Tendresses lactées

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Tendresses lactĂŠes Susanne Klein

Editions

Singulières



Te n d r e s s e s l a c t é e s



Tendresses lactĂŠes Susanne Klein

Editions

Singulières


© Éditions singulières 2007 ISBN 978-2-35478-002-9


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Préface

D epuis les débuts de l’humanité, l’image d’une femme allaitant son enfant est omniprésente dans l’art. Innombrables sont les statuettes d’Isis allaitant son fils Horus dans l’Égypte ancienne. Innombrables sont les tableaux de Vierges allaitant l’enfant Jésus dans l’art occidental des xiiie, xive et xve siècles. Au départ symboles de fécondité, de fertilité, images de la charité, de l’amour maternel ou divin, et à ce titre fortement ritualisés et hiératiques, les couples mère/enfant allaité se sont faits, avec la sécularisation de l’art, plus tendres, plus humains, plus intimes. Au xxe siècle, ils se sont faits aussi plus rares, reflétant la désaffection pour l’allaitement maternel au cours de ce siècle. Néanmoins, dans les dernières décennies du xxe siècle et en ce début de xxie siècle, l’allaitement retrouve la place qu’il n’aurait jamais dû quitter, à savoir la façon naturelle de nourrir un bébé. Les organismes internationaux comme l’Organisation mondiale de la santé et l’Unicef préconisent maintenant un allaitement maternel exclusif de six mois,

puis l’introduction d’aliments de complément avec poursuite de l’allaitement jusqu’à 2 ans et plus1. En France, les taux d’allaitement à la naissance et les durées d’allaitement, s’ils sont encore très loin de ceux qu’on observe par exemple dans les pays scandinaves (en Norvège, 99 % des bébés sont allaités à la naissance, 86 % à 3 mois et 68 % à 6 mois), augmentent régulièrement depuis une dizaine d’années (65 % à la naissance en 2004, contre 46,6 % en 1996). Reflet de ce retour à une « civilisation de l’allaitement », l’iconographie s’est à nouveau enrichie de scènes d’allaitement. Et pas seulement la peinture et la sculpture, mais aussi le dessin, la bande dessinée, la photographie, la vidéo… Le mouvement va d’ailleurs dans les deux sens : les progrès de l’allaitement engendrent plus d’œuvres d’art le représentant ; et inversement, leur multiplication peut susciter chez celles qui les voient le désir d’allaiter. L’image, on le 1. On retrouve depuis peu ces mêmes recommandations dans les textes officiels français, par exemple la brochure PNNS du ministère de la Santé sur les bénéfices de l’allaitement pour la santé de l’enfant et de sa mère (http://www.sante.gouv.fr/htm/pointsur/nutrition/allaitement.pdf).


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Préface

sait, a un pouvoir certain, et encore plus l’image de l’allaitement, car, « quoi qu’on pense ou dise des divers modes d’allaitement et de leur interchangeabilité, l’image d’une mère allaitant son bébé reste toujours la représentation idéale de la bonne mère  2 ». Je suis donc très heureuse de la publication du livre de Susanne Klein. Ses photos ne sont pas seulement de « belles images », elles sont aussi un vrai manifeste qui dit : l’allaitement, c’est joyeux, l’allaitement, c’est la vie, on peut avoir une vie sociale en allaitant, on peut allaiter devant des tiers, on peut allaiter un bambin, on peut allaiter des jumeaux… Oui, on peut intégrer l’allaitement d’un bébé dans sa vie de tous les jours. On peut faire plein de choses en même temps qu’on donne le sein, et on peut donner le sein en faisant plein de choses ! Nul besoin de se retirer à l’écart pour la tétée, et de rester immobile les yeux dans les yeux de son bébé. Même si – et ces photographies en témoignent – la tétée est un moment privilégié entre la mère et son enfant, notamment par l’échange des regards, les sourires, les rires, les caresses… Non, la naissance de jumeaux, une césarienne, un accouchement prématuré… n’empêchent pas d’allaiter, à condition d’être bien informée et soutenue (notamment par une association de mères comme La Leche League3). Non, une maladie de la mère ou du bébé ne signe pas l’arrêt de mort de l’allaitement.

2. Pr Michel Soulé, au colloque sur « Les visages de l’allaitement », Versailles, 2002. 3. LLL France, BP 18, 78620 L’Étang-la-Ville, 01 39 584 584, www.lllfrance.org. Les coordonnées de toutes les associations de soutien se trouvent sur le site de la CoFAM, http://coordination-allaitement.org.

Non, on ne peut pas avoir de lait « pas assez riche » ni « pas assez abondant », pour peu qu’on ne limite pas arbitrairement les tétées en nombre ni en durée, et qu’on laisse le bébé téter vraiment à la demande. Oui, on peut continuer à allaiter après la reprise du travail, en donnant à téter chaque fois qu’on a le bébé avec soi (matin, soir, nuit, week-end, congés…), voire en tirant son lait pour qu’il lui soit donné sur le lieu de garde. Oui, l’allaitement est un plaisir pour le bébé, un plaisir pour la mère, un plaisir pour le père qui voit leur plaisir, un plaisir pour tous ceux qui sont témoins de ce plaisir. C’est tout cela, et bien d’autres choses encore, que montrent les photos de Susanne Klein. Et à ce titre, elles valent plus que bien des discours. Sans compter qu’elles sont ici accompagnées de très beaux textes écrits par la photographe à partir d’interviews des douze mères photographiées. On retrouve dans ces textes émouvants toutes les joies (et parfois les peines) de l’allaitement, un vécu riche d’émotions, de sensualité, de poésie, mais aussi de quotidienneté. Au total, un ouvrage au plus près de la vérité de l’allaitement : la Vie même !

Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau rédactrice en chef d’Allaiter aujourd’hui



Laurence MaĂŤ

1

mois


Laurence Maë

si j’ai pris un jour la décision d’allaiter : c’était une évidence. Je n’avais même pas de biberons, puisqu’il était évident que j’allais lui donner le sein : je suis une maman, j’ai du lait, un enfant arrive, donc je donne mon lait, sachant, en plus, que c’est très bon pour lui, pour sa santé, mais aussi pour notre relation à nous deux. Quand Maë est née, elle était toute petite, elle pesait 2,300 kilos. Donc le risque était que, si elle ne tétait pas tout de suite, elle ne prenne pas de poids, et qu’on me l’enlève pour la mettre en couveuse. En fait, elle a pris le sein tout de suite. C’était bien, parce que je vivais déjà une situation difficile : j’étais en train de perdre mon papa. Donc il fallait vraiment qu’entre Maë et moi il n’y ait aucun souci. Je me suis dit : il n’y aura pas de problème de montée de lait, même si ça fait mal, on y arrivera, elle prendra bien le sein. L’accouchement avait été presque un défi – d’ailleurs la sage-femme me disait : « C’est impressionnant de vous voir aussi motivée d’accoucher » – il fallait vraiment que tout aille bien. Donc, tout a été évident pour la première prise du sein. Après, j’ai des souvenirs un peu flous, parce que je vivais des choses fortes, j’étais entre la vie et la mort, la joie et la tristesse, donc je n’étais pas cette jeune maman un peu dans du coton, j’étais aussi dans la réalité. C’était un grand bonheur, mais il fallait que tout roule pour moi et pour Maë. Et du coup tout a roulé. Comme si Maë l’avait compris, comme si c’était un contrat entre nous… Enfin, moi je e ne sa is pas

l’ai senti comme ça, parce que c’était facile, elle était là, elle tétait, c’était bien, c’était mon petit moment à moi. Et je n’en avais pas eu beaucoup. Donc, à l’instant où elle prend le sein, on se dit : ça y est, le contact est établi, on a ça à nous. Je m’étais armée pour ce moment, je m’étais préparée. Tout s’est passé en même temps : j’avais accouché, j’avais un superbe petit bébé, tout ce que j’avais attendu était enfin là, et en même temps, je perdais mon père. C’était dur, comme situation. Après seulement, j’ai mieux compris les événements. Alors, j’ai beaucoup parlé à Maë de ce qui nous arrivait. Je lui disais : « On n’aura pas de problèmes, toi, tu vas vite reprendre du poids, tu es un bébé petit, mais ce n’est pas grave, maman a eu une grossesse tumultueuse. » Et j’avais l’impression qu’elle avait tout compris. C’est comme si elle me répondait : ok, c’est bon, avec moi, tu n’auras pas d’ennuis. Il y a eu le début, où je me sentais la mère nourricière, celle qui donne la santé à travers ce bon lait : je faisais très attention à ce que je mangeais, je me remplissais bien. J’ai eu une confiance hallucinante, en moi et en Maë. Je n’ai jamais rien calculé, les tétées c’était à gogo, pas toutes trois heures, pas toutes les quatre heures, sans peser le bébé, c’était vraiment : je fais comme j’ai envie, s’il y a un souci, je vais le sentir. C’était une évidence. Après il y a une autre phase. L’enfant grandit, et la relation s’installe vraiment. Quelqu’un qui allaitait ses deux filles depuis très

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Laurence Maë

longtemps m’avait dit : « Tu verras, l’allaitement, c’est vraiment chouette quand tu continues. » Maintenant, la tétée c’est vraiment pour le côté affectif. Maë mange des légumes, de la viande, des fruits, elle n’a absolument pas besoin de moi pour se nourrir. Ce n’est plus mon lait qui l’alimente, il n’y a plus ce souci. Mais ce qui est génial, c’est le câlin, la complicité : on rigole bien au « teta », on joue : non, non, non, plus de « teta », c’est le mien, rends-le-moi !… Et elle fait des bisous – c’est extraordinaire aussi, les bisous sur la poitrine, c’est rigolo : elle vient, et puis elle dit, « bisous, teta ». C’est tout un jeu, quoi. Ce qui est magnifique aussi, c’est que maintenant elle le demande. Le matin par exemple, elle se réveille, elle est complètement somnambule, elle n’a même pas les yeux ouverts et j’entends : « Teta, mama, teta ». Et là dans le noir, elle cherche le sein, c’est fabuleux. Le soir aussi, à moitié dans le cosmos, pareil : « Teta, teta ». Un peu perdue entre la France et l’Espagne, elle le dit en espagnol, et c’est beaucoup plus joli, ça sonne vraiment comme une caresse. C’est doux, c’est court, ça se termine avec un « a » ouvert… D’ailleurs je ne sais pas comment disent les autres enfants… Mes seins sont devenus un peu les seins de mon bébé, ils étaient complètement pour elle. Je les expose à tout va, je n’y pense même pas, je les sors comme ça – une femme qui d’un coup te montrerait son sein, si elle n’a pas de bébé, on se demanderait ce

qu’il lui prend. Et comme Maë grandit, je commence à me les réattribuer, je commence à réaliser de nouveau que mon corps, c’est mon corps. D’ailleurs je commence à le lui dire. Je m’étais complètement oubliée, je n’étais qu’une mère, je traînais en jogging, à ne plus faire attention à moi, au milieu des montagnes dans mon Espagne profonde, j’avais tout oublié de la féminité. C’était très terrien tout ça : j’accouche, je couve, je donne mon sein. J’ai eu une phase, disons, un peu primaire. Je viens de comprendre avec Maë que je ne suis pas que maman, que je suis aussi une femme. Ma mère, quand elle me voit allaiter ma fille, est admirative et étonnée en même temps, que je puisse avoir encore du lait au bout de tout ce temps. Il est vrai que maintenant, j’en ai un peu assez, j’aimerais trouver plus du temps, j’aimerais la laisser, j’aimerais retravailler, surtout, et je suis un peu coincée. Si ce n’était pas aussi compliqué, dans le sens où elle a besoin de moi tout le temps, je continuerais des années encore : tant que j’ai du lait, je le lui donnerais. Mais je voudrais arrêter parce que je sens que je ne peux pas faire ce que je veux : aller danser, deux heures le soir, je ne peux pas, parce qu’elle va peut-être pleurer, elle voudra peut-être le sein… Je trouve que maintenant ça suffit. On est dans cette période où j’essaye « moins de maman », « moins de teta ». Il faut que je récupère un peu de mon temps, parce que finalement je commence à m’ennuyer…


Emmanuelle Grenadine

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Laurence Maë

Au milieu des montagnes dans mon Espagne profonde, j’avais tout oublié de la féminité. C’était très terrien tout ça : j’accouche, je couve, je donne mon sein. J’ai eu une phase, disons, un peu primaire.


Laurence Maë

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Annoa Marius

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mois


Annoa Marius

’ava is v u m a mèr e alla iter , et d’autres mamans aussi. Pour moi c’était normal. Je me posais seulement des questions pour savoir quelles sensations cela faisait, combien de temps ça allait durer… Mais j’étais décidée à le faire. C’est autre chose qu’une relation purement alimentaire. Je m’en aperçois quand il est malade, qu’il a mal quelque part, la tétée le calme, il est bien, il apprécie, ça l’aide à s’endormir. C’est beaucoup plus que d’être nourri. Moi j’aime beaucoup lui donner le sein, parce que c’est un temps où je suis immobilisée, où je peux le regarder, où il y a une autre communication que les paroles. Il me regarde, ou il regarde ce qui est autour de lui… Je m’allonge ou je me pose, je peux lire, je peux écouter la radio, je peux le regarder, lui faire des petits massages, et c’est rigolo, parce qu’il y a des sensations, des gestes qu’il n’y a pas quand je ne l’allaite pas. Souvent, il met ses mains entre les deux seins et il fait un peu comme les petits chats, qui poussent en tétant. C’est un contact global qui est très agréable. Quand on va le soir chez des amis, ou quand je dois sortir et qu’il a faim, le moment où je me pose pour la tétée c’est toujours un moment de calme, car c’est une chose que je ne peux pas faire rapidement, en vitesse, même si je suis pressée. En même temps, je fais des expériences, j’observe son évolution, c’est un moment où je suis plus attentive, particulièrement réceptive et ouverte à lui. Parfois

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il s’arrête, il se met à babiller, il commence à mordiller le sein, il devient attentif à tout ce qui se passe. Je sens qu’il a un contact avec moi qui passe par le toucher et l’odorat, et pas uniquement par la vue et l’ouïe. Et par le goût aussi, pour lui. Quand je suis rentrée de la maternité, des amies voulaient goûter mon lait pour savoir ce qu’il mangeait (j’ai des copines très curieuses !). Je n’étais pas d’accord, mais j’ai laissé goûter. Manu a goûté, les copines aussi, ils m’ont dit que c’était sucré. Moi je n’avais pas du tout envie de goûter, pourtant je suis très gourmande et très curieuse. Finalement, je l’ai fait un peu plus tard, un peu par accident, et ça me répugne un peu, au moins au goût. Techniquement la tétée, c’est tellement plus simple : il a faim, je sors le sein, et voilà. Il n’y a pas de préparation, c’est à la bonne température, c’est bon, c’est simple… C’est comme le portage par rapport à la poussette : je le porte en écharpe dans tous les déplacements. C’est moins encombrant, c’est plus pratique. Et lui, il est tout calme, il peut s’endormir, il

peut regarder aussi, il tète ses doigts, il babille. Et dans l’écharpe, je peux l’allaiter aussi. J’ai testé, il faisait froid, c’était bien : personne ne le voit, il est bien protégé. (Manu, le papa :) La tétée, c’est le moment de la maman et du bébé. Ils sont tous les deux dans leur bulle. Je me sens un peu en dehors. Pas exclu, en dehors. Il ne faut pas se sentir exclu, il faut comprendre que c’est un moment où on ne peut pas participer physiquement. Il y a un ensemble formé par la maman et le bébé. On n’a pas forcément sa place comme dans les autres moments, où on peut se passer le bébé l’un à l’autre, le contact n’est pas du tout le même. Là c’est vraiment le bébé qui est attaché à sa maman, physiquement. Ce n’est plus comme s’il était dans le ventre, c’est différent, on peut le voir, on peut lui parler, lui chanter des choses : le soir, Annoa me demande de participer, de venir chanter, lui parler, créer un petit cocon. Plus seulement à deux, à trois, pour qu’il se sente bien, pour s’endormir ; à certains moments, on peut partager la tétée à trois.




Annoa Marius

Le soir, Annoa me demande de participer, de venir chanter, lui parler, créer un petit cocon. Plus seulement à deux, mais à trois, pour qu’il se sente bien pour s’endormir.

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Souvent, il met sa main entre les deux seins, et il fait un peu comme les petits chats qui poussent avec les pattes en tĂŠtant.


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Nathalie Valentin

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mois


Nathalie Valentin

our moi, l’allaitement, c’est un lien très fort entre la maman et le bébé. Un échange d’odeurs, de paroles, qui permet de le porter, de le bercer, de le rassurer, de l’endormir. Moi j’ai subi une césarienne, donc quand on m’a redescendue du bloc, Valentin était là, on me l’a mis au sein, et il a tété tout de suite. Fusion immédiate. Il aura 4 mois le 8, et il tète toujours bien. Si je peux continuer jusqu’à six mois, je serai contente. Quand je l’ai au sein, il me regarde, et puis il tète, et puis il s’arrête, on sent qu’il est bien. C’est vraiment son bien-être, et mon bien-être aussi, parce que c’est réellement quelque chose qui se fait à deux. Il est bien, il me le rend, il y a l’amour entre nous, et c’est superbe. Chloé, je ne lui ai donné le sein que trois semaines, parce qu’on avait choisi l’allaitement mixte, et que j’avais de moins en moins de lait. Pour Valentin je m’étais dit : je tente de l’allaiter complètement, parce que j’ai envie de le faire, et si ça ne marche pas, tant pis ; mais comme il a tété tout de suite… La grande sœur, me pose beaucoup de questions, surtout par rapport à elle : « Maman, est-ce que c’était comme ça pour moi ? est-ce que moi aussi j’ai tété comme ça ? » Elle observe beaucoup : « Mais il ne mange que ça ? – Mais oui, pour l’instant, il n’a besoin que de tétées. »

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Nathalie Valentin

Il n’y a pas d’horaire pour les tétées. J’essaie de respecter à peu près un rythme de deux heures. Maintenant, il peut tenir trois heures, quatre heures, mais parfois il veut téter toutes les heures. Je le laisse faire. Il me cherche des yeux et j’ai appris à déceler les signes qui indiquent quand il a faim, ou quand il veut la tétée câline, ce qui arrive souvent aussi. Quand il a faim, il n’y a rien d’autre qui compte, il hurle : il ne sait pas attendre, c’est un goulu. Le soir, je le couche dans son lit vers 7 heures. Il tète vers minuit, et toutes les deux, trois heures il veut téter. Au bout d’un

moment, je suis crevée, donc je le garde avec moi, et on dort tous les deux. Son papa, il ne l’a pas, mais j’ai quelqu’un d’autre dans ma vie avec qui je m’entends très bien. Pour Valentin, c’est moi qui décide entièrement et c’est peut-être aussi pour ça que ça se passe aussi bien. C’est vraiment une relation unique. Son papa ne voulait pas que je le garde, moi je l’ai voulu et j’ai assumé. Et je ne le regrette pas une seule seconde !


Emmanuelle Grenadine


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C’est vraiment son bien-être, et mon bien-être aussi, parce que c’est réellement quelque chose qui s’est fait à deux.



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Nathalie Valentin

La grande sœur : « Maman, est-ce que c’était comme ça pour moi ? est-ce que moi aussi j’ai tété comme ça ? »

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Emmanuelle Grenadine

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mois


Emmanuelle Grenadine

u dépa rt,

je voulais accoucher à la maison. Ce qui s’est passé a été complètement différent, j’ai dû subir une césarienne, et du coup l’allaitement était encore plus un challenge. Je me suis dit : j’ai raté mon accouchement, ça se n’est pas passé comme je voulais. J’avais aussi des exemples dans ma famille. Ma tante a dirigé la Leche League pendant sept ans, et je l’ai vue allaiter tous ses enfants, dont le dernier jusqu’à trois ans. Et j’ai lu, même sans avoir d’enfants, Allaiter aujourd’hui dépuis le premier numéro, puisque ma tante est rédactrice de ce journal. L’allaitement m’a toujours intéressée parce que je pense que c’est l’origine des relations humaines, et comme il contribue au développement de l’enfant dès le début de la vie, je pense que c’est important. C’est sûr qu’il vaut mieux allaiter un jour que pas du tout, deux jours qu’un jour. Après, je sais qu’il faut allaiter au moins six mois pour avoir des résultats. Moi, je ne le fais pas pour avoir un résultat quantifiable mais qualitatif. Je ne pourrais pas concevoir de n’allaiter que trois mois. Je me suis donc débrouillée pour ne pas travailler la première année. Je considère qu’avec l’arrivée d’un enfant, il ne faut pas compter avoir la même vie qu’avant. Je ne peux pas non plus imaginer que ça ne va rien changer dans ma vie. Je ne m’étais pas du tout préparée à mon accouchement, parce que je pensais que je pouvais accoucher dans la jungle, toute seule.

Je pensais même que c’était recommandé d’accoucher seule, plutôt qu’avec beaucoup de monde autour. On l’a posé sur moi, elle a pleuré, je lui ai expliqué tout ce qui s’était passé, elle s’est arrêtée de pleurer, mais elle s’est endormie. Et donc elle n’a pas têté. Après elle a dormi sur le ventre d’Hugo, et le lendemain elle n’avait pas la force de têter. On a fait des petites mises au sein, mais ce n’était pas super, puis elle a perdu du poids, encore du poids. Puis elle a commencé à prendre un peu, petit à petit. Ce qui a été gênant, c’est que je ne pouvais pas me tenir comme je voulais, j’avais mal. Ils me l’ont posée sur le sein, pour qu’elle le prenne le plus vite possible, mais elle pleurait. Je savais que si elle pleurait, elle ne prendrait pas le sein. Je l’ai prise et je me suis dit : on ne s’est même pas encore rencontrées, on n’a pas encore fait connaissance. Et c’est là que je lui ai parlé : il y a eu d’abord ce contact par la parole et le regard, le regard surtout. Du fait que j’ai eu une césarienne, le papa a eu un rôle prépondérant : je suis restée cinq ou six jours à la clinique. C’est lui qui a tout fait. Il me l’a amenée pour la tété, il l’a couchée, il l’a changée, il l’a bercée, il l’a promenée. Pendant dix ou quinze jours elle tétait toutes les trois heures ; en ce moment, c’est plutôt la nuit, toutes les deux heures, mais je pense que c’est parce qu’elle est un peu malade. Pour moi, l’allaitement c’est vraiment à la demande. C’est tellement bien d’allaiter – il y a le lait, qui est vraiment

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le meilleur qui soit, mais il y a aussi tout le reste. Les mains, les petits bruits de satisfaction, les soupirs, le bruit de la déglutition. Et puis le fait qu’elle prenne le sein, qu’elle le quitte, qu’elle y revienne, un peu comme elle veut, qu’elle soit libre de ses mouvements. C’est beaucoup de bonheur. Et puis l’allaitement, pour moi, c’est une relation. Je lui donne quelque chose et elle me donne quelque chose. Je reçois beaucoup en retour. Un jour, j’ai eu envie d’écrire : « Mon lait qui perle de ta bouche, ma perle de lait, bois, ma graine, dans nos chaleurs mêlées. » C’est vraiment elle qui dirige quand elle est au sein, parce que parfois, elle veut me regarder, parfois, elle ne veut pas. Elle me fait bien comprendre quand elle ne veut pas, ça a l’air de la gêner. Donc je ne la regarde pas. Mais à d’autres moment, elle capte mon regard, elle le cherche, elle sourit : elle communique autant par le regard que par le non-regard.

Il y a aussi le contact peau à peau, le toucher, qui comptent beaucoup dans l’allaitement, et tout ce qui passe par la bouche, sa bouche à elle. On vit de toute façon une certaine fusion, c’est évident. Mais ça ne me gêne pas du tout. Elle tête assise, parce qu’au début elle avait un reflux qui la gênait si elle était à l’horizontale. Maintenant, par contre, j’ai découvert l’allaitement allongé la nuit. Ça, c’est super. Mais ça ne fait qu’une semaine. Elle dort dans son lit collé au nôtre, qui en est comme un prolongement, sans barrière. Mais parfois elle reste dans mon lit parce que je m’endors. L’allaitement procure un bien-être parce que ça calme. C’est hormonal, autant pour le bébé que pour la mère. Par moments, j’ai l’impression de piquer du nez, mais c’est parce que je suis soumise aux hormones du plaisir, ocitocyne et autres, du coup ça donne des sensations très agréables. C’est une… (grande inspiration) pause.


Emmanuelle Grenadine

Et le bleu, et le vert, de tes yeux, de mes yeux, se mÊlangent‌

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Emmanuelle Grenadine


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Mon lait qui perle de ta bouche, ma perle de lait, Bois, ma graine, dans nos chaleurs mĂŞlĂŠes.


Emmanuelle Grenadine


Léa Lou-Anne & Emna

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mois


Léa Lou-Anne &  Emna

K ilian est né , je ne voyais pas pourquoi je lui aurais donné le lait d’une autre maman, que ce soit une vache ou autre : c’est moi sa maman, c’est moi qui le nourrit. Il a tété tout de suite et il a dormi dix heures d’affilée : il était complètement épuisé, parce que l’accouchement avait été assez long. Pour les jumelles – c’est vraiment curieux les idées reçues –, je ne savais pas qu’on pouvait donner les deux seins en même temps, mais j’étais quand même décidée à les allaiter. C’est la sage-femme qui m’a assistée pour l’accouchement de Kilian à la maison qui m’a rassurée : « Il n’y a pas de souci : tu prends les jumelles toutes les deux en même temps. » À la maternité, j’attendais la sage-femme qui devait m’aider à les mettre au sein, mais comme elle avait un tas de paperasses à faire, elle m’a dit : « Écoutez, si vous y arrivez, faites-le. » Bien sûr, on va y arriver ! Donc, j’avais l’une sur un bras, l’autre sur l’autre, avec leur espèce de chaussette sur la tête, et leurs jambes qui s’entremêlaient au milieu. On savait que c’est dans les premières heures que le réflexe de succion est le plus puissant, mais je ne pouvais pas les aider, puisque je les tenais. Donc, elles ont trouvé le sein d’elles-mêmes. Thierry a un peu aidé, parfois en tenant la tête, en poussant un peu le sein, et elles y sont arrivées sans souci, elles ont bu et ça a été bien tout de suite. Ce qui est impressionnant dans l’allaitement, c’est de voir comment un bébé énervé, en pleurs, entre dans une bulle quand on le uand

met au sein, comment il est rassuré, en totale confiance, et satisfait : ah, je mange, je bois, tout va bien pour moi, je suis heureux et je m’endors. Je peux même lire un bouquin, je peux parler, il est rassuré, il a ce contact. D’ailleurs Kilian prenait le sein à plein bras, il l’entourait, c’était un peu comme s’il m’entourait moi. On est presque réduit à ça, aussi : la maman, c’est le sein. Mais je m’en défendais, je ne suis pas qu’un téton, – nous, on dit téton – donc je disais : « Je ne suis pas qu’un gros téton »… On sait qu’un bébé voit net à 30 centimètres : c’est la distance entre lui et le visage de sa maman. Mais c’était aussi la distance avec l’autre jumelle. C’était très joli, parce que de temps en temps, l’une remarquait qu’en face, il y avait un autre bébé. Enfin, qu’il y avait cet ovale avec des yeux. Parfois il y en avait une qui dormait à moitié, ou qui faisait autre chose, qui regardait sa main, et celle d’en face la regardait et commençait à rire, elle lâchait le sein et faisait de grands sourires à cet autre visage, puis elle allait parfois le toucher. Parfois elles tétaient toutes les deux, avec une main sur le sein ou qui tenait mon doigt, et le regard ou l’autre main tendus vers la sœur, c’était très touchant, parce que ça faisait le triangle entre elles deux et moi. Ou bien l’une faisait complètement autre chose et l’autre captait mon regard, ou alors elles se souriaient entre elles, elles s’appelaient même. Kilian, lui, quand il tétait, avait une main dans mon dos qui me caressait. Quelqu’un qui voit ça trouve que c’est mignon, mais pour moi, c’était vraiment magique.

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Léa  Lou-Anne &  Emna

Le bébé fait partie de la vie de tous les jours, alors j’allaitais parfois même à table, je prenais un coussin, et je continuais à manger, avec une fille entre moi et l’assiette. Elle regardait très curieusement et certainement avec intérêt ce que je mettais à la bouche, et plus tard, elle chipait dans l’assiette. Au tout début, Thierry s’était imaginé avoir l’enfant contre lui, lui donner le biberon… Il s’est senti un peu frustré. Finalement, il a compris que c’était à travers moi qu’il aidait les filles, parce que moi, il me nourrissait. Et quand j’allaitais les deux, je mangeais beaucoup ! Les trois premiers mois, si je n’avais pas les deux aux seins, j’en avais une, si je n’avais pas l’une, j’avais l’autre. Et si je n’étais pas avec les deux filles, j’étais avec Kilian, pour ne pas le négliger. Donc c’est Thierry qui s’est chargé de l’intendance, des courses, des repas et du reste : c’est lui qui a nourri la famille. C’est magnifique comment la nature fait bien les choses : pour moi qui suis chercheur en biologie, c’était très intéressant de voir comment le lait n’est pas le même en début de tétée et en fin de tétée, pas le même pour un enfant d’un mois et un enfant de six mois, et sans qu’on ne fasse rien. Tout est programmé. Et c’était magique de mettre ça en œuvre, de permettre que ça ait lieu. C’est presque l’historique de l’humanité qui se refaisait. « Les seins c’est comme les trains électriques, c’est fait pour les enfants, mais c’est les papas qui jouent avec », disent les jeunes en rigolant. Quand j’ai allaité, j’ai mis un peu le papa de côté, ne serait-ce que parce que, dès qu’il touchait, le lait coulait, ce qui n’était pas très pratique. Et puis, j’étais complètement crevée. Donc, pendant la période où j’ allaitais les jumelles à cent pour cent, où elles tétaient souvent et beaucoup, les seins n’étaient plus au papa, ils étaient aux bébés. Et une fois que le bébé devient plus grand et se détache un peu de la maman, le papa revient, et il est accepté plus facilement. C’est vraiment des périodes, un peu comme chez les animaux, où la période des amours est bien sépa-

rée de la période où ils font les petits. Mais ça ne m’a pas frustrée du tout. Surtout que, de nouveau, on n’a plus une relation mamanpapa, mais mari et femme. Pour moi, l’allaitement, c’est un moment intime qu’on passe avec l’enfant pour lui donner le meilleur et qu’il reparte fort pour se construire dans la vie. Mais si j’avais un conseil à donner aux mamans, ce serait : surtout, faites les choses en votre âme et conscience, en accord avec vous-mêmes. Parce que c’est surtout ce qu’on lui donne en non-dit et en non-matériel qui est important pour lui. Moi, je suis persuadée que l’allaitement est ce qu’il y a de mieux pour lui, mais si une mère n’en est pas convaincue, il ne faut pas qu’elle lui donne le sein à contre-coeur : ça risque mal se passer. L’allaitement, c’est aussi un équilibre entre la maman et le bébé. À un moment donné on n’a plus envie, on dit : allez, essaye un biberon ; ou c’est le bébé qui commence à grappiller des choses dans l’assiette. Avec Kilian on a fait le sevrage ensemble. Ça s’est passé un week-end où je devais travailler : le samedi soir il s’est couché sans téter ; le dimanche, je l’ai pris pour lui proposer le sein du soir : il m’a regardée, et il a rabaissé le t-shirt. Parce qu’il s’est rendu compte qu’il n’en avait plus forcément besoin ; ou alors, ça voulait dire : tu n’étais pas là hier soir, donc ce soir c’est moi qui ne suis pas là. C’était net. Sur le coup, ça m’a fait bizarre, et puis, quelque part, moi aussi j’avais décidé d’arrêter, on avait décidé d’arrêter ensemble. Il avait 15 mois. Pour les filles, j’ai arrêté parce que je devais partir travailler un mois en mer. À 9 mois elles ne faisaient plus que tétouiller vaguement le soir, au coucher, et maintenant qu’elles ont passé un mois avec leur papa, leur frère et leur mamie, elles sont passées à autre chose. Et moi, je n’en ai plus envie, on a tourné la page. Mais avoir connu ça, avoir donné la vie, avoir donné l’aliment de son corps, ça permet de grandir, de franchir un palier dans son accomplissement et dans ce qui est à faire sur Terre. C’est une étape de vie importante.


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Léa Lou-Anne &  Emna

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Léa Lou-Anne &  Emna

Au sein toutes les deux, les jumelles se souriaient entre elles, elles s’appelaient même. Kilian, lui, avait une main dans mon dos qui me caressait. Pour moi, c’était magique !


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Histoire de

trois sœurs


Emmanuelle Sohe誰l

3

mois


Trois sœurs

’est for m idable , d’avoir toutes les trois un petit en même temps. Murielle est l’aînée, moi la seconde et Camille la plus jeune. Et pour accoucher, on a respecté l’ordre… Il y a aussi notre frère dont la compagne a eu un petit entre Murielle et moi. Au départ, je me suis dit : c’est complètement fou. Et en fait, quand, enceinte, j’en parlais, je me suis rendu compte que ça arrive assez fréquemment. Finalement, ce sont nos inconscients qui travaillent. Moi j’ai été allaitée, je pense que ma mère nous a tous allaités. Et surtout j’ai vu des tantes allaiter des cousins et des cousines. Je me suis dit : les femmes ont des seins qui peuvent produire du lait, il y a un enfant qui arrive, pourquoi préparer des biberons ? Ça me semble presque absurde. Je ne sais pas comment j’aurais vécu le fait de ne pas allaiter, si ça n’avait pas été possible. Mon mari vient du Maroc, où l’allaitement est quelque chose de courant… Ça changera peut-être : les gens sont très attirés par tout ce qui est modernité, les poussettes, les biberons, les couches jetables… Moi quand je suis arrivée avec mes couches lavables, ils ont dit : « Ah ! mais ce n’est pas très pratique quand même. » Donc, il m’a vraiment laissée libre, et en même temps je pense que pour lui, c’était important que j’allaite. Ma sœur a allaité sa fille aînée, Sianne, six mois exclusivement

et a continué en mixte jusqu’à un an. Je me disais : quand même, elle est un peu grande pour être allaitée ! Après avoir entendu les recommandations de l’OMS : six mois exclusivement, je me suis dit : c’est peut-être le bon moment pour le sevrer, il va commencer à manger d’autres choses, je vais diminuer les tétées. Mais maintenant, l’idée d’allaiter mon enfant jusqu’à un an me paraît préférable. Je ne me vois pas aller jusqu’à 5, 6 ans comme le font certaines mères. Pour moi, un bébé qui a des dents, qui a des relations sociales avec les autres enfants, qui marche, c’est devenu un enfant. Moi je ne me vois pas allaiter un enfant. En même temps j’aimerais qu’on ne soit pas obligé de passer par un lait en poudre. Mais il n’y a pas que le côté alimentaire ! Il y a ce corps à scorps pendant la tétée, qui prolonge un peu la grossesse. C’est une relation très forte pour le bébé, qui, du coup, se sépare moins brutalement de la maman, même s’il y a déjà eu la séparation de l’accouchement. Quelqu’un dans une réunion de La Leche League a parlé de sevrage naturel. Je me suis demandé : si l’enfant est prêt, mais que la mère n’en a pas envie, est-ce que ça s’arrête ? À mon avis il y a trop de choses dans la relation pour que ça s’arrête comme ça. Pour la mère, il y a le plaisir de pouvoir le nourrir : je trouve formidable que, simplement avec ce que donne le corps de la mère, l’enfant puisse vivre et grandir. Et il y a un réel plaisir à travers les sensations. Je pense notamment à cette sensation de montée de

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Trois sœurs

lait, un peu douloureuse – on en discutait avec Murielle — agréable aussi, c’est un mal qui fait du bien. Ça fait mal et en même temps c’est agréable. On sent le lait qui monte, et j’ai vraiment l’impression de sentir les canaux, comme des racines, qui se remplissent peu à peu et ça m’évoque toujours la montée de la sève, qui vient dans les branches, dans toutes les petites ramifications. À certaines tétées, je suis vraiment dans ce ressenti de base, un peu archaïque. C’est une expérience que je ne connaissais pas, dont je n’imaginais même pas l’existence. Quelque chose qui nous raccroche vraiment à la nature, qui se fait tout seul, naturellement, dans le corps. Et puis je me dis que, plus tard, j’aimerais bien pouvoir me souvenir de ces sensations, au point de presque les ressentir, qu’il reste quelque chose en moi de cette expérience de mère. L’allaitement, c’est même très animal – j’en discutais avec mon mari le soir en donnant le sein. C’est quelque chose qui aurait presque pu me rebuter, étant ado ou jeune fille. C’est très animal, et en même temps ça fait vraiment partie de la féminité. Finalement, je pense que cet aspect est un des plaisirs de l’allaitement. On voit aussi que c’est beaucoup de plaisir du côté des enfants. J’ai été très touchée par le sourire qu’ont les tout-petits

à la fin de la tétée, et de voir qu’ils s’endorment avec. Je trouve aussi très mignon quand mon fils vient pour téter, et qu’il se love contre moi, qu’il trouve sa position lui-même, maintenant qu’il est plus grand. Il y a comme une complicité qui s’installe. On pourrait se dire : l’enfant est occupé à se nourrir, on n’est pas en train de communiquer, et pourtant on est dans l’échange. Il n’y a pas forcément le regard, il n’y a pas de babillages, mais il y a la façon de se placer, de bouger, les mouvements quand il attrape mon pouce avec sa petite main… Je vois qu’il ressent du plaisir, je vois qu’il est rassasié, qu’il a aussi cette satisfaction du besoin de câlins. Ces derniers jours, alors qu’il commençait à bien s’endormir dans son lit, prendre son petit pouce, fermer les yeux, il lui faut de nouveau le sein quasiment tout le temps. Quand il était petit, par moments, je profitais de la tétée pour téléphoner, par exemple. Mais, parfois, je me culpabilisais quand il s’agitait, je me disais : « Évidemment, il voudrait sûrement que je sois disponible pour lui, et je suis en train de faire autre chose… » Maintenant, c’est un peu le contraire : il est en train de téter, il se détourne, et hop, il s’occupe d’autre chose ! L’air de dire : il y a plus intéressant que toi !



Camille AelĂ­s

2

mois


Trois sœurs

a gr and - mèr e

avait allaité longtemps tous ses enfants. C’était comme ça, à l’époque : les femmes allaitaient, on ne se posait pas la question. Ma mère est médecin, mais de son temps, les études n’insistaient pas sur l’allaitement. Et, il y avait l’introduction du lait maternisé, moins de femmes qui allaitaient. Finalement, elle a sevré tôt les aînés sous l’influence de ce qu’on disait à l’époque. Mais pour moi, qui suis née dix ans après ­Murielle, elle voulait faire comme elle l’entendait et elle m’a gardée au sein beaucoup plus longtemps. Elle était une des seules mamans à la clinique d’allaiter et elle a du insister pour pouvoir le faire. Alors, allaiter, pour moi, ça coulait de source. On ne s’est même pas posé la question : c’était la continuité normale de la grossesse. On a fait téter Aelís un quart d’heure à peine après la fin de l’accouchement, avant même de savoir si c’était une fille ou un garçon ! On était dans notre chambre, sur le lit, la sage-femme l’avait posée sur moi, et elle ma dit : « Bon, on va essayer de faire téter le bébé, voir s’il prend bien le sein ». Moi je ne savais pas trop, vu que c’est le premier : « Ah ! Bon, déjà, d’accord. » On a essayé, on l’a mise au sein, et elle a pris tout de suite. La sage-femme a confirmé : « Je crois que tu n’auras pas de problèmes avec l’allaitement. » Par contre, cinq minutes plus tard, Aelís s’est endormie, tellement elle était fatiguée du voyage.

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C’est drôle, parce qu’elle tète et en même temps elle me regarde et essaie de mettre ses doigts dans ma bouche, de toucher ma langue. Souvent elle s’accroche à mon pull ou à mon T-shirt, ou elle prend mon doigt et elle reste contre moi et elle s’endort. La nuit, comme elle dort dans sa chambre, je me lève pour la tétée, et il arrive fréquemment qu’on s’endorme toutes les deux sur le canapé. Je pense qu’elle n’a pas vraiment faim, parce que c’est très court comme tétée, elle veut surtout un câlin pour être rassurée. Pendant les vacances de Noël, comme on a circulé, elle dormait souvent dans la même chambre que nous, et comme on a changé plusieurs fois d’endroits, elle se réveillait plus souvent dans la nuit, elle était moins bien. Du coup je la prenais dans le lit avec nous, je la faisais téter en étant allongée, alors on s’endormait toutes les deux et elle passait deux ou trois heures avec nous. J’aime bien aussi, de temps en temps, faire la sieste avec elle comme ça. Il est arrivé que Joan reste avec nous, qu’il soit à côté,

ou même qu’il s’endorme sur mon épaule, Aelís sur mon sein et moi sur le canapé. Mais la plupart du temps il me laisse avec Aelís au moment de la tétée. Il n’est pas contre l’allaitement, il est même pour, mais je pense qu’il considère que c’est quelque chose entre moi et Aelís, où il n’a pas vraiment sa place. Se dire qu’on est capable de fabriquer du lait, quelque chose qui nourrit un autre être humain, c’est quand même assez fou. Je fais partie de ces femmes qui se sentent plus que bien en étant enceintes, en pleine forme, heureuses, et ça continue avec l’allaitement. Du coup, j’ai un peu lâché tous mes complexes corporels. La féminité, c’est bien au-delà de la maternité. Je pense qu’il y a beaucoup de femmes qui se sentent femmes sans forcément être mère. Et je pense aussi que c’est important d’être femme, et pas seulement mère : on est mère, mais on est aussi femme et compagne. (À sa fille :) N’est-ce pas, Aelís, ta maman est aussi la chérie de ton papa ?



Murielle Fleur

4

mois


Trois sœurs

du matin est celui que j’aime le mieux. C’est la symbiose mère-enfant, où elle me regarde dans les yeux, et où moi aussi j’ai la disponibilité pour la regarder (après, dans la journée, je suis plus occupée…). L’allaitement d’un deuxième enfant est très différent de celui d’un premier : il y a beaucoup plus de tétées « nourrissage », des moments où je me sens moins disponible, où j’ai l’impression de ne pas être entièrement avec elle quand elle tète. Avec Sianne, l’aînée, alors qu’au départ je ne m’étais pas posé de questions en commençant l’allaitement, je me suis rendu compte que ce n’était pas si simple. Je pensais que ça se ferait naturellement, mais ça ne coulait pas de source. J’avais aussi l’inquiétude de ne pas avoir assez de lait. J’ai accouché de mes deux filles à la maison, avec la même sagefemme. Dès que Fleur est née – nous étions dans la baignoire – je l’ai attrapée, et elle s’est retrouvée contre moi, avec son poignet devant la bouche, et elle le tétait avec une avidité frénétique. Après, je l’ai mise au sein – je ne sais plus si on était encore dans la baignoire ou si c’était dans la chambre – et elle a tété tout de suite. La nuit qui a suivi – elle est née le matin – elle tétait sans arrêt, sans arrêt, j’ai fini par lui mettre mon petit doigt dans la bouche, parce que je n’en pouvais plus, j’avais mal aux seins, je n’arrivais plus à dormir, j’étais épuisée. Elle a tété mon doigt et s’est endormie comme ça. e moment de la pr em ièr e tétée

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L’allaitement avec Sianne avait été un peu plus compliqué, à cause de cette peur de ne pas avoir assez de lait alors qu’elle prenait un kilo par mois ! Pour Fleur c’est beaucoup plus simple, parce que c’est la deuxième et qu’il y a moins d’inquiétude, même en dehors de l’allaitement. Pour rien au monde je ne la nourrirais autrement, mais la responsabilité pour la mère est très pesante. C’est l’ambivalence de l’allaitement, à la fois cette position presque fusionnelle encore, que je n’ai pas envie de quitter, et en même temps, des moments où j’ai envie de prendre l’air, sans avoir le souci de me dire : est-ce qu’aujourd’hui elle va le prendre, ce biberon ? est-ce qu’elle va enfin s’y mettre ? ou va-t-elle continuer à ne pas manger tant que je ne suis pas là ? Cela dit, quand elle a jeûné pendant deux jours, j’étais inquiète, mais il n’y a pas eu de conséquences : je l’ai fait téter toute la soirée, et la nuit elle a dormi comme d’habitude. Et puis, quand on commence la diversification – elle a 6 mois et demi –, on s’aperçoit qu’il est tellement plus commode de la mettre au sein, que d’avoir une purée à préparer… Ce côté pratique est très confortable aussi. En résumé, pour moi, l’allaitement, c’est plein d’ambivalences. Dans l’ensemble, il n’y a pas eu de problèmes majeurs. Je connais mieux mon corps : quand je vois que j’ai les seins un peu

moins gonflés le matin, que je me dis que peut-être ça baisse un peu, alors je prends une petite tisane anis-fenouil, je mange un peu plus riche. Et puis, comme Sianne, Fleur est tranquillette. Elle s’adapte, elle peut patienter une demi-heure, s’il y a des contraintes extérieures qui retardent la tétée. Sianne tétait plus souvent, elle est un peu plus gloutonne. Fleur, quand je la mettais au sein, si elle n’avait pas faim, elle ne tétait pas. Je sais aussi que la première chose que je faisais quand Sianne pleurait, c’était la mettre au sein, alors que pour Fleur j’ai su repérer les signes de fatigue, par exemple, et la mettre au lit au lieu de lui proposer le sein. Maintenant, je me prépare à reprendre le travail, je suis dans un processus de distanciation. Et je sens la fatigue aussi : il y a toujours à la fin d’une grosse tétée un coup de barre, j’ai les yeux qui se ferment, je le sens physiquement. Mais j’adore ce moment où sa bouche s’entrouvre, où elle cherche le bout du sein comme un petit animal, et cette illusion que je suis tout pour elle et que tout ce qu’elle veut, c’est moi. Je suis remplie, comblée dans cette idée de la mère comblante. Mais heureusement, on n’est pas tout le temps comme ça : elle a besoin de sa vie à elle, et moi aussi…


Emmanuelle Grenadine

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Herrade Victoria

3

ans


Herrade Victoria

’éta is t r ès intér essée par l’allaitement, je demandais à toutes les mères des bébés que j’ai gardés, entre 15 et 20 ans, si elles avaient allaité, et il n’y en avait aucune. Je me posais donc déjà la question. Mais, dans un « modèle de civilisation » où le biberon est tellement dominant, je ne m’imaginais pas qu’il soit possible d’élever des enfants sans utiliser le biberon. L’allaitement est venu comme une certitude quand j’ai attendu Laura, ma fille aînée. J’avais 29 ans et c’était limpide : je savais que j’allais l’allaiter. Je pensais que ça ne serait pas forcément facile, et je n’avais pas trouvé de livres (parce que je ne connaissais pas L’Art de l’allaitement maternel de La Leche League). Henri, mon compagnon, n’était pas convaincu. Maintenant, pour lui aussi, l’allaitement va de soi et fait partie intégrante de l’éducation que nous souhaitons donner à nos enfants. Mais ça n’a pas marché tout de suite pour Laura. La première fois qu’elle a pris le sein, elle avait 2 mois. Et ç’a été une tétée extraordinaire, sur ce canapé où je suis assise maintenant, une tétée qui a duré trois heures. Je revenais de ma première réunion de la LLL : j’ai mis Laura au sein, et elle a tout de suite très bien tété, très vite, avec joie, avec vigueur, alors qu’auparavant elle n’avait pas pu. Je pense qu’elle était particulièrement affectée par les produits d’anesthésie péridurale que j’ai reçus pour la césarienne, et par son problème de santé.

En maternité, j’avais demandé qu’on ne lui donne pas de biberons, et elle est revenue avec un biberon. J’ai dû me battre comme si je voulais faire quelque chose de très original pour mon enfant ! Du fait de son problème de santé, on a été transférées dans un service pédiatrique, où j’ai eu accès à un tire-lait. Donc elle a eu des biberons de lait artificiel les premières vingt-quatre heures, mais pas plus. Ensuite, je tirais mon lait, et je l’ai « tire-allaitée » à cent pour cent pendant deux mois. À la première réunion LLL, j’ai vu téter un bambin, d’environ 2 ans et demi. La plupart des mères racontent que, la première fois, elles ont été choquées en voyant un enfant de plus d’un an téter. Moi, pas du tout. Je me suis dit : ah, mais c’est parfait, j’ai tout mon temps pour réussir ! J’avais entendu, tout le temps : « Si tu ne la mets pas au sein tout de suite, elle ne saura jamais téter. » Et en fait ça a marché dans les heures qui ont suivi. Et avec Victoria, ma deuxième fille, ça s’est tout de suite très bien passé. Ce qui est extraordinaire pendant la tétée, c’est le jeu des regards, la beauté de la nature, un peu comme si la générosité s’exprimait sous forme de nourriture, fabriquée par mon corps. C’est un mélange de générosité du corps et de l’esprit, qui prend une forme concrète. Et il y a les étoiles qui brillent dans ses yeux, les petits sourires, les rires, on joue avec les mains, on rigole, parfois elle me caresse le visage. C’est une grande douceur. Même

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Herrade Victoria

Victoria, qui est assez brutale, souvent me caresse la joue tout doucement, avec sa petite main, c’est très gentil. Une des choses que j’ai beaucoup appréciées dans l’allaitement maternel, c’est de pouvoir allaiter en dormant. Très vite j’ai habitué mes filles à prendre le sein toutes seules quand on dormait. Avec mes filles, l’allaitement a créé un lien, une douceur, une chaleur, une évidence de la continuité des corps. Quand mes enfants seront adultes depuis très longtemps, quand je les prendrai dans mes bras, ce sera évident qu’il y a une continuité entre les corps, une douceur, quelque chose en plus. Comme si ça empêchait le corps de l’enfant de devenir un corps étranger. Personnellement, l’expérience m’a épanouie, et m’a apporté une conscience de l’universalité de la maternité, de l’allaitement maternel. Parfois, je croise des femmes dans la rue avec mon bébé dans les bras, elles sont enceintes ou avec un bébe, et il y a un échange de regards, une complicité, même si on ne parle pas la même langue. La joie d’être enceinte, la joie d’être mère, la joie d’allaiter

son bébé : il n’y a plus de barrières de langues, plus rien qui nous sépare. C’est une conscience, une complicité partagée. Moi, ça faisait très longtemps que je l’attendais, un temps qui m’a semblé infini. À 14 ans, déjà, j’avais envie d’avoir des enfants, envie physiquement, dans mon corps. Petite fille, même, je voulais avoir des enfant. Le ressentir physiquement, sentir qu’on en est capable, est encore autre chose. Maintenant, Victoria a 3 ans, elle me dit : « Maman, nana, j’en ai besoin. » C’est tellement simple. Pour moi toutes les tétées sont légitimes, que ce soit tétée réconfort, tétée câlin, tétée pour manger, pour boire. L’allaitement remplit toutes ces fonctions. Dans l’Art de l’allaitement maternel, le Dr Grantly Dick-Read a dit que le nouveau-né n’a besoin que de trois choses : « De la chaleur des bras de sa mère, du lait de ses seins et de sa présence rassurante. Et l’allaitement comble ces trois besoins ». Alors, j’attends le sevrage naturel. Donc, pas de projet. On verra.



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Herrade Victoria

Des ĂŠtoiles qui brillent dans ses yeux, des petits sourires, des rires, on joue avec les mains, on rigole.




Herrade Victoria

L’allaitement, c’est un mélange de générosité du corps et de l’esprit, qui prend une forme concrète.

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Christine Bertille 7 mois Mazarine 2 ans 7 mois


Christine Bertille  &  Mazarine

une évidence. Mais, à part pour ma mère, qui m’a allaité quelques mois avec plaisir et sans difficultés, ça n’avait pas l’air si évident : aucune de mes cousines n’avait allaité ; quant à la génération précédente, mes tantes et ma belle-mère n’avaient pas réussi à allaiter, comme elles le souhaitaient. Mon projet était de reprendre le travail au bout de six mois et de pratiquer l’allaitement mixte si nécessaire. En réalité, je ne savais pas trop. Quand Mazarine est arrivée, je pensais accoucher à la maison et ça s’est terminé par une césarienne. Pour moi, c’était la catastrophe : j’avais l’impression qu’on m’avait volé mon accouchement. Je voulais donc vraiment investir l’allaitement. Et j’ai eu de la chance, je l’ai mise au sein et ça s’est passé tout de suite à merveille. Dès que je suis rentrée de la maternité, j’ai fait des heures de peau à peau sous la couette, le bébé en train de téter, ou endormi au sein… comme pour rattraper ce que je n’avais pas fait à l’hôpital. Au début, je disais à la famille que j’allais l’allaiter six mois. À 6 mois et un jour, je me suis demandé : qu’y a-t-il de vraiment différent ? Et j’ai continué. Quand elle a eu un an, même raisonnement : pourquoi arrêter, on verra comment ça évoluera, entre elle et moi. Certains m’ont dit : « Quoi, un an ? mais c’est énorme ! » Une de mes tantes était choquée. Le père de Fabien m’a dit : « J’ai vu ça en Afrique, mais pas ici ! » Mais pourquoi un enfant européen ne pourrait-il pas être lla iter éta it pou r moi

allaité plusieurs années ? Ces idées préconçues je préfère que l’on m’en parle, car des arguments existent : l’OMS, comme le Plan national de santé recommandent l’allaitement prolongé. En France, maintenant, on conseille d’allaiter six mois en exclusive, puis jusqu’à deux ans et plus en alimentation mixte. La naissance de Bertille s’est passée plus tranquillement, à la maison, comme je le voulais, et elle a tété tout de suite. Deux trois minutes après, Mazarine, qui avait 2 ans, s’est réveillée. Elle est venue voir Bertille, et elle a voulu téter, alors je lui ai donné l’autre sein. C’était superbe ! Les voir se toucher, Bertille fascinée par sa grande sœur, et Mazarine qui lui caressait la tête et qui lui chatouillait la main… Par la suite, je ne pouvais plus laisser Mazarine téter longtemps. Je lui disais : « Bon, tu tètes, je compte jusqu’à 10 et on arrête. » J’avais du mal à le supporter. C’était quelque chose de physique, un peu comme une stimulation sexuelle. Alors j’ai été obligée de changer le rituel d’endormissement. C’était un peu dur pour elle, Il y a deux jours, elle était vraiment dure, je n’en pouvais plus. J’ai passé le relais à Fabien, et au bout d’une demi-journée, il m’a dit : « Je crois qu’elle veut téter davantage. » Et dès que je l’ai laissée téter, elle n’a plus fait les quatre cents coups. Je ne m’en rendais pas compte, et c’est le papa qui a compris. J’ai de la chance, parce qu’il me laisse ma place de mère tout en me

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valorisant. L’allaitement n’a jamais été un problème pour lui, au contraire : il en fait même la promotion auprès de ses collègues. Quand Mazarine était petite, on a eu un doute sur le fait de dormir ensemble, donc on ne savait pas trop, on n’avait pas de modèle. Fabien m’a dit : « On va mettre Mazarine dans une chambre à côté. – D’accord, mais c’est toi qui te lèves la nuit et tu me l’amènes pour qu’elle tète. – Alors, on verra ça plus tard » : la perspective des allers-retours ne l’enchantait pas ! Finalement, elle est restée avec nous. Mais tout se résout quand les enfants sont prêts : maintenant elle est dans sa chambre, et cela s’est fait tranquillement. Il est vrai qu’en ce moment, elle a du mal à dormir seule, alors elle vient avec nous, et elle se met contre moi, toute la nuit : elle en a besoin. D’un côté, il y a Bertille, et de l’autre Mazarine. L’allaitement m’a aidée à bien m’occuper de mon enfant. On sait que c’est dix fois mieux que le biberon, on sait que le contact avec son enfant est important, et donc je pense qu’on est plus à l’écoute, parce qu’on a cette proximité, qu’on est plus près de ses besoins. Et peut-être plus patiente par rapport à d’autres mères qui disent : il crie, je ne supporte pas ; ou : je le mets dans une autre pièce, je ne veux pas savoir. Moi, si elle crie, j’essaie de la mettre au sein, pour voir si ça la calme, de la porter, et normalement, entre ces deux essais, j’ai presque cent pour cent de réussite. Du coup, ça développe la confiance en soi. On voit qu’on sait répondre à ses besoins, qu’on est vraiment la personne adaptée. Et ça nous renforce en tant que mère. À 9 mois, Bertille tète encore beaucoup et mange un peu. Mazarine, n’est pas prête à lâcher la tétée pour le moment. Mais elle réussit à s’en passer toute la journée à l’école. Le jour de la rentrée, je l’ai bien fait téter le matin et elle m’a dit : « Dès que tu viens me chercher, tétée quand même ! » Je l’ai posée dans la classe, elle n’a pas pleuré, la séparation s’est faite tranquillement, naturellement. Le fait de savoir qu’il y a toujours le lait, qui pour l’enfant est un aliment complet, nous laisse sereins par rapport à l’alimen-

tation. Si, à table, elle ne mange pas suffisamment, elle pourra téter. Du coup, l’inverse est vrai : « Tu as faim, tu en reprends » La mère de Fabien, par exemple, sert des portions riquiqui à Mazarine et nous, nous n’hésitons pas à la resservir ! « Elle sait mieux que nous, si elle a faim ! » À la maison, si Mazarine rentre de l’école le midi et me dit : « Maman, je ne mange pas. » Je lui réponds : « Si tu n’as pas faim, tu as raison. » Depuis toute petite, elle sait mieux que moi si elle a faim, ou non, si elle aime ce goût, ou si elle ne l’aime pas. On lui fait confiance. Récemment, on est allé chez des amis où le petit ne voulait pas manger et le père voulait absolument l’obliger à terminer son assiette : cela nous mettait très mal à l’aise. Moi, je suis contente d’avoir réussi à ne pas mettre ce genre de pression sur les repas, parce qu’on est dans un processus où l’enfant sent qu’il n’a pas de prise sur les parents à propos de la nourriture. Je pense que c’est une chance de ne pas avoir eu d’enfants toute jeune, mais après 30 ans. À 20 ans, j’aurais accouché à l’hôpital, j’aurais fait comme mes parents avaient fait, je n’aurais peut-être pas allaité, ou allaité quelques mois parce que la société considère que ça suffit. Les enfants n’auraient pas été dans notre chambre parce que la société dit qu’il ne faut pas le faire. Ayant plus de maturité, j’avais déjà réfléchi à ce que je crois être vraiment bon, j’ai fait des choix – nous avons fait des choix avec Fabien – et je les assume. L’allaitement aide vraiment à mieux traiter l’enfant, à mieux l’écouter, moins le laisser pleurer, à être plus en confiance. Bref, pour notre famille l’allaitement est un guide sur le chemin de la bientraitance. En février, en même temps que l’anniversaire de Mazarine, on va fêter mes trois ans d’allaitement et un an de co-allaitement. Et ni Fabien ni moi ne nous en plaindrons. Avant d’avoir eu des enfants, j’avais un autre physique : des jambes un peu plus grosses, plus de fesses et pas de poitrine. Les amies qui me voient maintenant sont époustouflées. Elles me disent : « Dis donc, tu peux faire de la pub pour l’allaitement ! »


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Christine Bertille  &  Mazarine

Je trouve superbe ce moment où l’enfant se rend compte qu’il n’y a pas qu’un sein. Il ouvre ses grands yeux qui regardent, il fait le lien : il y a une tête, des yeux, une bouche…

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Sabine Raphael

7

mois


Sabine Raphael

ou r mes en fants ,

j’avais prévu un allaitement mixte, avec l’idée que le père pourrait donner le biberon. Mais, avant la naissance de Matthieu, mon aîné, je suis allée voir le groupe LLL [La Leche League], j’ai acheté le gros livre L’Art de allaitement maternel, et, très vite, il a été évident que ce serait l’allaitement exclusif. J’étais encore dans la salle d’accouchement quand j’ai mis Matthieu au sein : il avait à peine trois quarts d’heure. J’ai fait comme j’avais appris au groupe LLL, et ça s’est tout de suite très bien passé. Après un moment, la sage-femme a dit, qu’il faudrait peutêtre le reposer dans sa « petite boîte », ce que j’ai fait, obéissante, mais pas du tout contente. Et comme il n’était pas content non plus, je l’ai repris, parce que j’ai réalisé que c’était mon bébé, et que c’était moi qui décidais. Je l’ai remis au sein, il a tété. Pour Raphaël, j’ai accouché à la maison, donc c’était très différent. La fin était un peu longue et douloureuse, mais quand le bébé a été là, c’était vraiment génial. Il est né dans le salon, mais rapidement on a été dans le lit, on l’a mis au sein : lui aussi devait avoir une demi-heure, trois quarts d’heures. On a vu qu’il avait un frein de langue : la langue ne sort vraiment pas beaucoup. Souvent, ça rend la tétée difficile, et parfois douloureuse pour la maman. J’ai essayé de lui faire ouvrir grand la bouche et il a tout de suite su y faire.

J’ai eu beaucoup d’activités depuis sa naissance, et je l’emmène partout. Il a été dans les bras de tout le monde, depuis qu’il est tout petit. Mais, quand il a besoin d’être rassuré ou qu’il est fatigué, il ne pleure pas forcément, il se tourne vers moi, c’est très clair. Je le reprends et s’il veut téter, il tète. Quand il me regarde pendant la tétée, je sens un lien très fort, très intime, très intense. Une sorte de fusion, que je n’ai plus avec Matthieu, qui a 4 ans. Et comme Raphaël est le deuxième, j’ai déjà un peu la vision de son évolution, et je dirais que ces moments-là sont d’autant plus précieux pour moi. Parce que je sais qu’après on va se trouver dans des situations d’opposition, dans des conflits, alors que petit ça n’arrive jamais. Même si on commence à dire non à un petit qui touche à tout, ce n’est pas un conflit, c’est une façon de commencer à poser les limites : on n’est jamais fâché. Emmanuel, mon compagnon, est tout à fait pour l’allaitement. Il aime nous regarder pendant la tétée, et Matthieu aussi. Parfois, Raphaël joue avec son père avec le regard, il lâche le sein, mais si je le range, il va se souvenir et le réclamer ! J’étais déterminée à allaiter six mois. C’est ce qui est recommandé et ça me paraissait bien. J’avais peur de rentrer dans des histoires de fusion trop intense. En aucun cas je n’envisageais un allaitement long. Et même après avoir lu L’Art de l’allaitement maternel, où il y a les chapitres sur l’allaitement long, c’était hors de question pour moi.

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Sabine Raphael

Et bien sûr, avec les semaines et les mois qui passaient, je n’envisageais plus du tout de le sevrer. Ça m’aurait vraiment paru trop dur : à 6 mois c’est encore un tout petit ! Mais surtout, pour Matthieu il y avait une autre composante : à 3 mois il a développé des allergies, sous forme d’eczéma. Il n’était bien qu’au sein, il tétait tout le temps, il tétait énormément la journée, énormément la nuit aussi. Je l’ai pris avec nous dans le lit et il y est resté. Changer tout ça, le remettre dans son lit au nom d’une norme quelconque, moi je sentais clairement que ça aurait été trop difficile, qu’on avait besoin de pouvoir dormir avec lui, pour nous faciliter la vie, mais aussi parce qu’on en avait envie. Même son père : au début il avait un peu peur de lui faire mal, mais très rapidement il a senti aussi qu’il n’y avait pas de danger et qu’au contraire c’était formidable. L’idée d’enlever les tétées à Matthieu aurait été pour moi inimaginable. Et d’ailleurs je n’aurais pas su comment le materner sans le sein. Donc, quand il a eu 4 mois et demi, 5 mois, à l’approche de l’échéance de six mois, j’ai eu une grosse crise de conscience, une remise en question de tout ce que j’avais pensé, imaginé faire. À partir du moment où j’ai renoncé au sevrage à 6 mois, je me suis ouverte vraiment à l’idée d’un allaitement qui pouvait durer longtemps… un an… trois ans… Je ne me projetais plus. C’est une grande leçon, c’est dire que sur ces choses-là, il ne peut pas y avoir de vrais projets. J’avais alors l’idée d’un allaitement long avec un sevrage naturel. Et quand Matthieu a eu deux ans et quelques mois, je me suis aperçue que cela ne nous convenait pas non plus, parce que les tétées se passaient très mal : il me tapait, il me mordait, il gigotait, c’était assez insupportable. Et un jour je me suis dit : ce petit a besoin que j’induise moi-même le sevrage, même si ça peut encore durer longtemps. Il a besoin d’un geste de ma part. Et le jour où j’ai pris cette décision, il n’a pas tété de la journée, alors qu’à cet âge-là il tétait entre sept et dix fois par jour. C’était impressionnant : la décision n’était que dans ma tête, mais il a dû sentir que j’allais mettre en place quelque chose dont il avait besoin ; et, de son côté, il m’a montré qu’il pouvait effectivement se passer du lait, ce que je n’aurais pas forcément envisagé (alors qu’évidemment, à cet âge-là, il mangeait déjà de tout). Il s’est

tout de suite sevré de nuit, de lui-même. À partir du moment où j’ai décidé qu’on réduisait les tétées pendant la journée, je n’avais pas imaginé qu’il puisse arrêter de téter la nuit. Pourtant, en une semaine, Matthieu ne se réveillait plus et ne tétait plus la nuit. Quelques mois plus tard, je suis tombée enceinte de Raphaël, mais Matthieu a continué à téter – moins qu’avant. À la fin de mon troisième mois de grossesse, il a eu sa première rentrée à l’école, et il a été malade peu après. C’est à ce moment-là qu’il s’est sevré : un jour je lui ai dit que je n’avais plus vraiment envie de lui donner le sein. Il a pleuré dans mes bras, et il n’a plus jamais redemandé. Plus une seule fois, même quand son frère est né. J’ai été un peu torturée intérieurement par toutes ces questions que je me suis posées. Je ne me les pose plus : j’ai vu avec Matthieu que toutes les décisions que j’avais prises étaient les bonnes. Finalement il s’est sevré, on s’est sevré tous les deux, et je ne l’aurais jamais imaginé avec un bébé qui tétait autant. Donc pour Raphaël, qui a 10 mois, c’est beaucoup plus détendu. Et même pour l’avenir, je ne me projette pas spécialement. Il a aussi des allergies, donc je l’allaite encore presque exclusivement. J’ai eu des montées de lait de rêve, je n’ai jamais eu mal aux seins. Pour Raphaël je n’ai rien senti : à un moment, le lait était là. Je vis en harmonie avec mon corps en allaitant. En donnant le sein à Matthieu, je retroussais toujours mes vêtements, tout ce que j’avais sur moi, et c’était peu confortable de se retrouver le ventre à l’air. Quand j’ai vu des copines allaiter en ouvrant le décolleté, j’ai trouvé que c’était plus pratique et plus esthétique. Allaiter Raphaël de cette manière-là, ça m’a donné un style plus féminin et je me suis acheté des vêtements joliment coupés. Je ne pense quasiment jamais à l’allaitement, et parfois ça me surprend. Quand je vois Raphaël téter, je me dis : tiens, il tète. Ça fait tellement partie du quotidien, c’est devenu un mode de vie. Mais ça ne m’empêche pas d’éprouver des sensations fortes. Et c’est important, pour moi, parce que je vis beaucoup par la pensée, beaucoup dans la tête, et l’allaitement me ramène dans des sphères complètement différentes, beaucoup plus instinctives, physiques, naturelles, émotionnelles aussi, et d’une belle façon.



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Sabine Raphael


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J’ai eu des montées de lait de rêve, je n’ai rien senti, et, à un moment, le lait était là.

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Quand il me regarde pendant la tétée, je sens un lien très fort, très intime, très intense.



YaĂŤlle Marina

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mois


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n’a même pas été une décision, cela allait de soi. Je trouve que c’est très important pour le bébé. Des sages-femmes nous disent que l’on allaite pour son épanouissement personnel. Moi je trouve que l’épanouissement personnel est une conséquence, et non le but de l’allaitement. Physiologiquement, c’est déjà important pour le développement du bébé, mais émotionnellement, ça l’est encore plus. Je crois que c’est capital, que ça lui donne un très bon départ dans la vie. Je voulais offrir ça à mon enfant – à mes enfants si on en a d’autres. Ça n’a pas été facile tout de suite, la mise en place a été laborieuse. Je ne veux pas dire « difficile », parce que je n’ai pas envie que ma fille entende : « Oh ! ça a vraiment été difficile d’allaiter. » Il m’a fallu deux mois pour que ça devienne confortable. Pendant deux mois c’était douloureux, et puis il fallait tout le temps la réveiller : la prise de poids a été très lente. Mais maintenant ça va tout seul. Devant les difficultés du début, mon mari a été un peu refroidi, c’était dur pour lui de me voir souffrir, et la petite aussi avait du mal, parfois elle pleurait 45 minutes avant d’arriver à prendre. Alors, il me disait : « Passe au biberon. » Mais, moi, j’ai tenu bon et maintenant il est de nouveau convaincu. Il est Libanais, pour lui l’allaitement est très naturel, et il est très naturel de dormir avec son enfant. Un mari qui comprend ça, c’est précieux ! Il était même surpris au départ que je la mette dans son berceau, puis ou r moi alla iter

quand elle avait 2 mois, ma sœur m’a suggéré de la faire dormir tout contre moi. Ça a changé les nuits, et moi, ça m’a changé la vie, vraiment, et lui trouvait ça tout à fait normal. Quand j’avais des difficultés ce que je détestais entendre, même de la part de ma mère qui est pourtant tout à fait pro-allaitement, c’était : « Mais passe au biberon, tu ne seras pas une mauvaise mère si tu passes au biberon. » Son intention était positive, mais, moi, ce n’est pas ce que je voulais entendre. Je voulais qu’on me donne les moyens de supporter et d’améliorer la situation. La seule chose qui m’a aidée, ç’a été qu’on me dise : « C’est vrai que ça peut faire très mal longtemps, mais il faut tenir bon, après ça passe : s’il n’y a pas de mycose, s’il n’y a pas mauvaise prise de sein, s’il n’y a pas de crevasses, ça peut faire très mal, sans raison, mais ça va passer. » Maintenant la petite joue avec le sein, elle me tord le téton… quand elle appuie trop fort, je rouspète un peu, mais dans l’ensemble, je dirai que c’est confortable. Les difficultés sont ailleurs : allaiter encore son enfant à 9 mois, pour certains, même du milieu médical, c’est pathologique. C’est que la mère a un problème. Donc la difficulté c’est de se sentir libre par rapport à son enfant, même en public, même au travail. Quand ma fille veut téter, il ne faut pas que je lui fasse sentir que ça doit être rapide parce quelqu’un pourrait entrer et me poser des questions. Elle prend encore 75 pour cent de ses repas

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Yaëlle Marina

au sein, et je suis convaincue que c’est bon pour elle : elle se sevrera à son rythme. Mais je dois me faire violence pour me sentir libre et détendue par rapport au regard des autres, je dois faire un travail sur moi-même. Si je l’ai avec moi à l’atelier, ce n’est pas pour mon petit confort personnel. Franchement, ça serait plus pratique sans elle et je travaillerais mieux. Simplement, le bébé est un bébé, et plus il peut être en contact avec sa maman plus il est sécurisé. Un besoin, quand on le comble, il passe, quand on ne veut pas y répondre, il demeure – et sous des formes parfois préjudiciables – jusqu’à l’âge adulte. On est dans une société où on demande au bébé d’être autonome à 2 mois : prends ton biberon tout seul, occupe-toi tout seul, et puis surtout, au fond de la maison, pour que je ne t’entende pas ; ne pleure pas et n’aie pas besoin de ma présence, parce que j’ai d’autres choses à faire.

J’étais très déconcertée par le rythme de Marina qui tétait facilement jusqu’à quinze, dix-huit fois par jour. J’ai essayé de suivre les conseils de professionnels pendant une semaine, mais ça n’a absolument pas marché. J’ai dit, soit j’ai accouché d’un extraterrestre, soit c’est des schémas qui ne s’appliquent pas à tout le monde. Finalement j’ai décidé de me mettre à son rythme, et tout s’est bien passé. Certaines personnes de ma famille étaient très critiques : « Mais enfin, tu es au service de ton enfant ! – Mais oui, tout à fait. – Mais tu ne peux pas t’organiser. – C’est vrai, je m’adapte. » Finalement, un an, deux ans, dans une vie, qu’est-ce que c’est ? S’il faut faire quelques sacrifices et ne pas aller au cinéma en amoureux pendant un ou deux ans, le jeu en vaut la chandelle. Moi je me dis : « Tout ce qu’on peut leur donner à cet âge-là, c’est pour la vie. »


Emmanuelle Grenadine

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Yaëlle Marina


Yaëlle Marina

Un besoin, quand on le comble, il passe, quand on ne veut pas y répondre, il demeure.

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Tout la réveille, sauf quand elle est endormie sur moi : je peux coudre à la machine, elle ne s’en aperçoit même pas.


Yaëlle Marina

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Delphine

Lay창n

5 mois


Delphine Layân

n porte son en fant en soi ,

ensuite il sort du ventre et il est là, et on le nourrit encore avec ce qu’on a à l’intérieur. Le bébé va directement au sein, et puis il nous regarde, tout petit déjà, on ne sait même pas s’il nous voit, mais ce regard-là est très touchant. C’est vraiment fort. Et cette continuité de fusion, c’est beau. Maintenant, Layân a 5 mois, il a peut-être plus de conscience, il me reconnaît, il voit son environnement, et il sait me demander le sein autrement. Avant c’étaient des pleurs, c’était plus neutre peut-être. Bébé, c’est vraiment l’instinct de nourriture avant tout, et puis aussi certainement le besoin de câlin, de sentir l’odeur de la maman. Mais maintenant, quand il a envie de téter, il regarde mes seins, il me regarde, il y a vraiment une autre relation. Il est beaucoup plus présent, beaucoup plus conscient. Il a le sourire, il tète beaucoup plus, il donne beaucoup plus de sa personne. Ça, c’est magnifique. Avoir vécu mes grossesses et avoir accouché de mes enfants, ça m’a transformée. Et l’allaitement aussi, c’est certain. C’est une relation qui dure avec la mère. Ça m’a dévoilé un amour complètement illimité, inconditionnel, que je n’avais pas perçu auparavant. Et dans mon être de femme, ça m’a complètement épanouie. Être maman, ça m’a complétée, d’une certaine manière.

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Delphine Layân

Pour le père, ça a été un peu plus difficile, parce que quand le premier enfant arrive, on lui donne beaucoup, et le papa peut se sentir un peu oublié. C’est ce que j’ai vécu, j’ai eu du mal à gérer le don d’amour pour les deux. Il est vrai que je donnais beaucoup plus à mon enfant qu’à mon compagnon, dans un premier temps. Pour le deuxième, on le vit un peu différemment. Le papa aussi a déjà vécu cette situation, il est déjà sensibilisé, donc il prend les choses autrement. Il est vrai qu’on prépare énormément les femmes à la venue d’un enfant, mais pas les hommes : c’est vraiment dommage. Parce que c’est un changement énorme pour tout le monde. La relation du couple doit se renouveler. On ne peut pas rester sur les mêmes critères, parce qu’il y a un être de plus ou deux, et ce n’est pas pareil. Avec le deuxième, on avait plus de recul tous les deux, et ça nous a même rapprochés. J’ai l’impression qu’il prend plus facilement sa place. Et peut-être moi aussi, je la lui donne plus facilement.

J’ai allaité Mathis, l’aîné, jusqu’à 20 mois, et le sevrage s’est fait tout à fait naturellement. Je ne lui donnais plus le sein que le matin et le soir, et progressivement s’il ne me le demandait pas, je ne lui donnais pas, et ça s’est arrêté comme ça. C’est venu de lui aussi, et pour moi, c’était vraiment bien. J’ai fait le choix de ne pas reprendre le travail non plus après le deuxième, pour pouvoir vraiment garder ce contact sensuel avec mon fils jusqu’à ce qu’il puisse marcher, qu’il ait une autonomie. J’ai l’impression que c’est bon pour son équilibre, et moi ça me rassure, d’une certaine manière. Mathis mettait toujours sa main sur l’autre sein quand il buvait, et il avait toujours un regard plein d’amour. C’était beau… Avec Lyân c’est un peu différent. Il m’attrape le sein plutôt que poser sa main, il me tient fort, et il me regarde, il rigole, il sourit, et hop, il retourne au sein et il retète. Ensuite il lève la tête, et hop, il me sourit. Et ça, c’est fort aussi. Toute la communication qu’il peut y avoir pendant l’allaitement : ils expriment leur joie, le fait qu’ils sont bien, qu’ils se sentent en sécurité. Ça fait du bien.




Delphine Layân

Maintenant, quand il a envie de téter, il regarde mes seins, il me regarde, il y a vraiment une autre relation.

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Delphine Layân

Ça m’a dévoilé un amour complètement illimité, inconditionnel que je n’avais pas perçu auparavant.




Sommaire

Préface

5

Laurence Maë

9

Annoa Marius

16

Nathalie Valentin

24

Emmanuelle Grenadine

32

Léa Lou-Anne & Emna

40

Emmanuelle Soheïl

50

Camille Aelís

54

Murielle Fleur

58

Herrade Victoria

71

Christine Bertille & Mazarine

78

Sabine Raphael

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Yaëlle Marina

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Delphine Layân

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Achevé d’imprimer en mars 2007 sur les presses de l’imprimerie Louis Jean, Gap, France.


Susanne Klein est née en 1956 à Vienne, Autriche. Elle vit depuis l’âge de 24 ans en France. Parallèlement à des études de langues, littérature, philosophie et histoire de l’art et des religions, elle est très tôt attirée par la photographie, qui lui permet d’approcher l’intimité des êtres et des choses avec une grande sensibilité. Au cours de ses voyages et séjours au Mexique, Maroc, Inde, Népal et Bhoutan, elle s’est formée à la vidéo en autodidacte. Sa technique actuelle de prise de vue numérique se nourrit à la fois de la rigueur du cadrage de la photo argentique et de la liberté d’expérimentation et de la spontanéité du mouvement de la vidéo. Elle a présenté ses œuvres dans plusieurs expositions individuelles et collectives en France. Elle a deux filles qu’elle a allaitées avec bonheur. Son chemin de vie l’a amenée naturellement à s’engager dans la cause de l’allaitement. Elle est aujourd’hui présidente de l’association montpelliéraine Horizons lactés.


Ce livre est né de plusieurs rencontres. Né d’abord de

la rencontre de l’auteur, Susanne Klein, avec ses propres enfants à leur naissance, rencontre qui éveilla en elle la certitude que le lait qui jaillissait de ses seins pourrait suffire à les combler de nourriture et d’amour les premiers mois de leurs vies. C’était l’évidence même. Né ensuite de sa rencontre avec Danièle Bruguières, fondatrice de l’association montpelliéraine Horizons lactés, qui la sollicita, au printemps 2006, pour réaliser une exposition de photos, dans le cadre de la Semaine mondiale de l’allaitement. Et né, surtout, des rencontres de l’auteur avec douze jeunes mères qui, bien qu’ayant chacune sa propre histoire, avaient toutes, comme elle, entendu le message de leurs corps après avoir mis une nouvelle vie au monde. Rencontres d’images et de paroles, enfin, que l’auteur photographe recueille dans les lieux de vie de ces femmes et de leurs familles, en privilégiant la lumière naturelle, ce qui lui a permis d’être au plus près des personnages, en effaçant presque la présence de son regard à travers l’objectif, pour témoigner de toute la fraîcheur et la spontanéité des instants d’intimité et de joie partagés entre la mère et son enfant. Les textes relatent le vécu de ces femmes d’une manière impressionniste, par des phrases chargées d’émotions évoquant des instants de bonheur doux et intenses, des images poétiques jaillies des sensations de leur propre corps, des moments de vie, joyeux ou moins faciles, autour de leurs expériences d’allaitement au sein. « Au total, conclut Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau, rédactrice en chef d’Allaiter aujourd’hui, le magazine de La Leche League, dans sa préface (très pratique pour qui s’interroge sur la question), un ouvrage au plus près de la vérité de l’allaitement : la Vie même. »

Editions

Singulières

ISBN 978-2-35478-002-9

20 €

ttc 9 782354 780029


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