Nouveaux Westerns

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6 artistes sortis de l’école supérieure des arts de Mons ARTS²

Karine Marenne DSCTHK Sébastien Lacomblez Hell’O Leslie Leoni VOID



6 artistes sortis de l'école supérieure des arts de Mons ARTS²

BAM, Musée de beaux-arts de Mons ARTS², École supérieure des arts 2017


NOUVEAUX WESTERNS Une exposition placée sous le patronage d'Alda Greoli, Ministre de la Culture et de l'Enfance de la Fédération Wallonie-Bruxelles, d’Elio Di Rupo, Bourgmestre de Mons, et de Savine Moucheron, Échevine de la Culture.


Sommaire

5 Préface Savine Moucheron, Elio Di Rupo – 7 Un coup de poker post-muséal Xavier Roland – 9 Genèse d'une exposition Philippe Ernotte

13 Karine Marenne – 41 DSCTHK – 69 Sébastien Lacomblez – 91 Hell'O – 117 Leslie Leoni – 141 VOID

173 Dialogues avec les collections du musée – 189 Biographies – 190 Générique de fin



Exposer les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles a toujours été une volonté de la Ville de Mons à travers les expositions de son Pôle muséal. Ainsi, ses musées ont de tout temps été des écrins de l’éclectisme artistique. Exposition après exposition, si nous avons vu y entrer des œuvres d’Andy Warhol, de Van Gogh ou de Keith Haring, nous y avons aussi vu des artistes belges (Michel Jamsin, Jean-Pierre Scouflaire, Jean-Marie Mahieu, …) ou des œuvres majeures issues de grands mouvements belges comme le surréalisme ou l’abstraction géométrique. La Ville de Mons est très fière de mettre en lumière au BAM six artistes francophones qui ont une carrière nationale voire internationale, tous issus d'ARTS² – l’une des dix écoles supérieures d’Arts visuels en Wallonie-Bruxelles, l'une des deux organisées par la Fédération, et la seule à compter également deux autres domaines, Musique et Théâtre. Quoi de plus normal pour la Capitale culturelle wallonne de faire rayonner ses artistes ? Au travers de Nouveaux Westerns, c’est aussi une occasion qui est donnée à la Ville de valoriser ses collections, en proposant aux artistes d'en intégrer une œuvre dans leur salle. C’est une première pour le Pôle, et la Ville a bien l’intention de renouveler l’expérience avec d’autres partenaires durant les prochaines années. La Ville de Mons est très heureuse d'avoir monté cette exposition en coproduction avec ARTS² et il n’est pas dans ses intentions de s’arrêter en aussi bon chemin. Dans la perspective et l'envie commune de mettre en avant les talents qui ont éclos à Mons, d’autres collaborations vont s’initier de façon presque naturelle. ARTS² est un vivier de talents dans notre cité, pourquoi s’en priver ?

— Savine Moucheron Échevine de la Culture

Elio Di Rupo Bourgmestre de Mons

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Un coup de poker post-muséal

Dès les années 80, le courant postmoderne bat en brèche une approche moderniste de l’art qui se définissait en rupture avec la tradition. Les cimaises du BAM ont accueilli en octobre 2016 un artiste emblématique à cet égard, le peintre français Gérard Garouste. Son statut de peintre « classique » l’a longtemps confiné à l’écart d’une reconnaissance de la critique. Depuis quelques décennies, la tendance s’inverse : l’artiste actuel ne se situe plus dans une démarche d’autonomisation par rapport à une histoire de l’art ou à un contexte. Par voie de conséquence, la référence ou le dialogue avec des œuvres anciennes n’est plus un tabou ni une hérésie pour le créateur. Profitant de ce nouvel état d’esprit, nous proposons aux artistes invités au BAM pour cette exposition de s’inspirer d’une œuvre de leur choix issue des collections du Pôle muséal, mais également de proposer une de leurs œuvres dans les espaces des collections permanentes du musée. Entre Au pied de la lettre et Nouveaux Westerns, entre la collection permanente et les œuvres actuelles, entre la muséologie des collections et l’expographie de Nouveaux Westerns, le musée s’ouvre à de nouvelles pratiques muséales plus en phase avec le monde. Et ça tombe bien puisque chacun des artistes de l’exposition Nouveaux Westerns, à sa manière, met le monde au centre de son œuvre ! La plupart des travaux présentés partagent quelque chose en commun : bien qu’ils utilisent parfois certains médias traditionnels comme la peinture, la photographie ou la sérigraphie, leur tendance à l’installation dissout totalement les frontières entre l’œuvre d’art et son espace environnemental. Alors que Au pied de la lettre est d’abord conçue comme un espace de contemplation, avec un parti-pris fort du conservateur assumant une vision « propre » de l’histoire de l’art, les artistes de Nouveaux Westerns s’approprient, eux, le patrimoine en dehors d’un langage d’historien de l’art ou de conservateur. La démarche n’est pas neuve, mais elle est extrêmement vivifiante pour les musées qui l’ont pratiquée. À l’heure de la remise en cause des socles de compétences et des regards « instruits », le propos libère l’œuvre vers d’autres champs interprétatifs. L’environnement, tel qu’ils le pratiquent, conduit un tout autre rapport qui met le spectateur non plus face à l’œuvre mais lui permet de voyager à l’intérieur de celle-ci. Pour cette nouvelle génération d’artistes, le souvenir du passé ne se limite pas à l’expression d’un champ visuel, à l’exploration de l’espace pictural et de ses propriétés ou à l’évocation d’un passé figé. Il s’agit au contraire de réintégrer la collection communale dans une écriture qui est la leur, et en définitive d’apprendre au spectateur à voir l’histoire et l’art dans une perspective autre 7


que celle transmise par l’enseignement académique. Détournement, réécriture, réinterprétation ou relecture d’une histoire, peu importe les termes utilisés, ils retissent un dialogue en inversant le rapport conventionnel du présent face au passé ou, autrement dit, ils n’hésitent pas à intégrer l’œuvre dans leur propre temporalité au sein même de leur territoire d’action. Autrefois, la démarche nous aurait fait craindre une confrontation avec la tradition pour en organiser sa subversion. Aujourd’hui, nous sommes peut-être parvenus à la troisième génération des postmodernes qui suit juste celle des iconoclastes ; celle qui n’hésite pas à renouer avec le métier, la tradition et surtout à se plonger dans le sens profond caché à l’arrière des images qu’ils réinvitent à leur manière. Et puis ce rapport à l’espace et au passé qu’ils induisent est aussi lié aux questions du comment nous voulons vivre ensemble et de quel genre de société connectée nous voulons pour demain. Ils brouillent les linéarités chronologiques et temporelles. De l’artist curating aux expériences plus actuelles de public curating, toutes les formes de création d’exposition sont aujourd’hui en expérimentation dans les musées ; les schémas narratifs sont totalement bousculés : qui est le narrateur et qui est le protagoniste ? L’impact de telles démarches fait vaciller les anciens préceptes muséaux du conservateur tout puissant, en vue d’évoluer vers des formes d’organisation muséale plus organiques entre zones de compétences et d’expériences partagées. Cette première co-production avec ARTS² inaugure une vision nouvelle de l’approche des collections muséales et par là même de la raison d’être du musée au sein de la ville. Nous voulons rebattre les cartes institutionnelles et traditionnelles. Pourquoi vouloir à tout prix percevoir l’œuvre muséale comme à l’écart du monde et de ses usages potentiels ? Dans l’optique d’une ouverture du musée au monde extérieur, l’œuvre ne retrouve-t-elle pas sa dimension de « bien public collectif » ? En tous les cas, nous sommes arrivés à l’ère de la désacralisation tant du musée que du patrimoine. Autant nous pouvons venir au musée pour boire un verre, danser, manger, papoter, rencontrer ou faire un atelier, autant le musée doit aussi pouvoir se ré-imaginer dans sa dimension la plus inclusive possible, comme boussole de la société contemporaine. Ces nouvelles pratiques sont pour nous salutaires, car une forme de vie nouvelle conquiert nos espaces muséaux : sans doute moins élitiste, mais certainement plus généreuse envers les publics et, nous l’espérons, plus ouverte sur le monde. — Xavier Roland Directeur du BAM (Musée des beaux-arts de Mons) Responsable du Pôle muséal de Mons

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Genèse d'une exposition

Il n’est pas si fréquent qu’un musée ou un palais des beaux-arts ouvre ses salles à des artistes vivants, à des artistes de moins de 50 ans, qui plus est à des artistes natifs du pays même. Il est encore moins fréquent qu’un musée ou un palais des beaux-arts invite une École supérieure des arts à présenter les œuvres de ses anciens étudiants devenus artistes, du moins en Fédération Wallonie-Bruxelles car sous d’autres cieux, pas si lointains (Flandre, France, Allemagne, Angleterre, …), ce genre de partenariat est au contraire au cœur des politiques culturelles, le moteur même qui permet l’émergence chronique de nouvelles générations d’artistes, et leur reconnaissance. Saluons donc sans réserve l’initiative du BAM, le Musée des beaux-arts de Mons, et savourons-la à sa juste valeur. L’heure du choix Quand le BAM a proposé à notre école1 d’occuper tout un étage du musée, pas moins de 700 m², on ne savait pas encore quel(s) artiste(s) y exposer. Un critère de qualité allait évidemment guider nos choix, mais dans quelle direction… : exposer un ou une de nos professeurs artistes ? Plusieurs ? Plutôt un ancien étudiant ? Ou plusieurs anciens ? Ou un mélange de professeurs et d’anciens ? Assez vite, la décision fut prise de limiter la sélection aux anciens étudiants, en particulier ceux diplômés depuis les alentours de l’an 2000, manière d’indiquer que nous voulions présenter un art du troisième millénaire. Le commissariat Qui allait opérer la sélection des artistes ? Directeur des arts visuels en poste depuis 2012 seulement, la sagesse m’imposait de renoncer au plaisir de faire moi-même la sélection. Mieux valait s’en remettre au jugement éclairé des enseignants qui pouvaient connaître tous les diplômés de l’école depuis 2000, et avaient pu suivre leur trajectoire artistique au cours de ces quinze, vingt dernières années. ARTS² a la chance de compter parmi ses enseignants des personnalités aussi compétentes et aussi généreuses que Xavier Canonne et Christophe Veys, toujours très attentifs au parcours des diplômés et toujours disponibles malgré leurs agendas de ministre (en plus d’être professeurs, l’un est directeur du Musée de la photographie à Charleroi, l’autre est commissaire résident dans une galerie à rayonnement international). En leur proposant d’assumer le commissariat de

1. L’école a porté trois noms successifs : ARTS², ESAPV et Académie des beaux-arts. L’actuelle école supérieure des arts ARTS² est un établissement public organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle est issue de la fusion en 2012 de l’ESAPV (École supérieure des arts plastiques et visuels) et du Conservatoire royal de Musique et de Théâtre de Mons. L’ESAPV était elle-même l’héritière directe de l’Académie des beaux-arts de Mons, établissement communal passé sous l’autorité du Ministère de l’Éducation et de la Culture en 1976.


l’exposition, je savais qu’ils ne compteraient pas leurs heures pour accompagner les artistes qu’ils choisiraient. Le musée proposait six grandes salles, on a donc retenu six artistes, offrant à chacun la possibilité d’y créer son univers particulier. Les artistes finalement sélectionnés par les commissaires représentent un large éventail de disciplines : les uns font de la photo, de la vidéo, de la performance, les autres font du dessin et de la peinture, de la gravure, de la sculpture, même de la tapisserie, et tous ont un penchant prononcé pour l’installation – comme on le constatera à parcourir leurs salles. Nous avons aussi la chance de compter parmi nos enseignants une scénographe réputée comme Évelyne Gilmont (qui a mis en scène plusieurs expositions au BAM, dont celle de Gérard Garouste en 2016), qui a accepté de coordonner la scénographie et la régie des six artistes – exercice excitant puisque soumis au remodelage permanent des salles par les artistes eux-mêmes. Exposer dans un musée On n’expose pas dans un musée comme dans une galerie. Le public est différent, les codes sont différents, les enjeux aussi. Quand un artiste est invité à exposer dans une galerie, il aime créer de nouvelles œuvres, adaptées au lieu, et reflétant ses préoccupations du moment. Un musée, lui, présente le plus souvent des monographies rétrospectives, expositions qui embrassent la carrière d’un artiste, ou du moins une période de sa carrière. Au vu des délais très courts pour mettre sur pied l’exposition, 150 jours entre la présélection des artistes et le vernissage, et afin de s’affranchir des aléas inhérents à la création d’œuvres nouvelles (tâtonnements, échecs, changements de cap, retards de production…), les commissaires ont sélectionné des artistes capables d’exposer des œuvres déjà existantes, et d’une « stature muséale » (comprenez, des œuvres suffisamment puissantes pour ne pas paraître perdues dans les salles). Cependant, grisés par le défi, les artistes ont souhaité changer la donne en cours de route et finalement la plupart ont produit une nouvelle œuvre pour l’exposition. De surcroît, tous ont accepté avec enthousiasme la proposition du musée de « dialoguer » avec une œuvre des collections de l’Artothèque (voir le dernier chapitre du catalogue). Gageons que l’invitation à exposer au BAM des artistes issus d’ARTS² puisse être réitérée, par exemple sous la forme d’une triennale. À propos de ce catalogue Le présent catalogue comprend principalement les monographies des six artistes : une longue interview menée par un des commissaires, ainsi qu’une 10


rétrospective photographique de leurs œuvres qui, sans prétendre à l’exhaustivité, reflète leur parcours. Le dernier chapitre du catalogue présente les œuvres choisies par les artistes dans les collections de l’Artothèque puis intégrées dans leur salle de Nouveaux Westerns, ainsi que leurs interventions dans l’exposition qui se tient simultanément au 1er étage du musée, Au pied de la lettre : Lettres et traces dans l’art au XXe siècle. La raison d’être de ces deux contraintes est expliquée par Xavier Roland dans le chapitre ‘Un coup de poker post-muséal’. Dans ce catalogue, nous avons choisi de ne pas reproduire les articles consacrés aux artistes par la presse (revues, quotidiens, radios) pour laisser la parole aux artistes eux-mêmes. Une recherche internet permettra aisément au lecteur intéressé d’enrichir son information. Au fil des interviews, chaque lecteur aura l’occasion de découvrir la personnalité des artistes, et leurs œuvres. Nos deux commissaires s’étant accordés pour poser aux artistes à peu près les mêmes questions, le lecteur pourra s’amuser à mettre en parallèle leur vision de l’art, du marché de l’art, ou de leur formation scolaire. Pour conclure, mettons déjà en relief quelques-unes des lignes de force de ces interviews. – Les six artistes proviennent des quatre coins du Hainaut (province de 1,3 million d’habitants) : Charleroi, La Louvière, Thuin, Péruwelz, Frameries ; ainsi que du Brabant wallon. – Leur orientation est parfois dans le droit fil de la discipline choisie lors des études mais la plupart pratiquent la pluridisciplinarité (qu’ils ont expérimentée à l’école ou par la suite). – Les œuvres qu’ils créent sont en prise directe avec le Réel, la vie d’aujourd’hui et les germes de demain – place de la technologie, de la femme, de la mémoire, du plaisir, du pouvoir, de l’art, place aussi du spectateur –, de façon souvent subtile, en artistes plutôt qu’en propagandistes. – Enfin, s’il ne fallait retenir qu’une seule chose, sans doute est-ce la passion et l’opiniâtreté de ces artistes. Dans leur esthétique ou dans leur pratique, contre vents et marées, ils tracent leur route. Au besoin ils la créent, ouvrant des territoires inconnus. Avec une espèce d’héroïsme. C’est peut-être le sens qu’il faut donner à ce titre, Nouveaux Westerns. — Philippe Ernotte Directeur des Arts visuels à ARTS²

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Après diverses approches, Karine Marenne vient proposer aux collectionneurs de perturber pour un temps la relation silencieuse et jalouse qu'ils entretiennent avec leurs œuvres. Soubrette aux bas roses, armée d'un plumeau et d'un seau de même couleur, la voici débarquant chez ceux qui ont consenti à sa présence, époussetant les tableaux et les sculptures, virevoltant autour des installations au risque calculé d'en distraire la subtile organisation. La photographie vient ici témoigner d'une performance se déroulant dans la sphère très privée de ceux qu'il a fallu convaincre de révéler une part de leurs trésors et de leur intimité. Hiératique, jouant du fantasme comme du balai, telle la Célestine du roman d'Octave Mirbeau, elle s'active comme elle transpirait autrefois pour l'art en collants fluorescents, gymnaste parmi les collections des Musées royaux des beaux-arts. Elle ira jusqu'à être nourrie par un couple de collectionneurs, – une cuillère pour Wang Du, une autre pour Damien Hirst – quand elle ne borde pas ses hôtes dans leur lit comme le ferait une nurse dévouée. Karine Marenne semble ne vouloir prendre l'art au sérieux, ironisant sur le destin de l'œuvre et sa valeur financière, même si cette dernière, ou plutôt la relation qu'elle entretient avec le collectionneur, est la condition de cet « œuvrage » à domicile. Se mettant en scène, elle replace l'artiste là où il s'était effacé, laissant le collectionneur en tête-à-tête avec l'œuvre. Souhaitons à Karine Marenne de remettre cent fois plutôt qu'une sur le métier son « œuvrage » à domicile.

XAVIER CANONNE


Un regard féminin sur ce qu'est être femme aujourd'hui. Un entretien de Karine Marenne avec Xavier Canonne

— Xavier Canonne : Comment ont réagi tes parents lorsque tu leur as annoncé que tu voulais entreprendre des études artistiques ? Karine Marenne : Assez mal ! Une forme de drame familial, en quelque sorte… Personne n’a un rapport à l’art dans ta famille ? Non. Mes parents m’ont soutenue mais je n’ai pas eu l’impression d’une compréhension totale de ce que je voulais faire. Mais déjà… qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce qui t’as menée à envisager des études artistiques ? J’ai toujours « bricolé ». Enfant, ma mère devait me faire les poches. Je ramassais plein d’objets que j’installais, que je disposais… Ayant une mère maniaque, ça passait très mal et j’étais fouillée quand je rentrais de promenade. Et puis j’ai toujours dessiné. J’ai fait mes études secondaires dans la filière artistique. Des cours du soir aussi ? Oui, en sculpture, plutôt sculpture classique. Très jeune, j’avais quatorze ans, c’était assez drôle. Puis j’ai suivi des cours du soir en photographie, mais je regrette d’avoir loupé le studio, je n’étais sans doute pas prête. Le labo me fascinait mais pas le studio. Je le regrette aujourd’hui, cela m’aurait beaucoup aidée. Je dois tout réapprendre. 16


K ARINE MARENNE

Comment es-tu arrivée à ce que l’on appelait à l’époque l’ESAPV ? Il y avait pourtant d’autres écoles d’art. Je viens du Brabant wallon. Ma mère était plus ou moins d’accord pour une école artistique mais elle voulait La Cambre. Lorsque j’étais étudiante, déjà obstinée, rien que par principe je ne voulais pas faire La Cambre. Je ne voulais pas y aller. Et donc j’ai fait toutes les « portes ouvertes ». J’ai longuement hésité avec l’ERG, dont j’aimais bien le principe à l’époque, où l’on pouvait faire des études « à la carte », en ne s’enfermant pas dans une seule discipline. Et puis je suis arrivée ici, j’ai ouvert la porte de l'atelier images dans le milieu (IDM©) et je me suis dit : « c’est ce qu’il me faut. » C’était déjà Jean-François Octave ? C’était déjà lui le chef d'atelier. Je n’avais pas envie d’être cloisonnée dans une discipline mais plutôt pouvoir passer d’un médium à l’autre. Quel est ton souvenir de ces années d’études ? Assez magnifique… L’école, les rencontres… Mais il n’y a pas que ça. Ce que l’école offre n’est qu’une toute petite partie. Il y a tout un travail à faire à côté, de curiosité, de lectures, de visites d’expositions, … Je n’arrêtais pas… Avec cette rage au ventre aussi de l’avoir imposé à ma famille, de prouver que c’était le bon choix. Pour moi, c’était important d’en profiter un maximum. À quel moment as-tu senti ce basculement de l’étudiant vers l’artiste ? J’ai eu un parcours un peu atypique. J’ai exposé avec Jean-François Octave quand j’étais encore étudiante. Je me suis retrouvée dans une situation un peu ambigüe. Je n’ai donc même pas perçu ce basculement, ça coulait de source de continuer ce que j’avais semé durant ces cinq années d’études. As-tu senti une angoisse, une inquiétude au terme de celles-ci ? Pas du tout. J’avais bien choisi cet atelier, il me convenait parfaitement par rapport à ce que j’avais envie d’exprimer. Mais dans une école d’art on est comme dans un cocon, et puis on est lâché… J’ai eu la chance en dernière année d’occuper le grenier de l’école avec une autre étudiante. Et donc d’avoir cette autonomie de travail comme si j’étais déjà dans « l’après ». De temps en temps Jean-François Octave passait, ainsi que Luc Grossen. Mais on avait cette chance d’avoir cet espace dont on a pleinement profité en termes d’intensité de travail. Et puis durant ma dernière année, j’étais en Erasmus, à Bilbao, donc ça m’a permis cette coupure fort intéressante. Je n’ai aucun regret, vraiment. Ou si, celui de ne plus être étudiante ! (rires) Qu’est-ce que ça signifie « vivre de son art » ? Ouh ! Bonne question. Déjà, c’est quoi ? Que veut dire « vivre de son art »… ? Ça ne veut rien dire… 17


C’est peut-être tout simplement ne pas devoir faire quelque chose à côté… Oui, mais en même temps cela dépend des personnes. Certains s’en accommodent. Tout dépend des stratégies. C’est bien de vivre de son art, mais en même temps je fais des choses sur le côté qui apportent à mon travail artistique. Je travaille dans le milieu de la petite enfance, je fais de l’éveil culturel aux arts plastiques, pour des enfants dès l’âge de six mois. Ce qui est intéressant avec ces tout-petits, c’est de revenir à cette question : « Qu’est-ce que l’art ? ». C’est une trace, une découverte, une expression sensorielle. La spontanéité des tout-petits me remet beaucoup en question, surtout dans le contexte actuel de l’art que l’on perçoit trop souvent comme valeur économique. Est-ce qu’il y a eu dans tes études, et même avant, un moment déterminant, un choc visuel, quelque chose qui t’a bouleversée ? Je me souviens d’être allée avec l’atelier de Jean-François Octave au MoMA à New York. Mon cours d’histoire de l’art défilait… J’avais les larmes aux yeux. C’était très fort… Une confrontation terrible, le sentiment d’être toute petite. J’ai ressenti ça aussi à Rome, être confrontée à des œuvres et d’avoir cette réflexion sur l’accrochage. Dans les églises par exemple, les œuvres sont montrées dans le lieu même de leur conception… On est déjà dans l’installation. C’est une expérience exceptionnelle sur le plan physique, sensoriel, spatial, sonore, etc. C’est quoi être artiste aujourd’hui ? (long silence) Bonne question… (silence) Il faudrait au moins quatre heures de discussion (rires). Il y a plusieurs types d’artistes comme il y a plusieurs recettes de cuisine… Mais par rapport à toi alors ? Comment le définirais-tu ? C’est un travail par « blocs », un travail fictionnel. De cette fiction que je tisse, parce que c’est vraiment un tissage, naît une trame qui inclut aussi la réalité ; il y a des rencontres soit avec des collectionneurs d’art, ou des collectionneurs d’autres choses, mais des rencontres qui suscitent une fiction tissant une histoire, un récit… Mais il y a aussi un engagement personnel, un regard féminin sur ce qu’est être femme aujourd’hui à travers l’actualité, dans le quotidien. Qu’est-ce qu’être femme ? Qu'est-ce qu’être mère aujourd’hui ? Et qu’est-ce qu’être femme artiste aussi ? C’est un handicap aujourd’hui ? Ce n’est pas un handicap mais, malgré tout, le milieu demeure assez patriarcal et protectionniste. La tâche n’est pas toujours facile mais j’en rigole assez bien… Tu l’utilises même dans ton travail. Oui, c’est pouvoir dépasser le rire, le jeu, en prenant les choses en main. C’est beaucoup plus intéressant à mon sens. 18


K ARINE MARENNE

Il y a tout de même un aspect ironique dans ta démarche. Lorsqu’un collectionneur achète une œuvre, l’artiste disparaît d’une certaine façon ; soit il est loin, soit il est décédé… Mais quelque part, entre le collectionneur et l’œuvre, l’artiste s’est effacé comme présence physique. Et toi tu reviens t’intercaler dans cette relation que tu pervertis… Oui, l’idée était aussi de les confronter, de se dire, qu’est-ce qu’un collectionneur, qu’est-ce qu’une œuvre, quel est leur rôle respectif, que peut-on s’apporter mutuellement ? Et dans cette époque de valeurs financières inestimables du marché de l’art, de revenir à une valeur humaine. Je trouvais important d’en revenir à l’échange : je viens dans votre intimité mais c’est aussi un échange ; quelque part je suis mise à nu, quelque chose se crée, mais ce doit être un échange, un dialogue, pas seulement sur la collection mais aussi sur la notion même de création qui est ici mise en scène. C’est une performance mais c’est aussi de l’ordre du relationnel, quelque chose d’intime dans cet acte de création. Veux-tu me décrire ta démarche ? Tu repères un collectionneur ? C’est un long processus… C’est très long. C’est par ma galerie que je rentre en contact avec eux, souvent par le biais des foires d’art, et c’est tout un jeu de séduction, de mise en confiance, parce que je pénètre vraiment dans leur intimité. Et en plus je n’y vais pas de main morte… Donc je comprends bien leurs réticences… Qu’est-ce que tu entends par « je n’y vais pas de main morte » ? Tout ce travail joue sur les rapports de pouvoir. Qu’est-ce qu’être collectionneur ? Qu’est-ce qu’être artiste ? J’ai envie de prendre l’image de l’œuf et de la poule… Qui commence ? Qui prend le pouvoir sur l’autre ? Et la soubrette est un personnage sexué, souvent fantasmé. Je joue aussi sur cette ambiguïté. Certains collectionneurs sont très enthousiastes et se dérobent à la dernière minute, ça m’est déjà arrivé plusieurs fois… On joue, mais en même temps, qui joue ? Est-ce que le collectionneur contacté voit le travail précédent, celui fait avec d’autres, pour le rassurer ? Je ne leur montre pas. Parfois ils le connaissent par des foires. Mais j’évite de le montrer. Parce qu’il y a aussi entre eux une forme de concurrence. Il y a des collectionneurs qui sont plus mis en scène que d’autres dans les photos, et d’autres que l’on voit à peine. Qu’est-ce que cela signifie ? Une plus grande complicité ? Ça dépend de la disponibilité de la personne. Je pense à Galila H. qui a vraiment joué le jeu, c’était très drôle, et avec d’autres collectionneurs ça a été 19


plus difficile. Je n’ai pas toujours envie non plus de mon côté. Parfois mon idée de départ était une scène déterminée et lorsque j’arrive, la personne est tendue et donc je ne le sens pas, j’abandonne la scène… Tu parles de « scène ». Il n’y a donc pas d’improvisation. Tu fais un repérage ? Oui. C’est assez complexe. Le collectionneur est intéressé par un « Œuvrage » à domicile et je viens faire un premier repérage chez lui, en observant l’espace, voir si il y a assez de profondeur de champ, si la collection m’intéresse. À partir de ce moment-là je décide ou non de continuer. Si je continue, je présente un contrat qui s’appelle « Œuvrage à domicile », j’explique le travail. Et puis, je reviens avec mon storyboard dessiné et je présente les propositions, qui tiennent généralement en neuf scènes. Lorsque nous sommes d’accord, nous signons le contrat et le travail commence, sur base du carnet, avec bien sûr parfois des variantes, pour eux comme pour moi. Mais ils savent dans quoi ils s’engagent. Forcément, il y a des choses parfois intimes, je pense à un couple de collectionneurs que je viens border dans leur lit et embrasser… Je les préviens, « Je vais aller jusque-là, êtes-vous d’accord ? ». Et il y a toute une discussion. On fait la scène mais ensuite ils n’interviennent plus, ils n’ont plus de droit de regard jusqu’au moment où je reviens avec la boîte où les photos sont imprimées. Tu as beaucoup de refus devant les scénarios ? Disons que j’ai beaucoup de refus juste avant d’arriver à la collection. Dès que j’ai l’accord pour visiter la collection, généralement, je n’ai plus de refus. Mais il faut déjà arriver à y être invitée et acceptée… Tu travailles dans des conditions techniques compliquées. Tu es à la fois celle qui repère, qui contacte, qui est l’actrice, et de cela va résulter un boîtier… Oui, de six images généralement et deux « publiques » qui peuvent être vendues séparément… Mais techniquement, tu as de l’aide ? Oui, c’est un peu comme une petite production de cinéma, la galerie joue le rôle de producteur, de négociation, de mise en confiance. Quant à l’équipe technique sur le terrain, nous sommes trois, ça fait du monde chez le collectionneur – un photographe avec studio mobile, une maquilleuse, ainsi que moi-même. Pourquoi cette couleur rose sur tes bas ? Une soubrette en bas roses, ce n’est pas commun… J’adore ce magenta. J’en mets souvent. Il est ambigu. Il y a ce côté Barbie… Il est en même temps enfantin et sexuel. Et cette ambigüité, ce rose que l’on retrouve aussi dans la pornographie, m’intéresse énormément dans ses codes. 20


K ARINE MARENNE

La soubrette devient comme une marque de fabrique, une signature ; le rose déroge au costume traditionnel de la serveuse. Tu vas exposer dans un Musée ; comment les institutions publiques réagissent à ton travail ? Soit ça passe ou ça casse mon travail. Que ce soit avec le public, le privé… On est ravi, ou on me dit « Ce n’est pas de l’art »… Je suis au carrefour de diverses disciplines avec cet acte performatif ou informatif. Quand je viens en survêtement au Musée royal des beaux-arts, à quatre pattes, et en avant, je sue pour l’art, j’ai eu des réactions assez violentes, et pourtant c’était une façon de rire du marché de l’art. Mais ça a été très mal perçu, ou très bien. C’est blanc ou noir, il n’y a pas de gris (rires). Il y a un gros souci pour les artistes francophones. Il y a un côté modeste, tellement modeste. Je ne sens pas vraiment la promotion, la diffusion à l’étranger… Mais même, pour une Belge, trouver une galerie en Belgique n’est pas facile non plus… Ce n’est pas très séducteur paraît-il de défendre des artistes belges en Belgique. Il y a peu de galeries à Bruxelles qui miseront tout sur un artiste belge… Il sera au milieu d’étrangers. À la limite, c’est plus intéressant de trouver une galerie à l’étranger. Je crois qu’il y a un soutien en fonction des moyens alloués en Fédération Wallonie-Bruxelles, mais pas de stratégie(s) à long terme… Cela me semble bien dommage et pathétique. Je reviens à la vidéo que tu viens d’évoquer. Tu en as fait beaucoup. Mais ce travail « Œuvrage » n’est pas filmé. C’est vrai. Mais en même temps je suis toujours dans le médium de la vidéo, sous-entendu que ces images sont cinéo-vidéographiques. Il y a un storyboard, il y a du mouvement – mon photographe a du mérite, je bouge tout le temps. Il y a eu comme une révélation pour moi, lorsque j’ai commencé à faire de la photographie, que ce « mouvement arrêté », comment un geste pouvait induire tout le reste, comme une seconde lecture. Ça m’a donné un champ de réflexion que la vidéo ne m’offrait pas. Et puis de manière générale, la vidéo est souvent très ingrate. Elle ne s’expose pas facilement. Il y a tout un dispositif difficile, et j’en passe… Et puis, une photographie peut suffire à évoquer un feuilleton, une séquence filmique à elle seule en donnant ainsi différents niveaux de lectures possibles aux spectateurs, ce film photographique laisse place à l’imaginaire cinématographique mental du regardant. Combien encore de collectionneurs ? J’en ai six déjà, et j’en voudrais encore entre six et sept. Je suis à la moitié de ce travail. C'est nécessaire, pour amener une idée de « collection », de varier leurs profils. 21


Tu as conscience que ce travail pourra être vu dans de nombreuses années pas seulement comme une action artistique mais aussi comme un document, une sociologie de l’art ? Je n’avais pas conscience de ça… On voit bien que c’est l’historien de l’art qui m’interroge ! (rires) Il y a toujours un autre regard qui s’impose à terme, sans doute. Mais ce sera intéressant également, outre l’humour de la démarche. Cependant, je cherche davantage les collectionneurs d’art contemporain que ceux d’art moderne. Ils ont plus de contraintes d’espace, de scénographie. De même qu’il m’est impossible d’imaginer de voir un « flacon de sociologie » et des œuvres d’art contemporaines enfermés dans les coffres-forts des banques…

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K ARINE MARENNE

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Museal Fitness #01 2006 Série de 5 photographies 60 x 40 cm


Museal Fitness #02 – #03 – #04 – #05 2006 Série de 5 photographies 60 x 40 cm


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K ARINE MARENNE


Tout est dans la durĂŠe #02 2013 Installation vidĂŠo 19'57"

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K ARINE MARENNE


SĂŠrie Caravan of Love (2005 - 2009)

Caravan of Love 2005 - 2009 Installations tentaculaires

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K ARINE MARENNE

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Caravan of Love #02 2007 Installation vidĂŠo 6'20"


Caravan of Love 2007 - 2008 SĂŠrie de 2 photographies 100 x 75 cm


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K ARINE MARENNE


Le nouvel humanisme 2008 SĂŠrie de 2 photographies 70 x 100 cm


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K ARINE MARENNE


Série Art Maid (2012 - 2017) Œuvres protéiformes : dessins, photographies, performances, installations

Art Maid 2013 Performance devant le tableau de Pieter Vermeersh, Perrotin Gallery's booth Art Brussels, Bruxelles

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K ARINE MARENNE

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Art Maid, L'œuvrage, accessoire #02 2012 Loque brodée 43 x 40 cm (encadrement 70 x 70 cm)


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K ARINE MARENNE


< pp. 36-37 Art Maid, salle à manger de M. et Mme Deret 2013 Photographie 93 x 60 cm

Art Maid 2012 - 2017 (série en cours) Série de photographies Dimensions variables

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K ARINE MARENNE

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Art Maid's Collection 2012 - 2017 (série en cours) Boîtes noires à rubans magenta brodés contenant 6 photographies 30 x 40 cm



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DSCTHK, pour Discothek, est un projet de Jérôme André (1972) et Thibaut Blondiau (1973), deux amis partageant une même passion pour l’architecture et les festivités de tous types. L’historien de l’art et l’artiste (diplômé en 1997 de l’atelier d’illustration – aujourd’hui communication visuelle et graphique) se sont d’abord fait remarquer par une série de photographies documentant les abords de boîtes de nuit belges, prises en plein jour. Ces images soulignaient les effets de pacotille, d’étrangeté ou, à l’inverse, le caractère domestique de ces espaces de sorties. Pour cette exposition, ils proposent une installation inédite où culture savante et culture populaire fusionnent. Là où la pompe à bière rencontre l’histoire de l’art et le surréalisme.

CHRISTOPHE VEYS


Jamais assez, toujours trop ; toujours assez, jamais trop. Un entretien de Thibaut Blondiau et Jérôme André (DSCTHK) avec Christophe Veys

— Christophe Veys : Comment ont réagi vos parents le jour où vous leur avez annoncé vouloir faire des études artistiques ? Thibaut Blondiau : Ce sont eux qui m’ont suggéré de me diriger vers des études artistiques, mais à Mons, après une année d’études un peu fantaisiste à Bruxelles. Jérôme André : Ils étaient ravis. Ton lieu de naissance a-t-il influencé ta façon de voir l’art ? T.B. : Sûrement. J’ai passé mon enfance à Frameries, pas vraiment un village, ni vraiment une ville, juste une bonne boulangerie au coin de la rue, un cinéma où la pellicule brûlait lors des projections, une salle des fêtes avec des fêtes qui se terminaient en bagarre. Surtout des espaces vides, des non-lieux, traversés quand je promenais mon chien. Mais une maison familiale accueillante pour les amis. J’ai aussi passé pas mal de temps à loger chez un ami le vendredi soir, au-dessus du bureau de tabac de la place de Mons. Tout était déjà là. Dans votre famille, l’art, ça signifiait quoi ? T.B. : C’était juste là, autour de nous, sous diverses formes, on n’en parlait pas vraiment mais c’était présent. 44


DSCTHK

Mon père était photographe amateur. Il y avait une chambre noire à la maison. Il y passait ses soirées, ses weekends, enfermé. J’étais entouré de photographies, de magazines photo. On fréquentait pas mal d’artistes et d’artisans. Donc on allait à des expositions, un milieu un peu folk. J.A. : Je n’ai pas passé mon enfance au milieu d’œuvres d’art. Nous n’allions jamais au musée. J’ai découvert mon premier tableau lors de mon premier cours d’histoire de l’art, en secondaire. Ça devait être un Renoir. Quel métier font vos parents ? T.B. : Ils étaient tous les deux enseignants dans l’enseignement spécialisé. J.A. : Mes parents étaient entrepreneurs en décoration d’intérieur. Il y avait toujours chez eux le souci d’un travail de création bien fait. J’ai le souvenir qu’ils voyageaient parfois et que toujours ils ramenaient de nouvelles formes et de nouvelles idées pour leur travail. Vos études secondaires, vous les avez faites dans une filière artistique ? T.B. : Non, enfin assez tard. Mais petit, je dessinais beaucoup. Ou plutôt je copiais des personnages de BD, de Schulz, de Mordillo, … J.A. : Oui, à Saint-Luc Tournai. Thibaut, dans quel état d’esprit as-tu intégré l’école, qui à l’époque ne s’appelait pas encore ARTS² mais Académie des beaux-arts de Mons ? T.B. : Je n’avais pas vraiment de but précis, plutôt l’envie d’expérimenter le plus possible, faire de la sculpture, de la sérigraphie, rencontrer des gens, multiplier les collaborations entre les ateliers. Et de voir aussi, grâce à la bibliothèque. Hélas l’Académie n’organisait pas de voyages, et les cours théoriques s’arrêtaient au début du XXe. C’est pourquoi les trois dernières années d’études, je suis allé habiter à Bruxelles, pour voir plus, bouger, sortir aussi. C’est une période où je sortais beaucoup en clubs. Ça aussi, ça m’a influencé. Durant tes études, as-tu beaucoup évolué sur le plan artistique ? T.B. : Serge Lhoir, alors assistant dans l’atelier d'illustration, nous a emmenés une fois à Anvers découvrir le MUHKA, aussi la Zwarte Panter Gallery. Dans sa Golf noire, un voyage non organisé par l’école. Et finalement le seul voyage qu’on ait fait. Un bon souvenir. Il m’a fait découvrir pas mal de choses en art, Martin Kippenberger par exemple. Et aussi en musique, le jazz. À l’Académie, j’allais souvent visiter des copines dans l’atelier de Jean-François Octave, images dans le milieu (IDM©), où il semblait y avoir une bonne dynamique, des gens motivés. Je trainais aussi en peinture, ils m’impressionnaient… C’est une période où je me suis finalement beaucoup amusé. 45


Après vos études, avez-vous connu l’angoisse ? T.B. : Mon travail de diplôme questionnait justement cet avenir incertain après toutes ces années d’études. J’avais construit un mannequin avec un moulage de mon visage et une perruque dans une machine à sous de rue, une sculpture de style « forain » assez réaliste. Avec une bande son sur laquelle ma voix réclamait aux gens une aide pour un jeune artiste. Je l’avais installée dans une galerie commerçante et j’avais filmé les gens qui passaient devant sans y prêter la moindre attention. Au jury idem : installée devant le musée, tous les membres du jury sont passés devant sans la remarquer ni comprendre que ça pouvait être une œuvre. Par la suite ils ont compris, avec la vidéo diffusée dans la salle. Bref, pour moi c’était un projet pour gérer ce stress post-études, aux vertus thérapeutiques sans aucun doute. J.A. : Non, pas d’angoisse après mes études d’Histoire de l’art. Comment s’est faite la transition entre l’école et l’après-école ? T.B. : Avec Jérôme, juste après le diplôme on a monté un voyage à Londres avec l’aide du Bureau international jeunesse (BIJ), pour visiter les prestigieuses écoles d’art – Saint Martins, Goldsmiths College, … – et les pubs aussi. C’était une période assez excitante en Angleterre, avec les Young British Artists, l’expo Sensation. Ensuite le travail photo sur les clubs avec Jérôme s’est mis en place sur notre temps libre. Puis j’ai très vite commencé à travailler à Jeunesse et arts plastiques (JAP), à mi-temps. Là, j’ai vraiment appris beaucoup sur l’art. J’y travaille d’ailleurs toujours et j’apprends encore. Quelle a été votre stratégie d'adaptation au monde réel ? T.B. : Travailler. J.A. : La polyvalence. Et le statut d’indépendant complémentaire. Avez-vous poursuivi dans la même veine artistique que pendant vos études ? Comment s’est passé le basculement de l’état d’étudiant vers celui d’artiste ? T.B. : Au début j’ai continué à faire des collages. Beaucoup de projets, mais sur papier… Puis avec Jérôme on a commencé le projet photographique sur les clubs dès la fin de nos études. Les photos au début, puis on a travaillé sur leurs mises en espace, des architectures, des displays… Ça a commencé à intéresser des gens, cette histoire d’archives du clubbing en Belgique, de mixologie, de bar en bambou. J.A. : J’ai toujours pensé que je ferais quelque chose dans le cadre de l’art. Le bon moment s’est présenté naturellement en travaillant avec Thibaut. Quels ont été les moments déclencheurs de ton parcours ? T.B. : Je dirais : – Le projet photos avec Jérôme dès 1999 (une pensée pour « Sony Junior », son premier appareil digital sans qui on n’aurait rien pu faire). 46


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– La route, tout ce qu’on a vu sur les nationales belges. – Enfin la lente digestion de ces milliers d’images qui nous ont nourris, une archive inépuisable qui nous permet aujourd’hui de réaliser ces installations. J.A. : Chaque moment est important. Chaque moment est déclencheur. Une magnifique chance de réaliser quelque chose. Que signifie pour vous « vivre de son art » ? T.B. : Je ne sais toujours pas. J.A. : On n’a toujours pas gagné une thune. En tant qu'artiste, comment vous vous définiriez ? T.B. : Dilettante. J.A. : Prendre la balle au bond. Comment créez-vous ? Avez-vous des habitudes, peut-être des rituels ? T.B. : Constituer un « univers » d’images de toutes sortes. Spammer d’idées la boîte e-mail de Jérôme. Parler, boire, rire, … recommencer. J.A. : Rien à ajouter, sinon que chaque projet constitue un super débat. Que souhaitez-vous montrer / démontrer à travers l'art ? T.B. : On crée des lieux, des situations où les gens peuvent se rencontrer, échanger des souvenirs, des histoires. Évoqués et provoqués par nos pièces. Ça touche au relationnel. J.A. : Le plaisir que l’on peut avoir de réaliser quelque chose, quelle qu’elle soit. Il faut vivre comme on pense, disait l’autre, sinon tôt ou tard on finit par penser comme on vit. L’art est à la fois dans la cuisine, dans la pêche, dans le jardinage… T.B. : … et dans le frigo. J.A. : Je souhaite à tout le monde de faire de l’art. Y a-t-il eu un moment-clé dans votre production artistique, une bascule ? T.B. : Construire un bar, élaborer des cocktails de bière, et faire passer ça pour de la performance. J.A. : Chaque projet est une bascule. Une œuvre a-t-elle bouleversé votre vision de l'art, un événement ? Un artiste, un mouvement vous inspirent-ils ? T.B. : – Une expo de Jan Fabre au Stedelijk Museum, en 1995 je crois. – Le Folk Archive de Jeremy Deller et Alan Kane. – Les « radicaux » italiens en architectes de discothèques (mais en architecture, je suis assez fasciné par l’univers de Carlo Mollino). – Une carte postale achetée à Cologne au mur chez moi depuis toujours : Gift und Gegengift de Gerhard Vormwald. 47


– Beaucoup de lieux de folklore m’inspirent, comme par exemple les bars de St. Pauli, le carnaval, les clubs allemands, les contrastes d’Ibiza. Je traîne aussi beaucoup sur les sites web nostalgiques des raves et autres clubs de la fin des années 80-90… – Sinon j’aime La femme au chapeau noir de Félix Vallotton. J.A. : Nous avons vu cette expo de Fabre au Stedelijk ensemble, Sensation à la Royal Academy, Fischli & Weiss à Paris, récemment Tino Seghal au Palais de Tokyo. La jeune fille à la perle à la Mauritshuis quand j’avais 16 ans. Avez-vous une définition personnelle de l'artiste ? T.B. : Non mais j’aime quand Rosa, ma compagne, en parle. Elle a toujours plein de définitions assez croustillantes sur les artistes et ce petit monde. J.A. : J’aime bien l’idée d’un entrepreneur. Pensez-vous que les artistes francophones / wallons sont assez soutenus par les pouvoirs publics, ou peut-être trop soutenus ? T.B. : Jamais assez, toujours trop. J.A. : Toujours assez, jamais trop. Que pensez-vous du marché de l'art ? T.B. : Je n’y pense pas vraiment, mais je le vois comme un système économique, politique. J.A. : C’est l’acheteur qui fixe le prix. Quels rapports entretenez-vous avec les galeries ? T.B. : Je visite beaucoup de galeries, j’aime leurs ambiances. Je porte aussi beaucoup d’attention à leur mobilier ; dans les foires, les chaises, le bureau, … J.A. : Cordiaux. Vous imaginiez-vous un jour exposer dans ce Musée des beaux-arts de Mons ? T.B. : J’y ai déjà exposé lors de mes jurys, quand il était bien plus beau ! J’adorais vraiment ce musée, il y avait de la lumière, un grand escalier tournant, des espaces, des matières. Ce doit être mon premier musée visité aussi… J.A. : Non, j’y étais plutôt habitué comme historien de l’art et comme modeste curateur. Pour le catalogue, nous faisons réaliser le portrait des artistes dans leur espace de travail. Quelle relation entretenez-vous avec cet espace ? T.B. : On n’a jamais eu d’atelier. Pour le shooting photo, on a choisi l’arrière du musée, là où les jeunes se retrouvaient à Mons à l’époque. Dans quelle mesure l’espace de travail conditionne-t-il votre production ? T.B. : On travaille principalement dans les débits de boisson. Ou à bord de la voiture. Mais souvent sur ma grande table à manger, le mardi soir. 48


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J.A. : Je pense que nous modulons et transformons toujours l’espace. L’environnement métaphorique est toujours au cœur de notre travail. Quel est votre rêve le plus fou, en tant qu’artistes ? T.B. : Ouvrir un chiringuito sur une plage… Mais avant, Jérôme m’a parlé de Venise. C’est son côté romantique, j’imagine. Quelle est la question que vous aimeriez que l'on ne vous pose pas ? T.B. On rentre ? J.A. : Je confirme. Quelle est la question que vous aimeriez que l'on vous pose ? T.B. : On reste encore un peu ? J.A. : Je confirme. Parlez-moi de votre projet pour l’exposition et des œuvres qui le constituent. T.B. : La salle développe la réflexion entamée lors de notre dernière expo à Cologne sur les élites, les VIP, les « choisis » qui ont accès à un lieu, à un événement, à un privilège (d’une certaine façon comme nous pour cette expo)… C’est pourquoi on a voulu la scénographier comme un club privé, un lobby avec des portraits officiels de la ville de Mons choisis dans les collections de l’Artothèque. Cette série de portraits s’est imposée naturellement lors de nos visites. Il y a aussi une série de photos glanées sur le net : des portiers, les gardiens du temple, de la discothèque qui finalement font presque partie intégrante de son architecture, ce sont eux qui autorisent l’accès, qui garantissent la fête à venir. Et puis, comme toujours, on court-circuitera tout cela avec une touche de folklore, et des collaborations qu’on aime multiplier avec notamment ici des affiches réalisées avec le bureau de graphisme Überknackig. Ces affiches annoncent une soirée après le vernissage qui se tiendra dans un bar de Mons, une institution de la nuit. Enfin on aimait l’idée d’un objet, d’un mobilier hybride entre le bar et la vitrine, conçu pour un musée, un point où se réunir avec les autres artistes, le public, retrouver de vieilles connaissances, partager un produit, … et célébrer ! J.A. : Tout est parti du choix dans les collections. Nous avons invité les personnes les plus importantes que nous avons pu rencontrer. Notre guest list, select, gratifie les personnes qui visiteront notre lieu. Parmi les VIP, chacun se reconnaitra possiblement comme très important. Nous travaillons sur des éléments catalytiques toujours clairement identifiables, pour qu’ils puissent fonctionner : les médailles, les dorures, l’ambiance tamisée, les cacahuètes, les crochets pour abandonner sa veste, sous l’œil bienveillant des sorteurs. — 49


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DSCTHK 1998 - 2017 (sĂŠrie en cours) Photographies


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DSCTHK 1998 - 2017 (sĂŠrie en cours) Photographies


Inside Out 2013 Vues de l'installation Hekla Galerie, Bruxelles

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Maison de Cocktails 2014 Performance mobilière Le Confort Moderne, Poitiers


Série Discothéquisme (2012) Design September – Recyclart, Bruxelles

Private Emporium Série Giardini Collage, papier de verre, boitier en plexiglas

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Messy Morning Photographie Warp Acier larmé plié


Thuinderdome 2015 Commande publique Fluide, Thuin

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Year 13 2013 Couvertures intérieures d'après archives (6 sur les 12) Design : Überknackig


Nous serions heureux de vous compter parmi nos amis 2015 Vinyle adhésif imprimé Vitrine JAP – Galerie Rivoli, Bruxelles

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Plage arrière 2016 Vues de l'installation (bureau – dancing) Space, Liège


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< pp. 62-63 Plage arrière 2016 Vue de l'installation Space, Liège

Plage arrière 2016 Détail de l'installation (métallisation d'objets trouvés) Space, Liège

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Vidange 2016 Vinyle montĂŠ sur dibond, photographie, bĂŠnitier (coquillage), huile de vidange


Up Close, Nothing Personal 2016 Vue de l'installation Melange Gallery, Cologne

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Ter Kameren, 4 2012 Photographie



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Sébastien Lacomblez (1983, diplômé en 2009 de l'option arts numériques) est un artiste qui n’hésite pas à développer de nombreux projets sur différents territoires, qu’il s’agisse de la direction artistique pour le Bouwmeester de la Ville de Charleroi, de la marque d’accessoires Espèces en compagnie de Marie Artamonoff, ou du projet OPTIMUM PARK™ qui fut notamment présenté dans des espaces aussi prestigieux que le BPS22 ou le Palais de Tokyo. On trouve parmi ses intérêts saillants les questionnements liés à l’humanité et l’animalité et donc, par extension, des notions comme l’artificiel et le naturel. Diverse, sa pratique a pourtant comme principe de toujours se poser dans ce que l’on pourrait appeler l’espace de l’incertain. Pour cette exposition, il propose une mise en espace qui interroge ce que l’on a pu appeler à la Renaissance Naturalia et Mirabilia – fruits du travail de la nature ou de la main des hommes. Il y convoque différents objets contemporains, qu’ils soient readymades ou produits par ses soins.

CHRISTOPHE VEYS


J'aimerais former des artistes paysans ; l'étape suivante consisterait à développer un gouvernement. Un entretien de Sébastien Lacomblez avec Christophe Veys

— Christophe Veys : Ton lieu de naissance a-t-il influencé ta façon de voir l’art ? Sébastien Lacomblez : Je suis né à Lobbes et j’ai grandi à Thuin, dans le bassin de vie de Charleroi. Il va sans dire que ça a eu une influence sur ma représentation du monde, sur ma sensibilité. Outre une part de déterminisme génétique, nous sommes tous en grande partie conditionnés par nos environnements. Je ne suis pas un cas à part. À Thuin il y avait un grand jardin assez sauvage. Il était situé à la lisière d’un bois. J’ai passé beaucoup de temps à y rechercher des traces de vie, en particulier celles de l’herpétofaune (batraciens, ophidiens, lézards, etc.). Je n’ai jamais été véritablement attiré par les mammifères auxquels je préfère l’altérité plus forte de ces mal-aimés. Nous allions souvent en ville, c’est-à-dire à Charleroi. Notre voiture traversait ce que nous appelons maintenant la Porte Ouest, la zone (post)industrielle. À l’époque de nombreuses usines fonctionnaient toujours. Le paysage de rouille et de béton puait l’œuf pourri. J’avais l’impression de passer dans un parc d’attraction géant, interdit. Maintenant je pense à Stalker de Tarkovski, à La Zone. En 1994, avec notre école, nous nous sommes rendus au Palais des beauxarts de Charleroi pour l’exposition Turner. Je pense qu’il s’agit d’une de mes premières confrontations à l’art en dehors des tableaux (souvent mauvais) qui 72


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meublaient les intérieurs que je fréquentais. En 1993 sortait Jurassic Park. Ce film m’a probablement plus influencé que Turner ne l’a fait. Dans ta famille, l’art, ça signifiait quoi ? Nous n’avions pas un véritable rapport à l’art tel que vous l’entendez. Cependant mon grand-père, Robert Libert, était un collectionneur d'objets glanés sur les brocantes. Il m’a transmis ce vice. J’ai d’ailleurs passé beaucoup de temps avec lui sur les marchés aux puces. Nous en visitions plusieurs chaque week-end, durant des années. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à m’intéresser aux objets, à leurs fonctions, à leurs histoires. Je collectionnais le matériel médical, en particulier ce que l’on appelle des « canards ». Il s’agit d’abreuvoirs à bec destinés aux malades. Cet étrange hobby m’est venu du fait que nous fréquentions l’ancienne supérieure hiérarchique de ma grand-mère qui était infirmière. Yvette Brogniez – chef de service au Rayon de Soleil, un hôpital abandonné dans les années 80 – organisait des expositions sur l’histoire de la médecine. Les parents de mon grand-père avaient émigré en Normandie durant la seconde guerre mondiale. Du coup, tous les ans, nous allions en vacances dans cette région. Je me suis passionné pour le matériel militaire à cette époque et nous visitions tous les musées liés au débarquement. Comme beaucoup de garçons j’étais fasciné par la guerre sans savoir ce que cela signifiait réellement. Au final j’ai plus d’affinités avec l’œuvre au sens large qu’avec l’œuvre d’art en particulier. J’aime d’ailleurs beaucoup la définition qu’en donne Wikipédia : « Une œuvre (du latin opera : « travail ») est l'objet physique ou virtuel résultant d'un travail anthropique, c'est-à-dire réalisé par l'homme, ou plus généralement d'interactions naturelles. Plus prosaïquement, c'est aussi un synonyme d'ouvrage, c'est-à-dire le travail et son résultat, produit par l'ouvrier, par extension, celui de l'artisan ou de l’artiste. » Je collectionne toujours des objets et en particulier ceux qui questionnent la frontière entre l’artefact et les produits de la « nature », du hasard. Je possède notamment plus d’une centaine de pyrites de Navajun. Ces pierres sont tout à fait extraordinaires. Il s’agit de cubes sauvages. Tes études secondaires, tu les as faites dans une filière artistique ? Tout à fait, j’étais en techniques artistiques. Il s’agissait d’une section poubelle où atterrissaient ceux qui n’avaient pas d’affinités avec les matières conçues comme nobles comme les langues et les mathématiques. L’option, comme les autres n’appartenant pas aux filières « générales », était ouvertement considérée comme inférieure par la direction qui affichait ses opinions en matière de hiérarchisation des études. Ces personnes me répugnaient même si au fond elles n’étaient que le fruit pourri d’un système de pensée généralisé. 73


Avec le recul je commence à penser qu’il s’agissait d’une bonne chose pour mon développement personnel. Ça m’a renforcé. Je supporte assez bien le conflit désormais. Ça a par ailleurs contribué à me convaincre du fait qu’il est important de s’engager dans la vie collective afin de tenter d’en améliorer les structures. C’est pour ça que je préfère passer plus de temps sur les problématiques de design liées à ma mission avec le Bouwmeester de Charleroi, plutôt que de développer une pratique artistique centrée sur elle-même. Il faut veiller au grain. Comment es-tu arrivé à ARTS² ? J’étais évidement immature et ne possédais pas les outils intellectuels me permettant de faire de véritables choix. Je suis arrivé un peu par hasard, sur le conseil d’un professeur intérimaire durant ma dernière année scolaire. J’avais peur de finir à l’usine. Je pense que j’ai eu de la chance. Après tes études, as-tu connu l’angoisse ? Certainement et j’espère ne jamais en être à l’abri. Le danger est un moteur d’action. Quelle a été ta stratégie d'adaptation au monde réel ? J’ai décidé de ne pas me spécialiser. Je préfère être un pigeon plutôt qu’un colibri, un rat plutôt qu’un koala. Un organisme opportuniste a plus de chance de faire souche, surtout dans un environnement difficile et changeant. As-tu poursuivi dans la même veine artistique que pendant tes études ? J’étais déjà très actif durant mes études. J’organisais des soirées, j’expérimentais des processus. Le cadre d’une option ne me suffisait pas. J'étais un fan de techno et de cyberpunk. J'adorais les films tels que Tetsuo (Shinya Tsukamoto, 1989) et Videodrome (David Cronenberg, 1983). J'étais fasciné par la relation entre la chair et l'acier, les corps qui se transformaient pour ne faire plus qu'un avec leurs extensions techniques (des amas d'acier, des armes). L'art devenait un moyen d'agir sur le monde, d'accélérer l'avènement de ces phantasmes. Je voulais modifier le réel et non me retrouver dans des galeries. D'ailleurs L'Entreprise d'Optimisation du Réel est le collectif que nous avons fondé avec les co-auteurs d'OPTIMUM PARK™. Depuis, mes centres d'intérêt ont migré. Néanmoins je ne serais pas où j'en suis sans avoir pu développer cet imaginaire. Comment s’est passé le basculement de l’état d’étudiant vers celui d’artiste ? Lors de mes études, j’ai eu l’occasion de participer à une semaine de séminaires traitant du courant appelé Bio-art. Les artistes liés à cette tendance utilisent comme « médium les ressources plastiques offertes par les biotechnologies ». Ça m’a passionné. 74


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Cette formation m’a donné l’occasion d’échanger avec les intervenants au sujet de mon intérêt pour l’élevage et en particulier pour la création d’hybrides que je commençais à expérimenter avec les serpents. À l’époque, j’étais troublé par le fait que certains produits d’hybridation étaient fertiles. Ceci contredisait la définition de la notion d'espèce. Bien que ma pratique était relativement low-tech, le propos a intéressé une curatrice présente qui m’a proposé d’exposer des serpents. L’expo s’est déroulée à l’automne 2009, juste à la sortie de mes études. On m’a offert le voyage, l’hôtel, le couvert et un cachet. Ça m’a plu. Quels furent, pour toi, les moments déclencheurs de ton parcours ? Tout n’est qu’un renforcement constant qui écrit le projet en temps réel. Et les moments de visibilité importants dans ton travail ? J’ai participé à des projets dans quelques lieux prestigieux. J’ai (co)organisé des soirées avec des artistes qui m’avaient profondément influencé tels que Dopplereffekt (groupe électronique mythique connu pour son album Gesamtkunstwerk, « œuvre d’art total » en allemand). Étrangement j’ai toujours la même impression après un moment comme ça. Une sorte de grand vide, comme si c’était la fin. De fait j’arrête souvent de m’impliquer dans un domaine quand j’ai passé un cap. Je passe à autre chose. En ce moment je rêve de jardins. Que signifie pour toi « vivre de son art » ? Ne pas être dépendant de béquilles sociales. Sauf au début afin de démarrer l’activité lorsqu’on ne dispose pas des capitaux nécessaires. En tant qu'artiste, comment tu te définirais ? Je préfère le designer à l’artiste. Je suis un pragmatique. D’ailleurs je suis convaincu qu’il faut toujours être prêt à négocier avec le diable si nous ne sommes pas en position de l’écraser. Je travaille avec les politiques et j’apprécie l'art de la guerre. Que souhaites-tu montrer ou démontrer à travers l'art ? L’art c’est l’équivoque. L’art ne peut rien démontrer. Y a-t-il eu un moment-clé dans ta production artistique, une bascule ? Une œuvre a-t-elle bouleversé ta vision de l'art ? Je n’aime pas citer Deleuze mais je me souviens d’une phrase qui m'a marqué dans Mille plateaux. Ça devait dire à peu près ceci : « On n'écrit pas un livre seul. On écrit un livre à 1.000.000. On écrit un livre en ayant en tête les écrits d’autres qui ont en tête les écrits d’autres ». 75


Penses-tu que les artistes francophones / wallons sont assez soutenus par les pouvoirs publics, ou peut-être trop soutenus ? L’état doit revaloriser l’artisanat et la technique afin de développer une capacité de résilience plus forte au sein des systèmes locaux. Ceux-ci seront probablement amenés à se déstabiliser prochainement avec la fin du pétrole bon marché. Il faut éduquer à la sensibilité mais je ne pense pas que les disciplines artistiques traditionnelles soient une priorité en la matière. Il serait plus utile d’avoir des agriculteurs et des soldats sensibles. J’aimerais former des artistes paysans. Le dépassement du paradigme nature / culture est assez intégré à présent. Pour ma part je commence à rêver d’un art qui imprègne réellement le quotidien. Or le réseau artistique dominant fonctionne en écosystème fermé sur lui-même. L’eau stagne. Ce n’est pas bon. Que penses-tu du marché de l'art ? C’est un marché de la décoration prétentieux. Il peut cependant s’avérer utile pour maintenir l’artisanat pointu. Quels rapports entretiens-tu avec les galeries ? J’y vois un moyen de gagner de l’argent. C’est donc utile. Peux-tu nous éclairer à propos des œuvres que tu présentes dans l’exposition ? Jacques Monod évoquait, déjà en 1970, dans l’introduction de son essai Le hasard et la nécessité, l’impossibilité de distinguer avec des critères strictement objectifs, les objets naturels des artéfacts produits par la culture humaine. Au premier abord, il semble pourtant évident qu’une pierre, un arbre, un brouillard sont des objets naturels alors qu’un stylo, une photographie et un livre sont des objets artificiels. Afin de prendre de la distance par rapport à cette représentation, Monod imagine un dispositif fictif censé détecter les produits de l’activité projective d’une conscience extraterrestre. Un programme installé sur un vaisseau doit reconnaître ces objets quand bien même ils seraient radicalement différents de ceux produits par nos civilisations terriennes. Pour ce faire, le programme se base sur des critères très généraux et objectifs ne faisant nullement référence à d’éventuelles fonctions. Il s’intéresse uniquement à la structure et à la forme des objets observés. Le programme doit analyser des cristaux et il se plante en les classant dans la catégorie artificielle… Je vais me charger de récolter une série d’objets qui pourraient paraître ambigus pour le robot théorique. Ces objets seront classés. Il s’agira d’une première esquisse du Musée néo-nature. Nous avons choisi pour le catalogue de faire réaliser des portraits dans l’espace de travail. Quelle relation entretiens-tu avec cet espace ? Y en a-t-il eu 76


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d’autres entre l’école et celui-ci ? Dans quelle mesure l’espace conditionne-t-il ta production ? Je n’ai pas d’atelier au sens classique du terme. Je travaille sur n’importe quel bureau avec mon ordinateur, qui est le seul outil que j’utilise au quotidien. Mon portrait a été réalisé au Musée des sciences naturelles. Quel est ton rêve le plus fou, en tant qu’artiste ? Réaliser un néo-Musée des sciences naturelles. Il s’agirait d’y mélanger nos artefacts aux objets dits naturels. Il contiendrait également un zoo. OPTIMUM PARK™ y fonctionnerait en tant que sas d’entrée et permettrait de conditionner les sujets afin qu’ils puissent sortir transformés. L’étape suivante consisterait à développer un gouvernement.

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CT_t 2016 - 2017 Tapisseries en laine 180 x 180 cm


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Landscapes (art génératif) 2016 Photographies 100 x 100 cm

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Plasticité d'un paradoxe 2011 Photographies de serpents gelés 100 x 100 cm


« Vous serez guidé par le Système pour accomplir une série d’opérations ! Le Système veut le meilleur pour vous, il s’adresse à vous et vous encourage. Quittez vos habitudes, respirez… et préparez-vous à être Optimisé ! » Conçu par Sébastien Lacomblez et l'Entreprise d'Optimisation du Réel, OPTIMUM PARK™ a été créé en 2013 au BPS22 puis présenté à l’automne 2016 au Palais de Tokyo (Paris). On peut au minimum le définir comme une expérience collective : « un dispositif expérientiel participatif », « une forme hybride tenant autant du laboratoire que de la rave party », « Un laboratoire d’art et de rencontre dont vous êtes le cobaye ». Le site internet officiel le décrit comme suit : « OPTIMUM PARK™ est un dispositif expérientiel visant l'optimisation totale de ses participants. Ouvert à tous et conçu pour ne laisser aucune place au spectatoriat, il catalyse des actions favorisant l'amélioration des performances individuelles et sociales. Champ hétérogène d'expériences, il ouvre autant de brèches dans la réalité : sa promesse est multidimensionnelle. Contre l'appauvrissement des matrices quotidiennes, il promet par la transe sans transe, ou l'ivresse sans ivresse, une perception extatique et ultrasensible du réel sans réel. » Conception & coordination : Sébastien Lacomblez. Avec l'Entreprise d'Optimisation du Réel : Sébastien Biset, Emmanuel Pire, Leslie Mannès, Antoine Boute.

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OPTIMUM PARK TM 2013 - 2016 Algorithme et matériaux divers dont humains Réalisé avec L'Entreprise d'Optimisation du Réel


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OPTIMUM PARK TM 2013 - 2016 Algorithme et matériaux divers dont humains Réalisé avec L'Entreprise d'Optimisation du Réel


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Sangs mĂŞlĂŠs 2009 - 2017 (travail en cours) Animaux issus d'hybridations successives En collaboration avec Christos Skliris


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Hell’O est un collectif composé de deux personnalités, Jérôme Meynen (1980) et Antoine Detaille (1980, qui fit ses trois premières années dans l’atelier de dessin et obtint son master dans l’atelier IDM© en 2007). Le collectif, autrefois connu sous le nom de Hell’O Monsters, comptait à sa création fin des années 90 quatre artistes issus de la scène graffiti de la région de Mons. Leur univers fait se côtoyer le lugubre et le ludique, l’absurde et le tragicomique. Leurs personnages se sont petit à petit forgés une solide réputation aux quatre coins du globe, dépassant très largement les limites de l’art urbain. Le collectif réalise autant des œuvres murales que des œuvres sur papier ou sur toile – dans lesquelles se révèlent probablement plus directement leur goût pour les motifs et leur passion pour la couleur. Pour cette exposition, le collectif propose une composition inédite constituée de différents dessins posés dans une rythmique de palissades, où les tailles et les supports s’entremêlent joyeusement.

CHRISTOPHE VEYS


Des heures passées à apprendre, dessiner, flâner à la bibliothèque, rester à l'atelier jusqu'à ce qu'on te chasse car l'école doit fermer. Un entretien d'Antoine Detaille (Hell'O) avec Christophe Veys

— Christophe Veys : Comment ont réagi tes parents le jour où tu leur as annoncé vouloir faire des études artistiques ? Antoine Detaille : À cette époque je faisais un peu n'importe quoi. J’étais adolescent. J’y suis arrivé un peu par hasard parce que, d'après ce qu’on m’en disait, c'étaient les études où il fallait le moins bosser et ça m’arrangeait bien. Ton lieu de naissance a-t-il influencé ta façon de voir l’art ? Je suis né à Tournai et j’ai grandi à Péruwelz (entre Mons et Tournai). La culture ne semblait pas être au centre des préoccupations des gens du coin. Mais dès mon plus jeune âge, je dessinais. Vers l’âge de 10 ans, j'ai arrêté pour le sport, qui m'occupait beaucoup. À l’adolescence, via la découverte de la culture hip hop et le graffiti, j’ai eu l'envie de m’y remettre. Dans ta famille, l’art, ça signifiait quoi ? Je suis issu de la classe moyenne. Mes parents travaillaient tous les deux, ma mère en tant que femme de ménage tandis que mon père, lui, était routier. 94


HELL'O

Pour eux, l’art se résumait à Picasso. Ce n’était certainement pas leur centre d'intérêt principal. Tes études secondaires, tu les as faites dans une filière artistique ? Oui, j’étais élève dans le secondaire aux beaux-arts de Tournai puis à Saint-Ghislain. Comment es-tu arrivé à ARTS² ? À la fin de mes études secondaires aux beaux-arts de Tournai, et totalement immergé dans la sphère du graffiti, j'ai voulu continuer dans l'artistique pour le côté stimulant mais sans but précis. Une fois inscrit à Mons, j’ai évolué aussi bien sur le plan technique, en assistant aux cours de sculpture qui étaient pour moi une pratique inconnue, que sur le plan théorique avec de très bons profs qui avaient des cours et des discours sur les arts qui donnaient envie de toujours être présent et d'apprendre. Cette exposition a pour fil conducteur ARTS² (à l’époque ESAPV). Peux-tu me parler de ce que furent tes années en tant qu’étudiant dans l’établissement ? Les plus chouettes de toute ma scolarité, des belles rencontres profs / étudiants et des heures passées à apprendre, dessiner, flâner à la bibliothèque, rester à l'atelier jusqu’à ce qu’on te chasse car l'école doit fermer ses portes, c'était très agréable. Après tes études, as-tu connu l’angoisse ? Non, jamais. J'ai eu une bonne étoile depuis ma sortie de l'école. J'ai toujours eu, avec le collectif surtout, des opportunités. Et plus le temps passe, plus nous en avons. C'est assez stimulant. Quelle a été ta stratégie d'adaptation au monde réel ? Je savais que ça n'allait pas être simple en sortant. J'ai donc anticipé ma sortie et j'ai commencé à participer à des concours artistiques (le Prix du Hainaut par exemple) durant mes deux dernières années d’études. Ils m'ont permis d'être repéré et pris au sérieux. Mais internet a été l’arme la plus efficace, il assurait une visibilité très simple. C’était un vrai plus. As-tu poursuivi dans la même veine artistique que pendant tes études ? Oui, dessins et peintures. Je n'ai jamais vraiment été voir ailleurs. Comment s’est passé le basculement de l’état d’étudiant en art vers celui d’artiste ? Comme je le dis plus haut, je suis assez chanceux et motivé. Du coup, je n'ai jamais rien fait d'autre que de peindre, dessiner et préparer des expositions depuis ma sortie de l'école. 95


Quels furent, pour toi, les moments déclencheurs de ton parcours ? Ma connexion avec le graffiti, et le dessin par la suite. L’évolution sous la forme d'un collectif d'artistes (originellement de quatre acteurs et aujourd’hui sous la forme d’un duo) et le côté stimulant de ce collectif ont été les véritables éléments déclencheurs. Que signifie pour toi « vivre de son art » ? Se lever chaque matin en sachant que ce qu’on aura en main de 10 heures à 18 heures, c'est un crayon ou un pinceau. Si tu passes plus de la moitié de ton temps sur autre chose qu’une toile, un dessin, un mural, un ordinateur, ou toute autre chose liée à la création, tu ne peux pas te considérer comme quelqu'un vivant de son art. En tant qu'artiste, comment vous définiriez-vous ? On se nomme plasticiens avec le collectif la plupart du temps. Ça englobe la totalité de nos activités – peintures, dessins, sculptures, murals, graphisme. Comment créez-vous ? Avez-vous des habitudes, peut-être des rituels ? On est proches du gars qui bosse à l’usine. C'est lundi vendredi, 10 heures 17 heures (ou presque) pour ce qui est des horaires. On ne travaille jamais la nuit. On passe vraiment la majeure partie du temps dans notre atelier situé à Molenbeek. Nous n’avons pas vraiment de rituels. On a un « planning » et en fonction de ce qu'on a à faire, on discute, produit, fignole, … Mais sans le faire de manière machinale. Nous sommes deux, on sait qui fait quoi. Après douze ans ensemble, c’est assez facile et efficace. Je sais qu’on doute chacun de son côté mais le fait d'être un binôme nous aide beaucoup. Quand l’un a une baisse de régime, l’autre donne du sien et inversément. Que souhaitez-vous montrer / démontrer à travers l'art ? Le plaisir de créer. Rien d'engagé. De l'esthétisme allié à de la poésie, de l'humour, noir parfois. Et l’illusion que nos œuvres créées à quatre mains paraissent être celles d’un seul artiste. La cohésion ! Y a-t-il eu un moment-clé dans votre production artistique, une bascule ? Notre exposition au Palais des beaux-arts de Bruxelles en 2008 dont la curatrice était Nancy Cassielles du BPS22. Nous étions encore très jeunes. Nous ne nous attachions qu’à la forme la plupart du temps, des critiques assez négatives l’ont évidemment souligné très vite. Depuis, on s'attache, en plus de prendre du plaisir, à « raconter des histoires ». Une œuvre a-t-elle bouleversé votre vision de l'art ? L'ensemble des œuvres de Jérôme Bosch. 96


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Un événement ? Non. Un artiste ? Beaucoup trop. Un mouvement ? Il y en a beaucoup trop mais, pour en citer quelques-uns : l'art optique, le Pop Art, la BD, le Memphis Group en design, les vanités, l'abstraction géométrique, les gravures animalières des siècles passés… Avez-vous une définition personnelle de l'artiste ? Quelqu'un qui mélange son imagination à tous les instants de sa vie. Que pensez-vous du marché de l'art ? Ça fait peur mais on essaie d’en jouer et de s’immiscer dedans avec nos affinités et notre vision personnelle. Beaucoup disent que c'est un monde qui tourne autour de l'argent mais nous essayons au maximum de travailler avec des gens « vrais » et surtout passionnés. Sinon le marché en lui-même est assez fou. Les prix et les cotes d'artistes sont parfois surréalistes mais, en tant qu’artiste, si tu es bien entouré, tu peux te permettre de ne pas trop y penser et te focaliser sur tes travaux. Quels rapports entretenez-vous avec les galeries ? On a besoin du côté professionnel, bien entendu ; mais aussi qu’une amitié et une confiance s'installent. C'est primordial. C’est d’ailleurs le cas avec notre galerie bruxelloise Alice Gallery. Vous imaginiez-vous un jour exposer dans ce Musée des beaux-arts de Mons ? Non, et on est super contents. On est souvent amenés à travailler à Bruxelles, sauf pour les murals. On est ravis. Peux-tu m’éclairer à propos des œuvres que vous présentez dans l’exposition ? Nous allons créer une installation faite de panneaux de bois peints, une espèce de patchwork assez graphique aux couleurs très vives, sur les murs de l'espace qui nous a été proposé, en mêlant figuration et abstraction. Nous avons choisi pour le catalogue de faire réaliser des portraits dans l’espace de travail. Quelle relation entretenez-vous avec cet espace ? Y en a-t-il eu d’autres entre l’école et celui-ci ? Dans quelle mesure l’espace conditionne-t-il ta production ? Notre atelier actuel est le troisième de notre carrière. Le premier était situé à la Maison d'art actuel des Chartreux (MAAC), dans le centre de Bruxelles. Le deuxième était situé à Anderlecht, dans un espace commun. Pour nous, 97


l'atelier est primordial. C’est là que tout prend forme, il conditionne la totalité de notre travail. Cet atelier étant partagé avec d'autres artistes (sculpteur, bijoutier, paysagiste, styliste, designer, céramiste), c'est l'endroit parfait où règne une énergie basée sur la création. Quel est votre rêve le plus fou, en tant qu’artistes ? Peindre des surfaces de plus en plus grandes et avoir une exposition dans une institution extrêmement prestigieuse, comme le MoMA. Quelle est la question que vous aimeriez que l'on ne vous pose pas ? Qui fait quoi dans le collectif ? Quelle est la question que vous aimeriez que l'on vous pose ? Êtes-vous satisfaits de votre exposition au MoMA ?

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Sans titre 2015 Mural Le lieu unique, Nantes


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Deaf, Dumb and Blind 2013 Vue de l'exposition Alice Gallery, Bruxelles


Modern Ghosts 2 2013 Vues de l'exposition Galerie du Jour Agnès B, Paris


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< pp. 104-105 Modern Ghosts 2 2013 Vue de l'exposition Galerie du Jour Agnès B, Paris

Sans titre 2016 Acrylique sur toile 200 x 160 cm

Sans titre 2016 Acrylique sur toile 155 x 180 cm

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Sans titre 2016 Acrylique sur toile 100 x 120 cm


Sans titre 2013 Mural La Escoseca, Barcelone

Sans titre 2013 Mural Wroclaw

Sans titre 2013 Mural Teenage Kicks, Rennes

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Sans titre 2014 Mural Asphalte#1, Charleroi


Sans titre 2016 Acrylique sur toile 150 x 100 cm

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Sans titre 2016 Acrylique sur toile 150 x 90 cm


Ghosts of the Past 2016 Acrylique sur papier 56 x 76 cm

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Arabian Phone 2016 Acrylique sur papier 56 x 76 cm


Sans titre (couple 3) 2016 Acrylique sur papier 25,5 x 35,5 cm

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Sans titre (couple 13) 2016 Acrylique sur papier 25,5 x 35,5 cm



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La chaise n’a pas été inventée pour elle. Leslie Leoni se lève, arpente la pièce, s’assied un instant, se relève, déplace l’étalage, ajuste une gravure sur le mur, consulte son téléphone, s’assied pour se relever aussitôt. Elle ne tient pas en place, à l’image de ses multiples activités déjà bien engagées durant ses études à l’ESAPV de Mons. Initiatrice de Brock’n'Roll asbl, l’enseigne de sa boutique, atelier et galerie qu’elle a ouvert en octobre 2015 à La Louvière, fidèle à la région qui l’a vu naître où elle a choisi d’inscrire une action qui s’accroît à présent d’une charge de cours d’art numérique à La Cambre. Débordée, elle semble pourtant n’avoir assez d’activités que pour en inventer encore : La Brock’n’Roll Factory qu’elle a créée à La Louvière – une foire de gravure et de petites éditions – a remporté un grand succès et connaîtra une nouvelle date, montrant son désir d’une activité collective. Dans une autre vie, on l’imaginerait volontiers cheftaine d’une meute de scouts, capitaine de mousquetaires ou flibustière menant un équipage tant il y a chez elle cette puissance d’enthousiasme et de conviction qui mène à la suivre. Leslie Leoni semble vouloir déjouer toute définition de son travail, même si le multiple, l’impression et la diffusion sont les mots-clés d’une activité que l’on croirait à tort dispersée. Le lino, le bois, la gomme sont autant que la sérigraphie les matériaux et techniques qu’elle privilégie, composant des motifs puisés dans l’art populaire, les chromos d’album, comme ceux de footballeurs qui, répétés, forment à présent la trame de papiers à tapisser, travail multiforme dont l’apparente simplicité renoue avec la tradition de la gravure sud-américaine ou de l’imagerie populaire ancienne, telle celle de l’image d’Epinal.

XAVIER CANONNE


J'aime échanger, transmettre, parce qu'on m'a beaucoup transmis. Un entretien de Leslie Leoni avec Xavier Canonne

— Xavier Canonne : Comment ont réagi tes parents lorsque tu leur as dit que tu voulais entreprendre des études artistiques ? Leslie Leoni : Assez bien… Même très bien. Mon père visitait des expositions, il était très attiré par tout ça, alors il m’a suivie jusqu’aujourd’hui… Je peux même dire qu’il m’a dirigée vers ça… Il est artiste ? Il dessine un peu mais il est plus porté sur la littérature. On allait voir les expositions ensemble le samedi, c’était un peu mes activités du week-end. Tu es née à La Louvière… Oui. Est-ce que La Louvière, j’entends le milieu artistique louviérois, a pu avoir une influence sur tes choix ? Certainement… Je n’y ai jamais réfléchi. En tout cas je suis une amoureuse de ma ville, j’ai décidé d’y travailler. Qu’est-ce qui te plaît à La Louvière ? Beaucoup de choses… Les gens, l’accueil. Et ces petites cellules artis120


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tiques, le Daily-Bul, le Centre de la gravure, que j’ai côtoyées dès l’école en les visitant… Et puis, très jeune, vers quinze ou seize ans, je me suis vite inscrite aux cours du soir en photo et j’ai fréquenté le milieu artistique louviérois… Qu’allais-tu voir comme expositions avec ton père ? Alechinsky, ses lithographies au Centre de la gravure. Les visites au Musée de Mariemont m’ennuyaient un peu plus car mon père était très intéressé par la porcelaine de Tournai. Moi pas du tout, ce n’est pas très « rock'n’roll » pour un enfant… Je me souviens avoir vu Alechinsky dans des vernissages, très jeune. C’est quand même un type impressionnant quand on est intéressé par la gravure. Et puis j’avais les catalogues comme ceux de Bram van Velde… Quel est ton parcours avant d’arriver à ARTS² ? On m’a vraiment inculqué cette notion de gagner ma vie parce que c’est dans la culture italienne familiale, les enfants sont amenés à s’assumer financièrement. Je me suis donc dirigée vers l’enseignement en faisant un régendat en arts plastiques à Mons. J’ai eu un parcours scolaire très linéaire, assez bonne élève, très rangée. Donc diplômée très jeune et du coup pas envie d’enseigner, de me retrouver avec des élèves qui n’auraient pas eu beaucoup de différence d’âge avec moi. Et puis il y a Kikie Crêvecœur qui me convainc que je dois faire de la gravure par rapport à mon travail, qu’il y a du potentiel pour devenir graveur. Et j’ai fait mon stage d’été chez elle. C’est elle qui m’a convaincue d’entrer à La Cambre. Je suis donc allée à La Cambre dans l'atelier de gravure et illustration du livre, où je suis restée deux ans. Et comment es-tu arrivée à Mons ? C’est la rencontre avec Pol Authom. J’aimais beaucoup La Cambre mais c’était une période où l'option gravure connaissait des difficultés avec des changements de chef d'atelier. Quand j’ai décroché, parce que je sentais que je tournais en rond, j’ai revu Pol Authom dans un vernissage. Il m’a persuadée de reprendre les études et je l’ai suivi à ARTS² où il était chef d’atelier. Et tu avais un but précis ? Non. Seulement celui d’approfondir mes connaissances techniques pour me permettre ensuite des choses plus contemporaines… Je voulais vraiment développer un projet personnel sur une année, et pas en fonction de thématiques ou de contraintes comme à La Cambre. Ici, j’ai eu cette liberté, un atelier, du matériel. Pour un graveur, les premières années sont difficiles sans structure ; il n’y a pas longtemps que j’ai une presse, ce n’est pas donné à tout le monde… 121


Tu as le sentiment d’avoir vraiment évolué sur le plan artistique dans tes années d’étude ? Oui, c’est clair. J’y suis restée aussi deux ans. J’ai été bien accompagnée c’est sûr, mais j’ai aussi toujours été une boulimique de connaissances, de technique. J’ai toujours fait des stages en parallèle, reliure, édition. Je suis une bosseuse, je crois que c’est la seule qualité que je peux me décerner, je n’ai pas de limite, de timing… En tout cas j'ai gagné une liberté que je n’avais pas auparavant, ce qui m’a ouvert beaucoup de portes parce que Pol donnait aussi beaucoup d’informations sur les concours, les expositions… Est-ce qu’il y a eu un moment dans ton parcours où tu t’es dit « Je suis artiste » ? Je ne me le disais jamais ! Je ne me posais même pas la question et je n’avais aucune frustration à ce sujet. Je le dis depuis peu. Au départ ça me dérangeait d’en parler parce qu’au fond, qu’est-ce qui définit l’artiste, à quel moment on l’est ? Je n’en sais rien. Lorsque l’on passe d’une école où on est un peu couvé, avec un atelier, de la chaleur, et puis que l’on est confronté au quotidien… C’est super difficile ! On a un passage à vide qui est nécessaire. On tourne un peu en rond. Avec la structure scolaire on a un timing précis, des jurys, des travaux à remettre, des examens. Et quand on sort, on ne l’a plus. Alors j’ai erré longtemps, en étant active quand même, en faisant des commandes par exemple, et puis je me suis imposé un agenda, très organisé. Et en créant mon atelier, il l’est devenu encore plus. Il y a une responsabilité… Tu es sortie en quelle année ? 2008. Entre 2008 et aujourd’hui, quels seraient les moments-clés de ton travail ? Le projet de galerie à La Louvière. Et puis la Factory… Ce qui est important pour moi, plus que ces projets, c’est de les avoir menés seule. Même si on n'est jamais vraiment seule, je les ai portés du début à la fin. C’est une fierté personnelle, d’autant que ça fonctionne… Tu peux me parler de ta galerie ? L’idée m’est venue de l’ennui de travailler sur ma table de salon. C’est important de laisser les choses en l’état, le carnet de croquis ouvert, de le laisser mûrir dans sa tête autant que devant soi. Et je voulais avoir un espace distinct du lieu de vie. Et puis en visitant cet ancien magasin je me suis dit que je ne devais pas être seule mais plutôt d’y créer une dynamique autour de l’image imprimée. C’est un lieu un peu hybride : boutique, galerie, atelier. Je le mets à disposition avec trois expositions par an. C’est pas facile, je ne suis pas commissaire d’expo122


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sition contrairement à toi. Quand tu me demandais tout à l’heure ce qu’amenait l’école, c’est qu’à travers des gens comme toi, comme Christophe Veys, tu reçois aussi des conseils… Je manquais d’expérience d’organisatrice d’exposition et Christophe m’a un peu mis les balises. J’accueille donc un artiste hors frontière en septembre, une exposition collective en janvier et une exposition individuelle en mai, ce qui permet de restreindre le choix, avec un fil conducteur par année. Il y a une cohérence dans les expositions que tu organises… Oui, c’est par thématiques. La première année c’était une présentation générale de Brock’n’Roll, c’est-à-dire l’édition, la sérigraphie, la gravure… Et ensuite cette année je me suis concentrée sur la gravure sur bois. L’année prochaine ce sera sur le collage. C’est aussi lié aux rencontres que je fais. Je ne veux pas que ce soit quelque chose de figé, contrairement à la programmation des musées par exemple. Je le vois plutôt année par année. Parle-moi aussi de la « Factory » ? C’est un marché de créateurs autour de l’image imprimée, toujours à La Louvière, pour combler ce vide et montrer ces petites choses insolites à La Louvière. Des marchés de créateurs il y en a beaucoup, mais peu sur l’image imprimée sur tous supports. Nous sommes accueillis au Centre de la céramique, donc c’est aussi sur le support céramique. J’ai réuni soixante créateurs, graveurs, sérigraphes, autour de l’image imprimée sur papier, textile, design. Tu as un statut particulier : tu es indépendante, sans support public, tu crées une dynamique culturelle dans une petite ville en collaborant avec ces institutions. Est-ce que tu trouves que les institutions soutiennent assez les artistes chez nous ? Oui, elles sont dynamiques, elles ont des programmations incroyables. Mais l’une des idées de mon atelier était aussi d’offrir plus d’espace à un graveur avant qu’il ne soit renommé, sauf s’il rentre en galerie. Au Centre de la gravure, à part le concours, il n’y a pas d’espace donnant accès aux jeunes graveurs. C’était aussi le but de Brock’n’Roll de donner de la visibilité aux créateurs qui n’en trouvaient pas ailleurs, parce qu’ils sont plus jeunes. Tu as des rapports avec les galeries, le marché de l’art ? On peut dire que je fais mon propre marché de l'art. Pour le reste, j’ai des projets avec la Galerie K1L à Jodoigne qui fonctionne sur le même principe et avec qui j’échange. Dans ton parcours, y a-t-il un moment, un évènement qui t’a bouleversée, un point de départ ? Oui, Alechinsky m’a ouvert à la gravure. Le fait de me trouver devant un 123


personnage « historique ». Dans la salle de réunion du Centre de la gravure, il y a de lui une magnifique eau-forte qui m’a beaucoup marquée. Le fait aussi qu’il imprime sur des papiers récupérés, qui ont une histoire. Mais chaque belle exposition est un point de départ. Si tu devais définir toi-même ton travail ? Houlala ! Je ne saurais vraiment pas ! Tout le monde me dit « ludique », ça me fait bien rire à chaque fois… Je n’en sais rien, je me laisse porter par mes rencontres. Alors oui, je peux travailler sur l’édition, sur une thématique précise, mais définir mon travail je ne saurais pas. C’est peut-être ça mon problème. Pourquoi « problème » ? Parce que du coup c’est moins vendable, parce que moins identifiable. Il y a quand même la notion du multiple. Ce qui me plaît aussi c’est d’avoir, grâce à Kikie Crêvecœur, développé d’autres techniques comme la gravure sur gomme, de travailler le grand format avec le petit format, travailler le motif répétitif, la notion de papier peint me poursuit toujours un peu, faire du grand avec du petit ça me plaît énormément. Je dis ça aussi avec le projet de Brock’n’Roll qui est un petit truc au départ qui a pris de l’ampleur. Au niveau technique ce n'est pas parce que l’on peut faire ça partout que l’on n’est pas lié à du matériel imposant mais je fais beaucoup de récupération. Brock’n'Roll, c’est presque comme un projet d’étudiant. Au départ d'ailleurs, j’ai fait le premier livre avec une étudiante en peinture. C’était l’idée de travailler la micro-édition, de ne pas confectionner beaucoup d’exemplaires. De prendre différents supports pour une même impression. De faire des livres sur une semaine. Lorsque l’on est étudiant, on n'est pas formé pour tenir une galerie, faire des comptes, des papiers administratifs… Ah non, pas du tout ! Comme j’étais bien consciente que c’était nécessaire pour ne pas me casser la figure, j’ai suivi des formations à La Maison du design qui m’a aidée à structurer ça pendant deux ans, comptabilité, contrats, inventaires… Tu es devenue une femme d’affaires maintenant ? Oui, c’est ce qu’on dit ! (rires) Tu avais imaginé un jour exposer au BAM ? Ah non alors, pas du tout ! Je trouve que c’est une très belle opportunité. Ce n’était pas du tout un objectif. Mais d’année en année, j’ai de plus en plus de projets intéressants, de rencontres, à force de bosser… Qu’est-ce que tu vas montrer ? En 2008, à mon jury de diplôme, j’avais fait un travail sur le papier peint. Ça traîne dans ma tête depuis dix ans. Et donc je suis en train de réaliser des 124


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impressions pour du papier peint. J’ai travaillé beaucoup sur la maison que j’habite, une maison des années soixante, sur sa décoration, ses espaces, leur aménagement. Ça m’a ramenée à la notion de papier peint… C’est un peu dans le fil logique. Mais c’est horrible en travaillant si petit d’être confrontée à un si grand espace. Et en même temps c’est génial ! Je vais contourner l’affaire en travaillant le papier peint en grand. Est-ce que tu vas te plier à l’exercice imposé d’intégrer une œuvre ? Je n’en ai pas vraiment choisi. Quand j’ai visité l’Artothèque, je n’ai pas été touchée par la collection à proprement parler mais plutôt par l’organisation, l’archivage et la présentation, par les emballages… Quand j’ai eu ce mot emballage en tête, enveloppe, j’ai eu le déclic du projet. Et puis aussi la question de ces « images-fantômes », les feuilles apposées sur le mur lorsqu’une œuvre est prêtée ou déplacée. Ils appellent ça entre eux des « images-fantômes » cette fiche technique. Ça m’a beaucoup plu. Tu crois que ce sera le point de départ d’un travail supplémentaire ? Ça l’est toujours un peu. À la différence de beaucoup d’artistes, j’adore travailler avec une contrainte, ça m’entraîne vers d’autres directions. J’aimerais bien travailler cette notion d’« images-fantômes » dans le livre, par le vide par exemple. Aussi se préoccuper du cadre vide, le fond devenant l’œuvre en passant sur le mur. Tu vis de ton art ? Oui, assez. Je pourrais ne plus faire de choses annexes, mais je suis craintive, toujours mon éducation familiale. Alors je continue plusieurs choses de front. C’est aussi peut-être la peur de la page blanche, de ne pas avoir l’idée pour une commande. Tu as des rituels dans ton travail de création ? Je suis très nocturne. Je travaille beaucoup quand tout le monde dort. Je suis très active. Je n’aime pas louper un évènement, je bouge beaucoup. Alors la nuit m’apaise parce que je sais qu’il ne se passe rien… c’est horrible de dire ça ! (rires) Depuis que je suis enseignante à La Cambre, je travaille beaucoup le numérique, et ça me plaît beaucoup d’associer les techniques anciennes et les techniques nouvelles, de passer de l’un à l’autre avec les possibilités nouvelles, comme les tests couleurs du numérique qui ne t’obligent pas à mélanger. Mais ça perd peut-être un peu de sa magie. Tu aimes enseigner ? Au début je ne voulais pas, pas dans le supérieur en tous cas, et maintenant je sens que je suis faite pour ça, j’ai acquis cette confiance en moi. J’aime 125


échanger, transmettre, parce qu’on m’a beaucoup transmis. Quand je vois cette étincelle – qui a été la mienne – chez mes étudiants, ça me touche beaucoup… Quel serait ton rêve le plus fou comme artiste ? Avoir une exposition au Centre de la gravure. Tout un étage ! Pour mes cinquante ans (rires), comme Kikie Crêvecœur. Ça me plairait bien. Je ne sais pas si Catherine de Braekeleer, la directrice, serait d’accord ! (rires) Quelle est la question que tu aimerais que je ne te pose pas ? Tu me l’as posée : qu’est-ce qu’un artiste ? Quelle est la question que tu aimerais que je te pose ? Tu m’as posé toutes les questions que je voulais ! (rires) Mais c’est quoi cette question… J’aimerais que tu ne me la poses pas !

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Papier peint 2008 Suite de 15 sérigraphies Prix de la gravure et de l'image imprimée, 18e édition Centre de la gravure et de l'image imprimée, La Louvière


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Atelier mobile 2012 Collaboration avec le Centre culturel régional du Centre dans le cadre de La Louvière, Métropole Culture 2012


Jeu de l'oie 2016 Gravure laser Exposition Illustre, Lorsque des œuvres se racontent – Centre de la gravure, La Louvière

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Trait pour trait 2013 Projet citoyen participatif avec les habitants de Bois-du-Luc destiné à l'Atlas subjectif du Hainaut du point de vue de son patrimoine reconnu par l’UNESCO Réalisé avec Annelys De Vet


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< pp. 132-133 Gravures sur gommes 2007 - 2017 (sĂŠrie en cours)

Estampes 2007 - 2017 (sĂŠrie en cours) 4 x 6 cm


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La plus grande maison du monde 2015 Installation citoyenne participative Réalisée avec Cristina Marchi pour le Centre culturel régional du Centre


Brock 'n' Roll Depuis 2015 Vues de la Boutique / Atelier / Galerie La Louvière

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LESLIE LEONI

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Brock 'n' Roll Factory Novembre 2016 Centre Keramis, La Louvière



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VOID est un collectif constitué d’Arnaud Eeckhout (1987, diplômé de l’atelier IDM© en 2013) et de Mauro Vitturini (1985). Il s’est créé en 2013. La pratique polymorphe de VOID se centre sur des questions liées au son, au sens le plus large du terme. Arnaud Eeckhout et Mauro Vitturini donnent corps au silence, font parler la mémoire des lieux, déploient le langage. Plasticiens fascinés par l’invisibilité du son, ils parviennent à mettre en forme cette absence principalement au travers d’installations sculpturales. Pour cette exposition, VOID propose notamment une spectaculaire installation composée de platines sur lesquelles des vinyles – moulages de différentes textures prélevées dans différents espaces réels, dont certains à Mons – permettent de propager dans l’espace d’exposition la mémoire sonore des fragments.

CHRISTOPHE VEYS


J'avais en tête l'idée de choisir une fonction non-productive au sein de la société ; j'ai donc choisi, avec une méprise telle qu'elle me fait sourire aujourd'hui, la voie artistique. Un entretien d'Arnaud Eeckhout et Mauro Vitturini (VOID) avec Christophe Veys

— Christophe Veys : Comment ont réagi vos parents le jour où vous leur avez annoncé vouloir faire des études artistiques ? Arnaud Eeckhout : J’ai mis du temps à leur annoncer. Mon parcours vers les études d’art a été assez sinueux, avec plusieurs faux départs. Leur réaction fut plutôt neutre mais j’ai senti chez eux une certaine crainte malgré cette neutralité de façade. Mauro Vitturini : Pour mes parents l’important était de choisir une voie et de s'éduquer, peu importait la voie que je choisissais. J’ai toujours ressenti une certaine liberté dans mes choix de vie. Ils m’ont soutenu dans cette voie. Votre lieu de naissance a-t-il influencé votre façon de voir l’art ? A.E. : Je suis né et j'ai passé une partie de mon enfance à Charleroi. Une ville forcément intéressante dans la perspective de vouer sa vie à une recherche autour de la question esthétique, visuelle, de la relation à l’espace, au réel. L’art a toujours été présent mais plutôt sous sa forme musicale. Mon père était un fou de musique, il était marqué au fer rouge par le mouvement punk, ayant grandi dans un milieu ouvrier, peu enclin à la culture et très normé. Never Mind the Bollocks, Here's the 144


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Sex Pistols – et le coup de pied dans l'establishment qui l’accompagnait – avait débarqué dans sa vie comme une libération. Une émancipation terrible, qui passait par la musique. Ma mère était une pianiste classique acharnée, elle avait d’ailleurs pensé en faire son métier. Donc on allait plutôt à des concerts qu'à des expositions. M.V. : J’ai grandi à Rome où on peut dire que l’art, on en a déjà dans son biberon. Néanmoins on peut en ressentir une certaine pression, le poids historique de l’art. Je n’irai pas jusqu’à parler d’un côté dogmatique mais il faut s’extirper et se libérer de tout ça. Cela m’a très vite donné l’envie de prendre le contrepied et de remettre les choses en question. Avec une présence aussi forte, on est quasi obligé de prendre position. Mon père est un artiste amateur touche-à-tout, musicien, acteur. Je pense que ses échecs répétés m’ont donné envie d’aller plus loin. Comme Arnaud, mon environnement familial était plutôt orienté vers la musique, bien qu'il y avait des peintures chez moi, de peintres amateurs de la famille. Dans votre famille, l’art, ça signifiait quoi ? A.E. : Dans ma famille, l’art était perçu assez favorablement, une manière de s'émanciper à différents niveaux. Mes parents étaient respectivement jardinier et infirmière. M.V. : Mes deux parents sont des employés du secteur public. Malgré cela, ils étaient assez bohèmes. C’était un environnement ouvert dans lequel la créativité était perçue de manière positive et même encouragée. Vos études secondaires, vous les avez faites dans une filière artistique ? A.E. : En grande partie dans un collège catholique hyper classique, et mon dernier cycle (5e et 6e secondaire), à la Biche (Saint-Luc) ici à Mons. Par ailleurs, j’ai appris la guitare en autodidacte et fondé à 16 ans un groupe de rock. Nous avons eu l’occasion de sortir plusieurs disques en auto-production. Cette expérience musicale a été importante pour la suite de mes expérimentations artistiques. M.V. : J’ai suivi un cursus secondaire orienté vers les sciences, pour moi une branche très proche de l’art, une autre façon de questionner notre perception du réel. J’avais également un groupe de rock mais l’idée de me lancer dans les arts visuels est née lorsque je suis devenu par hasard l’assistant de l’artiste italien Pietro Fortuna. Avez-vous intégré l'école d'art dans un but précis ? A.E. : Après deux premières années avortées dans l'enseignement supérieur, en traduction interprétation puis en régendat histoire / géographie / sciences humaines, je dois avouer que j’étais perdu. Je recherchais autre chose alors que mes convictions politiques et sociales évoluaient. Sans doute guidé par une forme de nihilisme, j’avais en tête l’idée de choisir une fonction non-productive au sein de la société, de me dédier à faire quelque chose qui n’avait pas d’utilité 145


pour la machine à produire toujours. J’ai donc choisi, avec une méprise telle qu’elle me fait sourire aujourd’hui, la voie artistique. J’ai donc débarqué à ARTS² avec peu d’ambition mais tout de même une énorme envie d’explorer le domaine car j’étais loin d’être à jour, ma référence la plus contemporaine à l'époque étant Andy Warhol. L’évolution fut fracassante et absolument déroutante. M.V. : J’ai étudié à l’academie des beaux-arts de Rome. J’y ai suivi le cursus de peinture… un enseignement très classique de l’art, tant dans sa méthode que dans son contenu. Simultanément, je travaillais au quotidien dans la réalité professionnelle d'un artiste… pas très loin de la vieille méthode du maître et de son élève. Artistiquement, mon regard a beaucoup evolué et j’ai compris en côtoyant l’environnement de Pietro qu’il était possible d’en faire un métier. Il m’a appris que ma seule limite était celle que je me fixais et que peu importe la folie d’une idée, d’un projet, il y a toujours une méthode pour y parvenir. Cette exposition a pour fil conducteur ARTS². Arnaud, peux-tu nous parler de ce que furent tes années en tant qu’étudiant dans l’établissement ? A.E. : Ce fut un grand chamboulement dans ma vie. J’ai rapidement compris que j’avais trouvé ma place, une porte s’était ouverte et il serait impossible de la refermer. L'option où je m'étais inscrit, IDM© était un environnement très excitant et qui, presque instantanément, nous jetait dans la réalité des expositions, des projets. Tout cela est très rapidement devenu une sorte d'obsession, une vraie recherche sur le plan personnel. Grâce à la grande liberté dont j’ai joui à l’atelier, les projets dépassaient le cadre des études pour s'insérer dans le monde « professionnel ». J’ai beaucoup travaillé avec Transcultures, avec Stéphane Kozik. C’est notamment par le biais du festival City Sonic que j’ai rencontré Mauro Vitturini qui deviendrait mon complice dans VOID. Je voyais vraiment l’infrastructure scolaire (professeurs et outils, espaces de travail) comme un soutien pour réaliser mon travail. Après vos études, avez-vous connu l’angoisse ? VOID : L’angoisse est un peu congénitale chez nous, et la fin des études n’a pas vraiment coïncidé avec un pic en la matière. Elle était attendue comme un moment libérateur, une forme de saut dans le réel. Nous avons tous les deux changé de ville pour nous retrouver à Bruxelles et lancer le projet VOID. Ce n’était pas un nouveau départ mais plutôt l’accession à une nouvelle étape du parcours. Une étape nécessaire, très excitante. Quelle a été votre stratégie d'adaptation au monde réel ? VOID : S’adapter au monde réel ? Mais pourquoi donc ! (rires). En choisissant ce mode de vie dédié à la création, nous nous plaçons en quelque sorte à la périphérie du réel… pour avoir un meilleur point de vue sur celui-ci. 146


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Plus sérieusement, nous avons tous deux eu l’occasion d’expérimenter le monde de l’art durant nos études. Le passage était plutôt naturel même si nous évoluons désormais sans filet si l’on peut dire. Nous avons trouvé un atelier / logement et VOID est né. Nous avons beaucoup travaillé à rendre le projet lisible et intelligible, à nous positionner. Créer un bon site internet, faire des rencontres et surtout apprendre à travailler ensemble. Ce n’était pas une cassure mais plutôt une mise en commun de nos compétences et de nos forces. Nos pratiques personnelles antérieures étaient assez proches. Quels ont été les moments déclencheurs de votre parcours ? VOID : Sans aucun doute la décision de fonder le collectif. Ensuite les choses sont devenues plus « sérieuses » lorsque nous avons reçu le Prix Médiatine en 2015. Ça a été une sorte de validation de l’entreprise à laquelle nous travaillions. Enfin, la rencontre avec la curatrice turque Selen Ansen et l’exposition à la fondation ARTER – Space for art à Istanbul. Pour la première fois nous étions dans un vrai contexte international avec des pointures comme Phyllida Barlow, Ryan Gander ou Bastian Hader. En dehors de la visibilité, nous y avons travaillé dans des conditions de rêve qui ont étendu notre champ mental des possibles. Et c’est très important. Que signifie pour vous « vivre de son art » ? VOID : Nous aimons beaucoup jouer avec le langage et l’étape de la définition d’une chose reste un enjeu toujours assez compliqué. Nous avons différents degrés de réponse qui varient selon l’interlocuteur qui nous pose la question. De façon générale, nous utilisons l’appellation de Plasticiens sonores, une manière d’affirmer à la fois les enjeux plastiques, visuels mais également sonores de notre démarche. À notre stade, il est compliqué de pouvoir réellement parler de vivre de son art. Pour nous, l’enjeu est de réunir les moyens financiers qui rendent possible la réalisation des nouveaux projets, la perpétuation de notre pratique. Pour le reste, nous nous arrangeons, en essayant sans cesse de repousser les limites que nous impose l’aspect économique du jeu. Comment créez-vous ? Avez-vous des habitudes, peut-être des rituels ? Notre processus de travail s’intègre de bout en bout dans une dimension collective. Nous avons des horaires où nous sommes à l’atelier. Chacun vient avec ses idées, nous faisons des tests, des simulations et surtout discutons beaucoup. Ce passage par le langage était d’ailleurs assez perturbant au début car il nous obligait à rationaliser nos intuitions dès les prémices d’une idée, de façon à embarquer l’autre dans l'affaire, à directement placer des mots. Mais à l’usage c’est très positif, cela nous permet de construire des bases plus solides 147


et sans doute plus réfléchies. Par ailleurs, notre atelier est un grand espace que nous essayons de garder vide au maximum, comme une page blanche à combler. Ça nous inspire beaucoup. Que souhaitez-vous montrer / démontrer à travers l'art ? Nous avons très franchement une soif de réalité / réel et notre travail tente d’en délimiter certains contours, de faire ressortir des éléments de notre champ perceptif, afin d’en dégager de nouveaux points de vue, de bousculer le regard que nous portons sur une chose ou un événement… Dans ce dessein, notre axe de recherche est le vide, l’interstice, la périphérie de l'événement en soi. Car nous y voyons un espace moins maîtrisé, dans lequel la réalité s’exprime de façon plus sauvage, plus spontanée. Le son, médium immatériel, nous semble dès lors un vecteur de choix dans cette prospection. Parlant du vide, nous aimons paraphraser John Cage qui envisageait le silence comme un espace sonore intentionnel, libre de toute contrainte. Pensez-vous que les artistes francophones / wallons sont assez soutenus par les pouvoirs publics, ou peut-être trop soutenus ? Oui. Il est possible d'obtenir des aides de manière assez saine et sans entrer dans des procédures administratives interminables. Il est vrai que l’herbe peut parfois sembler plus verte en Flandre où il y a clairement une volonté politique d’investissement et de visibilité internationale différente dans le domaine culturel. C’est par exemple assez visible dans leurs écoles d’art. Mais libre à nous de traverser la frontière si cela nous chante. Que pensez-vous du marché de l'art ? Nous évoluons de façon très nette dans la sphère non-marchande de l’art, avec une pratique qui ne répond pas tout à fait aux contraintes du marché commercial (en terme de pérénnité des pièces par exemple). Et nous travaillons presque exclusivement avec des infrastructures subventionnées (centres culturels, musées publics…). Cependant, il nous apparait de plus en plus clairement que le marché reste quelque part le chef, celui qui désigne le haut de panier. Et une carrière internationale est difficile à envisager sans cette validation. En dehors de l’acte de vente, la galerie reste un vecteur de visibilité. C’est une alliance d’intérêts qui fait que quelqu’un d’autre travaille pour vous et a un intérêt à vous voir grandir. Par ailleurs, nous ne croyons pas au marché de l’art d’un point de vue artistique, ni à l’idée de possession d’une œuvre d’art, qui reste pour nous une forme de bien public qui, utopiquement, devrait échapper aux volontés de privatisation. De ce fait, nous poussons peu dans cette direction, et nous voyons le peu d’intérêt des collectionneurs comme une forme de reconnaissance du caractère non-ornementatif de notre pratique. 148


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Vous imaginiez-vous un jour exposer dans ce Musée des beaux-arts de Mons ? En fait le BAM était sur notre liste ! Nous avions eu l’occasion d’y faire un passage au tout début de VOID lors de l’exposition Life, Death and Beauty en 2013. Nous sommes très heureux d’y revenir pour un projet d’exposition plus ambitieux sur le plan personnel. Pouvez-vous nous éclairer à propos des œuvres que vous présentez dans l’exposition ? Le centre de l’espace sera occupé par la pièce Bruit Blanc, une installation in-situ qui s’appuie sur l’idée de réaliser l’archéologie sonore de l’espace : une tentative de lecture de tous les sons que l’architecture a absorbés au cours de son histoire. Nous partons du postulat que les choses conservent à leur surface une trace du passage des ondes acoustiques par un phénomène naturel d’érosion sonore. L’ensemble de ces sons dessine une image acoustique / historique des lieux : une archéologie sonore de l’espace. Nous créons ou plutôt nous générons des disques vinyles dont les surfaces résultent d’un moulage de segment d’architecture. Nous produirons certains nouveaux disques à Mons, en prenant les empreintes de certains lieux emblématiques. Un des murs de la salle d'expo est occupé par l’installation Echo qui représente l’onde sonore obtenue lors d’un enregistrement effectué au sein du lieu d’exposition silencieux (en l'occurrence le BAM). Elle est matérialisée en mousse anéchoïque, qui est l’isolant sonore le plus puissant au monde. L’objet sculptural modifie la résonance acoustique de l'espace en absorbant la propagation sonore. Il modifie notre relation avec l’espace architectural tant visuellement qu’acoustiquement, générant un vide dans le champ auditif du spectateur. Vous pourrez également voir la pièce REC, une lumière rouge, comme un signal visuel qui annonce qu’un processus est en cours. Dans un studio d’enregistrement, elle ordonne autant le silence qu’elle matérialise le processus d’enregistrement. Enfin, nous envisageons d’utiliser les inventaires de conservation du patrimoine oral et immatériel de la ville de Mons afin de générer une œuvre sonore. Mais à l’heure de cette interview, nous ne pouvons pas vous en dire davantage, c’est en gestation. Nous avons choisi pour le catalogue de faire réaliser des portraits dans l’espace de travail. Quelle relation entretenez-vous avec cet espace ? Y en a-t-il eu d’autre entre l’école et celui-ci ? Dans quelle mesure l’espace conditionne-t-il votre production ? L’atelier est très important. C’est à la fois une maison, un espace privé et personnel, une bulle vide au milieu de l’agitation urbaine. Dans notre cas, c’est surtout un espace de réflexion, là où nous faisons les premiers essais, fabriquons des maquettes de nos pièces. Le caractère in-situ de notre travail fait que 149


l'atelier n'est pas un lieu de production de pièces finies. Les pièces se finalisent dans l’espace d’exposition, c’est leur seul lieu d’existence réelle. L’espace de monstration conditionne très fort les œuvres qui sont à chaque fois réadaptées au nouveau contexte. Quel est votre rêve le plus fou, en tant qu’artistes ? Avoir l’opportunité de faire une œuvre dans l’espace, en apesanteur. Dans l’ISS par exemple. Se substituer à la gravité et envisager les choses dans un environnement qui bouleverse totalement les codes de notre perception. Sans compter que dans l’espace (hors microcosme de la station) le son n’existe plus, car si il n’y a pas d’air, il n’y a pas de son… Ou alors c’est peut-être juste un prétexte pour s’y rendre en personne et vivre l’apesanteur (rires). Quelle est la question que vous aimeriez que l'on ne vous pose pas ? La question que l’on ne peut plus entendre : Comment vous êtes-vous rencontrés ? Quelle est la question que vous aimeriez que l'on vous pose ? Сиз rotokas айтып жатасыз ?

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One Drop 2013 Parapluies, plaques de cuisson, eau 255 x 100 x 315 cm


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Bruit blanc 2015 Disques en résine, bois, cônes PVC, moteurs Dimensions variables


REC 2015 Ampoule rouge 10 x 5 x 5 cm

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Air 2015 Tubes plexiglas, haut-parleurs, flรปtes, infrasons Dimensions variables


Osteophony 2014 Os, fil de cuivre, aimant, son 30 x 20 x 15 cm

Sound Never Dies #1 2014 VidĂŠo 8'20"

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Automatic Soundscape 2015 Tuyaux en PVC, haut-parleurs, son 200 x 300 x 200 cm


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< pp. 158-159 Synonym's Synonyms 2017 Wolubilis, Bruxelles

Synonym's Synonyms 2016 Dimensions variables

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At the Border of Sound 2012 / 2016 Haut-parleurs, EPS chips, infrason, corn flakes (charbon de bois dans la version 2016) Dimensions variables


In Between 2013 Plexiglas, fil de cuivre, aimants, son Dimensions variables

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Shaped Lines 2012 Haut-parleurs, bandes magnĂŠtiques audio, son Dimensions variables


Noise Is Full of Words 2016 Techniques mixtes Dimensions variables


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523 Names of Soldier Dead in Action Pronounced at the Same Time 2012 Fichier son, haut-parleur Monument aux morts de la guerre 1914-1918, Mons

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Announcements 2016 Haut-parleur dorĂŠ Dimensions variables


Silence, un mot 2014 Gravure par prélèvement de matière Dimensions variables

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Silences 2015 Partitions musicales


Echo 2014 Mousse anéchoïque Dimensions variables

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DIALOGUES AVEC LES COLLECTIONS DU MUSÉE _ 1 NOUVEAUX WESTERNS ET LES COLLECTIONS DU MUSÉE 2 LES COLLECTIONS DU MUSÉE ET NOUVEAUX WESTERNS

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1 Nouveaux Westerns et les collections du musée

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Alors que je l’accompagnais au BAM durant le montage d’Au pied de la lettre pour lui présenter la thématique de cet accrochage temporaire des collections permanentes, lui en montrer les visées et lui expliquer les raisons de la demande qui lui avait été faite d’y intégrer une de ses œuvres – et ce, en liaison avec l’installation qu’il allait produire pour Nouveaux Westerns –, un artiste m’a confié le sentiment qu’il éprouvait d’être accueilli au Musée. « Non dans une galerie, ni dans une salle d’exposition. Dans une salle de musée », précisa-t-il. Cet aveu, anodin en apparence, rappelle pourtant la complexité du rapport, essentiel mais paradoxal, qui depuis deux siècles, régit la relation amour / haine, attraction / répulsion entre Musée des beaux-arts et art vivant. Avec clairvoyance, il résume également l’injonction double adressée aux artistes. D’une part, insérer une de leurs œuvres existantes dans la logique muséale du parcours et du discours d’Au pied de la lettre. D’autre part, proposer dans Nouveaux Westerns une installation correspondant à leurs activités et à leurs créations actuelles basée sur l’exploitation d’artefact(s) issu(s) des collections permanentes ou, du moins, en lien direct avec une des fonctions muséales telles que pratiquées à l’Artothèque. Demande double, car logique différente : les finalités et missions du Musée des beaux-arts ne sont en effet pas identiques aux buts et rôle d’un palais des expositions (kunsthalle) et la temporalité et les modes opératoires de l’un ne recouvrent pas ceux de l’autre. Musée des beaux-arts et art vivant À l’instar du Louvre – chargé de réunir les chefs d’œuvre de l’art qui, suite à la Révolution, appartiennent à l’ensemble des citoyens et relèvent du patrimoine commun, et de les mettre à la disposition de la population –, tout Musée des beaux-arts se doit de les collecter, de les sauvegarder, de les exposer et de les conserver en vue de les transmettre aux générations futures. Nombreux sont dès lors les artistes qui, soucieux de postérité et conscients du rôle prescriptif attribué au musée, cherchent à y entrer : en acceptant leurs œuvres, le musée en effet les consacre eux, reconnait la valeur de leur travail et les inscrit dans l’histoire. Le musée, s’il favorise ainsi la création de certains artistes, en rejette d’autres… et, d’emblée, il est contesté par ces derniers qui, refusés, le considèrent mortifère : mettre l’art au musée, c’est le figer, « c’est tuer l’art pour en faire l’histoire, ce n’est point en faire l’histoire, mais l’épitaphe » s’insurge, en 1815 déjà, Quatremère de Quincy. 1. À l’heure où je rédige ces quelques lignes, si je connais les intentions de la plupart des artistes de Nouveaux Westerns, je n’en ai pas vu la concrétisation. J’aborderai donc dans cette courte contribution plus le concept de leur participation que les œuvres qu’ils présentent et sur lesquelles ils fondent leurs installations. Cette introduction se veut donc plus programme que bilan, projection que constat.


Ainsi donc, depuis sa création à la fin du XVIIIe siècle, et jusqu’à ce jour, certains artistes admettent-ils que le musée a autorité pour dire l’art, valoriser une œuvre et valider une démarche, tandis que d’autres lui contestent ce pouvoir – du moins aussi longtemps qu’ils en sont exclus ! Les uns désirent donc y être reçus, et œuvrent dans ce but, les autres en réclament la suppression – tel Courbet qui, à la fin du XIXe, veut « brûler Le Louvre ». Ou Cézanne, autre père de l’art moderne, qui, en 1898, proclame son ambition de faire « quelque chose d’aussi solide et durable que l’art des musées » dont, implicitement, il reconnait ainsi le rôle « normatif ». Quant à Jean Clair – historien de l’art, conservateur de musée, commissaire d’exposition et polémiste –, s’il constate que l’histoire de l’art moderne, en France du moins, est « l’histoire de la lutte acharnée de l’artiste contre le musée », il suggère aussi qu’il est temps « de mettre le musée au musée ». BAM et art vivant Au BAM, l’antagonisme « historique » entre musée et art vivant – à l’origine parfois d’un conflit « méthodologique » latent entre muséographie et expographie –, Nouveaux Westerns et Au pied de la lettre tentent de le dépasser en proposant, en un même lieu et simultanément, deux propositions distinctes – l’une relevant d’une démarche artistique créative, l’autre d’une discipline historique muséale –, mais néanmoins intimement liées, puisque toutes deux basées sur une même collection et regroupant les mêmes acteurs. La complémentarité entre ces deux approches, loin de contester la pertinence de l’une ou de l’autre, permet au contraire à chacune d’elles non seulement de réfléchir sa propre pratique et de la confronter à l’autre, mais aussi de s’initier à celle-ci, de se l’approprier et d’ainsi d’enrichir son expérience. Car si, traditionnellement, au Musée des beaux-arts, l’art du passé est inséré au présent du visiteur, il a été demandé aux artistes, dans Au pied de la lettre, de montrer l’aujourd’hui dans le contexte d’un passé, proche mais déjà muséifié, qu’ils ont à actualiser… Inversement, dans Nouveaux Westerns, il leur a été prescrit d’exploiter ce passé muséifié dans leur création d’aujourd’hui. Et force est de reconnaître que l’exercice n’est pas le même : si dans les installations qu’ils mettent en place, les artistes jouissent d’une liberté totale et qu’ils n’ont pas à défendre autrement leur choix que par leur imagination, leur démarche ou leur créativité, ils ont par contre dû se plier aux contraintes et à la logique de l’accrochage (thématique, typologique, chronologique, …) du musée, institution qui, en regard des missions qui lui sont dévolues, doit défendre et justifier – scientifiquement, esthétiquement, … – les choix qu’elle opère et les options qu’elle privilégie… 176


Ainsi de Sébastien Lacomblez, qui, sensible à la collection et à la conservation telles que le musée les met en œuvre et telles qu’elles se retrouvent dans le travail de photographie et d’archivage qu’il présente, a également tenu compte, pour l’accrocher, de la ligne « serpentine » de l’œuvre de Bernar Venet qui le jouxte… et du thème de l’écrit et de la typographie qu’aborde Au pied de la lettre… Ainsi de VOID qui s’intéresse au patrimoine immatériel et aux sons et qui, par Synonym’s Synonyms rappelle, avec lucidité mais non sans humour, le glissement de sens qui accompagne toute muséification… Ainsi de Leslie Leoni qui convoque le paradoxe en plaçant sous vitrine une gomme au cœur d’une salle qui expose et valorise des écritures / figures, cette gomme étant elle-même outil de (re)production d’image… Ainsi de DSCTHK qui, fidèle à son thème de prédilection, pose telle une sculpture, une boule à facettes lumineuse, figée dans du béton… Ainsi de Karine Marenne qui non seulement réalise sa performance au sein même des collections de l’Artothèque et la présente dans son installation, mais qui s’interroge aussi sur la place des personnes qui se trouvent derrière ces œuvres – des artistes qui les créent aux collectionneurs qui les rassemblent, en passant par les restaurateurs, conservateurs et autre personnel d’entretien…

— Michel De Reymaeker Conservateur des collections du Pôle muséal de Mons Directeur de l'Artothèque

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SĂŠbastien Lacomblez PlasticitĂŠ d'un paradoxe 2011 Photographie et texte sous cadre

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Leslie Leoni Motif #1 – #2 – #3 – #4 – #5 2017 Gommes à effacer gravées 10 x 5 cm


Œuvrage à domicile Art Maid Collection

Bon de commande d’Œuvrage à domicile

Dans sa dernière œuvre intitulée Art Maid, Karine Marenne performe, apprêtée en soubrette, parmi les œuvres d’art, propriétés de collectionneurs, de galeries, de centres d’art ou de musées. Karine Marenne offre des performances totales, documentées par des photos, dessins et vidéos, parties intégrantes de l’œuvre. Portée par son personnage, Karine Marenne pose un certain regard, à la fois critique et poétique, sur la notion de collection et la relation artiste / collectionneur au travers d’un « œuvrage » personnalisé, mais pleinement universel.

Soutien à la création pour la collection Art Maid.

Les collectionneurs souhaitant l’intervention de l’artiste au sein de leur collection s’engagent à faciliter par tout moyen la réalisation de la performance. Le collectionneur est invité, s’il le désire, à participer à la performance, devenant ainsi partie intégrante de l’œuvre selon les modalités imaginées par l’artiste. La sollicitation d’un « œuvrage » est un acte engagé, la décision finale restant le privilège de l’artiste. Le collectionneur affiche son soutien à la création artistique contemporaine et reconnait la nécessité, pour son développement, d’un contexte financier serein. Ainsi, le collectionneur s’engage à garantir un tel cadre, par l’achat d’une boîte contenant 6 photographies réalisées par l’artiste. Les œuvres acquises par le collectionneur sont éditées selon les critères fixés par l’artiste.

Karine Marenne Œuvrage à domicile, Art Maid Collection 2017

Je soussigné M. Michel De Reymaeker commande un « œuvrage » à domicile. Je m’engage à soutenir la création de la collection Art Maid en produisant ou / et en conservant une boîte de 6 photographies réalisées lors de cet « œuvrage ». J’autorise Karine Marenne à : – mettre en scène la collection de la réserve du musée et tout particulièrement la collection Duvivier et le personnel du musée s’y rapportant. À cet effet, je cède le droit à l’image pour toutes les images effectuées lors de la prise de vue ou du tournage. – diffuser toutes pièces jugées pertinentes produites dans le cadre de l’œuvrage. Les réalisations de Art Maid sont des créations artistiques et restent la propriété morale de Karine Marenne. Fait à Mons le 30/3/2017 Le Conservateur en Chef :

L'artiste :

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VOID Synonym's Synonyms 2016 Film vinyle 100 x 300 cm


DSCTHK Rue Blaes 208 2011 Photographie

Statik Dancing 2012 Boule à facettes, béton, bouteilles de bière, chaîne

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2 Les collections du musée et Nouveaux Westerns

Lorsque le directeur du musée, Xavier Roland, a suggéré de demander à nos six artistes de choisir chacun une œuvre dans les foisonnantes collections de l’Artothèque, et d’intégrer ces six œuvres dans l’exposition Nouveaux Westerns, l’idée nous a immédiatement paru séduisante. Séduisante intellectuellement, d’abord. Séduisante esthétiquement ensuite, par la promesse des chocs visuels que provoquerait sans doute la rencontre d’univers aussi éloignés que les vestiges militaires conservés au Mons Memorial Museum et les œuvres de nos artistes sciemment contemporains. Les confrontations pouvaient aussi être de l’ordre de la parenté, voire de la filiation. On imaginait déjà, par exemple, une sculpture cinétique de Pol Bury (au demeurant, lui aussi ancien étudiant de notre école, du temps de l’Académie) avoisinant les sculptures sonores du collectif VOID. Séduisante, l’idée l’était d’autant plus que le résultat ferait – presque immanquablement – écho à l’une des maximes poétiques qui a le plus nourri la modernité depuis un siècle et demi, le célèbre « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » des Chants de Maldoror publiés en 1869 par le Comte de Lautréamont, de son vrai nom Isidore Ducasse (clin d’œil de plus à Mons, dont la ducasse est inscrite depuis 2005 au Patrimoine de l’humanité dressé par l’UNESCO). Réflexion faite, l’idée séduisante se révéla piégeuse. Inviter de jeunes artistes à exposer au BAM mais leur demander d’inclure dans leur salle, parmi leurs œuvres, une relique des temps passés, n’était-ce pas leur faire un cadeau empoisonné ? Grand était le risque de voir leurs propres œuvres phagocytées par l’intruse. On imagina une solution pour contourner la difficulté : rassembler en un lieu unique les œuvres choisies à l’Artothèque, soit à l’extérieur des salles dédiées à nos artistes, soit à leur intersection, dans un no man’s land propice à une sorte de bureau des objets trouvés. À notre relative surprise (le pire n’est pas toujours sûr…), aucun des artistes n’a fait la fine bouche et tous, au contraire, se sont montrés excités à l’idée d’intégrer une œuvre ancienne dans leur propre salle d’exposition. Restait le plus ardu : faire un choix1 parmi les dizaines de milliers d’œuvres de l’Artothèque. Leslie Leoni a choisi non pas à proprement parler une œuvre mais la caisse de transport d’un tableau, d’un très grand tableau. Elle met cette caisse de bois brut en confrontation avec les murs blancs du caisson à l’intérieur duquel elle a posé le papier peint de sa création. 1. Au moment de mettre sous presse ce catalogue, le collectif Hell’O n’a pas encore pu visiter l’Artothèque, retenu par une résidence de plusieurs mois aux États-Unis.


Sébastien Lacomblez a choisi dans les collections du Pôle muséal non pas une œuvre d’art mais un ensemble de silex provenant du site préhistorique de Spiennes. Ces silex s’inscrivent tout naturellement dans les collections d’objets – éléments naturels ou artefacts – qui constituent l’installation qu’il a créée pour Nouveaux Westerns, le « Museum de la Nouvelle Nature ». Ils en forment même le point de départ. DSCTHK a choisi pas moins de six tableaux de l’Artothèque pour en orner les murs de sa salle, des portraits (d’époque) d’officiers du XIXe siècle. Indirectement, ces peintures académiques incitent le spectateur à se demander de quels portraits actuels ils sont, ou pourraient être, les équivalents… Portraits de videurs de boite de nuit, disc-jockeys, patrons de multinationales de spiritueux, ou hall of fame des danseurs anonymes du samedi soir ? Ici en tout cas, la proposition initiale du musée a été poussée jusqu’au bout de sa logique car les portraits de l’Artothèque occupent dans la salle de DSCTHK une place au moins égale à celle de « l’œuvre originale » fabriquée par le duo d’artistes. D’autant que cette œuvre, un énigmatique comptoir de bar, a été créée après le choix des portraits, et même tout exprès. Au final, ici ce que l’on peut appeler l’œuvre apparaît être le télescopage voulu par les artistes des deux univers, plutôt que l’artefact fabriqué par eux. Karine Marenne a emprunté une autre voie. Elle n’a pas choisi une œuvre dans les collections de l’Artothèque, mais en a créé une susceptible d’intégrer l’Artothèque. Cette œuvre nouvelle a été réalisée en respectant les protocoles habituels de l’artiste – la soubrette de l’art passant un « contrat d’œuvrage » avec un collectionneur –, mais en les appliquant cette fois non à des collectionneurs vivants, mais, à travers le musée, par contumace, aux donateurs ayant légué leur collection – collectionneurs morts, ou éternellement vivants, ou, pour mieux dire peut-être, chroniquement ressuscités chaque fois qu’une œuvre quitte les réserves du fonds pour être exposée. VOID, lui, a emprunté une autre voie encore. En donnant corps (voix, en l’occurrence) à ce qui n’était jusque là qu’un simple texte, le duo a su mettre en scène la dimension paradoxalement matérielle de ce que l’UNESCO appelle le patrimoine immatériel. On conclura ce chapitre en leur laissant la parole : « Lorsque l’idée fut émise d’intégrer une pièce des collections de la Ville de Mons dans l’exposition Nouveaux Westerns, nous nous sommes d’emblée intéressés à la conservation du patrimoine oral et immatériel de la ville, en particulier celui concernant la ducasse. Cette volonté de conservation d’un objet immatériel rencontre pleinement notre démarche artistique qui développe une recherche autour du vide et de l’immatériel via le vecteur sonore. Les œuvres que nous proposons ont toujours une dimension éphémère, ce qui pose inévitablement la question de la conservation, de l’archivage, de l’inventaire. 184


C’est précisément l’inventaire qui a été fait du patrimoine oral et immatériel de Mons que nous voulons utiliser, le principe étant de sonoriser ce répertoire textuel via une voix de synthèse. Dans l’exposition, c’est par le biais d’un haut-parleur diffusant à intervalles réguliers ces références sous forme d’annonces que nous matérialisons le contenu immatériel inventorié. C’est également une démarche d’oralisation froide et mécanique qui fait écho à la notion de patrimoine dit oral. Enfin, cette proposition entre en résonance avec Bruit Blanc – la pièce centrale de notre exposition. Sorte d’inventaire archéo-sonore d’un phénomène tout aussi immatériel : l’empreinte laissée par une onde sonore à la surface d’une architecture et également donnée à entendre. » — Philippe Ernotte Directeur des Arts visuels à ARTS²

VOID : Diffusion de textes via une voix de synthèse

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choisi par Sébastien Lacomblez : Matériel lithique préhistorique provenant de fouilles du bassin de la Haine collection de l'Artothèque

choisi par Leslie Leoni : Caisse de transport

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choisis par DSCTHK : Louis Carlier (XIXe siècle), Portrait d'A.J. Duvivier 1855 – collection de l'Artothèque Louis Carlier (XIXe siècle), Portrait du Général V.M.C. Duvivier (d'après A. Van Ysendyck) 1851 – collection de l'Artothèque Anonyme du XIXe siècle, Portrait de M. Dethuin, Bourgmestre de Mons s.d. – collection de l'Artothèque (en photographie)

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Anonyme du XIXe siècle, Portrait du Général de division J.M.J. Clump s.d. – collection de l'Artothèque André Hennebicq (1836 - 1904) Portrait de Charles-Xavier Sainctelette s.d. – collection de l'Artothèque Godefroid-Égide Guffens (1823 - 1907), Portrait du Comte Édouard-Hubert du Val de Beaulieu s.d. – collection de l'Artothèque



Biographies

Karine Marenne. Née en 1975, diplômée d’ARTS² en 2000 – option IDM©. Nombreuses performances et expositions, dont L’élégance crée l’ambiance à la MAAC (Bruxelles) en 2008. Elle anime des ateliers pour enfants. DSCTHK. Thibaut Blondiau (1973, diplômé d’ARTS² en 1997 – option illustration) est coordinateur à Jeunesse et arts plastiques. Jérôme André (1972) travaille au Musée d’art contemporain du Grand-Hornu. DSCTHK a exposé à Cologne, Liège, Bruxelles (Komplot, Recyclart), Paris, Poitiers et en Thudinie. Sébastien Lacomblez. Né en 1983, diplômé d’ARTS² en 2009 – option arts numériques, il vit à Bruxelles et travaille à Charleroi. Expositions à Bruxelles, Montréal, … Son OPTIMUM PARK™ a été présenté au BPS22 et au Palais de Tokyo (Paris). Hell'O. Antoine Detaille (1980, diplômé d’ARTS² en 2007 – options dessin et IDM©) et Jérôme Meynen (1980) vivent à Bruxelles. Nombreuses interventions et expositions à l’international (Barcelone, Bari, Rennes, Wroclaw, …). Leslie Leoni. Née en 1981, diplômée d’ARTS² en 2008 – option gravure, enseigne à l’école supérieure des arts de La Cambre (Bruxelles). Elle a créé la galerie Brock’n’Roll (La Louvière), dédiée à la gravure résolument contemporaine. VOID. Arnaud Eeckhout (1987, diplômé d’ARTS² en 2013 – option IDM©) et Mauro Vitturini (1985) vivent et travaillent à Bruxelles. Expositions à Rome, Mexico, New York, Caen, Mulhouse, Le Caire, Istanbul. VOID a remporté en 2015 le Prix Médiatine. Les commissaires : Xavier Canonne est docteur en Histoire de l’art de l’Université de la Sorbonne (Paris I) avec une thèse consacrée au Surréalisme en Belgique (1950 - 1993). Il dirige depuis 2000 le Musée de la photographie de la Communauté française à Charleroi (Belgique) après avoir dirigé de 1986 à 2000 la collection de la Province de Hainaut. Il a été le commissaire de nombreuses expositions. Professeur (histoire de l'art, cinéma) à ARTS², il est l’auteur de divers ouvrages dont Le Surréalisme en Belgique, 1924 - 2000 et Requiem pour un homme seul. ' Le Samouraï' de Jean-Pierre Melville. Il est éditeur des Marées de la nuit, spécialisé depuis 1986 dans le surréalisme et les avant-gardes.

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Christophe Veys est historien de l’art (Université libre de Bruxelles) et collectionneur. Il enseigne l’art contemporain, l'histoire des institutions culturelles et codirige le master en design urbain spécialisé en design d’exposition à ARTS². Il intervient régulièrement comme conférencier pour des institutions ayant pour objet la sensibilisation à l’art contemporain : Institut supérieur pour l'étude du langage plastique (ISELP, Bruxelles), Jeunesse et arts plastiques (JAP)… Il a assuré le commissariat de nombreuses expositions et est actuellement commissaire résident à la galerie LMNO à Bruxelles.


Catalogue Coordination

Crédits photographiques

Philippe Ernotte Gwénaëlle L'Hoste Jean-Bernard Libert

Tous les droits sur les photographies reproduites dans ce catalogue appartiennent aux artistes concernés, à l'exception des photos suivantes :

Auteurs

Karine Marenne pp. 23-25 avec le soutien photographique de Raphêl Ommer pp. 26-27 avec le soutien vidéographique de Christelle Issmann p. 28, 30-31 avec le soutien photographique du Dr Beckx p. 29 avec le soutien sonore de Thomas Turine pp. 34-39 avec le soutien photographique du Dr Beckx et Geert de Taeye Maquillage : Magali Gerard et Julie Rombaudt avec la complicité de la galerie Duboisfriedland

Xavier Canonne Christophe Veys Xavier Roland Michel De Reymaeker Philippe Ernotte Maquette et mise en page Jean-Bernard Libert Impression Snel

Sébastien Lacomblez Christian Pomerleau : pp. 78, 80 (1) Stéphane Bednarek : pp. 81, 83 (1), 86 (1) Paul Langlade : p. 83 (2) Laetitia Bica : pp. 84-85, 86 (2), 87 (2) Leslie Artamonow: p. 87 (1) Christos Skliris : p. 89 Hell'O pp. 100-101, 106, 107, 110-115 avec l'aimable autorisation d'Alice Gallery D. Gouray : p. 108 (3) Leslie Leoni Vincent Chiavetta : p. 127 Kate Sicurello : pp. 128-129 Gilles Di Angelis : pp. 130, 136-137 Alain Breyer : pp. 132-133 twane.be : p. 138 Vivane Stevens : p. 139 (1) Véronique Vercheval : p. 139 (2) VOID Murat Germen : p. 153 Shartsite : p. 164 (1) Les portraits des artistes – pp. 14, 42, 70, 118, 142 – ont été réalisés par Alain Breyer (à l'exception du portrait de Hell'O – p. 92).


Exposition Cet ouvrage est édité à l'occasion de l'exposition Nouveaux Westerns présentée au Musée des beaux-arts de Mons (BAM) du 13 mai au 27 août 2017 Une co-production du Pôle muséal de la Ville de Mons et d'ARTS² – école supérieure des arts de la Fédération Wallonie-Bruxelles à Mons.

Régie BAM Joanna Karcher, Benoit Berlemont, responsables de la régie Yves Gobert, Djilali Moulay, Christophe De Rivière, Antonio Mascolo, assistants régisseurs ARTS² Sophie Ferro, régisseuse Pascal Deversenne, Wesley Deversenne, Jonathan Druart, Emmanuel Vincent, assistants régisseurs Graphisme

Comité organisateur

Jean-Bernard Libert

Pôle muséal de la Ville de Mons Xavier Roland, chef de service Murielle Laurent, chef de bureau

Partenaires

ARTS² Michel Stockhem, directeur Philippe Ernotte, directeur des Arts visuels Commissariat de l’exposition Xavier Canonne Christophe Veys Coordination générale Bruno Vande Graaf, chargé de mission

Cette exposition bénéficie du soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles — à ce titre, nous remercions Alda Greoli, Ministre de la Culture et de l'Enfance de la Fédération Wallonie-Bruxelles — et des partenaires suivants : La Ville de Mons Gestion Centre Ville Mons Télé Mons Borinage RTBF – La Première

Scénographie

Le Géant des beaux-arts – Belgique

Évelyne Gilmont

Application Team sprl

Diffusion et Communication BAM Géraldine Simonet Juliette Picry Fabrice Levêque Shahiness Benabdelouahed ARTS² Gwénaëlle L'Hoste Médiation Laurence Herman, médiateur culturel Événementiel Odile Moreau, chargée de mission Sponsoring Gwénaëlle L'Hoste


AchevÊ d'imprimer en mai 2017 sur les presses de l'imprimerie Snel (Herstal – Belgique). ISBN : 978-2-930669-10-6



Nouveaux Westerns présente six artistes visuels sortis de l’école supérieure des arts ARTS2 (ex-Académie des beaux-arts de Mons, ex-ESAPV) depuis les années 2000. Parmi les artistes, trois sont des collectifs, donc ils ne sont pas six mais neuf. Les uns font de la photo, de la vidéo, de la performance, les autres font du dessin et de la peinture, de la gravure, de la sculpture, même de la tapisserie. Et beaucoup ont un penchant prononcé pour l’installation. Leur point commun ? Chacun et chacune, à leur manière, mettent le monde d’aujourd’hui au centre de l’affaire, dans un regard absolument décalé. Et souvent ils préfigurent le monde de demain. Les commissaires de l’exposition sont Xavier Canonne et Christophe Veys.


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