Dernière demeure *
La tombe, comme espace mĂŠdiateur, de notre rapport contemporain Ă la mort.
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Sommaire
Introduction
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Évolutions Déambulations Père Lachaise Limoges La Souterraine
Cimetière *
Face au cimetière *
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Espace déserté Déclin des pratiques religieuses Eloignement Délégation
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Face à la mort Rites contemporains Le rôle des fleurs Métaphysique de la mort
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Culte virtuel Facebook Tombes virtuelles
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Dernière demeure * Innovations Design funéraire La mort doit-elle être «designée»? Cimetière, autrement Eco-cimetière Utopie du jardin-cimetière
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Espace Tombe La tombe La tombe comme dernière demeure Nous, face à la tombe
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Ouverture
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Remerciements
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Introduction Espace hors du commun, délimitation dans de la ville, terrain hors champs, hors du temps, hors de la vie, hors de tout. D’aussi loin que je me souvienne, le cimetière à la fois intimidant, grave, et sacré, mais aussi attachant par le lien que j’entretiens avec les personnes y demeurant, m’a toujours intrigué et éveillé ma curiosité. C’est un ailleurs qui me fascine et m’émeut, un ailleurs silencieux, qui me replace dans le contexte de la vie, qui me rappelle qu’un jour, moi aussi je reposerai ici.
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Cimetière
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Évolution du cimetière. Le cimetière, est un espace singulier, avec son vécu, ses évolutions, ses secrets et ses mystères... Il n’a pas toujours eu lieu d’être. Cependant, depuis qu’il y a eu les premiers vivants, il y a eu les premiers morts, et par conséquent, les premiers sites qui leurs sont consacrés. Contrairement à l’animal, qui n’en a pas souci, l’homme pratique très tôt l’ensevelissement de ses défunts affirmant ainsi sa conscience du deuil. Dès la préhistoire, les morts étaient inhumés au coeur des habitations, au milieu des vivants et des dieux. Les sépultures étaient alors élevées au centre des habitations, sous la forme de tumulus, ou marquées au sol par une pierre verticale grossièrement taillée. Les Néanderthaliens, pratiquaient l’inhumation en pleine terre, afin de dissimuler les restes des défunts à la vue des survivants et à la convoitise des animaux des alentours. Ils enterraient alors leurs morts sous des pierres plates et posaient à côté d’eux des armes, des outils et des aliments. C’est à partir de l’Antiquité, que les sites funéraires furent écartés de la cité, à cause des contraintes provoquées par la croissance démographique, entraînant en toute logique la naissance de villes de plus en plus grandes. Avec le temps, les zones d’ensevelissement des défunts se déporteront en périphérie des villes, près des voies de communications, ouvertes aux visiteurs, ouvertes au monde. Les nécropoles voient alors le jour: sorte de cités construites hors de la ville et des habitations, pensées pour que les morts restent entre eux, loin des vivants. Car, si les vivants ont conçu des villes pour les morts, et s’ils honorent leurs sépultures, c’est historiquement, avant tout car ils redoutent le retour des défunts. 11
Cependant en France, avec l’enracinement de la chrétienté, l’éloignement fût progressif. Au Moyen Âge, les saints étaient inhumés directement dans les églises qui s’érigeaient au coeur des villages. La population était alors enterrée au plus près des saints, afin de leur garantir l’accès vers le ciel. Seulement, pour des raisons d’hygiène, l’Église déplacera l’espace dédié aux inhumations des personnes aisées dans le terrain juxtaposant le lieu de culte, l’aître. C’est ainsi que nous pouvons souligner le lien établi entre les vivants et les gisants à cette époque. La population vit ici en parfaite osmose avec ses défunts, à tel point que le cimetière était considéré comme un véritable lieu de vie, où les individus vaquaient à leurs activités de l’époque: foires, marchés, et spectacles... Sous l’égide de l’Eglise fort influente. L’espace mortuaire est considéré comme un espace de socialisation et de communication en puissance. Les morts gisent sous leurs pieds, ce qui n’empêche pas les vivants de vivre, car pour le chrétien médiéval, seul la chair et les os demeurent en terre, l’âme a quant à elle rejoint le Seigneur, et le défunt n’est finalement, mort que physiquement. La chair n’a ici rien de sacré, comparée à l’âme qui ne tend qu’à s’élever, comme l’indique André Chabot, photographe se décrivant lui même comme un promeneur nécropolitain, dans son livre consacré à l’Érotique du Cimetière «La mort chrétienne ne mène pas au néant, elle est un passage qui permet à l’homme d’accéder à la véritable vie, mort mystique de ceux qui savent faire leur salut.» L’aspect sacré de la zone funéraire sera finalement établi à la Renaissance. Le cimetière sera alors érigé comme un haut lieu de culte, délimité physiquement et symboliquement par des barrières ou des murs, pour que cet espace sanctuaire demeure protégé des regards des vivants. L’Abbé Porée écrivait d’ailleurs dans sa Lettres sur les sépultures dans les églises en 1743 que «Ce n’est pas en demeurant au milieu des morts et en les foulant aux pieds (...) que leurs leçons sont plus intelligibles, on y est tellement environné qu’on y 12
Ci-contre, tombe de la famille Poiret, Bonneuil-en-France, XIXème siècle. Ci-dessous à gauche, tombe de la famille Concha, Villiers-sur-Marne, 1882. Ci-dessous à droite, tombe de la famille Moriset, Bouqueval, XIXème siècle.
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pense plus, ou qu’on y pense rarement. On serait beaucoup plus frappé par ce langage qu’ils nous tiennent s’ils étaient relégués hors des villes. Les visites que nous leur rendrions deviendraient touchantes.» Ici, naît l’idée nouvelle que les cimetières érigés hors des villes, aident à garder en nous le souvenir des défunts et par la même de tirer des leçons de leur vécu, de leurs erreurs, de leur savoir. Il en découlera l’apparition des premières sépultures individuelles décorées et ornées d’objets funéraires, remplaçant ainsi les usuelles fausses communes datant du Moyen Âge. Les cimetières seront définitivement déménagés en périphérie des villes dans le courant du XVIIIème siècle, avec l’essor de la laïcité et les progrès liés à l’hygiène. Les tombes sont alors uniquement composées d’une tombale et d’une stèle en pierre. L’espace funéraire sera officiellement considéré comme un terrain public et communal par la loi française de 1881, et sera géré, dès la Révolution par les autorités municipales laïques. À partir du XIXème siècle, l’aspect formel des tombes s’inspirent du style Antique avec une stèle en pierre blanche délimitée de chaque côté par un portail en fer forgé. Les initiales des défunts sont généralement gravés dans un cercle au centre de la stèle. C’est également au XIXème siècle, que nous relevons l’apparition de mausolées néo-classique, faisant référence, dans l’esthétique, aux temples antiques. Ces sépultures sont grandioses et imposantes, symbolisant la dernière demeure du défunt avant son départ pour les cieux. C’est aussi la période des sépultures de style romantique, accueillant sur les tombes, des sculptures de femmes et de madones, pleurant la mort. Nous pouvons également voir apparaître au début du XXème siècles, des tombes se distinguant par le style Art Nouveau, puis Art Décoratif. Ces tombes singulières démontrent alors, une esthétique bien particulière jouant sur l’importance de la ligne graphique. Puis à la fin XXème siècle, les tombes se re-simplifient, arborant un aspect similaire à celui du XVIIIème. 14
Elles sont alors composées d’un soubassement, d’une tombale, et d’une stèle. Un bas-relief et un épitaphe ornent souvent la stèle en granit. Tous ces événements, ces changements, ces évolutions, expliquent en quoi le cimetière, cet espace à la fois sacré et laïque, est devenu ce qu’il est aujourd’hui et comment nous nous comportons vis à vis de lui. Un temps habité, maintenant moins fréquenté, voire déserté.
Ci-contre, sépulture anonyme, Mours, XXème siècle.
Tombe de la famille Mandon, La Souterraine, XXIème siècle. 15
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Déambulations nécropolitaines. Le cimetière, comme nous l’entendons aujourd’hui, est défini comme étant un terrain à la fois public et sacré, où, après cérémonie, nous inhumons les morts, nos morts dans des tombes individuelles ou lignatères, sur lesquelles le souvenir est généralement signalé par un monument, des symboles ou des épitaphes.
Photographie personnelle, Cimetière de Louyat, Limoges. 17
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Le cimetière m’évoque plutôt «Un refuge contre les contingences sociales, rempart contre le quotidien de la réalité officielle, éloigné des bruits qui rappellent le rythme de la vie active, espace culte où le temps extra-ordinaire délaissant celui de l’horloge, de la loi, de la morale, semble ralenti, sinon suspendu...» comme le souligne André Chabot dans l’Érotique du Cimetière. En effet, quel autre espace que le cimetière pour se sentir hors du temps, hors de tout...? Se sentir ailleurs, avec eux, mais sans eux, seul ici. Penser, pleurer, rêver, se souvenir, et rire des bons moments passés en leur compagnie. Lors de mes différentes déambulations au coeur de certains cimetières de France, j’ai pu constater qu’il n’y avait pas un seul type de cimetière, mais plusieurs. Suivant les agrandissements des cimetières, nous pouvons différencier la présence du cimetière ancien, du cimetière des années 1950, puis du cimetière d’aujourd’hui. Il y a les cimetières monumentaux, presque des cimetières musées, remarquables, dont les impressionnantes sépultures sont ornées d’épitaphes grandioses en hommage aux grands artistes, aux personnalités ayant marqué leur époque. Il y a ceux qui s’étendent à perte de vue, où nous nous sentons immerger dans l’immensité d’une ville du néant, où demeurent seulement des juxtapositions et des accumulations d’un nombre innombrable de tombes, plus ou moins anciennes ou récentes. Il y a aussi les sites à moitié abandonnés, ébranlés par le temps, par la végétation qui a peu à peu repris ses droits laissant place à des tombes en suspens, prêtes à s’écrouler sous le poids de l’oubli. Photographies personnelles, Cimetière de La Croix-Rousse, Lyon. 19
Cimetière du Père Lachaise De tous les cimetières monumentaux, c’est certainement le cimetière du Père Lachaise qui est l’un des plus connu et visité de France. Cet espace funéraire, placé au coeur de Paris, dans le 20ème arrondissement, a été classé monument historique depuis le 24 juin 1993, de part son histoire, et les sépultures grandioses qui y résident. Les tombes y sont spectaculaires et d’une immense variété. De nombreuses personnalités y sont alors enterrées, sous leurs stèles toutes plus surprenantes, plus colossales et plus ornées les unes que les autres. Ces tombes grandioses ne sont, certes, pas toujours voulues par les célèbres défunts, mais souvent par leur entourage proche, qui en leur élevant des édifices prestigieux, leur accordent un dernier hommage, tout aussi époustouflant que leur carrière. Ceci contribue l’élévation sociétale de ces individus hors du commun. Nous pouvons y rencontrer Honoré Balzac, au détour d’un chemin, puis croiser la dernière demeure de Eugène Delacroix, de Molière, de Marcel Proust ou encore d’Edith Piaf. Plus loin, nous apercevons la tombe de Jim Morrison, ensevelie sous une quantité de fleurs, de mots, et d’images d’admirateurs. Pouvons nous dire que ces personnalités ayant marqué leur temps, ne seront jamais oubliées? Pouvons nous dire, que c’est parce que leurs sépultures sont tellement grandioses, que leur mémoire sera à jamais préservée? Mais qu’arrivera-t-il quand le dernier admirateur de Jim Morrison viendra à décéder, et que plus personne ne viendra déposer des objets hommages sur sa tombe? À moins qu’il y ait éternellement des admirateurs de Jim Morrison... Jim Morrison a-t-il été un leader tellement marquant que sa mémoire ait le pouvoir de perdurer pendant plusieurs générations? Je ne suis pas une grande admiratrice de 20
Jim Morrison, mon frère, oui, peut-être. Le cimetière du Père Lachaise est-il en réalité, un gigantesque champ de bataille où les défunts combattent pour être celui qui a eu et qui aura la plus grande notoriété, pour l’éternité? Les stèles élevées en leur honneur, en tant que dernière demeure, prennent-elles part dans cette lutte du souvenir éternel? L’élévation de ces tombes monumentales sont, en effet, une manière de lutter contre l’oubli, une façon d’amener la mémoire à survivre. L’oubli, l’indifférence, est certainement la plus grand crainte de l’être humain, et cette crainte est d’autant plus grande, qu’il en a conscience. «L’homme est le seul être vivant sur qui pèse la conscience de la mort. Il est le seul à savoir qu’il mourra. Sa vie se situe dans l’ombre de cette certitude. Il est infecté par la peur de la mort. Mais pour pouvoir vivre tout de même, il faut qu’il fasse comme s’il ne devait pas mourir. Pour survivre, il doit se bercer d’illusions.» comme l’explique le sociologue allemand Wolfgang Sofsky.
Tombe de Jim Morrison, chanteur du groupe The Doors - Cimetière du Père Lachaise.
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Le site mortuaire du cimetière du Père Lachaise, offre tout de même un spectacle au détour de chaque chemin, accueillant des tombes prenant l’allure de petits théâtres figés, mettant en scène des sculptures toujours plus réalistes et expressives. Nous pouvons apercevoir un homme, gisant sur une tombe, puis plus loin nous rencontrons la représentation d’un défunt qui lui, au contraire, revendique son envie de vivre encore et encore, essayant de s’extirper de son tombeau. Si nous poursuivons notre déambulation, nous distinguons une femme, recouvrant d’un drap, le corps d’un homme, de son amant peut-être... Puis, si nous prolongeons encore notre route, nous tombons face à une femme, assise, pensive, la tête accolée contre une stèle. Une multitude de petits scénarios me viennent en tête... Attend-elle? Si oui, qui, donc? Se languit-elle? Est-elle triste ou tout simplement perdue dans ses pensées? A quoi pense-t-elle, d’ailleurs? J’imagine alors ces sculptures de granit reprendre vie, s’animer, marcher, courir, sauter... Je leur invente des histoires, des histoires de la vie, parfois heureuses, parfois tristes. Je laisse alors vagabonder mon esprit, face à ces reproductions inanimées, aux visages figés, qui me regardent et me demandent «Fais moi vivre...», alors je les fais vivre, dans mon esprit, dans ma tête. Les morts vivent en nous, nous nous remémorons les histoires que nous avons pu partager avec eux, tant que nous nous souviendrons d’eux, ils ne seront jamais vraiment partis. C’est ce que souligne le philosophe Alain dans ses Propos sur le bonheur : «Les morts ne sont pas morts, c’est assez clair, puisque nous vivons.» C’est ce qui différencie les morts morts, ceux oubliés, des morts pas encore morts. Ce cimetière nous pousse à nous raconter des histoires, et c’est ce qui me touche. Je m’évade. Cela rend les choses paradoxalement moins dramatiques, malgré les traits profondément exagérés des sculptures que nous pouvons rencontrer sur le chemin. Le cimetière permet un ailleurs. 22
Sépultures - Cimetière du Père Lachaise, Paris.
Un ailleurs sacré, figé, silencieux, lent, hors du temps, hors de tout. Mon ailleurs. Votre ailleurs avec ceux qui vous rappellent que la vie n’a qu’une durée, que c’est ainsi, mais que la vie est bien trop courte pour que vous pensiez continuellement à eux, à nos morts. Il est temps d’aller de l’avant, et au détour du chemin, de penser à autre chose. Midi, si je déjeunais?
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Cimetière de Louyat - Limoges Le cimetière de Louyat, situé à Limoges nous raconte, quant à lui, une toute autre histoire. Ce cimetière est en réalité, l’un des plus grands de France et d’Europe, s’étendant sur plus de 35 hectares, et accueillant plus de 200 000 défunts, c’est à dire plus que l’actuelle population vivante de Limoges. Ce n’est donc pas simplement parce que je suis originaire de la ville de la Porcelaine, que je me suis rendue au sein de cet immense cimetière à l’horizon chargé de tombes. Le cimetière de Louyat, incarne presque quatre cimetières en un. Lorsque nous arrivons par l’entrée principale, celle des arcades, nous entrons directement dans la partie la plus ancienne du cimetière. Lorsque j’entre par cette entrée, j’ai l’impression d’être plongée dans un film de Tim Burton. Un décors occulte, sombre et mélancolique, mais pourtant emplie d’une sensibilité singulière- Je pense aux Noces Funèbres, à Big Fish ou encore à Sleepy Hollow. - Il y a comme une atmosphère à la fois pesante et touchante. Mais je sens comme un malaise qui rode par ici, au coin d’une sépulture. Un mausolée dont la porte est à moitié ouverte, ou fermée... Certaines tombes sont envahies par la végétation, mais elles restent marginales dans ce cimetière. Les toits de quelques unes se sont effondrés avec le temps, laissant les plantes entrer dans l’enceinte. J’y aperçois un nid, puis un oiseau. L’habitat du défunt s’est transformé en abris pour la faune des alentours. Le cycle de la vie suit son cours. Continuons notre route, et descendons un peu vers la partie plus entretenue et la plus imposante du cimetière. De chaque côté de l’allée principale, des sépultures grandioses, tout en prestance. L’herbe au devant des enfilades de mausolée, est scrupuleusement bien tondue. Tout est lisse, tout est propre. Mis à part cette herbe soigneusement tondue, la végétation est ici quasi inexistante. Cette partie du cimetière de Limoges, 24
Photographie personnelle, entrÊe principale du Cimetière de Louyat - Limoges. 25
ressemble en beaucoup de points au cimetière de La CroixRousse à Lyon. Tout est contrôlé, cadré, et triste... Pourquoi vouloir à tout prix entretenir ces monuments? Peut être pour préserver le souvenir, la mémoire. peut être pour cultiver la mémoire de l’être enterré ici, sous nos pieds. Pourquoi empêcher le temps de faire son oeuvre? Pourquoi vouloir en contrôler la destinée? Est-ce là une échappatoire que nous nous imposons afin de tendre vers l’illusion que leur mémoire sera à jamais entretenue? Pourtant, ces défunts là, nous ne les connaissons pas. La prestance de leur édifice funéraire nous montre, qu’ici, gît une personne qui a été importante pour la ville et son développement, mais sa tombe nous en raconte guère plus... Cette personne, qui repose ici, aimait-elle les promenades? Ou le chocolat? Combien d’enfants a-t-elle eu? A-t-elle été satisfaite de sa vie, passée ici, parmi nous? Je tourne alors la tête, lassée de cet édifice parfait, qui ne me raconte rien, et laisse mon regard se perdre devant les innombrables tombes qui se présentent devant moi. Soudain, je me fais surprendre par une petite plante cherchant sa place au coeur d’un nouvel édifice en granit. Celui-ci est aussi impressionnant que le précédent, sauf qu’ici, il a laissé place à une toute nouvelle pousse de vie. La rencontre du vivant et de l’inerte. Micro-végétal qui tente de ré-animer une tombe sans défaut, sans vie. Un souffle de vie perdu dans cette multitude d’architectures inanimées. Ce minuscule végétal, ce lichen qui se propage doucement sur la pierre, est-il la réponse témoignant que la terre accepte enfin le défunt en elle? Nous continuons notre marche vers la partie la plus récente du cimetière, où demeurent les «jeunes morts». Enfin, les morts pas encore tout à fait morts, car ils viennent de mourir, et que leur souvenir vit encore dans le coeur des personnes, qui vivent encore. «Le vrai tombeau des morts, c’est le coeur des vivants», décrit Jean Cocteau. C’est une fois 26
Photographie personnelle, Cimetière de Louyat - Limoges. 27
le coeur des vivants vraiment mort, que les morts meurent définitivement, et que là, enfin, ils sont repris par la terre. La plupart des personnes que j’ai questionné au sujet de ce lieu si singulier, trouvent les cimetières tristes, austères et froids. Certes, ce sentiment est insufflé par les matières qui y résident: gravier, béton, granit, marbre, céramique... Rien de bien chaleureux. Et ce sentiment est d’autant plus compréhensible lorsque nous voyons ce «nouveau» cimetière. Des enfilades de tombes. Une multitude d’enfilades de tombes. Des tombes, des tombes, des tombes. En effet, 35 hectares de tombes, cela fait vraiment beaucoup de tombes. Et c’est une fois en aval du cimetière, que nous nous rendons réellement compte de cet horizon chargé d’édifices funéraires. Mais ce n’est pas le plus perturbant. Le plus troublant, c’est de constater que ces tombes sont toutes pratiquement identiques. Aucun espace n’est laissé pour compte. Tout est rentabilisé, rationalisé. Nous pourrions nous croire dans Les temps modernes des morts. Assistonsnous à l’aliénation des défunts? Les tombes sont à la limite de se chevaucher. Pas le moindre centimètre les séparent des unes des autres. Des tombes pavillonnaires, avec un semblant de personnalisation, rien de plus. Vous choisirez les volets rouges ou les volets verts? Les morts n’ont même plus d’intimité. Ils sont rangés, classés selon leurs religions, leurs «rang social», et les moyens financiers qu’a pu mettre la famille dans leurs funérailles. Les tombes en marbre, avec les tombes en marbre; les sépulture en pierre, avec les sépultures en pierre; les défunts juifs, avec les autres défunts juifs, et ainsi de suite... L’étiquette sociale qui nous suit toute notre vie, nous suit jusqu’à l’endroit où notre corps reposera éternellement. Enfin, «éternellement», pas vraiment. Car même les concessions funéraires ont une durée de vie limitée. La concession funéraire peut, en effet être «perpétuelle» lorsqu’elle est accordée au demandeur pour une durée illimité, mais elle peut aussi être de durée variable, 28
Photographies personnelles, Cimetière de Louyat - Limoges. 29
cinq à quinze ans pour les concessions temporaires et entre trente et cinquante ans pour les concessions trentenaires ou cinquantenaires. Face à ces tombes, je ne ressens rien, je n’imagine rien. La croix qui statue au sommet de la stèle, me renseigne que cette personne, enterrée là, était certainement chrétienne catholique. Le compas et l’équerre, se trouvant au devant d’une autre plaque en marbre, me fait comprendre que le défunt était certainement un entrepreneur, ou un architecte, ou pourquoi pas un sculpteur, mais aussi certainement un franc-maçon... En faisant attention, nous pouvons dénicher quelques indices, mais seulement des indices nous menant à des informations officielles. Par conséquent, il n’y a pas vraiment de liens qui s’installent entre les visiteurs et les défunts inhumés sous ces stèles. J’entrevois tout de même une petite exception, une petite tombe au loin attire mon regard. Je m’y dirige. La sépulture est protégée par une serre en verre et granit, sur la stèle en granit, une multitude de fleurs s’amoncellent, il y en a tellement, qu’il est difficile de percevoir le nom du défunt inhumé ici. En se rapprochant, nous pouvons comprendre qu’il s’agit d’une femme, certainement fleuriste ou passionnée des fleurs autrefois. Les personnes vivantes auxquelles elle a été chère, lui ont alors rendu hommage ainsi. En recouvrant sa tombe de fleurs, de toutes sortes de fleurs, naturelles ou artificielles, peu importe, les proches tentent de faire perdurer sa passion, et à travers cette passion, la défunte. Cela m’atteint. Ces gestes me touchent. Je me remets à me raconter des histoires... Et quelque chose me dit, que cette femme décédée, mais passionnée des fleurs, doit en ce moment même, vivre encore intensément dans le coeur de ses proches. Je souris. Les tombes des gens du voyage sont également très fleuries, très surchargées de plaques souvenirs, et symbolise ainsi l’espace où toute la famille se retrouve. 30
Photographies personnelles, Cimetière de Louyat - Limoges. 31
En remontant vers la sortie du cimetière, nous croisons sur notre chemin, un nouveau quartier de cette cité immense, qui n’est autre que la ville des morts. Ce quartier est en fait, un cimetière militaire, consacré aux hommes morts pour la patrie durant la première Guerre Mondiale. Au centre de ces alignement de tombes, flotte le drapeau français. Signe d’hommage commémoratif ces soldats qui ont donné leur vie pour leur pays. Ici, chacun est logé à la même enseigne. Des croix en pierre, toutes de la même taille, déposées un ligne, face aux chemins. Au centre de ces croix, un médaillon de porcelaine. C’est au coeur de ses médaillons qu’est inscrit le nom du défunt qui repose là, devant nous, sous nos pieds. Je note que certains médaillons sont vides? Nous pouvons apercevoir seulement le blanc émaillé de la porcelaine qui se réfléchit au soleil. Certainement des tombes de soldats inconnus, de soldats n’ayant jamais été identifiés... Cela signifie donc, des familles qui n’ont jamais vraiment su que leurs fils, leurs pères, leurs oncles étaient enterrés ici, à Limoges. Comment faire son deuil dans des moments comme ceux là? Comment comprendre que la personne que nous attendons ne reviendra donc jamais? Vivre avec un espoir qui ne se matérialisera jamais. Le temps, nous apprend alors à accepter le non-retour.
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Photographies personnelles, tombes militaires, Cimetière de Louyat - Limoges. 33
Photographie personnelle, Cimetière de Louyat - Limoges. 34
Le cimetière incarne une faille spatio-temporelle. Le temps nous échappe, ou plutôt, le temps s’échappe ici, au coeur du cimetière dépeuplé et figé qui profite du soleil couchant. Il va d’ailleurs, falloir songer à quitter la ville des morts. Je n’ai aucune envie de me faire enfermer dans cet espace funèbre, comme cela m’est arrivé au cimetière de la Croix Rousse. Les gardiens sont tellement peu habitués qu’il y ait des visites dans ces lieux, qu’ils ferment les portent sans prendre la peine de vérifier s’il y a encore du monde à l’intérieur. Ce qui est certain, c’est qu’ils respectent les horaires de fermeture, et même avec quelques minutes d’avance. J’aime me promener au coeur des cimetières, mais pas au point de passer une nuit dedans. Heureusement que j’ai été acrobate dans une autre vie et que j’ai sauté le mur pour en sortir. Les morts ont dû bien rire, ce soir là...
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Cimetière de La Souterraine «La Souterraine, ici la Souterraine, veuillez emprunter le passage souterrain s’il vous plaît.» Cette phrase me fait toujours bien sourire à la sortie du TER Limousin. Mais si je vous amène ici, maintenant, vous enterrer au coeur du plus grand village de Creuse, qu’est la belle bourgade de La Souterraine, ce n’est pas par hasard. Le cimetière de La Souterraine, situé en amont de l’église, en retrait de l’unique rue passante de la ville, est un espace pratiquement rendu à la nature. Ce site funéraire regorge d’un nombre assez conséquent de petites curiosités... Les tombes sont ici toutes différentes. Certaines récentes, d’autres oubliées. Certaines sont sur le point de s’effondrer, d’autres défient les lois de la gravité retenues par des lianes végétales, puis, plus loin, certaines sont carrément ensevelies sous la végétation, et d’autres encore se sont écroulées. Comme si la terre commençait à les digérer, à les absorber... Comme si la terre avait enfin choisi de les reprendre. Ces morts sont enfin revenus à la terre. Plus rien ne les retient. Les vivants les ont enfin laissé partir, avec leurs souvenirs. Ils sont enfin morts pour de bon, ces défunts qui gisent ici. Puis, paradoxalement, c’est cette végétation qui permet la vie, le mouvement, le changement... Cette végétation qui reprend ses droits nous fait alors comprendre que la vie n’est qu’un cycle en perpétuel recommencement. Nous naissons, nous vivons, nous mourons une première fois, nous ressuscitons alors à travers nos proches, puis nous mourons pour de bon, nous sommes oubliés, nous revenons enfin à la terre, cette terre qui nourrira les prochains vivants. C’est ce que nous raconte la poésie de ces ruines. L’ancien, l’usé, l’accidenté nous touche, bien plus que le contrôlé. Cet accidenté nous parle, car tout comme nous, il est imparfait, changeant... Humain?
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Photographie personnelle, Cimetière de La Souterraine.
L’ancien nous transmet un vécu, une histoire et des ressentis. Il y a là une tension palpable entre les ruines, et le sentiment de plénitude, tel un accomplissement paradoxal. L’imparfait nous rassurait-il? L’usé nous rappellerait-il ce qu’est la véritable vie? 37
Le cimetière incarne une véritable cité, bâtie pour que les morts puissent demeurer à tout jamais quelque part, mais aussi, avant tout pour que les vivants puissent accomplir leur deuil en leur rendant hommage. Ces espaces funéraires sont organisés en miroir de nos métropoles, avec des quartiers, des allées, des noms de rues, des sections, des bâtiments... Seulement, la vie des morts prend véritablement place sous nos pieds et sous terre, alors que la notre, trouve la sienne juste au dessus. Les tombes se matérialisent alors comme d’authentiques portes, symbolisant le passage entre la voix du vivant qui s’adresse au défunt. J’imagine alors des sonnettes, installées sur chacune de ces stèles. Je me vois alors prendre mes rollers, un bel aprèsmidi ensoleillé, pour aller sonner chez un mort, pour discuter autour d’un bon thé fruits rouge. Il me raconterait ce qu’a été sa vie, ses aventures, ses déboires, et nous ririons aux éclats. Seulement, au fond, ce cimetière reste un endroit assez contraignant... Ces alignements de tombes froides, grises, maussades, mornes, dénuées de sensibilité ne nous incitent pas vraiment à s’y rendre. Et quand nous nous y rendons, que nous venons déposer des fleurs sur la tombe d’une personne qui nous a été chère, et que nous constatons que sa stèle funéraire est pratiquement identique à celle du voisin, cela nous met profondément mal à l’aise. La banalisation et l’analogie formelle des sépultures actuelles réduisent alors la portée symbolique et l’affection. Nous avons alors, encore moins envie d’y revenir. La mort d’un proche est déjà assez difficile à vivre et à concevoir, pourquoi devons nous, en plus ce cela, nous confronter à de telles architectures? Pourquoi ne pas chercher à changer cela? Pourquoi ne pas chercher à rendre ces cimetières français moins austères? Car la mort fait partie de la vie, pourquoi ne pas tendre vers une acceptation plus douce, une réconciliation avec celle-ci, avec nos défunts? Pour eux, pour nous. 39
Face au cimetière
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Face à ces tombes en granit, marbre et autres matières dites «pérennes» mais d’une froideur extrême, nous avons tendance à nous sentir mal à l’aise, tendus, désorientés... Pas à notre place dans ce monde de morts, figé et glacé, alors que nous, vivants, nous vivons et souhaitons vivre encore. Ces tombes incarnent un rappel à l’ordre peut être bien brutal: «Attention, toi qui vit, toi aussi tu finiras ici!». Pourtant, c’est un tel ravage que ce lieu cimetière reste «Un jardin où l’on vient apporter des fleurs seulement une fois par an» comme le note le romancier et essayiste français Léon Bloy.
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Cimetière, espace déserté. Mis à part dans les villages et les campagnes, où beaucoup de personnes se rendent au coeur des cimetières lors de la Toussaint ou des Rameaux, nous pouvons constater l’absence quasi permanente de visiteurs dans les cimetières urbains. Lors de ma promenade en compagnie de mon père, au coeur des 35 hectares de tombes du cimetière de Limoges, nous avons dû croiser une quinzaine de personnes tout au plus... Quinze vivants pour 200 000 défunts, c’est tout de même peu. Certes, si nous additionnons le nombre de morts, à travers toutes les générations jusqu’à la notre, il y a forcément plus de morts que de vivants. Mais tout de même, pourquoi?
Déclin des croyances catholiques en France Le retrait des vivants de ces espaces funéraires, en France, s’explique par le biais de divers facteurs. La première cause de ce dépeuplement de vivants chez les morts, est en partie dû au déclin de la religion, et plus particulièrement de la religion catholique en France. Depuis la séparation brutale entre l’Église et l’Etat, lors de la révolution Française, l’influence catholique a connue des phases différentes, des hausses et des déclins, jusqu’à nos jours. Le pouvoir politique se distingue des organisations religieuses, mettant en avant la libre pensée de tous. La liberté d’opinion et de conscience est alors respectée. Ceci n’est pas sans conséquence pour l’Église, et part la même pour le cimetière, celui-ci perdant peu à peu son statut de sanctuaire sacré, au sens religieux du terme. Nous nous rendons depuis en ce lieu, uniquement pour les cérémonies d’inhumation, ou pour la Toussaint, fête religieuse se déroulant le 1er et le 2 novembre de chaque année, célébrant tous les saints et la commémoration des 45
fidèles défunts, fête des morts qui subsiste tout de même à travers les générations. Malgré un nouvel essor de la religion catholique auprès des jeunes, nous rendons de moins en moins visite aux morts, à nos morts, et cela, pas parce que nous nous ne pensons pas à eux, mais parce que notre rapport au cimetière se distancie, peut être actuellement, des aspects religieux et sacrés. Il ne faut pas omettre la célébration des Rameaux, fête chrétienne, qui perdure également dans notre pays à l’histoire catholique. Les proches viennent alors déposer sur les tombes, la veille du lundi de Pâques, des branches de rameaux préalablement bénis par le prêtre de la paroisse. Cet espace funéraire, bien qu’il soit devenu aujourd’hui un terrain à la fois public et sacré, nous renvoie à l’image que nous nous faisons de l’Église. Le geste de venir se recueillir devant nos morts, n’est alors effectué, au mieux, qu’une fois par an, lors de la commémoration des défunts, où nous venons, généralement, déposer des Chrysanthèmes, fleurs automnales qui ont la particularité de résister au gel de l’hiver s’annonçant. Le cimetière se transforme alors en un jardin extrêmement fleuris, où le jaune puissant des chrysanthèmes vient contraster avec le gris des tombes. Le cimetière se réchauffe et devient autrement.
Cimetière Saint Joseph - Île de la Réunion. 46
Éloignement La disparition graduelle de visiteurs au sein des cimetières, n’est pas seulement un souci d’éloignement religieux, mais elle est aussi due au constat des éloignements géographiques et administratifs. «Les jeunes ont aujourd’hui bien d’autres choses à penser, bien d’autres préoccupations.» m’a confié la fleuriste spécialisée dans les ornementations funéraires et installée en face du cimetière de La Croix Rousse, à Lyon. Il est évident que nous sommes loin de nous rendre une fois par semaine au cimetière, comme il était courant il y a encore quelques décennies. Nous avons, en effet, l’esprit occupé par bien d’autres choses: faire les courses, cuisiner, sortir, aller à des concerts, travailler, travailler pour gagner plus, et puis maintenant il y a la crise, économiser pour réussir à boucler ses fins de mois, économiser pour partir en vacances, aimer, s’installer, avoir des enfants, les voir grandir et alors rajeunir, penser à leur avenir, s’inquiéter, profiter... En réalité, nous pensons à tout autre chose qu’à la mort, ou nous ne prenons plutôt, vraiment le temps d’y songer, car ces préoccupations là, ont toujours existé. Nous voulons profiter pleinement de notre vie, sans prendre réellement le temps de ralentir. Nous voulons vivre intensément, avoir une vie bien remplie, pour avoir des tas d’événements à raconter... Mais à raconter à qui? Une fois le moment venu, nos enfants voudrons, eux aussi, vivre leur vie de manière intense. Ils voudront mordre la vie à belles dents, la saisir, et ne plus la lâcher. «C’est MA vie!». Et alors, ils ne prendront pas le temps de nous écouter, d’écouter le récit de notre vie... À quoi bon vivre trop vite, si nous ne prenons pas le temps d’apprécier ces moments que nous faisons s’enchaîner trop vite? Si nous ne prenons pas le temps d’écouter le temps qui passe, de profiter de l’instant, de se dire, à cet instant que nous nous sentons bien? 47
Nos trains de vie s’accélèrent. D’ailleurs, nous ne vivons plus au rythme du train, mais plutôt au rythme d’avions aérodynamiques. Avant, nous nous levions avec le soleil, et nous nous couchions avec. Maintenant, avec les avancées technologiques, nous avons le pouvoir de défier les lois de la nature. Nous pouvons travailler de nuit grâce à l’invention de l’électricité et à la mise en place du 3x8 pour que les entreprises tournent 24h/24. Et tout cela, dans un souci de production et de rentabilité. Nous vivons à l’échelle internationale. J’habite à Seoul, alors que mes proches sont en France. Ma famille est enterrée en Bretagne alors que j’habite à Limoges. Nous nous éloignons de nos attaches. Nous nous émancipons de nos lieux de naissances, de nos origines, et par conséquent, nos défunts ne sont plus forcément auprès de nous, physiquement. Nous ne prenons plus le temps de leur rendre hommage. Pourtant, il nous arrive d’y penser. J’y pense. Mais souvent, seulement lorsque la mort nous surprend.
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Délégation des rites funéraires Lorsque la mort nous surprend, qu’elle nous enlève un proche, sans plus jamais nous le rendre, nous nous sentons démunie et frustré. Et face à cela, nous nous tournons vers la famille, les amis, mais aussi vers les entreprises de pompes funèbres. Ces entreprises prennent en main tout le déroulement du rituel funéraire. Elles se chargent de l’entretien funéraire avant le jour de la cérémonie, proposent d’organiser la veillée, puis orchestrent toute la cérémonie funéraire: mise en bière, fermeture du cercueil, culte ou cérémonie civile, condoléances, puis enterrement ou crémation. Tout est pris en charge. Il est maintenant possible d’organiser ses funérailles par anticipation, par le biais d’un contrat obsèques, afin de décharger nos enfants des désagréments qu’une telle organisation peut engendrer lors d’un événement aussi difficile que celui-ci. Nous pouvons alors penser que ceci nous permet de mieux nous concentrer sur notre deuil. Se décharger de cette organisation pesante, peut en effet, nous autoriser à prendre le temps de se recueillir, de prendre le temps d’accepter que cette personne, à qui nous tenions tant, est partie. Seulement, en nous délestant de ce poids, qu’est l’orchestration de funérailles, nous avons du mal à nous approprier sa disparition. Le lien est rompu, peut être trop brusquement, car dès que cette personne est partie, d’autres s’en occupent à notre place. Nous ne prenons plus soin du défunt après son départ, nous ne le touchons plus, comme si la mort était une maladie contagieuse, et par conséquent, nous ne pouvons plus vivre notre deuil à notre manière. Nous ne nous l’approprions plus. Et si le souhait de ce défunt était que nous célébrions sa mort autour d’un bon verre de pastis et d’une belle partie de pétanque? Les professionnels du funéraires seraient-ils prêts à organiser de telles funérailles? Je doute que les professionnels acceptent une telle organisation. Si cela est 49
rendu possible, ceci est généralement, entièrement dû aux proches du défunts. D’autant plus que le choix, concernant les articles funéraires est assez restreint et d’esthétique quelque peu hostile... Voire même décevant et désolant. Tout est extrêmement normé, codé, et classifié selon le Code des Généralités des Collectivités Territoriales . Les professionnels disposent d’une base de données regroupant toutes les formes de stèles disponibles, et essayent au mieux de trouver la forme correspondante aux souhaits de la famille. Seulement, le choix se cantonne à des propositions de monuments d’inhumations ou cinéraires demeurant dans une harmonie esthétique froide, terne, et dure comme me l’a montré un salarié de l’entreprise funéraire ETS Chaboud. À moins d’avoir été Dalida - «Caramel, bonbons et chocolat...» - avec ses moyens financiers, il est difficile d’avoir un édifice funéraire à notre image, tel que nous le rêvons. Au lieu de cela, nous demeurerons toute notre mort, dans ces tombes pavillonnaires. Ce moment intime, de douleur, que nous vivons seul, face à nous même et à la mort, nous est en fait, à moitié enlevé, car les entreprises funéraires nous proposent des funérailles «clefs en main». L’intention initiale est certainement louable. Les entreprises funéraires nous proposent une prise en charge personnalisée, afin que nous puissions avancer, et penser à autre chose. Cependant, comment prendre réellement conscience que la personne et réellement partie alors nous n’avons pas pu nous investir dans son départ? Prendre soin d’elle jusqu’au bout? L’accompagner jusqu’au début de sa mort? L’aider à entrevoir le chemin, pour le rassurer, pour nous rassurer, puis le laisser s’en aller.
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Face à la mort Rites funéraires contemporains Suite au déclin des pratiques religieuses et des croyances, de nouveaux rites funéraires laïques apparaissent peu à peu. Les cérémonies religieuses ont laissé place aux cérémonies civiles. Ces cérémonies concernent les personnes qui ne souhaitent pas intégrer d’aspects religieux lors des funérailles. Ces cérémonie prétendent à une plus grande ouverture d’esprit que les cérémonies religieuses, laissant aux familles un libre choix, mais tout de même limité, d’organisation concernant l’ambiance souhaitée, la lecture ou non de textes, le passage de morceaux musicaux, et les moments de recueillement... La cérémonie laïque ou civile se déroule généralement, sur le lieu de mise en bière ou le lieu d’inhumation ou de crémation du corps du défunt. La cérémonie peut, aujourd’hui, aussi bien avoir lieu dans un funérarium, un salon funéraire, au cimetière ou au crématorium. Les obsèques civils s’organisent selon plusieurs étapes, comme me l’a expliqué un conseiller funéraire de l’entreprise Jouandou, située à Limoges. Tout d’abord, les employés des pompes funèbres procèdent à l’accueil de la famille et des proches du défunt. Ceci permet aux familles de contrôler l’accès à la cérémonie, et d’éviter que celle-ci soit trop exposée aux regards, pour ainsi préserver ce moment d’intimité. Puis l’officiant évoque, par prise de parole la disparition de la personne décédée. La famille peut ensuite lire quelques textes ou poèmes, ou encore demander le passage d’une musique particulièrement appréciée par la personne disparue. Il en suit l’étape du recueillement lors d’un moment de silence, puis, le temps de l’hommage avec l’évocations des engagements importants du défunt tout au long de sa vie. Des fleurs, des bougies, des pétales, des mots, des photos peuvent ensuite être 51
déposé aux côté du corps de l’être décédé. Une dernier geste est alors effectué, par les proches et la famille avant l’inhumation ou la crémation, comme un dernier au revoir. Ces étapes peuvent être établies dans des ordres différents, selon les souhaits des familles. La cérémonie, qu’elle soit religieuse ou non, reste tout de même une étape importante dans le processus de deuil, permettant l’adieu à l’être cher. Croyants ou non, pratiquants ou non, les funérailles marquées par une cérémonie, traduisent généralement dans l’inconscient, une volonté de rassemblement de la famille et des proches autour du défunt, afin de tendre vers l’accompagnement et l’acceptation. Ce que nous pouvons aussi souligner à travers ces nouvelles cérémonies et ces nouveaux rites funéraires, c’est que celles-ci témoignent des changements de notre rapport contemporain à la mort. Autrefois, la mort faisait partie intégrante de la vie quotidienne. Les enfants vivaient cela en famille et participaient aux veillées. Aujourd’hui, nous les tenons éloignés. Nous voulons les protéger. Nos enfants sontils plus sensibles qu’avant? Cependant, en ne participant pas à ces instants, réalisent-ils, comprennent-ils, ressentent-ils la séparation? Ou les laissons nous dans l’illusion du faire semblant, afin que nous, parents, nous puissions nous imprégner de ces moments de transitions? «Il est où papy? Il est parti en voyage, dans un pays très lointain...»
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Le rôle des fleurs Lors de funérailles, nous pouvons remarquer l’importance de la présence de fleurs. Bien qu’elles ne soient pas obligatoires lors des cérémonies civiles, la famille étant libre de personnaliser l’hommage, les fleurs trouvent naturellement leur place lors des obsèques. Ce geste du dépôt de fleurs, découle certainement des traditions catholiques, qui même avec l’essor de la laïcité, reste encore profondément encrées dans les rites funéraires français. Que ce soit lors de la cérémonie, lors de l’inhumation ou lors de visites au cimetière, les fleurs, quelles soient naturelles ou artificielles nous entourent toujours. Depuis quelques décennies, l’essor des fleurs artificielles est principalement dû à l’éloignement géographique des familles, mais aussi aux personnes vieillissantes ne pouvant plus venir entretenir et arroser les fleurs sur les sépultures. Offrir des fleurs, lors de la cérémonie, est un geste simple, permettant d’exprimer notre empathie, et notre soutient à la famille du défunt. C’est aussi un dernier hommage que nous rendons au défunt, évoquant notre respect et nos ressentis vis à vis de la personne qui est partie. Cependant, les fleurs symbolisent avant tout l’âme de la personne disparue. Les fleurs évoquent une certaine réalité fragile. Une étroite relation règne entre fleurs et mort, peut être comme ci, celles-ci incarnaient le moment éphémère qu’est la vie et tendaient vers l’apaisement. La présence de fleurs, permet aussi l’apport de couleurs lors de ce moment si difficile, qui est celui du dernier hommage, marquant la transition vers le processus de deuil, pour nous, vivants. Les fleurs sont-elles la matérialisation du lien suprasensible entre nous, vivants, et nos morts? Sont-elles vecteur et médiateur d’apaisement et d’accompagnement? Le végétal permet l’hommage, le recueil, et la réminiscence. 53
Photographies personnelles, Cimetière de Louyat - Limoges. 54
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Expérimentation photographique réalisée avec des fleurs artificielles, ramassées lors de ma déambulation au coeur du Cimetière de Louyat, à Limoges. 56
Les fleurs incarnent peut être, le sens de la vie, ainsi que ce lien ambiguë, entre douleur et amour, entre respect et trouble, qui nous unis à nos morts. Les fleurs, artificielles ou non, demeurent, cependant, avant tout un présent que nous faisons au défunt, pour commémorer son jour d’anniversaire de naissance et de mort. C’est un cadeau qui nous lie, qui nous fait entretenir ces souvenirs si précieux. C’est un gage de respect et de sagesse.
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Notre rapport métaphysique à la mort La perte d’un être cher nous désarme. Nous nous sentons profondément seuls, bien que nous soyons entourés, incompris tandis que d’autres vivent les mêmes événements, perdus alors que nous devons avancer, inconsolables face au réconfort de nos proches. Nos codes, nos discours officiels, nos rites ne peuvent rien à nos angoisses, à nos doutes, à nos sentiments, à notre désarrois et à notre impuissance devant cette mort incontrôlable, imprévisible et occulte. Quels sont nos véritables espoirs face à la disparition d’un être cher? Je voudrais qu’il veille sur moi. Nous voudrions qu’il nous accompagne, ce défunt à qui nous tenions tant. Nous ne voulons pas le laisser partir, pourtant, sa vie, ici, parmi nous, est bien finie. Cette personne disparue sait-elle à quel point cela fait mal? Sait-elle combien elle me manque? Oui, certainement, elle le sait, mais peut être qu’elle désire plus que tout, que nous profitions de la notre, de vie. Mais en attendant, sur qui, sur quoi pleurons nous? Où vont réellement nos larmes? Sur ces tombes uniformes et dénuées de sensibilité? Quelle contradiction! Alors que nous avons besoin de recul et d’apaisement... Les tombes au coeur des cimetières ne sont que les témoins de notre souffrance face à la mort. Cependant, ne devraient-elles pas nous aider à aller mieux? Ne devraient-elles pas incarner un médiateur emplie de sagesse qui nous accompagnerait vers ce chemin difficile, qui est celui de l’acceptation?
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Développement des lieux de cultes virtuels Face à ce vide, à ce néant, à ce rien, nous ne savons plus vers qui, vers quoi nous tourner. Nous ne croyons plus en Dieu, ou en tout cas plus comme autrefois. Certains d’entre nous se tournent alors vers l’espace qui représente aujourd’hui, peut être, le mieux cette notion d’impalpable, d’immatériel et de vide: Internet.
Facebook Facebook incarne certainement aujourd’hui le plus populaire des réseaux sociaux sur Internet. Ce réseau social permet à toute personne possédant un compte de créer son profil et d’y publier des informations professionnels ou privées, dont elle peut contrôler la visibilité par les autres, possédant ou non un compte. Marc Zuckerberg, le fondateur du réseau social, annonçait d’ailleurs, en 2010, que le réseau social regroupait plus de 500 millions de membres actifs, dont 17,2 millions de français. Facebook est devenu un phénomène international, permettant un échange d’informations au delà des frontières, et peut être même, au delà de la mort. Créer son compte Facebook est une manipulation assez simple à effectuer, cependant, ce n’est pas la même histoire en ce qui concerne la suppression de ces profils. La suppression de comptes met du temps, et nécessite le transfert de plusieurs codes confidentiels, que seule la personne concernée connaît. C’est ainsi que le réseau social Facebook est enclin à devenir le plus grand cimetière mondial, les personnes décédées ne pensant pas à communiquer leurs codes confidentiels lors de la rédaction du testament de leur vivant. Facebook renferme donc, de plus en plus de profils dont les «gestionnaires» ne sont plus de ce monde. Et ce qui 61
est surprenant, c’est que les proches de ces personnes disparues continuent d’entretenir ces profils, en laissant des messages, des commentaires ou encore des photographies. Nous pouvons quelque fois lire sur ces profils «Je pense à toi», «Cela fait un an maintenant.» ou encore «Tu seras toujours là.». La parole du défunt est entretenue au delà de la mort. Est-ce là une manière de lutter contre la réalité de la mort? Une façon de faire perdurer les personnes qui nous sont chères, ou de renier la perte d’un proche? Ce cimetière virtuel permet-il la transition, le deuil, le souvenir ou est-il vecteur de refus, de dénégation vis à vis de la perte d’un être cher? Face à cette incompréhension, qu’est la mort, nous nous tournons vers le virtuel afin d’espérer une réponse. Internet est-il devenu l’Au-delà contemporain? Internet a-t-il remplacé le spiritisme?
Visuel de l’application «I-Tomb», proposée par la société I-Postmortem.
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Tombes virtuelles Internet est, en effet, devenu un réel support d’échange entre vivants et défunts, ou plutôt entre vivants et le souvenir qu’ont les vivants des défunts. De plus en plus de sites internet proposent des applications ou des services, afin d’entretenir le lien avec nos morts. C’est ainsi que la marque Apple, propose une nouvelle application nommée «I-Tomb» éditée par la société I-Postmortem en seize langues, téléchargeable sur les I-Phone, I-Pod et autres I-Pad... Cette application a pour vocation d’accueillir la mémoire de ceux et celles qui nous ont quittés, par le biais d’un mémorial virtuel mis en ligne. L’entretien de la tombe virtuelle coûte environ 50 dollars par an, garantissant un accès sécurisé aux familles des défunts. Les personnes autorisées par les proches pourront alors venir à tout moment se recueillir, partager des photographies, revivre des moments passés avec la personnes disparue par le biais de vidéos, ou encore allumer des bougies virtuelles. « La vidéo a un pouvoir colossal », constate Jacques Mechelany, PDG d’I-Postmortem, qui ajoute, « Aujourd’hui, il y a une véritable demande de préservation de la mémoire digitale, surtout chez les gens de plus de 40 ans avec des enfants. Notre pari est que d’ici 20 ans, tout le monde possédera une tombe virtuelle ». Les «futurs défunts» veulent s’assurer que nous nous souviendrons d’eux après leur disparition, et ils espèrent y parvenir par le biais de ces nouveaux services «post mortem». D’ici 20 ans, nous viendrons alors consulter la «page post-mortem» de ceux qui nous étaient chers, et nous pourrons venir fleurir virtuellement leur tombe. L’entretien immatériel remplacera alors l’entretien matériel du souvenir, du culte et du recueil. Le site internet «after-me.com» propose également des services afin de laisser des messages de nous après notre mort. Par le biais des slogans « Parce que votre vie mérite d’être raconté et de survivre au temps.» ou «Ne laisser plus la mort gâcher 63
votre vie.», After-me nous propose de transformer notre vie, en une vie «inoubliable». Seulement, avec le temps, les souvenirs s’effacent, et nous oublierons peu à peu ce qu’a été la vie de nos aînés. Lutter contre cet effacement n’est peut être qu’illusion, car une fois que nous serons partis à notre tour, qui ira consulter les «profils post-mortem» de nos prédécesseurs? Le recours au virtuel, à l’immatériel est-il le témoignage de notre éloignement vis à vis du vrai, du palpable, du véritable deuil? Est-ce là le message, que, face à la mort, nous ne pouvons et savons rien? Face à la mort, notre horizon est troublé, et nous n’avons connaissance d’aucune réponse. Nous sommes ignorants face à la mort, et nous tentons de ne pas y songer. Nous tendons vers le virtuel, peut être, pour éloigner la concrétisation de l’idée de perte. Nous nous leurrons à entretenir des liens virtuels avec nos défunts, nous nous laissons croire qu’ils seront toujours là, par le biais du virtuel, au lieu d’accepeter la transition, et d’admettre que ceux-ci sont réellement partis.
Visuel du site internet «After-me».
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Dernière demeure
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Urne bio-dĂŠgradable BIOS, Martin Azua.
Innovations funéraires Le nouveau design funéraire L’urne biodégradable Bios, du designer espagnol Martin Azua, est issue d’une réflexion sur le rapport entre la crémation et l’éco-conception. En effet, réalisée en matériaux bio-dégradables tels que des coquilles de noix de coco, de la tourbe compactée et du cellulose, cette urne funéraire répond à l’augmentation des demandes en terme d’incinération. De plus, Bios, présente une certaine symbolique autour du retour à la terre par le biais de l’espace pensé pour recueillir les cendres du défunt à l’intérieur de l’urne, qui permettra la pousse d’un nouvel arbre. Les cendres deviennent des nutriments. La mort permet la vie et le cycle suit alors son cours. Le défunt est alors libre de choisir à travers quel arbre ou arbuste son souvenir perdurera. Peut être que je deviendrais un chêne où mes petits enfants pourront installer une balançoire et venir se réfugier à l’ombre de mes feuilles durant les longues journées d’été. L’urne Bios offre une belle alternative à l’inhumation, considérée aujourd’hui comme encore trop polluante pour les sols suite aux traitements dus à l’embaumement. Cependant, le designer, tellement enfermé dans son cahier des charges, en a oublier l’aspect humain. L’aspect visuel et relationnel entre l’homme et l’objet. Martin Azua a alors dessiné cette urne comme le plus commun des objets consommables, avec une charte graphique faisant référence au recyclage et au tri sélectif. En effet, Bios ressemble en beaucoup de points au packaging des cafés Starbucks... Et cela galvaude bien des choses. L’intention lors de la création du produit était certainement bonne, mais nous pouvons nous méprendre sur sa symbolique. Sommes nous considérer comme des produits à recycler? Devenons-nous, nous aussi, des produits consommables et jetables? La mort doit 69
elle être incarner dans de telles propositions? L’aspect formel des produits liés au funéraire est d’autant plus important à prendre en compte, ainsi que la symbolique, l’usage, la fonctionnalité et la sémantique de ces objets qui accueillent nos cendres ou nos corps. La designer française Christelle Boulé s’inscrit dans le même raisonnement que Martin Azua, en proposant Origen, une urne respectueuse de l’environnement conçue en matériaux recyclables et contenant de la terre, de l’engrais naturel, et une graine permettant le développement d’un arbre. Cependant, l’aspect esthétique fait échos à une boîte en carton stylisée. Il y a là, une certaine contradiction entre la matière employée et la forme angulaire réalisée. Le matériaux bio-dégradable utilisé paraît pauvre, sans âme, terne et impersonnel. Le dépliant présentant l’urne Origen, semble plus mettre en avant les bienfaits des arbres sur la planète que le respect du défunt. Nous pouvons y lire cinq bonnes raisons pour que nos cendres permettre la pousse d’un arbre: «Premièrement, les arbres améliorent la qualité de l’air. Deuxièmement, les arbres augmentent les habitats de la faune. Troisièmement, les arbres fournissent de l’ombre à l’été. Quatrièmement, les arbres préviennent des inondations. Cinquièmement, les arbres ralentissent le réchauffement climatique.» Certes, les arbres sont les poumons de notre planète et incarnent un véritable enjeu dans sa préservation, mais qu’en est-il de notre rapport métaphysique avec l’être que nous venons de perdre? Sur quoi allons nous pleurer, prier, penser, en attendant que cet arbre voit enfin le jour? Le retour à la terre est une manière d’apaiser nos ressentis face à la mort, cette mort qui nous effraie, nous prive de nos proches et dont nous savons peu de choses. Seulement, pour nous recueillir, nous avons besoin d’un monument devant lequel nous pouvons nous tenir.
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Urnes bio-dégradables Origen, Christelle Boulé.
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Le studio suédois Lots, s’est également intéressé au domaine funéraire et nous propose alors Memento, une urne funéraire écologique dédiée aux inhumations en pleine mer créée pour la société américaine Passages Internationnal. Sa forme organique, douce et neutre rappelant la coque d’un bateau, lui permet de rester en flottaison quelques instants avant de s’éloigner vers le large et de sombrer dans les profondeurs. L’esthétique de cette urne, permet aux proches du défunt d’apposer des derniers messages avant que celle-ci chavire définitivement. Memento s’adapte à la plupart des cultures et croyances de par sa forme libre. L’éloignement vers le large permet une certaine transition, amenant peut être une acceptation plus douce du décès, et en contribuant ainsi au travail de deuil. Cependant, ce principe, comme toute dispersion des cendres, pose un problème de traçabilité. En effet, en France, selon l’article L. 2223-18-3 du Code Général des Collectivités Territoriales, «En cas de dispersion des cendres en pleine nature, la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles en fait la déclaration à la mairie de la commune du lieu de naissance du défunt. L’identité du défunt ainsi que la date et le lieu de dispersion de ses cendres sont inscrits sur un registre créé à cet effet.» Cependant, nous ne saurons jamais vraiment où ces cendres auront été dispersées, et nous nous ne pourrons jamais nous recueillir devant l’endroit exact de cette dispersion. Nous devrons nous contenter de scruter l’horizon, face à cette mer bien mystérieuse. Nous n’avons alors aucun monument auquel nous référer et nous rattacher. Memento, Lots.
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Revenons-en à l’inhumation. C’est en me rendant à la biennale de St. Etienne, en décembre 2010, que j’ai découvert le projet de La Dalle Mémoire proposé par BETC et St. Gobain. Ce projet est issu d’une réflexion sur les rites funéraires et s’attache à la question du souvenir et de la dernière image que nous souhaitons, laisser de nous, à nos proches. BETC Design a alors imaginé un objet qui s’inspire à la fois du travail de conservation de la momie, au rôle de protection du cercueil et à la fonction de mémoire de la pierre tombale. Celle-ci est réalisée en verre, un matériau dit intemporel et durable. La Dalle Mémoire intègre une photographie grandeur nature du défunt, image que celui-ci aura préalablement choisie. Celle-ci, visible par tous au moment de l’hommage et du recueillement disparaîtra soudainement à l’issue de la cérémonie. Par un simple geste de la main au dessus de la dalle, l’écran de verre clair feuilleté s’opacifie, effaçant à jamais l’image du défunt. L’idée de transition et d’effacement est intéressante, cependant, lorsque j’ai regardé de plus près le produit proposé, je me suis aperçue que la disparition de l’image du défunt est contrôlée par un interrupteur électrique ne proposant seulement deux positions: allumé, éteint. Ce processus était-il uniquement mis en place pour l’exposition de la biennale, ou le procédé définitif? Je ne sais pas. En tout cas, je me suis demandée où était la transition et la poétique de l’instant vis à vis de ce projet mettant en avant une image parfaitement retouchée, ici, en l’occurrence, de la défunte. Une image lisse, parfaite, présentant un canon type de beauté féminine: une jeune femme blonde, mince, aux yeux clairs, vêtue d’une robe blanche prénommée «Miss Eternity». Les morts ont-ils aussi leur «Miss»? Nous avons tous envie de transmettre la meilleur image qui soit, de nous à nos proches, à nos enfants. Et ceci est tout à fait louable de notre part. Seulement, lorsqu’une personne qui nous était chère décède, nous nous remémorons naturellement les meilleurs instants passés en sa présence. 73
La Dalle MĂŠmoire, BETC Design et Saint Gobain. 74
Je préfère me rappeler des moments passés avec mon grandpère quand nous allions chercher les coquillages à marée basse durant les vacances d’été lorsque j’étais enfant, que d’une image lisse et retouchée sur un cercueil en verre feuilleté. Les ressentis sont délaissés au détriment d’une image sublimée qui ne reflète pas ce qui nous lie véritablement à la personne disparue, c’est à dire ce que nous avons vécu avec elle, et les souvenirs personnels que nous pouvons ressentir. Ces designers, peut être trop enfermés dans leurs cahiers des charges respectifs, ont privilégié l’aspect écologique ou innovant de leur production au détriment de la véritable relation métaphysique que nous ressentons, nous, humains face à la perte d’un proche.
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La mort doit-elle être «designée» ? Cette analyse de ces nouveaux produits funéraires, m’amène alors à me demander si la mort doit être réellement «designée»? Si celle-ci doit s’incarner en une forme définie et finie? La mort est un phénomène qui nous échappe, alors pourquoi vouloir en maîtriser l’aspect formel? Nous avons, avant tout, besoin d’être entouré pour établir notre travail de deuil, d’être rassuré, accompagné, et de déverser tout ce que nous ressentons vis à vis de la personne qui est partie. Et quoi de plus naturel que de se consoler par le biais des objets qui accompagnent notre quotidien, qui nous rappellent cette personne qui nous était si chère? «Certains objets qui nous entourent nous aident en effet, à nous déplacer, d’autres à nous protéger, et d’autres encore à communiquer. Mais il y en a aussi qui nous aident à nous endormir, à rêver, à aimer et à se sentir aimer.» comme l’explique Serge Tisseron dans Comment l’esprit vient aux objets. Quoi de plus réconfortant que de se réfugier contre la peluche confectionnée par notre grand-mère ellemême, avant son départ pour l’Au-delà? Blotti aux côtés de cette peluche, nous ressentons la présence de cette personne disparue, et les souvenirs nous submergent. Nous nous sentons aimé et accompagné. L’auteur souligne également que «Personne n’y accordait vraiment d’importance de son vivant, mais c’est comme si, soudain, lui disparu, chacun s’apercevait que cet objet était le lieu où il avait déposé une partie de sa mémoire. Posséder cet objet devient, dans le fantasme, la garantie d’une relation privilégiée avec le mort.» Ce sont des objets insignifiants au premier abord, qui sont le plus souvent emplis d’une charge affective surprenante. Nous ne pouvons donc pas imposer une forme définie au souvenir, aux sentiments, aux ressentis, et encore moins concevoir un réceptacle vide de toute sensation, et reproductible à souhait. Chaque personne est unique, avec sa 76
propre histoire, son propre vécu, sa propre personnalité et ses propres passions. Alors pourquoi les restes de chaque personne unique, devraient reposer dans des contenants identiques et semblables? La dernière demeure du défunt ne devrait-elle pas célébrer son unicité? Nous avons besoin d’objets pour sentir que nos morts se reposeront dans un espace sûr et respectable, pour nous accompagner dans notre rapport métaphysique à la mort, cependant, le bon questionnement ne se situerait-il pas à michemin entre l’unicité, l’immatériel et le palpable? À travers des procédés aléatoires et éphémères?
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Le cimetière autrement Le cimetière, tel qu’il est aujourd’hui en France, tend à évoluer. Demeurer tel qu’il est, est en loin d’être une fatalité. Cet espace d’accueil des défunts et de leurs proches peut aspirer à être autrement.
L’éco-cimetière Depuis quelques années, et plus exactement depuis la mise en place des premiers cimetières naturels au Royaume Uni en 1993, la notion de cimetière «vert» se développe peu à peu à travers le monde, en commençant par le Canada, les Etats Unis et l’Europe, contrastant avec les protocoles habituels en terme d’inhumations. Les parcelles où sont enterrés les défunts retrouvent leur état naturel une fois l’inhumation terminée. La pierre tombale et les monuments funéraires disparaissent, faisant place à la pousse d’un arbre ou d’une plante locale. Toujours dans un soucis de respect envers l’environnement, les corps ne sont pas embaumés et sont enveloppés dans des linceuls de chanvre ou de lin avant d’être déposés dans des cercueils de pin, de bambou, d’osier ou tout autre matière bio-dégradable. «Une industrie funéraire verte pour une mort plus nature», comme nous l’expliquent plusieurs slogans de firmes funéraires. L’éco-conception est devenue un atout marketing. Le cahier des charges à suivre pour acquérir le label «éco-cimetière» est scrupuleux, reconsidérant les différents traitements du cadavre, du contenant et du lieu d’ensevelissement. Le cimetière «vert» est un lieu qui privilégie une occupation des sols préservés, et l’anonymat des défunts. Seulement, les «Monuments sont donc nécessaires. Les hommes en ont besoin pour vivre et pour se souvenir.» comme le souligne Serge Tisseron dans son livre 79
Comment l’esprit vient aux objets. Les tombes ne peuvent demeurer anonymes, il en va de la remise en cause du deuil des vivants. La stèle funéraire incarne un réel médiateur entre les vivants et leurs défunts. Je ne dénigre pas l’éco-conception, loin de là, il est aujourd’hui essentiel que nous nous recentrons sur la santé de notre planète, que nous revoyons nos modes de consommation afin de la préserver au mieux. Cependant, lorsqu’il s’agit de funérailles, il y a certains facteurs que nous ne pouvons pas renier aussi facilement, comme la stèle funéraire, élément essentiel au recueillement et au souvenir.
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Utopie du cimetière-jardin Il est certainement possible de trouver le juste milieu entre l’apaisement métaphysique que nous procure la nature et le respect envers nos défunts, afin de nous accompagner tout au long de notre deuil. Pour vous montrer une réponse possible à ce juste milieu, laissez moi vous emmener en Corée du Sud. Les cimetières coréens, se situent généralement à proximité des montagnes coréennes et les défunts y sont généralement inhumés sous des tumulus recouverts de verdure à proximité d’une stèle en pierre gravée. L’un des cimetières les plus connu de Corée du Sud, est certainement celui de Daeneungwon, qui signifie littéralement «Le jardin des grandes Tombes», à proximité de la ville de Gyeongju. Ce «Parc au Tumulus» renferme une vingtaine de tombes d’officiers et de membres appartenant à la famille royale sous le royaume de Silla (VIIème au Xème siècle). Le diamètre de ces tombes monumentales peut s’étendre d’un jusqu’à vingt-trois mètres. Ce cimetière est conçu comme un véritable jardin, un espace de promenades, de déambulations, de respect et de vie, où morts, vivants et nature maîtrisée évoluent harmonieusement. Il nous arrive même de croiser quelques couples de jeunes mariés venant se faire photographier devant les sépultures de leurs ancêtres au coeur de ce «Jardin des grandes Tombes». La nature nous procure une forme d’apaisement et nous permet d’entreprendre la vie et la fin de vie autrement, tel un cycle éternel de recommencement. Et ceci peut s’expliquer par le fait que «La nature est faite pour nous et nous sommes faits pour la nature... La nature c’est encore nous.» comme l’explique le philosophe allemand Gottfried Wilhelm Leibniz. Nous avons beau vouloir maîtriser cette nature, celle-ci fait partie intégrante de nous, et c’est en cela qu’elle nous permet une certaine remise en question sur nos vies, sur la mort, qu’elle nous apaise et nous 81
Daeneungwon, Gyeongju - CorĂŠe du Sud. 82
Capsula Mundi, Raoul Bretzel et Anna Citalli. 83
montre le chemin vers l’acceptation. «La destruction des êtres ne signifie pas qu’ils sont partis ailleurs. Ils sont là, ils sont bien là : là dans ces fleurs des champs, là dans les bouleaux, là dans ce lac où reposent les cendres de millions de morts.» comme le souligne Georges Didi-Huberman dans son récit photographique Écorces, qui retrace sa déambulation au coeur des camps de concentrations Auschwitz-Birkenau en juin 2011. Le monde végétal nous autorise l’apaisement, car nous sommes alors libres d’imaginer la continuité de la vie de nos morts à travers la renaissance du cycle naturel. «J’ai regardé hier une tige de lilas dont les feuilles allaient tomber, et j’y ai vu des bourgeons.» nous confie Alain au travers de son écrit Propos sur le bonheur. La mort consent la renaissance. Le travail des créateurs italiens Raoul Bretzel et Anna Citelli met en avant cette corrélation entre fin de vie et vie. Ces créateurs ont conçu un cercueil baptisé Capsula Mundi, réalisé en plastique de maïs complètement bio-dégradable. Cependant, ce qui différencie ce projet de la proposition de Christelle Boulé avec Origen, est que le corps du défunt inhumé est disposé en position foetal dans le cercueil de forme ovoïdale, rappelant ainsi les premiers instants de la vie. Une plante est alors semée au dessus de l’endroit où le cercueil est inhumé, et pourra alors se développer en se nourrissant du corps du défunt. Le cycle de la vie est ré-animé. Capsula Mundi nous offre une nouvelle opportunité d’appréhender la vie et sa mort, sans tomber dans un discours écologiste, simplement en laissant place à la sensibilité de l’instant, à une certaine poétique de la renaissance. Martin Azua touche à cette sensibilité avec Open Borders, un projet issu d’une réflexion sur l’ornementation naturelle. Martin Azua a alors conçu des vases en céramique blanche très poreuse et les a disposé dans des espaces naturels changeants (Forêts, ruisseaux...) durant un an. Un an plus tard, c’est la re-découverte. Nous pouvons constater que ces vases ont été colonisé par divers lichens, de la mousse et autres 84
Open Borders, Martin Azua.
empreintes naturelles, créant ainsi de micro-paysages aléatoires et uniques. Le designer espagnol met alors, ici, en évidence le pouvoir d’appropriation du naturel sur l’artificiel. Il s’agit là, d’une surprenante rencontre entre l’inerte et le vivant, d’une réconciliation entre le pérenne et l’éphémère, entre la mort et la vie. De belles leçons sont à tirer de ces productions, révélant le pouvoir d’appropriation, de régénération, d’accompagnement et de transition que peut avoir le végétal sur notre vision de la mort. 85
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La Tombe La tombe contemporaine L’aspect formel, que nous connaissons aujourd’hui de la tombe, n’a guère évolué depuis le XVIIIème siècle. Les défunts sont inhumés horizontalement en position couchée, faisant référence à l’idée sommeil éternel. La stèle est placée à proximité de la tête du défunt, et une dalle en pierre recouvre la sépulture. Quelque soit le matériau employé, marbre, granit ou béton, le monument funéraire actuel se compose de plusieurs éléments destinés à être assemblés pour constituer un tout, que nous appelons plus communément, la tombe. Nous pouvons alors distinguer plusieurs éléments: la semelle, qui constitue la partie horizontale formant l’assise du monument, qui est généralement réalisée en ciment ou en granit dont la dimension peut varier selon les terrains et les normes fixées par la commune; le soubassement pouvant atteindre en 15 et 20 centimètres de hauteur et accueillir une marche ou une jardinière; la stèle, qui est l’élément vertical destiné à recevoir l’épitaphe, celle-ci peut se décliner en diverses formes qui mesurent généralement entre 85 et 92 centimètre de large pour environ 80 en 200 centimètres de hauteur; et enfin, la tombale qui incarne la pièce horizontale recouvrant la sépulture et où les proches viennent alors déposer les fleurs et les objets funéraires lors de la cérémonie et des visites. Seulement, depuis l’essor des services proposés par les entreprises funéraires, les tombes tendent vers une uniformisation. «Aujourd’hui, les tombes se sont banalisées.» comme le souligne Francis Blaise dans son introduction d’Architectures pour une dernière demeure. Les formes proposées aux familles sont purement fonctionnelles, toutes plus ou moins similaires avec un semblant de personnalisation possible (Palette de couleurs, matières, découpe de la stèle), laissant place à ce que nous pourrions 87
appeler à des allées de «tombes pavillonnaires» au coeur des cimetières français. Le choix des produits présentés dans les banques de données des entreprises funéraires est assez limité. Ces catalogues ne présentent que des produits à l’esthétique analogue, c’est à dire aux formes anguleuses, imposantes, et dépourvu de sensibilité, et aux couleurs ternes, livides, et mornes. Les tombes s’alignent, et se ressemblent, devant notre désarroi. La fonction «protection du corps du défunt» prime sur l’aspect humain, sur le ressenti des personnes qui restent, ici, face à cette tombe démunie de sentiments, de sens , et de vie.
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La tombe comme dernière demeure Lorsque nous nous promenons au coeur des cimetières, nous pouvons vite nous rendre compte de la corrélation évidente entre l’espace funéraire et nos villes, entre les tombes et nos habitations. L’organisation spatiale est, en effet, bien similaire à celle de nos cités. Les sépultures sont ordonnées par quartier, les allées ont chacune leur nom, et les tombes leur numéro. Une véritable ville des morts. Les mausolées sont ainsi également constitués de quatre murs avec souvent des vitraux, d’un toit et des fois même d’une petite gouttière, avec au-devant de la porte, un perron délimité par des barrières en fer forgé. J’ai presque envie de sonner au portail avant d’oser m’avancer sur le seuil. C’est à la fois curieux et intimidant, cette sensation de s’introduire chez les défunts, dans leur demeure, dans leur intimité, en attendant un accord de leur part qui ne viendra pourtant jamais. L’aspect formel de la tombe, et plus particulièrement de la stèle qui accueil l’épitaphe, accueille une porte vers l’Au-delà, vers le monde des morts. Cette porte incarne le point de départ de l’âme. La tombe a pour finalité d’accueillir le corps du défunt et de le protéger lors de sa libération de son enveloppe charnelle afin qu’il puisse, enfin, accéder au Divin. La tombe, le tombeau ou le mausolée, représentent alors véritablement la dernière demeure du défunt avant son envol vers l’ailleurs, le dernier lien à la terre, aux vivants. La stèle matérialise un lieu de passage, de délivrance, de transition et de transmission. Si nous venons au-devant de ces maisons, de ces demeures, c’est avant tout afin d’établir une relation avec, ce qui matérialise pour nous, nos proches disparus. Cette stèle représente alors pour nous, vivants qui restons, bien plus qu’un morceau de marbre juxtaposé à la sépulture de ceux qui nous étaient proches.
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Photographies personnelles, Cimetière de Louyat - Limoges. 90
La tombe symbolise ce lien immatériel qui nous lie aux défunts, à nos morts, à ceux qui nous ont aimé et que nous aimons au delà de leur disparition. Seulement, les stèles actuelles, n’incarnent pas réellement ce lien inexplicable qui nous unit aux morts. Pourtant ces tombes devraient célébrer cette attache, que nous ressentons et que nous entretenons vis à vis des personnes disparues.
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Nous, face à la tombe Face à ces tombes, c’est le malaise qui s’empare de nous. Nous demeurons debout, face à ces tombes austères qui ne nous racontent rien, et dont la présence est loin de nous réconforter. Entre consternation, désolation, tristesse, regrets et amour, nous ne savons plus quoi penser, sur quoi pleurer, sur quoi nous recueillir. De plus, «Avec le développement de la crémation et de la dispersion des cendres, les lieux de recueillement ou de souvenir disparaissent.» comme l’indique Francis Blaise dans son introduction d’Architectures pour une dernière demeure. En effet, nous pouvons constater que lors de nos déambulations au sein du cimetière de Limoges, de La Souterraine, ou encore de La Croix-Rousse, nous avons rencontrer pratiquement aucun espace de recueil, aucun banc pour venir nous asseoir et souffler, penser, pleurer, prier... Nous n’avons aucune intimité avec cette personne, enterrée ici, qui nous était si chère. Nous ne sommes pas si seuls face à cette tombe. Nous sommes soumis aux regards de tous, des quelques visiteurs déambulant à travers les allées, et surtout à la vue de tous ces morts. Comment lui parler, comment se confier alors que nous nous sentons observés? Pourtant, bien que le cimetière soit un espace conçu pour l’accueil des défunts, il existe avant tout pour nous, pour que nous, vivants, nous puissions nous souvenir de ceux qui ont été, qui ont compté, et qui nous ont aimé. Tout le paradoxe est là. Les communes, les services de pompes funèbres, les marbreries s’obstinent à concevoir des tombes à l’image pré-conçue que nous nous faisons du monde des morts. C’est à dire un univers dont nous ne connaissons rien, qui nous angoisse, et que nous supposons sombre, morne, terne, froid, austère et mélancolique. Seulement, les morts, eux, sont morts, et demeurent dorénavant dans leur ailleurs dont nous ne saurons jamais quoi que ce soit. Le mystère est là. Nous n’avons pas de réponse à la mort. 92
Pourtant, nous avons tout de même cette sensation étrange que les morts sont toujours là, quelque part, près de nous. Et c’est ce que souligne Alain dans ses Propos sur le bonheur, «Regardez bien, écoutez bien: les morts veulent vivre, ils veulent vivre en vous, ils veulent que votre vie développe richement ce qu’ils ont voulu. Ainsi les tombeaux nous renvoient à la vie.» Les tombes incarnent peut être l’unique lien métaphysique qui nous lie à nos morts. Cependant, au lieu de concevoir ces tombeaux comme une extension de notre souffrance, de nos angoisses, et de nos doutes, la tombe ne devrait-elle pas être pensée véritablement pour nous? L’espace tombe ne devrait-il pas se matérialiser en un médiateur d’accompagnement? Être vecteur d’acceptation et de vie, afin d’aider au deuil, au recueillement, au souvenir et à l’apaisement? La tombe aspire à devenir autrement afin de correspondre à nos véritables attentes, vis à vis de la perte d’un être cher.
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Ouverture Pleurer, prier, souffrir, se recueillir, penser, se souvenir, se remémorer, rêver, accepter, se réconcilier, raconter, transmettre... Notre rapport contemporain à la mort n’est, en réalité, qu’une histoire d’ étapes, de strates temporelles, de transitions et de transmissions, à la fois immatérielles et palpables, sentimentales et sensorielles... Pour nous rassurer, nous avons besoin d’une stèle à laquelle nous raccrocher, afin d’accepter, et de continuer à avancer. La dernière demeure désigne à la fois l’espace où reposent les défunts, et le lieu où les vivants restent. Il y a là un équilibre à redéfinir, une harmonie à révéler entre cet «espace preuve» qu’est la tombe, et nous, vivants qui enterrons. La dernière demeure désigne à la foi l’espace où repose les défunts, et le lieu où les vivants restent. La tombe n’incarne pas seulement un lien qui laisse les morts à la mort, mais elle rend également les vivants à la vie, elle nous permet de demeurer en paix.
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Ă€ mes morts.
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Remerciements Je remercie les professeurs de l’équipe pédagogique du Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués Créateur-Concepteur Textile, pour leur accompagnement et leurs conseils, durant toute l’élaboration de ce mémoire. Je tiens également à remercier ma famille et mes proches pour les relectures et leur soutien. Je remercie les professionnels du funéraire rencontrés à La Croix-Rousse, et à Limoges, de m’avoir reçu et d’avoir répondu à mes interrogations.
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Lieux visités
Cimetières Cimetière de Louyat - Limoges (87) Cimetière de La Souterraine (23) Cimetière de La Croix-Rousse - Lyon (69) Cimetière de Menton (06) *
Jardins Verrières du Parc de la Tête d’Or - Lyon (69) Jardin de l’ Évêché - Limoges (87) Jardin Exotique - Principauté de Monaco Parc Oriental - Maulévrier (49) Site archéologique de Gyeongju - Corée du Sud
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Webographie
Code des Collectivités Territoriales pour le Funéraire. http://www.afif.asso.fr/francais/conseils/legislation Meilleurs Marbiers. http://meilleurs-marbriers.com Topic Topos - Patrimoine des communes de France. http://fr.topic-topos.com France obsèques. http://www.france-obseques.fr Marbrerie Jouandou. http://www.marbrerie-jouandou87.com Encyclopédie sur la Mort. http://agora.qc.ca/thematiques/mort.nsf
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Bibliographie
Déambulations L’homme qui marche - Jirô Taniguchi Éditions Casterman écritures, 1995. Écorces - Georges Didi-Huberman Les éditions de minuit, 2011. Érotique du cimetière - André Chabot Veyrier, 1990. Philosophie La Mort - Vladimir Jankélévitch Éditions Champs Essai, 2010. Le dictionnaire de la mort - Sous la direction de Di-Folco Larousse, 2010. L’homme devant la mort - Philippe Arriès Éditions du Soleil, 1985. Propos sur le bonheur - Émile Chartier dit Alain Folio, 1985. Comment l’esprit vient aux objets - Serge Tisseron Aubier, 1999.
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Enfance La visite de Petite Mort - Kitty Crowther Pastel, École des loisirs, 2005. Là où Mamie est partie... - Arnaud Alméras et Robin Éditions Amatera, 2011. Design Design Funéraire - Azimuts, Constance Rubini Architectures pour une dernière demeure - Francis Blaise Collection particulière, 2005.
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Armelle Duno
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Contents
Introduction
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Evolutions Wandering  Père Lachaise Limoges La Souterraine
Graveyard *
Opposite the cemetery *
11 17 20 24 36
Deserted space Decline of religious practice Estrangement Delegating
45 45 47 49
Facing death Contemporary rituals The part of flowers Metaphysics of death
51 51 53 58
Virtual cult Facebook Virtual graves
61 61 63
Last residence * Innovations Funerary design Sould death be design? Â The cemetery as seen differently Eco-cemetery The utopia of the garden as a cemetery
69 69 76
The space of the grave The grave The grave as a last residence Facing the grave
87 87 89 92
Conclusion
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Thanks
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79 79 81
Summary My work is about the living and the dead, about the link between the human beings and their relatives who have passed away. I would like to reconcile people with the cemetery, with the grave, with the deceased. The french cemetery is perceived as a dark, cold and unwelcoming area, and I would like to change this atmosphere. I am interested in the link between nature and what is lifeless. Nature is a sort of testimony of life. I would like to consider the cemetery as a vegetal utopia, and the grave as a space of acceptance. Our contemporary connection with strata, of transition and transmission both immaterial and tangible, both sentimental and sensory. In the grave, there is an harmony to disclose and an equilibrium to be found.