Au Riff - Carnet de route

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AU RIFF CARNET

DE

ROUTE

Ce carnet de route n'est pas t'œufre d'un écrivain. Je n'oserais même affirmer qu'il est écrit en bon français; mais je puis dire qu'il a été rédigé en toute sincérité et en toute nonnëteté. De mes deux voyages dans le Riff j'ai rapporté des souvenirs vécus et il m'a paru utile de les faire connaître. Je n'ai pas la prétention d'avoir fait de l'histoire. Très af/!rmaf</ pour ce que j'ai vu, je ne puis que rapporter fidèlement ce que j'ai entendu, en laissant à d'autres plus qualifiés que moi le soin de confirmer ou d'infirmer les déclarations qui m'ont été faites et que je ne suis pas à même personnellement de uërz/fer. Je dois indiquer que Si Ahmed, qui joue un certain rôle dans ces feuilles, n'existe pas. Si Ahmed est un nom d'emprunt qui masque un personnage touchant de près l'Emir et dont il ne m'est pas encore permis de dévoiler l'identité. Je sera/s heureux que les notes que l'on va lire, notes un peu sèches peut-être, puisse~ être d'une certaine utilité dans l'étude de la question rt/~azne et j'espère que le lecteur, inde l'auteur. dulgent, oubliera l'inexpérience Au moment où débutèrent les graves événements militaires de mai 1925, événements qui mirent en péril toute au Maroc, la Fédération Marocaine des t'œuvre française Mutilés et Anciens Combattants était une toute jeune fésa création remontait à janvier 1925. dération, puisque Mais ce jeune groupement était plein d'expérience, parce de mutilés et d'unions que formé de vieilles amicales d'anciens combattants qui avaient travaillé, lutté, peiné et dont la synthèse

des efforts

était justement

cette

unité


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de directives et de méthode d'organisation, qui caractérise une fédération. Profondément unis, laissant de côté toutes questions de doctrines, les anciens combattants allaient jouer un au Maroc dans les années 1925 et 1926. rôle considérable leur force et leur voIls commencèrent par affirmer lonté de travail fécond pour leur pays, lors du voyage au Maroc du président du Conseil, Painlevé, venu en avion Dès sa descente pour juger sur place de la situation. d'avion et malgré l'opposition des autorités du Protecun rapport dont les 'termes, à la torat, ils lui remirent fois mesurés et énergiques, un effet profond produisirent sur le ministre. Mais les mutilés et anciens combattants se devaient encore à d'autres ils ne pouvaient oublier les tâches; de longues souffrances qu'ils avaient endurées pendant Ils tenaient années sur le front français. essentiellement à ce que leurs cadets perdus dans le « bled » marocain sentent autour d'eux une sympathie qui les déagissante fende contre le cafard, aux », encore plus impitoyable r colonies qu'en France. La Fédération Marocaine des Mutilés et Anciens Combattants lançait donc un appel à tous les Français pour l'aider dans la tâche sacrée qu'elle entreprenait et qu'elle aide aux blessés et malades .voyait de la façon suivante mais aussi, et surtout, aide morale et mades hôpitaux, de l'avant, mal nourris, mal hatérielle aux combattants souffrant de billés, ne recevant pas leur correspondance, la soif et plus terriblement encore souffrant de l'isolement. de la Fédération trouvait un Dès le début, l'initiative de France chaleureux écho chez les Anciens Combattants et la Croix-Rouge à Après s'être mis d'accord française. à entreprendre, des Paris sur les modalités de l'action et des Anciens Combattants de la Croix-Rouge délégués sous la direction du général de France venaient, Pau,


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prendre contact au Maroc avec la Fédération chale Lyautey, de nombreuses qui patronnait bienfaisance.

et la maréœuvres de

La Fédération Marocaine assumait la charge de veiller sur les combattants de l'avant; chaque section de l'intérieur devant plus particulièrement s'occuper des blessés loet malades dans la formation sanitaire hospitalisés cale. Toute une organisation prenait corps. A l'Office Ecode Casablanca, de jeunes soldats convalescents nomique confectionnaient des colis pour les unités du front. Des automobiles de marchandises utiles et inutiles regorgeant aux soldats) par(le superflu étant parfois indispensable taient régulièrement sur les points les plus avancés de la et ligne de feu. Elles étaient conduites par des mutilés anciens combattants et qui, avec le paquet de cigarettes le flacon d'alcool de menthe, distribuaient de cordiales à ces encouragements poignées de mains et de précieux de voir que les gens de gosses de vingt ans enchantés l'arrière faisaient des randonnées et toujours pénibles et pour les venir aider moralement parfois dangereuses, matériellement. de chiures donneront une idée de l'ampleur Quelques l'action entreprise. Du 15 juillet 1925 au 15 juillet 1926, la Fédération a envoyé sur Je front 1.495 colis de com460 colis pour formations 506 colis sanitaires; pagnie de bataillon; 74 colis de régiment; 57 colis de brigade. Le contenu de ces colis variait naturellement avec les stocks dont la Fédération variait disposait, également des avec les saisons, variait aussi avec la composition ils étaient destinés. troupes auxquelles Quelques exemples préciseront davantage. 1925 à la 3° C" a) Le colis 303, adressé le 7 septembre était composé de 100 padu 14' Tirailleurs algériens, 30 cigares; 50 cartes-lettres; 3 flaquets de cigarettes;


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2 bouteilles 1 boîte de fil et d'anis; d'antésite; 10 barres de savon; aiguilles; 1925 à la 6' C" du b) Le colis adressé le 19 novembre 32' Génie (n° 917) était composé de 100 paquets de ci25 pochettes de papier à lettre; 25 savons; garettes 2 kilos de cho6 flacons de menthe; 4 boîtes de lithinés; 18 paires de chaussettes; 6 cache-nez; 4 rasoirs et colat 24 lames; des livres; c) Le colis 1430, envoyé le 4 février 1926 à la 8° batterie du 63° Régiment 100 paquets de d'artillerie, comprenait à lettre; 10 savons; 25 pochettes de papier cigarettes; 2 flacons eau de cologne; 2 flacons menthe; 2 bouteilles 2 bouteilles 12 paicinzano; anis; 1 bouteille quinquina; res de chaussettes; 2 jeux de cartes; 2 paquets de bou1 jeu de bilboquet; 50 paquets sels de Vichy; des gies cons

livres; d) Le colis 2198, envoyé le 12 mai 1926 à la 6' C'e du 8" Sénégalais, contenait 100 paquets de cigarettes; 100 100 paquets tabac à priser; cartes-lettres; 10 savons; 5 kilos de noix de kola; 1 ballon association; 3 flacons antésite. Il est bien évident que pour les colis dé bataillon, réétait observée. giment, brigade, la proportion Nous recherchions de plus tous les orphelins, pupilles de la Nation, pupilles de l'Assistance publique pour leur envoyer le plus souvent possible des petits paquets postaux individuels. Dans le même laps de temps, 31 tournées sur le front avaient été organisées pour le plus grand bien de nos combien l'action de jeunes poilus. Un chiffre indiquera la Fédération était sensible à tous nos militaires. J'ai de cinquante reçu pendant plus d'un an une moyenne lettres par jour émanant de tous les coins du Maroc. Il ne faut pas oublier en effet que si la grosse action se passait sur le front Nord, les fronts secondaires, comme le moyen Atlas et le Tadla, immobilisaient des

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soumises aux troupes de ne pas négliger. La vérité m'oblige à ration suscita toujours fut regardée, au début, et Major, l'Intendance

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mêmes

fatigues

et qu'il

importait

de la Fédédire que si l'initiative l'enthousiasme des troupes, elle d'un assez mauvais œil par l'Etatle Service de santé.

On paraissait craindie en effet une intrusion des anciens combattants dans un domaine qui devait leur rester On craignait surtout étranger. que les anciens combattants au courant, soit par leurs visites, soit par la cordes multiples défaillances respondance qu'ils recevaient, des différents de services, ne se posent en redresseurs torts et ne fassent figure d'« inspecteurs aux armées On s'aperçut bien vite que si les anciens combattants ne manquaient défecjamais de signaler les nombreuses tuosités dont ils étaient témoins, ils le faisaient toujours et non pour le dans un esprit de loyale collaboration plaisir facile de dénigrer. Il semble bien, en résumé, que l'action de la Fédération a eu une très heureuse influence sur le moral de nos aussi très vivement le réconfort soldats, qui appréciaient matériel qui leur était apporté.

La recherche du mieux-être devait pour nos soldats conduire la Fédération à s'occuper d'une question anau premier chef celle de nos prisonniers dans goissante le Riff. Ce n'est un secret mai et pour personne qu'entre août 1925, au moment de la ruée ennemie sur notre front Nord et du départ en dissidence de tribus précédemment soumises ou ralliées, nos adversaires nous avaient pris de nombreux postes. Certaine avaient été enlevés d'assaut; d'autres s'étaient fait sauter; d'autres, encerclés, avaient été acculés à la


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reddition que le par un ennemi encore plus redoutable Riffain la soif. Il était évident que l'ennemi avait dû nous faire des dont le dans tous ces* postes; prisonniers prisonniers d'évaluer nombre était inconnu, puisqu'il était impossible les pertes des garnisons ainsi enlevées. Tous ceux qui avaient suivi le martyre des captifs esse demandaient avec pagnols après le désastre d'Annual à nos malheureux angoisse quel sort avait été réservé Les récits des quelques rares prisonniers compatriotes. qui avaient pu s'évader n'étaient pas faits pour apaiser les anxiétés. avec le Dès le mois de novembre, en rapport j'entrais contrôleur civil Gabrielli. Gabrielli avait pu se rendre de voir nos dans le Rifi, mais il lui avait été impossible écarté. A dont on l'avait systématiquement prisonniers, mes demandes de possibilité d'entente avec Abd el Krim. en vue de secourir nos captifs, il répondait avec un grand ne me laissait et, sans vouloir me décourager, scepticisme guère d'espoir. Sur ces entrefaites, je reçus en janvier, lors d'une réunion de la Fédération à Rabat, la visite de M. Richard, rédacteur à l'Echo du Maroc, m'informant qu'un de ses M. Azancot, obtenir amis de Tanger, pensait pouvoir d'Abd el Krim l'autorisation de ravitailler nos prisonniers. Je demandai immédiatement une audience à M. Steeg, résident général. Je lui exposai les démarches que j'avais faites et celles que j'allais tenter. M. Steeg,. dont le grand cœur était extrêmement sensible à la situation de nos me donna de précieux conseils, tout en m'exprisonniers, absolue où il était de m'aider offipliquant l'impossibilité ce que je comprenais du reste fort bien. ciellement, A la suite de cet entretien, je pris l'avion pour Tanger, où M. Azancot avait l'amabilité de me présenter à un cousin d'Abd el Krim, le Klamiich, lequel .affirmait pou-


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voir faire porter une lettre de moi au « sultan » et se disait sûr d'obtenir une réponse satisfaisante. Dans le bureau de M. Azancot, nous discutâmes assez Je me tenais sur une prudente réserve et longuement. de façon à ne pas me poser en solliciteur, m'arrangeais mais en personnage pour une œuvre qui a été pressenti humanitaire lui-même. par l'ennemi Dans la discussion, des je fis ressortir qu'il s'agissait en général, sans distinction de nationalité; prisonniers mais le Khamlich, très fermement, m'indiqua que, si je voulais réussir, il ne fallait parler que des prisonniers et indigènes). Il ajoutait, du reste, français (européens qu'il pensait qu'une fois à pied d'oeuvre, j'obtiendrais les mêmes faveurs pour les captifs espagnols que pour nos compatriotes. Je remis donc au Khamlich la lettre suivante qu'il s'enau « sultan du Riff » par l'intergageait à transmettre médiaire du Jériro (ancien lieutenant du Raissouli passé au service d'Abd el Krim) Monsieur Pierre PARENT, Président de la Fédération Marocaine des Mutilés et Anciens Combattants, à SI MouLAY ALI KHAMLICH. Monsieur Azancot a mis la Fédération des Mutilés et An,ciens Combattants au courant des offres que Si Mohamed Ben Abd el Krim El Khetabi vous avait faites. Nous avons été très sensibles à cette preuve d'humanité de la part de Si Mohamed Ben Abd el Krim et nous sommes tout décidés à porter nous-mêmes à nos prisonniers français dans le Rifi, outre le réconfort moral de notre présence, des médicaments, des vêtements, des vivres. Vu le but purement humanitaire de notre mission, il nous est agréable de vous dire que nous remettrions à Si Mohamed Ben Abd el Krim des médicaments et objets de pansements pour les malades et blessés indigènes riffains. Nous vous serions donc très reconnaissants de bien vouloir demander à Si Mohamed Ben Abd el Krim la façon la plus rapide dont nous pourrions nous rendre auprès des prisonniers français ét de quelle manière il jugerait opportune notre arrivée (par quelle voie, quand, etc.).


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En principe, la mission qui porterait ces objets aux prisonniers français serait composée de Monsieur Pierre PARENT, Président de la Fédération MaroSi MouLAY ALI caine des Mutilés et .Anciens Combattants; KHAMLICH,Monsieur AZANCOT. en avion, j'attendis immédiateRevenu à Casablanca ment le résultat de mes démarches avoir mis après M. Steeg au courant de ce que j'avais fait. C'est alors que je reçus la visite de Montagne, que je ne connaissais entendu pas, mais dont j'avais parler comme d'un ancien officier de marine ayant brillamment obtenu, pendant la guerre, la croix d'Officier de la Légion d'Honneur. suidéclaration .Montagne me faisait la stupéfiante vante « Il connaissait l'action si efficace de la Fédération en faveur de nos soldats, il était vaguement au courant des tractations que je menais en faveur de nos et il se mettait à ma disposition, car, dans prisonniers il serait chez Abd el Krim et vercinq jours exactement, rait nos captifs. » Assez sceptique, à Montagne je répondis que la Fédéde tout son pouvoir, pécuniairement et ration l'aiderait dans son matériellement. Comme il ne pouvait emporter de bagages, je lui confiai un peu de expédition beaucoup tabac et de chocolat pour nos malheureux compatriotes et le priai de demander à Abd el Krim pour moi-même l'autorisation de franchir les lignes avec un convoi de ravitaillement assez important. On devine dans quel état d'anxiété je passai les quelDe Tanger, M. Azancot m'écriques jours qui suivirent. vait qu'il avait de bonnes nouvelles et me demandait de prévoir un voyage par mer. A l'étude, ce voyage se présentait pratiquement étant donné surtout la impossible, internationale toute où se trouvait situation spéciale Tanger, point de départ obligatoire de l'expédition. la situation s'éclaircit avec l'arrivée d'une Brusquement t 3


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» (coulettre de Montagne, lettre parvenue par « rekkas avait passé les lignes, avait vu reur indigène). Montagne franAbd el Krim et avait pu visiter tous nos prisonniers indiainsi qu'une partie des prisonniers çais européens, Il m'annonçait en même temps gènes et espagnols. et que je pourrais passer les qu'Abd el Krim m'attendait lignes à un endroit fixé, avec un convoi de ravitaillement. Il me demandait de prévoir une organisation également complète, avec l'appui tible de faire parvenir à nos captifs.. )tants

des autorités, régulièrement

susceporganisation des envois impor-

aucun comme je l'ai déjà indiqué, Malheureusement, appui officiel ne pouvait nous être donné en l'état àctuel de' la situation qu'une politique, et je ne pus organiser fort réduite. expédition rentrait du Quelque temps après, du reste, Montagne avec lui deux grands blessés Riff, ramenant français qu'Abd el Krim avait libérés en gage de sympathie pour la France. Un jeune parent éloigné d'Abd el Krim, Si Bou Tahar, l'accompagnait. Ce jeune Riffàin devait m'être attaché lors de mon voyage dans le Riff. A la nouvelle du retour de Montagne dans nos lignes, je partis immédiatement. Depuis plusieurs jours déjà, sur Taza de nombreux colis dont une j'avais acheminé avait déjà été réexpédiée sur Dar Caïd Medboh partie par un homme dévoué, M. Bildgen. Montagne m'attendait au passage à Meknès; il me donnait tous renseignements utiles et j'arrivais à Taza le 17 mars au soir par une pluie diluvienne. Pour la clarté de mon exposé, je crois plus simple de transcrire ici les notes du carnet de'route que je tins dès mon arrivée à Taza.

~7 mars ~926. Après n'ont souffert que quelques

un bel paquets

accident d'auto dont de cigarettes, je suis


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arrivé à Taza à 19 heures par une pluie battante. La ville être appelé « ville ~) est (si tant est que Taza puisse bondée de troupes et d'officiers; aucune chambre disponible nulle part. Je rencontre fort heureusement un CaM. Juillard, à me dénicher un sablancais, qui arrive ». J'y dors du reste petit coin à la gare du « tortillard fort bien.

18 mars. Je me réveille de bon matin avec la pluie. Je suis navré. Au contraire, les colons de la région, tout cette eau tombant une grande joyeux, bénissent après sécheresse. Si Bou Tahar, le cousin d'Abd el Krim, est venu jusqu'à Taza où il loge chez le naïb des Habous en compagnie d'un indigène de Fez, le chérif Chbihi, qui doit lui aussi dans le Riff. m'accompagner Avant d'aller les voir, je me rends au bureau des Renoù je suis fort aimablement seignements, reçu par le Je vois ensuite le colonel, chef de la Région, capitaine que j'ai connu à Rabat comme chef des Renseignements. A 10 heures, je me rends chez le naïb des Habous, où de Si Bou Tahar et du chérif Chbihi. je fais connaissance Un peu de désillusion. Si Bou Tahar est un gamin de 18 à 20 ans, timide, l'air irrésolu et désorienté. Rien du farouche Riffain que je voyais en imagination. D'une exil est vêtu d'une extrêmement quise politesse, façon de laine brune sans ornesimple. Il porte une djellaba ses pieds sont nus dans des babouches ments très ordinaires. Le chérif Chbihi est un grand vieillard d'un âge incertain dont la physionomie respire l'énergie et la décision. Après nous être copieusement nous congratulés, décidons que nous attendrons lendemain Bildjusqu'au gen qui doit venir à Taza. Si Bou Tahar me recommande un stock d'emporter il m'affirme de priimportant.de quinine; que beaucoup


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sonniers ont « la fièvre », sans pouvoir préciser davantage. Je profite de l'après-midi sous la pour visiter, toujours pluie et dans une boue gluante, quelques jeunes orphelins nous avons l'habitude des colis et auxquels d'envoyer qui se trouvent pour le moment à' Taza. Je distribue aux différents corps environ 1.500 paquets avec moi et des sommes de cigarettes que j'ai apportés assez

rondelettes

pour

améliorer

les ordinaires.

?9 mars. la pluie. Si Bou Tahar et Chbihi Toujours car nous sommes toujours sans nouvelles s'impatientent, de Bildgen. Je leur promets de louer aujourd'hui même, sans attendre des véhicules davantage, pour transporter à Dar Caïd Medboh les colis restés à Taza et nous-mêmes. J'ai bien peur par la suite de ne pouvoir tenir ma prodifficultés messe, car ce n'est qu'avec de multiples que je une camionnette et une Ford. puis m'assurer Je passe sous silence le prix que je suis obligé d'accepter. On me prédit du reste que, ni moi, ni mes colis ne passerons, les oueds étant transformés en torrents. la route impraticable. que sais-je encore? 20 mars. Il ne pleut plus. Le ciel est gris et menaçant, mais il ne tombe plus d'eau, c'est un fait. La arrive à l'heure dite; j'y fais charger les colis camionnette et c'est avec plaisir que je la vois prendre la route de Kiffane. La Ford est également à l'heure en route pour Dar Caïd Medboh. à tous les pronostics, la route est relaContrairement tivement nous traversons les oueds sans diffibonne; cultés. Tout au début, un incident. Je suis arrêté par les gende circuler darmes, car je n'ai pas le permis régulier. Un coup de téléphone au colonel commandant à Taza et nous repartons après avoir perdu 3/4 d'heure.


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Pendant le trajet, Chbihi me raconte la visite chez le et d'un ami naïb des Habous du fils d'Amar d'Hamidou du caïd Medboh. Le caïd Medboh et Amar d'Hamidou deux excellents « baroudeurs » commansont, paraît-il, dant nos forces supplétives de la région. Le premier a tenu tout autour de Kiffane; le second a reconquis les territoires des Marnissa, dont il avait été chassé par Abd el Krim. Evidemment la présence à Taza de Si Bou Tahar n'avait pu rester secrète et avait intrigué les deux chefs sous indigènes qui avaient envoyé aux'renseignements, couleur d'une visite de courtoisie au naib. Je ne puis m'empêcher de rire quand Chbihi me mime l'insolence de l'un des visiteurs qui, au bout de quelques instants, déclara en reniflant que « cela sentait le Riffain ». Sans se démonter, Chbihi présenta Si Bou Tahar lâcha aux deux apôtres et, très crûment, Maintenant que vous~-a-vez rempli votre métier d'espion, on ne vous retient plus. Bien qu'approuvant au fond Chbihi, je lui pleinement affirme qu'il a eu tort d'être aussi catégorique dans la forme. A dix heures, nous sommes à Dar Caïd Medboh, simple dominé par une bâtisse de peu d'imporcamp militaire, tance la maison du caïd. Tous les colis sont là, mais pas d'auto pour les transporter à Dar Caï Mohand qui doit être le véritable La capoint de départ de l'expédition. mionnette Dar Caïd Medboh ne qui les a amenés jusqu'à aller plus loin. Je vais donc téléphoner à peut, paraît-il, Taza. Je m'aperçois bien vite qu'il.y,a loin de l'intention à l'exécution et que les lignes militaires n'ont rien à envier au réseau civil marocain. Au lieu de Taza, on me donne d'abord deux ou trois autres postes, puis on prend le Je suis d'autant parti de ne plus me répondre. plus vexé


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me que Si Bou Tahar, qui me regarde d'un air narquois, dit en souriant chez nous, cela ira plus vite. Quand tu téléphoneras Je parviens à mes fins et une camionnette cependant m'est promise, mais seulement pour le surlendemain. Si Bou Tahar est logé dans une tente avec Chbihi et je couche dans une baraque le lieuoù, très aimablement, tenant du génie a bien voulu m'accueillir. Au cours de la soirée, j'ai été étonné par les allures de curieux quelques indigènes qui nous suivent et paraissent de nos moindres et je charge un gestes. Cela m'intrigue de travaux jeune Arabe du Souss, boy d'un entrepreneur Son patron m'affirme que je connais, de s'enquérir. qu'il est remarquablement « débrouillard ». Il

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21 mars. J'ai passé une très mauvaise nuit sur ma vraiment J'en ai l'explication au paillasse peu élastique. réveil en constatant était en grande que cette paillasse avec des haricots. partie rembourrée C'est, paraît-il, une réserve en cas de ravitaillement impossible. Mon informateur « soussi » vient me donner des exLes gens qui nous surveillent sont au service plications. du caïd Medboh. Décidément ce brave caïd a une police nombreuse et nous devons lui paraître suspects. Si Bou Tahar manifeste une certaine Je inquiétude. lui répète qu'il est ici sur la foi de là parole donnée et rien à craindre. Il me répond qu'il qu'il n'a absolument sait parfaitement n'avoir rien à redouter des Français, mais qu'il est loin d'avoir la même certitude en ce qui concerne le caïd. Pour le tranquilliser, je décide que Chbihi prendra mon revolver pour la nuit prochaine et que le jeune « soussi », armé lui aussi, couchera sous leur tente. Dans la journée, je téléphone à Dar Caïd Mohand pour être sûr d'avoir des mulets le lendemain.


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Je visite toutes les unités au repos a Dar Caïd Medboh. Toutes ont déjà reçu des colis de la Fédération. Comme à Taza, je distribue quelque argent pour l'améAux orphelins lioration de l'ordinaire. je donne de quoi faire quelques achats chez le soukier.

22 marx. Nous chargeons de bonne heure la camionnette enfin arrivée, mais tous nos colis ne peuvent y trouver heureusement avec place. Nous nous entendons le patron de la « baraque » du lieu, qui, hospitalière veut bien nous moyennant cinq francs du kilomètre, à Dar Caïd Mohand dans sa propre voiture. transporter Comme par hasard, au moment du départ, la pluie se met à tomber. Nous arrivons sans incident à Dar Caïd Mohand. A de Kiffane, nous avons eu comme route le lit de partir l'oued. Je me présente au bureau des renseignements où. G* L'accueil est extrêje suis reçu par le capitaine mement réservé. On m'indique une salle où je pourrai coucher avec Bildgen et une autre où coucheront Si Bou Chbihi et Moulay Hamed, un jeune schleuh Tahar, que d'emmener avec moi comme garde Bildgen me demande du corps de toute confiance. Je fais connaissance avec les Riffains que Si Bou Tahar avait laissés à Dar Caïd Mohand, deux gaillards bien L'un peut plantés, nerveux, sans un atome de graisse. avoir dix-huit ans et l'autre trente-cinq. Tous deux viennent cérémonieusement me baiser la main. Le capitaine S* vient m'inviter pour le dîner et me le lieutenant G"* du goum, qui me remercie présente des envois faits par la Fédération à son unité. Je profite du temps disponible avant l'heure du repas et troupes du génie, qui campour aller visiter tirailleurs Tous ont reçu des colis de la Fédépent à proximité. ration, et à tous je laisse quelque argent au nom de cette


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même Fédération a une bonne presse qui, décidément, parmi les troupiers. Au dîner, nos hôtes sont beaucoup plus cordiaux qu'à bien que l'on sente encore une réticence l'arrivée, très nette. Tous les sujets sont abordés, état-major, renseignements, autonomie de l'Alsace-Lorraine. Les oreilles de « légumes doivent tinter de belle façon. Un quelques très bon phonographe ensuite d'apprécier nous permet les derniers tangos. En principe, quinze mulets de la tribu des Gzennaia avec leurs conducteurs doivent être prêts demain à 8 heures. Si Bou Tahar a avec lui deux chevaux et deux mulets au Maghzen rinain et qui ont ramené dans appartenant les lignes françaises Montagne et les deux grands blessés libérés. Je prendrai un des chevaux pour moi-même d'Abd el Krim et je demande au capitaine des renseignements un cheval pour Chbihi, au moins jusqu'aux lignes riffaines. Il m'est répondu que les instructions sont telles cheval ne peut m'être prêté. Chbihi ira donc à qu'aucun de remarquer pied. Je ne puis m'empêcher in petto qu'il est fort heureux qu'un cheval riffain soit là, sinon j'eusse été obligé de faire comme Chbihi. J'avoue que ces réflexions me laissent amertume. quelque

23 mars. A 7 heures, je suis prêt et j'attends les mulets. A 10 heures, toujours rien les premiers n'arrivent qu'à midi trente. Je trépigne, mais il paraît qu'il n~y a rien à faire. La pluie se met à tomber, violente. Heureusement Bildgen a un vêtement de cuir, que très obligeamment il met à ma disposition, va retourner à Dar Caïd puisqu'il Medboh. Mes caisses sont bien fermées et il faudrait qu'il pleuve vraiment longtemps pour que leur contenu puisse s'abî-


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auront 20 francs mer. Il est entendu que mes conducteurs la nourpar jour et par mulet et qu'ils devront assurer riture de leurs bêtes. Ils touchent tous une avance de cent francs. Nous partons vers 14 heures sous une pluie battante, bien entendu. Au bout de dix minutes, tous mes compagnons de route sont trempés; quant à moi, mes jambières forment des gouttières mes parfaites, auxquelles chaussures servent de réservoirs. Le vent souffle violent; nous sommes pris dans des rafales de neige fondue. J'ai les lèvres toutes gerçées. Nous suivons un moment le lit de l'oued, puis abordons franchement la montagne. Le sol est détrempé dans une montée assez rapide, mon cheval glisse des quatre fers et je me retrouve par terre fort sale, mais sans aucun est vraiment farouche mal. Le pays que nous traversons et très accidenté. Des schistes et toujours des schistes car on se decouverts d'arbustes qui étonnent, rabougris mande vraiment où ils peuvent puiser leur nourriture. En cours de route quelques-uns des conducteurs viennent me trouver pour m'affirmer qu'on leur a promis 25 francs par jour et non 20 francs. C'est le coup classique. Je les envoie

à Chbihi qui a vite fait de les mater avec quelques paroles plus qu'énergiques. La pluie ne cesse pas. Vers 19 heures, nous arrivons en vue de quelques « mechtas où nous devons passer la nuit et qui forment, paraît-il, le village de Brarhed. Les colis sont mis en ma présence dans une sorte de souterrain et nous nous acheminons vers la mechta où nous allons passer la nuit. <Un trou dans un mur de torchis, la c'est, paraît-il, en descendant deux dans la « pièce porte. Je pénètre marches de terre et j'ai vraiment d'être dans l'impression une cagna du front. La chambre a environ six mètres de en deux parties long sur deux de large et est divisée


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Nous de roseaux entrelacés. inégales par une cloison sommes dans la portion la plus spacieuse; une partie du sol en est surélevée, formant ainsi une sorte de petite et d'armoire. soupente qui sert de débarras Au moment où j'entre, des braises rouges entassées sur un plat de terre dégagent une douce chaleur et pas mal comme il n'y a pas d'oxyde de carbone. Heureusement, de porte, les rafales de vent changent l'air de temps en tous sur la terre battue; temps. Nous nous étendons on me fait l'honneur de m'apaprès quelques instants, a dû être porter un objet qui, dans des temps lointains, une natte d'alfa. On nous sert le thé et je donne à Chbihi l'argent nécessaire pour que tous les frais de notre hôte soient très largement réglés. Chbihi demande à ce dernier de nous accompagner dans le Riff. Il Ti'a pas une grande confiance dans nos conducteurs et voudrait de sérieux, appartequelqu'un nant à leur tribu, pour les surveiller un peu. L'affaire se règle très facilement. moyennant. finances, bien entendu. Au beau milieu de la conversation, six ou sept chèvres font irruption dans la salle, au grand dam des verres à thé, quelque peu bousculés. On les pousse derrière la cloison de roseaux; c'est là qu'elles passent habituellement la nuit. J'essaie vainement les par la suite de m'endormir; de m'en empêcher. Je suis un peu japuces se chargent loux de Si Bou Tahar qui, allongé près de moi, dort comme un bienheureux, sans se soucier de ces bestioles dont je suis couvert. Je n'ai jamais tant de regretté n'avoir plus qu'une main, qui ne suffit pas à la besogne. (/ 2~ mars.

-~r

Au petit jour nous sommes tous debout; il ne pleut plus, mais l'air est glacé. Nos mulets sont rapiNos guides nous indiquent dement .chargés': que l'itinéraire le plus court est absolument impraticable par suite


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des pluies de la veille. Nous devons donc passer par Tizi Ouzli et Sidi Ali Bou Rokba. Nous cheminons à travers un paysage semblable à celui que nous avons parcouru la veille. Vers les dix heures, nous passons devant le bureau des de Tizi Ouzli, puis, un peu plus loin, renseignements nous laissons le poste à notre droite, pour nous engager dans de véritables sentiers de chèvres, que des tirailleurs sont en train d'aménager fort judicieusement. A peine avons-nous mètres d'une parcouru quelques des appels et piste rocailleuse, que nous entendons voyons derrière nous sur une crête un cavalier qui nous fait des signaux et s'époumonne à nous crier de nous arrêter. Dès qu'il nous a rejoints, il me tend un pli du cade Dar Caïd Mohand pitaine des Renseignements Cher Monsieur, Bien vite ce mot pour vous dire de ne pas passer les lignes; rentrez de suite à Dar Caïd Mohand avec votre convoi en attendant des instructions. Agréez mes salutations. Je me demande le pourquoi de ce billet dont le laconisme et la sécheresse m'étonnent un peu. La perspective de rejoindre Dar Caïd Mohand ne m'enchante guère et je « renseignements » prends le parti de revenir jusqu'aux de Tizi Ouzli d'où je tâcherai d'avoir par téléphone des précisions. comJe suis reçu de façon charmante par le lieutenant mandant le bureau, mais j'essaie vainement de téléavoir au bout du fil le phoner à Taza. Je puis cependant de Dar Caïd Mohand, capitaine qui ne peut me donner aucune explication; il m'a transmis les ordres qu'il avait lui-même reçus de Taza. Je lui indique que plutôt que de retourner à Mohand, je préfère attendre à Tizi Ouzli le contre-ordre de m'être adressé. qui ne peut manquer Le lieutenant une « mechta » où mes m'indique d° compagnons indigènes pourront loger. Je demanderai


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au poste où je suis accueilli par les mon côté l'hospitalité avec une bonne grâce et une officiers du 35° tirailleurs cordialité qui me touchent profondément. Mais je sens que Si Bou Tahar est fort inquiet de notre arrêt. Je décide donc de prendre mes repas au brusque de poste, mais de rester la nuit avec mes compagnons route pour les tranquilliser. Je n'en mourrai pas pour quelques nuits passées sur une natte. Je fais de suite acheter pour notre hôte indigène, qui est un tout jeune homme, un. mouton et une chèvre.

25-26 mars. Je reste au poste dans la journée et retourne le soir, escorté de Mqghazeni (car le pays n'est mes indigènes. pas sûr), à la mechta où m'attendent sur messages à Taza, demandant exJ'envoie messages et instructions; aucune réponse ne m'est faite. plications ,-A27 ~nars.

Perdant

ce matin patience, j'ai demandé par message qu'une auto vienne (à mes frais bien enm'attendre à Mohand, que je vais regagner sur tendu) le cheval d'Abd el Krim. Je fais quelques distributions aux troupes du poste et avec mes compagnons de route je palabre longuement de moins en moins notre arrêt qui comprennent prode mon départ. Je leur donne toutes longé et s'étonnent les bonnes raisons qui me passent par la tête et je leur d'être de retour dans les 48 heures. promets formellement Au moment où je vais les quitter, une femme se prosterne à mes pieds, invoquant mon appui. C'est la mère de notre hôte indigène. Au milieu des cris, des pleurs et des de toute la famille, je finis par comprendre explications que la jeune sœur du maître du logis a été enlevée sur l'ordre du caïd Medboh et qu'elle est destinée à devenir, contre son gré et celui de sa famille, l'épouse d'un dès


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khalifas du caïd. On a eu beau invoquer le jeune âge de la « fiancée malgré elle », le caïd Medboh a envoyé un et il a bien fallu lui remettre la jeune fille. moghazeni Je promets solennement de saisir de l'incident le lieutenant des « Renseignements », ce que je fais aussitôt. J'ai l'assurance immédiatement à une qu'on va procéder enquête. Arrivé à Mohand, je ne trouve personne aux « renseiA mon passage à », mais l'auto m'attend. gnements Kiffane, on me signale que Montagne est dans la région, mais je ne puis obtenir d'autres précisions. Sitôt à Taza, je bondis -chez le colonel commandant la Région, fort ennuyé de me voir là, car il venait justement de recevoir l'autorisation pour moi de passer les lignes. du reste de savoir le motif de l'interdiction Impossible momentanée gui m'avait été signifiée. Sur ma demande, Mohand' des ordres mis à ma disposition

le colonel Huot veut bien donner à précis pour que des chevaux soient le cas échéant.

Je retrouve compagner que nous heure.

Montagne, qui a l'amabilité de vouloir m'acet il est entendu jusqu'aux lignes riffaines, le lendemain matin à la première partirons

Mon premier soin est ensuite d'aller au cours duquel j'extermine quelques charmantes si connues petites bêtes tranchées.

prendre un bain, familles de ces des poilus des

Dans la soirée, plusieurs ordres et contre-ordres me sont transmis sans que finalement la situation en soit modifiée, et je m'endors exaspéré, me demandant si, oui ou non, nos malheureux verront un jour les prisonniers colis qui m'attendent à Tizi Ouzli. Bien entendu, pendant tout ce temps, mes muletiers touchent 20 francs par jour à ne rien faire. A ,Avant de m'endormir, de recevoir j'ai eu le plaisir


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une bonne visite, celle de camarades de distribution sur le front.

de Rabat

en tournée

28 mars. Je pars avec Montagne dès que le jour paraît. Sur la route, la 1" C"* de sapeurs de la pionniers la Fédération en ma personne. Légion tient à acclamer Nous arrivons à Mohand où le capitaine Schmidt nous retient à déjeuner et nous fournit des chevaux pour gagner Tizi Ouzli. C'est avec joie que mes indigènes me revoient accompagné de Montagne. Je leur annonce notre départ pour le Riff pour le lendemain matin. Si Bou Tahar reste sceptique et me dit Les Français ne savent jamais exactement ce qu'ils nous devrions être dans le veulent; depuis longtemps Riff. il expédie un rekkas qui sera chargé d'aller Néanmoins, jusqu'aux lignes riffaines prévenir de notre passage pour le lendemain.

29 mars. Montagne a couché avec moi dans la mechta des indigènes. Avant le jour, je suis debout pour préparer le départ. Nous passons au poste prendre une légère collation et faire nos adieux à ceux qui nous ont si bien reçus puis en route pour Sidi Ali Bou Rokba. Le lieutenant des Renseignements nous donne un moghazeni chargé de nous convoyer jusqu'aux lignes tenuès par nos partisans. Nous arrivons

sans incident à Sidi Ali Bou Rokba sur notre quelques coups de feu, mais assez lointains, c'est le vide le gauche. Nous ne rencontrons personne; dans une grande plus absolu et nous nous engageons de petits groupes de buissons. plaine parsemée Nous faisons halte pour prendre mais nous quelque nourriture,


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et moi, seuls, Montagne en période de Rhamadam.

mangeons maintenant Nous repartons Nos conducteurs d'eux m'affirme

47 car

nous

sommes

sans voir personne. bientôt, toujours et l'un paraissent quelque peu inquiets qu'il ne faut pas aller plus loin. Le n'a lui-même moghazeni qui nous accompagne toujours pas l'air d'être très rassuré. de mètres devant nous, Soudain, à quelques centaines des silhouettes Ce qui peu à peu se précisent. j'aperçois sont deux réguliers riffains, l'un armé d'un lebel et l'autre d'un fusil mitrailleur. Ils nous font signe d'avancer. nous précède Montagne déjà, armé d'un appareil photographique. Derrière le petit poste riffain nous quelques buissons, une trentaine d'hommes sont là, bien alignés apparaît et nous présentant les armes à la manière espagnole. Nous passons devant eux en les saluant et je remarque tous sont armés de « mausers », sauf un que presque Un peu ou deux qui ont des mousquetons Saint-Etienne. sèches, plus haut, dans une sorte de réduit en pierres deux mitrailleuses sont braquées sur nous, les bandes de cartouches toutes prêtes. Les servants sont deux « gostous ses dont l'aîné n'a certainement pas seize ans des stadeux, figés derrière leur mitrailleuse, paraissent tues. de salutations. Notre moghazeni est éberlué Echange et ne sait vraiment adopter. Après pas quelle contenance à quelques photos prises par Montagne qui va retourner Tizi Ouzli avec le moghazeni, nous nous séparons. Mon convoi et moi-même, nous nous dirigeons sur une « ma» (poste de commandement), hakma située à deux ou trois kilomètres de là. Deux soldats riffains nous accompagnent. J'avoue que je me sens alors le cœur plus léger; jusavec la hantise de voir souqu'à présent j'ai cheminé m'endain apparaître un cavalier porteur d'instructions


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de revenir sur mes pas. Maintenant, je suis joignant par 30 fusils protégé contre les ordres et les contre-ordres riffains les prisonniers seront secourus. à la mahakma exactement à 1 h. 15. Nous arrivons Je suis reçu par un vieux caïd qui connaît fort bien sont là, qui Si Bou Tahar. Une cinquantaine d'hommes J'entre nous présentent les armes de façon impeccable. dans une petite pièce très propre, toute badigeonnée de à m'asseoir. sur une chaise, s'il chaux, et l'on m'invite vous plaît. est installé dans un coin. de campagne Un.téléphone Le caïd sonne et resonne dix minutes sans le pendant moindre résultat. Je regarde Si Bou Tahar en souriant c'est ma revanche de Dar Caïd Medboh. ironiquement Enfin une conversation s'engage, mais en berbère~ ce qui fait que je n'en saisis pas le moindre mot. Nous remontons à cheval, salués aussi cérémonieusement qu'à l'arrivée, et nous commençons à grimper par des sentiers plus que raides un massif qui, paraît-il, nous sépare de l'Oued Nkor. et me montre dans Un moment Si Bou Tahar m'arrête le lointain une sorte de cuvette. Souk es Sebt, me dit-il. Les Riffains ont, d~tprès lui, bousculé là une de nos colonnes et nous ont pris deux canons de 75 qui « se cassent en six morceaux ». Je présume qu'il s'agit de tout nouveau modèle. L'un d'eux, canons de montagne, me dit Si Bou Tahar, a éclaté, tuant les servants riffains le mettre en batterie; il qui voulaient quant à l'autre, bombarde Tétouan. Arrivé au sommet du massif, un panorama merveilleux se développe à mes yeux. Au loin, la Méditerranée, d'un bleu sombre, et,.plus de gorges et près, une succession de ravins qui sont certes splendides, mais par lesquels il faudra descendre le lit de l'oued Nkor pour rejoindre qui coule tout en bas. d'admirer le paysage, de Sous prétexte je descends


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fois arrivé cheval, bien résolu à n'y remonter qu'une à l'oued. Et la descente commence. Pendant plus d'une heure, c'est un vrai supplice; un des soldats riffains a l'amabilité de me passer la canne ferrée qu'ils ont tous et cela m'aide un peu. Patatras! une mule dégringole. Elle peut s'arrêter heureusement au bout de quelques mètres, mais son charau fond d'un gement est projeté dans un petit ruisseau ravin. La pauvre bête est sérieusement blessée, mais le de l'affaire, c'est qu'une bonne partie de plus navrant ma provision de quinine est perdue. J'ai heureusement de la répartir en plusieurs pris la précaution charges, mais ce qui me reste va se trouver insuffisant. à l'oued, dont nous suivons le Enfin, nous arrivons lit pendant à une kilomètres, quelques pour parvenir mahakma gardée par six hommes. C'est là que nous la nuit. On me sert du thé et des œufs cuits à passerons l'huile. huile rance bien entendu. bienMalgré moi, mes yeux se ferment et je m'endors tôt en dépit des puces, du manque de nattes, des sonneries du téléphone qui n'arrête pas et du bruit fait par mes compagnons qui, s'ils ne mangent ni ne boivent pendant la journée de larges (c'est le carême), prennent durant la nuit. compensations

30 mars. Je suis réveillé vers les 3 heures du matin aussitôt ma lampe électripar un bruit confus. J'allume la curiosité amusée des soldats que, ce qui provoque riffains présents. Je sors de la pièce où nous dormions tous. J'ai un moment en constatant d'inquiétude que mon convoi a disparu. Le caïd de la imahakma m'explique immédiatement que, les mulets chargés ne pouvant emprunter le chemin plus court, mais plus difficile que nous il a jugé bon de les envoyer en nous-mêmes, prendrons


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avant sous la garde de trois soldats riffains qui en ont l'entière responsabilité. J'avoue que j'aurais préféré ne pas lâcher mon convoi. Désireux de partir au plus tôt~ je ne me recouche pas. Assis sur le talus qui borde l'oued presque à sec, j'assiste à une circulation intense dans le lit de la rivière qui sert bêtes de somme, tout cela de piste piétons, cavaliers, passe et repasse dans une activité fébrile. Un moment, je puis identifier des tubes de mitrailleuses il y en a là au moins une diqui sortent des chouaris; zaine. Nous partons à 5 h. 1/2 et, tant que nous sommes-dans le lit de l'bued, j'active un peu l'allure, pressé que je suis de revoir mes, mulets; mais il me faut bientôt ralentir, car nous avons vraiment extrêmement dandes passages gereux. Vers les 11 heures, je rejoins le convoi, qui décidément a bien marché. Nous nous arrêtons tous pour souffler un où je dois me rendre, est en face de peu. Temassint, nûus à 5 ou 6 kilomètres à vol d'Oiseau, mais nous serons dé détours pour y parvenir. Obligés encore à beaucoup Je distingue très nettement la baie d'AlhucemaS et le penon d'AIhucemas. Nous croisons de nombreuses lignes téléphoniques allant un peu dans tous les sens. Certaines sont posées à même la terre; pour d'autres, le fil est enroulé autour d'utie grosse branche d'autres lignes plantée eh terre; enfin ont été montées suivant la technique moderne avec isolateurs et poteaux spéciaux. Ces derniers proviennent, paraît-il, du butin fait sur les Espagnols. A 1 heure 1/2, nous arrivons à la sint. Si Bou Tahar se retrouve au il est de puisqu'on temps ordinaire mahakma. On m'apprend que je serai toge

de Temasmahakma milieu de ses amis, service à cette même dans

la « maison

du


AUR)FF

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Sultan s. C'est là qu'a été également logé Montagne. Cette maison est perchée sur une colline assez élevée et Si Bou Tahar me donne un guide pour m'y conduire avec Chbihi et Moulay Hamed. Au moment où je quitte la mahakma de Temassint, deux ou trois prisonniers ~e rencontre les espagnols, mains chargées de fils téléphoniques. de leur J'essaye mais leur gardien ne le permet pas et à coups parler, de crosse les éloigne de moi. Un peu plus loin, je vois des indigènes et demi-nus d'une maigreur la terre pour squelettique, qui creusent Tous s'arrêtent de trairriguer plantations. quelques vailler à la vue d'un Européen; mais des gardiens armés, se précipitent que je n'avais pas remarqués jusque-là, leur tâche. Je passe aussi près pour les obliger à reprendre de voir si, parmi les loqu'il m'est possible, en essayant des débris d'uniques qui les recouvrent, je reconnaîtrai formes. 0 Je ne puis rien voir et suis assez perplexe, quand une voix s'élève parmi eux, disant très nettement 14° tirailleurs, 3' bataillon. Je ne bronche mais une minute pas sur Fe moment, ï'au* d'examiner le après je me retourne et, ayant paysage, je dis à haute voix Compris. Une lueur d'espoir passe dans les yeux de ces malheureux. A mon arrivée à la maison, je suis immédiatement conduit dans une salle blanchie à la chaux, dont le sol est recouvert de nattes d'alfa. Deux matelas sont allongés côte à côte sur les nattes; sur chaque matelas, deux grandes couvertures de laine sont pliées. Dans le coin de la pièce, une petite table de bois blanc sut: laquelle je retrouve des laissés par Montagne. Deux jeunes Riffains me papiers son' présentés; l'un est, paraît-il, chargé de me faire ma cuisine et l'autre de me servir. On m'informe que je suis


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on m'apporte de du Sultan, et imméditament l'hôte quoi boire et manger. Le téléphone existe dans la maison; je puis donc imdire à Si Bou Tahar, resté à la mahakma médiatement de ma part de Temassint, que je le prie de remercier d'être reçu Abd el Krim et que je serais très heureux matin. par lui le lendemain II y a bien une vieille caïda riffaine, paraît-il, qui veut que je me repose trois jours avant d'être reçu par le mais Chbihi a manœuvré d,e façon que Si Bou Sultan; une entorse au rèTahar puisse faire sans inconvénient glement. En effet, dans la soirée, un coup de téléphone forme que Si Bou Tahar me prendra le lendemain 7 heures avec des chevaux pour me conduire Sultan~ qui n'est plus à Tessamint, paraît-il, Ben Youssef, où sont également Sidi Abdallah sonniers français.

m'inmatin à chez le mais à les pri-

Je demande immédiatement si je puis apporter queldès le lendemain. Si Bou ques vivres pour les prisonniers Tahar me le déconseille et me dit Tu t'arrangeras avec le Sultan; la seule chose que tu .puisses faire, c'est d'emporter les lettres que tu as à Abd el Krim lui-même. pour eux et que tu remettras La nuit tombe assez vite; je sors de la maison et, sans aucune me promène dans les cactus surveillance, qui entourent l'habitation. Je ne qui nous De temps dre dans et je ne repas du

puis croire que je suis au a obligés à amener 100.000 à autre, un coup de canon la direction d'Ajdir. A part rentre que lorsqu'on vient soir est servi.

Je crois rêver quand j'aperçois à mon arrivée qui m'a été présenté

cœur du petit pays hommes au Maroc. sourd se fait entencela, tout est calme me prévenir que le le petit domestique et qui m'apporte les


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plats tance

(pigeons rôtis, œufs frits) revêtu d'un magnifique tablier blanc.

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pour

la circons-

31 mars. J'ai passé une très bonne nuit; les puces ont été suffisamment discrètes. Vers les 4 heures, je suis réveillé par l'entrée dans la chambre d'un indigène que je ne connais pas et qui cris lorsque je dirige le faisceau lupousse de véritables mineux de ma lampe électrique sur son visage. Il se présente dans un français correct c'est AMelkader Tazi, fils de l'ancien naïb du Sultan à Tanger, qui s'est enfui de cette dernière ville avec ses deux frères pour venir dans le Riff. Il est albinos et la lumière électrique que je lui ai en plein visage lui a causé une véritable soufprojetée france. Je le fais immédiatement il parle assez coucauser; ramment le français et j'arrive à connaître rapidement son odyssée. Il est venu, dit-il, dans le Riff pour jouer un bon tour à son père qui a refusé de le laisser épouser Ses deux une de ses cousines, dont il était fort amoureux. jeunes frères n'ont pas voulu le laisser partir seul et l'ont accompagné. dans le Il se trouve, d'après ses dires, fort malheureux Riff, et la privation qui lui coûte le plus est celle du C'est un malade, un névrosé, mais qui paraît whisky. Je juge immédiatement qu'il peut m'être fort intelligent. utile, à condition que je ne le compromette pas aux yeux des Riffains. Je n'ai pas de peine à lui faire avouer que ces derniers me l'ont envoyé en principe pour me servir d'interprète, ce mais en réalité pour me surveiller et savoir exactement que je pense. Il est persuadé, dit-il, que les Riffains ne demandent et ajoute qu'ils ont en avec les Français qu'à s'entendre


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très grande estime M. Steeg, qui a ici une réputation bien établie de droiture et d'équité. Tazi m'affirme été francophile, qu'il est et a toujours et s'inquiète du sort qui lui serait réservé s'il pouvait rentrer en zone française, avec ses frères. Je lui promets mon appui, si cette .dernière ~éventualité se produisait. Il est prêt, dit-il, à écrire une lettre au'Gouvernement du Protectorat, s'en remettant à sa discrétion. Il m'annonce sensationpour plus tard des révélations nelles, car nous voyons apparaître Si Bou Tahar suivi de chevaux et de mulets. Notre petite 'caravane :se met ,en route -elle se compose de Si Bou Tahar, Chbihi, Moulay Hamed, Tazi et moimême. Si Bou Tahar seul possède un fusil. J'ai laissé intentionnellement mon revolver sur la table de la chambre, bien en évidence. Il est environ 8 h. 1/2 quand nous partons. Le ,chemin n'est pas très dur, mais il est néanmoins impossible d'aller vite. Nous traversons ~ne région très cultivée, mais où la récolte est bien compromise, sinon totalement perdue. Si Bou Tahar m'informe qu'il n'a pas plu de tout cet hiver; les champs desséchés que nous avons devant nous en sont la preuve. Au bout de deux heures, nous arrivons A Sidi Abdallah ben Youssef. Si Bou Tahar me demande d'attendre queldans le lit de l'oued, tandis que lui-même ques minutes va prendre des instructions au poste de commandement. Nous descendons de cheval et nous nous asseyons à l'ombre de lauriers-roses. Tazi voudrait bien boire, mais, comme nous sommes en Rhamadam, il n'ose le faire devant ses coreligionnaires et se plaint à moi de leur « obscurantisme ». Si Bou Tahar nous appelle. Nous arrivons près d'une d'une c.entaiue d'hommes, garde riffaine tous portant


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un emblème vert au turban. L,es soldats entourent une tente assez semblable à celles dont les caïds se servent lors des « moussems le bled marocain. dans Personne dans la tente. Nous continuons à pied et nous montons une toujours pente assez raide qui nous conduit en face d'une mechta entièrement camouflée. Des plantes grimpantes, des herbes sèches sont répandues un peu partout sur les murs et sur les toits, et il doit être très difficile aux, avions de la repérer. Une voix irritée se fait entendre; des reparties assez vives sont échangées en berbère entre un inconnu resté à l'intérieur de la maison et Si Bou Tahar. Ce dernier nous fait redescendre la côte en nous disant rapidement qu'il s'est trompé et qu'il ne devait pas nous mener jusqu'à cette mechta. En redescendant, je croise quelques prisonniers espagnols, qui ont l'air de se porter bien et sont enchantés de voir un Européen. les quelques mots d'espaJe rassemble gnol que je connais pour leur faire comprendre que' j'irai sous peu les voir et Jeur faire des distributions. Un peu plus loin, je vois un autre groupe d'une vingtaine de prisonniers, également espagnols, qui font bouillir de l'eau. Je n'ai pas le temps de leur adresser la parole, Si Bou Tahar me faisant signe de me presser. Nous sommes revenus dans le lit de l'oued. Si Bou Tahar nous a de nouveau un quittés et nous attendons bon quart d'heure. Un soldat riffain vient ensuite nous chercher et nous conduit à un petit bosquet distant d'une centaine de mètres de la tente dont il a été déjà question et où Si Bou Tahar me présente un personnage ventripotent qu'il m'annonce comme étant Si Mohamed Azerkane, ministre de la Guerre d'Abd el Krim. Après les salamalecs d'usage, Si Mohamed Azerkane


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des chaises et me prie de m'asseoir. En même m'indique il tire de sa choukara temps, à mon grand étonnement, une lettre qu'il me tend. Je lis sur l'enveloppe Moniteur PARENT, au Rift. C'est un petit mot de Gabrielli, chez lequel Azerkane s'est rendu il y a quelques jours pour une entrevue avec le général Mougin. Gabrielli me donne d'excellents encouet me conseille la prudence. ragements Nous causons instants quelques et, bien évidemmeht, la question de la guerre vient immédiatement sur les lèvres. Azerkane m'affirme n'ont que les Riffains jamais voulu la guerre avec les Français, qu'ils sont profondément navrés de ce qui est arrivé et qu'ils ne demandent trouver un moyen de rétablir une situaqu'une chose tion amicale entre la France et le Riff. Je lui réponds sont dans d'aussi que si les Riffains il est certain qu'il sera facile de les, bonnes dispositions, faire connaître aux Français, qui, eux aussi, ne demandent qu'une chose la paix. Au beau milieu de cette conversation, nous entendons du brouhaha. C'est toute la garde riffaine qui présente les armes. Le Sultan vient d'entrer dans la tente. Si Mohamed Azerkane me demande de bien vouloir le suivre et j'arrive à la tente, sur le seuil de laquelle se tient un homme et me petit, assez gros, qui s'incline souhaite la bienvenue c'est Abd el Krim. · PIERRE PARENT. (A suivre.)




































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AU RIFF I CARNET

DE

ROUTE

15 mai: Nous sommes réveillés nonnade de Temassint. en direction d'avions vient bombarder les crêtes,

par une violente caPuis une escadrille bordant l'oued Ghis, Il et nous en suivons très attentivement les évolutions. semble bien, à certain moment, que l'on perçoive le « tactac des mitrailleuses. Les troupes espagnoles ne doivent pas être loin. Les Riffains sont très inquiets. Le caïd Amar, gardien chef des prisonniers, qui ne brille pas par un courage me'conte son ennui, sa maison familiale extravagant, étant tout près de l'endroit où nous venons de voir tomber les bombes d'avion. Vraiment je ne reconnais plus mes Riffains d'il y a un mois. Où est donc le beau moral qui m'avait particulièrement Ces gens sont découragés et c'est avec frappé? amertume s'écrie qu'Amar les Français recommencent-ils la guerre? Pourquoi J'avais déjà dit à tes amis que leur captivité allait prendre fin Il a du reste une conception qui lui est particulière et bousil voit très bien les Riffains alliés des Français à la mer; ou même les Français culant les Espagnols ne combattant les Riffains s'expliquer plus et laissant avec les Espagnols. Le canon se calme quelque peu. Gaud et moi allons visiter les'prisonniers espagnols, qui sont logés à environ (i) VoyezMercurede France, n°' 685, 686 et 687.


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500 mètres des Français. Ils sont en bien moins bon état fois. Le docteur que lorsque je les ai vus la dernière une épidémie de grippe qui les a considéradiagnostique blement affaiblis. est toujours là, moins bien Ortega lui aussi. portant Garcia Gaud visite tous les malades, aidé du sergent dont les captifs nous font un grand éloge. Je note sur un carnet les prescriptions pour chaque patient. Ils ont leur faire suffisamment de vivres; je vais seulement les médicaments et du parvenir qui leur sont nécessaires lait condensé dont ils n~aur~ont naturellement jamais trop. De retour au camp des Français, je prépare ce qui est nécessaire et ce sont deux de nos compatriotes qui tout le portent la mechta des Espagnols, simplement jusqu'à sans être accompagnés. se passe à faire nettoyer la mechta des L'après-midi avec du désinfectant. Nous en Français, complètement, à la mechta des Espagnols où Garcia fera le envoyons nécessaire. Les Riffains commencent à se rendre compte des danc'est ainsi que Garcia, qui était à gers de la contagion; Bousalah a été, quand il a été envoyé à Sidi auparavant, Abdallah, complètement épouillé et qu'on lui a donné des vêtements neufs. A la fin de, l'après-midi, des colis nous quelques-uns arrivent de Bou Skour. Le chef de convoi me présente une liste indiquant de façon précise ce qu'il avait à m'apporter et me prie de vérifier. Un détail qui a son importance un sac de sucre trop lourd pour être transporté sur un seul mulet a été ouvert et les pains répartis dans deux chouarï où, bien entendu, ils s'étaient presque tous brisés. Les convoyeurs exigent que je compte les pains et que je rassemble les morceaux pour que je puisse être bien sûr que rien ne manque. Effectivement il en manque un, celui que j'ai donné moi-même au caïd AHouche sur


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la plage de Bou Skour. Gaud et moi nous .apprécions fort cette scrupuleuse honnêteté des convoyeurs. Peu de temps après, un envoyé d'Haddou m'apporte une lettre. Lors de sa visite, Haddou nous avait prévenus qu'il viendrait probablement nous voir avec Mosnier. Il n'en parle plus à l'heure actuelle et me demande simplement lui faire parvenir des de bien vouloir par le porteur vêtements et des vivres pour nos prisonniers indigènes de Bouhem, qu'il doit visiter le lendemain matin. Je remets immédiatement au muletier qui m'a apporté 45 pyjamas, une caisse de lait condensé, ce petit mot une caisse de biscuits, pour nos Sénégalais et Algériens. la lettre d'Haddou, reconnaît Gaud, auquel je montre récriture de Mosnier et se demande pourquoi 0 ce dernier n'a pas ajouté un petit mot pour lui. J'ai entre temps distribué à tous les prisonniers france qui leur donne un petit air coquet çais des pyjamas, vraiment Leur nombre s'est du reste accru. réjouissant. En effet, j'ai retrouvé avec eux les deux déserteurs que le 8 avril à Souk el Arba de Taourirt. j'avais rencontrés ils sont venus me trouver, d'audace, Payant m'assurant qu'ils n'avaient pas déserté et que c'était tout simplement pour se faire bien voir des Riffains qu'ils avaient raconté cette bonne histoire. Je ne veux même pas entamer de discussion avec eux et leur laisse croire que je les juge sincères. D'un autre côté, quatre Allemands de la Légion Etrandont celui que gère ont été ajoutés au lot des prisonniers, Ben j'avais vu le soir de notre arrivée à Sidi Abdallah Youssef. Trois nous ont avoué être des déserteurs le blessé à la cuisse, prétend avoir été fait priquatrième, sonnier. Un de ses camarades m'assure du contraire et mois ils étaient tous emm'indique que depuis plusieurs riffaines. ployés aux lignes téléphoniques Quoi qu'il en soit, je les mets tous sur le même pied et


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leur fais les mêmes distributions qu'à nos compatriotes. Le soir au dîner nous nous passons de pain, les Riffains n'ayant pas juge à propos de nous en. envoyer, malBien mieux, comme nous demangré nos réclamations. dons de'l'eau d'une source un peu éloignée et -bien meilleure que celle de l'oued où l'on puise notre boisson, elle nous est très nettement refusée. Au moment où nous allons nous endormir, nous entendons du bruit dans la mechta des prisonniers et un des nous fait savoir que l'on vient d'amener .<: deux gardiens tombés avec un aéroplane ». Malgré notre impaFrançais tience, il nous faudra attendre à demain pour savoir exactement ce qu'il en est, car la nuit personne ne doit bouger. t 16 mai. De bonne heure le lendemain, nous voyons le lieutenant et le sergent aviateur faits prisonniers par suite d'une panne de moteur dans les environs de Souk el Arba de Taburirt. Le lieutenant est assez philosophe, mais le sergent paraît complètement Il reste démoralisé. assis, les yeux fixes. Encore un qui ne fera pas de vieux os, si nous restons longtemps ici, me dit le sergent-major Morand qui, lui, respire l'énergie. Ils sont là, du reste, toute une équipe Morand, Bernard, Filippi, Versini, Adami, Florio et d'autres, qui ne doivent jamais désespérer. Pour en revenir à nos aviateurs, ils ont de la chance receque nous soyons là et ils peuvent immédiatement voir vêtements et vivres en quantité très largement suffisante. Nous passons la journée à trier les colis arrivés et <;eux qui arrivent encore de Bou Skour. El. Haddi fait certainement de son mieux là-bas, mais il nous manque de choses. encore beaucoup


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font un excellent' repas avec Les prisonniers français Un autre est un mouton que nous leur avons acheté. retenu pour le lendemain pour les prisonniers espagnols. nous entendons alternativement Journée sans histoire; et espagnole. la canonnade française

Nous sommes réveillés par nos gardiens, qui 17 mai. Azerkane vient nous pressent de partir immédiatement. de venir et il a donné l'ordre de mettre en route tous les prisonniers sur Bou Salah. Nous français et espagnols 'devons accompagner les captifs, et laisser là tout le matériel et les colis. Les gardiens sont un peu affolés, ils nous montrent les avions espagnols et commencent à qui nous survolent bombarder sérieusement les alentours. Les prisonniers. de ce qu'il est possiet nous emportons le maximum ble de prendre, mais sommes cependant obligés d'abandonner la presque totalité des médicaments et approvisionnements. Nous suivons le même sentier que les prisonniers espale gnols, et Gaud et moi~nous 'nous efforçons d'empêcher contact entre les deux troupes. Il est, en effet, absolument inutile que les Français soient atteints de la grippe; cela en aucune façon. ne soulagerait les Espagnols Peu de temps après notre départ, un Espagnol tombe~ du caïd qu'on trop faible pour pouvoir avancer. J'obtiens le laisse près d'une petite mosquée qui se trouve à deux et nous rejoindra .pas. Il est trop malade pour s'échapper plus tard. Les Riffains ont consenti à ce que je leur demandais avec une facilité qui m'étonne un peu. Je suis d'autant moins rassuré qu'une dizaine de minutes après m'être remis en route, j'entends un coup de feu dont j'ai peur de trop bien comprendre la signification. Nous avançons dans un pays chaotique, montant et


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des sentiers J'admire les invraisemblables, qui, ayant emporté le plus de matériel qu'ils les sont vaillants et courageux. Nous utilisons colis qui, allemands pour porter les quelques nous ont paru devoir être emmenés. indispensables, Un autre Espagnol tombe. Ses camarades ne peuvent le porter. Sur nos instances, ils essaient plus, parait-il, encore de l'entraîner, Je puis sont obligés d'y renoncer. est un Allemand de la Légion suis navré. Cet homme Dans sa langue maternelle, espagnole. je lui donne tous les encouragements mais il est vraiment à bout possibles; de l'emmener, il se laisse et, quand j'essaie moi-même tout simplement pendre à mon bras. le caïd Amar et lui dis que je tiens à rester J'appelle un moment près de ce malheureux pendant que les autres s'éloigneront, et je lui promets la forte somme si nous revoyons le lendemain le prisonnier. Après un moment de réflexion, il accepte. Je ne repars moi-même riffains disparaître que lorsque j'ai vu tous 'les gardiens dans les ravins. J'explique alors à l'Allemand qu'il va se reposer et suivra par la suite tout tranquillement le sentier qu'il a vu prendre par ses camarades. Puis je rejoins le gros de la colonne, après avoir pensé me perdre à un carrefour de pistes. où j'atteins Au moment les prisonniers, je m'entends héler par un indigène à cheval. Je m'arrête c'est Abd el Kader Tazi. Je suis heureux de le revoir. Dès qu'il a su mon retour dans le Riff, il a demandé à Abd el Krim l'autorisation de me rendre visite. Il est arrivé à Sidi Abdallah Ben Youssef après notre départ et nous a suivis. Je lui demande comment va l'Allèimmédiatement mand que nous avons laissé en arrière. Il m'avoue tout de suite qu'il a été tué assommé à coups de pierre pour qu'un coup de feu ne me donne pas descendant

prisonniers pouvaient, déserteurs


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riffains a J'éveil. Il est très probable qu'un des gardiens mon départ pour achedû faire un détour et attendre ver le malheureux. Je suis d'autant plus désojé qu'avec le cheval de Tazi sauvé. nous l'aurions probablement Nous marchons depuis le petit jour, et j'ai obtenu des finances bien entendu) riffains (moyennant que gardiens les battes soient aussi fréquentes que possible. l'étape est Malgré tout, dans ce pays invraisemblable, extrêmement dure et ce n'est que vers quatre heures que Bousalah. nous arrivons sur les hauteurs qui dominent Entre temps, nous sommes passés à côté de la tombe d'un petit Français qui est mort au cours~d'un déplacement des prisonniers de l'année dernière. moins pénible, puisque La route va être maintenant nous allons descendre jusque dans le lit de l'oued, que Bousalah. .nous suivrons jusqu'à Après avoir fait quelques pas dans le lit de la rivière, nouvelle complication: un Espagnol se laisse tomber, absolument épuisé. Il est et pris en même temps d'une sorte de crise de désespoir j'ai beau lui dire que c'est la mort qu'il risque s'il s'artout prêt, rien ne peut rête, que Bousalah est maintenant ranimer son énergie. Je demande aux gardiens la permission de le hisser sur le cheval de Tazi; ils s'y refusent avec la plus grande énergie, disant que si l'on apprenait jamais qu'un Espaétaient gnol était monté à cheval, pendant qu'eux-mêmes leur vie. à pied, ils risqueraient Rien ne peut les fléchir. Le caïd Amar m'explique qu'il va faire marcher l'Espagnol par la peur de la mort. Il .arme son fusil et pose le canon sur la tempe du prisonnier couché à terre. Je me. précipite, mais il m'assure immédiatement et qu'il veut faire que c'est un simulacre seulement relever le malheureux, du reste qui demeure absolument insensible à la menace. est à moins d'un kilomètre et il serait vraiBousalah


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ment désespérant de laisser cet homme à si peu de distance. i Je fais venir deux ou trois 'prisonniers leur espagnols, sur le cheval de Tazi prends leurs paquets que j'installe des gardiens, et je leur demande malgré les remontrances leur camarade couché à terre, d'empoigner qui, toujours il refuse obstinément de se relever. Un peu brutalement, est mis debout, malgré ses eS'orts pour se faire traîner, et au bout de 50 mètres, accroché des deux bras au cou de ses compagnons, il avance tranquillement. Je pousse un soupir de soulagement; le pauvre diable ° est sauvé. Nous arrivons peu après à Bousalah. Quels ne sont et no~ë indignation en voyant que pas notre étonnement les Espagnols sont tout simplement mis dans la mechta où une centaine de Ieur°compatriotes étaient déjà sous la menace du typhus, tandis que les prisonniers français sont parqués dans une maison contiguë à celle des Espales plus propices à la contagnols, dans les conditions gion. nos premières Gaud est d'avis constatations, D'après est presque terminée et en' tous cas en que l'épidémie mais il estime décroissance; cependant catastrophique ce contact entre les Français et les Espagnols de Sidi Abdallah Ben Youssef et ceux restés à Bousalah. Nous en causons immédiatement au caïd Hammouche qui m'a de suite reconnu et qui se montre assez affable, mais qui me répète qu'il a des ordres et aucun autre à donner aux prisonniers. emplacement Grâce à Tazi qui se trouve là, nous pouvons demander un rekkas et lui confier une lettre très digne, mais très ferme, que Gaud a immédiatement écrite au caid Haddou, en lui indiquant très nettement les responsabilités épouvantables les Riffains. que prenaient En attendant, puisqu'il n'y a rien d'autre à faire, Gaud à Garcia quelles sont les précautions indique à prendre e


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de Sidi AMalIalT Ben pour les prisonniers espagnols Youssef et interdit formellement aux Français tout eontaet avec les malheureux de l'autre côté qui se trouvent du mut. Garcia nous avise intmédiatement que tous tes médicaments que nous lui avions do&nés et qu'if avait eTMn'enés de Sïdt Abdallah Ben Youssef, îa trousse médicale qu'il avait lui-même portée pendant le trajet, les quelques viviles qui avaient été apportés, tout cela a été immédiatement volé par le caïd Hammouche. Nous protestons attssitôt et obtenons que les médicaments et la trousse soient rendus aux prisonniers immédiatement Mais espagnols. nous ne pouvons avoir satisfaction pour les vivres, qui leur seront donnés, nous dit le caïd Hammouche, au fur et à mesure de leurs besoins seulement. ïl faut croire que le caïd Hammouche estime que leurs besoins ne sont pas très grands, car le soir se .passe sans qu'il fasse de distribution ni aux prisonniers français ni aux prisonniers espagnols, et il faut encore notre intervention pour qu'U leur soit remis un peu de riz. En ce qui nous concerne personnellement, le caïd' nous à indique qu'il ne peut nous loger et met simplement notre disposition l'auvent d'une maison indigène que les prisonniers espagnols viennent de nettoyer de leur mieux. Nous pouvons heureusement avoir une natte d'alfa. S'il est cruel vis-à-vis des prisonniers, le caïd Hammouche est fort aimable à notre égard et nous envoie de en refusant de recevoir de l'argent. quoi nous sustenter Je n'en ai pas besoin, nous dit-il; si les Espagnols viennent ici, c'est la mort pour moi et je ne puis pas emporter d'argent au paradis. Nous sommes inquiets, Gaud et moi, sur le sort des à approvisionnements que nous avons dû abandonner Sidi Abdallah et cherehons les moyens de les récupérer. Pendant tout à coup que nous causons, nous entendons des gémissements derrière la porte qui nous sépare de la


AUMFF maison et contre laquelle nous un garde riffain, Mohamed, qui Défense de le soigner, du'typhus. fains. Je dois dire que Mohamed féroce vis-à-vis des prisonniers, gnols, et que la nouvelle de son derniers nulle peine.

83 sommes étendus. C'est est en train de mourir tel est l'ordre des Rifs'est toujours montré tant français qu'espaagonie ne cause à ces

Le soir, les deux jeunes frères de Tazi nous rejoignent. Ils n'étaient et plus en sûreté là où ils se trouvaient viennent chercher une protection de nous. Proauprès tection bien précaire en vérité. Nous ne voulons du reste pas avoir l'air de les accepter sans l'avis des autorités Tazi écrit au frère d'Abd riffaines, et à notre instigation el Krim pour lui indiquer son intention ;de rester quelen notre compagnie. L'autorisation lui est ques jours immédiatement accordée. Tazi me confirme que tout le pays est en effervescence et que partout les populations fuient devant l'avance combinée des troupes et espagnoles. Il croit françaises est pris et que les Riffains ont tenté deux que Temassint infructueuses. Il nous confirme ce que contre-attaques le moral des Riffains est très j'avais déjà remarqué bas. L'échec d'Oudjda a été pour eux un coup très dur ils avaient tellement voulu et tellement cru à la paix avec les Français qu'ils sont actuellement complètement Toute la. nuit nous entendons les gémissedécouragés. ments de Mohamed et le. bruit fait par les 'indigènes fuyant par le lit de l'oued Ghis avec leurs troupeaux. 1-8 mai. est fiévreuse. De très bonne L'atmosphère nous allons voir les prisonniers heure, espagnols que Gaud, aidé de Garcia, examine très attentivement. de trois, ces Il en est mort une moyenne journalière derniers temps, et certains sont dans un état lamentable. Les femmes et les enfants que mière visite sont, chose ~étonnante,

j'avais vus à ma preen assez bonne santé


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et en bien meilleure

condition

physique

que

les

autres

prisonniers. nous n'avons rien à leur Malheureusement, presque distribuer. Cela m'incite à parler au caïd Hammouche de la possibilité une corvée à Sidi Abdallah d'énvoyer les articles et denrées les plus indispensapour prendre bles, parmi les colis que nous avons abandonnés là-bas. Hammouche me répond qu'il va provoquer des ordres. Nous sommes moins surveillés beaucoup qu'à Sidi Abdallah. Gaud et moi allons faire une promenade dans le lit de l'oued, où nous assistons à l'exode des populations. Ces gens paraissent abattus et nous examinent sans mais aussi sans méchanceté. évidemment, sympathie Vers

midi nous arrive une réponse d'H;addou, nous inqu'il fait son possible pour avoir les prisonniers près de lui à Toufist. Il ajoute français qu'il voudrait nous « faire comprendre que les circonstances impérieuses que les Riffains traversent du fait de la guerre de faire pour nous tout ce qu'il aurait désiré l'empêchent faire formant

Dans l'après-midi, nous donnons à Garcia tous les désinfectants que nous possédons de pour lui permettre faire nettoyer à fond la mechta des prisonniers espagnols. Puis le caïd Hammouche me fait appeler et m'informe à Sidi Abdallah tous les prisonniers qu'il va envoyer ce qu'ils pourront espagnols valides pour ramener de nos colis. Je lui demande de joindre à la corvée un certain nombre de Français. En effet, plusieurs de nos compatriotes ont laissé à Sidi Abdallah des objets auxquels ils tiennent et seraient désireux d'aller les rechercher. Mais Hammouche s'y refuse et ne veut envoyer que les Espagnols. Ceux-ci partent presque aussitôt. Pendant que Gaud examine quelques sont malades pour avoir bu une trop

prisonniers qui grande quantité


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avec d'eau pendant la marche d'hier, je cause longuement Tazi et Hammouche. Hammouche m'informe qu'il avait des terrains importants du côté d'Adjdir, en possession des Espaterrains gnols à présent. Il voudrait mon appui pour les récupérer plus tard. Il tente de m'expliquer que sa haine pour les est motivée. Il m'avoue qu'il avait prisonniers espagnols accepté de laisser évader, moyennant finances, un officier et que son frère était aller toucher à Tétouan espagnol, l'argent convenu au moyen d'un chèque. Par suite de la duplicité de l'officier qui, en écriture morse, aurait donné sur le chèque des instructions son spéciales au banquier, frère aurait été arrêté par les Espagnols et abominablement traité. Tazi me demande ce que je pense de la situation. Je lui dis qu'à mon avis, les Riffains ont eu grand tort de ne pas traiter à Oudjda; seront infailliblement qu'ils écrasés, et que plus ils attendront, plus leur défaite sera dure. Le mieux qu'ils auraient à faire serait de demander immédiatement la paix et de se confier franchement à la de la France dont ils connaissent la magnagénérosité nimité. Tazi me demande l'autorisation de répéter ce que je viens de lui dire à l'oncle et au frère d'Abd el Krim et Il écrit aussitôt à ces deux j'y consens bien volontiers. personnages. tient à être aimable, fait Hammouche, qui décidément d'une chèvre aux prisonniers et m'aucadeau français deux de mes compatorise à envoyer dans son jardin cueillir autant de fèves qu'ils voutriotes, qui pourront dront. Même

il est moins ripour les prisonniers espagnols, du C'est ainsi qu'il m'autorise à leur remettre goureux. d'un lait condensé et des boîtes de conserves provenant convoi espagnol. Il tient le tout en réserve dans la pièce où agonise Mohamed. Il se garde bien du reste d'entrer à bonne lui-même dans la chambre et reste prudemment


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distance. Au cours de mes conversations avec lui, j'ai dès qu'on lui parlait de ses qu'il s'humanisait remarqué charjmants. Je m'en petits enfants, qui sont vraiment souviendrai à l'occasion. Je fais remettre lait et vivres aux femmes également et achète pour tout le détachement des oiespagnoles gnons. Je n'ai malheureusement pas de petite monnaie, mais la difficulté' est vite tranchée il est entendu que je donnerai une épingle de sûreté pour trois oignons. Mon vendeur est satisfait et moi également Des troupes riffaines avec quatre ou cinq mitrailleuses campent près de nous dans le lit de l'oued. En sortant, Gaud et moi avisons un Européen couché sous ~'n arbre. Il n'est pas surveillé par les Riffains et ne me paraît pas à son aise quand nous l'examinons. Il porte ~e <: tarbouch mais son uniforme est celui d'un légionnaire. Nous ne sauvons qui il peut être.

19 mai. De bonne heure, le matin, nous apprenons dans la journée que les prisonniers partiront français pour Tomfist. C'est déjà un. résultat. Quant aux prisonniers espagnols, ils doivent eux aussi partir d'ici quelques ne peut ou ne veut me dire mais Hammouche jours, pouj quelle destination. Je lui demande s'il me serait pas possible de loger dans la mechta des Français, après le d&part de ceux-ci, les prisonniers espagnols venus de Sidi Abdallah. Le contact serait moins direct. Impossible, m'est-il répondu, la mechta des Français doit servir aux troupes riffaines. Gar&ia 'Heureusement fait merveille et les Espagnols vivent maintenant dans une propreté relative. Nous demandons au caïd l'autorisation de nous rendre en compagnie d'une partie des prisonniers fTançais sur la tombe de nos compatriotes et des Espagnols inhumés à Bousa-


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lah. Nous visitons les deux cimetières où les tombes n'ont subi aucun dommage. Nous prenons des points de repère pour retrouver les corps plus tard, si cela est possible. Le détachement espagnol, envoyé hier à Sidi Abdallah les colis, rentre vers 11 heures. Je depour récupérer mande à Hammouche l'autorisation de distribuer les. colis. Pendant ce temps, les Français car. s'apprêteront, ils doivent partir bientôt. un peu dè tout au hasard. Les Espagnols ont rapporté Ils n'ont plus, paraît-il, retrouvé le sucre qui avait disparu. D'autre part, des bombes d'avions ont causé des dommages appréciables. Aidé de Garcia et de l'adjudant Bernard, français je fais le triage des colis en laissant à part ce qui est destiné aux Franaux Espagnols et en remettant immédiatement d'une minute à l'autre, ce qui partir çais, qui peuvent leur revient. tout à coup des cris et vois arriver sur moi J'entends Hammouche absolument furieux, qui m'intime l'ordre de cesser toute distribution de reprendre et, au contraire, aux Français tout ce que je viens de leur donner. J'essaie vainement* de comprendre chose; la fureur l'équelque des mots sans suite. trangle et il peut à peine articuler Garcia, .qui est à mes côtés, est indigné. Je lui fais de manigros yeux pour l'inviter à ne se livrer à aucune la vie d'un prisonnier ne pèsefestation intempestive actuelles. rait pas lourd dans les circonstances son souffle, j'invite Pendant que Hammouche reprend à rentrer tous dans leur mechta les prisonniers français et à s'y tenir cois. Il en 'est de même pour les Espagnols. Je cherche des yeux Tazi pour qu'il m'aide ,à cabner le caïd, mais il a .disparu. Jè vois le jeune caporal Amar, un des Espagnols et des Français, des tortionnaires qui


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méchamment les prisoncharge son fusil en regardant niers. Je me rends compte qu'un rien à ce moment peut déclancher une catastrophe et que les circonstances demandent le plus grand sang-froid. < J'ai heureusement de Gaud, près de moi l'infirmier Abdeslem, dont je ne pourrai jamais dire assez de bien. Pour ne pas prononcer de paroles -qui puissent être mal interprétées par Hammouche, je me sers de l'intermédiaire d'Abdeslem pour dire au caïd combien je suis étonné de sa façon de faire, dont je ne m'explique pas les raisons. Il a vu avec quelle discrétion j'ai toujours agi et je pense n'avoir rien à me reprocher. Hammouche s'est un peu calmé. Il me répond qu'il ne s'agit pas de moi dans cette affaire, mais du capitaine à son égard. Alors français, qui s'est très mal conduit de laisser de côté un qu'il donnait l'ordre au capitaine ballot l'officier mécontent avait brusquement d'effets, saisi le paquet et l'avait jeté au loin si brutalement que l'avait reçu sur la jambe. Le jeune calui, Hammouche, poral Amar lui avait déjà fait remarquer que, depuis nôtre arrivée, les prisonniers devenaient et il ne arrogants, ces manières. Le capitaine sera donc puni peut tolérer avec ses hommes. J'insiste auprès de Hammouche pour lui faire comprendre qu'il'doit y avoir là un malentendu et lui demande de ne rien faire avant que je me sois expliqué avec les officiers français. Il y consent. Je me rends aussitôt près des Français, qui me déclad'humeur du capitaine était prorent que le mouvement de ses hommes qui ne se presvoqué par la nonchalance saient pas assez à son gré. Tous m'affirment qu'il est faux que le caïd ait été atteint par le colis. Tout ceci n'est donc qu'un prétexte dont Hammouche s'est servi pour faire sentir son autorité. Revenu près du caïd, je lui explique très exactement comment se sont passées les choses; je lui rappelle que


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les prisonniers sont des pères de famille comme lui; bref, Il reste intranj'obtiens qu'il n'y aura pas de représailles. il exige que les prisonniers sigeant sur un seul point laissent tous les colis que je viens de leur distribuer., Je m'arrange avec mes compatriotes pour qu'ils abandonnent non pas ce que je viens de leup remettre et qui leur est précieux, mais tout ce qu'ils possèdent et qui n'est pas d'une utilité aussi immédiate. Nouvelle complication dans un ballot, les Français ont trouvé des lettres pour eux qu'ils se sont, bien entendu, immédiatement Si les Riffains s'en aperçoiréparties. croire que j'ai manqué à ma parole. J'ai vent, ils pourront toutes les peines du monde à faire comprendre aux prisonniers qu'il faut qu'ils mettent leurs lettres dans leur tard. poche et qu'ils les liront~plus Enfin, tout est prêt pour leur départ. Nous ne les accar nous avons décidé compagnerons pas aujourd'hui, s'il le faut, quitte d'exiger des mulets que nous paierons à ne pas nous en servir si nous aimons mieux marcher à pied. Mais nous voulons faire sentir aux Riffains que nous ne sommes pas des prisonniers. Je pousse un soupir de soulagement en voyant les sur le sentier de Toufist. Français disparaître Gaud a remis à leurs gardiens quelque argent pour que le pauses soient très fréquentes. Dans l'après-midi, Hammouche s'est très radouci. J'en profite pour lui vider tout son jardin des fèves les Espagnols vont qui restent encore et avec lesquelles pouvoir se faire une soupe. par Tazi qu'au départ des Français le caïd J'apprends de la chèvre dont il leur avait fait a exigé le paiement cadeau. Tazi est outré et ne comprend pas que ce détail me fasse rire de bon cœur. Tazi a fait demander de l'argent au Maghzen riffain, qui letlui en a immédiatement envoyé. Il expédie plusieurs tres par jour à l'oncle ou au frère du Sultan. Je ne perds


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de lui dire ce que je pense de ta guerre, pas une occasion faire :à mon avis et je lui ce que les Riffains devraient affirme qu'il peut répéter et écrire tout ce que je lui dis. Il ne s'en fait du reste pas faute ,et son stylo est à l'ONvrage. Dans la soirée, nous faisons la commaissamce d'un renégat. C'est un .Espagnol qui s',est enfui de Ceuta, je crois, après avoir assassiné un'o'f&cier. Il se nomme Mimoun et, contraN'ement à ce qti'qn ~M~rrait croire, est phts dur que les Ritnains eux-mêmes pour ses anciens coBnjjMttn~tes. t Moham-ed n'est pas encore mort, mais .ses gémissements sont p'ius faibles. 'Les RiSains lui portent de temps en temps 'un peu d'eau et de pain qu'ils déposent à côté de lui. Pas d'autres soins. Il qu'à ce réginte estadonteux le malheureux en réchappe. Nous nous couchons sur la natte d'alfa après nous êtM eiKSutts de poudre de 'pyrèthre, car <tM)u~sommes emvahis par les punaises.

SO mMt. !!)e bon matin, ~n avion vient bombarder les sommets qui se trouvent en face de mous. Les Tazi disIls ont une peur comme paraissent par enchantemeNt. maladive des aéroplanes. Nous visitons à nouveau les prisotiniers espagnols q'ui ont été très réconfortés de 'ia veiMe. 'paT les distributions 'nous entendons Subitement des coups de feu ttiTés à de nous. très courte distance *Be quoi peut-il donc s'agir? On nous dit q'u'un prisonnier s"est échappé et qu~ les 'Rinains sont. à sa pourH a étë vu grimpant la côte qui nous domine et suite de partout on a tiré sur lui. Ren'sëi'gneme'nb&~pris, il ne s'agit -ni d'un prisonnier 'espagnol, ni d''un pris.onnie.r Indigène français dont que'Iques-TtBs restent encore'ici.'C'est un prisonnier riS'ami,' retenu par ses eo'mpatrMtes pour


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tué au bout de je ne sais quelle raison. Il est d'ailleurs quelques minutes. Vers 11 heures arrivent huit mulets qui nous avaient nos baété envoyés par Haddou. Nous y faisons charger ont gages et de plus tout ce que les prisonniers français la veille sur l'ordre de Hammouche. Décidéabandonné le résultat de l'incident aura été ment, cela est parfait; seront partis pour TouHst moins charges que les Français qu'ils ne l'eussent été sans l'algarade. est moins sauvage moins Le pays que nous traversons farouche que celui d'où nous venons. Cela repose un peu les yeux. H y a quelques champs bien cultivés et un certain nombre d'arbres fruitiers. Un des liommes qui convoient nos mulets nous avoue tirailleur de lui qu'il est ancien français. Impossible faire dire s'il a déserté, ou si, ayant été fait prisonnier, il a pris du service chez les Riffains.. Il consent tout simau 14" .tirailleurs algéplement à avcNer qu'il appartenait riens. Il paraît du reste fort mal vu par ses compagnons l'ordre de ne pas causer avec ,nous. qui lui intiment Nous arrivons à Tounst vers les 5 heures, après un voyage peu pénible, et nous avons le plaisir de trouver Mosnier et son infirmier qui s'étaient occupés des prisonniers indigènes rassemblés par le caïd Haddou. Nous recevons la visite de Haddou, très peu de temps après. Une tente est mise à notre disposition. Gaud indique au caïd la nécessité de grouper le plus tous les prisonniers, sans cependant les faire possible va faire tous ses cohabiter. Il est entendu qu'Haddou eSbrts pour que tous les prisonniers, de quelque natjion alité qu'ils soient, viennent à Toufist ou dans les envirocs. offert Haddou a, dès l'aTrivée des prisonniers français, le thé aux officiers et a fait cadeau d'un mouton à tout le détachement. Nous apprenons les difScultés qu'il a surmontées pour


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sauver les deux amateurs des représailles que français leur ménageaient les populations exaspérées par les bombardements aériens. Je fais connaissance du fameux caïd Abdesselem dont nos prisonniers m'avaient dit tant de bien, lors indigènes de mon premier voyage. Le caïd Abdesselem me stupéfie en me disant qu'il a été sergent-fourrier à* ta Légion Etrangère. Il me raconte il a été fait que, s'étant enivré et. étant parti à l'aventure, à Haddou. prisonnier par. les Riffains. Il sert de secrétaire Il se nomme en réalité Ohme et est de nationalité allede tout le bien mande. Je le remercie chaleureusement qu'il a fait à nos prisonniers indigènes. Ceux-ci, qui nous me racontent il leur. faisait griller comment entourent, de l'orge pour en obtenir une sorte de malt et leur en faire ensuite une boisson hygiénique, quand ils étaient malades. Il a été, je crois, infirmier et soigne de son mieux Riffains et prisonniers. Haddou nous a demandé d'aller dîner chez lui, le soir. Sa maison est à environ deux kilomètres de la mahakma de Toufist; la mechta des prisonniers est presque contiguë n cette mahakma. Avant d'aller chez Haddou, je règle la situation des en effet Leur mechta prisonniers comprenait français. deux grandes et une petite. Les officiers trois pièces s'étaient installés dans la petite, les sous-officiers et les hommes dans les deux autres salles. Malgré tout, la et plusieurs hommes devaient place était trop réduite riffains émettaient la précoucher dehors. Les gardiens tention de faire évacuer aux officiers la petite salle pour C'était une prétention assez légis'y installer eux-mêmes. time. Je discute avec eux, je distribue au caïd Amar subsides et je promets formellement à deux quelques de les employer chez moi à Casablanca quand gardiens alors à passer la nuit la guerre sera finie. Ils consentent


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à sur le toit, tandis que les prisonniers français resteront l'intérieur. Ils n'ont du reste rien à manger et c'est moi qui leur fournis vivres. Si cela continue, les gardiens quelques seront gardés par les prisonniers. Dîner très simple chez Haddou, mais accompagné de vin et,de liqueurs. Ni Gaud ni moi n'en prenons, au contraire du caïd qui sait fort bien les apprécier.

21 mat. De bon matin, nous faisons une visite aux L'un d'eux, le jeune Aubin, est assez soufprisonniers. frant et paraît abattu. Je le plaisante un peu et feins de le plaindre en lui disant que « maintenant, avec deux toubibs, il est fichu ». J'ai l'impression qu'à l'heure actuelle ils mangent trop, et, d'accord avec Gaud, je décide d<* ne pas leur donner les quelques colis individuels qui restent encore. Nous attendrons un jour ou deux. Le caïd Abdessélem, alias Ohme, demande aux docun blessé riffain, teurs de venir avec lui pour examiner atteint. J'accompagne les toubibs. gravement Le blessé est en effet très touché. Après de multiples palabres avec la famille, le docteur Mosriier arrive cependant à lui faire un pansement. Ohme nous apprend que la tribu des Beni Yteff, tribu sur le territoire'de laquelle nous sommes, a reçu l'ordre de former une harka pour partir au baroud. 'La harka est bien partie hier soir, mais elle est revenue ce matin, Aucune après avoir refusé de prendre part au combat. sanction n'a encore été prise contre ces gens. Cet incident est symptomatique de l'état d'esprit qui actuelle. règne dans le Riff à l'heure Vers les trois heures, Gaud est appelé chez Haddou par un coup de téléphone. Il s'y rend aussitôt. A peine est-il parti que je vois arriver Tazi, qui avait disparu avec ses deux frères depuis notre arrivée à Tou-


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fis!. 1~ a un. atr mystérieux et m'entr~ne sous notre tente. Il commence par me donner 25 pesetas- tfn'H me charge de remettre aux prisonniers français; il! veut qu'ils un moN~on de sa part. Puis il me parle de îa s'achètent 1 situation qui est, paraît-it, très grave. Des partisans ont la coupé ligne téléphomque français de Targuist; on ne peut phis communiquer que par rekkas. D'un autre côté, tes Espagnols sèment l'argent à dans le Riff les lignes téléphopleines mains, et partout sont sabotées niques par des espions à leur solde. Le méd'ecm S~ Mabottb a abandionné ses f onctions et est de faire avec une patrouille la nachargé maintenaint vette entre Toufist et Bouhem pour surveiller ces. M-gnes tétéphoniques. Il me dit avoir fait part à Si Abdesselem, l'oncle d'Ab el Krim, des conversations qu'il avait eues avec moi. Si! Abdesselem est, paraît-H, très touché par les raisons mais il trouve que mes idées manquent que j'invoque, de précision. à la générosité de la M prétend que « s'en remettre France », cela ne signifie rien du fout. à Tazi que j'e ne suis pas un personnage J'ëxpUque oftteie!, que je ne puis donc pas lui parler des. conditions de paix précises, donné la situation milima~s qu'étant taire, il me paraît impossible pour les Riffains d'exiger la France, ils savent quoi que ce soit. Ils connaissent été sa politique de conciliation dans quelle a toujours l'Afrique du Nord, ils savent que M. Steeg est la droiture en personne et, à mon avis, ils ne doivent pas hésiter à mettre bas les armes. Tazi mi'asswe conque les RiS'ains ont une grande lui-même qui l'a fiance en moi et que c'est Si Abdesselem envoyé: me trouver.. Il ajoute qu'il a été question de nous reconduire vers les lignes françaises, car les Riffains ne sont pas, très sûrs de pouvoir, le cas échéant, nous protéger. J'affirme à mon


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interlocuteur pas nos prique nous n'abandonnerons, et je le prie de le dire très- nettement Si sonniers Abdesselem. Je ne quitterais nos prisomniers ~ou~Es pour quelques de porter que dans un seul cas; ce serait s'il s'agissait Et encore j'y metdes propositions de paix aux Français. trais une condition c'est qu'il s'agirait de quelque chose de tangible. J'ai eu tort d'employer ce mot. Tazi s'imagine immédiatement et de'Tanger que je parle de la question cela nous embrouille pendant quelques minutes. Je lui explique que j'ai voulu lui indiquer qu'il ne pouvait s'agir de propositions vagues et qu'il ne pouvait être question que d'une capitulation sans conditions, suivie immédiatement de la remise des prisonniers. Tazi estime que les Riffains accepteraient peut-être cette suggestion; en tous les cas, il me promet formellement dans Je il est vons

de faire tout son possible pour les pousser à agir, le sens que je lui indique. dois dire qu'à ce moment il me paraît très franc; du reste fort ému, et se rend compte que nous viune heure grave. Il* m'apprend qu'Abd el Krim a pensé un moment à se faire tuer à la tête de ses troupes et que son entourage cherche à l'en dissuader. Je lui fais comprendre qu'Abd el Krim peut encore faire un beau geste en arrêtant l'effusion de sang, mais une lutte inutile, il passera pour un que, s'il continue barbare sa réputation. et ternira sanguinaire Tazi part immédiatement pour aller voir Si Abdessede mètres de là. Il me lem, qui loge à quelques centaines promet de revenir bientôt. Sur ces entrefaites, Gaud revient de chez Addon, avec du même ordre que celle lequel il a eu une conversation moi-même avec Tazi. Il a tenu le que je poursuivais et nous sommême raisonnement que moi à Haddou mes enchantés, de nous être si bien rencontrés. Nous desoimeurons un peu anxieux et énervés, mais cachons


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gneusement aux prisonniers français ces nouvelles, de façon à ne pas troubler leur quiétude. Nous nous couchons rapidement, car j'ai donné mes, dernières bougies aux prisonniers.

;8;8 ynat. Vers minuit, un Riffain soulève la portière de la tente et m'appelle. C'est le caïd Haddou qui me demande au téléphone. Je bondis à la mahakma. Deux Riffains sont -préposés au service d'un central et paraissent absolument anéantis de fatigue. Je prends l'appareil Haddou me prie de bien vouloir venir le rejoindre chez lui. Un d'urgence' des Riffains de la mahakma et je le ii/accompagnera Gaud avec moi. Nous partons préviens 'que j'amènerai immédiatement par un beau clair de lune. Nous arrivons chez en train de « siroter Haddou, que nous trouvons un verre de rhum avec le docteur Mosnier. Haddou est De suite, il pâle et défait, mais toujours plein d'énergie. aborde la conversation en ces termes Je me suis mis en rapports avec l'Emir; cela va 1 très mal pour nous et l'Emir serait disposé à envoyer à M. Steeg et au Haut Commissaire espagnol des lettres. Nous avons pensé à vous, monsieur Parent, pour les porter. Avant même que nous ayons pu répondre, il poursuit Vous n'êtes pas médecin, les prisonniers pourront se passer de vous pendant quelques jours et vous pourrez revenir par avion à Toufist. Si on le juge nécessaire, vous pourrez repartir par le même avion avec moi, par ou quelqu'un d'autre. exemple, ou le frère de l'Emir Nous vous ferons préparer un terrain par les aviateurs prisonniers. J'avoue de la que personnellement je suis enchanté mais il ne faut pas avoir l'air de t'accepter proposition,


AU RIFF

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avec trop d'enthousiasme et je demande à Haddou la permission de me concerter avec Gaud. Nous sortons de la salle tous les deux. Nous nous promenons un moment dans les cactus la qui avoisinent maison de Haddou, et nous convenons que la proposition des Riffains est intéressante et que notre devoir est d'y souscrire. Nous appelons Haddou au dehors et lui demandons de nous donner quelques explications. en principe de partir, mais comment J'accepte s'opérera mon départ? Haddou refuse absolument de me laisser partir par les lignes françaises, tenues dit-il, par des partisans, sur tout ce qu'ils voient. qui tirent à tort et à travers (J'en sais quelque chose.) Il peut me faire accompagner d'où je par un homme sûr jusqu'aux lignes espagnoles soit par télégraphe, soit par avion, prévenir le pourrai, du Protectorat ;gouvernement français. Il-me demande de ne pas tement

attendre et de partir immédiaplus longtemps en pleine nuit. Puis il sort de sa choukara trois deux d'Abd el Krim, pour le haut commissaire lettres espagnol et M. Steeg, et l'autre de lui-même pour le général Mougin. Les Riffains étaient donc bien sûrs que j'accepterais de partir, puisque les lettres étaient toutes prêtes. De plus, Haddou me remet un papier assurant que je à Toufist avec un avion sanitaire en toute puis revenir sécurité. Ce sauf-conduit est signé « HAOoou » et ca« CAiD HADDOU,délégué spécial de cheté. Le cachet porte la République Rinaine des puissances auprès étrangères. » Gaud et moi revenons immédiatement à la mahakm" Je n'ai le temps de rien où déjà les mulets m'attendent. de rien emporter, et monte à mulet sans une préparer, Juste chemise de rechange, sans le moindre bagage. .avant

de partir,

j'ai

pu

réveiller

les officiers

français 7


0~

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DE FHANCE–t5-[!-<9a7

la bonne nouvelle. Je et leur faire connaître prisonniers les hommes les charge de prévenir que je ne veux pas à cette heure. déranger avec émotion, est-il Gaud et moi, nous nous séparons besoin de le dire. Je ce suis pas tout à fait~satisfait. En effet', je ne connais pas le contenu des lettres dont je suis porteur et je ne sais si Tazi a été mon fidèle interprète. de route à peine, une paAu bout de dix minutes me donne trouille riffaine me rejoint et très brutalement l'ordre de la suivre. Je proteste, indiquant que j'ai des de l'Emir. Un des Riffains prend instructions spéciales demimon mulet par la bride et me fait faire brutalement tour. Il me' prie de me taire et de le suivre sans autre forme de procès. J'avoue que j'éprouve à ce moment une angoisse réelle. Je m'imagine que ces guerriers, ayant eu vent de la misles lettres sion dont je suis chargé, veulent empêcher en même à destination et qu'on me supprimera d'arriver des explications, mais on me temps. J'essaie de demander de me taire. Je suis persuadé que prie très brutalement je vais être exécuté et enterré dans un coin quelconque du bled. Grand est mon étonnement et non moins grand mon chez Si me conduit simplement lorsqu'on soulagement, à me dire que je pouAhmed, qui tenait tout bonnement à la M. Steeg qu'Abd el Krim s'en remettait vait informer et que les prisonniers seraient de la France générosité libérés sous quelques de revenir jours. Il me demande de en avion et m'assure rapidement que je repartirai Tazi a bien travaillé'et Toufist avec l'émir. Décidément, d'avoir si bien reconnaissant je lui suis profondément manœuvré. C'est tout joyeux que je reprends pagnie du caïd Larbi, lequel parle toutes ses équipées et me raconte

mon chemin en comtrès bien le français à Tanger où, chaque


AU RIFF

M

fois qu'il y va, il est fort bien reçu, me dit-il, par le consul de Suède. A la pointe du jour, nous passons à Bouhem, que je trouve presque détruit par les bombes ou les obus. de longues files de.femmes et d'enNous rencontrons devant eux les troupeaux. Ce sont, me dU fants, chassant le caïd Larbi, des Beni Ouriaghel et il m'avoue que c'est une tribu'qu'il n'aime pas beaucoup. Vers les huit heures, nous sommes en vue des, postes espagnols. Le caïd Larbi connaît admirablement ce secteur. tt et les noms des différents m'indique postes espagnols me dit quels sont les officiers qui les commandent. Nous allons, paraît-il, éviter un poste dont le commandant n'est pas commode, pour nous présenter devant un autre où les officiers ne font pas tirer à vue sur tout ce qui se présente. Le caïd Larbi a pris avec lui'une vieille serviette, qui jadis a dû être blanche. Attachée a sa canne ferrée, elle figurera fort bien un drapeau blanc. Il appelle deux laboureurs qur sont en train de travailler un champ à quelques mètres de nous; il leur dit derrière mots; les deux hommes quelques disparaissent des buissons et, une minute après, reparaissent armés de à cartouchières, fusils, et même revolvers pied en cap la ceinture. Tous les quatre, nous nous dirigeons vers le sommet d'un rocher qui se dresse à deux cents mètres sur notre droite. Le caïd Larbi m'explique qu'i! faudra faire attention à partir de ce rocher, car, les balles espagnoles viennent Il est entendu jusque-là. que les deux hommes qui nous s'arrêteront à l'abri du rocher et attenaccompagnent dront le retour du caïd qui laissera son fusil et ses armes à ses compagnons. blanc déployé, nous nous Drapeau dirigeons ensuite sur le fort espagnol.


too

MEH'VHE

DE FRANCE–)5-t!-t'ja~

Tout ce programme s'exécute de façon parfaite, et le caïd Larbi agitant son fanion me précède. -Nous ne tardons' pas à voir des groupes d'Espagnols ram~ aussitôt vers nous des- patrouilles qui détachent Nous continuons notre chemin sans sourciller. pantes. Ces patrouilles nous cernent peu à peu. Nous ne demandons pas mieux et nous arrivons avant elles aux fils de fer barbelés d'un petit poste avancé. Je suis l'objet d'une 'curiosité intense de la part des hommes qui occupent la position et dont pas un ne parle Comme je connais à peine quelques mots d'esfrançais. est assez difficile. Finalement on pagnol, la conversation me fait signe que l'on va me conduire avec mon guide un peu plus en arrière. Je trouve un lieutenant fort aimable auquel je me présente, et je lui demande. de renle caïd Larbi dans les lignes rifvoyer immédiatement faines. Il me dit qu'il n'en a pas le droit et qu'il faut il ait pris contact avec son colonel. qu'auparavant .Je trouve cela très normal et nous partons trouver le tout colonel qui, de son côté, me reçoit très aimablement, en me considérant avec un peu d'étonnement. Je suis, en effet, couvert de poussière, foncièrement sale, les vêtements souillés de teinture d'iode par une bouteille qui s'est cassée dans ma poche. Je me suis blessé en passant les fils de fer barbelés et des gouttes de sang parsèment ma gandoura. Je me rends compte que je dois plutôt avoir l'air d'un bandit de grand chemin que d'un honnête homme. Le colonel m'explique qu'il ne peut, lui non plus, prendre la décision de renvoyer mon guide et qu'il va me faire conduire à l'Etat-Major. Un officier qui est présent se charge de nous y mener.. Nous arrivons sur les hauteurs qui dominent sur Adjdir, d'où l'on a une vue splendide la baie d'AIhucemas. Je/ m'arrête un moment, saisi par la beauté du spectacle. J'avoue aussi que je suis fort heureux de souffler un


AUHiFF

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peu. A l'Etat-Major, je suis accueilli par des gens charmants, mais qui ne peuvent rien faire. Il faut absolument Général, où une décision que j'aille au Grand Quartier quelconque pourra être prise. Avant de partir, on met à ma disposition eau et savon (j'en ai besoin) et on me fait boire une tasse de café. qui est la bienvenue. Un cheval est mis à ma disposition. Le caïd Larbi me suivra sur un mulet. de l'oued Ghis, Après une bonne trotte et la traversée nous arrivons dans les plantations de figuiers (ce sont les terrains de Hammouche) et au Quartier peut-être Général. Je n'ai pas de chance le général Sanjurjo qui était .là vient de partir pour faire la liaison par terre avec Melilla, et son chef d'état-major n'est pas encore rentré. tPai le plaisir de rencontrer un jeune capitaine connaissant bien le français et que nous avions vu, Gaud et moi, à notre passage à Melilla. Je lui demande de bien vouloir transmettre immédiatement à M. Steeg le télégramme suivant PIERRE PARENTA RÉSIDENTGÉNÉRALRABAT SUR PRIÈRE INSTANTE RIFFAINS SUIS ARRIVÉ CE MATIN LIGNES ESPAGNOLES ALHUCEMAS PORTEUR LETTRES AUTORITÉS RIFFAINES POUR RÉSIDENT GÉNÉRAL FRANCE HAUT COMMISSAIREESPAGNOL ET GÉNÉRAL MOUGIN STOP RIFFAINS DEMANDENTINSTAMMENTSOYEZ EN POSSESSION IMMÉDIATE LETTRE A VOUS ADRESSÉE STOP CROIS POSSIBLE AVION FRANÇAIS VIENNE ME PRENDRE ICI STOP TOUS PRISONNIERS FRANÇAIS ESPAGNOLS INDIGÈNES RASSEMBLÉS TOUFIST SOUS CONTROLECAID HADDOU STOP RIFFAINS PRIENT FRANÇAIS ESPAGNOLSS'ABSTENIR BOMBARDERCETTE RÉGION GAUD PRÉPARE EMBLÈMES CROIXROUGE TRÈS VISIBLES RESPECTUEUX DÉVOUEMENT. Je suis informé va ~tre .aussitôt que le télégramme expédié par sans-fil. Pendant ce temps, le caïd Larbi m'a attendu accroupi


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DE i''HANCE–t5.tt-!997

devant la porte. Je demande qu'on veuille bien le faire reconduire dans les lignes riffaines. Il m'est répondu que cela est impossible, que les ordres .sont donnés d'arrêter tout indigène qui se présente et de faire une enquête sur son compte. En conséquence, le caïd Larbi va être arrêté. Je n'en crois pas mes oreilles. J'explique que Larbi est venu avec moi sous le couvert du drapeau blanc et qu'il ne peut, dans le cas exceptionnel où nous nous trouvons, faits pour les circonstances ordis'agir des règlements naires de la guerre.. Je ne puis obtenir satisfaction et* me vois dans l'obliJe préviens les Espagation alors de mentir sciemment. matin dans les gnols que, si Larbi n'est pas le lendemain deux sergents selignes riffaines, espagnols prisonniers ront passés par les armes. C'est absolument faux; jama!s les Riffains ne m'ont rien dit de semblable, mais je suis indigné et je ne vois que ce moyen de libérer mon guide. D'autant plus que je me demande si, en ne voyant pas revenir Larbi, les Riffains ne suspecteraient pas ma bonne foi et si nos prisonniers et les~prisonniers ne espagnols subiraient pas les effets de cette suspicion. Ma déclaration a évidemment jeté un froid parmi les et il est entendu Espagnols que Larbi sera gardé à vue en attendant une décision de l'Etat-Major. simplement, de mon mieux la situation J'explique à mon compagnon de route et, pour lui enlever toute amertume, je lui remets 50 pesetas dont il est entendu qu'il pourra faire l'usage qu'il voudra en achats divers. Je lui promets formellement d'aller !e voir dans la journée. Les officiers espagnols ont l'amabilité de me recevoir à leur table. A la fin du repas arrive le colonel chef de Je lui conte mon histoire, l'Etat-Major. et insiste à nouveau pour que mon télégramme soit transmis à M. Steeg. J'apprends est parti. que ce télégramme Il est entendu que je vais être envoyé à un autre Etat-


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à la fois la réponse Major à Adjdir même, où j'attendrai de M. Steeg et du général Sanjurjo. Il est convenu également que le caïd Larbi m'accompagnera à ce nouvel Etatmilitaire est mise à notre disMajor. Une automobile Nous prenons position. au, passage le caïd Larbi qui se trouvait dans un bâtiment militaire et nous arrivons à de la l'Etat-Major d'Adjdir où les officiers nous reçoivent Une -chambre d'officier est mise façon la plus gracieuse. à ma disposition et je puis faire acheter chez le soukier et serviette, dont j'ai, est-il besoin de le savon, rasoir dire,' le plus grand besoin. Pendant ce temps, un lieutenant-colonel fort aimable a expliqué à Larbi qu'il sera remis dans les lignes riffaines demain matin à la première heure; que c'est moimême qui le conduirai; il sera enferMé qu'en attendant dans le poste et qu'il lui'est interdit de circuler'. Il aura comme nourriture tout ce qu'il désirera. Je suis enchanté du résultat de mon mensonge; Larbi <r entrera dans les lignes avec un léger retard, mais je suppose que les Riffains n'auront pas eu le temps de s'impatienter. Apres un excetlent repas à la popote des oMciers espa-~ d'une grande aS'abilité, gnoïs,. qui tous se montrent je mate~ me couche avec volupté dans un vrai lit possédant las et draps; mais j'ai déjà pris l'habitude de dormir sttr la dure et ne puis arriver à trouver !*esommeil.

23 mai. A cinq heures du matin, on me réveille~ Une militaire m'attend avec deux soldats et va me automobile conduire aussi près que possible des lignes avec le caïd des chevaux, jusqu'au Larbi; là nous prendrons poste le à ce que Larbi quitte plu!& avancé. On tient absolument en ma présence. J'y tiens, moi aussi, les lignes espagnoles Au départ,

une complication

surgit

des ordres

formels


!0;

MERCVRE

DE FRANCE-< 5-11-19~7

doit avoir les yeux ban-ont été donnés dés. de cette mesure, puisIl ne comprend pas le pourquoi toute la région, soit à pied soit. que la veille il a parcouru bandeau. J'avoue à cheval, sans le moindre que je ne néanmoins de comprends pas non plus, mais je le prie s'exécuter en lui disant qu'il n'a rien à craindre, puisque du tout et me deH n'est pas rassuré je l'accompagne. ne vont pas mande si je suis bien sûr que les Espagnols le fusiller. Je lui en donne ma parole la plus sacrée et lui indique que lorsque je serai. que je ne le lâcherai certain qu'il pourra passer sans risque chez ses compaet le caïd 'Larbi

triotes. en auto. A l'endroit où la piste s'arrête,. Nous partons avec cheun lieutenant nous trouvons qui nous attendait vaux et mulets. Cet officier, qui parle remarquablement. m'avoue le français et qui est d'un& exquise politesse, qu'il trouve un peu ridicule le fait d'avoir obligé Larbi à les ordres sont avoir les yeux bandés; mais, ajoute-t-il, les ordres. aux postes avancés, le bandeau Dès'que nous arrivons à être plus: est enlevé à mon compagnon, qui commence rassuré et à croire vraiment que l'on n'en veut plus à bien lui confier une lettre pour Gaud; sa vie. Je désirerais il paraît que ce n'est pas possible. Je lui donne donc de vive voix toutes les instructions que je crois nécessaires et le prie de voir le docteur dès son arrivée pour lui répéter ce que je viens de lui dire. ont reçu l'ordre Tous les postes espagnols par téléLarbi derphone de ne pas tirer et je vois disparaître arrêtée rière le fameux rocher où nous nous sommes la veille. quelques minutes Je retourne immédiatement à Adjdir où l'on m'aprencf absoque le général Sanjurjo est à Melilla; qu'il tiendrait de Melilla un lument à me voir et qu'il vient d'envoyer à Alhucemas. hydravion pour me chercher


AU RIFF

lob

arrive en effet vers 13 heures. J'embarque L'hydravion après avoir remercié les officiers espagnols de leur si cordiale hospitalité. Je suis une heure après à Melilla et reçu immédiatement par le général Sanjurjo, auquel je remets la lettre d'Abd el Krim et qui a l'extrême de me faire obligeance servir à manger dans son propre salon. Nous causons. Je lui indique quelle est la situation des comment tous les officiers sont prisonniers, espagnols morts et le résultat auquel nous sommes arrivés en obtenant que tous soient rassemblés dans la région de Toufist, que je lui montre sur la carte. Je lui demande des nouvelles de la région de Tétouan, car les Riffains nous disaient en effet, à Gaud et à moi, qu'ils avaient remporté quelques succès de ce côté. Le général m'indique aussitôt ce que bien au contraire sont les troupes dernièreespagnoles qui ont remporté ment une victoire très nette. La preuve en est que 78 cadavres ennemis sont restés entre leurs mains. Il ajoute qu'un exemple a été fait que les 78 cadavres ont été alignés le long de la route pour que la population de Tétouan en auto-car. Je puisse venir les examiner les Espagnols et nous demeure glacé d'effroi. Vraiment n'avons pas la même mentalité. Le général Sanjurjo ensuite qu'un avion est m'indique à ma disposition, à Fez, d'où je pourrai qui me conduira gagner Rabat rapidement par automobile. Je 'pars, après l'avoir remercié, dans une auto militaire qui a une panne à un kilomètre avant d'arriver au terrain d'aviation. Fort heureusement, une voiture civile qui passe veut, bien me conduire avec l'officier jusque-là L'avion est tout prêt, d'Etat-Major qui m'accompagne. je n'ai qu'à prendre place dans la carlingue et nous nous envolons rapidement. J'arrive à Fez vers les 7 heures du soir et me mets immédiatement à la recherche du général commandant


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DE FRANCE–tS-H-tga?

la région pour lui demander une automobile qui me conduira de suite à Rabat. A la Région j'apprends heuque, par une coïncidence à Fez et, reuse, M. Steeg, Résident Général, est justement à huit heures, je puis lui remettre en mains propres la lettre d'Abd el Krim, en ajoutant que je suis autorisé à lui dire que l'Emir s'en remet à la générosité de la France et que les prisonniers seront bientôt libres. me également J'indique que, si un avion sanitaire à Toufist, je ramènerai avec moi tel persontransporte et peut-être Abd el Krim nage que l'on jugera nécessaire lui-même. Le lendemain de bonne heure, je partais pour Casablanca après m'être concerté avec le général Mougin. Il était convenu qu'au premier signal je sautais dans 'un avion pour retourner à Toufist. Il convient de noter que M. Steeg n'avait pas reçu le télégramme par l'in-. que je lui avais envoyé d'Alhucemas termédiaire de l'Etat-Major ïl ne l'a du reste espagnol. m'avaient donné jamais reçu, alors que,les Espagnols l'assurance immédiatement qu'ils l'avaient expédié. Je ne suis pas reparti dans le Riff en avion et n'ai jamais su pourquoi. J'ai lu dans les journaux que, si j'avais ramené l'Emir avec moi, cela eût pu nuire au prestige de l'armée française. en tous Personnellement, je n'en crois rien. J'estime cas qu'Abd el Krim ne me voyant pas revenir pouvait de son entourage le lui a dit, penser, comme quelqu'un Cette opinion pouvait que je n'étais qu'un <; farceur avoir des conséquences graves sur son action future et de nature à prolonger les hostilités. H n'en était peut-être fut rien heureusement et nous n'avons donc aucun regret à avoir, puisque, trois jours après, Abd el Krim était et tous nos captifs rentrés dans nos linotre prisonnier de Gaud, splendidévouement gnes, grâce à l'admirable dement

secondé

par Mosnier.


AURJFF

tOJ

Au retour du docteur, j'apprenais caution que j'avais prise d'indiquer se trouvaient les prisonniers, Toufist par leurs avions le 24 mai.

que, malgré la préaux Espagnols où avait été bombardé

Par ce qui précède, on se sera rendu compte que l'action de la mission mon action peret particulièrement sonnelle ont été singulièrement exagérées. Nous avons en réalité tiré le meilleur parti de circonstances qui nous étaient éminemment et tout Français se troufavorables, vant dans la situation où nous nous trouvions eût agi comme nous. Notre seul mérite a été d'être là au moment voulu et d'avoir parlé aux Riffains sans fard et sans esestimant sayer de jouer au diplomate, que notre devoir était de contribuer à arrêter au plus tôt l'efimpérieux fusion du sang. Les circonstances, ai-je dit tout à l'heute, nous étaient éminemment favorables. Personnellement, je vois deux raisons à l'effondrement d'Abd el Krim la démoralisation 10) Une cause profonde produite chez les Riffains par la conférence d'Oudjda qui ne leur avait pas apporté la paix avec les Français; Une cause immédiate les brillants succès des 2°) et le refus de combattre des troupes franco-espagnoles de l'émir. troupes « Sans y attacher plus d'importance qu'il ne faudrait. qu'il est de mon devoir de signaler, en passant j'estime le rapport aussi venimeux dressé par que calomnieux certains chefs militaires contre Gaud. Je n'y vois d'explication que dans la jalousie provoquée chez ces officiers de la mission dont Gaud était le chef, par le succès'moral chef dont l'influence a été si remarquable, personnelle dans les derniers particulièrement jours. Une aussi triste mentalité est heureusement, j'en suis persuadé,

exceptionnelle

dans

notre

armée.


to8

MERCVPEDE FRANCE–tS-H-~7 -A-

Pour conclure, n'en déplaise à mes camarades qui et de tant de sympathie, m'ont entouré de tant d'affection je dirai que là plus belle minute pour moi a été celle où les prisonniers m'ont remis à Taza une lettre.m'exprimant leur touchante reconnaissance. Cette lettre macuà leur arlée, déchirée, signée de tous immédiatement rivée dans les lignes françaises, j'ai pleuré en la lisant, et elle constitue mon bien le plus précieux. Elle m'a très largement surmonter. J'avoue

payé des quelques

difficultés

que j'avais

eues à

du reste bien humblement que si j'avais été hésité. Mais présisimple particulier, j'aurais peut-être dent d'un groupement d'ancien combattants, j'avais des devoirs. Je me devais à moi-même d'être digne de ceux un peu et, dans chaque circonstance que je représentais devant les yeux l'image pénible, j'ai eu constamment des victimes de la guerre, meurtries, diminuées, au nom il m'était commandé de chercher à adoucir desquelles les souffrances de la lutte en m'inspirant de leur devise si humaine GUERRE A LA GUERRE. ~r 21 août.

son oncle et son frère, s'emJ'ai décidé que aujourd'hui pour la Réunion. ma visite pouvant être pas à l'embarquement, interprétée par le vaincu comme un désir d'être témoin de sa pleine déchéance. A 11 heures, un coup de téléphone m'apprend qu'Abd el Krim désire me voir avant de quitter à jamais la terre marocaine. A 14 heures, je suis sur le bateau et je serre la main de l'Emir, de son frère et du capitaine interprète qui les lieu d'exil. accompagnera jusqu'au barquent je n'irais

Abd el Krim,


AU RIFF

t09

Abd el Krim est triste et il avoue qu'il lui en coûte de quitter son pays. Il a appris avec plaisir, me dit-il, la pacification de la tache de Taza et a un mot qui me touche nous serons tranquilles. Maintenant, il indique .Instinctivement par là qu'il ne fait qu'un avec les Français. Nous causons de tout et de rien. Je tiens à m'excuser vis-à-vis de lui et à lui expliquer pourquoi je ne suis en avion à Toufist. Dès les premiers mots, pas retourné il m'interrompt Je sais, je sais, tu n'as rien à te reprocher. Il ajoute Ah! si M. Steeg était venu au Maroc un an plus tôt, tout cela ne se serait pas passé et nous n'aurions pas eu la guerre. Il reconnaît que j'avais raison et ne regrette pas de s'être conné à la générosité de la France. Je le comble de joie en lui indiquant qu'un des prisonniers français dans le Riff voyage sur le même bateau que lui, que je l'avais le jour même à ma table et qu'à ma Si tu voyais Abd el Krim devant toi sur le question il avait répondu Je lui serrerais bateau, que ferais-tu? bien volontiers la main, car si j'ai été fort maltraité dans le Riff, Abd el Krim personnellement a toujours fait de son mieux pour nous. Mais l'heure il faut partir. s'avance, Adieu! me dit l'Emir déchu.. « Au revoir! », car j'esJe lui réponds par un ferme père qu'un jour la France saura se servir de cet homme et de qui a donné de telles preuves de son intelligence son énergie comme adversaire. Cette intelligence et cette comme collaboraénergie, il nous les doit maintenant teur. Et tandis que le bateau s'éloigne, je songe qu'un rebelle, Sidi Raho, vient de se soumettre, mais que pas un pri-


no

MËRCVRE

DE FRANCE–iS-D-tga?

sonnier n'est revenu de la tache de Taza où le massacre des "captifs était de rigueur. Et je suis reconnaissant à l'homme qui s'en va des centaines de Français, Indigè· nes et Espagnols qu'il nous a rendus. PIERRE

FIN

t

PARENT.


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