Art of adaptation Manual of artistic tools for migrants
L’ART DE L’ADAPTATION Manuel d’outils artistiques pour migrants
2012 Projet Ariadne
Editrices
Christina Zoniou Enikő Tarján Marián López Fdz. Cao Vera Várhegyi Veronika Szabó
Editrice de la version française Ghizlan Van Boxsom
Auteurs
Alkistis Kondoyianni Carol Brown Christina Zoniou Edina Tarján Ioanna Papadopoulou Judit Koppány Kata Horváth Lynne Bebb Marián López Fdz. Cao Nancy Hogg Naya Boemi Tania Ugena Vera Várhegyi Veronika Szabó
Traduit vers le français par Ghizlan Van Boxsom Fanny Michaux Vera Várhegyi
Graphisme, design et pagination
Tamás Hronyecz, Anna Fatér, Zsófia Szolga
Editeur
Elan Interculturel Pour le projet ARIADNE – L’Art pour l’Adaptation interculturelle dans un nouvel environnement Numéro du projet : 510255-LLP-1-2010-1-FR-Grundtvig-GMP Email : ariadne4art@gmail.com Site internet: www.ariadne4art.eu
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Coordinatrice de publication
Veronika Szabó (Fondation Artemisszió)
Coordinatrice principale du projet Vera Várhegyi (Elan Interculturel)
Le Consortium ARIADNE
Elan Interculturel Fondation Artemisszió Momentum Arts Osmosis - Centre for the Arts and Intercultural Education Université Complutense de Madrid, groupe de recherche 941035, « l’application de l’art pour l’inclusion sociale » Université du Péloponnèse, Faculté des Beaux-Arts, Département des Etudes Théâtral es. TAN Dance Ltd. 2012
Ce projet a été financé avec le soutien de la Commission européenne. Cette publication n’engage que son auteur et la Commission ne peut être tenue responsable de l’usage qui pourrait être fait des informations qui y sont contenues.
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Table des matières Introduction : Ariane, le labyrinthe, l’art et l’immigration .................................................................... 5 1. THEORIES OF ART AND ADAPTATION
1. A propos des utilisations de l’art comme moyen pour le développement de la personne par Marián López Fernández Cao ...................................................................................................................... 8 2. L’Entre-deux : l’espace théâtral et la réalité par Christina Zoniou et Naya Boemi ............................... 18 3. L’Art est bon pour l’adaptation par Vera Várhegyi ................................................................................ 26
II. LES ATELIERS ARTISTIQUES D’ARIADNE
1. Vers de bonnes pratiques des médiations artistiques avec des populations migrantes par Marián López Fernández Cao ................................................................................................................................ 40 2. Etudes de cas autour des médiations artistiques auprès de migrants .................................................... 50 2.1. L’art de l’adaptation : un voyage artistique à travers les phases de l’adaptation par Vera Várhegyi ........................................................................................................................................... 50 2.2. Unis, nous nous épanouissons avec le pouvoir du théâtre par Christina Zoniou, Ioanna Papadopoulou et Naya Boemi .......................................................................................................... 62 2.3. Sortir de l’isolement social, Intervention basée sur le théâtre avec des migrants en Hongrie par Kata Horváth .............................................................................................................................. 82 2.4. Biographies de votre territoire : Atelier d’intégration artistique à travers les biographies situées par Marián López Fernández Cao ........................................................................................ 95 2.5. Le refuge par l’art thérapie par Berta de la Dehesa et Tania Ugena ....................................... 105 2.6. Une vie meilleure à travers les arts et le langage par Nancy Hogg ......................................... 119 2.7. « Fait-maison » : Rapports communautaires à travers le média créatif par Judit Koppány, László Fodor, Veronika Szabó ......................................................................................................... 132 2.8. Le chez soi est là où le cœur est par Lynne Bebb .................................................................... 140 2.9. En dialogue : expérimentation avec un sténopé par Vera Várhegyi ........................................ 148 2.10. Annexe : Indicateurs pour l’évaluation des bonnes pratiques dans les actions sociales/les projets d’intervention à travers l’art ............................................................................................... 157
III. RESSOURCES POUR LES FORMATEURS, MÉDIATEURS, ANIMATEURS
Sommaire ................................................................................................................................................. 161 1. Créer des liens: la communication interculturelle et l’empathie ......................................................... 162 2. S’ouvrir au nouvel environnement, trouver un nouveau chez soi à l’étranger .................................... 164 3. Explorer l’identité et la culture ........................................................................................................... 166 4. Explorer la diversité et acquérir du pouvoir et de l’autonomie ........................................................... 172 5. Comprendre les défis de l’adaptation .................................................................................................. 176 6. Concevoir un nouveau projet de vie ................................................................................................... 179 7. Evaluer le changement ......................................................................................................................... 182 8. Annex: Grille d’observation ................................................................................................................. 187
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Introduction
Ariane, le labyrinthe, l’art et la migration Le Labyrinthe Tout commence avec un labyrinthe. Thésée le guerrier doit vaincre le Minotaure qui demeure dans le labyrinthe. Personne ne s’est échappé auparavant, et le Minotaure a dévoré un nombre incalculable de victimes au fil des ans. Mais Thésée s’est échappé du labyrinthe avec l’aide d’Ariane (en anglais Ariadne), qui lui a donné une pelote de fil pour lui permettre de retrouver la sortie. Une qualité éternelle de la mythologie grecque est que ces histoires transcendent le temps et l’espace, et servent de fables pour notre expérience collective. Qui n’a pas fait face à un défi aussi coriace qu’un monstre? Qui ne s’est pas senti perdu, comme s’il était seul au milieu d’un dédale? Arriver dans un nouveau pays ressemble, en différents aspects, à la situation à laquelle Thésée a dû faire face : nous sommes parachutés dans un nouvel environnement, parfois sans repères, et nous devons nous battre contre beaucoup de monstres en même temps. Ces derniers peuvent être : apprendre une nouvelle langue, comprendre comment nous devons nous comporter, s’habituer au nouvel environnement avec son climat, ses odeurs et ses goûts différents des notres. Nous devons également accepter que ces différences culturelles peuvent signifier que nous pouvons ne pas passer inaperçus, paraître différents aux yeux de ceux qui nous entourent. Certaines des choses que nous prenions pour acquises, comme nos amis et notre famille, peuvent être remises en question. Nous aurons peut-être besoin de trouver un nouveau travail dans une langue que nous ne maitrisons pas encore. Même nos diplomes que nous avons durement acquis ne seront pas forcément reconnus. Être dans une ville étrangère est très similaire à être dans un labyrinthe : non seulement nous ne savons pas où se trouve le bureau de poste, mais parfois, même notre manière de saluer les autres nous échappe. Nous ne savons pas ce qui est poli et ce qui est considéré comme impoli. Nous nous trouvons dans des situations non familières, qui semblent bizarres et contredisent nos propres valeurs, croyances et compréhensions. De même, en étant un migrant, nous pouvons nous trouver dans une situation ou nous avons besoin d’Ariane et de sa pelote de fil pour nous guider à travers ce labyrinthe.
Le Fil Dans le domaine des recherches sur l’adaptation interculturelle, le fil d’Ariane est une métaphore pour désigner la continuité et la quête d’un sens, deux motivations importantes dans l’expérience humaine. La continuité lie notre passé à notre présent, elle crée un sentiment de stabilité à travers le temps et l’espace, plus connecté au sens. Le sens est subjectif: peu importe de quoi il s’agit, pour certains cela concernera la famille, pour d’autres, leurs loisirs et pour d’autres leurs carrières. Cependant ce qui importe est que le sens soit connecté à l’environnement extérieur. Nous ne pouvons pas poursuivre un nouveau projet de vie sans prendre en compte les conditions extérieures dans lesquelles nous vivons. Pour que l’adaptation soit un succès, le fil doit nous lier au monde extérieur : tout comme Thésée, nous avons besoin du fil pour prospérer dans notre environnement.
Les interventions artistiques développent nos compétences pour trouver ce fil de différentes façons. L’art nous aide à faire face à l’incertitude et à l’anxiété, il peut nous préparer à des situations inhabituelles en simulant de nouvelles réponses aux défis et en nous faisant voir les liens 5
d’une autre manière. L’art nous aide également à créer de l’ordre, il implique une organisation des formes et des couleurs, évalue les proportions et créer une vision personnelle de l’équilibre. Enfin, l’art peut nous responsabiliser en nous permettant de devenir acteurs et créateurs au sens le plus concret. Les interventions artistiques peuvent aussi nous donner une opportunité de nous lier à l’environnement extérieur, soit à travers les différentes formes d’art (ex. la photographie, le cinéma ou la danse) soit par l’adhésion au groupe artistique. Le Manuel Ce manuel présente ce que nous avons appris sur la manière dont l’art peut être le fil d’Ariane. Les chapitres suivants retracent le processus de nos deux années sur ce projet développé grâce au soutien du programme d’Education Tout au Long de la Vie de la Commission Européenne. Le premier chapitre donne une vue d’ensemble du contexte théorique sur la manière dont l’art est lié au processus d’adaptation. Il présente également une liste d’indicateurs que nous avons créée pour nous guider dans l’identification des bonnes pratiques et dans l’orientation de notre propre travail. Le deuxième chapitre présente nos ateliers pilotes sous forme d’études de cas. Les partenaires du projet ARIADNE ont réalisé 11 ateliers de 30 heures dans les cinq pays participants. Ces sessions « pilotes » ont eu lieu entre juillet 2011 et mai 2012. Les partenaires ont travaillé avec des groupes de 10 à 15 migrants comprenant des réfugiés et des demandeurs d’asile. Certains ateliers ont également été ouverts aux membres de la société d’accueil pour donner l’opportunité aux participants de se créer de nouveaux contacts à travers ces groupes. Lors de ces ateliers pilotes, différentes formes artistiques ont été utilisées comme, par exemple, l’écriture créative, la danse, le cinéma, la photographie, le théâtre et les arts plastiques. En utilisant l’Art comme outil pour engager la conversation avec les participants, un espace sûr a été créé et a ainsi permis une réflexion sur des sujets comme le choc culturel, l’identité et le sentiment d’appartenance. Les études de cas donnent un aperçu des processus et des dynamiques de nos ateliers. Avec l’aimable contribution de nos participants, nous avons réalisé une combinaison de recherches quantitative et qualitative sous forme d’entretiens, de questionnaires, d’observation et à travers des méthodes intégrées dans le processus artistique. Ces découvertes nous ont renseignés sur les façons dont les ateliers pilotes fonctionnaient et sur leur impact sur les participants. Nous avons également rassemblé les conclusions sur les méthodologies d’évaluation qui peuvent être utilisées lors d’un travail avec des migrants au sein d’interventions artistiques. Le troisième et dernier chapitre présente un échantillon d’outils concrets, d’activités que nous avons développées et que nous souhaitons partager avec les artistes, les médiateurs artistiques, les formateurs d’adultes désireux d’enrichir leur travail avec les arts. Nous espérons que notre travail avec ARIADNE fournira assez de fil pour donner envie à d’autres personnes de s’engager dans le travail que nous avons, tous, trouvé si fascinant.
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Chapitre 1 Théories de l’art et de l’adaptation
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1. A PROPOS DES UTILISATIONS DE L’ART COMME MOYEN POUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA PERSONNE Marián López Fernández Cao, Université de Complutense à Madrid
Résumé Dans cet article, nous montrerons comment l’art a été utilisé à différents moments de l’évolution humaine comme outil d’adaptation pour le développement humain et aussi comme outil pour le développement de l’homme et de ses interactions avec le monde et les autres personnes. Beaucoup plus qu’une fonction complémentaire, l’art est une expression courante de l’être humain, et il a de nombreuses et d’importantes fonctions pour la croissance personnelle et la santé sociale.
1. Vers un diagnostic de l’Art dans l’Education L’un des aspects principaux apparus lors des discussions récentes sur l’éducation artistique est le retour aux bases fondamentales de l’éducation et de l’art, et notamment une réflexion sur les réponses aux questions suivantes, concernant ces domaines d’un point de vue ontologique et épistémologique : • Qu’est-ce que l’art ? • Quel est le but de l’art ? • Pourquoi l’art est-il pratiqué, dans tous les pays, à travers le temps (même s’il n’est pas soutenu par le ministère de l’éducation) ? • Quelle est la relation entre l’art et la vie ? • Quelle est la relation entre l’art et l’éducation ? • Qu’est-ce qu’un artiste, pourquoi et pour quoi ? Chacune de ces questions pourrait remplir plusieurs pages, et pourrait probablement ai-der à clarifier certains propos de ce domaine. Il semble utile d’aborder deux positions essentielles: • Chacune de ces questions pourrait remplir plusieurs pages, et pourrait probablement aider à clarifier certains propos de ce domaine. Il semble utile d’aborder deux positions essentielles, • Et une autre position plus proche de l’art comme création, métaphore et expression de la réalité du créateur, qui reprend certaines idées de l’éducation comme expression ou expression individuelle. La plupart des études développées dans ces deux domaines ont un lien avec les deux positions à la fois. Ces deux tendances peuvent être clairement décelées dans n’importe quelle conférence internationale récente : à l’INSEA, la prédominance de l’analyse et l’impact visuel de la réalité, et à l’UNESCO, avec une tendance plus humaniste, qui souligne la capacité de transformation et d’innovation de l’art, dans ses aptitudes innovantes et régénératives. Cependant, sans abandonner le besoin d’observation critique de la culture de l’éducation artistique, et partant de la connaissance du domaine émergent qu’est l’art comme transformation et thérapie, il y a quelque chose de vraiment spécifique dans l’Art, à savoir la capacité à mettre en jeu, au-delà de l’espace et du temps, et à travers les opérations de l’esprit créatif, de nouvelles façons de voir. Ces opérations agissent sur nous comme un acte de transformation de nous-mêmes, de la vision que nous avons du monde, des autres et de 8
notre relation avec eux. Comme dit Rudolf Arnheim: « l’Art est la qualité qui fait la différence entre être de simples spectateurs ou faire des choses et être émues par elles, touchés par elles, comme amendés par les forces inhérentes à toute chose que nous donnons ou recevons » (Arnheim, 1980).
2. Les valeurs de l’Art. L’Art, la création, la musique, la danse et le théâtre demeurent, en dépit des systèmes éducatifs qui les soutiennent ou les éliminent de leur programme. Les sociétés, si elles encouragent/éduquent ou non, continuent de produire de l’art, et, les individus, dès qu’ils commencent à voir leur marque sur le sol, leur ombre sur le mur, leur corps dans l’espace, commencent à être créateurs, imaginant les futurs possibles et impossibles, ou inventant des stratégies pour résister à leur présent. Tous les aspects que nous avons notés ci-dessous sont évidents pour des personnes comme nous qui nous dédions à la création et à l’éducation à travers l’art. Mais, en général, ils ont besoin d’être expliqués à la majorité des professionnels d’autres domaines de l’Education qui, dans la plupart des cas, ne voient pas dans la création autre chose qu’un loisir trivial qui ne procure pas de compétences ou de qualités pour la vie et le travail futurs.
2.1. Relation avec la réalité objective La réalité est rarement aussi longtemps observée que lorsque nous la dessinons. Le croquis réalisé avec un stylo, un crayon ou n’importe quel matériel permet de faire attention aux détails et requiert une attention, une observation détaillée et un traitement de la réalité lent et délicat. Dessiner implique une écoute de l’environnement, une connaissance et une reconnaissance de ses règles, une compréhension de ses structures et un partage de tout cela à travers les gestes des mains et des doigts. La réalité, à travers le processus d’une observation respectueuse et minutieuse, empiète sur nous, à travers nos yeux et notre corps, notre mémoire et notre connaissance. Tous les souvenirs assimilés et adaptés à la réalité émergent et sont réactualisés dans l’acte de dessiner, les schémas appris s’associent ou s’effacent avec cette réalité, cette réalité unique, dans l’espace et le temps, face à nos yeux. Comme l’écrivain John Berger le dit, après avoir dessiné un pré, celui-ci ne reviendra jamais au même pour le créateur : il deviendra une partie de l’expérience de vie, de la connaissance et de l’attention. Dessiner à partir de la nature est un acte de connaissance et de respect pour la réalité et cela devient « notre » réalité à travers nos doigts, nos mains, nos émotions, nos perceptions et notre cerveau.
2.2. Relation avec la réalité subjective D’un autre côté, dessiner un fait ou une expérience c’est faire apparaître, de l’intérieur de notre corps, les traits qui en témoignent. Dessiner c’est donner corps à un fait qui est devenu une expérience à l’intérieur de nous. Dessiner une expérience passée, ancrée dans notre mémoire, c’est un acte d’évocation et de réincarnation, et en même temps, une externalisation du passé et un bien-être parce que nous avons le produit en face de nos yeux, et nous sommes capables, d’une manière ou d’une autre, de le voir encore. 9
Regarder le résultat de notre mémoire, notre perception passée et nos sentiments nous permet, en quelque sorte, de comprendre l’expérience, de nous comprendre, de nous comprendre nous-mêmes dans ce miroir. Cela implique la capacité à faire un modeste mélange de synthèse et de pardon, de réconciliation avec nous-mêmes et nos vies. Les dessins des enfants pendant la guerre civile espagnole ont, entre autres choses, permis à ces enfants de laisser sortir et d’extérioriser les visions que la réalité leur a imposé d’assumer. Les rejeter, lentement et avec leurs propres styles personnels, suppose de donner un ordre au désordre de la vie, au traumatisme, à la séparation et à la perte. Le fait de le dessiner sur une feuille, avec une main/un esprit qui se souvient, case et range dans un nouvel espace, en ajoutant et/ou en effaçant certains détails, permet de donner du sens au passé, de prendre du recul, de le partager, de le regarder encore et d’être capable, finalement, de vivre avec, de lui pardonner et de pardonner aux adultes.
2.3. Tolérance et plaisir de l’ambiguïté L’art, la poésie, le théâtre sont des espaces de paradoxes. Ayant été éduqués pour vivre et agir de façon cohérente, sans plaisanterie et contradiction, l’art nous ouvre des avenues où tout et rien est possible en même temps, où les sentiments contradictoires sont harmonisés ou autorisés à vivre ensemble dans leurs extrêmes. L’art tient compte de l’expression de l’être que cet éveil évite, l’incompréhensible et insondable douleur, le sentiment de plénitude et d’absurdité en même temps. L’art tient compte de la contradiction et du paradoxe, de l’excès, et rend possible la compréhension de soi en tant qu’être humain. L’espace de création permet la haine et le pardon, la rage et le chagrin, bref, la compréhension de nos passions. L’espace artistique est un endroit symbolique, où la vie recommence encore et encore, et il permet d’expérimenter le plaisir et la douleur dans un endroit sûr. Il permet, depuis la création jusqu’à la contemplation, d’oublier les certitudes, de se renseigner sur la polysémie des images et des traits, de s’aventurer sur des significations qui peuvent être, à la fois, diverses et de plus, jamais connues comme définitives. L’art, la création, n’offre pas de significations définitives et par conséquent, cela nous habitue à douter et, plus important, à aimer l’ambiguïté qu’il produit, ne sachant pas, de manière certaine, ce que nous faisons, ce que nous voyons. Dans une société de significations fermées, l’art est un espace où les restrictions d’une vie fermée s’ouvrent, dévoilant une multitude de significations possibles. C’est donc un domaine symbolique où le possible, l’ouvert et l’ambigu sont constants et sont un trait primordial.
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2.4. Le corps L’art remet à neuf l’espace de jeu. Dedans, notre corps, notre main coule essayant de s’adapter à l’environnement, en faisant confiance et en établissant un dialogue entre nous, l’espace et les autres. Selon les théoriciens de l’art dramatique à l’école, nous pouvons souligner comment, à travers les principaux jeux, le jeu personnel et le jeu projectif, les garçons et les filles intègrent leur corps ou nous pouvons souligner ce qu’ils projettent sur la société, sur la culture. A travers le jeu personnel, les enfants transforment leurs corps en avions, en super-héros, en monstres, en petits animaux, ou en machines qui voyagent dans l’espace de leur maison et de leur quartier, alors transformés en univers, en grotte ou en lieu inexploré. Le mouvement par lequel le corps court, s’arrête, récupère, s’ouvre, s’affiche… combine toutes les façons d’être dans le monde, avec le plaisir et le risque que cela implique. Voir comment des enfants jouent dans un jardin public en automne, avec les feuilles qui tombent, les regarder sentir l’odeur des feuilles mouillés, écouter le bruit de leur craquement, regarder les enfants faire danser leurs jambes et leurs mains, leur corps, en ramassant, en empilant et en se jetant sur le sol… c’est participer à la multitude de mouvements symboliques qui les unie avec la vie et ses processus. La pédagogie de Reggio Emilia, développée par Loris Malaguzzi, a immédiatement reconnu l’importance du corps de l’enfant dans l’éducation pour la vie, fournissant le temps et l’espace pour expérimenter toutes les possibilités latentes. La danse, comme le théâtre, invite notre corps à s’installer dans l’espace transformant tous nos mouvements en relation. Jerome Bruner, lorsqu’il visita les écoles de Reggio Emilia, les a décrits comme « une sorte de lieu spécial, dans lequel les jeunes êtres humains sont invités à développer leur esprit, leur sensibilité et à appartenir à une communauté plus large ». Un endroit où sont combinés le «mien, le tien, le nôtre» et où la communauté est vue comme « une communauté d’apprentissage où l’esprit et la sensibilité sont partagés ». Un endroit pour développer ensemble ses connaissances du monde réel, mais aussi des mondes imaginaires. « Ce doit être un endroit où la jeune femme et le jeune homme découvrent l’utilisation de l’esprit, l’imagination, les matériaux et découvrent l’importance de travailler ensemble pour le faire » (cité par Abbot, I., 14). Le jeu projectif fait que notre être projette sur un objet tous les désirs ou peurs que nous voulons exprimer ou contre lesquels nous souhaitons lutter. Le jeu de découverte et d’expérimentation à travers des objets fait que nous y projetons tous les besoins et les caractéristiques que nous souhaitons/dont nous avons besoin. L’objet, construit ou trouvé, cesse d’être un objet perdu dans la foule pour devenir ce que nous voulons qu’il soit : un cône devient une longue-vue, un porte-voix, une corne, une arme ou une protection. Un anneau est une roue, un espace sûr, une couronne, une arme mortelle… à travers le jeu projectif, nous somme indirectement tout et rien à la fois. Les Arts Plastiques, héritiers du jeu projectif, nous invite également à être tout et rien, à faire des essais dans la sécurité de l’espace créatif.
2.5. Faire face aux conflits. Nouvelles stratégies d’adaptation Tous les anthropologues s’accordent à dire que la création d’instruments et d’outils par les humains signifient la survie possible de l’espèce humaine en milieu hostile. La condition pour fabriquer des instruments c’est d’abord de les imaginer. Comme nous l’avons mentionné dans le titre précédent, le processus créatif fait partie du jeu projectif : nous ne nous intéressons pas seulement à ce qu’est un bâton dans le sol, ou une fibre naturelle, ou une pierre, mais à ce que cela peut être, ce que cela est pour nous. 11
La capacité à rendre les choses étranges, qui implique la création ainsi que l’aptitude à penser aux autres utilisations futures et options possibles, nous font penser que l’imagination n’est pas simplement un endroit pour échapper de la réalité, mais au contraire, une nécessité pour la survie et un besoin d’adaptation très fort. Si les humains n’avaient pas imaginé un monde plus sûr et plus chaleureux, ils n’auraient pas créé des objets et des environnements qui le permettent. En partant du fait d’être né avec des pieds fragiles, de marcher pieds nus et de souffrir après de longues marches dans les bois, jusqu’à la réflexion sur l’idée de joindre des fibres végétales sur une surface où nous pourrions mettre notre pied et faire une chaussure, de nombreuses décisions d’exclusion, d’inclusion ou de révisions ont eu lieu. Mais, au début, il existe une imagination capable de voir un pied sans blessure et capable de lier des éléments qui, en principe, n’ont aucune relation apparente, pour résoudre ce problème de blessures. Cette imagination requiert de l’attention, de l’observation et la volonté de changer, ainsi qu’une action créative qui rend cela possible à travers la transformation d’une matière végétale. De l’espace créé avec une feuille pour permettre à l’homme de boire, aux récipients en céramique pour conserver du liquide, les hommes ont progressivement développé leur connaissance et la boue est devenu un sujet d’intérêt. Ainsi, un processus d’observation de la nature a permis de développer et de concrétiser une idée : la boue, matière humide et malléable, a pu être transformée en un matériau sec et dur grâce au feu. L’art et la science se sont ainsi connectés. L’imagination lie le présent et le futur : elle examine le présent, invente l’avenir. La création permet d’imaginer des solutions possibles au présent, et ces solutions deviennent alors un futur réel. Le psychologue Fernando Cembranos a mis en avant la dimension sociale de la créativité et la manière dont tous les individus ont inventé des façons de survivre aux situations difficiles de la vie. Ces techniques grâce auxquelles les personnes ont échappé à la maladie et à la misère sont des exemples de stratégies créatives, de chemins alternatifs pour faire face à la dureté de la vie.
2.6. Se tenir debout face au conflit Un type de création lié à la répétition a été critiqué par la théorie de la créativité et les bases de la création dans la modernité. Cependant, la répétition est une constante de notre vie et nous aide à nous maintenir dans une existence continue. De l’identification par la répétition des enfants qui nous rend adultes pour raconter la même histoire avec les mêmes mots encore et encore, aux chants répétitifs ou aux gestes auxquels on s’attache comme des rituels, la répétition est un moteur qui nous donne un sentiment de sécurité. Le rétablissement de l’équilibre homéostatique à travers le rituel et la répétition nous insert dans un temps sûr, et en même temps, nous permet d’équilibrer une réalité changeante, fragmentée et troublée. Le rythme, les répétitions, nous donne une impression d’histoire, de continuité : il y a un fil conducteur à notre vie et ce rythme nous donne la direction et nous guide. Beaucoup d’histoires avec des circonstances difficiles et dures nous racontent comment les personnes, à travers la répétition de noms, de nombres, de mémorisations précises, ont réussi à arriver à un stade où il était possible de supporter l’insupportable. L’art du fil, à travers la fabrication, la couture ou la broderie, les gestes du potier, de celui qui répète une action afin de créer quelque chose, compense le déséquilibre externe en imposant un rythme et un ordre à la vie et offre comme résultat une création face à une destruction. En même temps, les danses répétitives se déplacent vers un autre état, un autre niveau d’existence qui nous aide à résister à la vie que nous vivons. D’un autre côté, l’art, à travers 12
sa capacité à imaginer le futur, est capable de créer des vies parallèles, des désirs parallèles qui compensent le manque de désir de la vie quotidienne. Comme Herbert Marcuse le souligne, l’art nous ouvre les yeux sur notre réalité parce qu’il montre l’existence possible d’autres vies beaucoup plus intéressantes. Comme le délire des malades mentaux qui débattent pour expliquer l’inexplicable chaos dans lequel ils vivent, l’art a la capacité d’aller vers d’autres corps, d’autres environnements, d’autres expériences. C’est en quelque sorte la catharsis aristotélicienne qui nous offre, pour un temps, l’illusion de vivre dans un autre monde qui en vaut la peine, ou offre la passion à celui qui ne la vivra jamais… ou offre la douleur à celui qui n’a jamais souffert. L’art nous permet de prendre part aux émotions et aux sentiments en mettant en avant les manières d’envisager un futur parmi les ruines ou de supporter ce présent parmi les ruines. Comme les bardes celtes avec leur tige de cèdre faisant un cercle autour d’eux, l’art permet la suspension temporaire de la peine, la douleur et la tristesse. L’art aide la récupération de l’âme, si elle existe.
2.7. De la tolérance à la frustration Travailler avec des matériaux artistiques nous confronte aux qualités de la matière et à nos propres limites. Habitué à une société basée sur la consommation, dans laquelle l’acquisition implique la satisfaction immédiate, entamer un dialogue et comprendre la matière (comme la pierre, le bois, l’argile ou autres) c’est reconnaître non seulement les règles du jeu mais aussi nos capacités à adapter notre rythme au rythme de la matière et à savoir dès le départ que c’est un jeu dans lequel il n’y a pas que l’être humain qui fait les règles. Faire face à notre incapacité peut être, parfois, un grand moment d’humilité dans l’apprentissage et peut nous permettre d’en apprendre plus sur nous-mêmes sur comment aborder les difficultés, les limites ou notre maladresse. Il peut nous aider à développer de nouvelles stratégies et, surtout, à nous supporter en tant qu’humains et nous rendre patients.
2.8. Apprendre comment choisir Hormis la création artistique, très peu d’activités nous offre la possibilité de choisir autant de fois et en si peu de temps : le matériel, le support, la technique, la réalité interne ou externe, comment la traduire, comment commencer, s’arrêter, réfléchir, terminer. Toutes ces actions dépendent de soi-même si elles sont réalisées individuellement, ou, requièrent sans cesse la mise en place d’un consensus si elles sont réalisées collectivement. Apprendre à prendre des décisions correspond, en même temps, au besoin de prendre la responsabilité des conséquences de ces décisions dans le projet artistique, et paradoxalement, il correspond à la perte de la peur des conséquences de nos choix, ayant la chance de les tester.
2.9. Apprendre à faire des erreurs. Assumer les erreurs faites dans l’espace symbolique et fertile de la création nous aide à reconnaître que nous sommes mortels, vulnérables et fragiles. La capacité à admettre nos erreurs dans ce domaine aide à minimiser ces erreurs, à minimiser la sévérité de la vie réelle. Elle nous aide à prendre la « force vitale » requise pour les corriger, et pour nous corriger encore et encore. Cela nous permet de séparer l’action de nous-mêmes. Quelque part, les erreurs faites sur un objet artistique nous aident à nous séparer des erreurs et à les voir comme réparables. Cela aide à séparer le sujet de l’objet et, en même temps, à voir leurs liens et leurs relations. 13
2.10. Apprendre comment planifier Le sculpteur et professeur Angel Ferrant a écrit sur les murs de son atelier de Auxiliary Association of the Child, créé en 1935 et où il a enseigné jusqu’à ce qu’il ferme en 1939 :
« Le travail à faire ici sera comme un jeu. Vous réussirez si vous arrivez à faire ce que vous avez proposé de faire. L’imprudent qui pense qu’il n’est pas nécessaire de réfléchir perdra ou échouera. Pour gagner dans ce jeu qui vous intéresse, vous devez savoir à l’avance ce qui suit: 1. Ce que vous voulez faire. 2. Quels sont les matériaux dont vous avez besoin pour le faire. 3. Avant de réaliser l’œuvre d’art, il convient de faire une étude avec des dessins, des schémas ou des coupes de cartons ; elle peut vous aider à éviter des erreurs potentielles. Dans cet atelier, chacun peut construire ce qui lui vient à l’esprit. Ici, il n’y a pas de maitre mais chacun peut poser des questions s’il ne sait pas. Il est interdit de détruire quoi que ce soit, à moins que vous en ayez besoin pour construire quelque chose qui en vaille plus la peine. » Avec peu de mots et des mots sages, Ferrant résume une partie des valeurs de l’art. Cela implique l’autonomie et la responsabilité de l’enfant ou de l’adulte, dans le processus de création. Et cela inclue quelque chose de très important : la capacité à planifier, à faire un croquis, à essayer des milliers de fois, en pensant à choisir et en prenant la responsabilité de notre propre création.
2.11. Une autre conception du temps Le processus de création transforme les rythmes de travail, le royaume de l’homo faber, il les rend différent. La création, la réflexion créative, implique non seulement une pensée active (vita activa) mais aussi une pensée contemplative (vita contemplativa). Réfléchir à des solutions requiert de se sentir étranger au processus, d’externaliser la série, de la voir encore et cela implique un temps d’inactivité, hors du processus, un processus d’incubation dans lequel les humains s’autorisent à être imprégnés des éléments extérieurs et nouveaux. Par conséquent, le temps de la création est différent du temps de travail mécanique, imposé par une société orientée vers la productivité. Le processus créatif est un évènement, un temps de transformation, une action qui lie les humains avec eux-mêmes et avec la technique, avec les autres, mêlant passé et présent, présent et futur. Il implique un temps suspendu où tout et rien arrive simultanément.
2.12. Une autre conception de l’espace L’espace créatif nous immerge dans un espace hors de l’espace quotidien. L’art a la capacité à marquer, à la manière des bardes celtes, comme Robert Graves le raconte dans la Déesse Blanche, un cercle qui nous mène à un nouveau type de relations et de transformation. L’espace devient un espace potentiel, comme souligné par Winnicott, rempli de possibilité, un espace de sécurité et de liberté. La pédagogie de Reggio Emilia, évoquée avant, concentre son attention sur l’espace comme endroit où les enfants sont préparés à la vie : le jeu, central dans l’enfance, inaugure la création et l’art.
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2.13. Une autre conception du sentiment Une amie, après avoir été opérée d’un cancer, m’a fait remarquer en parlant de la possibilité réelle de la mort, l’une des choses dont elle a soudainement pris conscience et que cela lui a couté de se résigner : c’est la contemplation esthétique. Elle m’a racontée comment elle a quitté un spectacle de danse, en pleurs, terrifiée et pensant que peut-être elle ne pourrait plus jamais le revoir. Le sens de l’élévation, de la transcendance de la vie quotidienne, le sentiment d’être un participant de la beauté sont des aspects qui renouvellent notre capacité à survoler le mesquin, le superficiel et le banal et de renouveler l’espoir que notre vie vaut le coup d’être vécu.
2.14. Capacité d’accoutumance A la suite de toutes les idées mentionnées ci-dessus, l’art rend commun l’inattendu et d’un autre côté, l’art rend l’inattendu commun. Construire une histoire à partir d’un fait douloureux c’est apprendre comment l’intégrer à nos vies, le déchiqueter pour reconstruire ensuite de nouvelles formes de coexistence. Une des fonctions psychologiques basiques de l’acte de photographier est, sans aucun doute, essayer de projeter la réalité extérieure, alors qu’elle est souvent difficile à assimiler : la faire nôtre pour la voir ensuite, la passer au crible et la matérialiser avec notre propre vision.
2.15. Capacité de désaccoutumance De la même manière, l’art et ses processus nous permettent de voir la réalité avec un nouveau regard. Le réalisateur Nestor Almendros a indiqué que les directeurs de la photographie doivent toujours être étrangers à l’endroit où ils doivent tourner, parce que cela leur fournira la vision de quelqu’un qui est capable d’apprécier les nuances lumineuses qu’un natif de la région ne verrait pas. L’originalité de la vision reconnaît, dans la même vue, dans le même paysage, différentes qualités, des fonctions inédites, des possibilités inattendues. Cette capacité de désaccoutumance a été la clé dans la capacité d’adaptation des êtres humains. C’est ainsi que l’humain a vu une chaussure dans une fibre naturelle, un instrument dans un morceau de branche, une maison dans la cavité d’une roche. Les artistes sont un exemple de cette capacité de réadaptation que cependant les enfants sont enclins à développer dans leurs jeux sans fin avec un objet : en quelques minutes, une boite peut se transformer en voiture, en maison ou en immeuble. Cette capacité permet de s’attaquer aux conflits à partir de points de vue différents lorsque les anciens points de vue ne sont plus possibles, et cela, non seulement redémarre une nouvelle relation avec le monde, mais renouvelle aussi la relation avec les autres lorsque les anciens modes sont épuisés et nous permet de voir, encore, de nouvelles qualités en nousmêmes et dans les autres, qui ont été négligées auparavant.
2.16. La création, comme une union du personnel et du commun Avec la création, nous réclamons l’autre être humain. Contempler un travail d’art c’est prendre part à la vie privée de son créateur, à travers l’empathie esthétique. En effet, plus le processus est intime, plus une capacité d’appel importante est impliquée dans de nombreux cas. Les œuvres d’art réalisés au sein de régimes économiques ou politiques dévastateurs, comme celles des personnes disparues de la guerre civile espagnole, les dictatures chilienne ou argentine, ont donné naissance à de formidables œuvres d’art très belles, résultant de la douleur de la perte irremplaçable. Ces sentiments personnels rappellent, en même temps, 15
le sens commun de la perte, l’intimité partagée et la perte ressentie dans la solitude. A leur tour, les expressions artistiques comme le théâtre, la danse ou la musique comme moyens d’implication des corps et de l’esprit, impliquent le sentiment d’un projet commun, de responsabilité et d’interdépendance, des points qui ont été perdu comme objectif dans l’éducation orientée vers la production. La capacité à s’impliquer lorsque nous faisons partie d’un projet théâtral, musical ou de danse, inclus le fait de se reconnaître l’un l’autre comme faisant partie du groupe et de savoir comment est le groupe qui établit l’identité, contre l’individualité dominante de notre société et de la création contemporaine.. Le groupe artistique nous enseigne à être humbles, à partager le projet commun, en responsabilité, et au-delà de cela, à partager l’expérience et le plaisir du processus partagé, l’exposition du produit fait par une communauté vers la communauté. Dans tous ces processus, nous apprenons à reconnaître les erreurs face aux autres, à échanger des critiques, à supporter et à soutenir, à maitriser le groupe, et nous apprenons comment nous laisser nous faire aider et comment maintenir des niveaux personnels qui forment ensemble un tout.
2.17. La création est un pari pour la vie Créer nous lie aux instincts de vie, c’est Eros, le dieu grec de l’Amour et de l’impulsion créatrice,pariant pour la vitalité de l’être humain. Viktor Ullman, un musicien tué à Auschwitz qui a travaillé sans relâche avec d’autres créateurs dans le ghetto de Terezin, a souligné que « la capacité à créer est similaire à la capacité à survivre ». Créer, au sens le plus large, c’est miser pour être dans le monde, avec les autres, en faisant de cela un évènement à travers l’intégration de la beauté, qui confère à notre existence, une caractéristique « quelque chose de spécial », comme Ellen Dissanayake le dit. Se reconnaître dans le miroir tous les matins, se peigner, se laver le visage, c’est renouveler le corps tous les matins pour quelque chose de spécial, et tout cela a un lien avec la création. Mettre la table avec une nappe spéciale (auparavant brodée avec tendresse), placer des tasses pour le petit déjeuner, des bols et des cuillères achetés avec une intention esthétique, mettre des serviettes… sont des actions de la création quotidienne qui renouvelle la vie de tous les jours. A l’extrême opposé, l’abandon de soi-même commence par l’abandon du concept de l’évènement esthétique. Primo Levy et Liana Milu, tous les deux survivants des camps de concentration, ont indiqué, se souvenant de leur séjour dans ces camps, qu’il était facile de savoir ceux qui avaient été dépossédé de leur élan de vie, qui avaient laissé eros : leurs visages en décomposition, leurs apparences miteuses montraient qu’ils avaient cessé d’opter pour la vie, ils étaient des untermensch (en français « sous-hommes »). Cela les avait laissés proches de la mort. Créer nous rappelle à la vie, pour ressentir le projet de vie, pour faire en sorte qu’il fonctionne. La création engage le corps, la connaissance, l’émotion, dans notre individualité toujours traversé par les autres et le monde. Ce réseau complexe qu’est la vie, se manifeste à travers l’art reprenant les pensées, les émotions et les tendances culturelles et sociales. Par conséquent, l’Art est un excellent moyen de faire face aux changements, à la capacité de repenser l’identité, les tendances personnelles et interpersonnelles et les nouvelles formes de compréhension du Monde et de l’être humain. L’activité artistique fait partie de la croissance, du développement humain. Les artistes ont utilisé cette capacité à symboliser, à penser et à ressentir le Monde pour imaginer de nouveaux mondes. L’art est ainsi une aire de possibilités et de liberté.
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2. L’ENTRE-DEUX : L’ESPACE THÉÂTRAL ET LA RÉALITÉ Naya Boemi - Centre pour les Arts et l’Education Interculturelle Christina Zoniou – Université du Péloponnèse, Faculté des Arts plastiques, Département des Etudes théâtrales
Nos antécédents théoriques pour la mise en place et l’évaluation du projet ARIADNE viennent des disciplines scientifiques d’anthropologie sociale et de pédagogie critique, car nous pensons qu’un dialogue au sein des lettres a pour résultat un échange d’idées et de méthodes, au cœur duquel se trouve l’humain. Nous essayons d’aborder les relations entre les individus et le théâtre d’un point de vue anthropologique, en nous focalisant sur les individus et leurs actions. Le théâtre est le point central car il touche des groupes de personnes. Cette approche nous fournit des informations sur les participants, sur leurs relations avec le théâtre mais aussi l’impact du théâtre sur leur vie quotidienne, et quel sens il a pour eux. L’approche exige que les théories soient construites sur des données pour s’assurer de leur exactitude et de leur exploitabilité. Selon l’ethnographie « multi-site », les sujets ne peuvent pas être étudiés ethnographiquement en menant une recherche intensive sur un seul terrain. L’ethnographie « mobile » suit des routes non-prédéfinies, souvent inattendues, et requiert donc l’étude des processus en mouvement (Marcus, 1998, pp. 79-80). Le théâtre sert à la fois de sorte de processus d’enseignement et à la fois d’outils de recherche méthodologique. C’est une méthode de recherche basée sur l’art qui enrichit le paradigme qualitatif, en élargissant la notion de « plan de recherche ». C’est lié à toutes les phases d’efforts de recherches : la récolte des données, l’analyse et l’interprétation. De plus, les pratiques basées sur le théâtre nous ont permis d’avancer de nouvelles questions de recherches et de chercher dans de nouvelles directions des réponses aux questions récurrentes. Cette forme de recherche holistique, participative et intégrée a pour but de lier la théorie à la pratique. Cet article est divisé en trois parties : tout d’abord, des informations seront données concernant le Théâtre de l’Opprimé, l’outil artistique et éducatif prédominant utilisé lors des ateliers pilotes qui ont eu lieu à Athènes (Grèce), dirigés par Osmosis et l’Université du Péloponnèse. Ensuite, suivra un texte sur la pédagogie de la responsabilité, l’éducation interculturelle et la compétence interculturelle, qui représentent le contexte théorique de nos projets éducatifs. Par conséquent, nous préciserons quels ont été les outils analytiques que nous avons utilisés pour évaluer ce projet, des outils basés sur la séparation des formes théâtrales de Beeman : le contenu de la représentation théâtrale, le rôle-participation ou la vision du public, et le rôle de l’acteur (Beeman, 1993, p. 381) ainsi que notre accent sur le corps, les émotions et l’esprit. Enfin, en gardant à l’esprit que dans une représentation théâtrale, une personne est impliquée émotionnellement et physiquement, nous ferons allusion à la théorie correspondante concernant les émotions et le corps.
A. Nos outils artistiques Le Théâtre de l’Opprimé Notre équipe a choisi le Théâtre de l’Opprimé comme principale méthode pour obtenir les techniques de mise en œuvre du projet ARIADNE en Grèce. Des techniques ont également été obtenues à partir d’autres méthodes du théâtre social, comme le Théâtre pour le Développement (Pammenter et Mavrokordatos, 2004). Le Théâtre de l’Opprimé est un terme générique inventé par son fondateur Augusto Boal pour désigner une variété de techniques 18
Voir le site Internet officiel du T.O. : www. thetheatreoftheoppressed. org
théâtrales, inspirée par le théâtre politique et par la pédagogie participative centrée sur l’étudiant (Cohen-Cruz, 2006). Le principe sous-jacent de cette méthode théâtrale est que le théâtre peut fournir un espace où les stratégies de responsabilisation, le combat contre l’oppression et le dialogue peuvent être reproduits et répétés pour éventuellement être ensuite appliqués dans la vie réelle (Boal, 2000). On peut se rapporter au Théâtre de l’Opprimé (Teatro do Oprimido) pour faire face à de nombreux problèmes qui surviennent dans une communauté ou dans des cadres éducatifs formels et non formels, comme le conflit, l’oppression, les relations de pouvoir, les difficultés émotionnelles et le manque de communication. En effet, de nos jours, le Théâtre de l’Opprimé (T.O.) est utilisé dans le monde entier pour un large éventail d’actions sociales, politiques, éducatives et thérapeutiques, impliquant souvent des groupes de population exclus et vulnérables (ex. la jeunesse urbaine, les immigrants, les minorités et les drogués). Certains exemples de l’utilisation du Théâtre de l’Opprimé se retrouvent dans l’éducation interculturelle, les travaux bénévoles, l’activisme culturel, la résolution de conflit, le travail social auprès des jeunes, la formation continue, celle des enseignants actifs, pour n’en citer que quelques-uns (Alkistis, 2008). Le Théâtre de l’Opprimé peut également être une méthode très efficace pour rendre les citoyens conscients de problèmes sociaux comme le consumérisme, la destruction environnementale, les problèmes de genre, le fossé entre les générations, le racisme et la guerre. Le T.O. est une méthode théâtrale née au Brésil dans les années 1970. Il a été développé par le directeur brésilien Augusto Boal pour réagir face à la montée des dictatures en Amérique Latine et comme moyen pour responsabiliser les personnes opprimées, sans terre, et les habitants défavorisés des favelas surpeuplées (Babbage, 2004). Après la diffusion du T.O. à travers l’Amérique Latine, cette méthode a atteint l’Europe à la fin des années 1970. Depuis ce temps, elle a largement été utilisée par les opérateurs du Théâtre Appliqué (ex. dans le Théâtre communautaire, le Théâtre pour le Développement), et par les activistes, les éducateurs et les travailleurs sociaux dans de nombreux contextes.
Le théâtre dans son contexte Puisque que notre principal objectif est de trouver comment l’art peut faciliter l’adaptation interculturelle des immigrants, le théâtre est perçu comme un acte social inséparable des contextes sociopolitiques. N’importe quelle activité théâtrale ne peut pas être comprise en dehors du contexte historique au sens large. Elle doit être envisagée dans un contexte historique de formations et transformations économiques, sociales et politiques précises. Le Théâtre Forum est basé sur des histoires vraies, se référant à une période intense d’oppression et d’injustice que les individus ont vécu. Ainsi, les expériences des personnes proviennent directement de la réalité sociopolitique. Il est important de garder à l’esprit les circonstances historiques dans lesquelles l’action artistique des participants est développée. L’objectif de l’analyse historique est de montrer comment les actions et les choix des participants sont influencés par l’ordre social, comment la réalité historique est vécue par les participants, et comment le théâtre peut faciliter le processus d’adaptation.
B. Aspects pédagogiques Formation d’adultes Nous considérons que le processus d’adaptation interculturelle est un processus éducatif. La mise en œuvre d’ARIADNE par Osmosis et l’Université du Péloponnèse est basée sur les principes de la formation d’adultes. Elle va de pair avec les traditions et le paradigme critique de l’éducation interculturelle et la pédagogie de la responsabilité. La formation 19
d’adultes est définie comme « des programmes de formation organisés qui sont adaptés aux besoins des personnes hors du système éducatif officiel, ayant souvent plus de quinze ans (…). La formation d’adultes est destinée à transmettre une combinaison de connaissance, de compétences et de compréhension, des atouts précieux pour toutes les activités de la vie. » (UNESCO 1975 in Rogers, 1999, p. 55) Les caractéristiques des apprenants adultes que nous prenons en considération lorsque nous concevons nos programme (Kokkos, 2005; Roggers, 1999) sont : • Ils viennent à la formation avec des objectifs spécifiques. Ils ont une large gamme d’expériences • Ils ont des préférences pour certaines méthodes d’apprentissage • Ils ont une tendance à participer activement • Ils font face à plusieurs barrières pendant la procédure d’apprentissage (manque de temps, manque de confiance, manque de motivation, problèmes d’emploi du temps) Notre programme de formation d’adultes a été conçu sur les aspects de la théorie d’apprentissage suivants : • Apprendre est un besoin humain basique • L’accès à l’apprentissage est facilité par l’entrainement, la mise en œuvre, l’acquisition et le développement des expériences de chacun • Apprendre apporte des changements au comportement humain (la façon dont nous pensons et agissons, l’adoption de nouvelles croyances) • Chaque individu a sa propre manière d’apprendre (en fonction de l’âge, de la personnalité et de l’histoire personnelle) • Les apprenants doivent avoir un intérêt, un besoin, un désir pour le sujet d’apprentissage afin de s’y engager (apprendre devient plus efficace lorsque cela répond à des problèmes réels) • Apprendre devient plus efficace si les apprenants sont sérieusement impliqués Et sur les principes suivants inspirés par la pédagogie critique centrée sur la personne (Karalis & Papageorgiou, 2012) : • La pensée est associée à l’action • Le processus éducatif est basé sur l’apprenant • Le savoir est atteint à travers les processus heuristiques • La pensée critique est développée • Les relations interactives se développent entre le formateur et l’apprenant
Education interculturelle
Notre projet est basé sur la pratique de l’éducation pour accroitre la Compétence Interculturelle. Il existe de nombreuses définitions différentes de la Compétence Interculturelle. La Compétence Interculturelle est un terme qui est utilisé par différentes personnes pour différentes raisons. En conséquence, les définitions varient en fonction des différents points de vue des personnes ou du contexte. Une définition qui nous a été utile est la suivante : « la Compétence Interculturelle est la capacité à s’adapter aux significations culturelles et à exécuter, de manière appropriée, des comportements de communication efficaces qui prennent en compte les multiples identités des acteurs dans un environnement spécifique. Il existe trois points de vue : • une sensibilité affective interculturelle – pour reconnaître et respecter les différences culturelles • une conscience cognitive interculturelle – conscience de sa propre identité culturelle personnelle et compréhension de la manière dont les cultures varient
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• une habilité comportementale interculturelle– compétences de paroles, connaissance de la révélation de soi appropriée, flexibilité comportementale, gestion des interactions et compétences sociales. » (Chen & Starosta, 1996).
Pédagogie de l’empowerment2 L’Education Interculturelle est inextricablement entremêlée avec le discours social du pouvoir et avec l’empowerment des individus opprimés à cause de leur classe, la race et le genre (Sleeter, 1991). La responsabilisation n’est pas une stratégie pour se décharger de la colère causée par la discrimination. Le concept de responsabilisation doit permettre aux personnes de renforcer leur capacité d’autodétermination de leur identité culturelle, et d’accroître la confiance des membres d’un groupe minoritaire (McLaren, 1989). La pédagogie de la responsabilité considère que les personnes sont capables de prendre des mesures pour résoudre leurs propres problèmes sans « l’illumination » et « la charité » des classes dirigeantes. Selon le paradigme critique (McLaren, 1989, Sleeter, 1991 ; Cummins, 2005), la responsabilisation n’est pas seulement vue en termes de psychologie individuelle, elle ne signifie pas autodétermination, autoréalisation ou émancipation. A côté de la prise de pouvoir individuelle, cellede la communauté est recherchée pour arriver à un point de vue critique du monde, à des analyses de structures de pouvoir, à une action collective et à des changements sociaux. Les individus responsabilisés acceptent leurs antécédents identitaires culturels mais ils ont aussi la capacité à se décentrer, à la fois par rapport à leurs antécédents et par rapport à la culture dominante, et ainsi adapter leur identité. La pédagogie de la responsabilité prend consciencieusement en compte le passé, c’est-à-dire d’où les individus viennent, et le futur, c’est-à-dire où ils vont (Cummins, 2005, p. 60). Pour rendre ce processus possible, un cadre de respect, de confiance et d’écoute active (ibid, 50) est nécessaire. C’est là qu’intervient le théâtre. 2
Le concept anglais d’ « empowerment » n’a pas de traduction française entièrement satisfaisante, qui capte le sens d’une acquisition de pouvoir économique, politique, sociale ou culturelle par des individus et des groupes subordonnés. Ce concept réapparaitra à plusieurs reprises dans le manuel. Dans les pages à suivre, nous utiliserons les termes de « prise de pouvoir et d’autonomie » et parfois nous garderons l’expression originale que nous vous prions d’excuser. (trad.)
C. Questions de recherche Observation et Analyse : les dimensions descriptives du Théâtre de l’Opprimé L’étude des arts est un composant majeur de la vie sociale. Les arts représentatifs d’une société sont des aspects particulièrement importants du système culturel au sens large. Le théâtre est considéré comme un acte social, séparé de la vie quotidienne et encore inséparable des perceptions dominantes et de la réalité sociopolitique. Selon cette approche, le théâtre procure du plaisir, du soulagement, de l’apaisement, mais il exprime également des revendications, des interventions et des protestations. Le théâtre est utilisé car il touche des groupes de personnes, et dans le cas de nos ateliers, un groupe mixte de femmes africaines et grecques. L’analyse des effets du théâtre sur les participants est basée sur la distinction des formes théâtrales de Beeman. Il y a trois dimensions descriptives : a. le contenu, b. le rôle du public, c. le rôle de l’acteur (Beeman, 1993, p.381).
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a. Le contenu de la représentation théâtrale Les groupes et les participants font face à des problèmes sociaux concernant un quartier, une ville, un groupe social : l’immigration, le racisme, les services de santé, le chômage, la pauvreté, la bureaucratie, l’exploitation humaine, la violence physique. Le T.O. fonctionne comme un endroit où les stratégies de responsabilisation et l’ébranlement de l’oppression sont reproduits, pour éventuellement être utilisés dans la vie réelle. Selon l’idéologie de Boal, l’oppression est définie comme un monologue et une interdiction de liberté d’expression (Boal, 2000). A travers la pratique du théâtre, les personnes entreprennent des actions pour amener des changements dans le statut social. Nous pouvons considérer le T.O. comme un drame social que nous pouvons ensuite utiliser comme l’anthropologue Victor Turner, pour analyser et décrire des situations sociales intenses et des affrontements. Du point de vue de Turner, le progrès social est représentatif et le théâtre est le meilleur outil pour représenter des drames sociaux. Le T.O. est analysé comme un drame social composé de quatre phases: a) la phase de rupture, les personnes réagissent aux lois, à la hiérarchie et l’oppression en exprimant leur opinion à travers un évènement dramatique (les participants au T.O. sont tous socialement opprimés), b) la phase de crise, les personnes sont divisées, remettant en cause l’ordre politique et culturel établi, c) la phase des mécanismes d’ajustement et de redressement, lorsque l’état change de politique sociale, en prenant en compte les positions qui émergent de l’évènement dramatique, d) la phase de réintégration, qui réintègre le groupe incriminé ou perpétue la rupture (Turner, 1982, pp. 7-27, 61-88). En phase de crise, le participant est, d’une certaine manière, en dehors de la société et a un statut ambigu. Le terme de Turner « liminalité » définit le statut de quelqu’un de marginal (Turner, 1977, p. 95). Le « limen » est la limite entre « intérieur » et « extérieur ». Les personnes participant à ce processus sont amenées à une situation appelée « communitas ». Ils éliminent leurs déterminations sociales, ils sont « entre les deux ». Cette phase est appelée par Turner « anti-structure » : pas un renversement du système actuel mais une reconstruction, où de nouvelles significations sont créées (pp. 131-132). Boal appelle cette phase « metaxis », et explique que le phénomène correspond à « un état d’appartenance complète et simultanée à deux mondes différents » (Boal, 1995, p. 43) ; le monde social, c’est-à-dire la réalité oppressive dans laquelle les opprimés vivent, et le monde esthétique, c’est-à-dire la reconstruction artistique de la réalité oppressive par les opprimés-artistes (pp. 42-44). Ce qui se passe pendant la représentation théâtrale3 est directement lié aux expériences des participants, mais ce n’est pas quelque chose de fini et complet. Cela est défini par la manière dont les participants font face à la situation sociale après l’expérience théâtrale (Turner, 1986,p. 33). Ce qui émerge après la représentation théâtrale pourra être le sujet de l’action sociale. Les changements qui se produisent pendant la représentation théâtrale mènent à un questionnement des règles et une réélaboration de la structure des communautés locales. C’est un pas vers la réorganisation des relations à l’intérieur de la communauté. Dans la terminologie de Turner, la performance théâtrale est perçue comme un succès seulement s’il y a une transition progressive d’une structure à une « anti-structure » . Le fait qu’une représentation théâtrale soit publique souligne son caractère social et le besoin de reconnaître cette transition. L’intention est une nouvelle idéologie, une nouvelle façon de vivre, la fabrication de nouvelles conditions sociales. 3
Nous préférons utiliser le terme « représentation théâtrale » plutôt que « représentation », indiquant non pas un action représentative quotidienne, comme celles effectuées par tous les membres d’une communauté culturelle sur le lieu de travail, en famille, dans le sport, etc. mais plutôt un évènement artistique organisé et conscient réalisé sur scène, au sens large du terme. Nous incluons dans ce terme à la fois l’atelier théâtral comme évènement représentatif en cours et le théâtre forum montré face à l’audience.
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b. Le rôle du public : le spect-acteur Dans certaines techniques (comme le Théâtre Forum), les acteurs peuvent être remplacés par les spectateurs, et donc ces derniers deviennent des spect-acteurs. Les spect-acteurs peuvent essayer de mettre en scène les changements sociaux (Boal, 2001,pp. 309-310). Aucune idée n’est imposée et les spect-acteurs ont la possibilité d’essayer n’importe quelle solution qu’ils ont en tête pour résoudre une situation et ainsi vérifier, avec l’aide de la pratique théâtrale, si elle peut fonctionner. La méthodologie de Boal est basée sur l’échange entre les acteurs et les spect-acteurs. Les spect-acteurs ne se connaissent pas nécessairement; ce ne sont pas des amis ou des connaissances. Ils se sont retrouvés pour des raisons personnelles dans une situation particulière. Ils se réunissent au même moment dans un espace public. L’un est impliqué dans la biographie d’un autre, ils interagissent directement (Geertz, 2003,pp. 355-356). A travers l’échange, au sein d’un groupe de personnes qui ne se connaissent pas, se créé une série de réactions. Ces réactions se produisent dans un endroit précis à un moment précis et dévoilent des positions culturelles sur un problème social. On présente nos opinions sociopolitiques personnelles en corrélation directe avec les opinions des autres. Chacun compte sur les réactions des autres. Cette interaction est “le terrain de tensions, de conflits, de divisions et de confusions interpersonnels” (Goffman, 1996, 39). Le T.O. est un théâtre qui peut être joué par n’importe qui, n’importe où, pour résoudre des conflits à travers un dialogue impliquant toutes les personnes présentes. Cela reflète la théâtralité qui gouverne la vie sociale. Les participants agissent comme des spectateurs sans que personne ne leur dise quoi faire et comment le faire. L’interaction n’est pas indépendante des conditions sociales et des influences sociales. Cependant, à travers la représentation théâtrale, les personnes sont des participants actifs dans le façonnage des conditions sociales : à la fois ils sont influencés et ils ont une influence.
c. Le rôle de l’acteur Les acteurs créent un rôle avec lequel ils peuvent réfléchir sur leurs actes sociaux. Ce rôle inclue les façons dont « l’individu, dans une situation ordinaire de travail, se présente…, la manière qu’il a de guider et contrôler l’impression que l’on se fait de lui, et tout ce qui peut ou pas se faire pendant la représentation théâtrale ». (Goffman, 2006, p. 55). Le comportement personnel est perçu comme une « interprétation » (18). Jouer signifie présenter le soi socialement construit aux autres, dans le sens « parler en faveur » de soi (pas seulement avec des mots mais aussi en utilisant des manières convaincantes), et ainsi persuader les autres et leur faire reconnaitre son opinion et son interprétation satisfaisante du rôle. En d’autres mots, c’est un effort créatif (Dubisch, 2000, pp. 257-258). Schechner décrit l’interprétation comme une « transportation », durant laquelle quelqu’un qui joue est « transporté » pour revenir à lui-même et à sa vie quotidienne (Schechner, 1985, pp. 125-127). La représentation théâtrale crée le besoin, pour l’interprétation du public, d’un moi travailleur, immigrant, homme ou femme, ou un chomeur pour réagir socialement. Selon Boal, un citoyen n’est pas quelqu’un qui vit dans une société mais quelqu’un qui transforme la société (Boal, 1995, p.13). Aussi, « l’interprétation » transforme (Seremetakis, 1999, p. 2). L’acteur est un agent de la réalité sociale qui est vécue. Il ne se transforme pas lui-même en un autre, il ne joue pas un rôle social différent, mais il joue lui-même découvrant son potentiel dans divers domaines. Ses actions ne sont pas différentes de celles présentes dans la vie quotidienne, hormis le fait que ces actions sont définies comme théâtrales. A travers « l’interprétation », l’acteur fait des déclarations et montre sa résistance dans le contexte de la vie quotidienne. 23
Expression des émotions Selon le cadre théorique du constructivisme socioculturel, les émotions sont des constructions, des idées fondées dans différents contextes culturels, et sont, par conséquent, culturellement spécifiques (Papataxiarchis, 1994, pp. 5-6). Un concept théorique central qui apparaît dans ce genre d’approche est le concept du soi culturellement formé (en anglais « the culturally shaped form of self »). Les idées concernant les émotions surviennent comme un langage du soi : un code des intentions, des actions et des relations sociales (Lutz et White, 1986, p. 417). Les émotions sont intégrées à travers l’« habitus », influençant la pensée de l’individu (Bourdieu, 2006, p. 88). L’Habitus est « une capacité infinie d’engendrer en toute liberté (contrôlée) des produits – pensées, perceptions, expressions, actions – qui ont toujours pour limites les conditions historiquement et socialement situées de sa production » (92). La gestion culturelle des émotions reflète directement les croyances concernant ce que le soi fait et ce qu’il doit faire par rapport aux autres.
Le corps comme agent d’action Le corps acquiert « hexis » (des habitudes) qui se reproduisent à travers l’action. Un aspect central de l’habitus de Bourdieu est cette incorporation : l’Habitus ne fonctionne pas seulement, même à l’origine, à un niveau de conscience explicite, discursive. Les structures internes deviennent ancrées et travaillent dans un sens plus profond, pratique et souvent pré-réfléchi. Selon Hastrup, dans le théâtre du Soi (en anglais « Theater Of the Self »), c’est le corps qui joue. « On n’a pas un corps, on est un corps. Il n’y a pas de manifestation du corps en dehors du corps » (Hastrup, 1985, p. 90). Les manières dont nous présentons notre corps ne sont ni arbitraires ni biologiquement définies mais culturelles (Csordas, 1993, p. 140). Les corps des participants portent des dimensions personnelles, culturelles et sociales. Ils reflètent à la fois leur culture et une culture qui mène à l’intégration. A travers l’utilisation du T.O., nous cherchons à mettre en valeur le corps de chaque culture et à l’intégrer à la communauté locale mais sans le changer. Il n’y a aucun moyen de cacher le corps inculturé de ses actions. Le corps est le lieu, les raisons et la manifestation de l’acte. Il n’y a pas de prétexte pour l’action en dehors du corps motivé habitant le présent ethnographique (Hastrup, 1985, p.98).
Epilogue Le Théâtre du Soi n’a pas de devant de la scène ou de coulisses. C’est un espace unifié, sans limite. Il a uniquement un centre : le « performing self » (Hastrup, 1985, p. 91). Les participants sont considérés comme des facilitateurs actifs et pas comme des receveurs passifs qui reproduisent une culture. Ils changent leur situation à travers leurs actions. Et le théâtre est un intermédiaire, une « clé », qui aide les personnes à agir.
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3. L’ART EST BON POUR L’ADAPTATION Vera Várhegyi, Elan Interculturel, Ariadne coordinator
Résumé Le texte examine en profondeur ce qui se passe lors d’une adaptation à un nouvel environnement culturel. La première partie s’intéresse aux menaces, aux défis inhérents à cette situation mais aussi aux opportunités de développement personnel et professionnel qui se révèlent tout au long de l’expérience. La deuxième partie étudie les procédés psychologiques qui seront mobilisés au cours du processus de transition, qui éventuellement détermineront dans quelle mesure la transition devient réellement une occasion de dévoiler le potentiel de la personne. La troisième et dernière partie étudie comment ce processus de transition peut être facilité à travers diverses interventions, et quel est l’intérêt de l’art pour de telles interventions.
Qu’est-ce que l’adaptation interculturelle? Les demandeurs d’asile, les expatriés, les nomades parcourant le monde, les étudiants internationaux entreprennent tous un voyage qui semble, au début, être seulement un voyage géographique. Mais rapidement, il devient évident que ce voyage est aussi un voyage intérieur, et, l’exploration de nouveaux paysages, de nouvelles cultures entraine inévitablement la découverte de notre propre bagage culturel et de nos paysages intérieurs. Le contexte a une importance énorme : fuir une persécution vers un camp de réfugié d’un pays voisin avec pour seul bagage une petite valise renfermant toute notre vie ne peut pas être comparé à une installation à Paris pour ouvrir une nouvelle succursale de notre entreprise. Et pourtant, il existe des points communs dans ces parcours très différents, pour la simple raison que les humains sont beaucoup plus des systèmes ouverts et beaucoup moins isolés que la conception occidentale individualiste le suggère. Nous nous construisons en interaction avec un environnement culturel et social spécifique, à partir d’interactions concrètes avec des partenaires, des cadres institutionnels. Lorsque ceux-ci disparaissent ou deviennent virtuels, le « soi » perd alors son contexte et tout un nouveau processus de construction commence.
Défis, menaces Le terme adaptation interculturelle renvoie à notre manière de ressentir, de penser, d’agir lorsque nous nous trouvons dans un pays étranger. Un nouveau continent, un nouveau pays, ou une nouvelle région ou ville peut apparaître comme une nouvelle planète à part entière. L’adaptation correspond à notre manière de réagir face à cette nouveauté et à notre manière de changer, d’évoluer pour se connecter à elle La difficulté de l’exercice est que les changements doivent arriver simultanément sur plusieurs niveaux différents, comme si nous nous étions inscrits à une compétition de gymnastique psychologique et que nous essayions de faire des sauts, des barres asymétriques et de la poutre en même temps. 26
Par exemple, être un étranger à Paris implique que je doive me familiariser avec la grammaire française, et pire, avec une orthographe très compliquée qui utilise huit lettres pour écrire un mot de quatre sons. Et au-delà des règles officielles de grammaire, il y a toute une série de règles moins précises de politesse, particulière à cette culture et dans laquelle un style de communication beaucoup plus officiel que dans ma propre culture domine : par exemple, à Paris, on m’appelle « Madame », ce que je trouve encore un peu amusant même cinq ans après. Remplacer ma communication directe habituelle par un subtil contournement du message me semble encore maniériste, non spontané et distant. De la même façon, j’ai dû m’adapter à un style très différent de bureaucratie, qui me fait souvent penser à l’expression « écraser une mouche avec un marteau-pilon ». J’ai aussi réalisé que la plupart de mes blagues préférées sont intraduisibles, et que les couleurs que j’aime porter sont devenues de manière troublante tape-à-l’œil face à une société où toutes les femmes s’expriment subtilement en portant des nuances de gris. Dans l’ensemble, le piège n’est pas seulement le fait qu’il y ait une nouvelle série de règles, de normes mais le fait qu’il y en ait une ancienne (ou peut-être même plusieurs anciennes séries de règles) avec un ancien sens de ce qui est amicale, drôle et sympathique. Les nouvelles normes, valeurs et pratiques n’arrivent pas dans un espace vide mais dans un espace déjà formaté par des normes, des valeurs et des comportements d’autres cultures. Nous contemplons, interprétons et évaluons la nouvelle culture en fonction des cultures qui nous habitent déjà. Et de ce point de vue, certaines hypothèses et préférences de la nouvelle culture peuvent sembler obsolètes, malveillantes et ridicules. Ensuite, nous faisons face à un curieux choix : soit nous adoptons les comportements qui (encore selon notre propre vocabulaire culturel) semblent peu attrayants voire pires, soit nous ne les adoptons pas mais nous risquons ensuite d’être perçus comme peu attirants et pire, aux yeux de la société d’accueil. Dans la prochaine section, nous allons donner quelques exemples des défis que ce « choix » implique pour nous.
Donner un sens à l’incertitude et au chaos « Tous ces changements, toutes ces nouveautés m’ont fatigués et j’en avais marre d’essayer de comprendre les coutumes et les habitudes des habitants américains. » (Personne française interrogée dans le cadre du projet 4C) Si le cerveau humain est habituellement une puissante machine qui sert à donner du sens, quand il est immergé dans un nouvel environnement culturel, il se trouve face à diverses difficultés. Tout d’abord, il y a la langue : sans elle, il n’y a pas d’interaction, pas d’espoir de contact ou de compréhension mutuelle. Et à notre grand étonnement, apprendre le vocabulaire et les structures grammaticales de la langue de l’autre permet uniquement de révéler un éventail insoupçonné de nouvelles énigmes. Au cours d’une étude exploratrice basée sur des personnes vivant une expérience de mobilité internationale4 , nous avons trouvé les difficultés suivantes: 41 Intercul- • Incertitude relative à nos propres interprétations (explications) du comportement des tool project autres individus (ex. « Est-ce que ces hommes se tiennent la main parce qu’ils sont amants, (2007) ou parce qu’un tel contact physique est acceptable entre amis chez les hommes Venda ? ») • Prise de conscience des différences : cela va plus loin que l’idée universaliste que nous sommes tous pareils et souligne qu’il existe de réelles différences en ce qui concerne les besoins • Réfléchir à ses propres stéréotypes, devenir conscient de la manière dont nos attentes influencent notre perception des autres 27
• Gestion des dissonances-contradictions (ex. « En réalité, rien de ce que j’ai vu ne correspondait à mes attentes »). Tous ses défis font de cette immersion dans d’autres cultures une tâche avec un effort cognitif sans précédent, menant souvent à une sensation de fatigue et l’impression d’être ignorant. De plus, l’incertitude cognitive déclenche des sentiments d’anxiété et lorsque nous estimons que la tâche est finalement trop difficile, nous éprouvons un état de choc marqué par un haut niveau de stress. Gérer nos émotions devient alors le deuxième défi du processus d’adaptation.
Faire face au stress Selon la première théorie des chocs culturels, proposée par Oberg en 1954, la première période de l’installation dans un nouveau pays est pleine de fascination, de bons pressentiments et d’excitation. Il appelle cette phase la « lune de miel ». Néanmoins, de récents témoignages empiriques montrent le contraire : c’est précisément pendant la première période de notre séjour que nous éprouvons le plus de gêne et d’angoisse. En réalité, le stress est un compagnon de voyage habituel dans la vie à l’étranger. Pourquoi? Avant tout, parce que les transitions internationales impliquent des changements de vie qui déclenchent typiquement des facteurs de stress (Ward et Al, 2001, p. 73). En effet, les changements de vie eux-mêmes sont considérés comme fondamentalement stressants, même sans élément transculturel5 (p. 48).Un nouvel environnement n’est, par définition, pas déchiffrable, et pas complètement prévisible. Si les changements de vie sont remplis de facteurs de stress potentiels, la distance culturelle s’ajoute au désarroi faisant ainsi des aspects émotionnels un thème récurrent de la littérature sur l’adaptation interculturelle (Chang, 2007). Et c’est au début de notre séjour que nous éprouvons le plus d’incertitude et d’ambiguïté. Nos études exploratoires6 ont révélées que, même si les émotions positives peuvent apparaître, l’incertitude inhérente aux rencontres interculturelles a tendance à provoquer des émotions négatives : se sentir gêné, agressé, dévoré, déprimé, déçu, découragé, seul, confus sont des états souvent évoqués. Être capable de « gérer » ces réactions émotionnelles pour les surmonter et ne pas se laisser emprisonner par elles, devient le deuxième principal défi de ce processus d’adaptation. C’est pour cette raison que les théories sur l’adaptation interculturelle sont souvent basées sur les émotions (ex. Ward, Matsumoto) et que les tests sur la dépression et la satisfaction de vie sont considérés comme des indicateurs fiables d’adaptation. 5
Les chercheurs mesurent souvent les changements de vie en utilisant l’échelle d’ajustement social (en anglais « Social Readjustment Rating Scale » (SRRS)) de Homes et Rahe (1967) qui identifie les unités de changement de vie (en anglais « Life Change Units » (LCU)) standards en 43 évènements précis de la vie. Les expériences de changement de vie des individus sont examinées sur un temps donné et donc le niveau de stress peut être estimé. 6
Etudes exploratoires réalisées dans le cadre des projets Intercultool (2007) et 4C (2011). projects
Se comporter « comme il faut » Même si nous parvenons merveilleusement bien à gérer notre stress, si nous continuons à enfreindre les mêmes tabous, en choquant et en étant choqués encore et encore avec les mêmes comportements, nous allons perdre beaucoup d’énergie à gérer nos émotions et à se sentir honteux. En effet, il semble peu constructif de ne pas essayer d’ajuster son comportement à ceux des autochtones. Bien avant que nos scientifiques viennent nous parler du stress, un vieux sage formulait déjà la recommandation suivante : « A Rome, fais comme les Romains ». En outre, ignorer l’adaptation comportementale serait vraiment compliqué car 28
elle s’effectue souvent automatiquement, sans effort. Si quatre fois, vous êtes accueilli avec quatre bises, il est probable que la cinquième fois, vous y soyez habitué. En même temps, « l’adaptation comportementale » est un terrain instable. Est-ce que nous nous sommes adaptés au Japon lorsque nous nous inclinons de la même manière que les Japonais ? Mais comment apprendre les degrés convenables de révérence correspondant à chaque relation? Et sommes-nous certains que tous les Japonais s’inclinent de la même façon? L’adaptation socioculturelle se produit lorsque nous sommes capables de prendre part au nouvel environnement : interagir, se faire des amis, mais aussi travailler, se divertir, faire ce qu’il faut pour avoir une vie totalement fonctionnelle. Il ne faut pas s’étonner que de nombreux modèles aient été dressés avec pour ambition de résumer la complexité des comportements en deux dimensions basiques. Au cours de notre propre étude exploratoire, nous nous sommes concentrés sur les comportements lors des échanges et nous avons identifié quatre aspects décisifs: • La participation aux rites de « gestion de la face » (en anglais « facework ») et de politesse « Lorsque vous faites des affaires avec des Arabes, vous avez besoin de savoir que l’homme d’affaires arabe ne peut jamais complètement perdre. S’il perd, vous vous en faites un ennemi. Mais vous aussi, vous ne pouvez pas perdre parce que vous aurez simplement l’air stupide. Vous devez le laisser gagner mais aussi lui faire savoir que vous savez qu’il a gagné et que vous ne le haïssez pas pour autant. » (Personne italienne interrogée dans le cadre du projet Intercultool) • Être conscient des styles de communication « J’ai été choqué lorsque j’ai vu que les personnes dans les bus étaient silencieuses. Au Chili, les personnes parlaient entre eux sans forcément se connaitre. Ils ne me connaissaient pas et je ne les connaissais pas non plus mais nous nous parlions quand même. » (Personne originaire du Chili vivant en Suède, projet Intercultool) • Être conscient de l’efficacité de la communication Parler au travers des cultures implique que nous soyons capables de faire passer un message à travers un large éventail de différences culturelles caractérisant la communication vue ci-dessus. Cela implique d’être conscient des difficultés supplémentaires et d’être plus attentif : « J’ai réalisé qu’il ne suffisait pas de clarifier les choses avant, nous devions tout redire encore et encore… » (Personne hongroise interrogée dans le cadre du projet Intercultool) • Être conscient des rites sociaux « ... Les Anglais semblent être des personnes très froides, détachées, renfermées, non franches. Puis, à cinq heures, ils se défont du monde du travail et tout le monde se rend au pub, qui semble être, pour eux, une source de vie : les Anglo-Saxons s’ouvrent devant une pinte de bière, ils deviennent eux-mêmes, ils se débarrassent de leurs inhibitions et deviennent agréables. » (Personne italienne interrogée dans le cadre du projet Intercultool)
Se sentir connecté Un cinquième aspect comportemental décisif rapporté par les participants de notre recherche exploratoire concerne le domaine du développement des relations. En effet, la perte du réseau social est l’un des défis essentiels auquel doivent faire face les personnes qui s’installent dans un nouveau pays. Si le réseau social est important comme système de soutien logistique quotidien, il est aussi crucial d’un point de vue des besoins psychologiques de base. Baumeister et Tice avancent qu’un lien social est en fait le principal facteur valable de bonheur (2001). Par conséquent, la constitution d’un réseau social dans le nouvel environnement est une compétence clé pour tout étranger. 29
« … L’un des aspects les plus problématiques réside dans la difficulté à créer un réseau d’amis étrangers. » (Personne italienne interrogée dans le cadre du Projet Intercultool) « Les relations interpersonnelles requièrent beaucoup d’efforts, parce que les habitants de Suisse et d’Allemagne sont froids de nature. Chacun poursuit sa propre vie, ils ne se sentent pas obligés de vous mettre à l’aise. » (Personne italienne ayant une expérience en Allemagne et en Suisse, projet Intercultool) Servir de lien aux membres d’un entourage social est en réalité l’une des fonctions de notre identité ; cette fonction est ainsi dénommée fonction « pragmatique » (Camilleri). Ceci nous amène au prochain défi de l’adaptation : le maintien des identités positives.
Être « soi-même » S’il existe de nombreux articles et recherches sur le changement d’identité culturelle dans la littérature interculturelle, il en existe beaucoup moins sur la façon dont le système identitaire entier est mis à l’épreuve pendant la transition dont l’identité culturelle soit seulement un aspect parmi tous ceux qui sont en jeu ici. Toutes les constructions psychologiques, telles que l’identité, existent pour une raison : satisfaire des fonctions spécifiques. Jusqu’à présent, il n’y a pas de liste exhaustive consensuelle des fonctions ou des principes de l’identité ; différents chercheurs ont proposé différentes listes. Parce que le système identitaire est un concept fondamentalement ouvert et interactionnel, le changement d’environnement social affecte profondément les espoirs de satisfaire les différents principes: • Être loin de nos amis et de notre famille implique que la fonction relationnelle/pragmatique doit être entièrement reconstruite ou être réorganisée pour réduire la distance • A moins que le changement de pays se fasse dans le cadre d’une mobilité professionnelle ou d’un projet d’études, notre capacité à réaliser/accomplir les fonctions de compétences sont compromises par notre incapacité à trouver un emploi correspondant à notre profil ou à faire que nos diplômes soient reconnus, etc. • L’image de notre propre collectivité est menacée par les stéréotypes et préjugés qui prédominent dans la société d’accueil et qui touchent nos identités culturelles (i.e. notre origine ethnique, notre nationalité, notre religion, etc.) • Pour satisfaire les fonctions de sens et d’autonomie, nous devons apprendre à remplacer ou recontextualiser les activités qui nous donnaient du sens (être bénévole auprès des handicapés) ou que nous faisons juste pour nous faire plaisir (le tango, le modelage, etc.)
Les opportunités Si une installation à l’étranger représente un défi sur de nombreux aspects, c’est aussi une opportunité pour apprendre et s’enrichir tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. Nous pouvons envisager ces opportunités selon trois points de vue différents : en tenant compte du développement de compétences, en se focalisant sur le développement de la personnalité et enfin en prenant le point de vue des chercheurs de la psychologie positive et en regardant comment la transition peut devenir une opportunité pour être plus heureux dans la vie.
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Résultats pédagogiques : accroissement des connaissances et développement des compétences « Je peux me sortir de la vision franco-française de voir les choses. Du moins, j’essaie tout le temps. Et cette décentration, j’essaie de l’appliquer dans tous les domaines de ma vie, avec ma famille, mes amis, au travail, etc. Comment ? Chaque fois qu’il y a une dispute, une incompréhension, je fais l’effort de trouver la logique du discours de l’autre. Je pense qu’il y en a toujours une. » (Personne française interrogée dans le cadre du projet 4C). La mobilité internationale est considérée comme un moyen d’acquérir des connaissances depuis longtemps : la tradition du « grand tour » comme étape importante dans l’éducation des jeunes hommes illustre bien cette idée. Lors nos propres recherches, les résidents temporaires à l’étranger nous ont raconté qu’ils apprenaient beaucoup sur la culture d’accueil (langue, institutions, produits culturels, etc.), mais aussi sur leur propre culture grâce au changement de perspective. Les nouveaux arrivants acquièrent également une précieuse expérience dans le domaine professionnel en se familiarisant avec différentes variantes de leurs compétences et approches spécifiques. Enfin, les résidents temporaires parlent souvent de meilleures compétences en communication interculturelle, d’adaptabilité et de flexibilité. En fait, la transition n’est pas seulement un moyen d’acquérir de nouveaux savoirs et des connaissances culturelles, cela entraine également un développement plus général de la personnalité.
L’expérience transitionnelle apporte de la croissance En 1975, Adler soutient que le choc culturel devrait être interprété comme une « expérience transitionnelle » menant, en fin de compte, à un profond changement de toute l’identité, du fonctionnement entier de la personne. Son raisonnement commence par une dualité de l’individu contemporain. Notre vie est caractérisée par une multiplicité des sphères de vie, des environnements, des activités, des rôles et identités menant à une fragmentation de nos expériences. En même temps, il y a des tendances psychologiques vers l’intégration, la psychologie de la forme (en anglais « gestalt ») et l’holisme (« holism »). Adler définit une culture comme un « cadre de références percepteur » et un « environnement d’expériences ». Le mouvement vers de nouvelles dimensions de la perception et de nouveaux environnements permet une prise de conscience des prédispositions et croyances habituellement inconscientes. Il déclenche une « désintégration de la personnalité ». La désintégration est considérée comme un composant nécessaire dans le processus de développement.
« D’un point de vue de la perception, cela représente le mouvement de la personnalité à travers un état symbiotique d’une simple conscience de la réalité à un état différentiel selon lequel il y a une conscience et une acceptation de l’interdépendance de plusieurs réalités. Emotionnellement, la transition marque le changement de la dépendance sur des renforts à l’indépendance, alors que, au sens le plus large du concept de soi, c’est le changement d’un cadre de références monoculturel à un cadre de références interculturel. » (Adler,1975). Kim va au-delà de la déclaration d’Adler et proclame que le résultat de l’adaptation n’est pas seulement une identité « transformée » mais une identité « interculturelle ». Elle construit un modèle d’adaptation croissante au stress des relations interculturelles, caractérisé par un
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modèle de « bond en arrière » dialectique, cyclique et continu. L’individu est considéré comme un « système ouvert », qui ne peut pas être isolé de son environnement et de ses interactions. La tendance naturelle à résister au changement vient contraster le désir de changer de comportement pour atteindre l’harmonie avec les autres (p 383). Le conflit identitaire se dévoile dans la désintégration, qui est suivi par une réorganisation et un auto-renouvellement. Ce processus comprend l’intégration des « changements dans les modes habituels de réponses cognitives, affectives et comportementales » qui ont pour résultat une « forme fonctionnelle » plus élevée/accrue (en anglais « functional fitness ») avec le nouvel environnement et qui peuvent amener au développement d’une « identité interculturelle ». C’est une situation dans laquelle « l’identité culturelle originale commence à perdre de sa particularité et de sa rigidité pendant qu’une définition du « soi » élargie et plus flexible apparait » (p 391). Une fois cette étape acquise, l’individu atteint une conscience de soi et une identité de soi renforcées et s’engage dans une « recherche continue d’authenticité pour soi et pour les autres à travers les limites du groupe » (p 392).
La transition peut-elle nous rendre heureux? Bien que la principale préoccupation de la psychologie soit l’étude de ce qui va mal et des moyens pour y remédier, un groupe de chercheurs a consacré ses efforts à l’exploration de ce qui rend les gens « heureux ». Cette ligne de recherche développée sous le terme de «psychologie positive» a proposé des descriptions opérationnelles du bonheur, permettant ainsi d’étudier comment le bonheur est connecté à la transition interculturelle. Selon Seligman (2002), le plaisir est le premier niveau du bonheur. C’est la capacité à éprouver des émotions positives, liée à des activités agréables comme déguster de la nourriture savoureuse, voir de beaux paysages, parler avec des personnes sympathiques, etc. Mais le plaisir possède deux caractéristiques en raison desquelles il ne peut être la principale explication du bonheur : tout d’abord, parce que la capacité à éprouver des émotions positives est en partie héréditaire, et ensuite parce que nous nous habituons très facilement au plaisir et qu’il perd ainsi son impact. S’installer dans un nouveau pays entraine souvent la découverte de nombreux nouveaux plaisirs en ce qui concerne la gastronomie, les arts, les paysages naturels du nouveau pays presque comme lorsque quelqu’un découvre un nouvel endroit pendant ses vacances. Cependant, ces émotions positives diminuent progressivement car nous nous habituons à ces aspects qui nous émerveillent. Pour cette raison, le plaisir n’est pas le centre de l’attention des chercheurs de la psychologie positive. Un second niveau de bonheur réside dans la capacité à éprouver du « flow »7 - un état que Csikszentmihalyi (1990) décrit comme une intense concentration sur une activité, quelle qu’elle soit. Les personnes éprouvent du « flow » dans leur travail, au cours d’activités physiques, en créant ou en recevant de l’art. Selon Csikszentmihalyi, le « flow » se produit lorsque l’équilibre délicat entre les capacités des individus et les compétences requises pour la tâche penche légèrement vers les compétences sollicitées. Par exemple, une personne éprouve du « flow » lorsque ses capacités sont légèrement dépassées par les exigences de l’activité. Lorsque les demandes de l’activité surpassent largement les compétences existantes, la personne éprouve de l’anxiété plus que du « flow ». Les transitions interculturelles peuvent être une source de « flow » dans les deux cas. Avant tout, l’apprentissage d’un nouveau contexte, de nouveaux systèmes, la construction de nouveaux réseaux peuvent 7
The flow, littéralement le flux en anglais, est l’état mental atteint par une personne lorsqu’elle est complètement immergée dans ce qu’elle fait, dans un état maximal de concentration. Cette personne éprouve alors un sentiment d’engagement total et de réussite.(cf la version française du livre “Mieux vivre” du psychologue Mihaly Csikszentmihalyi, traduite par Claude-Christine Farny, en 2005)
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ajouter juste le niveau suffisant de défis dans la vie pour amener plus de « flow ». Enfin, selon Selligman, l’ultime niveau du bonheur est de trouver un sens à sa vie, ce qu’il décrit comme la coordination de ses forces au service de quelque chose de plus grand que soi. Choisir une destination en fonction de son but dans la vie est un luxe que la plupart des migrants ne peuvent pas s’offrir. Les partenaires, les conjoints qui suivent une autre personne n’ont pas non plus ce luxe. La lutte pour redonner un sens à partir de rien peut être longue, et peut passer par une longue période de recherche et de stagnation, la réévaluation et la modification de son parcours, et le retour aux études. Cependant, la transition peut aussi être l’opportunité de faire une pause dans une pratique professionnelle qui peut être devenue routinière, de faire un pas en arrière et de réinventer sa vie professionnelle pour y inclure des choses qui ont plus de sens pour nous.
1. Quels sont les processus de transition ? Si la transition vers un nouvel environnement culturel est une série de défis, c’est parce que faire un pas en dehors du contexte social habituel représente une menace pour différentes couches de notre identité et déclenche l’alarme de nos mécanismes de défense. Mais les humains possèdent aussi un potentiel de croissance et de développement sans précédent, grâce aux capacités psychologiques liés à l’apprentissage, à l’accommodement et à l’adaptation. La réaction face aux défis dévoilés par le processus de transition sera négociée entre le besoin de se défendre et le besoin de croissance à travers un processus dialogique d’ouverture et de fermeture, en sélectionnant, en adaptant et en intégrant des morceaux du monde extérieur à son propre système. Une approche de psychologie de la personnalité qui se penche sur ce processus de négociation entre les mondes externe et interne est l’approche du soi dialogique (voir Hermans, 1992). Cette approche est basée sur la reconnaissance que les limites entre l’intérieur et l’extérieur sont beaucoup plus souples et perméables, loin de la métaphore de « l’homme île », symbole de la conception individualiste bien répandue dans le monde occidental et représentant l’individu comme coupé de son environnement, séparé de ses semblables. Même le corps physique, qui est censé marquer la frontière entre les individus, a un grand rôle dans la liaison entre ces deux mondes à travers le subtil jeu d’adaptation aux rythmes des uns et des autres, l’imitation des gestes et mouvements suivant l’intégration des automatismes de coordination interpersonnelle8. Nash (1998) propose le concept de réflexivité pour saisir cette capacité intrinsèque à réagir face à une autre personne ou à un environnement culturel : la personne n’est pas isolée hors de l’espace mais fait partie de cet espace, les corps et les places sont continuellement intégrés dans une constitution mutuelle. L’approche de « soi dialogique » (en anglais « dialogical self ») proposé par Hermans (2001) présente le soi comme un inventaire de positions internes et externes. Les positions internes sont des aspects ou des « voix » du soi qui ont pris forme au cours des expériences et des dialogues passés: moi le chercheur, moi le curieux, moi comme étranger, moi comme Français, moi comme épouse, etc. Les positions externes sont des individus et des groupes qui peuvent être réels (un père, une épouse, un professeur, etc.) ou imaginaires («les Français», Capitaine Picard du vaisseau spatial Enterprise) et qui prennent part dans la construction dialogique du soi. C’est un dialogue qui connecte les positions externes et internes, c’est un dialogue qui rassemble l’interne et l’externe en un seul système. Fogel (1993) différencie les cadres créatif et rigide : le créatif découlant d’un changement, d’un mouvement dans les positions, le rigide laissant nos positions inchangées. S’installer dans un nouvel endroit implique un changement drastique dans un tel répertoire des positionnements de soi car il impose toute une gamme de nouvelles positions externes,
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Bargh et Chartrand 1999 ou Bernieri, Rosenthal 1991 Tomassello 1999
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qui déclenchent la création de nouvelles positions internes. Par exemple ; à Paris, je suis d’un seul coup devenue une étrangère, une Européenne de l’Est, et aussi une épouse qui a suivi son mari. Et lorsque je suis chez moi, je suis une « expatriée », une exploratrice et même une « Parisienne ». Néanmoins, la constitution de nouvelles positions n’est ni automatique ni aléatoire. Ce n’est pas entièrement automatique car il y a toujours une marge de liberté pour le dialogue : je deviens peut-être une étrangère mais quel type d’étrangère ? Qu’est-ce que cela signifie pour moi ? Comment je porte cette étrangeté ? J’ai à ma disposition une boite à outils entière de techniques de négociation identitaire, qui inclue un large éventail de manœuvres plus ou moins conscientes : modification de l’apparence (me rendre plus similaire aux autres ou jouer sur la différence ?), choix des activités (s’inscrire à un cours de français ou plutôt fréquenter des cours de danses folkloriques de mon pays d’origine ?), choix des amis et des connaissances (est-ce que je veux des amis français ou est-ce que je préfère m’installer dans un quartier international, et peut-être créer une zone de sécurité avec des compatriotes ?), etc. Tous les niveaux du fonctionnement psychologique sont impliqués dans cet exercice : les émotions, les comportements et les pensées. Donc, le réarrangement de notre répertoire est loin d’être déterminé et automatique. Cependant, nous ne sommes pas non plus entièrement libres: nous suivons les besoins (motivations selon Fiske (2004) ou les principes (Beakwell, 1988) qui sont à la base de la construction identitaire. Jusqu’à présent, il n’existe pas de consensus parmi les chercheurs sur une liste exhaustive des motivations identitaires, chaque chercheur a ses préférés. En voici une sélection: • Autonomie, compétence, appartenance – La théorie de l’autodétermination (en anglais « Self-determination theory ») (Deci, Ryan) • Etre en relation avec d’autres (« Sociometer theory », Baumeister, Leary) • Equilibre entre la croissance et la défense symbolique, la protection – la théorie de la gestion de la terreur (en anglais « Terror Management Theory ») (Pyszczynski, et All 2003) • La distinction optimale (le degré optimale de se sentir différentié des autres personnes en anglais « optimal distinctiveness ») – Brewer, 1991 • Continuité, particularité, estime de soi – Breakwell, 1988 Ce qui est important de retenir c’est que nous sommes, en effet, déterminés à satisfaire certains des besoins listés ci-dessus. Ils agissent comme un compas intégré au cours de notre processus d’adaptation, nous orientant pour prendre des mesures dans des domaines négligés. C’est ce processus que des formations interculturelles efficaces doivent aider.
2. Formation pour une adaptation interculturelle Une première vague de formations basées sur des cultures spécifiques Au début des formations interculturelles, l’accent était mis sur l’offre de beaucoup d’informations aussi détaillées que possibles sur l’autre culture. L’ambition de ces formations basées sur des cultures spécifiques était de préparer les expatriés (aux premières étapes, plutôt des volontaires du Peace Corps) à toutes les situations possibles et les rencontres avec les Autres. C’est une ambition qui se révéla futile : il est impossible, en théorie comme en pratique, de réduire une culture à une série de descriptions et de prescriptions. Néanmoins, nous pouvons encore trouver des traces de ces formations interculturelles. Récemment, je suis tombée sur une liste de « à faire et à ne pas faire » pour les Anglais voyageant à Paris publiée dans une brochure de formation interculturelle. Les Anglais, étaient, entre autres, vigoureusement mis en garde contre le port des chaussettes blanches avec des sandales. Une continuité plus élaborée de la tradition basée sur le contenu et la transmission d’informations propose des modèles culturels, comme, par exemple le modèle de Hofstede 34
(1977) avec les six dimensions des différences interculturelles : il compare la culture cible et la culture d’origine en utilisant les dimensions du modèle9. Toujours dans la même veine, les formations interculturelles fournissent souvent des informations pratiques et logistiques sur la culture d’accueil : son administration, son système économique, les organisations, etc. De notre point de vue, cela serait comme si, pour vous enseigner l’art, nous vous fournissions les informations nécessaires pour savoir où acheter le papier, la toile, et la peinture. Cependant, la première vague de formations interculturelles s’est souvent avérée inefficace, avec parfois même des effets défavorables (bien décrit dans Cohen-Emerique 2011). La principale raison de cet échec est que lorsque les personnes sont préparés à la rencontre avec des informations évidentes et concrètes sur l’autre culture (par exemple, sur les valeurs et les comportements collectivistes des cultures asiatiques), nous développons parallèlement des attentes concrètes basées sur ces informations, des attentes qui inévitablement nous tromperons si nous rencontrons un entrepreneur chinois diplômé d’un lycée américain. Aucune description ne peut être assez ponctuelle et générale pour concerner tous les membres d’une société donnée, parce que les cultures sont en perpétuel changement, parce que les individus portent une variété de bagages culturels qu’ils intègrent au cours de leur propre parcours de vie spécifique. En outre, une fois que des descriptions culturelles concrètes nous sont données, nous sommes moins ouverts aux surprises interculturelles que les rencontres apportent constamment. 9 Distance au pouvoir, individualisme-collectivisme, tolérance d’incertitude, masculinité-féminité, orientation court terme/long terme...
Développement de compétences interculturelles à travers l’art Cette reconnaissance de l’inefficacité des rapports de connaissance entraine un changement d’attention vers le développement de compétences nécessaires au processus d’adaptation (ex. Pusch 2004, Fowler et Blohm 2004). Ces compétences, parfois rassemblées sous le terme de « compétences interculturelles », incluent les trois principales catégories suivantes: le savoir, les capacités et les attitudes. • Le savoir à propos des dynamiques culturelles ainsi que des défis psycho-sociaux de l’adaptation • Les capacités de communication interculturelle, de création de liens, de développement de réseaux • Les attitudes de relativité culturelle, de curiosité, d’orientation vers l’autre De plus, au cours de notre propre recherche, nous avons constaté que même les personnes avec des compétences interculturelles très développées peuvent connaitre un douloureux processus d’adaptation. Ceci nous amène à nous questionner sur le rôle des compétences interculturelles préexistantes dépendantes du contexte. Cela semble en particulier être le cas des personnes qui arrivent dans un nouveau pays pour accompagner leur partenaire. La dynamique inhérente à ce genre de situation semble provoquer le besoin d’autodéfense et de fermeture envers l’environnement d’accueil, menant souvent à une paralysie, à la culpabilisation de soi-même ou à la projection d’un rôle de bouc-émissaire de la culture d’accueil. Cette observation nous a amené à centrer certaines de nos formations sur le facteur de motivation derrière l’adaptation et la gestion des émotions. Avec l’éventail de méthodologies, le contenu des formations a également changé : de discussions et séminaires, nous sommes passés à des techniques plus inclusives comme des exercices structurés, des simulations, des jeux de rôles. Les formes d’art ont commencé à apparaître dans les boites à outils des formateurs interculturels comme moyen d’aller au-delà du niveau cognitif de l’échange. Sans ambition de dresser une liste exhaustive, voici certains 35
exemples montrant pourquoi l’art a pu/pourrait être intégré aux formations interculturelles: • Jeux théâtraux Une pratique théâtrale peut développer notre sens des micro-dynamiques de la communication. Théâtraliser les évènements quotidiens, les conflits peut aider à les aérer, à prendre du recul et ainsi à mieux faire face aux situations chargées émotionnellement. Dans notre propre pratique à Elan Interculturel, nous utilisons aussi des éléments théâtraux pour faciliter la représentation et l’analyse des situations conflictuelles ou des incidents critiques. Le Théâtre Forum de Boal peut être un moyen pour travailler collectivement sur des situations oppressantes, en particulier pour des nouveaux arrivants en situation de vulnérabilité. Comme tel, il offre une responsabilisation. • Danse Suivant le concept de réflexivité de Nash, se lancer dans la danse peut induire une meilleure conscience de notre propre corps, ainsi qu’une conscience des changements de sensations du corps dans le nouvel environnement. A travers une dé-mécanisation des routines inscrites dans notre corps, la danse peut aussi améliorer nos compétences de coordinations interpersonnelles : notre capacité à nous accorder à des répertoires non verbaux différents des nôtres : sur d’autres rythmes, différents mouvements, un nouvel usage du contact physique. Mais plus qu’autre chose, la danse saisit particulièrement bien le processus dialogique. En effet, le danseur s’adapte à un rythme, à une mélodie hors de lui pour l’intégrer dans son corps à travers le mouvement. De la même manière, il peut se connecter et adapter ses mouvements aux autres danseurs. Ce mécanisme interne-externe est l’essence même du processus d’adaptation. Finalement, l’expérience sensuelle que la danse offre permet à la personne de refaire partie de l’espace, et de ne pas être l’intrus isolé. L’improvisation en particulier peut inclure tous les buts mentionnés ci-dessus. • Arts plastiques Projets vidéo : s’il y a un genre par excellence qui oblige à lier les mondes intérieur et extérieur, c’est le cinéma. Le récit vient de l’auteur, et les personnages, les décors sont un environnement culturel réel (ou altéré), tandis que le film lui-même est une négociation entre les deux. • Arts participatifs en communautés Lorsqu’ils incluent un groupe mixte de participants composé de nouveaux arrivants et de membres de la communauté d’accueil, les projets participatifs artistiques peuvent offrir des liens riches et sérieux aux nouveaux arrivants. Et ici, l’accent est mis sur le sérieux: l’activité artistique partagée peut rapidement mener à une relation d’un niveau intime qui, autrement, aurait requis plus de temps. • Activité créative en général : le cycle créatif Un modèle de processus créatif (e.g. Csikszentmihalyi, 1996) souvent cité comprend cinq étapes : 1) trouver un sujet, un thème, 2) reconnaitre un modèle, trouver un sens à notre fil, 3) incubation, 4) sélection, évaluation, 5) exécution. Ce qui est intéressant c’est que cette description d’un cycle peut être plus ou moins similaire au cycle de changements décrit dans les transitions. De la même manière, éprouver, vivre avec les émotions accompagnant les différentes étapes du processus créatif peut nous préparer à mieux faire face aux émotions accompagnant les étapes de la transition : l’impatience, le sentiment d’être perdu pendant la phase de collecte, la capacité à se concentrer sur l’instant pour reconnaitre quelque chose d’important, le chaos et l’incertitude de l’incubation, l’anxiété dans le besoin de choisir, le fait de faire des choix. Tout cela apparait dans les deux processus. Dans l’ensemble, le processus de création artistique offre une gymnastique cognitive et émotionnelle similaire au processus d’adaptation. La question est de savoir si un engagement dans l’art crée des compétences utiles pour d’autres domaines de la 36
vie. L’évaluation de notre projet pilote a pour ambition d’apporter des réponses à cette question. Cela m’amène à ma propre conclusion.
Conclusion La compréhension de l’adaptation interculturelle que j’ai voulu présenter ici repose sur la reconnaissance qu’un processus dialogique basique imprègne toute activité humaine : d’un côté, il y a une ouverture sur le monde extérieur, une ouverture vers les autres individus suscitée par notre capacité naturelle à grandir, notre curiosité innée et notre caractère relationnel inné. De l’autre, il y a la lente accumulation de contenu : de valeurs, de normes, nos goûts préférés, notre langue préférée, le contenu de ce que nous sommes. Et dès que nous avons un contenu, nous sommes beaucoup plus motivés pour le défendre, le préserver. Un dialogue continu, une négociation entre ces deux besoins d’ouverture et de protection, ces deux faces d’une même pièce a lieu où que nous soyons, tenant un délicat équilibre entre la défense de ce qui est déjà à nous (ce que nous sommes déjà) et l’absorption de la nouveauté, de l’altérité. Cependant, il y a des situations qui brisent l’équilibre fragile en déplacement le poids d’un seul côté. Déménager dans un nouvel environnement fait partie de ces situations : lorsque la nouveauté et, l’incertitude et l’anxiété qu’elle amène, deviennent écrasant, notre motivation de défense de soi triomphe sur notre ouverture et notre curiosité. Malheureusement, cela arrive à un moment où notre survie, et plus précisément notre bonheur, dépendent de notre capacité à nous connecter au nouvel environnement. C’est le paradoxe de l’adaptation : nous nous renfermons au moment où nous aurions le plus besoin d’être ouvert, où notre ouverture serait la clé pour rétablir l’équilibre. Mais c’est cette ouverture qui est la plus difficile. L’Art peut être une formation valable pour faciliter une certaine ouverture et pour une multitude d’autres raisons. Je rappellerais ici trois de ces raisons. Tout d’abord, la plupart des formes d’art sont, par excellence, une simulation du processus dialogique décrit plus haut. En effet, faire de l’art repose sur un subtil dialogue entre les intuitions internes, les forces créatives et le monde extérieur : les outils et les matériaux que nous pouvons utiliser pour peindre, le décor et les personnages que nous présentons dans notre film, etc. C’est plus un dialogue entre les mondes intérieur et extérieur qu’un dialogue entre notre pensée et une expérience sensorielle. Deuxièmement, l’art nous « dé-mécanise » : il nous fait sortir des limites de notre répertoire habituel de mouvements, d’expression de soi, de perception. En fait, il tente continuellement de nous faire pousser les limites et nous prépare ainsi à franchir, à dépasser nos propres limites. Enfin, les aspects cognitifs et émotionnels du processus de créativité artistique nous préparent pour les processus cognitif et émotionnel très similaires de l’adaptation.
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Chapitre 11 Les ateliers artistiques d’Ariane
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1. VERS DE BONNES PRATIQUES DES MÉDIATIONS ARTISTIQUES AVEC LES POPULATIONS MIGRANTES Marián López Fdz. Cao, Université Complutense de Madrid
Travailler avec l’art est une tâche enrichissante. Cela crée un espace spécial hors de la vie quotidienne et suscite une ouverture qui permet de changer et de marquer une pause loin des angoisses de la vie. Par conséquent, c’est une activité qui peut être satisfaisante à la fois pour l’animateur et le participant. Cependant, pour s’assurer que cette activité devienne un moyen de consolidation psychosociale, un moyen qui améliorerait la vie des migrants, il doit respecter certaines caractéristiques : les unes émanant de l’intervention psychosociale avec les migrants et les autres de la véritable nature de l’art et de l’effet qu’il peut avoir sur nous tous. L’Art comme moyen d’intégration sociale doit susciter une dés-identification avec les rôles sociaux assignés parfois oppressants et fournir une confiance suffisante pour reconstruire les histoires de dislocation et de séparation souvent connectées avec des expériences migratoires. L’activité artistique doit favoriser l’imagination comme manière d’ouvrir l’esprit aux possibilités, afin de promouvoir des changements sains. Organisé au sein d’un environnement affectif qui favorise l’attachement, l’art pour les ateliers d’intégration sociale peut encourager la réflexion sur le passé, le présent et le futur, les liens entre eux et avec le monde en général. Réaliser des ateliers sur l’art avec une fonction sociale requiert une responsabilité éthique car à travers ces ateliers, un groupe vulnérable est invité à entrer dans un espace d’ouverture et de risques. Ouvrir l’espace de jeu et l’inconscient à un groupe avec un risque d’exclusion peut produire la réouverture de traumatismes et de blessures psychologiques. L’animateur doit savoir comment aider et accompagner les participants dans ces circonstances. Par conséquent, il est important non seulement d’inviter les participants dans un espace d’activité artistique mais aussi de savoir comment le développer et le fermer convenablement. Être un animateur culturel à travers l’art est une tâche merveilleuse, mais elle n’est pas simple. En plus de la connaissance de l’art, un bon animateur doit avoir des connaissances, des attitudes similaires à celles d’un thérapeute et une importante connaissance de luimême, de ses préjugés et de la diversité culturelle. Un bon animateur devrait savoir ce qui est impliqué dans les processus inconscients d’art et les processus créatifs et il devrait savoir comment accompagner et écouter les autres, au-delà de l’objectif opérationnel particulier. Au-delà des critères concernant certaines bonnes pratiques dans l’intervention sociale à travers l’art, présentées dans ce chapitre, nous aimerions souligner plusieurs fondamentaux que tous les animateurs culturels à travers l’art devraient prendre en compte avant d’embarquer dans ce merveilleux mais délicat travail.
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1. VERS UN BON ANIMATEUR ARTISTIQUE10 L’animateur d’un atelier doit être créatif tout comme une personne qui comprend la valeur des expériences personnelles et les émotions complexes que ces expériences peuvent provoquer chez l’individu. Il/Elle est, en bref, un sujet incarné et il/elle voit d’un point de vue qui est aussi cognitif et affectif. En s’inspirant de la terminologie A/R/Tography forgée par Rita Irwing et ses collaborateurs (Irwin et Springgay, 2008), l’animateur d’un atelier s’adapte en tant qu’artiste, chercheur et animateur d’un point de vue cognitif et affectif. Son statut de créateur lui permet de comprendre la création des autres, leurs procédés et leurs difficultés. Être un artiste lui permet d’éprouver les mêmes processus inconscients des participants et d’avoir de l’empathie. En même temps, l’artiste sait que différentes techniques artistiques peuvent soulever différents niveaux d’expression. En tant que chercheur dans le processus d’observation participante, l’animateur de l’atelier inclut ses connaissances et son action dans les dynamiques et la construction de la recherche qui influence à son tour la conception de l’intervention et la réflexion théorique sur les bases méthodologiques. En tant qu’animateur, il/elle comprend la dynamique participant/animateur/espace de création qui découle des processus de transfert et de contre-transfert. A partir de cela, avec ses biographies et ses positionnements spécifiques, il/elle observe. 10
Cette section est basée sur certaines des idées du chapitre « Outils essentiels dans l’intervention psychosociale » (« Herramientas imprescindibles en la intervención psicosocial »), Adil Qureshi Burckhardt et Hilda-Wara Revollo Squire, in Melero Valdés, l. (coord.) (2010) La personne au-delà de la migration (La Persona más allá de la Migración) (ISBN : 978‐84‐9876‐ 999‐9).
1.1. Quelques points sur les connaissances personnelles L’animateur interculturel doit avoir une connaissance de soi, la relation de transfert (expliquée ci-dessous), et devrait être capable d’explorer son identité ethnique et raciale et ses préjugés inconscients. Simplement en connaissant ses propres défauts, il/elle pourrait adopter une attitude qui lui permettrait d’être disponible pour écouter les autres et contribuer à leur développement personnel. Une caractéristique essentielle de ce domaine est l’humilité culturelle. L’humilité culturelle nous rappelle que nous ne devons pas penser que toutes nos connaissances de la réalité sont des vérités figées. Elle nous rappelle le besoin de critiquer et de remettre en question nos réactions pour ne pas être guidés par nos propres préjugés sur les autres. Cela est lié à la décentration, la capacité de réfléchir sur nos valeurs culturelles, nos normes et nos attentes. Parmi les caractéristiques souhaitables du bon animateur interculturel, nous pouvons souligner:
Connaissance : connaissance de soi Le premier pas dans le développement de soi comme professionnel, c’est d’identifier les nombreux aspects de notre personnalité que nous avons associés à notre concept de soi, à la façon dont nous nous percevons nous-mêmes. Une révision de ces modèles doit se produire, autrement il y a de fortes chances que nous les perpétuions.
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Capacité : observation de soi Grâce à cette période d’observation de soi, le corps lui-même s’adapte à une nouvelle conscience de soi facilitée par une attitude d’humilité et de respect. En ce sens, nous pouvons commencer à poser des questions qui contestent les modèles communs du travail : comment signaler les règles du centre à un nouveau participant ? Que se passe-t-il lorsque je dois suggérer des limites ? De quelle aide aurai-je besoin pour les faire respecter ? Comment me sens-je lorsque je suis dans une position d’autorité ? Toutes ces questions vont faciliter le processus d’introspection.
Attitude : empathie, ouverture et humilité Cela implique une attitude d’ouverture et d’humilité envers soi-même, être capable d’intégrer même nos aspects les moins désirés. Grâce à cette attitude et à la connaissance des contradictions personnelles que le processus d’auto-observation implique, nous pouvons avoir une attitude plus ouverte et plus humble envers les participants avec lesquels nous travaillons, car à travers notre propre expérience, nous comprenons les difficultés. L’empathie suppose la capacité à avoir une idée, un « sentiment » de ce que cela fait d’être une autre personne, ou au moins, de ressentir qu’il y a une certaine rationalité derrière les comportements de l’autre. Ce processus n’est pas purement cognitif mais il est aussi empirique et émotionnel.
Etre capable d’identifier les interférences dans la relation animateur/participant Une manière d’identifier les interférences c’est de détecter quels mécanismes nous avons déclenchés afin de ne pas révéler des aspects déconcertants de nous-mêmes lorsque nous sommes dans un rôle professionnel. Les principaux mécanismes décrits par Perls (1957), créateur de la Gestalt-thérapie, sont l’introjection, la projection, la confluence et la rétroflexion: • L’introjection est caractérisée par l’incorporation d’une croyance reçue de l’extérieur avec le reste des croyances que nous avons, sans l’avoir traitée ou filtrée, et, par conséquent, sans l’avoir intégrée avec le reste de l’identité. Elle fait habituellement référence à des jugements, des valeurs ou des mandats sur la manière dont les choses devraient être. Ces jugements, valeurs ou mandats requièrent un processus afin de décider s’il faut les assimiler et les intégrer ou les rejeter. • La projection c’est attribuer aux autres ce que nous n’aimons pas de nous, en rendant le contexte responsable de ce qui est de notre propre responsabilité. Ces qualités négatives que nous renions en nous-mêmes sont celles, probablement, que nous verrons chez les autres. Par conséquent, les aspects désagréables ou pénibles de nous-mêmes sont facilement exportés à l’extérieur, oubliant l’évidente « incohérence » avec les autres éléments positifs de notre concept de soi. Une révision et une acceptation de ces éléments mènent inévitablement à une plus grande responsabilisation de nous comme animateurs et à une plus petite projection des aspects personnels rejetés. • La confluence fait référence à la perte de limites entre le monde extérieur et soi-même, par conséquent, entre les autres et soi. Lorsqu’un individu conflue, il devient indiscernable des autres, et se décharge de la responsabilité personnelle. Ce type d’intervention est source de malentendu et de frustration pour le participant et le professionnel. Un exemple courant de confluence c’est celui dans lequel un professionnel s’adapte complètement aux besoins des autres sans se préoccuper de son bien-être ou de savoir ou sont ses limites. Le manque de limites peut entrainer un syndrome d’épuisement professionnel (« burn-out » 42
syndromeen anglais) pour les professionnels impliqués et motivés. • La rétroflexion c’est mettre des limites excessives entre soi-même et l’environnement. Habituellement, le professionnel rétro-fléchit des sentiments négatifs. Ce mécanisme travaille, typiquement, d’une manière autopunitive. Frapper du poing sur la table, en disant « Comment ai-je pu faire autant d’erreurs ? » ou « Je suis stupide ! », sont des exemples de rétroflexion.
1.2. Les compétences interculturelles Les mécanismes de défense et les préjugés développent un rôle central dans la relation de transfert.
Transfert professionnel :
le transfert du professionnel est connu comme le contre-transfert, une liaison émotionnelle de l’animateur avec un participant. Il peut nuire au développement d’une relation d’aide. Un préjugé peut être transféré à un participant en particulier, ou une tendance peut être à l’origine d’une réaction de transfert utilisée inconsciemment pour éviter les problèmes raciaux inconfortables. En fin de compte, le contre-transfert peut être, simplement, un mécanisme d’autodéfense pour éviter de s’emballer avec une réalité douloureuse que nous cherchons inconsciemment à éviter. Il existe quelques exemples, basés sur l’ethnocentrisme, qui rendent difficiles les relations professionnel/participant: • Le participant comme un « exotique » Ici, le professionnel montre un tel intérêt dans la culture du participant qu’il ne voit pas l’individualité du participant. Une généralisation de ce type implique que le participant sera réduit à un stéréotype culturel. L’intérêt encouragé par les interactions sera simplement la fascination du professionnel pour la culture du participant plus qu’une réponse aux besoins du participant. • Le participant comme une responsabilité de « l’homme blanc » Le participant est perçu avec pitié, comme un membre d’un groupe racial ou culturel dans une situation défavorable et comme une personne qui a besoin de l’aide d’une personne qui subviendrait à ses besoins et qui viendrait d’une société plus organisée et plus développée. En fait, ce comportement pourrait s’appeler « le racisme bienveillant » (en anglais « gentle racism »), puisque le désir d’aider de l’individu est stimulé par la croyance que le groupe culturel du client est inférieur. • De l’aveuglement à la couleur I., ou l’ethnocentrisme universaliste. L’importance ou la pertinence de la différence culturelle raciale et du racisme est refusée. La devise est « nous sommes tous des membres de la race humaine » et le racisme est considéré comme un élément du passé ou des autres pays. Cela représente l’idéal libéral : nous sommes tous citoyens, quelle que soit notre couleur, nos croyances ou notre religion. • De l’aveuglement à la couleur II. Contrairement à l’exemple précédent dans lequel le professionnel sous-estime l’importance de l’élément racial ou culturel dans ce type d’aveuglement, le professionnel insiste sur le fait, que bien que le racisme soit un problème global du monde entier, avec lui ou elle, ce n’est pas le cas : il/elle estime voir le participant comme il/elle est « vraiment », pas en fonction de sa race ou de sa couleur. Cela s’appelle « le traitement des bulles » dans lequel le professionnel sous-estime ses pensées raciales et/ou culturelles. • Le participant comme « le problème » Ici le professionnel est un peu plus sincère et adopte la phrase : « je ne suis pas raciste mais… », en essayant de dire qu’il y a certains aspects du groupe racial ou ethnique du participant qui sont la cause de sa propre détresse. C’est assez rare de le reconnaître, puisque 43
c’est plus ou moins une manifestation directe de l’hostilité que les autres types de transferts essaient de cacher.
Réactions du participant : le transfert
Le processus de transfert n’est pas conscient, et le participant projette involontairement un aspect requis d’une relation déjà vécue ou espérée sur l’animateur. Les participants peuvent avoir de fortes réactions de transferts envers nous en tant que responsables de l’atelier ou en tant que membres d’un groupe culturel et/ou racial. Si nous ne prenons pas cela en compte et que nous ne le considérons pas comme faisant partie du travail psychosocial, cela peut avoir un effet négatif et fausser la relation d’aide.
1.3. Quelques points sur les compétences artistiques 1.3.1. L’imagination située « Si je ne peux danser, alors je ne ferai pas partie de votre révolution » – Emma Goldman (1931) Stoetzler et Yuval-Davis, dans leur article « La théorie du point de vue, la connaissance située et l’imagination située » (2002) (en anglais « Standpoint theory, situated knowledge and the imagination situated »), montrent l’imagination comme un élément crucial qui relie simultanément les catégories épistémologiques et sociales, les connaissances et l’attachement aux autres. L’imagination met en relation le savoir avec l’expérience sociale et corporelle. Castoriadis (1987) a souligné que chaque société et chaque institution sociale, tout comme chaque pratique précise, sont basées sur un imaginaire social, reprenant l’idée formulée par Spinoza qu’il y a, au coeur de la politique, l’émotion, le désir, l’affection, et qu’elles sont toutes deux des composants corporels et sociaux. (Spinoza, 1933). Herbert Marcuse et d’autres auteurs ont souligné que, pour changer la réalité d’une société donnée, l’imagination et la fantaisie sont des ressources essentielles (Marcuse, 1991). Theodor Adorno est aussi un défenseur de l’imagination : « l’esprit a besoin de transformer, non de rejeter, son corps, ses peurs et ses désirs ; la fantaisie, comme la mémoire, possède des traces du composant du contexte social du savoir et est aussi le chemin vers un possible changement » (Adorno, 2002, p. 234). Tout comme le coté cognitif du processus mental, le coté imaginaire est formé à la fois par de nombreux aspects de l’intersection et des dimensions de la société et à la fois par la réalité personnelle de cette expérience sensuelle et corporelle. Ainsi l’imagination devient un élément de base du soi et ses relations avec lui-même et avec le social. L’activité artistique encourage l’imagination, ouvre l’esprit à une émotion, à la possibilité de changement et de transformation. Repris par une aire émotionnelle qui contribue à l’attachement humain, l’art dans les ateliers d’intégration sociale permet de réfléchir sur l’être humain dans le passé, le présent et le futur, sur les liens avec chacun et avec le monde. Les ateliers du projet présentés ici, basés sur ces fondements épistémologiques, se relient directement à l’imagination située inscrivant, coupant en longueur des problèmes de la communauté, du corps comme del’esprit. Une communauté qui peut imaginer une nouvelle société a la capacité d’articuler une imagination incarnée dans un ici et maintenant, d’un sujet singulier, mais aussi d’un groupe avec des valeurs communes. Cette imagination recouvre la force émancipatrice de Marcuse et Adorno et le potentiel de Castoriadis. Et elle cherche à donner un sens à l’être humain inséré dans une situation nouvelle et inconnue. 44
1.3.2. Sur les techniques et les matériaux Les techniques artistiques sont un moyen, pour nous, de nous montrer, de nous comprendre, de nous exprimer, de nous connaître. Mais, en plus, elles établissent entre nousmêmes et le monde, et entre nous et notre intérieur, une façon de voir, de représenter et de ressentir le monde. Dessiner, par exemple, la réalité environnante implique un temps d’observation, de capture, d’analyse et de négociation de la forme finale et ensuite la synthèse de cela à travers un matériel. Sur un tel matériel repose un résultat qui nous encourage à être patients, justes, précis ou abstraits. Dessiner avec des fusains, par exemple, nous confronte à un regard spécial et à une relation spécifique avec le monde, ce qui est très différent d’un dessin utilisant un stylo ou un feutre. Danser une émotion, la mettre en scène, la chanter ou la dessiner nous implique de manières très différentes. Cela nous amène différents ingrédients artistiques et esthétiques. Le bon animateur artistique doit connaître ce que certaines techniques, méthodes artistiques et certains matériaux déclenchent chez les êtres humains. Par exemple, il y a des techniques qui nous confrontent, à cause de leur difficulté, à nos propres limites et à nos frustrations, et ces techniques sont donc intéressantes pour travailler sur la déception, les limites, ou la tolérance à la frustration. D’autres techniques ou matériels nous fournissent la possibilité de jouer et nous donnent immédiatement satisfaction, un résultant plaisant, apportant la possibilité de se sentir adopté par la communauté. Le temps et l’espace créatifs sont articulés avec l’utilisation d’une technique ou d’une autre, avec l’utilisation d’un matériel ou d’un autre. La photographie exige que nous réagissions rapidement, souvent sans controle précis sur le résultat. Cela nous confronte à un manque de contrôle précis sur le monde, tout comme le travail proposé par le groupe Les Paracommend’arts qui offre « un ingrédient créatif » qui encourage chacun des participants à trouver leur propre méthode pour développer un projet créatif qui peut être la métaphore d’un projet de vie. Choisir une méthode pour réaliser de l’art comme la danse ou le théâtre, ou les arts plastiques (peinture, dessin, sculpture, etc.) implique des manières d’associer et d’interagir avec le Monde et nous-mêmes, comme cela peut être vu dans les ateliers proposés par Artemisszio, Elan Interculturel, UCM, TAN Dance ou MometumArts. Dans certains ateliers, nous nous rappelons le jeu personnel de l’enfance où notre corps donne corps au symbole. Dans d’autres, nous projetons nos désirs, nos peurs sur des objets, des formes et des couleurs. Un autre atelier utilise les biographies situées d’artistes migrants pour responsabiliser les participants et leur donner l’opportunité de développer leur projet créatif personnel. Le Théâtre de l’Opprimé, comme le travail d’Osmosis ou d’Artemisszio, fournit un espace où les stratégies de responsabilisation (en anglais « empowerment »), la lutte contre l’oppression et le dialogue peuvent être répétés, pour ensuite pouvoir éventuellement être appliqués dans la vraie vie. (Boal, 2000). Le corps implique d’incarner des situations et d’être mis sous le regard de l’autre, comme le souligne Osmosis dans son travail sur le corps comme place où vous éprouvez et agissez. Le matériel de travail passe directement à travers notre corps, un lieu de plaisir, de douleur, de surveillance ou de punition. Le processus créatif, à travers les différentes techniques et les différents matériaux, implique la personne dans un projet sérieux, dans un projet nécessitant toute notre attention et qui permet l’ouverture vers cette imagination située qui connecte l’intime et le social, le passé et la possibilité de changement. C’est le centre des ateliers utilisant les méthodes d’art participatif du Théâtre de l’Opprimé ou des médias créatifs. 45
Artemisszio, par exemple, a utilisé les médias créatifs basés sur une communication visuelle utilisant également des techniques manuelles et digitales. Le but était d’atteindre une approche universelle à travers un langage visuel, mêlant de vraies histoires humaines et des éléments taquins, humoristiques. Le produit final du projet a été un film et un blog vidéo. La connaissance des techniques et du matériel bien au-delà des buts instrumentaux doit faire partie de la formation de l’animateur, parce qu’elle permettra l’utilisation nécessaire d’une technique précise insérée dans un espace et un temps, qui facilitera la réflexion et permettra une amélioration psychosociale des participants.
2. VERS UNE BONNE UTILISATION DE L’ESPACE ARTISTIQUE COMME FACTEUR D’INTEGRATION SOCIALE L’art, à travers le processus d’intériorisation/extériorisation, nous permet de travailler avec des contraintes internes et externes facilitant ainsi l’expression des émotions qui sont rejetées en dehors de l’espace de création. L’art permet la contradiction, le paradoxe, la frustration, la colère de la même manière qu’il permet le pardon, la réconciliation et le deuil. Par conséquent, c’est un processus approprié pour le changement et la réflexion sur cela. L’art créé un espace pour le non-dit, où le silence et les mots se rencontrent. L’expression artistique à travers la peinture fournit un moyen d’exprimer des sentiments, au-delà des souvenirs et des rêves, bien qu’ils soient parfois présents dans les images. Qu’est-ce que l’espace et le temps de l’art offrent? Le temps et l’espace de l’art comme une « base solide » et la réouverture de l’attachement. L’espace où l’activité artistique se déroule doit être un lieu de test, d’expérimentation et de négociation et doit donc être considéré comme une aire de sécurité qui favorise la liberté. L’atelier offert aux autres est un espace qualifié de « spécial ». Pour cette raison, en plus de l’importance de l’activité artistique réelle, il est important de considérer, de façon symbolique, l’espace de l’art et le temps de l’art. A partir des théories de l’attachement, nous pouvons conclure que l’espace de l’activité artistique dans des aires sociales doit devenir ou peut être transformé en un espace dans lequel une personne se retrouve dans un lieu sűr qui lui permet la réflexion, l’introspection, l’humour et l’acte transformant. L’attachement, un terme repris par Bowlby (1969) et largement développé par les théories autour de l’affection et de l’intersubjectivité, est défini comme un lien émotionnel qui unit la personne à une figure spécifique (une figure d’attachement). Ce comportement, qui résulte à la fois d’un besoin naturel et d’une acquisition, a une double fonction: 1. Une fonction de protection physique et de sécurité émotionnelle fournie initialement par un adulte capable de défendre l’enfant vulnérable face à tous les dangers 2. Une fonction de socialisation. Le comportement d’enchainement primordial s’étend aux autres personnes, se déplace avec vous à travers la vie, vers de nouvelles personnes allant ensuite vers des étrangers et des groupes internes structurant ainsi la personnalité. A l’intérieur de ce modèle, les effets sont souvent: 1. Evaluer les conditions internes et externes de l’individu; 2. Décider des mesures à prendre en conséquence et évaluer continuellement ses conséquences 3. Communiquer avec les autres personnes. Bowlby (1969) donne comme règle de base l’indication que le thérapeute doit être la personne ayant un attachement serein pour le patient (c’est-à-dire une personne référent), une « base solide » à partir de laquelle le processus psychanalytique long et difficile sera développé. En tenant compte du concept de base saine, et en déplaçant l’idée du thérapeute comme 46
éducateur artistique, art-thérapeute ou animateur social à travers l’art, nous avons souligné que cette personne doit fournir une base solide pour que les personnes puissent transformer un espace sans catégorie précise en un espace potentiel, qui génère des objets transitionnels, selon les paroles de Donald Winnicott (1971). Dans certains cas, le migrant a perdu ses personnes référents, les relations qui lui procuraient un minimum de sécurité pour continuer son processus de développement humain et social. A la place, il/elle se retrouve dans un espace vide d’incertitude, de méfiance et de peur. L’espace de l’atelier doit fonctionner comme une métaphore qui, symboliquement, ouvre les relations d’attachement. L’espace que nous essayons d’offrir doit donc inclure certains des éléments soulignés par les théoriciens de l’attachement:
• Communication et communion
La communication a pour but d’informer et d’influencer les autres, alors que la communion est simplement un partage. Le processus de partage d’états affectifs est l’aspect le plus pertinent de la relation intersubjective.
• Syntonie affective
Daniel Stern (1985) a nommé harmonisation affective (en anglais « affective attunement » ou empathie émotionnelle, résonnance émotionnelle, réactivité affective) la capacité d’un parent à comprendre et renvoyer les émotions d’un bébé. Similaire à cela, le guide d’une activité artistique doit fournir une « intonation affective » avec le groupe, avec l’individu qui assiste à l’atelier, de telle manière que la création transformatrice devienne possible.
• Moments de rencontre
Stern et al. (1998) considèrent que beaucoup des effets thérapeutiques durables surviennent au sein de la connaissance relationnelle implicite partagée entre l’analyste et le patient (ici il pourrait être remplacé par les termes « entre l’animateur et le migrant »), à la suite de « moments de rencontre » qui induisent des changements dans ce domaine relationnel intersubjectif, non-verbal et non interprété. Ce sont des changements différents de ceux amenés par l’interprétation qui rend le conscient inconscient. Ce sont des changements qui affectent la création, sa relation à l’environnement et qui ensuite imprègnent les niveaux de conscience..
• Sécurité et confiance
Les sentiments de sécurité et de confiance permettent la libre association d’idées avec les expériences du présent et du passé. Les schémas émotionnels du soi en relation avec les autres qui ont une importance, sont progressivement permis.
• Nouveaux départs
Les expériences affectives dans le ici et le maintenant acquièrent un nouvel intérêt et les « nouveaux départs » ou la réorganisation des anciens systèmes deviennent possibles. De nouveaux composants et de nouveaux cadres émotionnels ont tendance à émerger dans de nouveaux contextes de relations. Les nouveaux départs ont besoin de l’empathie émotionnelle de l’animateur pour le participant. La présence émotionnelle du compagnon dans le processus de création peut permettre au migrant de vivre « des expériences émotionnelles correctrices » avec les sentiments de « nouveaux départs ».
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3. CE QUI DOIT ETRE OBSERVE DANS UNE INTERVENTION A TRAVERS L’ART 3.1. L’intervention doit être un cas unique N’importe quelle intervention psychosociale dans le contexte interculturel doit se tenir à l’écart des analyses quantitatives. L’extrapolation n’est pas recommandée dans ce domaine. Il existe un nombre infini de variables contextuelles, personnelles et culturelles qui sont propres à chaque personne (ou groupe de personnes). De la même manière, la façon dont chacun donne forme à ses expériences du passé, du présent et à ses peurs et attentes pour le futur ne peut pas passer à travers un moule standard. Chaque personne exprime sa singularité à travers une expression créative. Les aspects cognitifs, émotionnels et comportementaux, qui ensemble forment l’identité personnelle, sont un bon exemple de cela. L’étude de cas est donc un bon exemple d’observation.
3.2. La rencontre dans l’intervention implique une relation égale et en tête-àtête. Nous (les animateurs et les participants) faisons partie du même projet psychosocial. Subtile, imperceptible, de manière subliminale, le participant influence le processus et questionne l’identité de l’animateur. Il est nécessaire de faire une analyse continue de l’identité et des identités de l’animateur tout au long des différentes interventions, qu’importe la durée de l’intervention et malgré l’expérience accumulée ou précisément à cause de ces deux dernières situations. La supervision est recommandée comme moyen de garantir un bon discours dans l’intervention parce qu’elle permet de voir l’évolution de l’identité comme animateurs et nos transferts/contre-transferts dans le processus.
3.3. Journal, grille et entretiens ouverts L’observation doit, autant que possible, rassembler cette relation complexe de sujets liés, la traversée de récits, les différents « soi » théâtraux présents dans chaque interaction. Chacune des formes d’enregistrement que nous choisissons peut contribuer à intimider, à activer des éléments résistants dans chacun d’eux et de nous, en revivant d’anciennes et de nouvelles méfiances, de nouveaux sentiments de contrôle et de déception. Le « comment » est, dans l’intervention psychosociale à travers l’art, aussi important que le « quoi », parce que tout ce qui arrive est significatif et digne d’observation et d’analyse. Les instruments d’observation agissent parfois comme des métaphores inégales pour le pouvoir: les migrants doivent montrer du respect pour les personnes natives, les migrants sont les seuls sujets d’observation et d’analyse. Pourquoi n’y a-t-il pas de tests communs sur la perception que l’animateur a des migrants avant et après l’atelier ? Entament-ils une relation avec des personnes d’autres cultures après avoir coordonné un atelier sur la migration v? Est-ce que l’atelier les aide à reconsidérer leur propre perception d’eux-mêmes ? Ce sont des questions intéressantes qu’il serait intéressant de poser. Enfin, le journal est fortement recommandé, pour collecter des traces, des preuves et des réflexions qui ont un rapport avec le processus et l’entrelacement des sentiments/savoirs/ créations/liens de l’expérience vitale avec l’atelier. Si l’accompagnement de l’atelier doit être prudent, subtil, délicat, s’il doit être dans une 48
intonation émotionnelle, une communion, basé sur le respect, les outils d’observation et d’évaluation doivent être cohérents avec ces principes de respect humain. Si l’animateur ne dirige pas mais se pose à coté du participant et offre un espace de sécurité et de bien-être, à partir duquel il est possible de se projeter, de faire face aux peurs et de se transformer, le mode d’évaluation ne doit pas devenir une épreuve pour l’autre. Il doit fournir des éléments qui aide l’animateur à se mettre à la place de l’autre et à partir de là, fournir des éléments qui aide à comprendre et à reconstruire le projet de vie du participant. L’observation, cohérente avec ce qui est mentionnée plus haut, doit aussi être marquée par une certaine délicatesse. Nous recommandons d’encourager l’enregistrement visuelle des participants et des animateurs, la photographie/l’enregistrement des participants et des animateurs exposant leurs sentiments concernant l’atelier, et d’en faire, a posteriori, un journal, un carnet, fait par les animateurs et les participants qui reflète les préoccupations de l’atelier et qui constitue luimême une nouvelle création. Nous inviterons les participants à la préparation d’une vidéo qui représentera des expériences vécues. Enfin, nous utilisons le support de la grille d’observation (au chapitre « Ressources ») qui aide l’animateur à se rappeler des aspects qui pourraient être éviter ou oublier dans le journal. Ces indicateurs d’observation fonctionnent comme de petits avis sur les aspects qui peuvent être négligés ou oubliés et qui peuvent être très utiles lorsqu’il faut faire une observation collective du processus. Cela n’évite pas d’oublier des petites parties qui parfois peuvent fournir des aspects de la perception de soi, la perception de l’environnement et les modes de réaction. Cela, avec une supervision continue par un professionnel externe, offre une multi-méthode qui subvient aux défauts de l’une ou l’autre méthode utilisée seule, et donne une perception large, démocratique et égalitaire entre les animateurs et les participants. Finalement, l’utilisation d’entretiens ouverts, d’une manière biographique, peut fournir une évaluation de l’atelier plus détaillée et croisée avec l’affect humain.
Références BOAL, A., Theatre of the Oppressed (Théâtre de l’Opprimé), London, Pluto Press, 2000. BOWLBY, J., Attachment and loss,Vol. 1: Attachment. New York: Basic Books, 1969. CASTORIADIS, C. The Imaginary Institution of Society. Cambridge: Polity Press, 1987. GOLDMAN, Emma (1931) Living my life. Downlowded 21 june, 2012. http://dwardmac.pitzer.edu/Anarchist_Archives/goldman/living/livingtoc.html IRWIN, RITA L. & SPRINGGAY, S., “A/r/tography as practice based research”. In Springgay, S., Irwin, Rita L., LEGGO, C. & GOUZOUASIS, P. (Eds.) Being with A/r/tography. (pp. xiii‐xvii) Rotterdam, The Netherlands. Sense Publishers, 2008. MARCUSE, H.,One‐dimensional man. London: Routledge, 1991. SPINOZA, B., Ethics and treatise on the correction of the intellect. (A. Boyle, Trans.). London: J.M. Dent, 1993 (1677). STENNER, P. ,BROWN, S.D., “Being affected: Spinoza and the psychology of emotion” International Journal of Group Tensions, Vol. 30, No. 1, pp. 81‐105, 2001. STERN, D.,The Interpersonal World of the Infant. A View from Psychoanalysis and Developmental Psychology. New York: Basic Books, Inc., Publishers, 1985. STOETZLER, MARCEL AND YUVAL‐DAVIS NIRA, « Standpoint theory, situated knowledge and the situated imagination ». Feminist Theory December 2002, pp. 315‐333. WINNICOTT, D.,Playing and reality. London: Routledge, 1971.
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2. ETUDES DE CAS AUTOUR DES MEDIATIONS ARTISTIQUES AUPRES DE MIGRANTS 2.1. L’ART DE L’ADAPTATION : UN VOYAGE ARTISTIQUE À TRAVERS LES PHASES DE L’ADAPTATION Vera Várhegyi, Élan Interculturel
NOM DE L’ATELIER : Art de l’adaptation ORGANISATEUR : Elan Interculturel DATES : Du 16 au 27 janvier 2012 PRINCIPALES BRANCHES ARTISTIQUES : Arts visuels, dance, théâtre
Résumé Cette étude de cas décrit l’atelier « l’art de l’adaptation » organisé par Elan Interculturel en janvier 2012 à Paris. Cet atelier avait trois particularités. Tout d’abord, c’était une combinaison entre une formation interculturelle et un atelier artistique. Il était explicitement focalisé sur l’adaptation et les sessions étaient construites de façon à aborder les différentes phases et aspects du processus d’adaptation. Ensuite, les quatre facilitateurs et artistes engagés étaient eux-mêmes des immigrés à Paris. La structure de l’atelier et les thèmes proposés n’étaient donc pas construits sur de froides hypothèses théoriques concernant ce que doit être l’adaptation mais était également soutenue par les expériences personnelles des facilitateurs. La troisième caractéristique est ce qui nous avait permis d’aborder explicitement les thèmes de l’adaptation: les participantes elles-mêmes qui se composaient de dix femmes venant de neuf pays et de quatre continents différents, ce qui semble être un groupe d’une grande diversité. En même temps, le niveau d’éducation était très élevé et toutes les participantes avaient une bonne maîtrise de l’anglais – la langue de l’atelier. Enfin, la plupart des participantes avaient une situation financière relativement stable. Nous pouvions donc nous focaliser sur comment tirer le meilleur parti possible de l’expérience d’immigration au lieu des questions complexes de survie et de procédure légale. L’atelier sera présenté de façon chronologique, à travers les huit sessions.
Introduction : un « paradigme minimal de mobilité interculturelle » Notre point de départ était de travailler sur un « paradigme minimal de mobilité interculturelle » qui sert à traiter les défis générés par le changement de culture et de contexte. Nous pensons que même lorsqu’il n’y a pas d’incertitudes sur l’issue de la procédure légale, ni de besoins matériels ou physiques, ni de questions de sécurité, l’adaptation peut toujours ouvrir une boite de Pandore de défis et menaces insoupçonnés qui sont souvent négligés lorsqu’ils sont occultés par d’autres besoins qui semblent plus urgents.
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Session 1 : Le passeport créatif Apprendre à se connaitre La session d’ouverture était une session d’introduction typique à plusieurs égards : les participantes se sont présentées les unes aux autres. Nous avons abordé les attentes, ce qui était prévu dans l’atelier et ce que seraient les règles de base pour une bonne collaboration. Autant que possible, ces tâches étaient proposées dans un cadre créatif. Les présentations se sont déroulées par binômes. Chaque participante était invitée à prendre des notes sur l’autre personne en dessinant. Elles ont donc représenté leurs partenaires à travers des dessins. Pour aborder les attentes, nous avons invité les participantes à créer des symboles de ce qu’elles auraient ou non apprécié dans l’atelier. J’ai vraiment apprécié que ce court entretien soit bien structuré et qu’il m’ait aidé à avoir un bon aperçu sur la vie de parfaits étrangers et à me rendre compte que nous avions en réalité beaucoup de choses en commun. C’était également intéressant de voir l’image que ma partenaire avait créée d’après les choses que je lui avais dites sur ma vie. Cela m’a aidée à identifier le thèmes sur lesquels j’allais travailler durant les jours à venir.
Démécanisation visuelle La deuxième moitié de la session était dédiée à ce que nous avons appelé les exercices de « démécanisation visuelle ».Boal a forgé le terme de démécanisation afin de conceptualiser un type d’exercices qu’il avait proposés pour aider les participantes à libérer leur corps du choix restreint de mouvements qui y sont gravés à cause de la routine quotidienne. La démécanisation prépare, en quelque sorte, le corps et la personne pour une participation incarnée plus créative. Nous voulions obtenir le même résultat, mais en se focalisant sur des activités visuelles. En effet, lors des activités quotidiennes, mais aussi quand on nous demande de dessiner ou de créer de l’art, on peut être habitués à travailler avec nos mains ou nos outils de la façon que nous avons appris et non pas autrement. Notre objectif lors de cette première session était d’ouvrir la porte à la créativité et au dessin, vus de différentes manières. Les exercices étaient empruntés et adaptés à partir de manuels de créativité (par exemple, Szoke, 2008).
Cette fleur est nommée « Contrastes ». Les feuilles et les pétales sont composées de mots. Je ne suis pas une grande poétesse mais j’ai fait de mon mieux. Elle a été créée à l’aide de marqueurs et de papier. C’étaient mes premières impressions sur la route entre l’aéroport et notre nouvelle maison en France. Le printemps était arrivé tôt et les jonquilles bordaient l’autoroute. Paris était chaud. Alors que New York était froid et enneigé. J’ai pensé que c’était de bon augure pour ma nouvelle vie.
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Session 2 : Atterrir, arriver, explorer une nouvelle culture Un objet qui représente notre relation à la culture française. Lors de la session précédente, nous avions demandé aux participantes d’apporter, pour le matin suivant, un objet qui représentait leur relation à la culture française. La façon dont elles interprétaient la « culture française » et leur relation avec elle était libre. Nous avions eu un large éventail d’objets très différents (une bouteille de Perrier, un ticket de métro, une grande et vieille clé de cave, une carte postale envoyée de Paris, etc.) qui ont été présentés et les choix étaient expliqués. Dans un second temps, nous avons demandé aux participantes de créer une oeuvre artistique autour de leur objet ou de l’objet de quelqu’un d’autre si ce dernier les avait séduites. Cette proposition avait un double objectif : d’un point de vue créatif, elle visait la conception d’une création ancrée dans un stimulus concret. En même temps, d’un point de vue symbolique, cela pouvait être assimilé à l’appropriation créative d’un élément de la culture-hôte ; un élément qui était en réalité assez significatif pour représenter le lien que l’on a avec cette culture.
Ceci est un collage composé de coupures de magazines autour de mon objet qui était une clé de cave. J’ai intentionnellement choisi des images de publications que je considérais comme étant typiquement françaises. Comment je relie cela au fait de vivre à Paris… Peut-être que la « clé » est de faire avec ce qu’on a ici, de construire une vie pour soi-même… De s’adapter.
Qu’est-ce que la culture? Une proposition plus abstraite a suivi : créer une représentation visuelle de la « culture ». Non pas une culture en particulier, mais la culture en général. Ce petit exercice de groupe permettait d’introduire une discussion sur la culture, sur la façon dont elle influence notre façon de penser, de sentir ainsi ce qui se passe dans les « rencontres des cultures ». Chaque groupe a expliqué le dessein qu’il avait fait et les facilitateurs ont ajouté quelques détails supplémentaires. A la fin du troisième dessin, nous avons parlé des manifestations de la culture, des types de culture (pas seulement les nations mais aussi le genre, l’âge, la culture professionnelle, la sous-culture, etc.), ses mécanismes (transmission et échange) et nous avons également abordé les notions reliant la culture à l’individu telles que l’enculturation, l’identité, l’ethnocentrisme, la réciprocité.
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Session 3 : Le premier contact La communication est incorporée : avant même que l’on s’exprime, les corps deviennent une interface de contact. Ainsi, nous avons des premières impressions les uns sur les autres, en moins d’une seconde, uniquement d’après notre apparence. Avant de parler, nos corps se racontent des histoires sur ce que nous voulons, ce que les autres veulent. Nous ne pouvons pas ne pas communiquer, disait Waltzlavick, tout notre comportement est interprété comme étant communicatif, comme une intention. De ce fait, la culture est incorporée. La façon dont on utilise la distance, la façon dont on a appris à se tenir debout, à s’asseoir, à regarder dans les yeux – ou précisément à éviter le regard des autres –, à savoir si l’on peut sourire, pleurer ou si toute extériorisation de nos émotions nous est interdite ; tout cela est culturel. Pourtant, le corps est souvent ignoré dans les formations interculturelles. Parfois, il est question de l’importance de la communication non-verbale avec, dans le meilleur des cas, de simples exercices de simulation. Pour cette raison, cela faisait sens pour nous de commencer notre session de communication avec le corps. Nous avions invité un danseur pour travailler avec le groupe et offrir une longue immersion de quatre heures dans des questions qui nous semblaient être des clés pour comprendre ce qui arrive réellement lors d’un premier contact avec l’autre. Ce qui est réellement en jeu et quelles sont nos ressources. Contact improvisation Le contact improvisation est une forme de danse inventée dans les années 70 par Steve Paxton, « basée sur la communication entre deux corps en mouvement qui sont en contact physique et la combinaison de leurs relations aux lois de la physique qui régissent leurs mouvement, gravité, inertie. Pour s’ouvrir à ces sensations, le corps apprend à évacuer l’excès de tension musculaire et à abandonner un certain niveau de détermination pour expérimenter l’écoulement naturel du mouvement ».11 Le CI est une forme de danse improvisée qui se focalise sur le contact et qui essaie de rendre le mouvement aussi dépourvu d’effort que possible. Cela semblait être un bon point de départ pour notre travail. Une série d’exercices proposés invitaient les participantes à se rencontrer, à improviser un point de contact et à essayer de travailler avec ce contact – avec le moins d’effort possible. 11
www.contactquarterly.com/contact-improvisation/about/accessed on September 2012
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Le contact improvisation nous montre également comment le contact change nos possibilités, notre équilibre ; bref, il nous change tout simplement. Nous avons joué sur la balance et le contrepoids afin d’explorer comment cela survenait, en comparant ce qu’on peut faire seul et les possibilités plus larges que peut nous apporter une autre personne en devenant un contrepoids. Le fait que ce contact nous change est admis dans le monde des études interculturelles : en arrivant dans un nouvel endroit et en faisant face aux membres de la société d’accueil, l’on peut devenir « l’étranger », « le différent ». Si l’on n’est pas au fait des règles de politesse locales, l’on peut devenir « le grossier », « le mal élevé », « l’impoli ». L’on peut également devenir l’exotique, l’intéressant, celui qui apporte la nouveauté. Le changement s’opère sur nous sans que l’on ait décidé de changer nous-mêmes. La question est comment gérer les changements.
Creuser le répertoire non-verbal Les différences culturelles imprègnent notre répertoire de communication non-verbale : la proxémie (l’utilisation de l’espace en fonction de la distance sociale), le rythme, le contact visuel, la tendance au contact physique ou son évitement, les postures, pour n’en citer que quelques-uns, montrent tous une grande diversité culturelle. Une série d’exercices ont été proposés là où les participantes pouvaient se tester elles-mêmes dans différents comportements non-verbaux et réfléchir sur leurs propres préférences, ce qu’ils ont trouvé plus facile et qui semblait non naturel. Quitter la zone de confort Une autre compétence clé dans le processus d’adaptation est d’apprendre à quitter sa zone de confort. C’est souvent notre instinct qui nous fait chercher, dans un nouvel environnement, un refuge parmi les personnes issues de notre origine culturelle, là où l’on peut être surs que les gens riront à nos blagues, qu’ils aimeront notre cuisine et qu’on ne les mettra pas dans l’embarras, ni eux ni nous-mêmes par des malentendus. Afin d’alléger les efforts d’adaptation, certains migrants passent effectivement la majorité de leur temps dans leurs communautés d’origine ou d’expatriés, etc. La danse du contact leur enseigne qu’il est permis de quitter notre zone de confort, qu’il est bon d’aller légèrement au-delà de nos limites. Elle le fait en créant des occasions de contact physique très fort entre les gens mais aussi en offrant des invitations de mouvements et postures en dehors de notre répertoire de mouvement usuel.
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« Je suis venue au cours en ayant quelques appréhensions sur le fait de danser, et me voilà maintenant, à la fin de la journée, en train de faire la toupie, de jouer, de faire des choses que je n’aurais jamais pensé faire » « Au début, je n’étais pas confiante au sujet de la session danse, mais c’était vraiment un moyen de briser la glace, ce qui a créé de bons contacts » Session 4 : Le choc de cultures Cette session était dédiée au travail sur les expériences de choc culturel par les participantes, leur offrant un outil pour comprendre, explorer et réagir au choc culturel. Nous avions adoptée l’approche développée par Margalit Cohen-Emerique en la combinant avec le travail visuel et dramatique. Le choc culturel comme un miroir Les chocs culturels sont des expériences concrètes, des situations où la différence entre les valeurs culturelles, les modèles et les comportements deviennent soudainement visibles lors de la rencontre. La particularité de l’approche de Cohen-Emerique est qu’elle admet que s’il y a conflit entre deux parties, ce n’est pas à cause de l’étrangeté de l’un ou l’autre mais à cause de la différence relative entre les deux cadres culturels qui entrent en conflit.
« Le choc culturel est une interaction avec une personne ou un objet issu d’une culture différente qui se produit à un moment et dans un espace donnés, ce qui provoque des réactions positives ou négatives, affectives ou cognitives, une sensation de perte de points de repère, une représentation négative de soi-même et un sentiment de manque d’approbation qui peut devenir malaise ou colère » (Cohen-Emerique, 2011) L’objectif de l’analyse du choc culturel est toujours double. Tout d’abord, elle vise à attirer notre attention sur notre propre bagage culturel, à ce que l’on devienne conscient de ce qu’impliquent nos propres valeurs culturelles, normes, attentes, de comment elles deviennent menacées par une position culturelle différente. Ensuite, l’analyse vise à chercher des explications plus élaborées du comportement de l’autre, explications qui sont au début souvent basées sur des stéréotypes simplifiés (en effet, sous la pression, on a tendance à accéder aux stéréotypes pour expliquer les situations sociales). L’objectif est alors de trouver des hypothèses plus précises qui restituent la rationalité de l’autre. La décentration à travers les images Pour introduire les participantes à la méthode d’analyse des incidents critiques, nous utilisons une technique très simple. Nous leur donnons une série d’images représentant des formes de comportements culturels issus de cultures variées et qui sont susceptibles d’être perçus comme choquants (par exemple, un garçon nomade se lavant les cheveux avec l’urine d’un chameau, un acteur philippin qui rejoue la crucifixion, cloué à une croix en bois, un body builder européen posant pour une compétition, etc.) Nous demandons aux participantes de choisir l’image qui a provoqué chez elles la réaction la plus forte. On les invite ensuite à répondre à deux questions : quelles émotions l’image leur a fait ressentir et quelles étaient leurs valeurs et normes que l’image avait touchées. Ce simple exercice permet de 55
réaliser le rôle de nos propres positions culturelles dans nos réactions émotionnelles et nos jugements sur les autres. Travailler sur ses propres expériences de choc culturel Aucune analyse n’est aussi percutante que celle que l’on fait sur nos propres expériences de choc culturel. L’analyse – quand elle est bien faite – peut apporter un nouvel éclairage sur l’interprétation du conflit et probablement des solutions alternatives. Pour aider à une implication active des participantes, nous leur avons proposé de travailler sur des incidents critiques à travers les méthodes du théâtre forum. Tout d’abord, les participantes ont partagé leurs propres incidents critiques en petits groupes. Dès qu’elles sélectionnaient un incident, elles souhaitaient travailler là-dessus une fois qu’elles avaient créé une représentation de l’incident. La représentation devait s’arrêter au point culminant. Chaque situation était représentée une deuxième fois. Le facilitateur pouvait figer l’image et se renseigner sur les sentiments, les pensées d’un personnage ou d’un autre auprès des participantes spectatrices ou du personnage lui-même. Dans un second temps, les participantes spectatrices avaient la possibilité de remplacer la protagoniste de l’incident et d’essayer de changer son comportement pour voir si l’issue de la situation allait changer (plus de détails sur le théâtre forum dans l’article à suivre).
Session 5 : Panoramas intérieurs Des contraintes créatives Demander aux gens de créer un travail artistique, juste comme cela, peut être intimidant, et la liberté illimitée devient une incertitude paralysante. Leur demander de créer autour de la première chose qu’ils avaient vue à Paris ou de l’histoire de l’escalier dans leur immeuble peut curieusement devenir beaucoup plus libérateur. Pour ouvrir notre session d’arts visuels, l’artiste Rafael Valeron avait conçu une série de propositions permettant un bon équilibre entre les contraintes et les libertés.
« Le premier exercice consistait à me dessiner moi-même en utilisant deux couleurs (le noir pour représenter l’émotionnel, l’irrationnel, les aspects « cachés » de ma personnalité, et le rouge pour le côté rationnel et conscient), les yeux fermés, juste avec l’intuition. Nous devions dessiner sans lever le crayon de la feuille. Nous continuions à dessiner notre portrait de cette façon jusqu’à ce que le processus devienne tout à fait facile et naturel à faire. La dizaine de portraits que j’ai produits montrent une évolution visible. Au début, j’étais perturbée par le fait de devoir utiliser deux couleurs. J’avais du mal à distinguer très clairement les différents aspects de mon personnage. C’était également difficile de dessiner sans lever le crayon, avec une seule ligne. Alors, au début, j’ai un peu triché pour créer des images plus conformes. Ensuite, j’ai rapidement commencé à me sentir plus à l’aise et à apprécier cette sorte de liberté. J’ai réalisé que le résultat devenait de plus en plus intéressant et expressif car je m’étais débarrassée de mon exigence de créer des images qui soient conformes et faciles à comprendre. Finalement, j’ai fait des autoportraits très surprenants dans la mesure où je me suis vraiment vue en eux d’une façon très inhabituelle et abstraite. » Dans un deuxième temps, des portraits « aveugles » étaient réalisés également sur la voisine avec les mêmes conditions : couleurs rouge et noire, sans lever le stylo du papier, sans regarder. 56
La deuxième étape de l’exercice révèle une vérité fondamentale sur les identités : elles se construisent à travers les interactions sociales, avec d’autres personnes, réelles ou imaginées, en s’adaptant à chaque interaction, en intégrant chaque expérience dans le système du soi. Parfois, on nous attribue des identités dans lesquelles on ne se reconnait pas : nous pouvons être considérés comme grossiers, mal élevés ou comme appartenant à un groupe culturel méprisé. Plus la distance culturelle est grande, plus il y a des chances que les reflets nous renvoient une image déformée. Pourtant, même ces reflets comptent et nous font réagir. Heureusement, nous disposons bien d’une certaine autonomie dans le déroulement du processus. Notre session s’est poursuivie avec la proposition de choisir, dans tous les portraits, des éléments auxquels on s’identifie : les yeux à partir d’un dessin, les cheveux à partir d’un autre, les mains à partir d’un troisième, etc. Les morceaux étaient alors rassemblés en un seul dessin.
« Dans cet exercice, j’ai apprécié le fait de mélanger des dessins créés instinctivement, les yeux fermés, avec des dessins crées les yeux ouverts, d’une façon plus consciente. J’ai utilisé des coupures de mes traits faciaux. L’animateur nous a encouragées à utiliser nos totems animaux alors je me suis représenté comme un cerf. Pour le paysage, j’ai dessiné un vaste champ avec une forêt apparaissant à l’horizon. Quand j’ai terminé le dessin, j’ai trouvé que cette image était très expressive et personnelle. Elle m’a donné un point de départ intéressant pour une réflexion sur ce qui est évident et ce que je crée moi-même dans ma vie » 57
Session 6 : Destinations « Aujourd’hui, nous avons notre « portrait de rêve ». Pour ce faire, nous avons utilisé notre totem animal. Le but de l’exercice était d’imaginer et de créer un environnement idéal où cet animal pouvait se sentir bien. Comme technique, nous avons utilisé des crayons de couleur, des stylos feutres, de la peinture et des coupures de magazines. La formatrice m’encourageait à utiliser plusieurs images symboliques qui représenterait mes priorités. Je me suis de nouveau représenté comme un cerf, mais cette fois-ci je l’ai entouré avec une forêt printanière, un paysage plus beaucoup plus accueillant pour un cerf. Après cela, nous avons pris des photos de chacune d’entre nous avec la photo de son portrait rêvé. Nous étions libre de choisir le décor de notre photo. Certaines filles sont allées dans la rue, d’autres dans le métro. J’ai choisi de prendre la mienne dans les toilettes, devant le miroir. Sur la photo, je cache mon visage avec le portrait rêvé et je regarde à travers l’objectif d’une caméra à partir du miroir. J’ai trouvé très inspirant ce jeu avec mon portrait rêvé et mon vrai vrai visage se reflétant sur le mirroir. Ce que j’ai le plus apprécié dans cet exercice, c’est le concept de création d’un portrait rêvé en « fournissant » le paysage autour de moi. Pour moi, cela mettait l’accent sur ma force et ma responsabilité dans la création de mon propre environnement » Session 7 : Créer un chez soi loin de chez soi Pour commencer, le nouvel lieu est juste cela-même : un lieu, parfois stimulant, parfois effrayant et parfois indifférent. Après un certain temps, la nouveauté et le caractère étranger sont apprivoisés, le degré d’incertitude et d’imprévisibilité est réduit à un niveau accessible et les lieux commencent à devenir familiers. Plus intéressantes que la simple familiarité, les connexions émotionnelles : des anchrages que l’on développe dans le nouveau lieu. Ces points deviennent ceux de notre entrée dans la nouvelle vie. « Ibasho » est un concept emprunté au japonais, qui saisit l’essence de tels endroits. La traduction littérale en est « un endroit où il faut être »12 .Ce concept exprime l’idée d’un espace où nous nous sentons à l’aise, où nous pouvons « être nous-mêmes ». Une récente étude sur les épouses d’expatriés a montré que notre capacité ou volonté d’identifier ou de créer ce genre d’espaces est en corrélation avec une dépression et un degré de stress plus réduits ainsi qu’avec plus de soutien social (Herleman, Britt, Hashima, 2008). 58
Lors de cette session, nous avons proposé deux tâches aux participantes. La première était d’identifier un « ibasho » à Paris. Nous n’avons pas fixé de limite sauf une : l’endroit en question doit être réel et non pas imaginé. Nous avons découvert que l’ibasho pouvait être plusieurs choses. En réalité, ce que c’était réellement importait bien moins que le simple fait de l’avoir trouvé.
Cela pouvait être une maison et une famille dont nous avions rêvé dans notre enfance
Ou encore un espace pour notre spiritualité Cela pouvait être des lectures que nous avons faites au bord de la Seine, la Seine ellemême.
La seconde proposition était une version visuelle de l’exercice de la galaxie sociale. « Nous avons présenté nos relations interpersonnelles à travers l’image du système solaire. Je me suis représentée comme une grande planète au centre, entourée par plusieurs autres planètes de différentes tailles et couleurs symbolisant les personnes ayant plus ou moins un rôle dans ma vie. J’ai décrit la nature des relations entre eux à travers la distance qui les séparait et la forme de leurs trajectoires. Ainsi, j’avais une petite carte de mes relations. J’ai apprécié l’idée de relier le système de mes relations personnelles à l’image du système solaire. Cela m’a aidée à percevoir les dynamiques et les portées de ces relations d’une 12 façon très claire et surprenante. » En anglais,
Session 8 : Naviguer, aller de l’avant entièrement équipé
« a place to be ».
La dernière session était dédiée à se renouer avec le monde extérieur à travers un travail concret sur les projets de vie des participantes. Les outils que nous avons utilisés étaient: un portfolio des habilités et compétences ainsi qu’une analyse de type SWOT (forces, faiblesses, opportunités et risques) appliquée au projet de vie dans le nouvel environnement. Les deux activités ont été réalisées en collaboration avec l’entourage afin de bénéficier d’un regard
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extérieur mais tout de même encourageant. D’une certaine façon, les 15 jours ont été une préparation pour ce tout dernier exercice, d’apparence moins créatif. Mais au lieu de travailler sur du papier, du carton, de la craie et des ciseaux, nous travaillons sur notre propre vie avec les outils de l’environnement extérieur, quoi que Paris puisse offrir.
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Références BOAL, A. J, Eux pour acteurs et non-acteurs, Pratique du Théâtre de l’opprimé, Paris, Editions la Découverte, 2004. COHEN-EMERIQUE, Margalit, Pour une approche interculturelle en travail social, Théories et pratiques, Rennes, Presses de l’EHESP, 2011. HERLEMAN H. A., BRITT T.W., HASHIMA P.Y., Ibasho and the adjustment, satisfaction, and well-being of expatriate spouses International Journal of Intercultural Relations, Vol. 32, 2008, pp. 282-299. SZŐKE, A. (Editeur) Kreativitási gyakorlatok, fafej, indigo - Erdély Miklós művészetpedagógiai tevékenysége 1975-1986. Budapest: MTA Bölcsészettudományi Kutatóközpont, 2008. WATZLAWIK, P., BEAUVIN-BAVELAS, J., JACKSON, D., Some Tentative Axioms of Communication. In Pragmatics of Human Communication - A Study of Interactional Patterns, Pathologies and Paradoxes, W. W. Norton, New York, 1967. Photos par Vera Varhegyi, Susanne Dieing, à partir des travaux des participantes. Nos remerciements à Rafael Valeron, Carla Forli et tous les participants, en particulier à C. et E. qui nous ont aidées dans l’évaluation de notre travail commun avec un généreux retour.
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2.2. UNIS, NOUS NOUS ÉPANOUISSONS AVEC LE POUVOIR DU THÉÂTRE DEUX ATELIERS À ATHÈNES AVEC LE THÉÂTRE DE L’OPPRIMÉ Naya Boemi, Ioanna Papadopoulou, Christina Zoniou
NOM DE L’ATELIER : Atelier Théâtre Forum PROPOSÉ PAR : Osmosis en partenariat avec l’Organisation des Femmes Africaines d’Athènes, le département des études de théâtre de l’Université du Péloponnèse DATE : De Septembre à Juin 2012. PRINCIPALE BRANCHE ARTISTIQUE : Théâtre de l’Opprimé
Résumé Dans cette étude nous présentons nos deux projets pilotes qui utilisent la méthode du Théâtre de l’Opprimé. Les ateliers impliquaient des femmes immigrées et eurent lieu de septembre à juin 2012. Les deux ateliers avaient beaucoup de points communs : l’un était la continuité de l’autre, mais avec des participants différents. Le premier atelier théâtre forum fut organisé par Osmosis – le Centre pour les arts et l’éducation interculturelle en partenariat avec l’organisation des femmes africaines d’Athènes. Cela s’est déroulé à Athènes de septembre à décembre 2011. Dans cet atelier nous nous sommes concentrés sur la technique du théâtre-image, qui fait partie du théâtre de l’opprimé d’Augusto Boal. L’atelier a été dirigé par les facilitateurs de théâtre social Christina Zoniou (Université du Péloponnèse), Naya Boemi et Ioanna Papadopoulou (Osmosis). Le groupe de participants était composé de femmes migrantes du Zimbabwe, de Sierra Leone, d’Ethiopie et d’Albanie, mais également de femmes grecques. Les images qui venaient du théâtre-image mettaient en scène la vie quotidienne de femmes migrantes dans la société grecque. Certains des problèmes majeurs que ces femmes rencontraient sont en relation avec l’exploitation ouvrière, l’insécurité, la bureaucratie excessive et l’oppression sociale. Les participants ont choisi certaines de ces images et ont construit une histoire, qui est devenue le premier jet d’un scénario pour une représentation de théâtre forum. L’évaluation du premier projet pilote était basée sur l’observation ainsi que sur des techniques de recherches fondées sur la représentation théâtrale en utilisant des plans de théâtre et d’atelier. Le second atelier de théâtre forum fut organisé par Osmosis – le Centre pour les arts et l’éducation interculturelle et le département des études de théâtre de l’université du Péloponnèse, en partenariat avec l’organisation des femmes africaines d’Athènes. Il eut lieu à Athènes de mars à juillet 2012. Dans cet atelier nous nous sommes concentrés sur la technique du théâtre forum, qui fait aussi partie du théâtre de l’opprimé d’Augusto Boal13. L’atelier fut animé par Christina Zoniou (Université du Péloponnèse), Naya Boemi et Ioanna Papadopoulou (Osmosis). Le groupe de participants était composé de femmes migrantes du Zimbabwe, de Sierra Leone, d’Ethiopie, d’Albanie, de Somalie et des Etats-Unis, mais également de femmes grecques. Ce groupe de femmes mixte continua le travail fait par le groupe du pilote précédent et prépara une représentation de théâtre forum afin de présenter publiquement les problèmes auxquels elles font face en Grèce. La représentation naquit de véritables histoires d’oppression qu’elles n’ont pas su gérer dans la vie réelle. 62
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Plus d’informations sur www.theatreoftheoppressed.org
Le groupe de théâtre forum créé par les deux ateliers d’Osmosis continua de travailler après la fin des ateliers en juin et juillet 2012. La pièce fut présentée à deux reprises par des participants des deux sessions pilotes : d’abord dans un théâtre social dans le centre d’Athènes puis au 16e Festival antiraciste d’Athènes. L’évaluation du projet suivit la méthodologie de la recherche basée sur la représentation et une étude de cas fut produite sur la base de la représentation de théâtre forum. Dans cet article nous allons présenter et évaluer les deux ateliers pilotes à travers trois différents aspects : en analysant le corps comme un lieu d’expérience et d’action par le biais de la méthode du théâtre-image, en utilisant la technique visuelle du plan d’atelier et enfin en regardant la représentation de théâtre forum elle-même.
A. Description des contenus, buts, objectifs et techniques théâtrales des projets pilotes Notre équipe a choisi le théâtre de l’opprimé (Augusto Boal, 2000) comme méthode principale de laquelle tirer des techniques pour la mise en œuvre du projet ARIADNE en Grèce. Des techniques furent également tirées d’autres méthodes de théâtre social, comme le théâtre pour le développement (Pammenter & Mavrokordatos, 2004). Nous avons aussi utilisé une combinaison de la méthode de Stanislavski avec des éléments du théâtre Brechtien ainsi que certaines méthodes de théâtre appliqué, comme le psychodrame et le théâtre dans l’éducation. Dans ce projet, le théâtre de l’opprimé a été choisi comme outil à la fois artistique et pédagogique, aussi bien que comme une méthode de recherche. Les buts de ce projet étaient : - L’acquisition de connaissances au moyen d’un processus heuristique - Le développement de la créativité et l’expression personnelle - Le développement de la conscience critique du monde - L’augmentation de prise de pouvoir et acquisition (« empowerment ») de l’autonomie personnelle et collective - L’encouragement à l’interaction et la participation active dans le processus pédagogique - La promotion de la communication et l’adaptation interculturelles. Les objectifs spécifiques des projets pilotes étaient : - Développer la prise de pouvoir personnel et l’estime de soi - Augmenter l’ouverture, la flexibilité, l’empathie et l’écoute active - Construire des identités multiples et flexibles - Elaborer des expériences de perte, d’oppression et d’injustice passées et présentes - Imaginer et « répéter » le futur souhaité - Faire face aux problèmes de la vie quotidienne, acquérir la connaissance et les compétences nécessaires - Créer des liens avec des gens de la société d’accueil et d’autres pays, construire des réseaux, des relations et de la confiance - Développer des talents théâtraux.
Les techniques du théâtre de l’opprimé
Durant les ateliers présentés par l’équipe grecque, il y avait une combinaison des techniques suivantes:
Différents échauffements et exercices de « dé-mécanisation » L’activité commence avec de simples jeux d’échauffement de groupe pour créer 63
une atmosphère conviviale. Nous procédons ensuite à une seconde catégorie de jeux « sensoriels ». Ceux-ci ont pour objet de créer la confiance et activer la « dé-mécanisation », c’est-à-dire l’activation des capacités cachées et inexplorées des participants et l’éveil des cinq sens14. Des jeux pour l’écoute active et l’empathie
Il s’agit de jeux, tels que « la série aveugle » ou « le miroir » (Boal, 1992) qui peuvent être utilisés pour permettre aux participants de développer graduellement une compréhension empathique des peurs, des limites, des rythmes, des émotions, des images et des idéaux des autres ; et, plus important encore, une capacité à se détendre, communiquer et trouver l’harmonie avec d’autres êtres humains. Un élément important est le développement des capacités de communication non-verbale et le stimulus de l’intelligence émotionnelle.
Jeux pour la prise de pouvoir
Ces activités sont destinées à aider le/la participant(e) à raconter son histoire (Pammenter & Mavrokordatos 2004), se réconcilier avec ce qu’il/elle est afin d’imaginer ce qu’il/elle pourrait être ; des activités qui donnent de la force à la voix de tout un chacun ; des activités telles que « l’oignon de mon identité », « la caricature de moi-même », « l’histoire de mon nom », « plan de vie » et des dramatisations réalistes ou poétiques inspirées d’histoires personnelles, de peurs et de rêves.
Jeux de masque social
Dans les jeux de masque social (Boal, 1992, pp. 138-148 ; Bernardi, 2004, p. 52), les participants prennent différents « masques », c’est-à-dire des rôles sociaux stéréotypés (l’enseignant, le médecin, l’employé de bureau, l’immigré) qui sont caractérisés par des mouvements, des expressions corporelles et un comportement particuliers. Ceux-ci sont analysés et mis dans des catégories. Les « masques sociaux » se rencontrent les uns les autres, communiquent, créant des situations théâtrales dans lesquelles nous pouvons découvrir les différences entres les positions sociales et le comportement. Puis nous pouvons passer à des exercices qui révèlent nos propres masques sociaux et à des jeux de statuts.
Théâtre-image
Le théâtre-image (Boal, 1992) est une technique du théâtre de l’opprimé qui utilise des images du corps et des tableaux vivants pour exprimer des sentiments, des concepts et des points de vue, permettant un débat non verbal autour des conflits et des oppressions qui font souffrir les participants. Les images peuvent être « dynamisées », c’est-à-dire comparées, interprétées, amenées à la vie et elles peuvent être enrichies par des gestes, des objets et des sons. Comme dans le théâtre forum (voir ci-dessous), des « spect-acteurs » peuvent se substituer à un personnage de l’image ; ou, comme « sculpteurs », ils peuvent changer la place des gens, altérant ainsi les situations présentées. C’est une méthode très efficace car elle se concentre sur le langage du corps et les rapports de force, et comment ceux-ci sont transformés dans les positions du corps dans un espace spécifique. Il peut être utilisé dans des groupes multilingues, par exemple des groupes d’immigrés.
Techniques d’identification et la construction de scènes
Ces techniques concernent l’improvisation et des jeux pour aider les « acteurs » à entrer dans leur role – à vivre les sentiments, les contradictions et les contrastes de leur rôle. Simultanément, les participants apprennent des techniques pour obtenir la distance émotionnelle qui permet aux acteurs d’entrer et sortir du rôle comme ils le souhaitent. 14
Boal fait référence à 5 catégories d’activités : 1. Sentir ce que nous touchons ; 2. Ecouter ce que nous entendons ; 3. Dynamiser plusieurs sens ; 4. Voir ce que nous regardons ; 5. La mémoire des sens (Boal, 1992 : 62ff.).
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Théâtre forum
C’est une technique (Boal, 1992) basée sur une courte scène théâtrale (« modèle ») qui représente un conflit ou une oppression non résolu, c’est-à-dire une scène qui se termine mal. Pour construire ces scènes, les participants s’inspirent d’expériences personnelles. Le public regarde la scène une fois. Puis la scène est répétée et des membres du public peuvent changer le cours de l’histoire en disant « Stop » et en remplaçant un personnage par un autre auquel il/elle s’identifie. Il/elle devient « spect-acteur » et fait et dit ce qu’il/elle ferait et dirait dans une situation similaire dans les circonstances données. Le Joker (l’animateur/ facilitateur du théâtre forum) coordonne le jeu et le remplacement des personnages, en essayant d’approfondir la discussion par des questions et en évitant des avis orientés, interprétatifs ou de soutien.
Techniques de fermeture émotionnelle, de-roling et réflexion
Ces activités sont utiles pour terminer les ateliers, surtout quand ils sont particulièrement « chargés » et émotionnellement intenses. On utilise également des techniques de relaxation et de massage comme les « jeux d’adieu ». Selon nos principes pédagogiques, il est très important d’intégrer des activités de réflexion avec chaque groupe d’activités ou chaque session, qui conduisent les participants à élaborer sur leurs expériences et stimuler leur raisonnement critique – la connaissance consciente de sujets spécifiques et l’exploration d’actions potentielles. C’est quand l’action de représentation devient une action « transformatrice » (Baron-Cohen, 2006).
B. Méthodologie d’évaluation Notre méthode d’évaluation fut basée sur le paradigme de recherche de recherche qualitative. Pour être plus précis, notre méthode était une combinaison d’ethnographie critique, utilisée en anthropologie culturelle contemporaine (Carspecken, 1996), avec une méthode de recherche basée sur les arts et la représentation (Mienczakowsk, 2001; Denzin 2003; Conrad 2004; Knowles& Cole 2008; Dennis, 2009; Barone & Eisner, 2011). En effet, nous avons inclus des techniques théâtrales et d’autres techniques artistiques dans toutes les phases de recherche : la production et la collecte de données, l’analyse et l’interprétation. La recherche basée sur la représentation est holistique, participative et personnifiée et relie la théorie à la pratique, permettant l’élargissement du champ de recherche à des zones qui concernent non seulement le discours verbal mais aussi l’émotion, le corps, la perception de soi et la reconstruction imaginaire de la réalité. Activités d’évaluation : • Théâtre-image • Carte d’atelier • Le Jardin du Désir et autres activités visuelles • Groupe de concentration/entretiens de groupe • Entretiens individuels • Jeux de rôle Outils d’évaluation : • Observation du participant/ notes du champ des chercheurs • Documentation visuelle/journal photo/vidéos • Pré-tests et post-tests comme moyens de jeux • Textes manuscrits et croquis • Documentation visuelle • Auto-réflexion des participants, des formateurs et des artistes
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C. Résultats Nous allons analyser et présenter les résultats des deux ateliers pilotes en utilisant trois différents aspects : le corps comme lieu d’expérience et d’action analysé au moyen du théâtreimage, en utilisant la technique des plans d’atelier et en présentant une représentation de théâtre forum.
1. Le corps comme lieu d’expérience et d’action Le théâtre-image fait partie du théâtre de l’opprimé d’Augusto Boal et nous l’utilisons à la fois comme une technique supplémentaire et préparatoire pour le théâtre forum. La technique du théâtre-image utilise le corps humain comme lieu de la représentation expressive d’émotions, d’idées et de relations (Alkistis, 2008, p. 59). Ce processus vise l’exploration personnelle et collective d’un sujet, des histoires personnelles pénétrantes que nous avons créées à partir de notre environnement social et nous-même. Il aide à révéler des préoccupations plus profondes. Les images qui en résultent peuvent être comparées, interprétées, animées et enrichies par des gestes, des objets, des sons et des phrases courtes. Cette technique permet la création d’une « communauté théâtrale » avec un « langage commun » (Govas & Zoniou, 2011, 14). « Les mots expriment quelque chose de commun à tout le monde et, en même temps, quelque chose de personnel pour chaque individu. L’image est une façon de faire comprendre une même chose à tout le monde… les mots cachent parfois davantage de choses qu’ils n’en révèlent. Les images peuvent cacher des choses aussi, mais si vous combinez des images et des mots alors vous aurez une compréhension plus profonde de ce que les gens ressentent et ce qu’ils veulent dire. » (Boal, 1998, 2). Durant l’atelier théâtre forum, nous avons inclus des exercices tels que : le sculpteur et la sculpture ; illustrer un problème avec mon corps ; illustrer un problème avec le corps des autres ; images immobiles ; images dynamiques ; images multiples d’oppression et images de groupe (Boal, 1992, 174-217). Une fois que les images étaient construites, nous avancions vers une description et une observation objective et générale des détails par le public, puis à l’interprétation : qui sommes-nous, où sommes-nous, que faisons-nous ? L’analyse théorique qui suit prend en compte les interprétations des spectateurs et des gens qui ont créé les images. La vie quotidienne des femmes africaines dans la société grecque est représentée en images. Les images peuvent être réalistes, allégoriques, surréalistes, symboliques ou métaphoriques, mais vraies, telles que le sculpteur-protagoniste les a ressenties. Les images qui apparurent durant l’atelier soulignaient brièvement la vie quotidienne de femmes dans le domaine du travail (statut illégal, exploitation ouvrière, insécurité, intimidation), leur contact avec les autochtone, quelques problèmes institutionnels auxquels les immigrés font face, la paperasse, problèmes de la vie quotidienne et oppression sociale. Le corps comme produit de relations de pouvoir ou « Faites attention, le bois vient d’Afrique » Le pouvoir commence à chaque petite activité du corps, dans chaque institution du corps politique (Foucault, 1989). Le penseur français approchait le corps comme une construction des discours de pouvoir à chaque période historique.
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Une femme africaine travaille comme femme de ménage dans une maison. La maitresse de maison lui a fait nettoyer le sol en bois à la main avec un morceau de tissu à la place d’une serpillère. Tandis que l’africaine nettoie le sol, la maitresse de maison s’exclame : « Faites attention, le bois vient d’Afrique. »
L’image fut particulièrement choquante pour les participants. Ira, une participante grecque, fit la remarque:
« le bois vient d’Afrique, a été traité avec grand soin et a été joliment emballé. Lauretta, qui vient également d’Afrique, ne compte pas. Cette image est drole mais inacceptable ».
Le corps est transformé en un objet historique, dont la compréhension repose sur le cadre d’idées et de circonstances d’une société particulière. Une critique des bases biologiques, « objectives » du corps humain conduit à une « histoire politique du corps » où « le pouvoir disciplinaire existe jusqu’au point qui permet non seulement de contrôler et enfermer le corps, mais aussi le rendre productif pour la société elle-même. » (Foucault, 1989, p. 11). Le point problématique pour la reproduction de relations autoritaires est le contrôle sur les corps. Dimitra, une participante grecque, fut impressionnée par
« l’obscénité de nettoyer avec ses mains… l’obsession, l’absurdité ».
Dans ce contexte, «une politique de coercitions est instituée, qui implique le traitement du corps, la manipulation calculée de ses éléments, ses mouvements, son comportement» (Synott, 1993, p. 232). Le corps est partout et il n’est pas neutre. Il a clairement un côté politique. Interactions entre corps ou « A la queue au supermarché » Les relations sociales sont enregistrées dans le corps, mais cela ne veut pas dire qu’un corps peut être « lu » séparément du reste de l’entité humaine. Au contraire, certaines des expressions du corps n’apparaissent que lorsque des corps interagissent entre eux, c’està-dire, par les relations établies entre différents actionnaires (Goffman, 2006). Goffman s’intéresse à la façon dont le corps affecte le type et l’issue des interactions sociales dans la vie quotidienne.
Dans un supermarché une femme africaine portant plusieurs sacs de courses reçoit des regards critiques d’une femme grecque qui fait la queue. 67
Guidé par le principe de visibilité, le corps est placé au centre des techniques de lecture, de contrôle et de surveillance. Le contrôle impitoyable exercé par l’œil humain déclenche inévitablement des processus d’observation, d’enregistrement, d’évaluation et de catégorisation de la surface externe de l’autre. Le regard n’est pas neutre mais est chargé de jugements moraux et de critique. Le regard ne peut pas exister à l’extérieur du sujet et de ses fonctions mentales, ni ne peut être compris en dehors d’un contexte social (Goffman, 2006). Nous voyons les autres et les autres nous voient, processus au cours duquel les informations émanant de notre corps s’échangent. Dans la vie quotidienne, les visages et le comportement sont exposés aux yeux des autres. Comme l’a dit Click, qui a joué le rôle du sculpteur : « Je faisais des courses pour les gens pour qui je travaille. Ils étaient surpris qu’une femme africaine puisse porter autant de sacs ». Pour Goffman, la personne incarnée n’est pas indépendante mais est sujette aux restrictions et à la stigmatisation sociale. Le regard envahissant, persistant et approuvant est un idiome culturel qui interprète l’interaction des attitudes personnelles et les relations sociales. Expérience physique ou « la bouche scellée » La phénoménologie du corps éclairée par les dimensions subjectives, directes et personnelles du corps humain comme un élément qui forme des relations sociales (Alexias, 2003). Le corps, selon Merleau-Ponty, n’est pas un objet mais une condition et un contexte à travers lequel chaque personne vit, rassemble expériences et savoir, comprend et accepte les informations du monde extérieur et les interprète. L’individu se place dans le monde par le biais du corps. La réalité est présentée comme un produit plutôt que quelque chose de pré existant (Merleau-Ponty, 2004).
Une vieille femme grecque est soignée par une femme africaine. Tandis que les deux marchent sur le trottoir et que l’africaine aide son employeuse, cette dernière commence à faire des commentaires en passant devant une autre femme africaine. Lorsqu’elle présenta l’image au groupe, la femme africaine a choisi de mettre un autocollant sur sa bouche. Csordas fait une distinction entre le corps et la personnification. Il appelle le premier une « entité biologique, matérielle » tandis que le second est « en revanche, un champ méthodologique indéterminé défini par l’expérience perceptuelle et le mode de présence et d’engagement dans le monde » (Csordas, 1994, p. 12). Cette distinction entre le corps et la personnification montre les façons dont les deux sont compris et exposés, selon interprétation. Les façons dont nous présentons nos corps ne sont définies ni arbitrairement ni biologiquement, mais formées culturellement (Csordas, 1993, p. 140). Lea, une participante grecque, commenta l’attitude de la femme africaine : « c’est comme si elle voulait réagir mais elle ne pouvait pas, comme si c’était au-dessus de ses forces. » En plaçant l’autocollant sur sa bouche, l’africaine fait une déclaration physique. Elle veut parler mais ne peut pas car elle réalise qu’elle pourrait perdre son travail. Lors d’une discussion ultérieure, Awa (l’africaine qui présenta l’image) dit,
« Je me demande comment la vieille dame peut parler ainsi quand c’est une africaine qui prend soin d’elle ! » Le corps est le moyen d’être dans le monde, la façon dont on expérimente la réalité, la 68
façon dont on appartient à ce monde (Merleau-Ponty, 2004). Monica, une participante africaine, commenta l’image :
« Bien qu’elle ne puisse pas marcher sans aide, elle a de l’argent. Elle a du pouvoir entre les mains. »
Selon Foucault, il y a des pouvoirs – multiples, divers et historiques – qui constituent le phénomène d’autorité. Le pouvoir est considéré comme une grille, qui finalement façonne à la fois ses agents et ses objets (Foucault, 1989). L’oppression incarnée comme pratique sociale, ou « J’ai mes sacs » Apprendre esthétiquement, déclare Boal, implique de comprendre à la fois avec nos corps et nos esprits. Le travail de Boal a comme première préoccupation l’oppression, qu’il considère comme fondamentalement injuste. L’oppression, déclare-t-il, est incarnée ; on en fait l’expérience pas seulement intellectuellement, mais aussi physiquement et émotionnellement. Donc la lutte pour venir à bout de l’oppression implique obligatoirement un engagement avec le physique et le personnifié (Boal, 2006). La théorie et la méthodologie de Boal semblent être alignées sur le concept d’habitus de Pierre Bourdieu, qui fait référence aux systèmes de dispositions réglées qui reflètent nos histoires individuelles et collectives, et les structures dans lesquelles nous sommes impliqués. Il se peut que nous ne soyons pas normalement conscients de l’habitus, mais Bourdieu déclare que nous pouvons en devenir conscients grâce à la réflexion consciente (Bourdieu, 2002). Ces dispositions inconscientes, normalisées et personnifiées sont à la base de la reproduction sociale des inégalités telles que celles basées sur la race, la classe et le genre.
Dans le bus, une femme grecque place ses sacs de course sur un siège vide à côté d’elle quand une africaine s’approche du siège. Avant que l’africaine n’ait pu dire un mot, la femme grecque s’exclame : « Vous ne pouvez pas vous asseoir là, j’ai mes sacs. »
A la fois le geste de la femme grecque envers l’africaine et la non-réaction de cette dernière sont des pratiques personnifiées qui devraient être examinées dans les conditions historiques et sociales spécifiques de leur production. Bourdieu a analysé les inégalités sociales en termes de quatre types différents de « capital ». Les niveaux dans la hiérarchie sociale incluent : le capital économique (argent, richesse, pauvreté) ; le capital culturel (éducation, connaissance des arts et haute culture) ; le capital symbolique (présentation de soi, types de comportement) ; et capital incorporé (forme du corps, beauté, façons de parler, façons de marcher) (Bourdieu, 1986). La femme africaine a un statut qui inclut tous types de capitaux: immigrée, pauvre, d’une civilisation primitive ; et un « aspect physique » qui est trapu avec des vêtements bon marché. L’habitus des femmes grecques et africaines montre qu’elles viennent de classes sociales différentes, même si elles tendent à agir de façons similaires. L’importance de la production du capital incorporé est le fait que le style de vie des personnes de classes sociales différentes a été « incorporé ». Dans ce contexte, les différences sociales sont incarnées et deviennent des différences « naturelles » qui sont identifiées à tort comme telles. Il devient évident en soi et inconsciemment naturel pour les gens de se com69
porter et de « supporter » leurs corps selon leur classe sociale. Ainsi, un espace de « corps de classe » est formé qui reproduit la structure de la société (Bourdieu, 2006). L’habitus est l’histoire personnelle de quelqu’un écrite dans son corps. En exposant l’habitus des individus et en essayant de le transgresser si besoin, Boal vise à stopper le cycle de reproduction sociale. En traitant les images comme métaphoriques plutôt que réalistes, le théâtre-image les laisse ouvertes à la transformation par les acteurs-participants, qui ont l’occasion d’expérimenter et ensuite le choix de « transgresser » leurs limitations (Bourdieu, 2006).
Conclusion Basé sur l’idée qu’« une image vaut mille mots » (Boal, 2002, p. 174), le théâtre-image permet aux participants d’utiliser leurs corps pour créer collectivement des images statiques de groupe qui représentent leurs histoires. A travers un processus interactif, on discute de moyens alternatifs pour changer les relations de pouvoir. Le processus de l’expérience conduit à la réflexion et cela déclenche des propositions de solutions, qui sont testées en dernier lieu par de nouvelles images et débouche sur de nouvelles expériences et de nouvelles actions possibles. Sécrété dans notre mémoire corporelle, l’apprentissage devient plus tangible. Se souvenir de ces moments personnifiés les rend plus disponibles pour une exploration future plus profonde (Boemi, 2012). « Toute la méthode du théâtre de l’opprimé, et en particulier la série de théâtre-image, est basée sur le miroir multiple du regard des autres –un nombre de personnes regarde la même image, et offre leurs ressentis, ce que ça évoque pour eux, ce que leur imagination fait surgir autour de cette image. Cette réflexion multiple révélera à la personne qui a créé cette image ses aspects cachés. C’est au protagoniste (le créateur de l’image) de comprendre et ressentir ce qu’il veut ou ce qu’il est capable de prendre de ce processus » (Boal, 2002, p. 175). L’image est un langage incorporé qui émerge de nos interactions avec/dans le monde. Les participants créent des images de leurs expériences, ils nous donnent une idée de leur réalité et étendent leurs perspectives par le biais d’un « dialogue visuel » qui est formé par toutes les images qu’ils se sont partagés. Cela permet aux gens de comprendre la réalité dans laquelle ils vivent et la construction sociale de leurs corps. Dimitra, une des participantes grecques, dit :
« Vous voyez la vérité de l’autre dans une image. Vous n’êtes pas guidés. On peut voir les deux côtés. Je veux quelque chose et tu veux autre chose. »
Les significations sociales sont inscrites dans nos corps. Durant la construction des images, ces significations sont réécrites par ceux qui les « portent » et les « expérimentent ». Hawa, une participante africaine, dit : « Nos corps envoient des messages qui peuvent être lus par d’autres, et compris par d’autres. » A cet égard, les corps peuvent être lus comme des éléments qui articulent des problèmes d’expérience sociale. A travers le théâtre, les participants peuvent jouer une représentation publique en tant qu’immigrés, que femmes, qu’ouvriers, afin de se situer dans la société et de répondre socialement. Ils ne se sont pas transformés en quelqu’un d’autre, ni ne prennent un rôle social différent. Ils jouent qui ils sont, découvrant des extensions possibles de leur être, où l’oppression personnifiée devient le changement personnifié.
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2. Unis nous nous épanouissons La carte d’atelier est une technique d’évaluation visuelle. Il s’agit d’une variation imaginée par l’équipe d’Osmosis (Zoniou, 2012) d’un exercice bien connu intitulé « cartes de vie » (Govas, 2009, pp. 138-139), également utilisé dans les cours. C’est une représentation picturale de la vie de quelqu’un, une autobiographie enregistrant les épisodes significatifs, qui utilise images et symboles pour représenter évènements et objectifs. Dans les cartes d’ateliers, les participants et les formateurs utilisent des symboles, des dessins, des mots, de courtes phrases, etc. pour dessiner l’itinéraire et l’expérience de l’atelier. Chaque dessin individuel requiert environ 15 à 20 min. Ensuite chaque participant parle de son dessin et les autres peuvent poser des questions. L’idée derrière l’utilisation de cette technique se trouve dans le paradigme d’évaluation qualitative, qui nous a inspiré. En conséquence, les chercheurs sont autorisés à évaluer les résultats d’un cours en se basant sur les narrations personnelles des expériences des participants. Les cartes d’ateliers offrirent beaucoup de données utiles. Dans cette partie nous essayons de les catégoriser et les analyser. En utilisant la Méthode de la Théorie Ancrée, ce qui signifie que nous laissons les catégories d’analyse dériver d’une analyse ouverte des données, nous en sommes arrivés aux catégories suivantes : • La performativité • Accroître la conscience de soi • Transformation individuelle vers transformation collective/sociale • Prise de pouvoir L’exposé qui suit est divisé en ces catégories. La performativité La performativité est définie comme un outil pour la conscience de soi et la prise de pouvoir, un processus de développement personnel et collectif qui conduit à l’intervention sociale et au changement. Hawa, de la Sierra Leone, décrivit sa carte de vie en ces termes :
« Ici je commence avec le théâtre, avec toute la souffrance quotidienne, avec la fatigue, c’est pourquoi je suis grise ici. Là ce sont les autres femmes du groupe et je suis parmi elles en gris. Petit à petit je commence à être plus élevée émotionnellement, j’ai commencé à voir du sens dans le théâtre, et j’ai commencé à en tirer quelque chose, à devenir satisfaite, à m’épanouir. J’ai commencé avec 3 fruits. Nous allons de mieux en mieux, même si nous avons des difficultés dans nos vies, avec la loi et tout. Je me vois m’épanouir. J’ai laissé le gris derrière. Beaucoup d’entre nous s’épanouissent, plus de fruits poussent, 5-6-8, nous apprenons des choses. » Selon Boal, chaque être humain peut faire du théâtre, puisque le théâtre est un moyen d’expression naturel : 71
« le théâtre de l’opprimé est du théâtre dans son application la plus archaïque du terme. Dans cet usage, tous les êtres humains, sont des acteurs (ils agissent !) et des spectateurs (ils observent !) » (Boal, 1992). La performativité est une qualité humaine inhérente qui permet à un individu de s’observer en action. De cette façon, le spectateur agissant, le spect-acteur, n’est pas transformé en quelqu’un d’autre, ne joue pas un rôle social différent, mais plutôt se joue en découvrant ses potentialités. Le théâtre de l’opprimé déclare que vous êtes, pas que vous faites. Il n’offre pas quelque chose d’étranger à votre être. C’est un théâtre qui investit dans l’essence artistique et la créativité de chaque être humain. Se concentrer sur la performativité signifie également un changement de paradigme essentiel dans les sciences humaines et sociales : pluralisme, hybridisme, identités multiples et changeantes, et l’autodétermination potentielle sont le centre d’attention. L’anthropologue de théâtre Richard Schechner suggère que seuls les êtres humains ont la capacité de posséder et exprimer des identités multiples et controverses simultanément. De telles identités multiples, tout comme les multiples personnalités des êtres humains, existent dans une relation dialectique (Schechner, 1985). Cette affirmation fait écho à Boal : «Dans son sens le plus archaïque, le théâtre est la capacité possédée par les êtres humains – et pas par les animaux – de s’observer eux-mêmes en action. Les humains sont capables de se voir dans l’acte de voir, de penser leurs émotions, d’être émus par leurs pensées. Ils peuvent se voir ici et s’imaginer là ; ils peuvent se voir aujourd’hui et s’imaginer demain. C’est pourquoi les humains sont capables d’identifier (eux-mêmes et les autres) et pas seulement reconnaître» (Boal, 1992, xxvi).
Accroître la conscience de soi Click du Zimbabwe dit de sa carte d’atelier :
« Cette carte d’atelier nous a fait réaliser ce que nous traversons, quand, par exemple, nous marchons dans la rue, nous nous asseyons dans le bus, ou nous essayons d’obtenir nos papiers. Nous affrontons toutes ces choses dans nos vies quotidiennes. » Avec le peu de grec qu’elle parle, et sans être consciente du concept, elle est entrée dans un processus de « conscientisation », selon le terme de l’éducateur Paulo Freire (2007), l’accomplissement de la conscience critique de la réalité sociale dans laquelle quelqu’un vit, dans lequel tous les participants furent conduit jusqu’à un certain point. La conscience critique de soi dans un atelier théâtral est obtenue grâce à un contact significatif avec les autres, dont les yeux fonctionnent comme un miroir dynamique dans lequel on peut se réfléchir et réaliser beaucoup de choses à propos de nous-même dont nous n’étions pas conscient auparavant. Fotini, une participante grecque, dit « Les fleurs que j’ai dessinées ici sont les buts qui ont été atteints et ces yeux sont les yeux du groupe. Chaque fois que je venais à l’atelier, je voyais des yeux partout ! C’étaient les yeux des gens que je rencontrais ici. » Sylvia, une autre participante grecque, dit :
« Au début je voyais cet atelier comme une forêt – une forêt où j’irais pour l’explorer. Et dans cette forêt j’ai découvert de petits trésors pour chaque femme du groupe. » Elle expliqua que par le biais de son appartenance au groupe et par le biais des jeux et
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activités que nous pratiquions, elle a découvert des choses sur les autres et fut aidée personnellement.
« Dans les résultats positifs j’ai placé les exercices de construction de confiance que nous avons fait, qui furent très importants pour moi puisqu’ils m’ont aidé à faire confiance aux autres et à me détendre. »
Les expériences des participants les aident à révéler des aspects d’eux-mêmes aux autres ainsi qu’à eux-mêmes. Lauretta, une participante de la Sierra Leone, reflète cela :
« Au cours de l’atelier, vous avez eu l’occasion de penser à votre vie, votre expérience, votre passé, votre futur. Plusieurs images vous viennent à l’esprit au sujet de votre passé, à propos de pourquoi vous êtes ici, de ce que vous voulez faire et ce que vous pouvez réellement faire, pourquoi nous avons découvert ce que nous n’avons pas encore fait, et ce que nous voulons réellement faire. » De la transformation individuelle à la transformation collective/sociale Le théâtre de l’opprimé est le théâtre pour l’opprimé et de l’opprimé, c’est-à-dire les gens qui sentent le besoin de changer et souhaitent le changement. Ceci n’est pas le résultat d’une initiative charitable afin d’aider les opprimés. Le théâtre de l’opprimé ne parle pas des autres, il parle de nous. Le changement accompli –ou qui peut être accompli- au moyen du théâtre de l’opprimé se produit simultanément à la fois aux niveaux individuels et collectifs. Hawa de la Sierrra Leone dit :
« Mes sentiments là maintenant sont négatifs avec ce qui se passe, avec la crise financière qui a tout bloqué. Mais ce que j’ai gagné là, le chemin que j’ai pris, m’a fait m’épanouir, m’a rendu complète, pleine d’espoir, car je peux voir le soleil et ses rayons. » Et elle explique « le soleil, les rayons ici, sont les choses que nous allons montrer aux autres immigrés. A ceux qui sont encore perdus, qui ne savent pas quoi faire, qui se contentent de rester à la maison et pleurer. » Bien que l’équipe commence avec un problème personnel, une histoire personnelle d’oppression, le but n’est pas de trouver des solutions individuelles, mais d’explorer la dimension sociale du problème ; d’indiquer la structure d’oppression et activer la collectivité. Lauretta de la Sierra Leone dit :
« Quand je me trouve à des réunions d’immigrés, je suggère toujours que nous ne nous concentrions pas sur des choses qui nous sont arrivées. Au contraire, nous devrions trouver comment en venir à bout. Il est maintenant temps de montrer aux gens ce théâtre car nous sommes au milieu d’une crise. » Les participants ont exprimé les sentiments créés par l’oppression sociale à laquelle ils sont sujets. Cette expression augmente d’abord la sensation de faire partie d’un groupe. Les gens se sentent plus familier et à l’aise les uns avec les autres. Le groupe est basé sur des sentiments communs qui ont été formés par diverses formes d’oppression. Ainsi, les sentiments deviennent l’action motivante. Ils ne sont pas considérés simplement comme « des 73
pensées sur comment je me sens», mais plutôt comme des pensées liées à des situations sociales. Un sentiment puissant est traduit en action sociale. Les participants vivent dans la même réalité culturelle, ils développent des sentiments similaires qui entretiennent des sphères d’action à la fois individuelles et collectives (Boemi, 2010). Barbara Santos, une facilitatrice brésilienne (joker) du théâtre de l’opprimé, définit l’oppression comme un « déséquilibre de pouvoir ». Elle donne une définition dynamique du terme opprimé, différent du sens de « victime » caractérisé par l’indifférence et la dépression : « l’oppression est créés quand il n’y a pas d’équilibre de pouvoir. Le déséquilibre cause l’injustice. Ceux qui ont le pouvoir essaient de garder les autres impuissants. Mais cette oppression n’est pas égale à la dépression. L’opprimé n’est pas la victime faible de l’oppression. L’opprimé est celui qui est conscient de l’oppression qu’il/elle expérimente. C’est la personne qui ressent à la fois le besoin et la volonté de changer. » (Zoniou, 2010). Selon Brecht, la première condition pour la transformation sociale est de « dé-familiariser » ce qui est supposé par le sens commun (Brecht, 1964). La réalité à travers le théâtre peut être montrée comme étant non familière, de sorte que cela devienne un sujet de critique sociale (Brecht, 1979). La transformation sociale peut être accomplie par le biais de nos actions (Boal, 2000). Hawa a dit :
« Et ce que nous allons montrer au peuple grec afin de leur faire comprendre que le problème n’est pas nous, les immigrés. Nous pouvons tous vivre ensemble en solidarité et harmonie. » Sur sa carte d’atelier, Click a dessiné des scènes des improvisations qui eurent lieu. L’une d’elles représentait une femme étrangère enceinte attendant dans la queue à la mairie pour obtenir les papiers dont elle a besoin pour son permis de séjour. Aucun des employés ne veut l’aider car « elle était étrangère ». Click dit,
« Si les gens grecs voient cette scène il se peut qu’ils la reconnaissent. Je suis passée par toutes ces difficultés, allant là-bas avec les mauvais papiers, sans traductions, et personne ne me prête attention. »
En effet, certains des participants immigrés parlent comme des « opprimés », mais pas comme des victimes. Mariola d’Albanie semblait devenir plus forte grâce à l’équipe et les activités de ceux qui participent dans l’Organisation des Femmes Africaines Unies. En décrivant sa carte de l’atelier, elle dit :
« Cet arbre, ce cerisier, est l’équipe qui a coulé des racines très profondes et je sens que j’ai atteint le point que je voulais atteindre : être capable de créer des relations avec les filles et apprendre des choses. Et parce que j’admire beaucoup ce qu’elles font, j’aimerais être comme cela moi-même, me battre encore plus pour les choses que je veux accomplir, que ce soit la citoyenneté ou autre chose. J’admire vraiment ces femmes. Cela m’aide et j’espère que je serais capable de faire des choses comme elles le font. Voici le soleil, la lumière et nous sommes tous unis. » Sur sa carte d’atelier elle a écrit « Il y a toujours de l’espoir ! Je dois me battre pour cela ! »
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Prise de pouvoir Plusieurs études ont montré que le théâtre de l’opprimé augmente la prise de pouvoir individuelle et collective (Alkistis, 2008). Le but n’est pas de « dissimuler » les contrastes entre les individus qui forment un groupe ou mener l’équipe à la « catharsis » en accomplissant une coexistence harmonieuse. Il n’est pas non plus de partager nos problèmes de la vie quotidienne avec d’autres personnes, ce qui pourrait nous conduire à accepter la situation oppressive telle qu’elle est. Le but est d’atteindre la prise de pouvoir telle que définie par la pédagogie critique. Julian Boal déclare que « Il est trop facile de prétendre être démocratique. Vous créez un espace dans lequel vous laissez parler les gens. Si cet espace aide les gens à parler et ne pas agir, ne pas mettre leurs paroles en action, alors vous avez créé un espace où les gens sont soulagés en s’exprimant en public. Alors vous avez le soulagement au lieu de l’émancipation » (Zoniou, 2010). Hawa de la Sierra Leone a trois enfants et affronte beaucoup de problèmes à cause de la bureaucratie requise pour que la nationalité de ses enfants soit reconnue (bien qu’ils soient tous nés en Grèce). Elle croit qu’à travers le théâtre elle sera capable de parler et agir de façon différente concernant ses problèmes personnels :
« Je vois mes enfants grandir sans avenir. Ils voient leurs parents courir partout avec des papiers afin de les rendre légaux. Les gens comme nous qui attendent légalement, qui sont corrects, finissent par être discriminés par la loi. Que va-t-il arriver à mes enfants ? Seront-ils des immigrés pour le reste de leurs vies ? Je veux parler de cela à travers notre représentation. » Bien que le théâtre de l’opprimé vise à amener un débat sur les problèmes d’injustice sociale, ce débat n’est pas amené par des mots, mais par et pour l’action. Click du Zimbabwe a parlé de la prise de pouvoir qu’elle a eu :
« Cet atelier nous donne la force de parler de nos problèmes. Nous devons faire quelque chose pour y remédier. » Ira, une participante grecque, dit de sa carte d’atelier :
« Le violet c’est moi et cette porte orange est la porte de l’atelier. Et tandis qu’à l’extérieur il y a des fléchettes grises qui pointent vers 75
vous, une fois que vous passez cette porte nous nous épanouissons tous ensemble, chacun séparément, mais nous sommes unis pour former une belle grande fleur. » La promotion de la coopération et de la communication dans l’atelier théâtral créé une sensation de solidarité et aussi un contact entre les gens qui est plus direct que d’habitude. Fotini, une participante grecque, commença l’atelier à contrecœur, ne sachant pas ce qu’elle allait affronter :
« au début il y a un bateau, parce que je m’étais préparée à voir l’atelier comme un voyage, et ici il y a une enveloppe fermée parce que je ne savais pas ce que j’allais rencontrer. Là je souris. Ce sont quelques obstacles que j’ai rencontrés au cours des sessions. » Par la suite, au travers de jeux et d’activités, on développa la sécurité et la confiance, permettant la création d’une atmosphère amicale et sans danger, et une sensation de camaraderie. Fotini dit :
« Les locaux de l’Union des Femmes Africaines est une cabane ensoleillée dans un arbre. Ici il y a les mains de nous tous, le bienvenue. Voici les cadeaux que j’ai reçu : ce qui a été créé parmi nous, le lien du groupe, l’interaction sociale, le théâtreimage qui est toujours très créatif, ce que quelqu’un veut dire avec son corps. J’aime cela et ça m’intéresse, tout cela s’est très bien passé, cela signifie que l’arbre a fleuri. » Quand la participante africaine Hawa demanda :
« Pourquoi as-tu mis l’Union des Femmes Africaines en haut d’un arbre ? », tout le monde a rigolé. Mais Fotini répondit sérieusement : Parce que ça (la cabane dans l’arbre) c’est quelque chose que j’aime vraiment. C’est un abri, vous êtes au calme, vous pouvez vous reposer dans une cabane dans les arbres loin des mauvaises personnes. » Tout en décrivant son progrès lors d’un atelier de théâtre forum, Lea, une participante grecque, dit :
« Ensemble nous avons réussi à aller à un arbre, qui est l’objectif. L’objectif est la représentation mais aussi l’expérience que j’ai gagnée de cet atelier. Ce fut la première fois que je touchais au théâtre et à d’autres cultures, et j’ai rencontré des femmes d’autres pays. Le soleil que j’ai dessiné ici était pour moi, quelque chose qui nous a aidées à surmonter les obstacles et nous a donné la force de continuer. A travers ce que j’ai expérimenté, j’ai appris qu’être unis et ne pas fonctionner seulement en tant qu’individu crée la force, bien que je ne pensais pas comme cela avant l’atelier. »
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3. La représentation de théâtre forum Au cours des ateliers qui eurent lieu dans les deux projets pilotes, beaucoup d’histoires de vies des participants remontèrent en utilisant différentes techniques narratives, visuelles et performatives, qui avaient trait à des expériences de pertes, d’oppression, d’injustice et d’adaptation dans différents contextes. A la fin, des éléments d’histoires, jugés des plus importants par les participants, furent combinés en une représentation avec un titre emprunté à une campagne anti raciste promue par l’Organisation des Femmes Africaines : « Non au racisme dès le berceau ». Certaines histoires vraies du groupe étaient :
Une histoire à propos d’un refus d’allocation logement : un employé rejette le dossier d’un immigré pour des allocations logement, bien que cet individu soit un résident légal et serait normalement en droit de les avoir. Toutefois, la loi n’est pas claire et l’employé déclare, « Et comment je sais que vous n’allez pas prendre l’argent et repartir dans votre pays ? » L’histoire d’une longue amitié entre des adolescents grecs et immigrés qui se rendent compte qu’ils vont être séparés car la loi les traite différemment. L’histoire d’une étudiante immigrée, qui veut partir étudier en tant qu’Erasmus en Espagne avec ses amis. Elle perd beaucoup de temps avec la bureaucratie grecque et découvre finalement qu’elle doit retourner dans son pays d’origine pour y recevoir un visa. Pour composer la représentation finale, le groupe de participants réfléchit de manière critique à leurs buts. A travers l’improvisation, la discussion et les répétitions, le but principal du groupe fut formulé ainsi : « Pour montrer le problème aux autres grecs et en même temps, donner du pouvoir à d’autres femmes immigrées afin qu’elles nous soutiennent et nous rejoignent. Egalement leur permettre de comprendre qu’il peut y avoir une solution » Les participants, ayant réfléchi à la réalité dans laquelle ils vivent, sur les raisons de leurs problèmes, sur comment est créée l’injustice, et comment leur comportement peut être effectif en traitant cela, veulent maintenant partager le savoir qu’ils ont acquis pendant l’atelier avec le reste de la société. Dans la représentation finale, les rôles des femmes immigrées furent pris par les participantes grecques et vice versa. Tout d’abord, cet échange de rôles permit aux acteurs de prendre le rôle de l’autre et faire l’expérience de l’empathie. Deuxièmement, le groupe pensait que les membres grecs de l’assistance, après avoir expérimenté la vue paradoxale d’une femme africaine jouant le rôle d’un agent administratif grec, réfléchirait de manière critique sur comment un tel comportement malpoli est perçu par les immigrés, et également comment un immigré grec se sentirait s’il était traité de la sorte dans un pays étranger. Comme Brecht discuta dans son travail (1964), à travers l’effet V (l’effet d’aliénation brechtien), les gens sont plus rapidement menés à la réflexion critique.
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Description de la représentation de théâtre forum Deux jeunes femmes, une étudiante du nom d’Aisha Camara de la Sierra Leone et son amie grecque Katerina, qui sont proches depuis l’enfance, se trouvent devant le secrétariat de la faculté de leur université, lisant les annonces pour le programme Erasmus. Elles décident de participer et vont au secrétariat pour remplir les dossiers nécessaires. Toutefois, l’employé ne sait pas comment gérer le cas d’Aisha ; bien qu’elle soit née en Grèce, elle n’a pas encore la citoyenneté grecque et attend également que son permis de séjour soit renouvelé. Les filles considèrent cela comme injuste et essaient de trouver une solution. Mais le renouvellement d’un permis de séjour peut prendre un an et pendant ce temps les citoyens immigrés ne peuvent voyager nulle part sauf vers leur pays d’origine. Elles vont chez la mère d’Aisha, qui est émue par la détermination de sa fille de poursuivre ses études et va au conseil de la ville d’Athènes pour essayer d’accélérer le renouvellement du permis de séjour. Là elle est confrontée au racisme, à l’indifférence et à un manque de professionnalisme des employés. Elle se sent comme une victime impuissante, tout comme les autres immigrés dans la file d’attente. Elle se sent également insultée par des propositions d’obtenir illégalement le permis par de soi-disant « experts », moyennant une taxe. Ces scènes illuminent non seulement les problèmes des immigrés mais également les conditions de travail difficiles des employés – les réglementations changent tout le temps, le personnel et leurs salaires sont réduits. Finalement, la mère revient vers les filles et leur dit qu’elle ne peut résoudre le problème. Les filles sont en colère car elles ressentent l’injustice du traitement et elles sont déterminées à agir. Mais quelle est la bonne action ? C’est là que l’assistance arrive. Plus d’une centaine de personnes assistèrent à la représentation du 27 Mai 2012, dans un théâtre du centre d’Athènes – des gens des alentours et des groupes et communautés d’immigrés, des activistes grecs pour les droits de l’homme, des universitaires, des politiciens et des amis et la famille des acteurs. Cette première représentation dura environ 20min. Puis il y eut une discussion dirigée par les jokers sur à quel point la présentation du problème concernant les opprimés et les oppresseurs était réaliste. Puis il y eut une seconde représentation, durant laquelle l’assistance intervint. Certaines des solutions qui furent proposées furent testées par les «spectacteurs ». Certaines suggestions individuelles furent : changer l’attitude envers (ou des) les autorités; ne pas se conduire comme un perdant, mais être préparé à réclamer ses droits, à la fois verbalement et non-verbalement ; et être accompagné d’un avocat. Plusieurs façons différentes furent testées, allant de la diplomatie à l’agressivité, et l’on discuta de leur effectivité potentielle. D’autres suggestions furent plus collectives. Au lieu d’agir comme individus, les jeunes femmes devraient faire appel à l’union des étudiants. L’union agirait, en collectant les informations nécessaires, en impliquant les autorités de l’université, en écrivant des lettres aux autorités de l’immigration, etc. Une suggestion similaire serait de faire appel aux organisations d’immigrés ou aux ONG, qui offrent des conseils légaux et du soutien gratuitement. D’autres interventions concernaient la fille grecque, par rapport à ce qu’elle pourrait faire 78
de plus pour soutenir son amie. Il y eut également des suggestions en ce qui concerne rendre les employés plus conscients des effets de leur comportement et augmenter leur empathie pour les immigrés. Une discussion continua pendant au moins une heure et demie entre des immigrés de différents pays d’origine. Ils parlèrent en public pour la première fois et jouèrent sur scène. Des grecs qui, pour la première fois, jouèrent le rôle d’un immigré, réalisèrent que ce n’est pas aussi facile qu’ils le croyaient de gérer des attitudes racistes communes. Des politiciens et des employés travaillant dans des bureaux d’immigrations dans des municipalités offrirent leur savoir légal et pratique, en proposant des méthodes pour faire face à leurs collègues racistes. Les solutions proposées par les spect-acteurs offrirent de nouvelles idées à la fois aux participants et aux membres de l’assistance concernant les problèmes qu’affrontent les immigrés au quotidien. Les grecs aussi doivent faire face au multiculturalisme et aux conditions économiques difficiles. De nouvelles connaissances, aptitudes et attitudes furent acquises alors que les participants essayaient de trouver des moyens réciproques d’en finir avec cette réalité. La liminalité – la situation marginale, la « communitas » (Turner, 1982) dans laquelle les participants, à la fois grecs et immigrés, ont senti qu’ils vivaient avant l’atelier et la représentation théâtrale, fut remplacée ce soir-là par une reconstruction fictive de la réalité par des artistes opprimés en tant que communauté théâtrale (Boal, 1995). A travers le théâtre forum, les interprètes sont devenus des acteurs publics, de vrais citoyens de cette société, acquérant une nouvelle force pour changer leur destinée et celles des autres.
Conclusions En conclusion nous pouvons dire que les résultats par rapport aux participants des projets pilotes dirigés par Osmosis et l’université du Péloponnèse furent : • Augmenter la connaissance des lois, des droits et des institutions • Enrichir la connaissance culturelle, augmenter la sensibilité interculturelle et changer des vues mondiales ethnocentriques • Construire des relations de confiance parmi les membres du groupe multi culturel et développer une compréhension empathique des peurs, des limites, des rythmes, des émotions, des images et des idéaux des autres. Devenir plus ouvert et flexible. • Développer des compétences interpersonnelles et coopératives par le biais de la création d’un projet collectif. Renforcer le travail d’équipe et la solidarité.
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• Présenter aux participants l’utilisation du langage corporel et le corps comme moyen d’expression • Stimuler l’intelligence émotionnelle. Activer l’imagination et la créativité. • Construire la conscience de soi, l’estime de soi et la confiance • Gérer des histoires personnelles et des expériences de perte, choc culturel et adaptation • Encourager la participation dans la prise de décision • Développer des compétences artistiques et théâtrales ainsi que la performativité. En ce qui concerne la société grecque, le résultat abordait le problème sensible de la coexistence multiculturelle et le processus d’adaptation interculturelle avec un public de différentes origines sociales à travers les représentations de théâtre forum. Finalement, un résultat concret important du projet fut la création d’un groupe divers permanent de théâtre qui continue à donner de telles représentations15. 15
Références
Pour plus de détails sur l’utilisation de cette technique voir chapitre « Ressources »
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2.3. SORTIR DE L’ISOLEMENT SOCIAL, INTERVENTION BASEE SUR LE THEATRE AVEC DES MIGRANTS EN HONGRIE D’après l’étude de Kata Horváth, Fondation Artemisszió « Le théâtre appliqué forme un soi-disant troisième espace, où l’interaction et la convergence deviennent possibles. C’est un lieu où les souvenirs et le savoir tacite sont transformés en une forme verbale avec dialogue et conceptualisation. Dans ce processus, le savoir devient partagé et explicite. » (Mehto, 2008, in Suvi, 2011) NOM DE L’ATELIER : « Stations » Ateliers de théâtre forum pour migrants PROPOSÉ PAR : Fondation Artemisszió DATES : De septembre à décembre 2011 BRANCHE ARTISTIQUE PRINCIPALE : Théâtre forum
Résumé Le but de ce rapport d’étude de cas est de montrer comment une intervention basée sur l’art dramatique peut influencer la vie des migrants dans leur société d’adoption hongroise en leur donnant l’espace et les outils pour articuler et reformuler leurs expériences sociales et leurs identités. Les expériences d’isolement social seront au cœur de cette étude, de la même façon que leur transformation dans l’espace du théâtre appliqué. Basé sur les découvertes de la recherche qualitative conjointe – l’observation du participant et les entretiens –, ce rapport affirme que le théâtre appliqué peut facilement diminuer l’isolement social des nouveaux migrants en améliorant leurs compétences et aptitudes sociales, en augmentant leur esprit critique et leur réflexion personnelle, en les aidant à se construire des réseaux sociaux et à créer des contacts, cela en facilitant l’articulation de leurs expériences et en les confortant dans leur ambition de représenter les identités migrantes.
1. Le contexte du programme : Isolement des migrants dans la société hongroise Les personnes ne parlant pas hongrois et les immigrés « racialisés » arrivant en Hongrie doivent faire face à une société extrêmement fermée et ethniquement homogène (les Roms sont la seule minorité visible du pays), chaque jour, la xénophobie, les préjugés anti-immigrés, les lois strictes et compliquées en termes d’immigration, la bureaucratie incompréhensible : une société hostile avec des autorités hostiles. Selon des sondages d’opinion locaux et internationaux, le niveau de xénophobie est l’un des plus élevés en Europe : plus de 50% de la population rejettent les nouveaux-arrivants. L’opinion anti-immigrés des Hongrois n’est pas basée sur des expériences négatives avec les étrangers (seule une minorité d’autochtones sont en contact avec les immigrés), mais sur des modèles culturels traditionnels. Cette attitude négative envers les étrangers n’a pas changé au fil des 20 dernières années, à cause du manque concernant une politique d’intégration plus large en raison de l’absence d’institutions nationales et de programmes d’intégration de longue durée. Comme conséquence de cette situation, les immigrés continuent à être discriminés, enfermés dans leurs propres communautés ethniques : il y a un peu de communication avec les autochtones mais elle est superficielle et il n’y a pas la moindre activité commune. 82
2. Vue d’ensemble du programme But général Le but global du projet « Stations » était de construire un programme pilote éducatif basé sur le théâtre pour les nouveaux migrants en Hongrie qui peut leur donner des outils pour articuler et reformuler leurs expériences sociales et leur identité afin de faciliter leur inclusion et leur participation dans la société.
Idée L’idée derrière cet objectif est que les ateliers de théâtre appliqué et de drame pourraient donner des outils efficaces pour surmonter l’isolement social en développant les talents artistiques et sociaux des participants (plus particulièrement leur créativité), en augmentant la conscience critique et également en créant des liens sociaux.
Contenus Le projet visait à s’attaquer à l’isolement social, à partir de l’expérience personnelle des participants. Les critères jugés importants pour notre compréhension de ces phénomènes comprenaient à la fois les circonstances émotionnelles des individus et les structures sociales existantes. Un autre aspect important était le développement de solutions nouvelles et satisfaisantes pour gérer l’altérité lorsqu’on la rencontre dans un contexte préjudiciable et dédaigneux.
Objectifs Afin de faciliter l’intégration sociale des participants, le programme de drame/théâtre était conçu pour atteindre des objectifs dans 4 domaines différents mais interconnectés : - Développer les talents et compétences personnels : Différentes formes de jeux et exercices théâtraux facilitent le développement des aptitudes psycho-sociales, améliorent les talents et compétences personnels. - Accroître la conscience critique et la réflexion personnelle - Créer de nouveaux contacts et réseaux sociaux : Tout d’abord, le programme était destiné à contribuer au processus de création d’un groupe et d’une communauté comme base pour l’expression culturelle et le développement de l’identité. La joie de s’amuser et jouer pendant les ateliers de drame et le but commun de créer et présenter une performance théâtrale pour un public plus large pourraient servir ce but. - Articuler les expériences du migrant et représenter ses identités. La structure intégrale du programme et chaque activité du processus théâtral (à la fois les activités théâtrales et les performances finales de théâtre forum) ont été inspirées par ces objectifs.
Cadre méthodologique Méthodologiquement, le programme reposait principalement sur le « théâtre de l’opprimé » développé par Augusto Boal, particulièrement dans son concept de « théâtre forum » (voir la description de la méthode dans l’article précédent, « Unis, nous nous épanouissons avec le pouvoir du théâtre »).
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Le processus dramatique Le processus dramatique dans son intégralité – depuis les présentations et l’apprentissage des jeux jusqu’à la représentation du théâtre forum dans la salle de spectacle du théâtre – sert les objectifs pointés ci-dessus. Bien sûr, à différents moments du processus, différents aspects de ces objectifs ont émergé. Trois différentes formes de travail dramatique se sont succédé : des ateliers dramatiques, des répétitions théâtrales et enfin, la représentation du théâtre forum.
Construction de groupe et exercices d’échauffement basés sur les techniques de Boal et celles de la pédagogie théâtrale. Durant ces jeux, l’attention est portée sur la construction de la confiance et de l’assurance, la perception du corps et l’expression. Ces exercices cherchent à améliorer le mouvement et la spontanéité, ce qui permet aux participants de s’amuser, de sortir de leur carapace, d’oublier les préoccupations quotidiennes et de développer un sens plus aiguisé de leur corps et de leurs gestes.
Jeux pour l’empathie et la confiance Le but de ces jeux (voir « les séries aveugles » et « le miroir ») est que les participants développent progressivement une compréhension empathique des peurs des autres, de leurs peurs, leurs limites, leurs rythmes, leurs émotions, leurs image, leurs idéaux, mais avant tout la capacité à se détendre, à communiquer et à trouver une harmonie avec les autres.
Statues vivantes et improvisation
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Exploration dramatique des expériences de tout le monde Les expériences quotidiennes des participants ont été représentées sur scène sous forme d’images ou de scènes courtes utilisant les méthodes scéniques de la pédagogie théâtrale. Les participants devaient travailler sur quatre questions différentes. Tout d’abord, on leur a demandé d’accomplir une performance individuelle d’une longue scène de deux minutes sur un moment important de leur week-end précédent. Ensuite, après avoir collecté des mots sur un papier autour des questions « chez soi » et « Hongrie », ils ont créé des scènes en utilisant quelques mots choisis. Enfin, l’exercice était de préparer une image statistique sur la situation de l’oppression et une autre sur une rencontre interculturelle ou conflictuelle. Des études improvisées de ces exercices seraient utilisées plus tard en tant que base des scènes du théâtre forum.
Scènes du théâtre forum Les thèmes clés et les problèmes rencontrés par les immigrés sur une base de « jour pour jour » sont traités dans les scènes du théâtre forum. Le travail de répétition a suscité une exploration en profondeur ainsi que l’évolution des personnages impliqués et de leur comportement. Ils sont ouverts à la discussion et au fait de faire une représentation commune avec les spectateurs.
L’histoire de la pièce jouée Une histoire non linéaire d’un trajet de bus décomposé en petits épisodes qui interrompent la journée. L’image du bus revient encore et encore : le spectateur pouvait avoir l’impression que cette journée ne s’arrêterait jamais, et que ces onze passagers ne quitteraient jamais le bus dans l’espace-temps (des épisodes sur l’expérience de la dictature dans le pays d’origine pouvait être le début de la journée dans le passé). Il n’y a pas de lien simple et évident entre les petites histoires de chacune des stations. Les rapports qui les relient relevant beaucoup de l’association d’idées. Pour cette raison, le public ne peut pas savoir avec certitude quel épisode représente les rêves des passagers, leurs souvenirs, ou leurs expériences quotidiennes, ni leurs angoisses concernant une situation à venir. Certains d’entre eux semblent plus réalistes que les autres, certains présentent des situations d’injustice et d’oppression, certains cherchent à représenter des sentiments ambigus du fait d’être un étranger. La représentation est en réalité l’enchaînement de ces histoires de cinq minutes qui sont reliées entre elles comme les différentes stations d’un même voyage.
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3. L’expérience des participants / Changer les expériences d’isolement social dans trois histoires personnelles « C’est [l’atelier théâtral] une très bonne façon de garder des étrangers dans le pays car le hongrois est très difficile à apprendre, et si vous ne comprenez pas le hongrois, si vous ne pouvez pas le parler, alors au lieu de rester vivre en Hongrie comme vous le souhaitiez, vous en repartez automatiquement. Vous ferez des sorties uniquement avec des personnes de votre pays qui parlent votre langue maternelle. Et ce ne serait pas bien car vous vivez dans un pays sans y vivre vraiment. Mais cela aide beaucoup les migrants, je veux dire chaque étranger ici, pour apprendre la dynamique du pays. A présent, j’ai plus de liens avec les Hongrois ». (Darab, un participant) « Quand vous dites ou montrez quelque chose de personnel dans un jeu ou lors d’une improvisation, et que vous savez que les autres personnes expérimentent la même chose, cela vous rend moins seul. Il y a de bons moments. » (Wulan, un participant) Après la contextualisation et la vue d’ensemble du programme, ce chapitre traitera des expériences changeantes et des récits identitaires des participants migrants. La question générale qu’on s’est posée c’est de savoir comment ils construisent leur identité en tant que migrants en Hongrie et quel serait l’impact de l’atelier théâtre sur ces processus de construction identitaire. Le phénomène de l’isolement sera au centre de notre exploration. Dans les interviews comme dans les improvisations théâtrales, le caractère central de cette question est devenu visible. Nous considérons l’ « isolement » comme étant une expérience sociale transformable et comme un état psychologique, et nous examinons les façons dont les interventions basées sur le théâtre pourraient aider les gens à sortir de l’isolement social. Les histoires personnelles des deux participants mentionnés ci-dessus seront l’objet de notre analyse. L’approche biographique et phénoménologique de l’étude peut donner un aperçu des phénomènes multi facettes de l’isolement social et des expériences diverses, des sentiments et du sens qui y est lié. Darab et Wulan (pseudonymes), les protagonistes de ces études de cas, ont participé à l’atelier théâtre du début à la fin. Tout comme chaque membre du groupe, ils ont eu des entretiens au début du processus, leurs activités ont été suivies tout au long des ateliers et ils ont également été choisis pour des entretiens de suivi à la fin de ces ateliers. Ils ont des origines et des histoires de migration très différentes : Darab est un réfugié politique d’Iran ; Wulan a vécu à Budapest avec sa famille pendant 2 ans, elle est la fille de l’ambassadeur indonésien. Même s’il se présente de différentes façons, l’isolement social reste une problématique centrale pour chacun d’entre eux. Dans la vie de Darab, l’isolement signifie d’abord le mal du pays, c’est la distance et la séparation de son pays et sa famille. L’expérience d’isolement de Wulan est liée à son identité transnationale et au fait qu’elle est toujours en déplacement. Elle a beaucoup de mal à rencontrer des gens et se faire des amis chaque fois qu’elle déménage dans un nouvel endroit. Les participants ont mentionné également ces expériences dans les entretiens préliminaires mais leur signification devint plus évidente dans les improvisations théâtrales au cours de l’atelier théâtre. Dans les entretiens de suivi, nous leur avons demandé d’interpréter ces improvisations et de les relier à leurs expériences de vie personnelles. 86
Impacts et effets du programme sur les participants Le processus d’analyse basé sur l’observation des participants, les entretiens de suivi et les auto-évaluations des participants ont permis d’identifier un certain impact concret du processus dramatique sur ces derniers : • Expérimenter un sentiment d’unité et établir des relations • Expérimenter une contre-réalité positive • Approfondir des compétences sociales individuelles et l’autoréflexivité • Développer la conscience critique/sociale notamment sur la question de l’immigration et les situations quotidiennes d’oppression et de discrimination. • Déployer le potentiel pour l’action • Augmenter leur désir d’exprimer leurs propres expériences • Acquérir plus de connaissance sur le drame, le théâtre et notamment le théâtre forum
Darab : « J’ai réalisé que je devais changer ma voie » Au début d processus dramatique, nous avons connu Darab comme un jeune homme silencieux et introverti qui parlait rarement. Il était très aimable avec tout le monde et a participé activement à tous les jeux, mais il était absent, distant et réservé. Il avait également des difficultés à créer des liens avec les autres. Il était arrivé dans le groupe avec son ami iranien, un danseur professionnel bien plus extraverti que lui et qui parlait souvent pour les deux. A ce moment-là, Darab était très déprimé en raison de l’instabilité de sa situation en Hongrie, et essayait de faire face au fait qu’il n’allait pas voir sa famille dans un futur proche.
« Ces choses-là pesaient lourdement sur mon esprit, jour et nuit, expliquait-il dans l’entretien. Je pensais toujours à eux. Mais c’était un labyrinthe et je n’arrivais pas à trouver comment en sortir. Je ne pouvais trouver rien de rassurant, et j’ai dû me rendre compte que je ne pouvais pas résoudre cette situation. Je pouvais seulement attendre. Concrètement, la seule chose que je pouvais faire, c’était de ne pas devenir fou. » • Expérimenter une contre-réalité positive
« Je partagerai mon temps avec les autres, je ne penserai pas à ces choses-là, je m’occuperai avec autre chose ». Ainsi, pour Darab, le projet théâtral constituait une contre-réalité qui pouvait lui permettre de sortir de sa coquille, de s’amuser, d’oublier pour quelques instants ses préoccupations et doutes quotidiens concernant sa situation. J’ai senti que je pouvais me détendre un peu et faire confiance aux gens, dit-il, car je suis personnellement quelqu’un de très pessimiste, mais j’ai appris que je devais faire plus confiance aux gens (…) Avant, j’étais très réservé. Mais voir d’autres gens, les voir à l’aise autour de cette méthode, m’a poussé à être plus ouvert ». L’atelier théâtre a donné à Darab l’opportunité de ne pas sombrer dans ses pensées nostalgiques et de ne pas se perdre dans le monde de ses rêves, mais d’apprendre à exprimer, à vivre et à partager avec les autres ses sensibilités profondes.
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• Augmenter le désir d’exprimer ses expériences Le théâtre-image, le roman de Darab et les exercices d’improvisation Dans une séquence d’exercices, on a demandé aux participants de « modeler » et « sculpter » leurs propres corps en des représentations individuelles d’une situation ou d’une émotion particulière. Dès que ces représentations individuelles étaient développées, les participants pouvaient entrer dans le groupe et reformer les images créées en interaction avec celles des autres. La philosophie de cet exercice, initialement développé par Augusto Boal, est que « le corps est la méthode d’expression première et primaire, et par l’utilisation du corps plutôt que du discours, les « blocages » et « filtres » habituels de la pensée peuvent être évités ». En suivant ces exercices, il a été demandé aux participants d’écrire un court texte sur une situation de tous les jours qui les avait affectés d’une manière ou d’une autre. Darab a écrit un roman émouvant et puissant à la troisième personne sur une journée dans le train, pleine d’anxiété, de mal du pays et de nostalgie. Une partie de ce roman parle de son éloignement de sa famille :
« (…) Puis, secouant la tête pour se débarrasser de tout ce qui était dans son esprit, il essaya de se rappeler leurs visages. Ce n’était pas quelque chose de très compliqué à faire pour un homme vivant loin de sa famille. Il commença par la plus jeune, sa sœur, son unique sœur, sa merveilleuse petite sœur de 7 ans. Se rappelant sa paire de beaux yeux, ses cheveux lisses noir corbeau, son doux sourire, son cœur commença à battre. Il était toujours là pour elle, un appui, un soutien, un très bon frère dont elle avait besoin. Il se rappela le jour où il emmena sa jeune, si jeune, sœur à l’école ou au parc près de l’école, et la divertit avec ses poupées. Le jour où ils iraient s’asseoir, tous ensemble, à côté du pont sur la rivière et regarder les oiseaux migrants qui s’envolent au loin, et leur mère les serrant dans ses bras, ce qui le gênait. La mère ; c’était le sujet auquel il ne voulait pas du tout penser. Ses joues étaient déjà mouillées et il ne voulait pas voir plus de choses qu’il souhaitait ne pas avoir manquées durant toutes ces années. Il ne voulait pas en voir plus mais plus il essayait, plus il se souvenait de son père avec son visage lumineux et doux, sa moustache courte et ses cheveux gris bien hydratés. Il ne voulait plus se rappeler de souvenir, pas un seul aperçu. Pas dans cette cabine, nu, pas maintenant. Il voulait juste voir leurs visages familiers et les serrer dans ses bras. » Lors d’une session ultérieure, il a été demandé aux participants de créer (individuellement) une longue scène théâtrale d’une minute sur un moment émotionnellement important de leur vraie vie. Dans la scène courte de Darab, il est en train de se regarder dans un miroir et de sonder son propre visage. Il dit uniquement une phrase à son reflet : « Tu ne peux pas partir » et il quitte la pièce. Dans l’entretien de suivi, il a interprété son rôle comme une histoire sur sur « la douleur, la nostalgie et le mal du pays » :
« Beaucoup de gens ont différentes habitudes. Moi, quand je me regarde dans le miroir ou quand je vois mon reflet dans une glace, je commence à parler et je dis des choses auxquelles je n’ai pas envie de penser. Je commence à parler : « Tu sais, c’est une situation difficile, tu ne peux pas retourner dans ton pays ni voir ta famille »”. Voilà ce qu’était ma petite performance » Plus tard, lors de la représentation, Darab était le protagoniste dans la scène du théâtre forum. Il a joué le rôle d’un réfugié du Zimbabwe qui postulait pour un emploi. Le personnage (son origine, genre, âge et histoire d’immigration) a été construit par le groupe durant 88
l’une des sessions en se servant de la technique du « rôle sur le mur » (“role on the wall”). Comme Darab a montré qu’il était un écrivain talentueux, les facilitateurs lui ont demandé d’écrire à lui seul le monologue du prologue pour le personnage. Darab a écrit un texte poétique qui a été apprécié par la compagnie lors des répétitions et, également, par le public lors de la représentation. Heureux moment de la journée, Messires et gentes Dames ! Ceci est mon premier Noël en Hongrie, Le moment où j’ai le plus besoin d’argent. A Magyarországon, je suis un réfugié Une fois, on m’appela Tommy, A l’origine, je viens du Zimbabwe, J’ai même étudié l’ingénierie en Italie, Je n’ai jamais voulu quitter mon pays, Pour des raisons politiques, je me retrouve en Hongrie, A présent, après un an ici à Budapesten, J’ai enfin obtenu toute permission, J’ai même appris le rude langage de cette nation, Et ai bien entendu rempli bien des demandes. Mais en raison de mon teint ou de mon visage, Je n’ai pu obtenir un travail en aucun cas. De Tommy à Tamás, j’ai même changé mon nom, Et croyez-moi, cela me fait tellement mal. Messires et gentes Dames, je parle trop, Mais pour m’éviter les ennuis, Cher public, souhaite-moi bonne chance • Acquérir plus de connaissance sur le drame, le théâtre (et notamment le théâtre forum) D’après Darab, l’objectif principal du projet était de présenter les problèmes des migrants au public d’une part, et d’autre part, de réunir les gens et de les rapprocher les uns des autres. Il est convaincu que la création d’une pièce de théâtre démontrerait qu’elle est une manière efficace d’atteindre ces deux objectifs « Avec la représentation, on sent qu’on a un objectif. Sans la représentation, les gens qui viennent croiraient que c’est pour faire la connaissance les uns des autres ou juste pour s’amuser ensemble. Mais si vous y mettez la représentation, vous obtiendrez les deux. Les gens viendront, passeront du temps ensemble et mettront de l’énergie dans quelque chose de créatif, tout à la fois. L’idée même d’avoir la représentation aide vraiment. » • Développer des relations Durant la phase finale du processus, Darab, bien qu’étant un maigre jeune homme à voix douce, est devenu une figure centrale dans le groupe. Il est également devenu le petit ami de Sylvia, une participante scandinave vivant et travaillant en Hongrie depuis des années et parlant le hongrois couramment. Cette relation joue un rôle important dans la vie actuelle de Darab, au-delà du cadre du programme de l’intervention : « J’ai trouvé Sylvia. C’est la chose la plus importante que je puisse dire. Plus importante que l’issue de ma demande d’asile ».
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Impact du programme “Stations” Méthodologies d’in- Les principales interventions de Darsur les participants tervention promou- ab et son interprétation de celles-ci vant l’effet voulu Expérimenter un sentiment d’unité et établir des relations
Jeux dramatiques « Le jeu de l’arbre et du vent était un But commun moment fou mais c’est le moment où j’ai (représentation) compris que ces gens sont égaux dans le Activités de plein air groupe, peu importe le genre, la couleur, la nationalité… »
Expérimenter une contre-réalité positive
Je partageais mon temps avec les autres, je ne pensais pas à ces choses-là, j’étais occupé à autre chose.
Développer les aptitudes sociales de l’individu et sa réflexion personnelle
Moi personnellement, je suis quelqu’un de très pessimiste, mais j’ai appris que je devrais faire plus confiance aux gens.
Développer un sens critique et une conscience sociale notamment sur les questions de l’immigration et les situations quotidiennes d’oppression et de discrimination.
Les techniques du théâtre de l’opprimé
Développer le potentiel pour l’action
Techniques du théâtre Et je me suis rendu compte que ce n’est de l’opprimé pas seulement pour moi que je devrais parler, mais également en faveur des autres.
Développer le souhait d’exprimer leurs propres expériences
Théâtre d’image Ses romans écrits après les exercices de Le rôle principal du théâtre image refugié Zimbabwéen Son improvisation de la « Scène de miroir » dans la pièce Son monologue lors de la représentation au théâtre forum
Acquérir plus de connaissances sur le Répétitions de la drame, le théâtre et notamment le théâpièce. tre forum. Discussion sur le théâtre forum Wulan : « Dans dix ans, je dirai fièrement que j’ai pris part à une petite production dans un endroit quelque part en Europe, c’est mémorable ! » • Expérimenter un sentiment d’unité et établir des relations Le plus important pour Wulan est que le programme lui a permis de sortir de son isolement social. Quand elle a rejoint le projet, sa principale difficulté était un sentiment permanent de solitude dans un pays dont elle ne parle pas la langue et dont elle n’a « aucune idée de la façon avec laquelle les gens se rencontrent ». Depuis le début, ses attentes concernant le programme théâtral était de faire de nouvelles connaissances et d’établir des relations avec d’autres étrangers vivant en Hongrie et peut-être aussi avec des Hongrois. 90
« Vera formait cette sorte de communauté pour aider les étrangers à se rassembler et à créer des liens entre eux pour qu’ils ne se sentent pas seuls ici. Parce que, vous savez, certaines personnes qui arrivent seules ici n’ont pas beaucoup d’amis. Je pense que grâce à ce programme, les gens peuvent venir, se faire des connaissances et sentir qu’ils ne sont pas seul dans ce pays. Cela aide, cela aide beaucoup. » Au fur et à mesure du processus, pas à pas, le groupe est devenu un groupe de soutien. Appartenir à cette communauté a changé le cours de la vie quotidienne de Wulan. Selon elle, les ateliers théâtre et l’idée même de la représentation théâtrale est un excellent outil pour développer cette petite communauté. Elle est consciente du rôle du drame et du théâtre dans le projet :
« Je pense que c’est pour le développement personnel et pour la formation d’une communauté. Si c’était ça le but, alors, ça a marché. Mais s’ils voulaient vraiment une grande production, un cadre parfait, je pense qu’ils ont échoué. Car nous n’avons pas eu assez de temps pour la préparer. » • Approfondir ses compétences sociales individuelles et son autoréflexivité L’adaptation personnelle de Wulan était bien plus une acceptation sans condition de l’opinion et des volontés des autres, ce qui était lié à sa timidité et à son incertitude. Ces dernières l’ont également séparée des autres. Dans le cas de Wulan, il était évident que sa confiance en elle-même et son estime d’elle-même seraient améliorés durant le processus. Différents éléments du programme servaient ce but. Dans les entretiens de suivi, Wulan identifie certains moments de l’atelier qui l’ont aidée à gagner en confiance : il s’agit des moments où elle s’est rendu compte qu’elle n’était pas seule à vivre ses expériences, ainsi que les retours positifs des leaders du groupe et des participants au sujet de ses actions et initiatives. Le fait que ses trois scènes d’improvisation principales aient été choisies par les leaders pour être jouées lors de la représentation l’a rendu vraiment fière et a renforcé sa confiance en elle-même au sein du groupe. La scène du bus est devenue un élément constituant de la représentation théâtrale était à l’origine une improvisation de Wulan : Lors de sa longue scène d’une minute, elle reste assise dans le bus pendant des heures. Son voyage est très long et ennuyeux. Parfois, elle regarde par la fenêtre, parfois elle observe les autres passagers, parfois, elle est juste lassée et regarde incessamment l’heure sur sa montre. Finalement, le bus arrive et Wulan en sort. On peut voir qu’elle est ravie de finir cette journée et ce voyage, enfin, et d’atterrir quelque part mais il ignore où elle est. Lors de la discussion autour de cette scène, Wulan a insisté sur le fait que l’improvisation a repris un épisode récent de sa vie, quand elle avait suivi son père lors d’un voyage en Croatie. Mais les autres participants ont soutenu que ce voyage dans le bus avait des significations très symboliques.
« Je me suis aperçue à ce moment-là que ce que je montre peut aussi être important pour d’autres gens. Cela m’a rendu très heureuse et, en même temps, cela a fait que j’ai commencé à réfléchir sur ce bus : le mien est-il différent de celui des autres et comment en diffère-t-il? »
• Développer le sens critique et la conscience sociale notamment sur les questions de l’immigration Le travail sur la question du chez soi, duv mal du pays et de l’immigration à travers différentes techniques théâtrales avec le groupe, a donné à Wulan l’opportunité d’en apprendre 91
sur « l’autre visage » de l’immigration, sur les situations et histoires personnelles où l’immigration n’est pas liée à un choix délibéré ou aux identités transnationales, mais à des contraintes économiques et/ou politiques.
« La représentation essayait de montrer que les gens qui émigrent n’ont pas forcément la vie facile. J’ai apprisque ça a été facile pour moi et maintenant je me rends compte que ce n’est pas toujours facile pour tout le monde. Emigrer d’un lieu à un autre est très difficile. Et cela me fait penser que ce monde doit rendre les choses plus simples pour les gens qui émigrent d’un endroit à un autre. Car cela a été facile pour moi étant donné que mon père travaille à l’ambassade. La mise en scène montre que ce n’est pas facile pour les autres personnes qui ne bénéficient pas d’une aide. C’est pour cela que nous avons trouvé l’idée des papiers. » Impact du programme « Stations » sur les participants
Méthodologies d’intervention promouvant l’effet voulu
1. Expérimenter un sentiment d’unité et établir des relations
Travail de groupe - Et je me suis jointe au groupe, J’ai vu Techniques de d’autres gens qui sont comme moi, je me construction de suis sentie heureuse groupe (jeux drama- Et il s’est avéré que nous sommes de tiques) si bons amis maintenant, et nous allons Activités en plein air ensemble dans des bars, voir des concerts ensemble, et nous faisons des soirées chez Pierre - Vera a construit cette sorte de communauté pour aider les étrangers à se regrouper et se mettre en relation les uns les autres, donc ils ne se sentent pas seuls dans cet endroit.
2. Développer les aptitudes sociales de l’individu et sa réflexion personnelle
Les principales interventions de Wulan et son interprétation de celles-ci
Je suis plus confiante maintenant que je connais plus de gens ici maintenant. Avant j’étais très recluse quand les gens me disaient « Allons à ce bar, allons y jeter un œil ». J’étais très timide.
3. Aiguiser l’esprit critique / la Migrer d’un endroit à un autre est très conscience sociale particulièrement au Improvisation sur une difficile. situation au bureau J’ai appris que pour moi ça avait été très sujet de la problématique de l’immide l’Immigration gration et les situations quotidiennes facile et maintenant je vois que ce n’est Scène théâtrale basée d’oppression et discrimination pas toujours facile pour tout le monde. sur cette improvisation Discussions en groupe sur l’immigration Moments formels et informels à se racon92
ter des histoires 4. Développer le potentiel pour l’action Techniques du théâtre de l’opprimé 5. Développer le souhait d’exprimer leurs propres expériences
Théâtre d’image Le rôle principal du refugié Zimbabwéen dans la pièce
Cela me fait penser que ce monde a besoin de rendre plus facile d’aller d’un endroit à un autre pour tout un chacun. C’était chouette que je donne une idée qui s’est ensuite développée en quelque chose de plus grand que ça devait l’être. Cela me rend fière qu’elle soit venue de moi. C’est suffisamment important pour la mettre dans la représentation.
Epilogue Trois mois après la représentation de « Stations », le groupe a décidé de continuer à travailler ensemble, à rejouer la pièce et à créer leur propre structure en tant que théâtre amateur de migrants. A la première réunion ils ont créé une définition d’eux-mêmes et ont établi des buts et objectifs communs clairs. Après la réunion ils résument la mission de leur groupe comme suit: « Notre groupe, et l’idée de notre groupe, est unique, grâce aux gens et aussi à cause de la diversité des cultures que nous représentons. D’ailleurs, nous sommes des gens charmants qui adorent se retrouver. Nous nous sentons acceptés les uns par les autres et nous avons l’espace pour exprimer qui on est. Nous nous donnons un espace d’apprentissage et de détente. Nous aimons jouer, pratiquer le théâtre. Nous sommes capables de créer du bon théâtre de valeur. Nous avons le souhait de devenir visible et montrer ce que nous avons créé. Nous voudrions générer un impact chez les gens et enclencher la conversation. Nous voudrions faire des représentations interactives. Nous voudrions élargir l’horizon du peuple hongrois et produire un certain effet. Nous sommes prêts à prendre l’engagement que nous voulons faire partie du groupe et nous travaillerons ensemble sur l’objectif que nous nous sommes fixé. »
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Références AHO, Suvi, Drama based methods, in urban setting, Helsinki, 2011. ALTMANN, Peter & WRENTSCHUR, Michael, Enhancing cultural awareness and empowerment in multicultural life (Prise de conscience et habilitation dans le multiculturel), http://www.akatemia.org/eca/articles/ opressed.html JUHÁSZ, Attila, Anti-Immigrant Prejudice in Central and Eastern Europehttp://www.riskandforecast.com/ post/in-depth-analysis/anti-immigrant-prejudice-in-central-and-eastern-europe_581.html BOAL, Augusto, Games For Actors and NonActors, traduit par Adrian Jackson, Routledge, London, 2002. Theatre of the Oppressed, London: PlutoPress, 2000. BOEMI, Naya & ZONIOU, Christina,Between and betwixt: theatricalspace and reality http://www.ariadne4art.eu/000_stv_user_files/site_uploaded/6/Own%20articles/ARTICLE%2004%20 Osmosis.pdf “Free Mind - Forum TheatrewithUnderagedUnaccompaniedAsylumSeekers“ http://www.akatemia.org/eca/downloads/mind.pdf KIROVA, Anna, Social Isolation, Loneliness and Immigrant Students’ Search for Belongingness: FromHelpness to Helfullness, Toronto, Ontario, Canada, 2001. SCHUTZMAN, Mady & COHEN--CRUZ, Jan (Ed.), PlayingBoal. Theatre,Therapy, Activism, London & New York, 1995 (1994). SÍK, Endre - SIMONOVICS, Bori, Abena, Sára, Chen és Ali, esélyei Magyarországon. Migránsesélyekéstapasztalatok www.tarki.hu/hu/research/migrans/tarki_eia_tanulmanyok_2011.pdf TAYLOR, Philip, Afterthought: EvaluatingAppliedTheatre, Le chercheur en théâtre appliqué, ISSN 14431726 N° 3, 2002 Article No.6
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2.4. BIOGRAPHIES DE VOTRE TERRITOIRE : ATELIER D’INTÉGRATION ARTISTIQUE À TRAVERS LES BIOGRAPHIES SITUÉES Marián López Fdz. Cao, Université Complutense de Madrid NOM DE L’ATELIER : Biographies de votre territoire Proposé par l’Université Complutense de Madrid GROUPE DE RECHERCHE 941035 : Applications artistiques POUR L’INTÉGRATION SOCIALE : art, thérapie et intégration DATES : Février-Mars, 2012 PRINCIPALE BRANCHE ARTISTIQUE : Arts plastiques
Résumé Cet article traite de l’expérience menée avec un groupe de femmes migrantes à Madrid durant deux semaines intensives en Février et en Mars 2012, pendant quatre heures par jour. La méthodologie utilisée pour l’atelier était basée sur la prise de pouvoir et d’autonomie (« empowerment ») des femmes à travers l’exemple de femmes artistes, en centrant le travail sur des aspects relatifs à l’identité, les processus d’acculturation et la création de réseaux sociaux. Les travaux des femmes artistes ont servi de motivation, de ressource et d’élément d’empathie et avaient pour but de déclencher chez les participantes un processus d’analyse personnel de leur situation, le renforcement de leurs capacités et de les aider à reconstruire leur projet de vie.
Les cadres du projet pilote Objectifs Nous avons d’abord réalisé une recherche de documentation théorique qui nous fournirait l’assurance de base solide à partir de laquelle nous pourrions mener à bien le projet de développement humain à travers l’art avec des personnes migrantes. Ces fondations sont basées sur l’attachement et l’espace de sécurité que l’endroit de création fournit, et aussi sur l’imagination située comme ressource que nous possédons pour imaginer le changement. Nous avons décidé de fixer nous-mêmes comme buts certains des concepts que nous avons rencontrés lors d’expériences précédentes et qui ont été confirmés par les recherches menées.
1. Les objectifs que nous voulions maitriser avaient un rapport avec: 1.1. L’incertitude et l’anxiété La formatrice interculturelle Vera Várhegyi (2011) souligne qu’un nouvel environnement est, par définition, indéchiffrable, et pas complètement prévisible. Si les changements de vie sont remplis de facteurs de stress potentiels, la distance culturelle ajoute de la détresse. C’est pourquoi les aspects émotionnels sont un problème central dans la littérature sur l’adaptation interculturelle. Le concept d’incertitude, dans le sens utilisé par Gudykunst, est particulièrement pertinent dans les moments de changements social et personnel, et le processus créatif peut aider à développer les capacités qui, non seulement aident les individus à tolérer l’incertitude, mais 95
qui les aident aussi à tirer profit de cette tolérance. Dans l’acte créatif, la feuille de papier blanche est un défi à notre capacité à se confronter à la nouveauté, puisqu’elle ouvre vers une variété multiple de décisions possibles. Si nous pouvons accepter le défi de faire face au vide, de ne pas avoir une réponse immédiate et précise, de rester dans le doute, en acceptant que les décisions que nous prenons tout au long de notre parcours sont temporaires et non durables, mais qu’elles peuvent aussi changer notre destin, nous pouvons devenir des êtres qui reconnaissent le changement et l’incertitude comme des axes fondamentaux de notre évolution, et ce changement ne provoquera pas en nous l’angoisse de ne pas contrôler notre propre destinée. Dessiner c’est savoir que chaque ligne modifie le précédent et que chaque trait change ceux déjà fait. Dessiner implique de prendre le risque de l’échec et de devoir recommencer. Supporter l’anxiété du chaos créatif et s’habituer à l’incertitude sont des qualités qui peuvent s’étendre à un mode différent d’agissements dans la vie au sens large.
1.2. Résilience, stress et vulnérabilité La résilience fait référence à la capacité à faire face aux difficultés et à la résistance au traumatisme et à l’adaptabilité (Sayed-Ahmad Beirutí, 2010). C’est la capacité à maintenir un processus de croissance et de développement qui est normal et assez sain malgré les conditions de vie défavorables. C’est un concept de physique, où la « correspond à l’élasticité d’un matériel, sa propension à résister à la casse par collision. La résilience implique la conjonction de sentiment et de courage pour faire face convenablement aux difficultés aux niveaux personnel et interpersonnel. Selon Cyrulnic, c’est « la capacité d’une personne ou d’un groupe à bien développer, à continuer de se projeter dans le future malgré des évènements déstabilisants, des conditions de vie difficiles et parfois des traumatismes sévères. »16 (Cyrulnic, 2003, quoted in Sayed-Ahmad Beiruti, 2010, p.274). Les facteurs de protection ou de détermination en dépit des traumatismes, violences et pertes sont des variables qui agissent pour réduire le risque d’exclusion psychosociale. Ces variables sont des forces internes et externes qui contribuent à aider la personne ou le groupe à résister ou à réduire les facteurs de risques de déstabilisation personnelle ou sociale. Sayed-Ahmad Beirutí (2010) les souligne : 1. La satisfaction des besoins émotionnels, qui aident le sujet à construire des relations avec l’environnement naturel et humain, et du besoin d’appartenir à un réseau social, établissant des liens émotionnels, familiaux et sociaux stables et de bonne qualité. 2. La satisfaction du besoin de communiquer. 3. L’acceptation, la considération et la reconnaissance, de la part de l’environnement humain presque significatif, qui fournit au sujet un espace à lui, où il se sent accepté et important et où il peut commencer à accepter les autres. 4. La satisfaction des demandes sociales, le besoin de se sentir faire partie d’une communauté, de développer un sentiment d’appartenance. 5. Communication. Grâce à la communication, les individus reçoivent toutes les informations indispensables pour les situer dans leur propre histoire et dans leurs propres contextes social et culturel. 6. La participation active dans les structures sociales. Le processus créatif rouvre, ou peut rouvrir, un espace pour l’attachement. En cela, au moyen d’un espace potentiel, protégé par un animateur qui met en place le lien de confiance totale et qui est là « pour l’autre », le sujet peut commencer (à travers une « harmonisation affective », une « communion », une « sécurité et confiance » et les « moments de rencontre» que nous avons déjà défini plus haut) un « nouveau départ », une histoire créative qui donnera du sens à sa vie. 96
1.3. Perte, chagrin Pleurer est souvent compris comme un large éventail de processus psychologique et psychosocial qui prend place après la perte d’un être cher ou la perte de quelque chose d’abstrait (la terre natale, des objets, des paysages, etc.) auquel l’individu était vraiment lié. La privation amène un processus de réorganisation de la personnalité et d’adaptation à la nouvelle réalité. Le chagrin migratoire implique de maintenir et redévelopper des liens avec les objets perdus, et aussi d’adopter et de développer de nouveaux liens avec la société d’accueil (Sayed-Ahmad Beirutí, 2010, p. 270). L’un des désordres rapportés est le « syndrome d’Ulysse » dans lequel une personne ne peut pas mener une vie normal et se cramponne symboliquement à une vie qu’il a perdu et qu’il ne pourra pas retrouver. Dans le chagrin migratoire, ce n’est pas seulement un objet qui est perdu ; la privation est multiple et concerne des personnes et des choses abstraites. Le migrant perd sa famille et ses amis, un pays et ses paysages, etc. Tout ce chagrin exige du sujet un processus de deuil accompagné par des émotions intensifiées et ambivalentes (ibid., p. 271). C’est un double chagrin: pour la perte (de statut social, de projet de vie, etc.) et pour la séparation (avec la famille, les amis, etc.). L’élaboration d’un deuil « va permettre d’intégrer distinctivement les deux pays, les deux temps, l’ancien groupe et le groupe actuel, ce qui va mener à la réorganisation et à la consolidation du sentiment d’identité, qui va correspondre à quelqu’un qui reste le même malgré les changements et les modelages » 17 (Grinberg & Grinberg, 1984, in Sayed-Ahmad Beiruti, 2010, p. 273). A travers les thérapies narratives, le processus créatif permet l’élaboration d’un deuil. Dans ces thérapies, la personne, au moyen d’une mémoire élaborée, restitue sa vie passée et donne du sens (ou essaie de trouver un sens) à la nouvelle situation, en essayant de donner une continuité à son existence. Le traumatisme déchire la personne, entrave le projet et bloque l’action. La construction de nouvelles histoires tente de débloquer le projet, en donnant un sens aux évènements ou, au moins, en essayant de le soutenir, en l’insérant dans la nouvelle vie dans laquelle la personne doit laisser sa marque. 16 -17
[Note du traducteur:] La traduction a été faite à partir d’un texte en espagnol. Il est donc possible que la citation ne soit pas complètement fidèle à la version originale en anglais.
1.4. Dissonance et déception. Tolérance à la frustration Par rapport au chagrin, l’un des aspects que nous aurions aimé continuer à travailler était le chagrin à propos de ses propres attentes : concernant le nouvel endroit, ses personnes, concernant soi-même lorsqu’une personne voit que ses capacités et ses possibilités ne se développent pas comme il l’avait prévu, ou lorsqu’une personne observe que les capacités grâce auxquelles elle avait été appréciées dans un temps et dans un autre territoire ne sont pas appréciées ou pris en compte dans le pays d’accueil. L’activité artistique est une excellente métaphore pour la déception : le résultat ne correspond jamais aux attentes, la main ne répond pas à l’idée, le pinceau n’exécute pas la volonté, l’eau coule trop vite, ou le papier absorbe la gradation tonal que nous avions voulu. Faire face à notre travail c’est aussi, d’une certaine manière, faire face à nos limites : les accepter, les adopter et vivre avec.
1.5. Se sentir être « quelqu’un » de nouveau Comme Várhegyi (2011) indique, commentant le Young Yun Kim (2005),
« Le conflit d’identité se dévoile dans la désintégration qui est suivi par la réorganisa97
tion et le renouvellement de soi. Le processus inclut l’intégration de « changements dans les modèles habituels des réponses cognitives, affectives et comportemen -tales » qui entrainent l’augmentation d’une « forme fonctionnelle » avec le nouvel environnement et peut mener au développement d’une « identité culturelle ». C’est une condition où « l’identité culturelle originale commence à perdre sa particularité et sa rigidité pendant qu’une définition du soi élargie et plus flexible émerg » (Kim, 2005, p. 391). Une fois cette étape acquise, l’individu atteint une « conscience de soi et une identité propre renforcées » et s’engage dans une « recherche continue d’authenticité de soi et des autres à travers les limites du groupe » (Kim, p. 392). 1.6. La reconstruction des réseaux de soutien L’art, dans ses différentes variétés, mais plus spécialement à travers la danse, la musique et le théâtre, contribue à la communication interpersonnelle et à la construction de la confiance et de la responsabilité collective avec les autres. Le groupe est créé tout au long du processus dans lequel tous ses membres participent à la création. Imperceptiblement, l’action de création favorise la relation collective et affaiblit les précautions imposées par la pensée logique. Le processus de co-création nous somme de dissoudre les barrières dressées contre l’autre. C’est donc un instrument précieux dans la reconstruction des réseaux sociaux et humains lorsque ceux-ci ont été perdus ou lorsqu’ils n’ont pas encore été trouvés dans le nouveau contexte.
1.7. Prise de pouvoir et d’autonomie - empowerment La responsabilisation fait référence au processus par lequel les individus, les groupes, les organisations et les communautés développent un sentiment de contrôle sur leur vie, pour agir efficacement dans l’arène publique, accéder aux ressources et promouvoir les changements dans leurs contextes habituels. La responsabilisation est le processus par lequel les personnes gagnent un plus grand contrôle sur les décisions et les actions qui affectent leur santé. Il a trois dimensions : l’individuel ou personnel, l’organisationnel et le collectif. L’éducation pour la responsabilisation requiert de prendre sérieusement en considération les forces, les expériences, les stratégies et les buts des membres d’un groupe de minorités ethniques. Cela implique aussi d’aider ces groupes à analyser et à comprendre la structure sociale, et à développer les capacités nécessaires pour réussir à atteindre leurs buts. La responsabilisation améliore l’estime de soi du sujet, son développement personnel, sa dignité ou sa conscience de soi. La perspective de la responsabilisation cherche à stimuler la participation individuelle (comme citoyens) et la participation collective (comme des mouvements ou des réseaux sociaux actifs). L’art, à propos du maniement de techniques toujours plus raffinées, permet le développement d’un sentiment d’« être capable » et fournit aussi un sentiment de satisfaction et de bien-être lorsque le travail est terminé. L’art communautaire permet le partage d’un sentiment de contrôle partagé, d’achèvement d’un but commun et peut être utile à cette fin.
2. L’expérience Avec toutes ces bases théoriques et méthodologiques, plusieurs ateliers pilotes ont été conçus avec pour but de mettre en pratique ce que nous avions développé et établi à partir 98
de la théorie. Nous avons donné à l’ensemble de ces ateliers un nom générique: « se sentir chez soi » (en anglais « Feeling at home »).
2.1. BIOGRAPHIES DE VOTRE TERRITOIRE. L’art-thérapie avec un groupe de femmes du Centre hispano-marocain (en espagnol, « Centro HispanoMarroquí »), Communauté de Madrid a. Contextualisation Cet atelier a eu lieu la dernière semaine de Février et la première semaine de Mars 2012. Il était organisé de la manière suivante : quatre heures par jour, débutant à 10h et finissant à 14h. Dans le Centre, l’endroit était utilisé pour de multiples activités. Pendant les deux semaines où nous l’avons occupé (une période entre deux trimestres), le lieu était vide le matin, donc nous en avons profité pour programmer un atelier intensif. L’endroit était clair, bien éclairé bien qu’un peu froid dans les premières heures de l’hiver. L’endroit a été disposé en fonction des besoins créatifs des femmes mais toujours en gardant à l’esprit la mission d’encourager la communication et de préserver l’intimité du participant qui en avait besoin. b. Mise en place du processus créatif Le processus de création a rapidement été mis en place. Les longues sessions ont rapidement semblées très courtes et il y a même eu un manque de temps pour finir certains travaux. La durée de la session a amené un rythme lent, travaillant avec attention, délicatesse et avec engagement. Grâce à la durée étendue de l’atelier, nous avons pu prendre notre temps et les travaux ont acquis une force esthétique considérable. Le temps, essentiel au processus créatif, a changé l’espace et les individus, qui au début ne se connaissaient pas, sont devenus un groupe où les préoccupations et les peurs ont émergé mais aussi un enthousiasme pour la vie et la volonté de grandir et de se développer. c. Objectifs Les objectifs précis, au-delà de ceux généraux que nous avons exposés au début, étaient ajustés à la demande des femmes elles-mêmes. Ces objectifs étaient : • Créer un espace de rencontre où de nouveaux réseaux pourraient être créés. • Encourager l’autonomie, la prise de décision et la connaissance de soi. • Amener une prise de pouvoir et d’autonomie (empowerment): se sentir capable et se sentir présent, prendre part, améliorer son estime de soi. Se voir comme des créateurs. • Travailler sur l’incertitude dans la caractéristique inconnue de l’art, la transférer vers l’inconnue de la vie. • Travailler sur la déception, la soi-disant « fin de la lune de miel » du processus migratoire et de la rencontre avec l’autre. • Se concentrer sur la constitution et la réflexion de son identité. d. Cadre Au début des ateliers, un accord a été passé entre les participants et les coordinateurs de l’atelier, dans lequel des sujets comme la confidentialité, la ponctualité et le respect mutuel ont été établis. Ceux-ci ont été les clés de voute d’un espace pour le développement personnel où les animateurs et les participants se sont engagés dans un chemin que nous avons emprunté ensemble, dans un lieu de confiance, de liberté, d’écoute et d’endiguement..
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e. Développement Le travail méthodologique qui a guidé notre atelier a été un aspect fondamental de ce développement. Pendant la première heure, nous avons présenté le travail d’une ou plusieurs femmes artistes qui nous semblait intéressant pour différentes raisons : parce que les artistes avaient vécu un processus de migration, parce qu’elles avaient travaillé avec les stéréotypes de genre, parce qu’elles avaient fait une introspection dans leur être personnel… Les biographies des artistes ont permis, d’un côté, d’ouvrir l’imaginaire visuel et plastique des participants ; elles ont permis aux femmes de penser à différentes clés créatives, au-delà du dessin et de la peinture, en leur montrant que les artistes étaient des femmes qui avaient aussi choisi des sujets qui avaient un lien avec elles-mêmes et leur vulnérabilité. D’un autre côté, en provoquant l’empathie, l’exemple des femmes artistes a aidé les participantes à se doter d’une sorte de responsabilisation dans leur concept du soi comme des créatrices potentielles : elles étaient des migrantes, des femmes et aussi des créatrices. Cette méthodologie s’est révélée très intéressante dès le début, parce que, dans beaucoup de cas, elle a incité les participantes à se poser des questions sur leurs vies et leurs motivations, et leur a permis, en quelque sorte, de s’exprimer librement. Dans la première session, les buts potentiels ont été présentés et il a été précisé que le lieu leur appartenait et que le processus créatif devrait permettre une amélioration de leur qualité de vie et de leur propre introspection. Les ateliers ont débuté par un temps accordé pour l’accueil et la rencontre. Comme mentionné, pendant la première heure, les participants ont pris connaissance du travail de l’artiste proposé et le groupe en a discuté. Pendant cette heure, nous avons essayé de réfléchir ensemble sur le processus créatif de l’artiste. Nous avons utilisé ses mots, nous avons essayé de creuser profondément dans son processus, de le raconter avec l’expérience de migration, la perte, le chagrin, la reconstruction, toujours dans le contexte de la création et de ses possibilités réalisables, toujours impliqués dans l’action. De cette réflexion, une proposition d’action ouverte a été faite. Ensuite, ont suivi deux heures de travail paisible et son développement. La deuxième et troisième heures ont accueilli l’intimité mais aussi la communication et la connaissance mutuelle à travers un travail collectif dans un climat de paix et de respect. Il y avait de la place pour le café, pour se reposer, pour des balades autour permettant de contempler le travail des uns et des autres, dans un temps et un endroit favorables à la réflexion, à l’amélioration et à la correction, le plaisir de faire, sentir et partager. La dernière heure a été consacrée à la clôture, aux commentaires et aux remarques personnelles et collectives. Les participantes ont pu commenter leur propre travail et nous les avons aussi invitées à réfléchir sur l’atelier, la voie que l’expérience leur avait ouverte et à propos du chemin que nous avions emprunté. Le groupe a vécu un premier processus d’ajustement aux règles, en établissant le terrain de jeu et en s’engageant à participer. Une fois que l’espace de confiance était établi (ceci a été achevé grâce aux liens créés parmi les femmes, aux nouvelles amitiés et à l’intérêt pour l’art thérapie), l’atelier a commencé à fonctionner comme un espace de liberté. Plus d’espace a été consacré à parler des évènements de la semaine, aux sentiments des femmes et à leur propre prise de conscience émotionnelle.
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f. Sessions ARTISTE
THEME
OBJECTIFS
Frida Kahlo
Se voir soi-même
Réfléchir sur l’identité Encourager l’autonomie Favoriser la responsabilisation
Ana Mendieta / Esther Ferrer
Le corps, un territoire intime et personnel, la trace que nous laissons
Se reconnaître dans son propre corps, le corps comme le centre des pensées et actions. Connaissance du corps comme une trace dans l’espace et dans nos vies.
Louise Bourgeois
Le foyer
Réfléchir sur les idéaux concernant l’habitation : la maison abandonnée (laissée derrière), la maison actuelle (que nous avons) et la maison rêvée (que nous cherchons).
Mona Hatoum
La carte
Se relier au voisinage et aux regards. Admettre le pouvoir de notre propre regard pour nommer, habiter et posséder l’espace.
Shirin Neshat
Ecrire / inscrire le corps
Travailler sur nos propres corps, sur les désirs écrits et les buts atteints.
Sophie Calle / Annette Messeguer / Grete Stern
Ironies des hétérodésignations, rire de nousmêmes
Jouer avec les fardeaux externes. Ce que les autres disent de nous. Apprendre à ironiser et à déstabiliser les déclarations.
Objets inter-relationels
Faire des objets qui nous obligent à communiquer, qui vont nous mélanger. Réfléchir sur ce que nous avons apporté avec nous, qu’estce qui a été utile, qu’est-ce que nous avons oublié, à la fois d’un point de vue matériel et symbolique.
Lygia Clark La valise Kim Sooja
Clôture
Exposition et auto-évaluation
Réfléchir sur les journées de l’atelier, raconter nos expériences, résumer nos journées et réfléchir sur ce que cette expérience peut faire pour notre projet de vie.
g. Travailler avec la vie d’une femme : les artistes comme références Les différentes créatrices ont fait place à niveaux de réflexion et d’engagement. Chacune d’elles s’est ouverte vers des travaux potentiels et des réflexions créatives. Frida Kahlo leur a permis de se centrer sur elles-mêmes.
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Ana Mendieta a invité les participantes à communiquer avec les parties les plus intimes, liées au territoire émotionnel, et Esther Ferrer les a incité à explorer la relation avec les autres.
Mona Hatoum a ouvert la possibilité de marcher, de reconnaître et de s’approprier l’espace. « Nous avons emprunté des traits de nos rues de Madrid et nous les avons capturé dans nos empreintes, maintenant vous êtes la ville où nous vivons pour un nombre incalculable de raisons ou peut-être une… pour les mélanger avec nos cartes de vie, nos propres cartes créatives faites pour vivre quotidiennement et marcher quotidiennement. » Louise Bourgeois a indiqué le chemin pour penser la maison comme un endroit sûr. La maison que nous avons laissée derrière nous, la maison que nous avons, la maison dont nous avons envie.
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Annette Messeguer les a aidées à introduire de l’ironie dans leur propre identité et dans les déclarations extérieures. Shirin Neshat a mené un exercice dans l’intimité, une découverte de soi et une réconciliation avec leur propre peau et l’espace d’existence. Lygia Clark les a encouragées à réaliser des objets sensoriels qui les ont mis en contact avec l’autre. Enfin, Kim Sooja les a aidées à réfléchir sur ce qu’elles avaient besoin de mettre dans leur valise symbolique.
Evaluations Le lieu de l’atelier et sa longue durée ont amené un espace symbolique où l’anxiété de la vie quotidienne était laissée de côté, derrière les murs de l’atelier. La peur de la page blanche, de ne pas savoir, a peu à peu perdu de son importance devant le regard accompagnateur des art-thérapeutes, un regard qui ne jugeait pas, mais aidait et encourageait à poursuivre, et qui donnait aussi la possibilité de ne pas faire. Cela, combiné avec une écoute active, a permis la manifestation des peurs, des sentiments latents et des désirs dans un climat de confiance et de sérénité, un espace inhabituel pour ceux qui, vivant dans un nouveau pays, font face aux nouveautés et difficultés continuelles. La variété de techniques utilisées a aidé les participantes à faire face à la création à partir de perspectives qui ne forçaient pas leurs capacités artistiques. Ecrire sur le corps, prendre des photographies, utiliser le corps dans l’espace, coudre, etc. a permis une approche de l’art à partir de points de vue sécurisants, à partir de leurs « propres » places. Pas à pas, les participantes sont devenues conscientes de leur potentiel. L’une des femmes a confié fièrement, après avoir regardé son travail, qu’elle « n’avait jamais pensé avant être capable de créer » ; elle se voyait elle-même comme une personnequi ne pouvait que répéter ou aider à la création des « autres ». Le travail avec les valises et la maison a ouvert la voie pour travailler sur la perte (la maison perdue, les objets abandonnés) et a permis de retrouver le concept de valeur, avec l’objet qui est encore à faire et qui relie le passé et le présent. Un lien avec le passé qu’elles ne peuvent pas ou qu’elles ne veulent pas retrouver parce qu’elles ont aussi changé, tout comme le chemin de vie lui-même. A travers l’atelier, les participantes ont pu se réapproprier la géographie qui avait été perdu lorsqu’elles sont venues habiter dans le nouvel endroit. Elles sont peu à peu revenues à des termes avec leur présent et leurs attentes futures. Elles ont appris à reconnaître les limites de leurs attentes concernant le pays d’accueil, admettant la déception de certains de leurs désirs, de leurs espoirs parfois disproportionnés qui venaient de leurs propres manques compensés par l’imagination de nouveaux horizons. Le réseau de soutien et de confiance en soi a été construit imperceptiblement, avec l’aide et l’amour d’une génoise amenée par l’une des participantes, d’un blog créée par une autre et d’une amitié qui a grandi entre elles et qui prédomine encore aujourd’hui. 103
Références CYRULNIC, B.,El murmullo de los fantasmas. Volver a la vida después del trauma (The murmur of the phantoms). Barcelona: Gedisa, 2003. FEMENÍAS, M.L., El género del multiculturalismo (The gender of multiculturalism). Bernal: Universidad Nacional de Quilmes, 2007. FIORINI, H., El psiquismo creador (Creative psyche). Buenos Aires: Paidós, 1995. GARCÍA ROCA, J.,Enfoque psicosocial e incidencia pública. Las necesarias transiciones (Psychosocial focus and public impact). In L. Melero Valdés (Coord.) La persona más allá de la migración. Manual de intervención psicosocial con personas migrantes (The person beyond migration. Manual for psychosocial intervention with migrant people), pp. 27-29. Valencia: Fundación CeiMigra, 2010. GRINBERG, L. & GRINBERG, R..,A psychoanalytic study of migration: its normal and pathological aspects. Journal of the American Psychoanalytic Association, 32(1),pp. 13-38, 1984. HARAWAY, D.,SIMIANS, cyborgs and women: the reinvention of nature. New York: Routledge, 1991. GRINBERG, L. & GRINBERG, R.,Psicoanálisis de la migración y del exilio (Psychoanalytical perspectives on migration and exile). Madrid: Alianza, 1984. KIM, Y., Adapting to a new culture: an integrative communication theory. In William B. Gudykunst (Ed.) Theorizing About Intercultural Communication, pp. 375‐400. Thousand Oaks, CA: Sage, 2005. MONTENEGRO MARTÍNEZ, M. & PUJOL TARRÈS, J., Conocimiento situado y acción (Situated knowledge and action). Revista Interamericana de Psicología, 37(2), 2003, pp. 295-207. http://www.psicorip.org/ Resumos/PerP/RIP/RIP036a0/RIP03722.pdf. Accessed October 5, 2012.
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2.5. LE REFUGE PAR L’ART THÉRAPIE Berta De La Dehesa et Tania Ugena NOM vDE L’ATELIER : La thérapie par l’art dans les refuges PROPOSE PAR : Groupe de recherche 941035 de l’université Complutense de Madrid (UCM). Les applications de l’art pour l’intégration sociale: art, thérapie et inclusion. Master d’art thérapie, éducation artistique et Inclusion sociale. DATES : novembre et décembre 2011 BRANCHE ARTISTIQUE PRINCIPALE : arts visuels et mouvement
Résumé Cet article présente l’expérience d’un groupe de migrants hébergés dans un centre d’accueil de la communauté de Madrid, d’octobre 2011 à février 2012. Les ateliers de création et thérapies artistiques mis en place ont allié différentes disciplines d’arts visuels, de théâtre, d’expression musicale, de danse et de mouvement. L’intervention avait deux buts principaux : réduire le niveau d’anxiété que les participants vivaient en raison de l’incertitude liée à l’attente de la réponse administrative qui validerait leur statut dans le pays ; et créer un espace de sécurité et d’appartenance qu’ils pouvaient partager avec les autres, ce qui apaisait leur sentiment de solitude.En dépit de quelques difficultés rencontrées que nous allons évoquer dans l’article (différents âges et langues, problèmes de présence, etc.), nous avons observé suite à l’évaluation que les objectifs étaient atteints. Nous avons donc eu la confirmation que la création artistique est un outil puissant et bénéfique lorsque l’on travaille avec des migrants. Autrefois, pour rencontrer « l’autre », il était nécessaire de s’aventurer dans des contrées lointaines et culturellement différentes. De nos jours, nous vivons dans ce que l’on appelle souvent le « village global », et l’on rencontre l’ « autre » au supermarché, dans le bus, ou dans le voisinage… Pour rencontrer l’autre, il n’est donc plus nécessaire de voyager, seulement d’ouvrir sa porte. Maalouf (2004) parle de l’importance de commencer à travailler dans le respect et la coexistence, de façon à ce que nous ne sentions pas nos identités en danger, et que nous ne répondions pas par de la violence. C’est notre intérêt pour la connaissance des différences et l’expérience de la diversité comme une richesse nous a menés à contribuer au Projet ADRIADNE. L’essence même de l’approche de notre groupe de recherche se retrouve dans l’idée de « se sentir chez soi ». Dans notre université, plusieurs projets ont été développés par différents groupes de migrants. Les nôtres se sont basés sur le Centre d’Accueil des Réfugiés Politiques, où les migrants restent le temps de la procédure d’instruction de la demande d’asile. Ces centres ont pour but de contribuer au développement global de leurs résidents en prenant en charge leurs besoins premiers, et en restant à l’écoute des individus et des groupes. D’après la Commission Espagnole d’Aide au Réfugié (Comisión Española de Ayuda al Refugiado, CEAR), le droit d’asile est accordé à toute personne qui:
« [...] en raison de la peur fondée d’une persécution pour des raisons raciales, religieuses, de nationalité, ou d’appartenance à un groupe social en particulier, ou en 105
raison de ses opinions politiques, ou de son appartenance à un groupe caractère social, ou en raison du genre ou de l’orientation sexuelle, se trouve en dehors de son pays d’origine, et est dans l’incapacité ou, en raison d’une peur certaine, ne désire pas la protection de son pays, ou qui, ne possédant pas de nationalité et étant en dehors de son pays de résidence habituelle suite à différentes raisons, est dans l’incapacité ou, en raison d’une peur certaine, ne souhaite pas y retourner. » Nous nous sommes intéressées à la situation de ce groupe car ces personnes ont quitté un pays où elles ne peuvent retourner, et sont arrivées dans un autre pays qui n’acceptera de les accueillir tant que leur demande d’asile n’a pas été approuvée. Ce laps de temps – qui peut durer des mois, voire des années – est une parenthèse pendant laquelle ils n’appartiennent à aucun pays. Dans le Centre d’Accueil des Réfugiés résident des personnes qui ont fait leur demande d’asile et qui en attendent l’issue ainsi que des immigrés qui peuvent être sans papiers. La création artistique aide à générer un espace de sécurité et d’appartenance qui bénéficie à ces migrants dont les liens émotionnels, familiaux, professionnels et sociaux ont été rompus. Lorsque nous sommes arrivés, seulement 63 des 116 places étaient occupées. L’immense majorité de la population présente se constituait de demandeurs d’asile politique. Durant le temps d’attente de la décision concernant leur demande d’asile politique, on leur délivre une carte d’identité temporaire, une carte de sécurité sociale, on leur alloue également une petite somme d’argent mensuelle, ainsi que la possibilité de participer à des formations (en raison de coupes budgétaires, le nombre de cours offerts a cependant significativement baissé), et enfin, un permis de travail temporaire d’une durée de 6 mois à partir de la date de leur demande d’asile. A cause de l’arrivée de migrants des Centres d’Internement pour Etrangers (Centros de Internamiento para Extranjeros, CIES), et des Centres d’Accueil Temporaire pour Etrangers (Centres de Estancia Temporal para Extranjeros, CETIS) de Ceuta et Melilla, la population a doublé. Contrairement aux demandeurs d’asile, ces migrants ont beaucoup de difficultés à accéder à la sécurité sociale, ils ne bénéficient pas de soutien financier, n’ont pas accès aux formations, et n’ont quasiment aucune chance de régulariser leur statut, ce qui est d’autant plus compliqué qu’ils ont pour la plupart fait l’objet d’arrestations lors de contrôles d’identités où ils n’ont pu produire de pièce d’identité. Pour établir un plan de recherche, nous avons tenu une revue littéraire, dans laquelle l’article de Gudykunst sur la Théorie de la formation du réajustement interculturel se démarque (Gudykunst, 1998, pp. 227-250). Dans cet article, Gudykunst soutient le fait que la gestion du niveau d’anxiété et d’incertitude est un facteur clé dans la compréhension des codes de la culture d’accueil et ainsi parvenir à une communication efficace. Ces variables sont devenues les buts principaux de notre projet. Dans ce même objectif, nous avons fait une enquête ethnographique dans le but d’établir un point de comparaison. Depuis l’accueil au centre et à travers une observation participative, nous étions en mesure d’identifier les besoins des résidents, leurs demandes, leurs horaires dans et hors du centre, leurs préoccupations et leurs préférences artistiques. Nous avons choisi la réception du fait de sa situation stratégique à côté de l’unique porte d’accès au Centre, mais aussi parce que c’est l’endroit où les résidents viennent demander de l’aide concernant, par exemple, la carte de cantine, l’utilisation du téléphone, la prise de rendez-vous avec des professionnels, ou faire des photocopies. On a profité de ces moments pour se faire connaitre auprès des résidents et les interviewer de façon informelle afin de connaitre leurs attentes, désirs et besoins. 106
Nous avons remarqué que tous les résidents étaient en demande d’activités liées à la recherche d’emploi, qu’ils étaient tous intéressés par la pratique de la danse et qu’ils considèrent la santé comme étant d’une importance primordiale. A ces observations, nous avons ajouté celles du personnel du centre, qui a confirmé nos impressions et a formulé des demandes supplémentaire à propos des besoins qu’il avait observés (et auxquels il ne pouvait répondre en raison de sa charge de travail) : l’encouragement des jeu entre la mère et les enfants, travailler sur l’estime de soi des femmes (nombreuses sont celles qui ont connu des violences conjugales), et enfin promouvoir les activités hors du Centre, afin de créer des réseaux sociaux et de faire maintenir leur autonomie. Le psychologue du Centre a fourni un guide avec des suggestions : le facilitateur ne doit pas se focaliser sur le passé des résidents car la plupart ont vécu des situations traumatisantes. Nous avons donc orienté notre projet vers la création d’ateliers où les résidents peuvent travailler sur comment combler leurs manques et stimuler leurs capacités par différents moyens plastiques, artistiques, techniques de danse et de théâtre, où nous voulions soulever des questions pertinentes. ACTION * CREATION est né avec l’intention de réduire l’anxiété et de créer un endroit où les participants puissent trouver un espace d’accueil dénué de tensions, où ils puissent arrêter de réfléchir aux questions Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où suis-je ? Et qu’est-ce que j’aurais envie de faire ? Un espace pour engager le dialogue avec leurs propres émotions et les explorer. Les buts principaux étaient de réduire les niveaux d’anxiété et d’incertitude, de développer différentes aptitudes de communication, à la fois verbales et non-verbales. Parmi les disciplines artistiques, nous avons envisagé de privilégier la danse dans la mesure où c’est ce qui semblait être le plus demandé dans les entretiens préliminaires. Nous avons décidé de regrouper les sessions en modules avec différents sujets et des objectifs spécifiques en plus de l’objectif général de l’atelier. Nous avons conçu un total de cinq modules comprenant chacun trois sessions. Pour définir le contenu de chaque module, nous avons pris comme référence l’une des techniques de création et de compression du personnage de théâtre : JE SUIS, JE ME SENS, JE VEUX et J’AI BESOIN, auxquels nous avons ajouté ACTION. Notre projet était d’examiner chaque module d’un point de vue du temps pour une réflexion sereine, pour savoir qui nous sommes, pour définir où nous allons. Identifier nos désirs, afin que nous puissions organiser nos actions en conséquence. Pour faciliter la construction d’un projet de vie qui reflétera les capacités et le potentiel des participants. L’emploi du temps que nous présentons sous ce fil conducteur apparaît dans l’ANNEXE. Dans les conversations tenues avec le Centre managers, nous avons expliqué l’importance de fournir un espace physique pour l’atelier qui serait différent des lieux quotidiens afin de fournir un sentiment de sécurité et de liberté spécifique à la création. Le Centre nous a assigné une salle de classe utilisée comme débarras. Nous avons enlevé tout ce dont nous n’avions pas besoin et nous avons tout arrangé pour l’activité (sol en linoléum, étagères, tables, chaises, casiers pour ranger le matériel, chaine hi-fi, radiateur,…). En faisant cela, nous avons créé un « nouvel » endroit, libre des échos des autres activités organisées par le Centre.
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Le lieu de l’atelier. (Ugena, 2012)
Afin d’encourager la participation des résidents, dans les livrets d’information, nous nous sommes concentrés sur deux aspects : comment aborder un entretien professionnel en suggérant qu’une attitude détendue favorise la réussite. Cette période « d’attente » peut être vue comme une opportunité pour s’accorder un moment de réflexion et de contact avec soi-même, pour découvrir ses propres intérêts essentiels et établir une stratégie d’actions pour les atteindre. Nous avons distribué les brochures avec le triple projet suivant :
ACTION * CREATION Le corps et l’attitude en disent beaucoup sur la personne qui cherche un travail ou qui établit des relations sociales. Une posture corporelle ouverte et détendue transmet une confiance en soi. La conscience de sa propre attitude corporelle dans les yeux des autres est essentielle pour comprendre avec succès les contextes personnel et professionnel. L’art (danse, théâtre, musique, arts plastiques, etc.) est le meilleur outil pour améliorer les qualités personnelles qui augmenteront les chances de trouver un travail et d’améliorer ses relations sociales. Si vous souhaitez participer à ACTION * CREATION, vous pouvez vous inscrire à un ou plusieurs de ces ateliers. • FEMMES*ENFANTS Un lieu de rencontre et d’expression, pour apprendre et se faire plaisir, mieux se connaitre soi-même, en groupe, en pairs ou individuellement. Les ateliers auront lieu au CEMI et auront un emploi du temps flexible, pour permettre à toute femme intéressée d’y participer. • APRES-MIDIS* Pour étudier et développer de manière créative nos propres ressources, pour les utiliser comme des compétences personnelles intéressantes dans la recherche de travail. Les ateliers auront lieu au CEMI deux après-midis par semaine (pour être plus précis : le mardi et le vendredi, de 18h à 21h). • NOTRE*VOISINAGE Nous proposons un espace de loisir où les personnes du voisinage peuvent se rencontrer, un endroit pour l’échange et pour découvrir comment les différentes cultures s’expriment à travers de nombreux projets artistiques. Cet atelier aura lieu en dehors du CEMI, à l’un des Centres Civiques de la région, une après-midi par semaine. La participation sera ouverte à toutes les personnes du quartier. 108
Nous avons accroché des affiches à l’entrée du Centre près des brochures et nous les avons traduites dans d’autres langues (anglais et français). A la réunion des résidents, le représentant a suggéré que nous parlions de notre projet aux résidents. Cependant, au moment où nous sommes arrivés au Centre, la situation était très tendue à cause des coupes budgétaires dont il souffrait. A cause de cela, nous n’avons pas pu promouvoir les ateliers à la réunion des résidents. Donc, à la place, nous avons décidé de distribuer les brochures en personne à la réception et pendant la célébration de la Fête de l’Agneau, qui a eu lieu à la même époque. Finalement, des trois projets, un seul a vu le jour. L’atelier FEMMES * ENFANTS, bien qu’il nous semblait le plus viable, a eu le moins de succès. Les matins, leurs enfants étaient en classe et les mères en profitaient pour dormir ou faire des courses. Donc, malgré l’intérêt des femmes cité à maintes reprises, elles n’ont pas participé à cet atelier. Pour cette raison, l’atelier a été suspendu. Dans le cas de l’atelier NOTRE * VOISINAGE, bien que le chef du Centre Civique ait été très ouvert pour faciliter la création d’un espace d’échange de danse et de musique parmi des groupes de jeunes locaux, et malgré la publicité et pré-organisation avec le coordinateur de la jeunesse du Centre Civique, personne ne s’est inscrit à ce projet. Au contraire, l’atelier APRES-MIDIS* a été très bien accueilli. Nous nous sommes mis d’accord avec les participants pour organiser les sessions les mercredis et vendredis, de 18h à 21h. 43 personnes au moins ont assisté à une session de l’atelier, bien que le groupe principal (que nous appellerons le « groupe stable ») ait été composé de six enfants et de cinq adultes. Le critère de sélection pour les membres de ce groupe était d’avoir assisté à trente heures d’activité en atelier. Toutes les personnes du groupe stable étaient des demandeurs d’asile (même si cela n’a jamais été un pré-requis pour participer aux ateliers). Le groupe stable était composé de deux enfants de trois et quatre ans, de trois préadolescents de onze ans et d’un adolescent de quatorze ans. Ils appartenaient à trois familles et venaient de Palestine, du Mexique et du Kurdistan. Le groupe d’adultes était composé de quatre hommes et une femme, tous âgés entre vingt-trois et trente-huit ans. Ils venaient du Sahara, de Russie, du Soudan et d’Afghanistan. Les raisons pour lesquelles les participants assistaient de manière irrégulière aux sessions étaient diverses : parfois, l’activité se chevauchait avec des cours d’espagnol, d’autres fois, ils avaient des rendez-vous (chez le médecin, l’avocat, le psychologue, etc.), parfois ils étaient trop fatigués ou préféraient rester seuls. Cependant, beaucoup sont venus pour essayer une session une fois, par curiosité. Les sessions étaient divisées en trois parties : relaxation, création artistique et travail sur le corps. Dans la première partie, nous avons voulu faciliter l’entrée dans l’espace de l’atelier, en s’arrêtant pour quelques secondes et en essayant de laisser dehors le rythme de la vie quotidienne et d’entrer dans un espace de réflexion, de plaisir et de calme. Par conséquent, nous avons commencé chaque jour avec des exercices de relaxation en cercle. Nous nous sommes regardés les uns les autres et nous relaxant comme un groupe, nous avons imaginé que nous étions chacun entrain de sentir une fleur avant d’expirer comme si nous soufflions sur une bougie. Ceci a aidé le groupe à commencer à se détendre et à entrer dans un contact émotionnel avec nous-mêmes et le groupe. 109
« […] Venez, vous [deux], nous avions une chose de la fleur, la fleur et la bougie, oui. La relaxation, la respiration. La respiration et la relaxation, ensuite, cette nuit, je jure de bien dormir. » « Pensez-vous que l’exercice de respiration que nous avons fait, sentir la fleur et souffler la bougie, vous a aidé à dormir cette nuit ? » « Oui, oui. Cela m’aide à dormir, je le jure. »18 Ensuite, nous avons proposé une création visuelle précise. Certaines fois, le cours était sujet à réflexion, d’autres fois, nous avons fait des exercices de motivations, comme des visualisations, des massages ou des jeux. Les thèmes que nous avons le plus appréciés et qui leur a permis de partager beaucoup de temps ensemble, étaient ceux où ils pouvaient montrer des éléments de leurs pays. Spontanément, les murs de l’atelier étaient couverts de drapeaux de leurs nombreuses terres natales, qui ont servi d’élément déclencheur pour commencer à parler de leurs cultures, de leurs familles et amis. 18
Citation originale en espagnol : …« Vengas vosotras, teníamos una cosa de flor, ah, la flor y la vela, sí. La relajación, la respiración. La respiración y la relajación, yo después por la noche te lo juro dormir bien. » « Tú piensas que los ejercicios de respiración que hicimos oler la flor y soplar la vela, tú piensas que eso te ayudó a dormir esa noche ? » « Sí, sí. Esto ayudarme a mí para dormir, te lo juro ». 19
Citation originale en espagnol : « Yo antes no lo sé para esto porque este taller hablamos de mi país, yo también, yo he dicho que yo soy de Afganistan. Afganistan este país Asia no tiene mar, este tieneproblema este tiene cosas bonito esto malo. También todos he dicho esto. Y nueva persona cuando venir aquí no, no, no, no sabe cultura and no sabe de país, workshop mejor cuando va fuera the sabía mucha cosas ».
« Avant, je ne sais pas cela parce que dans cet atelier nous parlons de mon pays. Moi aussi, j’ai dit que je suis d’Afghanistan. L’Afghanistan, ce pays n’a pas de mer, cela pose problème, cela a des choses bonnes cela mauvais. Aussi tous ont dit ça. Et une nouvelle personne quand elle vient ici, non, non, non, elle ne connait pas la culture et elle ne connait pas le pays, l’atelier est mieux quand elle en sort, elle a connu beaucoup de choses. » 19 Nous avons terminé les sessions avec un travail expressif sur le corps, au travers de la danse ou de mouvements. Au début, nous avons guidé les dynamiques : nous leur avons montré les mouvements de la danse Flamenco et utilisé cela pour présenter la culture espagnole. Puis, nous les avons invités à montrer leurs cultures en partageant avec nous les danses de leurs pays. Au fur et à mesure de notre progression, nous avons commencé à encourager une libre expression.
« […] Sur la danse, avant j’aimais aussi, nous ici disons que ce que nous voulons danser, peindre ? J’ai dit la danse, parce que la danse aide beaucoup le corps comme le sport aussi… plus tu bouges ton corps très bien, parce que tu danses. La danse aussi le sport. Oui, oui, beaucoup d’aide pour la santé et beaucoup pour le corps, oui oui. Très bien. »20
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Citation originale en espagnol : « […] sobre bailar yo también antes como nosotros aquí dice que hoy qué quieres vosotros bailar, pintura? Yo he dicho bailar, porque bailar ayudar mucho of the cuerpo como deporte también… si… mejor tu mover tu cuerpo muy bueno, porque tu bailar. Bailar también deporte. Si, si mucho ayudar para salud y mucho para cuerpo, sí sí. Muy bien. »
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La réflexion sur chacune des activités proposées au groupe, l’interaction avec les participants et nos tentatives pour répondre aux besoins personnels du groupe, soutiennent nos affirmations que nous suivons une méthode de recherche-action avec pour but de réunir la théorie et la pratique pour favoriser les changements positifs chez tous les participants à l’atelier, de manière active, dynamique et participative.
Outils d’observation Dans les ateliers réalisés en Europe dans le cadre du projet ARIADNE, un outil d’évaluation commun est l’administration d’un pré-test et d’un post-test conçus pour évaluer les progrès de chaque participant dans l’atelier. Dans notre cas, en appliquant cet outil, nous avons rencontrés certaines difficultés, puisque, en règle générale, ce groupe se sentait mal à l’aise à l’idée de remplir ces documents parce qu’ils pensaient que remplir ces documents révélant certaines informations pouvaient porter atteinte à leur processus de demande d’asile. Nous avons utilisé différents outils pour l’observation et la collecte des données. Le Groupe de Recherche de l’Université Complutense de Madrid a créé un dossier d’observation individuel, se composant de pairs d’indicateurs (mesurées de 1 à 5) que nous avons complété à la fin de chaque session, ensemble avec les observations que nous avons jugées les plus pertinentes. Nous avons également rempli un carnet de route dans lequel nous avons écrit ce qui se passait pendant la session et pendant la période où nous étions au Centre. Les demandeurs d’asile politique ne devaient pas apparaître dans les photographies qui seraient publiées parce que les motifs de leur demande sont fondés sur une peur réelle que leur vie est en danger. En conséquence, nous avons respecté leurs demandes et nous avons uniquement pris des photos de leurs œuvres artistiques. A cause des répercussions possibles et des menaces de représailles envers ces personnes, les noms et les principales références de leurs témoignages inclus dans cet article ne sont pas mentionnés pour ainsi éviter leur identification. Un autre outil que nous avons utilisé était le cahier d’artiste, dans lequel nous avons saisi nos impressions d’une manière plus émotionnelle et plus subjective. Dans les dessins et les collages, nous avons saisi le moment qui nous a fait la plus grande impression dans notre expérience du Centre. Pour évaluer les ateliers, nous avons mené des entretiens individuels avec les participants du groupe stable. Nous avons choisi de les enregistrer en audio. Nous avons mené des entretiens sur le lieu de l’atelier donc les participants pouvaient aussi parler de certaines de leurs œuvres s’ils estimaient cela approprié. Il s’agissait d’entretiens ouverts, semi-structurés. Après un discours par la personne interrogée, nous lui avons demandé (si la question n’avait pas émergé naturellement) de nous parler de certains des avantages ou des difficultés que nous pensions avoir observé. A l’intérieur du Centre, nous avons développé ces découvertes avec l’aide d’entretiens (réalisés de la même façon que ceux précédemment décrits) avec des professionnels, le représentant des résidents et les mères des enfants qui ont assisté à l’atelier.
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Notre travail conjoint nous a permis d’établir un dialogue continu sur notre action et notre perception de la progression de l’atelier. Ceci nous a permis d’introduire des modifications aux sessions qui nécessitaient des changements ainsi qu’à notre pratique quotidienne. Dans le domaine académique, nous avons reçu l’encadrement du Groupe de Recherche coordonné par Marián López Fdz. Cao. Les principaux effets de l’atelier sur le groupe ont été la baisse des niveaux d’anxiété et la diminution des pensées négatives des participants. Les membres du groupe de mineurs ont assisté à presque toutes les sessions et ont pris beaucoup de plaisir dans toutes les activités. « Il n’y a pas de mauvaise chose dans l’atelier » était un commentaire général pendant l’évaluation. Leurs mères ont indiqué que « avant les ateliers, ils ne regardaient que la télévision », et qu’elles avaient observé un développement de la créativité et de l’imagination chez leurs enfants. Tout au long des sessions, ils ont appris une autre façon de s’amuser et même en notre absence, ils ont continué à dessiner et à modeler de l’argile et de la pâte à modeler. Malgré leur jeune âge, ils ont dit qu’ils étaient plus détendus depuis qu’ils avaient assisté à l’atelier. Ils nous ont dit que ce type de travail les avait rendus heureux. L’une des filles nous a raconté qu’avant, elle était souvent tout le temps en colère et très nerveuse, et qu’elle avait effectivement trouvé un moyen de se débarrasser de ce stress, « Je ne le ferais plus » . Un autre point auquel ils ont attaché une grande importance était le changement que cela a entrainé dans leurs relations. Avant cet engagement, les enfants des différentes familles avaient l’habitude de s’insulter et de se battre. Mais grâce à cette coexistence sur les lieux de l’atelier, ils ont passé beaucoup de temps à jouer ensemble et même à créer, presque sans aide, une pièce de théâtre et une pièce chorégraphiée qu’ils ont joué devant tout le Centre. L’une des filles nous a dit que les relations avec les autres résidents du Centre s’étaient aussi améliorées. Parce qu’elle avait partagé l’atelier avec eux, sauf un jour, elle n’avait plus peur de les approcher et de leur parler lorsqu’elle les rencontrait par hasard dans les espaces communs du lieu. Le groupe d’adultes a estimé que le plus grand avantage était l’opportunité de laisser de côté leurs problèmes actuels et l’atmosphère tendue et lugubre du Centre. La chance de se tenir à distance de leurs préoccupations habituelles était très utile parce que, comme l’un d’entre eux a déclaré, « manger et boire ne sont pas suffisants pour nous éviter de devenir fous ». L’opportunité de parler de leurs pays et de leurs cultures avait été souligné comme quelque chose de très positif. L’atelier a été un lieu de rencontre avec d’autres partenaires qui ont fait attention à leurs paroles et les ont aidés à se sentir acceptés. Ceci a créé et ensuite consolidé les relations interpersonnelles entre eux, créant ainsi un tissu social solide. En outre, se familiariser avec les autres pays et leurs conflits les a aidés à avoir de l’empathie et à se sentir moins seuls dans leur transition. En dehors de l’atelier, ils ont admis que l’atmosphère était détendue. Décorer le salon et la cantine, une activité qui a impliqué la plupart des résidents, les a unis dans un but commun et, pour un temps, ils se sont sentis comme un groupe. De plus, cette décoration a fait du Centre un lieu plus chaleureux, plus plaisant et plus habitable. En réalité, ils sont heureux d’avoir un espace où ils peuvent pratiquer l’espagnol, et connaître des aspects de la culture espagnole (ils ont particulièrement adoré les danses de Flamenco). 112
Nous transcrivons un passage de l’entretien fait avec le chef du Centre de Réception, qui aborde pratiquement toutes les questions qu’à la fois les participants et nous avions observé :
« J’ai observé que l’atmosphère est beaucoup plus détendue. J’ai été surpris par le niveau de participation et c’est quelque chose dont je dois vous remercier parce que c’est un groupe qui habituellement ne s’investissait pas dans les questions de loisirs guidés. Les personnes sont plus détendues, vous vous êtes efforcés de les rassembler et d’entrer en contact avec eux, je pense que c’est grâce à vous et à votre manière d’être (…) Oui, il y a un changement, bien sûr qu’il y a un changement et le Centre est plus heureux physiquement dans le sens des éléments que vous avez mis à plat. Les personnes semblent plus joyeuses et je pense que vous y êtes pour beaucoup. J’ai observé un changement positif chez V et chez les enfants. Vous vous êtes efforcés de créer une bonne relation entre les enfants des différentes familles. Avant votre arrivé et le début des ateliers, ils ne s’entendaient pas, ils avaient l’habitude de se battre. Vous avez construit de solides liens avec les résidents, je ne sais pas comment ils vont continuer maintenant, surtout les enfants. L’attachement avec eux a été très fort et aussi avec certains adultes. » Conclusions, reflexions et suggestions pour une amelioration Nous allons présenter les conclusions, les réflexions et les suggestions pour une amélioration que nous avons recueillies tout au long de la recherche. Lors de la première phase de la recherche, durant la phase de conception et de recrutement des participants, nous avons pensé que nous avions raison de consacrer suffisamment de temps pour créer des contacts personnels avec les résidents et parler avec eux. L’écoute inconditionnelle et le traitement amical que nous leur avons procurés a contribué à l’instauration d’un lien de confiance et les a convaincus de participer à cet atelier. Une première conclusion est que l’ouverture et la sympathie sont des éléments clés pour établir des liens avec les résidents. Dans leurs remarques sur l’atelier et au cours des conversations avec eux, beaucoup des participants ont souligné l’importance du sourire et de l’écoute. Être « en attente » est une situation qui remplit les résidents de beaucoup d’anxiété et d’incertitude. Leur humeur est très variable et parfois, ils peuvent entrer dans des états dépressifs. Ceci, combiné avec un traintrain très monotone, a provoqué en eux une distorsion spatio-temporelle et ils ont souvent oublié d’assister à l’atelier ou sont arrivés en retard parce qu’ils avaient perdu la notion du temps dans leurs chambres. Notre plus grande réussite a été de créer un espace accueillant où tout le monde était le bienvenu et se sentait à l’aise. Leurs besoins, leurs préférences et leurs humeurs ont toujours été pris en considération. Ils ont souvent dit que « Cet espace est le nôtre et nous devons prendre soin de lui ».
« Un lieu qualifié pour la création : maitrisé, non-menaçant et sans aucun jugement 113
de valeur, qui fonctionnerait comme une arène dans laquelle il serait possible d’étudier, d’oser, d’explorer, d’essayer, d’apprendre et de grandir en tant qu’artistes. » (María del Río, in Martínez Díez, N. & López Fdez.-Cao,2009). Un élément que nous avons, au départ, perçu comme une difficulté s’est révélé être une force. Bien que le groupe ait une tranche d’âge très large, de trois ans à quarante ans, nous avons découvert que ce mélange était très bénéfique pour le groupe. Les adultes du Centre ont un besoin important d’exprimer leurs émotions. Beaucoup d’entre eux sont seuls et privé d’un réseau social fort. Par conséquent, les opportunités de donner et de recevoir de l’affection à travers des contacts physiques sont très rares. Dans leurs comportements avec les enfants, ces adultes pouvaient se sentir libres de montrer leur amour et leur affection. Tout le monde a bénéficié de ce contact : les enfants se sont sentis faire partie d’une « grande famille » et les adultes ont reçus la même réponse émotionnelle de la part des enfants. La diversité des langages parlés dans l’atelier a ajouté une difficulté à l’annotation des commentaires sur les productions collectives des participants. C’est pourquoi, bien que nous ayons travaillé tous ensemble, au cours de la session, nous nous sommes rapprochés de chacun des participants individuellement pour suivre leur processus. Lorsque nous avons essayé d’obtenir les remarques du groupe, nous avons trouvé que les difficultés et l’incapacité à parler espagnol de certains participants détournaient les autres et les empêchaient de se concentrer et d’écouter activement. Gardant à l’esprit les caractéristiques de la population avec laquelle nous avons travaillé et le fonctionnement du Centre, nous avons décidé d’offrir un atelier ouvert, d’établir des règles lâches pour entrer et sortir et une certaine flexibilité dans l’admission des nouveaux participants. Malgré les difficultés initiales rencontrées dans l’écoute active du groupe, les sessions progressant, un réajustement a été effectué et a permis un partage verbal du groupe. A mi-parcours du projet, un groupe de nouveaux participants est arrivé, aussi nombreux que le groupe stable, ce qui a entrainé un arrêt et même une régression de l’écoute active du groupe. Ceci nous a convaincu de l’importance de limiter l’ajout de nouveaux participants, de les empêcher de trop déformer la dynamique de groupe. Dans ce cas précis, nous avons pu créer un nouveau groupe temporaire pour faciliter un ajustement progressif. Nous nous sommes efforcés de minimiser cet impact en proposant une activité créative, coopérative en dehors du lieu de l’atelier dans laquelle ont pris part non seulement les membres du groupe stable mais aussi d’autres résidents qui étaient au Centre depuis plus ou moins longtemps. Cette action les a aidés à évaluer le travail de groupe, ceci s’est révélé dans leurs commentaires sur ces sessions:
“Nous avons appris que nous faisons tous partie d’un ensemble… nous sommes tous ensemble… comme une famille ”.
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Après avoir coopéré, nous avons travaillé sur l’autonomie. Nous avons conçu des sessions pour le développement d’un projet de groupe de leur choix : la création d’un spectacle de théâtre et de danse à réaliser devant l’ensemble de la communauté du Centre. Les participants dans ces dernières sessions étaient principalement les enfants, qui sont devenus les héritiers de ce lieu. Après la fin du projet, ils ont continué d’utiliser la salle comme salle pour des jeux et des créations indépendants. La représentation a été très bien accueillie par les résidents et le personnel qui ont exprimé leur désir que ce genre d’action ne reste pas un évènement isolé mais qu’il y en ait d’autres. Nous pouvons affirmer que toute la communauté du Centre a tiré profit de la création d’unlieu libre des tensions qui a promu la communication parmi ses participants. Une hypothèse fondamentale de ce projet a été d’essayer de réaliser des projets qui mettraient en jeu le potentiel de tout l’être qui encouragerait une ouverture du potentiel d’apprentissage et d’enseignement de chaque participant. A cette fin, nous nous sommes engagés à exercer une double écoute envers nous-mêmes et envers les autres. Nous avons opté pour une observation empathique, dans laquelle un flottement libre de l’attention nous a permis d’avoir un regard ouvert, sensible et sans anticipation. Ce processus de soutien et de rencontre parmi différentes personnes avec des univers complètement différents a élargi notre perception et notre capacité à être surpris devant leurs efforts pour soutenir et encourager les recherches des autres. En posant des questions sur leurs productions, nous avons facilité la communication et leurs moyens d’expression. Nous avons également considérablement tiré profit de cette expérience d’un point de vue personnel. Nous avons beaucoup appris de cette expérience et de toutes les personnes qui ont participé, de leur culture et de leur vie, de la manière dont ils voient le monde… Les voir apprécier cet instant, oublier leurs conditions pour un moment, a été une expérience extrêmement riche, facilité par de solides liens de confiance.
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Annexe : emploi du temps des activites Session nr.
Sujet/ 2Type de session/ activités objectif planifiées général de la session Session 1 PRESENTA- Dynamiques de présentation 9 NoTION de l’atelier et des participants vembre Contrat thérapeutique : qu’est-ce que je veux qu’il se passe dans l’atelier et qu’estce que je veux qu’il ne se passe pas ?
Ressources et matériel nécessaires
Evaluation
Papier cartonné coloré DIN Carnet de route. A4, craie, marqueur noir, Compte-rendu de peinture acrylique noire et la session. blanche, crayons gras. Compte-rendu Papier cartonné blanc pour d’observation la création du contrat thépersonnelle. rapeutique.
Résultats souhaités
Briser la glace. Changer notre projet pour l’enrichir avec leurs idées.
Session 2 QUI SUIS- Exercices de relaxation respiCarnet de route. Carnet de route. Créer un espace commun avec 10 NoJE ? ratoire et mouvements. Compte-rendu de la session. Compte-rendu de différents éléments représentavembre A propos de Créer quelque chose de repré- Compte-rendu d’observation la session. tifs de leurs cultures. ma culture. sentatif de sa culture. personnelle. Compte-rendu Partager des gestes, des Danse de groupe sur la muCarton coloré DIN A4, d’observation attitudes corporelles et des sique de leurs pays d’origine. craie, crayons feutres, tempersonnelle. mouvements propres à leurs péra, crayons, crayons gras, cultures. pâte à modeler. Carnet de route. Compte-rendu de la session. Compte-rendu d’observation personnelle. Session 3 QUI SUIS16 NoJE ? vembre Quelqu’un d’important dans ma vie. Session 4 QUI SUIS17 NoJE ? vembre Je fais attention à l’ici et le maintenant. Qu’est-ce que j’ai à l’esprit ?
Exercices de rythme respira- Papier cartonné et diffé- Carnet de route. Se remémorer avec des souvetoire et de mouvements. rents matériels (peinture Compte-rendu de nirs positifs. Créer une représentation en acrylique, tempéra, pâte à la session. Détermination. trios dimensions de quelqu’un modeler, crayons de couCompte-rendu d’important dans leurs vies. leurs, crayons feutres). d’observation personnelle.
Exercices de respiration. Carnet de route. Carnet de route. Se relier avec « l’ici et le mainCréation libre pour exprimer Compte-rendu de la session. Compte-rendu de tenant ». leurs pensées/sentiments pro- Compte-rendu d’observation la session. Contrôler l’anxiété et réduire voqués par la relaxation. personnelle. Compte-rendu les tensions physiques. Travail sur le corps, le rythme Papier cartonné et difféd’observation et les mouvements des ballets rents matériels (peinture personnelle. et du flamenco. acrylique, tempéra, pâte à modeler, crayons de couArgile, pâte à leurs, crayons feutres). modeler. Carnet de Carnet de route. route. Compte-rendu de la session. Compte-rendu d’observation personnelle. Session 5 UNE Exercices de rythme respiraArgile, pâte à modeler. Compte-rendu de Explorer l’espace réel ou 23 NoPLACE toire et de mouvements. la session. imaginaire. vembre DANS LE Construire un lieu en trios Compte-rendu Ajouter le personnel au colMONDE dimensions qui est significatif d’observation lectif. Où suispour moi. personnelle. Travail sur la conscience du je/où Clôture de la chorégraphie de corps et réduction de l’anxiété. aimerais-je groupe. être ?
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Session 6 QUI SUIS- Exercices de rythme respira24 NoJE ? toire et de mouvements. vembre Qu’est-ce Réflexion sur le sens du qui me symbole et identification du symbolise? carnet. J’identifie Voir le carnet comme un outil mon carpour le travail personnel. net. Session 7 SENSA- Exercices de rythme respira30 No- TIONS DE toire et de mouvements. vembre PEINDRE : Réunir la peinture, le massage entre sentir corporel et le mouvement. et ressentir Danse libre et guidée : flamenco et rythmes avec le corps.
Carnets, papier de couleur Carnet de route. de différents types (papier Compte-rendu de crépon, papier de soie, la session. cellophane), magazines, Compte-rendu journaux et différents mad’observation tériels (crayons de couleurs, personnelle. crayons feutres, craies). Papier kraft, tempéras colorées.
Créer un symbole personnel pour identifier leur carnet dans lequel ils peuvent laisser s’exprimer l’état émotionnel, physique et psychologique dans lequel ils se trouvent lorsqu’ils arrivent à une session.
Carnet de route. Travail par deux sur le contact Compte-rendu de du corps et les sensations la session. perçues. Compte-rendu d’observation personnelle.
Session 8 COULEURS Exercices de rythme respira- Grandes feuilles de papier Carnet de route. Créer ensemble à partir d’une 1er DéQuelle toire et de mouvements. cartonné, crayons gras, Compte-rendu de tâche de peinture. cembre couleur Imaginer une couleur et crayons Crayola, crayons de la session. reflète mon réaliser une création libre en couleurs, crayons feutres, Compte-rendu humeur au- utilisant cette couleur avec tempéras colorées, coud’observation jourd’hui ? différentes techniques et pures de magazines, etc. personnelle. différents matériels. Session 9 COM- Exercices de rythme respira7 DéMENT JE toire et de mouvements. cembre ME SENS ? Jouer des films pour deviner Explorer des émotions. ses émo- Les participants se mettent tions. d’accord pour dessiner un tableau des émotions. Danser.
Papier kraft, papier carton- Carnet de route. Travailler avec les ressources né et différents matériels Compte-rendu de plastiques sur le lien avec nos (peinture acrylique, tempela session. sentiments. ra, pâte à modeler, crayons Compte-rendu de couleurs, craie, crayons d’observation feutres). personnelle.
Session 10 QU’EST-CE Exercices de rythme respira- Feuilles de papier et diffé- Carnet de route. 8 DéQUE JE toire et de mouvements. rents matériels (peinture Compte-rendu de cembre VEUX ? Ecrire les envies sur une feuille acrylique, tempéra, pâte à la session. Un ciel de papier A4 DIN et les faire modeler, crayons de couCompte-rendu d’envies. coïncider avec les envies des leurs, craie, crayons feutres, d’observation autres participants. agrafeuses, ciseaux et fil de personnelle. Décorer les murs de la cantine nylon). avec les nuages des envies.
Session 11 LIBERTE Exercices de rythme respira15 Dé- Je suis libre toire et de mouvements. cembre lorsque… Créer un jouet pour réfléchir sur le concept de liberté, lié au concept de responsabilité.
Bâtons de bois, tissus colorés, cordes colorées, agrafeuses, ciseaux, aiguilles, fils).
Découvrir, explorer et connaitre les émotions basiques et secondaires. Apprendre le vocabulaire émotionnel et pratiquer l’expression verbale, gestuelle et plastique des émotions. Réfléchir sur ses propres envies et les matérialiser dans les actions futures. Partager ses propres envies avec les autres.
Carnet de route. Encourager la cohésion de Compte-rendu de groupe. la session. Créer un espace de collaboCompte-rendu ration et de soutien parmi les d’observation participants. personnelle. Carnet de route. Compte-rendu de la session. Compte-rendu d’observation personnelle.
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Session 12 ACTIVITE Exercices de rythme respira- Différents types de pein- Carnet de route. Encourager la cohésion de 21 Dé- CREATIVE toire et de mouvements. ture, bâtons de bois, tissus Compte-rendu de groupe. cembre COOPERA- Faire des décorations de Noël colorés, cordes colorées, la session. Créer un espace de collaboTIVE I pour la cantine, dans laquelle agrafeuses, ciseaux, ration et de soutien parmi les Noël sera célébré le vendredi aiguilles, fil, colle, ruban participants. 23. adhésif et ruban adhésif transparent. Session 13 ACTIVITE Exercices de rythme respira22 Dé- CREATIVE toire et de mouvements. cembre COOPERA- Faire des décorations de Noël TIVE II pour le salon du premier étage dans lequel le Père Noël donnera ses cadeaux aux enfants du Centre le vendredi 23.
Différents types de pein- Carnet de route. Encourager la cohésion de ture, bâtons de bois, tissus Compte-rendu de groupe. colorés, cordes colorées, la session. Créer un espace de collaboagrafeuses, ciseaux, ration et de soutien parmi les aiguilles, fil, colle, ruban participants. adhésif et ruban adhésif transparent, craie, etc.
Session 14 AUTONO- Exercices de rythme respira- Différents types de pein- Carnet de route. Suggérer que les participants 28 DéMIE I toire et de mouvements. ture, bâtons de bois, tissus Compte-rendu de créent leur propre projet artiscembre Travailler en assemblée pour colorés, cordes colorées, la session. tique. prendre des décisions pour agrafeuses, ciseaux, Compte-rendu Encourager leur autonomie, encourager l’autonomie. aiguilles, fil, colle, ruban d’observation créer une dynamique d’atelier adhésif et ruban adhésif personnelle. autosuggérée. transparent, craie, etc. Session 15 AUTONO- Exercices de rythme respira- Différents types de pein- Carnet de route. Suggérer que les participants 29 DéMIE II toire et de mouvements. ture, bâtons de bois, tissus Compte-rendu de créent leur propre projet artiscembre Développer l’activité choisie colorés, cordes colorées, la session. tique. par les participants. agrafeuses, ciseaux, Compte-rendu Encourager leur autonomie, aiguilles, fil, colle, ruban d’observation créer une dynamique d’atelier adhésif et ruban adhésif personnelle. autosuggérée. transparent, craie, etc.
Références Gudykunst, W. B. (1998). Applying anxiety/uncertainty management (AUM) theory to intercultural adjustment training. International Journal of Intercultural Relations 22(2), 227-250. Kapuscinski, R., Encuentro con el otro (The Other). Barcelona : Editorial Anagrama, 2007. Maalouf, A.,Identidades Asesinas (Murderous identities). Madrid : Alianza Editorial, 2004. Martínez Díez, N. & López Fdez.-Cao (eds.), Reinventar la vida. El arte como terapia (Reinventing life. Art as therapy). Madrid: EditorialEneida, 2009.
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2.2.6. UNE VIE MEILLEURE À TRAVERS LES ARTS ET LA LANGUE Nancy Hogg « Ce que l’art offre c’est de l’espace, soit un lieu pour permettre à l’esprit de respirer. » John Updike PROPOSÉ PAR : Momentum Arts DATES : En Septembre 2011 et en Février 2012 PRINCIPALE BRANCHE ARTISTIQUE : Les arts plastiques et l’écriture créative.
Résumé Cette étude de cas décrit le projet pilote « Une vie meilleure » conçu et réalisé par la chef de projet de Momentum Arts, Louise Taylor avec les artistes-animateurs, Hilary Cox, Beverley Carpenter et Nancy Hogg, en partenariat avec le SouthWisbech Children’s Centre, et faisant partie du projet ARIADNE. Elle décrit aussi le deuxième pilote «Arts et Langage» conçu par Momentum Arts et les artistes-animateurs Hilary Cox et Dan Donovan. Les objectifs premiers de ces ateliers étaient de mettre en suivre un espace créatif sûr où les participants pourraient utiliser les arts créatifs pour explorer les sentiments de choc culturel, de perte et d’anxiété associés à l’adaptation culturelle. Nous avons aussi consulté nos partenaires et les participants potentiels qui ont montré un intérêt dans l’exploration et la célébration de l’héritage culturel local et personnel. Ici nous expliquons les objectifs pédagogiques, les méthodologies utilisées, les activités qui ont eu lieu et les résultats, à la fois créatifs et émotionnels, tout comme les leçons que nous avons tirés de ce projet.
Quand était-ce et qui l’a fait ? L’atelier pilote « Une vie meilleure » a eu lieu entre septembre et novembre 2011 se composant de 12 sessions de 2,5 heures. Nos partenaires du SouthWisbech Children’s Centre avait eu un contact préalable avec un groupe de femmes affiliées au centre via une école adjacente. Nous avons recruté à travers le SouthWisbech Children’s Centre et l’atelier a eu lieu là-bas. Contrairement à l’affluence du centre de Cambridge, Wisbech se situe dans le nord du comté de Cambridge et est sujet à de hauts niveaux de privations et très peu d’engagement dans le domaine artistique. Il a également connu un afflux de travailleurs migrants d’Europe de l’Est, attirés par la région en raison de ses hauts niveaux de travail agricole et saisonnier. Wisbech a reçu un nombre significatif de couverture médiatique, parfois négative, concernant les migrants qui représentent désormais presqu’un tiers des 20 000 habitants de la ville. Le groupe de neuf femmes avec lequel nous avons travaillé venaient de Lettonie, Lituanie et de Pologne ; aucune d’entre elles ne vivaient à Wisbech depuis plus de trois ans. Deux femmes du pays d’accueil ont également été inclues dans le groupe. Deux d’entre elles se connaissaient mais la majorité ne s’était jamais rencontrée avant l’atelier.
Objectifs pédagogiques L’objectif pédagogique était de guider et d’encourager les participantes à utiliser leurs ac119
tuels environnements culturels et leurs paysages culturels internes pour créer des travaux artistiques et travailler sur un niveau relationnel et esthétique. En prenant part à une gamme d’activités créatives, les participantes se sont vu offrir un espace pour réfléchir, et répondre de façon créative, aux sentiments de choc culturel, et aux sentiments de perte et d’anxiété associés à l’adaptation à un nouvel environnement culturel. Nous avons voulu initier, à travers la participation dans des activités artistiques créatives, un partage d’histoires de vie et d’expériences culturelles. Les résultats concrets de ce projet seront une sélection des travaux artistiques, des morceaux d’écriture créative et de journaux intimes. Les participantes prendront également part dans une recherche qualitative, incorporant des questionnaires et des entretiens, conçue pour mesurer les changements dans leur conception personnelle.
Méthodologies utilisées Pour exploiter des éléments de l’art relationnel, qui décrit un corps de travail qui créé un cadre et une structure pour étudier les relations entre les individus et eux-mêmes ainsi que leur communauté et l’endroit où ils vivent, les participantes ont été encouragées à créer des objets et de la poésie qui démontraient leurs relations à leur propre environnement culturel. Nous avons voulu créer un environnement qui encourageait un dialogue dans lequel les participantes ont réfléchi sur leur relation avec leur nouvel entourage culturel et ont parlé de ce que les autres ressentaient dans le groupe. Momentum Arts a chargé des artistes-animateurs d’inciter l’apprentissage empirique avec nos participantes et l’accent a été mis pour s’assurer que le groupe se sentait assez à l’aise pour essayer chaque nouvelle activité artistique par eux-mêmes, pour développer les compétences créatives en tant qu’individu et en collaboration pendant les activités de groupe. Au sein de ce projet particulier, les activités suggérées permettaient des recherches sur les aspects comme démontrés dans les indicateurs de performance convenus par les partenaires d’ARIADNE concernant les sentiments de choc culturel et de la perte et de l’anxiété liés à l’adaptation culturelle. Les participantes ont également pu faire des suggestions pour des activités et chaque atelier se déroulait selon un modèle structuré mais flexible. Le contenu des ateliers ARIADNE « Une vie meilleure » était large et variait incluant l’art du portrait, le modelage de l’argile, des collages et de l’écriture créative. Nous avons encouragé les participantes à écrire des journaux intimes pour noter leurs pensées et leurs réponses émotionnelles aux activités artistiques et ce qu’elles ont ressenti concernant leur environnement culturel. Pendant la phase de recherche du projet ARIADNE, Momentum Arts avait auparavant donné trois exemples de bonne pratique qui l’avaient influencé et fondaient sur notre travail continu de ces dernières années ; ceux-là ont également eu un impact sur les ateliers que nous avons réalisé avec ARIADNE. Le premier de ces projets était Histoires non-racontées (en anglais « Untold Stories »), un projet de Momentum Arts qui, durant les trois ans, a collecté et célébré des histoires sur les communautés ethniques minoritaires noires du comté de Cambridge. La plupart de cela a été réalisé pendant les souvenirs des ateliers durant lesquels les participants ont créé des peintures murales inspirées de leurs cultures natales. Nous avons utilisé cette activité durant les ateliers d’ARIADNE comme moyen de stimuler à la fois des réponses émotionnelles et visuelles de la part des participantes. Un autre projet que nous avions étudié était « La valise des Souvenirs » (en anglais, « Suitcase of Memories ») par le collectif artistique allemand Kulturladen Huchting qui était exposé à la Galerie d’Art Durban dans le cadre de l’exposition Dialogue among Civilisations en 2010. Pour l’exposition, des migrants avaient créé des valises d’objets et de souvenirs qui racontaient leurs histoires personnelles. Au sein des ateliers d’ARIADNE, nous avons encouragé les participantes à apporter des objets qui avaient un sens pour eux et de partager 120
les histoires avec le groupe. Les objets ont aussi été utilisés comme stimuli pour créer de la poésie. Nous nous sommes aussi inspiré d’un autre projet intitulé « Emmène-moi à Peterborough » (en anglais « Take me to Peterborough ») par Encounters Art. Se déplaçant à travers la ville en minibus, les participantes ont été invitées à prendre part à un circuit très personnel – en visitant les places de Peterborough qui comptaient pour eux et en partageant leurs histoires. Chaque participant a été invité à écouter les histoires des autres dans des cadres intéressants et inattendus. Donc, au lieu de regarder la ville en tenant compte des frontières géographiques ou communautaires, la ville a été « cartographiée » par les individus et leurs expériences créant de nouvelles connections et de nouvelles frontières.
Contenu La première session était composée d’un nombre d’activités conçues pour pousser les participantes à se détendre et à apprendre à se connaître les uns les autres. La première activité était « Photos-émotions » (en anglais « Feeling Photos ») : il s’agit d’un outil comprenant une collection d’images de paysages et d’architecture pour la plupart avec un accent mis sur les images d’ambiance. Chaque participante a choisi une image qui représentait comment elle se sentait concernant ce premier jour de cours. Ensuite, une par une, les participantes se sont présentés au reste du groupe et ont expliqué pourquoi elles avaient choisi cette image. Une femme a choisi une image du barrage Hoover et a expliqué qu’elle se sentait comme le barrage « essayant de retenir l’eau » et qu’elle attendait avec impatience d’avoir un peu de temps pour elle où elle n’aurait pas à se préoccuper des problèmes des travaux de la maison et de la garde des enfants. L’intérêt d’utiliser une activité comme « Photos-émotions » dans un groupe, bien que ce ne soit pas vraiment une activité créative, c’est qu’elle établit un lien avec la façon de penser la plus latérale et fait de ce lien le point de départ des activités créatives en cours. Le reste de la session comprenait une introuction aux activités prévues par les artistes avec une discussion sur les espoirs et les attentes ainsi que les suggestions des participantes pour les activités futures. Les questionnaires précédents l’atelier d’ARIADNE ont également été remplis pendant cette session. Lors d’une autre session, nous avons donné aux participantes des exemples de portraits de la réformatrice sociale locale Octavia Hill, fondatrice de la National Trust et originaire de Wisbech, comme source d’inspiration pour elles pour créer leurs propres portraits. Travaillant par deux, les participantes ont créé des images de l’autre pendant qu’elles se posaient l’une l’autre des questions concernant leurs vies et le parcours qu’elles avaient suivi pour migrer à Wisbech. Pour beaucoup des femmes, ceci s’est révélé être une réelle opportunité pour créer des liens d’amitié ; beaucoup ont dit que c’était une bonne manière d’apprendre à connaître quelqu’un et que poser des questions tout en dessinant des images rendait l’activité plus reposante et pas provocatrice. Pendant cette session, les participantes ont créé et décoré leur propre journal à partir de carton et de papier coloré qu’elles utiliseront pour noter leurs poèmes, leurs écrits et leurs réflexions visuelles sur le cours. Cette activité était une excellente occasion pour les participantes de parler du groupe de manière informelle à propos des portraits personnels qu’elles avaient créé et des choses qu’elles avaient apprises à propos des autres participantes. A la suite de cette session, les participantes ont visité un musée local commémorant la vie et le travail d’Octavia Hill. C’est aussi à cette visite au musée que les participantes ont réalisé les similitudes entre elles et Octavia Hill. En tant que réformatrice sociale, Octavia Hill avait voulu une meilleure vie pour les communautés parmi lesquelles elle vivait, tout comme les participants avaient migré au Royaume-Uni pour chercher une vie meilleure pour leurs familles. 121
Les participantes ont pris plus d’inspiration de leur visite à musée sur Octavia Hill et ont par la suite travaillé ensemble pour créer leur propre « cabinet des curiosités ». Les participantes ont créé, avec de l’argile, de petits objets dont elles se souvenaient de leur enfance ou pour lesquels elles avaient une affection et qui avaient un lien avec leur passé. L’une des participantes a fait une série de petits oiseaux en vol qui, selon elle, lui rappelaient son enfance. Une autre a utilisé l’argile pour faire un bonhomme de neige (à propos duquel elle écrira un poème lors d’une session suivante). Une grande partie du dialogue qui a eu lieu tout au long de l’atelier était axé sur les idées de cartes et de trajets et sur ce qu’elles ont ressenti émotionnellement. Dans l’une des sessions, les participantes ont travaillé ensemble pour créer une carte « émotionnelle » de Wisbech. Sur cette carte, au lieu de lister où se trouvait l’hôtel de ville ou la station de bus, les participantes ont fait des dessins et des icônes indiquant où elles ont rencontré pour la première fois leurs partenaires ou où vous pouvez acheter le gâteau de gelée lituanien. La carte était aussi une manière de noter les incidents critiques dans les vies des participantes qui avaient été cruciaux dans le processus d’adaptation. Et ainsi, en prenant une carte des nouveaux environnements et en y intégrant leurs propres expériences émotionnelles, les participantes ont été capables d’affirmer symboliquement leur identité dans leur nouvel environnement culturel. Cette activité était particulièrement appréciée et beaucoup de participantes ont fait remarquer que cela serait bien si leur carte pouvait être imprimée au dos de la carte officielle de Wisbech diffusée par l’office de tourisme pour aider les migrants à se sentir plus chez eux lorsqu’ils arrivent à Wisbech. Pour beaucoup de participantes, c’était la première fois qu’elles écrivaient de la poésie. Pour commencer avec un modèle très simple, les participantes ont travaillé sur les poèmes du type « Qui suis-je » (en anglais le modèle « I am »). Le poème lui-même demande des réponses à une liste de déclarations ouvertes comme « je suis », « je vois », « j’entends », « je rêve », etc. Le but de ce poème est d’introduire des techniques poétiques très simples à des personnes qui n’ont peut-être jamais écrit de poème avant ; comme ces participantes ont écrit dans leur deuxième langue, cela a également été plus facile pour eux d’avoir un modèle. Une discussion au sein du groupe a suggéré que les poèmes pourraient être différents à chaque fois que vous décidez d’en écrire un, en fonction de comment vous percevez votre identité. Le choc culturel peut aussi amener les personnes à voir leurs identités différemment, par exemple, les choses dont vous rêviez à propos de votre pays natal peuvent être différentes de ce que vous rêvez à propos de votre nouveau pays 21. A la suite de certains thèmes, une autre session s’est concentrée sur les réponses créatives écrites à des souvenirs. Nous avions demandé aux participantes d’apporter des objets ou des photographies de leur enfance et d’écrire un poème ou un court morceau de prose sur ce que les images leurs évoquaient. Une femme a écrit un poème du point de vue de la plume d’un paon suite à ses souvenirs de paons errants dans les rues de sa ville natale lors d’un été de son enfance. Elle a noté que bien qu’elle n’ait jamais oublié ces paons, se concentrer précisément sur eux l’a rendu presque nostalgique et reliée à son passé. S’installer dans un autre pays peut signifier que tous vos souvenirs d’enfance sont déconnectés de la culture où vous vivez maintenant. En se concentrant sur ces souvenirs, les participantes ont été capables de ressentir le sentiment de responsabilisation et d’affirmation de leurs parcours de vie dans leur nouvel environnement culturel. Inspiré par la visite du musée d’Octavia Hill à une session antérieure, les participantes ont créé des heritage blue plaques anglaises22 mais au lieu d’être dédiées à des personnes célèbres, les plaques étaient dédiées à des personnes qui ont aidé les participantes dans leur voyage pour s’installer au Royaume-Uni. En réinventant cette icône britannique historique, les participantes ont eu l’opportunité, d’une certaine manière, non seulement de faire partie du patrimoine collectif esthétique du pays d’accueil mais aussi de le transformer en quelque 122
chose de personnel les encourageant ainsi à voir de nouvelles possibilités pour elles-mêmes. Ailleurs, les participantes ont écrit des Haïkus inspirés par leurs entourages avec un accent sur les changements de temps et de saisons. Ce simple poème de trois lignes (comprenant traditionnellement une ligne de cinq syllabes, suivie d’une ligne de sept syllabes et finissant par une ligne de cinq syllabes) est une manière concise et simple de noter un sentiment d’appartenance et les émotions que cela évoque. Bien que le décompte des syllabes ait posé probème à certaines participantes, pour d’autres, il a offert une opportunité de réfléchir de façon concise à ce qu’elles ressentent concernant leur entourage culturel. L’une des participantes a noté :
« je n’ai jamais pensé que je pourrais écrire un poème mais je l’ai fait ! » 23 Dans les dernières sessions, les participantes avaient l’occasion de terminer leurs histoires et poèmes pour leurs journaux. Il avait également été décidé, à ce moment précis du cours, que certains des travaux artistiques et des poésies seraient rassemblées dans une courte publication conçue par l’un des artistes et intitulée « Une vie meilleure ». Les participantes étaient très enthousiastes face à cette perspective et avaient hâte d’avoir des projets de publication. Le cours avait été très apprécié des participantes et si les fonds avaient été disponibles, elles auraient aimé continuer. 21
Voir la description des poèmes « qui suis-je » dans le chapitre des « Ressources ».
22
C’est-à-dire des plaques commémoratives bleues posées sur certains bâtiments pour commémorer un lien entre ces lieux et des personnes ou évènements célèbres, ces plaques servent ainsi de repère historique (trad.) 23
Pour plus d’information, voir le chapitre « Ressources ».
Célébration culturelle
La session finale a donné lieu à une célébration culturelle et une présentation des travaux artistiques. Les membres de l’organisation partenaire y ont assisté et les participants et les artistes-animateurs ont apporté de la nourriture traditionnelle comme des gâteaux de gelée et de la soupe à la betterave. L’une des participantes a dit « J’ai aimé assister à ce cours, cela a rendu ma vie plus heureuse ! ». Une autre a dit « L’art n’est pas seulement pour les privilégiés, c’est pour les personnes. »
Résultat Les ateliers « Une vie meilleure » ont engrangé beaucoup de résultats intéressants et positifs. Beaucoup des participantes avaient eu avant un contact limité avec les arts créatifs dans leurs vies, ce qui s’est rapidement vu dans le commentaire de l’une des participantes : « Je pense que l’art est pour mes enfants et l’école. Pas pour moi ». Cependant, malgré ces perceptions, tout le groupe a participé à toutes les activités. Peu de temps après le début des ateliers, il est devenu claire que les participants ont apprécié, non seulement l’opportunité de travailler ensemble, mais aussi l’espace de paroles ouvert à propos de ce qu’ils ressentaient concernant leur installation à Wisbech. Beaucoup d’entre elles ont laissé leur famille et leurs amis pour venir au Royaume-Uni pour mener « une vie meilleure » mais depuis leur arrivée, elles se rendaient seulement compte de combien il était difficile de s’adapter. Cependant, beaucoup d’entre elles ont raconté qu’être séparées de leurs environnements culturels habituels avait eu un impact sur leur propre perception d’elles-mêmes. Par 123
exemple, l’une des participantes, Ausra, avait chanté en tant que chanteuse semi-professionnelle en Lituanie mais n’avait pas été capable de trouver un point d’entrée approprié pour ce passe-temps à Wisbech. Cependant, vers la fin des ateliers, elle a expliqué qu’elle avait trouvé un groupe local pour commencer à chanter avec eux. Bien que les activités créatives au sein des ateliers « une vie meilleure » n’étaient pas lié à la performance, c’est peut-être cette valorisation de la routine qui lui a permis d’acquérir la motivation de la flexibilité identitaire nécessaire pour trouver ce premier point d’entrée. Pendant la session des Haïkus, beaucoup de participantes ont remarqué qu’elles n’avaient pas réalisé combien les changements de saisons de leurs pays natals leur manquaient. L’une des participantes a écrit un long poème à propos d’un bonhomme de neige utilisant la neige comme une métaphore pour l’expérience d’un migrant avec les lignes suivante :
« Je me demande si je serais là toute ma vie, j’apprends que la neige peut fondre ».
Le groupe de participantes avec lequel nous avons travaillé pour les ateliers « Une vie meilleure » a été séduit par toutes les activités créatives proposées. En effet, comme mentionné précédemment, bien que beaucoup des participantes n’avait pas eu accès à des activités artistiques avant, elles ont toutes montré un intérêt dans la poursuite de la rencontre en tant que groupe; l’une des participantes, à propos de son expérience de sa venue aux ateliers, a ajouté :
« Je me réveille le lundi et ma vie est pleine de couleurs ».
L’une des participantes, Ausra, a voyagé de sa ville natale de Venta en Lituanie jusqu’à Wisbech dans le comté de Cambridge, au Royaume-Uni, pour rejoindre son mari. Peu après son arrivée, elle a obtenu un travail difficile dans l’industrie agricole qui attire des milliers de migrants d’Europe de l’Est à Wisbech chaque année. Cependant, lorsque son employé a appris qu’elle était enceinte de quatre mois, elle a perdu son travail. Elle est retournée en Lituanie, alors que son mari était resté au Royaume-Uni. Mais, comme le climat financier de Lituanie a progressivement empiré, il est devenu difficile de trouver du travail. Elle a raconté :
« Je ne pouvais pas rester et je devais déménager et donc j’ai commencé à repenser à l’Angleterre et ma décision de revenir à Wisbech en 2009 a été prise ».
Ausra décrit son premier choc culturel comme plus violent que ce qu’elle avait imaginé. Elle était surprise des différences dans la manière dont les personnes se socialisaient et elle sentait qu’il y avait moins d’importance accordée à l’activité familiale et que c’était plus axé sur la visite de pubs et de restaurants. Elle a aussi été choquée par les différentes nourritures disponibles dans les supermarchés locaux. Une découverte capitale était celle de magasins polonais locaux où elle pouvait acheter des ingrédients qui lui étaient familiers. En faisant ses courses au magasin polonais local, elle a appris qu’il y avait des magasins lituaniens dans la région. Elle a également été mis en contact avec Daina Zagurskiene, la travailleuse familiale du Wisbech South Children’s Centre, qui lui a parlé des ateliers pilote d’ARIADNE par Momentum Arts. Ausra a assisté à tous les ateliers pilotes qui ont eu lieu sur ces douze semaines. En se concentrant sur l’exploration de l’idée de « Qu’est-ce qu’un chez-soi ? » pour encourager les activités créatives et le dialogue continu, Ausra a réfléchi sur « Lorsque je prends le train, à l’intérieur, je sens qu’il manque quelque chose. Puis je comprends que c’est Wisbech qui me manque maintenant et Wisbech c’est chez moi. » Tout au long des ateliers, il est devenu évident que l’installation dans un autre pays a été une expérience difficile pour beaucoup des participantes. Dans sa ville natal de Venta, en Lituanie, Ausra avait travaillé en tant que chanteuse professionnelle pour des mariages et des évènements mais sans ces contacts dans son nouveau foyer, où il n’y a pas de centre artistique ou de centre culturel, elle n’avait pas été capable d’avoir accès au même type 124
d’opportunités. Ausra a aimé les activités artistiques pour ce qu’elles étaient mais aussi parce qu’elle se sentait exister en y prenant part, en lui permettant d’exprimer sa créativité et de renouer avec les éléments de son identité en Lituanie à l’opposé de sa nouvelle vie au Royaume-Uni qui était principalement axé sur des travaux manuels temporaires et sur prendre soin de son enfant.
La question « Qu’est-ce qu’un chez-soi » a été utilisé tout au long du projet pilote comme un stimuli pour les activités créatives. Ausra a réalisé son propre modèle, sa propre interprétation de ce que signifie un « chez-soi » pour elle.
« Wisbech est ma maison, le port est mon endroit préféré pour réfléchir. En Lituanie, je vivais près de la mer et je me réveillais et regardais la mer depuis ma fenêtre ». D’ailleurs, Ausra nous a parlé de sa surprise face au processus d’acculturation qu’elle avait subi depuis son installation à Wisbech et des nouvelles relations culturelles qu’elle avait développé. Elle nous a raconté :
« J’ai rendu visite à mon père en Lituanie et nous avons regardé un grand match de football de la Ligue des Champions. La partie était entre l’Angleterre et la Lituanie et mon fils criait l‘Angleterre ! Angleterre ! » Ausra se sent chez elle à Wisbech et elle voit son futur ici au Royaume-Uni. Depuis qu’elle a assisté au projet pilote d’ARIADNE, Ausra a trouvé un autre point d’entrée artistique et a rejoint une société d’opéra local. Elle nous a dit que, ces derniers jours, elle a l’impression que « je peux tout faire ». Une autre des participantes, Rasa, a quitté Vilnilis en Lituanie pour Wisbech dans le comté de Cambridge, au Royaume-Uni, en 2008. Ses parents s’y étaient installés deux ans auparavant ; la décision de les rejoindre a été précipitée par le climat économique dégradant de la Lituanie. Elle a trouvé difficile de s’adapter à son nouvel environnement culturel et se rappelle combien ses amis de Lituanie lui ont manquée terriblement. Son adaptation a aussi été entravée par le fait qu’elle ne parle pas anglais. Elle s’est inscrite à un cours du soir pour apprendre l’anglais et elle a aussi trouvé un emploi temporaire dans l’industrie alimentaire pendant que ses parents s’occupaient de son enfant. Elle a expliqué qu’il était difficile de travailler dans une usine à emballer des légumes alors qu’en Lituanie, elle avait un emploi plus qualifié. Rasa a assisté à l’atelier pilote « Une vie meilleure » dans lequel elle a pris part à toutes les activités artistiques. Rasa a remarqué qu’il était intéressant de se demander comment nous nous sentons par rapport à notre environnement et cela l’avait fait réfléchir sur ces dernières années passées à Wisbech. Elle était particulièrement intéressée pour créer son 125
propre autoportrait et disait que c’était bien d’avoir du temps pour « ne pas travailler, juste dessiner ». Rasa avait trouvé que s’installer au Royaume-Uni avait entrainé, chez elle, une perte de confiance. Le choc culturel qu’elle a ressenti dans son nouvel environnement a fait qu’elle trouvait difficile de se concentrer sur les choses qui d’habitude la rendaient heureuse. Elle a décrit comment elle avait « beaucoup pleuré ». Le fait qu’elle avait un petit enfant dont il fallait s’occuper l’a aidé à poursuivre son chemin,
« J’avais une responsabilité envers mon enfant et ma famille, et c’était ma motivation qui m’a permis de garder le moral ».
Beaucoup des femmes ont dit que l’adaptation de leurs enfants à une large communauté par le biais de leur école avait été le catalyseur pour elles pour se frayer un chemin vers les services locaux et les collectivités locales. En effet, Krause (1978) a observé que les enfants peuvent jouer un rôle essentiel dans l’installation de femmes immigrantes. Rasa est entrée dans la phase d’adaptation en se concentrant sur la routine d’aller chercher son enfant à l’école et d’assister à ses cours du soir hebdomadaires. Mais même quand ses compétences en anglais se sont améliorées et qu’elle a trouvé cela plus facile de s’intégrer, elle nous a racontés qu’elle s’était sentie différente – en Lituanie, elle avait un large cercle social de personnes avec qui elle avait grandi. Elle nous a dit qu’elle sentait que ce sentiment de sécurité ne serait jamais ressenti à Wisbech. Mais en assistant aux ateliers, et en parlant de ses expériences avec les autres participants, elle a eu l’impression qu’elle avait trouvé une autre communauté, elle nous a dit :
« Vous ne vous imaginez pas quand vous passez devant quelqu’un dans la rue ce qu’il a dû traverser pour arriver là ». Rasa a visité le Musée d’Octavia Hill. Comme la plupart des participantes, c’était la première fois qu’elle rentrait dedans. La visite a inspiré Rasa qui a créé une plaque bleue qu’elle a dédiée à sa mère qui avait emménagé à Wisbech sept ans auparavant. Rasa a expliqué qu’il était précieux d’avoir du temps pour réfléchir sur son séjour et pour partager son histoire avec d’autres participants et que ce n’était que maintenant, en y repensant, qu’elle avait réalisé combien de choses, elle et ses parents, avaient accomplis. Il a semblé que personne ne lui avait jamais demandé comment elle se sentait à propos de son parcours migration, d’avoir laissé derrière elle ses amis, sa ville natale, à la recherche d’une « vie meilleure ». A une autre session, Rasa a réalisé un autoportrait. En utilisant des collages et des illustrations, le portrait représentait des aspects de la personne en lien avec leur identité culturelle. Rasa a expliqué que c’était une nouvelle manière de regarder son autoportrait et c’était quelque chose qu’elle n’avait jamais fait avant. Bien qu’elle ait fait un peu d’art à l’école, elle avait toujours pensé qu’elle ne pourrait pas dessiner. En donnant aux participants la liberté de se représenter d’une manière très personnelle et unique, l’importance de créer une image parfaite a été détournée vers la création de quelque chose qui était une représentation de leur soi émotionnel et de comment ils se sentaient à ce moment précis. L’une des sessions était axée sur la création de poèmes utilisant un objet d’une valeur sentimentale que les participantes avaient apporté. Rasa a utilisé un sifflet en bois, que son père lui avait donné, comme point de départ pour faire fusionner les souvenirs de sa vie en Lituanie avec les réflexions sur son environnement actuel.
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Il est juste de dire que Rasa a fini par maitriser un certain nombre d’éléments de sa nouvelle vie. Chercher des points d’entrée au sein de son nouvel environnement culturel l’a amené à rejoindre une chorale au Centre Rosmini. Rasa était très positive concernant sa participation au projet ARIADNE et a décrit son expérience ainsi:
« Dans mon enfance, je me suis toujours sentie en sécurité et j’ai toujours aimé cela et aimé cette sensation. Et ici, dans ce cours, je l’ai retrouvée, cette sensation. Lorsque ma vie a changé, quelque part, j’ai perdu cette sensation et grâce à ce cours, je l’ai, en quelque sorte, retrouvée. » Le second atelier ARIADNE de Momentum Arts « Arts et Langue » a été conçu et réalisé par Momentum Arts avec les artistes-animateurs, Hilary Cox et Dan Donovan, en partenariat avec le Centre Rosmini. Les objectifs premiers de l’atelier étaient de créer un espace créatif sûr où les participants pourraient utiliser l’art créatif pour explorer les sentiments de choc culturel, de perte et d’anxiété associés à l’adaptation culturelle. Nous avons également consulté nos partenaires et les participants potentiels qui ont montré un intérêt pour améliorer leurs compétences linguistiques en anglais dans un environnement reposant et créatif. Ici nous expliquons les objectifs pédagogiques, les méthodologies utilisées, les activités qui ont eu lieu et les résultats, à la fois créatifs et émotionnels, tout comme les leçons que nous avons tirés de ce projet et que nous avons partagés avec nos partenaires. Quand était-ce et qui l’a fait ? Les ateliers ont eu lieu entre mars et mai 2012 comprenant des 12 sessions de 2,5 heures. Nos partenaires au Centre Rosmini ont des contacts avec des groupes de migrants d’Europe de l’Est affiliés au Centre Rosmini dont l’objectif est d’aider les migrants récemment arrivés à Wisbech, dans le nord du comté de Cambridge. Nous avons recruté des participants par le biais du Centre Rosmini et les ateliers ont eu lieu là-bas. Cependant, contrairement au premier projet pilote de Momentum Arts dans lequel nous avons travaillé avec un groupe de femmes d’Europe de l’Est, ce groupe comprenait un mélange d’hommes et de femmes dont la plupart étaient au chômage et cherchaient un emploi. Ces contraintes de temps ont eu un impact sur leur disponibilité pour assister à toutes les sessions de l’atelier et bien qu’il ait eu un noyau dur de 8 participants qui a assisté à la plupart des sessions, ce second projet pilote a parfois agi comme « une goutte d’eau » pour beaucoup de participants.
Objectifs pédagogiques L’objectif pédagogique était de guider et d’encourager les participants à utiliser leur environnement culturel actuel comme stimuli pour créer des œuvres d’art. En prenant part à une gamme d’activités créatives, les participants se sont vu offrir un espace pour réfléchir, et répondre, de façon créative, aux sentiments de choc culturel, et aux sentiments de perte et d’anxiété associés à l’adaptation à un nouvel environnement culturel. Nous avons voulu initier, à travers la participation dans des activités artistiques créatives, un partage d’histoires de vie et d’expériences culturelles. Nous avons également voulu incorporer des cours d’anglais au sein des ateliers. Cependant, le principal objectif des ateliers était de faciliter les 127
activités créatives. Les résultats concrets de ce projet prévus étaient une sélection des travaux artistiques, des morceaux d’écriture créative et de journaux intimes. Les participants prendront également part dans une recherche qualitative, incorporant des questionnaires et des entretiens, conçue pour mesurer les changements dans leur conception personnelle.
Méthodologies utilisées Momentum Arts a utilisé l’apprentissage empirique pour inciter les personnes à participer activement à tous les aspects des ateliers. Tout comme pour le premier projet d’ARIADNE, nous utiliserons des éléments de la théorie artistique relationnelle afin de créer des travaux artistiques qui seront influencés par le rapport des participants à leur environnement. Au sein des ateliers, nous avons voulu créer un environnement qui incite au dialogue et dans lequel les participants réfléchissent à leur relation avec leur nouvel environnement culturel et s’expriment sur ce qu’ils ressentent aux autres membres du groupe.
Contenu Dès le début des ateliers, nous avons réalisé que ce projet pilote serait très différent du premier projet pilote de Momentum Arts. L’un des principaux défis était la langue : même si beaucoup de personnes du groupe avaient un bon niveau d’anglais, il y en avait beaucoup qui avait des difficultés à comprendre les instructions des artistes. Les participants venaient de Russie, de Lettonie, de Lituanie, de Pologne et du Portugal, et même si nous avions des traducteurs, cela signifiait que pour chaque étape, il était nécessaire que le dialogue soit traduit en cinq langues différentes. Bien que cela signifiait que le groupe pouvait être tenu informé tout au long des ateliers, cela entravait le déroulement des activités et cela voulait dire que le groupe serait moins enclin à créer des liens. En effet, beaucoup de participants ont passé leur temps avec d’autres personnes de leur pays natal et lorsque des tentatives ont été faites pour que le groupe travaille ensemble par deux (avec quelqu’un avec lequel ils n’avaient pas encore travaillé), le problème de communication refaisait surface. En outre, nous avions prévu que le groupe travaillerait sur des œuvres d’art collectives ensemble tout en parlant de leurs expériences, de leur installation à Wisbech. Cependant, les participants dont le niveau d’anglais était limité, bien qu’ils aient envie de travailler sur les œuvres d’art, ne se sentaient pas réellement obligés de se joindre aux discussions de groupe. Les deux premières sessions étaient l’occasion pour les participants de se connaître. Très peu d’entre eux s’était rencontré avant et avec quatre langues différentes, il était important de trouver des moyens accessibles et non menaçants d’encourager le groupe à créer des liens. La première activité intitulée « Prends la pose » (en anglais « Strike a Pose ») nécessitait que le groupe se tienne debout en cercle et que, chacun à leur tour, ils disent leur nom et qu’ils prennent une pose. Par exemple, quelqu’un disait son nom et en même temps sautait en écartant les bras et les jambes en étoile ou qu’il disait son nom tout en levant le pouce. Le reste du groupe répétait ensuite à l’unisson le nom de la personne tout en exécutant la même pose que la personne en question avait effectué. Ce jeu d’échauffement a très bien fonctionné puisqu’il était simple à suivre et son insouciance a rapidement permis aux participants de rire permettant ainsi de briser la glace. L’activité suivante, appelée « Sentir les Photographies », a nécessité l’utilisation d’une ressource. Cette fois, chaque participant devait choisir une des photographies et dire quelque 128
chose sur elle sur ce qu’ils ressentaient à propos de leur environnement culturel. Ceci a extrêmement bien fonctionné et il est rapidement apparu que beaucoup de personnes du groupe avaient eu les mêmes pensées et les mêmes expériences à leur arrivée à Wisbech. Ce sens partagé de collectivisme a aidé le groupe à créer des liens et bien que la barrière de la langue soit un obstacle à chaque étape, il est apparu que les membres du groupe se sont senti à l’aise et détendus les uns avec les autres. L’une des sessions suivantes était basée sur la création de portraits des uns et des autres tout en cherchant des liens personnels à d’autres parties du monde. Ceci a fonctionné de la même manière que pour le pilote « Une vie meilleure » ; les participants ont utilisé cette activité comme moyen pour connaître les autres participants mais avec l’activité de dessin comme distraction au lieu de simplement poser des questions. L’une des sessions invitait les participants à explorer l’idée de cartes et de voyages. En commençant par une grande carte de l’Europe, les participants se sont rassemblés autour et chacune des personnes a collé un point coloré sur la carte pour montrer d’où elle venait. Les participants ont parlé de leurs parcours personnels pour arriver à Wisbech. Ils ont parlé de l’endroit où ils vivent maintenant, des endroits qu’ils aiment le plus et des émotions par lesquelles ils sont passés lorsqu’ils se sont retrouvés dans un nouvel environnement. Bien que les limites du langage impliquent que le dialogue ne puisse circuler de manière continue, les supports visuels ont permis aux participants d’indiquer et de dessiner pour expliquer leurs points. Dans un autre exercice, les participants ont fait le plan de leur voyage émotionnel en créant une large peinture de groupe. Chaque participant a utilisé différentes couleurs et marques pour représenter son voyage au sein de Wisbech et pour indiquer où il aimerait être dans le futur. L’activité a commencé par une conversation de groupe sur ce qu’ils ressentaient concernant l’endroit où ils vivaient, et les étapes ils avaient besoin de passer pour réaliser leurs ambitions. L’un des participants a dit :
« J’ai l’impression que Wisbech est un désert. Tout est pareil. »
En comparaison par rapport au premier projet pilote, les participants du projet pilote «Arts et Langue» avaient moins d’expériences positives sur les migrations à Wisbech. Une plainte commune a été que dans leurs pays natals, ils avaient une fois eu de bons travails et étaient appréciés en tant qu’employés. Cependant, à Wisbech, beaucoup d’entre eux étaient employés par des agences pour travailler dans des usines. Mais, ils ont dit qu’ils étaient contents d’avoir l’opportunité de gagner plus d’argent, parfois les longues heures de travail et l’apparent manque de lois du travail les avaient déçus. Cependant, il était clair qu’ils ont aimé se concentrer sur les activités créatives et l’un des participants a dit,
« Lorsque nous sommes ici, j’ai l’impression d’être calme, en harmonie. J’aime être ici. » L’un des participants qui a assisté à toutes les sessions était Velna : elle a migré de Lettonie, en Europe de l’Est, à Wisbech pour rejoindre son partenaire en mars 2011. Son partenaire travaillait dans une usine à Wisbech et avait quitté la Lettonie à cause du fort taux de chômage. Quitter un petit village rural de Lettonie pour vivre dans le bourg de Wisbech, Velna avait trouvé la transition difficile. Beaucoup de migrants quittent leurs villes natales pour « suivre » leurs 129
partenaires à l’étranger et cela peut entrainer une perte de confiance. Si le partenaire pour lequel ils ont déménagé est engagé dans un nouveau travail, cela peut peut-être les laisser penser qu’ils ont sacrifié un degré d’autonomie mais qu’ils n’ont toujours pas de point d’entrée par lequel trouver leur propre responsabilisation (en anglais « empowerment »). Un autre problème pour Velna c’était la barrière de la langue. Bien que Velna ait commencé à apprendre l’anglais avant son arrivée à Wisbech, elle a trouvé cela difficile de parler assez bien pour pouvoir trouver un emploi. Elle était contente d’être avec son partenaire mais ses amis et sa famille lui manquaient terriblement. Pour beaucoup, ne pas travailler et rester seul toute la journée peut amener à une perte de confiance. Velna a réalisé que plus tôt elle pourrait s’habituer à son nouvel environnement, plus cela deviendrait facile pour elle. Les activités artistiques ont été conçues pour explorer les sentiments de choc culturel et d’identité culturelle en utilisant des questions du type « Qu’est-ce qu’un « chez-soi » ? » comme point de départ pour voir ce qu’ils ressentent à propos de leur installation à Wisbech. Le choc culturel le plus important pour Velna était les différences dans la nourriture. Elle nous a raconté que le pain était la chose la plus étrange auquel il fallait s’habituer. Mais il y avait d’autres choses qui manquaient à Velna à propos de la culture de Lettonie. Elle nous a décrit qu’elle avait l’habitude de s’asseoir à côté du feu les soirs et qu’elle allait nager dans les lacs près de chez elle. Elle nous a expliqué en quoi la culture à Wisbech est si différente. Dans sa ville natale, ils ont l’habitude d’aller en famille cueillir les champignons dans les bois, mais
« si vous faites cela ici, les personnes vont penser que vous êtes fous ! A Wisbech, tout le monde va au pub.»
D’ailleurs, elle nous a expliqué que Pâques est un grand évènement familial en Lettonie avec des parades impliquant toute la communauté. Mais à Wisbech, il n’y a rien, pas de grande parade, juste des śufs de Pâques en chocolat. Bien que Velna s’occupe actuellement de son enfant pendant que son partenaire travaille, être employée pour un travail temporaire l’a aidé à se sentir faire partie de la communauté et à rencontrer d’autres personnes de Lettonie récemment installées à Wisbech. Cela l’a également aidé à retrouver un peu d’autonomie personnelle et son niveau de confiance a commencé à augmenter. Cependant, même si Velna était heureuse et reconnaissante d’avoir trouvé du travail, elle a trouvé le système de l’agence difficile,
« Parfois, ils disent que vous avez du travail mais lorsque vous arrivez là-bas – rien. » Néanmoins, elle a continué « mais c’est notre choix, nous pouvons gagner plus ici et c’est bien. » Velna a aussi décrit en quoi assister aux cours « Art et langue » du projet ARIADNE par Momentum Arts l’avait aidé dans sa transition. Elle a décrit combien il avait été bien de venir chaque semaine, d’avoir son temps à elle et « d’essayer de nouvelles choses ». Velna avait eu une petite expérience des arts avant d’assister au pilote et a senti que sa vision sur l’influence des arts pour se sentir mieux avait changé depuis qu’elle y avait pris part. Elle nous a dit : « Ici c’est bien. Dessiner c’est bien. »
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En conclusion Il semblerait que les projets pilotes « une vie meilleure à travers l’arts et la langue » étaient tous les deux des expériences intéressantes et très différentes pour à la fois les participants et Momentum Arts. Les activités artistiques ont été variées et ont entrainé différentes réactions chez tous les participants. Beaucoup d’entre eux n’avait pas d’expérience à l’âge adulte d’avoir pris part à des activités créatives mais ils ont fait remarquer qu’ils les avaient appréciées et qu’ils aimeraient en faire plus. Même si les différences de langages ont posé problème dans le second projet pilote, tous les participants ont essayé toutes les activités proposées. L’un des aspects les plus gratifiants des projets pilotes pour Momentum Arts était la durée de l’engagement. L’élément de recherche du projet nous a aussi donné l’opportunité d’apprendre des choses sur les différentes méthodologies utilisées par nos pairs européens. Les projets artistiques participatifs étant souvent menés sous la pression pour atteindre le nombre de participants requis, il était précieux d’être doté de ressources pour examiner en profondeur les expériences de nos participants.
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2.7. « FAIT-MAISON » : RAPPORTS COMMUNAUTAIRES À TRAVERS LE CINÉMA ET L’ANIMATION Judit Koppány, László Fodor, Veronika Szabó
NOM DE L’ATELIER : Média créatif PROPOSÉ PAR : Fondation Artemisszió DATES : du 10/2011 au 12/2011 PRINCIPALE BRANCHE ARTISTIQUE : Cinéma et animation
Résumé L’objectif de cette étude de cas est de présenter les ateliers de média créatif autour de l’adaptation des participants migrants, ainsi que d’évaluer l’impact de ces ateliers. Ces derniers se présentaient comme une longue formation de trente heures à la création de films pour 10 à 15 migrants et demandeurs d’asile. L’étude de cas résume le contexte et la méthode adoptée dans l’atelier, décrit le processus (à la fois à l’échelle du groupe et des individus) et fournit des recommandations en vue d’une nouvelle formation en média créatif.
1. Méthodologie La méthodologie de l’atelier est basée sur la communication visuelle utilisant des techniques aussi bien manuelles que numériques. L’objectif étant d’atteindre une approche universelle à travers le langage visuelle, en mélangeant des histoires vraies ainsi que des éléments ludiques et humoristiques. Le produit final du projet est un court-métrage, une sorte de blog vidéo24. Les participants ont conçu et réalisé le scénario mais le montage a été finalisé par les facilitateurs du groupe en raison d’un manque de temps. La projection publique de la vidéo a eu lieu le 16 décembre 2011 sur le lieu du projet ARIADNE. Une méthode issue d’un autre projet récent intitulé « Isabel », a également été appliquée dans les ateliers. Ce dernier projet tente d’utiliser les possibilités des médias sociaux pour la réhabilitation des personnes socialement défavorisées. Les deux approches ont fonctionné en harmonie, probablement parce qu’elles sont toutes deux orientées vers la communication, dans la mesure où les deux projets visent le besoin humain naturel de l’expression individuelle. Les formateurs ont essayé d’aider les participants à saisir un message consciemment formulé pour le présenter àla société d’accueil. Le travail s’est déroulé dans une ambiance de paix et de confiance mais cela demandait parfois beaucoup d’effort aux participants. Chacun faisait partie d’un petit groupe et chaque membre avait une responsabilité particulière, dans le but de renforcer les liens personnels et culturels. 24
http://www.youtube.com/watch?v=K7r1ZQxJav4&feature=relmfu
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2. Cadre théorique Le cadre théorique de cette étude de cas était défini dans le projet ARIADNE. Un ensemble d’indicateurs était posé afin de détailler le processus d’adaptation. Ces indicateurs ont été utilisés comme une « grille » sur laquelle le processus d’adaptation pouvait être mesur: • Prendre en main les nombreuses discontinuités simultanément, surmonter le chagrin suivant les pertes. • Accommodement à l’altérité, la différence : aux nouveaux comportements, pensées, personnes, contextes (écologique, culturel, émotionnel, social). • Gérer les émotions de l’anxiété, du stress et de l’incertitude. • Création et maintien des liens et des réseaux sociaux dans le nouveau contexte. • Réconciliation avec sa propre histoire personnelle dans le nouveau contexte, recontextualisation de son projet de vie. • Sentiment d’autonomie renforcé : auto-détermination et sens du contrôle. • Estime de soi. • Bien-être. • Plaisir : expérimenter les émotions positives. • Engagement / implication. • Trouver du sens à sa propre vie. • Attitude envers le pays et le peuple d’accueil Plusieurs méthodes de recherches ont été utilisées. Des entretiens préliminaires ont été menés avec tous les participants de façon à ce que les histoires de vie et l’environnement de chacun soient minutieusement décrits. Lors des sessions séparées, des notes ont été prises par les deux formateurs et l’équipe de recherche. A la fin de l’atelier, les participants ont été informés à travers des méthodes interactives, lors d’une réunion d’évaluation. Enfin, les entretiens finaux ont été conduits par deux personnes sélectionnées parmi les participants.
3. Participants Les participants étaient d’origines très différentes. En ce qui concerne leur statut, deux d’entre eux étaient originaires d’un pays du tiers monde et les huit autres étaient des réfugiés. Ils venaient de différents pays : la plupart étaient d’Afghanistan, mais il y avait également des participants originaires d’Iran, Géorgie, Indonésie et Nigéria. Ils avaient différents niveaux d’éducation allant de deux années d’école primaire aux études supérieures. Environ la moitié du groupe parlait l’une des langues de communication de l’atelier (l’anglais ou le hongrois) en plus de leur langue maternelle. Leurs expériences professionnelles différaient également : certains étaient des travailleurs manuels, d’autres exerçaient des emplois de bureau. Cependant, au début de l’atelier, la plupart d’entre eux étaient sans emploi. Il est, en outre, important de noter qu’à l’exception de deux personnes, tous les réfugiés vivaient dans un centre d’accueil à Bicske, ce qui les isolait grandement. Lorsque l’on considère la correspondance entre ces deux facteurs, l’on peut affirmer qu’environ la moitié des participants étaient défavorisés de différentes manières. C’était, par conséquent, un groupe plutôt fragile. En plus des participants migrants, il y avait quatre participants hongrois qui venaient régulièrement aux sessions 25. 25
L’un d’entre eux a apporté son aide pour la traduction en russe, un autre pour la documentation de l’atelier et les deux autres n’ont eu aucun role particulier
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4. Les sessions et leur objectif pédagogique Après avoir brièvement exposé la méthodologie et le cadre théorique de l’atelier ainsi que la composition du groupe, il est à présent temps de passer à la description et l’analyse de chacune des sessions afin d’en retirer des conclusions particulières qui sont pertinentes pour l’objectif principal de l’atelier, à savoir la promotion de l’adaptation ; ou qui renvoient à quelques questions d’organisation supplémentaires, plus banales certes, mais d’égale importance. Session 1, 2, 3, etc/ Date Atelier 1 13 octobre
Atelier 2 19 octobre
Type de session / Discussion/Planning Activités
Présentation de l’atelier Activités pour briser la glace. Apprendre les éléments clés du lan- Construction de la confiance entre gage du film. les participants Initiation à l’utilisation des techniques Planning et partage d’idées vidéographiques Préparation du film. Premières prises.
Résultat/ Ce qui sera accompli ? Faire connaissance, découvrir l’atelier, apprendre les bases du cinéma, faire les premières prises, construire la confiance.
Conception d’une ébauche du Utiliser le langage du cinéscénario, création des premiers ma, échange d’idées sur les contenus vidéo et discussion au- objectifs personnels, partage tour de ces contenus. des habitudes. Echange d’idées sur les objectifs personnels, partage des habitudes. Constitution de groupes.
Atelier 3 2 novembre
Apprendre à utiliser les dessins sur le Elaboration du scénario, utilisation film, partage d’histoires personnelles des dessins sur le film, explicaet transformation de ces dernières en tion des significations, récit des petits synopsis de films. anecdotes sur la vie, les peurs, les désirs d’un migrant et discussion.
Atelier 4 9 novembre
Apprendre à utiliser les techniques Elaboration du scénario, création Construire la confiance et d’animation en volume (ou stop des arrière-plans, réalisation des réaliser des vidéos, explorer motion) et de la boite verte, travail en interviews sur les expériences en les expériences de chocs groupes avec des personnes avec qui Hongrie et les chocs culturels. culturels. on n’a pas beaucoup travaillé.
Atelier 5 17 novembre
Attribuer des titres, réfléchir sur tout Elaboration du scénario, utilisation Créer des profils, s’identifier, ce que nous avons accompli jusqu’à des techniques de stop motion. échanger sur les ressemprésent, interactions avec les autres. blances et les différences.
Atelier 6 2 décembre
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Thème/Objectif de la session
Montage de la vidéo, évaluation.
Réalisation des premières vidéos tournées par les participants eux-mêmes, réflexion sur leurs propres histoires personnelles et sur la façon de les visualiser et les recontextualiser.
Utilisation d’un logiciel de mon- Inventer une histoire à part tage de vidéo. Evaluer le travail entière à partir de de la vie à travers le film, s’interviewer les des migrants. uns les autres sur l’ensemble du processus.
Etude de cas n° 1 : Aref, 26 ans, Iranien La motivation principale d’Aref était d’apprendre les techniques du cinéma. Déjà en Iran, il avait participé à la production d’un film amateur et a réalisé un autre film à Budapest. Pour ce qui est de son parcours, il est arrivé en Hongrie en tant qu’étudiant mais, un an plus tard, pour des raisons politiques, il a fait une demande d’asile. C’est un jeune homme bien éduqué, ouvert et passionné de philosophie et de politique. Quant à son environnement familial, Aref a reçu une bonne éducation et est issu d’une famille d’un niveau social assez élevé. Leur bibliothèque familiale était remplie de livres de philosophie, de littérature, d’histoire. C’est par le biais de sa famille qu’il s’était familiarisé avec les philosophes et cela est devenu sa passion plus tard. Malheureusement, en raison de la situation politique en Iran, il ne pouvait pas étudier la philosophie et cela l’avait incité à quitter son pays. Il avait expressément choisi de venir en Hongrie et, à de son arrivée, il avait déjà une connaissance approfondie de l’histoire du pays et était impatient d’en apprendre davantage sur l’actualité hongroise. Sa soif d’apprendre lui fait utiliser son temps libre pour étudier, par exemple, les compositeurs hongrois. Il a un large réseau d’amis et une situation financière assez stable. Comme il était arrivé en tant qu’étudiant, accompagné de deux amis iraniens proches, cela lui a permis de faire très facilement partie d’un réseau. Cependant, comme il l’a expliqué lors de l’entretien préliminaire, il y avait peu de Hongrois parmi ses amis. Il en avait déduit qu’il était plus difficile de se faire des connaissances quand on ne parle pas le hongrois couramment. En réfléchissant sur l’expérience de vivre dans un pays étranger avec de nouvelles coutumes, routines et de nouveaux comportements auxquels il faut s’adapter, Aref voyait cela plutôt comme une expérience d’émancipation. Le plus important pour lui en tant qu’opposant en Iran, était le fait qu’il n’y ait en Hongrie aucune répression politique ou culturelle ; chacun peut s’exprimer librement. Evidemment, il a mentionné certaines choses auxquelles il avait du mal à s’habituer, telles que le manque d’efficacité de la poste hongroise, ou encore les difficultés, en tant qu’étranger, à se frayer un chemin à travers la bureaucratie hongroise. Néanmoins, somme toute, il considérait son expérience en Hongrie comme étant positive. Au moment où l’atelier commençait, son parcours connaissait une période de transition consistant en un changement d’orientation dans le cadre de ses études universitaires (des lettres vers la philosophie). Toutefois, il n’avait pas encore de projets concrets concernant son avenir. De plus, il avait la possibilité de tirer profit de son expérience dans le domaine des technologies de l’information même si ce n’était pas son premier choix. Cette incertitude était également liée à un changement dans la procédure légale. Celle-ci s’est déroulée parallèlement à l’atelier média créatif et n’a eu une issue positive que vers la fin de l’atelier. Si l’on évalue ces dimensions à l’aide des indicateurs d’adaptation définis par le projetARIADNE, l’on peut affirmer qu’Aref – dès le début de l’atelier média créatif – était une personne « bien-intégrée ». Il est vrai qu’il était contraint de quitter son environnement familial mais il avait eu le temps de se préparer et, en tant qu’étudiant à l’université, il était devenu membre d’un réseau dynamique. Il bénéficiait également du soutien informel des deux amis proches avec lesquels il était venu en Hongrie. Cela lui avait permis de construire un large réseau en peu de temps. Il va de soi que c’est aussi grâce à sa personnalité et sa forte motivation. C’est une personne curieuse et ouverte d’esprit, enclin à en apprendre plus sur les gens et les choses autour de lui. Il est en outre important de souligner que, dans son cas, vivre dans un autre pays était vu comme quelque chose de positif, l’accommodement à l’altérité dans ce sens était vécu davantage comme une auto-libération. Les difficultés qu’ils rencontraient pouvaient être attribuées au changement de son statut juridique, ce qui le contraignait à reporter à plus tard ses choix de carrière. 135
Durant l’atelier, il a très vite occupé une place centrale dans la mesure où il jouait le rôle important de traducteur au sein du groupe hongro-afghan. Cela était renforcé par ses aptitudes de coordinateur d’idées à l’intérieur du groupe. Depuis le tout début de l’atelier, il a été en mesure de développer une ambiance ouverte et démocratique, et d’impliquer habilement tous les membres du groupe dans le processus de travail. Dans l’entretien final, il a réfléchi sur l’importance du travail d’équipe qu’il considérait comme l’expérience d’apprentissage personnelle la plus significative :
« Je pense que j’étais dans la situation la plus difficile. C’est une chose de travailler dans un groupe parlant votre langue maternelle et que tout va de soi… Cela en est une autre quand il s’agit de personnes venant de différents pays. C’est plus difficile mais si vous parvenez à dépasser cela, vous pouvez tout surmonter. » Ces compétences peuvent certainement être utilisées dans d’autres interactions sociales. L’on peut affirmer que la réalisation de films – qui est un travail d’équipe et qui dès lors fait appel à la flexibilité et à la capacité de changer de perspectives – est par défaut une méthode permettant de développer les compétences d’adaptation. Sa contribution au film commun montrait qu’il était disposé à partager ses difficultés personnelles mais il se mettait souvent quelque peu à l’écart du groupe car il adoptait un ton plus léger, plus ludique et plus ironique. Ces interventions étaient bien accueillies par le groupe et avaient contribué à installer une ambiance plus détendue. Ayant rejoint l’atelier pour des raisons professionnelles, il a apprécié d’apprendre de nouvelles techniques et, comme il l’a souligné dans son entretien d’évaluation, il a considéré l’apprentissage des nouvelles techniques comme étant le plus grand bénéfice qu’il a retiré de l’atelier. Cependant, cela était fortement lié au travail d’équipe :
« Certaines des techniques que je n’avais pas le courage d’apprendre seul, étaient plus amusantes à apprendre en groupe. » Par ailleurs, il avait accueilli favorablement l’opportunité de partager et de comparer les expériences des participants migrants au sein du groupe. Comme il l’a expliqué :
« Quand vous êtes un immigré ou un étranger, vous vous rapprochez habituellement du groupe issu de votre pays. Ainsi, étant Iranien, j’essaye de trouver des personnes venant d’Iran. Cependant, il vous arrive de rencontrer des amis ou des personnes venant de différents milieux et cultures, et de découvrir que les problèmes d’intégration tels que la langue, la différence de cultures sont plus généraux et qu’on peut les traiter d’une façon plus globale… Cela peut vous remonter le moral et renforcer votre confiance en vousmême de savoir que vous n’êtes pas le seul à vivre cette situation ». Travailler en équipe, acquérir de nouvelles compétences, partager l’expérience d’être un étranger en Hongrie étaient les points d’apprentissage les plus importants pour Aref. En plus de cela, il a eu l’opportunité, par le biais de l’atelier, de s’engager dans des mouvements sociaux en Hongrie étant donné que l’une des organisatrices de l’atelier ARIADNE est elle-même une militante. Aref expliquait que c’était le changement récent le plus important dans sa vie. Cela 136
lui avait permis de trouver des personnes également engagées dans les questions sociales et avec lesquelles il pouvait construire des relations durables. Cela a montré que le fait d’impliquer des autochtones dans des activités initialement destinées aux migrants pouvait être un moyen efficace de créer un lieu de rencontre permettant de nouer des liens sociaux plus étroits si les centres d’intérêt communs sont assez importants pour maintenir ces liens après l’atelier. Comme Aref l’a expliqué, il avait beaucoup apprécié le travail en équipe avec les autres participants migrants mais ses contacts avec eux n’iraient pas au-delà de l’atelier en raison de différences personnelles.
Etude de cas n° 2 : Mashal, 32 ans, Afghane Mashal avait fait preuve une motivation remarquable pour assister à l’atelier en raison de son parcours professionnel. En Afghanistan, elle avait travaillé pendant 4 ans en tant que photoreporter et cela constituait une part importante de son identité. Le fait d’être une femme qui travaille en Afghanistan était mal vu. Mashal avait donc dû lutter contre les préjugés de ses proches parents et de la société en général. Malgré toutes ces épreuves, elle aimait son travail. Malheureusement, elle était de plus en plus exclue et, à un moment donné, la situation était devenue insupportable. Elle a dû fuir le pays, accompagnée de deux de ses enfants, et abandonner les trois autres. Le voyage vers la Hongrie fut très long : ils avaient mis un an à arriver. Avant cela, elle n’avait même jamais entendu parler de la Hongrie et ne pouvait donc pas se préparer à y vivre de quelque façon que ce soit. Les mois qui avaient suivi son arrivée étaient également pénibles : en attendant la fin de la procédure légale, ses jours étaient marqués par une routine assommante qui consistait en un va-et-vient quotidien entre sa chambre et la cantine du centre d’accueil de Debrecen. La situation était aggravée par le fait que son fils ne pouvait pas se rendre à l’école. Obtenir le statut de réfugiée était l’évènement le plus important de son séjour en Hongrie, comme elle l’a expliqué dans l’entretien préliminaire. Cela signifiait que son statut était régularisé. Elle devait, en outre, quitter Debrecen pour se rendre au camp de pré-intégration à Bicske. Son fils pouvait à présent aller à l’école et elle avait commencé à apprendre le hongrois également. Toutefois, elle était très mécontente des cours de hongrois et pensait que ces derniers ne la prépareraient pas à la vie après le camp de réintégration. Elle avait également expliqué qu’en dehors des cours de hongrois, elle n’avait interagi avec aucun des résidents. Malgré tout cela, elle avait une vision plutôt positive de la vie. Vivre en Hongrie était synonyme de liberté et de sécurité pour elle. Elle espérait pouvoir y faire venir sa famille et envisageait, pour plus tard, une carrière dans le photojournalisme. Elle n’avait cependant rien entrepris de concret dans le sens de ce dernier projet. Au début, la situation de Mashal était précaire à bien des égards. Son réseau social était très faible. Elle n’avait pas non plus de fortes attaches avec sa propre communauté ethnique ni au-delà. Elle était toujours en contact avec sa famille en Afghanistan mais la procédure à suivre pour les faire venir en Hongrie semblait très longue. Bien qu’elle eût globalement une bonne opinion de la Hongrie, le contexte institutionnel du pays lui était défavorable. Les services pour l’intégration fournis dans le camp ne semblaient pas suffisants pour adoucir la transition entre le camp et le monde extérieur. Son estime de soi et sa détermination basées sur l’amour de sa profession constituaient les fondements sur lesquels reposait son optimisme, mais il était question de savoir si elle mènerait une nouvelle carrière dans le nouveau pays. Tout au long de l’atelier, il était évident qu’elle avait apprécié être en contact avec la caméra. C’était une participante active et impliquée. Elle était fière de revendiquer son expérience professionnelle. Plusieurs de ses affirmations étaient axées sur l’importance du média. Elle avait cependant dit qu’elle aurait souhaité bénéficier de plus de temps pour approfondir ses connaissances. Comme elle l’a expliqué, il n’y avait pas assez de temps pour apprendre 137
beaucoup de nouvelles choses. En principe, le montage constituait une nouvelle expérience pour elle mais il n’y avait pas assez de temps pour le pratiquer suffisamment. Cependant, l’atelier a été l’occasion pour elle de retrouver son sens de l’identité professionnelle qui renforçait sa confiance en elle-même, sa détermination et son autonomie. Le fait qu’elle ait pu suivre le processus d’apprentissage dans son intégralité même si c’était la seule femme afghane de l’atelier et que c’était une mère célibataire qui devait apporter son bébé avec elle, la rendait exceptionnellement fière. Dans l’entretien d’évaluation, elle a réfléchi sur l’épreuve que représentait le fait de devoir s’occuper de la procédure du regroupement familial. Elle a noté que les sessions étaient pour elle l’occasion d’oublier ses soucis. A ce propos, quand le groupe partageait des anecdotes sur les difficultés quotidiennes, c’était réconfortant pour elle de voir qu’elle n’était pas la seule à faire face à ces difficultés, ce qui lui a permis de se sentir plus forte. Elle était également heureuse de parler de son pays d’origine car elle disait être fière d’être une Afghane. Cela montre que le fait de donner à une personne la possibilité de valoriser sa culture d’origine peut être un moyen de favoriser son estime de soi. En considérant sa position dans le groupe, on dénote une certaine ambiguïté. En effet, comme elle l’a expliqué, elle sentait parfois qu’elle ne pouvait pas partager toutes ses pensées et créer un lien avec les hommes afghans qui étaient dans son groupe car cela n’aurait culturellement pas été approprié. Cependant, lorsqu’on regarde le support film, l’on peut constater que Mashal était l’une des figures centrales, dans de nombreuses vidéos, elle jouait le rôle principal. Toutefois, dans l’évaluation finale, elle a évoqué l’importance d’élargir son réseau social grâce à l’atelier car cela pouvait lui être utile à l’avenir. A ce propos, elle a également souligné l’importance d’établir des contacts avec des personnes hongroises (en l’occurrence, les organisateurs) et de se sentir bien accueillie et soutenue par eux. Cela avait un impact direct sur son bien-être.
5. Conclusion Après avoir examiné chaque session, il est à présent temps d’analyser l’atelier à travers une perspective plus holistique et d’en tirer des conclusions générales et des recommandations pour l’avenir. Commençons par les indicateurs d’adaptation définis dans le projet ARIADNE. Le développement de certains d’entre eux peut facilement être retracé tout au long du processus. Cela inclut l’estime de soi, le plaisir, le bien-être, l’implication et le renforcement des réseaux sociaux. Il est clair qu’il y a eu une amélioration dans tous ces aspects pour le groupe dans son intégralité. Les participants qui, au début, étaient davantage dans l’observation contrairement à d’autres participants plus actifs, ont commencé petit à petit à assumer différentes tâches. Ces dernières étaient peut-être trop techniques au début (par exemple, filmer à l’aide d’une caméra) au début mais comme les participants devenaient de plus en plus autonomes, leur estime d’eux-mêmes s’était améliorée, ils étaient devenus plus décontractés et plus détendus dans leurs interactions sociales également. De plus, grâce au besoin continu de travail en équipe, les liens entre les participants s’étaient également très vite renforcés. Vers la troisième ou quatrième session, les participants se voyaient comme 138
un groupe soudé. Ils se félicitaient mutuellement comme des collègues. L’importance du groupe a également été soulignée par les participants dans la réunion d’évaluation finale. C’était l’avantage qu’ils avaient le plus mentionné. Pour ce qui est des indicateurs de la gestion de la perte, de l’accommodement à l’altérité, de la recontextualisation de sa vie et du renforcement du sens de l’autonomie. Ces questions liées aux indicateurs apparaissaient également dans les remarques individuelles et les discussions de groupe. Comme on l’a souligné ci-dessus, on avait mis un espace à disposition des participants pour qu’ils représentent, de façon créative, leurs origines, leurs réalités actuelles et leurs rêves d’avenir. Lorsque l’on considère ces différents points, il semble yavoir un modèle préétabli : ceux qui vivaient une situation précaire ont profité de l’atelier pour réfléchir sur des pertes et des gains concrets alors que ceux qui semblaient avoir une situation plus stable le prenaient comme un exercice créatif et formulaient souvent des commentaires davantage théoriques et philosophiques. Autrement dit, les participants dont le processus d’adaptation était « moins avancé » formulaient des commentaires qui étaient étroitement liés aux indicateurs ci-dessus. Cependant, le développement spécifique de ces compétences est plus difficile à retracer au niveau individuel. Les frontières entre les rêves d’avenir et les réalités futures semblaient notamment confuses. Ce qui n’est pas surprenant étant donné que les structures de soutien informel et institutionnel étaient faibles dans la vie de la majorité des participants. En outre, les facilitateurs avaient consciemment choisi de laisser les thèmes de travail ouverts et les participants choisir de passer librement d’un volet à un autre. Ainsi, chacun des participants devait réfléchir sur sa situation et la comparer aux expériences des autres. Par conséquent, l’atelier ne peut pas prétendre avoir aidé les participants à surmonter entièrement leurs sentiments d’insécurité. Néanmoins, l’implication active dans les processus créatifs a permis, d’une part, d’avoir l’occasion de formuler et d’exprimer ces sentiments négatifs et de reconnaitre les ressemblances entre les expériences des différents participants. D’autre part, l’atelier a également permis de leur donner la possibilité d’oublier leurs soucis quotidiens avec les activités plus joyeuses que nous avons effectuées. Un autre point important : la diffusion publique du film qui peut être vu comme les temps forts des sessions. Le film a été projeté devant 80 spectateurs le 16 décembre 2011. Les participants ont eu la chance de commenter leur expérience et, ce qui était encore plus important, c’est que cela leur avait donné un rôle important et socialement valorisé. Pour ce qui est des questions organisationnelles, nous les avons décrites en détails plus haut et allons à présent les récapituler, principalement pour mettre en relief les recommandations à venir. L’accent a été mis sur le besoin d’enseigner une variété de représentations techniques afin d’encourager la créativité et l’expression de soi. Cela impliquait d’enseigner aux participants, au début de l’atelier, différentes méthodes concrètes qu’ils pourraient combiner et expérimenter plus tard. Etroitement liée à cela, il y avait une mise à disposition de matériel technique qui donnait la possibilité de mettre en place une rotation des postes de travail de façon à s’assurer de l’implication de tous les participants. Autrement, il est impossible d’éviter les moments d’ « inactivité occasionnelle ». Pour ce qui est de la motivation des participants, il va sans dire que la définition des objectifs doit être plus rigoureuse de façon à éviter les malentendus par la suite. Rétrospectivement, l’on se dit que certains mots à la mode tels que « création commune », « communauté », « expression de soi » auraient dû être employés avec une plus grande insistance durant la sélection des participants et davantage encore lors du premier entretien individuel. La durée de l’atelier aurait également pu être plus importante : 30 heures semblent être un strict minimum. Enfin, et ce n’est pas le moins important, il est peut-être conseillé d’inclure officiellement une crèche, ce qui peut être important pour attirer plus de participantes. 26 26
Pour plus de détails sur l’utilisation du film, se référer au chapitre « Ressources »
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2.8. LE CHEZ-SOI EST LÀ OÙ LE CŒUR EST Lynne Bebb
NOM DE L’ATELIER : Le chez-soi est là où le cœur est (en anglais : « Home is Where the Heart is ») PROPOSÉ PAR : Tan Dance DATE : Juillet 2011 PRINCIPALE BRANCHE ARTISTIQUE : la Danse contemporaine
Résumé Ci-dessous est décrit un projet intergénérationnel de danse contemporaine, le premier pilote qui a eu lieu dans le cadre du programme ARIADNE pour étudier l’adaptation interculturelle à travers les arts. « Le chez-soi est là où le cœur est » a été conçu par TAN Dance pour répondre aux directives d’ARIADNE. Il a réuni plus de cinquante participants dont dix faisant partie de la communauté cible des migrants / refugiés / demandeurs d’asile. La pédagogie sous-jacente est décrite comme étant basée sur les principes et les méthodologies de la pratique de la danse intégrée. Le projet et ses réussites sont décrits et il est prouvé que la danse intégrée est une forme d’art particulièrement efficace pour la promotion de l’adaptation et de la compréhension interculturelles.
Pédagogie Le but du projet était de tirer profit du pouvoir des arts et, en particulier, de la danse intégrée pour promouvoir l’adaptation socioculturelle et l’ajustement psychologique. Le projet était fondé sur l’hypothèse que la participation d’une communauté dans les arts génère un capital social qui peut avoir un impact positif sur les objectifs sociaux, dans ce cas, l’adaptation interculturelle. De plus, il y a, y compris pour les intervenants, de nombreux avantages pour l’individu (confiance en soi, connaissance de soi, estime de soi, motivation, confiance, un sentiment de réussite et une chance de se présenter sous un jour positif) et pour le groupe (amitié, tolérance, compréhension mutuelle et respect). Le projet était une pratique fondée et informée par le son et un exemple audacieux pour les initiatives communautaires artistiques, en particulier la pratique de la danse intégrée et intergénérationnelle, dans laquelle un environnement créatif de soutien, fiable et sûr permet l’expression de diverses capacités, à savoir l’acceptation, la tolérance, le respect mutuel, l’empathie, la collaboration, le professionnalisme, la stimulation et la réussite. Nous pensons que la pratique de la danse intégrée peut être particulièrement efficace pour encourager l’adaptation interculturelle.
Le projet « Le chez soi est là où le cœur est » est un projet de danse intégrée intergénérationnelle qui s’est déroulé sur six jours consécutifs. C’était le premier pilote qui a eu lieu dans le cadre du programme ARIADNE pour étudier l’adaptation interculturelle à travers les arts et il a été conçu par TAN Dance, une communauté de danse installée à Neath Port Talbot, au Sud 140
du Pays de Galles. Les participants ont travaillé avec la chorégraphe Cecilia MacFarlane pour concevoir une pièce de danse contemporaine qui a été présenté les après-midis des deux derniers jours du projet dans deux lieux différents. Cecilia MacFarlane est une professionnelle du monde de la danse expérimentée et reconnue au niveau international comme une défenseuse de la danse intégrée et intergénérationnelle. Cinquante-neuf personnes ont participés à ce projet, âgées de quatre à soixante-quatre ans. Dix des participants étaient des migrants, des réfugiés ou des demandeurs d’asile âgés de plus de dix-huit ans et le pilote ARIADNE était centré sur ce groupe qui a été recruté à travers les contacts avec des organisations parmi lesquelles « City and County of Swansea Asylum Seekers Support Service », « Communities First », « Swansea City of Sanctuary », « The Brunswick Centre », « Swansea Bay Asylum Seekers Support Group », « African Community Centre, Swansea; Share Tawe », « People and Places Project, Swansea », « Digital Storytelling and Asylum Justice ». Il y avait trois enfants de ce groupe qui accompagnaient leurs parents. Le reste des participants venait de la communauté d’accueil et a été recruté à partir de la liste de contacts de TAN Dance et les contacts faits à travers le travail communautaire de TAN Dance. La population d’accueil était composée de participants d’âges variés et certains faisaient partie du groupe NEET (Formations ni en éducation ni en emploi, en anglais « not in education or employment training »). Des jeunes du « Barnardo’s Charity » et des personnes âgées, tout comme des professionnels retraités, ont également participé à ce projet. Les jeunes tout comme les personnes âgées étaient encouragés à se soutenir les uns les autres et à faire preuve de respect envers les autres en toutes circonstances. Certains des participants étaient des danseurs expérimentés ou des étudiants danseurs, certains avaient déjà participés à des projets de TAN Dance mais il y avait un nombre significatif de personnes, y compris les migrants / refugiés / demandeurs d’asile, qui n’avaient jamais dansé auparavant. Le thème du projet, « Le chez soi est là où le cœur est », a été soigneusement choisi et a fourni un espace créatif dans lequel tous les participants de deux communautés (la communauté d’accueil et la communauté des migrants / réfugiés / demandeurs d’asile) pouvaient aborder les notions d’identité, de chez-soi, de famille, d’amour, d’amitié et d’appartenance, tout d’abord à travers la danse contemporaine mais aussi à travers les arts visuels, l’écriture créative et la musique. La danse contemporaine est une forme d’art qui possède beaucoup d’avantages pour la promotion de l’adaptation culturelle. C’est une activité physique qui génère des sentiments de bien-être qui ont chassé les sentiments négatifs causés par l’isolation et la solitude du migrant/réfugié/demandeur d’asile. Un contact physique approprié brise les barrières et encourage la confiance. Travailler en vue d’une représentation finale rapproche les participants comme un groupe composé de personnes qui comptent les uns sur les autres et qui partagent tous l’excitation d’un résultat positif. La danse comme une forme artistique non-verbale peut surmonter les barrières de la langue. Une bénévole avec une formation professionnelle dans l’éducation et une expérience du travail avec des demandeurs d’asile est restée avec le groupe des demandeurs d’asile dès leur arrivée. Elle a passé du temps à communiquer et à travailler avec eux et s’asseyait avec eux pendant les pauses et les déjeuners les 2-3 premiers jours jusqu’à ce qu’ils soient plus confiants. Cette relation a été maintenue tout au long du projet. Le pilote a eu lieu dans le théâtre et dans la salle de répétition de Swansea Metropolitan University. La première représentation a eu lieu à l’université, l’après-midi du quatrième jour, et, le sixième et dernier jour, une deuxième représentation a eu lieu au Neath College’s Arts Centre. 141
Méthodologie Chaque session journalière avait lieu de 10h à 16h avec une heure pour déjeuner. Le premier jour a débuté avec un temps en cercle où tous les participants se sont présentés en utilisant un mouvement et la voix, mené par la chorégraphe, Cecilia MacFarlane. Elle a ensuite présenté le thème, en décrivant ses plans pour le projet et en expliquant comme elle proposait de travailler pour se préparer pour la représentation finale. Ont ensuite suivi des exercices de mouvements qui étaient conçu pour échauffer le corps d’une manière légère et non éprouvante. Tous les participants ont été encouragés à prendre part et à interpréter les exercices en fonction de leurs propres expériences et les capacités de leurs propres corps. Cecilia soutient que même un clin d’œil peut être considéré comme une danse et encourage même les personnes les plus réticentes, inexpérimentées ou physiquement handicapées à y prendre part. Des courtes séquences chorégraphiques ont été intégrées à ces exercices d’échauffement qui, selon Cecilia, serviraient à lier ensemble les différentes parties du projet pour la représentation finale. Le premier jour s’est terminé par une session de refroidissement avec des mouvements et un temps pour chacun pour réfléchir sur les progrès de la journée. Tous les participants ont été encouragés à dire comment ils se sentaient, ce qu’ils avaient particulièrement apprécié et ce qui avait été difficile. Cette session a instauré un débat dans lequel tous les aspects du projet pouvaient être exposés et examinés dans une atmosphère ouverte et de soutien qui a été grandement appréciée par tous les participants.
Séquences d’apprentissage et d’improvisation de mouvements
Le premier jour a établi un modèle pour les jours suivants et au fur et à mesure du développement du projet, les sessions de temps en cercle qui débutaient et terminaient chaque journée ont pris de l’importance. C’était pendant le temps en cercle que Cecilia rassemblait ensemble tous les éléments séparés, donnait des notes et des encouragements, et soulignait les tâches à venir. Les participants ont été activement encouragés à participer aux discussions et par conséquent, un sentiment croissant de propriété a émergé. Leur engagement dans le projet s’est intensifié et le groupe hétérogène s’est rassemblé autour d’ambitions partagées pour les représentations. L’un des demandeurs d’asile a observé :
« J’avais décidé que je n’allais pas danser dans les deux représentations finales devant un public mais juste aller aux répétitions. Cependant, les jours passant, je me suis senti engagé au sein du groupe et je ne voulais pas laisser tomber le reste des danseurs »
Au début, il y avait peu de résultats convenus ou fixés pour le projet mais tous les intervenants étaient conscients des objectifs. Les idées ont émergé naturellement et organiquement au sein du groupe sous la direction du chorégraphe.
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L’objectif créatif principal était l’élaboration d’un spectacle de danse contemporaine de qualité, rigoureux et profond qui agirait comme un véhicule pour toutes les idées et les émotions qui avaient été explorées tout au long du projet en réponse au thème « Le chezsoi est là où le cœur est ». Le projet était, à la base, une représentation de danse mais les participants ont été encouragés à apporter leurs compétences. La musique, les écritures créatives et l’art visuel fournis par les participants ont joué un rôle important et, selon les mots d’un des migrant:
Chaque jour était un jour de croissance, d’apprentissage, de fierté de ses réussites. Comme les talents étaient reconnus, chaque personne participant au projet semblait « prendre vie ». Le doute de soi-même disparu.
Exercices d’échauffement – mouvement et art visuel
Le développement du contenu artistique Art Visuel Le thème était initialement exploré à travers l’art visuel. Tous les individus ont dessiné des représentations du thème « cœur et du chez-soi » pendant des ateliers de dessins. Ces ateliers ont fourni des sources de matériel pour les costumes et la scénographie. Les images sélectionnées faites pendant les ateliers ont été imprimées sur les costumes, ont été utilisées comme rétroprojections pour les représentations et sur le matériel publicitaires, comprenant les affiches et les programmes.
Du matériel de dessin était tout au long du projet.
Du matériel de dessin étaient fournis tous les jours et les enfants, du groupe d’accueil et du groupe de migrant/réfugié/demandeur d’asile, ont fait bon usage de celui-ci, en faisant des dessins et des journaux visuels. Un journal visuel a circulé tout au long du projet dans lequel les participants des deux groupes ont dessiné et écrit, enregistrant leurs sentiments et leurs réactions au projet . 143
Les enfants ont fait bon usage du matériel de dessin.
Danse L’improvisation a fourni la principale source créative pour la conception du contenu de la danse. Les images crées durant les ateliers de dessins ont été utilisées pour susciter des mouvements d’improvisation. Les activités de danse avaient été entreprises par les participants en travaillant seul, en duo, par groupe et en ensemble en explorant tous les idées et les questions soulevées à propos du thème. Les techniques de danse avaient été introduites pendant les sessions d’échauffement et perfectionnées au fur et à mesure de l’évolution de la pièce. Au cours des jours qui ont suivi, les improvisations ont été développées en séquences chorégraphiques qui ont ensuite été rassemblées pour établir un ordre de marche et créer une chorégraphie de danse cohérente, qui a ensuite été finalisée, répétée et peaufinée en vue des représentations finales.
Improvisation au début.
Finaliser, répéter et peaufiner
Ecriture créative Tout au long du projet, Cecilia a encouragé les participants à apporter leurs propres contributions et les personnes des deux groupes (du groupe d’accueil et du groupe des migrants/ réfugiés/demandeurs d’asile) ont offert des morceaux d’écriture créative. L’un des migrants a raconté des extraits de l’une de ses histoires et ces extraits ont ensuite été utilisés pour relier tous les différents éléments de la chorégraphie ensemble. Elle a ajouté:
« Ma fille et moi-même sommes de nature très réservées. Nous fûmes rapidement mises à l’aise tout comme les autres membres valides du programme et donc la timidité a disparu ! S’asseoir en cercle pour nous présenter (le premier jour), j’ai découvert que j’étais la seule personne incapable de danser (j’ai une colonne vertébrale endommagée). Je n’ai pas été laissée de côté et je suis devenue preneuse de notes, conceptrice de la couverture du livre des enfants et poétesse de fortune dans le journal de bord réalisé pour souligner les progrès journaliers de l’équipe. » 144
Musique La musique de la pièce a été conçue et jouée tout au long du projet et lors des représentations par deux jeunes personnes de la communauté d’accueil mais le groupe de migrants/ réfugiés/demandeurs d’asile a également fait d’importantes contributions à la musique. Pendant la représentation, une jeune fille du groupe des migrants a chanté deux chansons à propos de la perte et de l’amour, en s’accompagnant au piano. Un autre migrant a appris à toute la compagnie une chanson concernant les efforts à faire pour atteindre un objectif. Celle-ci a été chantée à l’ouverture et à la fin des représentations par un chœur issu des deux groupes.
La musique « live » était jouée par deux membres de la communauté d’accueil et par certains migrants/réfugiés/demandeurs d’asile
Les représentations Les représentations ont été très bien perçues et les réactions ont indiqué que le public était à la fois ému et touché. Toute la compagnie a relevé le défi d’explorer les questions complexes soulevées par le thème, et a travaillé ensemble pour présenter leur travail à deux reprises d’une manière tout à fait professionnelle devant un public invité. L’un des migrants s’est exprimé :
« Faire les deux spectacles était une expérience incroyablement stimulante. Il y avait une CONFIANCE absolue en chaque personne qui jouait leur partie, se souvenait de leurs repères, donnait le meilleur d’eux-mêmes. »
Filage
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En conclusion Tout montre que le pilote a été efficace dans ses objectifs de promouvoir l’adaptation à travers la participation dans la création et la réalisation d’une pièce de danse intégrée et intergénérationnelle. Les participants des deux communautés, la communauté d’accueil et la communauté de migrants/réfugiés/demandeurs d’asile, ont émis un rapport favorable sur le projet et ont ressenti qu’ils étaient capables de contribuer au succès de la pièce. Ils ont tous librement reconnu l’énorme sentiment de réussite et de bien-être que cela a engendré. Tous ont estimé qu’ils avaient bénéficié d’une expérience riche et du partage des compétences, de la culture et des histoires offertes par le projet. Le projet était motivant et éprouvant et les migrants/réfugiés/demandeurs d’asile ont également souligné les opportunités nouvelles et inattendues de réussite et la chance d’interagir et d’apprendre à connaître un groupe de personnes diverses provenant de la communauté d’accueil. Certains des réfugiés et demandeurs d’asile étaient très instruits et ils ont apprécié l’opportunité d’être sur le campus universitaire. Le fait que l’université soit impliquée à ajouté du poids au projet pour eux. Ils ont pu découvrir l’université sous un jour nouveau et ont été encouragé à réfléchir sur leur inscription à des cours pour leur permettre de se remettre en contact avec le monde académique. Des amitiés se sont créées entre les jeunes et les personnes âgées, la communauté d’accueil et les migrants/réfugiés/ demandeurs d’asile.
Nous avons estimé que le thème « le chez-soi est là où le cœur est » avait permis d’aborder le bouleversement de la vie dans un nouveau pays, le sentiment d’impuissance, la perte de la famille, des amis, de son chez-soi et la crise d’identité qui en découle. Ce projet a offert une vision plus optimiste qui a été exploré à travers la danse contemporaine. Nous avons estimé que le projet était parvenu à ses objectifs en établissant de l’amitié, de la tolérance, de la compréhension mutuelle et du respect et ceci a été démontré à travers le roman-photo numérique créé par l’une des demandeurs d’asile. Elle a été en mesure d’acquérir les compétences pratiques qui ont tellement impressionné le directeur artistique de TAN Dance qu’elle a été invitée à devenir l’une des huit artistes représentant le panel des groupes de danse de TAN, travaillant ensemble comme Ambassadeurs de la Compagnie. Cela a été financé par une bourse de la Community Dance Award de la BBC Performing Arts Fund. Elle a exprimé ses sentiments concernant son implication avec TAN Dance en disant :
« Je n’avais jamais dansé et je m’inquiétais que ma capacité, mes aptitudes physiques et que mon âge m’empêchent de progresser. Ce n’était certainement pas le cas et j’ai été touchée par la façon dont j’ai été acceptée. Je me suis sentie comprise, je me suis fait de nouveaux amis et j’ai découvert les joies de la danse. »
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Filage
Il serait présomptueux de dire que le projet pilote ARIADNE ait permis aux participants migrants/réfugiés/demandeurs d’asile d’être plus intégrés dans la société dans laquelle ils vivent actuellement. Il y a de nombreux facteurs mais il est vrai que l’implication dans le projet a eu un impact positif dans la revalorisation de leur estime de soi, de leur sentiment d’amour-propre et de leur confiance en soi. A travers la danse, ils ont pris de l’assurance avec une réelle fierté pour leurs réussites. Cela leur a donné une opportunité de se présenter eux-mêmes sous un jour positif.
Représentation
Le respect mutuel et la tolérance qu’ils ont rencontrés pendant le projet a permis de développer leur compréhension de la communauté d’accueil, et la diversité des participants de la communauté d’accueil était une part importante du succès du projet. De manière importante, il a apporté aux migrants/réfugiés/demandeurs d’asile l’opportunité d’interagir et de travailler étroitement avec un large éventail de personnes accédant à un plus grand savoir sur la communauté d’accueil et vice versa, et ainsi promouvant la compréhension interculturelle. Ils y ont gagné des amis et des contacts utiles qui encourageront leur adaptation à la communauté dans laquelle ils se sont maintenant trouvé eux-mêmes.
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2.9. EN DIALOGUE : EXPÉRIMENTATION AVEC UN STÉNOPÉ Vera Várhegyi, Élan Interculturel
NOM DE L’ATELIER : « Ecrire sa photographie » PROPOSÉ PAR : Elan Interculturel et Les Paracommand’arts DATES : du 23 au 27 avril 2012 PRINCIPALE BRANCHE ARTISTIQUE : Arts visuels – appareil photographique à sténopé
Résumé Cette étude de cas décrit l’atelier « Ecrire sa photographie » organisé par Elan Interculturel en avril 2012 à Paris, mené par Les Paracommand’arts (Liège, Belgique). L’atelier était basé sur la méthode « Trajet réel / trajet rêvé » développée par Werner Moron qui utilise le sténopé comme médium artistique. Les participants provenaient de sept pays différents et avaient des parcours de vie divers et variés. « Ecrire sa photographie » est un atelier qui offrait aux participants un voyage de cinq jours avec le plus vieil outil photographique qui soit, l’appareil à sténopé. A la fin de l’atelier, chaque participant a dû développer son projet artistique, basé sur ses propres expériences de vie, ses rêves et ses désirs. L’atelier avait notamment initié les participants à une série de dialogues avec l’équipe artistique, avec eux-mêmes, avec les outils ainsi qu’avec l’environnement qui les entourait. C’est cette approche dialogique dans la méthode employée par les Paracommand’arts, qui est particulièrement intéressante du point de vue de l’adaptation.
L’idée est surprenante : organiser un atelier photographique où les gens créent leurs propres appareils photographiques. Une boîte de pellicule vide, une petite brique en bois, de la glue et de l’aluminium, c’est tout ce qu’il faut pour construire un appareil à sténopé, ou camera obscura – l’ancêtre des appareils photographiques sans objectif.
L’adaptation d’un point de vue dialogique L’approche psychologique du « soi dialogique » est l’une des approches les plus intéressantes et pratiques quant au processus d’adaptation des nouveaux-venus dans un environnement inconnu. Le point de départ de cette démarche est la capacité au dialogue que chaque être humain acquiert durant l’enfance : dans un premier temps, à travers la prise de conscience de la sensation et du regard porté sur son propre corps, mais également à travers les dialogues non-verbaux que les enfants entretiennent avec leurs parents (Fogel, 1993). Cette 148
compétence permet de créer un lien avec l’autre, mais surtout de se développer soi-même à travers une multitude de dialogues auxquels on participe : c’est l’idée de créer un système de soi complexe se construit ainsi avec une multitude de voix, chacune reflétant nos expériences et nos relations. Fogel différencie les dialogues créatifs et les dialogues rigides (2002, pp. 191-192). Ces derniers supposent des interactions routinières qui sont relativement immuables, répétitives, et dans lesquelles les individus résisteraient à l’interaction avec leurs interlocuteurs ou, au contraire, se soumettraient à ces derniers. Dans les dialogues créatifs, « les individus peuvent s’expérimenter eux-mêmes en tant que créateurs d’un consensus en surmontant les désaccords et en avançant vers le sommet de l’émotionnel avec leurs interlocuteurs » (Fogel, 2002, p. 192). Le dialogue créatif est le moyen de se développer et de changer. Ce même potentiel dialogique permet aux individus de s’adapter facilement à de nouvelles situations. Mais, dans ce cas, comment expliquer que les migrants rencontrent autant de difficultés d’adaptation dans un nouveau pays ? Tout d’abord, il y a des limites à notre adaptabilité : dès lors que l’on acquiert une identité culturelle, elle devient importante et le besoin de la protéger se développe en même temps. En effet, peu de gens parmi nous (à supposer qu’ils existent) sont de réels relativistes culturels, précisément en raison de la valeur que nous attribuons à notre identité culturelle, et du sentiment de menace que nous éprouvons lorsque notre identité culturelle est remise en cause. Ensuite, se pose le problème du piège inhérent au fait de se retrouver dans un environnement étranger. En effet, s’établir dans un nouveau pays implique habituellement une multitude de changements qui arrivent simultanément : trouver une nouvelle maison, de nouveaux amis, un nouvel emploi, apprendre une nouvelle langue, de nouvelles règles de courtoisie, différents critères esthétiques, etc. Un tel degré de nouveauté amène une grande incertitude et une égale anxiété, ce qui accentue notre besoin de repli sur nous-mêmes et notre désir de nous protéger (cf. Kurglanski, 1993). Ainsi, nous tendons vers la fermeture alors que le fait de réussir son adaptation nécessite la meilleure ouverture possible de notre esprit dialogique 27. L’intérêt dela méthode développée par les Paracommand’arts réside dans son potentiel à éveiller et à faire fonctionner ces compétences dialogiques, à travers une multitude d’exercices faisant appel à ces mêmes compétences.
27
Pour plus de détails, voir le chapitre «l’Art est bon pour l’adaptation»
Le dialogue entre le monde objectif et le monde subjectif Le premier jour, les participants découvraient la méthode du « Trajet réel / Trajet rêvé » développée par Werner Moron et qui constitue le fondement même de la méthode des Paracommand’arts. Chaque participant avait reçu un livret intitulé Nations-Moi, un dossier personnel à remplir durant les cinq jours. Ce livret est en réalité une liste d’interrogations portant sur des questions existentielles telles que les origines, les idoles, les projets futurs, les influences, etc. Il invite à répondre à ces questions de deux façons différentes. Premièrement, de la façon la plus objective possible, en donnant une description détachée des éléments liés à la question. La réponse peut être écrite, dessinée, peinte ou copiée à partir d’images numériques, etc. Dans cette étape, il s’agissait de se remémorer des détails banals, sans les transformer ni les interpréter, et sans faire preuve d’aucune créativité (« par tous les moyens, ne faites pas de l’art ». Telle était la consigne donnée par le directeur artistique). L’étape suivante invitait le lecteur à répondre de nouveau mais en transformant librement la réponse, cette fois-ci. Le « trajet rêvé » permettait de raconter de nouveau l’histoire mais d’une façon qui nous plaisait, en introduisant un mensonge, un vœu, une modification… Le premier jour, les participants devaient répondre à cette question : « Quels sont les souvenirs les plus vieux et les plus précis ? »
« Trajet réel » : Je suis sur le toit de notre maison à Alger. Toutes les autres maisons 149
semblables à la nôtre sont beiges avec un grand ciel bleu. D’en haut, je regarde dans le jardin de notre voisine : elle est en train de faire du pain dans un baril métallique. Je suis si impressionnée que je ne peux regarder ailleurs. Elle me fait signe de venir mais je n’irai pas. Je suis trop gênée. » « Trajet rêvé » :
« Je suis sur le toit de notre maison à Alger. Toutes les autres maisons semblables à la nôtre sont beiges avec un grand ciel bleu. D’en haut, je regarde dans le jardin de notre voisine : elle est en train de faire du pain dans un baril métallique. Je suis si impressionnée que je ne peux regarder ailleurs. Elle me fait signe de venir alors je vais jusqu’au bout du toit, je saute, je m’envole vers elle et elle me donne un morceau de ce pain plat tout chaud. » Le livret Nations-moiouvre un dialogue entre l’objectif et le subjectif – le vécu et l’imaginé – mais aussi entre une variété de voix contenant différentes expériences de vie que les questions du livret évoquent : quelles personnes vous ont influencé(e) ? Quels sont les héros de votre culture ? Quelles sont les endroits qui vous ont marqué(e) ? L’idée de Nations-moi c’est précisément de révéler cette multiplicité de voix.
« Nations-moi » signifie que chacun de nous est un individu… mais aussi une nation, avec ses frontières, sa culture, ses propres règles, une petite nation avec son histoire intime et ses relations extérieures. Une petite contré qui négocie sa solitude ou ses relations avec les autres pays qui sont si mystérieux et si semblables à elle tout à la fois. Une contrée qui s’habille, qui s’informe, qui veut faire part d’une plus grande société, qui veut changer la société. Une contrée qui doit faire une étude approfondie de ses racines, ses origines, pour aller le plus loin possible. (Introduction du livret par Werner Moron)28 28 Werner Moron, « Nations-Moi », 2011, disponible sur: http://www.ria-network.eu/wp-content/uploads/2011/11/ nations_moi.pdf. Dernière consultation : le 30/08/2012
Durant l’atelier, il est demandé aux participants de revenir à plusieurs reprises vers le livret. En réalité, les réponses données dans le livret servent de point d’ancrage au projet artistique que les participants développent tout au long de l’atelier.
Dialogue entre l’individu et le groupe « Le premier jour a commencé avec une sorte de présentation du groupe. Chacun-e s’est présenté-e et a parlé de ses attentes vis-à-vis de l’atelier. Le groupe était très diversifié du point de vue de l’âge, la formation professionnelle et la nationalité. Il y avait tout de même un peu de nervosité dans l’air car les participants ne se connaissaient pas et ignoraient ce qui allait se passer ». 150
Contrairement à ce qui est d’usage dans de nombreux ateliers interculturels, les Paracommand’arts ne débutent pas avec une série d’exercice de construction de groupe ou pour briser la glace ni avec aucune autre technique dont l’objectif principal est d’instaurer la confiance, d’encourager la création de liens entre les participants ou même entre les facilitateurs et les participants. Cela constitue une rupture surprenante avec l’approche pédagogique non formelle ainsi qu’avec la tradition de l’art-thérapie (la création d’un espace sans danger) ; l’espace relationnel n’est pas une priorité. Cette conviction trouve en partie son origine dans le contexte de travail social habituel des Paracommand’arts, incluant souvent des groupes marginalisés, la jeunesse considérée comme étant « à risque » et les éducateurs travaillant avec eux et qui accueillent avec circonspection l’invitation pour les traditionnels exercices pour briser la glace et constituer le groupe (en effet, parfois trop utilisés et parfois mal choisis). Mais, plus important encore, la construction artificielle d’un sentiment de groupe et le fait de concentrer l’effort et l’attention des participants sur le groupe, est considéré comme un détournement de l’objectif principal : l’immersion active dans le processus artistique, un voyage individuel essentiellement. Pour cette raison, le mouvement entre le groupe et l’individu a un rôle relativement faible. Il y a bien des liens qui se créent malgré tout et les participants commencent à s’inviter les uns les autres dans leurs réalisations et créations artistiques. Celles des autres sont repensées et tissées avec les créations personnelles. Globalement, le dialogue entre les participants reste bilatéral, et le groupe ne remplit pas le rôle d’un « tiers neutre » ou d’une « espace sécurisé » où les gens pourraient librement partager leurs chagrins, sentiments et désirs : il n’y a pas de soulagement au sein du groupe ou grâce au groupe, cela doit venir de la création artistique.
Pour en revenir au processus d’adaptation, il est clair que ce choix méthodologique a un mérite : ne pas faire de fausses promesses en produisant une société utopique en miniature des grandes villes européennes telles que Paris, qui sont davantage caractérisées par la mise à l’écart et la méfiance envers les nouveaux arrivants. De toute évidence, la dynamique de l’atelier, même en l’absence d’effort particulier de construction de groupe, a quand même un effet. L’interaction se fait automatiquement:
« Mes premiers résultats étaient plutôt décevants car mes clichés étaient tous blancs et noirs. A ce moment-là, je n’étais pas vraiment sure de mon aptitude à faire de belles photos ni si j’allais apprécier de ne faire que des photos toute la semaine. Cela me semblait un être un processus beaucoup trop long. Mais heureusement, je n’étais pas la seule personne à avoir du mal avec la technique, et à travers le développement des photos dans une chambre noire (un peu mystique), j’ai commencé à entrer petit à petit en contact avec les autres participants. » 151
Le dialogue à travers un trou d’épingle: entre intérieur et extérieur Si l’outil « Nations-Moi » invite à se concentrer sur le moi et ouvre un dialogue entre différentes voix à l’intérieur de soi-même, la pratique de la photographie oriente l’attention vers le monde extérieur. Le premier jour, les participants ont construit leur appareil à sténopé à partir d’une vieille boite de pellicule vide, une brique en bois et un morceau de papier aluminium. Au même moment, l’équipe artistique a installé la chambre noire où les photos seront développées. Les participants sont invités à partir en chasse : ils doivent faire une collecte d’images sur le lieu de l’atelier, le jardin et dans l’environnement autour de ces lieux. D’une part, cette collecte consiste simplement à jouer avec son appareil photo, à s’habituer à le manipuler, à compter les secondes jusqu’au moment de refermer le trou d’épingle, apprendre à le placer dans un endroit où il ne bouge pas. D’autre part, c’est soudain et de façon imprévue beaucoup trop de liberté. Sans aucune consigne spécifique (telle que sur quel thème prendre les photos), plusieurs participants éprouvent de l’incertitude, par exemple au sujet de ce qu’ils devraient rechercher, et pour certains, la tâche pouvait sembler ennuyante ou frustrante. En effet, contrairement à l’idée reçue, trop de liberté est plus souvent source d’anxiété et de déception que de bonheur. Schwartz29 montre qu’un très grande liberté de choix, la présence de plusieurs options à sélectionner engendre souvent la paralysie. De plus, même quand le choix est finalement fait, les gens sont moins satisfaits de leur décision car les nombreuses alternatives possibles suggèrent que l’une d’elles aurait pu constituer un bien meilleur choix. En somme, une grande liberté peut céder la place à un sentiment d’entropie. Il y a ici un parallèle saisissant avec le processus de mise en lien avec un nouvel environnement, qui est au départ complètement inconnu, un territoire vierge. Durant le cours – tout comme dans la vraie vie – les participants mobiliseront différentes stratégies degestion pour faire faceà ce défi, et surmonter l’inconfort. Certains montreront une stratégie active et s’engagent dans la collecte des images. Certains réagiront en se concentrant et aérant leurs émotions (« certains autres sont devenus vraiment frustrés et en colère ») ou au contraire avec un détachement émotionnel, en trahissant l’importance de la tâche (« J’ai décidé de prendre les choses à la légère »).
Dans cet atelier – comme dans le monde extérieur et lors du processus d’adaptation – la clé du succès dans l’apprivoisement du nouvel environnement est la capacité à trouver des liens et des points d’accès, relier le monde extérieur à soi-même. Dans la vraie vie, cet apprivoisement survient pas à pas à travers la mise en place des routines quotidiennes et l’identification de points d’accès privilégiés (une bar préféré, un espace lié à un loisir, au travail, etc.) La différence entre la vraie vie et l’atelier est que, dans ce dernier, les facilitateurs gèrent prudemment l’entropie qu’ils provoquent afin d’aider les participants à s’engager dans le 29
TED, conférence filmée en février 2009. Dernier visionnage en août 2012. Disponible sur : http://www.ted.com/talks/lang/en/barry_schwartz_on_our_loss_of_wisdom.html
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processus créatif. L’ensemble de l’organisation alternant le travail sur le livret « Nations -Moi » et les tâches de collection développent les dialectiques internes et externes. Il y a également deux outils supplémentaires permettant de catalyser le processus. Le premier grand outil est l’utilisation de l’art lui-même : l’ensemble de compétences méthodologiques liées à l’art de la photographie détermine un langage et donne des contraintes créatives. Le second outil est l’accompagnement de la convergence, la concentration du processus dans un projet artistique pour chaque participant
Nouveaux dialogues à travers de nouveaux langages: apprendre une forme d’art Werner Moron parle des « principes actifs » de l’art : comme la substance qui est réellement active dans les médicaments et qui est responsable de leur effet, l’art, ou plutôt les différentes formes artistiques ont leurs propres principes actifs. La mission des Paracommand’arts est de donner l’opportunité aux gens de s’immerger dans ces principes actifs pour qu’ils en obtiennent les effets et qu’ils les conduisent au changement. Pour rencontrer les principes actifs de la danse, par exemple, les participants seront habituellement conduits à travers une découverte empirique du corps, de l’espace, du mouvement et du rythme. Dans l’atelier sténopé, les participants étaient d’abord tous invités à créer leur propre appareil photo, puis d’expérimenter l’interaction de la lumière et du temps qui crée l’image sur le papier photosensible. en l’occurrence, la photographie. Toutefois, pour garder cette métaphore, il s’agit d’un apprentissage du langage qui privilégie la linguistique approfondie plutôt que la conjugaison. Trop de focalisation sur les détails techniques détourne l’attention des questions réellement importantes. Le deuxième jour, le groupe parle du potentiel symbolique des photos, discute de certaines photos qui, à première vue, semblent hors-champ, trop sombres, trop claires... bref, « ratées ». Qu’est-ce qui fait qu’une photo est « ratée » ? Qu’est-ce qu’une photo « réussie » ? L’équipe artistique a également fait une petite introduction à l’histoire de l’art et au rôle que la photographie y a joué.
L’appareil photo à sténopé
L’expérimentation avec les principes actifs implique également un dialogue entre une expérience cognitive et une expérience sensorielle, entre ce que je pense de la danse ou de la photographie et le fait d’expérimenter réellement la danse ou de prendre une photo. Le but des discussions et des débats, ce n’est pas tellement que les participants acquièrent des connaissances sur la photographie mais plutôt pour qu’ils soient en mesure de jouer, de dialoguer avec les outils de la photographie et de les utiliser comme un moyen de créer une œuvre d’art à partir du « Moi-Nations ». Pour que cela soit possible, il a été précisé que les ateliers des Paracommand’arts reposent habituellement sur la collaboration d’une équipe artistique assez importante. Tout d’abord, il y a un directeur artistique qui est bien entendu en charge de l’organisation générale et en particulier de l’accompagnement des projets artistiques des participants qu’ils développent 153
durant les 5 jours. Ensuite, il y a des artistes spécialisés dans la forme d’art spécifique utilisée dans l’atelier. Cette fois-là, nous avons eu deux facilitatrices qui connaissaient bien l’utilisation de la chambre noire. Elles ont également scanné les photos et assisté les participants dans leurs besoins techniques. Deux membres supplémentaires de l’équipe avaient pour mission la finalisation de l’œuvre d’art, cette fois-ci en forme de pellicule et dans une brochure. Les post-producteurs et spécialistes de l’image et du son ont ainsi participé aux derniers jours du processus afin de réaliser le travail de post-production. En tout, à différents moments de l’atelier, cinq artistes ont eu un rôle à jouer dans l’accompagnement des participants dans leur parcours avec le sténopé.
Le projet artistique : un dialogue avec le directeur et l’équipe artistique L’un des principes de base des Paracommand’arts est que les participants doivent venir à l’atelier sans avoir d’idée spécifique sur ce qu’ils ont envie de faire. Avant tout, l’idée d’une œuvre d’art ne doit pas avoir germé dans leur esprit. Le mieux c’est que tout cela arrive pendant l’atelier. La raison de cette volonté réside dans l’expérience antérieure du directeur : quand confrontés à la tâche de créer une œuvre d’art, la plupart des gens recherchent une idée chez les artistes, les œuvres et les écoles qu’ils connaissent déjà :
« J’aimerais faire quelque chose dans le style de Gauguin… ou quelque chose d’un peu plus postimpressionniste ». Cela gâcherait tout simplement l’intégralité du jeu où il est question de relier la création artistique à son propre vécu personnel. Leur proposition est de créer une œuvre authentique qui commence à se former durant l’atelier. Pour cette raison, la tâche consistant à créer un projet artistique personnel n’est pas vraiment mise en avant le début du cours. La tâche a été introduite lors du premier jour et ensuite développée lors du troisième jour, déclenchant une certaine anxiété :
« Tout d’un coup, je dois produire un film avec mes photos, plutôt mauvaises, et construire une histoire autour de ce film. Oh mon Dieu ! » « Je me suis retrouvée dans une bien grande entreprise, celle de créer une œuvre entière, un projet artistique complet. Au début, l’idée m’a effrayé. Je me suis sentie comme nageant dans un manteau beaucoup trop grand. J’ai pensé que je ne serai pas capable de le faire. » Alors comment les œuvres d’art apparaissent malgré tout ? Comment les participants arrivent à créer une œuvre d’art à partir de rien, utilisant une forme d’art nouvellement apprise dans un quartier qu’ils ne connaissent pas ? Identifier notre sujet, ou le projet de vie, signifie que la recherche est finie, que l’incertitude est partie, nous savons ce que nous allons faire et comment nous allons procéder: nous avons trouvé quelque chose de significatif et nous avons une idée de comment y parvenir. 30 Rechrche D’un point de vue très concret, les deux processus impliquent l’identification des objectifs du projet et l’agencement des ressources en un plan d’action. Posée ainsi, il s’agit là d’une description “4C”, 2012 très précise d’un planning actif, une stratégie de contrôle. Notre propre recherche exploratoire a montré qu’une telle stratégie est effectivement liée au succès d’une expérience de mobilité30. Le troisième jour, il a été demandé aux participants d’affiner leurs idées, d’identifier un sujet 154
et de trouver un plan concret de la façon dont il sera livré. La première est un mouvement du divergent vers le convergent, le second est une transition de l’abstrait vers le concret. Le choix du sujet découle habituellement du travail sur le livret « Nations-Moi » :
« Je me suis laissé guider par les questions pour donner forme à quelque chose et ça, c’était le plus important… Je pense que c’est arrivé le troisième jour, les photos sont passées au second plan et j’étais en train de conjuguer d’autres idées dans ma tête. J’ai commencé à m’apercevoir qu’il y avait des décisions, des sentiments, des choses qui me sont arrivées qui n’étaient pas sans lien les unes avec autres et qui, d’une manière ou d’une autre, convergeaient au même point. Différentes quêtes font à présent partie d’une plus grande quête. C’était incroyable de prendre conscience de cela.».
« Petit à petit, certains mots me sont venus à l’esprit et un sujet a surgi à l’horizon. Tout tournait autour de la « transition » et je me suis dit que mes photos convenaient parfaitement au sujet « transition ». L’aspect flou de mes photos représentait le processus de transition… Le sujet est devenu tout à fait fort pour moi dans les derniers jours. Il était très difficile de trouver les mots justes et assembler les photos, mais chacun de nous a eu la possibilité de discuter individuellement avec Werner ou une autre personne de l’équipe. » Dans ce mouvement de l’abstrait vers le concret, le dialogue lors des entretiens individuels avec l’équipe artistique a une importance cruciale. Durant l’entrevue, les participants font part de leur degré d’avancement dans le processus, en se concentrant sur une question spécifique du « Nations-Moi », ou en développant une idée qu’ils ont trouvée durant la chasse aux images.
« Le troisième jour, j’ai fait beaucoup de photos. Je savais déjà ce que je cherchais : moi-même. J’ai pris plusieurs photos de mon visage et de mon corps… J’étais surexcitée et nerveuse, alors j’ai décidé d’avoir un entretien individuel avec Werner. » Lors de l’entrevue, le directeur artistique est le miroir du participant. Il reflète ses premières intuitions, lui livre ses impressions. La compétence clé de l’équipe artistique est d’aider, sans la diriger, la création artistique des participants. 155
« A aucun moment durant ce processus, ils n’ont influencé mes/nos idées. Parfois, j’aurais aimé que l’on me donne quelques pistes mais à la fin, je me suis aperçu que ce sera purement mon chapitre, avec mes inspirations et mes pensées. D’une manière ou d’une autre, cela était percutant! » Pendant que le directeur artistique est principalement occupé aux entretiens individuels pour identifier et affiner ce que vont être les projets artistiques des participants, tous les membres de l’équipe artistique s’emploient activement à gérer la façon dont ces œuvres d’art vont émerger. Cette dernière étape est aussi importante que la première. Werner Moron insiste sur l’aversion qu’il a pour l’expression « flou artistique », pour cet état de flux de la création où les idées affluent sans donner de valeur au travail qui vient après. Ce dernier est en effet considéré comme un moment clé de l’atelier, quand les participants doivent apprendre à mettre en œuvre leur projet très concrètement, à gérer le fait qu’ils soient en compétition avec les autres participants en ce qui concerne les ressources, lorsqu’ils doivent calculer, prévoir, s’organiser.
Scénarimage Le quatrième jour, le travail de post-production est présenté au groupe, avec ses opportunités et ses limites. Un travail bilatéral a commencé avec l’équipe de post-production : les participants ont écrit leur scénarimage et commencé à élaborer leur design graphique. On leur a offert le choix de se fier à l’équipe de post-production pour achever le travail et partager la signature, ou bien leur donner des instructions très précises que les techniciens exécuteront. Parfois, les entrevues sont trilatérales et impliquent le directeur artistique en tant que médiateur afin qu’il dise avec ses propres mots ce qu’il a compris du désir des participants. De cette façon, le post-producteur peut augmenter sa capacité à comprendre le projet artistique des participants. Cela donne également aux participants l’occasion de s’assurer que leurs instructions sont bien comprises.
Pour conclure : Des projets artistiques aux projets de vie L’adaptation est la capacité d’entrer en dialogue avec le nouvel environnement culturel, ses habitants, son habillement, ses institutions et même les nouvelles représentations que le lieu nous attribue (« étranger », « exotique », « malpoli », etc.). De plus, l’adaptation implique de changer à travers ces dialogues. Pour changer, nous devons engager le dialogue dans un cadre créatif, en résistant au besoin de séparation et de fermeture prématurée qui nous donneraient une sensation de protection mais qui nous empêcherait de saisir les opportunités qui se présentent dans le nouveau lieu et de créer un projet de vie qui fasse sens dans ce nouvel endroit. Décrit ainsi, cela semble presque être une mince affaire. L’atelier « Ecrire sa photographie » donne une bonne illustration de la raison pour laquelle une telle entreprise n’est pas si aisée après tout. Cela requiert d’aller au-delà de la zone de confort, d’entreprendre une tâche qui semble nous dépasser de loin, d’apprendre à s’orienter dans le nouvel environnement et de trouver les éléments auxquels nous pouvons nous rattacher, et enfin de tout organiser selon un plan d’action concret. L’atelier donne une bonne opportunité de développer des habiletés qui sont des compétences clés dans un processus d’adaptation. Et, en attendant, des œuvres d’art sont créées.
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2.10. ANNEXE : INDICATEURS POUR L’ÉVALUATION DES BONNES PRATIQUES DANS LES ACTIONS SOCIALES/LES PROJETS D’INTERVENTION À TRAVERS L’ART
INDICATEURS POUR L’EVALUATION DES BONNES PRATIQUES DANS LES ACTIONS SOCIALES/LES PROJETS D’INTERVENTION A TRAVERS L’ART Différents types d’indicateurs sont décrits, ils sont mesurés avec différents outils : A-Indicateurs mesurés par l’étude. B-Indicateurs mesurés par des entretiens structurés C-Indicateurs mesurés par un audit (existence et contenu de certains documents). D-Indicateurs mesurés par certains aspects structurels ou des situations antérieures. E-Indicateurs mesurés par l’observation. F-Indicateurs mesurés par des vérifications historiques. Pour l’élaboration de ces indicateurs, 10 descripteurs ou catégories sont décrits. Les indicateurs proposés devront être observables et donc objectifs, et renseigneront sur la qualité des différents aspects de la pratique.
DESCRIPTEUR I. Directives éthiques du projet •Bonne volonté : toujours agir pour le bénéfice du participant, en mettant cela avant l’intérêt du personnel en charge, et en oubliant ou en éliminant les dommages possibles pour le participant. •Pas de malveillance : protéger le participant de toute blessure et/ou tout abus découlant de l’intervention, accepter ses propres limites. •Justice : aider les défavorisés ou les plus vulnérables et respecter les droits des tierces personnes. •Autonomie : respecter le droit d’autodétermination du participant, son droit à l’intimité et sa liberté de choix.
DESCRIPTEUR II. Equipe en charge •Existence de règles raisonnées pour la sélection des membres de l’équipe. •Existence de manières raisonnées pour la participation volontaire. •Présence de personnel convenablement formé. •Participation de différents professionnels dans les processus d’élaboration et d’évaluation du projet. Travail d’équipe
DESCRIPTEUR III. Transmission des informations •Présence de mécanismes pour fournir des informations claires et compréhensibles au participant concernant ses droits et devoirs. •Présence de mécanismes pour transmettre clairement et de façon compréhensible les dimensions sociales des projets. •Présence de formes d’informations rassemblant ce qui permet de connaitre et d’évaluer les caractéristiques et préférences personnelles et culturelles du participant. •Présence de procédures, connues par le personnel et les participants, qui évitent les actions hors de contrôle ou inadéquates. •Présence de critères raisonnés et publics d’inclusion/exclusion. 157
DESCRIPTEUR IV. Evaluation des projetset durabilité •Evaluation des forces et des risques des projets d’intervention. •Gestion équilibrée du temps et de l’espace. •Prévention des comportements et des interventions perturbateurs. •Evaluation des besoins et des ressources personnelles et du groupe •Evaluation du risque d’abandon et évitement. •Mise en œuvre de moyens qui assurent la durabilité des projets.
DESCRIPTEUR V. Dimension sociale des propositions : buts •Concernant le développement de la perte (famille, travail, perte sociale, culturelle, écologique). •Concernant le développement des ressources pour faire face à la nouvelle situation (contexte écologique, culturel, émotionnel, social). •Concernant la récupération, la réappropriation et l’intégration de l’histoire personnelle du participant. •Concernant le fait de travailler sur l’anxiété, le stress et l’incertitude. •Concernant le développement des sentiments de déracinement. •Concernant l’adaptation des attentes et la création de projets de vie. •Concernant la création de liens durables et de réseaux sociaux. •Concernant la réalisation personnelle. •Concernant la capacité à gérer les expressions émotionnelles, les conflits et les angoisses.
DESCRIPTEUR VI. Qualification du domaine •Création d’un espace pour la sécurité et l’endiguement. o Conditions matérielles adéquates (éclairage, hygiène, sécurité). o Personnel qualifié (pour la formation artistique et sociale) et suffisant (en nombre). o Projets adaptés aux ressources et aux capacités de l’environnement. o Projets adaptés aux ressources et aux capacités du participant. o Projets adaptés aux demandes et aux besoins du participant. o Projets adaptés aux objectifs qui les décriven. •Création d’un espace d’acceptation, d’intégration et d’équité. o Disponibilité d’emplois du temps flexibles, adaptés à différents publics. o Prévoir la garde d’enfant(s), si nécessaire. o Gratuité des activités ou une somme symbolique, sans préjudice à leur qualité. o Offre de projets qui sont non-discriminatoires (pour des raisons de genre, de reli gion, d’âge, etc.). o Disponibilité du temps et de l’espace pour s’occuper des doutes, des questions et/ ou des projets. o Participation des participants à la création et au développement de nouveaux pro jets. •Disponibilité des ressources et des stratégies pour la résolution de conflit.
DESCRIPTEUR VII. Impact et portée •Mise en œuvre de méthodes pour évaluer l’impact : o Concernant les problèmes pratiques (transports en commun, transactions commer ciales, relations de voisinage, procédures administratives, etc.). 158
o Adaptation cognitive et émotionnelle. o Création de réseaux/liens sociaux. o Acceptation de soi et réalisation personnelle. o Attentes et projets. •Mise en œuvre de moyens pour une évaluation à large portée : o En temps. o Dans d’autres contextes de la personne (famille, travail, voisinage, etc.).
DESCRIPTEUR VIII. Confidentialité •Présence de mécanismes et d’informations suffisants pour garantir la confidentialité. •Les productions artistiques et écrites, tout comme les données et les histoires (si elles existent), sont traitées conformément à la loi.
DESCRIPTEUR IX. Art et reformulation culturelle •Les projets artistiques ont un caractère expérimental, sont orientées vers le processus et considèrent le résultat comme une chose supplémentaire dans ces processus. •Les projets artistiques promeuvent et facilitent la coexistence et l’intégration des personnes de différentes origines et manifestations culturelles. •Les projets artistiques promeuvent le savoir et la profondeur, à la fois pour la culture d’accueil et pour la culture d’origine. •Les projets artistiques sont assez proches et accessibles pour les participants, pour qu’ils puissent se sentir impliqués. •Les projets artistiques favorisent la visibilité des différents groupes culturels et des différences de genre autant que les nombreuses personnes participantes. Ils promeuvent un discours social qui reconnait et évalue les singularités des participants, et ils cherchent à diffuser leurs valeurs et leur richesse culturelle. •Le processus artistique encourage la collaboration entre l’artiste/animateur et le participant.
DESCRIPTEUR X. Innovation •Présence de manières d’évaluer les besoins et les demandes qui peuvent apparaître. •Présence de moyens qui permettent d’analyser et d’évaluer les projets, pour les adapter à ces besoins et demandes émergents. •Présence de moyens pour mettre à jour les ressources et les formations précises. •Présence de moyens d’interaction avec d’autres organisations et/ou associations similaires. •Présence de moyens pour l’enrichissement et la mise à jour du travail à partir de différentes perspectives et/ou disciplines. •Nous considérons la possibilité d’établir de nombreuses dynamiques d’intervention selon les besoins : o Qui prennent en compte la réalisation à la fois dans les espaces d’intervention et dans les espaces des participants. o Que chaque individu ou les familles peuvent exiger. o Que les projets peuvent avoir lieu occasionnellement ou de façon continuelle (sur une base hebdomadaire, tous les quinze jours, etc.).
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Chapitre III Ressources pour les formateurs, ĂŠducateurs, animateurs Exercices utilisĂŠs lors des ateliers et de la formation de formateurs du projet
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SOMMAIRE
1. Créer des liens : la communication interculturelle et l’empathie
Concevoir un nouveau projet de vie Bâtonnets d’énergie Partir et arriver
Tan Dance, Carol Brown Université du Péloponnèse & Osmosis Christina Zoniou & Naya Boemi Tan Dance Carol Brown
2. S’ouvrir au nouvel environnement, trouver un nouveau chez soi à l’étranger
Où suis-je ? Haïku: saisir le sens des lieux Calligrammes
Tan Dance, Carol Brown Momentum arts Nancy Hogg Momentum arts Nancy Hogg
3. Explorer l’identité et la culture
Ecrire le corps ILe poème « Qui suis-je ?» Qu’est-ce que la culture
University Complutense of Madrid Marián López Fdz. Cao Momentum arts Nancy Hogg Elan Interculturel
Cinéma et représentation de soi
Vera Várhegyi Artemisszió Veronika Szabó
Ecriture sur le sable : dessiner l’espace avec des objets
University of the Peloponnese Alkistis Kondoyianni
4. Explorer la diversité et acquérir du pouvoir et de l’autonomie
Cartes de la vie
Université du Péloponnèse & Osmosis Christina Zoniou & Naya Boemi
5. Understanding challenges of adaptation
Le chemin du migrant
Artemisszió & Elan Interculturel Veronika Szabó, Vera Várhegyi Artemisszió Veronika Szabó
Ailleurs et chez soi 6. Concevoir un nouveau projet de vie
Introduction au Théâtre Forum
Université du Péloponnèse & Osmosis Christina Zoniou & Naya Boemi Université du Péloponnèse & Osmosis Naya Boemi, Christina Zoniou
7. Evaluer le changement
Evaluation narrative à travers les photos L’évaluation des « chaises chaudes » Les cartes de l’atelier Grille d’observation
Elan Interculturel Vera Várhegyi Artemisszió Veronika Szabó Université du Péloponnèse & Osmosis Naya Boemi, Christina Zoniou Universidad Complutense de Madrid Marián López Fdz. Cao
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1. CRÉER DES LIENS : COMMUNICATION INTERCULTURELLE ET EMPATHIE Cercle d’amis Proposé par : Carol Brown, TAN DancE Objectifs pédagogiques : Exercices pour accueillir les participants, les aider à arriver, à se sentir bien, à se connaître. Temps nécessaire : 15 minutes Nombre idéal de participants : 10 à 20 Matériaux : Lecteur CD Préparation : Porter des vêtements confortables qui permettent le mouvement ainsi que des chaussures légères ou pas de chaussures Instructions : Cercle n°1 : Salutations. L’animateur donne le bonjour à un participant à sa droite ou à sa gauche. Ce dernier continue à passer le bonjour et ainsi de suite. « Bojour » dans la langue locale est le premier bonjour qu’on passe autour, puis suivent les « bonjour » dans les langues des participants. On n’a pas besoin d’attendre que le bonjour fasse le tour et revienne à nous ; plusieurs bonjours peuvent circuler au même temps. Cercle n°2 : Un mouvement de vague est lancé par l’animateur, qui voyage autour du cercle. En même temps on envoie un coup de pied dans le sol, dans le sens opposé du cercle. En général il y a une grande confusion quand la vague et le coup de pied se croisent, ce qui fait rire et est un excellent moyen pour briser la glace. On répète l’exercice plusieurs fois jusqu’à ce que la vague et le coup de pied se croisent en douceur. Cercle n°3 : un ballon est jeté autour du cercle. Chaque fois que quelqu’un reçoit le ballon il annonce son nom. Pour continuer la personne qui jette le ballon annonce son propre nom mais aussi le nom de la personne à qui le ballon est jeté.
Bâtonnets d’énergie Proposé par : Christina Zoniou & Naya Boemi, Université du Péloponnèse & Osmosis Objectifs pédagogiques : L’exercice vise à développer : - l’empathie - la communication non verbale - la confiance - la prise de conscience du corps Temps nécessaire : 15-25 minutes 162
Nombre idéal de participants : 12 á 20 Matériaux : Bâtons de bambou, de balai, etc. plus au moins 1.5 mètres de long ; musique douce Préparation: Créer une ambiance apaisée à travers des exercices de relaxation et concentration Instructions : - Créer des groupes de deux participants. Chaque personne prend un bâton, le tenant par l’extrémité. L’autre extrémité est tenue par le partenaire, dans la paume ouverte de la main. Les deux mains ont les paumes ouvertes et maintiennent les bâtons ainsi, sans qu’ils tombent. On commence avec les yeux ouverts. Chaque couple bouge dans l’espace librement. Petit à petit, ceux qui le veulent/peuvent, utilisent des mouvements de plus en plus complexes. - Dans un second temps un des deux parte naires peut fermer les yeux, son partenaire joue le rôle du guide, prenant soin de construire une relation basée sur la confiance. Un changement de rôles est proposé après un certain temps. - Dans un troisième temps, les deux partenaires peuvent fermer les yeux. Le seul lien entre eux, à présent,ce sont les bâtons. (L’animateur prend soin d’éviter les accidents.) - Les partenaires ouvrent les yeux et continuent l’exercice, maintenant avec plus d’énergie, de confiance et d’empathie. - Finalement ils continuent à bouger sans les bâtonnets mais en imaginant qu’ils les tiennent encore. Discussion : Après l’activité l’animateur propose aux participants de partager leur expérience et les émotions ressenties. Pour en savoir plus (théorie et méthodologie) : Alex Mavrokordatos (ed.), PPACT Manifest : Methodology for a Pupil and Performing ArtsCentred Teaching, Gamlingay, Sandy : Authors OnLine, 2009.
Partir et arriver Proposé par Carol Brown, TAN Dance Objectifs pédagogiques : Exploration physique du voyage et de l’arrivée, offrant aux participants l’opportunité de partager leurs expériences, de mieux se connaitre et decréer des liens entre eux en travaillant ensemble sur une tâche simpl. Temps nécessaire : 30 minutes Nombre idéal de participants : 10 à 20 163
Matériaux : Lecteur CD Préparation : Porter des vêtements confortables qui permettent le mouvement ainsi que des chaussures légères ou pas de chaussures Instructions : L’animatrice propose aux participants de se promener ou trottiner sur le rythme de la musique. Elle les invite à explorer toutes les zones de l’espace. Puis elle donne des instructions simples de direction (à gauche, à droite, en avant, en arrière…) que les participants appliquent à l’unisson (quand il n’y a pas de langue commune, on peut se mettre d’accord sur les sons qui représentent les directions.) Une « danse » simple se construit seulement en se basant sur les changements de direction. Le groupe est divisé par deux, un « groupe actif » qui danse et un « groupe passif » de spectateurs. Dans un deuxième temps, le «groupe passif» est invité à devenir le « groupe actif » en utilisant leurs gestes, mouvements, toujours avec les instructions simples sur les directions. Les groupes permutent. Une histoire peut se construire à partir de cettedanse. Quelquefois, cet exercice est utilisé pour raconter son propre voyage.)
2. S’OUVRIR AU NOUVEL ENVIRONNEMENT, TROUVER UN NOUVEAU CHEZ SOI À L’ÉTRANGER Où suis-je? Proposé par : Carol Brown, TAN Dance Objectifs pédagogiques : Créer un lien entre les participants et l’environnement local et les personnes qui s’y trouvent. Analyser l’environnement, identifier ses caractéristiques, prendre un chemin créatif ensemble avec les habitants locaux. Temps nécessaire : 40 minutes Nombre idéal de participants : 10 à 20 Matériaux : Lecteur CD Préparation : Porter des vêtements confortables qui permettent le mouvement ainsi que des chaussures légères ou pas de chaussures Instructions : L’animateur invite le groupe à créer une danse composée d’éléments physiques enchainés qui représentent les traits de l’environnement local (les bâtiments typiques, les animaux, les conditions climatiques, etc.). Les participants sont divisés en petits groupes, de préférence un mélange d’autochtones et de nouveaux arrivants. On propose aux groupes de choisir les caractéristiques de l’environnement local et créer des mouvements qui représentent ces caractéristiques (ex : représenter la pluie ou comment elle nous fait fuir). Les groupes créent des séquences en enchainant les différents mouvements.
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Haïku: le sens des lieux Prroposé par : Nancy Hogg, Momentum Art Objectifs pédagogiques : L’exercice encourage les participants à réfléchir sur leur environnement (environnement d’origine ou local) à travers les poèmes haïku. Les poèmes doivent marier des images de la nature/le lieu et les associations entre ces images. Temps nécessaire : 15 minutes Nombre idéal de participants : 10 á 15 Matériaux : Papier et stylos en couleur. Photos (stimulus visuel), petite boîte de mots (comme source d’inspiration) Instructions : Une petite introduction sur la poésie haiku est suivie par l’invitation de chaque participant à créer son propre poème. On peut offrir aux participants des stimuli visuels pour les aider à créer les poèmes (soit des photos ou des mots) et on peut aussi les encourager à regarder par la fenêtre pour s’inspirer de l’environnement. Ils sont également invités à tirer un mot lié aux saisons (neige, soleil, floraison, etc.) de la boite de mots et de l’incorporer au poème. Quelques idées pour mieux réaliser l’activité : Les haïku ont une forme très stricte (trois vers dont le premier est composé de 5 syllabes, le second de 7 syllabes et le troisième de 5 syllabes). Néanmoins, il est plus important que les participants osent et aient envie de se lancer, on leur donne donc la liberté de dévier de la forme officielle. Pour en savoir plus : The Haïku Handbook, How to Write, Share and Teach Haïku, William J Higginson, 1989 First Kodansha International Printing.
Calligrammes Proposé par Nancy Hogg, Momentum Art Objectifs pédagogiques : Encourager les participants à créer des calligrammes, c’est-àdire des poèmes dont la forme visuelle reflète son contenu. L’exercice est adapté pour plusieurs sujets, par exemple « qu’est-ce qu’un chez-soi ». On peut aussi reprendre un poème écrit auparavant, ou simplement répéter le même mot. L’exercice est très utile avec des personnes qui ne parlent pas très bien la langue de travail. C’est aussi un bon moyen pour passer de la parole aux arts visuels. Temps nécessaire : 15 minutes Nombre idéal de participants : 10 à 15 Matériaux : Papier et stylos de couleurs Instructions : Dessinez une image simple qui vous vient en tête quand vous pensez à chez vous ou un endroitque vous avez visité lors d’un voyage. Maintenant, pensez à des mots et commencez à construire votre poème. Les vers qui ont un même nombre de syllabes ou 165
des rythmes similaires, donneront de la force à votre poème. Le plus important est tout de même de créer quelque chose qui reflèteune humeur ou une expérience personnelle pour vous. Une fois le poème écrit, réécrivez-le de nouveau, dans la forme de votre dessin. Si l’écriture du poème présente quelques difficultés, vous pourriez utiliser uniquement quelques mots importants pour votre dessin et les répéter. Quelques idées pour mieux réaliser l’activité : Si un participant a un niveau de français modeste, vous pouvez lui proposer de juste répéter un même mot.
3. EXPLORER L’IDENTITÉ ET LA CULTURE Ecrire le corps Proposé par Marián López Fdz. Cao, Research Group: Art Implementation for social inclusion, Universidqd Complutense de Madrid Objectifs pédagogiques : a) Proposer une méthodologie de travail basée sur la biographie de différents artistes et leurs méthodes de travail b) Utiliser son propre corps comme un lieu de désirs c) Réfléchir sur comment l’identité est porté par le corps et comment la culture y inscrit des prescriptions et proscriptions. Temps nécessaire : 1ère partie: 15 minutes 2ème partie: 30 minutes 3ème partie: 20 minutes 4ème partie: 2 heures 5ème partie: 1 heure (débriefing et feedback inclus) Nombre idéal de participants : 10 à 20, le travail se réalise à deux. Matériaux : •Appareil photo (un pour chaque groupe de deux) •Ordinateur et projecteur •Pinceaux, stylos, ancre adaptés pour écrire sur le corps (hypoallergénique) •Produit démaquillant, savon et eau pour se nettoyer. Préparation : A la fin de la session l’animateur présente les créations artistiques. Pour cela un ordinateur doit être mis à disposition pour recevoir les photos prises par les participants. Il doit avoir un logiciel capable d’organiser les photos pour en faire une présentation belle et rapide. Instructions : 1ère partie : Identification de la méthodologie 166
L’animatrice propose d’observer le processus de création d’artistes choisis, de préférence ceux qui ont vécu une expérience de migration (exp. Shirin Neshat). 2ème partie: Présentation de quelques œuvres choisis de Shirin Neshat liés aux sujets de l’inclusion et de la migration L’animatrice présente les œuvres, la vie et les idées de Neshat, ce concentrant sur les inscriptions corporelles 3ème partie: présentation de l’exercice Chaque personne est invitée à réfléchir sur deux types de désirs liés aux sens : ceux liés à ce que les Autres veulent qu’on fasse, et ceux liés à ce que nous désirons faire. a) Que veulent les Autres (institutions, gouvernement, religion, traditions, culture, famille, couple, etc.) que nous pensions, disions, écoutions, sentions, ressentions, touchions, avalions, buvions, digérions, vers où veulent-ils que nous allions, etc. b) Que voulons-nous vraiment penser, dire, écouter, ressentir, avaler, boire, digérer, ce vers quoi nous voulons vraiment aller, etc. L’animateur invite les participants à se concentrer sur une partie de leur corps (oreilles, bouche, nez, gorge, estomac, bras, mains, pieds, etc.) et écrire leurs idées sur du papier. 4ème partie: écriture sur le corps L’animateur propose une technique de respiration afin de détendre le corps avant de commencer cette dernière partie. Il invite les participants à travailler en groupes de deux afin que l’un assiste son partenaire dans l’écriture des phrases créées sur son corps. L’animateur récupère les photos de toutes les phrases écrites sur le corps et les transfère sur l’ordinateur et les organise pour en faire un diaporama. Cette activité peut être très intime ou ludique et collective. L’animateur doit être préparé à gérer différentes réactions et émotions dans le groupe. 5ème partie: présentation en plénière de toutes les images. Après la 4ème partie, le groupe se réunit pour regarder les photos ensemble. Le facilitateur invite les participants à réfléchir sur le processus (écrire sur du papier, écrire sur le corps, regarder les images). Le résultat : l’inscription des désirs sur/dans notre propre corps. On discute ensemble, les participants peuvent poser des questions. Discussion : Le facilitateur peut poser des questions et offrir des suggestions pour aider le groupe mieux s’approprier l’exercice. On peut aussi poser des questions sur le processus de groupe. On doit inviter le groupe à réfléchir sur chaque dimension soulevée par l’exercice : individuelle, interpersonnelle, sociale, culturelle, interculturelle ainsi que la réaction de l’individu face à l’aspect imposé (de l’extérieur et de l’intérieur) et à l’élaboration des désirs personnels et collectifs. Quelques idées pour mieux réaliser l’activité : Il est préférable de disposer de plusieurs salles, ou les personnes plus timides peuvent se sentir à l’aise et garder un climat de confiance et de sécurité. L’animateur doit à chaque instant être prêt à aider, rassurer et protéger. C’est une activité non directive où les participants ont la liberté de chercher le lieu idéal pour réaliser les inscriptions et les photos. Il est recommandé de leur proposer auparavant de mettre des maillots de bain pour se sentir plus à l’aise s’ils veulent prendre des photos de parties du corps généralement cachées. Les femmes se sentiront probablement plus à l’aise dans un groupe de femmes, surtout s’il y a des prescriptions et interdictions culturelles. 167
Un groupe uniquement composé d’hommes peut également permettre de faire émerger des prescriptions et interdictions sur le corps des hommes. Suggested readings on the topic : http://www.ted.com/talks/shirin_neshat_art_in_exile.html LÓPEZ FDZ. CAO, M.; MARTÍNEZ DÍEZ, N. (2009) Shirin Neshat. Transformar el deseo en el cuerpo. Eneida, Madrid.
Le poème « Qui suis-je ?» Proposé par : Nancy Hogg, Momentum Art Objectifs pédagogiques : L’exercice encourage les participants à réfléchir sur comment ils se voient eux-mêmes en tant qu’individu, indépendamment de ou à cause de leur environnement culturel actuel. Les propositions de débutde vers peuvent être modifiées/abandonnées, le but principal étant simplement d’introduire (par une invitation douce) l’idée de réflexion sur soi et ses identités. Temps nécessaire : 15 à 20 minutes Nombre idéal de participants : 10 à 15 Matériaux : Papier et stylos de couleurs, guides pour construire les poèmes Instructions : Il s’agit d’un exercice assez rapide et relativement simple dont le but est l’initiation à l’écriture de poèmes courts ainsi que la réflexion sur soi. Chaque participant reçoit un guide qu’il peut compléter: Je suis… Je me demande… J’entends… Je vois… Je veux… Je suis… Si les participants en ont envie, ils peuvent lire leurs poèmes à haute voix et on peut en discuter ensemble, par exemple explorer comment ces poèmes peuvent nous servir à comprendre nos identités dans un nouvel environnement culturel. On peut aussi explorer comment chacun de nous porte une multiplicité d’identités et de rôles qui changent en fonction de l’environnement. Quelques idées pour mieux réaliser l’activité : Il existe des exercices d’initiation assez simples. Si certains participants souhaitent développer des poèmes plus longs, on peut leur proposer de consulter la poésie de Derek Walcott ou Ruth Padel en tant que prolongement de l’activité. Pour en savoir plus : John Connell, Writing Across Worlds – Literature and Migration, Routledge, UK, 1995.
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Qu’est-ce que la culture? Proposé par : Vera Varhegyi, Elan Interculturel Exercice inspiré par une proposition de LTS Consulting Bath Objectifs pédagogiques : Exercice n° 1 : L’objet - Réflexion sur notre lien avec une culture spécifique (peut-être la culture d’accueil) - Réflexion sur différents niveaux de la culture : niveaux visibles (comme les objets), invisibles (comme les valeurs, normes, pratiques culturelles, etc.) . Exercice n° 2 : La métaphore de la culture Initier une discussion autour de la notion de culture et prendre conscience de ses différents aspects (exp. : mécanismes, caractéristiques, origines, relation à l’individu, etc.) Exercice n° 3 : Transformation de l’objet en art - Encourager une connexion émotionnelle avec la culture d’accueil, réflexion sur cette relation - Susciter la créativité, la lier à la culture Temps nécessaire : Exercice 1 : 5 minutes par participant Exercice 2 : 20 minutes de préparation + 10 minutes par petit groupe + 30 minutes de discussion Exercice 3 : 40 minutes à 1 heure Nombre idéal de participants : 6 à 15 Matériaux: Papier pour dessiner, crayons ou pastels, stylos. Pour réaliser les collages : revues, ciseaux, colle, papier de paperboard, feutres Préparation : Exercice 1 : Plusieurs semaines avant le début de la formation, on doit inviter les participants à réfléchir sur un objet qui représente leur lien avec leur culture (ou la culture d’accueil). On les invite à amener les objets à la formation. Exercice 2: L’animatrice doit réfléchir sur les différents aspects de la culture qui pourraient être pertinents pour le groupe. Il faut éviter de préparer une présentation lourde sur la culture, mais prévoir plutôt de donner des apports en lien avec les métaphores présentés par les participants. Instructions : Exercice 1 : Les participants arrivent donc avec un objet chacun qui représente leur lien avec la culture d’accueil (ou leur culture d’origine). Les participants s’assoient de manière à ce que chacun soit visible pour les autres. Chaque personne montre son objet et explique pourquoi elle l’a choisi. S’il y a plus de 10 participants, il est conseillé de créer plusieurs petits groupes pour que l’activité ne devienne pas trop monotone. Dans ce cas assurez-vous de créer un petit espace d’exposition où tous les objets seront visibles par tout le monde,pendant la pause-café, par exemple. Exercice 2 : Créez des groupes de 3 à 4 personnes et proposez leur de créer une illustration de « la culture », pas une culture en particulier, sinon la culture en général. Ils peuvent s’inspirer des objets apportés. L’illustration peut être un schéma, un modèle ou une métaphore. Après 20 minutes, le groupe est invité à présenter son travail. Après chaque pré-
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sentation le facilitateur peut apporter des éclairages supplémentaires liés aux présentations où ce qui semble manquer. Exercice 3 : Cette suite artistique est optionnelle. On invite les participants à créer des œuvres d’art autour des objets apportés. Les œuvres peuvent incorporer les objets, ou leur représentation symbolique. Quand les œuvres sont terminées, les participants peuventles présenter, s’ils le désirent. Discussion: On peut proposer les trois exercices ensemble, l’un après l’autre ou bien travailler seulement sur l’un d’eux. Si on enchaine les exercices, on n’a pas besoin d’un grand débriefing après la première étape. Sinon, l’animatrice peut apporter des connaissances sur la culture à ce moment-là. Elle peut chercher les éléments communs aux objets, ou précisément les distinctions intéressantes, observer si les objets sont liés à des domaines de vie similaires ou différents, etc. Quelques idées pour mieux réaliser l’activité : Certains aspects de la culture qu’il est intéressant de mentionner : - La difficulté de trouver une définition consensuelle (Kroeber, A. & Kluckhohn, C. 1952) due à la multitude d’entrées possibles : - Types de cultures: nationale, régionale, genre, âge, sous-culture, orientation sexuelle, handicap, etc. - Dynamiques de la culture: transmission et échange - Caractéristiques: dynamique, en changement perpétuel, subjective… - Manifestations de la culture: art, science, traditions, écriture, objets.. - Origines de la culture (ex. Tomasello: apprentissage cumulatif ou Théorie de la gestion de la terreur) - Relation entre la culture et l’individu (identité culturelle, construction réciproque, enculturation, ethnocentrisme, etc.) - Culture et politique Quelques métaphores souvent utilisés pour explorer les aspects de la culture : iceberg, lunettes, oignon, etc. Pour en savoir plus : ERIKSEN, Thomas Hylland, Small Places, Large Issues: An Introduction to Social and Cultural Anthropology, London, Pluto Press, 1995. GEERTZ, Clifford Bali, Interprétation d’une culture, Paris, Gallimard, 2001. GEERTZ, Clifford, Anti-Anti-Relativism. 1983 Distinguished Lecture. American Anthropologist 82:263-278, 1984. HALL, Edward T.,Au-delà de la culture, Paris, Seuil, 1979. HALL, Edward T., LaDimension cachée, Paris, Seuil, 1978. HALL, Edward T., La danse de la vie, Paris, Seuil, 1992. KROEBER, A. & KLUCKHOHN, C.,. Culture. New York: Meridian Books, 1952.
Média créatif et représentation de soif Proposé par Veronika Szabó et Laszlo Fodor, Fondation Artemisszio Objectifs pédagogiques : IIntroduction à la communication visuelle et à l’utilisation de techniques numériques. Le but 170
est de créer une approche inclusive voir universelle à travers le langage visuel et la fusion d’histoires de vies réelles et d’éléments ludiques et humoristiques. Temps nécessaire : 3 heures Nombre idéal de participants : 10 à 20 Matériaux : tables, grand morceaux de papier, feutres, camera, ordinateur, logiciel de post-production Préparation : connaissances spécifiques relatives à l’utilisation d’une caméra et au travail de post-production Instructions : Exercice n° 1 (10 mins.) Echauffement : « Cours si tu peux… » Objectifs pédagogiques: Connaître l’énergie du groupe, introduction à la présentation de soi, identifier des éléments communs entre tous Instructions : Les participants sont assis en cercle sur des chaises, une personne est au centre du cercle. La personne debout exprime quelque chose de vraie sur elle-même. Ceux qui partagent son énoncé doivent se lever et trouver une autre chaise, tandis que la personne au centre essaie aussi de s’asseoir. On répète plusieurs fois pour que plusieurs personnes puissent dévoiler quelque chose sur elles-mêmes. Exercice n° 2 (30 mins): Présentation de soi à travers un « world café » et des dessins Objectifs pédagogiques: Présentation et représentation, re-contextualisation d’histoires personnelles Le “World café” est une technique de pédagogie non formelle qui favorise la discussion collective sur des sujets sensibles et complexes dans un grand groupe. Ici on utilise la technique pour la (re)présentation de soi. Instructions : les participants sont assis autour de tables couvertes de morceaux depapier de grand format en groupes de 3 à 4 personnes. Chaque groupe reçoit les mêmes questions sur différents aspects de leurs identités. On invite les participants à commencer partager dans le petit groupe à partir des questions proposées et accompagner leur paroles avec des dessins. Après un peu de temps on invite les participants à changer de place et s’asseoir à une autre table. Débriefing : L’animateur peut mentionner le modèle « oignon » de l’identité. Quelques points à soulever: - On peut représenter les différents aspects de notre identité dans la forme d’un oignon, en allant du plus évident et visible à l’extérieur vers le plus caché, plus difficile à cerner à dessiner au centre. On peut dessiner des cercles concentriques pour visualiser comment on passe des feuilles extérieurs vers l’intérieur de l’oignon. - L’identité n’est pas la même chose que les traits de personnalité. Elle se construit en interaction avec d’autres. - L’identité est par conséquence toujours culturelle : elle est acquise à travers le pro cessus de socialisation qui est en fait l’intériorisation de différentes normes et valeurs culturelles Exercice n° 3 : (60 mins) Court-métrages avec une boite verte Objectifs pédagogiques : Créer un autoportrait basé sur le modèle « oignon » de l’identité et les discussions world café. Chaque participant prépare des dessins sur lui-même. Pui, en groupes de trois ils préparent les paroles et le texte qui accompagne les dessins. Ensuite ils peuvent répartir les différentes tâches entre eux : l’un va faire le caméraman, un autre le narrateur, et le troisième l’interviewer. Les films de l’identité sont entièrement réalisés 171
dans ces petits groupes. Les dessins sont scannés puis projetés sur le mur avec un projecteur et les équipes de trois commencent à tourner le film. La post-production est également réalisé en équipe. Présentation des films (20 min) Excercice n° 4 : (60 mins) Court-métrage enstop-motion Pedagogical objective : Créer des films en stop-motion basésà partir d’éléments réels ou inventés autour des chocs de culture, et les défis liés à la différence culturelle. Méthodes : Les participants partagent en groupes de 3 leurs observations et expériences du choc de culture et leurs perceptions des différences culturelles. Ils choisissent une des histoires partagées à laquelle ils s’identifient le mieux en tant que groupe et en créent un scénario pour un film de 3 minutes. Le stop-motion : Est une technique d’animation qui donne du mouvement à des objets statiques. Cette sensation est créée par une série de prises entre lesquelles l’objet est bougé graduellement. Tandis que la caméra est arrêtée, quelqu’un bouge l’objet. Tout peut servir en tant qu’objet : des figures découpées de papier, des photos prises sur soi-même, des objets physiques, etc Instructions : Des petits groupes de 3 à 4 personnes développent des scénarios à partir de situations concrètes. Ils se répartissent les rôles pour réaliser le scénario : le caméraman, la personne responsable de bouger l’objet et la personne responsable de dire quand on peut prendre chaque photo.
4. EXPLORER LA DIVERSITÉ ET ACQUÉRIR DU POUVOIR ET DE L’AUTONMIE Ecriture sur le sable : dessiner l’espace avec des objets Proposé par Alkistis Kondoyianni, Université du Péloponnèse, Département de Théâtre Objectifs pédagogiques : Offrir une expérience qui révèle la diversité et les dynamiques des relations humaines, s’impliquer d’une manière créative avec les autres et avec des objets,promouvoir l’écriture créative. Temps nécessaire : 3 heures Nombre idéal de participants : sans limite Matériaux : objets et matériaux étranges (raquette de tennis, chaussure de femme, ballons, cœur en plastique, rubans, textiles, câble, etc..), grands rouleaux de papier, feutres. Musique. Grande salle qui permet le mouvement, de préférence une salle de théâtre Préparation: une grande salle. Disposer les objets dans un coin de la salle Exercice n° 1 : 172
Objectifs pédagogiques : Dans le premier exercice d’écriture, nous proposons une transcription de l’espace avec les objets que les participants sont invités à déposer dans la salle. Le but de l’exercice est la prise de conscience du corps et de l’espace à l’aide des objets. Instructions: Observez l’environnement, choisissez les objets qui vous plaisent, prenez-les et posez-les dans l’endroit qui, selon vous, leur convient. Créez un espace pour vous-même dans cet environnement et observez la scène de cette écriture créative. Ensuite, proposez trois titres pour l’ensemble, écrivez-les sur du papier de grand format.. Exercice n° 2 : Objectifs pédagogiques : On continue à développer un sens de l’espace, avec les autres autour de nous, ainsi qu’avec l’ensemble des participants. Instructions : Placez-vous vous-même dans ce texte-espace, créez un texte avec le corps en choisissant les objets et matériaux autour de vous. Votre corps avec les objets, l’espace et les autres devient une écriture. Réaliser votre texte en bougeant. Exercice n° 3 : Objectifs pédagogiques : Stimuler la créativité avec les objets, se présenter au groupe. Instructions : Chacun choisit les matériaux qui lui plaisent et crée sa propre composition d’objets, en se plaçant lui-même aussi dans cette composition. A tour de rôle, chacun se présente et parle de sa création (on peut leur proposer de dire qui ils sont dans cette situation, ce qu’ils désirent…). Exercice n° 4 : Objectifs pédagogiques : Créer un contact entre les participants, susciter l’observation de ce qu’ont réalisé les autres. Expérimenter le poids des mots, accéder à leur sens, et commencer à créer un texte, un poème avec eux. Former un dialogue qui éveille la créativité. Instructions : 1. Trouver un chemin pour lier votre construction avec celles des autres, pour en créer une structure plus grande. Dans la grande construction survie celle qui vous représente, vous. Ecrivez des mots qui sont significatifs pour vous et mettez-les à « leur place » dans l’ensemble. 2. Ecrivez un poème personnel pour l’ensemble de la construction en utilisant vos mots. 3. Choisissez un partenaire, créez un poème dialogique qui crée le lien entre vos deux poèmes, présentez-le au groupe. Exercice n° 5 : Objectifs pédagogiques : Approfondir les liens entre les participants dans le partage des expériences, exprimer des idées dans le dialogue. Instructions : En restant avec votre partenaire, choisissez des mots du poème qui vous sont particulièrement significatifs pour vous. Expliquez à votre partenaire pourquoi ces mots vous sont si importants à travers une expérience concrète qui vous vient en tête. Après que tous les deux ayez parlé, joué un dialogue très rapide en utilisant vos mots, présentez le dialogue au groupe.
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Exercice n° 6 : Objectifs pédagogiques : Développer la créativité à travers la communication et l’interaction. Instructions : Sur le mur vous trouverez un papier à votre disposition. C’est votre papier où vous pouvez laisser votre trace, écrire des mots, écrire un vœu pour quelqu’un qui se affronte une épreuve. Exercice n° 7 : Objectifs pédagogiques: exprimer des problèmes personnels d’une manière libre, proposer des solutions. Instructions : Sur le mur vous trouverez un papier à votre disposition. C’est votre papier où vous pouvez laisser votre trace, vous pouvez décrire un problème qui vous perturbe en ce moment. Les autres peuvent venir ajouter sur votre papier des suggestions pour comment le résoudre Exercice n° 8 : Objectifs pédagogiques: développer la conscience du corps dans l’espace, en relation avec les sons et les mots qui reflètent le groupe entier. Instructions : Terminer l’écriture créative avec le corps sur le sol, et remplissez l’espace avec des sons. Créez la chanson du groupe. Pour en savoir plus : ADAIR, J.,The art of creative thinking: Ηow to be innovative and develop great ideas.London: Kogan Page, 2009. BOWKETT, S. (1997). Imagine that... A Handbook for Creative Learning Activities for the Classroom. Trowbridge: Redwood Books, 2009. CRAFT, A., Can you Teach Creativity? Nottingham: Education Now Publishing Co-operative, 1998. FOUCAULT, M., The Foucault Reader. London: Penguin Books, 1984. GOLEMAN, D.,Emotional Intelligence: 10th Anniversary Edition; Why It Can Matter More Than IQ. Bantam, 2006. GOUREVITCH, Ph., Paris Review Interview Anthology, Paris: The Paris Review, 2006. KAUFMAN, J. & Sternberg, R., The International Handbook of Creativity. Cambridge: Cambridge University Press, 2006. MICHALKO, M., Cracking Creativity: the Secrets of Creative Genius.New York: Ten Speed Press National Advisory Committee on Creative and Cultural Education (1999). All Our Futures: Creativity, Culture and Education. DFEE (Department for Education and Employment), 2001. TAYLOR, C., Various Approaches to and Definitions of Creativity, in Sternberg, R. (Ed.). The Nature of Creativity: Contemporary Psychological Perspectives. Cambridge: Cambridge University Press, 1988. National Campaign for the Arts. Theatre in Education: Ten Years of Change.London: NCA, 1997. RODARI, G.,The Grammar of Fantasy: An Introduction to Art of Inventing Stories. Teachers & Writers Collaborative, 1996. STERNBERG, R., The Nature of Creativity: contemporary psychological perspectives.
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Cambridge: Cambridge University Press, 1988. STERNBERG, R., Handbook of Creativity. Cambridge: Cambridge University Press, 1999.
Carte de la vie Proposé par Christina Zoniou & Naya Boemi, Université du Péloponnèse & Osmosis Références: Govas, N.,“From the individual to the social: The ‘life map’ activities”. In Alex Mavrokordatos (ed), mPPACT Manifest: Methodology for a Pupil and Performing Arts-Centred Teaching, Gamlingay, Sandy: Authors OnLine, 2009, pp.136 -140. Objectifs pédagogiques : Cette activité a pour but de visualiser les histoires, décisions et identités des participants. Développer la prise de conscience de soi et passez de l’individuel au collectif dans un processus d’empowerment. Dans cette activité les participants peuvent se rendre compte du caractère dynamique, situationnel et multiple des identités personnelles ainsi que du rôle du choix, de la détermination dans leur formation. Enfin, il contribue à la création d’un sens du collectif à travers le partage d’éléments communs dans les histoires de vie, ainsi qu’à l’engagement dans le dialogue interculturel. Temps nécessaire : 2 à 3 heures ou plus Nombre idéal de participants : 12 à 20 Matériaux : Papier de grand format, feutres, musique douce. Préparation : Créez une ambiance douce à travers des exercices de relaxation et concentration. Instructions: Il s’agit d’une activité qui vise à dessiner des cartes géographiques sur les histoires personnelles des participants, à les partager et à en créer une nouvelle histoire collective à travers les méthodes artistiques du dessin, de la narration et de lareprésentationg. L’activité se déroule en cinq étapes : d) Dessiner la carte des histoires personnelles sur du papier de grand format chaque personne est invitée à dessiner sa propre carte géographique comme un voyage qui prend début à la naissance (ou un autre point de départ) jusqu’au moment présent. Les participants essaient de représenter qui ils sont à présent, et quel était leur chemin pour devenir ce qu’ils sont aujourd’hui. Le dessin peut être abstrait ou concret, le chemin visualisé comprend les évènements clés de leur vie : points significatifs, rencontres, moments de changements ou de décisions importantes, attentes, obstacles, réussites, oppressions, surprises, etc. e) Partager les expériences personnelles : en groupes de 4 à 6 personnes, les participants partagent leurs histoires et leurs cartes. Les éléments clés sont notés, puis les parti175
cipants choisissent les éléments les plus importants qu’ils partagent. f) Créer une nouvelle histoire et la mettre en scène : chaque petit groupe prépare une petite performance qui représente l’élément (les éléments) commun(s) choisi(s). Ils peuvent utiliser des improvisations, mouvements, dialogues, objets, musique, etc g) Réponses : le public constitué des autres participants donne un feedback et offres ses impressions sur les performances concernant les sujets touchés, le style, les histoires représentées. h) Recréation et développement de l’histoire : lesparticipants recréent leurs scènes en prenant en compte les suggestions et commentaires du public. Variation 1 : étape 1. « Dessiner la carte » peut être remplacée par des techniques narratives, par exemple, par le récit d’une histoire liée à un objet qui a une importance particulière pour un participant. Variation 2 : l’histoire peut retracer un moment particulier, par exemple l’arrivée dans un nouveau pays, ou la participation à un atelier de théâtre (voir « carte de l’atelier » en tant que technique d’évaluation). Discussion : Après l’activité, l’animateur encourage les participants à parler de l’expérience de travail sur leurs propres histoires, à les partager avec les autres, et à les réécrire ensemble. Pour en savoir plus : Alex MAVROKORDATOS (ed.), PPACT Manifest: Methodology for a Pupil and Performing Arts-Centred Teaching, Gamlingay, Sandy : Authors OnLine, 2009.
5. COMPRENDRE LES DÉFIS DE L’ADAPTATION Le chemin du migrant Proposé par Veronika Szabo (Fondation Artemisszio) et Vera Varhegyi (Elan Interculturel) Objectifs pédagogiques : a) Introduire le sujet de la migration, comprendre le parcours migratoire b) Acquérir les notions de base de l’adaptation interculturelle Temps nécessaire : Partie 1 : 1 heure Partie 2 : 1 heure Partie 3 : 1 heure Nombre idéal de participants : 10 à 20 Les petits groupes fonctionnent le mieux avec 3 à 5 participants. Matériaux : Papier carton, feutres de plusieurs couleurs, pastels. Préparation : L’exercice utilise des transcriptions d’entretiens avec des migrants. Les entretiens peuvent
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être réalisés par les participants (on peut leur proposer de faire des entretiens en tant que tâche préparatoire avant de débuter la formation). Dans ce cas, les transcriptions doivent être choisies et peuventêtre restructurées par les animateurs. Les transcriptions ne devraient pas dépasser une page et devraient inclure les détails suivants : a) Les raisons pour lesquelles on a quitté le pays d’origine b) La situation dans le pays d’origine c) Les expériences du voyage, de la transition d) La vie à présent dans le pays d’accueil (défis, ressources, etc.) Choisir autant de transcriptions que de petits groupes que nous allons construire (3 à 4 personnes par groupe). Faire des photocopies pour chaque personne qui travaille avec le même texte et pour les membres du « groupe d’experts ». Instructions : Partie 1 : Dessiner le chemin de la migration Les transcriptions d’entretiens avec des migrants sont distribuées à des groupes de 3 à 4 personnes. Leur tâche est de lire le texte, d’en parler en petit groupe et puis de créer une représentation visuelle de l’histoire : raisons du projet migratoire, arrivée, adaptation, nouvelle vie, etc. Etant donné que les transcriptions ne contiennent pas forcément tous les détails, les participants peuvent compléter les histoires en devinant / ajoutant / inventant des détails supplémentaires concernant les émotions du protagoniste, les rencontres importantes, les ressources, les difficultés, etc. Les petits groupes travaillent ensemble à s’approprier le récit pour en créer une représentation visuelle sur un papier carton. Trois participants ont une tâche spéciale : ils deviennent les membres du groupe d’experts, en incarnant le rôle d’un psychologue, d’un journaliste et d’un agent représentant une autorité pertinente pour l’immigration. Le groupe d’experts intervient dans la deuxième étape où ils pourra poser des question à chaque « migrant ». Dans cette étape, ils préparent leurs questions. Partie 2 : Devenir migrant Chaque groupe présente l’image créée sur le chemin du migrant, et les participants présentent l’expérience du migrant en parlant dans la première personne du singulier. Chaque membre du groupe doit prendre part dans cette tâche, les membres donc doivent se mettre d’accord sur qui parle et quand. Une fois le dessin présenté, les trois experts peuvent poser leurs questions. Dans un groupe plus créatif ou qui a de l’expérience dans le théâtre, on peut proposer de faire les présentations dans le style d’une émission télévisée. Dans ce cas, l’animateur devient aussi l’animateur de l’émission télévisée et demande aux migrants de raconter leur histoire. Essayez de créer une ambiance de sécurité où tout le monde participe activement (donnez des rôles à tout le monde). Partie 3 : Discussion et notions de base On commence par un débriefing rapide pour se débarrasser des rôles et des émotions soulevées. Parfois les participants prenant les rôles de migrants ou d’experts peuvent se sentir très touchés, on devrait les aider à dépasser les émotions. On peut donc demander aux
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migrants et aux experts comment il se sont sentis. On peut aussi demander si les histoires représentées et les experts leur semblaient réalistes. Dans un deuxième temps, on introduit plusieurs concepts de base sur l’adaptation. Vous pouvez ajuster les contenus selon le niveau et les intérêts du groupe. Quelques notions à aborder : Discussion sur les motivations de l’adaptation : Quelles sont les raisons qui motivent la migration ? Différenciez les facteurs « push-pull », internes et externes, et parler de l’impact des motivations sur l’expérience de migration et d’adaptation. Aspects de l’adaptation : a) Ajustement psychologique (le niveau des émotions : comment le stress, l’anxiété, la dépression peuvent augmenter dans la transition et comment on peut les surmonter) b) Adaptation socioculturelle (apprentissage de la nouvelle culture : comment fonctionner dans le nouvel environnement) c) Acculturation, interculturation (changements au niveau de l’identité) Quelques idées reçues sur l’adaptation à revoir : a) L’hypothèse de la courbe U (un modèle proposé par Oberg puis par Lysgard, qui suppose 4 phases dont la première est la « lune de miel » avec la nouvelle culture) b) La conception de l’acculturation comme un processus linéaire : que progressivement les migrants perdent leur identité culturelle d’origine pour acquérir celle du pays d’accueil c) Que seulement l’identité culturelle change lors de l’immersion dans un nouvel environnement. En fait, pratiquement tous les niveaux de l’identité seront touchés et transformés. Discussion sur les institutions qui peuvent faciliter l’adaptation. Quelques idées pour mieux réaliser l’activité : Vous aurez peut-être besoin de revoir ensemble les rôles des experts : il se peut que les participants ayant reçu ces rôles n’aient pas beaucoup de connaissances sur ces professions. Revoyez ensemble quelles positions les experts pourraient avoir ? Comment se comportent-ils face à des migrants ? Quel est leur but ? Pour en savoir plus : Colleen Ward, Stephen Bochner, Adrian Furnham 2001. The Psychology of Culture Shock Routledge, East Sussex
Ailleurs et chez soi Proposé par Veronika Szabo, Fondation Artemisszio Objectifs pédagogiques : a) Trouver et analyser des mots, des notions, des défis et des expériences liés à l’accueil dans le nouveau pays et le pays d’origine. b) Passer du niveau individuel au niveau collectif à travers la discussion en groupe sur les défis c) Trouver des sujets, défis, difficultés communs pour en créer « l’embryon » d’une représentation de théâtre forum Temps nécessaire : 30 minutes 178
Nombre idéal de participants : 10 à 12 divisés d’abord en 2 groupes puis en 3 ou 4. Matériaux : Papier carton, feutres de couleur, crayons Préparation : Prévoirdeux tablesavec deux feuilles en papier carton. Instructions : Divisez le groupe en deux : groupe « A » et groupe « B ». Le groupe « A » est invité à collecter des mots et des concepts liés au pays d’accueil, tandis que le groupe « B » collecte des mots et notions liés au pays d’origine. Après avoir écrit les mots sur les feuilles, les deux groupes changent de place et soulignent les mots qui ont du sens pour eux sur la feuille de l’autre groupe. Par la suite, le groupe revoie ensemble les mots les plus choisis et on cherche à les illustrer avec des expériences concrètes. Discussion : Pour animer la discussion après le choix des mots, l’animateur peut proposer de : a) Raconter une histoire concrète liée au mot choisi b) Chercher des défis particuliers concernant ce mot, les ressources pour faire face aux défis L’animateur peut aussi amener des apports théoriques concernant la culture et l’identité Quelques idées pour mieux réaliser l’activité : Rappelons aux participants d’écrire des mots simples, il sera alors plus facile de les relier à des expériences concrètes et pertinentes pour d’autres. L’exercice devient vivant si les participants osent partager des expériences concrètes, cela aidera à passer du niveau superficiel des mots hors contexte à un niveau plus riche. Une possible suite pourrait inclure la discussion autour des sensations d’injustice et la construction de tableaux théâtraux à partir de cela. Pour en savoir plus (cadre théorique ouméthodologique): Augusto Boal, Jeux pour acteurs et non acteurs.
6. CONCEVOIR UN NOUVEAU PROJET DE VIE Théâtre-image et corps Proposé par Christina Zoniou & Naya Boemi, Université du Péloponnèse & Osmosis Objectifs pédagogiques : 1ère partie : Sculptures et sculpteurs 1. Exprimer et analyser des émotions, des idées et des relations à travers le corps 2. Partager des attitudes corporelles et des mouvements 3. Comprendre la relation entre l’image et la perception du spectateur (ce que je montre et ce que l’autre perçoit) 4. Comprendre le lien entre l’image et l’expérience vécue (qu’est-ce que je resens et comment j’exprime ces sentiments par mon corps) 5. Exploration personnelle et collective d’un sujet 2ème partie : Images dynamiques 179
1. Réfléchir sur des défis particuliers pour générer des solutions 2. Interagir avec les autres à travers le corps 3. Approcher un sujet d’une manière dialogique 4. Encourager la participation dans la prise de décision Temps nécessaire: 1ère partie : 15 minutes – 2ème partie : 30 minutes Nombre idéal de participants : 10 à 20 Préparation : Echauffement et techniques de concentration Instructions : 1ère partie Sculpture et sculpteur On invite les participants à modeler leur corps ou le corps d’un autre pour représenter une situation, une émotion ou une idée particulière. On leur demande de ne pas parler durant l’exercice, les seuls moyens de travailler la sculpture c’est en touchant, en symbolisant le toucher sans contact physique ou avec le mimétisme en montrant la posture à la sculpture pour qu’elle l’imite. On obtient ainsi des sculptures individuelles, ou des groupes de sculpture qu’on présente au groupe pour en discuter ensemble. 2ème partie Images dynamiques : Les participants modèlent des images d’oppression sur leur corps et les corps d’autres participants. Ces images statiques sont par la suite dynamisées : on les rend vivantes à travers une séquence d’exercices de mouvements interactifs. L’image initiale statique est utilisée pour parler de comment une situation pourrait être changée - comment les spectateurs pourraient changer la situation. Les participants répètent la solution proposée à travers le modelage d’une nouvelle sculpture : « l’image idéale ». Ensuite, nous cherchons à trouver « l’image de transition » qui est entre la réalité de l’oppression et «l’image idéale» qui encourage l’exploration de stratégies pour surmonter les oppressions de la vie réelle. Discussion : Partie 1 : Sculpteur et sculptures En sculptant les autres ou son propre corps le sculpteur crée des images sculptées individuelles ou collectives, même avec la participation du groupe entier qui représentent sa propre impression d’une situation d’oppression. En utilisant le corps plutôt que la parole certains « filtres » et « blocages » habituellement liées à l’expression verbale sont dépassés. Les expressions corporelles et physiques ouvrent un espace pour discuter de l’oppression qui devient visible à l’œil nu. Partie 2 : Images dynamiques Le théâtre image facilite la communication au-delà des limites du langage verbal, aide la séparation de la pensée subjective et objective et fait émerger un langage de la représentation. Au moment d’observer les images on encourage les participants à comprendre les différences entre ce que l’on voit et ce que l’on interprète. Ceci en vue de rompre le processus cognitif automatique de passer tout de suite à l’interprétation et pour mieux comprendre la manière dont les images sont perçues et comprises. Le processus amène à une réflexion dont peuvent surgir des suggestions pour des solutions qui sont testées à travers les images et qui peuvent ainsi générer de nouvelles expériences et actions. 180
Quelques idées pour mieux réaliser l’activité : - Attitude maïeutique : l’animateur a le rôle d’une « sage-femme », qui aide à donner naissance à des idées, émotions, observations d’une manière non directive - N’oubliez pas que la manière dont les personnes utilisent et montrent leur corps et leurs émotions varie en fonction de la culture - Inspirez-vous des principes méthodologiques et théoriques de Boal et Freire. Pour en savoir plus (cadre théorique ou méthodologique) : BOAL, A., The Rainbow of Desire: The Boal Method Of Theatre and Therapy. London: Routledge, 1995. BOAL, A., Games For Actors and Non-Actors. London: Routledge, 1992.
Introduction au Théâtre Forum Proposé par Christina Zoniou & Naya Boemi, Université du Péloponnèse & Osmosis Objectifs pédagogiques : Aider les participants à prendre pouvoir face à l’oppression sociale ou à des conditions oppressives pour reconcevoir leur projet de vie. Temps nécessaire: Plusieurs sessions, 10 à15 heures au total. Nombre idéal de participants : 12 à 20 Matériaux : Costumes, musique, etc. Préparation : L’activité constitue l’étape finale d’un atelier, après que le groupe ait essayé et testé le processus créatif initié par des activités antérieures. Notons que le Théâtre Forum est une activité théâtrale complexe plutôt qu’un exercice, provenant du Théâtre de l’Opprimé par Augusto Boal, et que l’animateur a besoin d’une préparation pratique et théorique solide. Instructions : Nous présentons au groupe les notions de l’oppression, oppresseur, opprimé, rupture de l’oppression à travers plusieurs activités théâtrales provenant de l’Arsenal du Théâtre de l’Opprimé, par exemple des chapitres « L’invention de l’espace et les structures de pouvoir spatiales » et « Théâtre Image » tels que « Le Grand Jeu du Pouvoir » (voir Boal 2004). Les participants sont divisés en sous-groupes de 5 pour construire de courtes scènes d’oppression dérivant de leurs expériences personnelles. Le groupe sélectionne un problème à régler, un qui concerne les participants eux-mêmes et les problèmes auxquels ils font face dans leur propre vie, et produit plusieurs scènes sur ces problèmes, construisant une histoire cohérente. L’histoire est constituée d’éléments à partir d’histoires personnelles réelles et fictives. Elle représente un conflit non résolu ou une forme d’oppression, c’est-à-dire une scène qui se termine mal. Le protagoniste est l’opprimé, quelqu’un qui a besoin et envie de changer la réalité oppressive mais qui trouve des obstacles par le / les oppresseur(s) – l’antagoniste. Selon Boal (2004), les scènes que nous choisissons de présenter dans une représentation du Théâtre Forum doivent donner l’opportunité à beaucoup de possibilités, ils montrent l’oppression à un point lorsque quelque chose reste encore à faire, plutôt que lorsque tout dépend de la résistance physique. 181
Autrement, nous pouvons déprimer et priver de leur autonomie les « spectacteurs ». Pendant que la représentation est préparée, le groupe change progressivement d’une représentation personnelle vers une représentation sociale du problème, modifiant, ajoutant ou omettant des détails selon les objectifs du groupe. Les scènes sont répétées, en utilisant plusieurs techniques, et sont améliorées esthétiquement par la musique, les accessoires et la mise en scène. Les décisions sont prises collectivement, en utilisant les forces créatrices du groupe entier. Les scènes sont montrées comme une représentation complète devant un public qui la regarde une fois. Ensuite, l’animateur (le Joker) demande au public : dans l’éventualité que la même chose arrive encore, qu’est-ce que vous feriez ? La scène est répétée. Le public peut changer le cours de l’histoire, en disant « stop », arrêtant les acteurs et remplaçant le personnage qu’ils identifient comme opprimés – le protagoniste de l’histoire. Les membres du public deviennent alors « spect-acteurs » et en jouant sur la scène, ils font et disent ce qu’ils auraient fait et dit dans une situation analogue, dans les mêmes conditions et avec les mêmes difficultés présentées par l’antagoniste. Le Joker coordonne le jeu et la substitution des personnages, essayant d’approfondir la discussion en posant des questions essentielles. Les solutions « magiques » (non réalistes, très peu probables) doivent être rejetées. Discussion : les participants et le public discutent des possibles solutions aux situations de la vraie vie. Quelques idées pour mieux réaliser l’activité : Etre préparé à gérer parfois des histoires douloureuses d’oppression ; déplacer le centre de l’attention vers l’aspect social d’un problème ; essayer d’amener les participants vers une « conscientisation », vers une prise de conscience critique de la réalité sociale à laquelle ils doivent faire face, ainsi que vers une prise de pouvoir etd’autonomie (empowerment) et vers la découverte de chemins significatifs pour sortir de la réalité oppressive ; utiliser une attitude maïeutique et éviter de manipuler les participants et le public. Pour en savoir plus : Boal, A. Jeux pour acteurs et non-acteurs, Paris : La Découverte, 2004
7. EVALUATION DES CHANGEMENTS Evaluation narrative avec des images Proposé par Vera Varhegyi (Elan Interculturel) Objectifs pédagogiques : Cette méthode d’évaluation convient pour les ateliers qui ont des productions visuelles que les participants ont créées. La tâche sert d’évaluation de l’atelier, de réflexion sur ce qu’il s’est passé et sur les objectifs pédagogiques de l’atelier. Temps nécessaire : 1-2 heures en dehors du temps de l’atelier que les participants doivent prendre une fois l’atelier terminé, idéalement 1 à 2 semaines après Nombre idéal de participants : Sessions individuelles Matériaux : L’évaluation peut se réaliser en tant qu’entretien (alors dictaphone) ou de préférence par le participant chez lui, soit en travaillant sur des feuilles imprimées ou sur 182
ordinateur Préparation : Pendant l’atelier, les productions des participants doivent être documentées et en lien avec la chronologie de l’atelier. Pour chaque participant, l’animateur doit créer un modèle avec des images choisies sur les travaux du participant en question. Instructions : Le modèle d’évaluation doit avoir plusieurs images du participant reflétant chaque session ou chaque thème abordé. Pour chaque image, un espace doit être laissé pour que les participants puissent répondre à trois questions : a) Description du travail artistique en question : s’il vous plait, décrivez-nous objectivement ce qui est représenté, ce que vous voyez sur cette image b) Contexte : s’il vous plait, décrivez-nous comment il a été préparé, dans quelle partie de l’atelier, comment vous êtes-vous senti à propos de cette activité ? c) Comment pouvez-vous relier cette image au thème de l’atelier (ex. : migration, diversité, adaptation, etc. s’il vous plait, écrivez ici le thème de votre atelier) L’évaluation doit être envoyée à l’animateur. Sinon, l’évaluation peut être faite au cours d’un entretien
L’évaluation « hot chair » Proposé par Veronika Szabo, Viktor Bori (Fondation Artemisszio) Objectifs pédagogiques : 1) Aider les participants à évaluer un processus à partir de points de vue différents. 2) Aider à exprimer et définir des sentiments et des déductions liés à l’atelier Temps nécessaire : Entre 45 min et 1,5 heure (Cela dépend du nombre de participants). Nombre idéal de participants : 10-15 (Les petits groupes travaillent mieux avec 3-5 participants). Matériaux : Feuilles à paper-board et crayons de couleurs / craies / marqueurs pour les parcours migratoires Préparation : Les animateurs préparent deux chaises face à face l’une de l’autre, l’une est la « chaise brûlante » (en anglais « hot chair »), l’autre est la « chaise rôle » (en anglais « role chair »). Le reste des chaises forment un demi-cercle face aux deux chaises. Instructions : Le jeu de la « hot chair » est une méthode d’évaluation théâtrale. C’est une version modifiée du jeu « hot seat » par Veronika Szabo de la Fondation Artemisszio et de Viktor Bori, acteur et formateur dans le théâtre de l’éducation. Le jeu original est inventé par des éducateurs de théâtre et il s’agit d’une convention narrative dans les cours sur le théâtre de l’éducation. Dans la version originale proposée dans les formations de théâtre un des participants du groupe prend un siège et le rôle d’un personnage d’une scène ou d’une histoire. Il est interrogé par le reste du groupe. Le but de l’exercice est de continuer à explorer le contenu et le contexte d’une histoire pour que le reste du groupe puisse comprendre les sentiments, la réaction du personnage en le remettant en question. Dans notre version modifiée, nous utilisons les rôles pour faciliter l’évaluation individuelle. 183
Les animateurs préparent deux chaises l’une en face de l’autre, l’une est la «chaise brûlante» l’autre est la « chaise rôle ». L’une des chaises est occupée par un participant qui va répondre aux questions. La personne ne joue pas de rôle, elle reste elle-même. De l’autre côté les participants peuvent à tour de rôle s’asseoir en tant que : • Un bon copain • la mère • un journaliste • un psychologue N’importe quelle personne du groupe peut prend la « chaise-rôle », mais avant de s’asseoir, elle doit préciser quel rôle des 4 elles vont jouer. Après cela, elles posent des questions liées à l’atelier au participant assis sur la « chaise brûlante ». Chaque participant peut s’asseoir sur la “chaise brûlante”. Pour en savoir plus : Laszlo KAPOSI: Játékkönyv, 2010
Cartes de l’Atelier Proposé par : Christina Zoniou & Naya Boemi (Université du Péloponnèse & Osmosis) Objectifs pédagogiques : Evaluer les changements qui surviennent Temps nécessaire : 30 à 60 minutes Nombre idéal de participants : 10 à 20 Matériaux : Papier à dessin, crayons de couleurs / pastels / stylos / marqueurs / feuilles de papier carton ou feuilles A3 Instructions: Une « carte de l’atelier » (en anglais « workshop map ») est une technique d’évaluation visuelle. C’est une variation de l’exercice « Cartes de vie » (en anglais « Life Maps », Govas, 2009, pp.138-139), qui est une représentation illustrée de la vie de quelqu’un, une autobiographie retraçant les évènements significatifs, et qui utilise des images et des symboles pour représenter des évènements et des objectifs (voir plus haut). Dans les « Cartes de l’Atelier », les participants et les formateurs utilisent des symboles, des dessins, des mots, des phrases courtes et d’autres choses pour dessiner le trajet et l’expérience de l’atelier. Environ 15 à 20 minutes sont nécessaires pour chaque dessin personnel. Ensuite, chaque participant parle de son dessin et les autres peuvent poser des questions. L’idée derrière l’utilisation de cette technique réside dans le paradigme de l’évaluation qualitative, qui nous a inspiré. En conséquence, les chercheurs ont été autorisés à évaluer les résultats d’un cours en se basant sur les récits personnels des expériences des participants. Les cartes de l’Atelier comme méthode d’évaluation apportent beaucoup de données utiles qui peuvent être classées et analysées. Une telle analyse peut être faite en utilisant la méthode de la Théorie ancrée (en anglais « Grounded Theory »), ce qui veut dire que nous laissons les catégories de l’analyse venir de l’analyse ouverte des données.
184
Pour en savoir plus : GOVAS, N. “From the individual to the social: The ‘life map’ activities”. In Alex Mavrokordatos (ed.), mPPACT Manifest: Methodology for a Pupil and Performing Arts-Centred Teaching, Gamlingay, Sandy: Authors OnLine, 2009, pp.136 -140, 2009.
Grille d’Observation Proposé par Marián López Ferndandez Cao ( Groupe de Recherche sur les applications de l’Art pour l’Adaptation Sociale : art, thérapie et intégration - Université Complutense de Madrid) Objectifs pédagogiques : Donner aux animateurs un outil pour observer, pendant les processus artistiques des participants, des points (attitudes, sentiments, peurs) qui peuvent être utilisés pour améliorer les compétences psychosociales, le sentiment de bien-être et d’estime de soi des participants pour faire face à de nouveaux environnements. Temps nécessaire : 1/2 heure en dehors du temps de l’atelier que les participants doivent prendre une fois l’atelier terminé, tout le temps. Nombre idéal de participants : — Matériaux : Grille d’observation, images des produits artistiques faits par les animateurs, crayons. Préparation requise : Pendant l’atelier, l’animateur doit garder à l’esprit les indicateurs de la grille d’observation. Ces indicateurs sont liés à la manière dont le participant réagit au processus artistique, aux consignes données, à son propre travail artistique, à la relation avec les travaux des autres participants et à la relation avec les animateurs. Toutes ces productions doivent être documentées et en lien avec la chronologie de l’atelier, à travers la grille d’observation. Pour chaque participant, l’animateur doit créer un modèle avec toutes ces observations durant tout l’atelier (voir annexe). Instructions : Une grille d’observation n’est pas un simple instrument d’évaluation fermé. C’est une invitation à la réflexion commune. Elle propose des champs de réflexion et d’analyse, des moments pour s’arrêter et analyser ce qui s’est passé dans l’atelier. Observer comment le participant s’est associé lui-même avec son travail, observer ses doutes concernant le travail et les procédés, les influences des autres participants ou de l’animateur, ses résistances, l’acceptation ou le rejet de son travail, peuvent donner aux animateurs des clés sur comment le participant fait face à de nouvelles situations. Observer comment il ou elle prend en compte ses difficultés (ou accuse toujours les facteurs externes) peut aider les animateurs à déterminer les modèles cognitifs et peut aider les animateurs à examiner le sentiment de frustration et d’abandon que les participants peuvent parfois avoir au début d’un projet artistique. De la même manière, la façon dont le participant s’exprime ou fait référence au travail des autres, ses relations d’admiration ou de mépris, ou simplement d’indifférence, peuvent 185
nous aider à apprendre comment il/elle établit des liens avec les autres, à travers les travaux. L’isolation, les relations, sont des éléments clés dans la constitution des êtres humains et peuvent nous aider à aider nos participants à réfléchir sur des attitudes qu’ils n’avaient pas remarquées auparavant. Un examen attentif de l’œuvre d’art, dépourvu d’interprétations déterministes basées sur les contenus, peut nous renseigner sur la manière dont les participants « modèlent » leurs expressions et leurs sentiments. L’observation de l’utilisation de l’espace, de la répétition des motifs ou des stéréotypes qui aide les participants à se détacher des formes apprises, l’observation de l’utilisation continue des formes et des couleurs peuvent aider les animateurs à montrer aux participants comment ils ont prise conscience de leur propre « style », de leurs propres modes de communication et d’expression à travers l’art. Finalement, l’échange avec les animateurs, à travers le processus de transfert, aide les animateurs à savoir ce qu’ils incarnent pour le participant. Savoir cela peut aider les animateurs à analyser les relations de pouvoir, de dépendance, d’insubordination ou de soumission que le participant projette sur l’animateur. Il est important pour l’animateur d’agir en étant conscient de ces procédés, d’une côté, et d’un autre côté, de laisser également le participant être conscient de ceux-ci. Comme nous l’avons souligné, la grille d’observation est une invitation pour réfléchir sur les processus artistiques, ce n’est pas un outil de diagnostic ou une évaluation fermée. Au contraire, son but est d’ouvrir vers une observation prudente, lente et délicate de l’activité artistique des participants et d’obliger l’animateur à apprendre à « voir », à « écouter », à « ressentir » le participant. Certains éléments de l’observation sont communs à tout le groupe, mais d’autres doivent être, probablement, adaptés à la biographie, à la situation et aux besoins des participants. Dans cette section, un exemple nous est donné, réalisé pour un atelier spécifique. Ce n’est pas un guide fermé pour tous les ateliers mais il peut aider à en créer de nouveaux. La catégorisation 1/5 n’est pas évaluative, puisqu’elle n’est ni bonne ni mauvaise, par exemple: réaliser rapidement ou lentement une œuvre d’art. Ceci nous offre un outil d’observation, non un outil d’évaluation parce qu’il n’y a pas de manière « meilleure » ou de « pire » pour réaliser une œuvre d’art. Mais il est important pour un bon animateur, de voir attentivement comment les participants font face au processus, l’œuvre d’art et la relation avec l’équipe et l’animateur impliqués. Catégories de l’analyse : - Incertitude - Tolérance à la Frustration - Anxiété - Perte des origines/de l’identité/des repères géographiques.
186
8. ANNEXE : GRILLE D’OBSERVATION
OBSERVATION DES PROCESSUS ARTISTIQUES
1
2
3
4
5
Bonne adaptation aux matériaux / techniques
Difficultés d’adaptation aux matériaux / techniques. Déception.
Prend son temps
Termine rapidement
Se fait confiance
S’inquiète de ses erreurs
Concentration
Paraît distrait(e)
Donne de la valeur au résultat
Dévalorise le résultat
Garde l’intérêt
Renonce facilement
Indépendant(e) dans ses processus
Très dépendant(e) dans ses processus
Détendu(e)
Agité(e)
Fait des choix avec assurance
Incapable de faire des choix
Essaie de faire face aux difficultés
S’arrête face aux difficultés
Capable de prendre des risques face à une nouvelle tâche
Incapable de prendre des risques
Attitude corporelle ouverte
Attitude corporelle fermée
REMARQUES
187
RELATION VERS SON TRAVAIL
1
2
3
4
5
Positive
Négative
Le travail fait référence à la vie avant d’arriver en France
Pas de références à la vie avant d’arriver en France
Capable de réflexion métaphorique ou de réflexion sur soi
Incapable de réflexion métaphorique ou de réflexion sur soi
Exprime de l’indulgence envers ses résultats
Exprime de l’agressivité envers ses résultats
Ne culpabilise pas quand il/elle n’est pas satisfait(e)
Culpabilise la technique / le sujet / les matériaux / l’art / l’animateur
Ne culpabilise pas quand il/elle n’est pas satisfait(e)
Se culpabilise soi-même
Associe les résultats à lui/ellemême, sa situation
Ne fait pas de lien entre les résultats et lui/elle-même, sa situation
REMARQUES
188
ŒUVRE D’ART
1
2
3
4
5
Symétrie
Asymétrie
Statique
Dynamique
Schématique. Descriptive.
Métaphorique. Symbolique.
Froid
Chaleureux
Contraste
Pas de contraste
Géométrique
Organique
Simple
Complexe
Utilise la répétition d’éléments
Pas de répétition
Présence d’ellipses
Pas d’ellipse
Relation avec le travail antérieur
Pas de relation avec le travail antérieur
Développe son propre langage expressif
Se confie à des images-stéréotypes
Présence des métaphores ou sujets
Le sujet est simple et concret
Images cohérentes et intègres
Images déconnectées, fragmentées
Reflète des aspects positifs
Reflète des aspects négatifs
Attitude corporelle ouverte envers le travail.
Attitude corporelle fermée envers le travail.
REMARQUES
189
INTERACTION
1
2
3
4
5
Communique avec les autres en confiance
Montre de l’inhibition et se méfie
Participe
S’isole
Partage
Incapable de partager
Maintien son espace physique
Fait intrusion dans les espaces personnels des autres
Maintien son espace physique
Permet l’invasion de son espace physique
Répond / accepte les limites
Il lui est difficile d’accepter les limites
Autonome
Cherche l’approbation, le renforcement
Refuse l’autorité
Docile
S’intéresse aux opinions des autres
N’accepte pas les commentaires
S’il/elle commet des erreurs, il/elle en accepte les conséquences
S’il/elle commet des erreurs il/ elle en refuse la responsabilité ou culpabilise les autres
Attitude corporelle ouverte envers les autres
Attitude corporelle fermée envers les autres
REMARQUES
190