Oana - IFSI : TFE

Institut de Formation en Soins Infirmiers du Gers Allée Marie Clarac 32000 AUCH

Quand tout n’est pas dit Mémoire de Fin d’Etudes en vue de la validation des U.E 3.4, 5.6 et 6.2

Pélissier Oana Promotion 2010-2013

Institut de Formation en Soins Infirmiers du Gers Allée Marie Clarac 32000 AUCH

Quand tout n’est pas dit Mémoire de Fin d’Etudes en vue de la validation des U.E 3.4, 5.6 et 6.2

Pélissier Oana Promotion 2010-2013

Sommaire

Introduction........................................................................................................................ 1 Partie 1. La situation de départ ........................................................................................... 2 1.1.

Questionnement ............................................................................................................. 4

Partie 2. Le pole théorique .................................................................................................. 5 2.1 2.1.1

2.2 2.2.1.

2.3

La maladie ...................................................................................................................... 5 La maladie grave ............................................................................................................................. 5

Le diagnostic ................................................................................................................... 6 Législation ....................................................................................................................................... 6

La relation soignant-soigné ............................................................................................. 7

2.3.1

Définition ......................................................................................................................................... 8

2.3.2

Le soigné .......................................................................................................................................... 9

2.3.3

Le soignant .................................................................................................................................... 10

2.3.4

La relation d’aide ........................................................................................................................... 11

2.3.5.

La communication ......................................................................................................................... 13

2.3.6.

Les émotions du soignant .............................................................................................................. 14

2.3.7.

Les mécanismes de défense des infirmiers .................................................................................... 15

Partie 3. Le pole empirique ............................................................................................... 18 3.1.

L’outil d’enquête ........................................................................................................... 18

3.2.

La population ................................................................................................................ 18

3.3.

Contenu ........................................................................................................................ 18

Partie 4. Analyse ............................................................................................................... 20 Conclusion ........................................................................................................................ 22

Introduction Mes trois années d’études en IFSI m’ont permis de développer des compétences relationnelles, nécessaires à la pratique de mon futur métier. J’ai pu apprendre les attitudes soignantes comme l’empathie, la congruence etc., mais c’est pendant les périodes de stages en milieu professionnel que je me suis rendue compte de l’importance de la relation soignant-soigné. Les cours théoriques ne m’ont pas permis d’acquérir la pratique comportementale nécessaire dans toutes les situations. Le “savoir-être” ne s’apprend pas à l’école.

La relation soignant-soigné est unique, complexe et différente à chaque fois. Nous sommes en permanence en train d’échanger des informations avec les patients, que ce soit par nos paroles, mais aussi par les gestes, les postures, voir même les silences. Il est préférable de les analyser, pour diminuer l’impact négatif qu’elles peuvent avoir, surtout dans des situations lourdes, en présence d’un patient présentant une pathologie grave, incurable.

C’est aux équipes soignantes de développer des attitudes relationnelles adaptées, à chaque fois qu’une difficulté apparait, et pour faire évoluer une situation.

Un non-dit peut être lourd à porter pour le soignant, et rendre la relation difficile.

J’espère par ce travail de fin d’étude, être capable de faire face à une situation similaire si elle se présente pendant ma carrière.

Mon travail de fin d’études sera composé de trois grandes parties. Tout d’abord, il me semblait judicieux de présenter la situation à l’origine de mon questionnement, qui à aboutit à ma question de recherche. Puis, je présenterai le résultat de mes recherches théoriques. Enfin, je retracerais mon enquête sur le terrain avant de l’analyser. C’est cette dernière partie qui me permettra d’aboutir à ma question de recherche.

Afin de mieux approfondir le thème que je voulais aborder, j’ai commencé par faire des recherches théoriques sur les différents mots-clés de ma question de départ: maladie grave, diagnostic et relation soignant-soigné. Ce sont ces données théoriques qui m’ont permis d’enquêter sur le terrain suivant une approche exploratoire.

1

Partie 1. La situation de départ Ce qui a ouvert ma réflexion sur le thème de la relation soignant-soigné dans le cadre d’un diagnostic grave fut une situation rencontrée en stage en gastro-entérologie lors de mon parcours de troisième année.

Pour mon premier jour, travaillant les après-midi, je débute à 14h par les transmissions. Durant celles-ci, l’infirmière parle des résultats d’examens d’une patiente, Mme R. Ces derniers ne sont malheureusement pas favorables : la patiente souffre d’un cancer de pancréas. L’infirmière précise que la patiente n’est toujours pas au courant des résultats.

En consultant le dossier de Mme R, j’ai pu apprendre qu’elle est âgée de 79 ans et qu’elle est autonome. J’apprends également qu’elle est entrée 5 jours plus tôt, pour altération de l’état général, bilan hépatique perturbé, amaigrissement, polydipsie et polyurie depuis deux à trois semaines. Le jour de son entrée, elle a eu une échographie abdominale qui a montré une probable lésion néoplasique du pancréas, ce qui a été confirmé 3 jours plus tard par un TDM. Ses glycémies sont également perturbées depuis son entrée, elle a donc vu un médecin diabétologue et une infirmière du service diabétologie. En ce qui nous concerne, l’infirmière et moi-même devons commencer l’éducation concernant l’hémoglucotest et l’insuline.

Dans ses antécédents, on apprend que 26 ans plus tôt, Mme R a eu un cancer du sein droit. Elle a subi une ablation du sein sans reconstruction mammaire.

Lors de la distribution des médicaments, plus tard dans l’après-midi, nous décidons avec l’infirmière de débuter l’éducation thérapeutique de la patiente avec qui on engage facilement la conversation. Elle est veuve et a perdu son époux d’un cancer il y a 20 ans. Elle a 4 enfants, trois filles et un garçon, et 4 petits enfants. Elle était agricultrice.

En ce qui concerne l’éducation thérapeutique, elle est coopérante, mais très inquiète pour l’avenir, et nous dit “je me vois pas faire ça toute seule chez moi, une fois à la maison”. Nous passons beaucoup de temps dans la chambre de Mme R, notamment parce que l’infirmière tente de la rassurer concernant la prise en charge du diabète et lui explique le principe de l’éducation diabétique ainsi que la possibilité de faire appel aux infirmières libérales.

2

Une heure plus tard, pendant la visite médicale nous retournons voir Mme R. L’interne lui annonce alors qu’elle doit passer une écho-endoscopie dans un autre établissement de santé dans une semaine.

Après être sortie de la chambre, l’interne nous annonce qu’elle n’a pas voulu annoncer le diagnostic à cause de l’heure tardive (18h), elle préfère que ça soit fait le matin. L’infirmière note alors dans le dossier de la patiente qu’un médecin doit faire l’annonce du diagnostic, étant donné qu’elle n’est toujours pas au courant.

Pendant le reste de la semaine j’ai passé beaucoup de temps avec Mme R, pour continuer l’éducation diabétique et discuter, dans le but de diminuer ses angoisses. Elle n’a pas beaucoup de visites, j’ai pu voir seulement une de ses filles une fois. Les autres enfants habitent loin, mais l’appellent régulièrement.

A la fin de la semaine, on ne lui a toujours pas annoncé le diagnostic.

L’écho endoscopie a été annulée et remplacée par une biopsie pancréatique sous scanner sans anesthésie générale. Le médecin lui a parlé d’une “tâche” sur le pancréas, qui a besoin d’examens complémentaires.

En discutant avec elle, elle m’a confié qu’elle pense au cancer, et qu’elle est angoissée de devoir repasser par là une seconde fois. De plus, cette fois ci c’est différent, elle n’a plus son mari pour prendre un lit à côté d’elle et la soutenir tout au long de la chimiothérapie et des interventions.

Je me comporte avec Mme R comme si elle était dans ce service uniquement à cause de ce diabète récemment découvert, et ma frustration grandit au fil des jours. Je suis triste pour elle intérieurement et je ne dois pas le montrer. Nous parlons beaucoup de choses banales comme la météo, mais aussi de son ancien cancer, de sa famille, de ses projets. Je suis mal à l’aise à chaque fois que la discussion tourne vers le long terme, je me sens comme une actrice qui joue un rôle, je ne suis pas authentique dans ces moments-là.

En discutant avec les infirmières du service j’ai remarqué qu’elles sont aussi mal à l’aise en présence de Mme R, elles auraient aimé qu’un médecin lui annonce le diagnostic et surtout le pronostic qui est très mauvais.

Une des infirmières a dit : “Je me sens dépossédée de mon travail, qui est d’accompagner le patient après la découverte de sa pathologie, tant qu’il ne le sait pas, je me sens obligée d’être triste à sa place”.

3

Une autre infirmière déplore que cette situation se répète trop souvent, et que l’intervalle entre la découverte et l’annonce soit trop long.

1.1. Questionnement Cette situation m’a permis de réfléchir à différents aspects de la relation soignant-soigné : D’un point de vue législatif, je me suis demandé : “Quelle est la responsabilité de l’infirmière concernant l’annonce d’un diagnostic ?”

“Quelle est le cadre législatif qui encadre cet acte ?”

D’un point de vue relationnel, je me suis interrogée sur : “Comment accompagner le patient dans ce contexte particulier de diagnostic difficile ?”

“Quelles attitudes professionnelles doit adopter le soignant face à une patiente qui n’est pas encore au courant de son diagnostic ?”

“Quel impact cette situation peut avoir sur la prise en charge de la patiente ?”, “En quoi peut-elle interférer dans la qualité des soins ?”

“Comment aurait-on pu savoir si la patiente était prête à entendre ce diagnostic ?”

“En quoi le comportement du soignant change-t-il lorsqu’une information n’est pas encore révélée ?”

“Quelle est la part du non-verbal lorsque une information est non dite ?”

Ce questionnement m’a poussé à poser la question de départ suivante : “Quelle est la nature de la relation soignant-soigné dans le cas d’un diagnostic grave connu uniquement par l’infirmier?”

Dans ma question de départ je définis le diagnostic grave la maladie qui engage le pronostic vital sur le moyen terme (maximum 6 mois).

Le but de ma recherche est d’étudier, comprendre et approfondir ce qui se joue dans la relation soignant-soigné dans ce cadre précis d’avant l’annonce du diagnostic, et quels sont les moyens qu’a l’infirmière à sa disposition pour accompagner au mieux le patient.

4

Partie 2. Le pole théorique Dès à présent, mon travail va s'articuler autour d'une recherche documentaire sur les concepts évoqués dans ma question de départ:

2.1 La maladie Pour s’interroger sur le concept de maladie, il faut d’abord se demander qu’est-ce que la santé.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) donne une définition très large, qui n’a pas été modifiée depuis 1946 : “La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”.1 Cette définition montre l’intérêt, pour les infirmiers, d’une approche holistique de la personne soignée.

“La maladie est la rupture de l'équilibre, de l'harmonie de la santé, un signal d'alarme se traduisant par une souffrance physique, psychologique, une difficulté ou une inadaptation à une situation nouvelle, provisoire ou définitive. C'est un événement pouvant entraîner une dépendance et aller jusqu'au rejet social de l'homme et de son entourage”.2 On peut être atteint d’une maladie, tout en continuant d’avoir la vie d’une personne saine, c’est le cas par exemple des maladies chroniques (diabète ou asthme).

2.1.1

La maladie grave

Ici je m’intéresse aux maladies incurables, celle dont on ne peut pas guérir, et pour lesquelles il n’existe aucun traitement sauf le traitement des symptômes, comme la douleur, par des soins de confort. Ce sont des maladies pour lesquelles le pronostic vital est engagé au court ou moyen terme.

1

Définition de l’Organisme Mondial de la Santé qui n’a pas changé depuis 1946

2

Guide du service infirmier de 1991 - Ministère des affaires sociales et de la solidarité - Direction des hôpitaux

5

Le pronostic vital représente la probabilité qu’une maladie entraine le décès d’un patient. Il est variable d’une personne à l’autre, et dépend donc de multiples facteurs, comme la pathologie, sa localisation, l’âge des patients, leurs réactions aux traitements etc.

Dans ma situation de départ, il s’agissait d’un cancer du pancréas, mais le terme maladie grave peut s’appliquer à tous les cancers et s’élargir aussi à d’autres pathologies, comme l’insuffisance cardiaque grave, le SIDA en stade avancé etc.

2.2 Le diagnostic D’après le dictionnaire de français Larousse le diagnostic représente le “temps de l’acte médical permettant d’identifier la nature et la cause de l’affection dont un patient est atteint”.3 Pour le malade, c’est une modification de son avenir, une perspective soudaine et négative qui se dessine concernant sa maladie. L’annonce du diagnostic d’une maladie grave est une étape marquante dans la vie du patient et de son entourage.

D’ailleurs, pour le patient le diagnostic tout seul ne lui suffit pas, ce qu’il attend c’est le pronostic et les thérapeutiques qui lui seront proposés. Il veut connaitre la suite de sa prise en charge. Ce qu’il considère comme “grave” c’est quand le pronostic vital est engagé, ou quand cette maladie impose un changement de son mode de vie.

2.2.1. Législation L’article 35 du code de déontologie4 fixe le cadre général de l’information due au patient sur son état de santé : “Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne, qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose”. Affirmation cependant atténuée dans le deuxième paragraphe de l’article qui autorise, “pour des raisons légitimes et dans son intérêt”, à tenir un malade dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave, notamment d’un pronostic fatal.

3

http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/diagnostic/25154

4

RENE L. Code de déontologie médicale commenté. Paris; Le Seuil: 1996.

6

La loi du 4 mars 20025 a fait de l’information du patient un droit, le médecin étant dans l’obligation de l’information, quelle qu’elles soient les conditions, seules l’urgence et l’impossibilité, permettent au médecin de s’en dispenser.

La législation concernant l’annonce d’un diagnostic se retrouve dans le Code de la Santé Publique : Art. 1111-2 : “Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information incombe à tout professionnel de santé [...], est délivrée au cours d’un entretien individuel [...]”

Art. 1111-7 : “Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues par des professionnels…”

Dans ma situation de départ, le diagnostic n’a pas été annoncé, les médecins préférant attendre les résultats de la biopsie.

2.3 La relation soignant-soigné A l’hôpital, d’après A. Manoukian6 les objectifs des relations sont déterminés par les soins.

Nous échangeons des informations avec les patients en permanence, sans obligatoirement prendre le temps d’une discussion. Les supports de la relation sont les mots, les gestes, les mimiques, mais aussi les “accessoires” : tenue du soignant, tensiomètre, urinoir etc.

La relation se présente comme un ensemble de phénomènes. Si les messages sont brouillés, par exemple si les paroles affirment un état de choses, mais que l’attitude de l’interlocuteur est en contradiction avec les paroles, celui qui écoute, donne la priorité à l’attitude, qui est généralement plus “parlante” que les mots prononcés.7 Manoukian place l’affectivité au cœur de la relation. Elle est importante pour la fonder, la souder, mais aussi la défaire. Les facteurs qui interviennent dans l’établissement d’une relation sont d’ordre psychologique, social et physique.

5

Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

6

MANOUKIAN A. La relation soignant-soigné. 3ème édition. Lamarre, Octobre 2008. 223p, p8

7

Op.Cit.p9

7

Il arrive que les émotions de patients puissent freiner la mise en place de la relation. C’est par de la négociation que les soignant arrivent à désamorcer une situation relationnelle difficile.

“Perfectionner ses propres aptitudes à la communication donnera au soignant les moyens d’améliorer les relations à problème”.

La société et les lois ont introduit des changements ces dernières années, qui se reflètent sur les attitudes des usagers. Les patients ne sont plus patients. Les rapports à l’autorité ont changés, phénomène valable pour les enseignants aussi. L’information est devenue disponible à tous, grâce aux nouveaux médias comme internet, et la télévision exploite les peurs, avec les annonces sur les maladies nosocomiales et les erreurs médicales. Les nouvelles lois sur les droits du malade, sur les soins palliatifs et sur la fin de vie, ainsi que les chartes de la personne hospitalisée, renforcent la défense du patient et de son entourage. Tous ces progrès rendent incontournable le travail permanent sur l’amélioration de la relation soignant-soigné.

2.3.1

Définition

Lien existant entre deux personnes de statut différent, la personne soignée et le professionnel de santé.

Cette relation nécessite trois attitudes : - un engagement personnel de l’infirmière, le malade étant accepté sans jugement de valeur, tel qu’il est, avec un autre mode de raisonnement, d’autres réactions et d’autres sentiments ; - une objectivité, pour éviter une déformation de ce qui est vu et entendu - un minimum de disponibilité.

La relation soignante n’est pas une relation de salon, elle a pour but l’aide et le soutien de la personne soignée jusqu’à son retour vers l’autonomie. Elle permet d’identifier les demandes de la personne et d’analyser les interactions.8 Dans le manuel de “Psychologie sociologie anthropologie” on apprend que la relation soignant-soigné a évolué dernièrement, passant d’une relation infantilisante mais en même temps rassurante pour le patient, à une relation dans laquelle le patient est acteur et plus critique vis-à-vis du soignant.9

8

POTIER M. Dictionnaire encyclopédique des soins infirmiers. Rueil-Malmaison : Lamarre, 2002. Collection

“Les Fondamentaux” 9

PERLEMUTER G., PERLEMUTER L., PITARD L., et al. Psychologie Sociologie Anthropologie Issy-Les-

Moulineaux : Elsevier Masson, 2010. 155 p. Collection “Cahiers des sciences infirmières”. p125

8

Le patient évolue vers une plus grande indépendance : “Le soigné n’attend plus une réponse unique à sa demande, mais souhaite qu’on l’aide à trouver la réponse qui correspond à son attente”. On assiste à une “libération” du patient par rapport à sa position de dépendance aveugle qu’il avait auparavant. Le patient a des revendications concernant le droit aux soins, le droit à l’information et le droit à la décision. Les dangers qui guettent le soignant dans son rapport avec le soigné sont le contre-transfert et la dépendance du soigné au soignant. Le contre-transfert “désigne les mouvements affectifs du thérapeute en réaction à ceux de son patient et en relation avec son propre vécu infantile”10 Du côté du patient, la dépendance envers le soignant n’empêche pas son irruption dans le champ de connaissance de l’infirmier ce qui pourrait le déstabiliser.

2.3.2

Le soigné

Le patient ressent une augmentation de sa responsabilité, conséquence d’une remise en question de l’autorité liée à la médecine et à la fonction soignante11. On voit la transformation vers un mode de vie de plus en plus individualiste, reflété par exemple par le désir de chambre individuelle à l’hôpital.

Les valeurs se transforment aussi. L’époque des soins accolés à la religion est révolue, même si le public attend souvent le même dévouement. De plus, les progrès de la médecine font que les échecs thérapeutiques sont mal vécus par les patients.

Malgré tout, l’hôpital continue à faire peur, à inquiéter. Le patient peut développer des émotions exacerbées, ou au contraire faire preuve d’indifférence.

Le changement que l’hospitalisation et la maladie impliquent peut induire des réactions imprévisibles de la part du patient, car l’image du corps et l’identité sont dans certains cas brutalement transformés dans un sens insupportable.

10

Op.Cit.p137

11

Op.Cit.p51

9

2.3.3

Le soignant

Le soignant est la personne la plus proche du malade, il a un rôle de lien entre le patient et d’autres professionnels de santé, de fois il « traduit » le langage médical, il apaise les angoisses.

C’est une fonction pour laquelle la qualité relationnelle est primordiale.

Le soignant fait partie d’une équipe et collabore avec d’autres professionnels autour d’un même objectif global, la prise en charge d’un patient. Il adhère et participe aux objectifs du service, il fait des transmissions aux autres membres. Il a aussi un rôle relationnel très important auprès de la famille du malade.

Par définition12, “les infirmiers dispensent des soins de nature préventive, curative ou palliative, visant à promouvoir, maintenir et restaurer la santé, ils contribuent à l’éducation à la santé et à l’accompagnement des personnes ou des groupes dans leur parcours de soins en lien avec leur projet de vie. Les infirmiers interviennent dans le cadre d’une équipe pluri-professionnelle, dans des structures et à domicile, de manière autonome et en collaboration”.

D’après Manoukian13, l’infirmier développe fréquemment ces sentiments dans le cadre de l’exercice de son métier : 

Sentiment de supériorité : lié à la position du malade (assis ou couché), au port de la blouse, aux connaissances médicales, à l’autorité professionnelle, à la maitrise des gestes techniques. Le versant positif de ce sentiment est le fait qu’il donne confiance en soi, indispensable à l’infirmier, mais il peut aussi conduire aux abus, d’où la nécessité de trouver un bon équilibre.



Sentiment d’impuissance : provoqué par des pathologies incurables, par des pronostics défavorables aux parient, peut s’accompagner de l’impression d’un manque de connaissances suffisantes à la situation. Peut avoir des conséquences négatives sur le soignant, provoquant une lassitude, un désespoir, ou au contraire une hyperactivité pour compenser l’impuissance.

12

Profession infirmier : recueil des principaux textes relatifs à la formation préparant au diplôme d’Etat et à

l’exercice de la profession. Berger-Levrault. 2010. 203p 13

Op.Cit.p46

10



Sentiment de responsabilité : indispensable mais lourd à porter, il ne doit pas amener à une implication personnelle trop importante au risque d’entrainer à long terme un sentiment de découragement.



Sentiment de découragement : il découle du stress, qui est très important en milieu hospitalier, autant pour le patient que pour le soignant. Il peut amener à l’épuisement (les anglais l’appellent “burn-out”). Il peut être combattu par les encouragements des patients et familles, mais aussi par des bonnes relations dans l’équipe soignante.



Sentiment de satisfaction : Il existe une multitude des facteurs qui peuvent les provoquer : bon contact avec les patients et familles, une équipe soignante soudée, des succès thérapeutiques du service, la reconnaissance par la hiérarchie, l’amélioration de ses propres compétences, etc.

2.3.4

La relation d’aide

La relation d’aide se définit comme “un type de communication qui désigne les relations dans lesquelles l’un au moins des deux acteurs cherche à favoriser chez l’autre la croissance, la maturité, un meilleur fonctionnement et une plus grande capacité d’affronter la vie”14 Dans ce type de relation, un des protagonistes, s’appuie sur ses compétences pour essayer d’offrir à l’autre les moyens de trouver ses propres solutions face aux différents problèmes qu’il peut rencontrer.15 C’est une relation qui pousse l’aidé à évoluer, à exprimer ses difficultés, à mobiliser des ressources pour trouver des solutions.

Pour Virginia Henderson16, l’infirmière cherche chez la personne soignée à développer son indépendance. Elle est l’interprète, elle aide le malade à se comprendre et à modifier les facteurs qui le rendent malade, ou à accepter ceux qui sont inchangeables. Elle ajoute que “c’est par la 14

Rogers CR. Le développement de la personne. Dunot, 1968 cité par WARNET S., Inscrire les soins dans une

perspective soignante, La revue de l’infirmière, p.15 15

COLLECTIF Société Française d’Accompagnement et soins palliatifs, Relation d’aide en soins infirmiers.

Masson, Juin 2007. 141p, p37, p1 16

HENDERSON V., Principes fondamentaux des soins infirmiers, Suisse, New York, publié pour le Conseil

International des infirmières par S. Karger Basel, 1969.

11

profondeur de sa compréhension que l’infirmière saura s’attirer la confiance du malade et de sa famille et qu’elle pourra l’aider à surmonter certains effets psychologiques de la maladie”.

C’est la qualité de la relation soignant-soigné qui détermine une relation d’aide de valeur. Elle impose de voir l’autre comme un être capable d’évoluer, d’adhérer à la manifestation de ses sentiments, comme un être humain dans toute sa globalité. C’est une relation centré sur le soigné, et pas sur ses problèmes.

Dans “Relation d’aide en soins infirmiers” les auteurs signalent la demande des personnes soignées à être écoutés, entendus dans leur singularité. L’infirmier doit développer ses compétences à la relation d’aide pour répondre à ces attentes. D’où des projets en cours relatifs à la mise en œuvre de consultations infirmières et de “pratique avancée” ainsi que des formations continues.

Des infirmières en soins palliatifs, s’appuyant sur leur expérience, ont identifié huit domaines qui constituent des freins à la mise en œuvre de la relation d’aide en soins infirmiers, liés à différents facteurs : 

L’organisation et la charge en soin



L’absence de projet et de planification clairement annoncés



Le manque de visibilité de la dimension relationnelle des soins



La confusion autour des termes utilisés



La méconnaissance de ce rôle par les autres professionnels de santé



La méconnaissance de ce rôle par le public



Un manque de compétence à la relation d’aide



Des problématiques d’interface avec les psychologues

12

2.3.5. La communication Maslow nous l’a appris il y a longtemps, communiquer avec autrui est un besoin.17 Virginia Henderson le considère comme un besoin vital.

Selon le Larousse, la communication est l’“action de communiquer avec d’autres, de transmettre, de faire participer à … ce par quoi une personne renseigne ou influence une autre personne et est renseignée ou influencée”.18 Le schéma de la communication entre deux individus est représenté comme un message transmis par l’“émetteur”, la réception de ce message par le “récepteur” qui va le décoder, et éventuellement émet une réponse (ce qu’on appelle le “feed back”). Evidemment, pendant le transfert du message, des parasites peuvent perturber ou modifier la bonne transmission de celui-ci.

La communication entre les protagonistes est la base de la relation. L’infirmier doit adapter les modes de communication à chaque situation et à chaque patient. Elle peut être verbale, mais aussi non verbale (regard, toucher, postures, mimiques, distance, gestes, etc.)

Le non-verbal informe sur l’état intérieur des participants à l’échange et communique les attitudes, les émotions. L’ensemble des signaux qui complètent une conversation représente 45% du message (la tonalité et le rythme de la partie vocale comprend 35% du message, et la communication verbale uniquement 20%). En règle générale, quand une personne perçoit un décalage entre ce qui est dit, et ce qui lui est transmis de manière non-verbale, c’est la perception non-verbale qui prime.

Dans ma situation de départ, la patiente évoquait d’elle-même le cancer, malgré qu’aucun soignant ne lui ait parlé d’autre chose que du diabète récemment découvert. Le non-verbal des soignants a du probablement confirmer ses craintes, mais n’a pas apporté de réponses claires et précises.

17

PERLEMUTER G., PERLEMUTER L., PITARD L., et al. Soins Relationnels Issy-Les-Moulineaux : Elsevier

Masson, 2010. 247 p. Collection “Cahiers des sciences infirmières” p28 18

Op. Cit. p151

13

2.3.6. Les émotions du soignant D’après Catherine Mercadier, durant la relation soignant-soigné, l’infirmier ressent différentes émotions19, dont elle énumère : la joie, la colère, la peur, la tristesse, la honte, en fonction des situations rencontrées. Les infirmiers qu’elle interviewe décrivent des sentiments de révolte, de colère devant la mort inéluctable, accompagnés d’une grande tristesse.

De fois, l’incapacité à modifier une situation revêt un caractère insupportable. C’est plus que la tristesse ou la colère, c’est insoutenable.

Une des infirmières interrogée par l’auteur, vit cette situation en décrivant qu’on lui a déniée sa dimension humaine. Dans le cas où l’infirmière connait le diagnostic, le pronostic et qu’elle n’a le droit de rien dire tant que le médecin n’a pas dit : “la hiérarchie instituée ne reconnait pas à l’infirmière la capacité de dire certaines choses, capacité de tout être humain, ce qui la contraint dans un rôle insupportable pour elle”20.

Mais le soignant apprend à maitriser ses émotions, afin de ne pas provoquer celles du patient.

Il les maitrise aussi pour lui-même pour ne pas se laisser submerger et pour garder l’image d’un professionnel devant le patient et aussi ses collègues. Une technique employée est l’utilisation du vocabulaire professionnel.

“L’infirmière doit savoir retenir discrètement ses émotions, ne pas laisser paraitre la peur, l’angoisse, le dégout, la pitié”21.

Robert Buckman rappelle que le soignant est avant tout un être humain, qu’il ne peut entretenir une relation de pure neutralité avec le patient, et que les protagonistes réagissent en fonction de la personnalité de la personne qu’ils ont en face22. Ce sont ses propres structures psychiques qui

19

MERCADIER C. Le travail émotionnel des soignants à l’hôpital : Le corps au cœur de l’interaction soignant-

soigné. 7ème tirage. Paris : Seli Arslan, 2008. 288p.p44 20

Op.Cit.p91

21

SCHACHTEL M., J’ai voulu être infirmière, 1991, Paris, Albin Michel

22

BUCKMAN R., S’asseoir pour parler: L’art de communiquer de mauvaises nouvelles aux malades: Guide du

professionnel de santé. Issy-Les-Moulineaux: Elsevier Masson, 2009. 211p. p181

14

déterminent la façon de réagir de chacun. Le soignant développe des sentiments impossibles à taire, il vaut mieux donc les connaitre et en tenir compte.

Certaines émotions (culpabilité, colère, frustration, …) peuvent entrainer la “démission” du soignant, qu’elle soit sous forme d’éloignement physique, ou de repli psychologique.

Devant la colère qu’il peut ressentir un professionnel de santé, R. Buckman conseille tout d’abord de se l’avouer, pour mieux maitriser ses sentiments, puis la décrire plutôt que l’exprimer, et enfin discuter suite à un accès de colère, pour éventuellement présenter ses excuses, s’expliquer et régler les conflits.

Concernant la culpabilité, R. Buckman conseille la discussion avec un autre professionnel de santé ou un ami, mais pas avec le patient.

Les soignants ont leurs limites concernant la maitrise de leurs émotions, certains témoignages prouvent la nécessité d’obtenir l’approbation de ses actes auprès des collègues de travail, de partager leur douleur23, faute de quoi les soignants peuvent s’attendre à mettre leur propre famille en péril, ou leur propre équilibre mental.

2.3.7. Les mécanismes de défense des infirmiers M. Ruszniewski définit24 : “toute situation d’angoisse, d’impuissance, de malaise, d’incapacité à répondre à ses propres espérances ou à l’attente d’autrui, engendre en chacun de nous des mécanismes psychologiques qui, s’instaurant à notre insu, revêtent une fonction adaptative et nous préservent d’une réalité vécue comme intolérable parce que trop douloureuse.” C’est en repérant chacun de ces mécanismes et en les analysant, que le soignant est apte à faire face aux situations les plus difficiles qu’il rencontrera en exerçant sa profession.

23

Op.Cit.p188

24

RUSZNIEWSKI M, Face à la maladie grave : Patients, familles, soignants, Paris : Dunod, 1999. p15.

15

D’après Ruszniewski, ces mécanismes peuvent prendre plusieurs formes25 : Le mensonge Le mensonge est le mécanisme de l’urgence, il repousse et travestie la vérité, mais c’est aussi le plus dommageable pour le psychisme du patient. Il donne de fausses informations sur la maladie, de fois en changeant le mot cancer par polype, par exemple, ou anémie. Mais suite au mensonge, le patient n’est pas préparé psychologiquement à l’annonce, et quand celle-ci sera faite, elle provoquera un phénomène de sidération. Le pare-excitant constitué par l’angoisse a été annihilé par le mensonge, le patient n’a plus aucune arme pour accueillir la mauvaise nouvelle.

Dans ma situation interpelant, le médecin utilisait le mot “tâche” pour parler de la tumeur de la patiente.

La banalisation Cela revient à “traiter une maladie avant de traiter le malade”. C’est se focaliser sur une seule partie, plus sur l’aspect physique pour occulter la souffrance psychique. Ce n’est pas une approche holistique, mais divisé, c’est nier une partie de son être, et le laisser seul avec une facette de sa douleur.

L’esquive C’est un “mur de surdité” qui protège les soignants de leur propre angoisse, sachant qu’ils ne sont pas en mesure de maitriser le face-à-face. Ils choisissent d’être hors sujet, de parler d’autre chose, de répondre à côté de vrai interrogations du patient, en déviant la conversation vers d’autres thèmes, plus rassurantes pour le malade.

La fausse réassurance C’est entretenir des faux espoirs, optimiser les résultats, même quand le patient n’y crois plus.

25

Op.Cit. p16 à 33

16

La rationalisation C’est tenir un discours trop technique et spécialisé pour la compréhension du malade. C’est se retrancher derrière le savoir médical, auquel le patient n’a pas accès. Le dialogue ouvert est impossible à instaurer. Certains soignants ont besoin de ce temps pendant lequel les patients sont encore ignorants, pour pouvoir intégrer eux même le diagnostic, avant que les malades l’intègrent.

L’évitement C’est réduire le patient à un dossier, en niant sa présence physique, le soignant peut présenter un comportement de fuite, comme par exemple regarder la pancarte ou le dossier plutôt que le patient, s’adresser aux étudiants ou aides-soignants concernant le patient etc.

La dérision C’est un autre comportement de fuite qui a comme conséquence de réduire le malade au silence.

C’est encore une fois, ne pas prendre ses souffrances psychologiques en compte, en pesant qu’avec l’humour, certes, nécessaire dans la relation, on évite de parler du sujet qui fâche, la pathologie grave ou le pronostic pessimiste.

La fuite en avant Certains soignants ont besoin, au contraire, de se décharger de leur fardeau avant même que les questions de la part du malade soient posées. Dans un même temps ils délivrent, diagnostic, pronostic, conséquence du traitement, comme pour se débarrasser d’un coup en espérant maintenir un équilibre dans les souffrances.

L’identification projective C’est l’inverse de la banalisation, une tentative du soignant d’annihiler la distance qui le sépare du patient, en attendant de la part de celui-ci de développer les mêmes sentiments et émotions que lui. Il projette sur le malade ses propres souhaits et aspirations, en lui imposant son propre mode d’emploi de la façon que le patient devrait faire face devant sa maladie.

17

Partie 3. Le pole empirique 3.1.

L’outil d’enquête

Dans le but d’interroger la légitimité de ma question de départ, et de mettre en lien la pratique avec mes recherches théoriques, j’ai décidé de mener trois entretiens semi-directifs auprès des professionnels du terrain. J’ai choisi l’entretien semi-directif, car il permet une approche qualitative et interroge tous les thèmes de mon pole théorique. De plus, il donne une grande liberté d’expression à la personne interrogé et permet de recueillir son ressenti.

Les entretiens ont eu une durée entre 30 à 45 minutes, ont eu lieu sur le lieu de travail des infirmiers, au calme, dans un des cas pendant le temps du travail, mais de nuit, dans deux autres cas après le temps de travail des infirmiers. Avec l’autorisation des infirmiers j’ai enregistré la conversation ce qui m’a beaucoup facilité la retranscription ultérieure, et m’a aidé à être dans le dialogue et pas en train d’écrire pendant l’entretien.

Le guide d’entretien a été auparavant validé par ma formatrice guidante. Il peut être retrouvé en annexe I.

3.2.

La population

J’ai choisi d’enquêter auprès des infirmiers en court et moyen séjour, ayant une expérience professionnelle variée (nombre d’année d’exercice et types de patients) pour avoir des différents points de vue. J’ai donc eu entretien avec un homme et deux femmes, ils ont entre deux et vingt ans d’expérience, deux d’entre eux travaillent dans des services de médecine et un à mi-temps dans un service de soins intensifs cardiaques et pour l’autre mi-temps, il tourne sur différentes services de sa clinique (médecine et chirurgie).

3.3.

Contenu

Dès le début de l’entretien, les trois infirmiers sont dans le concret, ils illustrent leurs réponses avec des exemples de leur vécu professionnel.

18

Première question : Comment définissez-vous la maladie grave ?

Le cancer est un de premiers mots prononcés à chaque fois. Puis, un des infirmiers me parle de l’insuffisance cardiaque, quand la fraction d’éjection se situe entre 10 et 15%, les patients sont condamnés à mourir dans les semaines qui arrivent. Une infirmière me dit qu’en plus de pronostic engagé à court terme, pour elle grave ce sont les maladies pas soignables, celles qui laissent des graves séquelles, celles qui impliquent des traitements lourds pour le patient et sa famille. Une infirmière me dit que c’est grave quand on est en présence d’une pathologie qui peut dégénérer à tout moment, qui n’est pas stabilisée.

Ils sont face à des diagnostics des pathologies qui engagent le pronostic vital à court terme entre tous les jours et toutes les semaines.

Deuxième question : Combien de temps se passe en moyenne entre l’annonce du diagnostic à l’équipe soignante et l’annonce au patient ?

A l’unanimité, les trois soignants considèrent cette période trop long. Ils répondent qu’elle peut durer un jour, mais beaucoup plus souvent elle dépasse une semaine. Des fois parce que les médecins attendent des résultats supplémentaires, d’autres fois parce qu’il faut “distiller” l’annonce, le faire petit à petit. Une infirmière me rappelle les mots que les médecins utilisent pour ne pas prononcer “cancer” : “tâche”, “polype” … Les infirmiers savent que ce n’est pas leur rôle d’annoncer un diagnostic, et ajoutent même que celui-ci doit toujours rester en possession du médecin.

Troisième question : Quelles émotions ressentez-vous durant cette période ? Quel comportement adoptez-vous avec ce patient ?

Concernant la relation soignant-soigné, les trois infirmiers la qualifient de difficile. L’émotion qui revient le plus souvent, le mot entendu au moins deux-trois fois par entretien est frustration. Deux sur trois infirmiers interrogés m’ont dit qu’ils ressentent de la gêne en entrant dans la chambre du patient qui ignore son diagnostic.

Les infirmiers parlent du sentiment d’impuissance, une infirmière dit sentir même de la culpabilité, comme si ce n’était pas à elle de connaitre l’avenir d’une personne avant elle. Les infirmiers sentent de la peine aussi, pour ce diagnostic pessimiste, qui est généralement accentuée si le patient est dans le service depuis longtemps et que des liens plus forts se sont 19

créés. Une seule des infirmières parle d’espoir, un tout petit espoir qu’une guérison est encore possible “on a déjà vu des miracles” elle dit.

Deux sur les trois infirmiers sont convainques de ne pas transmettre des messages d’une façon non verbale qui contredissent le discours verbal. Une infirmière dit se maitriser, savoir ne pas répercuter ses émotions sur son visage, rester professionnelle en tout cas. Elle dit “ça m’est jamais arrivé de pleurer devant les patients”. Une seule infirmière dit que son regard ne ment pas, que le patient sent qu’elle lui ment, que justement c’est pour ça qu’elle prend de la distance avec ces patients.

Pour faciliter l’appréhension de la relation avec le patient durant cette période, deux infirmiers aimerait que l’équipe parle plus, qu’il instaurent des réunions d’équipe avec les médecins pour discuter et se mettre d’accord sur l’attitude à avoir, “comme dans les services de soins palliatifs” dit l’une d’entre elle. Un infirmier pense qu’une aide psychologique extérieure peut être apportée au patient. Mais, à l’unanimité, les trois ont parlé d’un besoin de formation. Ils se sentent démunis devant ce type de patients et les trois ont formulé une phrase du type “on ne nous apprend pas ça à l’école”.

Partie 4. Analyse Un grand nombre d’informations ont pu être mises en relation entre mon pôle théorique et les réponses à la première question de mon entretien concernant la maladie grave. En effet, celleci correspondrait aux maladies incurables ou présentant un traitement lourd et pour lesquelles le pronostic est engagé comme par exemple le cancer ou encore l’insuffisance cardiaque qui ont tout de suite été citées. Cependant, les interviews permettent d’ajouter que la maladie grave reste plutôt une représentation étant donné que les infirmiers n’ont pas vraiment de définition littéraire de ce concept.

Les infirmiers évoquent la législation dans la partie de l’entretien réservée au diagnostic, ce que je peux mettre en lien avec les éléments découvert durant la recherche théorique. En effet, malgré un temps d’attente qualifié de “trop long” entre la découverte et l’annonce du diagnostic par le médecin, les infirmiers ne sont pas en mesure de dévoiler celui-ci. Même si 20

ils sont conscients du droit à l’information du patient, ils savent que ce n’est pas leur rôle d’annoncer le diagnostic et que celui-ci doit toujours rester le domaine du médecin.

D’après mes entretiens, les divers ressentis pouvant apparaître face à une situation d’attente de diagnostic explorés lors de mon pôle théorique peuvent être observés sur le terrain. On peut notamment citer la frustration, la gêne, la culpabilité, la peine et l’espoir ou encore l’impuissance liée à l’incapacité de guérir les patients atteints de maladies graves, qui ont été donnés par les infirmiers en réponse à ma troisième question. Contrairement au pôle théorique, aucun infirmier n’a évoqué le sentiment de supériorité, ni celui de découragement.

Le sentiment de responsabilité est sous-entendu à travers leurs propos notamment lorsqu’ils donnent des exemples de patients diagnostiqués d’une maladie grave. Grâce à mes recherches, on peut ajouter que ces ressentis sont impossibles à étouffer, il est donc nécessaire de les connaitre et en tenir compte dans sa pratique de tous les jours.

Mon pôle théorique montre l’importance du non-verbal dans la communication. Cependant, lors de mes entretiens les infirmiers ont minimisé la part non-verbale, étant surs de leur neutralité dans leur posture, ils pensent transmettre tout l’information nécessaire d’une façon verbale puis leur maitrise de soi et leur professionnalisme les empêchent de renvoyer des messages contradictoires.

Durant les trois entretiens, les infirmiers n’ont pas mentionné les mécanismes de défense qu’ils ont pu mettre en place devant une situation difficile, à part l’évitement, évoqué par l’une d’entre elles, lorsqu’elle parle de la distance qu’elle met intentionnellement avec le patient qui ignore son diagnostic. Mais mes recherches ont souligné l’importance pour l’infirmier de les repérer et les analyser pour mieux faire face aux situations difficiles.

Lorsque j’ai interrogé les éléments facilitants la relation dans une situation de pronostic vital engagé inconnu du patient, les trois infirmiers m’ont répondu à l’unanimité “On n’est pas assez formés”. En effet, les infirmiers ressentent un réel manque durant leur formation. La confrontation avec des situations difficiles semble faire appel à des qualités humaines mais également professionnelles qu’ils ressentent comme manquantes pendant le cursus de formation infirmier, d’où la formulation de ma question de recherche : “En quoi la formation des infirmiers peut-elle améliorer la relation soignant-soigné dans le cas d’un diagnostic grave connu uniquement par l’infirmier?”

21

Conclusion En terminant ce travail de fin d’études, je me rends compte qu’il m’a beaucoup appris. En effet, mes recherches théoriques m’ont ouvert des portes vers des nouvelles connaissances et aspects de la relation soignant-soigné, concept situé au cœur de mon futur métier. En effet, la première partie de ce mémoire, qui développe chaque concept de ma question de départ, m’a beaucoup aidé à approfondir mes connaissances, et comprendre les enjeux pour une meilleure entrée en relation avec le patient. A travers mes lectures, j’ai approfondi la dimension législative de l’annonce du diagnostic et surtout j’ai compris, en rédigeant le chapitre “La relation soignantsoigné”, l’importance de la connaissance de soi, de ses propres émotions, sentiments et de ses propres limites pour mieux entrer en relation avec l’autre.

Les entretiens réalisés avec les infirmiers du terrain ont renforcé les notions abordés dans les différents chapitres de mon travail. Ils m’ont relevé leur pratique professionnelle et m’ont permis de m’imaginer, moi aussi, bientôt confrontée à des situations compliquées, que je vais devoir gérer de mon mieux, en accord avec mes valeurs, mais aussi avec les règles professionnelles qui régissent mon métier. J’ai pu aussi me rendre compte de l’importance du support de l’équipe devant une situation qu’on considère difficile.

La culture hospitalière est depuis toujours centrée sur la dimension curative du soin, mais les soins relationnels, palliatifs, l’aspect psychologique de la maladie somatique commencent à être de plus en plus pris en compte.

Avec le nouveau dispositif LMD (Licence, Master, Doctorat), les futurs infirmiers sont encouragés à plus de réflexions sur leurs pratiques ce qui peut relancer l’attrait de cette profession. A nous de rester curieux, et de continuer à nous former tout au long de notre carrière, sans oublier l’élément central de notre métier : le patient.

22

Bibliographie Livres

BUCKMAN R., S’asseoir pour parler: L’art de communiquer de mauvaises nouvelles aux malades : Guide du professionnel de santé. Issy-Les-Moulineaux: Elsevier Masson, 2009.

211p.

COLLECTIF Société Française d’Accompagnement et soins palliatifs, Relation d’aide en soins infirmiers. Masson, Juin 2007. 141p MANOUKIAN A. La relation soignant-soigné. 3ème édition. Lamarre, Octobre 2008. 223p

MERCADIER C. Le travail émotionnel des soignants à l’hôpital : Le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné. 7ème tirage. Paris : Seli Arslan, 2008. 288p.

PERLEMUTER G., PERLEMUTER L., PITARD L., et al. Psychologie Sociologie Anthropologie Issy-Les-Moulineaux : Elsevier Masson, 2010. 155 p. Collection “Cahiers des sciences infirmières” PERLEMUTER G., PERLEMUTER L., PITARD L., et al. Soins Relationnels Issy-LesMoulineaux : Elsevier Masson, 2010. 247 p. Collection “Cahiers des sciences infirmières” POTIER M. Dictionnaire encyclopédique des soins infirmiers. Rueil-Malmaison : Lamarre, 2002. Collection Les Fondamentaux Profession infirmier : recueil des principaux textes relatifs à la formation préparant au diplôme d’Etat et à l’exercice de la profession. Berger-Levrault. 2010. 203p RENE L. Code de déontologie médicale commenté. Paris; Le Seuil: 1996 RUSZNIEWSKI M, Face à la maladie grave : Patients, familles, soignants, Paris : Dunod, 1999. 206p.

Articles FORMARIER M. La relation de soin, concept et finalités. Recherche en soins infirmiers, juin 2007, n° 89

GALLOIS P., VALLEE J-P., LE NOC Y. L'information du patient : claire, loyale et appropriée Une composante essentielle de l’acte de soins. Médecine, Septembre 2009, pp 308-314

Guide du service infirmier de 1991 - Ministère des affaires sociales et de la solidarité - Direction des hôpitaux

WARNET S., Inscrire les soins dans une perspective soignante, La revue de l’infirmière, Mars 2008, n°138, p.15

Insee. [en ligne] Inserm-CépiDc (Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès). [consulté le 20 mai 2013]. Disponible sur Internet : http://www.insee.fr

©Étude sur l’annonce du diagnostic de cancer et le ressenti des malades en 2011 - INCa – mai 2012. Disponible sur Internet : < http://www.e-cancer.fr/toutes-les-actualites/6988>

Textes de loi

La Charte de la personne hospitalisée – Ministère de la Santé

Loi N° 2002-303 du 4 Mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé Article. L. 1111-2 – concernant le droit à l’information

Sites internet

Dictionnaire Larousse [en ligne]. [consulté le 17 avril 2013]. Disponible sur Internet : <http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/diagnostic/25154>

ANNEXES

Annexe I Guide dâ&#x20AC;&#x2122;entretien

Guide d'entretien Préalables

L'entretien va avoir une durée entre trente et quarante-cinq minutes. Il s’inscrit dans le cadre d'un travail écrit de fin d’études qui a comme thème la relation soignant-soigné dans un contexte de diagnostic de maladie grave en service de court séjour.

Les informations recueillies sont strictement réservées à cet usage et revêtent un caractère anonyme (personnes et lieux). L’entretien a lieu après accord du cadre du service concerné.

L'entretien est réalisé à l'aide d'un enregistrement vocal, après accord du professionnel.

Ce guide a été validé d’un point de vue éthique par la formatrice guidante.

Critères d’inclusion : IDE, 2 ans d’expérience en service de médecine

Questions d’inclusion, connaissance de l’infirmière:

Age ? Depuis combien de temps travaillez-vous en service de médecine ? Depuis combien de temps êtes-vous infirmier ? Quel est votre parcours professionnel ? Avez-vous eu des formations complémentaires ? Si oui, lesquelles ?

Thème N°1 : La maladie grave (pronostic engagé) :

Comment définissez-vous la maladie grave ?

Questions de relance :

Avez-vous souvent des patients atteints de maladie grave avec pronostic vital engagé à court terme ?

Comment faites-vous face à ces situations ? Votre pratique face à ce type de maladie ?

Thème N°2 : Diagnostic :

Combien de temps se passe en moyenne entre l’annonce du diagnostic à l’équipe soignante et l’annonce au patient ?

Questions de relance :

Comment qualifierez-vous cette période ?

Thème N°3 : Relation soignant-soigné :

Quelles émotions ressentez-vous durant cette période ?

Questions de relance :

Maitrise des émotions ?

Difficultés ?

Quel comportement adoptez-vous avec ce patient ?

Questions de relance :

Mécanismes de défense ?

Communication non-verbale ?

Patient qui fait des recherches de son côté ?

Contre-transfert ?

Qu’est-ce qui vous aide pour faire face à ces situations ? Pour aider au mieux le patient ?

Qu’est-ce qui serait facilitant ?

Conclusion

Avez-vous quelque chose à rajouter ?

Remerciement sur la participation du professionnel au projet.

Remerciements

Je souhaiterais d’abord remercier ma formatrice guidante, Madame Thérèse Chiandetti, qui m’a aidé tout au long de mon travail par ses conseils et explications pour l’élaboration de mon mémoire.

Je remercie également Mme Patricia Gueux-Lac, documentaliste de l’Ifsi, pour toute son aide apporté dans la recherche des ouvrages nécessaires à l’élaboration de mon pole théorique.

Je remercie aussi les trois soignants m’ayant accordé leur temps si précieux afin de répondre à mes questions me permettant ainsi d’élaborer la partie empirique de mon travail.

Je remercie enfin ma famille et amis pour tout leur soutien durant ces trois années de formation, avec une pensée particulière pour ma fille, Ema, qui a accepté l’absence de sa maman pendant trois ans, pour lui permettre de réaliser son rêve, devenir infirmière.

Quand tout n’est pas dit Résumé : Il existe fréquemment une période entre la pose par l’équipe médicale d’un diagnostic d’une maladie grave, par exemple le cancer, et l’annonce de celui-ci au patient.

Comment l’infirmier fait-il face à cette période intermédiaire et comment cela affecte la relation soignant-soigne ?

J’ai choisi ce sujet pour mon travail de fin d’études suite à une situation vécue en stage qui m’a mis face à une patiente ignorante de son cancer. Convainque que cette situation a changé la relation que j’avais avec cette patiente, j’ai d’abord approfondi la question par des recherches théoriques, en mes référant aux ouvrages qui traitent de ce sujet, puis j’ai confronté à l’enquête empirique. La méthode employée pour ce projet de recherche est l’entretien semi-directif avec trois professionnels de terrain.

Ce travail abouti à une question de recherche qui concerne la formation continue des infirmiers.

Mots-clés : maladie grave, diagnostic, relation soignant-soigné, mécanismes de défense, formation

When everything is not said Abstract : There is frequently a period between the diagnosis of a serious condition, for example cancer, by the medical team and the informing of the patient.

How can the nurse manage this interim period and how might this affect the patient-carer relationship ?

I chose this topic for my final study following a situation experienced in training that faced me with a patient that knew nothing of her cancer. I was convinced that the relationship that existed between us changed, I first pursued the matter by theoretical research, using references to literature dealing with this subject, and I confronted it to the empirical survey.

The methodology employed in this research project was semi-structured interviews with three professionals working in the field.

This work led to a research question regarding the training of nurses.

Keywords : serious condition, diagnosis, patient-carer relationship, defense mechanisms, training