hôtel Lauzun, both in Paris, or the Chateau de Maisons or Chateau Vaux le Vicomte. Cf. Béatrice Vivien, ‘Le cabinet aux miroirs’, in: Bulletin de la Société des Amis du Château de Maisons, 1.2006, 73–84, 2006; Claude Mignot. Le château de Maisons, Maisons-Laffitte, Paris: Editions du Patrimoine, 1998; Patrizia Brattig. Das Schloss von Vaux-le-Vicomte, Cologne: Dept. of Architectural History, 1998; Béatrice de Andia, Nicolas Courtin (eds.). L’île Saint Louis, Paris: Action artistique de la Ville de Paris, 1997; Jean-Pierre Babelon. Demeures parisiennes sous Henri IV et Louis XIII, Paris: Hazan, 1991. The size of the mirrored surfaces at Versaille however, was unprecedented: here, for the first time, people were able to see their full-length, life-sized reflection. Cf. Marie Theres Stauffer 2008; Béatrix Saule, ‘La galerie au temps de Louis XIV. De l’ordinaire à l’extraordinaire’, in: La Galerie des Glaces. Histoire & Restauration. Dijon 2007 p. 54. / 13. Cf. Marie Theres Stauffer 2008 pp. 129–130.

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Galerie des glaces de Versailles / Hall of mirrors, Versailles

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Fenêtre sur l’espace introspectif Entretien de Caroline Dionne avec Jonas Dahlberg Jonas Dahlberg a choisi l’espace comme matériau de prédilection. À travers ses vidéos et ses installations, il aborde la dimension politique de l’architecture et interroge le rôle de l’espace construit dans notre rapport, à la fois physique et mental, au monde, à autrui et à nous-mêmes. Caroline Dionne: Après des études d’architecture, vous avez choisi de vous consacrer aux arts plastiques. Pourquoi ce changement d’orientation ? Pensez-vous que l’on puisse aborder l’architecture, perçue non comme une discipline, mais plutôt comme un thème – un champ d’investigation –, autrement qu’en construisant, c’est-à-dire en dehors d’une pratique architecturale « classique » ? Jonas Dahlberg: À l’époque où j’étudiais l’architecture, et plus particulièrement dans l’école que je fréquentais, j’ai très vite été déçu par le caractère hiérarchique de la pédagogie de l’architecture et par l’approche théorique qui me paraissait limitée. Chaque projet était commenté selon trois axes principaux: le bâtiment devait fournir un abri, une protection contre les éléments ; son programme était généralement traité à travers des préoccupations fonctionnelles ; et enfin, le projet devait répondre à des critères donnés d’esthétique et de proportions. Il s’agissait surtout de « faire joli ». C’étaient certes là des aspects importants, mais ils ne faisaient à mon sens qu’effleurer les problématiques fondamentales de l’architecture et j’avais le sentiment que les discussions avec les professeurs s’arrêtaient exactement là où je pensais qu’elles auraient dû commencer. J’avais moi-même beaucoup de questions que j’aurais aimé formuler – tant de manière théorique qu’à travers mes projets – sur la dimension sociale de l’architecture ou son impact politique, par exemple. J’étais d’autant plus insatisfait que je sentais que l’on ne nous fournissait ni les outils ni l’environnement discursif pour y parvenir. Par chance, l’académie d’art de Malmö venait d’ouvrir ses portes. Contrairement aux anciennes grandes écoles d’art, qui fonctionnaient toujours sur le modèle des Beaux-Arts et recrutaient sur dossier de travaux personnels et avec des exigences très strictes en matière de dessin, de peinture, etc., cette jeune institution acceptait des candidats issus d’horizons très divers. Tout ce que j’avais appris au cours de ma formation d’architecte a ainsi trouvé un écho dans un environnement pédagogique moins hiérarchisé et plus ouvert aux idées qui m’intéressaient à l’époque, et qui continuent de m’intéresser. Ce cadre m’a permis de trouver une voix à mes propres interrogations et d’acquérir une certaine autonomie, dans mon travail comme dans mon discours. Ce devrait précisément être là l’objectif de toute formation : aider l’étudiant à cerner ses questions, à se positionner et à définir son approche du monde. Même si je travaille maintenant dans un autre domaine, les questions architecturales restent au cœur de ma démarche. À vrai dire, je n’ai jamais vraiment cessé de faire de l’architecture. CD: La dimension sociopolitique de l’espace, des espaces que nous construisons et habitons collectivement et, dans le meilleur des cas, que nous partageons, semble occuper une place prépondérante dans votre œuvre. Votre installation Hall of Mirrors renvoie ainsi explicitement à la Galerie des Glaces de Mansard à Versailles. On retrouve dans une certaine mesure un commentaire similaire avec Untitled (Horizontal Sliding), une pièce qui évoque indirectement – du moins par son mode de réalisation – le panoptique de Bantham. Comment décririez-vous cet aspect politique de l’espace, de l’architecture, ou d’une œuvre d’art ?

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JD: Le fait qu’en règle générale, les architectes n’assument pas leur rôle dans les sphères politiques me pose problème : nous voyons rarement un architecte participer à un débat politique ou s’engager politiquement à un haut niveau. L’absence de positionnement politique dans le discours architectural est également flagrante. Il y a une dizaine d’années, on a pu observer un mouvement chez les grands noms de l’architecture qui ont tous plus ou moins publié un « pavé » exposant leurs vues théoriques. Souvent très bruts d’un point de vue éditorial, ces ouvrages reposaient essentiellement sur le graphisme, sur l’image, mais témoignaient néanmoins d’une certaine volonté d’affirmer un parti pris et de propulser l’architecture sur le devant de la scène. L’architecture est le pivot de nombreux aspects politiques de nos sociétés. Notre manière de comprendre et de produire la ville est par définition éminemment politique : comment, par exemple, rendon certaines communautés visibles – ou invisibles ? Comment des pans entiers de la société peuventils être relégués en marge de la société et de l’espace public, en les enfermant soit dans des quartiers résidentiels privatisés, soit dans des favelas ? Qui aura le droit d’entrer ? Qui sera vu ? Que choisira-t-on de voir ou d’occulter ? Tout cela relève de l’architecture, et c’est l’intervention de l’architecte qui donne corps à ces phénomènes. Dans mon travail, je n’impose aucun point de vue, je n’assigne aucun rôle prédéterminé au spectateur, qui peut aussi bien se mettre dans la peau du roi qui se pavane dans la « Galerie des Glaces » que dans celle du courtisan empressé. Je ne sais ni s’il se sentira investi d’un certain pouvoir, ni à qui il choisira de s’identifier. L’important, c’est que cet individu puisse s’interroger sur sa propre identité et son positionnement. En ce sens, je ne suis pas perçu comme un artiste « politique » : mes œuvres ne sont aucunement un appel à l’engagement, à l’action politique, mais je peux parfois amener l’observateur à voir sa propre perception, ce qui constitue le point de départ de tout changement social. L’architecture – et avec elle, les architectes – devrait s’inscrire dans cette démarche. Au lieu de privilégier la productivité, l’efficacité fonctionnelle et le cosmétique, l’architecture devrait pouvoir soulever des questions complexes. Elle devrait s’intéresser à la façon dont nous choisissons de vivre ensemble. CD: Il subsiste tout de même dans votre travail cette ambiguïté entre celui qui est regardé et celui qui regarde ? JD: En effet. C’est particulièrement vrai dans une œuvre comme Safe Zones n° 11. Dans un premier temps, le spectateur peut avoir l’illusion de se trouver lui-même derrière la caméra, mais dès qu’il pénètre dans l’installation grandeur nature, cette première impression s’efface et le doute s’installe : serait-il observé dans des toilettes publiques ? Cette crainte de voir son intimité violée suscite probablement un certain malaise. Mais dès que l’observateur/observé se rend compte qu’en fait, la caméra filme une réplique miniaturisée des toilettes, il se détend et retrouve son sens de l’humour. Mais la grande question, « Sommes-nous observés, et par qui ? » peut continuer de le hanter pendant quelque temps… CD : Vos installations vidéo abordent également la dimension phénoménale de l’architecture, sa capacité à invoquer des expériences architecturales passées – le fait que nous habitons tous l’architecture, que nous produisons tous, d’une façon ou d’une autre, de l’espace au jour le jour – nous permet de nous projeter à l’intérieur des espaces présentés dans les films. Quel est selon vous le lien entre la perception physique et sensorielle et les mouvements de l’intellect qui mène à la constitution de savoirs ? Est-ce là la clé de votre travail ? JD: Dans la plupart de mes œuvres, dont le support principal est le film, j’essaie de créer une sorte d’effet miroir qui permet au spectateur d’entreprendre un voyage, non seulement dans un espace imaginaire, mais aussi et surtout à l’intérieur de lui-même. L’approche physique de l’œuvre peut révéler une forme

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de connaissance de soi, ou du moins engager à s’interroger sur l’image que l’on a de soi. Mais avec mes films, c’est de la mémoire du spectateur que part ce processus. L’espace qu’il observe est tout à la fois étrangement familier – il peut d’une certaine façon en appréhender les limites physiques – et infinies. Cela fait partie de notre rapport à l’espace : nous savons qu’il est là mais nous ne le voyons pas dans sa totalité, il échappe à la perception, et sollicite d’autres notions, comme l’inconscient, ce qui excite l’imagination et produit un effet troublant, une étrangeté. Cela étant, notre rapport à l’espace s’établit également à travers le savoir, par le biais d’expériences passées, de souvenirs, d’images mentales rémanentes, qui affleurent souvent sous la conscience. Je ne m’appuie pas pour autant sur un jeu intellectuel. Pour moi, cela commence toujours par un dialogue physique : il s’agit de pénétrer l’espace d’exposition, de se retrouver dans des conditions idéales pour aborder l’installation filmique et entrer dans l’œuvre, lentement. CD: Cette lenteur est également un facteur important de votre démarche. JD: Dans la mesure où mon medium privilégié est le film, j’ai tendance à exploiter des ressorts propres au langage cinématographique. Le film d’horreur ou le film noir illustrent très bien l’efficacité de certaines stratégies filmiques : le scénario, ramené à l’essentiel, plonge immédiatement le spectateur dans l’ambiance. Après quoi, il s’agit de faire monter le suspens et, dans les deux genres, l’architecture joue à cet égard un rôle fondamental. Dans mes vidéos, j’essaie d’indiquer au spectateur un rythme, un certain tempo qui se rapproche peut-être davantage à la façon dont nous percevons les choses en rêve qu’au déplacement du corps dans l’espace. Il peut alors rester là, mais l’intrigue peut aussi lui donner envie d’entrer, en se demandant s’il va se passer quelque chose. Or, nous comprenons très vite que le film est davantage une expérience contemplative. Le suspens initial fait rapidement place à une approche qui fait que l’on sait plus ou moins intuitivement sur quoi porte l’expérience, et que l’on choisit de pénétrer cet univers – ou pas. L’une de mes grandes préoccupations consiste à établir un dialogue, à amorcer un échange avec l’observateur. C’est pourquoi je veille toujours à fournir des points d’entrée, des seuils, des ouvertures – un passage et la pointe de mystère nécessaire à bâtir une intrigue qui, avec un peu de chance, incitera l’observateur à rester, à s’investir. Je m’efforce de laisser suffisamment de place à l’imagination de chacun afin d’induire un sentiment de nostalgie, un désir d’en savoir davantage sur ce qui est en face de soi, une volonté de se trouver soi-même dans ce cadre. CD: Les espaces représentés dans vos installations vidéo sont extrêmement réalistes, et pourtant, la présence – ou l’absence – de certains détails permet au spectateur de prendre conscience du processus de création : il comprend que le film a été réalisé à partir d’une version miniaturisée de l’espace. Quelle place tient la maquette dans votre œuvre ? JD: Pour moi, les maquettes ne sont pas des versions réduites d’un espace existant. Ce sont des espaces à part entière, à ceci près qu’ils sont très petits, et ce sont ces espaces miniaturisés que je choisis de mettre en scène dans mes films. Les erreurs de construction, qui peuvent être dues aux limites du processus de confection ou à celles du matériau, ou bien encore un détail, un petit objet que je décide de placer à un endroit donné, sont autant de vecteurs de la perception – un punctum, au sens où l’entendait Roland Barthes, un élément qui focalise précisément l’attention du spectateur, l’entraîne vers un lieu imaginaire dans le cadre de l’image ou en dehors, le renvoie vers le monde « réel ». En architecture, les maquettes sont souvent utilisées comme des « poupées vaudou », des rendus abstraits d’une réalité à venir. Cela pose à mon avis deux problèmes. D’abord, l’architecture n’est jamais réelle mais toujours imaginaire :

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l’espace n’est que partiellement produit par l’expérience incomplète que nous en avons, et ne peut pas être saisi dans son intégralité. Et ensuite, comme nous l’avons constaté au cours de ces dernières décennies, ce que nous fabriquons est souvent déterminé par produits de la technologie – les outils dont nous disposons. En ce sens, la maquette telle que nous la concevons en architecture, que nous considérons non comme un objet fini mais comme une représentation d’autre chose, influence très explicitement le type de bâtiment que nous construisons. Il faudrait plutôt envisager la maquette comme une architecture miniaturisée invitant à l’exploration, avec ses propres caractéristiques spatiales, ses séquences, ses jeux d’ombre et de lumière… Cela pourrait déboucher sur une approche inédite de l’architecture : il ne s’agirait plus de créer une belle enveloppe recouvrant des fonctions efficacement distribuées, mais de définir une architecture exploitant toute la gamme des émotions humaines. Une architecture capable de remettre en cause le confort, la productivité et la sécurité. Des espaces ancrés dans la réalité complexe et contrastée de notre vie.

Introspective Space : Enter Here ! Caroline Dionne in discussion with Jonas Dahlberg Jonas Dahlberg’s preferred material is space. In his video works and installations, he invokes the political dimension of architecture and questions the role of built space in our physical and mental relationships with society, other people and ourselves. Caroline Dionne: You were initially trained as an architect and then pursued your education in fine arts. Why this shift? Do you believe that architecture, understood not as a discipline but rather as a topic—as a field of inquiry—can be approached via other means than actual building or “traditional” architectural practice? Jonas Dahlberg: At the time of my architectural studies, and in the context of the school I was attending, I found myself disappointed by a certain hierarchical approach to teaching architecture and by the limitation I saw in the discourse. Discussion around a given project focussed on three basic aspects: first the building had to provide shelter and protection from the natural elements; second was the question of programme addressed through functional concerns; and third the projected building had to be beautiful, well proportioned. It had to look nice. For me, these concerns, however important, were just beginning to address what I saw as the real concerns of architecture, and in that sense, discussions with professors would stop exactly at the moment when I thought they should start. I had many questions that I was hoping to be able to formulate in discussion but also through my projects, questions about, for instance, architecture’s social dimension, or its political impact. My frustration grew as I sensed that we were not provided with the tools nor the discursive environment to do so. Luckily, the Malmö Art Academy was opening at the time. Unlike the older schools which still operated on the beaux-arts model with extremely restrictive requirements in terms of work samples, drawing, painting, etc., this new school welcomed applicants with very diverse backgrounds. The skills I had developed in architectural training could thus find some echo in a learning context that not only proved to be much less hierarchical but also more open to discussing the kind of ideas that interested me, and still do. In that context, I was able to learn to formulate my own questions, to acquire autonomy both in terms of work and discourse. This is what education should be about: learning to identify

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one’s own questions, one’s position and approach to the world. And even though I operate in another field now, architectural issues have remained central to my inquiries: I never really stopped making architecture. CD: In your work, the political and social dimensions of space, of the spaces that we collectively build, inhabit and, hopefully, manage to share, seems important. For example, in Hall of Mirrors, the reference to Mansard’s Galerie des Glaces at Versailles is explicit. To some extent, one can detect a similar commentary in Untitled (Horizontal Sliding), a piece that indirectly—through the production process leading to the final work at least—evokes Bantham’s Panopticon. How would you describe this political quality of space, of architecture, or of a work of art? JD: I find it problematic that architects do not generally embrace their role in political spheres: we rarely see an architect take part in a political debate or get high level political involvement. The lack of political stance in architectural discourse is also flagrant. Ten years ago there was perhaps a trend for well-known architects to publish compendiums of their theoretical position. Though these were often under-edited and relied highly on images, they at least showed a certain intention to affirm positions, to put architecture at the forefront. Architecture plays a central role in so many political aspects of our societies. The way we understand and produce cities is inherently political. For instance, how some people are made visible—or invisible—, how entire groups can be socially and spatially marginalised, in gated communities or favelas, this is always intertwined with architecture. Architecture is always there to make these phenomena happen. The question of who is granted access, of who is being seen, of what one chooses to see, or not, is fundamental to architecture. In my work, I do not prescribe a position. The viewer is not assigned a role. He—or she—can feel like a king in “Hall of Mirrors,” or like a begging courtesan. I don’t know if the observer will feel empowered, or who he will choose to project into. What matters is that this person may wonder about who he is and where he stands. In that sense, I am not tagged as a so-called “political” artist: my work doesn’t shout out for people to engage, to be politically involved. But perhaps I can sometimes bring the observer to see his own seeing, which is certainly the basis of any kind of social change. Architecture—and architects—should take part in that process. Instead of focussing on issues of productivity, functional efficiency and cosmetics, architecture should raise complicated questions. It should be about how we choose to live together. CD: But there is ambiguity as to who is being watched, and who’s watching? JD: Yes, in Safe Zones no 11 for example, this is central. The viewer may initially think that he belongs to the side of the surveyor, but once entering the physical, full-scale installation, this first assumption is momentarily bracketed and he wonders: Am I being observed in a public washroom? In this situation, one probably experiences a certain fear, like a breach of intimacy. Then the observer/ observed realises that what the camera is actually filming is a miniature replica of the space, he can relax, and laugh. But the main question: Are we being watched, and by whom? may linger in one’s mind for a while… CD: Your film installations also address the phenomenal dimension of architecture, its ability to trigger a certain recalling of previous architectural experiences—the fact that we all inhabit architecture, that we all somehow produce space on a day to day basis allows us to project ourselves

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inside the spaces shown in the films. What relationship do you see between embodied and sensory perception and the movements of the intellect leading to the formation of knowledge? Is this key to engaging with your work? JD: In most of my work, for which the main vehicle is film, what I try to do is produce a certain mirroring effect that will allow the viewer to embark on a journey, not only inside an imaginary space, but perhaps most importantly inside himself. Experiencing the work may lead to revealing a form of selfknowledge, or at least a questioning of who you think you are. But in the case of my films, this process is brought about through one’s memory. The space that one observes is paradoxically familiar—one can somehow grasp its physical limits—, and infinite. That’s part of how we relate to space: we know it is there but we can’t see it all, it escapes perception, tapping into notions such as the unconscious, triggering imagination and producing an uncanny effect. But we also relate to space through what we know, via past experiences, memories, mental images that often remains under the surface of consciousness. But what I rely on is not an intellectual game. For me it always begins through a physical dialogue, entering the exhibition space, being placed in the adequate conditions to engage with the film installation, to enter into the work, slowly. CD: This slow pace is also an important aspect of your process? JD: As I essentially work with film, I tend to exploit some effective qualities proper to cinematic language. Horror movies or film noir are good examples of how effective some filmic strategies can be. Their scenario is somehow stripped down to the basics in a way that quickly allows the viewer to “get the point”. Then it’s all about building suspense, and in both those genres, architecture plays a central role to this end. In my work, I try to provide the viewer with a tempo, a certain pace which is perhaps closer to how we can gaze at things from a distance in dreams rather then to the movement of the body travelling in space. So that one may stay there. A certain sense of drama may draw someone in, lead him to wonder: Is something going to happen? Yet, after a very short while, we realise that the film is more about contemplation. The initial suspense is quickly replaced by a certain way of knowing what the experience is about, and choosing, or not, to enter this realm. One of my main concerns is to set up a dialogue, to initiate communication with the observer. This is why I always try to provide points of entry, thresholds, openings. An entrance way, and the necessary mystery to build up an intrigue that will hopefully invite the observer to stay, to engage. I try to leave enough space for one’s imagination to induce a sense of longing, a desire to find out more about what’s in front of you, a yearning to find yourself there. CD: Even though the spaces seen in your video installations are extremely realistic, the presence—or absence—of some details actually allow the viewer to see the apparatus at work: the fact that a miniature version of space was used to produce the film. What role does the model play in your work? JD: For me, models are not scaled down representations of an existing space: they are spaces in themselves, just very small, and it is these miniature spaces that I choose to show in my films. The mistakes I make while building the model, when craft or material reaches a limit, or else a detail, a small object that I decide to set in a given space, these become channels for one’s perception—a punctum in the sense proposed by Roland Barthes, an element that pinches the viewer’s attention, with precision, drawing him to an imaginary place inside the picture plane or else out from it, back into the “real”

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world. In architecture, models are often used as “voodoo dolls,” as abstracted renderings of a proposed, future reality. This poses two problems in my view. First, architecture is never real, it is always imaginary: space is only partially produced by our ever-incomplete experience of it and cannot be grasped entirely. Second, as we have observed in the past decades, a close relationship tends to exist between the products of technology—the tools at hand—and what we make. In that sense, the way we make models as architects, the way we understand them not a finite objects but as representations of something else, bear a direct impact on what kinds of buildings we will produce. Models should perhaps rather be viewed as miniature architectures to be explored: with their own spatial qualities, sequences, play of shadows and light… This could lead to another approach to architecture. One no longer concerned primarily with a beautifully assembled skin covering efficiently distributed functions. An architecture able to address the whole range of human emotions. Buildings that question comfort, productivity and security. Spaces grounded in the complex, contrasted reality of our lives.

Jonas Dahlberg vit et travaille à Stockholm en Suède. Il a étudié l’architecture à l’Ecole technique supérieure de Lunds de 1993 à 1995, avant d’intégrer l’Académie d’Art de Malmö où il obtient son diplôme en 2000. Il réalise des vidéos essentiellement caractérisées par la lenteur des mouvements de caméra balayant des espaces architecturés. Outre des vidéos et installations, son œuvre comprend des œuvres d’art public, des sculptures, des travaux de commandes, des projets de livres et des photographies. Jonas Dahlberg lives and works in Stockholm Sweden. He studied architecture at Lunds Technical High School from 1993 to 1995. From 1995 to 2000 he studied art at Malmö Art Academy where he received his Master of Fine Arts. Since 2000 he has developed a series of videos that primarily consist of slow movements through architectural spaces. In addition to video and video installation, his practice includes public art works, sculptures, commissions, book projects and photography.

Marie Theres Stauffer vit et travaille à Genève. Elle a réalisé une thèse sur l’architecture radicale en 2002 à l’Institut d’histoire et théorie de l’architecture (gta) de l’EPFZ. Après des séjours de recherche à Florence, Rome, Berne et Berlin, elle a été professeure invitée à l’Université de Constance. Elle a été élue en 2010 professeure boursière du Fonds National Suisse (FNS) pour l’unité d’histoire de l’art de l’Université de Genève. Ses publications portent à la fois sur l’histoire de l’art et de l’architecture modernes et contemporains et sur la théorie de l’image et l’histoire des sciences aux XVIe et XVIIe siècles Marie Theres Stauffer lives and works in Geneva. She completed a thesis on radical architecture in 2002 at the Institute of History and Theory of Architecture (gta) of ETH Zurich. After periods of research in Florence, Rome, Bern and Berlin, she was appointed visiting professor at the University of Constance and in 2010 she was elected professor by the Swiss National Science Foundation (SNSF) for the Art History course at the University of Geneva. She has published on both modern and contemporary history of art and architecture and on the theory of the image and the history of science in the sixteenth and seventeenth centuries.

Collaboratrice scientifique, coordinatrice de la recherche au laboratoire ALICE - Atelier de la conception de l’espace à l’EPFL, Caroline Dionne a complété un doctorat en Histoire et théorie de l’architecture à l’Université McGill (Montréal, Canada) en 2005. Sa thèse portait sur les questions de perception, d’espace et de langage dans l’œuvre de l’écrivain, logicien et géomètre anglais Lewis Carroll. Rédactrice et éditrice pour l’architecture à la revue TRACÉS de 2007 à 2010, elle est aussi co-fondatrice de l’Espace TILT, lieu de diffusion pour l’art contemporain. Scientist and research coordinator at EPFL Laboratory ALICE - Atelier de la conception de l’espace, Caroline Dionne completed a doctorate in the History & Theory of Architecture Program, McGill University, Montréal (PhD. Arch 2005). In her thesis, she explored issues of spatial perception and language in the writings and scientific works of 19th century author Lewis Carroll. Writer and editor for architecture at Tracés between 2007 and 2010, she is also co-founder of the Espace TILT, an independant contemporary art space.

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LEGENDES Untitled (Horizontal Sliding) p.10 Cette vidéo fait défiler en boucle un travelling latéral continu balayant lentement un appartement du début du XXe siècle qui semble se déployer indéfiniment. Les pièces se succèdent une à une, apparaissant et disparaissant au rythme du mouvement d’une caméra passe-muraille. Ce film a également été tourné sur une maquette panoptique où la caméra, fixée au centre, effectue une rotation complète sur son axe. L’oeil de l’objectif – et du spectateur – occupe ainsi la position centrale de l’unité de surveillance du système panoptique et déroule une boucle architecturale et filmique.

A looped video that shows a continuous tracking shot in what seems to be an infinite early twentieth-century apartment. The camera slides horizontally and room after room passes from view at a slow pace. The film was shot in a panoptic architectural model where the camera rotates in the centre of the model, replacing the gaze of the watchtower in the panopticon. Since the building is constructed in a circle and the camera rotates in the middle, it creates both an architectural and a filmic loop.

Untitled (Vertical Sliding) p.12 Cette vidéo en boucle est un travelling vertical continu : la caméra, qui semble être placée dans un ascenseur ouvert, se déplace de haut en bas et passe d’un étage à l’autre, révélant indéfiniment une série de couloirs d’hôtel identiques. La séquence a été filmée sur une maquette architecturale circulaire au centre de laquelle la caméra tourne sur un axe fixe et se substitue à la tour de surveillance du modèle de prison panoptique, produisant ainsi une boucle architecturale et filmique.

A looped video that shows a continuous tracking shot where the camera travels downwards, like in an open elevator, revealing an unfolding series of hotel corridors. The film was shot in a panoptic architectural model where the camera rotates at the centre of the model, replacing the gaze of the watchtower in the panopticon. Since the building is constructed in a circle and the camera rotates in the middle it creates both an architectural and a filmic loop.

One-Way Street p.14 Extérieur nuit dans une ville. La caméra se déplace à un rythme constant le long d’une rue déserte dont l’asphalte mouillé reflète les lumières des façades de verre et des lampadaires. A mesure qu’elle avance vers le fond de la rue plongée dans l’obscurité, elle révèle indéfiniment de nouveaux bâtiments. La séquence a été tournée sur une maquette de 9 mètres de long. Pour ne pas laisser apparaître dans ce travelling sans fin le rail sur lequel on aurait normalement placé la caméra, la maquette a été conçue et construite de telle sorte que les bordures des trottoirs servent de guides sur lesquels glisse un petit chariot de bois équipé d’un moteur.

The camera moves at an even pace on a deserted nighttime city street that has glass buildings and street lamps whose lights are reflected on the wet asphalt. As the forward motion continues down the street, new building blocks persistently appear from the darker far end of the street. The film was shot in a 9-meter long architectural model. In order for this seemingly endless forward move­ment to occur without revealing a track upon which a camera would customarily be placed for a tracking shot, the model was designed and built so that the curbs of the sidewalks would serve as a track that supports a small wooden wagon with an engine.

Weightless Space p.16

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Un pot de fleur et des bulles errantes flottent en toute légèreté dans le volume d’une pièce, comme affranchis des lois de la pesanteur. L’unique source de lumière de cette pièce sans caractère qui paraît sortie des années 1970 vient de la porte à peine entrebâillée. Contre toute apparence, Weightless

The viewer follows a potted plant and errant bubbles while they float around, seemingly weightless. The only light source in the drab 1970s room comes from the slightly opened door. Weightless Space appears to be digitally manipulated, but is in fact created by a camera movement through

Horizontal Sliding

One-Way Street

Vertical Sliding

Weightless Space


Space n’est pas le fruit d’une manipulation numérique : le modèle réduit de la pièce est plongé dans un aquarium rempli de glycérine, lui-même fixé à un gyroscope qui, en tournant, crée l’effet d’apesanteur.

an artificially constructed space. To create the piece, the scene was filmed by placing a model inside an aquarium filled with glycerol. The aquarium was then fixed to a gyroscope that created the weightless effect when rotated.

Three Rooms p.18 Cette série vidéo présente sur trois écrans trois pièces génériques (une chambre, un salon, une salle à manger) dont les meubles se dissolvent lentement, ne laissant derrière eux que du vide. Les éléments les plus fins s’effacent progressivement, tandis que les autres, plus épais et dont la masse est inégalement distribuée, tombent et se brisent avant de disparaître à leur tour. Les décors détaillés de chaque pièce ont été construits en paraffine, puis immergés dans une solution de solvant ; sous l’action de la chaleur, la paraffine fond comme de la glace dans l’eau chaude, transformant les environnements qui, de l’état solide, passent à l’état liquide.

This installation shows three archetypical domestic environments that during the course of each film dissolve leaving only a series of bare spaces. Objects, which are thin, disappear gradually. Other thicker objects, whose mass is unevenly distributed, involve a process of falling over and breaking before they, too, disappear. The environments were constructed in paraffin to make the detailed models of each room. When placed into a heated solvent solution, the paraffin melted like ice in warm water, changing the environments from solid to liquid form.

View Through a Park p.22 Le spectateur suit le mouvement continu d’une caméra qui, de l’intérieur d’un appartement, traverse le cadre bucolique d’un parc urbain et nous entraîne jusqu’à un autre appartement situé en vis-à-vis. Cette séquence onirique, tournée de nuit, repasse indéfiniment entre ces deux bâtiments, transformant le voyage virtuel du spectateur par-delà le parc en un regard furtif et intrusif sur des espaces privés. La vidéo a été réalisée sur une maquette de Gramercy Park, dernier parc privé de Manhattan.

The viewer follows a single camera movement from the interior of one apartment, through an idyllic city park, to its facing apartment. Set at night, the dreamlike shot travels endlessly between these two buildings, transforming from a non-physical journey for the viewer through the park to a furtive, intruding gaze within the private spaces. The work was made by filming in a large constructed set design model of Gramercy Park, the only remaining private park on Manhattan in New York.

Shadow Room p.28 La caméra balaie l’intérieur d’une chambre par une succession de panoramiques lents rappelant le mouvement d’une caméra de vidéosurveillance. A chaque passage, la pièce s’emplit des ombres que dessinent des arbres à travers les fenêtres, jusqu’à être totalement engloutie et obscurcie par les ombres de la nature. Cette vidéo est un clin d’oeil aux films Vampyr de Carl Theodor Dreyer et Nostalgia (1983) d’Andrei Tarkovsky.

Three Rooms

View Through a Park

The camera pans back and forth inside a room, recalling the movement of a surveillance camera. With each successive round, the room fills with tree shadows until it is completely immersed, and obscured, by shadows of nature. The film references Vampire (1932) by Carl Theodor Dreyer and Nostalghia (1983) by Andrei Tarkovsky.

Shadow Room

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