SHAYLA BLACK LEXI BLAKE WASHINGTON SCANDALS – 1
L’honneur Traduit de l’anglais (États-Unis) par Charline McGregor
Shayla BLACK, Lexi BLAKE
L’honneur WASHINGTON SCANDALS – 1 Collection : Love Addiction Maison d’édition : J’ai lu Traduit de l’anglais (États-Unis) par Charline McGregor © Shelley Bradley, LLC and DLZ Entertainment LLC, 2015 Pour la traduction française © Éditions J’ai lu, 2017 Dépôt légal : janvier 2017 ISBN numérique : 9782290140673 ISBN du pdf web : 9782290140697 Le livre a été imprimé sous les références : ISBN : 9782290138991 Composition numérique réalisée par Facompo
Présentation de l’éditeur : Les Parfaits Gentlemen sont six hommes de pouvoir, unis par une amitié indéfectible. Or, la mort tragique de Maddox, le plus tumultueux d’entre eux, laisse un vide immense… et un paquet de dossiers louches à régler. C’est Gabriel qui se charge de reprendre la société du défunt, mais voilà qu’au chagrin succède l’incompréhension : une vidéo dans laquelle les deux amis se disputent violemment sème le trouble. Gabriel aurait-il commandité la mort de Maddox ? Pour prouver son innocence et élucider cet odieux meurtre, il compte sur Everly, une hackeuse aussi brillante que séduisante… Biographie de l’auteur : SHAYLA BLACK & LEXI BLAKE. Ces deux auteures sont reconnues dans le domaine de la romance. Washington Scandals, une série sensuelle au cœur des esclandres de Washington, démontre l’ampleur de leur talent.
Couverture : © AS Inc / Shutterstock
© Shelley Bradley, LLC and DLZ Entertainment LLC, 2015 Pour la traduction française © Éditions J’ai lu, 2017
À celle qui nous a vraiment permis de trouver sa forme à cette histoire. Notre charmante amie de Nouvelle-Zélande, rien de tout ça n’aurait pu arriver sans toi, on le sait pertinemment. Ce roman est donc dédié à l’incroyable Kim Crawford.
Sommaire Titre Copyright Biographie de l’auteur Prologue Creighton Academy, vingt-deux ans plus tôt Chapitre 1 New York, aujourd’hui Chapitre 2 Chapitre 3 Chapitre 4 Chapitre 5 Chapitre 6 Chapitre 7 Chapitre 8 Chapitre 9 Chapitre 10 Chapitre 11 Chapitre 12 Chapitre 13 Chapitre 14
Chapitre 15 Chapitre 16 Chapitre 17 Épilogue
Prologue
Creighton Academy, vingt-deux ans plus tôt Gabriel Bond avait une envie folle d’assassiner son meilleur ami. Il voyait déjà comment il s’y prendrait : en le frappant à mort avec ce fichu caméscope. — Vous rendez-vous compte de la pagaille que vous avez causée, monsieur Bond ? Le conseiller d’éducation, très strict, se cala dans son siège, fronçant ses sourcils gris broussailleux, si épais qu’on aurait dit deux sévères chenilles. Gabe avait toujours détesté son nom de famille, d’autant que tout le monde, à la très sélecte Creighton Academy, s’obstinait à l’appeler systématiquement « Monsieur Bond ». Ridicule, ce nom d’agent secret. En l’occurrence, ils en étaient au moment du film où le sol se dérobait sous les pieds de James Bond et où il tombait dans l’aquarium des requins mangeurs d’hommes pendant le monologue du méchant. Gabe aurait préféré nager dans la gueule du grand blanc et se laisser manger tout cru, plutôt que d’entendre l’horreur sur le point d’être révélée. Il aurait dû se douter que rien de bon ne ressortirait d’une nuit torride avec un membre de l’équipe adverse. Surtout que le membre en question n’était pas une simple étudiante de l’école de jeunes filles de Murray Heights, mais la marraine de leur faculté. Bon sang, elle ne paraissait pas plus de vingt ans, elle était splendide. Et dotée de la plus sublime paire de seins qu’il ait vue de sa jeune vie. Roman Calder vint se poster derrière lui. — Je ne pense pas que mon client doive répondre à cette question. Roman avait parfois tendance à prendre un peu trop au sérieux son rôle de président de la section Futurs Avocats des États-Unis d’Amérique. — Monsieur Calder, vous êtes impliqué, vous aussi. Comme tous les garçons. Le délit est grave. M. Bond a jeté l’opprobre sur notre académie, mais vous autres avez aussi enfreint les règles. Qu’estce qui a bien pu vous traverser l’esprit, de sortir en cachette dans un bar ? Que vont penser vos parents ? Son père lui taperait probablement dans la main en lâchant un soupir, soulagé de recevoir ainsi la preuve ferme et définitive que son fils n’était ni asexué ni homosexuel. Quant à sa mère, elle lèverait les yeux au ciel et avalerait une autre gorgée de son « café » à la suspicieuse odeur de vodka. Seule sa jeune sœur s’inquiéterait. Tout ça, c’était la faute de Mad. Mad l’instigateur. Mad, le gars qui avait filmé la fille et Gabe au lit à leur insu. L’enfoiré. Gabe se sentit rougir légèrement à cette idée, mais il avait assez appris sur le monde pour savoir quand la ramener ou pas. Oui, Mad lui avait aussi appris ça. — Monsieur Ogilvie, je ne comprends pas ce que mes amis font ici. Certes, ils étaient peut-être dehors après le couvre-feu, mais enfin, ça arrive à presque tous les étudiants de temps à autre, ce n’est
pas un secret. Autre chose que Gabe avait appris, c’était à quel moment se sacrifier. Bon Dieu, ses amis allaient lui manquer. Si ses exploits sexuels imbéciles le faisaient virer, il n’avait aucune illusion sur la suite : ses parents l’enverraient dans une autre école préparatoire, et il devrait tout recommencer de zéro. — Je vous en prie, si vous les excusez, j’avouerai tout. — Martyr, toussa Mad. (Quel imbécile, celui-là !) Très lentement, Gabe leva la main derrière son dos et dressa le majeur en direction de son meilleur ami. Connor Sparks choisit ce moment-là pour intervenir. — Non, Gabe. On s’est mis dans le pétrin ensemble, on tombe ensemble, affirma-t-il, les sourcils froncés. J’aurais aimé jouer contre Exeter, ça va être dur de rater le championnat. Daxton Spencer secoua la tête, puis il suivit l’exemple de Connor. — Ouais, je pense que l’école tout entière sera déçue. Sans notre capitaine, on est sûrs de perdre. Petit malin, va. Gabe réprima un sourire et ne put s’empêcher d’apercevoir une lueur d’espoir. Creighton prenait le championnat de crosse très au sérieux. Ce sport rapportait argent et prestige à une école qui attachait beaucoup d’importance aux deux. Le conseiller, qui selon Gabe les avait toujours jalousés, se pencha vers lui. — Si vous imaginez une seule seconde que le sport va vous épargner la punition que vous méritez, vous vous trompez. Cet établissement est régi par des règles, et je m’y conforme. J’ai vu la preuve vidéo de vos exactions. C’est dégoûtant. Pervers. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond, chez vous, messieurs ? Dax et Connor jetèrent un coup d’œil autour d’eux, puis leurs regards se croisèrent et ils haussèrent les épaules. Mad sourit, ce qui revenait en quelque sorte à avouer qu’il considérait la longue liste de leurs fautes comme une distinction. — Vous trouvez ça drôle ? L’expulsion est la seule issue acceptable à cette chienlit. Nous éduquons des gentlemen, dans cette école, or tous les six, vous avez prouvé que vous étiez le contraire de jeunes gens bien éduqués. Quant à vous, monsieur Hayes… Ogilvie se tourna vers Zachary Hayes, le plus silencieux du groupe. Plutôt du style contemplatif, leur comparse n’agissait jamais sans peser au préalable les conséquences de ses actes. Zack fronça les sourcils. Et Gabe sentit son ventre se serrer. Bon Dieu, il allait provoquer le renvoi de Zack. Zack, leur chef de classe et major de la promo. Celui auquel on prédisait le plus bel avenir. — Je suis surpris, poursuivit le conseiller. Mais je me doutais que vous alliez vous mettre dans le pétrin, quand vous avez commencé à vous acoquiner avec ce groupe-là. Je crois même vous en avoir averti. Tous les regards se retournèrent vers Zack. Avec ses cheveux bruns et ses yeux bleu hiver, il semblait souvent prêt à se rétracter définitivement dans sa coquille. Il était à Creighton depuis deux mois quand Gabe avait eu sa première conversation avec lui. C’était Mad qui avait fait entrer le taciturne jeune homme dans leur groupe, et Gabe avait bientôt compris à quel point Zack était drôle et intelligent – et parfois capable de les tirer du pétrin où ils ne manquaient pas de se fourrer régulièrement. Et depuis cinq ans, ils faisaient front tous les six contre le monde entier. Rien ne les liait, au départ. Connor et Dax étaient devenus amis parce qu’ils étaient athlètes. Roman et Zack, eux, étaient des ambitieux. Quant à Gabe, il était devenu le geek pris sous son aile par le gars le plus arrogant, le plus tordu et le plus riche de toute l’école : Maddox Crawford.
Ces mecs, c’étaient comme ses frères, alors pas question d’être celui qui gâcherait tout. Dans un an, ils obtiendraient leur diplôme et ils prévoyaient d’aller à Yale ensemble. En aidant Connor avec sa trigo, ils veilleraient à ce qu’il obtienne un A, histoire qu’ils ne soient pas séparés à l’avenir. Un pour tous et tous pour un, et tout le tralala. Ce rêve était peut-être sur le point d’exploser en vol, mais tant pis, il ne lâcherait pas ses amis. Ils étaient liés par un pacte. — C’est ma faute. Je les ai forcés à faire le mur avec moi. Il était prêt à raconter n’importe quel mensonge, pourvu que ça fonctionne. — Mec, c’est nul, commenta Dax en levant les yeux au ciel. Comme si quelqu’un allait croire ça. Écoutez, monsieur Ogilvie, vous connaissez les médias, ils iraient inventer tous les détails salaces qui leur passent par la tête pour vendre leurs torchons, du moment que ça nous concerne, nous, les fils de riches. Vous voulez vraiment que les magazines people écrivent des articles à sensation sur les vilains nantis de Creighton qui se soûlent et s’envoient des femmes dont ils ont tout juste le consentement ? Gabe n’en revenait pas. Mais qu’est-ce qu’il raconte ? — Elle était complètement consentante, imbécile. — La presse s’en fiche, de ça, fit remarquer Roman, avant de se retourner vers le conseiller. Ce scandale va éclabousser la réputation de l’école. — Je ne prends pas mes décisions en fonction de la presse, mais des règles de cet établissement. Et j’ai bien l’intention de parler à mon homologue de Murray Heights cet après-midi. Mlle Jones sera renvoyée d’ici la fin de la journée. Je ne doute pas qu’ils fassent aussi appel aux autorités compétentes. Aucune école digne de ce nom ne veut d’un agresseur sexuel dans son enceinte. Merde. Il avait mis dans la panade une gentille jeune femme, remarquablement intelligente de surcroît. C’était lui qui l’avait draguée. Elle n’avait fait qu’aider un garçon à s’amuser. Pourquoi sa bonne action devrait-elle être punie ? Gabe se passa une main dans les cheveux. Sale journée. Mieux valait raccrocher et redevenir le loup solitaire qu’il était avant que Mad ne l’entraîne avec lui et lui montre comment se défendre. — S’il vous plaît, ne faites pas ça. — Il ne peut pas, et ce pour deux raisons, reprit Roman. Primo, l’âge de la maturité sexuelle est de dix-sept ans, à New York, donc avoir des rapports sexuels avec Mlle Jones ne tombait pas sous le coup de la loi. Par voie de conséquence, elle n’est pas coupable de détournement de mineur. Secundo, je ne me rappelle pas qu’avoir des rapports sexuels avec un adulte consentant soit une cause de renvoi. Si c’était le cas, Ogilvie devrait virer la plupart des élèves de terminale, surtout s’ils ont rencontré Augustine Spencer. — Hé ! C’est de ma sœur que tu parles ! s’insurgea Dax. — Et alors ? Disons qu’elle est généreuse, et c’est un compliment dans ma bouche, l’assura Roman. Mais revenons-en à notre discussion : Ogilvie pourrait sans doute faire renvoyer Mlle Jones… mais il n’a aucune preuve que l’incident ait vraiment eu lieu. — Bien sûr que si, j’en ai la preuve. J’ai vu la vidéo. Roman se tourna vers lui, avec l’assurance naturelle d’un gamin qui avait passé pas mal de temps à plaider sa cause et toujours emporté la partie. — Monsieur Bond, avez-vous signé une décharge ou donné une quelconque autorisation à M. Crawford de vous filmer pendant votre coït avec la charmante Mlle Jones ? Il ponctua sa question d’un regard noir en direction de Mad. — Bien sûr que non. Ne sois pas idiot, si j’avais su, je l’aurais étranglé, cet enfoiré. Les sourcils broussailleux d’Ogilvie se rejoignirent au-dessus de son nez dans un froncement
mécontent, visant à rappeler à Gabe où il se trouvait. — Oui, bon, je voulais dire que j’ignorais totalement être filmé, et que j’aurais protesté avec une grande vigueur, si je m’étais rendu compte que la rencontre était enregistrée. D’ailleurs, il avait bel et bien sauté au col de Mad, après coup. Il lui avait cassé le nez, un détail que ce dernier considérait comme une histoire supplémentaire à raconter les soirs de fiesta. Et il avait réagi à son geste comme à tout le reste : par un haussement d’épaules. La gracieuse désinvolture d’un homme qu’un milliard de dollars en fonds fiduciaires attendait au bout de la route pavée de briques jaunes de l’école préparatoire. — Il se peut que j’aie oublié de demander l’autorisation, fit-il avec un sourire nonchalant. Vous savez, l’art ne s’excuse pas. Et Mad non plus. Roman frappa dans ses mains avec jubilation. — Je pense que nous découvrirons aussi que Mlle Jones n’en était pas plus avertie. Dans notre État, aucun enregistrement, vidéo ou audio, ne peut être réalisé ou utilisé en guise de preuve au cours d’un jugement civil sans le consentement éclairé de l’un des participants. Ils peuvent la renvoyer pour comportement indécent, mais ils ont besoin de cette bande pour aller devant un tribunal de justice. Attendu qu’il n’a pas été donné de consentement à l’enregistrement de la rencontre, et qu’elle s’est produite hors de la vue de tout public, cette bande ne saurait faire office de preuve et les avocats de Murray Heights recommanderont donc sans nul doute à leurs administrateurs de ne pas engager l’école dans un procès qu’elle ne gagnerait pas. Je crains que vous n’ayez pas d’enregistrement à faire valoir. Le visage d’Ogilvie prit une teinte écarlate. — Écoutez-moi bien, espèce de petite merde, on n’est pas devant un tribunal, ici. Je n’ai pas besoin de votre permission. Vous êtes tous renvoyés et rien de ce que vous direz ou ferez n’y changera rien. Cette école forme non seulement des gentlemen, mais de parfaits gentlemen. Savez-vous depuis combien de temps j’ai envie de me débarrasser de vous, Maddox Crawford ? J’en rêvais depuis l’instant où vous avez franchi ces portes, sale gosse trop gâté. Je vais vous détruire, et cerise sur le gâteau, j’abats vos amis avec vous, rien que pour vous embêter. Mad leva les yeux au ciel. — C’est à cause de cette bonne blague que j’avais écrite sur votre voiture quand vous êtes arrivé ici ? Non, mais faut vous en remettre, hein. Évidemment que tout ça était une conséquence de ses conneries. Qu’est-ce que Gabe allait faire sans ces gars-là ? Il ne se supportait pas, sans eux. Même les vacances d’été, il détestait. Il rentrait chez ses parents, dans leur maison des Hamptons, et restait assis là, sans rien faire, parce qu’il ne s’y sentait pas chez lui. La seule chose qui lui plaisait, c’était de voir sa petite sœur, Sara. Hormis elle, il ne s’entendait qu’avec ces cinq gars-là. À un moment ou à un autre, ils avaient tous été sur la touche. Gabe étudiait trop. Zack était introverti. Roman passait le plus clair de son temps dans les textes de loi. Le père de Dax était un gros bonnet de la marine et sa mère une mondaine de La Nouvelle-Orléans. Connor, c’était le boursier sans rien dans les poches. Et selon la plupart des gens, Mad était un trouduc – un trouduc étrangement sympathique. Gabe n’avait jamais été aussi attaché à personne de toute sa vie, et il n’avait pas la moindre idée de la manière dont il pourrait survivre sans eux. Tous les six se turent, se regardant tour à tour, comme s’ils venaient de se rendre compte que c’en était fini de leur école préparatoire, de leur cocon. Ogilvie prit une profonde inspiration.
— Bien. Maintenant vous comprenez comment fonctionne le monde, messieurs. Quand on s’acoquine avec les mauvaises personnes, on est entraîné vers le bas avec elles. Vous pouvez disposer et ranger vos affaires. Je parlerai à vos parents cet après-midi. Quant à vous, Crawford, bon débarras ! Pour une fois, Mad ne trouva aucune réplique bien sentie. Il s’était pétrifié, les yeux vides. Comment est-ce que ça avait pu arriver ? Ils n’étaient pas des mauvais garçons. Ils veillaient les uns sur les autres. Ils avaient juste voulu boire un verre, et Emily Jones était si jolie… Gabe avait foncé sans réfléchir. Ils s’apprêtaient à tourner les talons et à sortir du bureau quand Zack ouvrit enfin la bouche, d’une voix basse mais empreinte d’une autorité qu’aucun d’eux n’avait jamais entendue chez lui. — Je sais comment fonctionne le monde, monsieur Ogilvie. Il se leva et ajusta sa cravate, avant de poursuivre : — Avez-vous entendu parler de la Dotation Brighton ? Le conseiller ricana. — Évidemment, c’est une bourse annuelle de trois millions de dollars. Elle représente beaucoup pour notre école. — En effet. Saviez-vous que mon père était très ami avec les mécènes qui fournissent cette dotation ? Il a leur oreille. William Markovic me considère comme son deuxième fils, en fait. Si vous persistez dans votre idée, j’aurai une longue conversation avec M. Markovic, et votre école se retrouvera avec un trou de trois millions de dollars dans ses caisses, l’an prochain. Et les années suivantes. Je veillerai à ce que le reste du personnel et des professeurs sachent exactement pourquoi. Je crains que vous ne vous retrouviez renvoyé, vous aussi. — Vous n’avez pas ce pouvoir-là, lança Ogilvie. — Ah vous croyez ? Mon père a été ambassadeur en Russie pendant des années. Il a été l’ami proche des trois derniers présidents, y compris l’actuel chef de l’État. Or mon père ne veut qu’une chose de moi. Tous ceux qui l’ont rencontré savent qu’il obtient toujours ce qu’il souhaite. Mon avenir est tout tracé. Si je fais ce qu’il faut – que j’obtiens les notes nécessaires, que je reste en tête de classe, que je m’inscris dans la bonne université… Eh bien, j’aurai accompli tout ce qu’il désire. En revanche, si vous me contraignez à dévier de ce chemin, je vais me faire botter les fesses d’une façon que vous n’imaginez même pas. Mais ce sera encore pire pour vous. J’ai reçu les résultats de mon SAT1 récemment. Le score parfait. J’entre à Yale et les Skull and Bones 2 vont m’attendre de pied ferme, car ils savent que les amis de mon père ont déjà tout prévu : un jour, je serai président des États-Unis. Alors vous avez le choix entre être mon ami ou mon ennemi. À votre guise. Ogilvie resta muet un long moment, puis il jura à mi-voix, sans oser croiser le regard de Zack. — Je suis content qu’on se comprenne, vous et moi, reprit ce dernier. Vous n’êtes qu’un conseiller d’éducation de bas étage, je vais donc cesser de perdre mon temps ici et prendre rendez-vous avec le doyen. Il décroche son téléphone quand je l’appelle, voyez-vous. Vous ne pouvez pas vous débarrasser de nous. Je vais aussi m’assurer que la jolie Mlle Jones ne souffre d’aucune répercussion suite à cette histoire. Étant donné que mon ami ici présent a eu l’intelligence d’utiliser un préservatif, je ne crains pas d’autres complications. Je vais aussi partir du principe que Dax et Connor ont fait ce qu’il fallait et détruit l’enregistrement. Connor lui répondit par un pouce levé. — On l’a brûlé ce matin, mais on avait prévu de mentionner ce détail plus tard. Car ils avaient dû pénétrer dans le bureau d’Ogilvie pour terminer le travail. — Merde, jura Mad. C’était pourtant un bon petit film. Zack lâcha un soupir.
— Un de ces jours, tu vas aller trop loin, Mad, et je peux juste espérer qu’on sera en mesure de te tirer du pétrin à ce moment-là. Pour cette fois, on n’a rien fait de plus grave que de se comporter comme de jeunes gars un peu idiots. Mlle Jones est célibataire, et vu la barbe de cinq heures que développe mon ami Gabe dès la fin de la matinée, sans parler de la taille impressionnante de son sexe, je comprends qu’elle ait pu le croire plus vieux. Le seul qui ait commis un acte répréhensible, ici, c’est cet imbécile que voilà, conclut-il en désignant Mad. — Ah oui ? s’étonna l’interpellé, secouant la tête pour écarter les cheveux qui lui retombaient devant les yeux. Moi, j’ai juste trouvé l’acte magnifique et digne d’être enregistré pour la postérité. — Nous en avons terminé, messieurs, poursuivit Zack en secouant la tête. Je pense qu’il est l’heure d’aller voir ce que la cafétéria nous a concocté de délicieusement gélatineux. Allons-y. Sur quoi il se dirigea vers la porte. Gabe l’observait, bouche bée. Il sortait d’où, ce discours plein d’assurance et de conviction, nom de Dieu ? — Ça n’est pas terminé, s’emporta le conseiller. Zack lui jeta un regard plein de pitié. — Mais si. J’ai une vie étrangement merdique, mais il se trouve que dans le cas présent, je jouis d’un important pouvoir que j’ai bien l’intention d’exercer. D’un même mouvement, ils suivirent Zack dans le couloir, Mad entraînant Gabe presque de force. Ogilvie ne s’interposa pas. Et la foudre ne les frappa pas non plus. — Les gars, ça ne peut pas être aussi facile, commenta Gabe quand ils émergèrent sous le grand soleil. Ils furent soudain entourés par des camarades de classe, le doigt pointé vers eux. Le scandale était sur toutes les lèvres. — Hé mec, tu as vraiment baisé la blonde ? demanda l’un. — J’arrive pas à croire que tu sois entré dans un bar, lança un autre. Zack posa une main sur le bras de Gabe, tandis que les quatre autres recevaient des félicitations pour la façon dont ils avaient baisé le conseiller – et la fille, même si Gabe supposait qu’ils entendaient l’expression dans deux sens différents. — C’est comme ça, mec, oublie cette affaire. OK, tu as enfreint quelques règles, mais tu n’as pas fait grand mal. Tout va s’arranger. Ogilvie doit comprendre qu’il n’y a pas de « gentlemen », dans cette école. — C’est faux. Bond s’est comporté en gentleman, il a laissé jouir la dame en premier, ricana Mad. Je trouve qu’on devrait se faire imprimer des tee-shirts avec en gros : « Les Parfaits Gentlemen de Creighton » sur la poitrine. Ce vieux grincheux adorerait ça. Gabe se surprit à prier pour que le surnom ne reste pas dans les annales. — N’empêche, je vais quand même te tuer, Mad. — Des promesses, toujours des promesses, répliqua celui-ci en lui passant un bras autour des épaules.
1. Le SAT Reasoning Test est un examen standardisé sur une base nationale et utilisé pour l’admission aux universités des États-Unis. (N.d.T.) 2. La Skull and Bones (littéralement « Crâne et Os ») est une fraternité très sélective de l’université de Yale, qui fonctionne comme une société secrète. (N.d.T.)
1 New York, aujourd’hui Gabe fixait l’urne funéraire des yeux en se demandant ce qui avait bien pu tourner si mal. La vie suivait son cours – c’est-à-dire un cours plutôt merdique, mais à un point raisonnable – et l’instant d’après il se tenait dans une église remplie de lys et de reniflements, avec au moins sept cents personnes dans son dos qui attendaient de sa part une réaction appropriée. — Mad, espèce d’enfoiré, comment tu as pu partir comme ça ? Il s’arrangea pour marmonner à voix basse, sachant pertinemment que sans cela, les tabloïdes se feraient un plaisir de raconter que le meilleur ami de Maddox Crawford l’avait insulté dans la mort. En tout cas, Mad aurait détesté l’idée du repos éternel, de la paix. Cet enfoiré ne se reposait jamais. Il était toujours en train de fomenter quelque nouveau plan destiné à propager le chaos autour de lui. Il laissait aussi dans son sillage des problèmes auxquels Gabe ne souhaitait pas penser. Enfin, il faudrait bien les affronter dans six mois environ, quand sa sœur accoucherait de leur bébé. Il contempla l’urne, si chère que c’en était ridicule, et songea à la briser de rage. Ça lui servirait de leçon, à ce saligaud de Mad, de se faire aspirer par un balai mécanique. En se détournant, il aperçut sa sœur, Sara, assise sur les bancs parfaitement polis de l’église SaintIgnace-de-Loyola. Discrète, elle s’était positionnée au milieu pour ne pas attirer l’attention. D’ailleurs, avec son fourreau noir Prada, ses cheveux fauve relevés en un sage chignon, elle se fondait tout à fait parmi les marbres raffinés de l’église de l’Upper East Side. Parce qu’elle en faisait partie, de ce décor. Sara était née à Manhattan, elle y avait grandi, et contrairement à son frère aîné, on ne l’avait jamais envoyée étudier dans quelque pensionnat lointain. Même face au chagrin, elle se comportait en dame. Ses yeux étaient rougis, certes, mais elle les gardait posés droit devant elle, épaules, dos et tête hauts. Et elle portait le premier enfant de Maddox Crawford. Cet enfoiré n’avait décidément pas tenu ses promesses – aucune d’elles. « Je m’occuperai d’elle, Gabe, ne t’en fais pas. Je l’aime. C’est bête, mais pour la première fois de ma vie, je suis amoureux. Tu es mon meilleur ami. Je sais que je me suis comporté comme un naze par le passé, mais j’ai toujours veillé sur toi. À présent, je vais aussi veiller sur elle. » Quel imbécile il avait été de laisser sa sœur sortir avec Mad ! Il aurait dû se douter que ce trouduc s’empresserait de la séduire et de la laisser tomber. Sans surprise, Mad s’était finalement révélé moins fidèle à Sara qu’à son habituel modus operandi. Bon sang, tout ce qui concernait cette relation avait été prévisible de A à Z – à l’exception de la mort de Mad dans un accident d’avion, mais le reste… Merde, Gabe aurait pu écrire le livre à l’avance.
— Hé, fit une voix douce derrière lui. Je crois qu’ils sont prêts à commencer la cérémonie. Gabe se tourna. Et découvrit Roman Calder, dans son habituel costume trois-pièces, qu’il achetait deux fois l’an chez un tailleur londonien. Sous couvert de voyage diplomatique, il faisait le déplacement de Washington jusqu’au Royaume-Uni pour ces costumes. À présent que Roman était là, Gabe n’avait plus qu’une question en tête. — Il vient ? Roman soupira et son expression s’assombrit un peu. — Tu sais comme il est débordé. Il m’a envoyé, et tu vas devoir me supporter encore quelques jours. Je reste pour lever des fonds. Gabe n’aurait pas dû espérer une réponse différente. Mad avait toujours été un personnage extrêmement controversé. Dans un monde où l’on se plaisait à calomnier les plus riches, Mad avait représenté l’image même du vilain fils de riche. S’il n’était pas en train d’entuber quelque petite entreprise, il s’envoyait une top-modèle. Gabe regrettait qu’il ne s’en soit pas tenu à ces filles-là, au lieu de jeter son dévolu sur sa sœur. — Fais-lui savoir qu’il nous a manqué. Sur quoi Gabe se détourna et redescendit l’allée. Il n’y avait pas de banc destiné à la famille. Mad était le dernier de sa lignée, son père étant décédé d’une attaque cardiaque deux ans plus tôt. Ce que Gabe avait trouvé plutôt bizarre, étant persuadé que Benedict Crawford n’avait pas de cœur. — Tu dois lui pardonner, tu sais qu’il est déchiré. Il a appris la nouvelle pendant une conférence de presse, souffla Roman. Un putain de journaliste lui a balancé ça juste après son discours sur la réforme de la loi sur l’immigration. Il a été totalement pris de court. Gabe avait regardé la vidéo aux informations. Bon Dieu, tout le monde avait vu le président des États-Unis s’interrompre au milieu d’une séance de questions-réponses devant la presse, tourner les talons et quitter la salle. — Dis à Zack de ne pas s’en faire. On comprend, il a d’énormes responsabilités. Roman lui emboîta le pas dans la deuxième travée, où Dax leur avait réservé un siège. — Il faut que tu comprennes comment la presse interpréterait sa présence ici. Vu la façon dont Mad a vécu les deux derniers mois de sa vie, je n’ai pas pu lui conseiller de venir. Mais ça lui serre le cœur. Gabe savait exactement comment s’étaient déroulés ces deux derniers mois. Après avoir quitté Sara, Mad avait un peu perdu la boule, buvant des litres et s’exhibant partout en ville au bras de mannequins et autres actrices. Pourtant, Gabe soupçonnait que son ami protégeait quelqu’un. Qui ? Aucune idée. Selon lui, après sa rupture avec Sara, il s’était dégoté une nouvelle maîtresse et avait utilisé toutes ses autres conquêtes pour détourner l’attention des tabloïdes du dernier objet de ses désirs. Voilà comment procédait Mad, et il usait beaucoup de cette tactique du leurre quand il était pourchassé par la presse. Gabe savait qu’il ferait mieux de ne pas s’en mêler, mais il voulait découvrir l’identité de cette femme. Savoir si la nouvelle maîtresse de Mad avait la moindre idée du chagrin qu’elle avait causé en le détournant de Sara. — Je suis tellement dégoûté d’assister à ça, de toute façon. Dax se leva et lui tendit la main. Comme tous les gens présents dans l’église, il était sombre. Gabe serra la main tendue tout en observant son vieil ami. Où les années avaient-elles donc filé ? Difficile de croire qu’ils avaient tous grandi ensemble, à une époque où leurs plus gros soucis se résumaient aux contrôles de maths et au moyen de se glisser dans l’école des filles pour pouvoir les embrasser en cachette. Il avait tant de souvenirs partagés avec les autres hommes de cette salle. Y compris avec celui qui remplissait cette fichue urne.
— C’est bon de te voir, frangin. Je te croyais quelque part au milieu du Pacifique. — Je suis rentré à la minute où j’ai su. J’ai eu une permission. Dax détourna les yeux vers l’endroit où reposait le cercueil de Mad. — Pour quoi faire, un cercueil ? Il n’est pas dedans. D’après ce que j’ai entendu, il restait tout juste assez de lui pour la crémation. L’estomac de Gabe menaça de se soulever. Il refusait de songer à la façon dont Mad était mort. Évidemment, dans les moments les plus noirs, il avait envisagé de le tuer lui-même, cet enfoiré, mais merde, il l’adorait. « Ne les laisse jamais voir que tu as peur, Gabe. C’est ça, la clé, avec les salauds qui te harcèlent. Tu passes ton chemin comme si de rien n’était. Sans un regard. Et s’ils s’en prennent vraiment à toi, alors tu les mets à terre en t’assurant qu’ils y restent. Tu frappes pour tuer, c’est comme ça que ça marche dans la nature, mec. » Voilà l’une des leçons qu’il avait apprises de Mad. À l’époque, celui-ci voulait parler des brutes des classes supérieures de l’école, mais Gabe avait appliqué la leçon dans les affaires aussi. S’il comptait mettre quelqu’un à terre, il s’assurait que l’autre ne s’en relèverait pas. Jamais. — Le cercueil est là pour l’image. Apparemment, les gens ont besoin d’une preuve matérielle à regarder pendant la cérémonie. C’est du moins ce qu’a expliqué l’organisateur, relaya Gabe avec un soupir. La photo, ça ne compte pas, et l’urne, c’est trop petit. Un grand poster de Maddox trônait devant le cercueil vide. Dans son costume sur mesure de chez Brooks Brothers, il souriait à l’objectif comme un crétin. Enfin, bon, il avait toujours cette tête-là. Son bébé hériterait-il de ce sourire narquois ? De ce goût de la vie qui l’animait ? Sois maudit de nous laisser tomber. Et sois maudit pour ce que tu as fait à ma sœur. N’empêche, j’aimerais que tu sois là avec nous. Gabe s’assit sur son banc, le cerveau en ébullition. Voilà cinq jours que la nouvelle était tombée, et il ne l’avait toujours pas complètement digérée. Il continuait de s’attendre à voir apparaître Mad, ce fichu sourire aux lèvres, un verre à la main. Ça ne collait pas, d’imaginer un gars aussi vivant que Mad Crawford mort. — Salut, l’interrompit une voix familière. Gabe se retourna sur Connor, vêtu d’une chemise et d’un pantalon à pinces. L’allure du type normal – sauf qu’il travaillait pour la CIA, Gabe le savait. L’Agence avait embauché Connor plusieurs années auparavant, et la normalité qu’il affichait n’était qu’un masque. — Désolé, je suis en retard. Gabe se leva et lui tendit la main. Connor la saisit. — C’est bon de te voir. Ils ne s’étaient pas retrouvés dans la même pièce depuis au moins un an. Ils restaient en contact par e-mail, voire se passaient un coup de fil à l’occasion et Connor ne mentionnait jamais dans quel pays il se trouvait. — Toi aussi. — Tu es au courant de quelque chose sur sa mort ? s’enquit Gabe à voix basse. Tu as jeté un coup d’œil au rapport d’accident ? Les autres se penchèrent. Les secrets, c’était le truc de Connor. Oh, il avait beau prétendre n’être qu’analyste, c’était un agent de terrain, aucun doute là-dessus. Même s’ils étaient amis depuis des années, Connor avait changé, devenant plus distant, plus froid. Plus dangereux. Non, Gabe ne croyait pas une seconde que son ami passait ses journées devant un ordinateur. Connor mettait les mains dans le cambouis.
— Je ne suis au courant de rien, les gars, répondit-il avec un froncement de sourcils contrit. Désolé. Roman secoua la tête. — Ça ne concerne pas la CIA, c’est la FAA1 qui gère ça. Et croyez-moi, je ne les lâche pas d’une semelle. Idem pour Zack. — J’ai joint mes contacts, les informa Connor. Ils m’ont appris que l’enquête n’en était qu’à ses débuts. Ils ont récupéré la boîte noire et ils fouillent le lieu du crash très attentivement. Les rapports font mention de vents violents dans la zone où ça s’est produit. La théorie qui se dégage a priori, c’est que l’avion est entré dans un système dépressionnaire et que le pilote a perdu le contrôle. Gabe avait en effet entendu cette théorie. Difficile cependant d’admettre qu’une vulgaire tempête ait pu abattre Maddox Crawford, qui était lui-même une force de la nature. Non, Mad aurait dû être tué par un mari jaloux, ou un frère furieux. — Je veillerai à ce que vous receviez tous le rapport, je vous le promets, murmura Roman, avant d’ajouter avec un geste du menton en direction de l’allée : C’est bien la fille à laquelle je pense ? Comment elle s’appelle, déjà ? Tavia ? Gabe leva les yeux. Une superbe blonde aux pommettes ciselées se dirigeait à grands pas vers le cercueil. Mad avait engagé Tavia Gordon – pour une coquette somme – afin qu’elle se charge de son image et de ses relations publiques. Ce qui n’était pas un travail de tout repos. D’après ce qu’en savait Gabe, Tavia avait passé ses journées à éteindre les feux que Mad allumait partout autour de lui. Quoique un peu grande et mince pour son goût, Gabe devait bien avouer qu’elle était dotée de traits délicats et nobles. Une beauté froide, c’était indéniable. Il s’était demandé plus d’une fois si Mad avait jeté Sara pour Tavia. Parce qu’il y avait forcément eu une autre femme. Avec Mad, il y avait toujours une femme. Son ami avait-il joué de son image de play-boy pour détourner l’attention des paparazzis de sa maîtresse afin de la préserver ? Gabe s’était même demandé si Mad n’avait pas essayé de protéger Sara, mais au vu de la cruauté avec laquelle il l’avait chassée de sa vie… Gabe serra les dents. Non, il ne fallait pas se focaliser là-dessus maintenant, sinon il allait nourrir de très mauvaises pensées à l’endroit du défunt. Tavia se rua sur son siège et tira un mouchoir de son sac Gucci. Sa mise était toujours parfaite, d’habitude, pourtant aujourd’hui ses yeux étaient un peu gonflés, son nez un peu rouge. Le pasteur vint se poster devant l’assistance et le grand orgue entonna un chant funèbre. Un orgue Mander, l’un des plus célèbres de toute l’Amérique du Nord, qui jouait désormais pour Maddox Crawford. Il aurait aimé l’idée. — Hé, tu ne crois pas qu’on devrait faire venir Sara avec nous ? demanda Connor, qui regardait discrètement derrière lui. Elle a l’air seul. Oh non, elle n’était pas seule. Pas au sens strict du terme, du moins, mais elle ne risquait pas de parler de sa grossesse à quiconque pour l’instant. — Non, on s’est assis séparément exprès. Les tabloïdes ne prêtent pas attention à elle, j’aimerais que ça continue ainsi. Car lui, ils ne le lâcheraient pas. Il tâchait de faire profil bas, mais la mort de Mad ne manquerait pas de rendre dingues les journalistes à scandale. Le dernier des Crawford obtenant enfin son dû, marquant la fin d’un règne. Bon Dieu, depuis quand était-il si vieux ? Dax s’installa auprès d’eux. — Qu’est-ce qu’on fait ici ? Je n’aurais jamais imaginé Mad enterré à l’église. Je m’étais toujours dit que, quand il partirait, on lui offrirait des funérailles de Viking, dans la piscine d’un hôtel de luxe à
Vegas. Non, sérieux, j’avais même cherché comment je pourrais attacher ces frites de piscine en mousse pour lui faire un radeau mortuaire. J’envisageais de le buter, à l’époque. C’était juste après qu’il avait loué les services de deux prostituées, avant de me laisser payer la note. Connor esquissa un sourire. — C’est le genre d’adieux qui lui aurait convenu. Jamais il n’aurait voulu être prévisible. Sinon, on pourrait lui organiser une veillée mortuaire à l’irlandaise. Mais je n’arrive pas à croire qu’il ait souhaité toute cette pompe, ce sérieux dans la maison de Dieu. Évidemment, parce qu’ils ignoraient tous qu’au fond, Mad adorait l’attention que lui prêtaient les journalistes et TMZ. Il rigolait, quand les paparazzis le pourchassaient sur Park Avenue. Jamais ce gars n’avait déclenché un scandale qui ne l’ait pas mis en transe. Et puis, il vouait une véritable passion à l’histoire. Enfin, si l’on peut dire. Gabe ricana. — Les funérailles de Jackie Kennedy se sont tenues ici. Vous savez ce qu’il affirmait toujours : qu’il aurait dû naître Kennedy. Vu que ce n’était pas le cas, il a décidé de faire mieux que Jackie, plus spectaculaire. — Le con, grommela Roman. Connor prit une profonde inspiration, visant manifestement à dissimuler un sourire. — C’est vrai qu’il s’est toujours pris pour un aristo, cet enfoiré. Alors, tu as préparé un grand discours ? — Non. Vu qu’il avait organisé la fiesta avant sa mort, il a tout prévu. Son avocat a embauché une star de Broadway pour lire la lettre que monsieur a laissée à la postérité. Vous le croyez, ça ? Ce salaud a rédigé son propre éloge et embauché un acteur professionnel pour la lire. Roman balaya la travée des yeux, se retenant de rire. — Il me semblait bien que je reconnaissais ce mec. Bon Dieu, quel con, ce Mad ! Il me manque déjà. — Le prêtre va dire quelques mots, après lesquels j’étais censé convaincre Christina Aguilera de chanter un hymne émouvant. Ouais, j’ai pas réussi. Il faut croire que la demoiselle a une vie, et une carrière à mener. Mad devra donc se contenter de la nouvelle diva du Met. Elle était disponible – mais pas donnée. En revanche, j’ai laissé de côté la strip-teaseuse et le bar à volonté dans le sanctuaire, même s’il les avait mentionnés aussi. Gabe leva les yeux au ciel, sans prendre la peine de se demander à quoi pensait Mad pour émettre des requêtes pareilles. N’importe quoi pourvu qu’il produise son petit effet. — La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas de séance de condoléances et qu’aucun de nous n’est obligé de parler. On peut rester profil bas. — Il savait peut-être ce qu’on dirait, s’il nous offrait un micro et l’occasion de nous exprimer, marmonna Connor. Quelqu’un leur fit signe de se taire, à quoi ils répondirent en chœur par un grand sourire. C’était bon de se rendre compte que, vingt ans et des poussières plus tard, ils avaient toujours le chic pour s’attirer des ennuis. Gabe lâcha un sourire en reposant les yeux sur l’urne. Oui, ça, ils avaient toujours été doués pour se fourrer dans le pétrin. Et maintenant, il lui restait à nettoyer le bazar laissé par Mad pour la dernière fois. Une heure plus tard, Gabe installait sa sœur dans une limousine. La foule commençait enfin à se disperser. Tellement de gens, qu’il n’avait qu’entraperçus. Il avait conservé la tête baissée, dans
l’espoir de ne pas avoir à trop parler. Les funérailles, il venait de le découvrir, l’ennuyaient profondément. Au moment où il avait juste besoin de se retrouver seul et de réfléchir, il était entouré de monde. Que lui importait de réconforter des gens qui n’étaient même pas proches de Mad ? Il voulait consoler celle qui en avait été la plus proche. Du moins l’avait-elle cru. Mais sa sœur était à cran et en proie à des nausées matinales qui duraient jusqu’à tard dans l’après-midi, donc mieux valait la laisser rentrer. — Tu es sûre que ça va aller, à la plage ? Je suis désolé de ne pouvoir quitter la ville avant plusieurs semaines, il y a trop à faire. J’ai rendez-vous avec l’avocat de Mad lundi, et je dois passer le week-end à me préparer. Au minimum, il faudra que je m’occupe de la fondation, ou je ne sais quel groupe à qui il a laissé l’entreprise. Sara hocha la tête. Derrière son calme apparent, Gabe remarqua tout de même ses mains serrées sur le mouchoir qu’elle tenait. — Ça va aller. Les Hamptons sont calmes, à cette période de l’année. Je vais y séjourner quelque temps, histoire de réfléchir un peu. Quand la nouvelle ne fera plus la une, je pourrai revenir accoucher tranquillement. Si quelqu’un me questionne, je répondrai que j’ai eu une aventure pendant mon voyage d’affaires à Paris en juin dernier. Ses yeux prirent une expression lointaine. — Je croyais vraiment que s’il prenait le temps de réfléchir et que ce que nous avions vécu commençait à lui manquer, il reviendrait. Ça n’arrivera jamais, à présent. — Sara, je sais que tu l’aimais, mais ce n’était qu’un homme. Et pas toujours un homme bien. Tavia Gordon, qui sortait en toute hâte du bâtiment, attira son regard. Il se demanda distraitement comment elle parvenait à courir sur des talons pareils. Secouant la tête, il s’interposa entre Sara et Tavia pour que sa sœur ne l’aperçoive pas. Pas question qu’elle souffre encore plus en se retrouvant nez à nez avec la potentielle maîtresse de Mad. Sara fronça les sourcils, le vent balaya quelques mèches de ses cheveux dorés. — Tu vas bien ? — Oui. File, et prends bien soin de toi. Je t’appelle après mon rendez-vous avec l’avocat. Il avait besoin de se rendre compte de l’étendue réelle du merdier. La société Crawford devait revenir à l’héritier de Mad, et Gabe avait bien l’intention de se battre pour que le testament soit exécuté de façon à assurer l’avenir de son futur neveu ou de sa future nièce. Sa sœur acquiesça. Quand il eut fermé la portière, elle se tourna vers le chauffeur et la limousine s’engagea dans la 84e Rue. Alors qu’il regardait s’éloigner le véhicule, une autre femme attira son attention. Petite, aux formes sensuelles, avec une crinière rousse ondulée, elle se détachait dans la foule, sorte de lutin au milieu des elfes mannequins. Toutes les femmes qui descendaient la rue étaient trop émaciées au goût de Gabe, trop moulées sur la mode des magazines, à l’exception de ce petit chaperon rouge, qui n’était manifestement pas adepte de la chirurgie esthétique. Non, ces seins-là étaient bien vrais. Impossible de les lâcher des yeux ! Ils n’étaient pas énormes, mais de quoi remplir la main d’un honnête homme, semblait-il. Et sans doute très doux, il le devinait à leur ballottement. Elle portait une robe noire à tout petits pois blancs et une ceinture bleue de chez Tiffany qui lui serrait la taille et accentuait l’harmonie de ses courbes. Il lui donnait dans les vingt-cinq ans, peut-être un an ou deux de plus, pourtant il y avait quelque chose chez elle – peut-être sa peau claire et ses boucles – qui l’attirait. — Ah, je croyais t’avoir perdue. Un jeune homme en costume élégant la rattrapa et glissa une main dans la sienne.
Elle était donc à l’église ? Non. Il l’aurait forcément remarquée. De plus, il reconnaissait les vêtements de qualité quand il en voyait et les siens, bien que jolis, étaient du prêt-à-porter peu onéreux. Ses chaussures semblaient bien coupées mais pas de créateur, et son sac à main ressemblait un peu à un sac à pommes de terre. Peu de chances qu’elle fasse partie du groupe de putains de luxe qui quittait l’église. Quand le couple passa devant lui, la fille sourit au garçon, et son affection évidente frappa Gabe d’un direct en plein ventre. Depuis combien de temps une femme ne l’avait-elle pas regardé avec une joie pareille dans les yeux ? Une joie capable d’illuminer son univers ? Peut-être n’était-ce jamais arrivé. Les femmes avec qui il sortait avaient toujours les yeux rivés sur un objectif : s’élever dans la société. Peu importait qu’elles paraissent gentilles, c’étaient toujours des femmes en quête – en quête d’argent, de pouvoir, d’une meilleure condition sociale. Elles ne le voulaient pas, lui, elles voulaient la vie qu’il leur offrirait. Aussi les femmes avec qui il sortait ne lui tenaient-elles pas la main dans la rue. Elles ne lui souriaient pas non plus avec cette sincérité, cette sensualité naturelle. Et elles n’avaient surtout pas de vrais seins tout doux, qui rebondissaient délicatement à chaque pas. Gabe observa le couple tout le long du trottoir, jusqu’à ce qu’ils disparaissent à l’angle de la rue. Il poussa un soupir admiratif. Elle avait des fesses spectaculaires aussi. La simple contemplation de ses courbes suffisait à l’enflammer tout entier. Et il ne se rappelait pas la dernière fois que ça s’était produit. Les relations sexuelles étaient devenues mécaniques, un acte qu’il pratiquait pour assouvir un besoin. Et en regardant la jolie rousse, il se rendit compte qu’il y avait bien longtemps qu’il n’avait pas voulu une femme juste parce qu’il la désirait. Il n’avait pas vu celle-ci aux obsèques, ce qui signifiait sans doute qu’il s’agissait simplement d’une jolie fille profitant d’un après-midi d’automne à Manhattan. Il resta quelques secondes à observer le coin de rue où elle avait disparu. Si elle n’avait pas tenu la main d’un autre homme, il aurait joué les saligauds et l’aurait suivie. Au fond, tant mieux qu’elle ne soit pas disponible, car il avait du pain sur la planche. Avec un soupir, il remonta les marches. Les autres l’attendaient dans un bar en bas de la rue. Pas mal d’amis et de collègues de Mad se retrouvaient autour de quelques verres et autres souvenirs, histoire d’essayer d’oublier qu’il était parti pour toujours. Gabe rentra dans l’église, où il fut assailli par le silence. Tout était si calme, maintenant. Il entendait ses propres pas résonner sur le sol. La cathédrale était belle, avec ses arches de marbre et ses portes en bronze, mais il la trouvait froide. Belle mais vide, quand plus personne ne l’animait. Un peu à l’image de sa vie. Du point de vue matériel, il avait tout ce qu’un homme pouvait désirer, pourtant il commençait à se demander si ça en valait vraiment la peine, tout ça. Il était comme engourdi. Pour la première fois depuis des mois, cette fille, dans la rue, avait suscité en lui un sentiment autre que colère, anxiété ou peine. Peu importait ce qui s’était passé entre Mad et Sara, le chagrin causé par la mort de son ami restait logé au creux de son ventre. Il regrettait l’homme qu’il avait connu plus de la moitié de sa vie et tout ce qui aurait dû être et ne serait jamais. Bon Dieu, si seulement les dernières paroles qu’ils échangeraient jamais n’avaient pas été prononcées avec colère. Au cours de son ultime rencontre avec Mad, il avait déclaré à son meilleur ami qu’il souhaitait sa mort, et ça le hantait à présent. Car la nuit suivante, Mad était mort. Gabe entra dans la chapelle, en quête du prêtre qui avait officié pour la cérémonie. Pour suivre la tradition, la famille du défunt était censée faire une « donation » à l’église. Mad n’avait plus de famille en vie, et il avait écrit une lettre à Gabe contenant les instructions pour ses funérailles, au cas
où quelque chose lui arriverait. Si furax que Gabe ait été après lui, il y avait eu un temps où ils étaient plus proches que des frères. La tâche d’exécuter le testament de Mad lui revenant, il avait dans sa poche un chèque de dix mille dollars pour le pasteur. S’il arrivait à mettre la main dessus. Il avança à l’intérieur afin de fouiller les allées des yeux, avant de s’immobiliser en se rendant compte qu’il n’était pas aussi seul qu’il l’avait cru. Un homme en costume sombre se tenait devant l’urne de Maddox, la tête baissée. Il bougea les épaules et pivota légèrement, si bien que Gabe aperçut sa mâchoire carrée et le contour de son front. Un étrange soulagement envahit Gabe. Il était venu. Au fond de lui, et même si on lui avait annoncé le contraire, il avait espéré que tous ses amis se retrouveraient ici pour pleurer ensemble la perte de l’un des leurs. — Monsieur le Président, votre sécurité est nulle. J’aurais pu m’approcher de toi sans qu’on m’en empêche. Le président des États-Unis d’Amérique se raidit, sans toutefois se retourner. — Je pense que tu aurais eu quelque difficulté, pour le moins. Ma sécurité est au contraire étonnamment attentive. Ce fut alors que Gabe remarqua les trois points de lumière rouge sur sa poitrine. Il passa le sanctuaire en revue et découvrit les snipers. Oui, il pourrait être mort dans à peu près deux virgule trois secondes. — Merde, Zack, tu veux bien leur indiquer qui je suis et leur demander de ne pas tirer ? Ce dernier se retourna, l’un de ses rares sourires aux lèvres. Peu bavard par nature, il était devenu froid et renfermé depuis l’assassinat de sa femme, deux ans plus tôt. Gabe ne pouvait considérer l’événement autrement. Joy Hayes avait été abattue pendant la course à la présidence de son mari. Lui-même était présent dans la foule aux côtés de Dax et Mad. Parfois, il entendait encore le coup de feu et les cris qui s’étaient ensuivis. Il revoyait le visage de Zack au moment où celui-ci avait compris que Joy était partie. Parfois, en fermant les yeux, il revoyait Zack tenant le corps inanimé de sa femme contre sa poitrine, alors que les services secrets devenaient dingues à essayer de l’extraire de la salle. Il avait remporté l’élection haut la main trois jours plus tard. C’était bon de voir son vieil ami sourire à nouveau. — Messieurs, il s’agit de Gabriel Bond. Je doute qu’il me veuille le moindre mal. Je vous en prie, n’éliminez pas l’un de mes plus vieux copains. Sur quoi il s’approcha de l’allée où Gabe s’était arrêté et son sourire disparut. — On en a assez perdu pour aujourd’hui, termina-t-il en tendant la main. — Absolument, approuva Gabe, qui saisit la main de Zack, mais l’attira dans ses bras pour une accolade. Bon sang, ça fait plaisir de te voir. Zack s’écarta pour lui poser une main sur l’épaule. Il avait le regard fatigué. — Ça me fait plaisir, à moi aussi. Tu n’as pas idée à quel point. Comment tu t’en sors ? Je sais que vous n’étiez pas en très bons termes, tous les deux, quand il est mort. Mais ça doit être dur pour toi. De nous tous, c’était toi, le plus proche de lui. Gabe songea à mentir, mais renonça. — Ouais, c’est super dur. J’ai du mal à me dire qu’il est vraiment parti. Après avoir appris la nouvelle, je me suis regardé dans le miroir. Et tu sais ce que j’ai vu ? Un homme qui savait faire un nœud de cravate parce que Maddox Crawford le lui avait appris. La première fille que j’ai embrassée, c’était Mad qui avait organisé l’affaire. Zack hocha la tête. — Et moi, j’ai rencontré mes premiers amis parce que Mad s’est assis à côté de moi en classe un
jour, et a copié sur moi pendant le contrôle d’algèbre. C’était la première fois que j’ai déjeuné à votre table. À ce qu’il m’a expliqué, vu que je pouvais lui être utile, autant qu’on soit amis. Du moins c’était ce qu’il affirmait. Je me suis rendu compte plus tard que ce trouduc était un génie des maths et qu’il n’avait pas du tout triché. J’ai découvert le pot aux roses une fois à la fac. Il a inventé une raison pour qu’on traîne ensemble, jusqu’à ce qu’on devienne un groupe soudé. Oui, Mad nous a rassemblés. Il voulait se créer une famille, puisque la sienne se fichait pas mal de lui. C’est ce qu’il a fait avec nous. Il est intéressant de noter qu’il a choisi pour ça des marginaux. Je pense qu’il s’est toujours considéré comme l’un des nôtres, même une fois qu’on est devenus populaires. Peut-être parce qu’il savait qu’il pouvait compter sur nous. Merde, Gabe avait besoin d’un verre. Ou de douze. Mieux, il avait besoin de renouer avec sa meute, de se rappeler qu’il avait un chez lui. — Il y a moyen que tu lâches les snipers pour venir au pub avec nous ? s’enquit-il. On a rendezvous juste en bas de la rue. Tous ensemble. Roman, Connor, Dax et moi. Les potes adoreraient te voir. Il s’abstint de préciser qu’il avait besoin de Zack, besoin que la bande se reforme même si plus jamais elle ne serait au complet. Qu’est-ce qui s’était passé ? Il avait cru qu’ils assisteraient au mariage des uns et des autres. Dax avait convolé à Vegas, aucun d’eux n’était là, même s’ils lui avaient organisé une fête de divorce du tonnerre deux ans plus tard. Zack avait été le seul à se marier selon les règles, avant que son histoire d’amour ne prenne fin dans l’horreur. À présent, Mad avait brutalement rejoint son créateur après une mort aussi tragique qu’inattendue. Ils avaient besoin d’un événement positif. Le sourire de Zack était réapparu sur son visage. — Roman ne va pas être ravi de me voir. En fait, il va être absolument consterné, mais je pense que si on est discrets, on peut voler une heure. Peut-être deux. Je ne suis pas attendu à Washington tout de suite. Qu’en dites-vous, Thomas ? Gabe suivit son regard, quelque part sur la gauche, et découvrit un grand Afro-Américain en costume noir. D’au moins un mètre quatre-vingt-quinze et taillé comme un footballeur professionnel. Même à l’intérieur de l’église, il portait des lunettes d’aviateur à verres miroirs. Ce type avait tout à fait le look du gros dur qu’il était sans aucun doute. — Je crois que vous êtes devenu fou, monsieur le Président, répondit-il en exhibant deux rangées de dents blanches parfaitement alignées dans un large sourire. Mais vous savez que j’aime les défis. Accordez-moi cinq minutes, le temps de mettre en place la logistique, et on pourra y aller. J’ai réussi à vous introduire ici sans que la presse remarque quoi que ce soit, j’en ferai autant pour ce bar. Il sortit un téléphone portable de sa poche et appuya sur un bouton. — Le professeur a soif, les gars. Il va falloir lui dénicher à boire. Zack lâcha un soupir. — Les services secrets m’adorent. J’espère que ce pub a une salle isolée. — Si ce n’est pas le cas, on en créera une, monsieur le Président. Difficile de s’habituer à ce que son copain d’enfance soit devenu l’homme le plus puissant du monde libre. Zack secoua la tête. — S’il te plaît, ne m’appelle pas comme ça, Gabe. Laisse-moi faire semblant d’être Zack quelques heures. Gabe comprenait exactement ce dont son ami avait besoin. — Oh, si tu veux te remettre dans la peau d’un mec normal, on peut t’y aider. En fait, on se fera un plaisir de te rappeler le temps où tu n’étais qu’un gamin abruti, monsieur Trottinette.
Zack grogna, mais au moins ses pupilles brûlèrent-elles d’un autre feu que celui du chagrin. — Ne m’appelle pas comme ça non plus. Déjà que mon nom de code pour les services secrets est « Professeur »… Et je n’ai pas besoin qu’on me rappelle ce fichu incident de la trottinette. Pourtant, ça avait été une sacrée rigolade. — Je ne te promets rien. Everly Parker balaya des yeux ce bar chic. Elle ne se sentait pas à sa place, au milieu de ce luxe, de ces gens huppés. Même si elle travaillait avec certains d’entre eux. Et puis, elle n’était pas très fan de bars en général, pas du genre à attendre 17 heures au bureau, les yeux rivés sur la pendule, pour pouvoir rejoindre son rade favori. Non, elle était plutôt du genre à bosser tard et à rentrer chez elle pour profiter d’un bain chaud avec un bon livre. Ce soir, pourtant, elle avait eu envie d’être quelqu’un d’autre, n’importe qui sauf celle qui venait d’enterrer son mentor et ami une heure auparavant, et voyait à présent se profiler la possibilité de perdre son emploi ainsi que le toit au-dessus de sa tête. — Hé, tu comptes bercer ce verre toute la nuit ? Scott Wilcox se pencha sur elle avec un clin d’œil. Il en était à sa troisième margarita. — Parce que moi, je pense que tu devrais descendre quelques verres de vin et jouer les entremetteuses pour moi. Harry de la compta est là, et je jure que je vais mourir si je ne sors pas bientôt avec ce canon. C’est le seul vrai beau gosse de la boîte. Il me le faut. Everly sourit. Elle avait rencontré Scott l’année dernière, quand elle avait intégré la Crawford. Au départ, elle avait pris ses attitudes joueuses pour de la drague. Mais il l’avait convaincue d’aller prendre un café avec lui peu après et s’était excusé de lui avoir donné une fausse impression. Il avait avoué n’être plus lui-même depuis sa récente et rude rupture avec son petit ami. Scott cachait parfois ses humeurs sombres derrière un masque de joie de vivre. Alors le voir enfin oublier son amour perdu pour tremper l’orteil dans le bain de la séduction, surtout s’il jetait son dévolu sur un garçon à tomber, voilà qui ravissait Everly. En toute honnêteté, elle n’était pas sûre elle-même de croire au grand amour. L’attirance, l’affection, oui, mais l’amour… Son père s’y était brûlé les ailes. Il avait trimbalé jusque dans la tombe le choc et le chagrin causés par l’abandon de son épouse. Everly avait toujours trouvé sa mère distante, comme si elle avait passé sa vie à attendre quelqu’un d’autre, jusqu’à ce qu’elle les quitte justement pour cet autre. Elle secoua la tête. — Scott, je ne sais même pas ce qu’est censée faire une entremetteuse. Il s’adossa à son siège et sembla réfléchir un instant. — Eh bien, d’abord tu vas aller le voir et lui parler de moi. Lui raconter quel garçon parfait je suis, à quel point je suis super. Si ça ne marche pas, alors file-lui du GHB en douce, histoire que je puisse abuser de lui. Elle leva les yeux au ciel. Scott pouvait avoir une sacrée imagination. — Pas de problème, j’y vais de ce pas. — J’aurais essayé, fit-il avec un long soupir, en reportant son attention sur le fond de la salle. Everly suivit son regard. Une serveuse portant la version féminine d’un smoking et tenant ce qui ressemblait à un plateau de fromages passa devant un grand noir vêtu d’un costume quelconque et de lunettes d’aviateur. Il gardait une porte conduisant probablement vers une sorte de carré VIP. — Tu vois ça ? J’ai entendu une rumeur, lui chuchota Scott à l’oreille. Pendant que tu étais aux toilettes, Marty du service des traitements s’est arrêté à notre table et m’a raconté une histoire de dingue.
— Tu ne devrais pas l’écouter, c’est une vraie commère. — Tu veux entendre le scoop ou pas ? Pour sa part, elle craignait que le prochain scoop qui suivrait celui de Scott ne soit : « La super employée se fait renvoyer après la mort du gentil patron. » Elle avait grimpé les échelons telle une comète, et maintenant elle allait s’écraser au sol avec un gros « splash ». Elle ignorait encore comment il faudrait réagir à l’arrivée du nouveau patron, quand il découvrirait que son chef de la sécurité informatique n’était en fait qu’une hackeuse bien trop jeune pour son poste. Seul Maddox Crawford la pensait à la hauteur de cette tâche. Maddox, c’était son champion, son mentor dans le monde fou de l’entreprise. Et il s’était révélé un ami étonnant. Au départ, elle avait été complètement sous le choc à sa mort. Le sentiment de dévastation n’avait d’ailleurs pas disparu. Mais maintenant, presque une semaine plus tard, son cerveau s’était remis à travailler sans relâche. Et elle avait des questions – des questions auxquelles personne ne semblait disposé à répondre. Maddox Crawford était un pilote expérimenté. Sa mort était-elle vraiment un accident ? Pas selon l’e-mail mystérieux et inexplicable qu’elle avait reçu la veille au soir. — OK, OK, c’est quoi, le super scoop ? Au diable ses propres conseils ! Elle était disposée à écouter n’importe quels ragots qui la détourneraient de ses propres problèmes. Oui, elle avait besoin d’un week-end agréable avant d’affronter le lot de soucis, quels qu’ils soient, que lundi ne manquerait pas d’apporter. Scott avait raison, après tout. Elle allait vivre un peu, avant que la guillotine ne s’abatte sur son cou. Si les choses se déroulaient comme elle le présageait, elle aurait de la chance si elle pouvait se payer un vin de table, le mois prochain. — Tu étais au courant que le grand Crawford avait de sacrées connexions, non ? Elle n’écoutait pas les racontars, à la différence de ses collègues. En fait, elle les évitait même à dessein. Pourquoi se focaliser sur les problèmes des célébrités, quand elle en avait son lot elle-même ? Et puis, s’agissant de gens tels que Maddox, les tabloïdes racontaient plus de mensonges que de vérités. Il leur fallait une bonne histoire, or la vie réelle avait une fâcheuse tendance à être par trop ennuyeuse. Le Maddox qu’elle connaissait travaillait dur – douze heures par jour, souvent six jours par semaine. Il se souciait de ses employés. Mais ça, évidemment, personne n’en parlait. — Il connaissait beaucoup de monde. C’est le cas d’à peu près tous les hommes qui occupent ce genre de postes. — Oui, sauf que lui, il connaissait une personne très puissante, souffla Scott. Everly ne voyait pas trop ce qu’il insinuait par là. — Je n’en doute pas un instant. Il occupait un poste élevé, Scott. Pas étonnant qu’il ait connu des gens puissants. Scott lâcha un soupir visiblement frustré. — Mais bon sang, tu ne comprends pas de qui je parle ? Zachary Hayes, le président des ÉtatsUnis, le type le plus sexy jamais élu à la Maison-Blanche. Ils étaient amis d’école, d’après les rumeurs. J’ai entendu dire que notre président est un sentimental. Je pense qu’il a assisté en secret aux funérailles de Crawford, et même qu’il est ici, dans ce bar, au moment où je te cause. Maddox lui avait raconté une fois qu’il avait fréquenté la même école préparatoire que l’actuel président et qu’ils étaient proches, à l’époque. Tous les deux appartenaient au même petit groupe d’amis qui s’étaient autoproclamés les « Parfaits Gentlemen ». Everly ne savait pas trop si c’était censé être ironique, mais elle soupçonnait que oui, connaissant la réputation plus que douteuse de Maddox. Leurs frasques étaient devenues de véritables légendes… et étaient d’ailleurs ressorties
pendant la campagne de Hayes, sous forme de spots télévisés payés par le camp adverse, comme autant de coups bas. Elle lâcha un soupir exaspéré. — Mais oui, bien sûr que le président des États-Unis est ici. Scott désigna du regard le carré VIP. — Tu as remarqué le nombre impressionnant de types en costard noir, là-bas ? — Scott, c’est une veillée funèbre. La plupart des convives de ce bar sont venus directement après l’enterrement. Et ça te choque qu’ils soient vêtus de costumes noirs ? — Et les lunettes de soleil ? rétorqua-t-il. À ton avis, qui peut bien porter des lunettes noires à l’intérieur d’un bar bondé à la tombée du jour, à part ces cinglés de fédéraux ? En se retournant, elle aperçut deux hommes en effet très larges d’épaules plantés de part et d’autre de l’accès à la salle du fond. Quand une femme les approcha d’un pas vacillant, ils la repoussèrent délicatement mais fermement. Everly aperçut une lueur métallique. Scott était peut-être dans le vrai, après tout. — Punaise, j’ai vu un SIG Sauer. Scott haussa un sourcil. — Un quoi ? Manifestement, son collègue n’avait pas été élevé dans la proximité des armes à feu. — C’est le pistolet qu’utilisent les services secrets. Je le sais parce que mon père était policier et fan absolu des armes. Je savais presque tirer avant de marcher. J’ignore si ce type est réellement des services secrets, mais en tout cas, il porte le même modèle d’arme. Scott observait toujours la porte surveillée par les gardes du corps surdimensionnés en costume noir et lunettes d’aviateur. — Imagine. Si ça se trouve, le président le plus sexy de tous les temps est assis dans cette pièce en ce moment même, à descendre des tequilas dégueulasses. — Je ne sais pas pourquoi, mais je me dis qu’ils s’arrangeraient pour lui en filer de la bonne. Et ce n’est probablement pas lui. Il y a plus de chances que ce soit quelque patron prétentieux ou un héritier play-boy figurant parmi les connaissances de Maddox. Je suppose que le président irait dans un endroit plus sécurisé. Et puis, s’il était ici, la presse grouillerait de partout. Scott haussa les épaules, comme pour signifier qu’il comprenait la logique d’Everly, mais préférait quand même sa théorie à lui. Un sourire aux lèvres, elle scruta la salle, histoire de voir qui d’autre de chez Crawford Industries était venu présenter ses respects alcoolisés à Mad, et remarqua Tavia, qui se dirigeait vers elle. La dirigeante, sublime et tirée à quatre épingles, les rejoignit en quelques enjambées, son sourire professionnel standard bien en place. — Ravie de te voir ici, Everly. Je croyais que tu rentrerais à Brooklyn tout de suite après la cérémonie. Comme beaucoup de gens nés dans l’Upper East Side, elle prononçait « Brooklyn » comme s’il s’agissait d’un virus qu’elle ne voulait pas attraper. Ces pauvres ignares se figuraient que New York n’existait qu’entre le milieu de Manhattan et Harlem, et n’iraient jamais salir leurs chaussures de créateur en foulant les trottoirs du reste de l’île. Hormis ce détail, Tavia s’était montrée avenante, quoique un peu tendue. Cette femme-là ne restait pas longtemps en place. — Scott m’a convaincue de rester un moment. Il n’avait pas eu à insister beaucoup. Son loft était si calme, ces cinq derniers jours. Le silence était insupportable. Elle ne s’était pas rendu compte à quel point elle était devenue dépendante de
l’amitié de son patron. Au cours des deux mois écoulés, il avait pris l’habitude de venir frapper à sa porte sans prévenir et sans y être invité, avec quelque projet à discuter. Ils passaient alors des heures à bavarder en mangeant. Au début, elle s’était inquiétée d’avoir tôt ou tard à repousser des avances lubriques, mais Mad s’était révélé étonnamment gentil. Aimable, même. Il avait montré un intérêt sincère vis-à-vis d’elle, mais pas dans une approche de séduction. Et peu à peu, ils s’étaient installés dans une amitié confortable, de celles que l’on partage avec les gens que l’on connaît depuis toujours. Jamais il n’y avait eu la moindre anicroche entre eux. Il allait affreusement lui manquer. La douleur qu’elle ressentait à l’idée de ne plus jamais le revoir refusait de céder du terrain. Elle prit une gorgée de vin, se surprenant une fois de plus à regretter de n’être pas quelqu’un d’autre et ailleurs. S’échapper, voilà une notion qui lui plaisait, là. Tavia tapota un talon Prada au sol. Ses chaussures avaient peut-être quelques années, elles n’en restaient pas moins impeccables et très classe. — Hé, j’ai une petite information secrète pour vous. L’avocat de Crawford rencontre son exécuteur testamentaire lundi. On devrait donc avoir des nouvelles de l’entreprise bientôt. Scott verdit légèrement. — Donc les lettres de licenciement pourraient bien circuler rapidement aussi. Bon Dieu, je n’ai pas envie de chercher un nouveau boulot, ça m’a pris une éternité avant de dégoter celui-ci. Tavia secoua la tête et ses cheveux clairs balayèrent ses épaules. — Il y a toujours du remue-ménage quand un nouveau dirigeant reprend les rênes d’une entreprise, mais tu ne risques pas grand-chose dans le programme de perfectionnement des cadres. En général, ils font sauter les joueurs du haut de l’échelle. Le petit nouveau aime bien arriver avec sa propre équipe dirigeante. Autrement dit, si quelqu’un doit passer à la trappe, ce sera Everly et moi. Scott leva les yeux au ciel. — Ça peut bien tomber sur n’importe qui. Je ne suis pas non plus un simple pion, je te signale. Je tourne dans tous les services jusqu’à la fin du programme. Trois margaritas et un enterrement, et voilà que Scott devenait irritable et morose. — Ce qui fait de toi un élément de valeur, Scott, tenta de le rassurer Everly. Tu sais des trucs sur tous les aspects de l’entreprise, en ayant passé six mois dans la plupart des services majeurs. Ne t’inquiète pas. — Exact, approuva Tavia. Pour ma part, avant que je sois mise sur la touche, je dois m’assurer que le nouveau patron comprend l’importance du travail de la fondation. Elle contribue pour beaucoup à la bonne image de Crawford Industries, or nous savons tous combien l’entreprise en a besoin en ce moment. Avec toute l’agitation récente, le cours de nos actions a baissé de manière substantielle. J’espère que le futur patron comprendra le préjudice que lui causerait mon renvoi deux semaines seulement avant la soirée de gala annuelle. S’il me garde jusque-là, ça me donnera un peu de temps pour le ou la convaincre que je vaux ce que Maddox me payait. La soirée de collecte de fonds constituait l’événement le plus prestigieux et le plus important de l’année chez Crawford. Deux semaines, ça n’était pas bien long pour convertir un nouveau patron, mais la jeune femme avait raison : le soutien que Crawford Industries apportait à la Fondation internationale pour l’Éducation des Femmes et des Filles créée par la famille de Tavia était vital. Du point de vue des relations publiques, c’était précieux. Qu’un play-boy tel que Maddox finance généreusement l’éducation des femmes dans les pays du tiers-monde leur garantissait de nombreux articles élogieux et témoignait de leur bonne volonté. Everly fronça les sourcils. Dans ce cas, pourquoi Maddox lui avait-il annoncé en privé qu’il
n’assisterait pas au gala cette année ? Il avait lâché l’info pendant leur dîner, l’air de rien, un soir qu’ils passaient en revue son projet de consolidation du système de sécurité Internet. Il ne s’en était pas expliqué plus avant, sinon en déclarant que c’était compliqué. Mais bon, tout était compliqué, avec Maddox Crawford. Ils avaient beau passer du temps ensemble, il ne lui avait pas révélé ses secrets. Et elle comprenait – jusqu’à ce que son avion s’écrase et qu’elle reçoive ce mystérieux e-mail. Avant sa mort, Everly se doutait qu’il lui cachait quelque chose. Aujourd’hui, elle en était quasi certaine. Dommage qu’elle n’ait pas posé plus de questions, qu’elle n’ait pas insisté davantage. Bref, elle ne percerait pas à jour ces mystères ce soir. À compter de lundi, elle aurait sans doute tout le loisir de réfléchir à ce que Maddox fomentait, vu qu’elle serait à la recherche d’un nouveau boulot. Ce soir, elle avait envie de se soûler suffisamment pour bien dormir. Un seul verre de vin ne suffirait pas à accomplir cette prouesse. — Je reviens de suite. Ayant avalé le fond de son verre, elle se leva et balaya la pièce des yeux. Le bar était plein à craquer et les employés apparemment trop peu nombreux. Il y avait peu de chances que la serveuse revienne à leur table avant longtemps. Elle ne put s’empêcher de remarquer une paire de serveurs bien habillés qui entraient et sortaient de la salle du fond, mais sans s’arrêter pour s’occuper des autres clients. Si elle voulait un verre, elle allait devoir se rendre au comptoir. Elle se fraya un chemin entre les tables de ses collègues, s’arrêtant pour en saluer certains, soutenant avec difficulté le regard spéculatif des autres. Elle savait exactement ce qu’ils pensaient. L’entreprise était un énorme conglomérat multinational, ce qui n’empêchait pas les bureaux de Crawford Industries de fonctionner comme une petite ville. Avec moult cancans, et surtout concernant le patron, leur cible par excellence. Elle s’était retrouvée liée à Crawford dès son embauche. Le premier jour, il lui avait fait visiter les locaux lui-même, déclenchant des rumeurs comme quoi elle était sa maîtresse. Et quand il l’avait promue à la tête du service cyber-sécurité six mois seulement après son embauche, les regards lourds de sous-entendus s’étaient faits incessants. Bien que cela ait rendu son travail difficile, Everly avait baissé la tête et foncé. Travaillé dur. Elle avait arrêté un espion d’entreprise et aidé le FBI à traquer un réseau qui utilisait Crawford Industries pour des opérations de hameçonnage. Cependant, si efficace qu’elle se soit montrée, les employés continuaient à spéculer sur ses relations avec le patron et sa promotion canapé. Elle lâcha un soupir. Quelle blague ! Elle qui n’avait couché avec personne depuis… eh bien, depuis plus d’un an, et sa très longue traversée du désert ne semblait pas vouloir se terminer de sitôt. Au moins les tabloïdes n’avaient-ils pas publié les rumeurs de sa prétendue relation torride avec Maddox. Un vrai petit miracle dont elle était reconnaissante. À coups de coude et de poussées, elle finit par atteindre le comptoir bondé et tenta d’attirer l’attention d’un barman. Malheureusement, elle n’en voyait que deux en poste. Elle leva la main quand l’un d’eux passa devant elle. — S’il vous plaît ? Il ne s’arrêta pas, préférant se poster face à deux blondes au bout du bar. Minces et sublimes. L’histoire de sa vie. Elle avait toujours été petite et légèrement plus charnue que ne l’imposaient les diktats de la mode. Mais bon sang, ça ne signifiait pas qu’elle n’avait pas autant besoin d’un verre que ces maigrichonnes ! Le barman fit demi-tour et se dirigea de nouveau dans sa direction.
— Un verre de vin, s’il vous plaît. Rien. Pas même un : « Bonjour, je m’occupe de vous dans une minute » auquel elle n’aurait accordé de toute façon aucun crédit. Il s’éloigna pile à l’opposé et entreprit de préparer ce qui ressemblait à des cosmopolitans. La barmaid passa, encore plus dédaigneuse que son collègue. Qui revint déposer leurs verres aux deux top-modèles du bout du bar. Cette fois, Everly était prête. Elle se pencha, avec l’espoir qu’il ne l’avait peut-être pas entendue les deux premières fois. — S’il vous plaît, je peux avoir un verre de… Le gars s’apprêtait à passer une nouvelle fois sans s’arrêter, quand une grande main apparut sur sa droite, par-dessus le comptoir, immobilisant le barman sur place. — Je pense que la dame souhaite commander un verre. J’apprécierais que vous le lui serviez tout de suite. C’était la voix la plus grave et la plus sexy qu’elle ait jamais entendue de sa vie. Et la main qu’elle voyait était tout aussi plaisamment virile. Le barman écarquilla les yeux. — Bien sûr, monsieur, répondit-il, portant enfin toute son attention sur Everly. Que puis-je vous servir, madame ? En cet instant, elle n’était plus intéressée par le vin. Par-dessus son épaule, elle dévisagea son sauveur. La sexytude ne se résumait pas à sa voix. Alors que pour sa part, elle avait dû se frayer un chemin à travers la foule, la masse humaine semblait s’être écartée devant lui. Il était seul, et pourtant plus près d’elle que nécessaire. Grand et large d’épaules, avec des cheveux blonds coupés en brosse courte et les yeux les plus bleus qu’elle ait jamais vus, son Bon Samaritain posait sur elle un regard amusé. Everly sentit son ventre se nouer. — Il a besoin de savoir quel vin vous souhaitez boire. Laissez-moi deviner, reprit l’inconnu en la scrutant. Un rouge un peu sucré ? Elle secoua la tête. — Non. Euh, un sauvignon blanc. Je préfère le vin blanc, le rouge a tendance à me ballonner. Judicieuse réponse, Everly. Super sexy de sortir ça à l’homme le plus canon qu’elle ait jamais vu. Bien sûr que ses soucis de digestion allaient le fasciner. — Eh bien, ce serait dommage en effet, répliqua-t-il sur un ton légèrement moqueur. La dame prendra donc un sauvignon blanc, et moi un scotch. Le Glenlivet vingt-cinq ans d’âge. Le barman partit aussitôt s’exécuter. — Merci. Everly se sentit rougir. Elle devait ressembler à une écolière ridicule aux yeux de cet homme. Encore heureux qu’elle n’ait pas bavé. Elle ne l’avait jamais vu, mais était prête à parier qu’il venait du carré VIP. Peut-être était-ce un acteur, en tout cas il était largement assez beau pour le grand écran. — Je n’arrivais pas à me faire entendre. Les lèvres de M. Super-Canon s’étirèrent en un sourire tandis qu’il s’accoudait au bar. — Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un problème d’audition. Je dirais plutôt que ce gars-là est aveugle. Everly ne savait pas trop ce qu’il sous-entendait par là, en tout cas elle n’arrivait pas à détourner les yeux de cet homme. — À sa décharge, il est très demandé, ce soir. Le bar est plein à craquer. J’ai même entendu dire que le président était là. Étrange, non ? En riant, il s’approcha un peu plus. — Je suis sûr que le leader du monde occidental est en mesure de se trouver de l’alcool gratuit à la
Maison-Blanche. Puis il ajouta, tendant sa grande main : — Je m’appelle Gabriel. Tel l’archange, mais vêtu d’un costume hyper bien coupé. Voilà un prénom qui lui allait à ravir. Elle logea sa paume dans la sienne, qu’il couvrit aussitôt de son autre main. Et alors qu’il l’enveloppait, la chaleur de sa peau l’envahit. — Et moi… Eve. Enchantée de vous rencontrer. Elle n’aimait pas l’idée que cet homme-là lui donne le même prénom que ses collègues de travail. Seuls les membres de sa famille l’appelaient Eve. Ce soir, elle ne voulait pas être la femme qui s’inquiétait pour son poste et le loyer de son loft. Non, elle préférait être une femme dont le seul souci serait de flirter avec un homme séduisant. Cette conversation n’aboutirait probablement nulle part, mais rien ne l’empêchait de fantasmer sur le bel inconnu. Everly, c’était la jeune prodige en informatique, mais peut-être qu’Eve se révélerait une séductrice audacieuse. Elle continuerait à siroter son vin en s’imaginant que le superbe spécimen masculin à ses côtés la trouvait irrésistible. Oui, ce soir, elle serait très contente d’être Eve. — Ravi de vous rencontrer aussi, Eve. Vous vivez dans le coin ? Elle secoua la tête. — Non, j’habite à Brooklyn. Et vous ? — Je suis né dans l’Upper East Side, mais je m’en échappe dès que je peux. Le barman déposa leurs verres sur le comptoir. — Voilà, monsieur. Gabriel lui tendit ce qui ressemblait à s’y méprendre à un billet de deux cents dollars. — Gardez la monnaie. Ainsi donc il était riche. Pas étonnant : il avait admis être né dans cette partie-ci de la ville. Elle porta son verre à quinze dollars à ses lèvres. — Vous êtes très généreux. Il avala une bonne gorgée de son scotch. — Pas vraiment. C’est un whisky très onéreux. Je n’y peux rien, je suis un esthète du scotch. Je l’aime single malt et en âge de voter au minimum. Je suis plus souple en ce qui concerne mes goûts en d’autres matières. Il jeta un regard de biais à la table qu’elle occupait quelques instants plus tôt. — C’est votre époux, là-bas ? Everly suivit son regard. Scott était à nouveau tout seul, Tavia s’étant lancée dans une autre conversation à une table voisine, sans doute sur l’équipe dirigeante de Crawford, vu la façon dont elle gesticulait tout en parlant. — Non, c’est juste un ami. Je ne suis pas tout à fait son style. — À croire que la plupart des hommes sont aveugles, ce soir. Elle ressentait son regard presque physiquement, telle une caresse qui se déplaçait de ses yeux à sa poitrine. Son examen s’attarda là un instant, puis Gabriel secoua la tête. Comme pour se corriger. Sous cette inspection, Everly réprima l’envie de frissonner. — Vous faites partie du carré VIP qui occupe tout le personnel de l’établissement ? Il grimaça, ce qui n’entama en rien sa beauté. — Je le crains, oui, mais j’ai ressenti le besoin de sortir. Et je suis bien content de l’avoir fait. Je vous ai vue, dans la rue, tout à l’heure.
— Ah bon ? Il l’avait remarquée ? — Vous descendiez la 84e, précisa-t-il. Pour venir ici, je suppose. Vous étiez à l’enterrement ? Elle était restée au fond, ne souhaitant pas voir le cercueil qui matérialisait la mort d’un ami qu’elle pleurerait longtemps. Mais elle n’avait pas envie de parler des funérailles maintenant. Vu qu’il habitait dans le quartier, Gabriel avait sans doute fait quelque chose de plus gai aujourd’hui. Pourquoi plomber l’ambiance ? Et puis, ce soir, elle était Eve, une femme sans problèmes. — J’avais envie d’un verre. — Eh bien, moi aussi. On pourrait peut-être en partager un ou deux. Cela dit, l’endroit est un peu bondé. Était-ce juste une remarque, ou suggérait-il qu’elle quitte les lieux avec lui ? Son rythme cardiaque tripla de vitesse. Certes, elle ne devrait pas filer au bras d’un inconnu. Les tueurs en série aussi pouvaient être très beaux. Et pourtant, l’idée de découvrir cet homme l’intriguait. — Gabe ? Dépêche, mec, on t’attend. Ils ont trouvé les cigares, mais Zack refuse d’allumer le sien tant que tu n’es pas revenu. Un grand musclé aux yeux chocolat et aux cheveux noirs coupés ras les rejoignit, qui offrit à Everly un coup d’œil et un sourire. — Bonjour, je m’appelle Dax. Et vous ? Gabriel plissa les paupières et posa une main sur l’épaule de son ami. — Elle s’appelle : « Je l’ai vue en premier ». Dax leva les mains, comme pour concéder le point. Il semblait extrêmement amusé. — Eh bien, c’est un très joli nom, mais Gabe doit retourner voir notre vieil ami commun, qui ne reste pas très longtemps dans les parages vu qu’il a des trucs importants à faire. Il nous quitte dans vingt minutes. Il a vaguement mentionné une crise au Moyen-Orient. Comme si ça ne pouvait pas attendre demain. — D’accord, fit Gabriel. (Était-ce du regret qu’elle lisait dans ses yeux ?) J’ai été enchanté de vous rencontrer, Eve. Je suppose que vous ne comptez pas rester ici toute la nuit ? Elle n’avait pas envie de le laisser partir, mais de toute évidence, son petit rêve éveillé allait prendre fin plus tôt que prévu. Et c’était sans doute mieux ainsi. Filer au bras d’un inconnu, avoir une liaison torride alors que sa vie était si chamboulée… Ça n’était pas très malin. Pourtant ça aurait été agréable de s’échapper un peu. Avant d’être tentée de lui bredouiller son numéro de téléphone, elle tourna les talons et rejoignit Scott. — C’était qui, le beau gosse ? s’enquit ce dernier, en regardant Gabriel et Dax disparaître au fond du bar. Ou devrais-je dire « les beaux gosses », au pluriel ? Je ne les ai pas bien vus, mais on devine beaucoup à observer le dos d’un homme. Dis-moi que l’un des deux est gay et je te réponds qu’on est en veine. En soupirant, Everly but une autre gorgée de ce qui serait probablement son dernier verre de la soirée. — Non. On n’est absolument pas en veine. Car faire craquer le beau Gabriel, apparemment, ça n’arrivait qu’aux autres. Tout en dégustant son vin, Everly songea qu’elle aurait bien joué les Eve un peu plus longtemps.
1. Federal Aviation Administration : agence gouvernementale chargée des réglementations et des contrôles concernant l’aviation civile aux États-Unis. (N.d.T.)
2 Gabe ne cessait de penser à Eve. Il tentait de se concentrer sur la conversation entre ses copains, mais ne voyait que ses grands yeux noisette et ses cheveux roux qui cascadaient en boucles souples sur ses épaules et jusqu’à ses seins ronds. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas été excité rien qu’en regardant une femme. — Je dis juste que Liz va être furax. Même sans sa veste et sa cravate, Roman avait tout du politicien qu’il était. Il se cala contre le dossier de son siège et tira sur son cigare. — Tu lui en as parlé ? Zack secoua la tête. — Je ne suis pas idiot. Je vais lui raconter que je suis venu ici rencontrer la délégation des Nations Unies du… Je ne sais pas. Un pays déchiré par la guerre. Je lui expliquerai que j’essayais de signer la paix ou un truc du genre. Elizabeth Matthews était la porte-parole du président, mais elle lui tenait quasiment lieu d’épouse au travail depuis la mort de Joy. Gabriel était content que son ami ait une femme comme elle sur qui s’appuyer. Zack ressemblait à une coquille vide depuis trop longtemps. Même lorsqu’il avait accepté le poste suprême de la nation, son ami était mort à l’intérieur, Gabe le savait. Deux ans après le début de son premier mandat, il recommençait enfin à plaisanter un peu. Et Gabe soupçonnait que la jolie Liz avait beaucoup à voir avec ce regain de gaieté. — Allons, Zack. Tu es le leader du monde libre et tu as peur de ta porte-parole ? s’exclama Connor, incrédule. Roman donna une tape dans le dos de son patron. — On a tous peur de Liz. Elle est peut-être mignonne en apparence, mais cette femme a trois rangées de dents, toutes acérées comme des lames de rasoir. Vous pouvez me croire, quand elle découvrira le pot aux roses – et elle le saura, parce qu’elle a des yeux derrière la tête – elle va lui botter les fesses. — Je suis sûr que les botter n’est pas la première chose que Zack aimerait faire à ses fesses, à elle, intervint Dax avec un clin d’œil. Merde. J’ai dit ça tout haut ? Ils se tournèrent tous vers Zack, qui éclata de rire. — Tu as passé bien trop de temps sur ton bateau, mon pote. Tu en as oublié l’art subtil de la diplomatie. — Je crois qu’il ne l’a jamais possédé, commenta Gabe. Rappelle-toi, c’est à cause de lui qu’on avait tous été collés, quand il avait indiqué au prof de maths où il pouvait se carrer sa calculatrice ? Dax secoua la tête.
— Ouais, ça n’était pas une bonne journée. Mad s’était faufilé par la fenêtre du fond sous prétexte qu’il avait un rencard, et nous, on avait dû le couvrir. Le con. Connor éclata de rire. — Putain, il va me manquer. Il secoua lui aussi la tête, comme pour écarter ses idées noires. — Et donc, Zack, reprit-il, tu vas céder à la tentation et inviter Liz à sortir un soir ? — Je ne sais pas si tu es au courant, ironisa l’interpellé, mais j’exerce un boulot plutôt prenant. Je n’ai pas des masses de temps pour les sorties en tête à tête. Gabe se pencha en avant. Le sujet commençait à l’intéresser. — Excuse-moi, mec, mais on a tous des boulots prenants. Admets que tu l’apprécies. — Oui, vous avez tous des boulots prenants. Et combien d’entre vous sont mariés ? objecta Zack. Aucun. Zéro. Avec moi, Dax est le seul parmi nous à avoir essayé les épousailles, et ça n’a pas été très concluant. — Hé, je suis à la recherche de la prochaine Mme Spencer, précisa Dax. Qui deviendra sans doute une ex au bout d’un an ou deux en poste. — Bien entendu, puisque tu avoues qu’être ta femme est un travail à plein temps, rétorqua Roman. Et je te signale que traditionnellement, on appelle plutôt ça « le mariage ». — Et moi, je te signale que les femmes de militaires appellent ça un boulot. Ça n’est pas facile, pour elles. Pas étonnant que Courtney m’ait quitté, confia Dax. Mais ça ne doit pas empêcher Zack de fricoter un peu à la Maison-Blanche, si vous voyez ce que je veux dire. Ose m’affirmer que tu n’as jamais songé à faire ça dans la chambre Lincoln. Ou dans cette pièce avec toutes les porcelaines de Chine. Vous en faites quoi, de toute cette porcelaine, nom de Dieu ? Il vous faut combien d’assiettes par personne, à vous autres ? Zack répondit à la taquinerie d’un geste amusé de la main. — Arrête, tu me tues. Et non, je ne poursuis pas Liz de mes assiduités. Je ne peux pas aller aux chiottes sans que la photo sorte dans la presse. Vous avez vu ce blog ? Comment il s’appelle déjà ? — « Scandales au Capitole », précisa Roman dans un grognement. C’est le gros truc à la mode à Washington, en ce moment. J’ai essayé de le faire fermer à cinq reprises, et il resurgit chaque fois, comme un rat qui refuse d’avaler le poison. J’adorerais choper celui ou celle qui le tient, ce fichu blog. — Ils ont fait tout un reportage sur la taille de ma queue. Je ne plaisante pas. Ils avaient intitulé ça : « Un chef d’État bien monté ». Apparemment, ils avaient interrogé une femme avec qui j’étais sorti avant mon mariage. (Zack soupira.) Je ne peux plus sortir avec quelqu’un, aujourd’hui. Même si j’en avais envie, je ne pourrais pas. La presse se déchaînerait sur la pauvre fille. Jamais je n’imposerais à une femme le fardeau quotidien d’être la petite amie du président. Et puis, c’est mieux ainsi, ça me permet de me concentrer à fond sur le travail. — Tu arrives à te concentrer quand tu n’as pas eu de relation sexuelle depuis… combien, deux ans ? Moi, je crois que je deviendrais dingue, admit Connor. — Je ne peux pas avoir la femme que je veux, alors à quoi bon ? fit Zack en s’adossant à son fauteuil. Gabe était quasi certain que le président ne parlait pas de feu sa femme, en l’occurrence. Il avait vu Zack et Joy ensemble. C’étaient plus des amis, des partenaires que d’ardents amants. En tout cas, il n’avait pas ressenti de passion dans leur mariage de raison. Elle était issue d’une famille fortunée et dotée d’une grâce qui avait valu à Zack autant de votes que ses idées politiques. En revanche, quand Zack et Liz se trouvaient dans la même pièce, on sentait l’électricité entre eux, forte et palpable.
Un peu le genre d’électricité qui avait crépité entre Eve et lui. La jolie, la sexy Eve. — Bon, bon, passons maintenant à un autre sujet : qui va ramener Mlle Je-l’ai-vue-en-premier à la maison ? enchaîna Dax avec un sourire satisfait. — Quelqu’un a dit preum’s ? s’enquit Connor, prouvant ainsi que même un super espion pouvait parler comme un ado ridicule si les circonstances s’y prêtaient. Quand ils étaient gamins, les filles n’étaient pas légion, vu qu’ils fréquentaient une école de garçons. Alors quand ils se retrouvaient en présence féminine, ils avaient pris l’habitude de crier « preum’s ». C’était niais, c’était puéril, n’empêche que Gabe était arrivé preum’s avec Eve. — C’est juste une fille avec laquelle je discutais au bar, expliqua-t-il. Elle avait du mal à se faire servir, alors je lui ai donné un coup de main. — Elle avait perdu son verre dans son décolleté ? demanda Dax. Parce que tu donnais plutôt l’impression de lui donner un coup d’œil, si vous voyez ce que je veux dire. — Imbécile. C’était juste une gentille fille. (Avec une paire de seins d’enfer. ) Rien à voir avec l’ex Mme Spencer, c’est sûr. Il se demandait ce qu’elle fabriquait, là. Il se faisait tard. Il avait retrouvé les gars depuis plus de vingt minutes, elle était donc probablement partie. Et en chemin pour regagner Brooklyn. Il n’avait même pas son nom de famille – fâcheux oubli. Roman observait son téléphone, les sourcils froncés. — Les enfoirés. OK, Connor, trouve-moi qui gère Scandales au Capitole et exécute-le. — Je suis analyste, commença Connor. Je ne donne pas dans le meurtre sur commande. Qu’est-ce qu’elles ont encore raconté, ces grandes bouches ? Roman serra la mâchoire et les lèvres, signe évident de sa colère. — Ils affirment que Maddox a été assassiné. Le nœud qui vrillait le ventre de Gabe depuis des jours se serra un peu plus. — Et quelles preuves est-ce qu’ils avancent, ces connards ? Roman fit défiler la page à l’écran de son téléphone tout en lisant le texte. — Ils prétendent disposer d’une source interne. J’ignore s’il s’agit de la FAA, du NTSB ou de quelqu’un d’autre. Putain, comment osent-ils ! Et le portable cogna le mur dans un bruit sourd. Le chagrin. Il était là, telle une corde raide qui les reliait tous. Ils pouvaient bien rire et plaisanter, faire semblant que tout était normal, mais Maddox était mort et un morceau d’eux-mêmes leur avait été arraché pour toujours. Nouveau rappel que leur enfance était bel et bien derrière eux. — Je vais y jeter un coup d’œil, promit Connor, une main posée sur l’épaule de Roman. Je n’ai pas pris de vacances depuis des années, j’ai donc accumulé des tonnes de jours de repos. Je les pose surle-champ. Je vais me consacrer entièrement à l’identification de l’auteur de ce blog. On va les faire taire. — Fais donc carrément fermer leur foutu site. Ce ne sont rien que des vautours. Roman renversa la tête en arrière et prit une longue inspiration. Quand il la releva, ses yeux exprimaient une infinie fatigue. — Désolé, la semaine a été longue. Dès l’instant où Gabe avait appris la mort de Maddox, il avait eu l’impression que le temps s’était mis à passer avec une lenteur intolérable. L’idée d’être confrontés à des théories conspirationnistes sur le drame, qui s’étaleraient dans les médias pendant les mois à venir, lui pesait encore plus. — Son avion s’est écrasé. Ils sous-entendent que quelqu’un aurait provoqué le crash ? Zack se leva et saisit la bouteille de vodka qu’il avait commandée.
— Ils balancent des titres aguicheurs pour augmenter leur lectorat. N’y prêtez pas attention. Je vous promets de vous tenir au courant sitôt que le rapport de la FAA me parviendra, affirma-t-il en se versant un shot. Allez, les gars, il ne me reste plus que quelques minutes avant de devoir partir. Ne les gâchons pas avec des soucis qui échappent à notre contrôle. Zack avait raison. Il n’y avait rien qu’ils puissent faire ce soir, pas plus que Gabe ne pouvait régler la situation dans laquelle se trouvait sa sœur. Il ne changerait rien non plus au fait que Mad était parti. Malgré le grand vide qu’il éprouvait, il ne manquerait pas d’honorer son ami. Alors il leva son verre. — À Mad. Les autres l’imitèrent. — Za ná-chou dróu-jbou, lança Zack dans un accent russe parfait, son verre de vodka levé bien haut. À notre amitié. Zack avait passé sept ans à Moscou avec ses parents. Son père était ambassadeur américain en Russie, Zack avait donc appris la langue, qu’il parlait couramment depuis son plus jeune âge. Gabe se rappela la première fois qu’ils avaient fait le mur, quittant le dortoir pour se rassembler dans le cabanon du jardinier. Mad avait chipé une bouteille de bourbon au directeur, dont chacun avait avalé une gorgée. Et Zack avait prononcé les mêmes paroles en russe. À notre amitié. Un sentiment doux-amer l’enveloppa tandis qu’ils buvaient, le souvenir ravivé à l’esprit de Gabe par un constat : l’un d’eux manquait à l’appel. Et pour toujours. — Allez, ça suffit, jeta soudain Dax en reposant son verre. Mad serait horrifié de nous voir nous apitoyer. Trouvons plutôt un moyen d’aider Gabe à s’envoyer en l’air ce soir, car je suis le premier à penser qu’il en a besoin. Oh non ! La dernière chose dont il ait besoin, c’était que ses amis croient devoir l’aider à coucher. — Pas question, les gars. Vous croyez que j’ai oublié l’incident d’il y a quelques années ? — Évidemment que tu l’as oublié, affirma Roman, qui se leva pour s’étirer. Impossible que tu te rappelles, avec tout ce que tu avais bu ce soir-là. — Je m’étais réveillé dans le New Jersey, avec trois femmes qui juraient que je les avais demandées en mariage. J’ai réussi à me glisser dehors alors qu’elles commençaient à se crêper le chignon. Oui, il faut bien le reconnaître, la bagarre m’a sauvé. Alors merci bien, mais je vais me débrouiller pour me dégoter mes rencards tout seul. Sa vingtaine avait vraiment été intéressante. Sa trentaine… moins. Depuis la mort de son père, il s’était noyé dans les responsabilités, et maintenant il donnerait à peu près n’importe quoi pour quelques heures sans avoir à penser à tous les gens qui comptaient sur lui. Une soirée de plaisir coupable, c’était vraiment trop demander ? — Tu as trouvé une fille avec qui sortir, et tu l’as laissé tomber ? se moqua Dax. Tu es vraiment à côté de la plaque, mec. — Tu parles de la petite rouquine avec qui je t’ai vu discuter tout à l’heure ? Parce que sinon, je dis preum’s sans hésiter, intervint Roman, posté près de la porte pour épier la salle principale. Bon sang, elle est hyper sexy. Ça, c’est des courbes, pas comme la plupart des autres nanas du bar. Elles ne mangent jamais de cheeseburgers, les femmes de cette ville ? Eve était encore là ? Gabe bondit sur ses pieds et traversa la petite pièce à grandes enjambées. Il était persuadé qu’elle serait partie. Il suivit le regard de Roman. Eve était assise, seule à présent, et sortait son portefeuille. Elle balaya le bar des yeux, comme si elle cherchait quelqu’un. Et quand ses jolis iris noisette croisèrent
les siens, ils s’allumèrent brièvement. Et puis elle sembla aussitôt trouver la table absolument fascinante. — Oh, il faut vraiment que tu y ailles, l’encouragea Roman d’un coup de coude dans les côtes. Moi, à ta place, je n’hésiterais pas. Gabe fit un pas en arrière et regagna son siège. Il n’était pas bien en ce moment, et il ne ferait qu’utiliser Eve pour oublier ses soucis. Ça n’était pas juste. — Je ne vais pas profiter des funérailles de mon meilleur ami pour m’envoyer en l’air. Zack le dévisagea comme s’il avait perdu la tête. — On parle de Mad, là. Je suis étonné qu’il n’ait pas demandé qu’une orgie soit organisée autour de son cercueil. Gabe ne put s’empêcher de rire. — Eh bien, il a quand même laissé un « Fonds spécial prostituées » – vingt mille dollars – pour ceux d’entre nous qui seraient célibataires au moment de sa mort et en quête de réconfort temporaire. Gabe ne voulait pas d’une prostituée. Il voulait Eve, et elle était sur le point de quitter le bar. Peutêtre que s’il se montrait honnête avec elle sur ses motivations et ses besoins, elle ne souffrirait pas. Au fond, elle était peut-être venue boire un verre ici parce qu’elle cherchait quelque chose, elle aussi. En tout cas, il le regretterait toute sa vie s’il la laissait partir. Il attrapa sa veste. — À plus tard, les gars. — Traite-la comme il faut, Gabriel, lança Dax avec un grand sourire. Il en avait bien l’intention. Il espérait la convaincre de lui accorder une chance, car soudain rien ne lui semblait plus important que de passer le reste de la nuit en compagnie de cette femme. Bon, il était vraiment l’heure de rentrer à la maison. Everly se demandait même pourquoi elle n’était pas partie en même temps que Scott. Enfin, ça n’était pas tout à fait vrai. Elle savait ce qu’elle attendait, ou plus précisément qui elle attendait. En revanche, elle se demandait toujours pourquoi. Elle sortit la monnaie nécessaire pour payer ses consommations. Scott avait trouvé le courage d’aller parler à son coup de cœur. Et il était parti trente minutes plus tôt, en compagnie de Harry de la compta. Il faisait complètement nuit, et elle devait absolument rentrer. Pourtant elle restait assise là, à siroter le fond de son verre avec l’espoir d’apercevoir Gabriel à nouveau. Elle se prit à regretter de n’être pas partie avant. Il l’avait surprise en train de scruter les lieux. Logiquement, il était avec un ami. À la seconde où il avait croisé son regard, elle avait baissé la tête. Et quand elle l’avait relevée, il avait disparu. Attendait-il qu’elle s’en aille ? Il la prenait peut-être pour quelque dingue qui risquait de le harceler. S’il était acteur ou célèbre, il devait subir l’adoration des inconnues à tout bout de champ. Oui, vraiment, l’heure de filer avait sonné depuis longtemps. Il lui manquait juste l’addition. Et zut, il n’y avait jamais de serveuse dans les parages quand on avait besoin d’elles. En attendant, elle consulta ses SMS et en découvrit un nouveau. D’un numéro inconnu. J’ai mis la main sur les infos promises dans mon e-mail sur la mort de Crawford. Je vous contacterai avec une date et un horaire de RDV. N’en parlez à personne. Et venez seule. Un frisson la parcourut. Elle voulait croire que la personne qui la contactait ainsi n’était qu’un barjot. Cependant, le mystérieux e-mail qu’elle avait reçu la veille, lui suggérant d’aller vérifier les déplacements de Maddox Crawford durant les jours ayant précédé son meurtre, était rédigé avec lucidité. Et il n’était pas fait mention de l’accident de Maddox ni de sa mort, mais bien de son « meurtre ». Quand elle avait tenté de remonter à la source, elle avait découvert que l’e-mail avait été
envoyé d’un compte anonyme, du genre que n’importe qui pouvait ouvrir sur les sites de messagerie gratuite. Il lui faudrait plus d’informations pour parvenir à traquer l’auteur. S’il ne s’agissait pas de quelque détraqué dangereux, alors… à qui avait-elle affaire ? Un mauvais plaisantin ? Un collègue jaloux qui essayait de lui faire commettre un faux pas afin de prouver qu’elle n’était pas à la hauteur de son poste ? Un journaliste peu scrupuleux en quête d’une histoire juteuse ? Ou quelqu’un qui essayait vraiment de lui transmettre des informations importantes sur Maddox ? Everly passa toutes les possibilités en revue. La dernière semblait tirée par les cheveux… mais pas impossible. Elle ne pouvait pas l’éliminer d’emblée, en tout cas. Et puisque se soûler n’était finalement pas au programme de ce soir, elle commencerait à fouiller sitôt rentrée au loft. Elle devait bien ça à Maddox. Une partie d’elle mourait d’envie de répondre à ce salaud en lui demandant ce qu’il cherchait. Mais il fallait se montrer plus maligne. Si les requêtes auprès de son opérateur téléphonique ne donnaient rien, eh bien elle connaissait quelques trucs permettant d’obtenir des numéros de façon moins officielle. Ce salopard pouvait bien essayer de se cacher, elle avait les moyens de parvenir à la vérité. Ayant fourré son portable dans son sac à main, elle se leva. Payer l’addition. Rentrer à la maison. Entamer les recherches. Et peut-être tâcher de dormir. Son estomac gargouilla. Elle devrait sans doute manger d’abord, mais pas question de s’attarder ici comme une pauvre fille qui attendait désespérément que Gabriel pointe le bout de son nez. Elle se dirigea vers le bar. — La note, s’il vous plaît. Étonnamment, le barman s’arrêta. — Elle a déjà été réglée. Par le monsieur en costume, là-bas. Elle se tourna vers l’endroit qu’il indiquait. Gabriel. Sa cravate était légèrement défaite, ses cheveux ébouriffés, comme s’il venait d’y passer la main. Et il était tout aussi renversant pour les sens que plus tôt dans la soirée. Alors qu’il s’approchait, elle ne nourrissait plus aucun doute sur la capacité de cet homme à la faire frémir des pieds à la tête. — Euh… Merci. — Je vous en prie. C’est beaucoup plus calme que tout à l’heure, ici, commenta-t-il avec un coup d’œil à la salle désormais à moitié vide. Qu’est-ce qui est arrivé à votre ami ? — Il est parti avec quelqu’un d’autre. Le sourire qu’il lui offrit faillit couper le souffle d’Everly. — Il a trouvé quelqu’un avec qui passer la nuit ? — Il l’espère, en tout cas. Pour ma part, je ne suis pas certaine que l’homme en question joue dans son camp. Cet inconnu était-il en train de flirter avec elle ? Et elle avec lui ? Elle ferait mieux d’arrêter. Il était trop séduisant et manifestement trop riche. Tout ce qu’elle avait à afficher, elle, c’était un joli loft à Brooklyn, que d’ailleurs elle n’aurait bientôt plus les moyens de se payer si elle perdait son poste. Allez savoir, ce n’était peut-être qu’une question de semaines avant qu’elle se retrouve à la rue. Waouh, quel rayon de soleil elle faisait ! — Et votre ami, à vous, il est passé où ? s’enquit-elle. Il reporta les yeux sur le carré VIP. — La fête est finie là-bas aussi. Tout le monde va rentrer chez soi. Pour ma part, j’envisageais de rester un peu plus. Vous avez des projets pour la soirée, Eve ?
Voilà une question chargée de sens. Ses plans, pour l’instant, consistaient en un retour à son appartement désert, où elle aurait tout le loisir de s’inquiéter de son avenir et essaierait de réfléchir au possible assassinat de son ami. Elle pouvait donc rentrer seule avec sa peur et ses doutes… sauf qu’elle n’en avait pas très envie. — Je m’apprêtais à partir. Et vous ? — Pareil. J’envisageais d’aller dîner quelque part avant de rentrer. Car je ne pense pas que la nourriture soit de très bonne qualité ici. Giovanni’s est à un pâté de maisons. Ça me dit bien, un italien. Et je vous promets que vous n’aurez aucun problème à vous faire servir un verre de vin, là-bas. — Vous m’invitez à vous accompagner ? La situation était quelque peu surréaliste. D’autant qu’elle voyait encore plein de femmes bien plus séduisantes qu’elle dans le bar. Pourquoi avoir jeté son dévolu sur elle ? Il aimait peut-être les courbes, certains hommes appréciaient ça. Il affichait désormais un masque poli. — J’ignore si je qualifierais ça de rendez-vous, mais… — Et comment qualifieriez-vous ça, alors ? Il fit un pas vers elle, pénétrant dans son espace personnel. — Eve, je souhaite me montrer honnête avec vous. Eve. Elle n’était pas Everly, aux yeux de Gabriel. Autrement dit, il n’attendait pas qu’elle soit une gentille fille bien polie. Autrement dit, elle pouvait exprimer ses désirs sans timidité. Elle se redressa légèrement et plongea dans ses beaux yeux bleus. Une barbe de cinq heures ombrait ses mâchoires, et elle ne put s’empêcher de se demander quel effet cela ferait de passer les doigts sur son visage, de caresser du pouce cette lèvre inférieure qu’il avait si pleine. — L’honnêteté, c’est bien. OK, elle n’était pas entièrement honnête avec lui, pour sa part, mais peu importait. Le moment qu’ils partageaient était hors du temps. Elle ne le reverrait plus et ne connaissait même pas son nom de famille. — Je cherche un exutoire, ce soir. Je peux le trouver au fond d’une bouteille ou bien je peux vous emmener loin d’ici et tâcher de nous faire du bien à tous les deux. Vous voulez bien me laisser vous inviter à dîner, que je plaide ma cause ? Il lui proposait de coucher avec lui. Une histoire d’une nuit. Jamais elle n’avait fait ça. Elle avait couché avec deux hommes dans sa vie, tous les deux ses petits amis de l’époque. Côté sexe, ça allait, mais quelque chose dans le regard de Gabriel lui soufflait que ce serait beaucoup mieux avec lui. Il voulait s’échapper. Elle ne savait pas trop de quoi, mais croyait apercevoir dans ses yeux un monde de tracas et de chagrin qui l’attirait vers lui. La perte, le désir, elle comprenait ça. Et elle comprenait aussi le besoin de quelques heures d’oubli. N’était-ce pas justement ce qu’elle cherchait aussi ? Un souvenir unique surgit à son esprit à cet instant précis. Deux jours avant sa mort, Maddox avait secoué la tête, exprimant sa désapprobation face au néant de la vie amoureuse d’Everly. Il avait essayé de la convaincre de le laisser lui organiser un rendez-vous, à quoi elle avait répondu qu’elle n’avait pas le temps. Elle avait des rapports à finir, les commandes à vérifier sur leurs nouveaux disques durs et leur système de sécurité. Maddox avait levé au ciel ses yeux perçants. « Il faut que tu sortes un peu, tu ne peux pas passer ta vie derrière l’écran d’un ordinateur. La vie, ça implique souvent de prendre des risques. Parfois, il faut s’oublier pour se trouver vraiment. » Elle n’avait pas besoin d’être elle-même. Pas ce soir. — Embrassez-moi.
Les mots étaient sortis de sa bouche avant qu’elle puisse les retenir. Elle n’était pourtant pas du genre téméraire ou effrontée, avec les hommes. Jamais elle n’avait exigé quoi que ce soit d’un amant, en matière de pratiques sexuelles, mais elle avait follement envie que Gabriel l’embrasse. Elle voulait voir l’étincelle qu’elle ressentait traduite concrètement en sensation physique. Elle s’attendait à ce qu’il argumente et, le voyant hésiter, elle s’apprêtait à s’excuser de sa précipitation. À secouer la tête, à essayer de rire de l’incident. Quand soudain il lui prit le visage entre ses mains et vint se coller contre elle. Il lui souleva la tête et elle vit sa bouche approcher. Douces. Ses lèvres étaient si douces. Délicates. Il se mouvait avec une grâce de prédateur. Il enfonça les doigts dans ses cheveux, et naturellement les mains d’Everly trouvèrent les muscles fins de sa taille. Même à travers sa chemise amidonnée, elle sentait la chaleur de son corps. Qui se déversait pratiquement sur elle, réchauffant sa peau et l’éveillant à la vie. Il était délicat, tout en lui faisant parfaitement comprendre qui menait la danse. Il verrouilla ses lèvres aux siennes pour conduire le baiser. Une petite pression sur ses cheveux lui indiquait dans quel sens pencher la tête. Tout chez cet homme – son odeur, son goût, son contact – la faisait fondre. Elle oublia où elle se trouvait, notamment qu’ils étaient dans un lieu public. Les bruits du bar disparurent, jusqu’à ce qu’elle n’entende plus que son propre cœur battant furieusement à ses oreilles. Plus rien ne comptait que la sensation de ce corps sous ses mains, et la maîtrise avec laquelle il la guidait. — C’est ce que tu voulais, Eve ? souffla-t-il contre sa bouche. Vérifier si je savais embrasser ? Je peux t’en donner plus. Je n’ai pas envie de m’arrêter à tes lèvres. Je veux te déshabiller et découvrir si tu es aussi douce et sucrée que tu en as l’air. Je veux passer ma langue partout sur ta peau jusqu’à mémoriser ton goût. Je veux t’embrasser si longtemps et si fort que tu oublieras d’avoir été embrassée avant. Il lui inclina le visage vers lui et prit une profonde inspiration. — Alors, tu en dis quoi ? Tu veux bien dîner avec moi ? Elle déglutit. Les paroles de Gabriel avaient tout chamboulé en elle, à l’exception de son désir, bien vivace. — Ce n’est plus d’un dîner dont j’ai envie, là.
3 — Voilà, monsieur Bond : votre suite pour une nuit. Avez-vous besoin d’aide pour vos bagages ? Derrière le comptoir d’accueil du Plaza, l’hôtesse haussa un sourcil en direction d’Eve, tapie à l’écart et plongée dans la contemplation attentive du plafond coffré et des immenses chandeliers du hall élégamment marbré. En fait, depuis leur arrivée, elle regardait tout ce qui l’entourait, sauf Gabe. Elle doutait. Ses yeux fuyants et sa crispation l’indiquaient assez. Elle n’était pas habituée à ce genre de situations, il l’aurait parié. S’il la laissait réfléchir trop longtemps, il allait la perdre. Il tapota le comptoir du bout des doigts, manière de signifier son impatience à l’hôtesse, tandis qu’Eve ajustait son sac à main, caressant la lanière avec une énergie pleine de nervosité. Non, décidément, elle n’était pas du tout détendue à l’idée de cette histoire d’une nuit qu’elle avait pourtant acceptée. Un gentleman l’aurait mise dans un taxi et renvoyée chez elle. Mais ce soir, Gabe n’était pas un gentleman. D’ailleurs, il n’en avait peut-être jamais été un. Ce bon vieil Ogilvie était dans le vrai. Oui, il savait qu’il n’était pas juste d’ensevelir son chagrin derrière le désir charnel qu’il prévoyait d’assouvir avec elle. Sauf que là, il la voulait trop pour se montrer fair-play. — Non, je n’ai pas besoin qu’on m’aide pour mes bagages. En revanche, j’ai besoin d’autre chose, déclara-t-il, tendant une poignée de billets de cent dollars. Que mon séjour ici reste discret. Je ne veux pas voir de journalistes. — Monsieur, le Plaza applique une politique de la plus stricte confidentialité, répondit l’hôtesse, qui empocha néanmoins la monnaie. Quand il en aurait terminé, d’ici quelques heures, il sortirait par la porte de derrière. Ou mieux, il demanderait à Roman de passer le prendre afin qu’ils commencent à préparer leur rendez-vous de lundi avec l’avocat de Mad. S’il existait une personne au monde qui savait comment éviter la presse, c’était bien le chef de cabinet de la Maison-Blanche. Gabe était conscient qu’un homme intelligent ne passerait pas la soirée avec Eve. Il rentrerait se préparer tout le week-end aux escarmouches du lundi. Car il avait l’intention de se battre avec tous les moyens légaux à sa disposition pour les intérêts de sa future nièce ou de son futur neveu. Et l’héritage qui leur revenait de droit. Peu importait ce qu’annonçait le testament, peu importait à quelle œuvre caritative Mad avait décidé de donner son argent ou ses autres biens. C’était à Sara d’hériter de sa fortune, nom de Dieu ! Mais il n’allait pas songer à ça maintenant, pas quand une jolie rousse, chaleureuse et énigmatique, était là pour l’aider à oublier. Du moins temporairement. Il l’observa. Cette fille accélérait son rythme cardiaque, le réveillait à la vie. Alors pas question qu’elle lui échappe cette nuit. Il avait bien besoin de sa douceur, de quelques heures sans penser à rien qu’au plaisir. Lundi arriverait bien assez tôt, et avec lui la bagarre contre les derniers souhaits de Mad
et ses propres démons. Ayant empoché la carte-clé de la chambre, il approcha d’Eve à grandes enjambées et glissa une main dans la sienne, mêlant leurs doigts. D’habitude, il n’était pas du style à offrir des signes d’affection en public, mais ce contact peau contre peau lui procurait l’impression d’être connecté avec elle. Et imaginer ce qu’ils s’apprêtaient à faire lui donnait quelque chose à attendre impatiemment. Mieux encore, son geste parut la rassurer. Ce qui l’arrangeait, car ils seraient bientôt seuls. Et il prévoyait de l’avoir nue et excitée sous ses yeux d’ici cinq minutes. Ils se dirigèrent vers les ascenseurs, les talons d’Eve claquant sur le sol lisse. Heureusement, la plupart des touristes étaient sortis pour la soirée, sans doute en ville à assister à quelque spectacle. Avec un « ding », l’un des ascenseurs s’ouvrit sur un groom en uniforme. — Quel étage, monsieur ? La question et la présence du jeune homme firent grincer Gabe des dents. Il y avait déjà trop d’espace entre Eve et lui pour son goût, trop de minutes encore avant le moment où il plongerait en elle. Alors il sortit un autre billet. — Cinquante dollars si vous nous laissez monter seuls. Le groom s’empressa d’obtempérer. Une fois seul avec Eve, Gabe appuya sur le bouton du dix-neuvième étage. Les portes se refermèrent. Elle lui jeta un regard perplexe. — Pourquoi tu as… ? Sans lui laisser le loisir de terminer sa question, il la plaqua contre la paroi et scella sa bouche à la sienne. Démontrer la faim qu’il avait d’elle, c’était beaucoup mieux que de la lui expliquer. À la seconde où son corps se colla à celui d’Eve, ses sens s’affolèrent. Il remarqua un million de détails en même temps. D’abord, elle avait une odeur très féminine. Ses courbes étaient sensuelles. Même sur des talons, elle était petite, lui arrivant à peine à l’épaule. Elle se moulait parfaitement dans ses bras. Et bon sang, elle irradiait de chaleur, comme le soleil après un rude hiver. Eve lâcha un petit halètement, avant de céder à ses lèvres. Alors elle l’embrassa avec une passion qui émanait de son être tout entier. Cette femme l’enflammait. Vu que leur premier baiser l’avait déjà rendu accro, il enchaîna par un autre. Moulant ses lèvres aux siennes, il enfouit les mains dans la soie de ses cheveux, tirant avec suffisamment de force pour renverser sa tête en arrière et lui permettre un meilleur accès à sa bouche. Elle réagit à la perfection, suivant ses gestes, y répondant avec abandon. Quand il laissa glisser la langue sur sa lèvre inférieure, elle lui ouvrit sa bouche. Merde, il avait envie de la manger tout entière ! Le cœur battant, il vivait les baisers instinctifs d’Eve, qui se retenait à sa taille comme pour s’équilibrer pendant qu’elle lui dévorait la bouche. Du bout des doigts, elle explorait les muscles de son dos, l’agrippant comme si elle n’allait plus jamais le relâcher. Tandis que l’ascenseur montait à leur étage, elle glissa une jambe contre la manifestation évidente de son désir. Et il n’était pas prêt à la repousser. Au contraire, il prit une possession totale de sa bouche, plongeant profondément la langue pour la mêler à la sienne. En temps normal, il préférait jouer les gentils amants. D’habitude, il sortait avec des femmes qui cherchaient à exhiber autant de compétences au lit qu’au bureau. La plupart de ses maîtresses s’étaient révélées froides, bien qu’expérimentées. Et aucune ne l’avait rendu aussi dingue qu’Eve. Il la sentit d’abord hésitante. Il insista, persista jusqu’à ce qu’elle lui réponde avec un mélange de passion et de timidité qui se transforma vite en audace, puis en exigence. Un défi que Gabe releva
avec plaisir. Il fit descendre une main pour caresser l’une de ses sublimes fesses. Dans sa main, la chair était à la fois ferme et moelleuse. Il aurait parié qu’elle se plaignait de ses courbes, pourtant, à ses yeux, elles étaient parfaites. Sa main libre rejoignit l’autre, et il emplit ses paumes de son adorable derrière, utilisant sa position pour la plaquer encore un peu plus contre lui et se frotter contre son ventre. Elle haleta. — Tout va bien ? Elle cilla, les yeux voilés par le désir. — Oui, c’est juste… Je ne… Il secoua la tête. — Pas de « non » ce soir. Dis-moi plutôt ce que tu veux. Dis-moi ce que tu aimes. Ses lèvres se retroussèrent dans le plus charmant, le plus sexy des sourires. — J’adore quand tu m’embrasses. Alors là, aucun problème. Elle aimait ses baisers ? Il allait l’embrasser. Partout. L’ascenseur s’immobilisa. Les portes s’ouvrirent. Gabe avait l’impression d’avoir seize ans à nouveau, tellement il avait hâte. Il la lui fallait, c’était physique, et il ne serait pas satisfait avant de l’avoir possédée totalement. Elle sortit de la cabine, bien trop lentement à son goût. Peut-être parce qu’elle n’était pas à l’aise sur ses hauts talons. Peut-être parce qu’elle était troublée par l’excitation. Ou bien peut-être qu’elle hésitait finalement. Non, il ne supporterait pas ça. Leur suite se trouvait au bout du couloir, il devait l’y faire entrer avant qu’elle ne change d’avis. Se penchant, il lui passa un bras derrière les genoux, l’autre calé dans son dos, et la souleva contre son torse. — Tu me portes. Très observatrice. — Je prodigue un service complet, répliqua-t-il en avançant à grandes enjambées dans le couloir, avec un unique objectif : l’emmener dans cette chambre et la mettre nue. Le large sourire d’Eve se fit plus timide. — C’est bon à savoir, Gabriel. Il aimait la façon dont elle prononçait son prénom. Elle parvenait à le rendre mélodieux, elle en savourait chaque syllabe. Celles-ci franchissaient ses lèvres comme s’il s’agissait là du mot le plus sensuel qu’elle ait jamais prononcé. Il ne la corrigea pas. Tous ses amis l’appelaient Gabe, mais Gabriel, ça sonnait bien dans sa bouche. — Tu es incroyablement belle, est-ce que je te l’avais signalé ? Elle lui noua les bras autour du cou. — Et toi, tu es à la fois très beau et très fort. Je ne crois pas qu’un homme m’ait jamais soulevée comme ça. Ainsi donc, la force l’excitait ? Il pourrait lui montrer un truc ou deux, dans ce cas, car il avait vraiment envie d’impressionner la dame. Mais avant tout, il n’en pouvait plus d’attendre : il voulait être en elle. Le besoin s’en faisait plus impérieux à chaque seconde. Il dut la reposer en atteignant leur suite, pour fouiller fébrilement sa poche en quête de sa carteclé. Il était nerveux. Bon sang, lui d’habitude si habile, si maître de lui-même. Tout ça, c’était la faute de Mad. C’était la faute d’Eve. Il cessa de chercher des responsables à la seconde où il parvint à glisser la carte dans la fente et à
ouvrir la porte. Enfin, ils allaient être seuls. Lorsqu’il fit signe à Eve d’entrer, elle s’exécuta sur des jambes flageolantes. Il n’était donc pas le seul à être chamboulé par l’alchimie flagrante entre eux, voilà qui était bon à savoir. Une fois la porte refermée, il balaya la chambre des yeux. Par les fenêtres aux rideaux grands ouverts, les lumières de la rue rougeoyaient, dessinant la silhouette d’Eve. Il la regarda entrer, observa le balancement sensuel de ses hanches tandis qu’elle allait poser son sac à main sur le canapé. — C’est vraiment une très jolie chambre, murmura-t-elle. Lui n’en avait absolument rien à fiche. — Je veux te voir. Même dans la lumière tamisée, il remarqua la façon dont sa respiration s’accéléra. — Tu veux que j’allume la lampe ? — Non, ce n’est pas ce que j’entendais par là, répondit-il, sans la quitter une seconde des yeux. Je veux te voir nue. Retire ta robe. Montre-moi tes seins. — Je vais fermer les rideaux. Elle s’apprêtait à se tourner vers la fenêtre, mais il la rattrapa par le coude, la retenant avec délicatesse. — Non. On est en étage. Personne ne distingue l’intérieur de cette chambre. Retire ta robe, que je te voie dans le clair de lune. Elle riva son regard au sien, et il y perçut une pointe d’appréhension. Un gentleman aurait sans doute ralenti l’allure. Mais Gabe savait ce qu’il voulait. D’ailleurs, Eve souhaitait sans doute la même chose, autrement elle n’aurait jamais accepté de passer la nuit avec lui. Alors pas question de la laisser s’échapper. Elle lui tourna enfin le dos et leva les bras, cherchant le fermoir avec difficulté. — Il y a une fermeture Éclair derrière. Il s’approcha. — Laisse-moi t’aider. Il passa les mains le long de son dos avant de trouver la fermeture. Elle souleva ses cheveux bouclés pour lui permettre de mieux y accéder, dévoilant la courbe gracieuse de son cou. Elle avait la peau pâle, presque phosphorescente dans la faible lumière. Il se pencha et lui embrassa la nuque – il ne put s’en empêcher – et sentit le léger frisson sous ses lèvres. Lentement, il descendit la fermeture, effleurant son dos du bout des doigts. Une fois qu’il eut passé le cou, elle libéra sa chevelure, cette masse blond-roux qui lui retombait bien en dessous des épaules et scintillait sur sa peau claire. Les mèches étaient douces, elles aussi. Pas sévèrement lissées. Non, ses cheveux étaient différents, à l’image de la femme tout entière. Merde, il serait capable de se perdre en Eve. Elle haussa les épaules, faisant glisser les bretelles de sa robe, qui tomba au niveau de sa taille. Son soutien-gorge était blanc, uni et tout simple. Habitué aux sous-vêtements de dentelle pensés pour exciter les hommes, il ne comprenait pas pourquoi la vue de ce banal morceau de tissu le faisait durcir. Eve ne recherchait pas un homme, ce soir, elle avait encore moins prévu de séduire un amant. En s’habillant, elle n’avait que le confort en tête. Et pourtant, elle était là avec lui, à ôter lentement ses habits. Avec une dextérité experte, il dégrafa son soutien-gorge d’un mouvement du poignet, et passa les doigts sous les bretelles pour les retirer. Fermant les yeux, il laissa danser ses mains sur la bande de peau douce ainsi dénudée. Puis il attira Eve contre lui à nouveau et remonta le long de son ventre jusqu’à trouver ses seins. Pleins, naturels. Il adora sentir leur poids dans sa paume. De la pulpe des
pouces, il frotta la pointe de ses tétons, ce pour quoi elle le récompensa d’une longue et brusque inspiration. — C’est si bon. Le corps parcouru d’un frisson, elle s’appuya contre lui pour se soutenir, et se cambra, propulsant ses seins en avant telle une double offrande. Oh oui, il allait prendre absolument tout ce qu’elle avait à lui offrir. Il s’emplit les mains de sa chair, pétrit, massa, découvrant chaque millimètre carré de ses seins, jusqu’à ce que l’impatience de la voir nue le rattrape. Alors il repoussa la robe par-dessus la courbe de ses hanches. Le vêtement chut au sol, à ses pieds. La culotte d’Eve était à l’image de son soutien-gorge. Si cette femme était sienne, il lui achèterait des La Perla. Il l’habillerait comme une déesse, en soie et dentelle, et saurait qu’elle porterait cette lingerie aguicheuse rien que pour ses yeux. Elle pourrait porter ses robes sages et se couvrir de modestie tant qu’elle le souhaiterait, jusqu’à l’instant où ils se retrouveraient seuls. En la débarrassant de sa culotte, une possessivité sauvage lui enflamma les sens. Il la fit pivoter face à lui, bien conscient qu’il devait ralentir mais tout à fait incapable de le faire. Il goûta avec bonheur la vue de ses seins, aussi délicieux pour les yeux qu’ils l’étaient pour les mains. — Tu es magnifique. — Je n’en ai pas l’impression. Elle leva la tête vers lui, le buvant des yeux. Il n’y avait rien de timide dans son expression. Elle le dévisageait avec un désir non dissimulé. — Du moins pas la plupart du temps, précisa-t-elle. Mais avec toi, je me sens sexy. — Tu l’es. Je vais te prouver sans l’ombre d’un doute à quel point je te trouve belle. L’embrassant à nouveau, il la souleva et, abandonnant sa robe au sol, il la porta jusqu’à la chambre, tout en lui dévorant la bouche. Elle n’essaya pas de le repousser, ne s’agita pas pour qu’il la repose à terre. Non, elle se contenta de nouer les bras autour de son cou et se laissa porter. Elle enfonça les doigts dans ses cheveux et s’accrocha fermement tandis que sa langue dansait avec la sienne. Par chance, Gabe connaissait les suites du Plaza comme sa poche. Il manœuvra donc jusqu’au lit, le sexe palpitant avec intensité. Il ne tiendrait pas longtemps. Bon sang, il n’arrivait même pas à croire qu’il pensait à l’orgasme si tôt. En général, il pouvait durer des heures, pourtant il savait qu’à la minute où il la pénétrerait, il perdrait tout contrôle. Or il voulait que ce soit bon pour elle, car il l’avait à peine touchée que déjà il avait envie de la coller au mur pour s’enfoncer en elle. Ayant atteint le matelas, il s’arrêta et la déposa sur les draps luxueux. Elle s’allongea sur l’élégante couette, les cheveux étalés et les jambes écartées. Dévergondée et pourtant si innocente. Il arracha sa chemise, au prix d’un bouton ou deux, mais en cet instant il s’en fichait pas mal. Seul le besoin de se retrouver peau contre peau avec elle guidait ses gestes hâtifs. Il déboucla sa ceinture et baissa son pantalon. — Préliminaires. Waouh. Il était tellement pressé qu’il les avait oubliés, les préliminaires. Les femmes aimaient ça, c’était plus ou moins nécessaire, pour elles. Eve secoua la tête. — On s’est embrassés en guise de préliminaires. Ça suffit. Si seulement. Il devait absolument ralentir le rythme. Car il faisait une certaine taille, et il fallait qu’elle soit prête à l’accueillir en entier.
Il prit une profonde inspiration. — Je te veux très excitée. Mais ne t’inquiète pas, j’en ai pour une minute. — Gabriel, je n’ai jamais été aussi excitée de toute ma vie. Je suis même gênée de la tâche humide que je vais laisser sur ces jolis draps blancs. Alors s’il te plaît, on peut continuer ? Il l’agrippa par les chevilles et la tira au bord du lit, lui écartant un peu plus les jambes en même temps. Son érection pulsa quand il découvrit à quel point elle avait dit vrai : elle était humide. Trempée. Il voyait son miel briller d’où il était, malgré la quasi-obscurité. Quelques baisers, quelques caresses, et déjà elle était prête. Jamais une femme n’avait autant réagi à ses attouchements. — Redis-le-moi. — Je suis prête, jura-t-elle. Je suis vraiment prête. — Non, redis-moi que ce n’est pas habituel pour toi, corrigea-t-il. C’était ridicule. Elle était là, avec lui, en phase avec son désir et avide de lui donner le plaisir qu’il recherchait… et voilà qu’il demandait plus. Il avait besoin de savoir que cette nuit était spéciale pour elle. — Dis-moi que tu me veux, moi, et pas seulement du sexe. Elle lui offrit un sourire penaud. — Oh non, ça n’est pas du tout habituel. Je crois que je suis devenue un peu folle, ce soir, mais non, je ne donne pas dans les histoires d’une nuit, d’habitude. Le nombre d’hommes avec lesquels j’ai couché se compte sur les doigts d’une main, et encore je n’aurais pas besoin de tous les doigts. Et jamais, jamais je n’ai désiré personne autant que je te désire, là. Gabriel, je n’ai pas besoin de préliminaires, j’ai juste besoin de toi. Alléluia ! Car lui aussi, il avait besoin d’elle. Dénichant son portefeuille, il le fouilla en quête du préservatif qu’il y gardait en cas d’urgence. Il n’en avait pas eu beaucoup besoin, ces derniers temps. Ce fichu truc était rangé là depuis des mois, avec tous les soucis que Gabe avait eu à gérer. Tout allait de travers ces derniers temps. Et voilà qu’enfin, quelque chose de bien lui arrivait ! Il déchira le petit emballage en aluminium et parvint à dérouler le latex sur son sexe malgré ses mains tremblantes. Pas besoin de se caresser pour être dur, il l’était déjà autant qu’un roc. Comme si tout le sang disponible dans son corps s’était précipité au même endroit pour l’engorger. Une fois le préservatif bien en place, il se jeta sur Eve. Il l’écrasa de tout son poids, se hissant sur elle pour lui écarter les cuisses. Il lui emprisonna les poignets au-dessus de la tête, dans une posture offerte et vulnérable, ouverte sous lui. Un véritable festin pour les sens. Enfouissant le nez dans son cou, il inhala son odeur en collant le torse contre ses seins. — Enroule tes jambes autour de moi. Son ordre était bourru, sa voix rauque, pourtant Eve obtempéra et lui noua ses jambes autour de la taille, s’ouvrant ainsi plus encore à lui. Gabe lâcha un grognement. Oh oui ! Il n’eut pas besoin de s’ajuster pour aligner leurs deux corps. Il se frotta juste contre l’entrée toute douce de son intimité et, comme si son gland savait exactement où il voulait être, il s’immobilisa contre sa fente, tel un bateau guidé vers la lumière accueillante du phare à l’entrée du chenal. De nouveau il enfonça les mains dans sa crinière rousse et lui mordilla le lobe, inhalant sa peau, savourant cet instant, juste avant qu’il ne plonge en elle jusqu’à la garde et la pilonne à en perdre le souffle. — S’il te plaît, Gabriel. Oui, viens en moi, geignit-elle contre sa peau. Ne me fais pas attendre. Je n’ai jamais ressenti ça. Il était presque sûr que pour lui aussi, c’était une première. Et pourtant, il en avait eu, des
expériences, depuis ses premiers draps froissés à l’âge de quatorze ans. Ces dernières années, cependant, la plupart de ses coucheries s’étaient révélées monotones, rien de plus qu’une activité corporelle comme une autre. Aujourd’hui, en revanche, il y avait quelque chose de plus, quelque chose d’électrique, d’inexplicable. La perfection. Il voulait faire durer le moment exquis et intolérable précédant la pénétration. Il voulait profiter de la chaleur qui lui brûlait la peau et la sentir l’enflammer peu à peu. Mais Eve le couvrait de baisers dans le cou, cambrée sous lui en une supplique silencieuse. Alors au diable l’attente. Il disparut en elle, l’obligeant à recevoir toute sa longueur en un seul assaut. Elle lâcha un cri et lui enfonça les ongles dans le dos. La douleur, mêlée au plaisir de sa chaleur accueillante, lui courut le long du dos. Avec un halètement, il s’efforça de ne pas pousser plus profond, car le sexe d’Eve était très étroit. Il se retira légèrement. Elle était si mouillée, si prête, que la friction était juste parfaite. Étourdissante. Bon sang, il ne se rappelait pas une femme qui ait réagi si vite et si pleinement à son contact. Il savait qu’aucune ne s’était jamais donnée à lui avec un tel abandon. Leurs corps ne formaient plus qu’un. Eve l’enveloppait de son étreinte serrée et brûlante. Et il adorait chaque seconde de leur intimité. L’écrasant contre le matelas, il rentra à nouveau, plus loin cette fois, et chaque millimètre gagné provoquait un plaisir incroyable. Tellement bon. Non, carrément inouï. Il aurait même juré, à chaque va-et-vient, que ça ne pouvait être meilleur… et pourtant si. Son cœur tonnait dans sa poitrine. Son sang chantait dans ses veines. Les picotements le gagnaient. Son esprit baignait dans l’euphorie. Il ne pourrait pas tenir. Elle était trop chaude, trop parfaite. La surcharge sensorielle était trop forte. Il adopta une cadence puissante, les poussant tous deux au bord du précipice. Le lit gémissait. Le frottement de la couette lui brûlait les genoux. Et Gabe s’en fichait. Car il était tout entier focalisé sur Eve, sur l’angle qu’il fallait pour trouver le point précis qui lui tirerait des halètements frénétiques. Elle cria son nom, son sexe se crispa autour de lui, au point de presque étrangler son érection dans un plaisir exquis. Alors il ne put se retenir une seconde de plus. Elle poussa un gémissement incohérent et il sentit des spasmes se resserrer encore autour de lui tandis qu’elle jouissait dans ses bras. Et voilà. Il était perdu. Avec un cri animal, il jouit à son tour. L’orgasme le secoua pendant une éternité. Et il continuait à plonger en elle, sans relâche, en grognant le plaisir brûlant dans lequel il baignait. En nage, il se retira quand les sensations le propulsèrent vers de nouveaux sommets. Il répéta le mouvement jusqu’à ce que l’extase s’empare de ses muscles. Et de nouveau le plaisir explosa. Sous le choc, il lâcha un hurlement guttural, jusqu’à ne plus pouvoir respirer. Jusqu’à se sentir vertigineux et repu. Jusqu’à n’avoir plus rien à donner. Enfin, il retomba sur Eve, épuisé. Pour le moment. Un sentiment de paix l’enveloppa et il posa la tête sur sa poitrine. Pour écouter son cœur battre selon un rythme rapide mais régulier. En cet instant, il pensa ne jamais pouvoir se lasser de ce plaisir… d’elle. Ils n’étaient censés partager que cette nuit. Il avait choisi un hôtel plutôt que son loft car il avait voulu la prendre et ensuite la quitter aussitôt l’affaire terminée. Sauf qu’il le savait à présent : ça ne se passerait pas ainsi. Il ne pourrait pas partir. Il en voulait plus. Encore allongé sur elle, encore fiché en elle et pantelant, la pensée de la reprendre fit gonfler son sexe à nouveau. — Passe la nuit avec moi. Il inclina la tête vers elle. Un sourire plein de langueur s’étira sur les lèvres d’Eve. — D’accord, mais je croyais que tu avais parlé de dîner.
— Soit, puisque je m’efforce de bien traiter les dames, répondit-il avant de l’embrasser. Il venait de gagner quelques heures de plus avec elle, peut-être même la nuit entière. Et il avait bien l’intention de profiter de chaque minute.
4 Everly s’éveilla lentement, émergeant à contrecœur des doux rêves qui la berçaient. En sécurité et tout à fait heureuse. Avec les bras de Gabriel enveloppés autour de sa taille, la chaleur de son corps contre le sien. Un sourire d’aise s’étira sur ses lèvres. Puis elle sentit une paume sur son sein. Et le sourire se changea en gémissement. — Dis-moi qu’on n’est pas encore le matin. Il se rapprocha, lui effleurant le cou de ses lèvres. — Il est encore tôt. Le soleil n’est pas tout à fait levé. Je n’ai pas de rendez-vous avant plusieurs heures. Et toi ? — Pas tout de suite non plus. Il lui fallait encore du temps pour digérer la mort de Mad, le tournant qu’allait prendre sa vie, son avenir… Mais elle n’était pas obligée de s’y mettre dès aujourd’hui. Gabe la fit rouler sur le dos et plaqua sa bouche sur la sienne. — Bien. Alors on a du temps devant nous. Je nous ai déjà commandé du café, il devrait arriver dans une vingtaine de minutes. On peut prendre une douche. Ensuite, je demanderai qu’on nous monte le petit déjeuner. J’ai très faim, bizarrement. Il avait eu faim toute la nuit. Il l’avait prise encore et encore. Après leur première fois, il avait appelé le concierge et commandé une bouteille de champagne, à dîner pour deux et une boîte de préservatifs extra-larges. Everly avait rougi à l’idée que le premier garçon d’étage venu leur apporte ce genre de commissions, mais Gabriel n’avait pas cillé. Il avait donné un pourboire au jeune homme, l’avait renvoyé, et puis il s’était attelé avec un bel entrain à vider complètement la boîte. Épuisée, elle avait fini par sombrer dans le sommeil après 3 heures du matin. Il avait tiré tant de plaisir de son corps qu’elle ne s’était pas imaginée capable d’en vouloir plus. Et pourtant, quelques heures de repos avaient suffi à la détromper. Gabriel venait tout juste de commencer à l’embrasser que déjà son corps brûlait, vivait, palpitait. Le sexe, avec Gabriel, ça ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait expérimenté avant. Elle avait beau le connaître à peine, elle ressentait une connexion indéniable entre eux. Elle adorait la sensation d’être sous lui. Quand il était allongé là, elle se sentait étrangement protégée, comme si son grand corps lui servait de bouclier. Oui, ça pouvait paraître bête et naïf, pourtant lorsqu’ils étaient ensemble, elle avait la sensation de lui appartenir. Il lui suçotait la lèvre inférieure tout en se frayant un chemin entre ses cuisses. Déjà elle sentait son érection prête à la pénétrer, et elle ne put s’empêcher de grimacer. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas eu de rapports sexuels – jusqu’à la nuit dernière, où elle avait fait un véritable festin. Par ailleurs, il fallait admettre que Gabriel était légèrement mieux doté par la nature que ses précédents
amants. Ou plutôt largement mieux doté. Il releva aussitôt la tête, les sourcils froncés. — Ça va ? Elle n’avait aucune envie de lui laisser penser quoi que ce soit qui le pousse à s’arrêter, tant elle voulait être proche de lui. Ça valait bien un léger inconfort, non ? — Oui, ça va. Dans la lueur du petit jour, l’ombre sur ses joues s’était muée en début de barbe. Et ses poils s’accordaient à la teinte de ses cheveux, tout en dorés et en bruns brillants. Elle aimait le contact dur de la barbe contre sa joue. — Tu as mal, devina-t-il avec un sourire content de lui. On a tellement fait l’amour que c’est sensible, pas vrai ? Elle rougit. — Il n’y a pas de quoi être fier. — Alors là, je m’inscris en faux, répliqua-t-il en riant. Car ça signifie que j’ai bien fait mon boulot. Mais je pense savoir comment régler le problème. — Gabriel, je vais bien. Il avait déjà réglé le problème environ six fois la nuit passée, et à ce stade elle était d’accord pour consentir à tout ce qu’il désirait. Il entreprit d’onduler, de glisser lentement tout contre son corps. À chaque millimètre carré parcouru, il suçotait, léchait sa peau, déposait de doux baisers dans son cou, sur sa poitrine, mordillait gentiment ses tétons. Après la passion torride de leur premier rapport, Gabriel s’était révélé être un véritable caméléon. Parfois il aimait jouer, prendre son temps, caresser et embrasser la moindre parcelle de son corps ; d’autres fois, il roulait sur elle pour la pénétrer sur-le-champ, et elle se retrouvait à hurler son nom au bout de quelques secondes. Il la gardait dans un équilibre délicieusement précaire, veillant chaque fois à ce qu’elle jouisse comme jamais. Il plongea la langue dans son nombril. — Je sais comment te faire oublier tes petites douleurs. Ça, elle n’en doutait pas un instant. Mais elle aimait bien jouer avec lui. — Ah oui ? Et comment est-ce que tu comptes t’y prendre ? Une lueur alluma ses pupilles. — À coups de baisers. Sur quoi il baissa les yeux vers son sexe, comme pour mieux affirmer son intention. Elle gigota. Ils n’avaient pas encore pratiqué ce jeu-là. Il l’avait embrassée partout, sauf là, et ça n’était probablement pas une bonne idée, vu qu’elle n’avait pas pris de douche. — Je n’aime pas vraiment ça. Il la maintenait fermement de son corps rigide, la tête juste au-dessus de son mont de Venus. — Tu n’aimes pas quoi ? Elle tenta de fermer les jambes, mais cent kilos de muscles se tenaient allongés entre elles. — Le sexe oral. C’est… bizarre. Ça ne me dérange pas du tout si on ne le fait pas. Il recula, un sourcil haussé pour exprimer son incrédulité. — Tu es sérieuse ? Elle n’imaginait même pas quel goût elle pouvait avoir. Les deux ou trois fois où elle avait autorisé un amant à s’essayer à cette pratique, ça avait tourné à la gêne et elle n’en avait pas retiré grand-chose. — Oui.
— Eh bien, je ne suis pas d’accord. Et crois-moi, je prévois aussi de sentir ta bouche sur mon sexe d’ici la fin de la matinée. Je vais devoir déployer des trésors de persuasion, on dirait. Et voici comment je vois les choses : étant une jeune femme éprise d’égalité, tu auras à cœur de me rembourser, une fois que j’aurai pris soin de toi. — Je ne suis vraiment pas… Ce n’est pas mon truc, fit-elle en secouant la tête. Mais déjà la bouche de Gabriel descendait. — Et si tu cessais de réfléchir quelques minutes ? J’ignore ce que t’ont fait tes autres amants, mais je te promets que tu vas aimer ça, affirma-t-il, frottant le nez sur son pubis, avant de prendre une profonde inspiration. J’adore ton odeur. Un mélange de sexe et de sucré. Exquis. Et puis il sortit la langue, et Everly ne put l’arrêter. Pas plus qu’elle ne put s’empêcher de baisser les yeux pour l’observer tandis qu’il la léchait. Tout à coup, il lui couvrit le sexe de sa bouche et une vague de chaleur la submergea tout entière. Pas d’hésitation. Pas d’incertitude. Gabriel savait exactement comment s’y prendre, quoi faire et quand le faire. Résultat, elle se surprit à cambrer le dos et un cri lui échappa. Il agissait avec lenteur, assurance, sans rien laisser au hasard. Il écarta ses grandes lèvres, les ouvrant au frottement de ses dents et à l’humidité de sa langue alors que, très délicatement mais avec avidité, il la dévorait. Elle agrippa les draps pour se retenir de le saisir par les cheveux. Et pas pour l’écarter, non, plutôt pour l’empêcher d’arrêter. Il lécha, il suça, et chaque millimètre carré de son intimité reçut son attention. Quand il se mit à dessiner des cercles avec la langue autour de son clitoris, Everly songea qu’elle pouvait mourir heureuse. — Tu es délicieuse, Eve. Le son de ce surnom la surprit. Elle n’était Eve que pour ceux qu’elle aimait, aussi ce diminutif équivalait-il presque à un mot doux dans son esprit. En général, elle préférait Everly. La nuit passée, ça n’était qu’un jeu de rôles, peu importait comment elle s’appelait. Ce matin, elle voulait plus. Elle voulait que Gabriel l’appelle par son vrai prénom, car elle désirait qu’il connaisse la femme qu’elle était vraiment. Dangereuses pensées. Elle avait largement son lot de soucis pour l’instant. Et puis, si ça se trouvait, Gabriel était marié et père de trois enfants. Dieu que cette idée était perturbante. Elle ne connaissait même pas son nom de famille. — Hé, ne te crispe pas. Jouant avec son sexe du bout des doigts, il s’enfonça en elle et trouva son point G. — Arrête de penser, bébé. Contente-toi de ressentir. Accorde-moi encore quelques heures. Reste avec moi. Apparemment, il n’avait pas plus envie qu’elle de partir. Soupirant à cette pensée, elle le regarda baisser la tête à nouveau. Les doigts toujours fichés en elle, glissant contre le point sensible, il passa la langue sur son clitoris. Et tout à coup, elle n’en avait plus rien à faire de ses douleurs. Tout ce qui importait, c’était la chaleur, l’excitation qui étincelait entre eux deux. Quand il aspira une fois de plus son clitoris entre ses dents, elle lâcha un gémissement et tomba de l’autre côté du précipice dans un cri. Elle rua sous lui mais il la maintenait fermement par les hanches, plaquée au matelas pour l’obliger à absorber la moindre sensation qu’il avait à lui prodiguer. Le corps d’Everly fut secoué des pieds à la tête par un courant électrique. Et un plaisir pareil au craquement de la foudre lui parcourut les veines. Tous les clients de leur étage avaient dû entendre ses hurlements extatiques. Une fois le pic passé, Gabriel recula. Le corps alangui, Everly redescendait de son orgasme quand elle le vit se positionner à genoux et attraper un préservatif.
Cet homme était vraiment magnifique. Elle aurait pu l’admirer toute la journée. De ses yeux bleus perçants jusqu’à sa mâchoire carrée et son magnifique torse, où que le regard se pose, son corps était un régal pour les yeux. Elle descendit vers ses abdos, des abdos ciselés comme on n’en voyait que dans les magazines. Quant aux encoches à ses hanches, elles suggéraient des heures de musculation. Il déroula le latex d’une main agile, recouvrant ce qui devait être le sexe le plus vorace qu’elle ait jamais approché. Non qu’elle en ait croisé beaucoup, mais elle avait du mal à croire que quiconque puisse égaler l’endurance de Gabriel. — Je croyais que je devais rembourser ma dette. Au diable ses réticences, à présent qu’il lui avait montré combien le sexe oral pouvait être délicieux, elle brûlait de découvrir son goût. Il secoua la tête avec impatience en pressant son érection contre elle. — Pas le temps. J’ai besoin d’être en toi. Alors il s’enfonça profondément tout en s’emparant de ses lèvres. Sur sa bouche, elle sentit le goût de son propre plaisir. — Je ne veux pas que cette matinée prenne fin, grogna-t-il en l’embrassant. Elle non plus, elle n’en avait pas envie. Ils pourraient s’installer dans cette chambre d’hôtel, vivre ici et se contenter de faire l’amour, manger et boire. Joli rêve. Elle noua les bras autour de lui, consciente qu’il allait lui manquer, et que désormais elle jugerait les autres hommes à l’aune de cette nuit passée avec Gabriel. Il plongea en elle, cambrant le bassin avant de reculer à nouveau, jusqu’à trouver le rythme parfait. Il ne mit pas longtemps à la propulser de nouveau au sommet, encore, encore plus haut, et bientôt elle ne tint plus qu’à un fil. En s’éveillant, elle ne se serait pourtant jamais crue capable d’orgasmes à répétition. Maintenant elle savait que non seulement Gabriel était en mesure de les lui donner, mais qu’avec lui c’était inévitable. Elle sentit son corps se raidir sur le sien. — Oh, bon Dieu, Eve. Qu’est-ce que c’est bon ! Alors il enfonça une fois de plus son sexe gonflé, qui procurait la plus exquise des frictions contre le point le plus sensible de son corps. Fort et profond. Elle hurla quand il cria son nom à nouveau, et ensemble ils s’effondrèrent dans un enchevêtrement de bras, de jambes, le souffle court. Pantelant, Gabriel roula sur le flanc et appuya sa tête sur un bras replié. — Tu sais quoi ? On pourrait sortir ensemble, un de ces jours. Elle se tourna face à lui. — Je croyais qu’on avait dit : « juste une nuit » ? Il lui prit la main et la posa sur son torse. — On n’est pas obligés de s’y tenir. Manifestement, il y a quelque chose qui passe entre nous. Je ne vois pas pourquoi on s’interdirait de l’explorer. Accorde-moi un deuxième essai. — Mais on s’était mis d’accord sur une nuit seulement. Elle aurait beau rêver de lui, elle n’en était pas moins consciente des réalités de la vie. Ils venaient de deux mondes différents. Tout chez cet homme exsudait l’argent et les privilèges. Elle, en revanche, était issue d’un milieu moins rose et s’apprêtait à y retourner très bientôt. Il la dévisagea un moment, comme s’il essayait de la déchiffrer. — Et si j’avais changé d’avis ? Il fallait qu’elle le ramène sur terre. — Tu cherches une petite amie, Gabriel ? — Non, répondit-il, et ses superbes lèvres esquissèrent une moue. Dans ma situation, ce ne serait
pas une bonne idée. Les mois à venir vont être… difficiles, pour le moins. Je n’aurai pas beaucoup de temps à moi, et ce temps-là, je devrai le passer avec ma famille. Contre toute logique, Everly sentit son cœur se serrer. Eh bien, au moins il se montrait honnête. Il avait été gentil avec elle, lui avait donné plus de plaisir qu’elle n’en avait espéré, et à présent il lui offrait la vérité. Elle ne pouvait lui en vouloir pour sa franchise. Elle déposa un baiser chaste sur ses lèvres. Dans la lumière matinale, ses cheveux étaient plus dorés que bruns. — Au revoir, Gabriel. Sur quoi elle se détourna de lui et se leva du lit. Au prix d’un effort dont elle ne se serait pas crue capable, elle parvint à garder sa dignité. Pas question de se ridiculiser, et la dernière chose dont Gabriel avait envie, c’était sans doute une pleurnicheuse. Il était trop parfait, trop beau pour être vrai. Mieux valait qu’ils se séparent maintenant. Il l’attrapa par le bras, l’arrêtant dans son élan. — Je ne veux pas que tu t’en ailles. Elle ne se retourna pas, mais se laissa attirer à nouveau contre sa chaleur, contre son torse brûlant. — Je te jure que s’il existait un moyen pour qu’on n’ait plus jamais à quitter cet hôtel, je crois que je me laisserais tenter, avoua-t-elle. Mais tu sais aussi bien que moi qu’on a une vie, tous les deux. — Vraiment ? Nous sommes samedi. Tu dois aller au travail ? Pas moi. Je n’ai aucun engagement avant lundi matin. Everly retint son souffle. C’était une mauvaise idée. Elle était déjà dingue de cet homme, alors même qu’elle avait passé seulement douze heures à peine avec lui. — Gabriel, tu as dit que tu ne voulais pas d’une petite amie. Il lui frôla l’oreille de ses lèvres, la caressa de sa chaleur et l’entoura de ses bras puissants. — J’ai dit que je ne pouvais pas en avoir une pour l’instant, pas que je n’en voulais pas. En revanche, je peux avoir un week-end. Quarante-huit heures supplémentaires de plaisir. Quarante-huit heures pendant lesquelles nous n’avons pas besoin de quitter cette suite, où tu n’as pas à porter de vêtements, à te soucier de demain ou de quoi que ce soit d’autre que de jouir. Quand il plaqua une paume sur son sein, elle soupira. — Je ne suis pas sûre de pouvoir supporter un autre orgasme. Il ricana derrière elle. — Et moi, je crois que si. On se complète si bien qu’on te croirait faite pour ce moment avec moi. Regarde comme ces jolies choses remplissent mes mains. Allez, Eve, reste. On jouera selon tes règles. — Je crois que c’est une mauvaise idée. Mais déjà son corps se comportait en traître, se radoucissant, se préparant à la reddition. — Je comprends qu’on puisse passer une nuit ensemble, sans envisager autre chose que le sexe. Je ne suis pas certaine de pouvoir être aussi détachée, s’il s’agit d’un week-end. Je suis le genre de fille à réfléchir avec son cœur, en général. Il la fit pivoter face à lui. Ses yeux bleus s’étaient faits doux. — Bébé, le sexe, je peux en obtenir d’un tas de femmes, sans vouloir me montrer grossier. La nuit dernière, c’était plus que du sexe, pour moi. Je me suis senti plus connecté avec toi qu’avec quiconque depuis bien longtemps. Je ne t’ai pas menti. Comme je ne peux pas m’engager dans une relation romantique pour l’instant, je dois me comporter en égoïste et te demander de rester avec moi. Les mois à venir vont constituer un défi professionnel et personnel dans ma vie. Autrement dit, ce n’est peut-être pas juste de ma part de te demander ça, mais j’ai très envie de passer ces deux jours avec toi, histoire d’engranger de bons souvenirs.
« Connecté ». Oui, elle aussi avait ressenti ça. D’une certaine façon, et sans qu’ils aient eu besoin de parler, elle s’était sentie connectée à cet homme, par une force qui allait au-delà de l’aspect purement physique. Cette alchimie, elle ne l’avait jamais éprouvée auparavant. Était-elle vraiment prête à faire une croix dessus ? Le temps d’une nuit, il lui avait offert un répit, loin des difficultés de sa vie. Elle comprenait ce qui le retenait. Et maintenant, il lui proposait un autre moment d’oubli. De continuer à être Eve un peu plus longtemps. — Bon, pour commencer j’ai besoin d’une douche. Le sourire qui étira les lèvres de Gabriel illumina la chambre. Et puis il se pencha au-dessus d’elle de toute sa puissance. Elle s’imprégna de son corps musclé avant qu’il ne la colle au matelas. Bon Dieu, elle ne s’habituerait jamais à ça. Quand il la souleva, elle eut l’impression d’être une plume, légère et fragile. Deux mots qu’elle n’utilisait généralement pas pour se décrire. — J’ai une meilleure idée, souffla-t-il. Dix minutes plus tard, elle était allongée dans la baignoire, enveloppée par les caresses de l’eau tiède. Derrière elle, Gabriel l’enlaçait. Son érection cognait dans le bas du dos d’Everly, pourtant il semblait se satisfaire de rester assis là en la tenant dans ses bras. — Bon, si on doit passer le week-end ensemble, on échange nos noms de famille ? demanda-t-il. Everly secoua la tête. Consciente qu’elle n’aurait jamais dû accepter, elle s’était lancée dans une négociation à bâtons rompus concernant leur week-end ensemble, décidant de certaines règles. Leur joute verbale s’était bientôt transformée en une sorte de jeu très sexy. — Pas de noms de famille. Et pas de discussion concernant le boulot. Je ne veux même pas y penser. Il lâcha un long soupir satisfait. — Je suis entièrement d’accord sur le boulot. Et j’ajouterais la politique et la religion. Trop ennuyeux, comme sujets. On en trouvera facilement de plus intéressants. Tu as aimé le film qu’on a « regardé » hier soir ? Key Largo. Étroitement enlacés. — Beaucoup. C’est l’un de mes préférés. Avec mon père, on regardait souvent des films. Il n’aimait pas la télé, je pense que c’était trop violent à son goût. — Mes parents étaient très stricts sur la télé et les films, confia Gabriel. Je ne savais même pas qu’il existait des films en couleur avant d’en découvrir un chez un copain où j’étais allé en vacances. À l’académie, on avait un téléviseur dans la salle de jeux, mais il était réglé sur une chaîne qui ne passait que des documentaires ou des grands classiques. Le directeur devait penser que si on n’avait pas de programmes à la mode à disposition ou de jeux vidéo, on passerait plus de temps sur nos devoirs. Ce qui n’était pas le cas. — Tu es allé en pension dans une école privée ? Elle n’aurait pas dû s’en étonner, elle se doutait qu’il était riche. Il glissa les jambes contre les siennes. — Depuis l’âge de sept ans, j’ai passé neuf mois par an dans divers pensionnats privés du Connecticut. Et toi ? École de filles ? Catholique, avec petite jupe et couettes ? — Tu peux oublier ton fantasme à la Britney Spears. Pas d’école privée pour moi. J’ai grandi dans une petite ville au nord de l’État, où l’on avait un cours élémentaire et primaire au sein de la même école. C’était plutôt rural. Autant te dire que je ne me sentais pas tout à fait dans mon élément, j’étais la seule élève de ma classe à ne pas participer au camp de découverte à la ferme. Il remonta le long de son corps, lui effleurant les seins tout en embrassant son oreille.
— Comment ça ? Tu n’ambitionnais pas d’élever des cochons de concours ? J’essaie de t’imaginer dans une ferme. Everly éclata de rire. Bizarrement, elle se sentait super bien avec lui. Non, c’était au-delà de ça. Elle avait la sensation qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Elle était venue s’installer en ville presque un an plus tôt, s’était fait de nouveaux amis, mais avec Gabriel, tout semblait naturel. Au point que c’en était troublant. Comme s’ils avaient créé leur propre cocon et que rien ne pouvait les atteindre. — Non, pas de ferme pour moi. Mon père était officier de police. — Tu es sérieuse ? C’était d’ailleurs pourquoi il détestait les programmes de télévision modernes. Il gérait des procédures de police toute la journée, et n’avait pas envie de rentrer à la maison pour regarder des acteurs imiter son travail – souvent mal, d’ailleurs. — Oui. Je n’ai pas été la fille parfaite pour lui, le pauvre. Pendant que tout le monde s’occupait à montrer ses beaux animaux de la ferme, moi, je me lançais dans l’informatique. Elle sentit le torse de Gabriel secoué par le rire. — Une jolie petite hackeuse avec un chapeau noir de pirate, en somme ? Il aimait peut-être les vieux films, mais il en avait manifestement vu des récents aussi. Elle se redressa et pivota pour aller s’asseoir dans le coin opposé et admirer la vue magnifique qu’il offrait, détendu, son imposant torse à demi sorti de l’eau. Il ne s’était toujours pas rasé, et cette barbe naissante sublimait sa masculinité. — Pour commencer, il n’existe pas de gentil pirate. Si on les appelle comme ça, c’est pour une bonne raison. La plupart des hackeurs sont des anarchistes ou des criminels. Moi, c’était plutôt de la désobéissance civique. Oh, et puis j’étais à fond dans Le Seigneur des anneaux. J’ai peut-être même piraté le site de l’entreprise de Peter Jackson, histoire de découvrir la bande-annonce avant tout le monde. J’avais quinze ans. Je pense qu’on peut dire que j’étais un peu en retard pour mon âge, niveau relations sociales. Les pupilles de Gabriel s’allumèrent. — Voilà qui est fascinant, Eve, fit-il, amusé. Une déesse geek. Les ordinateurs et les hobbits. À tous les coups, tu es aussi fan de science-fiction, je me trompe ? Everly se sentit rougir. Peut-être aurait-elle mieux fait de se montrer un peu moins franche. Elle était censée rester loin de sa vraie personnalité. Pourquoi Eve n’aurait-elle pas pu s’intéresser plutôt à la mode et à l’art ? — Hé, reprit-il en se penchant vers elle. Bébé, je ne me moquais pas vraiment de toi, ce n’était qu’une taquinerie. Je te trouve tout à fait fascinante. Et jamais je n’aurais deviné que tu étais dans l’informatique. — Et tu aurais supposé que je travaillais dans quel domaine ? Il l’étudia quelques secondes. — Si j’avais dû deviner, j’aurais dit que tu travaillais dans le conseil, sous une forme ou une autre. Tu es la personne à qui tout le monde se confie, sur qui on peut compter. Tu es responsable, attentionnée. Et je parierais aussi que tu te sens seule, parce que toi, tu ne partages pas tes fardeaux avec les autres. Ils te parlent, mais tu ne veux pas plomber tes amis avec tes problèmes. Elle prit une brusque inspiration, sous le choc. Il était d’une perspicacité étonnante. — Je vais être honnête avec toi, répondit-elle. Je n’ai pas beaucoup d’amis, en ce moment. Je ne suis pas en ville depuis très longtemps et je passe mon temps à travailler. Le meilleur ami qu’elle ait eu dans la Grosse Pomme était désormais parti.
— Ce week-end, reprit-elle, c’est de loin ce qui m’est arrivé de plus excitant depuis… eh bien, depuis toujours, peut-être. Et moi, je risque de tout gâcher en racontant au gars super sexy qui est dans mon lit que je suis une geek. Il lui prit la main, et l’eau clapota autour d’elle tandis qu’il l’attirait sur ses genoux. La pointe de son érection vint cogner contre son sexe. Comment cet homme réussissait-il à la faire passer d’un sentiment de vulnérabilité à une excitation brûlante en un instant ? — Tu es la geek la plus sexy que j’aie jamais rencontrée, murmura-t-il. Je veux tout savoir de ta vie de hackeuse. Raconte-moi tes histoires. — Je croyais qu’on évitait les détails de la vie personnelle ? — Oublions ça. J’ai juste accepté qu’on ne se révèle pas notre nom de famille. Je veux te connaître. Je veux tout savoir de toi, insista-t-il en l’entraînant dans un baiser affamé. Mais plus tard. Everly céda, se laissant emporter où lui seul savait l’emmener. Gabe ne se lassait pas de la contempler. OK, un film passait sur le grand écran, seulement Eve était là, nue sur le lit, allongée sur le ventre, le menton sur les mains et les chevilles croisées. Et son fessier était si attirant, si délicieusement rond qu’il ne put s’empêcher de tendre la main pour le caresser. Elle tourna la tête vers lui, un sourire mystérieux aux lèvres. Sa peau était comme lumineuse, dans la lueur du soir. — Tu es un homme insatiable. Et complètement fou d’elle. Il essaya de se rappeler quand il avait passé un aussi long laps de temps sans interruption avec une femme. Impossible. Eve. Elle lui donnait un peu l’impression d’être Adam. Ils avaient partagé deux jours dans leur petit paradis privé, et à l’exception des employés qui étaient montés leur livrer à manger, ils n’avaient vu ni parlé à personne. Son téléphone croulait sous les messages, mais il s’en fichait. Sara n’avait pas appelé, or elle était la seule qu’il laisserait interrompre ce moment en compagnie d’Eve. Et encore. — Viens par ici. Je te promets que je suis complètement repu. Je parie que je n’arriverais pas à avoir une érection même si je le voulais. Mensonge. Son sexe était tout aussi dingue d’elle que le reste de sa personne, pourtant là, il ne souhaitait que la tenir dans ses bras. Il se faisait tard et il allait devoir partir dans la matinée. Il s’était soustrait à toutes ses réunions du week-end – à quoi bon se payer des avocats, sinon ? Ils seraient prêts demain. Pour l’instant, il ne songeait qu’au moment où il devrait dire au revoir à Eve, à contrecœur. La nuit passée, une fois qu’elle s’était endormie, il était resté éveillé, le cerveau en ébullition, à tenter d’inventer une nouvelle excuse afin de la persuader de rester. Pour la première fois, il comprenait pourquoi Mad avait court-circuité la presse durant les derniers mois de sa vie. Son vieil ami avait essayé de protéger la femme qui comptait vraiment pour lui – quelle qu’elle soit. Sauf que Gabe avait vu combien ces jeux avaient blessé Sara. Il ne pouvait pas enfermer Eve dans quelque appartement luxueux, et puis faire mine de sortir avec d’autres femmes pour détourner l’attention de la presse. Pourtant, s’il ne le faisait pas, ces vautours se jetteraient sur elle à la seconde où ils découvriraient leur liaison, et ce d’autant plus vite que la mort de Mad et l’incertitude entourant Crawford Industries avaient ravivé leur intérêt. Sa déesse geek s’agenouilla. Et Gabe se demanda brièvement s’il n’avait pas un poste vacant chez Bond Aéronautique, son entreprise. Il embauchait des programmateurs à tour de bras. Il pourrait attendre quelques semaines, voir si son désir pour elle, proche de l’euphorie, se tassait. Si tel n’était pas le cas, il la retrouverait, l’engagerait et la convaincrait que « oh, là, là, bébé, le patron a besoin
d’un peu d’attention ». Ils garderaient l’affaire à couvert jusqu’à ce que la presse finisse par aller fouiner ailleurs. Hmm. S’il voulait qu’elle accepte, il allait devoir travailler sa présentation. Elle vint se pelotonner contre son flanc droit. Et il s’émerveilla une fois de plus de la perfection avec laquelle elle se logeait au creux de ses bras. — J’ai toujours adoré ce film. Casablanca passait à l’écran, mais lui, il n’avait d’yeux que pour Eve. Si bien collée à lui. Au cours des deux jours écoulés, il l’avait prise souvent et bien, mais il s’était rendu compte que la chose qu’il aimait par-dessus tout, plus encore que lui faire l’amour, c’était discuter avec elle. Il avait évité les conversations sur sa sœur, ses amis ou les détails de son passé qui lui permettraient de l’identifier. Elle ne semblait pas avoir la moindre idée de qui il était, et ça lui convenait ainsi. Elle le prenait pour un gars lambda, et pas un homme dont les journalistes guettaient le moindre mouvement, et qui apparaissait régulièrement dans les torchons à potins. Oui, il aimait bien redevenir monsieur tout le monde, et non le célibataire le plus en vue de Manhattan. Eve avait accepté de rester auprès de lui sans attaches, sans promesses de cadeaux ou autres faveurs, ni espoirs d’être vue à son bras. Eve l’appréciait, lui, comme il était. — Tu le regardais avec ton père ? Il la sentit hocher la tête contre son torse. — Oh oui. Il nous le passait au moins une fois par an. On se commandait un repas chinois et on enchaînait sur La Mort aux trousses. Il disait que c’était le doublé parfait : romance et aventure. Quant à notre repas chinois, il était préparé par des réfugiés du New Jersey. Les Pollizzi. Atroce. Eux, ils appelaient ça une « fusion » entre chinois et mauvais italien. Moi je dis que ça ne devrait jamais se mélanger, même si leurs lasagnes Kung Pao avaient fini par devenir légendaires. Elle le faisait rire. Sa compagnie rappelait à Gabe quel homme triste il était devenu. Il avait sur le bout de la langue la proposition de l’emmener à Pékin, histoire qu’elle goûte sur place à de la vraie nourriture chinoise. Il la conduirait dans le restaurant le plus impressionnant de la ville. Il pourrait l’emmener là-bas aux commandes de son propre avion ou bien emprunter le jet privé avec un pilote, ainsi il lui ferait l’amour pendant toute la durée du vol, soit quatorze heures. Il ravala pourtant son idée et se contenta de la serrer fort contre lui. — J’espère que tu as trouvé des endroits sympas, ici. Son visage s’illumina. — J’adore New York. Il y a tellement de restaurants où l’on mange bien. J’ai dû prendre au moins dix kilos, à force de vouloir tout tester. La plupart des compagnes précédentes de Gabe ne mangeaient pas grand-chose, encore moins avec enthousiasme. Eve, elle, ne boudait pas son plaisir. Elle avait dévoré jusqu’à la dernière miette sa gaufre belge ce matin, et s’était délectée des frites servies avec leur steak ce soir. Il suffisait de la nourrir, et elle se lovait gaiement contre lui. — Tu dois lui manquer, à ton père, non ? Elle se tut, et il comprit qu’il venait de commettre une gaffe. — Oh, je suis désolé, Eve. Il est mort, c’est ça ? La question sembla lui serrer le cœur. — Je l’ai perdu il n’y a pas si longtemps, soupira-t-elle. Je ne sais pas. Parfois j’ai l’impression que c’était hier, parfois que ça fait une éternité. — Et ta mère ? s’enquit-il avec précaution. Il ne pouvait s’empêcher d’être curieux de son parcours, alors même qu’elle avait été très ferme
dans sa volonté de ne pas se révéler leur nom de famille. Zut, il ne voulait pas la faire fuir. Elle resta silencieuse quelques secondes, puis tourna la tête vers lui. — Elle est partie quand j’étais jeune. J’ai grandi seule avec mon père. Et toi ? Il était plus que ravi de lui parler de son passé, du moment qu’elle continuait à discuter. — Eh bien, tu vois, j’ai grandi dans la richesse. Il la vit plisser le nez, de cette façon si adorable qui indiquait qu’elle n’était pas impressionnée le moins du monde. — Oui, je pense qu’avoir les moyens de payer trois nuits dans cette suite hyper chère signifie sans l’ombre d’un doute que tu as un compte en banque bien rempli, Gabriel. Il se tut, puis : — Euh… Attends, je croyais que c’était toi qui payais. C’est en tout cas ce que je leur ai annoncé à la réservation. Elle ouvrit grand la bouche, les yeux écarquillés. Il la rassura d’un éclat de rire. — Je plaisantais, bébé. — Idiot, grommela-t-elle, avant de se recoller à lui. La taquiner aussi, il aimait bien. — Donc comme je le disais, j’ai grandi dans la richesse, mais ça n’est pas un gage de bonheur. — Pourquoi est-ce qu’on t’a envoyé en pension ? Il comprenait que le concept lui échappe. Le père d’Eve avait dû se montrer très protecteur, et il ne s’imaginait pas envoyer sa fille vivre dans un autre État neuf mois sur douze. — Parce que, depuis au moins cent ans, tous les garçons de ma famille fréquentent la Creighton Academy, et mon père excluait qu’il en aille différemment pour moi. Ma famille est arrivée sur le Mayflower1. Mon arrière-arrière, je ne sais combien de fois arrière-grand-père a été l’un des premiers héros de guerre américains. Et mon père s’enorgueillissait de sa mort dans une prison aux mains des Anglais pendant la guerre d’Indépendance. Elle fronça les sourcils et son front se plissa joliment. On aurait dit un chaton grincheux, version sexy. — Et moi, il me semble que je suis de la lointaine famille de John Wilkes Booth2. — Voilà qui est fort dommageable, car ma mère m’aurait probablement interdit de te fréquenter, commenta-t-il en l’embrassant sur le front. Non, je plaisante encore. Ce que je voulais dire, c’est que j’avais une réputation à tenir. — Ça a dû être pénible. En fait, on ne t’a pas laissé vivre ton enfance, c’est ça ? — Non, en effet. Je devais représenter ma famille. Mon père avait été élevé d’une certaine façon, et il a agi de même avec moi. C’était un homme distant, même si au fond je crois qu’il m’aimait. C’est drôle comme notre façon de voir les choses change en vieillissant. Aujourd’hui, je comprends qu’il a essayé d’établir des liens avec moi de la seule manière qu’il connaissait. Il n’avait pas abordé ce sujet depuis des années, et jamais avec l’analyse franche qu’il partageait en ce moment avec Eve. Sara et lui parlaient de leurs parents, mais jamais il ne les critiquait devant elle, du coup il ne se montrait pas vraiment honnête quant à son ressenti. Peut-être était-ce parce qu’il avait passé trop de temps nu en compagnie d’Eve, en tout cas il trouvait naturel de s’ouvrir à elle. Oui, cela paraissait normal de lui parler de ça. — C’est-à-dire ? L’afflux de souvenirs lui tira un sourire. — Il m’a initié à l’aviation. Il a commencé à me faire monter dans des petits coucous à l’âge de
six ans. Au grand dam de ma mère, évidemment, mais moi, j’adorais ça. Quand j’ai eu mon permis de piloter à dix-sept ans, ça faisait déjà longtemps que je volais. J’ai eu de la chance de ne jamais être pris. Eve lui caressait le torse, et son contact avait un effet apaisant. — Waouh ! La plus grande aventure que m’ait accordée mon père, ça a été de m’emmener à l’arrière de sa voiture de patrouille en laissant croire à tout le monde que j’avais été arrêtée. J’avais huit ans. Je trouvais ça trop cool. Ensuite je me suis fait arrêter pour de bon, à cause de l’incident avec Peter Jackson, et ça a cassé le mythe à jamais. — J’imagine. Il aurait voulu être présent le jour où on l’avait sermonnée pour cette bêtise. Cela avait dû être ennuyeux à mourir. Il se demanda comment réagirait Eve s’il lui avouait qu’il avait récemment assisté à une fête avec le célèbre réalisateur. — Donc ton père t’a appris à piloter, conclut-elle, un certain émerveillement dans la voix. Il adorerait l’emmener en avion. Grimper à vingt mille pieds, là où le monde devenait minuscule et où la vue s’étendait à l’infini. — Ouais. C’était un homme froid, mais il m’a donné ça. Je pense à lui, quand je vole. Il est mort il y a quelques années. D’une crise cardiaque. Mais cela faisait déjà un moment qu’il était comme éteint. La FAA lui avait retiré sa licence après une visite médicale. Une fois cloué au sol, il n’a plus jamais été le même. Ma mère s’en est allée un an plus tard d’un cancer. Ils me manquent. Je n’aurais pas cru souffrir de leur absence, mais c’est le cas. Eve se rassit et baissa sur lui des yeux empreints de solennité. — Voilà un point que nous avons en commun. On est tous les deux orphelins. Je sais, ça fait bête vu qu’on est adultes, mais après la mort de papa, je n’arrivais pas à me sortir ce mot de la tête. Ça ne doit pas être lié à l’âge, en fait. On a toujours besoin de ses parents. Moi, je n’en ai connu qu’un, mais il me suffisait. — Il a fait du bon boulot. Une vague de tendresse enfla en lui. — Le tien aussi, Gabriel. Il ne put retenir un ricanement à cette remarque. — Alors là, j’aimerais bien être d’accord. Tu ne sais pas comment je suis en dehors de cette chambre, tu n’as pas idée des choses dont je suis capable. Je suis tout ce que mon père voulait que je devienne : impitoyable, prospère, acharné, entêté, arrogant. Un homme dont les mains avaient frémi à l’idée que Mad puisse tromper Sara. Un homme prêt à dénicher la femme qui avait fichu en l’air la vie de sa sœur, et à s’assurer qu’elle ne gagnerait rien de la mort de Mad. Eve le chevaucha et lui prit le visage entre les mains. — Je ne te crois pas. Je pense au contraire que tu es plus toi-même entre ces quatre murs qu’audehors. En tout cas, c’est ce que je ressens. Cela fait des mois que je ne me suis pas sentie aussi en sécurité que durant ces deux jours écoulés. Et je n’ai vraiment pas envie que ça s’arrête. Gabe lui posa les mains sur les hanches, se délectant encore une fois de ses courbes. Comme par miracle, son sexe se mit aussitôt au garde-à-vous. — Moi non plus. Viens ici, bébé. Profitons de cette nuit au maximum, et demain matin, on reparlera. Tu verras peut-être les choses différemment, à ce moment-là. Il l’attira sur lui en priant d’arriver à la convaincre de lui accorder plus.
Le lendemain matin, Everly prit une brusque inspiration en posant les yeux sur l’écran de son ordinateur portable. Oh, mon Dieu ! À présent, elle savait exactement ce que ressentait Pandore. Elle avait ouvert la boîte qu’elle n’était pas censée ouvrir et avait répandu sur son monde tous les maux de l’humanité. — Salut, bébé. Tu es sûre que tu ne veux rien d’autre que du café ? Elle referma l’ordinateur dès qu’elle entendit la voix de Gabe. — Non, ça va. Il est trop tôt pour petit-déjeuner. J’avalerai quelque chose sur le chemin du travail. — OK. Je vais prendre une petite douche et après on discutera, d’accord ? Il apparut dans l’encadrement de la porte, manifestement tout à fait à l’aise dans sa nudité. — Tu es sûre de ne pas vouloir m’accompagner ? — Désolée, j’ai reçu des e-mails très importants du travail, il faut que j’y aille. Après ce qu’elle venait de découvrir, elle aurait même dû rentrer à Brooklyn en courant. Cet homme était Gabriel Bond. Elle venait de passer le week-end avec le magnat de l’aéronautique, Gabriel Bond. Le play-boy multimillionnaire. Elle n’avait pas eu besoin de chercher bien loin. Il lui avait suffi de taper sur Google « pilote », « Creighton Academy » et « blond ». Le moteur de recherche lui avait craché plus de détails qu’elle n’en désirait. Des sites Web entiers étaient consacrés à sa vie amoureuse. Il sortait avec des mannequins, des actrices et autres sublimes mondaines. Mais jamais de la vie il n’avait partagé une nuit – et encore moins une relation durable – avec la fille d’un flic. Elle ne comprenait même pas le monde dans lequel il évoluait. Pire, elle avait lu une nouvelle terrifiante : Maddox Crawford était son meilleur ami. Voilà qui expliquait sa présence dans ce bar vendredi soir. Il avait assisté aux funérailles, lui aussi. Comment pourrait-elle lui expliquer le lien qu’elle-même entretenait avec Maddox ? Eh bien, c’était facile : elle ne le lui expliquerait pas. Il avait admis spontanément n’être pas le même homme en dehors de cette chambre. Elle aussi était une femme différente. Et manifestement, elle avait perdu la tête, à passer ainsi un week-end entier, nue, en compagnie d’un homme qui n’ouvrait ses draps qu’aux plus belles femmes du monde. Il réapparut de sa démarche tranquille, son téléphone portable à la main. — C’est ridicule. Je ne vais pas te laisser disparaître comme ça. Tiens, donne-moi ton numéro et je t’appelle. J’ai une tonne de trucs à faire aujourd’hui, mais on pourrait peut-être dîner ensemble dans la semaine. Elle lui prit son portable des mains et baissa les yeux sur l’écran. Eve. Il avait déjà créé son contact sous ce nom-là. Il n’avait pas la moindre idée qu’elle s’appelait en fait Everly. Se sentirait-il trahi en apprenant ce petit mensonge innocent ? Cela importait-il, vu qu’il n’était pas le genre d’homme à vouloir rester avec elle pour toujours ? Il attendait en la contemplant. Puis son enthousiasme disparut et il fronça les sourcils. — Tu ne veux pas que je t’appelle, c’est ça ? Everly hésita. Ce serait en effet plus judicieux, mais… pouvait-elle vraiment renoncer à lui ? Elle s’apprêtait à répondre – sans trop savoir ce qu’elle allait dire – quand on frappa à la porte. — Entre ton numéro. S’il te plaît. Sur quoi il se pencha et lui déposa un baiser sur les lèvres, comme pour mieux la convaincre. — C’est sans doute le café que j’ai commandé. Jette encore un œil au menu. Je sais que tu dois partir, mais je serais plus rassuré si tu mangeais quelque chose. Je reviens. Elle le regarda s’éloigner vers le salon, incapable de détourner les yeux de ce fessier nu et musclé. Magnifique. Arrivé devant la porte, il attrapa un peignoir dans le placard et se retourna pour lui envoyer le
second. — Enfile ça. J’ai l’intention de donner un pourboire au livreur, mais pas question qu’il te voie nue. Ça, c’est uniquement pour moi. Et sur une œillade, il posa la main sur la poignée. Alors qu’elle nouait sa ceinture, elle entendit le cliquetis de la serrure, suivi du grincement de la porte qui s’ouvrait. Quelle couarde elle faisait, songea-t-elle en fixant son téléphone des yeux. Pourquoi ne pas enregistrer son numéro ? Quand Gabriel reviendrait, elle lui avouerait son lien avec Maddox, admettrait qu’elle avait violé leur accord sur l’anonymat. Il savait qu’elle n’appartenait pas à son univers, ce qui n’avait pas eu l’air de le gêner. Peut-être qu’elle se faisait du souci pour rien. Peut-être que tout se passerait bien entre eux. Ou bien ce serait un désastre complet. Une chose importait avant tout : conserver son poste. Sortir avec Gabriel Bond s’apparenterait sans doute à un tour de montagnes russes sans attaches de sécurité. Elle ne savait pas combien de temps elle tiendrait, le royaume de paillettes dans lequel il évoluait n’était pas un monde qu’elle comprenait. À présent qu’elle avait vu toutes les photos des beautés qu’il avait eues à son bras et probablement aussi dans son lit, elle se sentait perdre toute son assurance. Sans compter qu’il l’avait prévenue d’emblée ne pas avoir de temps pour une petite amie. Alors oui, il était partant pour les relations sexuelles, mais ça n’avait rien à voir avec de l’amour. En fait, ça n’allait pas au-delà d’une érection et d’un orgasme. OK, il semblait l’apprécier en tant que personne aussi, mais ça ne changeait rien à son refus d’entamer une relation, exprimé dès l’instant où ils avaient franchi cette porte. Et il n’avait probablement pas changé d’avis depuis. Qu’est-ce qui lui garantissait que ce week-end n’allait pas se terminer par le traditionnel : « Je t’appelle », une promesse vide de sens que jamais il ne tiendrait ? Rien. Pourtant, avec un profond soupir, elle entra tout de même son numéro dans le répertoire de Gabriel. Voilà, la balle était dans son camp. Que valait la vie, sans quelques prises de risque ? — Gabe, mon pote, il faut qu’on parle, dit une voix masculine devant la porte. Everly jeta un coup d’œil discret et découvrit deux hommes, grands, irradiant puissance et impatience, qui entraient dans le salon. L’un des deux portait ses boucles brunes rejetées en arrière – même si sa tentative d’apprivoisement n’avait pas tout à fait réussi – et un élégant costume gris anthracite. L’autre, plutôt le type aventurier aux cheveux blond foncé, arborait une belle cicatrice en travers du menton et un pantalon ample, un tee-shirt et un coupe-vent, le tout noir. — On a un souci, lança le plus impeccablement habillé. L’estomac d’Everly lui tomba dans les talons. Son moment de paradis avec Gabriel semblait bel et bien terminé.
1. Navire qui transportait ceux que l’on considère comme les premiers colons, qui ont fondé les États-Unis. (N.d.T.) 2. Acteur américain et sympathisant des Confédérés, assassin d’Abraham Lincoln. (N.d.T.)
5 Gabe franchit la porte de service à grandes enjambées et grimpa la rampe qui conduisait à la rue, scrutant les lieux en quête de photographes. — Dax est dans la voiture, expliqua Roman. On discutera dès qu’on sera sûrs que personne ne nous entend. Si tu avais répondu au téléphone, je n’aurais pas eu besoin de venir te débusquer jusqu’ici. Connor passa devant, tous les sens en alerte. Il portait une veste légère, même si le temps semblait déjà trop lourd pour quelque vêtement à manches longues que ce soit. Cela dit, Gabe supposait que son ami de la CIA avait plus d’une arme à camoufler. Quand Connor se retourna, il aperçut d’ailleurs une lueur métallique sous son bras. Il était armé. Ce qui n’avait rien d’inhabituel, sauf qu’en l’occurrence, sa posture tendue n’augurait rien de bon. Gabe fronça les sourcils. Qu’est-ce que ces deux-là lui cachaient ? Un mauvais pressentiment lui serra le ventre. — C’est bon, assura Connor. Allons-y. Sur ces mots, il émergea dans la lumière, courut jusqu’à la limousine qui les attendait, ouvrit la porte et leur fit signe de monter. Gabe suivit Roman. — J’espère pour toi que tu as une bonne excuse pour m’avoir tiré du lit, grogna-t-il, frustré. Roman n’avait pas esquissé un sourire. Ni lancé une plaisanterie, ni jeté un seul regard narquois en direction d’Eve. Il se comportait d’une façon qui ne lui ressemblait absolument pas. — Oh, crois-moi, j’ai la meilleure des excuses qui soit. J’essaie de sauver ta peau, mec. Et ne t’en prends pas à moi, c’est Connor qui a tout découvert. Découvert quoi ? Gabe s’agaçait : il fallait qu’il sache à quoi rimait cette histoire. Malheureusement, son cerveau était un peu trop occupé à rejouer les heures qu’il avait passées en compagnie de la femme laissée là-haut, et à se demander quand il pourrait la revoir. — Et c’est quoi, ce truc incroyable qu’a découvert Connor ? — Dans la voiture. Allez, ordonna Roman. À cette heure-là et un lundi matin, la rue fourmillait de monde. N’importe quel passant pouvait être un photographe. Gabe connaissait la parade : grimper dans la voiture aussi vite que possible. Au lieu de quoi, il se retourna pour lever les yeux en direction de l’hôtel où il avait abandonné Eve, regrettant de tout son cœur de ne plus être auprès d’elle. Elle l’avait à peine regardé, quand il lui avait annoncé qu’il devait filer. Elle avait acquiescé aussitôt, et pas besoin d’être un génie pour comprendre comment elle interprétait son départ : elle pensait qu’il s’apprêtait à la larguer. Il n’était pas en mesure de la détromper pour l’instant. Il pourrait bien dire tout ce qu’il voudrait, elle ne le croirait pas tant qu’il ne l’aurait pas rappelée.
Enfin, si elle lui avait donné son vrai numéro de téléphone. Car vu le temps d’hésitation qu’elle avait marqué, rien n’était moins sûr. Réprimant un juron, il se pencha et grimpa dans la limousine. Ses amis le suivirent dans l’habitacle climatisé, refermant la portière derrière eux. Roman s’installa à côté de lui sur le siège de cuir noir et lâcha un soupir. La limousine démarra sur-le-champ. — Je croyais que Dax était là. Face à lui, Gabe posa sur Connor un regard perplexe. Ils allaient devoir attendre leur ami, maintenant ? — Je suis au volant, frérot. La vitre de partition entre l’avant et l’arrière de la limousine se baissa avec un bourdonnement, et Dax le salua dans le rétroviseur. — C’est quoi, ce bordel ? Il avait lâché la marine pour une carrière de chauffeur de limousine ? — Honnêtement, les gars, j’ai eu ma dose de surprises merdiques cette semaine. Alors si vous avez monté un plan à la noix pour ruiner ma matinée avec Eve, je vous jure que ça va mal se passer pour vos matricules. — À ta place, je serais furax aussi. Elle était canon, commenta Dax, tout en manœuvrant habilement la voiture dans la circulation matinale. Vous pouvez parler tranquilles, les gars, j’ai revérifié le véhicule. Personne n’écoute. À moins que la NSA ne se soit offert de nouveaux joujoux. Secouant la tête, Connor saisit son attaché-case. — Non, tant que la limousine bouge, on est bons. Je doute que les tabloïdes nous donnent la chasse avec des instruments d’écoute hyper perfectionnés. — Ne les sous-estime pas, rétorqua Roman. Et il n’y a pas que les journalistes qui m’inquiètent. La police aussi. Gabe se raidit un peu plus sur son siège. Alors là, ils avaient piqué son attention. — La police ? Roman se cala contre son dossier, l’air complètement épuisé. À bien observer son vieil ami, Gabe devinait sans l’ombre d’un doute qu’il venait de passer une nuit blanche, et ce n’était manifestement pas une plaisante escapade avec une femme telle qu’Eve qui l’avait tenu éveillé. — Connor a pris notre souci en main pour le moment. — Certes, acquiesça ce dernier, mais ça va forcément sortir. Et sans tarder. J’ai eu l’info via une journaliste, mais elle pense que sa source a déjà vendu des copies. Il leur tendit la tablette qu’il venait de sortir de son attaché-case. — Elle m’a avoué avoir tenté d’obtenir l’exclusivité, mais le vendeur a refusé. L’un de mes associés essaie de traquer les autres copies éventuelles. Toutes ces cachotteries recommençaient à taper sur les nerfs de Gabe. — Des copies de quoi, bon sang ? — De ça, fit Connor en tournant l’écran vers lui. Tu reconnais ? Bien entendu qu’il reconnaissait la salle de restaurant de chez Cipriani. Il déjeunait là-bas tout le temps. Le maître d’hôtel était un vieil ami de la famille. Il existait des endroits plus en vogue, il le savait bien, mais comme c’était l’un des préférés de son père, il avait développé un lien sentimental avec ce lieu. Chaque fois qu’il s’installait là-bas, il se rappelait toutes les occasions où son père l’y avait emmené pour essayer de lui enseigner les affaires. — Oui, bien sûr, je reconnais ma table chez Cipriani. C’est devenu un crime de manger des scampi thermidor ?
Alors que la vidéo se lançait, il comprit exactement quel événement avait été filmé et son estomac tomba un peu plus encore dans ses talons. Il se voyait, même si seule une partie de son visage occupait l’angle supérieur gauche de l’écran. Le reste de l’image était bloqué par le dos d’un homme en costume gris, qui sirotait un scotch en tapotant le verre du bout des doigts avec nervosité. — Et merde. Je pense que c’est ma dernière entrevue avec Mad. Roman acquiesça. — Quelqu’un a dû te reconnaître. Ou plus vraisemblablement, on a reconnu Mad. Il faisait la une de tous les journaux à scandale, les dernières semaines de sa vie. Je suppose que ça a été filmé au téléphone portable par un convive assis à une table voisine de la vôtre. Connor lui jeta un regard dégoûté. — Tu aurais dû t’en rendre compte. — Éteins ce truc. Gabe n’avait pas besoin qu’on lui rappelle ce qui s’était produit ce fichu après-midi. Le film des événements se rejouait sans cesse dans sa tête, nom de Dieu, un cauchemar qui ne lui laissait aucun répit. Enfin, à l’exception des deux nuits passées. Avec Eve, il avait dormi comme un bébé… quand il n’était pas fiché en elle. Ce week-end, il avait oublié son deuil et la façon horrible dont ils avaient mis un terme à une amitié de toute une vie. Malgré ce qu’il avait affirmé à Eve, à savoir qu’il n’avait pas le temps pour une petite amie, il ne tiendrait pas longtemps avant de céder et de composer son numéro. Et si elle lui en avait communiqué un faux, eh bien il la retrouverait quand même. Il avait besoin d’elle. C’était égoïste de sa part de songer à l’entraîner dans sa vie telle qu’elle était en ce moment, mais durant leur week-end ensemble, elle lui était devenue indispensable. Il ne savait pas comment ça s’était produit, en tout cas le résultat était bel et bien là. Roman reprit sa tablette et rabattit la protection. — Manifestement, Gabe était trop occupé à se disputer avec Mad pour remarquer quoi que ce soit. — Oh, ce n’est pas la dispute, le problème. Ce sont les menaces, précisa Connor, qui posait sur lui un regard suspicieux. Tu as menacé de tuer Mad. Tu veux bien nous expliquer pourquoi ? Il avait menacé Mad de bien des façons, au cours de ce déjeuner. — Les gars, je lui en voulais pour la manière dégueulasse dont il traitait ma sœur. Vous êtes au courant qu’ils étaient sortis ensemble, il y a quelques mois de ça. Ben ça s’est mal terminé. — Je t’avais averti que c’était une erreur, commenta Dax en tournant le volant de la limousine. Merci du conseil ! La verdure de Central Park apparut sur la gauche, le lieu de son crime se profilant sur la droite. Le restaurant où il avait promis à Mad de se venger, une façade de marbre percée de quelques petites fenêtres elles-mêmes ornées de tentures blanches immaculées. Sa préférée, c’était la table qui donnait sur Grand Army Plaza. Enfant, il contemplait la statue de Sherman tandis que son père rabâchait son discours sur l’importance des affaires. Ils passèrent devant le bâtiment. Gabe gardait un souvenir vivace de cette dernière dispute avec Mad. Il l’avait laissé en plan avec l’addition, pour aller marcher dans le parc pendant au moins une heure. Il s’était assis sur un banc, au milieu des touristes et des New-Yorkais qui profitaient de la journée, sans pour autant les voir. Tout ce qu’il voyait, c’était la fin de son amitié avec Mad. En cet instant, il était si en colère, empli d’une telle violence qu’il aurait été capable d’étrangler son meilleur ami. Oui, s’il en avait eu l’occasion. Sauf qu’il ne l’avait pas eue, cette occasion. Plus tard dans la soirée, une fois que la colère était un peu redescendue, il s’était rendu à l’aéroport afin de discuter à nouveau avec Mad. Malheureusement, il avait raté le décollage de l’avion à quelques secondes près. Et il avait cru que ça lui laisserait plus
de temps pour arranger les choses. Au lieu de quoi, l’avion de Mad s’était écrasé. — On sait tous qu’il avait rompu avec Sara d’une manière peu élégante. Roman usait du même ton apaisant, au journal télévisé du dimanche matin, quand il affrontait l’opposition. Roman Calder était connu comme « l’expert qui chuchotait », capable de calmer les porte-parole les plus virulents, qui d’un lobby, qui d’un secteur particulier, rien que par le son de sa voix. Et une logique à toute épreuve. Mais Gabe ne voulait pas être calmé. Ses amis ne connaissaient pas la moitié des faits qui avaient fuité. — Il a rompu par SMS, et deux heures plus tard il s’affichait sur un tapis rouge au bras d’une actrice blonde, à se vanter de leur fabuleuse vie sexuelle. Vous avez la moindre idée de l’effet que ça a produit sur Sara ? — J’imagine bien, admit Connor, qui croisa les jambes et se cala contre son siège. Mais tu savais le genre de type qu’était Mad quand tu l’as laissé sortir avec ta sœur. — Il ne se comportait pas comme ça avec elle. Voilà ce qui avait le plus sidéré Gabe. — Il était… parfait. Il donnait l’impression d’avoir mûri, et il ne buvait plus autant. Bon sang, il semblait même avoir lâché les autres filles, il restait à la maison avec Sara dès qu’il en avait la possibilité. On était allés dans les Hamptons, on n’avait pas quitté la maison de toute la semaine. Ils paraissaient si heureux. — Sara est magnifique. Et très douce, commenta Dax à voix basse. Elle va s’en sortir, Gabe. C’est vrai, quoi, elle va sans doute se trouver un mec bien et sera mariée d’ici un an ou deux. Elle oubliera cette histoire avec Mad. — Elle ne pourra jamais l’oublier, putain ! Il s’en est assuré, c’est bien ça, le problème. — Sara est enceinte, c’est ça ? subodora Connor, les sourcils froncés. Dans ce cas, je comprends mieux ta colère noire sur cette vidéo. Mad a mis Sara enceinte, et puis il l’a larguée. Merde. Il n’avait pas eu l’intention d’en parler à quiconque, mais Connor avait l’art de toujours tout deviner. — Moins d’une semaine après qu’elle le lui a annoncé, oui. Sara a fini par me l’avouer le matin précédant ce déjeuner. Gardez l’information pour vous. Roman donna un coup de la paume de la main dans la porte. Il avait suffi d’un instant pour que tout son calme s’envole. — Il n’y aura pas moyen de garder l’info pour nous, Gabe. Pas une fois que cette vidéo va sortir. Et s’il reste le moindre doute quant à l’identité de la personne que tu menaces, je suis bien certain que la police dégotera un témoin ou deux pour parler. Un vilain mal de tête commençait à tarauder Gabe, de plus en plus confus. — La police ? Qu’est-ce qu’ils en ont à fiche de savoir qui m’a vu menacer Mad ce jour-là ? Son avion s’est écrasé. Et malgré ce que proclame ce foutu site, Scandales au Capitole, c’était un accident. Connor lui tendit un exemplaire du journal du matin. — Pas selon le Times. Ça va au-delà des tabloïdes, là, mon pote. Les vrais journaux ont repris l’histoire. La une lui sauta aux yeux en lettres capitales, et il chancela. SOUPÇONS SUR LE CRASH DU MILLIARDAIRE. — Oh merde, marmonna Gabe, tandis que toutes les implications de cette nouvelle le frappaient en plein visage.
— Et je te passe les commentaires des autres papiers, ajouta Roman avec un soupir. Apparemment, la FAA a découvert des traces de produits chimiques qui n’avaient rien à faire là et affirme que ces produits signalent la présence d’un engin incendiaire à bord de l’avion. Leur théorie, c’est qu’on aurait déposé un explosif à minuteur dans l’appareil. Gabe sentit son corps se glacer. Mad avait été assassiné. — Ils vont penser que je l’ai tué. — Eh bien, tu as en effet mentionné ton souhait de l’éliminer sur cette vidéo. Et à plusieurs reprises, lança Dax. On arrive dans deux minutes, les gars. — Je suis bien content de devoir rester en ville quelques jours à cause de cette fichue collecte de fonds, fit Roman en rajustant sa cravate. Zack a dû rentrer à Washington, mais tout le temps que je serai là, je vais faire mon possible pour empêcher que cet enregistrement ne tombe entre les mains de la presse ou de la police. — On va tâcher de faire ça, oui. Mais même pour nous, certaines choses relèvent de l’impossible, admit Connor. — Roman, je ne l’ai pas tué. Je n’aurais jamais fait une chose pareille. L’estropier. Le rosser. Peut-être même le forcer à se présenter devant l’autel, un pistolet sur la tempe. Mais le tuer, jamais. Connor leva une main. — On le sait bien. Sauf que quelqu’un l’a fait. Et le problème, c’est que la liste des suspects est presque aussi longue que l’annuaire téléphonique de Manhattan. Conclusion : la police de New York va bondir sur le premier suspect facile. À savoir toi. Je suis déjà en train de tailler dans la liste, histoire de déterminer qui avait réellement le mobile et les moyens de placer une bombe dans son avion. Dax et moi, on va commencer à interroger ses employés discrètement, et Roman va fouiller dans les relations plus intimes de Mad. On tâchera de laisser Sara en dehors de tout ça, mais il se peut fort que des questions émergent. Tu n’as pas directement mentionné sa grossesse dans l’enregistrement, mais à présent que je suis au courant, je lis entre les lignes de votre conversation. Roman se redressa et boutonna la veste de son costume trois-pièces. — On a des problèmes plus graves, pour l’instant, cependant la grossesse de Sara nous presse encore davantage. On doit aller signer les papiers concernant les propriétés immobilières de Mad. Il est urgent que nous agissions de façon à régler tout ça au plus vite. J’ai déjà parlé au juge successoral et je lui ai expliqué que la santé de l’entreprise était en jeu, que les emplois fournis par Crawford Industries étaient vitaux pour notre économie. Le testament est bien rédigé, il ne devrait pas soulever de plaintes. Mad n’avait pas de famille directe, ce qui devrait faciliter la transition. Je pense qu’on peut éviter un gel de tes capitaux si on est vigilants. Du moins, je l’espère. — J’essaie de nous faire gagner quelques jours pour comprendre ce qui se passe vraiment, expliqua Connor. Gabe n’en revenait pas du tour que prenaient les événements. Une heure plus tôt, il était bien au chaud et heureux dans les bras d’Eve. Et maintenant, il était question du gel de ses capitaux ? Le monde avait bougé sur son axe, et Gabe n’aimait pas du tout sa nouvelle façon de tourner. — Pourquoi est-ce qu’ils bloqueraient mes capitaux ? — Pas tous, juste Crawford Industries, précisa Roman avec une grimace. Parce que tu en es le nouveau P-DG, Gabe. Maddox t’a laissé tout ce qu’il possédait, à toi et à toi seul : son argent, ses maisons, ses voitures et ses affaires. Si cette vidéo ne constitue pas un mobile suffisant, le milliard de dollars de l’entreprise dont tu hérites à compter de ce matin va sans aucun doute être vu comme tel. Pour la deuxième fois en dix minutes, Gabe eut la sensation que le monde bougeait sur son axe.
Restait à espérer qu’il serait encore capable de tenir debout quand tout s’arrêterait de tourner. Everly sortit de l’ascenseur, Gabriel encore bien présent à son esprit. Qu’avait-elle fait ? Pourquoi lui avait-elle donné son numéro, après avoir deviné qui il était ? Sous le coup de l’impulsion. Elle n’avait pas son numéro à lui, en revanche. Il ne le lui avait pas proposé. Il l’avait embrassée, avertie qu’il devait partir, et puis il avait disparu. Sans plus aucune promesse de l’appeler. Il s’était habillé à la hâte, l’air maussade, et il avait filé, comme s’il fuyait une scène de crime. Le seul aspect positif de la chose, c’était que Maddox Crawford aurait trouvé génial qu’elle se soit offert une histoire sans lendemain avec son meilleur ami juste après ses obsèques. En quittant l’hôtel, elle avait eu la sensation étrange d’être épiée. Les rues étaient très peuplées, comme toujours, elle avait croisé un ou deux photographes – sans doute en quête de quelque célébrité, dont le Plaza hébergeait son lot. Évidemment qu’ils n’allaient pas s’intéresser à elle ni à son weekend en chambre en compagnie de Gabriel. Elle s’était d’ailleurs demandé s’ils l’avaient pris en photo, lui, quand il était parti. Les paparazzis, c’était sa vie. Il ne l’appellerait pas, et même s’il le faisait, elle devrait s’interdire de répondre. Ils étaient bien trop différents pour que quoi que ce soit de durable ne fonctionne. De toute façon, il n’appellerait pas, c’était le plus probable. Elle était quasi certaine que prendre son numéro était une technique habile pour apaiser une séparation gênante. Comme par hasard, on était venu le demander pile au bon moment pour éviter des adieux qui risquaient de s’éterniser. Sacrée stratégie de sortie. Elle était prête à parier qu’il avait déjà tourné la page de leur idylle. Peu importait le bon temps qu’ils avaient partagé, peu importait qu’ils se soient sentis proches, Gabriel Bond ne nouerait pas de véritable relation avec une femme comme elle. Pour lui, elle n’avait été qu’une énième partenaire sexuelle, un agréable moment. Qui était terminé. Elle avait donc quitté les lieux la tête basse, puis avait hélé un taxi qui l’avait ramenée à Brooklyn où elle avait pu se doucher, se changer et se préparer à ce qui s’annonçait comme une rude journée. Elle entra dans l’élégant hall des bureaux de Crawford Industries. Parfois, elle avait encore du mal à croire qu’elle y occupait un poste managérial. La première fois où elle avait été invitée à monter au dernier étage, tout en haut, elle avait éprouvé une sensation de réussite ultime. À présent, elle s’inquiétait du temps qu’il lui restait à passer chez Crawford, et même de sa capacité à trouver un autre poste. — Bonjour, mademoiselle Parker. C’est agréable de vous voir aussi pimpante après cet horrible week-end. Jennifer, la réceptionniste du bâtiment, était assise à son bureau, une oreillette Bluetooth discrètement apposée à son visage. Elle répondait aux appels et les transférait à la personne concernée, mais servait aussi de plaque tournante aux commérages dans toute l’entreprise. Les informations, vraies ou fausses, transitaient par elle avant qu’elle les diffuse dans tout ce microcosme via un réseau bien organisé de secrétaires. Une lueur allumait le regard de Jennifer, une lueur qu’Everly ne comprenait pas. Cependant, elle savait une chose : quand Jennifer semblait aussi guillerette, c’était qu’elle possédait quelque information juteuse sur quelqu’un. — Oui, répondit-elle, l’air de rien. J’espère que le personnel a pu se détendre. Les funérailles ont dû affecter tout le monde, vendredi. — Évidemment, répondit Jennifer avec un clin d’œil. Et certains d’entre nous plus que d’autres. Mlle Gordon vous cherchait, je lui ai indiqué que vous seriez un peu en retard car vous deviez passer
récupérer un nouveau disque dur commandé la semaine dernière. Elle sortit alors le petit sachet bleu d’un magasin d’électronique. — Le voilà. Il a été livré vendredi, mais ça, elle n’en sait rien. Everly prit le disque, ravie de s’être trouvé une bonne excuse. Elle avait besoin de l’appareil pour sauvegarder le contenu de son disque dur avant de tenter de régler le problème de son ordinateur trop lent. — Merci de m’avoir couverte. Elle ne tenait pas à expliquer les raisons de son retard. Ses subalternes ne la questionneraient pas. Elle ne les brusquait pas, du moment qu’ils terminaient leurs projets et rendaient leur travail en temps et en heure, elle se montrait flexible sur leurs horaires. La plupart avaient gagné leur surnom de « brigade des geeks » en restant un peu à part et en organisant des tournois hebdomadaires de Magic : l’assemblée1. Craignant pour leur productivité, elle n’osait pas les lancer sur Game of Thrones. Bref, pour faire simple, elle préférait son équipe aux autres services, pleins de malveillance. Concentrée sur sa journée à venir, elle se dirigea vers son bureau. Elle devait vérifier les rapports de la semaine passée. Elle nourrissait quelques inquiétudes sur une éventuelle irrégularité dans les ventes, et si le problème s’avérait, elle se retrouverait avec un beau casse-tête sur les bras. Mais au moins, ça lui éviterait de penser à son potentiel renvoi. — Everly, je suis contente que tu sois là. Tu vas bien ? Tavia passa la tête par la porte de son bureau, l’air soucieux mais toujours très chic dans son fourreau noir et ses talons haut perchés à la semelle rouge si aisément reconnaissable. Everly l’avait déjà vue quelques fois dans cette tenue, qui faisait son effet à tous les coups. — Ça va, répondit-elle, perplexe. Et toi ? Tavia agita une main manucurée. — Dieu merci, je me suis inquiétée pour toi toute la matinée. Viens, entre. Vite. Je ne veux pas parler là, tout le monde peut nous entendre. Everly regarda autour d’elle, très surprise de découvrir autant d’yeux posés sur elle par-dessus les séparations vitrées entre les bureaux. Qui se détournèrent aussitôt, et les observateurs reportèrent maladroitement leur attention sur leurs écrans ou leurs rapports, comme embarrassés de la curiosité dont ils avaient fait preuve. Qu’avaient-ils tous à la dévisager ? Elle prit la main tendue par Tavia et se laissa entraîner dans son bureau, avec ses quatre immenses baies vitrées sur Central Park. Magnifique vue. Le mur du fond était couvert de photos de la beauté blonde posant aux côtés de dizaines de jeunes femmes du monde entier. Tavia semblait si différente, sur ces clichés. Sur la plupart, elle portait des vêtements décontractés, et parfois, quand elle se trouvait dans des pays musulmans, elle portait un voile sur les cheveux. Tavia la surprit en train d’observer ses photos. — J’espère ouvrir une nouvelle école avec l’argent récolté cette année, expliqua-t-elle en désignant le cliché le plus récent. J’ai découvert que ce village en Inde a désespérément besoin d’une école de filles. Ils en ont une pour les garçons, mais le bâtiment des filles a brûlé et personne n’a levé de fonds pour en construire un autre. — Comment avancent les recherches concernant cette jeune fille disparue ? Deux mois plus tôt, Everly avait déjeuné avec Tavia, après qu’une fillette avait disparu de son école au Liberia. En larmes, la photo de la petite disparue serrée entre ses mains, Tavia avait juré de la retrouver. — Les recherches se poursuivent. Ce n’est pas facile, dans cette partie-là du monde, entre les
épidémies et les soins médicaux insuffisants, mais une fois qu’on a établi de façon certaine que Janjay n’était pas malade… Les autres raisons possibles de sa disparition soudaine ne sont pas aussi politiquement correctes. J’espère qu’elle s’est enfuie, conclut Tavia en secouant tristement la tête. Il existe de nombreuses causes d’enlèvement, chez les filles. C’est une réalité que je ne me résous pas à accepter. Boko Haram commence à sévir dans cette partie du monde, et maintenant il nous faut aussi nous préoccuper de Daech. Ils vont essayer de détruire tout ce que nous avons construit. Boko Haram était un groupe terroriste persuadé que tout ce qui provenait de l’Occident était mauvais, ce qui incluait l’éducation des filles. Ils avaient kidnappé toute une école de filles, les obligeant à se convertir à leur version extrême de l’islam. Daech, autre groupe terroriste, débarquait en Afrique. Everly comprenait que Tavia soit terrifiée pour les jeunes femmes qu’elle essayait d’aider. — Tu veux que je voie si je peux faire quelque chose de plus ? se sentit-elle obligée de proposer. Je suis certaine que les gars de la sécurité des bureaux internationaux de Crawford y travaillent de leur mieux, mais je vais leur demander un bilan circonstancié. Tavia lui offrit un sourire empli de regrets. — Tu es vraiment gentille, mais je t’en prie, ne les détourne pas de leur travail sur le terrain. Leurs recherches sont trop importantes pour qu’on les en écarte. Je suis sûre qu’ils nous enverront leur rapport dès que possible, mais on ne peut pas risquer de lâcher les pistes en cours. Sans doute la raison pour laquelle Everly n’avait reçu ni rapports détaillés ni demandes de remboursements. Parfois les agents sur le terrain étaient trop occupés pour s’embarrasser de paperasse. Et quoi qu’il en soit, ils détestaient ce qu’ils appelaient le « boulot des ronds de cuir ». — Tu as raison. Je voudrais tellement pouvoir me rendre plus utile. — Ta spécialité, c’est la sécurité informatique, ce dont l’entreprise a fort besoin aussi. D’ailleurs, ceux de chez Crawford qui ont les mains dans le cambouis sur les terrains de guerre du globe ont l’expérience suffisante. J’espère que la chance sera de notre côté. Mais toi, comment tu tiens le coup ? — Ça va. Je me sentirai mieux une fois que le nouveau patron sera arrivé et qu’on saura si on garde notre poste ou pas. Tavia haussa un sourcil. — Ma belle, je parlais de ce qui s’est passé ce matin. Elle allait donc devoir expliquer les raisons de son retard. Pourtant ça ne regardait pas Tavia, qui n’était pas sa supérieure. — J’avais besoin de temps. Mais maintenant, ça va. Bon, je vais me mettre au travail. Tavia contourna son bureau pour venir se poster près d’elle. — Tu n’as pas eu peur de ces journalistes ? Everly cilla. Comment Tavia était-elle au courant qu’il y avait un petit groupe de journalistes à scandale devant l’hôtel ? Everly s’était précipitée dans un taxi et les avait laissés à attendre leur véritable cible. Elle devait apparaître dans le fond de quelque cliché volé, ce qui l’obligerait à donner deux ou trois explications. Un petit mensonge la tirerait peut-être d’affaire. — J’ai un peu trop bu hier soir, du coup j’ai préféré rester ici à Manhattan. Tu sais que le métro, quand on est soûle, ce n’est pas l’idéal. Tavia fit pivoter l’écran de son ordinateur. — Je ne pense pas que les gens avalent ton histoire, ma belle. Pas quand ton nom apparaît à côté de celui d’un homme tel que Gabriel Bond. Il faut te préparer à affronter les chacals. Ce matin, ils n’avaient pas ton nom, mais ils vont le trouver. Et vite. Horrifiée, Everly contemplait la une de la page Internet. NOUVELLE MAÎTRESSE ?
BOND, LE BAD BOY DE WALL STREET, RETROUVE LA FORME. Sous la titraille apparaissait une photo d’elle courant vers le taxi dans sa robe froissée, les cheveux volant au vent et une main levée pour écarter la presse. — Oh, mon Dieu ! C’est moi. Ils parlent de moi. Tavia se laissa tomber sur son siège et croisa ses longues jambes. — Ne me dis pas que tu es surprise. Tu devais bien te douter qu’ils en parleraient, s’ils t’attrapaient. — Qu’est-ce qu’ils en ont à faire ? Qu’est-ce que le monde en avait à faire, qu’elle se soit offert un week-end de folie ? — Ce qu’ils en ont à faire ? répéta Tavia, qui se relevait, trop excitée pour rester assise. Ils parlent de toute personne même vaguement liée à ce groupe de gars. Tu t’es vraiment laissé embarquer par Gabriel Bond aux funérailles de Maddox ? — Je l’ai rencontré au bar après la cérémonie. Très franchement, j’ignorais qui il était jusqu’à ce matin, où je l’ai découvert par hasard. Et sur le chemin du travail, elle avait aussi réfléchi à deux ou trois détails. Un souvenir précis lui était revenu. « Il faut que tu rencontres Bond, un de ces jours. Tu l’aimerais bien, Everly. C’est un brave gars. Il est un peu furax après moi, ces temps-ci, mais j’ai bon espoir qu’on finisse par régler ça. C’est mon meilleur ami. Il faut que les choses rentrent dans l’ordre. » Tout en savourant son ragoût, Maddox lui avait parlé du groupe d’hommes avec lequel il avait grandi, mais il ne faisait référence à eux que par leur nom de famille. À l’exception de Zack Hayes, qu’il appelait « M. le Président » – en ne se privant pas de ricaner chaque fois. Bref, Maddox lui avait souvent mentionné Bond. L’expression de Tavia se radoucit. — Si tu ignorais qui il était, tu n’avais donc pas eu vent de sa réputation. J’ai bien peur que ce soit un sacré séducteur, grimaça-t-elle, navrée. Il a conquis la plupart des beautés de Manhattan, sans jamais rester avec aucune bien longtemps. Un vrai porc. Everly leva la main pour interrompre sa collègue. — Je ne cherchais pas à devenir sa petite amie. Il était seul. J’étais seule. Ça m’a semblé une bonne idée, sur le moment. Il avait dit qu’il l’appellerait. Il avait pris son numéro. Le bad boy de Wall Street, l’appeler, elle ? Ha ha ! Tavia lâcha un soupir. — Si tu fais profil bas, ça se tassera vite. Il passera à sa prochaine conquête et la presse t’oubliera. Je voulais juste m’assurer que tu étais prête à affronter les ragots. Au bureau, l’histoire est sur toutes les lèvres ce matin. Everly sentit sa peau s’échauffer. D’une certaine façon, ce que venait de décrire Tavia représentait son pire cauchemar. Elle ne supportait pas l’idée que tout le monde discute dans son dos de sa liaison avec encore un autre homme. Enfin, au moins cette rumeur-là était-elle fondée. Pourtant, jusqu’à la nuit passée, elle n’avait pas eu de vie sexuelle – en tout cas aucune digne d’intérêt. Soudain, elle regretta le temps où ses collègues la montraient du doigt en l’accusant d’être trop jeune pour le poste qu’elle occupait. Ça n’était pas juste. Si elle avait été un homme, personne n’aurait remis ses capacités en question, pire, personne ne se serait intéressé à la question. — Everly, ne te bile pas trop, lui conseilla Tavia. Je te jure que ça va se tasser d’ici un jour ou
deux. Je comprends que tu sois partie avec lui, il est superbe. Je ne l’ai rencontré qu’une fois, mais j’ai été impressionnée par son charisme. J’aurais pu me laisser convaincre de coucher avec lui, moi aussi. — Je n’arrive pas à croire que ces reporters m’attendaient devant l’hôtel. Qu’est-ce qu’ils fabriquaient encore là ? Gabriel était parti bien avant moi. Enfin, pas très longtemps. Une fois qu’il avait quitté la chambre, elle avait été pressée d’en faire autant. L’endroit semblait si vide sans lui. — À tous les coups, il se sera éclipsé par la porte de derrière. — Pourquoi ne pas m’avoir suggéré d’utiliser la même sortie ? — Je dirais que tu lui as servi à détourner l’attention, expliqua Tavia avec une grimace compatissante. Ces hommes-là fonctionnent ainsi. Ils sont excellents au lit, mais ils ne se préoccupent pas beaucoup des femmes comme nous en dehors de ce genre d’activités. Comment crois-tu que les journalistes ont su deviner que tu avais passé la nuit avec lui, et que tu n’étais pas juste une cliente de l’hôtel ? Je parie que l’un des sous-fifres de Bond a renseigné les paparazzis. Histoire de les occuper devant l’hôtel pendant qu’il se faufilait par l’arrière. Quelle humiliation ! Il avait dit qu’il appellerait. Et en effet, il avait appelé – mais pas elle. Il avait composé le numéro des journalistes et les avait mis à ses trousses pour s’en débarrasser. Tavia se releva et vint la prendre dans ses bras. — Oh, ma belle, je suis désolée. Je déteste que ça te soit arrivé à toi. La porte s’ouvrit sur Valerie Richards, directrice du service comptabilité et fréquente partenaire de déjeuner de Tavia. Avec sa petite taille, elle faisait penser à une fée – légèrement malicieuse, voire méchante. — J’étais persuadée que tu aurais pris ta journée, on se doute tous que tu as dû passer quelques nuits blanches, lança-t-elle avec un sourire sournois. — Rentre tes griffes, s’il te plaît, lui demanda Tavia. Elle n’a pas besoin de ça ce matin. — Oh, elle devrait pourtant avoir le sourire. Après tout, elle a bien profité de Gabriel Bond tout le week-end. Valerie toisa Everly des pieds à la tête, d’un air peu amène. Cette femme lui avait cherché des noises dès l’instant où on les avait présentées, soit le premier jour d’Everly à son poste. Depuis lors, elle faisait tout son possible pour la rabaisser, alors qu’elle ne travaillait même pas dans son service. Il n’existait qu’un moyen d’agir, avec les garces – si l’on exceptait la violence physique, car briser le nez de Valerie, ce nez que la chirurgie avait modelé à la perfection, ne ferait que lui attirer des ennuis. Everly s’écarta de Tavia. — On ne « profite » pas d’un homme tel que Gabriel Bond. On s’accroche et on le chevauche, comme l’étalon qu’il est. Maintenant, si tu as fini de bouder parce que j’ai passé un meilleur week-end que toi, je pense qu’on devrait se mettre au travail. Pas question de laisser cette pimbêche de Valerie percevoir ses failles. Là où la compassion de Tavia n’avait pas fonctionné, le coup bas de Valerie avait fait son effet. Everly redressa les épaules et sortit dans le couloir la tête haute. Scott se jeta sur elle dans l’instant. — Alors, comment c’était, ton week-end ? — Comme si tu ne le savais pas déjà. Tu aurais pu m’appeler. En y songeant, elle était un peu en colère contre lui. À sa place, elle l’aurait averti si la presse à scandale avait commencé à le persécuter. — J’ai essayé. Ton téléphone est éteint depuis vendredi soir, sinon tu aurais eu vent de mon échec
cuisant avec Harry. Apparemment, tu as été plus chanceuse. Zut ! Elle avait coupé la sonnerie de son appareil et n’avait pas vérifié ses messages jusqu’à ce matin. Gabriel Bond avait réconcilié son corps avec le sexe et grillé ses neurones au passage. Bien sûr, lui-même devait l’avoir oubliée à la seconde où il s’était éclipsé ; alors qu’elle continuait à penser à lui jusqu’à l’obsession. — Désolée, j’avais oublié l’avoir mis sur vibreur. Tu es sûr que tu as bien envie d’être vu en ma compagnie, là ? — Évidemment que oui, répondit-il en l’entraînant dans le couloir. Tu es la star du jour. Je n’arrive pas à croire que tu te sois envoyé un autre PG. C’est légendaire, tu es au courant ? Tu vises le lot complet ? Parce que ça, ce serait un sacré tour de force. Dieu merci, ils étaient arrivés à son bureau. Everly se glissa à l’intérieur, Scott sur ses talons, et envisagea très sérieusement de ne jamais en ressortir. — De quoi tu parles ? Le lot complet de quoi ? Secouant la tête, Scott referma la porte derrière eux. — Des Parfaits Gentlemen. Il faut vraiment que tu lises plus, toi. Gabriel Bond et ses cinq meilleurs amis étaient surnommés les Parfaits Gentlemen à la Creighton Academy. Elle n’avait pas besoin d’un cours d’histoire. — Je me souviens vaguement d’une campagne de dénigrement visant Zack Hayes, ils l’appelaient le Gentleman Imparfait, en référence à son groupe de prépa, j’imagine. — Sans aucun doute. Scott se frotta les mains, manifestement de plus en plus intéressé par le sujet. — Six des personnages les plus puissants d’Amérique, tous amis d’enfance. Ils se serrent les coudes. Ils ont soutenu Zack Hayes comme un seul homme durant sa course à la présidence. Roman Calder a même quitté son prestigieux et très lucratif cabinet d’avocats pour devenir le directeur de campagne de Hayes. — Eh bien, il faut croire que le président l’a remercié en le nommant chef de cabinet de la Maison-Blanche. Rien de tout ça n’explique pourquoi tu penses que je vise le « lot complet ». Son bureau était enseveli sous le courrier. Ça sortait d’où, tout ce bazar ? Scott haussa les épaules, avant de s’asseoir sur le siège face à elle. — Deux actrices très en vue se sont lancé un défi l’an dernier : la première qui couchait avec les six signait pour un film majeur, dans un rôle à Oscar. D’après la rumeur, elles se sont toutes les deux envoyé Bond et Crawford. L’une d’elles a baisé Roman Calder, l’autre a réussi à finir dans le lit du capitaine Daxton Spencer pendant un spectacle qu’elle donnait pour les troupes en déploiement à l’étranger. Mais aucune des deux n’a réussi à avoir Sparks ou Hayes. Ce Sparks, ce n’est qu’une rumeur, ce mec ne colle pas, dans leur groupe, et puis on ne le voit jamais en leur compagnie. Du coup, je me demande s’ils ne sont pas que cinq, en réalité. Non, Sparks n’était pas une rumeur. Maddox l’avait mentionné avec beaucoup d’amitié. Mais mieux valait ne pas s’écarter du sujet. — C’est horrible. Comment une femme peut-elle se mettre en tête de les « collectionner » ? — Parce qu’ils sont sexy, et pour montrer qu’elle en est capable, répondit Scott avec un sourire entendu. Tu t’en es déjà fait deux. — Jamais de la vie. L’idée que les gens l’imaginent en croqueuse d’hommes la rendait malade. Scott grimaça. — Alors les bruits te concernant avec Crawford sont inexacts ? Elle était tellement lasse de tout ça. Scott ne lui avait jamais posé la question, et aujourd’hui elle
regrettait qu’ils n’aient pas déjà balayé ce sujet, elle n’aurait pas eu besoin d’en discuter à nouveau. — Je n’ai jamais couché avec cet homme. On était amis. C’est si dur à croire ? — Personne n’imaginait Crawford ayant des amies femmes. — Et pourtant, si. Écoute, je n’avais pas la moindre idée que c’était un « bad boy de la finance », quand je suis partie avec Gabriel vendredi soir. Autrement, je me serais tenue à l’écart. Vraiment ? Elle aurait eu la force de se refuser à lui ? Au fond, peu importait à présent, car tout était terminé. Tavia avait raison. D’ici quelques jours, les rumeurs s’éteindraient et les gens se trouveraient un autre sujet de conversation. — Je te prie de m’excuser, murmura Scott en exerçant une légère pression sur son épaule. Je n’aurais pas dû imaginer que tu couchais avec le patron. Ce n’est pas ton genre. J’essaie encore de me dépêtrer de ma déception de vendredi soir. (Il lâcha un soupir.) Le bruit court que le nouveau patron sera là demain. Tout le monde pense que les postes non managériaux ne sont pas menacés, je le sais bien, mais moi, je n’y crois pas. — Demain ? Waouh, qui que soit le nouveau P-DG, il ne perdait pas de temps. Scott hocha la tête. — Ouais, même si personne ne connaît son nom. D’après la rumeur, Crawford avait prévu de tout laisser à quelque association de défense des animaux. Ou bien à ses putes favorites. Du coup, on va être repris soit par de vieux matous, soit par une femme en body à paillettes du nom de Cristal Clito. Personnellement, je préférerais la prostituée. Quelques barres de pole dance placées de façon stratégique, ça égaierait les lieux. Mais bon, je parie plutôt sur l’association caritative, vu qu’ils ont déjà envoyé un type pour interroger certains employés. Un sacré beau mec, soit dit en passant, mais qui n’a pas déclenché mon radar à gay. Je pense qu’il joue dans ton équipe. Il hésita une seconde, avant d’ajouter : — Désolé si je t’ai vexée. Une immense lassitude enveloppait Everly comme une couverture. Tant de rumeurs, de sousentendus… Et demain, elle allait devoir affronter la personne – ou le chat – qui avait de fortes chances de briser sa carrière. — C’est bon, mais je dois me mettre au boulot. Si le bourreau arrive, je dois me préparer. Scott hocha la tête dans un soupir, puis il se dirigea vers la porte. — Hé… Elle ne pouvait pas le laisser partir sans obtenir une information complémentaire. — Oui ? — Donc Gabriel Bond n’est pas un type bien, c’est ça ? Il lui avait semblé bien, pourtant. Et vrai. Scott haussa les épaules, et son expression se fit compatissante. — J’ignore s’il est un sale type. Mais il est riche, et je doute qu’on lui ait jamais refusé quoi que ce soit. C’est quasiment un noble, et ces gens-là ont tendance à pas mal se foutre des petites gens, tu vois ce que je veux dire ? Tu seras bien mieux sans lui. Ses paroles explosèrent telle une bombe à l’intérieur d’Everly, détruisant le peu d’espoir qui subsistait de se tirer indemne de son idylle avec Gabriel. Scott sortit, et elle se retrouva toute seule. Encore une fois. Mais bon, elle avait du pain sur la planche. Elle déballa le nouveau disque dur et le brancha. Elle ne faisait pas confiance aux Dropbox et autres Cloud en tous genres. Beaucoup trop faciles à pirater. Elle était bien placée pour le savoir, puisqu’elle l’avait fait. Aussi n’effectuait-elle ses sauvegardes que sur les disques durs externes
qu’elle pouvait contrôler. Quelques clics plus tard, elle lança une sauvegarde complète du système. Une fois assurée que ses dossiers étaient en sécurité, elle pourrait lancer des diagnostics et découvrir pourquoi son ordinateur avançait à la vitesse d’un hamster centenaire. Pendant que la tâche s’exécutait, elle se cala contre le dossier de son siège. Des larmes lui montèrent aux yeux, qu’elle bannit grâce à une profonde inspiration. Elle avait fait une erreur et elle allait se la pardonner. Après tout, ils n’avaient partagé qu’une brève liaison – même si ça lui avait donné l’impression de quelque chose de plus grand. Maintenant, c’était fini, et la vie lui avait appris à ne jamais regarder en arrière. À toujours avancer. Et puis, elle avait du courrier à ouvrir. Même persuadée qu’elle serait bientôt remerciée, elle ne pouvait se résoudre à laisser ce tas de paperasse en plan. Il y avait surtout des tonnes de factures et de mémos internes. Crawford avait beau être une entreprise high-tech, ils n’en utilisaient pas moins énormément de papier. Un problème qu’elle avait d’ailleurs tenté de résoudre. Elle saisit une petite enveloppe à bulles. Pas d’adresse d’expéditeur, bien qu’elle ait été tamponnée à Washington DC. Le paquet portait son adresse imprimée sur une étiquette soigneusement collée. Elle retourna l’enveloppe et l’ouvrit. Deux objets en tombèrent : un appareil photo et un mot manuscrit. Pour Alice, Bois-moi. Descendons ensemble dans le terrier du lapin.
Merde. Un courrier envoyé par quelque dingo. Elle observa l’appareil photo numérique un instant. Ça n’était pas un modèle coûteux, plutôt le genre qu’achèterait une mère pour le mettre dans son sac à main et prendre ses enfants en photo au parc. Enfin, de nos jours, les gens utilisaient plutôt leur téléphone portable pour ça. Cet appareil avait au moins cinq ans. Curieux. Elle le retourna pour allumer l’écran et regarder les clichés que ce nouveau malade lui envoyait. Zut. L’écran était inutilisable, fendillé par une étoile en son centre qui craquelait toute la surface. À croire que quelqu’un l’avait détruit exprès. Si elle voulait découvrir les images que cet appareil avait capturées, il ne lui restait qu’une solution. Ayant ouvert le boîtier, elle repéra la carte micro SD et souleva la languette qui la retenait. Le petit carré qui contenait probablement quelque image répugnante sortit avec un « clic ». « Bois-moi », indiquait le mot. Pourquoi cette référence à Alice au pays des merveilles ? Alice avait absorbé une potion qui lui permettait de descendre dans le terrier du lapin et de pénétrer au Pays des Merveilles. Si Everly visionnait le contenu de cette carte, où la conduirait-il ? Elle ne put s’empêcher de repenser aux SMS qu’elle avait reçus. — Si ce truc me refile un virus, je tue quelqu’un, grommela-t-elle. Elle enfonça la carte dans la fente sur le côté de son ordinateur portable. La sauvegarde se poursuivait en arrière-plan, mais ne l’empêchait pas d’ouvrir ce fichier. Quelques bourdonnements plus tard, la machine identifia la carte. On avait appelé le petit disque « Pilule rouge ». Génial ! Ce malade avait mélangé des métaphores d’Alice et des références à Matrix. Everly fronça les sourcils. Dans ce film, avaler la pilule rouge signifiait affronter la réalité, alors que la bleue permettait à la personne de revenir à sa vie heureuse mais complètement fausse. Elle cliqua sur la
pilule rouge et son écran clignota, faisant apparaître le menu. Il s’agissait manifestement d’une série de photos. Toutes désignées par une date, neuf jours plus tôt. La veille de la mort de Maddox Crawford. Un frisson glacé la parcourut. Elle cliqua sur le premier cliché, et l’air se refroidit encore de plusieurs degrés. Elle reconnut l’immeuble immédiatement. C’était le sien. Un homme se tenait dehors, qui appuyait sur l’Interphone. Maddox. Il était venu lui rendre visite, ce soir-là. Une preuve. Son intuition lui soufflait qu’elle avait sous les yeux une preuve, mais elle n’en avait aucune certitude. Elle passa à la deuxième photo. Son auteur devait se trouver dans le bâtiment de l’autre côté de la rue, car il l’avait saisie par la fenêtre de son salon. Qu’elle avait ouverte ce soir-là pour faire entrer la fraîcheur de la brise. Un coup porté à la porte de son bureau la tira en sursaut de ses souvenirs. Everly leva les yeux à temps pour voir Scott passer la tête dans l’entrebâillement. — Coucou, on t’attend dans une réunion. Un truc à propos d’une brèche dans notre secteur marchand. Elle hocha la tête à contrecœur. À cause de sa sauvegarde sur le disque dur externe, qui empiétait sur les cycles du processeur, elle ne pouvait pas enregistrer les photos de la carte SD ailleurs. Tant pis, il lui faudrait revenir là-dessus plus tard. Elle éjecta néanmoins la carte SD et ferma son ordinateur. — Bien sûr, j’arrive dans une minute. Scott effectua un petit salut militaire, puis repartit. Avant qu’elle puisse quitter son bureau, son téléphone sonna. Un SMS. Elle jeta un coup d’œil à l’écran, et ne fut pas plus surprise que ça de découvrir que le numéro envoyeur était encore inconnu. RDV jeudi pour discuter de ton voyage dans le terrier du lapin. N’en parle à personne, douce Alice, sinon je disparaîtrai et tu ne connaîtras jamais la vérité de ce qui est arrivé à notre pauvre chapelier fou2. Merde. Cette affaire concernait Maddox, et elle ne pouvait s’en ouvrir à personne. Everly envisagea brièvement d’apporter tout ce qu’elle avait reçu à la police, mais celui ou celle qui avait déniché ces preuves souhaitait qu’elles soient entre ses mains à elle et pas entre celles de la police. Si elle les donnait aux autorités, la source disparaîtrait-elle, et avec elle, la vérité sur la mort de Maddox ? Elle enferma la carte SD et l’appareil photo dans son coffre-fort. Elle devrait réfléchir plus tard à la meilleure façon d’agir. Pour l’instant, son travail l’attendait.
1. Magic : The Gathering : jeu de cartes à jouer et à collectionner qui se distingue des jeux de cartes traditionnels par le fait qu’il existe plus de quatorze mille cartes différentes avec lesquelles chaque joueur doit construire son jeu, en respectant un certain nombre de règles. (N.d.T.) 2. Mad Hatter, en anglais. Jeu de mots avec le surnom de Maddox. (N.d.T.)
6 Alors comme ça, Mad avait plaqué Sara pour une femme qui travaillait pour lui ? L’enfoiré. — Je savais qu’il avait rencontré quelqu’un d’autre. Le lendemain matin, Gabe était assis sur le fauteuil de Mad, à la table de travail de Mad, dans le bureau d’angle de Mad, dans l’immeuble de l’entreprise de Mad. Il prit une profonde inspiration, avec le vain espoir de maîtriser sa colère. Mad lui avait tout légué – y compris ses problèmes. — Ce n’est qu’une rumeur, précisa Connor en s’affalant sur le siège face à lui. Que j’ai entendue de plusieurs employés à qui j’ai parlé, mais on n’a aucune preuve avérée. Son ami était vêtu pour la circonstance, en costume-cravate, et il portait une paire de souliers italiens pour parfaire le tout. Avec ses cheveux blond foncé qui commençaient juste à grisonner aux tempes, Connor ressemblait aux milliers de cadres prospères et brillants qui arpentaient les trottoirs de Manhattan chaque jour. Gabe savait qu’il s’agissait là d’un masque, et que derrière cette façade, Connor était impitoyable. Il avait toujours été bien trop sérieux, mais son caractère sobre et concentré avait viré au sombre pendant les dernières années. Parfois, Gabe se demandait si le jeune homme qui lui avait appris à jouer à la crosse avait été complètement balayé par l’espion. — Les rumeurs ont toujours un fond de vrai, ricana Gabe. En l’occurrence, le fond de vrai serait que Mad avait en effet passé du temps avec cette femme. Or, Gabe ne connaissait à son ami qu’une seule façon de passer du temps avec une femme : entre ses cuisses. Pendant que Sara pleurait et souffrait de ses nausées matinales, Mad était passé au lit suivant. Connor acquiesça. — Qui est-ce ? Gabe voulait savoir, afin de préparer ses indemnités de licenciement. La seule bonne chose qui ressortirait de cette situation, ce serait le plaisir de virer cette femme pour qui Mad avait quitté sa sœur. Connor plissa les paupières. — Pourquoi tu me poses cette question ? — Parce que je vais lui signifier son départ. Je ne peux pas la garder ici. Connor comprendrait forcément. — Et pendant qu’on y est, reprit-il, je souhaite embaucher un détective pour fouiller le passé de cette femme et découvrir toutes les casseroles qu’elle doit traîner. — Dans ce cas, je ne te donnerai pas son nom. Même s’il ne s’agit pas seulement d’une rumeur, tu ne connais en rien la situation de cette fille. Si ça se trouve, elle n’était pas au courant de la relation entre Sara et Mad. Tu sais combien il pouvait se montrer persuasif quand il voulait quelque chose… lui rappela Connor avec un coup d’œil cynique. On peut lui accorder au moins une chose, à ce
salopard : il a tenu Sara à l’écart de la presse, contrairement à cette jolie rousse que tu as mise dans ton lit ce week-end. Gabe avait vu les photos. Le vent rabattait les cheveux d’Eve sur son visage, cachant presque tout à l’exception de ses grands yeux noisette et de son menton. La culpabilité lui vrilla le ventre. Il aurait dû lui conseiller de sortir par l’arrière. Bon Dieu, il aurait dû la raccompagner chez elle, oui ! Il aurait dû la protéger. Eve ne comprenait pas le monde dans lequel il évoluait. Il ne l’avait pas encore appelée, et pour deux raisons : primo, il ne savait pas trop quoi lui dire, et secundo, il n’était pas sûr d’avoir grand-chose à lui offrir actuellement, hormis un gros paquet de problèmes. Alors il s’était retenu de composer son numéro à peu près cent fois. Elle avait déjà été punie de son week-end avec lui, il n’osait même pas imaginer ce que la presse écrirait sur elle s’ils se mettaient vraiment à se fréquenter. — Ils la laisseront tranquille si je m’éloigne d’elle. Je vais sortir dîner avec un top-modèle ce soir, et ce sera fini. Il conservait des accointances avec une poignée de femmes qui gagnaient leur vie devant les caméras. Des relations légères, des rendez-vous mutuellement bénéfiques. Les femmes en question étaient assurées d’être photographiées au bras du meilleur parti de Manhattan, et lui de passer une nuit sans lendemain dans leur lit. Sauf que ce soir, il ne coucherait pas avec son rendez-vous. Impossible. C’était Eve qu’il désirait. — Bonne idée. Je vais demander à ton assistante d’appeler Ashton, histoire de trouver un rencard à Roman aussi. Si on vous voit tous les deux en compagnie d’une paire de mannequins, la presse oubliera probablement Eve, fit Connor en se calant nonchalamment contre son dossier. Tu veux que je recherche son nom de famille ? À ce que j’en sais, les journalistes peinent encore à le dégoter, mais je suis sûr que j’y parviendrais. Gabe n’avait aucun doute sur les capacités de Connor à découvrir à peu près tout sur Eve, depuis son nom jusqu’à ce qu’elle mangeait pour le petit déjeuner. Mais ça ne changerait rien à ses problèmes. — Pas pour l’instant. Peut-être, si les choses se tassent, d’ici une semaine ou deux… Il grimaça, plein de regrets. — Oh, et puis même, poursuivit-il. Elle est sans doute mieux sans moi. Il devait se concentrer sur le sac de nœuds dont il avait hérité, et pas sur sa vie amoureuse. — Dis-moi plutôt le nom de la maîtresse de Mad. — « Maîtresse », c’est gentiment dit. Je m’attendais à ce que tu la traites de pute. Il y avait en effet songé. — Dis-moi. De toute façon, je le découvrirai. Et je suis sérieux, pour le détective. Je dois déterrer les moindres saletés que je pourrai utiliser contre elle. On ignore qui elle est ou de quoi elle est capable. Mieux vaut être préparé si elle tente de s’en prendre à la fortune de Mad ou qu’elle décide d’utiliser la presse pour se faire un nom. Je ne veux pas que Sara ait à lire les éventuelles interviews que donnera cette fille. — Bien. J’ai surtout parlé avec le personnel du bas de l’échelle, des abeilles ouvrières – ce sont les plus susceptibles de répondre franchement. Je n’ai même pas essayé de contacter les cadres, ils sont trop préoccupés par la pérennité de leur poste pour discuter d’autre chose. Sache au passage qu’on a réussi à garder cachée la nouvelle concernant le testament de Mad. Si tu agis vite, tu seras le premier à annoncer aux employés que tu es leur nouveau P-DG. — Je suis arrivé ici en toute discrétion à 5 heures du matin. Je ne voulais pas qu’on me pose de questions.
Gabe était déjà fatigué. Il n’allait pas avouer à Connor que s’il était venu si tôt, c’était parce qu’il ne parvenait pas à dormir ni à réfléchir. Il voulait Eve et ne pouvait l’avoir. — Bonne idée. — Je vais rencontrer les quatre vice-présidents avant le déjeuner. À la minute où l’entretien sera terminé, je publierai une annonce dans toute l’entreprise, histoire qu’ils n’aient pas le temps de se perdre en ragots. Gabe lança un regard impatient en direction de Connor. — Maintenant balance. Qui était la dernière maîtresse de Mad ? — Voyons, Gabe, tu ne peux pas virer cette femme. Tu n’as pas besoin d’une plainte en justice, or si tu la renvoies sur des rumeurs, c’est ce que tu récolteras. À en croire les discussions autour de la machine à café, Mad a couché avec au moins une de ses vice-présidentes, plusieurs directrices de service et une bonne partie du personnel de secrétariat. Tu sais comment il était. Il ne faisait pas de discrimination, en matière de sexe. Ses pulsions sexuelles étaient très égalitaires. — Je me fous complètement de savoir avec qui il couchait avant Sara, expliqua Gabe. Je veux savoir pour qui il l’a plaquée. Et je ne ferai rien de stupide. Connor secoua la tête et lâcha un grognement frustré. — Mais bien sûr que si. Quoi que je fasse, de toute façon, tu finiras par apprendre son nom. D’après les rumeurs, il passait beaucoup de temps en compagnie de sa vice-présidente chargée de la sécurisation de l’information. Everly Parker. Je n’ai pas eu le temps de la rencontrer, mais j’ai passé son dossier en revue. Elle a été embauchée il y a environ un an et promue à la tête du service six mois plus tard. Au cours des trois mois écoulés, elle a été vue avec Mad après les heures de bureau et en dehors de l’immeuble. Une personne m’a même appris que Mad passait du temps chez elle. Pas mal de temps. Mad baisait avec sa chef de la cyber-sécurité ? Sympa. — Quel âge elle a ? Connor désigna un classeur sur le bureau. — Vingt-sept ans. — Alors elle est plus qualifiée pour être pin-up que vice-présidente en charge de la sécurité. Gabe contenait sa colère à grand-peine. — C’est ridiculement jeune, je te l’accorde. Mais jette un œil à ses états de service. J’ai trouvé sa photo sur son badge. Elle porte des lunettes et ses cheveux sont attachés en une sorte de chignon. Pas le style habituel de Mad. Je pense que tu devrais y aller mollo avec elle jusqu’à ce que tu saches ce qui s’est exactement passé. Elle est brillante, en fait. Son QI frôle le génie, et elle a mis en place des idées très novatrices. Je la soupçonne d’être tout à fait à la hauteur de sa tâche. Gabe saisit le dossier et le jeta à la poubelle. Aucune donnée chiffrée, aucune photo sage avec un look d’institutrice ne le ferait changer d’avis. — Je m’en fiche. La nouvelle équipe de direction va devoir changer d’optique, et je suis sûr de pouvoir trouver quelqu’un de plus qualifié pour le poste de cette Mlle Parker. Je lui verserai des indemnités correctes en espérant que la porte ne se refermera pas sur ses fesses quand elle partira. Mais je ne veux pas d’elle ici. Au bout du compte, je céderai l’ensemble de l’entreprise à Sara. La dernière chose dont elle ait besoin, c’est de devoir gérer les ex de Mad. — Si c’est ce que tu penses, tu vas devoir virer pas mal d’employées féminines. Tu vas aussi te débarrasser de Tavia Gordon, la gourou des relations publiques ? Elle et Mad ont eu une liaison quelques années en arrière. Tu vas te retrouver avec un tas de mauvais articles dans la presse, si tu renvoies la directrice d’une association caritative qui œuvre à l’éducation des femmes et des jeunes
filles pauvres dans les pays sous-développés, au simple prétexte que tu as décrété que c’était une pute. Gabe grimaça. — Arrête de prononcer ce mot. Je ne l’ai pas utilisé. — Mais tu le sous-entends à travers les actes que tu prévois. Connor roula des épaules et reprit sur un ton moins tendu : — Sois raisonnable. Tu sais pertinemment qu’il n’est pas juste de juger Everly Parker avant de l’avoir rencontrée. Je comprends que tu sois en rogne, et Mad n’est plus là pour assumer les conséquences de ses conneries. Mais ne la punis pas, elle. — Qu’est-ce que tu en as à faire, de cette fille ? Connor se leva. — Rien. Je dis ça pour toi. — Histoire de m’éviter une mauvaise presse et des poursuites en justice ? Flash info : j’ai déjà eu à subir les deux, et je suis encore debout. — Qu’est-ce que tu feras quand ta conscience te hantera, Gabe ? Si tu la vires sans raisons valables, étant donné le climat actuel en matière d’emploi, elle risque d’avoir du mal à retrouver ce genre de poste – voire un autre équivalent – dans cette ville. Et dans deux ans, tu n’en voudras plus à personne que Mad ait quitté Sara. Tu comprendras qu’il faisait ses propres choix. Alors tu rechercheras Mlle Parker. Si elle s’en est mal tirée, tu te le reprocheras. Et tu endosseras une autre culpabilité que je ne te souhaite pas. — Parce que tu portes aussi une culpabilité de ce genre ? Connor se retourna, une expression volontairement indéchiffrable sur le visage. — Je ne ressens plus rien, Gabe. Et je ne peux pas te dire le soulagement que c’est. Être de retour aux États-Unis et vous revoir, tous les quatre… c’est la seule émotion que j’aie éprouvée depuis des années. Franchement, ça me met mal à l’aise, mais je vous dois beaucoup, à Dax, Roman, Zack et toi. Vous êtes les seules vraies attaches qu’il me reste. — Si tu étais à ma place, tu ferais quoi avec elle ? — Rien. Je ne me soucierais pas assez d’elle pour entreprendre quoi que ce soit. Mais bon, je n’ai pas de sœur. — Et si quelqu’un faisait du mal à l’un de nous ? Les pupilles de Connor s’assombrirent. — Mieux vaut que tu ne saches pas. Mais si tu veux un conseil sur Everly Parker, prends un peu de recul avant de décider quoi que ce soit, et agis ensuite avec précaution. Tu as peut-être raison, pour ce qui est du détective privé. Ça nous fournirait des armes, au cas où elle déciderait que Mad lui doive quelque chose. Je vais mettre une équipe sur l’affaire, et on déterrera tous ses cadavres. Mais garde ton calme. Impossible. Connor avait sans doute raison, pourtant Gabe ne se sentait pas capable de lâcher prise. Alors il préféra ne rien répondre. — Je vais trouver Dax et du café, annonça Connor en désignant la porte. Ensuite on continuera les entretiens. Roman est toujours à l’hôtel. Le chef de cabinet de la Maison-Blanche avait souhaité loger dans un lieu plus neutre que l’appartement de l’un d’eux, afin de réduire au minimum les attroupements de journalistes devant leur immeuble. — Merci. À tout à l’heure. — Je vais aussi continuer à enquêter sur ton blogueur favori. Il répand des affabulations de folie sur l’accident de Mad, qu’il taxe de « détails ». Peu m’importaient ses commentaires sur la taille du
zob de Zack, mais s’il ne la ferme pas au sujet de la mort de Mad, je me verrai dans l’obligation de mettre un terme à ses conneries, soupira Connor. Réfléchis à ce que je t’ai dit. Ce qu’il fit. Pendant vingt bonnes minutes après le départ de Connor, il soupesa les arguments de son ami. Et les envoya tous balader. Pas question d’exposer Sara à la femme qui avait pris sa place. Sa sœur était trop fragile, en ce moment. Quand l’heure serait venue, il aurait une longue conversation avec Tavia Gordon et toutes celles qui avaient précédé Sara. Il leur expliquerait très clairement qu’elles n’étaient nullement autorisées à évoquer leur relation avec Mad en présence de sa sœur. Everly Parker, en revanche, devait partir. Elle nourrirait sans doute de l’amertume d’avoir été relevée de ses fonctions sans sommation. Ça n’était pas son problème. Il ne lui offrirait pas l’occasion de nuire encore une fois à Sara. Il appuya sur le bouton du haut-parleur qui le reliait à l’élégante assistante dont le bureau jouxtait le sien. Hilary. La cinquantaine, elle avait été le bras droit du père de Mad pendant des années. Cette femme savait où étaient enterrés les cadavres de l’entreprise, et constituerait sans aucun doute un atout majeur pendant cette période transitoire. Mieux encore, Mad n’avait pas couché avec elle. — Hilary, avez-vous organisé les rendez-vous comme je vous l’avais demandé ? — Bien sûr, monsieur. — Déplacez donc celui avec Everly Parker, s’il vous plaît. Il l’entendit tourner des pages. — Bien. À quelle heure souhaitez-vous que je la reporte ? — Tout de suite. Il était 9 h 05. Si elle n’était pas arrivée, ça lui donnerait un motif supplémentaire de renvoi. — Je vais voir si je parviens à la joindre, promit l’assistante, avant de couper la connexion. Gabe se mit à arpenter la pièce, sans prêter grande attention à la magnifique vue sur les gratte-ciel de la ville. Il avait hâte de se débarrasser de ce sale boulot. Une fois Everly Parker congédiée, il pourrait se concentrer sur la reprise en main de Crawford Industries et s’assurer que l’entreprise fonctionnait de manière efficace en attendant que Sara reprenne les rênes. Quand les nausées et le chagrin de sa sœur seraient apaisés, elle serait en mesure de gérer l’affaire. Elle avait passé un MBA et occupait un poste de cadre chez Bond depuis l’obtention de son diplôme. Tout ce dont elle avait besoin, c’était d’un peu de temps pour se remettre du choc. Or, s’il se débarrassait de la femme qui avait pris sa place dans la vie de Mad, la transition n’en serait que facilitée. Sara était de taille à relever le défi, et cette entreprise constituerait l’héritage de son enfant. Mais il fallait agir vite, car Bond Aéronautique ne tournerait pas longtemps en pilotage automatique. Et puis, quand les choses se seraient enfin apaisées, peut-être pourrait-il composer le numéro d’Eve. Rien que d’y penser, ses doigts tremblaient d’impatience. Il brûlait de l’appeler sans tarder, de tout lui expliquer et de lui demander d’attendre un peu. Il aurait voulu s’excuser pour les journalistes, aussi. De son côté, il s’était acheté une tranquillité, mais il aurait dû se douter qu’elle serait pourchassée par ces vautours à sa sortie de l’hôtel et faire en sorte que ça n’arrive pas. L’idée qu’elle soit à leur merci – effarée, seule et perdue – lui vrillait le ventre. Une voix étouffée lui parvint, qui interrompit le cours de ses pensées. — Bonjour, Hilary. Je ne suis pas en retard ? J’ignorais que j’avais rendez-vous ce matin. — Ne soyez pas timide, c’est lui qui a demandé à vous voir, répondit gentiment Hilary en poussant la porte pour la laisser entrer. Monsieur Bond, voici Everly Parker. Everly, je vous présente le nouveau P-DG, Gabriel Bond. Levant les yeux, il aperçut derrière Hilary un halo roux et des courbes familières. Elle écarquilla
les yeux. Il ouvrit la bouche. Eh bien, il n’aurait plus besoin de s’excuser auprès d’Eve et il n’aurait pas non plus besoin de son numéro de téléphone, finalement. Non, parce qu’elle se tenait dans l’encadrement de la porte, ses grands yeux qu’il n’avait pas oubliés rivés sur lui. L’innocence même. En apparence, manifestement. Car tout ça n’était qu’un rôle. Un mensonge. Et la colère commença à gronder. Eve, la femme qu’il croyait avoir accostée par hasard le soir des funérailles de Mad, se trouvait être Everly Parker. Quel pourcentage de chances existait-il pour que leur rencontre ait été une pure coïncidence ? Le chiffre ne parlait certainement pas en faveur d’Eve. Non, il était plus plausible qu’elle ait été la maîtresse de Mad, au courant que son patron, faute de famille, avait l’intention de tout léguer à son meilleur ami. De toute évidence, elle avait tant souffert de la mort de sa poule aux œufs d’or qu’elle s’était aussitôt mise en quête d’une autre. Gabe serra les dents. À partir de là, elle n’avait plus eu qu’à écarter les jambes et à le séduire. Bon sang, et dire qu’il l’y avait lui-même invitée ! Ça avait fonctionné, et il lui en voulait à mort pour ça. Car il l’avait dans la peau. — Gabriel ? Elle semblait complètement sous le choc. S’attendait-elle vraiment à ce qu’il gobe qu’elle n’avait pas la moindre idée de l’identité des amis de Mad ? Il croisa les bras en se maudissant. Il s’était fait avoir par une jolie arriviste qui croyait pouvoir préserver son job de rêve en entrant dans le lit du nouveau patron. Peut-être avait-elle cru continuer avec lui le marché nauséabond qu’elle avait obtenu de Mad. Au moins à présent, il ne risquait pas d’éprouver la culpabilité que Connor lui avait prédite pour plus tard. Oh non, il allait s’amuser, au contraire. — Mademoiselle Parker, je vous en prie, entrez. Asseyez-vous. Je pense que nous avons deuxtrois détails à discuter, n’est-ce pas ? Comment se pouvait-il que son aventure du week-end se trouve être son nouveau patron ? Everly ferma les yeux et se renferma en elle-même. Elle était à peu près sûre que le petit chaperon rouge du conte, quand elle est invitée dans la maisonnette de sa grand-mère ce fameux jour au fond des bois, ressentait exactement ce qu’elle ressentait en ce moment. Dieu que son grand méchant loup à elle avait de longues dents. Gabriel Bond ne la regardait plus du tout comme il l’avait regardée pendant leurs quelques jours ensemble. En fait, le regard froid et prédateur qu’il posait sur elle en cet instant lui donnait envie de repartir en courant. Heureusement, elle était trop fière pour ça. Alors elle se résolut à entrer, oubliant son cœur qui lui tonnait dans la poitrine, et alla occuper le fauteuil de cuir face au bureau, très imposant et très masculin. Pourquoi Gabriel l’observait-il avec un tel mépris, presque avec dégoût ? Elle espérait se faire des idées, mais… ça ne semblait pas être le cas. Était-il réellement aussi furieux de découvrir que son aventure du week-end revenait le hanter ? — En effet, répondit-elle en priant pour paraître plus calme qu’elle ne l’était en réalité. Il y a quelques sujets que nous aurions sans doute dû aborder plus tôt. Elle avait espéré revoir Gabriel, ça oui, mais pas en tant que remplaçant de Maddox et accessoirement comme nouveau patron. Voilà qui était très gênant. Pourtant, il semblait moins mal à l’aise qu’en colère. La peur serra le ventre d’Everly.
— Merci, Hilary, ce sera tout, fit-il avec un hochement de tête à l’intention de son assistante, qui sortit et referma la porte derrière elle. Elle serait au téléphone avec Jennifer dans moins d’une seconde, Everly en aurait mis sa main au feu. Malgré son âge un peu plus élevé que la moyenne des assistantes, c’était Hilary qui informait Maddox de tous les potins de la machine à café. — « Eve » ? Un sourcil se haussa au-dessus de ses yeux bleus, contenant à lui seul un monde d’accusations. Everly n’essaya même pas de faire semblant de ne pas comprendre. À présent qu’elle était là, elle allait gérer la situation avec autant de professionnalisme que possible. — C’est ainsi que m’appellent mon père et mes amis proches. J’ai probablement été bête de te donner ce prénom – la plupart des gens m’appellent plutôt Everly. Mais j’ai remarqué que tes amis t’appelaient Gabe et non Gabriel, or tu m’as donné ce prénom-là. — J’utilise les deux sans discernement, et j’aurais été ravi de t’apprendre que mes amis m’appellent Gabe. D’ailleurs, tu aurais pu le deviner toi-même, merde ! Mais moi, comment j’étais censé remonter jusqu’à Everly à partir d’Eve ? Il marquait un point, et elle ne se montrait pas tout à fait honnête, pour le coup. — Désolée. La vérité, c’est que ce soir-là, j’avais envie d’être une autre. Notre rencontre, ça tenait plus du fantasme que de la terrible réalité dans laquelle je me trouvais. Après la première nuit, c’était plus simple de continuer avec Eve. — Intéressant, lâcha-t-il d’un ton traînant qui trahissait le contraire. Et je suppose que ta « terrible réalité », c’étaient les funérailles ? Ah, peut-être la comprenait-il un peu, alors ? — Oui. Ça avait été une rude semaine. La perte d’un patron, d’un mentor… d’un ami. Sur le coup, je n’avais pas la moindre idée que tu étais son ami aussi. Tu n’as pas fait allusion à lui durant tout le week-end. Il haussa l’une de ses larges épaules. — Exact. Mais moi, je ne t’ai pas menti sur mon prénom. Everly tâcha de ne pas grimacer. Il devait subir un énorme stress, entre le décès de son meilleur ami et cette nouvelle charge à la tête de l’entreprise de Maddox. Peut-être en d’autres circonstances se serait-il montré plus tempéré. Mais bon, elle le connaissait à peine, au fond, alors qu’en savait-elle ? Pour s’occuper les mains, elle lissa sa jupe tout en essayant de rassembler ses idées. — Je n’ai pas menti. Certaines personnes m’appellent réellement Eve. Mon vrai prénom est quelque peu original, et ce soir-là, j’avais envie d’anonymat. J’étais un peu déstabilisée. — Je vois. Dans ce cas, tu n’as pas dû non plus me donner ton vrai numéro. Car si tu étais déstabilisée, j’en déduis que tu m’as transmis un faux numéro pour aller avec le faux nom. Et tout en parlant, il tapota sur l’écran de son téléphone. Celui d’Everly se mit à sonner et elle sentit une chaleur lui envahir les joues. Il coupa l’appel. — Tu n’avais pas si peur que ça, on dirait. Tu avais vraiment envie que je te rappelle. — J’étais anxieuse quand on s’est rencontrés au début et qu’on a quitté le bar ensemble, vendredi soir. Le lundi matin, j’en savais un peu plus sur toi. Apparemment, je me trompais. Je ne te connaissais pas tout à fait. Ou pour être plus exacte, je ne savais rien de toi. Sous l’effet de la tension, elle restait raide sur son siège, les épaules rejetées en arrière. — Tu n’avais aucune idée de mon identité ? Si le ton semblait peu convaincu, son expression était encore plus sceptique.
— Aucune. Tu étais un homme attirant dans un bar, qui m’a offert un verre de vin et a flirté avec moi. J’étais intéressée. On a couché ensemble. Elle avait expliqué ses motivations, elle n’allait pas se justifier éternellement. — Et toi, tu projetais vraiment de m’appeler ? l’interrogea-t-elle. Il la considéra quelques secondes avant de se caler contre le dossier de son siège. — Non. C’était de la pure politesse. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des aventures d’un week-end ne rappellent pas, tu devrais le savoir à ton âge. La colère de Gabriel la frappa de plein fouet, et pourtant elle refusait de pleurer. Non, elle resterait calme. Pas question de lui montrer la douleur que lui infligeaient ses paroles. — Dans ce cas, quelle importance que tu aies su mon vrai nom ou pas, Gabe ? — J’ai repassé la soirée de vendredi dans ma tête et suis arrivé à quelques conclusions. Sa voix monocorde ne contenait plus rien des notes sensuelles et affectueuses de leur week-end ensemble. — Peut-être que tu souhaitais en effet passer une nuit sans lendemain avec un inconnu, et c’est pourquoi tu m’as caché la vérité. Ou bien tu pensais que je reconnaîtrais ton nom, le vrai, et refuserais de coucher avec une de mes employées. Voilà qui était injuste. — Une employée ? OK, tu es notre nouveau P-DG, j’en prends note. Sauf que ça n’a pas encore été annoncé, alors comment aurais-je pu deviner vendredi dernier que tu serais bientôt mon patron ? Je n’en avais pas la moindre idée avant de pénétrer dans ce bureau, il y a deux minutes. — Je ne vais pas perdre du temps à ce petit jeu avec toi, Eve. Enfin, Everly. Pardonne-moi, mais j’ai tendance à t’associer à ton nom d’accroche. — Tu es sérieux, là ? Comment osait-il la traiter de la sorte ? Seule son indignation l’empêchait de quitter la pièce surle-champ. — Tu ne sais rien de moi et tu m’accuses de je ne sais quel acte de séduction préméditée ? Il lui jeta un regard sans expression, mais son absence de dénégation revenait à acquiescer. La fureur d’Everly monta d’un cran supplémentaire. — Je me suis renseignée sur vous hier, monsieur Bond, lança-t-elle, repassant naturellement à un vouvoiement de circonstance. Et faites-moi confiance, je suis loin de posséder votre expérience. Mais il est vrai que les hommes comme vous peuvent s’autoriser toutes les « sexcapades » qui leur chantent. Les femmes comme moi, en revanche… Je m’autorise une seule aventure de toute ma vie, et voilà qu’on me traite de putain. — Décidément, tout le monde cherche à me mettre ce mot-là dans la bouche, aujourd’hui. Je ne t’ai pas traitée de putain, mais je trouve intéressant que tu t’engages sur ce chemin de toi-même. Une prostituée est une femme qui accepte de l’argent en échange de ses services. Or je ne t’ai pas payée. Attendais-tu quelque chose de ma part aujourd’hui, dans le genre du contrat que tu avais conclu avec ton précédent amant ? (Il secoua la tête.) Car si c’était le cas, tu es bien piètre négociatrice, vu que tu t’es déjà offerte. Elle n’avait pas la moindre idée de ce à quoi il faisait allusion, mais elle s’en fichait complètement. Ce week-end, elle avait eu envie de lui et cru qu’il tenait un minimum à elle. En cet instant, cela dit, elle aurait préféré se couper la langue plutôt que de l’admettre. — Pourquoi souhaitiez-vous me voir ce matin ? Parce qu’apparemment, vous ignoriez qui j’étais avant que j’entre dans ce bureau. — Contrairement à toi qui, de ton propre aveu, avais fait tes recherches sur moi.
Il déformait ses paroles. Mieux valait ne pas avouer qu’elle avait été curieuse de lui, il finirait par utiliser cette information contre elle, aucun doute là-dessus. — Après notre nuit ensemble. Après avoir été assaillie par les reporters à ma sortie de l’hôtel et que tous mes collègues ici ont vu les nouvelles. — Je m’en suis un peu voulu à ce sujet. À présent je me demande si ce n’est pas justement toi qui les avais appelés. — Pourquoi diable irais-je appeler la presse ? Pour qu’ils impriment noir sur blanc mon humiliation ? Tu penses vraiment qu’en tant qu’employée de Crawford Industries, j’ai envie de passer pour la nouvelle proie du « mauvais garçon de Wall Street » et accessoirement nouveau boss de l’entreprise ? J’ai eu la naïveté de croire que les quelques jours que nous avons passés ensemble avaient été spéciaux, mais de toute évidence, je me suis laissé berner par ton baratin habituel. Une parmi des milliers… Elle se cala contre son dossier, essayant de ne pas trop s’en vouloir de sa crédulité. Gabe se leva d’un bond, repoussant son fauteuil. La puissance incroyable qui émanait de lui sembla emplir toute la pièce. — Je ne dirais certainement pas des milliers, corrigea-t-il. Les tabloïdes exagèrent. Je suis quasi certain de n’avoir baisé que quelques centaines de femmes pour l’instant, même si je n’en jurerais pas. On perd le compte, au bout d’un moment. Mais revenons-en au cœur du problème : qu’espérais-tu retirer de ton petit plan, au juste ? Il arpentait la pièce tel un prédateur approchant sa proie. Everly se sentait encerclée, surveillée. Pourtant elle gardait le menton bien haut, refusant de passer pour une victime. — Quel plan ? Tout ce que j’espérais de ce rendez-vous, c’était d’apprendre ce que le nouveau PDG attendait de moi. Il s’immobilisa pile devant elle, si proche qu’elle dut se lever. Si elle était restée assise, il l’aurait surplombée de toute sa hauteur et aurait pris l’avantage psychologique en l’obligeant à lever les yeux vers lui. Pas question. Certes, elle lui arrivait tout juste au niveau du torse, mais elle tint bon quand même. Une tension intense crépitait dans l’air, qui rendait sa respiration difficile. Quant à lui, il baissait sur elle un regard amusé. — Vous souhaitez connaître vos nouvelles attributions, mademoiselle Parker ? — Je veux savoir si tu projettes de me renvoyer ou pas. Car si c’est le cas, je t’informe que j’ai l’intention de t’attaquer en justice. Sous la surface, son ressentiment bouillonnait, ulcérée qu’il ait relégué la beauté de ce qu’elle croyait avoir partagé avec lui au rang d’une ignoble transaction marchande. Sa colère menaçait d’exploser. Ils auraient pu gérer ça en adultes, ça n’aurait pas été bien difficile. Et voilà qu’il se comportait comme si elle avait commis un crime capital. Sa bouche s’étira en un sourire sournois. — Oh, tu envisages de me poursuivre en justice ? Voilà qui pourrait être intéressant. Eh bien, je ne t’ai pas encore renvoyée. Tu sais comment c’est, avec les changements de direction, on a besoin de temps pour s’installer et découvrir par soi-même les talents de chacun. Quels sont les tiens, Everly ? Elle avait les sangs qui bouillonnaient. De colère, bien sûr. Car se trouver si proche de lui qu’elle sentait la chaleur émanant de son corps ne pouvait la mettre en émoi. Pas après la façon dont il l’avait traitée. Impossible. — Je suis l’une des meilleures expertes en sécurité informatique de mon domaine. C’est pour cela que Maddox m’avait embauchée.
— Oui, je veux bien croire que tu aies mis en avant tes capacités de geek. C’était malin. Inhabituel. Et je dois admettre que j’ai moi-même été intrigué par cet aspect de ta personnalité. Cependant, je connais quelques bricoles dans le domaine des affaires, et tu ne corresponds pas à l’idée que l’on se fait d’un manager. Je me demandais pourquoi mon si cher ami Mad avait engagé une personne aussi jeune. — Parce que je suis très douée dans ce que je fais. — La sécurité informatique, dit-il platement, plus dubitatif que jamais. Mais Everly était bien décidée à ne pas se laisser abattre sans résistance, et peu lui importait qui il était. Elle s’était presque résignée à l’idée d’être renvoyée, sauf que maintenant elle allait se battre comme une diablesse. Pas question d’être démise et escortée hors de ce bâtiment la tête basse. — C’est ça. J’ai joué un rôle de taille pour faire entrer cette entreprise dans le XXIe siècle. Les anciens pare-feu en service étaient si mauvais que même un collégien aurait pu les pirater. Je vois bien ce que vous sous-entendez, monsieur Bond, mais j’ai été embauchée pour mes qualités professionnelles. Alors vous avez à présent deux options pour gérer ma situation : vous pouvez vous rasseoir dans ce fauteuil dont vous avez hérité – comme tout ce que vous possédez – et nous passons en revue mes attributions dans l’entreprise, ou bien vous pouvez rester penché sur moi comme un misogyne qui profite de sa supériorité pour intimider ses proies. À votre guise. Elle vit ses pupilles s’enflammer. Et il fit un pas de plus vers elle. — Il y a une troisième option. — Et laquelle, je vous prie ? Il pouvait bien envahir son espace personnel tant qu’il voulait, elle ne reculerait pas. Pas question de lui laisser voir à quel point sa présence perturbait sa concentration ni qu’elle n’avait pensé qu’à lui depuis son départ du Plaza. — Je peux faire ça. Il lui prit le visage entre ses deux mains et plaqua sa bouche sur la sienne avant qu’elle ait le temps de l’en empêcher. D’un coup de langue, Gabriel lui rappela tout le plaisir qu’il avait à offrir à une femme. Une onde de désir brûlant la traversa. Bien sûr, elle aurait dû le repousser. Elle leva les mains dans ce but précis d’ailleurs, mais au lieu de l’écarter, elle agrippa les pans de sa veste de costume et l’attira plus près d’elle. Ce baiser ne contenait pas la moindre trace de la tendresse de l’amant qu’elle avait connu ce week-end. Il prit possession de ses lèvres, l’obligea à les ouvrir plus grand et plongea dans sa bouche. Tout en enfonçant les doigts dans ses cheveux pour dicter l’angle et la profondeur de sa pénétration. Son corps l’envahit, la domina. Il se colla contre elle afin de lui montrer ce que son costume policé cachait de sa nature primale. — Eve, je sais que je ne devrais pas faire ça, mais je ne peux pas m’arrêter, avoua-t-il, glissant les mains le long de son dos jusqu’aux globes de ses fesses, qu’il empoigna. C’est mal, et je suis incapable de m’en empêcher, nom de Dieu. Elle n’y arrivait pas non plus. Gabriel savait intuitivement comment rendre son corps accro à ses caresses. Il serra le tissu de sa jupe dans un poing et la releva tout en fourrant le visage dans le creux de son cou, les lèvres sur sa gorge. La chaleur de sa paume lui remonta le long de la jambe. Quelque part dans un coin de sa tête, une voix quasi inaudible l’avertit que la situation lui échappait. Pourtant, avec Gabriel si proche, avec ses mains qui la caressaient, tout semblait parfait, au contraire. — Demande-moi d’arrêter, souffla-t-il contre ses lèvres avant de les capturer de nouveau.
Il aurait été plus avisé de lui résister, en effet. Plus sensé. Cependant, le corps d’Everly refusait tout acte sensé. Gabriel l’avait habituée à ne recevoir que du plaisir de sa part, et la nuit dernière, elle n’avait eu qu’une envie : sentir sa peau contre la sienne. Elle avait rêvé du lien qui les avait unis alors qu’il s’enfonçait profondément en elle. Elle se noya dans son odeur pendant une éternité. — Je devrais, je le sais. Lui permettre de la toucher ainsi et maintenant n’était pas correct. Pendant les nuits qu’ils avaient partagées, ni l’un ni l’autre ne savait qu’ils seraient bientôt patron et employée. À présent, si. Crawford Industries n’avait rien contre la fraternisation entre employés. Il n’y avait donc aucune raison qu’ils ne se voient pas, sauf qu’il avait exprimé clairement son mépris pour elle. Il lui avait expliqué en termes crus comment il l’avait utilisée, tout en se débrouillant pour lui reprocher la même chose. Ces pensées donnèrent à Everly la force de le repousser. — Arrête, Gabriel. Je ne suis pas une poupée gonflable bien pratique. Il la dévisagea, une expression sauvage dans les yeux, sans toutefois la libérer de la cage de ses bras. — Pratique ? Il n’y a rien de pratique là-dedans, Eve… Everly. Merde. J’ai menti. J’allais t’appeler. J’allais t’appeler juste au moment où je me suis rendu compte que tu m’avais menti. J’ai failli composer ton numéro cent fois au cours de ces dernières vingt-quatre heures. Hier matin, je voulais te demander de venir chez moi parce que je me sentais bien avec toi. Je voulais oublier toutes les horreurs dont fourmille ma vie et me perdre en toi à nouveau. Elle savait que c’était une erreur, et pourtant ses paroles touchèrent une corde sensible. On n’enterrait pas son meilleur ami de plus de vingt ans sans chagrin. Et elle devait admettre que la voir franchir la porte de son bureau ce matin avait dû être un choc. Elle se radoucit. — Je n’ai pas essayé de te berner. — Ne parle pas. Je ne veux pas parler, bon sang. Et il écrasa de nouveau sa bouche contre la sienne. Il l’embrassa comme si sa vie en dépendait, et elle ne put se retenir de nouer les bras autour de lui. Voilà le Gabriel qu’elle connaissait. Passionné. Généreux. Séducteur. Elle s’ouvrit à lui et lui donna la même chose en retour. Avec un grognement, il lui souleva une cuisse et la replia sur sa jambe musculeuse. Elle se pressa contre son corps, renversant la tête en arrière tandis que des vrilles de plaisir commençaient à la transpercer. En temps normal, elle se montrait prudente, voire circonspecte, mais la proximité de cet homme faisait voler en éclats la moindre once de pondération et de logique qu’il lui restait. Elle ne voulait plus que ses caresses. Gabriel les rapprocha du bureau, pivota afin de l’asseoir sur le plateau. — Tu es si réactive. Tu as la moindre idée de l’effet que ça me fait ? Sa jupe retroussée sur les hanches, il n’eut aucun mal à glisser une main sous sa culotte de soie pour prendre son sexe en coupe. Elle s’appuya au bureau des deux mains et écarta les jambes un peu plus, complètement envoûtée. — C’est si bon quand tu me touches. Aucun autre homme ne lui avait fait cet effet. Il n’avait qu’à la regarder et elle sentait son corps se ramollir, se préparer à l’accueillir. À bout de souffle. Avec un grondement, il passa les doigts sous le tissu de sa culotte, juste à l’endroit où elle le voulait.
— Tu es déjà mouillée. Toute chaude et douce pour moi. C’est ça qui rendait Mad si fou de toi ? Ça me rend dingue de l’admettre, mais je comprends pourquoi il a tout plaqué pour t’avoir. Ses phrases la frappèrent comme un seau d’eau glacée en plein visage, la tirant brusquement de sa transe. Haletante, elle le repoussa sans ménagement, sauta sur ses pieds et baissa sa jupe de ses mains tremblantes. Il eut l’air médusé l’espace de quelques secondes, comme s’il essayait de comprendre ce qui se passait. — Eve, je ne… Merde, je ne voulais pas dire ça. Non, bien sûr, il aurait préféré garder ces considérations pour lui. Salaud. — Je m’appelle Everly. En fait, j’aimerais autant Mlle Parker, surtout si tu penses que j’ai couché avec Maddox. Et elle redressa la tête, emplie d’une colère bien justifiée. — Si tu souhaites que je parte, il va falloir me renvoyer. Je ne me laisserai pas intimider ou humilier au point de quitter un poste pour lequel je suis douée. Elle se sentait idiote de lui avoir offert l’occasion d’utiliser ainsi la façon dont elle réagissait à lui. Et dire qu’elle l’avait plaint. Ce sentiment lui avait presque fait oublier la piètre opinion qu’il avait d’elle, au point qu’elle avait failli le laisser la prendre là, sur son bureau. Il l’avait embrassée afin de voir jusqu’où elle lui permettrait d’aller. Histoire de prouver qu’elle était la putain du bureau ? Aucun doute qu’il ajouterait sa réaction spontanée à la longue liste de ses récriminations. Il lui tourna le dos et prit plusieurs longues inspirations. — Je ne vais pas vous renvoyer. Pas encore. Au contraire, je vais m’excuser, mademoiselle Parker, de mon attitude inconvenante. Dieu qu’il était froid. Sa maîtrise de lui la rendait folle de rage. — Tu veux dire pour m’avoir presque violée sur ton bureau ? Il fit volte-face et plissa les paupières. — Tu es sérieuse ? Zut. Ce n’était pas parce qu’il se comportait comme le dernier des salauds qu’elle devait jouer les mégères. Elle prit une inspiration saccadée. Il serait aisé de tout lui mettre sur le dos, mais ce serait injuste. — Non, désolée. J’étais partie prenante aussi. C’était une erreur. Manifestement, nous ne sommes ni toi ni moi la personne que l’autre imaginait. Mieux vaudrait faire comme si le week-end dernier n’avait jamais existé. Un rire amer émergea de la gorge de Gabriel. — Tu ne crois pas que j’adorerais oublier ? C’est exactement ce que je me répète depuis la seconde où Hilary t’a fait entrer dans ce bureau. Mais ça ne fonctionne pas. Tu sais à quoi je pense, à cette seconde précise, Everly ? Il prononça son nom lentement, comme pour mieux le goûter, en savourer l’arôme. Elle sentit son cœur s’emballer, son corps s’enflammer à nouveau pour lui. Pourtant elle secoua la tête. — Non. Mais Gabriel voyait clair dans sa tentative de déni. — Je pense que si j’avais fermé ma grande bouche, je serais tout au fond de toi, en ce moment même. Je t’aurais allongée sur ce bureau, écartée et offerte, et j’aurais enfoncé ma queue dans ta jolie petite chatte. Je n’aurais même pas pris le temps d’enlever mon pantalon, tellement j’ai envie de toi. Je me serais contenté de baisser ma braguette et de me frayer un passage jusqu’à cet endroit si doux, si mouillé dont je crève depuis qu’on s’est rencontrés. Je t’aurais baisée jusqu’à ce que tu hurles mon
nom. Et alors, seulement alors je t’aurais tout lâché. Chaque fois que je te regarde, je me rappelle comme tu es belle quand tu jouis pour moi. Dis-moi un peu comment je suis censé oublier ça, hein ? Ses paroles la secouèrent jusqu’au tréfonds de son être, car la sensation de son sexe en elle, leur plaisir partagé la hantaient, elle aussi. Elle ignorait quoi répondre ni comment éteindre ce feu. Tout ce qu’elle savait, c’était que ça continuerait en dépit de tout. C’est avec une note de regret dans la voix qu’elle s’exprima : — Gabriel… On ne peut pas. Il se passa une main sur le visage. — Tu as raison. Restons professionnels. Très bien. Il inspira profondément. — Alors assieds-toi. Il y a plusieurs détails qu’on doit régler. Enfin, ils allaient discuter de la situation entre personnes civilisées. Du moins l’espérait-elle. Elle s’apprêtait à s’installer quand la porte s’ouvrit. — Monsieur Bond, je suis désolée, annonça Hilary, avec un regard noir à l’intention des deux hommes en costume-cravate qui entraient. Ils ont insisté. Le plus grand des deux montra un insigne. — Gabriel Bond ? Gabriel serra les mâchoires et réajusta sa veste. — Oui. On peut faire ça ici ? La police venait dans son bureau, et il ne paraissait pas surpris le moins du monde. En fait, son attitude résignée révélait qu’il attendait cette visite. Everly fronça les sourcils. Le policier le plus petit sortit une paire de menottes. Elle se retint à grand-peine de lâcher un cri quand l’officier les tapota contre sa cuisse. — Vous pouvez nous suivre au poste de votre plein gré pour répondre à nos questions ou bien nous pouvons vous arrêter et vous inculper. La presse adorerait. Mais c’est à vous de choisir. Quoi qu’il en soit, je vous suggère de prendre la chose au sérieux. Vous êtes le suspect numéro un du meurtre de Maddox Crawford. — Du meurtre ?! Elle avait bien entendu ? Peut-être… peut-être que le SMS et l’e-mail qu’elle avait reçus ne provenaient pas d’un cinglé cherchant à semer la pagaille. Les implications de cette idée lui coupèrent le souffle. Malheureusement, elle n’avait aucun mal à imaginer des tas de gens qui auraient voulu la mort de Maddox, mais qu’est-ce qui pouvait pousser la police à penser que son meilleur ami était coupable de son assassinat ? Les preuves qu’elle avait reçues serviraient-elles à enfoncer Gabriel Bond ou à l’innocenter ? Et comment savoir ce qu’elle avait en sa possession ou quelle était la fiabilité de ces informations si elle ne suivait pas les instructions de l’inconnu, à savoir le rencontrer jeudi ? Gabriel lui offrit un sourire sans joie. — Tu affirmes que tu es douée dans ton travail. Eh bien, j’espère que tes compétences s’étendent à toutes les formes de sécurité. Everly hocha la tête. Son père était policier, elle avait été nourrie de ses connaissances. Elle n’était pas seulement un crack en informatique. — Tu as besoin d’un avocat. — Ça ne me ferait pas de mal, en effet. Trouve Daxton Spencer, il est quelque part dans le bâtiment à faire passer des entretiens à des employés. Ensuite déniche Roman Calder. Qu’ils me
rejoignent au poste. Puis il se tourna vers les policiers. — Messieurs, puis-je vous suivre dans ma voiture ? — Ne vous donnez pas ce mal, nous avons un véhicule qui vous attend. Nous ne voudrions pas courir le risque que vous vous perdiez en route. Nous savons que les gens riches comme vous ont parfois tendance à confondre leur jet privé avec le commissariat. — Faites-le au moins sortir par l’arrière. Everly avait la tête qui tournait. Toutefois, en tout premier lieu émergeait un fait : il était désormais à la tête de Crawford Industries, et vu que Mulford, le chef de la sécurité, était en vacances en Australie pour deux semaines, elle le remplaçait. Ce qui signifiait qu’elle devait protéger Gabriel. L’entreprise n’avait pas besoin d’un scandale de plus en ce moment. Elle ignorait s’il avait ou non tué Maddox, mais il restait innocent jusqu’à preuve du contraire. Le policier le plus grand lui adressa un sourire narquois. — Ne vous inquiétez pas, on a tout prévu. Gabriel jeta un coup d’œil dans sa direction alors qu’ils l’emmenaient. — Trouve Dax et Roman. Vite. Elle hocha la tête et regarda les policiers l’escorter hors du bureau et se diriger vers l’ascenseur. À la seconde où ils furent partis, sa tête explosa de mille questions. Bon Dieu, mais qu’est-ce qui se passait ? Avait-elle couché avec un tueur ?
7 — Où se trouve Gabriel Bond et est-il en état d’arrestation ? demanda Everly à la policière de garde, au bureau d’accueil du 19e district. Elle avait l’impression de répéter sa question pour la centième fois. Sitôt que Gabriel avait été exfiltré de son bureau, Everly était passée en mode gestion de crise. Malgré ses mains tremblantes, elle avait décroché le téléphone et demandé à Scott de trouver Dax Spencer, pendant qu’elle appelait Roman Calder grâce à un numéro spécial que possédait Hilary. Sans être certaine que cela fonctionnerait. La plupart des gens normaux n’avaient pas le numéro du chef de cabinet de la Maison-Blanche dans leur liste de contacts. Elle s’était attendue à être mise en relation avec plusieurs assistantes d’abord, mais l’homme avait répondu à la première sonnerie et promis d’être au poste de police aussitôt que possible. À sa voix neutre, elle avait compris qu’il n’était pas plus surpris que ça par son appel – ni par la raison dudit appel. Pourquoi ni lui ni Gabriel n’avaient paru étonnés que ce dernier ait été quasiment arrêté pour le meurtre de Maddox Crawford ? Everly s’adossa au mur le plus proche. Bon sang, mais que savait-elle de Gabriel Bond, hormis qu’il était riche et très doué au lit ? Après les nuits qu’ils avaient passées ensemble, elle aurait pourtant juré qu’il n’était pas violent dans l’âme. Cela dit, elle n’aurait pas non plus imaginé qu’il l’accuserait d’avoir été la maîtresse de Mad ou de l’avoir séduit dans un but peu avouable. Conclusion : non, clairement, elle ne savait rien de cet homme. Elle lâcha un soupir. Plus tard. Son travail devait passer en priorité. Gabriel avait besoin qu’elle agisse vite et bien. De même que Crawford Industries. — M’dame, comme je vous l’ai déjà expliqué, je ne suis pas autorisée à communiquer ce genre d’informations à quiconque à l’exception de son avocat. Êtes-vous son avocate ? Sans se démonter, la policière la dévisageait. Elle n’allait visiblement pas se mettre en quatre pour l’aider. Et vu qu’elle contrôlait la porte qui séparait l’entrée du reste du bâtiment, Everly était coincée. Mais elle ne comptait pas abandonner sans se battre. — Oui, oui, je suis son avocate. Si un mensonge lui permettait d’entrer, cela se tentait. La gardienne leva les yeux au ciel. — Non. Quand vous êtes arrivée, vous vous êtes présentée comme son employée. Retournez au bureau et envoyez son avocat. — Je suis… Les deux, faillit-elle répliquer. — C’est bon, fit un homme qui s’approchait du mur de verre servant de partition entre la zone
d’accueil et l’intérieur du commissariat. Il la contempla fixement, et Everly se demanda comment il avait pu pénétrer dans le sanctuaire du poste. — Et on dirait que l’avocat de M. Bond est arrivé. J’aimerais beaucoup que vous le laissiez entrer. Dans un chuintement, la porte derrière Everly s’ouvrit et un homme aux traits familiers entra d’un pas assuré, vêtu d’un costume de créateur qui devait valoir plusieurs milliers de dollars. Il portait un attaché-case de cuir, et au moment où il quitta la rue, une myriade de flashs explosèrent en même temps qu’un tonnerre de cris provenant de dehors. — Punaise, marmonna la policière en secouant la tête, avant de décrocher son téléphone. On va avoir besoin de monde pour contenir la foule à l’avant du bâtiment, et dis à Johnson et Klein que je vais leur botter les fesses. Ils ont eu la bêtise d’amener Bond publiquement ici, et maintenant, c’est à moi de gérer le problème. Ils me le paieront. L’homme au costume s’approcha d’Eve sans hésiter. — Je m’appelle… — Je connais votre nom, monsieur Calder. Roman esquissa un sourire sec. — Très bien. Je suis l’avocat de Gabriel Bond. La policière jeta sur Everly un regard appuyé. — Ça, je veux bien le croire. À la seconde où je me serai assurée que la presse ne nous envahira pas, je vous fais signer votre entrée, indiqua-t-elle, avant d’ajouter avec un soupir : Si seulement vous cessiez de vous entretuer, les richards. — Le meurtre n’est pas prouvé, précisa Roman Calder. — Ouais, si vous voulez. N’empêche qu’on est censé être un commissariat pépère, ici. Elle s’approcha des portes et en ouvrit une d’un geste vif. Les grondements assourdis de la foule au-dehors pénétrèrent à nouveau dans l’espace clos. — Reculez, les sangsues, reculez. Je ne plaisante pas. On bouge ses fesses des marches, sinon je fais usage de ma bombe lacrymogène. Je n’hésiterai pas, d’autant que je n’ai pas trop apprécié la façon dont vous avez parlé de mon homme, Tom Cruise. Oui, oui, c’est à vous que je cause. Sur quoi elle referma la porte, tout en continuant à leur adresser des grimaces à travers la paroi vitrée. — Bonjour, Je-l’ai-vue-en-premier. L’homme qui était apparu à travers les portes vitrées avança derrière Everly, un sourire aux lèvres, en la dévisageant du haut de son mètre quatre-vingt-quinze au bas mot. En plus d’être absolument superbe, il rappelait quelque chose à Everly. Il était vêtu très différemment de son élégant homologue, d’un tee-shirt noir qui mettait en valeur son torse dur, d’un léger coupe-vent et d’un jean qui moulait fort bien son corps manifestement musclé. Sa coupe en brosse, à la militaire, accentuait les angles de son visage masculin. — Je vous demande pardon ? Il lui tendit la main. — La vitesse à laquelle elles oublient ! Dax Spencer. On s’est rencontrés au bar, vendredi soir dernier. L’ami de Gabriel. Bien sûr. Oui, elle l’avait vu, sauf qu’elle n’avait d’yeux que pour Gabriel, ce soir-là. — Je suis contente que Scott vous ait trouvé. — Dax, tu t’es occupé du véhicule comme je te l’ai demandé ? s’enquit Roman.
L’intéressé hocha la tête. — Un très joli petit bolide. Ça fait une paie que je n’avais pas eu l’occasion d’emmener l’une de ces beautés en promenade. Elle sera prête sitôt que l’interrogatoire sera terminé. Roman plissa les paupières en direction d’Everly. — Je croyais que le vice-président du service de sécurité de Crawford avait fait contacter Dax. Son expression se figea, avant de prendre un air taquin. — Oh, je vous en prie, dites-moi que vous êtes la chef de la sécurité. Dax fronça les sourcils. — Mais non, c’est Eve, la fille que Gabriel convoitait l’autre soir. Tu sais, celle dont il n’arrête pas de parler. Information intéressante. Dont cependant elle ne savait pas du tout quoi faire. Deux heures plus tôt, ça l’aurait ravie. Maintenant, ça ne faisait qu’ajouter à sa confusion. Les deux hommes l’observaient, et elle se sentait légèrement mal à l’aise de devoir détailler son curriculum vitæ ainsi que sa vie privée avec deux inconnus. — Je suis… euh… ben, disons les deux, en quelque sorte. Je m’appelle Everly Parker, et je dirige le service cyber-sécurité de Crawford Industries. En plus de quoi, je remplace le chef de la sécurité du bâtiment, qui est actuellement en congé. — Dieu merci. L’espace d’une minute, j’ai cru que la journée allait être ennuyeuse. Roman Calder sortit son téléphone et appuya sur quelques touches. — Oui, je dois parler au capitaine Charles. Informez-le que les avocats de Gabriel Bond sont dans l’entrée et qu’ils s’apprêtent à raconter à la presse qu’on les empêche de voir leur client. Si on n’est pas mis en sa présence d’ici trente secondes, les journaux titreront demain sur les atteintes aux droits constitutionnels de nos concitoyens dans ce commissariat. Malgré l’absence de personnel dans le bureau, un buzz les avertit que quelqu’un avait déclenché l’ouverture de la porte. — Merci. Allons-y. Alors qu’il mettait fin à l’appel, il devint évident que Roman Calder était habitué à obtenir ce qu’il voulait, quand il le voulait. — J’aimerais venir aussi, fit remarquer Everly. Elle se demandait quel rôle elle pouvait jouer, mais quoi qu’il en soit, il n’était pas question d’abandonner son poste. A priori, Gabriel avait du renfort, certes, mais désormais, elle représentait la sécurité de Crawford Industries. Et à ce titre, elle était responsable de celle de son nouveau P-DG. Et puis bon, d’accord, une petite partie d’elle ne serait pas tranquille tant qu’elle n’aurait pas la certitude qu’il allait bien. Malgré son attitude déplorable envers elle, et le nuage noir qui planait à présent au-dessus de sa tête, elle ressentait toujours cette attirance entre eux. Sans compter qu’ayant été elle-même accusée d’être la maîtresse de Maddox et d’avoir obtenu une promotion canapé, elle savait l’effet que cela faisait d’être accusé à tort. Si Gabriel était innocent, il devait être dévasté. S’il était innocent. Roman ouvrit la porte et lui fit signe d’entrer. — Mais je vous en prie. J’ai hâte d’entendre le fin mot de cette histoire. Enfin, tout d’abord, je dois m’assurer que Gabe ne va pas faire quelque chose de plus stupide encore que ce qu’il a déjà fait, alors je vous conjure de tout raconter à Dax. Il me transmettra plus tard. Les sourcils froncés, Everly pénétra dans le poste, puis elle attendit que les deux hommes la rejoignent. Elle avait bien noté la note amusée dans la voix de Roman. Ça alors ! Elle n’aurait pas imaginé Roman Calder, physique de mannequin, sublime et toujours si sérieux, intéressé par quelque
chose d’aussi trivial que les ragots. Quand ils entrèrent derrière elle, Everly se rendit compte qu’elle ne savait pas où se diriger. Roman si, apparemment. Il prit donc la tête et avança à grandes enjambées vers le fond du bâtiment. Combien de ses clients s’étaient retrouvés interrogés ici ? Dax lui emboîta le pas et elle dut presque courir pour rester à leur hauteur. — Pendant que vous travaillez à sortir M. Bond d’ici, je vais trouver le moyen qu’il échappe autant que possible à la presse, indiqua-t-elle. Parce qu’ils ne pourraient pas sortir d’ici sans heurts autrement. — Ne vous tracassez pas pour ça, l’informa Dax. Peut-être ne se rendait-il pas compte de l’effet que faisaient une vingtaine de journalistes qui vous criaient dessus. Heureusement pour elle, ils n’étaient pas encore rassemblés là à son arrivée. — Bien sûr que si, je me tracasse. La foule est atrocement agressive, devant ce commissariat. — Eux ? Une poignée de bébés. Donnez-leur encore une demi-heure et la presse nationale va se pointer, expliqua Dax. Ce sont eux, les vraies plaies. Mais pas de souci, j’ai déjà prévu une stratégie de repli, on pourra donc partir tranquilles. — Vous voudriez bien m’expliquer ? Si Dax avait déjà fait son travail, pourquoi tenaient-ils à ce qu’elle reste ? — L’information n’est transmise qu’aux personnes concernées, répliqua-t-il avec un clin d’œil. Parlons plutôt d’un sujet important. Vous l’appelez « monsieur Bond » ? Vous plaisantez ? (Il sourit de toutes ses dents.) Vous ne trouvez pas ça un peu formel, au vu des circonstances ? Elle préféra ne pas répondre à cette question tandis que Roman les guidait vers une nouvelle porte. — C’est mon patron, dit-elle simplement à voix basse. (À la fois pour éviter d’éventuelles oreilles indiscrètes et pour ne pas perturber le travail des enquêteurs autour d’eux.) J’ai besoin de savoir. — Je parie qu’il a été surpris d’apprendre que vous travailliez pour lui, hein ? fit remarquer Dax, s’arrêtant alors qu’ils s’engageaient dans un étroit couloir. Un homme en uniforme de capitaine s’adressa à Roman. — M. Bond est là-dedans. Vous pouvez lui parler. Il n’a pas décroché un seul mot et j’ai interrompu l’interrogatoire quand il a réclamé son avocat. — Je connais Gabe, et je dirais qu’il a réclamé son avocat avant que vous ne l’emmeniez ici, capitaine, rétorqua Roman. Ces deux personnes sont avec moi. Elles assisteront à la discussion depuis la salle d’observation. Si cela vous pose un problème, je peux appeler votre chef au téléphone. Et je vous promets que s’il ne prend pas mon appel, je trouverai quelqu’un de plus haut placé qui le fera. — Ils peuvent rester, répliqua le capitaine, les sourcils froncés, en désignant une vitre à l’avant de la petite pièce. Vous n’entendrez rien avant que Calder ne l’autorise, et nous enregistrerons la séquence. Sur quoi il s’écarta et laissa Roman entrer dans la salle d’interrogatoire. Everly se glissa dans la pièce adjacente et regarda par la glace sans tain. Gabriel était assis là, une expression polie mais neutre sur le visage. Quand Roman entra, il n’esquissa pas un sourire, il n’eut pas non plus l’air soulagé. Il se contenta de se lever et de lui serrer la main. — Attendez. Everly Parker ? fit Dax, les sourcils froncés. L’autre soir, vous avez dit vous appeler Eve. Bon sang, cette journée ne prendrait donc jamais fin ? — Je m’appelle Everly. Eve, c’est un diminutif. Dax croisa ses bras musculeux en secouant la tête. — Merde. J’imagine d’ici comment Gabe a dû prendre la nouvelle. Rassurez-moi, il s’est bien
comporté quand il l’a appris ? — Je pourrais vous dire ça, mais ce serait mentir, répondit-elle avec un coup d’œil perplexe. Je ne comprends pas vraiment pourquoi il devait forcément se mettre en colère, d’ailleurs. Mais nos affaires personnelles ne vous regardent pas. Elle reporta son attention sur la scène qui se déroulait sous ses yeux. — Je suis uniquement ici pour faire mon travail. Alors oubliez ce que je vous ai dit. — Pourtant il ne vous a pas encore renvoyée, pas vrai ? Je vais considérer ça comme une victoire. Elle resta silencieuse un moment, avant de craquer. Il fallait qu’elle parle, impossible de résister. La scène dans le bureau de Gabriel se rejouait en boucle dans sa tête. — Vous ne pensez pas qu’on pourrait au moins m’accorder une chance de prouver que je suis douée pour mon travail ? Il a quelqu’un d’autre en vue pour occuper mon poste ? Je comprends qu’il y a toujours du changement à l’arrivée d’un nouveau patron, mais je pense que ses réticences vis-à-vis de moi sont plus personnelles. Je n’arrive pas à comprendre ce qui l’a rendu si furieux. — Je vois, je vois. Accordez-lui un peu de temps. Je l’aidais à conduire les entretiens préliminaires des employés, histoire de prendre la température de l’entreprise et de se faire une idée du rôle de chacun. Et à plusieurs reprises, j’ai entendu dire que Maddox Crawford et vous entreteniez une relation… disons, intime. Je ne crois pas que Gabe ait beaucoup apprécié cette information. Maddox et lui étaient en désaccord au sujet des liaisons romantiques de Maddox, si vous voyez ce que j’entends par là. Non, en fait. Ou alors très vaguement. Ce qu’elle savait, en revanche, c’était qu’elle en avait plus qu’assez de ces racontars. — Je ne couchais pas avec Maddox, si vous faites allusion à ça. Je n’ai pas obtenu mon boulot en baisant le patron. Il leva les mains dans un geste de reddition. — Je me devais de demander, car je doute que Gabe ait été suffisamment calme pour le faire luimême. Il a sans doute eu vent de la rumeur et l’aura prise pour argent comptant car en règle générale, si Maddox passait du temps avec une femme, c’était d’une seule manière : allongé dans son lit. Everly connaissait en effet sa réputation. Elle avait entendu parler de ses nombreuses aventures, mais cette éventualité – même vague – n’avait jamais été évoquée entre eux. Il ne la traitait pas exactement comme une employée, mais il ne lui avait jamais fait d’avances non plus. Non, il se comportait plutôt avec elle comme avec un copain. — Il ne m’a jamais ne serait-ce que touchée. Même pas essayé. Je pense qu’il était seul et avait besoin d’une présence amicale. Dax plissa les paupières. — Je trouve ça très intéressant, d’autant plus que ça ne lui ressemble pas. Nous étions les amis de Mad depuis des années et jamais il n’est allé chercher d’autres amis. En fait, c’est même lui qui m’a appris à me méfier des autres amitiés. Pourquoi la vérité de ses relations avec Maddox semblait-elle déranger Dax ? Bon Dieu, jamais personne ne croirait qu’elle n’avait pas été une conquête parmi tant d’autres pour Mad ? — Je ne saurais expliquer pourquoi, mais il était proche de moi. Et je tenais à lui. En réalité, elle ressentait sa perte plus profondément qu’elle ne s’y était attendue. — Il parlait souvent de vous, reprit-elle. Il vous appelait ses frères, et pourtant il ne vous mentionnait que par vos noms de famille. C’était étrange. — À l’école, tous les enseignants nous appelaient comme ça aussi. M. Spencer, M. Bond, etc. J’imagine qu’ils voyaient ça comme un moyen de nous rendre plus civilisés. Mad a continué après
notre départ de l’académie. Et je parie que s’il était là, en ce moment, il me taperait dans le dos en lançant : « Alors, Spencer, tu es devenu un peu moins con depuis que tu as quitté la marine ? » Dax riait, mais le son était doux-amer. — Je ne prêtais pas vraiment attention aux gens auxquels Maddox faisait référence. Pour moi, vous étiez tout bonnement ses amis. Du coup, j’ignorais que Gabriel s’appelait Bond ou… Ça paraissait sans doute idiot, et elle regrettait à présent de n’avoir pas lu les tabloïdes. Mais elle ne pouvait pas changer le passé. — Je l’écoutais parce qu’il semblait avoir besoin de parler, voilà tout. — S’il vous parlait, c’est qu’il vous faisait confiance, commenta Dax en la jaugeant du regard. Et je devine que si vous êtes encore ici, c’est que vous tenez à Gabe, au moins un peu. Elle se sentit rougir et maudit sa peau claire qui révélait la moindre de ses émotions. N’empêche, elle ne risquait pas d’avouer ce qu’elle ressentait à haute voix. Car Dax était l’ami de Gabriel, il serait donc stupide d’oublier à qui allait sa loyauté, si sympathique soit-il. — Bon. Écoutez, Everly, je vais vous faire une demande qui vous paraîtra sans doute injuste : Gabe a besoin de temps pour digérer tout ce qui s’est passé. Ne le jugez pas avant qu’il ait eu l’occasion de réfléchir vraiment à tout ça. — Je ne compte pas le juger du tout, mentit-elle. Car elle l’avait déjà jugé. OK, il avait perdu un ami cher et il n’était pas au mieux en ce moment. Mais même dans ses bons jours, il restait un play-boy incapable de prendre quelque relation que ce soit au sérieux. Il savait donner un orgasme à une femme, mais pas grand-chose de plus. Conclusion : elle avait déjà reçu tout ce que Gabriel Bond avait à offrir. En y repensant, son attitude lui rappelait celle de sa mère. De ce qu’Everly en savait, sa mère avait toujours estimé s’être mariée au-dessous de son rang. Et peu importait l’amour que son père lui vouait, il n’était pas assez bien pour elle. Il lui en fallait plus, et au bout du compte, elle avait abandonné sa famille pour trouver ce qu’elle cherchait. Everly n’avait aucune envie de rejouer l’existence de son père. Elle l’adorait, mais devait admettre qu’il avait passé sa vie à pleurer une femme qui ne pouvait pas l’aimer. Gabriel la désirait peut-être, mais il ne construirait jamais sa vie avec une femme qui ne lui apporterait rien d’autre qu’elle-même. Et certainement pas une femme qui, pensait-il, avait couché pour réussir. — Je vais me montrer professionnelle avec lui, assura-t-elle à Dax. J’ai un travail à accomplir. Tant que notre relation se cantonnera à ça, tout se passera bien. Dax haussa les épaules. — Ça ira pour l’instant. Si vous restez proche de lui, il en tirera les conclusions qui s’imposent. — Et quelles sont-elles, monsieur Spencer ? Un sourire dansait sur ses lèvres. — Que vous n’êtes pas le genre de femme à sauter du lit d’un homme à celui d’un autre si rapidement, et surtout pas pour de l’argent. Elle se raidit. — Bien sûr que non. — Et que vous êtes le genre de femme à coucher avec un homme parce qu’il vous apporte du réconfort et une sensation de sécurité. Parce que vous êtes en quête d’amour. La conversation commençait à la mettre mal à l’aise. Daxton Spencer ne la connaissait pas. Elle n’avait certainement pas couché avec Gabriel Bond pour gagner son amour. Bon Dieu, pourvu qu’elle ne soit pas en train de se mentir à elle-même. — À vous entendre, je ne suis qu’une pauvre âme sans défense. Je crois que je préférais quand tout
le monde me prenait pour une putain. — Non, vous êtes trop maligne pour ça. Mais vous êtes aussi innocente. (Il l’observa de ses yeux sombres et perçants.) Vous ne venez pas du même monde que nous, et ça pourrait constituer à vos yeux une bonne raison de prendre vos jambes à votre cou. Alors je vous demande de n’en rien faire, car je pense que vous êtes celle qu’il faut à Gabe. Et je pense qu’il a besoin de vous. Mais tous les deux, vous allez d’abord connaître la tempête avant le beau temps. Un frisson parcourut l’échine d’Everly. Elle tâcha de se convaincre qu’il n’était causé que par la climatisation. Dax savait-il quelque chose qu’elle ignorait ? Aurait-elle dû avertir la police qu’elle recevait des messages et des images d’une personne qui affirmait connaître la vérité sur la mort de Maddox ? Et si on lui apportait d’autres preuves que Gabriel était un tueur ? Non, elle ne pouvait rien raconter, rien transmettre à la police avant de vérifier par elle-même si ce mystérieux corbeau était crédible. Alors elle découvrirait ce qu’il savait – et ce qu’il voulait. Mais pour cela, elle devait commencer à relier les points entre Gabriel et ce qui se passait. — Pourquoi les policiers soupçonnent-ils Gabriel du meurtre de Maddox ? Le sourire de Dax disparut et il se composa un visage soigneusement neutre. — Parce qu’il a été le dernier à le voir, je suppose. Le radar à mensonges d’Everly se mit à clignoter à plein régime. Dax mentait. Ou tout du moins, il ne lui racontait pas l’entière vérité. Ses traits étaient très expressifs jusqu’à ce qu’elle lui pose cette question. Son père aurait dit qu’il se trahissait justement par son absence de réaction. Alors elle lui répondit par un sourire tout aussi faux. Parfois, sa condition de femme et ses courbes incitaient les gens à la sous-estimer. La plupart du temps, cet état de fait l’agaçait, mais elle avait aussi appris à tourner cette erreur d’appréciation à son avantage. — Il devrait donc être bientôt libéré. Être la dernière personne à avoir vu Maddox vivant n’aurait pas dû faire de Gabriel un suspect. Pourtant il l’était bel et bien. Il y avait donc forcément une meilleure raison. Dax se contenta d’un haussement d’épaules et d’un hochement de tête pour toute réponse. — Et si je vous trouvais un endroit plus confortable pour attendre ? Alors comme ça, le grand costaud souhaitait la tenir à l’écart de l’interrogatoire ? — Non, ça ira. En revanche, j’ai très soif. Vous pensez qu’ils ont un distributeur ou quelque chose du genre, dans les parages ? Son visage se crispa, pourtant il mordit à l’hameçon. — Je vais vous chercher ça. Coca, Pepsi ? Autre chose ? — N’importe quoi, du moment que c’est light. Merci. De nouveau il acquiesça, puis s’éloigna en quête de sa boisson. Dans le couloir, il questionna l’officier de faction, qui lui donna des indications. Alors que Dax s’éloignait, le téléphone d’Everly se mit à vibrer dans sa poche. Un SMS de Scott lui demandant si tout allait bien. Et un autre de Tavia au contenu similaire. Ainsi donc la rumeur rapportant qu’elle avait suivi Gabriel au poste après son arrestation avait fait le tour du bureau. Elle se dépêcha de leur répondre à tous les deux qu’elle attendait davantage d’informations pour l’instant. Puis elle rempocha l’appareil et reporta son attention sur la pièce où Gabriel parlait avec Roman. Comment tous les journalistes avaient-ils pu découvrir aussi rapidement que Gabriel avait été emmené ici pour interrogatoire ? Si les policiers n’attendaient de lui que des réponses à leurs questions, ils auraient pu les lui poser bien plus facilement sur place, au bureau. Au lieu de quoi, ils l’avaient menacé d’arrestation. Autrement dit, ils avaient forcément un mobile, voire la preuve qu’il
était suspect. Non, décidément, Dax ne s’était pas montré tout à fait franc avec elle. Peut-être qu’Internet le serait davantage. À défaut d’informations fiables, la toile lui offrirait peut-être une idée de la raison pour laquelle ceci semblait bien plus sérieux qu’un simple interrogatoire de routine. D’un pas pressé, elle emprunta le même couloir que Dax un peu plus tôt et offrit à l’officier posté là son sourire le plus innocent. — Je reviens tout de suite. Je dois appeler le bureau pour les informer que M. Bond ne sera sans doute pas rentré cet après-midi. Le policier hocha la tête. — Non, en effet, je ne l’attendrais pas aujourd’hui, à votre place. Il va devoir répondre de pas mal de choses. Décidément, tout le monde en savait plus qu’elle. À entendre ce policier, Gabriel semblait être leur suspect numéro un – peut-être même le seul. Cette possibilité en tête, elle s’éclipsa et trouva des toilettes, où elle pénétra discrètement. C’était son jour de chance : les lieux étaient vides et d’après la petite icône sur son écran, le signal était fort. Elle ouvrit le moteur de recherche de son appareil et entra les mots « Gabriel Bond », « Maddox Crawford », « meurtre » et « enquête ». Le site Scandales au Capitole apparut en moins d’une seconde. Elle cliqua et les unes les plus putassières du blog défilèrent sous ses yeux. UN SÉNATEUR PRIS LE PANTALON BAISSÉ. UN JUGE FÉDÉRAL DÉMIS POUR CONSOMMATION DE COCAÏNE. LE PRÉSIDENT HAYES EST-IL LE CHEF D’ÉTAT LE PLUS SEXY DE TOUS LES TEMPS ? Mais la une la plus visible, en grosses lettres rouges, lui sauta au visage : DERNIÈRE MINUTE : GABRIEL BOND ASSASSINE SON MEILLEUR AMI MADDOX CRAWFORD. VOIR LA VIDÉO QUI VA CHAMBOULER WALL STREET. Un journaliste de tabloïde n’avait pu suffire à convaincre la police que Gabriel devait être soupçonné ; en revanche, s’ils avaient une vidéo… Elle cliqua sur le lien et agrandit le cadre à l’écran. L’image restait petite, mais elle distinguait Gabriel dans ce qui ressemblait à un restaurant chic. Quelqu’un était assis en face de lui, un homme dont on ne voyait qu’une partie du dos. Gabe était penché au-dessus de la table, et sur la portion de son visage qui apparaissait à l’écran, on devinait aisément qu’il était furieux. — Tu te rends compte de ce que tu as fait ? grondait Gabe à mi-voix. Je t’avais demandé de faire très attention sans quoi tu briserais sa vie et elle souffrirait. Tu m’avais promis que tu avais changé. — Détends-toi, Bond. Tout ira bien. C’est pour la bonne cause, tu sais. Elle aurait reconnu cette voix entre mille. Grave mais avec une touche de lassitude. La signature de Maddox Crawford. En regardant se dérouler la vidéo, Everly sentit un frisson la parcourir. Était-ce là leur dernière conversation ? — Pour la bonne cause ? Tu lui as parlé, tu sais ce qui se passe. Tu t’en fiches, espèce de salaud. Tu t’en fous royalement. Tu sais ce que j’aurais dû faire ? Maddox serra les poings sur la table, mais sa voix restait calme. — Ne dis rien que tu regretterais plus tard. Calme-toi. Au bout du compte, tout finira par s’arranger, j’ai juste besoin que tu m’accordes un peu de temps. — Histoire que tu puisses t’envoyer en l’air avec une cinquantaine de femmes ? Je suis censé
croire que tu vas changer si on t’accorde un rab de jambes en l’air ? Va te faire foutre, Mad. Je vais te tuer pour ce que tu as fait. Je ne le ferai pas aujourd’hui, je ne le ferai pas demain. J’attendrai que tu te croies en sécurité, et puis je me pointerai. Tu m’as compris ? Sur quoi il se levait en jetant sa serviette sur la table d’un air de dégoût. — Ce que je comprends, Gabe, c’est que tu adores monter sur tes grands chevaux quand tu t’y mets. S’il te plaît, rassieds-toi. Je ne peux pas tout te dire. Ça ne serait pas bon pour toi. Mais il se trame quelque chose. Quelque chose que je dois régler. Il faut que je te pose une question : tu as déjà entendu le nom de Sergeï ? — Je me contrefous de tes questions. Ne m’appelle plus jamais, Mad. Et Gabe sortit du champ de la caméra. Mad baissa la tête, lâchant un juron bien audible, avant de jeter une poignée de billets sur la table. La vidéo s’interrompit brutalement. Everly la visionna une seconde fois. OK, voilà qui expliquait pourquoi Gabriel était considéré comme suspect par la police. Il avait manifestement un mobile et l’intention de passer à l’acte, pourtant elle avait encore des questions plein la tête. Sur la vidéo, on le voyait furieux, mais qui était la femme au sujet de laquelle ils se disputaient ? Et qui était ce Sergeï ? Même s’il connaissait les réponses, Dax ne lui révélerait rien de plus. En revanche, elle glanerait peut-être quelques indices en écoutant l’interrogatoire. Elle ne comprenait pas trop pourquoi Roman Calder l’avait autorisée à y assister, mais elle n’allait pas rater cette occasion. Rajustant ses vêtements, elle rangea son téléphone. Il était grand temps de mettre son cœur de côté et de commencer à réfléchir avec sa tête. Elle avait le meurtre de son mentor à résoudre. En espérant qu’une fois l’enquête aboutie, elle n’aurait pas obtenu la preuve que l’homme sur lequel elle avait carrément craqué pendant leur weekend ensemble avait tué par vengeance. Gabe jeta un coup d’œil à la pendule. Ils lui posaient la même question depuis des heures. — Pardon, je n’ai pas très bien compris la dernière phrase. Roman soupira. — Sans doute parce que tu as faim. On a dépassé l’heure du déjeuner depuis deux heures. Vous avez vraiment l’intention de continuer encore longtemps, inspecteur ? Espérer que mon client va vous donner plus d’informations si vous l’affamez, c’est d’un cliché… Vous comptez lui interdire d’aller aux toilettes aussi ? Le policier haussa les épaules. Manifestement, il endossait le rôle du méchant flic. Restait à espérer que le gentil flic se pointerait bientôt. — Vous pourrez manger une fois que vous m’aurez donné des réponses satisfaisantes à nos questions. — Il a répondu à toutes vos questions, rétorqua Roman. Et plusieurs fois. L’inspecteur ne l’écoutait pas, choisissant de se focaliser uniquement sur Gabe. — Étiez-vous conscient d’être filmé pendant que vous menaciez Crawford de mort ? Ah, enfin une petite nouvelle. — Non, je ne l’aurais pas fait, si j’avais su. — Vous admettez donc que vous ne vouliez pas que l’on soit au courant de votre intention de tuer M. Crawford. Ce policier n’était peut-être pas aussi malin que ça. — J’admets que je ne souhaitais pas être enregistré à mon insu. Je ne sais pas si c’est le bon
moment pour le souligner, mais si l’on se fie au contenu de cette vidéo, il ressort que je ne projetais pas de tuer Mad avant plusieurs années. — Mon client fait de l’ironie, intervint Roman en lui jetant un regard noir, avant de se pencher vers lui pour ajouter d’une voix basse : Je te rappelle qu’on est filmés, ici aussi. Gabe en avait plus qu’assez de cette conversation. — Je ne fais que mettre le doigt sur la faille de leur théorie. Ils semblent penser que cet extrait dévoile le projet infâme que j’aurais eu d’assassiner mon meilleur ami. Si tel est le cas, alors ça devrait plutôt m’innocenter car j’ai menacé de le tuer d’ici quelques années, pas quelques heures. Roman le dévisageait, médusé. — Il va falloir que je t’agrafe la bouche pour que tu te la fermes, ou quoi ? — Non, je vous en prie, intervint l’inspecteur Johnson en se calant contre le dossier de sa chaise, l’air soudain songeur. Il marque un point. Je suppose que vous aviez une bonne raison d’être en colère contre lui. J’ai lu pas mal de choses sur Crawford, ça n’était pas le type le plus sympathique au monde. Apparemment, vous vous disputiez au sujet d’une femme. D’après ce que j’en ai compris, il avait une vie amoureuse très animée. — Comme je vous l’ai signifié plusieurs fois, M. Bond était en colère contre M. Crawford pour une affaire personnelle. Le sujet précis de leur différend n’est pas pertinent. Depuis le début, Roman s’efforçait de détourner les questions de Sara. La nouvelle selon laquelle la sœur de Gabe était en lien avec Mad et portait désormais son enfant illégitime ferait l’effet d’un bidon d’essence versé sur un feu, si la police l’apprenait. Et la presse suivrait. Ils se précipiteraient chez lui dans les Hamptons avant qu’il ait le temps de mettre Sara à l’abri, et quand il parviendrait à l’atteindre, il devrait traverser la foule des journalistes et tâcher de la déplacer en lieu sûr avec eux à leurs trousses. Ils creuseraient tant et si bien qu’ils trouveraient la trace d’Everly aussi. Ça n’était qu’une question de temps. Et alors, la laisserait-il se débrouiller seule ou bien essaierait-il de la protéger, elle aussi ? — Au contraire, répliqua le policier. Je pense que l’identité de la femme au cœur de cette dispute est très importante pour notre enquête. Mais on la découvrira avec ou sans l’aide de M. Bond. Et si nous parlions plutôt de ce que vous avez fait le reste de cette journée ? Il tapotait la table de sa main gauche. Une série de questions s’annonçait, que Gabe aurait préféré éviter. — Je suis allé au parc après avoir quitté Cipriani. J’avais décidé de ne pas retourner au travail cet après-midi-là, alors je me suis un peu baladé dans le parc pour réfléchir. — Et j’imagine qu’il n’existe aucune vidéo bien pratique qui le prouverait ? demanda Johnson avec un regard dubitatif. — Probablement pas. (Ce serait tellement plus facile.) Vous ne pouvez pas demander à la ville de vous sortir les vidéos de sécurité du parc ? Le policier ne lui répondit pas directement. — Et le reste de la journée ? Merde. Quelles informations possédaient les enquêteurs ? Que savaient-ils déjà ? — Je l’ai passé seul, à réfléchir à ma conversation avec Mad. J’ai dîné chez moi. Ma gouvernante peut en attester. Je me suis couché aux alentours de minuit. Il n’était pas exactement arrivé jusqu’à son lit, en fait. En rentrant à son loft, il avait à peine touché à son repas, en revanche il avait vidé une bouteille de scotch de vingt-cinq ans d’âge. Il s’était réveillé le lendemain matin sur le canapé, la bouche sèche et la tête comme une pastèque. C’était une
heure plus tard qu’il avait appris l’horrible nouvelle, pour Mad. Depuis, son univers tout entier était sens dessus dessous. Eve… Everly était-elle déjà partie ? Avait-elle agi de façon raisonnable en vidant son bureau avant de quitter ce bazar au plus vite ? Il n’était pas certain d’être capable d’accepter cette éventualité en l’état actuel des choses. Il ne savait toujours pas quels liens l’unissaient à Mad. Enfin, pour le moment, peu lui importait réellement. La colère lui vrillait les tripes. Oui, il avait prévu de renvoyer Everly. Ça avait été une décision facile à prendre, avant de savoir qui elle était. La remercier maintenant… Il détestait l’admettre, mais il la voulait près de lui. Il ne s’expliquait pas pourquoi, si ce n’était qu’il avait besoin de la revoir, de la toucher. De la baiser encore une fois, histoire de se la sortir de la tête. Peut-être devait-il accepter le partenariat – quel qu’il ait été – que Mad avait conclu avec elle. En bref, elle gardait son poste et couchait avec lui jusqu’à ce qu’il parvienne enfin à se débarrasser de cet atroce désir. — Gabe ? La voix de son ami le tira subitement de ses pensées et il leva la tête. — Oui ? Roman se leva, les sourcils froncés. — On s’en va. J’ai expliqué à l’inspecteur que sauf s’ils envisageaient de te mettre officiellement en examen, ils devaient te libérer sur-le-champ. — J’adorerais vous jeter en cellule, histoire de voir si vous vous radoucissez un peu, mais mon capitaine n’aime pas trop que la presse grouille de partout. Alors vous êtes libre de partir pour l’instant, avec toutefois interdiction de quitter la ville. J’aurai d’autres questions à vous poser, conclut le policier avec un soupir. Je trouve très intéressant que Crawford se soit écrasé dans l’un de vos avions. Le jet privé de Mad avait été conçu dans les usines de Bond Aéronautique. Gabe lui-même en avait supervisé la construction, s’assurant que ce serait l’engin volant le plus perfectionné au monde. Mad et lui avaient obtenu leur brevet de pilote en même temps. Ils adoraient voler ensemble. En général, l’un des deux pilotait pendant que l’autre s’envoyait en l’air à l’arrière sur le vol qui les emmenait à Paris, Vegas ou quelque autre destination suffisamment attrayante et festive. Bon Dieu, il n’arrivait pas à croire que Mad soit mort. — Je vous assure que la dernière chose dont ait envie mon client, c’est d’une mauvaise publicité de ce genre. Les actions de son entreprise ont déjà accusé le coup, expliqua Roman en refermant son attaché-case. Il ne quittera pas la ville. Si vous avez d’autres questions à lui poser, je vous prie de contacter mon bureau. Nous pourrions peut-être régler ça dans un environnement plus privé, la prochaine fois. Le policier se leva et quitta la pièce, manifestement déçu. — Allons-y. Dax nous attend pour te faire sortir d’ici, annonça Roman, qui rajusta sa cravate. Je vais affronter la foule et tâcher de désamorcer la situation. Ensuite, toi et moi, on aura une longue conversation. Évidemment, Roman devait bien savoir qu’il cachait quelque chose. Cet enfoiré était malin. Gabe serait contraint de lui révéler sa présence à l’aéroport, ce fameux jour. Oui, il était là-bas, quand Mad avait décollé. Pas de doute, Roman allait adorer l’apprendre. — OK, accorde-moi la nuit, le temps de réfléchir à quelques bricoles. Et en priorité à la manière d’agir avec Everly. Il avait tout fait de travers, ce matin. Il ne savait même pas vraiment comment il aurait dû procéder, au fond. Il aurait dû commencer par être dégoûté
en découvrant sa relation avec Mad. Ça oui, il aurait souhaité l’être. Or il s’était senti trahi, en colère, mais il la désirait bien trop pour lui en vouloir. Sa liaison avec Mad l’avait rendu furieux vis-à-vis de Sara, mais pour ce qui le concernait, lui, peu importait. Everly était trop dangereuse pour sa tranquillité d’esprit. Et pour compliquer le tout, il se demandait à présent si elle était en possession d’informations sensibles. Pendant son interminable interrogatoire, il avait analysé le cas sous tous ses angles. Malgré le chagrin encore à vif, le choc lié à la mort de Mad s’apaisait peu à peu. Et la logique commençait à reprendre ses droits. Il s’était mis à réfléchir à certains détails. Mad détestait Washington DC. Qu’estce qui l’avait poussé à s’y rendre en jet pour voir Zack, plutôt que de se contenter de décrocher son téléphone ? Pourquoi avait-il modifié son testament trois semaines avant sa mort ? Pourquoi avait-il été aussi précis quant à l’organisation de ses funérailles ? Gabe avait été forcé de regarder l’enregistrement de leur dernière conversation, et sans le filtre de la rage pour l’aveugler, il voyait à présent que cet enfoiré avait essayé de lui communiquer quelque chose. Everly était la dernière femme à avoir partagé le lit de Mad, elle devait détenir des informations. — OK pour la nuit, je ne te laisse pas plus de temps, répondit Roman. On discutera demain matin. Va chez Connor et on se retrouve pour le petit déjeuner. Ce soir, fais profil bas. Impossible. Il devait trouver Everly. — Je dois repasser au bureau. Roman s’immobilisa près de la porte. — Certainement pas. Tu vas te cacher. Moins on donne d’occasions à la presse de te photographier, mieux tu te porteras. Tu as déjà la police de New York sur le dos, et même si les gars de la FAA n’en ont pas fini avec leurs investigations, ils sont persuadés que le crash n’était pas un accident. Ces flics cherchent un suspect, à ce stade, et cette fichue vidéo qui vous montre, Mad et toi, ne plaide pas vraiment en ta faveur. Pour l’instant, ils vont te laisser en paix, à moins que tu ne les fasses changer d’avis. Mais il faut qu’on démêle cet écheveau, alors tiens-toi tranquille. C’est bien compris ? — Oui, oui. Mieux valait acquiescer, et puis faire comme bon lui semblerait. Roman ne comprendrait ni son besoin viscéral de voir Everly ni la raison de ce besoin. Il devait la retrouver et l’amener où il voulait qu’elle soit. À savoir sous lui, avec ses cheveux éparpillés sur un oreiller, à le supplier de mettre un terme à son exquise torture. Bon sang, il fallait vraiment qu’il cesse de penser à coucher avec elle, au moins jusqu’à ce qu’il lui ait parlé. Il ne la toucherait pas tant qu’il n’aurait pas découvert le rôle qu’elle avait joué dans ce chaos monstrueux. Et quelles informations susceptibles de l’en tirer elle détenait. Bien sûr, l’aspect charnel de leur relation ne serait peut-être plus jamais une question à se poser, si elle avait décidé qu’il ne valait plus la peine de l’avoir comme amant, depuis qu’il l’avait insultée, avant d’être pratiquement arrêté pour le meurtre de son ex. Remarquant que Roman l’observait, Gabe se demanda si son habile avocat avait deviné la tempête qui se déchaînait sous son crâne. Mais il finit par ouvrir la porte et sortit dans le couloir. Gabe le suivit. Dès qu’il aurait un moment de libre, il devait dégoter l’adresse d’Everly, maintenant qu’il savait comment elle s’appelait vraiment. Il venait de se rendre compte qu’il avait accès à tous ses dossiers professionnels, ainsi qu’à son adresse personnelle à Brooklyn. Ils poursuivraient leur conversation chez elle. C’était à lui, cette fois, de procéder à un petit interrogatoire.
Il tourna à l’angle du couloir et s’immobilisa net. Elle était là, dans le hall, le visage levé vers Dax à qui elle parlait. — Qu’est-ce qu’elle fait ici ? demanda-t-il tout bas à Roman. Ce dernier lâcha un soupir. — Elle était déjà là quand je suis arrivé au poste. Une fois que j’ai compris qu’elle dirigeait l’équipe de sécurité de Crawford, j’ai pensé qu’elle devait être tenue au courant. En fait, je suis étonné que tu ne l’aies pas renvoyée sur-le-champ. Dax m’a parlé d’une rumeur qui courait au sujet de Mad et elle. — Et je découvrirai si elle est vraie ou fausse. Oui, il avait bien l’intention de découvrir tous les secrets de cette femme. — Je vais aussi apprendre ce que Mad avait derrière la tête les derniers mois de sa vie. Je parie qu’elle sait des choses. — Possible, admit Roman. J’ignore s’il lui aurait réellement divulgué des infos de valeur à elle plutôt qu’à ses amis de toujours. Cela dit, vers la fin, Mad se comportait étrangement, donc oui, elle sait peut-être des choses. (Il fronça les sourcils.) Tu as une idée de ce qu’il te demandait, le jour où vous avez déjeuné ensemble ? Il semblait chercher quelqu’un. Il avait mentionné un certain Sergeï, en effet. — Non, aucune idée. Pff, si ça se trouve, c’était son nouveau fournisseur de drogue. — Arrête de jouer les imbéciles. Voilà exactement pourquoi tu ferais mieux de te tenir loin d’elle : tu es à cran et tu risques seulement de t’enfoncer davantage. Ni toi ni elle n’avez besoin d’en rajouter au merdier dans lequel vous vous trouvez déjà. Alors prends un peu de recul et on reparle demain matin. Je l’interrogerai et te transmettrai ce que j’aurai appris. Pas question. Il avait besoin d’elle. Et même s’il n’obtenait que la vérité au sujet de sa relation avec Mad, il ne lâcherait pas Everly. Elle se tourna et il vit son sourire. Même dans ce petit couloir, il ne put s’empêcher de remarquer comme elle rayonnait. À couper le souffle. Pas étonnant que Mad ait quitté Sara pour elle, Eve était totalement différente de toutes les femmes que Gabe avait croisées jusqu’alors. Son corps tout entier réagissait à sa vue. À la seconde où elle l’aperçut, elle balaya toute expression de son visage. — Monsieur Bond. Ah bon, elle voulait la jouer comme ça ? Guère étonnant, après tout, puisqu’elle avait assisté à son interrogatoire. D’ailleurs, il aurait volontiers flanqué son poing dans la figure de Roman pour l’y avoir autorisée. L’opinion qu’elle se faisait de lui avait déjà dramatiquement chuté suite à leur altercation du matin, et voir des policiers le cuisiner n’avait pas dû arranger les choses. Merde. Il devait tout faire pour s’assurer qu’elle ne lui échapperait pas. — Everly, merci d’avoir déniché Dax et Roman. Vous n’étiez pas obligée de rester, je projetais de vous retrouver bientôt. Il nous reste quelques détails à régler. Roman secoua la tête. — Tu n’as aucune intention de suivre mes conseils, c’est ça ? Alors au moins arrange-toi pour ne pas provoquer de scandale supplémentaire. On se voit demain matin. Dax, tout est en place ? — C’est géré. Je ne pense pas que quiconque puisse nous suivre. Roman hocha la tête et se dirigea d’un pas assuré vers la sortie principale du bâtiment en jurant. Dax s’approcha et serra la main de Gabe. — Rejoins-moi sur le toit, frangin. Et vas-y mollo avec elle. Everly n’est pas celle que tu crois. Et la presse connaît son nom, à présent, donc je ne te conseille pas de la renvoyer chez elle par ses
propres moyens. Fais-la monter avec toi d’ici dix minutes. Sur quoi il s’engagea dans l’escalier. Elle avait donc fait une nouvelle conquête. Pas surprenant. Apparemment, c’était la spécialité d’Everly Parker. — Je suis désolé que tu aies dû assister à ce bazar. Il devait se montrer poli coûte que coûte, car l’agresser n’était pas le meilleur moyen de l’inciter à parler. Alors surtout, ne pas se laisser aller à son envie de se disputer avec elle. Ou de la baiser. Elle arborait une expression neutre, professionnelle même. Merde, il voulait la revoir sourire. — Je me devais d’être présente. Je suis plus à même de bien faire mon travail si je sais ce qui se passe. Dis-moi, qu’est-ce que tu caches à la police ? — Comment ça ? Elle croisa les bras. — Il est évident que tu ne dis pas tout. Tu as éludé certaines questions, alors que tu étais plus que ravi de répondre à d’autres dans les moindres détails. Tu tapotes de la main gauche, quand tu es nerveux. Or tu as fait ce geste à plusieurs reprises. Sur la table. Sur ta cuisse. Et tu étais manifestement nerveux concernant les questions sur tes déplacements après ton déjeuner avec Maddox ce jour-là. Dis-moi, tu es allé où ? Elle en avait vu beaucoup plus qu’il n’aurait cru. Plus que l’inspecteur lui-même, en l’occurrence. — J’ai déjà expliqué ça plusieurs fois. — Non. Tu n’as pas détaillé ce que tu as fait pendant le laps de temps entre ta promenade dans le parc et le dîner. Cet enquêteur est un idiot. — On pourrait éviter d’aborder le sujet ici ? Et puis, je te rappelle à toutes fins utiles que tu es mon employée. Ton travail consiste à me protéger, pas à me questionner. — Comment veux-tu que je te protège si je ne connais pas la vérité ? C’est le problème, avec les clients : ils ont tendance à ne divulguer que la moitié des informations, tout en attendant qu’on se consacre à deux cents pour cent au boulot. Et pour finir, au vu de ce que tu m’as dit ce matin, tu risques fort de me renvoyer. Bon, il n’allait peut-être pas réussir à éviter la bagarre. Elle semblait même la chercher. — Pourquoi es-tu venue ici ? Elle rejeta ses cheveux en arrière. — Parce que tant que tu ne m’auras pas renvoyée, je continuerai à faire mon travail. — Et de quel travail s’agit-il précisément, Everly ? Tu es venue faire en sorte que la presse me laisse en paix ? Si c’est le cas, d’après ce que j’ai entendu, tu as échoué. — Je suis venue m’assurer que tu ressortirais d’ici en un seul morceau, d’autant qu’ils refusaient de te laisser prendre ton propre véhicule. Comment comptais-tu rentrer chez toi, sinon ? — C’est pour ça que je t’ai demandé de joindre Dax. Il va nous ramener au bureau. Allons-y. — Si tu n’as pas besoin de moi, je trouverai mon chemin toute seule. Et elle pivota pour partir. Il lui agrippa le coude et la retint. — Non, tu vas venir avec moi. Je suis encore ton patron. Elle lui jeta un regard noir. — Ça peut encore changer. — Je ne te conseille pas de démissionner. Je peux faire en sorte que tu ne retrouves jamais de travail dans cette ville. — Qu’est-ce qui te dit que j’ai envie de travailler dans cette ville ?
La voix était devenue grave, le ton buté. — J’ai le bras long, chérie. Tu auras du mal à travailler où que ce soit. Elle plissa les paupières et retroussa les lèvres. Puis elle se dégagea de son emprise et il la sentit se raidir, se préparer à la fuite. La situation s’envenimait à la vitesse de l’éclair. Se disputer avec elle ne servirait pas ses intérêts, et qu’elle s’en aille encore moins. — Bon sang. OK, je vais reformuler. Everly, je suis sincèrement désolé de la manière dont s’est déroulée notre entrevue de ce matin. J’ai été pris de court et j’ai très mal géré ma surprise. À ma décharge, je viens de passer quelques journées un peu rudes. Elle sembla hésiter, réfléchir à ses paroles. Puis elle se radoucit. Un tout petit peu. Oh, elle avait encore bien envie de l’affronter, mais il avait compris que la colère n’était pas le bon moyen de s’y prendre avec elle. Non, il devait se montrer plus malin. Elle hocha la tête, acceptant silencieusement ses excuses. Cependant, elle restait sur ses gardes. — Vas-y, rentre chez toi. Je me charge de tout au bureau. Et je promets de ne pas démissionner tant que tu auras encore besoin de moi. Il fallait tirer avantage de cette promesse inattendue. Oui, il allait briser les barrières qu’elle avait dressées devant lui, en espérant qu’elle réagirait favorablement à ce besoin qu’il avait d’elle. S’il la laissait croire qu’ils étaient associés, peut-être parviendrait-il à franchir ses défenses. S’il découvrait ce qu’elle cachait tout en réussissant à se la sortir de l’esprit (et du corps) alors il aurait fait d’une pierre deux coups. Il secoua la tête. — J’ai besoin de t’avoir avec moi, Everly. Je dois te parler. Tu as passé du temps avec Mad, je dois découvrir ce qui se passait dans sa tête les dernières semaines de sa vie. Et il lui prit la main, car il avait toujours trouvé plus facile de tenir les rênes que d’attendre qu’on le suive. Sans compter qu’il aimait le contact de sa peau contre la sienne. Heureusement, elle ne la retira pas et se laissa conduire dans les escaliers. — Je vois bien que tu ne me crois pas, mais Maddox et moi n’étions pas amants, donc je ne sais rien du tout. Il me posait des questions sur moi. Parfois, il parlait du travail, de ses amis, de sa journée… Jamais rien d’important. — Tu sais peut-être des choses dont tu ignores l’importance. Ils entamèrent la volée de marches suivante. — Cette matinée a été un tel tourbillon, soupira-t-elle, que je ne verrais pas ce qui est important même si on me le mettait sous le nez. — Mais peut-être que moi, si. Il aimait la petitesse de sa main, le naturel avec lequel ses doigts se mêlaient aux siens comme de leur propre chef, comme s’ils savaient que c’était là leur place. Elle tenait le rythme qu’il imposait, prouvant sans l’ombre d’un doute qu’elle était en forme. En fait, elle grimpait les marches au petit trot sans avoir l’air fatigué du tout. — Pourquoi est-ce qu’on monte ? Je croyais qu’on partait. Ils arrivaient enfin en haut du bâtiment. Gabe s’arrêta devant une porte. Derrière, on entendait le battement des pales de l’hélicoptère dont Dax avait démarré le moteur. — On part, en effet. J’aimerais bien voir comment les paparazzis vont nous suivre, maintenant. Elle écarquilla les yeux. Visiblement, elle avait identifié le bruit, elle aussi. — On va monter dans un hélicoptère ? Je n’en ai jamais pris. — Il ne s’agit pas d’un simple hélicoptère. C’est mon bébé. Je l’ai conçu moi-même. Je pourrais
te détailler toutes les merveilles technologiques qu’il recèle et t’indiquer à quelle distance et à quelle vitesse il est capable de voler, mais tu seras probablement plus intéressée d’apprendre que j’ai convaincu la maison Versace de dessiner son intérieur. C’est une véritable suite de luxe volante. Et la cabine avait en effet été pensée pour bien s’amuser. Mais il n’allait pas la séduire maintenant – même si l’idée lui avait traversé l’esprit. Elle le dévisageait de ses grands yeux. — Gabriel, je ne sais pas ce que tu as en tête, mais… ce serait une erreur. — Non, pas du tout. J’ai besoin de toi, Everly. Aide-moi à découvrir qui a tué mon meilleur ami, car ce n’est pas moi. Il était temps de titiller sa corde sensible et de conclure l’affaire. Pour ça, il devait s’ouvrir un peu et se montrer honnête. Avec un peu de chance, elle se sentirait suffisamment coupable pour lui donner ce qu’il voulait. Si elle couchait avec Mad, ce qu’il s’apprêtait à dire risquait de la choquer. — Je dois à mon futur neveu ou à ma future nièce de trouver son assassin. Elle se figea, sans doute pour tâcher d’assembler les pièces du puzzle. Puis elle ouvrit grand la bouche. — Ta sœur. Elle est enceinte. Elle sortait avec Maddox, il m’en a parlé une fois. C’est à ce sujet que vous vous disputiez. — Je t’expliquerai tout si tu m’accompagnes. J’étalerai mes cartes sur la table et tu pourras à ton tour me montrer les tiennes. Ainsi on verra si on a de quoi gagner. Elle hocha lentement la tête, mais retira sa main de la sienne. — D’accord, mais à compter de maintenant, notre relation doit rester professionnelle. Notre weekend ensemble était une erreur, une aberration. Je vais t’aider, mais tu dois me promettre d’oublier ce qui s’est passé entre nous. Alors là, ça ne risquait pas. Cependant, elle avait raison sur un point : ça avait été une aberration. En général, quand il couchait avec une femme, il passait immédiatement à autre chose. En général, il ne ressentait rien au-delà de la satisfaction purement physique. Or, Everly lui faisait ressentir plus que ça, bien plus que ça. Et bien trop. — Tout à fait d’accord. C’était la journée des mensonges, décidément. Elle acquiesça et s’avança vers la porte. Bon Dieu, comment allait-il réussir à ne pas la toucher ? Il la suivit, complètement incapable de détourner les yeux de son derrière rebondi. Il essayait de se répéter que Mad l’avait eue en premier, qu’elle était la raison de tout ce bazar. Il essayait de se répéter que si Mad avait bel et bien été assassiné, elle était peut-être suspecte. Il avait mille et une raisons de ne pas lui faire confiance, de rester aussi loin d’elle que possible. Et pourtant, une partie de lui qu’il ne parvenait à faire taire trouvait autant de raisons de la garder à ses côtés. Elle avait appartenu à Mad, l’homme qui lui avait tout donné, à lui. Son entreprise. Ses résidences. Son argent. Alors pourquoi pas sa maîtresse ? Quand elle ouvrit la porte, la lumière aveuglante du jour inonda l’escalier. Elle s’immobilisa tout en haut et contempla l’hélicoptère. Un engin magnifique, au corps noir et blanc avec cabine assortie. D’une élégance rare. Dax avait pensé à laisser la portière ouverte, pourtant Everly ne bougeait pas. — Tu as peur ? s’enquit Gabe. — J’ai toujours eu un peu le vertige, pour ne rien te cacher. Et elle recula, comme si elle avait l’intention de filer se mettre à l’abri dans l’escalier.
Mais Gabe ne voulait surtout pas la laisser faire. Il ignorait pourquoi Mad ne l’avait jamais emmenée voler, quoi qu’il en soit ça constituait une grande partie de la vie de Gabe et depuis longtemps. Son entreprise familiale tournait justement autour des engins volants. Et puis, si elle avait peur, elle allait peut-être s’agripper à lui. Ou lui être reconnaissante de la protéger. — Je ne te laisserai pas tomber, affirma-t-il en lui tendant le bras. — Gabriel… — Mademoiselle Parker, je vous propose, très professionnellement, de vous escorter jusqu’à votre véhicule. Et crois-moi, reprit-il plus sérieusement, tu n’as pas vu Manhattan tant que tu ne l’as pas admiré de mon point de vue. Laisse-moi te montrer. Il allait devoir user de son charme. Car il avait tout fichu en l’air avec sa crise de colère. Le charisme, ça fonctionnait à tous les coups. Il allait découvrir ses secrets, la comprendre. Et une fois qu’il serait parvenu à ses fins, il serait prêt à la quitter. Elle redressa les épaules et glissa un bras sous le sien. — OK. J’imagine que c’est le meilleur moyen d’éviter la presse. On retourne au bureau ? Alors qu’il s’apprêtait à répondre, une idée lui vint. Il allait jauger ses réactions en présence de ce qui lui rappellerait Maddox Crawford. Voir si elle se languissait à l’instar d’une maîtresse ou se fermait comme quelqu’un qui détient des secrets. — Allons chez Mad, histoire de voir s’il n’aurait pas laissé quelque chose qui nous aiderait à comprendre ce qu’il mijotait avant sa mort. On va peut-être réussir à rassembler des indices. Tu veux bien m’aider à mener l’enquête ? La lumière revint dans ses iris et il la sentit s’approcher d’un iota. C’était confirmé, l’Everly s’attrapait plus facilement avec du miel qu’avec du vinaigre. Elle hésita, sembla sur le point de se raviser, puis elle opina du chef. — Baisse la tête. Les rotors tournaient vite à présent, il devait hurler à cause du bruit. Elle s’avança en direction de l’hélicoptère, suivant ses instructions, et il resta à ses côtés. Il l’installa puis saisit le casque qui le reliait à Dax, avant de lui en passer un autre. — Vous êtes prêts ? demanda Dax d’une voix forte. — Everly n’est jamais montée dans un hélico, mec. Et si on lui offrait un petit tour de Manhattan ? Je te laisse faire. Un bref silence s’ensuivit, puis un petit rire. — Eh bien, frangin, tu sais que je déteste décevoir une dame. L’hélicoptère s’éleva et Dax pivota juste assez pour qu’Everly tombe droit dans les bras de Gabe. Oui, son ami savait y faire. Il la recala dans son siège et l’aida à attacher sa ceinture de sécurité. Il allait la laisser tranquille. Pour l’instant. Car une fois qu’ils seraient seuls… Il esquissa un sourire.
8 Everly balaya la bibliothèque des yeux. L’endroit était d’un classicisme surprenant, frôlant le guindé, pour la garçonnière de Maddox Crawford. Un peu plus tôt, Gabriel avait tenu sa promesse de lui montrer Manhattan vu du ciel. La ville scintillait comme un diamant dans les lueurs du couchant. Depuis là-haut, on n’en voyait ni les poubelles, ni les passants malpolis, ni la violence. Que la beauté. Aux côtés de Gabriel, elle s’était sentie en sécurité. Ce qui faisait probablement d’elle la dernière des idiotes, vu qu’il était le suspect numéro un d’un meurtre très médiatisé. Pourtant, son instinct lui soufflait qu’il ne lui ferait pas de mal. Après le vol enivrant, ils avaient atterri sur l’héliport construit sur le toit de la demeure de Maddox. Hormis cette particularité, le manoir de trois étages en grès rouge était d’un luxe sans ostentation. Depuis qu’elle était entrée à l’intérieur, cependant, Everly ne pouvait s’empêcher d’écarquiller les yeux. Elle s’était attendue à du clinquant, du moderne, avec les derniers gadgets à la mode, un écran plat aussi grand que celui de Times Square. Au lieu de quoi, il émanait de la maison une élégance classique. Évidemment, il y avait des canapés en cuir de style contemporain à l’étage et la cuisine était meublée à l’européenne, de façon très moderne – ce qui aurait dû paraître déplacé dans cet environnement. Sauf qu’il avait aussi choisi des équipements et des matériaux qui donnaient du liant entre les éléments qui dataient de la fin du XIXe siècle et ceux plus contemporains, tout en conservant à la bâtisse son caractère. Les plafonds de plâtre, les rosaces, les moulures et les encadrements de portes lui coupèrent le souffle. L’ensemble paraissait tout droit sorti d’un magazine. Et dans la bibliothèque, l’émerveillement continuait. Sous le plafond voûté, de chaque côté de la pièce, des étagères encastrées peintes dans un blanc immaculé occupaient toute la hauteur et la largeur du mur, chacune chargée de centaines de livres aux reliures de cuir qui exhalaient une odeur divine. Au fond, une immense fenêtre ouvrait sur le « rez-de-jardin », baignant de lumière le robuste bureau ancien qui trônait en dessous. Une imposante cheminée de marbre surmontée d’un miroir encadré de bois ouvragé aussi haut que le plafond dominait l’autre côté de la pièce. Le plancher en bois sombre ajoutait une note de richesse et de confort à la pièce, une liseuse moelleuse en velours vert bouteille occupait un angle, aussi décoré d’un globe posé sur un guéridon. Pour finir, un sofa beige pâle couvert de coussins aux couleurs pastel était placé pile au centre de la pièce. Tout ici respirait la classe. Maddox n’était pas exempt de défauts, mais le bonhomme avait du style. — Tu as trouvé quelque chose ? demanda Everly, quelques heures plus tard, en découvrant Gabriel assis derrière le grand bureau.
Il leva les yeux de ce qui ressemblait à une montagne de papiers, une feuille serrée entre ses mains. — Vu que Mad n’aimait pas gérer les détails insignifiants, je ne comprends pas pourquoi il a conservé le ticket de caisse des boissons achetées pour une fête qu’il avait organisée il y a deux ans. Il voulait se rappeler à quel point il avait surpayé le traiteur ? Sérieux, il s’était fait sacrément avoir : cent mille dollars pour du champagne qui n’en valait pas vingt. En soupirant, Everly jeta un coup d’œil au reçu. — Au vu de la date et de la quantité, on dirait une facturette pour le champagne servi au gala annuel de la fondation. Cet événement est le bébé de Tavia, même si depuis deux ans, c’est Valerie qui a pris en charge la plupart des commandes et l’organisation du repas. Je ne suis pas étonnée qu’elle ait dépensé autant, elle aime ce qui est cher. Il secoua la tête. — C’est bien ce qui m’étonne : cette marque de champagne-là n’est pas chère, justement. — Eh bien, c’était pour une association caritative. Maddox a peut-être voulu optimiser la déduction fiscale. Ou alors l’hôtel surfacture ses frais. — Il aimait donner son argent pour une bonne cause, mais se faire arnaquer sur le prix de l’alcool ne colle pas vraiment au tableau. Il l’a renvoyée, cette Valerie ? — Non. Et pourtant, la vie serait plus simple pour Everly s’il l’avait fait. Gabriel semblait très intéressé par les reçus. Elle aussi, mais pas ceux de Crawford Industries. Elle venait de passer deux heures à s’introduire dans le système informatique d’un café du centreville, et à présent elle étudiait leurs paiements par carte de crédit. La boutique offrait un service de Wi-Fi gratuit et quatre ordinateurs à disposition de ses clients. Avec un peu de chance, sur les trente-sept personnes qui avaient commandé un latte au cours de l’heure précédant l’envoi de son e-mail se trouverait son contact anonyme. Restait à espérer qu’il était le même à lui avoir envoyé les photos. Dommage que la carte SD soit enfermée dans son bureau. Depuis lundi, elle avait tout essayé pour récupérer son ordinateur et ainsi pouvoir consulter le reste des images qu’il contenait. Malheureusement, la réunion où l’avait entraînée Scott ce premier matin avait duré jusqu’à la fin de la journée. Ensuite, les autres vice-présidents avaient insisté pour qu’elle assiste avec eux à une session stratégique pendant le dîner, afin de préparer l’arrivée du nouveau patron. Quand enfin elle avait pu s’échapper, il était plus de 22 heures, et la carte SD était passée à la trappe tant elle était épuisée. Le mardi matin, en revanche, elle avait eu l’intention de s’en charger séance tenante… jusqu’à ce qu’Hilary l’appelle dans le bureau de Gabe et que le monde ne parte en vrille. Pourtant, il lui fallait absolument retourner au bureau et terminer de visionner ces fichues photos. — Je suis étonné qu’il ne l’ait pas remerciée, grommela Gabriel. Mad pouvait passer pour un cinglé un peu je-m’en-foutiste, mais il ne souffrait pas l’incompétence. Rappelle-moi de passer le dossier de cette fille au peigne fin quand l’affaire sera un peu retombée. Serait-elle toujours chez Crawford Industries – ou avec Gabriel – à ce moment-là ? — Occupons-nous-en maintenant. Traversant la pièce d’un pas pressé jusqu’au fauteuil confortable de Maddox, elle saisit son ordinateur portable flambant neuf, tapa sur quelques touches et se mit à fouiller. — Tu as l’autorisation de consulter les dossiers des ressources humaines ? lui demanda Gabriel, à l’autre bout de la pièce. Everly ne répondit pas sur-le-champ, mais il ne lui fallut pas bien longtemps pour dénicher ce
qu’elle cherchait. — Je sais comment m’introduire dans les dossiers confidentiels auxquels Maddox avait accès. D’après ce que j’y vois, il n’y a eu aucun licenciement chez Crawford depuis plus de deux mois, et la dernière personne à avoir été remerciée n’appartenait même pas au service comptabilité. En fait, je ne trouve rien qui suggère une quelconque intention de renvoyer Valerie, qu’elle émane de Mad ou du responsable RH. — Pourtant il n’hésitait pas à se débarrasser des gens qui le méritaient. Tu as dégoté autre chose en examinant son ordinateur, tout à l’heure ? Avant de s’attaquer aux boîtes de facturettes, Gabriel lui avait demandé de vérifier les deux ordinateurs de la maison, un portable et un fixe. Tous les deux haut de gamme mais n’ayant pas révélé grand-chose. D’après ce qu’elle constatait, Mad avait nettoyé les deux systèmes assez récemment. — En plus d’un nombre incroyable de vidéos pornographiques ? J’ignorais que le corps humain était capable de pareilles prouesses. Gabriel lâcha un rire. — Je parie que tu en as pris plein la vue. Mad a toujours apprécié ce qui sort de l’ordinaire. Désolé, j’aurais dû m’en douter. Il posait sur elle des yeux chaleureux et pleins de considération. Quand il la regardait comme ça, elle se rappelait à quel point elle connaissait bien cet homme sur le plan physique. Elle savait le contact de ses bras enroulés autour d’elle, de son corps allongé sur le sien. Mais mieux valait mettre ces souvenirs-là de côté. — Je pense que je vais survivre, même si je n’aurais rien contre l’idée de me passer les yeux à l’eau de Javel, répondit-elle avec une grimace. J’ai aussi vérifié son agenda. Il avait plusieurs réunions, mais aucune avec Valerie ou une autre personne chargée de la compta des galas organisés pour la fondation. A priori, il ne s’est même pas posé le plus petit début de question sur ce reçu. — Pourtant, le fait qu’il l’ait laissé bien en vue au milieu de son bureau suggère qu’il le gardait à portée de main, pour une raison que j’ignore. Everly acquiesça en silence. — Il était manifestement intéressé par cette transaction en particulier, reprit-il en passant plusieurs morceaux de papier en revue. Et deux autres très similaires. Celui-ci était agrafé aux reçus concernant les fêtes de la fondation sur les trois dernières années. S’il ne nourrissait aucun soupçon, je ne vois pas pourquoi il les aurait gardés dans son espace personnel plutôt que dans les dossiers de l’entreprise. Peut-être a-t-il questionné Valerie officieusement ? — Ça ne lui ressemble pas. Le Maddox que je connaissais ne faisait certes pas toujours part de ses projets, mais il avait tendance à affronter les soucis en face. — Exact, soupira Gabriel. Je demanderai à Connor de jeter un œil aux finances de cette femme, histoire de voir s’il y trouve une trace d’argent détourné. Je vais aussi lui suggérer de découvrir si elle a un alibi pour la nuit de la mort de Mad. — Tu penses que c’est bien utile ? Elle aurait pu installer cette bombe des jours, voire des semaines en arrière. — Non, l’avion a été utilisé par un autre dirigeant de Crawford la veille. L’un des services offerts par l’aéroport que nous utilisons est une inspection en règle de l’appareil entre chaque vol. Dax a vu les rapports et m’a envoyé un SMS m’informant que Kingston, le propriétaire de l’aéroport, et son chef mécano avaient contrôlé le jet trois heures avant son décollage. Jerry Kingston est un ami de la famille de Mad depuis toujours. C’est un vieux monsieur, très gentil, qui n’avait aucune raison de souhaiter la mort de Mad. S’il y avait eu une bombe dans cet avion à ce moment-là, ils l’auraient
trouvée. Elle a donc été posée entre le checking et le décollage. Mad volait en solo. — Pourquoi se rendait-il à Washington DC ? C’était la destination indiquée sur le plan de vol. Gabriel se cala dans son fauteuil et se massa le front, comme pour chasser une migraine. — Juste après le crash, Roman m’a appris que Mad l’avait appelé la veille en demandant à rencontrer Zack. Mais sans vouloir lui révéler pourquoi. — Zack ? Tu veux parler du président ? Gabriel lâcha un petit rire. — Oui. Pour moi, c’est Zack. Ou Trottinette, quand je veux le titiller. Everly n’en revenait pas. Zachary Hayes était connu pour son sérieux immuable. — Tu appelles le président des États-Unis « Trottinette » ? Quand Gabriel souriait ainsi, elle avait du mal à se rappeler pourquoi elle devait absolument rester loin de lui. — Exact, mais j’ai juré le secret quant à la manière dont il a acquis ce surnom. Il lancerait les services secrets à mes trousses, si j’osais en parler. C’était vraiment bizarre de songer que non seulement ce magnifique individu, là, devant elle, connaissait l’homme le plus puissant au monde, mais qu’ils avaient grandi ensemble. Gabriel Bond était du genre à se déplacer en hélicoptère privé et à dîner avec le chef de l’État. Du genre à être parfaitement à son aise dans une limousine ou un manoir. Du genre à apprécier une femme comme elle pour quelques nuits torrides, avant de retourner vers les spécimens de son rang. Everly avait grandi au milieu de nulle part. Elle n’avait jamais vraiment possédé sa propre voiture, juste emprunté celle de son père car lui conduisait surtout sa voiture de patrouille. La mère de Gabriel avait été au bal des débutantes, tandis que la sienne était partie quand Everly avait six ans, en emportant jusqu’à leur dernier cent. Mais sans prendre la peine de leur dire ne serait-ce qu’au revoir. En fait, elle ne lui avait plus parlé depuis des années. Elle avait même dû enterrer son père toute seule. Gabe et elle venaient de deux univers complètement opposés, elle ferait bien de s’en souvenir. Il se cala au fond de son fauteuil et s’étira tel un prédateur paresseux. — Tu veux qu’on se commande à dîner ? J’ai croisé la gouvernante hier et lui ai accordé sa semaine le temps que je règle tout ce bazar. Mais je peux appeler Dax, il nous apportera quelque chose. Voilà qui risquait d’être un peu trop intime. — Je ferais mieux de rentrer chez moi. Car elle était quasi certaine que, même si cette maison de près de huit cents mètres carrés comptait six chambres dignes des plus grands palaces, cela restait encore trop petit pour eux deux si elle envisageait de garder ses vêtements et de dormir seule. — Ce n’est pas une bonne idée. Et il la dévisageait comme s’il savait quelque chose qu’elle ignorait. — Je ne peux pas rester ici, je n’ai pas de vêtements de rechange. Je n’ai rien du tout. Enfin, à l’exception de son sac à main. Qu’elle n’avait pas rempli avec des sous-vêtements propres ou son nécessaire de toilette. Gabriel haussa les épaules. — La bonne nouvelle, c’est que Mad a un placard entier plein de bricoles laissées là par des femmes. Je suis sûr qu’on pourrait y trouver quelque chose qui t’aille. La mauvaise nouvelle, c’est que ton immeuble est probablement cerné par des journalistes, au moment où nous parlons. Ils ont dû
découvrir ton identité ce matin, et quelqu’un les a même informés de ta présence au poste de police avec moi. Alors à moins que tu ne rêves de connaître ton quart d’heure de gloire, je crains que tu ne sois coincée ici avec moi. — Pourquoi s’intéresseraient-ils à moi ? OK, ils l’avaient surprise quittant un hôtel deux jours plus tôt, mais… — Je n’ai fait que passer un week-end avec toi. — Everly, tu dois comprendre comment fonctionnent les rumeurs. Ils ont deviné le nom de mon rendez-vous mystérieux dans la matinée et ont commencé à poser des questions. Ta venue au commissariat avec moi n’a fait qu’ajouter un peu de sel à la chose. De leur point de vue, l’histoire n’en est que plus juteuse. Je peux te garantir que ces reporters ont dû contacter tous les employés de Crawford sans exception et graisser la patte de ceux qui voulaient bien parler. Et tu devines ce qu’ils auront raconté ? Elle le savait déjà, et ça lui donnait des envies de hurler. — Que j’étais la maîtresse de Maddox. — Bingo. Du coup, depuis qu’ils t’ont vue quitter l’hôtel après notre nuit ensemble, je te parie tout ce que tu veux qu’à présent ils proclament que tu es ma maîtresse. Il se peut même que certaines rumeurs folles circulent sur quelque ménage à trois ou sur la possibilité que j’aie tué Mad par jalousie. Je ne doute pas non plus qu’ils s’interrogent publiquement sur la raison de ta présence au commissariat : pour me fournir un alibi ou enfoncer le dernier clou dans mon cercueil. — Oh, bon Dieu. Quelle pagaille ! Cette journée était vraiment horrible. En fait, elle aurait même voulu effacer la semaine tout entière et la recommencer du début. — Ouais, comme tu dis. Ne t’étonne pas si la police demande à t’interroger aussi. Le cas échéant, Roman t’accompagnera ou bien il t’enverra l’un de ses anciens associés pour te représenter. Je ne te laisserai pas traverser ça toute seule. Les bras lui en tombaient. Bouché bée, elle contemplait Gabriel, tâchant de digérer tout ce qu’il venait de lui expliquer. Ça ne pouvait pas être vrai. Personne ne pouvait l’imaginer en maîtresse d’un homme aussi puissant. Encore moins de deux. — Qui irait croire que tu tuerais ton meilleur ami pour moi ? C’est ridicule. — Peut-être mais ça ferait une super histoire. Les tabloïdes ne sont pas en quête de vérité. Ils s’intéressent à tout ce qui est susceptible de faire vendre du papier ou de susciter des vues sur le Net. Et ils surveillent ton immeuble, ça, je peux te le garantir. Il lui prit l’ordinateur des mains, pianota un instant et tourna l’écran vers elle. Horrifiée, elle lut le titre : ET UNE FEMME EST VENUE SE METTRE ENTRE EUX… L’article incluait des photos de Maddox et Gabriel au fil des ans. Ils avaient aussi posté à nouveau celle d’Everly quittant l’hôtel en courant. Bon sang… Elle ne rêvait donc pas. Elle se tourna vers les chantoungs gris qui cachaient la fenêtre. Le bureau se trouvait juste au-dessous du niveau de la rue. Avec les rideaux tirés, elle ne voyait pas dehors, pourtant elle se surprit à regretter qu’il n’y ait pas un peu plus que du tissu et du verre pour la séparer du monde extérieur. — Tu crois qu’ils nous ont pistés jusqu’ici ? Il secoua brièvement la tête. — Non. Dax et moi nous en sommes assurés. Un leurre de moi a été vu sortant de mon immeuble, et Connor a embauché une actrice qui te ressemble pour entrer dans le tien. Elle va passer devant ta
fenêtre toutes les deux-trois heures, ce qui les obligera à rester postés là-bas. — Il y a une étrangère dans mon loft ? Comment elle a pu entrer ? J’ai mes clés sur moi. — Tu en es sûre ? Elle alla vérifier dans son sac à main. Évidemment, ses clés n’y étaient plus. — Tu m’as volé mes clés ? — Non, c’est Dax qui s’en est chargé. Il a la main preste, mais s’il n’avait pas réussi à te les prendre, je peux t’assurer que Connor se serait débrouillé pour entrer chez toi par un autre moyen. Alors si tu dois en vouloir à quelqu’un, prends-t’en à moi. C’est ce que j’ai trouvé de mieux pour te débarrasser de la presse. Ni toi ni moi ne pouvons rentrer chez nous, désormais. Je me suis dit que la maison de Mad ferait un compromis acceptable, et comme il se trouve que j’avais les clés… Il a hérité d’un manoir encore plus grand à la mort de son père. C’est l’adresse qu’il donnait en général, même si en fait il préférait vivre ici. Ça pourrait prendre quelques jours avant que les journalistes ne découvrent où l’on se cache. Mais ils ne pourraient pas non plus sortir d’ici. Comment sa vie avait-elle pu être aussi complètement chamboulée en l’espace de quelques jours ? — Je n’arrive pas à croire que j’aie besoin de quelqu’un pour détourner l’attention de la presse. Je n’ai jamais été la maîtresse de Maddox. Gabe l’observa un instant, les paupières plissées. — D’accord. Disons que je te crois. Quelle était la nature de votre relation, dans ce cas ? Tu travaillais pour lui en dehors du bureau ? — Pas officiellement, même si on discutait en effet de travail. La première fois qu’il a débarqué chez moi, au loft, il a prétendu vouloir un compte rendu de mes projets concernant l’installation d’un nouveau système de cyber-sécurité. Sauf qu’au bout de quelques minutes, il a changé de sujet et on a fini par discuter de tout et de rien. On était juste amis. Elle ne savait pas trop comment elle pouvait désigner leur relation autrement que par ce terme. — Mad n’avait pas d’amies femmes. Il avait des maîtresses et des employées. La frustration menaçait de lui faire bouillir les sangs. — Avant notre week-end ensemble, je n’avais couché avec personne depuis un an et demi. Maddox et moi ne partagions rien de romantique, encore moins de sexuel. Quand il a commencé à venir chez moi, il semblait… seul. Triste. — Il venait toujours chez toi ? Pardon, mais j’ignorais que Maddox savait comment se rendre à Brooklyn. Everly sourit. C’était vrai qu’il pouvait se montrer particulièrement snob, parfois. — Eh bien, il faut croire qu’il avait appris. Son chauffeur le déposait, cela dit. Il n’allait tout de même pas prendre le métro. — Tu veux donc dire que tu n’étais jamais entrée ici avant ? — Pas une fois. Jamais il ne l’avait invitée ici et jamais elle n’avait demandé à venir. Il semblait aimer son loft douillet. — Il lui est arrivé de passer la nuit chez toi ? Maddox était un oiseau de nuit. Il pouvait la garder éveillée jusqu’à 2 ou 3 heures du matin, ça arrivait même fréquemment. Mais en général, il rentrait ensuite à Manhattan. — Rien qu’une fois. Il était soûl et il s’est pointé chez moi sans m’avoir avertie. Quand il a sonné à l’Interphone en me demandant de le laisser monter, j’ai compris qu’il n’était pas lui-même. Il ne cessait de parler d’une femme. J’étais inquiète pour lui, ce soir-là.
— Tu te rappelles le nom de la femme dont il parlait ? — Il ne l’a jamais mentionné. Je n’ai pas voulu me montrer curieuse. Il a juste dit qu’il l’aimait et qu’il l’avait perdue. — C’était il y a combien de temps ? Elle tenta de se souvenir de la date exacte, en vain. — Environ deux mois. Mais bref, je n’ai fait que le mettre au lit. J’ai dormi sur le canapé. Le lendemain matin, il s’est excusé de m’avoir dérangée et a juré de prendre le canapé la prochaine fois. Et quand je lui ai demandé s’il y aurait une prochaine fois, il m’a offert l’un de ces sourires ironiques dont il avait le secret et a haussé les épaules. Tu penses qu’il était bouleversé au sujet de ta sœur ? Gabriel resta silencieux quelques secondes. — Le timing correspondrait. S’il se sentait coupable par rapport à Sara, il avait de bonnes raisons. Pourtant je doute sérieusement qu’il l’ait jamais aimée. Je ne vois pas comment c’est possible, vu la façon dont il l’a traitée. En toute franchise, je ne pense pas que Mad ait un jour su aimer une seule femme à la fois. Comment t’es-tu retrouvée à travailler chez Crawford ? Qui t’a recrutée ? Voilà qui constituait un autre mystère. — Un chasseur de têtes m’a contactée et débauchée de chez mon employeur précédent. J’étais chef d’équipe dans le service informatique d’une entreprise d’environ cent personnes – bien plus modeste que Crawford, quoi – quand le gars m’a appelée. Il m’a offert un poste sur-le-champ. J’ai mis quelques jours avant de finir par croire que cette proposition était bien réelle. — Tu n’étais pas manager dans ton dernier emploi ? Elle secoua la tête. — Pas vraiment. Je venais d’être nommée chef de projet. Certes, j’étais sur la bonne voie, mais ça m’aurait pris encore des années avant d’atteindre le niveau auquel je me trouve aujourd’hui. J’ai eu de la chance. — Énormément de chance, en effet, fit-il remarquer. Et ce chasseur de têtes représentait Crawford ? Tu reconnaîtrais son nom ? — Bien entendu. Comment oublier le nom d’un homme qui avait littéralement changé sa vie ? Son père était mort quelques semaines avant son coup de fil. Elle était déprimée, et cette offre avait constitué une porte ouverte vers un avenir plus lumineux à une période où elle en avait bien besoin. Gabriel désigna l’ordinateur portable du menton. — Introduis-toi dans la boîte e-mail de Mad et cherche d’éventuels messages qu’il aurait écrits au chasseur de têtes à ton sujet. — Pourquoi ? Qu’est-ce que cette histoire avait à voir avec la résolution du meurtre de Maddox ? — Parce que je ne crois pas que ta nomination chez Crawford ait eu le moindre rapport avec le hasard. Mad n’utilisait jamais les services des chasseurs de têtes. Il avait une division RH solide et préférait les promotions en interne chaque fois qu’il en avait la possibilité. — Je suis bien certaine qu’il n’a pas été en liaison directe avec le chasseur de têtes. Comme tu l’as dit, il avait un service de ressources humaines. Peut-être ne trouvaient-ils aucun candidat doté des capacités idoines au sein de l’entreprise, et ça expliquerait qu’ils soient allés pêcher ailleurs ? — Fais-moi plaisir, vas-y. J’ai une intuition et j’aimerais vérifier si j’ai raison. Essayait-il de prouver que Maddox l’avait engagée dans le but de coucher avec elle ? Elle savait que c’était faux, mais elle redoutait de donner à Gabriel une quelconque information qu’il risquait de détourner dans ce sens.
— Qu’est-ce qui t’amène à penser que Maddox se serait investi à ce point dans l’embauche d’un chef de projet sécurité ? Car c’est l’intitulé du poste pour lequel j’ai été recrutée à la base. Un mois plus tard, une équipe nouvelle, plus importante encore, a été formée sur les menaces concernant la cyber-sécurité. Cette équipe avait besoin d’un leader, un poste qui correspondait parfaitement à mes qualifications. Cinq mois après, l’ancien numéro deux du service cyber-sécurité a pris sa retraite, et j’ai été promue à sa place. — Il se trouvait sans doute d’autres personnes au sein de l’équipe qui travaillaient chez Crawford depuis plus longtemps et possédaient les mêmes qualifications. Elle en voyait quelques-unes, en effet. — Maddox voulait peut-être un individu plus jeune, plus versé dans les outils de sécurité électroniques que mon prédécesseur ou ses collègues. — Quand bien même, il t’aurait fallu des années avant d’atteindre un poste de management pareil. À moins qu’une personne puissante ne t’ait justement choisie pour le rôle. Gabriel se trompait. Forcément. Il n’y avait aucune raison pour que Maddox Crawford ait eu le moindre intérêt pour elle avant leur rencontre. — Ça n’a aucun sens. — Je sais comment fonctionnait Mad, vérifie s’il te plaît, insista-t-il, désignant l’ordinateur portable de son ami. — J’ai déjà passé en revue ses e-mails professionnels. On a de la chance que l’informatique n’ait pas encore détruit son compte, soit dit en passant. En tout cas, je n’ai rien vu du genre de ce que tu décris. Sa remarque fit hésiter Gabriel, puis il revint à la charge : — Et ses e-mails personnels ? Tu les as regardés aussi ? Avec un soupir, elle saisit l’ordinateur. Il était comme un chien qui venait de trouver un os. — OK, OK, je vais le faire maintenant. Elle ouvrit la messagerie de son ancien patron, mais se retrouva face à un mot de passe à entrer. Elle pouvait le contourner, mais la solution la plus facile était de deviner ce code. Une personne très intelligente choisissait une série de chiffres et de lettres pris au hasard, mais la plupart des gens normaux optaient pour quelque chose de personnel. Qu’en était-il de Maddox ? Il ne lui apparaissait pas comme le genre d’homme à verser dans le sentimental ou l’obsessionnel – à une exception près. Le soir où il avait débarqué chez elle complètement soûl, il était focalisé sur un unique objet. — Comment s’appelle ta sœur ? — Sara, répondit Gabriel, avant de lui épeler le prénom. Elle l’entra, et la boîte e-mail s’ouvrit comme par magie. — C’est bon, j’y suis. Gabriel se redressa. — Il avait choisi « Sara » comme mot de passe ? — Oui. Je sais que tu penses le contraire, mais c’était probablement la femme dont il parlait, la fameuse nuit où je l’ai vu. Il n’a plus jamais été le même, ensuite. Il passait de plus en plus de temps avec moi, tout en ayant l’air atrocement seul. Gabriel se passa une main dans les cheveux. — Je ne comprends pas. Il avait rompu avec Sara. Ils étaient pourtant heureux – du moins je le croyais. (Il soupira.) Le salaud. Sara s’était faite toute belle pour assister à une réception avec lui. Ils avaient prévu de rendre leur relation publique. Et alors qu’elle attendait qu’il vienne la chercher, il lui a envoyé un SMS de rupture. Comment aurait-il pu tenir à Sara et la traiter de cette manière ?
Everly n’en avait effectivement aucune idée. Elle observa l’écran de l’ordinateur, puis déplaça le curseur sur le champ de recherches, où elle tapa le nom de son chasseur de têtes. Des réponses apparurent immédiatement, révélant quelques messages. Ce qui la surprit. — Tu avais raison, pour les e-mails. Je ne comprends pas pourquoi un homme aussi puissant que Maddox Crawford aurait été en contact direct avec un chasseur de têtes. — Qu’est-ce que tu vois dans sa boîte ? Il recherchait des compétences spécifiques ? Elle dut étudier attentivement les courriers qu’elle lisait, car elle n’y trouvait pas le moindre sens. — Non, finit-elle par répondre. Il me recherchait, moi. Comment pouvait-il être à ma recherche, en connaissant mon nom, alors qu’on ne s’était jamais rencontrés ? Il avait donné toutes mes informations personnelles au chasseur de têtes. Je me demande bien où il avait dégoté tout ça. Et puis, il lui a demandé de m’embaucher, quelles que soient mes exigences. Si j’avais su, j’aurais demandé plus d’argent. Gabriel se leva et contourna le bureau pour venir se planter derrière elle et lire par-dessus son épaule. Quand il se pencha, elle sentit la chaleur de son corps. — Ouvre la pièce jointe envoyée par Mad. Elle cliqua et reçut un nouveau choc. — Un dossier complet sur moi. Mon permis de conduire, mon numéro de sécurité sociale, mes résultats scolaires. Bon sang, mais qu’est-ce qui se passe ? — Je ne sais pas trop non plus, en tout cas une conclusion s’impose : il s’intéressait à toi. Il s’écarta et se mit à arpenter la pièce. — Aucun de ces e-mails n’explique pourquoi il voulait t’engager ? s’enquit-il. Elle lut rapidement le reste des messages. — Non. Maddox a juste indiqué au chasseur de têtes d’agir vite et qu’il toucherait un bonus s’il parvenait à m’embarquer dans les six semaines. — Et pourtant, il voulait juste être ton ami, marmonna Gabriel d’un ton visiblement incrédule. Mais qui es-tu, à la fin, Everly Parker ? — Personne, chuchota-t-elle. J’ai été élevée au milieu de nulle part par un simple flic. Je suis allée dans une université publique et j’ai travaillé presque à plein temps pour m’en sortir. J’ai trouvé un travail correct après mon diplôme, mais bon, il n’y a rien là-dedans qui soit classé secret défense. — Peut-être pas, mais tu sais comment pirater un système informatique. — N’importe qui dans ma branche sait en faire autant. Même si, dans le secret de son cœur, elle se pensait un tout petit peu meilleure que la plupart de ses homologues. Grâce à des heures et des heures de travail. — Tu as déjà piraté des systèmes que tu n’aurais pas dû pénétrer ? En plus de ceux contenant les bandes-annonces de Peter Jackson ? — Pas depuis des années. J’admets m’être introduite dans certains endroits qui auraient pu m’attirer des ennuis, mais ça, c’était à la fac. Pourquoi est-ce que ça aurait intéressé Maddox maintenant ? Je ne l’ai jamais fait pour nuire à qui que ce soit, plutôt pour me prouver à moi-même que j’en étais capable. — Peut-être as-tu vu quelque chose dont tu ignores l’importance ? Peut-être, en effet, pourtant elle ne voyait pas comment tout ça allait les aider à trouver qui avait tué Maddox et pourquoi. Si un employé de Crawford Industries s’était senti froissé de n’avoir pas été promu quand son prédécesseur était parti en retraite, oui, il aurait pu tuer son patron sous l’effet de la rage. Mais il aurait été bien plus logique que le présumé floué se débarrasse d’elle dans l’espoir que
Mad le choisisse, lui, pour reprendre le poste. Et puis, elle était venue jusqu’ici avec Gabriel pour obtenir des réponses, et voilà qu’il se contentait de lui poser des tas de questions. Elle commençait à en avoir assez de cet interrogatoire. — Je ne pense pas, éluda-t-elle. Nous pourrons toujours y revenir plus tard. Raconte-moi plutôt ce que tu n’as pas dit à la police. Il s’immobilisa et elle vit son visage se changer en pierre. — Je leur ai dit tout ce qui était important. — C’est donc ainsi que tu comptes procéder ? (Elle lâcha un soupir exaspéré.) Tu m’as emmenée ici dans l’unique but de découvrir mon rôle dans tout ça. En revanche, tu n’as jamais eu la moindre intention de partager ce que tu sais. — Je ne sais rien du tout. Elle se leva et se dirigea vers l’escalier. Direction : la porte d’entrée. — Dans ce cas, je pense qu’on n’a plus rien à se dire. Je vais tenter ma chance avec la presse. Peu lui importait que son immeuble soit entouré de reporters. Elle trouverait un hôtel. Ou mieux encore, elle prendrait quelques jours de repos et quitterait la ville. Elle avait des amis d’université éparpillés à quelques heures de là. Et une tante paternelle, qui vivait dans le Connecticut. Elle pourrait aussi se rendre sur la tombe de son père et décider où se retirer pour réfléchir à ce qu’elle allait bien pouvoir faire de sa vie à présent. Gabriel vint la prendre par la taille, l’attirant contre son corps d’acier. — Ne pars pas, lui susurra-t-il au creux de l’oreille. Trois mots prononcés à voix basse, et il réussit à la transporter dans l’intimité de leur week-end ensemble. Elle se rappela la sensation d’être allongée sous lui, avec ce corps musclé qui travaillait à les emporter tous les deux vers l’orgasme. Elle se souvint aussi de la sécurité qu’elle avait ressentie dans ses bras. Quand il l’avait serrée, enveloppée, qu’il lui avait fait perdre le souffle. Pourquoi n’arrêtait-elle pas d’y repenser ? Bon sang ! — Ne me touche pas comme ça, siffla-t-elle. Tu es mon patron, désormais. Point barre. Il l’entoura de ses deux bras et la retint fermement. — Quand je t’enlace, c’est comme un baume. Tu es la première personne à me faire du bien depuis une éternité. Ne me prive pas de ce soulagement. Pour elle aussi, c’était bon. Mais elle savait que cette sensation enivrante d’intimité ne durerait que le temps de l’excitation. Ensuite, il la repousserait à nouveau et elle serait dévastée. Peu importait le plaisir qu’elle éprouvait en sa compagnie, ce bien-être momentané ne valait pas la douleur qui s’ensuivrait. Elle s’était laissé convaincre de l’accompagner ici car il lui avait promis de se montrer honnête avec elle. — Il le faut, pourtant. Je ne vais pas me répéter, Gabriel. Si tu ne peux pas me faire confiance, alors il est temps pour moi de partir. — J’étais à l’aéroport, ce jour-là. Elle s’immobilisa dans ses bras. Pas étonnant qu’il ait hésité à lui dévoiler cette information. — Tu es en train de me dire que tu étais sur place quand Maddox a décollé ? — Oui. Elle sentit son souffle saccadé dans ses cheveux. — Pourquoi ? — Je devais encore lui parler. J’y suis allé pour essayer. J’avais marché des heures dans le parc. Une fois que je me suis un peu calmé, j’ai compris que je ne pouvais pas laisser les choses en l’état entre nous. On avait été amis pendant la majeure partie de notre vie. Je me suis rendu compte que je
devais sauver ce qu’il était possible de sauver, en espérant qu’il finirait par chercher à nouer une forme de relation avec ce bébé à naître. Il soupira derrière elle, et son mouvement les rapprocha un peu plus. — Mad aurait été le premier d’entre nous à devenir père. Ce jour-là, je ne pouvais pas envisager qu’il ne connaisse jamais son enfant. On… Comment je pourrais formuler ça sans passer pour le pauvre petit gosse de riches qui se plaint ? — Je sais que tes parents n’étaient pas très présents. Everly ne pouvait s’empêcher de compatir. Même avant le départ de sa mère, elle avait toujours ressenti une distance avec cette femme, et ça avait été douloureux. Alors même si cela faisait d’elle une idiote, elle comprenait la tristesse de Gabriel. Quelque chose au fond d’elle lui donnait envie de le réconforter. Elle lui agrippa les bras, toujours noués autour d’elle, et se laissa attirer plus près. — La plupart du temps, c’était la Creighton Academy qui me tenait lieu de parents, admit-il. C’est là que j’ai rencontré tous mes amis. Parfois, je me dis que j’ai passé mon enfance tout seul, jusqu’à ma rencontre avec Mad. Bien des traits qui constituent l’homme que je suis aujourd’hui, je les tiens de lui et de son amitié constante. Il pleurait vraiment la mort de Maddox. Le chagrin qui creusait sa voix déchirait le cœur d’Everly. Par certains côtés, il n’avait pas seulement perdu un ami, mais aussi un homme qu’il considérait comme un frère. Et de la plus atroce des façons, en plus. — Gabriel… — S’il te plaît, je dois vider mon sac. La manière dont il s’agrippait à elle lui indiquait que seule une volonté d’acier lui permettait de continuer à vivre. — Ce jour-là, quand je me suis assis dans le parc après l’avoir menacé de le tuer, j’ai songé à ce que cela représentait, d’avoir des enfants. Ces cinq hommes ont été fondamentaux dans la construction de ma vie. Je n’arrivais pas à imaginer un monde dans lequel nos familles respectives ne se connaîtraient pas. Je n’arrivais pas à imaginer que nous ne puissions pas tous nous retrouver avec nos gosses pour nous détendre, pour rire, boire et crier sur les gamins, contrairement à nos parents, qui n’ont jamais été là pour nous crier dessus. On était censés être mieux qu’eux, nom de Dieu. Nos enfants étaient censés avoir une enfance digne de ce nom. Everly se lova contre Gabriel. Il lâcha un soupir et, comme à contrecœur, relâcha son étreinte. Pourtant elle ne quitta pas l’espace de ses bras. Non, elle pivota sur elle-même, face à lui, sans se préoccuper du bien-fondé de cette idée. Peu importait en cet instant : seule la désolation qu’elle percevait dans sa voix comptait. Ça la ramenait directement aux instants qu’ils avaient partagés, au Plaza, avant que noms et réputation n’entrent en ligne de compte. C’était peut-être une erreur, mais elle tenait à cet homme, et il souffrait. Elle l’enlaça. Il hésita une fraction de seconde, puis il la serra très fort contre lui. Ils partagèrent un moment de soutien silencieux. Gabriel semblait tirer des forces de son contact. Enfin, il posa le menton sur sa tête. — Je croyais que tu allais me repousser. — Je le devrais. Pourtant elle le sentait qui l’attirait plus étroitement contre lui, comme s’il refusait de la laisser jamais partir. En cet instant, elle voulait croire que ce qu’il y avait entre eux – quoi que ce soit – pouvait fonctionner. — Ne le fais pas, s’il te plaît. Laisse-moi profiter de ce moment.
Il lui posa une main sur la joue. Un geste qui dénotait l’affection plus que le désir purement sexuel, une marque de tendresse presque douloureuse pour Everly. S’il l’avait entraînée jusqu’au bureau et avait entrepris de lui arracher tous ses vêtements, elle aurait été capable de lui résister. Peutêtre. Mais la douceur de sa caresse la désarma complètement. Et le besoin de se protéger disparut sans laisser de trace, remplacé par le besoin de le réconforter, lui. — Tout va bien, Gabriel. — Non, tout ne va pas bien. Et j’ignore si les choses iront bien à nouveau un jour. Tout ce que je sais, c’est que malgré ses défauts, Mad me manque. Et je sais aussi que je te désire. Tu penses qu’on peut revenir à une relation professionnelle, moi, je sais que j’en suis incapable. Parce que je n’arrête pas de penser à toi, c’est plus fort que moi. Il ne s’est pas passé cinq minutes sans que je pense à toi depuis notre rencontre. Pareil pour elle. Chaque seconde de sa vie semblait consumée par Gabriel. — Je pense à toi, moi aussi. Il s’écarta, juste assez pour l’observer. — On est tous les deux dans le même bateau, tu sais. Depuis le début, je me sens coupable de t’entraîner dans ce bazar, même si de toute façon, les rumeurs de ta relation avec Mad auraient fini par sortir. Mais je suis content que tu sois là. Je ne suis pas certain que tu aurais pu gérer la presse toute seule. C’était la vérité. Elle savait gérer pas mal de choses en solo, elle était très compétente. Son père lui avait appris l’autodéfense et le maniement des armes. Elle était à l’aise quand il s’agissait de choisir entre la fuite ou l’affrontement. En revanche, elle n’avait pas la moindre idée de la manière d’affronter une foule de journalistes insistants. Si on l’avait laissée se débrouiller par ses propres moyens, elle serait rentrée chez elle, sans se rendre compte du problème avant d’être complètement engluée dedans. — C’est ton monde, je ne le comprends pas vraiment. Son regard se fit sérieux. — Je vais prendre soin de toi, Everly. Tenir la presse à l’écart. Avec un peu de chance, une fois qu’on aura découvert ce qui est réellement arrivé à Mad, ils cesseront de s’intéresser à toi et passeront à la prochaine histoire juteuse. Alors tu pourras reprendre le cours normal de ta vie. Tu veux bien me faire confiance ? Il lui prit le visage en coupe et dessina le contour de sa lèvre inférieure de la pulpe du pouce. — Tu veux bien rester à mes côtés et tâcher de résoudre ce mystère de fou ? Serait-elle en mesure de passer des journées entières avec lui tout en restant sur ses gardes ? Elle ne voyait pas comment. Déjà qu’elle était lovée entre ses bras, deux heures à peine après s’être juré de s’en tenir à une relation strictement professionnelle. Elle se mentirait si elle niait la connexion qu’elle ressentait avec lui. Pourtant, elle devait essayer de résister à la tentation qu’il représentait. Rien ne ressortirait d’une relation entre eux, si ce n’est d’exquises parties de jambes en l’air – et un chagrin d’amour. Mais elle était une grande fille, elle survivrait. — Si tu te montres honnête avec moi, alors ma réponse est « oui ». Elle se dégagea de son étreinte et quitta le confort de ses bras. La culpabilité la rongeait. Elle réclamait de lui de la franchise, alors qu’elle-même n’était pas prête à lui parler des SMS ou des photos. Elle avait besoin de temps pour s’assurer de la pertinence de ce qu’elle avait reçu. À présent qu’elle était impliquée dans l’affaire, son instinct d’enquêtrice ruait dans les brancards. Elle avait un rôle à jouer et la sensation que, si Gabriel devinait son impatience, il lui barrerait le chemin. Soit pour cacher quelque chose, soit pour protéger la « faible femme », elle ne
savait pas encore, en tout cas il essaierait. Il lâcha un soupir. Elle le soupçonnait de lui accorder un peu d’espace pour l’instant, et d’avoir prévu de se montrer plus convaincant ensuite. — D’accord. Je t’ai dévoilé mes secrets. Tu en sais suffisamment pour te rendre au poste de police et leur donner une bonne raison de m’arrêter. Elle n’en ferait rien. Peut-être était-elle stupide, peut-être ses hormones affectaient-elles son jugement, en tout cas elle était persuadée qu’il ne s’était pas rendu à l’aéroport ce jour-là avec de mauvaises intentions. — Pourquoi est-ce qu’ils ne t’ont pas vu sur les vidéos de surveillance ? Ils ont forcément des caméras à l’aéroport. — C’est un tout petit aérodrome, plutôt sélect. Ils sont aussi très discrets. C’est la raison pour laquelle on utilise ce genre d’endroits. Il y a de la vidéo surveillance, mais la sécurité n’est pas aussi stricte ou agressive que dans un aéroport public. Peut-être que je n’ai été filmé par aucune de leurs caméras. Je n’en sais rien. C’était bien la dernière chose que j’avais en tête ce jour-là. Mais au bout du compte, la police va retrouver les tickets de péage de ma voiture et découvrir où j’étais. Si j’avais vraiment eu l’intention d’assassiner mon ami, j’aurais couvert mes arrières, mais je suis certain que cette logique leur échappera totalement. Sans doute, en effet. — Alors tu vas avoir du mal à leur expliquer pourquoi tu as menti durant ton interrogatoire. — Mais si j’avais tout raconté à l’inspecteur Johnson, il m’aurait mis derrière les barreaux sur-lechamp. Je devais gagner du temps afin de voir si je pouvais démêler l’écheveau. Je sais bien que Dax ou Connor auraient pu le faire, mais ils ne connaissaient pas Mad aussi bien que moi. Si quelqu’un l’a tué de façon aussi préméditée, cette personne avait forcément un motif et je dois le trouver. Ça devait aussi être quelqu’un doté de certains moyens, qui connaissait le maniement des explosifs et savait que Mad comptait se rendre en avion à Washington DC ce soir-là. Il retourna au bureau. — Je pensais dénicher quelque chose là-dedans. Sa table de travail est un bazar sans nom. Mad n’a jamais été un modèle d’organisation, ça va me prendre la nuit pour passer en revue le reste de ces papiers. Je ne sais même pas ce que je cherche. Dommage qu’il n’ait pas tenu un journal intime, tiens. — En effet, Mad n’était pas une adolescente, répliqua-t-elle. Je pense qu’on doit découvrir pourquoi il voulait rencontrer le président. Je doute qu’il ait décidé de se rendre là-bas pour prendre une bière. Sur qui t’interrogeait-il dans la vidéo au restaurant ? Il y mentionne un nom. — Sergeï. Un nom russe. Il n’a pas précisé de nom de famille. Ça aurait pu nous aider. Je ne connais aucun Sergeï, je n’en ai jamais rencontré. Et ce n’est pas parce que c’est un nom russe que ce type est russe pour autant. Ce Sergeï pourrait être aussi américain que toi et moi. — Si Maddox se rendait auprès de M. Hayes, Sergeï était peut-être une connaissance du président. — Possible. Vu que le père de Zack a été ambassadeur de Russie pendant des années, il a passé pas mal de temps dans ce pays, fit remarquer Gabriel. Ses parents l’avaient renvoyé ici pour l’inscrire dans une école privée. Il n’est arrivé à Creighton qu’en cinquième. Chaque fois qu’il retournait à Moscou pour rendre visite à son père, je sais qu’il était très protégé du monde extérieur, mais ça vaut tout de même la peine de jeter un coup d’œil. J’en parlerai à Roman demain, on verra si on peut organiser un rendez-vous téléphonique ou un truc comme ça. En attendant, je vais continuer à chercher. Il se rassit derrière le bureau, et ses épaules s’affaissèrent quand il considéra la montagne de papiers devant lui. Everly ne pouvait s’empêcher de l’observer.
— Tu sais, je crois que Maddox redoutait des problèmes. Les dernières semaines, il n’était pas seulement triste, il était aussi angoissé. C’est peut-être pour ça qu’il avait rompu avec ta sœur. Gabriel baissa les yeux. — S’il avait été inquiet, il aurait dû venir m’en parler, répondit-il dans un haussement d’épaules. Il aurait dû tout tenter, plutôt que de la briser, de l’humilier. Mad et moi, on a traversé pas mal de choses ensemble. Bon Dieu, on s’est fait des promesses, tous les six ! Je sais qu’elles remontent à notre enfance, pourtant on s’y est tenu pendant des décennies. Alors n’essaie pas de justifier la façon dont il a traité Sara. Un frisson glacé sembla le parcourir, et Everly sentit que le moment n’était pas bien choisi pour l’approcher. Malgré l’intimité qu’ils avaient partagée quelques minutes plus tôt, il recommençait à la regarder comme ce matin dans son bureau. Elle devait se rappeler que son ressentiment concernant la relation qu’elle avait entretenue avec Mad était toujours bien présent, sa suspicion toujours bouillonnante sous la surface. Derrière ce superbe visage. — Je vais aller voir s’il y a de quoi nous préparer à dîner. — Merci, j’apprécierais beaucoup. Elle le contempla un instant, mais toute son attention était désormais focalisée sur les morceaux de papier éparpillés sur la table de travail robuste et masculine devant lui. Il s’était refermé sur luimême, et c’était probablement mieux ainsi. Plus grande était la distance entre eux, plus ils seraient en mesure de se concentrer sur ce qui importait vraiment. Elle tourna les talons et quitta la pièce, le laissant à ses pensées. Alors qu’elle franchissait le seuil, son téléphone sonna, l’avertissant de l’arrivée d’un SMS. Elle le sortit de sa poche et lut les mots qui s’affichaient. Ne te fais pas prendre dans les filets de Bond. Retrouve-moi plutôt demain. 15 h parking souterrain. Je répondrai à tes questions. Le cœur battant, elle n’arrivait pas à détacher son regard de l’écran. Son mystérieux interlocuteur avançait la date de leur rendez-vous. Voir cette personne seule dans un parking souterrain, voilà qui était dangereux, sans l’ombre d’un doute. Mais il avait peut-être des pistes sur le meurtre de Maddox, des informations qui aideraient à résoudre le mystère et à innocenter Gabriel ? Quelque chose qui l’aiderait, elle, à revenir à sa vie normale ? Demain. Elle avait jusque-là pour dénicher tout ce qu’elle pouvait sur la mort de Maddox et décider de la démarche à adopter ensuite. Deux heures plus tard, Gabe s’adossa à son fauteuil. Pourquoi était-il aussi remonté ? Entre le repas qu’Everly lui avait apporté et la demi-bouteille de pinot noir qu’il avait descendue – l’excellent pinot de Mad – il refusait de se rappeler pourquoi le monde était un endroit aussi merdique. Leur dîner – poulet, pommes de terre et petits pois surgelés qu’elle avait réussi à rendre délicieux – avait été simple mais goûteux, surtout grâce à la patte d’Everly. Une fois la nourriture et la boisson avalées, le calme de la soirée s’était changé en une nuit silencieuse. La pénombre avait envahi la pièce, et la lampe de bureau de Mad n’éclairait pas grandchose entre eux deux. L’atmosphère s’était alors peu à peu chargée de tension. Elle était si jolie. Et si proche. Gabe n’avait pas envie de retourner à ses paperasses ni au meurtre qu’il essayait de démêler. Il voulait oublier, au contraire, et passer la soirée fiché à l’intérieur d’Everly. — Je vais débarrasser, annonça-t-elle en ramassant les assiettes. — Attends. Si elle retournait à l’étage principal, il ne la reverrait sans doute pas avant le lendemain matin.
Peut-être d’ailleurs serait-ce sage, vu les problèmes qui s’entassaient devant sa porte, et puis il n’était pas encore sûr du rôle qu’elle avait joué dans la vie de Mad. Cela importait probablement peu à présent, pourtant il n’arrivait pas à cesser de se demander pourquoi Mad l’avait nommée à la tête de la cyber-sécurité de Crawford. Ni pourquoi son vieil ami lui avait accordé son temps et son attention s’il ne couchait pas avec elle. Everly pouvait tout à fait mentir à ce sujet, mais là non plus, il n’était pas sûr que cela compte désormais. Car il la désirait bien trop pour s’en soucier. Non, la véritable question, c’était : comment regagner suffisamment sa confiance pour qu’elle accepte de partager à nouveau le même lit que lui ? Avec la plupart des femmes, il lui aurait suffi de susurrer quelques mots doux ou de leur offrir telle ou telle babiole. Ou bien encore de leur expliquer que tout le monde croirait qu’ils couchaient ensemble, alors autant y aller. Néanmoins, il était bien certain que ces tactiques ne le mèneraient nulle part avec Everly. Il devait donc trouver une autre raison pour qu’elle reste à ses côtés. — Tu ne voudrais pas m’aider à passer en revue les reçus de Mad ? — Je pensais… Et s’il avait laissé quelque chose d’important dans les locaux de Crawford Industries ? Gabriel secoua la tête. — Depuis une affaire d’espionnage industriel survenue il y a environ dix ans, il a cessé de stocker quoi que ce soit d’important là-bas, à l’exception d’une boîte de préservatifs et d’un tube de lubrifiant. En y repensant, son pote aurait mieux fait de s’en servir, de ces fichus préservatifs, quelques mois en arrière. Il s’en voulut aussitôt d’avoir songé cela. Il ne pouvait pas considérer l’enfant de Sara comme une erreur. Ce bébé était une bénédiction – la chair de la chair de Mad, tout ce qu’il avait laissé de vivant en ce monde. — Je ne me rappelle pas l’avoir vu travailler beaucoup de la maison. — Sans doute pas. En revanche, je parie qu’il gardait ses secrets ici. Mad croyait dans le pouvoir de l’information. Donc il connaissait ses ennemis. — Des ennemis ? — On les accumule, dans notre milieu. On s’en fait à l’école, à la fac, et bien entendu dans le monde de l’entreprise. Je suis certain qu’il conservait des dossiers sur tous ceux qu’il considérait comme des ennemis potentiels. Je ne serais pas étonné d’en découvrir sur moi et le reste de la bande. — Tu veux qu’on se mette à chercher ? La plupart des gens sur lesquels il a accumulé des informations vont se retrouver suspects, du coup. Tu as déjà passé son bureau en revue sans rien dénicher. Où aurait-il pu ranger ce genre de renseignements sensibles ? — Aucune idée. Je sais juste qu’il les aurait mis en lieu sûr. — Avait-il un coffre ? Gabe hocha la tête. — Là-haut, dans sa chambre. J’ai trouvé le code dans le tiroir de son bureau, quelque part par là. J’en ai déjà vérifié le contenu, mais n’ai rien trouvé d’autre que de l’argent liquide et un pistolet dont il ne savait sûrement pas se servir. Mad avait peur des armes. Une fois, Gabe et d’autres membres du groupe avaient parlé de l’emmener chasser, et Mad n’avait rien voulu entendre. En fait, il avait même tenté de dissuader Dax de s’engager dans la Navy, car il était certain qu’il se ferait abattre. Pourtant, quelque chose lui faisait suffisamment peur pour le convaincre de mettre ses scrupules de côté et d’acheter une arme à feu. Everly balaya la pièce du regard. — Il avait peut-être une autre cachette par ici. De quand date la bâtisse ?
Gabe haussa les épaules. — Elle est plutôt ancienne. La famille de Mad vit dans cette ville depuis plus de cent ans. Son arrière-grand-père était l’un des barons du chemin de fer. Il a acheté leur grande maison familiale sur la 5e Avenue, près du manoir Vanderbilt. Mad a emménagé ici après la fac. Il disait qu’il ne supportait plus l’atmosphère étouffante du manoir. — Depuis combien de temps cette maison appartient-elle à la famille ? Gabe avait entendu l’histoire plus d’une fois. — Plusieurs générations. C’était l’endroit où les Crawford logeaient leurs maîtresses. Mad soupçonnait même son père d’y avoir entretenu une femme, à un moment donné de sa vie. — On a tous un endroit pour nos rendez-vous galants, commenta-t-elle d’un air absent, sans trace d’amertume dans la voix, tout en étudiant attentivement la pièce. Elle se mit à marcher le long des murs, à scruter chaque centimètre. Que fabriquait-elle ? Soudain, elle s’immobilisa devant la cheminée. Il fronça les sourcils. — Où penses-tu qu’elle puisse être, cette cachette ? Elle prit son temps avant de répondre : — Eh bien, nous sommes dans la seule partie de la maison qui ne semble pas avoir été rénovée de façon significative au cours des dernières années. Peinte, oui. Le reste de la maison, en revanche, a l’air refait et bénéficie de tout un équipement moderne. Comme des ampoules LED dans un faux plafond. Pour une raison inconnue, il a conservé ce bureau plus ou moins en l’état. — Je l’ai interrogé sur ce sujet, une fois où il avait déboulé dans mon salon pendant des travaux. Je lui avais demandé pourquoi il n’avait pas mis à nu cette partie de la maison, comme tout le reste. Il a prétendu aimer l’atmosphère historique qui imprégnait ce lieu. À l’époque, j’ai pensé qu’il s’était lassé de voir des ouvriers et de la poussière envahir l’espace. — Tu crois que la maison existait déjà sous la prohibition ? Merde, comment n’y avait-il pas pensé plus tôt ? — C’était même un bar clandestin, une activité dont Alfred Crawford se servait pour compenser ses pertes en bourse après le krach. L’argent de l’alcool lui a permis de rester à flot jusqu’à ce que son business légitime ne refasse surface. Tu penses qu’il pourrait y avoir des niches secrètes ? — Je pense que ça collerait avec l’époque de la maison, et que ça expliquerait pourquoi Maddox n’a jamais fait rénover son rez-de-chaussée. Une fois, il m’a dit qu’il savait où se cachaient tous les squelettes, qu’il avait découvert leur planque. Mais bon, il était soûl, ce jour-là. Gabriel ne parut pas surpris. — Je ne peux que supputer ce qu’il entendait par là, mais je parie qu’il avait plus de secrets encore que je ne l’imaginais. Elle entreprit de donner de petits coups tout autour de la cheminée. Avec méthode, elle se déplaçait le long la paroi de bois centimètre après centimètre, jusqu’à ce que le son devienne creux. — Il y a quelque chose ici. Elle passa les doigts sur les boiseries, se rapprochant d’une veine dans le matériau. Gabe entendit un petit déclic, puis la paroi s’ouvrit sur un petit compartiment plongé dans le noir. — Ça alors ! s’exclama-t-il, les yeux écarquillés. Tu avais raison. Qu’est-ce qu’il contient ? Elle glissa la main à l’intérieur du mur et tâtonna. — Oui, j’avais raison pour la cachette, mais je commence à croire que Maddox utilisait bien cette bibliothèque pour son usage normal, car apparemment je me suis trompée sur un autre point : il ne cachait aucun secret là-dedans. Elle sortit une bouteille de scotch.
— Waouh. Elle paraît super vieille. Macallan 1926, lut-elle. L’enfoiré ! — Cette petite beauté a été adjugée pour soixante-quinze mille dollars chez Sotheby’s l’an dernier. Et il m’a juré que ce n’était pas lui, le trouduc qui avait surenchéri sur moi. Elle lui tendit la bouteille. — Eh bien, voilà, elle est à toi. Malheureusement, elle ne nous aidera pas à prouver quoi que ce soit, hormis que Maddox accordait une bien trop grande valeur à l’alcool. Gabe s’empara de la bouteille, avec toute la délicatesse due à cet ange du ciel. — Elle vaut jusqu’au dernier cent qu’il a dépensé pour l’acquérir. Mais il doit y avoir ici d’autres endroits comme celui-ci, d’autres planques. Il reposa la bouteille sur le bureau. Pas question que ce trésor retourne dans sa cachette. — Dans un bar clandestin, on avait forcément besoin d’un lieu plus grand pour stocker l’alcool. Je parie qu’il y a autre chose derrière cette paroi. Everly haussa les épaules. Et elle recommença à se déplacer le long des murs, qu’elle se remit à scruter avec la plus grande minutie. — Peut-être. Il serait logique de trouver une porte cachée quelque part par ici… Le mur ouest était dominé par la cheminée, mais il restait pas mal d’espace de chaque côté. Everly fit courir ses doigts le long du lambrissage. Gabe se mit lui aussi à observer le manteau de la cheminée. Mad y avait déposé quelques photos, dont une qui les montrait tous les six le jour de leur remise de diplôme à Creighton. Ils étaient si jeunes, là-dessus, à l’exception de Zack, peut-être, qui fixait l’objectif comme s’il devinait déjà quelle énorme responsabilité le monde lui réservait. On décelait le même sérieux dans ses yeux aujourd’hui, quand il donnait une conférence de presse en sa qualité de président. Reportant son attention sur le reste de la zone autour de la cheminée, il étudia de plus près une paire de chandeliers montés de part et d’autre. Ils s’accordaient au style de la pièce, mais semblaient très anciens. Mad avait échangé toutes les autres installations d’origine contre de nouvelles, vintage certes mais plus fonctionnelles. Ces deux objets, en revanche, n’avaient pas été touchés. En fait, Gabe ne les avait même jamais vus allumés. Intrigué, il tendit la main et actionna l’interrupteur. La petite ampoule d’une applique s’alluma, mais rien de plus. — Essaie l’autre, suggéra Everly. On dirait qu’ils ont chacun leur propre interrupteur. — OK. Il s’exécuta. Là encore, l’ampoule s’illumina, mais il entendit aussi un « clic » bien distinct. Les yeux d’Everly s’éclairèrent. — Il y a une minuscule faille dans le pourtour de la cheminée, regarde ! Je crois que le manteau tout entier est en train de bouger. En effet, le pan gauche de la cheminée s’était très légèrement décalé du mur. Gabe passa la main le long des panneaux de bois, qui révélaient désormais une porte cachée. Lourde mais qui pivotait sans efforts. — C’est grand comment, à l’intérieur ? s’enquit Everly en se pressant derrière lui. — Je ne peux pas dire, l’endroit est plongé dans le noir. Il actionna l’application « lampe de poche » de son téléphone et éclaira le pourtour de l’entrée. — Mad a dû y venir récemment, il n’y a pas de toiles d’araignées, commenta-t-il, avant de baisser les yeux. Et pas de poussière au sol à l’endroit où le manteau touche le mur. Il étudia la paroi sur sa gauche.
— Il doit y avoir un interrupteur quelque part. Il espérait ne pas se tromper, quant à l’utilisation récente de l’endroit. Autrement, il risquait de pénétrer dans l’antre des insectes en tous genres. Enfin, il n’allait pas mentionner ça à Everly. Elle semblait plus coriace qu’il ne l’aurait cru au départ, mais il ne connaissait pas de femmes qui aimaient les insectes. — Ah, le voilà. Il alluma la lumière. Une petite ampoule éclaira le plafond. En entrant, Gabe découvrit un couloir. Qu’ils empruntèrent, pour aboutir dans une pièce longue et étroite, dont le plafond était couvert de bois teint dans une couleur sombre et doté d’une lumière peu efficace. La cachette secrète de Mad était meublée de sièges d’apparence confortable. Un bar robuste, tout en bois, s’élevait dans le fond, avec un grand miroir derrière, accroché au mur en briques rouges. Gabe ne put dissimuler un sourire mélancolique. — Waouh, Mad devait adorer cet endroit. Décidément, l’homme qu’il appelait son meilleur ami depuis plus de vingt ans possédait de nombreuses facettes. En cet instant, Gabe regrettait qu’ils n’aient pas effectué cette découverte ensemble. Cela dit, c’était plutôt agréable de la partager avec Everly aussi. Il prit sa main et entremêla leurs doigts. — C’est sidérant, souffla-t-elle. Tu imagines à quoi ça devait ressembler, à l’époque ? Les hommes les plus fortunés de New York qui se retrouvaient ici pour boire un verre. Tout semble d’origine, jusqu’aux tabourets de bar. Elle contempla la pièce avec de grands yeux émerveillés. Manifestement, Mad ne lui avait pas confié tous ses secrets, à elle non plus. Gabe avait beau être doté d’une bonne dose de cynisme, même lui ne pensait pas que l’on puisse feindre cette expression. Dieu qu’elle était belle ! Elle rayonnait littéralement. Et il était quasi impossible d’imaginer que Mad ait pu garder ses mains pour lui en sa présence. Gabe lui avait fait l’amour quelques jours plus tôt seulement, et déjà il brûlait de la posséder à nouveau. Or Mad n’était pas réputé pour sa patience. Elle se dirigea vers le bar et passa derrière. — La prochaine bouteille d’une valeur inestimable que je trouve est pour moi, annonça-t-elle. Je la revendrai pour rembourser mes emprunts universitaires. — Il y a même un tourne-disque ! C’est pas dingue, ça ? Gabe observa l’antiquité posée sur une étagère derrière le comptoir. Il en avait vu de semblables dans les films. La base ressemblait à un vieux lecteur de disques, mais dotée d’une sorte d’appendice en forme d’entonnoir. — C’est un gramophone, expliqua Everly. Tourne la poignée, pour voir s’il fonctionne. Un disque vinyle était posé sur la machine. Gabe trouva la poignée et effectua quelques tours. Body and Soul de Louis Armstrong s’éleva dans la pièce. — C’est vraiment incroyable ! s’écria-t-elle, bouche bée, écoutant avec vénération. On a l’impression d’être remontés de quatre-vingt-cinq ans dans le temps. — N’est-ce pas, poupée ? lança-t-il dans une pitoyable tentative d’imitation de James Cagney. Étouffant son rire à grand-peine, Everly baissa la tête dans une sorte de révérence, les lèvres jointes. Soudain, quelque chose sembla attirer son attention derrière le bar. — Regarde ça. Elle saisit une boîte en fer et la posa sur la surface de bois poli. Son éclat métallique scintilla dans
la lumière tamisée. — Elle est fermée par un cadenas à combinaison, commenta-t-elle, avant de lui jeter un coup d’œil. Tu as une idée du code ? Il secoua la tête, buvant son enthousiasme. Puis sa logique reprit le dessus et il fronça les sourcils. Mad ne rangeait presque rien dans son coffre-fort. Pourquoi irait-il cacher une boîte en fer dans une pièce elle-même secrète, surtout quand il suffisait à qui la trouverait de couper le cadenas pour l’ouvrir ? Le cerveau de Mad fonctionnait bizarrement ; avec lui, on ne pouvait jamais savoir… Pourtant, Gabe se demandait si son ami n’essayait pas de lui communiquer ainsi un message depuis la tombe. — Tu penses ce que je pense ? souffla Everly. Nous avons peut-être trouvé quelque chose. Il aimait sa façon de dire « nous ». En cet instant, il aurait dû sauter sur sa trouvaille – d’ailleurs, il le ferait –, mais avant il ressentait le besoin irrépressible de toucher Everly. Alors il tendit la main dans sa direction. — Oui. Mais viens par ici, bébé. Elle s’immobilisa, à présent totalement focalisée sur lui. — Gabriel… — Danse avec moi, Everly. Rien qu’une danse. Combien de fois dans ta vie auras-tu l’occasion de danser dans un véritable tripot clandestin ? Elle esquissa d’abord une moue, qui finit par se transformer en sourire. — Tu as le chic pour me motiver, Bond. Sur quoi elle le rejoignit au milieu de la pièce. — J’aime bien quand tu m’appelles Gabriel, fit-il en attirant vers lui son corps sensuel. Et il ferma les yeux pour mieux apprécier la perfection de ses courbes contre son corps. Et alors qu’il l’entraînait sur le parquet au rythme des sonorités romantiques du jazz, il remercia le ciel pour les leçons de danse qu’on l’avait obligé à prendre et tous les bals de débutantes qu’il avait endurés. Ses efforts étaient enfin récompensés, car il lui était aujourd’hui facile d’onduler en cadence avec Everly, de la serrer de plus en plus fort. Dans un soupir, elle vint nicher le visage dans le creux de son épaule, comme s’il s’agissait là du geste le plus naturel au monde. Comme si c’était là sa place. — Pourtant tout le monde t’appelle Gabe. — Certaines personnes t’appellent Eve, argua-t-il. — Surtout mon père. Maintenant qu’il n’est plus là… ça me rend un peu triste. — Même quand je t’appelais Eve pendant notre week-end ensemble ? Je trouvais que ce prénom t’allait comme un gant, car tu étais parfaite. À l’image de la femme que Dieu a utilisée comme modèle pour créer toutes les autres. Il la sentit se raidir, pourtant elle ne chercha pas à s’extraire de son étreinte. — Ça n’est vraiment pas une bonne idée. Non, en effet, pas du tout. Mais il en avait soupé de combattre son désir d’elle. — Danse avec moi. Elle se repositionna et se détendit quelque peu contre lui. — Cet endroit est vraiment incroyable. Comment Maddox a-t-il réussi à le cacher à tout le monde, y compris toi ? Il sentait le shampoing citronné qu’elle avait utilisé et le parfum subtil de sa peau satinée. — Je n’en ai pas la moindre idée. Il devait considérer ce lieu comme son terrain de jeu. Je demanderai à Sara s’il lui en avait parlé.
Il se retint d’en dire plus, alors qu’instinctivement, il aurait continué. C’était si naturel, de discuter avec Everly, mais il ne devait pas évoquer sa sœur tant qu’il n’avait pas élucidé avec certitude le type de relation qu’elle et Mad entretenaient. Pourtant, elle ne semblait ni vexée ni jalouse à la mention du nom de Sara. En fait, elle ne montra aucune réaction particulière. La musique continuait à jouer et eux à se balancer ensemble. Elle leva la tête et plongea ses yeux brillants dans les siens. — C’est fou. — Oui. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi. Elle pouffa. — Tu as rencontré des tas de femmes. Alors que moi, adolescente, j’avais toutes les peines du monde à me trouver un petit copain. Mon père insistait pour les accueillir à la porte dans son uniforme de policier, pistolet inclus. Les parents de Gabe n’avaient même pas rencontré la première fille avec qui il avait couché. Ni la deuxième. Ni la troisième. — Ton père me fait l’effet d’un homme intelligent. Une vision lui apparut soudain de la fille dont Everly serait sans doute un jour la mère. Elle aurait ses cheveux roux et son joli sourire. Et tous les garçons en seraient fous. Et lui, il irait encore plus loin que son père : il embaucherait des gardes du corps pour protéger sa vertu. Bon Dieu, voilà qu’il pensait à sa progéniture avec Everly Parker. Décidément, il fallait vraiment qu’il se calme. — Je n’ai pas eu de véritable petit ami avant l’université. Et tu sais comment il avait rencontré mon père ? On rentrait à la maison afin que je fasse les présentations, c’était lui qui conduisait, et mon père l’a arrêté pour excès de vitesse. Il lui a fait la totale, je te jure. Je crois qu’après ça, Bryan est resté avec moi uniquement parce qu’il avait peur de se voir pourchassé par mon père si jamais il me faisait pleurer. — J’aurais aimé le rencontrer, ton père. Il aurait sans doute été meilleur que les flics auxquels j’ai eu affaire aujourd’hui. — Oh, il se serait montré bien plus dur avec toi. Mais je crois aussi qu’il t’aurait apprécié. Tu n’es pas celui qu’il aurait cru. Gabe était bien conscient de la façon dont les gens le percevaient. — Il m’aurait jugé immature et arrogant avant de me connaître ? Les joues d’Everly s’empourprèrent et elle détourna les yeux. — Probablement. Mais tu n’es pas comme ça. Je pense que tu es comme tout le monde, tu essaies de te raccrocher à la vie. Il essayait surtout de se raccrocher à elle. Pour la première fois de son existence, il tombait sur quelqu’un dont il ne pouvait se séparer. — Everly, j’ai besoin de toi. Elle se haussa sur la pointe des pieds et renversa la tête en arrière. — Je n’en suis pas ravie, mais je crois que j’ai besoin de toi, moi aussi. C’était ce qu’elle lui offrirait de plus ressemblant à une invitation, et il n’envisageait ni de la mettre en doute ni de la refuser. Mais il ne voulait pas non plus se précipiter, cette fois. Ce matin, il s’était comporté de manière incontrôlée. Il était temps de lui rappeler à quel point il était capable de bien s’occuper d’elle. Il lui prit le visage entre ses mains, sans jamais perdre la cadence de leur danse. Elle porta les
mains à sa taille, s’agrippant à lui, et lâcha un soupir en fermant les yeux avant de lui tendre son visage. Leurs lèvres se joignirent dans un effleurement sensuel. Alors que leurs pieds bougeaient au rythme de la musique, il l’entraîna dans une danse d’un autre genre. Il enfonça les doigts dans ses cheveux et s’abandonna au besoin profond de s’entourer de cette femme. De la langue, il dessina sa lèvre inférieure jusqu’à ce qu’elle prenne une inspiration excitée. Alors il l’envahit. Everly s’ouvrit à lui, sa langue le cherchant, glissant avec la sienne, taquine et joueuse. Elle se pressa contre son torse. Et alors que leur baiser s’approfondissait, ils oublièrent la danse et leur désir animal prit le dessus. Il descendit saisir ses fesses spectaculaires et la plaqua contre lui, afin qu’elle sente la dureté de son érection, si prête à lui donner du plaisir. Il avait été surpris de la facilité avec laquelle elle réagissait à son contact, mais à présent il réagissait à elle avec le même enthousiasme. Quand elle entrait dans une pièce, le corps de Gabe se préparait au sexe. Penser à elle suffisait à l’exciter. — Gabriel, comment tu réussis à me faire ça ? chuchota-t-elle contre ses lèvres tandis que ses mains entreprenaient d’explorer son corps. De l’alchimie à son plus haut niveau, voilà ce que c’était. Cependant, tout au fond de lui, Gabe soupçonnait qu’il y avait peut-être un peu plus. Mais il n’allait pas le formuler à haute voix. D’ailleurs, il parvenait tout juste à le penser, ne sachant ni d’où venait cette femme ni qui elle avait été pour Mad. — On s’accorde bien. On va bien ensemble. Il y avait un beau canapé à quelques pas d’eux, et Gabriel l’y entraîna à reculons. Il ne voulait pas attendre. Il ne s’en croyait pas capable, en fait. Elle tomba sur les coussins, les yeux levés vers lui, et la douceur qu’il y décela fit à Gabe l’effet d’un train fou lancé à toute vitesse qu’il aurait pris en pleine poitrine. Si ça se trouvait, il aurait toujours besoin de cette femme. Dieu l’en préserve, car ça n’avait aucun sens, mais il était peut-être même amoureux d’elle. Elle leva une main pour l’inviter à la rejoindre. Il s’apprêtait à obtempérer quand, par-dessus la musique du gramophone, il perçut un son ressemblant à celui d’une porte que l’on refermait, suivi de bruits de pas sur le parquet au-dessus de leur tête. Un flot d’adrénaline le submergea. Ils n’étaient plus seuls.
9 Everly se redressa. Sur la pointe des pieds, Gabriel alla éteindre le gramophone, puis il se dirigea tout aussi discrètement vers le petit couloir qui conduisait à la porte secrète. — Qu’est-ce qui ne va pas ? Soudain tendu, l’air aux aguets, il lui indiqua de se taire d’un doigt posé sur les lèvres et désigna le plafond d’un geste de la tête. Quelque chose se passait au-dessus. Elle ignorait quoi, en tout cas elle avait été trop embarquée dans leur étreinte pour l’entendre. Tout en priant pour qu’il se trompe ou se montre trop prudent, elle tendit l’oreille à son tour. Suivant Gabriel, elle se leva sur des jambes tremblantes et traversa le parquet sans bruit en redoutant qu’il ne craque. Gabriel lui saisit la main et l’entraîna vers la porte secrète, toujours entrouverte, tout en lui chuchotant à l’oreille : — Il y a quelqu’un à l’étage. Les mots avaient tout juste franchi ses lèvres qu’elle l’entendit aussi. Une porte venait de claquer. Des bruits de pas. — Tu n’as pas branché l’alarme quand on est entrés ? s’enquit-elle. — Si. Donc celui ou celle qui s’est introduit dans la maison connaît manifestement le code et l’aura désactivée. Everly lâcha un petit soupir soulagé. — Alors c’est sans doute la gouvernante ou Dax. — Dax m’aurait d’abord envoyé un SMS pour m’avertir qu’il venait. Il sortit son portable et elle le regarda écrire en même temps à Dax et à Connor pour les informer du problème en cours. — Et si c’est la femme de ménage qui a oublié quelque chose ? — Dans ce cas, elle s’apprête à connaître la peur de sa vie, répondit Gabriel, avant de baisser les yeux sur elle. Reste ici. Je vais sortir attraper quelques bricoles dans le bureau de Mad. Secouant la tête, elle lui serra plus fort la main. — Non, on est plus à l’abri ici. Mais il s’était déjà échappé et se dirigeait vers la bibliothèque. Everly essaya d’observer ce qui se passait à travers la porte cachée, mais la vue était pour le moins limitée. D’autres pas lourds résonnèrent dans la maison par ailleurs déserte. Quelque chose d’autre – un tiroir, peut-être ? – s’ouvrit et se referma. Le son se répéta une multitude de fois depuis ce qui semblait être la cuisine. Puis elle entendit un autre bruit, comme si l’on renversait des meubles. Des bris de verre.
— Putain de merde ! s’exclama une voix d’homme, à l’étage. C’était censé être facile. Les voix se rapprochaient. Ce dernier cri avait été poussé juste au-dessus de la tête d’Everly. Ils se trouvaient dans l’escalier, qui ne conduisait qu’à un seul endroit. Ici même. Le cœur battant la chamade, elle essaya de se convaincre qu’il s’agissait seulement de gamins en quête d’argent ou de drogue, ou bien de journalistes qui auraient été plus rapides que Gabriel ne l’avait imaginé. Sauf qu’ils ne connaîtraient pas le code de l’alarme. Soudain la peur l’envahit, car il existait une autre explication. Celui qui avait tué Maddox était revenu pour trouver ou cacher quelque chose. L’homme qui se trouvait dans l’escalier ne s’enfuirait pas, il ne se laisserait pas détourner de son objectif par l’idée qu’ils avaient appelé la police. Quelqu’un s’était donné beaucoup de mal pour tuer Maddox, et ce quelqu’un n’hésiterait pas à les assassiner aussi, Gabriel et elle. Elle poussa un peu plus la porte et jeta un coup d’œil dans la bibliothèque afin d’avertir Gabriel qu’ils avaient de la visite. Il se tenait près du bureau, dont il ouvrait le tiroir avec une précision silencieuse, pour en extraire quelque chose. Les sourcils froncés, Everly suivait chacun de ses gestes du regard en essayant de distinguer cet objet pour lequel il était prêt à risquer sa vie. Elle aperçut un reflet métallique. Un pistolet. Et il n’hésita pas quand il en vérifia le chargeur, avant de faire sauter le cran de sûreté. Il savait exactement ce qu’il faisait. — T’inquiète, on va trouver, c’est facile. Concentre-toi, lança une autre voix au rez-de-chaussée. — Rien n’est facile, dans ce quartier de la ville. Tu as retiré l’argent à l’avance, comme je te l’ai demandé ? D’après les voix, les deux hommes se rapprochaient. Gabriel releva la tête. Il était piégé dans l’autre partie de la pièce. Il jeta un coup d’œil dans la direction d’Everly et lui fit signe de fermer la porte. Mais pas question de l’abandonner là-bas. Car la porte de cette pièce secrète ne s’ouvrait pas aisément. S’il devait actionner l’interrupteur du chandelier pour la débloquer à nouveau afin de venir se réfugier dans cette cachette avec elle, ça risquait de lui coûter un temps précieux. — J’en ai tiré la moitié à l’avance. En liquide, répondit le premier type. — Tu sens ça ? demanda le second. Cette fois, ils semblaient avoir atteint le bas des marches. — Quoi ? Le plancher craqua, indiquant qu’ils arrivaient à la bibliothèque. Trop vite, beaucoup trop vite. D’ici quelques secondes, ils franchiraient l’angle de la pièce et verraient Gabriel. Le ventre serré par la peur, Everly chercha des yeux ce qu’elle pourrait utiliser comme arme. Elle repéra les ustensiles de la cheminée de l’autre côté de la porte secrète. Un tisonnier était posé contre le manteau de marbre de l’âtre. Elle l’attrapa et en agrippa le bâton de métal, fin mais solide. À l’autre bout de la pièce, Gabriel lui jeta un regard noir. Pas difficile de lire sur ses lèvres tandis qu’il lui chuchotait un « Je t’interdis » muet mais très explicite. Mais elle refusait de battre en retraite, d’aller se cacher quand elle pouvait lui venir en aide. Son éducation, par un père policier, et son entraînement, encore aujourd’hui, avec les agents de sécurité qui montaient la garde dans le bâtiment de Crawford Industries n’y étaient sans doute pas pour rien. — Ça fait des jours que le gars est mort, et pourtant ça sent la cuisine. Une odeur récente, en plus, nota l’un des hommes tout en entrant dans la bibliothèque. Si on n’est pas seuls, faut qu’on en finisse avec ce merdier et fissa. Il ne peut pas y avoir de témoins. Gabe s’accroupit sous le bureau et Everly le vit taper trois fois sur l’écran de son smartphone. Le
numéro d’urgence. Quelques secondes plus tard, il chuchotait à l’appareil. — Merde. On aurait dû attendre avant d’allumer à l’étage. Il y avait du blé à se faire dans cette maison. Ils traversèrent la bibliothèque avec la légèreté de deux éléphants. Everly recula. Deux hommes. Tout de noir vêtus. Le plus grand balaya la pièce des yeux, regarda sous le canapé, envoya valser quelques livres des étagères, puis il se dirigea vers le bureau, un sac dans une main et une bouteille dans l’autre. — On n’a pas le temps. La baraque doit disparaître et vite. Encore une pièce et on se tire d’ici. De l’essence. Everly la sentait à peine, mais chaque seconde qui passait semblait rapprocher l’odeur. Oh, bon Dieu ! Ils avaient mis le feu à l’étage supérieur. Pendant qu’elle dansait avec Gabriel, ces deux hommes incendiaient la maison. L’intrus s’arrêta devant le bureau, souleva des papiers et fouina un peu avant de se pencher pardessus la table pour fouiller les tiroirs. Avec un juron, il jeta le tout au sol. Punaise, mais qu’est-ce qu’ils cherchaient ? Everly n’eut pas tellement le temps de s’attarder sur ses réflexions, car elles furent interrompues par le grand type qui frappa du poing sur le bureau, avant d’allumer son briquet, qu’il porta vers le tissu enfoncé dans le goulot de sa bouteille. Un cocktail Molotov. D’en haut lui parvinrent les hurlements des alarmes incendie. Gabriel se redressa de sous le bureau, le pistolet pointé avec assurance. — Arrête ça tout de suite. Les flics sont déjà en route. L’homme à la bouteille lâcha un juron et la jeta aussitôt en direction de Gabriel. Alors qu’il l’esquivait en se baissant à nouveau sous le bureau, Everly ravala un cri. Derrière lui, les rideaux s’enflammèrent. Un coup de feu résonna à travers la pièce. Paralysée par la peur, Everly vit le deuxième homme sortir un pistolet de son holster à la ceinture et se mettre à avancer prudemment en direction de Gabriel. — Laisse tomber, mec. Cet enfoiré est foutu, lança le premier homme, avant de se ruer vers l’escalier. — Les… tenta de le rappeler l’autre, en vain. Le chaos régnait dans la bibliothèque, à présent dévorée par les flammes. Des bruits de verre brisé déchiraient l’atmosphère, sans qu’Everly soit en mesure de détecter d’où ils provenaient. Et le second bonhomme n’était pas aussi pressé de partir que son comparse. Une silhouette sombre passa devant elle, en quête de Gabriel. Elle ne le voyait pas non plus, ignorait s’il avait été blessé. En revanche, elle tenait là une chance de le sauver. Se faufilant hors du couloir secret, elle ressentit aussitôt la chaleur ambiante. Des flammes léchaient les murs, la fumée envahit ses sens. Ravalant son envie de tousser, elle alla se positionner derrière l’assaillant de Gabriel. Il ne fallait pas réfléchir. La moindre hésitation était fatale, dans ce genre de circonstances, son père le lui avait appris. « Ne brandis jamais une arme dont tu n’envisages pas de te servir, ma chérie. » Elle leva le tisonnier et l’abattit sur la tête de l’homme de toutes ses forces. Un choc sourd retentit au milieu des craquements et autres sifflements des flammes de plus en plus hautes. Leur assaillant vacilla, puis tomba au sol telle une masse. Son pistolet, en s’échappant de sa main molle, heurta le plancher dans un « clac » métallique. Gabriel apparut soudain derrière le bureau, son pistolet pointé dans la direction de l’intrus. Malheureusement, c’était Everly qui était figée là, le tisonnier toujours à la main. Elle sentit ses
doigts tremblants s’engourdir et lâcha son arme à terre. Le visage rougi, Gabriel baissa son pistolet. — Qu’est-ce que tu fiches ? J’aurais pu te tuer. — Tu es blessé ? Ses mains tremblaient comme des feuilles, mais elle était rassurée d’entendre la voix de Gabriel aussi ferme. Il fronça les sourcils. — Je vais bien. Les rideaux exhalaient de plus en plus de chaleur, la fumée lui brûlait les poumons. — Il faut éteindre ce feu. Il secoua la tête. — Trop tard. Ils ont dû se laisser une issue, on doit la trouver. — Merde ! s’exclama une voix grave. Planté au milieu de la bibliothèque qu’il venait de regagner, Les contemplait son ami, allongé au sol. Gabriel leva son arme et le mit en joue. — Pas un geste. Mais l’homme lâcha la bouteille qu’il avait à la main et partit en courant. Un craquement déchira l’air et le tapis sous ses pieds partit en flammes. Il n’y avait plus d’issue. Everly regarda à son tour l’homme à terre. Il était complètement immobile. Gabriel ramassa l’arme du pyromane et l’empocha, puis il saisit le porte-documents qu’il était en train de passer en revue avant les événements. — Il est mort ? Question stupide, vu que les yeux de l’homme étaient grands ouverts, ses pupilles fixes. Gabriel la secoua doucement pour la ramener à la réalité. — Tu as fait ce qu’il fallait. Mais on va finir comme lui, si on ne se bouge pas pour trouver le moyen de sortir d’ici. Elle se redressa, à la fois terrifiée et engourdie. Comment s’appelait ce type ? Avait-il une famille qui allait l’attendre ? Qu’était-il venu chercher chez Maddox, avant de mettre le feu à la maison ? — Allez, dépêche-toi, cria Gabriel par-dessus les craquements assourdissants du feu. Je vais essayer d’attraper une couverture pour nous protéger. Il faut nous mettre à l’abri des flammes. Prends la boîte qu’on a trouvée dans la pièce secrète. Quand elle releva les yeux, l’incendie s’était mué en embrasement général. La peur, en la frappant de nouveau, l’aida à se ressaisir et à se concentrer sur la fuite. Du moins jusqu’à un certain point. Car se battre pour survivre était avant tout un choix. La voix de son père résonnait dans sa tête : « Prends la bonne décision, Eve. Choisis toujours la vie. » Repoussant le choc et la terreur, elle hocha la tête. Si elle sortait vivante de cet enfer, elle aurait tout le temps de réfléchir au reste plus tard. — OK. Peu importait ce qui arriverait, elle se battrait pour s’en sortir. Avec Gabriel. Elle retourna dans la pièce secrète et s’empara rapidement du petit coffre resté sur le bar. Il faisait bien plus frais entre les murs de brique. Alors que le feu ravageait déjà le reste de la maison, d’ici elle sentait à peine la fumée. Un courant d’air frais lui caressa le visage. Elle avait trouvé la sortie. Comme il l’avait fait pendant l’heure qui leur avait été nécessaire pour trouver un chemin jusqu’à
la surface, Gabe s’enjoignit au calme. Everly avait découvert la série de tunnels qu’utilisait l’arrièregrand-père de Mad pour stocker et transporter sa bibine. Son passage secret était devenu leur échappatoire. Ensuite, quand il avait appelé Connor en lui demandant de venir les récupérer après qu’ils avaient émergé des tunnels, il était resté raisonnable. Il avait fait en sorte – avec succès, pensait-il – de ne pas montrer la tension grandissante qui l’avait envahi à l’instant où il avait compris que quelqu’un les traquait. Même durant son deuxième interrogatoire de police en moins de vingt-quatre heures, il avait maintenu un niveau apparent de calme qu’il n’éprouvait pas du tout. — Je vais aller me nettoyer, annonça Everly, au pied de l’escalier, dans l’appartement de Connor. Vous êtes sûrs que je ne dérange pas ? Je peux descendre dans un hôtel. — Non, Everly, reste. Ta chambre sera la deuxième porte à gauche. Là encore, le ton qu’il employait était parfaitement normal. Il n’aboyait pas ses ordres, ne marquait pas non plus son territoire comme son instinct primaire l’exigeait pourtant. Mais il sentait que son adrénaline allait bientôt redescendre. Et vite. — Il y a une suite qui jouxte cette chambre. Utilise la douche. Demain matin, Dax nous dégotera des vêtements à tous les deux. — Merci, murmura-t-elle, avant de monter les marches. À sa lenteur, à la façon dont ses épaules tombaient, il devinait clairement son épuisement. Elle s’immobilisa à mi-chemin et se retourna vers lui. — Merci pour tout, Gabriel. Tu es certain qu’on ne ferait pas mieux de passer en revue ce qu’on a rapporté de chez Mad ce soir ? — Va te laver, on s’en occupera demain. Le ton était un peu plus dur que prévu, l’ordre plus sec, mais elle obtempéra néanmoins. Elle pivota et reprit sa pénible ascension des marches. Sitôt qu’elle eut disparu, Dax lâcha un long sifflement. — Tu es dans un sale état, frangin. Roman referma son attaché-case sur la table basse en secouant la tête. — Je ne crois pas t’avoir déjà vu aussi tendu. C’est à cause des flics ? La police le soupçonnait d’avoir allumé ce feu lui-même, afin de détruire quelque preuve de l’assassinat de Mad. Ils étaient encore occupés à essayer d’identifier le corps de l’homme retrouvé dans la maison et d’établir son rôle dans l’histoire. Apparemment, le second type s’était enfui. Mais ça n’était pas ce qui gênait Gabe. — Non, ça va. Connor lui fourra un verre de scotch dans la main. — Bien sûr que oui. Cela dit, tu dois te calmer avant de parler avec elle. Tu as la moindre idée de ce que cherchaient ces gars ? Gabe prit le verre avec plaisir, et le vida d’une traite. — Aucune. Ils laissaient derrière eux tout ce qui avait de la valeur, d’après ce que j’en ai vu. Ils semblaient plus intéressés par les papiers, les dossiers, les livres. Ça ne colle pas. — Ce n’est pas avec un type mort et un autre en fuite qu’on obtiendra des réponses. — En effet. Et Everly n’a rien vu ou entendu de plus que moi, donc elle ne nous fournira pas d’indices supplémentaires, soupira-t-il. Je ne sais pas quoi faire avec elle. — Comment ça ? — Elle aurait pu y passer, ce soir, nom de Dieu ! L’un de ces trouducs avait découvert où l’on se trouvait dans la maison, il a essayé de nous buter. Elle en a tué un avant que j’aie le temps d’agir. Et
j’ai bien failli la descendre par mégarde. Connor le guida jusqu’au canapé et s’assit sur la chaise face à lui. Ils se trouvaient dans l’appartement qu’il avait acheté cinq ans plus tôt. Gabe ne savait pas trop quand ni comment son ami avait pu réunir une telle somme d’argent. Sparks avait pu entrer à Creighton seulement grâce à sa bourse de joueur de crosse. Ils l’avaient recruté pour reprendre le capitanat de l’équipe qui battait de l’aile, et les résultats avaient été rapides et impressionnants. Quant à sa famille, elle se composait d’une mère célibataire qui avait passé sa vie comme serveuse dans un bar. Elle avait remercié Dieu des qualités athlétiques de Connor et l’avait bien volontiers envoyé au pensionnat privé. Plus d’une fois, elle n’était pas venue le chercher pour les vacances. Alors le reste du groupe l’invitait à tour de rôle chez lui. Cet appartement, un loft dans un bâtiment très sélect de l’Upper East Side, respirait la richesse – même s’il se voulait discret. Manifestement, son pote gagnait bien sa vie. — Ce n’est pas le style de femme à se cacher quand elle peut se battre. Je me suis renseignée sur elle, j’ai posé des questions ici et là, expliqua Connor, un scotch à la main. Ses employés l’apprécient beaucoup. — Elle t’a vraiment sauvé la peau, ce soir ? s’enquit Roman, qui examinait la bouteille d’alcool récupérée chez Mad, avec les dossiers et la boîte en métal. Heureusement que Connor s’était pointé avant la police : ça leur avait permis de conserver leurs trésors au lieu de devoir les mettre sous scellés. — Et je ne parle même pas de ce scotch. On devrait lui remettre une médaille pour avoir sauvé cette bouteille-là. Ouvrons cette petite merveille. Gabe mit le précieux alcool hors de portée de Roman, préférant lui tendre une bouteille plus raisonnable – tout de même un scotch de vingt-cinq ans d’âge. Son ami oubliait le point le plus important. — Oui, mais pour ça, elle a pris un risque de folie qui aurait pu la conduire à se recevoir une balle en plein cœur. Il ne parvenait toujours pas à se sortir ce moment de la tête. Lui, accroupi derrière le bureau, tous les sens en alerte et concentrés sur une seule et unique chose : les bruits de pas, de plus en plus proches, qui faisaient craquer le plancher. Il avait retenu son souffle, attendu, attendu… Il avait compté précisément, et bondi sur ses pieds, prêt à appuyer sur la gâchette. Il avait visualisé la scène juste avant, prévu exactement comment il éliminerait l’homme. Sauf qu’à l’instant où il avait commencé à presser la détente, il avait compris qu’il avait affaire à Everly, plantée là devant lui, les cheveux ébouriffés, un tisonnier serré entre ses mains. Il aurait pu l’abattre. Il aurait pu lui tirer une balle par accident, et elle aurait cessé de respirer. D’exister. Jamais plus il n’aurait pu la tenir dans ses bras, l’embrasser. Et maintenant, il avait envie de l’étrangler, tellement il était en colère. Tellement il avait eu peur. L’idée de ne plus jamais la voir le terrifiait, et il détestait cette sensation. — Vas-y mollo avec elle, mec, lui enjoignit Dax en se levant. Tu lui dois une fière chandelle. Elle a été sacrément maligne, de découvrir qu’il existait des tunnels cachés par où vous enfuir. Les sourcils froncés, Connor reposa son verre vide. — Ce qui m’amène à me demander ce que Mad pouvait dissimuler d’autre. — Aucune idée, avoua Gabe, avant de s’adresser à Roman : Tu ne sais vraiment pas pourquoi il cherchait à voir Zack ? L’interpellé secoua la tête.
— Mad ne m’en a pas touché un mot. Il a appelé et demandé à programmer un rendez-vous. Je lui ai répondu que Zack était trop occupé. En fait, il en voulait à Mad, à l’époque – tu sais qu’il a toujours eu un faible pour Sara. Et vu la façon dont Mad l’avait traitée, Zack n’était pas d’humeur à échanger de vieux souvenirs. Je pense qu’aujourd’hui, il se mord les doigts d’avoir refusé cette entrevue. — Mais Mad avait décidé de se rendre à Washington DC quand même ? — Il m’a affirmé qu’il camperait devant le Bureau ovale s’il le fallait, répondit Roman dans un haussement d’épaules. — Zack connaît-il un gars du nom de Sergeï ? Roman réfléchit quelques secondes. — Je peux vérifier s’il a rencontré quelqu’un de ce nom récemment, mais je ne me rappelle pas qu’il ait passé du temps avec un Sergeï. Franchement, depuis la mort de Joy, il travaille nuit et jour. — Les derniers mots que m’a dits Mad, c’était pour me questionner sur ce type. Tu veux bien creuser le sujet ? Interroge Zack. Il tapota la boîte en fer qu’ils avaient sauvée des flammes. — J’ai récupéré autant de dossiers que j’ai pu sur le bureau de Mad, ainsi que cette boîte que nous avons trouvée cachée dans la pièce secrète. Tu peux me faire ouvrir ça ? Connor étudia le coffre. — D’une façon ou d’une autre, oui. Ce truc n’a l’air de rien, mais c’est du costaud. Et résistant au feu. Il voulait que son contenu survive, on dirait. Il est tard, pourquoi ne pas aller tous nous coucher ? On ne peut pas faire grand-chose de plus tant que je n’aurai pas fait ouvrir ce coffret ou que la police ne nous aura pas révélé plus d’informations. Une fois qu’ils auront identifié le macchabée, on essaiera de découvrir qui l’avait embauché. Et peut-être qu’alors on parviendra à assembler les pièces de ce puzzle et à trouver qui est derrière ce merdier. Peut-être même qui a tué Mad. Gabe en était arrivé aux mêmes conclusions. Et l’attente exacerbait encore son humeur de dogue. Malgré lui, il reporta les yeux vers l’escalier. À l’étage, Everly devait être en train de se doucher avant de se mettre au lit. Il imaginait l’eau coulant sur son corps nu. Bon sang, malgré l’épuisement, malgré l’inquiétude qui l’assaillait, le simple fait de penser à elle suffisait à lui donner envie de se perdre à nouveau dans son corps. Roman lui assena une claque sur l’épaule, le tirant de sa rêverie. — Monte la voir. Et sur ce bon conseil, son ami retourna à son hôtel. Dax les salua, avant de monter à son tour à l’étage, où il occupait l’autre chambre d’amis. Gabe hésitait. Connor détourna son attention du coffret et croisa son regard. — Je n’ai pas pris la peine d’ouvrir le canapé-lit. Gabe se crispa. Oui, il avait envie d’Everly, mais elle avait plus besoin de sommeil que de son désir animal. — Tu devrais peut-être. Avec un ricanement amer, il se versa un autre scotch. — Sois honnête avec toi-même. Tu ne vas pas dormir sur le canapé, le taquina Connor, avant de grimacer. Comment Sara va-t-elle prendre la nouvelle, pour Everly ? Elle a dû voir les sites des tabloïdes, à l’heure qu’il est. Sara était une femme raisonnable, mais sa colère vis-à-vis de Mad ne s’était pas encore vraiment apaisée. Elle était restée calme pendant les funérailles, pourtant la mort de Mad semblait avoir aiguisé sa fureur en un sentiment proche de la haine. Dont une partie se transférait logiquement sur les
femmes avec lesquelles Mad s’était affiché dans la presse depuis leur séparation. Sara avait besoin de temps pour cicatriser et enterrer son amertume, à présent qu’elle avait enterré l’homme. — Je lui dirai que les journaux se trompent sur la relation entre Mad et Everly. — Donc tu vas lui mentir. — J’ignore ce qui s’est passé entre ces deux-là. Rien, d’après elle. Même Dax la croit. Il se passa une main dans les cheveux. — Merde, je ne sais même pas ce qui se passe entre nous deux, alors… Quoi qu’il en soit, ce ne serait pas judicieux d’entraîner Sara là-dedans. Il pourrait s’écouler des semaines avant qu’elle revienne en ville. Si – et je dis bien si – Everly et moi nous voyons encore à ce moment-là, je mettrai Sara dans la confidence. — Ou bien tu peux décider de croire Everly et laisser Sara digérer la nouvelle. Tu traites ta sœur comme si elle était en sucre, or ce n’est pas le cas. Elle savait quel genre de type était Mad en s’embarquant dans une histoire avec lui. Et elle savait pertinemment comment ça se terminerait. — Selon toi, il est possible que Mad et Everly n’aient pas eu de liaison ? — Aucune chance. Mais bon, ce n’est pas moi qui suis dingue de cette fille. Parfois, le bonheur requiert que l’on cesse d’utiliser sa raison, surtout en matière de relations amoureuses. Si tu me demandais mon avis, je te répondrais que tu ne peux lui reprocher ses aventures d’avant de te connaître. Il vaut peut-être mieux que tu oublies qu’elle a eu une relation avec Mad, quelle qu’elle soit. Elle ne semble pas trop en manque de lui, en revanche, la façon dont elle te regarde, toi, est très intéressante. Si tu la veux, conclut-il dans un haussement d’épaules, prends-la. Et ne te retourne pas sur le passé. — Eh bien, heureusement que je ne te demandais pas ton avis. Il n’aimait pas le besoin renouvelé que les paroles de Connor éveillaient en lui. Une impatience frôlant l’imprudence. Proche de l’acte désespéré. — Tu vas te coucher ? Connor secoua la tête. — Non, je suis un oiseau de nuit. Et puis, je crois avoir découvert qui se cache derrière ce vilain petit blog. J’ai déniché sa trace cet après-midi et échangé deux e-mails avec elle. Je me fais passer pour un conspirationniste fou. Elle croit que je détiens un scoop. On verra si j’ai raison demain matin, je lui ai donné des informations. Si elles paraissent à la une de Scandales au Capitole, on aura la confirmation que je brûle. — « Elle » ? Le visage de Connor était éclairé par la lumière de son écran d’ordinateur. — Oui. J’ai été surpris, moi aussi. Elle s’appelle Lara Armstrong, c’est la fille unique du sénateur Armstrong, et elle crache pas mal sur le parti de son père. Ça tombe bien, je raffole des pauvres petites filles riches en conflit avec leur papa. Il éclata de rire. — Va au lit, reprit-il. Je ferai ouvrir le coffre demain matin à la première heure. Pour l’instant, je vais voir si je trouve un moyen d’écraser cette méchante petite blogueuse. — Après m’avoir conseillé d’y aller mollo avec Everly ? — Je n’entretiens aucune relation sentimentale avec Lara Armstrong et je n’envisage pas d’en développer une, expliqua Connor, avec la chaleur d’un désinsectiseur qui parlerait du cafard qu’il s’apprête à exterminer. Au fait, il y a une boîte de préservatifs dans la table de chevet. D’après ce que Gabe en savait, Connor n’était attaché d’un point de vue émotionnel à personne d’autre qu’à ses amis d’enfance. Mais peu importait, en ce moment, il devait s’occuper de ses propres
problèmes avant d’aider son copain. Alors il monta les marches quatre à quatre, son sexe palpitant déjà pour Everly. Il lui fallait clarifier quelques points importants avec elle. Ils avaient décidé d’avancer ensemble le temps que durerait cette affaire. Des associés, en quelque sorte. Et elle s’apprêtait à découvrir qui était le patron dans ce partenariat. Il ouvrit la porte de la chambre d’amis, qu’elle avait eu la bonne idée de ne pas fermer à clé. Son sac à main paraissait déplacé, parmi l’ameublement masculin de la pièce – les boiseries anciennes, le cadre de lit en fer forgé et les tissus de lin gris. Celui ou celle qui avait décoré la maison de Connor avait un penchant prononcé pour l’austérité. Le seul élément qui évitait à l’endroit de devenir oppressant, c’était son plafond blanc, avec ses moulures chantournées et ses détails typiques des bâtiments d’avant-guerre. Ce sac à main noir et mou était tout ce qui restait à Everly, dans la mesure où elle ne pouvait rentrer chez elle. Ce qui lui évitait de constater que tous les sites, toutes les chaînes d’information du pays étalaient son nom en une et fouillaient dans son passé. Everly était seule au monde… et lui seul pouvait prendre soin d’elle. Il défit le lit – pour ne pas avoir à s’en soucier plus tard. Quand il ouvrit le tiroir de la table de chevet, il trouva en effet les préservatifs, exactement là où Connor le lui avait indiqué. Au moins une chose prévisible dans cette journée de fou. En ayant sorti un, il entrebâilla la petite porte entre la chambre et la salle de bains. Un nuage de vapeur s’échappait de la cabine de douche. Les vêtements d’Everly étaient soigneusement pliés et posés sur le bord du lavabo, ainsi que l’un des tee-shirts de Connor, destiné à lui tenir lieu de chemise de nuit. Apparemment, son ami ne possédait pas la même réserve d’habits féminins que Mad. L’idée d’Everly portant les vêtements de Connor le dérangeait. Elle n’avait pas besoin de porter quoi que ce soit au lit, il allait donc s’assurer qu’elle n’enfilerait pas ce tee-shirt. Il se déshabilla à son tour, se montrant beaucoup moins précautionneux qu’Everly avec ses affaires, puisqu’elles finirent par terre. Deux caresses sur son sexe déjà dur suffirent à lui permettre d’enfiler le préservatif, sans cesser de se représenter Everly sous la douche, son corps doux et sensuel, humide et glissant. Incapable d’attendre une seconde de plus, il traversa la salle de bains pour se planter devant l’ouverture de la cabine. Elle était là, lui tournant le dos sous le pommeau de la douche qui faisait pleuvoir son jet sur son corps. Gabe dévora des yeux la ligne gracieuse de son dos, la finesse de sa taille et les globes parfaits de ses fesses. Mouillés, ses cheveux lui atteignaient les hanches, magnifique enchevêtrement de roux et de blond. Il avait tellement envie de la toucher, tellement envie d’elle que c’en était douloureux. Elle s’immobilisa et se raidit. — Je savais que tu viendrais tôt ou tard. Au moins il ne l’avait pas effrayée. Il entra sous l’eau derrière elle, cédant à son instinct, à son besoin de possession. La prenant par les épaules, il descendit ensuite jusqu’à ses seins. — Impossible de rester loin de toi. Et je n’ai même pas envie d’essayer. Je te veux. — On ne devrait pas. Pourtant, sa phrase n’avait pas fini de franchir ses lèvres qu’elle renversait la tête en arrière contre le torse de Gabe. Il la sentit soupirer. Si être avec elle était une erreur, il voulait la répéter à l’infini. — Est-ce que tu as envie de moi ? Elle passa la main dans son dos pour la lui poser sur la hanche. Puis elle poussa jusqu’à ses fesses, qu’elle empoigna tout en frottant les siennes contre lui. Quand l’érection de Gabe trouva la fente de
son si joli derrière, il faillit bien perdre les pédales. — Tu sais bien que oui, marmonna-t-elle. Elle ne paraissait pas ravie de cet état de fait. Et en toute honnêteté, il n’était pas non plus très heureux de l’obsession qu’il nourrissait à son égard. Mais il savait que le sentiment qui les unissait était plus fort qu’eux. Le combattre serait inutile. — Alors cesse de réfléchir et laisse-toi aller pour cette nuit. Tout le reste finira par se régler. Les seins d’Everly remplissaient ses paumes de leur poids adorable. Il frotta les tétons entre la pulpe de ses pouces. Les petits boutons étaient déjà durs. Il adorait la façon dont elle ondulait contre lui, dont sa respiration s’accélérait quand il titillait les pointes si sensibles. — On est en sécurité, ici, murmura-t-il. On aurait d’ailleurs dû venir ici d’emblée, mais je voulais voir ce qu’on pouvait trouver chez Mad. Ses courbes se moulaient à lui, tentantes, enivrantes. — On devait y passer. On n’a pas d’autre choix que de découvrir qui l’a tué, sinon on ne sera plus jamais tranquilles. Je ne peux pas te laisser aller en prison. Il lui ceignit la taille d’un bras et l’attira plus fort contre lui. — Ne te tracasse pas pour ça. M’éviter la prison, c’est le boulot de Roman. En revanche, il faut qu’on soit bien clairs sur un point, bébé. Il la fit pivoter et la poussa délicatement jusque contre la paroi de la douche. Saisissant ses deux mains dans l’une des siennes, il l’obligea à les lever bien haut au-dessus de sa tête. Elle se retrouva en position de vulnérabilité, offerte à son regard, à ses caresses. — Quoi, Gabriel ? s’enquit-elle d’une voix devenue rauque. — La prochaine fois que je t’ordonne de te cacher, tu restes cachée. Il la dominait de toute sa hauteur, bien décidé à lui enfoncer sa volonté dans le crâne. Elle secoua la tête. — Je ne pouvais pas te laisser tomber. — J’ai failli te tuer. Ses courbes de velours le détournaient d’un sermon qu’il voulait sévère et raisonnable. À la manière dont ses tétons pointaient malgré la chaleur de l’eau, il soupçonnait qu’elle ne l’écoutait pas de toute façon. Plus il se pressait contre elle, plus il sentait les deux provocantes aspérités contre son torse. Entre l’eau qui ruisselait dans son dos et la peau d’Everly qui l’enveloppait, il baignait dans la chaleur. — Mais tu ne l’as pas fait, argua-t-elle. Tu ne l’aurais pas fait. Tu dois comprendre à quel point j’avais peur pour toi. Je ne pouvais pas te laisser affronter ce danger seul. — Plus jamais, Everly. Il ne tiendrait pas beaucoup plus longtemps – sa colère et son désir étaient sur le point d’exploser. Comment la sermonner, quand tout ce qu’il désirait, c’était plonger en elle ? Il laissa sa main gauche glisser le long de son corps, se frayant un chemin jusqu’à son entrejambe. — Dis-moi encore que tu me désires. — Je te désire tellement, lâcha-t-elle aussitôt, dans un grognement sexy. — Dis-moi que tu as besoin de moi. Il passa un doigt sur son clitoris. Elle était déjà mouillée, et son petit bourgeon aussi avait durci. Le sexe de Gabe sursauta à la sensation de cette excitation partagée, de sa moiteur sur ses doigts. — J’ai besoin de toi. Elle ondulait du bassin, comme si elle n’arrivait pas à s’en empêcher, comme si elle réclamait plus de caresses encore.
— À quoi est-ce que tu pensais, pour être aussi excitée ? Voilà, le sermon était bien loin ; en fait il s’en fichait pas mal, à ce stade. Plus rien ne comptait que l’idée de son étroitesse quand il s’enfoncerait en elle. Il se mit à frotter son clitoris en cercles cadencés, juste pour le plaisir d’entendre ses geignements. — Je pensais à toi. J’aimerais qu’on n’ait jamais quitté cet hôtel, qu’on soit encore dans cette chambre où j’étais Eve et toi Gabriel. Tout le reste de l’histoire, je n’en veux pas. Mais toi, oui, je te veux. Ses paroles lui fendirent le cœur pour s’y insinuer. Il rêvait de la même chose. Il la voulait, elle, sans les doutes, les soupçons, le danger qui allaient avec. Posant la bouche sur la sienne, il l’embrassa de toutes ses forces. Pourquoi attendre ? Everly savait qu’il viendrait à elle. D’ailleurs, elle était déjà focalisée sur le plaisir qu’il lui donnerait. Et sans l’ombre d’un doute, elle était prête à le recevoir. Depuis le début, elle avait su qu’elle ne dormirait pas seule cette nuit. Gabe n’avait donc pas la moindre intention de la décevoir. — Si tu me veux, alors viens tout au fond de moi. Oublie tout le reste. Ce qui importe, c’est que nous soyons en vie et ici ensemble. Sur quoi il recommença à l’embrasser, à caresser sa langue de la sienne, avant de la soulever pour la plaquer au mur. Haletante, elle noua les bras et ses jambes autour de lui. Son sexe était si proche du paradis moite qu’il attendait tant… Il n’en pouvait plus, il fallait qu’il la pénètre. La respiration d’Everly était saccadée, ses pupilles dilatées, sa chaleur le brûlait. En cet instant, il eut la sensation d’avoir été froid toute sa vie, jusqu’au jour où il l’avait rencontrée. — Accroche-toi bien, ordonna-t-il. Elle s’agrippa à sa nuque et croisa les chevilles dans le creux de son dos. Gabe changea de posture, passant les deux mains sous ses fesses pour la soulever encore, aligner leurs deux sexes. Et puis il laissa faire la gravité. Everly glissa sur son gland, puis enveloppa peu à peu son érection tout entière de son étreinte étroite et glissante. Il lâcha un grognement dont le son se répéta comme un écho dans le petit espace clos. Alors qu’il la pénétrait, elle hoqueta et renversa la tête sur son épaule, enfonçant les ongles dans sa peau. — Gabriel, souffla-t-elle. C’est tellement bon. C’était elle qui était délicieuse. Chaque millimètre carré conquis lui faisait tourner un peu plus la tête. Quand il fut presque entièrement fiché en elle, il se mit à lui mordiller le cou. Son pouls lui battait sous la langue. Il la serra plus fort. Un long moment, il resta immobile afin qu’elle s’ajuste à la sensation de son érection qui l’emplissait entièrement. Everly l’entourait. Le saturait. L’enivrait. Elle était partout et il goûtait sa peau, se noyait dans ses gémissements. Son mouvement suivant fut une bataille exquise avec son étroit fourreau. Elle l’agrippait comme si sa vie en dépendait, et il glissa en elle avec autant d’aisance qu’un doigt s’enfonçant dans un bol de chocolat fondu. Il replongea, plus loin encore, plus vite, plus fort dans ses tréfonds voluptueux. Toute pensée, toute réflexion déserta son cerveau. Même respirer devint secondaire. En cet instant, il n’y avait qu’elle. C’était plus que du sexe. C’était une connexion absolue. Il était lié à Everly comme à aucune autre femme avant elle. Et l’idée qu’il ne puisse unir leurs corps de toutes les manières possibles n’était pas acceptable, tout simplement. Il la voulait aussi attachée à lui qu’il l’était à elle, il voulait savoir qu’elle partageait ce moment avec lui. Complètement. Totalement.
— Embrasse-moi, exigea-t-il d’une voix bourrue. Elle leva la tête. Leurs regards se nouèrent. Elle prit une longue inspiration, relâcha son souffle, et recommença. À chaque respiration rapide, elle s’agitait un peu plus sur lui. Puis, dans un cri, elle se colla plus fort à son corps et écrasa ses lèvres sur les siennes. Tout en buvant à sa bouche, Gabe la souleva jusqu’à presque se retirer d’elle entièrement. Puis il changea de posture pour appuyer sur ses hanches, l’empalant de plus belle sur son membre. — Oh, que c’est bon ! Elle grogna contre ses lèvres et il plongea la langue dans sa bouche. Elle lui céda, s’ouvrit à lui, s’offrit. En même temps, elle s’accrochait à sa nuque, essayant d’enfoncer les doigts dans ses cheveux coupés trop court, le suppliant en silence de lui donner plus. Avec plaisir. Gabe se mit alors à la pilonner pour de bon. Bon sang, il ne durerait pas longtemps, mais au moins il la sentait commencer à se resserrer autour de lui. Il esquissa un sourire de satisfaction animale. Elle non plus ne durerait pas longtemps. S’il se débrouillait bien, ils allaient parvenir ensemble à un orgasme éblouissant. Avec une sorte de miaulement, elle baissa les paupières. — Non. Quand je suis en toi, tu es mon Eve. Tu dois me regarder pendant que je te prends. Pas question de la laisser partir, pas question qu’elle s’échappe ailleurs ou avec qui que ce soit d’autre dans sa tête. Elle rouvrit les yeux, battit des paupières et de nouveau leurs regards se soudèrent. Ses magnifiques iris noisette. Parfois ambrés, parfois marron foncé, parfois – comme maintenant – d’un vert profond. Ses yeux étaient chaleureux, généreux, ils l’enveloppaient presque. Quand il fixait ces yeux-là, il n’y voyait rien d’autre que de l’innocence. — Je suis là. Je suis avec toi. J’ai besoin de toi. Un désir primal déferla sur lui. Cet acte allait au-delà du plaisir. Gabe avait l’intention de s’en servir pour veiller à ce qu’elle soit aussi attachée à lui que lui se sentait attaché à elle. Ils devaient partager plus que le plaisir de la chair. Ils avaient besoin d’honnêteté. Et s’enfoncer en elle tout en explorant son âme, voilà ce qui s’approchait le plus de l’honnêteté la plus absolue. Il leur fallait aussi de la confiance. Vu la situation dangereuse dans laquelle ils se trouvaient, elle devait pouvoir se fier à lui, vraiment, et pas seulement pour sa capacité à lui procurer un orgasme. Elle devait accepter de remettre sa vie entre ses mains en cas de besoin, s’ils espéraient s’en tirer. Il la plaqua plus fort contre la paroi, enfonçant son sexe plus loin encore en elle. Il l’assaillit de coups de boutoir, entrant, sortant, ne songeant plus à rien sinon au bonheur de voir ses yeux s’écarquiller de plaisir. Quand il s’enfouit de nouveau en elle jusqu’à la garde, elle entrouvrit les lèvres, prête à hurler. Il couvrit sa bouche de la sienne, buvant le son de son orgasme. Il les voulait pour lui, ces cris. Toujours. Et il démolirait le premier imbécile qui essaierait de la lui prendre. Alors qu’Everly s’effondrait en convulsions, que ses chairs trempées se resserraient en une série de spasmes autour de lui, un picotement lui remonta le long de l’échine. Le plaisir jaillit en une spirale incontrôlable, le clouant sur place. Il était perdu, comme si une partie de lui appartenait dorénavant et pour toujours à cette femme. Avec un cri rauque, il jouit tout en continuant à s’enfoncer en elle. En cet instant, il détesta le préservatif qui l’empêchait de la sentir tout à fait contre sa peau. Il ne voulait rien entre eux. Tandis que le plaisir commençait à s’apaiser, il sentit ses muscles se ramollir. Lentement, il se retira et la laissa glisser le long de la paroi de la douche jusqu’à ce que ses pieds touchent le carrelage.
Mais elle ne semblait pas beaucoup plus fermement ancrée dans le sol que lui. Le corps de Gabe pulsait tout entier, repu – pour le moment – et pourtant il n’arrivait pas à se résoudre à se décoller d’elle. Il ne voulait pas cesser de la toucher. Saisissant le savon, il la tourna face au mur. Elle s’adossa à lui, confiante, sachant qu’il ne la laisserait pas tomber. — Moi aussi, j’ai besoin de toi, lui chuchota-t-il à l’oreille. Il passa la main sur son corps, la vénérant comme elle le méritait. Leur première fois avait été rude et rapide, mais il avait toute la nuit à passer avec elle. Et il ne comptait pas en perdre une seule seconde.
10 « Moi aussi, j’ai besoin de toi. » Il s’agissait là des seuls mots prononcés par Gabriel après leur étreinte passionnée, pourtant tout ce qu’il y avait de féminin en Everly y réagissait. Pendant leur fuite à travers le tunnel qui leur avait permis d’échapper aux flammes dans la maison de Mad, il l’avait prise par la main, l’avait guidée vers l’extérieur. Ils avaient dû déambuler au milieu de corridors humides et sombres, avec pour seul objectif la faible lueur au bout du dédale. Cependant, pas une fois Everly n’avait eu peur qu’il l’abandonne. Une fois dans le loft de Connor, elle s’était mise sous la douche dans l’espoir que le jet d’eau l’aide à se reprendre – à cesser de rechercher si désespérément la protection de Gabriel –, mais elle tremblait comme une feuille. Chaque fois qu’elle fermait les yeux, elle sentait encore les flammes qui léchaient la pièce, menaçant de l’envelopper. Soudain, elle s’était rendu compte qu’ils avaient bel et bien failli mourir. Et puis Gabriel l’avait rejointe, caressée, et il avait effacé ces impressions terrifiantes en la prenant sauvagement. Il lui avait prouvé concrètement pourquoi elle avait besoin de lui. Après leur étreinte pressée, il l’avait lavée des pieds à la tête, faisant glisser ses mains sur sa peau a v e c une tendresse pleine d’attention. Enfin, l’adrénaline était redescendue. Et Gabriel l’avait soutenue quand elle avait pleuré. Sans un mot, il lui avait montré, par sa seule présence et son contact, la véracité de ses paroles. Car oui, en cet instant il avait semblé avoir réellement besoin d’elle, lui aussi. À présent, elle se laissait tranquillement porter dans ses bras, repue et bercée par sa respiration. Il l’allongea sur le matelas et ses draps satinés. Cependant, se donner à Gabriel Bond, cette nuit, plaçait Everly en territoire inconnu. Elle ne pouvait plus prétendre que ce qu’ils partageaient se cantonnait à du plaisir et à un moyen d’oublier ses soucis. Ils s’étaient tous les deux avoué leur besoin mutuel. S’il la quittait demain matin, elle allait le pleurer pour le reste de sa vie, car elle en était certaine, désormais : elle était en train de tomber amoureuse de lui. Il ouvrit le tiroir de la table de chevet et en sortit une boîte de préservatifs. Everly l’observa en battant des cils tandis qu’il se tenait debout au-dessus d’elle, ses yeux brûlants rivés à son corps offert. Le regard de Gabriel s’arrêta sur ses seins, sur la jonction de ses cuisses. Et cette inspection attentive aurait dû la perturber, pourtant ses iris bleus contenaient une telle chaleur qu’ils ne pouvaient l’inquiéter, et encore moins lui donner envie de se couvrir. Ce qu’il voyait exactement en elle, elle l’ignorait, en tout cas, quand il la contemplait comme ça, elle se sentait belle. — Bon Dieu, tu as la moindre idée de l’effet que tu provoques en moi, Everly ? demanda-t-il
d’une voix épaisse et râpeuse. Oui, elle en avait une vague idée, au vu de son érection impressionnante. Encore. Impossible de se voiler la face : le voir ainsi excité l’émoustillait incroyablement en retour. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres, qu’il dut remarquer car il commenta, la mine réjouie : — Évidemment que tu le sais. Punaise, tu as les plus beaux seins que j’aie jamais vus. Demain matin, tu appelles Hilary, qu’elle annonce à tout le monde que tu prends ta semaine. Elle rougit à ce compliment, avant de se rendre compte de la portée réelle de ses paroles. Petit malin. — Je dois aller travailler, Gabriel. Avec Mulford en congé, je suis chargée de toute la sécurité. Sans compter que je suis la directrice par intérim, vu que Tavia doit être submergée par l’annonce de la mort de Mad aux médias et les derniers détails de l’organisation du gala à venir. Elle n’a que Valerie pour l’aider, et ça représente une quantité de travail phénoménale. En plus, mon nom ayant été jeté en pâture à la presse, il n’est pas question que j’offre à mes collègues la moindre occasion supplémentaire de cancaner sur ma relation avec le patron. Sur quoi elle se tourna. S’ils devaient avoir une vraie discussion, elle ne pouvait le faire étalée ainsi, complètement nue sur le lit. Il fallait qu’elle s’habille un minimum. Le tee-shirt de Connor ferait l’affaire. Avant qu’elle puisse l’attraper, les mains de Gabriel la saisirent par les chevilles. Il l’obligea à se rallonger sur le dos et la rejoignit dans le lit, plantant un genou entre ses cuisses écartées. Et il resta là, à la dominer de toute sa puissance. — Tu couches avec le patron, et ce ne sont pas leurs affaires. Je ne plaisantais pas. Appelle demain et pose un congé, ordonna-t-il en remontant les mains le long de ses jambes. Elles aussi, je les adore. En fait, chaque millimètre carré de toi est magnifique. — J’ai des responsabilités au bureau, et d’après ce que j’en sais, sauf modification récente de mon contrat, m’occuper de ton pénis ne fait pas partie de mes attributions professionnelles. — Je nommerai quelqu’un d’autre au poste de directeur par intérim. La boîte peut se passer de toi quelques jours. Bon sang, même tes orteils sont jolis. Je n’ai jamais été fan des pieds, avant les tiens, conclut-il en mordillant la peau autour de ses ongles vernis. Son geste lui fit remonter un frisson le long du dos. — Gabriel, je ne peux pas laisser notre… enfin, ce que nous partageons ne doit pas perturber ma vie professionnelle. Et me couvrir de compliments ne changera rien à l’affaire. — Je ne te couvrais pas de compliments, je me réjouissais que cet adorable corps soit à moi. Il lui déposa une ligne de baisers le long de la jambe. — Tout à moi. Et l’entreprise aussi, elle est à moi – tu l’as peut-être oublié. Non seulement j’en suis le patron, mais je suis aussi ton patron. Et je décide que tu dois prendre un congé. Tu ne quitteras pas cet appartement avant un moment. Sauf qu’elle avait rendez-vous le lendemain avec son informateur censé détenir un scoop sur l’assassinat de Maddox. Bien sûr, ce mystérieux inconnu l’avait aussi avertie de ne pas se laisser prendre dans les filets de Gabriel, or Everly se savait déjà complètement piégée. Oui, ils avaient décidé d’être associés dans cette affaire, pourtant elle hésitait encore à lui parler de son rendez-vous. Gabriel n’approuverait pas. En fait, il la coincerait sans doute ici avec ses chiens de garde et irait prendre contact lui-même avec l’informateur. Elle ne pouvait pas l’accepter. Les instructions de l’informateur stipulaient clairement qu’elle devait se rendre seule à l’endroit prévu, et elle ne voulait pas risquer de perdre sa source – qui sait, il possédait peut-être bien des informations vitales ! Elle avait fermement l’intention de découvrir ce que savait cette personne, surtout si ça servait à expliquer
qui avait tué son ami et à innocenter Gabriel. Car il était forcément innocent. Mais si elle ne pouvait envisager le contraire, elle ne pouvait pas non plus lui avouer tout ce qu’elle savait. Autrement, il l’éloignerait de l’enquête. Or tout le monde savait que deux cerveaux valaient mieux qu’un. Il avait besoin d’elle. Il l’embrassa sur le genou et elle ne put réprimer un frisson. Qui aurait cru qu’on avait autant de terminaisons nerveuses à cet endroit ? Puis il la prit par les hanches et respira sa peau, déroutant le cours de ses pensées – ce qui était probablement son intention depuis le début. — J’ai un service à diriger, et il ne se gère pas tout seul, parvint-elle néanmoins à arguer d’une voix un peu plus essoufflée qu’elle ne l’aurait souhaité. Je ne peux pas disparaître indéfiniment. Il tomba à genoux et plaça la bouche juste au-dessus de son sexe. — Eh bien, il va pourtant le falloir, car à la seconde où les médias découvriront que tu es au bureau, ils vont envahir le bâtiment et causer des problèmes. Plus personne ne pourra travailler. — Je connais deux-trois trucs sur la sécurisation d’un immeuble. Je crois pouvoir tenir une poignée de journalistes à l’écart. — Tu es chargée de la cyber-sécurité. Et tu ne peux pas surveiller chaque ouvrier de maintenance, chaque coursier, chaque assistant en contrat temporaire qui pénètre dans l’immeuble. N’importe qui peut s’introduire dans les lieux sous un faux prétexte. Et même si tu parvenais à tenir ces pestes de paparazzis à l’écart, ils pourchasseraient tes collègues jusque sur leurs heures de repos en s’enquérant de tes activités professionnelles en compagnie du patron. Et alors devine ce que ces braves gens répondraient. Everly le savait déjà : il n’en ressortirait rien de très flatteur. Elle lâcha un soupir. — Conclusion : mieux vaut que nous restions tous deux à l’écart du siège de Crawford pour la productivité et le moral de l’entreprise. Il marquait un point. Restait cette carte SD, qu’elle devait absolument récupérer dans son coffrefort. Elle n’avait toujours pas réussi à visionner toutes les photos et elle voulait absolument les examiner de près. — D’accord. Dans ce cas, je travaille de la maison. Je vais avoir besoin que quelqu’un passe chercher mon matériel et… oh ! Elle haleta. Il venait de se pencher et de souffler sur son mont de Vénus. — Je n’arrive pas à réfléchir, quand tu fais ça. Avec un sourire, il recommença. — Je ne veux pas que tu réfléchisses. Je veux que tu ne penses à rien d’autre qu’à moi. Facile. Depuis l’instant où elle l’avait rencontré, il occupait chacune de ses pensées. Si elle le laissait faire, il allait dominer sa vie. Alors ils s’affronteraient car il avait manifestement besoin de ce contrôle. Or elle n’avait jamais autorisé personne à lui dicter comment mener sa vie d’adulte. D’une poigne ferme, il la maintenait immobile, lui écartant plus largement les cuisses, l’ouvrant à sa délectation. — Ta petite chatte est très jolie. Je me demande ce que je pourrais bien faire avec. Comment était-elle censée répondre à cette interrogation, quand elle réprimait tout juste sa supplique ? Gabriel pouvait se montrer si puissant, si passionné. Elle adorait cet aspect de lui, d’ailleurs. Ainsi que son côté taquin. C’était un homme très complexe – et tout aussi frustrant. Malgré l’orgasme qui l’avait ravagée à peine quinze minutes plus tôt, il venait de réveiller son corps avec une facilité et une vitesse déconcertantes. Elle rêvait de sentir sa langue sur elle, en elle. Il restait là, sa bouche juste audessus du point le plus sensible de son corps, et elle n’en pouvait plus. Un gémissement lui échappa.
Elle savait pourtant qu’il la distrayait volontairement des vrais sujets, mais en cet instant, elle ne pouvait se concentrer sur rien d’autre. Il la tenait, exactement comme il le souhaitait. — J’ai quelques idées, parvint-elle à croasser. — Moi aussi. Ne bouge pas. Il relâcha son emprise sur ses jambes pour écarter délicatement ses grandes lèvres. — Un si joli rose. Et regarde comme tu es trempée. C’est pour moi ? — Tu sais bien que oui. Il ne parut pas convaincu pour autant. — J’ai besoin d’être sûr que tout ça est bien à moi. — C’est à toi, geignit-elle. De la pointe des doigts, il effleura ses chairs, juste assez pour la tenter. Bon Dieu, il allait la tuer. — Prononce les mots, Eve. Dis-moi ce que je veux entendre. Elle savait exactement ce qu’il attendait. — Je t’appartiens. Exigeait-il qu’elle l’admette pour satisfaire sa fierté… ou son cœur ? — Oui, tu m’appartiens, confirma-t-il d’une voix fort satisfaite. Et il se mit à la lécher, plongeant la langue entre ses replis. Une chaleur inattendue se répandit dans tout le corps d’Everly, et elle agrippa les draps avec une série de halètements saccadés. Il lui fallait l’effort de toute sa volonté pour ne pas onduler du bassin. — Montre-moi que cette petite chatte est à moi, exigea-t-il d’une voix grave. Que tu m’appartiens tout entière. À moi et à personne d’autre. Oui, Gabriel était décidément un homme possessif. Dès leur première nuit, elle avait décelé cette avidité chez lui. À présent, il semblait désespérément en quête de la preuve qu’elle était à lui et à lui seul. Sur ce point, il n’avait aucun souci à se faire. — Personne d’autre ne m’intéresse. Je ne pense qu’à toi. Il se radoucit un peu. — Bien. Car je ne partage pas. Et surtout pas ça. Il dessina de petits cercles autour de son clitoris, avant de prendre une nouvelle longue, lente lapée avec sa langue. — Hum. Tu sais à quel point tu es délicieuse ? Elle secoua la tête. — C’est vrai ? Il leva un doigt, comme pour lui demander une seconde. Puis il se repositionna entre ses jambes et la couvrit de sa bouche. Une nouvelle vague de chaleur la dévora, qui s’amplifia encore quand il enfonça la langue. Il plongea dans les profondeurs de son être, la pénétrant comme son sexe l’avait fait un peu plus tôt. Encore et encore, il l’assaillit, profondément, l’envahissant et l’excitant au point qu’il dut la plaquer au lit pour l’empêcher de se cambrer à chaque gémissement. Une fois qu’il l’eut soumise, il leva une main et caressa son clitoris du pouce, des cercles lents et légers, exquis. Pendant ce temps, de la langue, il travaillait sa fente. Il la rendait dingue. — Tout ça est à moi, gronda-t-il contre son intimité. Tes orgasmes sont à moi. Donne-m’en un maintenant. Jouis sur ma langue, que je te déguste. Elle ne tint pas une seconde de plus. La pression enfla entre ses cuisses, pour exploser en un spasme brûlant. Elle hurla, cria son nom tandis qu’il la projetait dans un tourbillon de plaisir. Qui se répandit à travers ses veines, faisant vibrer jusqu’à son sang. En cet instant précis, Gabriel était le centre de son univers, et son monde tournait
autour de lui. Il rampa sur son corps, le recouvrit du sien et la colla contre le matelas. — Tiens, voilà quel goût tu as. Délicieux. Sur quoi il plaqua la bouche sur la sienne et enfonça profondément la langue. Aussitôt, elle reçut son goût doux-amer. Mais Gabriel ne se contenta pas d’un petit bisou, ni d’une brève rencontre de leurs langues. Non, évidemment pas. Il la domina de ses lèvres, s’imprima en elle, lui annonçant sans un mot qu’elle lui appartenait tout entière, jusqu’au tréfonds de son âme. Elle était à bout de souffle quand il la libéra enfin. D’un geste habile, il roula sur le dos et la souleva. — Viens sur moi, Eve. Baise-moi. Ce grondement autoritaire envoya une nouvelle brûlure à travers son corps. Elle se décolla de lui, juste assez pour le chevaucher. D’où lui venait le désir sans cesse renouvelé de s’unir à lui à nouveau, de sentir le plaisir dévorant que seul Gabriel savait lui donner ? Leur première nuit ensemble, il avait pris les choses en main, l’avait amenée jusqu’à une béatitude paradisiaque tandis qu’il la prenait sans relâche. Aujourd’hui, en baissant les yeux sur lui, elle se rendit compte qu’il lui laissait enfin mener la danse. Il était si incroyablement beau, avec ses iris bleus scintillants et ses joues rougies, tel un grand fauve guettant sa proie et préparant son prochain assaut. Elle avait le pressentiment que mieux valait profiter de cette occasion qu’il lui offrait de tenir les rênes, car il ne se passerait pas longtemps avant qu’il les lui reprenne. Du plat de la main, elle effleura les muscles durs de ses épaules et de son torse, appréciant pleinement le contact de sa peau, de son pouls de plus en plus rapide. Elle se pencha pour poser les lèvres sur son cou et adora la façon dont il ferma les yeux à ce contact. Quand elle lécha l’un de ses tétons bruns si mâles, il émit un grognement. Et rouvrit des yeux où la couleur orageuse le disputait à la chaleur. — Tu essaies de me titiller ? Elle se déplaça sur son large torse pour aller suçoter l’autre disque sombre. Ce petit jeu l’amusait beaucoup. — On échange les rôles, ce n’est que justice. Et puis, j’ai peut-être envie de te goûter, moi aussi. Il lâcha un juron. Et son corps tout entier se tendit. — Tu vas me tuer, bébé. Rappelle-toi que je finirai par reprendre le contrôle. Et alors… À son sourire, elle comprit qu’elle risquait toutes sortes de représailles, mais l’idée n’était pas pour lui déplaire, loin de là. Elle poursuivit donc sa lente exploration – lèvres, cou, torse – enivrée par son odeur, pendant qu’il lui explorait le dos, chacun de ses grondements résonnant à son oreille. Sans se presser, elle déposa une ligne de baisers le long de son corps, et plus elle approchait de la partie la plus dure de Gabriel, celle-là même qui lui avait procuré un plaisir tellement exquis, plus elle sentait ses abdominaux sculptés se contracter. Avant de le connaître, elle avait apprécié l’acte sexuel, les quelques fois où elle s’y était adonnée, mais sans plus. Jamais elle n’avait rien éprouvé de semblable aux orgasmes qu’il lui avait procurés. — Tu as l’intention de me sucer ? demanda-t-il, un regard affamé assombrissant son expression. — Oui. Everly avait du mal à reconnaître sa propre voix, tant elle était rauque. — Lèche chaque centimètre, prends ma queue entre tes lèvres si sensuelles et passe ta langue partout dessus, bébé.
Elle baissa les yeux sur la « queue » en question. L’érection de Gabriel semblait engorgée, furieuse et frustrée, en tout cas plus que prête à recevoir ses caresses. Elle la saisit délicatement entre ses doigts. — Plus fort, cracha-t-il entre ses dents serrées. Ne te sens pas obligée d’être douce, je ne vais pas casser. Elle raffermit son étreinte et fit remonter la paume sur toute sa longueur, ravie d’entrer en contact avec la peau douce qui recouvrait sa hampe, charmée de la manière dont il se crispait et sifflait à chacune de ses caresses. Alors qu’elle se penchait pour embrasser le gland turgescent, elle le sentit pulser. Et durcir encore entre ses doigts. Gabriel portait l’odeur du savon qu’ils avaient utilisé sous la douche. Elle inhala sa fraîcheur mêlée au musc tout en passant la langue sur tous les points sensibles de son érection. Toujours plus avide, elle s’enivrait de son goût salé, mâle, qui perlait au sommet de sa virilité. Quand il lâcha un grondement, un sentiment de profonde satisfaction la submergea. Oui, elle avait bel et bien ce pouvoir sur lui. Elle pouvait s’ouvrir à lui, s’autoriser à ressentir des choses pour lui, puisqu’il ressentait des choses pour elle. Non ? Craquer pour lui n’était pas dangereux, si c’était réciproque. La pensée qu’elle aurait pu le perdre dans cet incendie lui traversa l’esprit. Elle ferma les yeux et se laissa emporter par l’inquiétude, suivie du soulagement et de quelque chose qui semblait dangereusement plus fort que la simple attirance. Et elle redoutait d’analyser plus avant ce sentiment. Serait-ce de l’amour ? Elle était consciente d’avoir perdu trop de temps à craindre de s’investir avec les gens. Peut-être l’abandon de sa mère l’avait-il plus touchée qu’elle n’était prête à l’admettre. Peut-être avait-elle eu peur de finir comme son père, à aimer un fantôme parti depuis longtemps. Everly savait que la même chose pouvait se produire avec Gabriel ; il pouvait tout à fait la quitter, la laisser seule et malheureuse. Mais tant pis, elle refusait de gâcher la beauté de cet instant par des conjectures effrayantes. Si Maddox Crawford n’était pas passé par là, elle serait toujours à son ancien travail, à bosser comme une folle sans jamais s’aventurer hors de son quartier, et ne sortant qu’avec les petits poissons de sa petite mare. Le peu de temps qu’elle avait partagé avec Maddox lui avait offert quelques aperçus de la grande vie, de la possibilité de réaliser ses rêves. Il lui avait instillé le courage de se battre pour ce qu’elle souhaitait, or il n’existait rien au monde qu’elle désire plus que Gabriel Bond. Alors elle rejeta toutes ses peurs le concernant. Si elle se fixait comme objectif d’entamer une relation avec cet homme, elle devait s’ouvrir. Elle devait lui accorder sa confiance. — Bon Dieu, si tu savais comme c’est bon ! Il lui plongea les doigts dans les cheveux. Ce qu’elle savait, c’était à quel point ça avait été bon quand il l’avait léchée, sucée, dévorée un peu plus tôt. Elle glissa la langue dans la petite nervure située juste sous le gland et se mit à lécher juste là. Gabriel étant trop bien doté pour rentrer tout entier dans sa bouche, elle opta pour une longue succion du gland en même temps que d’ardentes caresses de haut en bas sur son érection. — Oh oui… oh, bébé ! Il lui tira doucement sur les cheveux. — Everly, arrête. Je veux venir en toi. Enfile-moi le préservatif et viens sur moi. Maintenant. Au ton qu’il avait employé, elle sut qu’il n’était pas d’humeur à discuter. Avec un peu de chance, elle aurait tout le temps plus tard pour jouer avec lui, le titiller tout son soûl, le sucer jusqu’à ce qu’il ne puisse tenir une seconde supplémentaire. Elle avait bien l’intention de se repaître de lui, de lui accorder la même attention et le même plaisir qu’il lui avait offerts, de veiller à ce qu’il sache bien
quel effet cela faisait d’être désiré jusqu’à la folie. Un jour, oui, elle le ferait. Pour l’instant, elle attrapa un préservatif dans la boîte et en déchira l’emballage. Elle n’avait jamais vraiment pratiqué l’art du déroulé de latex, mais elle choisit de ne pas y songer. Après quelques maladresses sans conséquences, elle parvint à lui enfiler le préservatif, à caresser toute sa longueur qu’elle recouvrit entièrement. Son excitation monta d’un cran. Une fois la protection assurée, elle s’autorisa à laisser errer son regard sur le corps de Gabriel, offert à sa convoitise. Allongé ainsi devant elle, il n’était pas difficile de croire que cet homme lui appartenait effectivement, que son corps avait été conçu pour lui procurer du plaisir, que les battements dévoués de son cœur ne retentissaient que pour elle. — Je suis folle de toi, Gabriel. Elle ne pouvait pas en dire plus. Pas encore. Mais elle ne pouvait pas non plus se taire. Un sourire sexy se dessina sur les lèvres de son amant. — Je suis fou de toi aussi, bébé. Soulagée, presque étourdie, elle le chevaucha, positionnant le gland contre sa fente, prête à le prendre tout au fond de son ventre. Il leva les mains pour la saisir par les hanches et la guider. — Je te l’ai dit tout à l’heure. On est deux dans l’affaire. Toi et moi. Son chuchotement conférait encore plus d’intimité à ses paroles, rien à voir avec le simple partage d’un moment de dangereuse passion. À travers ses mots, elle voulait entendre quelque chose d’émotionnel, de durable. — On doit se faire confiance. Je prendrai soin de toi, je te le jure. Jamais je ne laisserai quiconque te faire du mal. Il avait raison. Pour partager quelque relation que ce soit, ils devaient essayer. Elle ne pouvait plus lui cacher de secrets. Quand ils avaient quitté le poste de police ensemble, après son premier interrogatoire, ils avaient prévu d’étaler toutes leurs cartes sur la table. Elle ne voulait plus attendre. Pour que ça ait une chance de fonctionner entre eux, elle devait s’investir tout entière. Parce que d’ici une seconde, il serait tout entier en elle. Haletante, elle s’enfonça sur lui, millimètre après millimètre. Il était si gros. Chaque fois qu’il l’emplissait, c’était si serré qu’elle en avait le souffle coupé. Il comblait les moindres vides en elle, faisait chanter toutes ses terminaisons nerveuses. Et il ne s’agissait pas que de sexe, mais bien de son cœur. Son cœur. Oh bon sang, elle était fichue ! Lentement, déterminée à profiter de chaque seconde de sa descente, elle continua la manœuvre. L’air affolé, Gabriel regardait tour à tour son visage et l’endroit où leurs corps se rejoignaient peu à peu. — C’est incroyable, souffla-t-il. Il s’accrocha plus fermement à ses hanches, remonta les mains jusqu’à sa taille, pour aller pétrir ses seins tout en l’incitant à plonger encore. À l’instant où il l’emplit entièrement, il redescendit le long de ses bras en une caresse et mêla leurs doigts. Everly ferma les yeux pour mieux profiter du moment. Immobile. Muet. Presque solennel. Impossible d’échapper à ce sentiment de connexion. Elle trouvait avec Gabriel l’intimité qui lui avait manqué toute sa vie. Cet homme signifiait quelque chose pour elle, à tel point que c’en était effrayant. Pourtant, là, avec leurs corps fusionnés, leurs mains jointes et leurs regards noués, elle n’avait aucun mal à imaginer qu’elle aussi comptait pour lui. Gabriel l’attira contre sa poitrine. — Embrasse-moi. Elle trouva ses lèvres, qu’elle effleura doucement, et se délecta de leur proximité. Elle aurait juré sentir les frontières de son cœur s’écrouler. Oui, ça la terrifiait. Il la terrifiait car en l’espace de deux
petits jours, Gabriel lui avait démontré le vide abyssal de sa vie sans lui. Il lui avait montré comme il était doux de se sentir adorée. Déterminée à lui rendre la pareille, elle entreprit de lécher sa lèvre inférieure si sensuelle. Elle sentit un frisson parcourir son corps puissant, et elle adora cette sensation. Que Dieu lui vienne en aide, car elle ne voyait absolument pas comment éviter la vérité. Elle l’aimait. Cette nuit, ils partageraient leur plaisir et leur couche. Demain, elle lui avouerait tout. Elle lui montrerait les e-mails et les SMS qu’elle avait reçus. Ensemble, ils résoudraient le problème. Ils formaient une équipe. Associés. Elle n’était plus seule. Cependant, elle connaissait trop le monde pour ignorer qu’elle risquait le chagrin d’amour, mais la solitude, elle en avait soupé. Après tout, mieux valait avoir aimé et perdu l’objet de cet amour que de n’avoir jamais aimé, non ? D’un autre côté, à présent que Gabriel s’était frayé un chemin jusqu’à son cœur, elle ne savait absolument pas comment elle parviendrait à l’en sortir. D’ailleurs, elle n’en avait pas non plus la moindre envie. À son commandement, elle se mit à onduler du bassin, suivant le rythme de son cœur, répondant aux besoins de son corps. Elle laissa filer toutes les pensées qui se bousculaient dans sa tête pour ne plus se concentrer que sur lui et sur le plaisir qu’ils partageaient. Gabriel la tenait par les hanches et elle s’abaissa de nouveau sur son érection. Plus il l’incitait à remonter vite, pour mieux la transpercer aussitôt, plus elle sentait sa propre respiration s’accélérer. Il la remplissait complètement. Encore et encore elle le chevaucha, adorant le sentir gonfler contre ses chairs. Soudain il cambra le bassin, comme pour reprendre le contrôle des mouvements, mais ça ne fit qu’accroître la délicieuse friction qui menaçait de l’envoyer basculer à nouveau dans le précipice. Depuis son ventre, une série de petites pulsations explosèrent, et elle n’eut plus qu’une envie : augmenter la cadence. Toujours plus vite, toujours plus fort. Gabriel reposa les paumes sur ses seins, son souffle se fit inégal et rauque tandis qu’il l’assaillait sans relâche. Presque. Presque. Il changea l’angle de ses coups de boutoir, provoquant un contact saisissant contre le point magique à l’intérieur de son corps qui la fit hoqueter, agripper son torse. Elle était au bord du hurlement, sur le point de crier son nom. L’orgasme était tout près. Il s’enfonça une ultime fois en elle et enfin elle le trouva, dans un cri de plaisir. Une jouissance parfaite explosa entre ses cuisses, remontant jusque dans son ventre. Elle s’accrocha à Gabriel. Il était sa ligne de vie, dans ce bain de plaisir où elle se noyait – tout comme elle espérait qu’il le serait dans sa vie en général. Alors que l’orgasme pulsait en elle, il se raidit sous elle et arqua le dos, comme pour se ficher au plus profond de son ventre, comme pour y imprimer sa marque. Et avec un grondement guttural, il alla chercher en elle son soulagement à lui. Les veines pleines de cette sensation de complétude, telle une drogue, elle se laissa retomber contre le torse de Gabriel, épuisée physiquement mais très lucide quant à son bonheur. Il l’enlaça. Elle se sentait protégée, aimée d’une façon que jamais elle n’avait ressentie. Les larmes lui piquèrent les yeux. Peut-être était-il trop tôt pour lui avouer ses sentiments, même si elle les lui avait communiqués à travers ses caresses. Et la manière dont il s’était accroché à elle en réponse… Il devait savoir, ou du moins sentir ce qu’elle éprouvait. Vu comme il avait grondé son nom en jouissant, ça n’avait pas eu l’air de l’effrayer. Se pelotonnant plus près de lui encore, elle écouta les battements orageux de son cœur qui s’apaisaient peu à peu. Elle se mit à respirer en rythme avec lui – inspirer, expirer, encore, encore – et ne bougea plus d’un millimètre. Non, elle n’était pas prête. Le moment de tout dire viendrait bien
assez vite. En attendant, elle maintiendrait leur lien aussi longtemps que possible. Leur première nuit ensemble, elle lui avait donné son corps. Cette nuit, elle avait partagé son cœur avec lui. Demain, elle lui révélerait ses secrets. — Tu as une mine atroce, commenta Gabe en descendant l’escalier au petit trot le lendemain matin. Il se sentait étonnamment enjoué, pour un type qui risquait l’arrestation pour meurtre à tout instant. Il était bien conscient que la situation appelait plus de sérieux de sa part, pourtant après la nuit incroyable qu’il venait de passer dans les bras d’Everly, il n’avait pas la force d’arborer une expression sévère. Malheureusement, Connor ne semblait pas avoir connu pareille expérience. Son ami lui adressa un doigt d’honneur. — J’ai passé ma putain de nuit à enquêter pour ton compte. La table était couverte de piles de papiers. Apparemment, Connor avait forcé la serrure du petit coffre sans trop de ménagements. Le couvercle était grand ouvert, et son contenu s’étalait, prêt à être ausculté de près. Gabriel aurait préféré ausculter la beauté d’Everly à la lumière de l’aube. Il s’était éveillé auprès d’elle, son corps sensuel lové contre le sien. Il avait alors envisagé de rester au lit toute la journée avec elle, de la prendre sans relâche. Au lieu de quoi son portable avait vibré, et il avait dû accueillir dans un juron cette intrusion de la réalité. Ne souhaitant pas réveiller la belle endormie, il s’était levé discrètement et avait gagné la salle de bains sur la pointe des pieds. Il avait répondu à plusieurs SMS, annulé des réunions chez Bond Aéronautique, passé outre aux sollicitations de la presse, avant d’enfiler ses vêtements pour descendre rejoindre Connor au rez-de-chaussée. — Everly dort encore ? s’enquit ce dernier. Gabe hocha la tête. — Elle a besoin de repos. Elle a eu une rude journée hier, surtout après l’incendie chez Mad. Il supposait qu’elle retenait pas mal de chagrin depuis longtemps. Il l’avait encouragée à pleurer, à laisser sortir ses émotions et à les partager avec lui. Et s’était senti gratifié qu’elle lui fasse suffisamment confiance pour obtempérer. Avait-elle jamais pleuré avec Mad ? La question le perturbait. — Et puis, reprit-il, plus elle dort, plus longtemps elle mettra à comprendre qu’on est coincés ici. Il ne souhaitait pas être celui qui lui annoncerait que leur cachette s’était bien vite transformée en prison. — Pas moyen d’échapper à cette vérité-là, soupira Connor. Roman est à la cuisine, qui prépare du café. Attention : il n’est pas de bonne humeur. Il y a tellement de journalistes attroupés devant le bâtiment… même un type du magazine People, il paraît. Roman a dû se faufiler ici par l’entrée réservée aux célébrités, ménagée spécialement pour les grosses têtes qui vivent dans l’immeuble. Deux stars du cinéma, une légende de Broadway et trois producteurs convaincus qu’on risque de les reconnaître sous leur capuche et derrière leurs lunettes de soleil. (Il ricana, méprisant.) Quelle bande de connards imbus d’eux-mêmes ! Un peu de la bonne humeur qui restait à Gabe s’effrita. Si Roman avait été forcé d’entrer en douce, ça signifiait que la présence médiatique était pire qu’il ne l’avait imaginé. — Merde. Comment ils nous ont trouvés ? Roman entra dans la salle à manger d’un pas traînant, le front barré d’une ligne inquiète. Il tenait
deux tasses de café, dont il tendit une à Connor. — Sans doute les flics. Vu qu’on a été obligés de leur révéler où tu prévoyais de passer la nuit afin qu’ils consentent à mettre un terme à leur interrogatoire sur l’incendie, je suis certain que la nouvelle a fait le tour du commissariat. Et un mec que ça ne dérange pas trop de se faire graisser la patte par la presse a dû ouvrir sa grande bouche. Du coup, Dax est au sous-sol, à travailler avec les gars de la sécurité pour s’assurer que personne ne pénètre jusqu’ici. Gabe avait promis de protéger Everly. Il allait devoir être plus efficace. — Il y a une chance qu’ils s’en aillent si je leur accorde une déclaration ? — Et après tu pars à la chasse aux licornes ? rétorqua Roman. Bien sûr que non, et tout ce que tu pourrais leur dire serait déformé dans la presse, voire devant un tribunal. Mieux vaut pour toi que tu te taises. Il y a un garage souterrain, avec un tunnel qui conduit à l’immeuble voisin. Mais je ne sais pas s’il est très usité. On essaiera de te faire sortir et entrer par ce biais, si nécessaire. Au moins ce tunnel pourrait leur fournir une échappatoire. — Je ne veux pas que ces reporters s’approchent d’Everly. — Non, en revanche, si j’ai bien compris, tu n’as rien contre t’approcher d’elle toi-même, répliqua Connor avec un sourire entendu. Dis donc, elle est plutôt du genre bruyant. Chaque fois que je commençais à somnoler, elle se mettait à brailler et me réveillait en sursaut. Gabe fronça les sourcils. Everly serait mortifiée de savoir que Connor l’avait entendue exprimer son plaisir. Et Gabe n’était pas non plus ravi à l’idée que son pote en ait profité. Roman reposa sa tasse. — Tu es sûr que coucher avec cette fille est une bonne idée ? — Tout le monde était déjà persuadé que je couchais avec elle avant, répondit-il. Je ne vois pas en quoi ça pose un problème, à ce stade. Je pourrais aller déclarer à la presse qu’on n’est pas ensemble, personne ne me croirait. — Tu risques de lui faire du mal. J’ai effectué quelques recherches : elle ne ressemble pas aux femmes avec qui tu sors habituellement. — Je ne sors pas vraiment avec elle. Mais inutile de nier qu’il était impliqué dans une relation avec elle. Profondément. Et ce qu’il éprouvait pour elle était si nouveau, si frais, qu’il n’était pas prêt à en discuter. Pas même avec ses meilleurs amis. Pas question non plus de les laisser lui imposer quand et comment il devait passer son temps avec elle. — Ça m’étonnerait qu’elle soit de cet avis, argua Roman. C’est pourquoi je pense que continuer à coucher avec elle n’est pas une bonne idée. — Il ne t’écoutera pas, mec. Il peut bien le nier tant qu’il veut, il est en train de craquer pour elle, intervint Connor, avant de reporter son attention sur l’écran de son ordinateur, dont il pressa la touche « actualiser ». La voilà, fit-il alors que ses narines se dilataient. Oh oui, je te tiens. — Ça y est, il a fini par se transformer en loup-garou ? demanda Gabe à Roman en désignant Connor du pouce. Toute occasion était bonne pour changer de sujet. Roman jeta un coup d’œil à l’écran. — Merde ! C’est vraiment la fille du sénateur Armstrong qui gère Scandales au Capitole ? — Probablement, répondit Connor en sirotant son café. Ou bien elle est en cheville avec celui ou celle qui le gère. Dans tous les cas, elle s’est mise dans le pétrin jusqu’à son joli cou. Selon moi, c’est elle qui rédige ce blog. — Punaise. Armstrong est l’allié de Zack au sénat, gronda Roman. Fais gaffe, Connor. Si l’info
sort, ça pourrait se révéler dangereux pour notre administration. Ce blog publie tout un tas de conneries qui remettent en cause la politique de Zack. Certes, Scandales au Capitole était le tabloïde numéro un parmi les lecteurs de Washington DC, mais… — Ça n’est pas juste un torchon ? — Les pages de une, oui, mais creuse un peu plus et tu y trouveras pas mal de commentaires politiques. Elle est en total désaccord avec à peu près tout ce que Zack et le sénat ont voté au cours des deux dernières années, expliqua Roman. Évidemment, elle appuie ses opinions sur des théories conspirationnistes toutes plus dingues les unes que les autres, et qui contiennent juste ce qu’il faut de faits pour terrifier les gens. Quoi qu’il en soit, si l’info s’ébruitait que l’un des alliés les plus proches de Zack a une fille dissidente manifestement décidée à le détruire, ça ne serait pas bon du tout. Une lueur prédatrice alluma les pupilles de Connor. — Je peux la faire taire. Gabe n’aimait pas l’expression de son ami. — Tu ne peux pas la tuer pour avoir exprimé ses opinions, tout de même. Aussitôt, l’« analyste » de la CIA reprit le dessus chez Connor et la vilaine étincelle s’éteignit dans ses yeux. — Bien sûr que non. J’entendais par là que je peux lui expliquer pourquoi tenir ce site « clandestin » n’est plus un choix de carrière viable. Elle vient de révéler son identité en tombant dans mon piège. Regardez un peu la une de Scandales au Capitole ce matin, les gars. AU CŒUR DU DANGER, LE PLAY-BOY NE PENSE QU’À SAUVER L’ALCOOL Gabe lâcha un soupir. Ce fichu blog évoquait-il aussi la manière dont il avait échappé aux deux hommes armés qui essayaient de le tuer ? Ou qu’il était prêt à se sacrifier pour sauver Everly Parker ? Non, bien sûr. L’article dans son ensemble tournait autour du fait qu’il avait récupéré la bouteille de scotch ridiculement chère achetée par Mad. — Eh bien, voilà qui va encore améliorer mon image. Vraiment, je ne sais pas comment te remercier. Sourcils froncés, Connor lui reprit l’ordinateur d’un geste sec. — J’aurais récupéré le scotch aussi. Le laisser périr tragiquement dans cet incendie aurait été un véritable crime. Quand Gabe lui tourna un regard noir, Connor soupira. — Écoute, je devais donner à Lara Armstrong une information que personne ne possédait pour voir si elle publierait l’histoire. Or tu avais passé la bouteille à Dax quand il était venu te récupérer à Harlem. Les flics ignoraient que tu étais en sa possession, donc cette « fuite » prouve sans l’ombre d’un doute que soit elle est derrière Scandales au Capitole elle-même, soit elle a l’oreille de celui qui gère le site. C’est la seule personne à qui j’en ai parlé. Gabe comprenait son raisonnement, n’empêche que Connor aurait pu passer une information plus positive le concernant. — Tu n’aurais pas pu inventer une histoire, plutôt ? Genre : je soulève cent dix kilos de fonte tous les jours, ou un truc comme ça ? — Je ne suis pas aussi imaginatif, répliqua Connor en levant les yeux au ciel. Et puis, il fallait que je lui tende un nonosse qui aille dans son sens, or elle adore balancer des informations qui font passer les riches pour de ridicules parvenus. C’est un thème récurrent chez elle. Roman prit un siège et passa une main sur son visage las. — On doit la faire taire. Avant que son identité ne soit connue.
— Dès que j’aurai découvert ce qu’elle sait, promit Connor. Sa voix avait pris ce ton de pierre, celui qui sous-entendait : « Je sais quelque chose que vous ignorez », et qu’il utilisait quand il estimait plus prudent de ne pas en révéler davantage. Gabe ne pouvait lui laisser garder ses secrets. — Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Que penses-tu qu’elle sache ? Connor serra la mâchoire, et son visage se transforma en un masque obstiné. Roman se redressa dans son fauteuil, rivant sur Connor un regard perçant. — Ne joue pas les cachottiers avec nous. Je sais que tu es habitué aux secrets et que tu dois la jouer fine, mais on n’est pas des agents doubles. Il s’agit de nous, là. On a besoin de tout savoir. Les épaules de Connor s’affaissèrent, ce qui n’augurait rien de bon. — Je ne voulais pas en parler avant de savoir si elle cherche à se faire de l’argent ou juste à soulever quelques vagues en détruisant l’image de Mad. Elle prétend avoir entendu des rumeurs comme quoi il était pédophile. Gabe n’en revenait pas. Mad adorait le sexe – ça, aucun doute –, mais il n’aurait jamais pu toucher un enfant. Impossible. — Tu déconnes, là ? Si Lara Armstrong publie cette histoire, je l’attaquerai en justice. Et je me fous de l’effet que ça aura sur Zack. C’est un grand garçon, il peut gérer. Mais je ne la laisserai pas répandre ces calomnies. Des mensonges que Sara et son enfant seraient forcés de lire et d’endurer pendant longtemps, car ce genre de puanteur était tenace. Non, pas question. Ça n’arriverait pas tant qu’il lui resterait un souffle de vie. Sa sœur avait déjà traversé suffisamment d’épreuves. Secouant la tête, Roman tendit la main par-dessus la table pour saisir le petit coffre qu’Everly avait trouvé dans la pièce secrète chez Mad, la veille. Il posa de côté les liasses de papiers et en tira trois photos. — Nous savons que c’est faux, pourtant on a découvert quelques trucs bizarres, dans cette boîte. Ces fillettes te sont familières ? Gabe lui prit les clichés des mains. Chacun représentait une gamine souriante de treize-quatorze ans maximum. Une Africaine sur la première photo, l’air innocent dans son uniforme scolaire, plantée devant sa classe et agitant la main pour l’objectif. La deuxième y ressemblait beaucoup, à cette différence près qu’il s’agissait cette fois d’une petite Indienne, dans un uniforme différent et arborant un joli bindi sur le front. La troisième fillette était vêtue d’un hijab indiquant qu’elle avait atteint la puberté. — Pourquoi aurait-il conservé des photos de gamines inconnues des quatre coins du monde ? Gabe refusait de croire que Mad ait pu nourrir un quelconque intérêt sexuel pour ces gamines. Bon sang, avant Sara, il avait plutôt montré une certaine préférence pour les femmes plus mûres. Même quand ils étaient adolescents, cet imbécile s’était fait une spécialité de draguer la mère de chacun d’eux. Aujourd’hui encore, Gabe remerciait sa propre mère d’avoir envoyé balader ce crétin. Ça aurait été plutôt malsain. — Bonne question, fit Roman dans un haussement d’épaules. Mais il y en a d’autres, de plus difficiles, qui me sont venues suite à ma discussion avec les policiers tôt ce matin. D’après les empreintes dentaires, ils ont pu identifier le cadavre que vous avez laissé chez Mad. Un certain Jason Miller de Brooklyn. Brighton Beach, pour être exact. Et doté d’un casier long comme le bras. Il avait fait deux passages assez brefs en prison pour vol et agression. D’après les flics, c’était un malfrat notoire, qui louait volontiers ses services. Connor souriait, mais il n’y avait aucune joie dans son expression.
— En fait, ils ont expliqué qu’il travaillait pas mal pour la mafia. Et vu qu’il a grandi à Brighton Beach, j’en déduis qu’ils font référence à la Bratva. « Les frères », c’était ainsi que s’étaient nommés les mafieux russes. Ils tenaient des cercles de jeux illégaux, ainsi que d’autres business criminels un peu partout en ville. — Donc la personne qui l’a engagé pourrait être le mystérieux Sergeï ? — Possible, admit Roman. J’ai mis un détective sur le passé du gars et de ses associés connus. Il va enquêter, poser des questions à droite et à gauche au cours des jours à venir. Avec un peu de chance, on parviendra à rassembler quelques idées sur l’identité des autres impliqués. Je dois rentrer à Washington DC pendant quelques jours, mais je garderai l’oreille ouverte. Ils devraient bientôt tous reprendre le cours de leur vie. Le congé de Dax ne durerait sans doute qu’un jour ou deux de plus. Gabe ignorait de combien de temps disposait Connor avant de devoir repartir à l’étranger et de retourner à ses mystérieuses activités. — Ils ont la moindre piste concernant l’identité du second type, celui qui s’est enfui ? demanda Gabe. — On l’aperçoit sur les vidéos des caméras de sécurité situées dans la rue devant chez Mad. La police de New York les montre dans tout Brooklyn, mais ils sont quasi certains qu’il s’agit d’un des gars avec qui Miller traînait. Ils finiront bien par lui mettre la main dessus, expliqua Connor. Quant au reste du contenu de cette boîte, je n’ai pas la moindre idée de ce que ça signifie. Certains papiers semblent être écrits en langage codé. Ou alors, il était carrément bourré quand il les a rédigés. Pour moi, il n’y a qu’une chose qui pourrait nous être utile : Mad a noté le nom d’un détective privé qu’il avait embauché, un type qui s’appelle Wayne Ferling. Il est trop tôt pour lui rendre une petite visite à son bureau, histoire d’avoir une conversation avec lui, mais j’y passerai dans la matinée et je découvrirai pourquoi Mad l’avait engagé. — De mon côté, je vais tâcher d’identifier ces gamines, proposa Gabe. Il pourrait travailler avec Everly, il était même plutôt impatient de la voir à l’œuvre. — En parlant de détective… commença Connor avec un regard morne. Et il fit passer une chemise à Gabe. — Qu’est-ce que c’est ? — Tu te rappelles m’avoir demandé d’embaucher un privé pour jeter un œil dans le passé d’Everly Parker, afin d’en tirer des saletés à utiliser contre elle ? Eh bien, les voilà, les saletés. Non qu’il y ait grand-chose, mais personne n’est irréprochable. Ils ont travaillé vite. Ma rumeur préférée, c’est celle selon laquelle son père était un flic ripou. Le détective affirme qu’elles sont totalement infondées, mais que tu peux toujours travailler dessus. Elle a aussi un cousin en prison et il y a quelque chose sur sa mère. Bien sûr, la majorité des infos concerne Everly elle-même et Maddox. Tout le monde avait envie de parler d’eux. Tu veux que je lui demande de continuer à creuser ? Gabe ouvrit la pochette et une vague de honte l’envahit. Bon Dieu, il n’arrivait même pas à regarder là-dedans. — Je t’avais commandé ça avant de la connaître. Dis-leur de m’envoyer la facture. Je n’ai plus besoin de leurs services. Connor hocha la tête. — Enfin une décision sensée. Le portable de Gabe se mit à sonner. Il le tira prestement de sa poche et grimaça en découvrant l’identité de l’appelant. Sara. Zut, au milieu de la folie ambiante, il avait oublié de lui téléphoner pour lui expliquer ce qui se passait. Elle avait probablement entendu sur TMZ ou lu sur un site d’informations en ligne qu’il avait subi un interrogatoire de la police et failli mourir dans un incendie.
Merde. Il referma le dossier et le posa sur la table. Il l’avait commandé sur un coup de colère, mais pas question d’en lire une seule ligne à présent. — Je reviens. Ses amis acquiescèrent, et il fit glisser son doigt sur l’écran pour accepter l’appel. Il se rendit dans le séjour, laissant Roman et Connor assis autour de la table. Comme le reste de l’appartement, la pièce était décorée de lignes épurées et masculines, avec beaucoup de meubles en cuir sombre. Gabe se demanda à quoi ressemblait l’intérieur d’Everly. Sans doute beaucoup plus clair et plus féminin. Prenant une profonde inspiration, il porta l’appareil à son oreille. — Salut, sœurette. Désolé de ne pas t’avoir appelée. — Dis-moi que tu ne couches pas avec cette pute. Même à des centaines de kilomètres, il fut glacé par le ton de sa voix. — Pardon ? Il n’avait jamais entendu ce mot dans la bouche de sa sœur. Elle jurait rarement, en fait. Et surtout pas à son endroit. — Tu m’as très bien entendue, Gabe. Tu pensais que je ne la verrais pas ? Sa photo circule partout sur le Net. — Tu ne dois pas croire tout ce que tu vois, affirma-t-il. Il n’appréciait pas la fureur qu’il percevait dans les répliques de sa sœur. Le médecin lui avait conseillé de se détendre. Quelques semaines plus tôt, elle avait eu des pertes et des crampes. Son obstétricien lui avait indiqué qu’elle devait éviter le stress au maximum. — Calme-toi. Tu sais que la colère est mauvaise pour le bébé. — Tu veux que je me calme ? D’après tout ce que je lis dans la presse, je suis quasi certaine qu’il m’a quittée pour elle, Gabe. Il a piétiné notre avenir, abandonné notre bébé pour elle. Je ne supporte pas l’idée que tu puisses même lui adresser la parole. — Sara, écoute-moi. Je dois lui parler. Si elle était proche de Mad, elle sait peut-être des choses. Tu es au courant que Mad a peut-être été assassiné ? — J’ai entendu des rumeurs là-dessus. Si elles sont vraies, la liste des suspects doit mesurer des kilomètres. Ça ne signifie pas que tu es obligé de coucher avec tous. Un son étouffé ne masqua pas totalement le sanglot de Sara, qui brisa le cœur de Gabe. — Est-ce que tu couches avec elle ? insista sa sœur. Oh, et puis laisse tomber, je connais déjà la réponse. Bon sang, qu’est-ce qu’il était censé faire, là ? Il ne pouvait pas se permettre de laisser Sara dans cet état de nerfs. Si elle perdait le bébé, il ne savait pas comment elle survivrait. Sara était la petite dernière de la famille, leur père et leur mère étaient morts. Il était tout ce qu’elle avait au monde, et conneries matérielles mises à part, ce bébé était le dernier héritage de Mad. — Je passe du temps avec elle, mais ce n’est pas ce que tu crois. Comment pouvait-il avouer à sa sœur, à bout de nerfs à cause de ses hormones en folie, qu’il était raide dingue de la femme qui avait peut-être été la dernière maîtresse de Mad ? Sara n’était pas en état de réfléchir de manière rationnelle en ce moment. Il devait la ménager en attendant de découvrir toute la vérité. Ensuite ils se poseraient tranquillement et ils causeraient. — Ah non ? Et c’est quoi, alors ? Vu les sentiments présents de Sara, jamais il ne pourrait lui passer les rênes de Crawford Industries tant qu’Everly y travaillait encore. Il devrait trouver un poste à sa jolie geek, peut-être chez Bond Aéronautique. En fait, il avait suffisamment de réseaux pour lui dégoter un job à peu près partout où elle voudrait. Une fois que Sara aurait repris le flambeau à Crawford, il insinuerait petit à
petit Everly dans la vie de sa sœur. Mais pour l’instant, il devait faire tout ce qui était nécessaire pour que Sara reste calme. — Elle est impliquée dans tout ça, d’une façon ou d’une autre. Là, il ne mentait pas. Everly détenait forcément des informations. Tant qu’il n’avait pas résolu le meurtre de Mad, Gabe devait protéger les deux femmes de sa vie. — Je dois rester proche d’elle car je pense qu’elle en sait plus qu’elle ne veut bien le dire. (Ou plus qu’elle ne comprenait.) Mad s’était enfoncé jusqu’au cou dans un merdier pas possible auquel je ne comprends rien, mais dont Everly est la clé. Je dois me la garder sous le coude et lui dire ce qu’elle a envie d’entendre pour qu’elle reste auprès de moi. — Alors la presse a tort ? Tu n’es pas amoureux d’elle ? Amoureux ? Ce seul mot lui envoya un frisson dans le dos. Être amoureux, ça signifiait plonger dans quelque chose qu’il ne comprenait pas vraiment. Ses parents avaient été amis, mais sans partager une quelconque passion ou flamme. Ils étaient plus comme des partenaires d’affaires. Ce qu’il éprouvait pour Everly n’avait rien à voir. Quand il la regardait, un brasier s’allumait en lui qui menaçait de le consumer tout entier. C’était ça, l’amour ? Peut-être… mais il n’était pas prêt à s’y embarquer pour l’instant. — Everly Parker est un moyen de parvenir à mes fins. Je dois découvrir ce qu’elle sait, et ensuite je m’occuperai d’elle. J’ai déjà tout prévu. Son plan, c’était d’apaiser sa sœur et de réfléchir au reste plus tard. — Oui, je vois clairement que tu as tout prévu, Bond. Ça n’était pas Sara. Gabe sentit son cœur lui tomber dans les talons. Il fit volte-face. Everly, les joues encore rougies et les cheveux un peu décoiffés, habillée comme la veille. Il vit son visage blêmir. Une forte nausée lui vrilla les tripes. Elle tenait à la main la chemise contenant le rapport du détective privé. — Tu t’en prends à la réputation de mon père ? Très classe de ta part. Tu m’excuseras si je ne reste pas dans les parages pour t’aider plus que je ne l’ai déjà fait, espèce de salaud. Sur quoi elle se rua vers la porte du loft, ses talons claquant sur le parquet, en écho aux battements affolés du cœur de Gabe. — Sara, je vais devoir te rappeler. Il ne pouvait pas laisser partir Everly. Bon Dieu, surtout pas comme ça. Pas quand elle le prenait pour le salopard absolu. — Prends soin de toi et du bébé. — D’accord. Je suis désolée, Gabe, je n’aurais pas dû te hurler dessus. Je suis égoïste. Je t’aime. (Puis elle hoqueta.) Je viens de lire sur Internet que tu as été pris dans un incendie hier soir ? Tu vas bien ? Ça, c’était la Sara qu’il connaissait, la gentille fille avec qui il avait partagé ses étés d’enfance. — Oui, je vais bien. Je t’expliquerai plus tard. Tu dois me faire confiance, je te rappelle bientôt. Il raccrocha, résolu à rappeler Sara aussi vite que possible, puis il se précipita sur les talons d’Everly. Elle avait dû entendre le pire moment de sa conversation et la coupler avec ce fichu rapport d’enquête. À présent il lui fallait trouver le moyen de l’amener à comprendre. À ce stade, il espérait juste qu’elle accepterait de l’écouter. En courant vers l’entrée du loft, il croisa Roman, les yeux fixés sur la porte de l’ascenseur privé qui n’ouvrait que sur cet appartement et sur le hall d’entrée. Les invités avaient besoin d’un code pour monter chez Connor. En revanche, n’importe qui pouvait descendre au rez-de-chaussée. — Qu’est-ce qui s’est passé, bordel ?
— Merde. Elle est partie ? Gabe s’était attendu à ce qu’elle soit furieuse, vexée. Il avait pensé devoir gérer des larmes. Jamais toutefois il ne s’était imaginé qu’elle serait assez impulsive pour filer. Son corps tout entier se figea. Complètement. — Comment elle a mis la main sur ce rapport ? Où est Connor ? Roman écarquilla les yeux. — Elle a vu le rapport du privé ? Putain ! Elle a dû entrer après que Connor est parti se doucher. Moi, j’étais à la cuisine, en quête de petit déjeuner. Merde. Le dossier était posé sur la table. Gabe ne répondit pas. Il avait déjà franchi la porte.
11 Everly suppliait l’ascenseur d’accélérer le mouvement. Dans sa main, la chemise tremblait littéralement de rage. Bon Dieu, il devait la prendre pour une belle idiote. Pendant qu’il lui susurrait combien il avait besoin d’elle, il avait embauché un détective pour déterrer les pires morceaux de son passé. Et ces rumeurs sur son père. Elle savait de qui elles venaient – un ancien malfrat qu’il avait fait enfermer. Son avocat et lui avaient tenté tous les sales coups possibles et imaginables pour faire annuler le jugement. « Même si ces rumeurs sont probablement infondées, le sujet a une tendresse particulière pour feu son père, selon de nombreuses sources. Toute menace sur la réputation de l’ancien policier pourrait la faire taire sur le sujet de sa relation avec Maddox Crawford. » À moins que ça ne produise l’effet inverse, à savoir flanquer une telle raclée à Gabriel Bond qu’il ne se reconnaîtrait plus en se regardant dans la glace. Elle s’était levée en fredonnant gaiement et avait descendu les marches avec un sourire béat aux lèvres. Après la nuit qu’elle avait passée auprès de Gabriel, elle était sur un petit nuage. Persuadée que rien ne pourrait se mettre en travers de son bonheur. Et elle était donc arrivée au rez-de-chaussée, prête à se mettre au travail. Elle était curieuse de voir si les reçus du café avaient mené à quelque piste sur son informateur secret. Le SMS qu’elle avait reçu la veille au soir lui avait permis une grosse avancée : elle l’avait déjà tracé et il provenait d’un téléphone prépayé. Elle s’était donc rendue à l’étage inférieur, décidée à transmettre à Gabriel toutes les preuves en sa possession. Connor semblait très au fait des techniques de piratage informatique, il pourrait peut-être l’aider aussi. Malheureusement, elle n’avait pas trouvé Gabriel. En revanche, elle avait trouvé ce dossier. Non, non, elle n’allait pas pleurer. Elle se l’était promis. Pas de larmes. Pas de gémissements, pas d’apitoiement. D’une certaine façon, elle méritait cette trahison et cette douleur, pour s’être montrée trop crédule. Après tout, que pouvait bien lui vouloir un dieu du sexe tel que Gabriel Bond ? Mais pas question de se laisser abattre par ce type. Ni de rester seule à la maison, toutes portes fermées, à se ronger les sangs pour tenter de déterminer où tout avait capoté. Non, elle allait se ressaisir, passer à autre chose et en ressortir encore plus forte. Sauf que là, tout de suite, l’idée de balancer un bon coup de pied dans les parties intimes si talentueuses de Gabriel Bond lui paraissait fort attrayante. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. À travers un voile trouble, elle tâcha de discerner le hall privé plongé dans la pénombre. Et merde, voilà qu’elle pleurait. Essayant de ravaler ses larmes, elle sortit de la cabine. Il ne lui restait rien sur elle que son sac à
main, cette fichue chemise et sa dignité. Et pas question de réclamer quoi que ce soit – ou qui que ce soit – d’autre. Elle sortit son portable et composa à la hâte un numéro familier. Scott décrocha à la première sonnerie. — Everly ? Bon sang, mais qu’est-ce qui se passe ? Dans sa voix, le choc était évident. — Les choses sont complètement dingues, au bureau. C’est vrai ce qu’on raconte, que tu as failli mourir ? Elle n’avait pas le temps pour l’instant de lui expliquer les événements de la veille ni l’enfer qu’elle traversait aujourd’hui. Ils auraient tout le loisir d’en discuter chez lui devant des cocktails. — Tu peux passer me chercher ? Il hésita une seconde. — Passer te chercher ? Je te croyais avec Bond. Elle s’engagea dans le hall, repérant le portier au loin, qui montait la garde devant l’unique porte en verre teinté très sombre. — C’est fini. J’ai besoin d’aide, Scott. En général, tu vas au boulot en voiture le mercredi, non ? — Oui, j’ai ma voiture avec moi, en effet. Où es-tu ? Quelque part dans l’Upper West Side. La veille, elle avait repéré des endroits familiers au moment où ils passaient tout près en voiture. Mieux vaudrait qu’elle se rende à l’un d’eux. Sans l’ombre d’un doute, Gabriel n’en avait pas fini avec elle, et il ne tarderait pas à être sur ses talons. — Rejoins-moi au muséum d’histoire naturelle. Je t’attendrai dans l’entrée, envoie-moi un SMS dès que tu arrives. — Ça va me prendre un certain temps. Dans ce cas, pour tuer l’attente, elle irait prendre un café à un prix ridiculement élevé dans la cafétéria du sous-sol, en compagnie des baleines bleues. — Pas de problème. Merci beaucoup, Scott. Ayant raccroché, elle se mordit la lèvre en voyant le portier près de la sortie. Et se dirigea vers lui d’un pas décidé. Assuré. Car il n’existait pas la moindre chance qu’elle ait mal compris Gabriel. Quand il descendrait, elle ne souhaitait pas qu’il la trouve en train de se tordre les mains à attendre. Non, il fallait qu’elle file. Elle n’avait pas d’argent liquide sur elle, autrement elle se serait contentée de sauter dans le premier taxi qui passerait par là. OK, elle pourrait payer par carte de crédit, mais dans ce cas, Gabriel la dénicherait en moins de deux. Et si lui n’y parvenait pas, Connor le ferait. Prenant une profonde inspiration, elle mit de côté la douleur dans sa poitrine. Elle s’occuperait plus tard de son cœur brisé. Pour l’instant, elle devait réfléchir à la manière de contrer chaque rumeur évoquée dans ce fichu rapport. Quand elle atteignit le portier, il ne bougea pas d’un iota dans son uniforme et ne s’écarta surtout pas pour la laisser passer. — Mademoiselle, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de sortir comme ça. — Oh que si, je vous remercie bien. Une expression contrariée passa sur son visage, puis il haussa les épaules, ouvrit la porte et recula d’un pas. En entendant derrière elle un « ding » qui ressemblait un peu trop à l’arrivée de l’ascenseur, elle se rua dehors et retrouva la foule habituelle des rues new-yorkaises sur le trottoir. Tout à coup, des flashs crépitèrent et un grondement de voix criant son nom fit sursauter Everly. Ceux-là n’avaient rien à voir avec les automates en col blanc qui se rendaient au travail. Ces gens
arboraient caméras, magnétophones et autres appareils enregistreurs, et ils les lui fourraient sous le nez tout en aboyant à qui mieux mieux pour attirer son attention. Merde, des journalistes. Partout. Elle ne pouvait plus bouger ni retourner à la sécurité du hall de chez Connor. Ces fichus reporters lui bloquaient le passage et envahissaient son espace personnel. Un sentiment de panique mêlée de nausée la submergea, et elle se crut sur le point de vomir ou de tourner de l’œil. — Mademoiselle Parker, qui est le meilleur amant ? Gabriel Bond ou Maddox Crawford ? s’enquit un journaliste blond en lui collant un micro devant la bouche. Un cameraman écarta le blondinet d’un coup de coude. — Êtes-vous vexée que Maddox Crawford ne vous ait pas légué sa propriété, vu que vous aviez été sa dernière maîtresse ? — Est-ce pour cela que vous couchez désormais avec Gabriel Bond ? Pour l’argent ? Everly tenta de reculer, de se frayer un chemin parmi la foule, mais ils l’encerclaient tels des requins affamés refusant de laisser échapper un repas tant attendu. — Faisiez-vous partie du complot visant à tuer Maddox Crawford ? — Avez-vous mis le feu à son manoir vous-même ? Ou était-ce Bond ? — Bond et Crawford se sont-ils disputé vos faveurs jusqu’à la mort ? — Êtes-vous amoureuse de Gabriel Bond ? La panique monta d’un cran supplémentaire, menaçant de la renverser. Elle ne parvenait plus ni à respirer ni à réfléchir, avec tous ces chiens qui lui aboyaient dessus, jetant leurs questions cruellement intimes à un rythme aussi impoli qu’impatient, comme si le public avait le droit de tout savoir sur sa vie sexuelle et ses sentiments. Les journaleux continuaient à l’assaillir. Les lumières des flashs déclenchés trop près de son visage l’aveuglaient. Elle tenta de leur échapper à nouveau, mais la horde avait resserré les rangs et créé une cage encore plus étroite autour d’elle. Un animal piégé, voilà ce qu’elle était. Et elle ne pouvait plus respirer. Soudain, une paire de bras puissants la prit en tenaille et la souleva. — Reculez ou je vous fais tous arrêter par la police, gronda une voix grave derrière elle. Dax. Il était sorti de nulle part, mais Everly s’appuya contre lui, soulagée. Elle était capable de se défendre dans un face-à-face, mais là, ils étaient trop nombreux. Et elle était prête à tout accepter ou presque pour échapper à cet horrible harcèlement. Elle s’était crue en sécurité, ici, mais apparemment il s’agissait d’un autre mensonge dans la longue liste de ceux que lui avait racontés Gabriel Bond pour entrer dans ses bonnes grâces. — Vous entretenez aussi une relation avec Mlle Parker, Spencer ? — Poussez-vous, rugit Dax en jouant des coudes. Enfin les reporters commencèrent à bouger, à s’écarter à contrecœur devant son corps puissant et ses poussées insistantes. Le portier leur ouvrit l’accès au hall de l’immeuble, et quelques secondes plus tard, Dax engouffrait Everly dans sa pénombre calme. Sitôt que la porte fut refermée, l’insupportable bourdonnement des cris cessa. Dax fit pivoter Everly et, les sourcils froncés, il examina son visage levé vers lui. — Mais où est-ce que vous aviez la tête ? S’étant un peu reprise, elle rajusta sa jupe définitivement froissée d’une main tremblante, tout en se sommant d’utiliser son cerveau, pour une fois. Les problèmes qui la submergeaient avant d’affronter à l’aveugle cette foule en folie n’avaient pas disparu comme par miracle. Dax s’était peutêtre montré gentil jusqu’à présent, n’empêche qu’il était l’ami de Gabriel. Il se rangerait toujours du
côté de son ami. D’ailleurs, si ça se trouvait, il avait lui-même aidé à remplir ce rapport. — Je partais, finit-elle par répondre, satisfaite du ton ferme qu’elle parvenait à imprimer à sa voix. Vous ne pourrez pas me retenir ici contre ma volonté. Dax lâcha un long soupir. — Bon Dieu, qu’est-ce que Gabe a encore fait ? — Everly ! Elle fit volte-face en entendant son nom aboyé depuis l’autre bout du hall. Gabriel. En cet instant précis, où pourtant elle le haïssait de toutes les cellules de son corps, elle ne put s’empêcher de trouver qu’il était le plus bel homme qu’elle ait jamais vu. Et quand il s’approcha à grands pas, elle sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Mieux valait parler à Dax, il semblait apte à se montrer bien plus raisonnable. Même s’il prendrait forcément le parti de Gabriel, il n’enfreindrait pas la loi pour lui. Du moins l’espérait-elle. — Je veux partir d’ici. Gabriel vint se poster près d’elle. Son instinct lui soufflait de s’écarter, mais elle refusait de lui donner cette satisfaction. Au lieu de quoi, elle se concentra uniquement sur Dax. — Je ne veux rien avoir à faire avec cet homme. Si je peux sortir de cet immeuble, j’ai déjà une voiture à disposition pour quitter la ville. Léger mensonge, mais peu lui importait. Apparemment, Gabriel ne s’était pas gêné pour lui en raconter des tas. Le sien ne changerait pas grand-chose. Et puis, elle pouvait toujours prendre un bus, si Scott n’était pas en mesure de la conduire aussi loin. Elle se rendrait chez sa tante dans le Connecticut. La presse pourrait toujours essayer de la localiser, dans la lointaine banlieue. Elle ne bougerait plus de la maison. En fait, elle pourrait rester cachée pendant des semaines, voire des mois. Sa tante veuve serait ravie d’avoir de la compagnie. Ensuite, Everly déménagerait ailleurs. Sur la côte Ouest, pourquoi pas. — Qu’est-ce que tu as fait pour qu’elle veuille s’enfuir comme ça ? demanda Dax d’un air furax. Puis il posa les yeux sur la chemise qu’elle tenait à la main et il jura. — Je t’avais dit que c’était une erreur. Qu’est-ce qu’elle fiche avec ce rapport ? — Connor l’avait laissé sur la table du séjour, et puis elle a entendu une partie de ma conversation téléphonique avec ma sœur, commença Gabriel. Sara était bouleversée, alors je lui ai raconté ce qu’elle voulait entendre. Elle a déjà failli perdre le bébé. Alors comme ça, il comptait la jouer de cette façon ? Vraiment ? Elle n’en croyait pas un traître mot. Parfois, le meilleur moyen de l’emporter, dans une dispute, c’était de ne pas s’y engager. Puisqu’elle comptait si peu pour lui, eh bien elle devait le traiter avec la même indifférence. Les gens ne se battaient que pour ce qui leur importait, or Everly refusait de laisser croire à Gabriel qu’il comptait à ses yeux. — Je souhaite partir. Si vous ne me laissez pas faire, j’appelle la police pour leur expliquer que vous me retenez contre mon gré. Dax désigna la porte d’entrée. — La sortie est par là. Bonne chance. — Everly, tu ne peux pas sortir, ils vont te mettre en pièces. S’il te plaît, accorde-moi une chance de t’expliquer. Ce que tu as entendu n’était pas la vérité. J’essayais juste de calmer Sara. Elle est fragile, émotionnellement. Quant à ce rapport, je peux t’expliquer aussi. Je t’en prie, viens avec moi. Elle se détourna et considéra la porte. La première fois qu’elle l’avait franchie, elle s’était retrouvée submergée par le choc. Elle parviendrait peut-être à gérer la presse, maintenant qu’elle savait ce qui l’attendait.
— Cette fois, je ne viendrai pas à votre secours, l’avertit Dax. Si vous êtes coincée par la foule, il faudra vous en tirer toute seule. Au moins, elle savait à quoi s’en tenir. — C’est très aimable de votre part. — Je ne suis pas aimable, quand il arrive du mal aux gens qui me sont chers. Vous n’avez plus toute votre tête. (Dax jeta un regard noir en direction de Gabriel.) Ni l’un ni l’autre, d’ailleurs. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent dans un bruit mat. Roman et Connor en émergèrent. Roman lâcha un profond soupir en les apercevant. — Ah, vous l’avez rattrapée avant qu’elle file dehors, tant mieux ! Dax secoua la tête. — Non, non. Je suis arrivé trop tard. J’étais parti me chercher un café – qui doit être froid à présent, sans aucun doute. Car je croyais bêtement qu’il m’incombait juste d’empêcher les gens d’entrer. Personne ne m’avait précisé qu’il faudrait en plus en obliger certains à rester à l’intérieur aussi. Connor observait Everly, les sourcils froncés. — Mais à quoi vous pensiez ? Quelqu’un a essayé de vous tuer il y a moins de douze heures, vous l’avez déjà oublié ? Non, jamais elle n’oublierait la terreur de la nuit passée. Elle emporterait probablement dans sa tombe le souvenir du soulagement ressenti quand elle avait inspiré sa première goulée d’air frais, et le bonheur de dormir dans les bras de Gabriel ensuite. Dommage que ce sentiment merveilleux soit à présent souillé par l’humiliation de ce matin. — Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me dit que je serai plus en sécurité loin de M. Bond. C’est lui, le fautif, pas moi. — Je ne suis pas d’accord, mademoiselle Parker. Et il serait plus approprié de poursuivre cette conversation à l’intérieur du loft. Donc, si vous voulez bien nous suivre… Roman désigna l’ascenseur. Everly secoua la tête. — Pas question, si je bouge, ce sera uniquement pour m’éloigner d’ici et de M. Bond. Si vous refusez de m’y aider, j’affronterai seule les journalistes. Sur quoi elle leur tourna le dos. La dernière chose dont elle avait envie, c’était d’endurer une leçon de morale de la part de ces quatre-là. Qui se souciaient comme d’une guigne de ses intérêts à elle. Quelqu’un la rattrapa par le coude. Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Gabriel, une main posée sur son bras et une expression déterminée sur le visage, essayait de la retenir. Il était temps qu’elle cesse de le traiter comme son petit ami. Et de réprimer ses ridicules sentiments de midinette, une bonne fois pour toutes. — Lâche-moi tout de suite, parvint-elle à siffler entre ses dents serrées. — Tu ne peux pas sortir, c’est dangereux, insista-t-il. — Je te le répète pour la dernière fois : lâche-moi. — Everly, écoute-moi, bébé… Non, elle avait assez écouté. Alors elle lui envoya son poing droit dans le ventre. Son père, habitué à devoir se défendre dans la rue, lui avait appris à en faire autant. L’heure avait sonné de redevenir la fille de son père, plutôt que le sex-toy décérébré de Gabriel Bond. Avec un grognement, celui-ci vacilla, les mains crispées sur l’estomac. — Si tu me touches encore une fois, je te garantis que ça fera plus mal, l’avertit-elle. Dax ricana, l’air presque impressionné.
— Ça doit piquer, mec. La demoiselle a été entraînée, on dirait. — Ne la laisse pas partir, souffla Gabriel, plié en deux. — Si Dax essaie de me retenir, il recevra le même traitement, affirma-t-elle, avant de lancer un regard menaçant à Spencer. Ce dernier fronça les sourcils. — Allons, Parker, soyez raisonnable. Roman leva une main, tel un dresseur maîtrisant le lion dans sa cage. — On peut régler tout ça en discutant, Everly. Il y a des choses que vous ignorez. Vous êtes réellement en danger. — Comme votre ami ici présent l’a découvert très récemment, je suis assez grande pour me défendre. En plus de savoir envoyer un bon crochet du droit, elle détenait un permis de port d’arme. Elle n’avait pas mis la main sur un pistolet depuis les funérailles de Maddox, mais dès qu’elle serait sortie d’ici, elle irait chercher son Beretta et s’en servirait si besoin. — Remontez au loft et écoutez ce que Gabe a à vous dire. Si vous souhaitez toujours partir après l’avoir entendu, je vous escorterai de manière discrète hors du bâtiment et je vous conduirai où vous désirez, promit Roman. — Elle ne peut pas partir, marmonna Gabriel, les mains toujours serrées autour de son ventre douloureux. Ils lui offraient un choix, pourtant elle ne pouvait pas fournir à Gabriel une autre opportunité de la tromper. Le mensonge faisait partie intégrante du travail de Roman et Connor. Dax y recourait sans doute un peu moins, mais pour évoluer dans les milieux politiques, il devait bien raconter quelques bobards ici ou là. Quant à Gabriel… mieux valait ne pas y penser. Bref, toute la bande excellait dans l’art d’obtenir exactement ce qu’ils voulaient. Everly était trop directe pour s’abaisser à ces petits jeux. Car elle disait toujours ce qu’elle pensait. Elle ne pouvait pas s’imaginer affronter ces hommes et en sortir vainqueur. — Je vais tenter ma chance en solo, conclut-elle, avant de se tourner pour s’éloigner. À ce moment précis, Connor réussit à se faufiler devant elle et à lui bloquer le passage. — Écartez-vous. Elle en avait plus que marre des intimidations, et honnêtement, Connor était plus mince que Gabriel. Si elle préparait bien son coup, elle doutait que cet adversaire-là soit plus difficile à mettre à terre. — Connor, ne lui fais pas de mal, entendit-elle. Gabriel tendit une main ; son visage et sa voix se voulaient calmes, comme s’il essayait d’amadouer un animal sauvage. L’expression de Connor restait parfaitement neutre. — Tu préfères que je la laisse partir ? Non, vraiment, elle n’aimait pas son air. Son intuition lui soufflait de reculer, mais les événements récents avaient prouvé que son intuition n’était pas très fiable. — Ôtez-vous de mon chemin, je ne resterai pas ici une minute de plus. Si vous essayez de me retenir, attendez-vous à ce que je résiste. Son sourire était tout sauf joli. — Je ne crains pas beaucoup la résistance que vous pourriez m’opposer. Un picotement lui remonta le long du dos. La peur. — Mon père était policier. Il m’a appris à me défendre.
L’adrénaline déferlait dans ses veines. Elle devait rester ferme. Après tout, elle s’entraînait régulièrement avec les gardiens, chez Crawford. Ils avaient compris assez vite que s’ils y allaient doucement avec elle durant les combats, elle les dérouillait. Depuis qu’elle avait mis les plus forts au tapis une fois ou deux, ils la traitaient en égale. — Il ne vous a pas appris à combattre quelqu’un comme moi. — Connor, vas-y mollo. Cette fois, Gabriel avait l’air carrément inquiet. Everly en avait assez de ce petit jeu. En fait, elle en avait assez tout court. La plupart des hommes la ramenaient beaucoup, sans jamais se lancer, mais elle n’était pas d’humeur à faire la causette. Elle entreprit de contourner Connor. Quand il lui attraperait le bras, elle pivoterait pour échapper à son emprise, avant de viser soit son plexus solaire, soit un peu plus bas, histoire de lui faire regretter d’être né avec des attributs masculins. Malheureusement, il ne la saisit pas au bras. Avant qu’elle ait le temps de respirer, il la crocheta au niveau du cou et lui porta sa main libre contre la tempe pour resserrer son étranglement. Et elle était si occupée à essayer de comprendre ce qu’il faisait qu’elle n’eut pas le temps de se défendre. — Je pense que vous avez besoin d’un peu de repos, gronda-t-il. Bonne nuit. Punaise, la prise du sommeil ! Everly tenta bien de se débattre, de le repousser, mais il était trop fort, et l’immobilisait en appuyant sur sa jugulaire, interrompant l’irrigation du cerveau. Sa vision se troubla. La chemise cartonnée lui échappa de la main, tous ses vilains secrets s’étalèrent par terre à la vue de tous. — Lâche-la ! Gabriel se précipita, un air d’inquiétude folle peint sur ses traits. — Elle est toute à toi, mon pote. Gabriel la prit dans ses bras puissants et protecteurs. Et puis le monde disparut dans un clignement de cil. — Tu as failli la tuer, nom de Dieu ! Tu n’étais pas obligé d’en arriver là, gronda Gabe en installant Everly sur le canapé. Bon sang, elle était si pâle, ainsi immobile. Il devrait peut-être appeler un docteur, et abattre son ami ensuite. — Elle va bien, lança Connor, balayant son inquiétude d’un revers de la main. Tu as une idée du nombre de fois où j’ai utilisé cette prise ? Je n’ai encore tué personne. — Oui, oui, tu es un expert en la matière en tant qu’« analyste », rétorqua Gabe. Il en avait assez des balivernes de Connor, comme quoi il passait sa vie derrière un bureau. Ce dernier haussa les épaules, manifestement peu enclin à s’expliquer. — Le danger est partout, de nos jours. Et elle s’apprêtait vraiment à partir. Tu sais ce que la presse lui aurait fait subir ? Les médias pourraient l’aider à te bousiller par tous les moyens, si elle décidait de jouer les femmes outragées. Il lui suffirait d’une interview sur une chaîne nationale où elle sousentendrait que tu as tué Mad dans un accès de jalousie, et tu te retrouverais inculpé devant un grand jury et emprisonné sans caution. — Connor a raison, approuva Roman. Il devait l’arrêter. Dax lui adressa un large sourire. — En tout cas, je suis content que Connor ait été là, parce qu’après le sort qu’elle t’a réservé, Gabe, je pense que je vais éviter de la contrarier. Elle t’a vraiment filé un sale coup. Tu as de la chance qu’elle n’ait pas visé les bijoux de famille.
— La journée n’est pas finie, répondit Gabe avec un enthousiasme feint. Mais sitôt que le silence retomba, un millier de pensées l’assaillirent. Si Connor ne l’en avait pas empêchée, Everly serait partie. Lui aurait-elle jamais donné l’opportunité de s’expliquer ? L’avait-il vraiment touchée pour la dernière fois ? Tout en lui se rebellait contre cette idée. On ne lui avait jamais refusé grand-chose, dans la vie, et encore moins les femmes. Et il détestait imaginer que sa chance avait tourné, juste au moment où il rencontrait quelqu’un qui comptait. Déglutissant, il s’agenouilla auprès d’elle et écarta une mèche blond-roux de son visage. Malgré son nez mutin et son menton obstiné, elle semblait étonnamment fragile. Gabe savait que les apparences pouvaient être trompeuses. La colère d’Everly était tout sauf délicate, tout à l’heure. — Combien de temps va-t-elle rester inconsciente ? demanda-t-il à Connor. — Elle sera réveillée et combative d’ici deux minutes. Prépare-toi. Roman arpentait la pièce, une main passée dans ses cheveux. — Ça ne nous laisse pas beaucoup de temps pour décider de la stratégie à adopter. Comment va-ton faire pour la garder ici ? — L’enfermer à double tour, suggéra Connor, en désignant l’étage supérieur. La troisième chambre est petite, et en plus la fenêtre est scellée, impossible de l’ouvrir ou de tenter quelque chose d’idiot. Il n’y a qu’une issue, et il se trouve qu’elle ne se ferme que de l’extérieur. Gabe le dévisagea. — Je ne suis pas sûr de vouloir savoir pourquoi. — Non, en effet. Dax secoua la tête. — On ne peut pas la retenir contre son gré. — Évidemment que si, répliqua Connor. Gabe ne comptait pas fournir à Everly une raison supplémentaire de le détester. — On ne va pas l’enfermer dans une prison. Je lui parlerai à son réveil, je lui ferai entendre raison. Elle doit comprendre que j’avais demandé ce rapport avant de savoir qui elle était. Quant à ce que j’ai raconté à Sara, ça a bouleversé Everly, mais elle se calmera dès que je lui aurai expliqué la logique de mon raisonnement. À cet instant, Everly battit des paupières. Et ouvrit les yeux. — Que… Qu’est-ce qui s’est passé ? La manœuvre de Connor avait peut-être provoqué une perte momentanée de la mémoire. Gabe s’assit près d’elle au bord du canapé et posa une paume sur sa joue. — Coucou, bébé. Comment tu te sens ? Elle se redressa et repoussa violemment sa main, avant de bondir sur ses pieds. Il s’approcha pour la retenir au cas où elle perdrait l’équilibre, si elle n’avait pas totalement repris ses esprits. Elle se laissa tenir par les bras pendant quelques secondes, mais dès qu’elle sembla s’être stabilisée, elle se libéra d’un geste vif. — Everly, s’il te plaît, laisse-moi t’aider. Elle secoua la tête, ses boucles rousses lui balayant les épaules avec détermination. — Tu m’as bien assez aidée comme ça, Bond. Grâce à toi, je passe pour la garce absolue, quoi que je dise et quoi que je fasse. Je pense que la police serait ravie d’apprendre que ton copain a failli me tuer. Gabe grimaça. Manifestement, l’amnésie temporaire n’avait été qu’un vœu pieux. Elle se souvenait bel et bien de tout. — Pourquoi personne n’a-t-il confiance en moi ? lança Connor à la cantonade.
— J’ai tout à fait confiance dans le fait que vous soyez un connard, marmonna Everly. Sur quoi elle se précipita à l’autre bout de la pièce, lançant un regard si furibond sur Gabe qu’il sentit ses genoux flageoler. — Comment va ta tête ? Ta vision ? demanda-t-il tout de même en la rejoignant. Tu veux que j’appelle un docteur ? Elle leva une main pour l’arrêter. — N’essaie pas de me faire croire que tu en as quelque chose à foutre. J’en ai lu suffisamment dans ce rapport pour savoir que c’est tout le contraire. Quelqu’un a parlé d’une sortie par l’arrière de ce bâtiment ? Un ami passe me prendre. — Scott ? demanda Roman. Il a appelé pendant qu’on était dans l’ascenseur. Je l’ai informé que vous n’aviez plus besoin de ses services. L’expression d’Everly se glaça un peu plus encore. — Voilà qui parfait cette journée déjà merveilleuse. Vous êtes sûrs que vous avez fréquenté Creighton Academy, et pas l’école préparatoire en connerie ? Je vais récupérer mon portable et appeler un taxi. — S’il te plaît, tu veux bien m’écouter ? Le désespoir qui glaçait les veines de Gabe le surprit lui-même. L’idée de perdre Everly le rendait malade. En cet instant, il s’en voulut de n’avoir pas réussi à protéger son cœur de cette femme, mais… trop tard. — Eh bien, ce n’est pas comme si vous me donniez vraiment le choix, messieurs, cracha-t-elle, avant de reporter son regard froid sur Connor. Vous êtes un ancien militaire ? Mon père connaissait ce geste. Il l’avait appris dans les SEAL. — Quelque chose comme ça, répondit l’interpellé avec un sourire insipide. Nous allons vous laisser seuls, tous les deux. Viens, Roman, on devrait pouvoir contacter le privé, à l’heure qu’il est. — Le privé qui vous a expliqué comment salir la réputation de mon père décédé ? Vous avez encore besoin de lui ? Elle dévisageait tour à tour Roman et Dax, enfin tout le monde sauf Gabe, apparemment. — Non, pas celui-là. Quand on a ouvert le coffret de Mad, on y a trouvé la carte d’un enquêteur privé, expliqua Dax. On soupçonne Mad de l’avoir embauché. Mais vu qu’il n’est plus là pour nous révéler pourquoi, on espère que ce détective voudra bien nous renseigner. — J’aimerais voir le contenu de cette boîte. Puisque je suis coincée ici, j’ai l’intention d’examiner les preuves pour lesquelles j’ai failli mourir. Car je suis toujours en charge de la sécurité de Crawford, je vous signale. Elle posa un regard buté sur Gabe. — Tu as décidé si tu allais m’envoyer pointer au chômage ? — Pas question. Il avait parlé sur le ton de qui fait un serment. — Donc, étant donné l’absence de Mulford et ton entêtement, découvrir qui a tué le patron tombe sous ma responsabilité. Montrez-moi donc ce que vous avez déniché. — Bébé, discutons d’abord de ce que tu as vu dans ce rapport et entendu de ma conversation avec Sara. Je ne… — Ça n’a plus d’importance. Je ne suis là que pour l’affaire. Qui est le privé ? Bon, a priori elle n’en démordrait pas, et Gabe craignait que cette attitude ne soit permanente. — Accorde-moi cinq minutes. Après ça, je ne prononcerai pas un mot de plus sur le sujet. On se concentrera uniquement sur l’affaire. Je te montrerai tout ce qu’on a trouvé. S’il te plaît.
Elle se rassit et croisa les bras. — Tu peux dire ce que tu veux, ça ne marchera pas. J’en ai fini de jouer les idiotes pour toi. Il semblerait que la discussion doive durer plus de cinq minutes. Même cinq jours risquaient de ne pas suffire à trouver les bons mots pour ressusciter l’adoration qu’il avait vue briller sur son visage la nuit passée. Il jeta un regard perplexe vers Roman, Dax et Connor. Ils répondirent par un hochement de tête, puis quittèrent le séjour à la file. Gabe se retrouva seul avec Everly, sans trop savoir quoi dire. Que ferait-il, nom de Dieu, s’il échouait à la convaincre de sa bonne foi ? Il s’assit à côté d’elle sur le canapé, prenant soin toutefois de ne pas envahir son espace personnel. — Mes parents sont morts tous les deux, je suis la seule famille qui reste à Sara. Elle leva une main. — Je t’arrête tout de suite, Bond. Laisse-moi deviner ce qui s’est passé : ta sœur a lu la presse à propos de nous et elle a piqué une crise parce que tu couches avec la femme qui lui aurait volé le papa de son bébé. — Je ne formulerais pas les choses tout à fait ainsi, mais en effet, elle n’était pas ravie. — Elle était furieuse parce que, comme tout le monde, elle me prend pour une putain avide de fric et en quête d’un mec plein aux as pour m’entretenir. Arrête, l’interrompit-elle d’une main levée tandis qu’il s’apprêtait à intervenir. Tu pensais la même chose au départ. D’ailleurs, tu le penses peut-être toujours. — Pas du tout. Je ne crois pas que tu en avais après l’argent de Mad. Elle émit un petit reniflement sceptique. — J’imagine que je devrais sauter de joie parce que tu crois désormais que je couchais avec lui uniquement pour le plaisir. Laisse-moi continuer, Bond, tu parleras à ton tour. Je comprends pourquoi tu as tenu ce genre de propos à Sara. C’était dur, mais tu devais trouver le moyen de lui expliquer ma présence à tes côtés. — Voilà, se hâta-t-il de répondre. C’est exactement ce que j’essayais de faire : la calmer. Je ne veux surtout pas qu’elle perde le bébé à cause de son émotivité excessive. — Moi, j’aurais tendance à penser qu’elle est plus forte que tu ne le crois, mais c’est ton problème. Ce que tu as dit à Sara ne me pose pas de problème, en revanche je suis furieuse à cause de ce rapport. Tu as demandé à un détective privé de fouiner dans ma vie et d’en extraire le plus de saletés possible. Comment veux-tu que je te pardonne ça ? Au moins, sur ce point, il avait une explication toute prête. — J’ai ordonné ce rapport le matin où j’ai pris les rênes de Crawford, en tant que P-DG. J’ignorais qu’Everly Parker, c’était toi. J’avais découvert que Mad avait une… Merde. Décidément, ça revenait sans cesse entre eux. — Bref, j’avais eu vent des rumeurs comme quoi Mad avait une liaison avec l’une de ses viceprésidentes. J’étais en colère et inquiet, je supposais que cette femme allait chercher à mettre la main sur une partie de sa fortune, ou bien se répandre dans la presse et mettre la pression sur Sara. Elle pouffa, mais il n’y avait aucune joie dans son rire. — Alors tu as préféré me détruire en amont. — J’ai pris la décision de rassembler des munitions, au cas où une femme que je ne connaissais pas s’en serait prise à ma famille. Ayant appris qui tu étais, je ne me serais jamais servi de ces informations contre toi. Elle secoua la tête. — Je ne te crois pas. Tu les aurais utilisées si tu en avais eu besoin. Tu ferais n’importe quoi pour
protéger ta sœur et tes amis, y compris coucher avec l’ennemi. Tout comme eux risqueraient la prison pour t’éviter le désagrément que je parle à la presse. Au bout du compte, la voix du sang est toujours la plus forte, pas vrai ? Il venait d’entrer sur un champ de mines. — Je n’ai pas couché avec toi pour te garder à l’œil. — Ah non ? Alors le sexe, c’était juste un bonus ? La frustration de Gabe était à son comble, et pourtant il devait la contenir. Everly faisait exprès de ne pas comprendre. — Non. C’était de l’attirance, de l’alchimie, et tu les as ressenties aussi. Elle détourna brusquement les yeux pour river son regard obstiné sur le mur qui lui faisait face. — Certes, mais ça ne signifie pas pour autant que nous sommes deux êtres compatibles. Même à considérer que tu n’aies jamais utilisé ce rapport, tu es le genre d’homme à « rassembler des munitions » sur tes ennemis. Le genre d’homme à menacer de tuer son meilleur ami. Bon Dieu, qu’est-ce qu’il était censé répondre à ça ? — Je ne l’aurais jamais fait. Elle reporta son regard sur lui. Un regard vide. — Tout comme tu n’aurais pas utilisé ce rapport. Tu dis tout ce que ton interlocuteur a envie d’entendre, Gabriel, mais tu ne voudrais pas plutôt te montrer honnête une seconde ? — Je suis honnête avec toi depuis le début. — Est-ce que tu vas me renvoyer quand tout ça sera fini ? Tu veux que les biens de Mad reviennent à Sara, tu comptes lui transmettre la présidence de l’entreprise. Or je suppose que tu ne voudras pas m’avoir dans les parages quand elle prendra les rênes. Cette question-là, au moins, il pouvait aisément y répondre. — Je ne te renverrai pas. Je ne nuirai pas à ta carrière non plus. Si je n’ai pas d’autre choix, je te trouverai un autre poste. — Si tu ne comptes pas me renvoyer, pourquoi aurais-je besoin d’un autre travail ? — Everly… Il entendait bien la supplique dans sa propre voix, mais il ne voyait pas comment s’y prendre autrement. — Je ne peux pas te conserver dans ton poste actuel. Tu as raison, c’est Sara qui reprendra à terme la direction de Crawford Industries. Je ne peux pas diriger deux entreprises en même temps, et Crawford constitue l’héritage de son bébé. Quand elle en prendra la tête, donc, tu pourras venir travailler avec moi chez Bond Aéronautique. Je transférerai mon directeur de la sécurité chez Crawford. Ça fonctionnera. Le plan était parfait. Il la garderait près de lui. Bond ne connaissait pas les mêmes soucis en matière de sécurité que Crawford. Elle verrait peut-être ce changement comme un défi à relever. Quand il devrait partir en voyage d’affaires, il pourrait l’emmener avec lui. Ce serait bon pour leur couple. Gagnant-gagnant, en somme. — Bond Aéronautique est une plus petite structure que Crawford Industries, et a moins de besoins en matière de cyber-sécurité, répliqua Everly en secouant la tête. On ne peut pas vraiment dire que ta branche commerciale soit énorme, donc tu n’as pas besoin de la sécurité Internet dans laquelle je suis spécialisée. Ce poste que tu évoques chez Bond, c’est une farce. Et ça me ferait redescendre en compétences. Je passe mon tour. Gabe sentit ses poings se crisper, ainsi que son humeur. — Sara ne pourra pas travailler avec toi, tu dois le comprendre.
— Et pourquoi pas ? Je suis douée pour ce que je fais. Et j’imagine qu’elle apprécierait de s’entourer de femmes aux postes de management. — Tu ne peux pas imaginer qu’elle veuille te garder. Il était satisfait du calme qui se dégageait de sa voix, alors qu’il n’avait qu’une envie : hurler. Elle ne voyait donc pas qu’il tentait de leur éviter des soucis à tous les deux ? — Pourquoi pas ? s’obstina-t-elle. OK, puisqu’elle insistait, il allait devoir lui exposer clairement les choses. — Parce qu’elle pense que Mad l’a quittée pour toi. Dans sa vision des choses, c’est à cause de toi que son bébé n’a pas de père. — Ah, donc l’épouse en devenir ne veut pas de la putain. Génial. Eh bien, dis-lui qu’elle n’aura pas besoin de me renvoyer. Pour la première fois de ma vie, je vais reprendre ma parole, Gabriel. Je démissionne. Une fois que j’aurai pu vider mon bureau, je disparaîtrai définitivement et ta précieuse petite sœur n’aura pas à se salir à mon contact. — Tu n’as rien écouté de ce que je t’ai expliqué. — J’ai très bien entendu chaque point de ton bel exposé, au contraire, rétorqua-t-elle. En fait, je t’entends beaucoup mieux maintenant que je sais d’où tu viens. Je veux bien admettre que tu n’avais aucune idée de mon identité la première nuit. En revanche, depuis que tu as compris que Maddox passait du temps avec moi après avoir quitté Sara, tu consacres chaque seconde à comploter, à projeter, à planifier le moyen de m’humilier de la pire des façons possibles. — Bon Dieu, mais c’est faux ! Le ton n’était plus aussi affable, d’accord, mais il n’allait tout de même pas la laisser réécrire l’histoire en fonction de son humeur. — J’admets volontiers n’avoir pas bien géré notre première rencontre, mais jamais de la vie je n’ai essayé de t’humilier. — Tu prétends que tu ignorais qui j’étais le jour où tu as commandé ce rapport, et pourtant tu ne l’as pas annulé. Tu n’as pas renvoyé le détective privé. Tu conserves tes munitions bien au chaud, au cas où je me retournerais contre toi un jour. Explique-moi pourquoi j’aurais envie de vivre dans un univers pareil, Gabriel ? (Elle balaya d’un revers de la main toute réponse éventuelle.) Peu importe, de toute façon. Cette conversation est stérile, parce que je connais déjà la vérité. Dis-moi une chose, cependant : est-ce que tu me crois quand j’affirme qu’il n’y avait rien de plus que de l’amitié entre Maddox et moi ? Il soupira, soudain profondément lassé de cette dispute. — Ça n’a plus d’importance, Everly. Je me fiche de savoir avec qui tu as couché avant moi. Je te veux. Je te veux maintenant, quoi qu’il se soit passé avant. Sara finira par accepter ta présence dans ma vie. Elle changera d’avis. C’est une femme intelligente, tu sauras gagner son amitié. Elle se releva, plus sûre d’elle que précédemment. — Non, parce que nous deux, c’est fini. Tu vois, ça ne compte peut-être pas pour toi, mais pour moi, c’est très important. Je refuse d’être avec un homme qui me prend pour une menteuse. Sur quoi elle s’en alla, et Gabe fut certain qu’il l’avait perdue pour toujours. Il ne s’était jamais senti aussi anéanti de toute sa vie.
12 Everly devait combattre son instinct qui naturellement l’incitait à revenir vers Gabriel et à accepter ce qu’il voudrait bien lui offrir. C’était une marque de faiblesse, mais elle avait réellement envie de croire qu’il lui racontait la vérité. Une amie du voisinage avait récemment fait une fausse couche à cause d’une restructuration stressante à son travail, et l’événement avait profondément secoué sa famille. Alors Everly comprenait que Gabe ait préféré la faire passer, elle, aux pertes et profits, selon l’expression consacrée, pour calmer sa sœur enceinte. Sauf qu’elle détestait aussi l’idée de devenir l’une de ces idiotes qui trouvaient systématiquement des excuses au comportement de leur petit ami, tout ça parce qu’elles ne pouvaient s’empêcher d’aimer cet imbécile. Mais tout cela mis à part, il avait lui-même admis son projet de la déposséder de son poste chez Crawford avant que sa sœur ne prenne les rênes de l’entreprise, et tout ça parce qu’il croyait qu’elle avait été la maîtresse de Mad. Pour ne rien arranger, elle ne parvenait pas à se sortir ce fichu rapport de la tête. À présent, elle regrettait de n’avoir pas pu le garder. Qu’est-ce qu’il avait encore déterré, en plus des saletés sur son père ? Peut-être vaudrait-il mieux qu’elle sache à l’avance ce qui risquait de lui tomber sur le coin de la figure. Au fond, elle devrait sans doute aller creuser de son côté. Elle n’aurait pas besoin d’un détective privé, elle trouverait tout ce qu’elle voudrait sur Gabriel Bond. Elle fouinerait dans ses relevés bancaires, et pourrait même faire croire qu’il blanchissait de l’argent… Oh, grands dieux, voilà à quoi ressemblerait la vie avec un homme aussi impitoyable que Gabriel Bond. À une guerre permanente. Oui, elle se préparait à croiser le fer avec un homme dont elle était tombée amoureuse. Son cœur se serra. Maddox, qu’elle avait pourtant beaucoup apprécié, était de la même espèce que Gabriel. Toujours prêt à abattre l’ennemi. Elle ne pouvait pas vivre ainsi. — Ça va, tous les deux ? s’enquit Dax quand elle pénétra dans la pièce. — Le mieux du monde. Et de votre côté, qu’est-ce que vous avez trouvé ? Inutile de déblatérer sur les détails de sa vie privée, surtout devant les amis de Gabriel. Au lieu de quoi elle se dirigea vers la table. Ce qu’il lui fallait, c’était se noyer dans le travail et résoudre le mystère qui s’étalait sous ses yeux. Ensuite, Gabriel et elle pourraient reprendre le cours de leur vie. Séparément. Connor leva les yeux des papiers qu’il étudiait. — Vous connaissiez Mad plutôt bien, non ? — Je pense. Si seulement Maddox était là, il lui donnerait son avis sur la meilleure façon de gérer Gabriel, qui ce matin s’était comporté comme un parfait connard-salaud-crétin. Maddox lui aurait sans doute prodigué quelque conseil en apparence un peu dingue, mais qui au bout du compte se serait révélé
terriblement sage. Ou bien il lui aurait proposé de lui fournir un escort-boy. Avec lui, les deux étaient possibles. — Vous avez une idée de la raison pour laquelle il aurait pu chercher deux femmes ? demanda Connor. Roman lâcha un soupir, comme si la réponse était évidente. — Tu parles de Mad, là. Pour un plan à trois, espèce de niais. Connor leva les yeux au ciel. — Je ne pense pas qu’il aurait dépensé dix mille dollars uniquement pour se dégoter des partenaires pour un trio. Enfin si, il aurait pu. Mais il n’aurait certainement pas embauché un privé dans ce but. Il connaissait bon nombre d’escorts de luxe. Il se serait contenté de les appeler. — Ça, je te l’accorde, concéda Roman. Alors, il a engagé ce privé pour trouver qui ? Connor baissa les yeux vers son carnet. — D’après la fille du détective, Mad avait embauché son père, Wayne Ferling, il y a deux ans pour trouver deux femmes. L’une des deux s’appelait… — Pourquoi vous être adressé à la fille plutôt qu’au père directement ? l’interrompit Everly. Vous n’avez pas réussi à le joindre ? — M. Ferling a été tué par un voleur il y a deux mois, expliqua Connor. Juste devant chez lui, en fait. — Voilà qui est étrange, commenta Dax en laissant échapper un sifflement. — En effet, surtout si l’on songe que Ferling vivait dans l’un des quartiers les plus sûrs de la ville, admit Connor. J’ai vérifié : son meurtre a été le seul perpétré dans cette zone au cours des deux années écoulées. — Donc Mad est mort, et le privé qu’il avait embauché dans des circonstances mystérieuses aussi, récapitula Gabriel qui venait d’entrer dans la pièce. Everly tâchait de se comporter comme s’il n’était qu’une dent supplémentaire dans l’engrenage de ce mystère. — Désolée de vous avoir interrompu, Connor. Reprenez, je vous en prie. Il hocha la tête. — La fille de Ferling dit que Mad avait engagé son père pour trouver une certaine Deborah Elliot, la cinquantaine. Ça, c’était il y a un peu plus de neuf mois. La femme en question vit en Floride. Puis, plus récemment, Mad s’est mis à rechercher une Natalia Kuilikov, une immigrée russe arrivée aux États-Unis voilà presque quinze ans. Apparemment, elle avait disparu depuis quelque temps. — On ne cesse de buter sur des noms russes, dans ce merdier, commenta Dax, qui arpentait la pièce d’un air songeur. D’abord Sergeï, puis la Bratva, et maintenant cette Natalia. Un sacré paquet de coïncidences. Deborah Elliot, en revanche, paraît ne rien à voir avec la Russie de près ou de loin. Qu’est-ce qu’elle vient fabriquer là-dedans ? Soudain, Everly ne pensait plus ni à la question de Dax ni à ses problèmes avec Gabriel. — Maddox recherchait Deborah Elliot ? Vous en êtes certain ? — Oui, acquiesça Connor. Et il paraissait tout à fait sûr de lui. La tête d’Everly se mit à lui tourner. Elle s’agrippa à la table en essayant d’assembler les pièces du puzzle et les implications de cette découverte. En cet instant plus que jamais, elle regrettait de ne pouvoir s’appuyer sur Gabriel. — Everly ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Il vint se poster derrière elle et lui tira une chaise.
Elle se laissa tomber dessus. Deborah Elliot. Maddox cherchait Deborah Elliot. Sa tête tournait plus que jamais. — Deborah Elliot, c’est ma mère. Soudain, toute la pièce se figea et quatre paires d’yeux se braquèrent sur elle. — Vous plaisantez ? lança Roman. Elle secoua la tête. — Non. Enfin, c’est le nom de jeune fille de ma mère. Je suis sûre qu’il existe des tas de Deborah Elliot, cela dit, mais ça ferait une autre drôle de coïncidence… Elle parvint enfin à regarder Gabriel. — Maddox recherchait ma mère. Et une fois qu’il l’a trouvée, il a manifestement fait des pieds et des mains pour me trouver, moi, et m’embaucher. Pourquoi ? Et pourquoi s’était-il mis à la chercher au départ ? — Vu qu’il est mort, on ne le saura peut-être jamais, répondit Gabriel. Cependant, je crois me rappeler avoir vu le nom de ta mère dans les rapports financiers que j’ai trouvés sur son bureau, la nuit dernière. — Ils figurent dans le dossier que tu as tiré des flammes ? s’enquit Connor, tout en cherchant le dossier en question sur la table. — Oui, répondit Gabe qui désigna la chemise en papier kraft au bout de la table. C’est ça. Quand je l’ai étudié, j’ai eu l’impression que son contenu se trouvait là un peu au hasard. Mad y avait casé un tas de reçus, et une vieille fiche de paie au nom de Deborah Elliot. — De paie ? Comment Maddox connaissait-il ma mère ? Connor fit défiler les papiers évoqués par Gabriel. — Il ne la connaissait pas. Mais son père, oui. Ces paiements remontent à environ vingt ans en arrière. Il y a un moyen de ressortir les archives des ressources humaines de Crawford Industries ? J’ai un pressentiment. Il se trouve que je me rappelle plutôt bien un certain Benedict Crawford, moi qui ai passé pas mal de vacances avec Mad et sa vieille fripouille de père. Avant qu’Everly ait pu évacuer le bourdonnement causé par cette accumulation d’informations afin de se proposer pour la tâche, Gabriel attrapa l’ordinateur portable de Connor et commença à pianoter, le visage fermé. — Moi aussi, je me souviens de lui. Tu penses que… ? — Oui, je pense. (Le visage de Connor était tendu sous l’effet d’une intense réflexion.) Additionnés, ces paiements avoisinent les deux cent mille dollars en six ans. Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? — On dirait bien de l’argent versé pour faire taire quelqu’un, conclut Dax. Les quatre hommes s’entreregardèrent, comme pour parvenir ensemble et sans un mot à un consensus. Toute une conversation s’engagea à coups de haussements de sourcils, expressions faciales et autres demi-phrases. Everly était complètement perdue, et la tête lui tournait de plus belle. De l’agent pour faire taire sa mère ? Pourquoi aurait-on voulu la faire taire ? Elle n’avait aucun mal à se figurer cette femme acceptant de l’argent, c’était tout ce qui l’intéressait. Everly n’avait pas beaucoup connu sa mère, qui était partie alors qu’elle était encore petite, pourtant elle se la rappelait parlant sans cesse d’un temps où sa vie était plus belle, et tous ses discours tournaient autour de l’argent et de la position sociale. Elle ne put s’empêcher de regarder Gabriel. Il jouissait des deux, elle ferait bien de garder ça à l’esprit. Les gens qui évoluaient dans cet univers-là, ou qui en étaient déchus malgré eux à l’instar de sa mère, étaient capables de tout pour y rester ou y retourner.
Cependant, aucune de ses pensées glauques ne fournissait la réponse à la question suivante : pourquoi un homme aussi puissant que le père de Maddox Crawford aurait-il donné autant d’argent à sa mère ? — Je ne comprends pas, finit-elle par conclure. Quelqu’un peut m’expliquer ? Après tout, c’était leur monde, à eux, ils devaient être capables de démêler cet écheveau. — Dès que Gabe aura découvert ce que nous recherchons, promit Connor. — Ça y est. Oui, elle a travaillé pour Crawford brièvement il y a vingt-huit ans. Puis elle a quitté la boîte, épousé le père d’Everly et accouché, le tout dans les quelques mois qui ont suivi. Benedict Crawford a néanmoins continué à effectuer des versements sur son compte jusqu’à ce qu’Everly ait six ans. Les implications de ces informations la frappèrent avec toute la force de l’évidence. Si elle n’avait pas été assise, elle se serait effondrée. Sous le choc, elle s’exprima dans un souffle, sans s’adresser à quelqu’un en particulier. — Mes parents avaient tous les deux les yeux bleus. Je… Je ne comprenais pas d’où je tenais les miens, verts et noisette. — Maddox avait les yeux verts, confirma Gabriel à voix basse. Et son père aussi. Everly ferma les yeux. Oh, bon Dieu ! Elle était une Crawford. Le constat la colla au dossier de son fauteuil, le souffle coupé. Gabe se tourna vers elle, ses yeux bleus brillants d’inquiétude. — Everly ? Elle hocha la tête. — Je ne vois qu’une raison qui ait pu pousser Benedict Crawford à vouloir faire taire ma mère. Deborah Elliot n’était pas du genre à jouer les lanceurs d’alerte pour dénoncer d’éventuels agissements douteux de sa boîte, en revanche elle était tout à fait le genre de femme à coucher avec son patron et à utiliser son enfant illégitime dans un but pécuniaire. — Bon sang, marmonna Dax. Tu serais donc la demi-sœur de Maddox ? Une révélation qui, si elle répondait à certaines questions, en soulevait d’autres. Pourquoi sa mère n’avait-elle jamais pris la peine de lui apprendre que celui qui l’avait élevée n’était pas son géniteur ? Le savait-il d’ailleurs lui-même ? Pourquoi personne ne lui avait-il appris qu’elle avait un frère, notamment Maddox lui-même ? Car de toute évidence, il était au courant. Il l’avait engagée, formée, lui avait offert son amitié et l’avait fait rire. En revanche, il ne lui avait pas offert la vérité. — Maintenant que j’y songe, c’est vrai que tu ressembles un peu aux Crawford, bébé, commenta Gabriel. (Il lui souriait !) En plus des yeux, tu as leur menton. Estime-toi heureuse de ne pas avoir hérité du nez du vieux Benedict. Enfin, au moins maintenant, on sait pourquoi Maddox ne t’a jamais touchée. Tellement d’années. Tellement de mensonges. Tellement de questions. Everly savait bien que rester focalisée sur ces révélations n’aiderait en rien l’enquête en cours. Mais le poids écrasant de cette information la bouleversait. La paralysait. Comment était-elle censée réagir à la nouvelle ? Les sentiments de trahison et de colère auraient tôt fait de s’installer, mais pour le moment… Il n’y avait que le choc. Sa tête lui disait qu’être une Crawford illégitime ne changeait pas la personne qu’elle était, pourtant il lui était difficile de ne pas voir son passé à travers un prisme différent. Quant à son avenir… Elle prit une profonde inspiration. Plus tard. Elle réfléchirait à tout ça quand elle en aurait le temps, quand elle pourrait s’isoler. Pas question de montrer à Gabriel une once supplémentaire de vulnérabilité.
S’efforçant de se concentrer, elle reporta son attention sur Connor. — Tout ça est fascinant, mais quel rapport avec l’assassinat de Maddox ? Avons-nous la moindre idée de l’identité de cette Natalia ? Vous avez effectué des recherches à son sujet ? Gabriel vint se poster sur un genou, tout près d’elle. — Attends un peu. Tu te rends compte que ça change tout ? À présent, je peux raconter toute la vérité à Sara. Tu as la moindre idée du soulagement qu’elle va éprouver en apprenant que Maddox ne couchait pas avec toi ? Qu’il se contentait de passer du temps avec sa sœur ? (Nouveau sourire.) Elle sera si heureuse que son futur bébé ait une tante. Everly le contemplait fixement, bouche bée. Il pensait vraiment que révéler ce secret suffirait à tout arranger ? Dans sa tête à lui, sans doute. Sauf que Sara ne l’accepterait pas plus maintenant qu’elle ne l’aurait fait quand elle la croyait maîtresse de Maddox. Non. Sara considérerait Deborah Elliot comme une garce, et verrait donc en Everly un rejeton illégitime, indigne de son estime. — Ça n’a pas d’importance. — Bien sûr que si, c’est important, insista-t-il en posant une main sur les siennes. Ça change tout. Elle se libéra. — Maintenant que tu as la preuve formelle que Maddox ne m’a pas souillée, tu consens enfin à croire que je ne te mentais pas. Voilà ce que ça signifie. Du coup, tu es partant pour une relation, désormais. Mais c’est trop tard, Gabriel. J’ai rompu avec toi il y a vingt minutes quand tu m’as prouvé avec certitude que je ne pouvais pas te faire confiance. On va tâcher de découvrir qui a tué Maddox, voir si cette Natalia avait quelque lien avec ma mère et déterminer si l’un de ces faits avait quoi que ce soit à voir avec la mort de Maddox. Ensuite, c’en sera fini de toi et moi. Et sans reprendre son souffle, elle dirigea son attention vers Connor. — Le détective privé a-t-il trouvé un numéro de téléphone pour ma mère ? Je ne lui ai pas parlé depuis des années, et je préférerais nettement ne pas avoir à le faire maintenant. L’un de vous peut-il l’appeler ? Je suis certaine que moyennant finance, elle répondra volontiers à toutes vos questions. L’idée de parler à sa mère lui était insupportable, surtout après les révélations fracassantes de la matinée. Si elle se retrouvait au bout du fil avec Deborah Elliot, Everly savait qu’elle ne parviendrait pas à s’empêcher de hurler. Ce monstre d’égoïsme, cette garce avait empoché l’argent versé pour son silence et abandonné sa fille dans la quasi-pauvreté, à la charge d’un homme qui ne partageait même pas son sang. Et malgré tout ça, George Parker l’avait élevée comme le fruit de sa propre chair. Il était devenu un père pour elle, bien plus que son géniteur. Son père ne lui avait jamais dit qu’elle n’était pas sa fille biologique, peut-être parce qu’il n’en savait rien lui-même. Et s’il le savait, elle ne l’aimait que davantage d’avoir été le meilleur parent dont puisse rêver une enfant. Il lui avait donné tout ce qu’il pouvait, à commencer par son affection et son soutien – contrairement aux autres hommes de sa vie. Benedict Crawford avait payé sa mère pour se dégager de sa responsabilité vis-à-vis d’elle. Maddox lui avait caché la vérité et l’avait manipulée. À maintes reprises, il aurait pu lui apprendre qu’elle et lui étaient frère et sœur, et pourtant il était resté muet. Quant à Gabriel… Elle ne voulait même pas penser à Gabriel. — Everly ? fit ce dernier en scrutant son visage. Bébé, ce n’est pas vrai. On n’est pas obligés de faire ça. Elle se leva, parce qu’elle n’avait plus rien à lui dire. Il lui fallait sortir de là, sauf qu’elle ne savait pas trop où aller. Alors elle se retourna vers Connor, Roman et Dax, qui tous trois l’observaient en silence. Elle s’apprêtait à argumenter pour les convaincre de la laisser partir, quand des photos attirèrent son attention. Parmi elles, celle d’un trio de visages familiers posé sur la table. — Où avez-vous déniché ça ?
— C’était dans le petit coffre, l’informa Roman. On essaie de comprendre pourquoi Maddox gardait ces photos cachées. Si quelqu’un découvre qu’il gardait secrets des clichés de jeunes filles, la femme qui dirige le site Scandales au Capitole, par exemple, ils vont s’en servir contre lui, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. Secouant la tête, Everly lâcha un petit soupir. — Ce ne sont pas des images sexuelles. Maddox était peut-être un play-boy, voire un pervers, mais il n’était pas du genre à jeter son dévolu sur des enfants. — Je suis d’accord, approuva Connor. Everly saisit les photos et les passa en revue. Au moins était-elle en mesure de les éclairer sur ce point, et ainsi éviter tout risque de rumeur glauque. Elle désigna la première image. — Cette fillette est portée disparue. Elle a été enlevée dans son village il y a environ un mois. En fait, toutes ces gamines ont disparu. Elles étaient élèves dans les écoles sponsorisées par la fondation. Maddox devait essayer d’aider à les retrouver. C’est une théorie bien plus plausible que celle du prédateur sexuel. En plus, ces gamines vivent sur des continents différents. Comment aurait-il pu entretenir quelque relation malsaine avec elles à des milliers de kilomètres de distance ? — Je suis content que nous ayons enfin un autre scénario sur lequel travailler, acquiesça Connor, son regard perçant rivé sur elle. Parlez-moi de cette fondation. — Elle existe depuis près de cinquante ans, je crois. C’est désormais le bébé de Tavia, mais tous les employés de Crawford y jouent plus ou moins un rôle. — Tavia n’a pas l’âge pour avoir dirigé cette fondation depuis une décennie, fit remarquer Dax. — C’est sa grand-mère qui a lancé le programme. Une fois qu’elle est partie à la retraite, sa mère a repris les rênes. (Everly observa les photos de plus près.) Quand toutes les deux sont mortes, c’est Tavia qui s’en est chargée. Elle n’a fait qu’accroître le rôle de la fondation depuis, et l’a apportée à Crawford il y a environ six ans, lorsqu’elle a été embauchée en tant que manager junior. D’après ce que j’ai entendu dire, leur famille, qui était riche jadis, avait investi lourdement dans des start-up informatiques qui ont coulé peu après les attentats du 11 septembre. Donc, quand elle en a pris la direction, Tavia s’est mise en quête d’entreprises mécènes susceptibles de la garder à flot. Étant donné la réputation de Maddox avec les femmes, investir dans la fondation lui procurait, à lui et à l’entreprise, la bonne publicité dont il avait besoin. En contrant les vilaines rumeurs qui couraient sur ces messieurs Crawford, en quelque sorte, et en donnant de Maddox l’image d’un gentil fripon plutôt que d’un salopard. — Crawford verse un sacré paquet d’argent dans ce truc, commenta Gabriel. Je m’y suis même investi aussi. Je soupçonne Tavia d’en avoir tiré des bénéfices pour elle-même. — C’est sûr. La fondation l’a aidée à grimper rapidement les échelons. Plus récemment, elle a fait embaucher sa copine, Valerie. C’est peut-être pour ça que Maddox ne l’a jamais renvoyée, car en général il n’avait aucun scrupule à virer les femmes avec lesquelles il avait couché par le passé, s’il avait de bonnes raisons. — On ne le saura sans doute jamais de façon certaine, intervint Roman, d’une voix qui laissait penser que l’idée ne lui plaisait pas. — Contrairement à Tavia, Val n’a jamais mis les mains dans le cambouis pour les enfants. Mais Maddox croyait vraiment dans le travail de la fondation, cela dit. Alors s’il la gardait, c’était peut-être parce qu’elle l’aidait à organiser le gala annuel, fit Everly, songeuse. Mais en réalité, on s’y investit tous. Mon ami Scott, avec qui vous vous êtes probablement montré très impoli au téléphone, donne beaucoup de son temps libre pour le marketing et la promotion de la fondation. De mon côté, j’ai effectué plusieurs collectes de matériel scolaire. C’est sympa, et en plus ça nous donne l’impression
de faire de bonnes actions. — Si ça se trouve, on nage en pleine chimère, suggéra Dax. Ces photos pourraient n’avoir rien à voir avec les femmes que Mad voulait retrouver grâce à l’aide du détective privé. Et tout ça n’a, si ça se trouve, aucun lien avec son meurtre non plus. — Peut-être, mais on n’a pas d’autre piste, signala Connor. — En effet. Gabriel semblait pessimiste, comme si la peur qu’ils ne résolvent jamais l’assassinat de son ami lui pesait pour d’autres raisons que le risque de condamnation qui planait sur lui. Mais Everly devait s’efforcer de ne pas se laisser amadouer par ce chagrin manifeste. — De toute évidence, Mad a découvert les chèques émis à l’ordre de Deborah Elliot, ce qui l’a incité à chercher Everly, poursuivit Dax. On peut imaginer qu’il était en possession de ces clichés de fillettes parce qu’elles ont disparu, et que quelqu’un lui avait peut-être demandé d’aider à les retrouver. Ferling avait peut-être des contacts à l’étranger ? Et peut-être que cette Natalia est une autre gamine disparue ? Everly haussa les épaules. — Je sais que les bureaux de Crawford à l’étranger travaillent dur. Tavia les pousse à retourner ciel et terre pour retrouver ces fillettes, ça, c’est certain. Elles sont un peu sa famille. Quant à Natalia, je n’ai jamais entendu ce prénom appliqué à l’une des disparues. On a des rapports sur le sujet. — Maddox a conservé toutes ces informations dans un coffret fermé. Je pense qu’il existe un lien entre elles, c’est juste qu’on ne voit pas lequel, soupira Connor. Je vais faire circuler le nom de Natalia Kuilikov auprès de connaissances. — Il parle d’espions, expliqua Gabriel, qui approcha sa chaise du fauteuil d’Everly, pour lui chuchoter à l’oreille : Même si je parie qu’il les qualifierait de « collègues analystes » ou un truc du genre. Everly s’efforça de tenir bon, de ne pas se laisser atteindre par son attention, par la façon dont il avait envahi son espace personnel. — Et si je m’introduisais dans les bureaux, histoire de discuter avec Tavia, pour voir si c’est elle qui avait donné les photos à Maddox ? Si c’est le cas, on pourrait peut-être rayer les fillettes disparues de la liste des motifs potentiels liés au meurtre de Maddox ? — Je t’accompagne, proposa Gabriel. On va y aller en hélicoptère. Dax secoua la tête. — L’hélico était posé au sommet du bâtiment qui a brûlé hier soir. — Mon hélicoptère ? Ils ont bousillé mon hélicoptère ? s’exclama Gabriel en frappant du poing sur la table. Les cons ! Alors là, ils ont gagné, je suis vraiment furax. Manquer se faire tuer avait donc moins titillé la bête que la perte de son précieux joujou ? — Tu ferais peut-être mieux de rester ici et de remplir les formulaires de l’assurance pour qu’on te dédommage, suggéra-t-elle. Je vais me rendre seule chez Crawford, il me faut juste une voiture. Mais Gabriel secoua la tête. — Si on mène des investigations chez Crawford Industries, on y va ensemble. — Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, annonça Dax en croisant ses bras musculeux. — Everly a raison. On ne peut pas se cacher ici indéfiniment. Notre meilleure option est peut-être bel et bien de révéler des parcelles de vérité, déclara Gabriel. Laissons fuiter l’information concernant le lien de parenté entre Everly et Mad, ainsi notre relation paraîtra un peu plus pure. — On n’a pas de « relation », lui rappela-t-elle. Il ne sert donc à rien de parler de moi à la presse. — C’est inexact, la contredit Roman. S’ils apprennent votre lien biologique avec Mad, il y a plus
de chances qu’ils cessent de spéculer sur tel ou tel ménage à trois et sur la possibilité que Gabe l’ait tué dans une crise de jalousie. — Je suis d’accord, confirma Connor. Discutez-en pendant que vous vous préparerez. Vous en viendrez à la conclusion que cette conférence de presse est une bonne idée. Si vous devez affronter les médias, il faut être tirés à quatre épingles et parfaitement professionnels. Roman peut te procurer un costume neuf, ainsi qu’une robe et des chaussures pour Everly, ça ne prendra pas longtemps. D’ici à ce que vous soyez passés sous la douche, les vêtements auront été livrés. — Je pense que tu as raison, lâcha Gabriel, qui se leva et tendit la main à Everly. Elle ne la prit pas. — Je refuse de donner à la presse un nouvel os à ronger. Roman était déjà au téléphone, entretenant une conversation animée avec un interlocuteur dont elle ignorait l’identité. Il écarta l’appareil de son oreille et lui jeta un coup d’œil inquisiteur. — Pointure ? — Trente-huit, mais… Sans prêter attention à ce qu’elle s’apprêtait à ajouter, il reporta le téléphone à son oreille et quitta la pièce d’un pas déterminé. — Allons-y, ordonna Gabriel en l’attrapant par le bras. — Vas-y, toi. Moi, je reste, protesta-t-elle tandis qu’il commençait à l’entraîner à sa suite. Même si l’idée d’enfiler des vêtements qui n’empestaient pas la fumée était tentante, la dernière chose dont elle ait envie, en cet instant précis, c’était de se retrouver seule avec Gabriel. Il ne l’écoutait pas. Au lieu de quoi, il la conduisit vers l’escalier. — Ne va pas t’imaginer que cette conversation est terminée. Je sais que j’ai merdé, mais je ne vais pas m’arrêter de parler sous prétexte que ça te met mal à l’aise. — Ça me met en colère, Gabriel. Et il n’est pas question que j’entre dans cette chambre avec toi. Il se retourna, pour la transpercer de ses magnifiques yeux bleus. — Pourquoi ? Tu as peur que je profite de toi ? Ou bien que tu te laisses faire ? Elle lui retourna un regard glacial. Il se trompait… enfin presque. Elle était bien trop blessée et furieuse pour éprouver le moindre désir à son endroit en cet instant. Mais dans trente minutes… une heure… après l’un de ses baisers à tomber par terre… Non, mieux valait ne pas prendre le pari. — Tu peux bien penser ce qui te chante. Il se contenta de sourire. — Si quoi que ce soit se passe là-haut, ce sera à ton initiative. Tu as ma parole que je ne poserai pas la main sur toi à moins que tu n’en exprimes le désir. C’est ce que tu veux, Everly ? Sa voix se fit chuchotement, grave et sexy, et elle ne put s’empêcher d’y répondre. Une réaction purement physique. Mais bel et bien là. Non, elle n’allait pas tomber une nouvelle fois dans son piège, quand même ? Elle devait se raccrocher à l’image de ce rapport, à cette façon qu’avait Gabriel Bond de dénicher des secrets inavouables sur les gens qui traversaient sa vie – juste en cas de besoin. Mais elle ne pouvait oublier que Maddox avait agi de même. Gabriel le soupçonnait d’ailleurs d’avoir constitué des dossiers sur ses proches, y compris sur lui, ainsi que sur toute leur bande d’amis. Bref, elle ne serait jamais tranquille : à tout moment, Gabriel pouvait se retourner contre elle. — Non, pas du tout. Et tu devrais savoir que je ne changerai pas d’avis. — On verra ça. Sur quoi il lui lâcha la main et s’engagea dans l’escalier. — Tu es à ce point convaincu qu’aucune femme ne peut te résister ? — Non. Mais je ne pense pas que toi et moi on puisse se trouver dans la même pièce sans se
toucher. Tu es furieuse contre moi en ce moment, mais que ressentiras-tu dans une semaine, quand je t’aurai traitée comme une princesse et que j’aurai consenti au moindre de tes désirs ? Que penseras-tu quand je t’aurai montré tout ce que je peux t’offrir ? — Je penserai que tu ne m’as offert tout ça qu’après avoir obtenu la preuve que je n’étais pas une putain. Je penserai que tu conserves toujours un dossier sur moi, prêt à agir à la seconde où tu auras l’impression que je t’ai trahi. — Primo, je ne t’ai jamais traitée de putain. Pas une fois. Est-ce que je suis heureux que tu n’aies pas eu de liaison avec Mad ? Oh, ça oui. Ça aurait été perturbant. Mais j’avais déjà fait abstraction de cette éventualité, je te désirais quoi qu’il en soit. Il lui ouvrit la porte de leur chambre. — Quant à ce rapport, reprit-il, je m’en suis expliqué et débarrassé. Je ne l’ai même pas lu, ce fichu dossier. Tu dois me croire quand je t’affirme que je l’avais commandé avant de savoir de qui il s’agissait. J’ai demandé au détective de faire des recherches sur ta famille, Everly. Alors que je savais de source sûre, après notre week-end ensemble, que tu n’en avais aucune. Je protégeais ma sœur et son bébé d’une femme sans visage qui risquait de réapparaître et d’exiger une part de l’héritage de Mad. Everly entra dans la chambre, prête à en découdre. — Tu as songé au fait que moi aussi, je pouvais réclamer une partie de l’héritage de Maddox, Gabriel ? Voilà, il allait se retourner contre elle. Et elle verrait enfin le vrai visage de Gabriel Bond. Avec un soupir, il s’assit au bord du lit encore froissé de leurs étreintes. — Bien sûr, je pense même que Mad aurait souhaité que tu en profites. On pourra en parler. On s’assiéra autour d’une table, toi, Sara et moi, et on discutera de la conduite à tenir. Je pense même qu’obtenir quelque chose de ton frère pourrait t’ouvrir les portes de son univers. Elle le dévisageait, bouche bée, sidérée par sa réaction. Elle ne s’était absolument pas attendue à ce qu’il réponde une chose pareille. — Je ne veux rien de Crawford. Et son univers, comme tu dis, ce n’est pas le mien. Tout ça n’avait aucune importance. Elle se rendit à la salle de bains et ouvrit l’eau sous la douche. Les joues baignées de larmes, elle essayait de digérer toutes ces nouvelles informations. Pourquoi Mad ne lui avait-il rien dit ? En avait-il seulement eu l’intention ? Éprouverait-elle donc toujours ce sentiment d’abandon de la fillette rejetée par sa mère ? À présent, elle savait que son père biologique n’avait pas voulu d’elle non plus. Quant à Gabriel, il voulait bien d’elle maintenant, mais pour combien de temps ? Vingt minutes plus tard, son cœur ne la faisait pas moins souffrir, mais elle savait combien Gabriel lui manquerait. Ça semblait fou d’aimer un homme qu’elle connaissait seulement depuis une poignée de jours. Pire, apprendre qu’elle était la demi-sœur de Maddox l’avait complètement chamboulée, et sa première réaction avait été de se tourner vers Gabriel pour obtenir son soutien et son réconfort. Mais s’il les lui avait accordés, en aurait-il ensuite profité pour la poignarder dans le dos ? Elle voulait lui faire confiance – sans doute plus que de raison. Mais oserait-elle se lancer ? Quand elle émergea de l’immense cabine de douche, elle trouva une incroyable trousse de toilette déposée près du lavabo, remplie de tout un tas de merveilles de chez Dior et Chanel, et dans ses couleurs préférées, qui plus est. Everly ne se faisait aucune illusion quant au prix – bien entendu ridiculement élevé – de l’ensemble. Pourtant, un soupçon de maquillage lui redonnerait un peu de contenance, surtout s’ils devaient organiser cette conférence de presse afin d’annoncer que Maddox et elle étaient frère et sœur. Elle devait apparaître sous son meilleur jour. Une fois l’opération terminée, elle observa son reflet dans le miroir, puis resserra la ceinture du
peignoir qu’elle avait emprunté à une patère voisine. Après quoi elle retourna dans la chambre en prenant bien soin de ne pas prêter attention au regard appuyé de Gabriel. — Tes vêtements sont dans le dressing, l’informa-t-il. Apparemment, Roman les avait montés à l’étage, en même temps que les produits cosmétiques, pendant qu’elle était sous la douche. Un joli fourreau turquoise était suspendu à un cintre, et dessous reposait une paire de sublimes escarpins beiges – qui risquaient de se révéler infernaux à porter sur le plancher du rez-de-chaussée. Sur une étagère toute proche l’attendaient un soutien-gorge de dentelle et une culotte assortie, le tout encore étiqueté et emballé. Roman avait beau être un avocat devenu gros bonnet de la politique, il savait manifestement comment habiller une femme. La tenue qu’il lui avait choisie était à la fois chic et professionnelle, et elle lui irait à la perfection. Elle jeta un coup d’œil à l’étiquette : Prada. Pas étonnant que ce soit aussi beau. — J’espère que tu n’attends pas de moi que je te rembourse cette robe. Je n’en ai pas les moyens, surtout si l’on considère que je serai bientôt au chômage. Elle sortit le cintre de la penderie, saisit les sous-vêtements et retourna vers la salle de bains. Pas question de se changer devant lui. — Elle est à toi, répondit-il. Tu peux rester ici, Everly, j’ai déjà tout vu de ton corps. Sans répondre, elle referma la porte presque en entier. Les quelques centimètres qu’elle laissa entrouverts ne lui serviraient qu’à l’entendre. Plus vite cette conversation serait terminée, et mieux cela vaudrait. — Oui, eh bien, tu n’as plus à me voir désormais. Donne-moi plutôt ta grande raison super logique pour laquelle je devrais affronter la presse avec toi. Elle l’aperçut qui se déplaçait dans la chambre. Il retirait son tee-shirt, révélant ce magnifique alignement de muscles qu’elle connaissait désormais si bien. Non, je ne le reluquerai pas, non, je ne le reluquerai pas. — Alors, primo, annoncer à la presse que tu es à moitié Crawford changera la perspective de l’histoire. Tout à coup, tu n’es plus la femme tiraillée entre deux hommes. Tu es la femme qui sort avec un homme qui tient beaucoup à toi, et tu as perdu ton frère récemment. Un rôle infiniment plus favorable. Là, il marquait un point. De nouveau, le vif désir de croire ce qu’il lui disait enflait en elle. Mais elle redoutait de s’y fier. Tout ce qu’elle avait appris de l’univers dans lequel il évoluait l’effrayait. Et en admettant qu’il soit dans cette disposition-là aujourd’hui, comment être sûre qu’il n’aurait pas changé d’avis demain ? Il nageait parmi les femmes avec autant d’aisance que dans une piscine. Qu’est-ce qui garantissait à Everly qu’il ne les traitait pas toutes précisément comme il la traitait, elle, jusqu’à ce que passe à sa portée une prise plus attrayante et plus nouvelle ? Elle enleva ses anciens vêtements, qu’elle déposa sur le côté, en espérant que le nettoyage parviendrait à débarrasser sa vieille jupe de cette odeur de fumée insupportable. — Ça ne m’attirerait pas plus de compassion si j’affrontais cette tragédie toute seule ? — Non, parce qu’alors ça ferait de toi la fille qui a eu une folle aventure d’un week-end avec un type qu’elle a rencontré dans un bar, alors qu’en te présentant avec moi, tu es celle qui entretient une relation avec le meilleur ami de son frère et se rapproche de lui après la tristesse des funérailles. Bon sang, il avait encore raison ! Si elle ne révélait pas le véritable lien qui l’unissait à Mad, la presse s’acharnerait sur les antécédents amoureux de Gabriel, mais ça ne constituerait pour lui qu’une énième incartade aux yeux du public. Pour résumer, il s’en tirerait à bon compte alors qu’elle, en revanche, serait cataloguée « fille légère » pour le restant de ses jours.
Everly voulait être furieuse, mais elle devait garder à l’esprit que Sara attendait le bébé de Maddox. Un enfant qui constituerait la seule famille qui lui restait au monde. Souhaitait-elle vraiment traîner le nom de Crawford devant le tribunal populaire, emporter dans la tempête un bébé innocent, juste parce qu’elle voulait éviter Gabriel et épargner sa propre fierté ? Non. Merde, elle détestait se retrouver acculée ainsi. Elle finit d’enfiler la robe, puis jeta un coup d’œil à son reflet dans le miroir. Elle aurait bien eu besoin d’un lisseur pour apprivoiser ses cheveux, mais hormis ce détail, elle devait admettre qu’elle était sacrément en beauté. Ce fourreau mettait sa silhouette en valeur de façon incroyable, et la couleur illuminait sa peau, faisant ressortir le vert de ses yeux. Voilà, elle était plus prête que jamais à affronter la réalité. Il n’était pas juste que ces torchons à potins continuent de salir son nom tant qu’elle ne réagissait pas, pourtant il fallait reconnaître que sortir au bras de Gabriel ferait beaucoup pour apaiser les vilaines rumeurs. Si les tabloïdes les rangeaient dans la catégorie des couples installés – et donc ennuyeux – ils finiraient par se détourner d’eux. — OK. On va donner cette conférence de presse. Je jouerai mon rôle devant les caméras, mais à certaines conditions. — Tout ce que tu voudras. Il se tenait debout devant la porte, torse nu, la contemplant par l’entrebâillement. — Dis-moi ce dont tu as besoin. Ce dont elle avait besoin, venant de lui, allait bien au-delà de l’histoire avec les tabloïdes, mais ça, c’était exclu. Autant s’y résoudre dès à présent. — Premièrement, je n’arrive pas à remonter la fermeture de cette robe seule. Avec un regard avide, il ouvrit complètement la porte qui les séparait, et elle fit de son mieux pour ne pas dévorer des yeux son corps superbe. — Tourne-toi, je vais remédier au problème. Elle souleva ses cheveux et se détourna, ravie de pouvoir fixer son regard ailleurs. Peut-être qu’un jour elle parviendrait à voir Gabriel sans arrière-pensées, mais pour l’instant, c’était si douloureux qu’elle en aurait pleuré. — Cette robe te va à merveille, murmura-t-il en lui posant une main sur la taille. De l’autre, il entreprit de remonter la fameuse fermeture Éclair. Lentement. Si lentement, qu’on aurait pu croire qu’il couvrait à contrecœur sa peau nue. — Quelles sont tes autres conditions ? — Quand tout ça sera fini, je veux parler à Sara. Et je veux avoir une place dans la vie de ma nièce ou de mon neveu. Il s’interrompit dans sa lente progression. Quand elle releva les yeux, elle croisa les siens, posés sur elle dans le miroir. Intenses. Ils ressemblaient à un couple en train de se préparer pour une journée normale au bureau. — Je te promets que ni Sara ni moi ne te tournerons le dos. Je sais que tu ne me crois pas, mais ça n’a jamais été dans mes intentions. Je lui ai raconté des bêtises, tout à l’heure, afin de calmer sa colère, et qu’elle soit plus encline à t’accepter plus tard. Je ne planifiais pas de t’exclure. Je ne pense pas en être capable, en fait. Mais si la seule chance pour moi de rester en contact avec toi, c’est au travers de la nièce ou du neveu que nous partagerons, eh bien je la saisirai. Maddox Crawford était un salopard et mon meilleur ami. Il voulait qu’on s’occupe de toi. Ça me paraît évident, maintenant. Alors sache qu’en dépit de ta colère, je prendrai soin de toi. Je l’aurais fait parce que nous étions amants, mais je le ferai parce que Maddox nous a unis. On est de la famille.
De la famille. Ce mot emplissait Everly de mélancolie. Elle ne s’était pas rendu compte à quel point son père lui manquait, jusqu’à ce qu’elle apprenne avoir un frère – qu’elle avait perdu avant même de savoir ce qu’il représentait pour elle. Plus que tout, elle voulait appartenir à une famille. Consciente qu’il aurait été plus sage de repousser l’idée de faire partie de celle de Gabriel, elle hocha néanmoins la tête et s’écarta de lui. — Merci. Je n’ai besoin de personne pour s’occuper de moi, en revanche je voudrais connaître le bébé. — OK. D’autres conditions ? — Que tu ne me touches plus. Condition sine qua non. Car elle serait peut-être en mesure d’entretenir une relation courtoise avec lui dans le futur, pour le bien du bébé de Sara, mais rien de plus. Et peu importait l’amour qu’ils donneraient chacun à ce neveu, cette nièce, leur lien s’arrêterait là. — Je ne peux pas te promettre une chose pareille. Everly tâcha de mettre en sourdine à la fois sa colère et cet agaçant chatouillement qui la traversait. — Ne t’inquiète pas, je m’en assurerai. Tu comptes prendre une douche et finir de te changer ? — Je me suis douché dans la chambre de Connor pendant que tu étais ici. Et sans se détourner ni lui donner le temps de s’échapper, il enleva son pantalon de la veille. Sous lequel il était nu comme un ver. Everly prit une brusque inspiration et fit de son mieux pour ne pas le regarder, ce qui revenait un peu à tendre une seringue à un junkie en lui ordonnant de ne pas s’en servir. Les monts durs et les creux sinueux de son corps ne cachaient rien de sa virilité brute. Et dans le coup d’œil qu’il lui lança, elle comprit qu’il en était parfaitement conscient. Quelle arrogance ! Alors qu’elle faisait son possible pour garder sa langue dans sa bouche, il parvint à enfiler un boxer propre, un pantalon fluide couleur charbon et une chemise blanc neige. Le tissu amidonné, ouvert au col, révélait plusieurs centimètres de torse bronzé. Everly la sentait encore sous sa paume, cette peau chaude et douce. Elle brûlait de la toucher encore, et serra les poings afin de s’en empêcher. Avec une agilité mêlée de grâce, il se redressa devant le miroir au-dessus de la commode et noua une cravate rouge. — Il vaudrait mieux entrer et sortir ensemble. Et s’il y a des questions auxquelles tu ne souhaites pas répondre, tu les éludes. — Je n’ai pas envie de répondre à la moindre question. — Dans ce cas, laisse-moi faire. Roman a commandé une limousine. Il nous accompagne chez Crawford. La présence de Roman Calder à nos côtés sur les photos conférera une bonne dose de crédibilité et de sérieux à notre relation. — Notre fausse relation. Zut. Même à ses propres oreilles, sa phrase sonnait comme un caprice buté. Mais peu importait, elle devait imposer des limites entre eux, sinon elle faiblirait. Or Gabriel n’avait visiblement pas l’intention de les ériger lui-même, au contraire il semblait déterminé à user de tous les subterfuges pour la convaincre de revenir dans son lit. Pourquoi ? S’il y avait une question insoluble, c’était bien celle-là. Peut-être que si elle parvenait à trouver la réponse, elle aurait une idée plus précise de la manière de démêler cet embrouillamini entre eux. Il haussa les épaules. — Appelle ça comme tu veux. La présence de Roman à nos côtés suggère que Zack approuve.
Autrement dit, la presse croira en notre sérieux. Tu peux emménager chez moi, et d’ici quelques semaines, quand l’effervescence autour de nous sera un peu retombée, on pourra rompre discrètement si c’est ce que tu veux. Mais sache que je ferai tout mon possible pour te donner envie de rester. Everly ne parvint pas à stopper les larmes qui lui gonflèrent les paupières. — Je n’appartiens pas à ton univers, Gabriel. Je n’en ai pas envie, d’ailleurs. Je sais que je finirai par te pardonner ce rapport, je ne pourrai pas m’en empêcher. Mais le prix que je devrais payer pour être avec toi est trop élevé. Il se radoucit et s’approcha pour lui prendre la main. Elle le laissa faire, car en cet instant, elle avait besoin de réconfort. — De quoi tu parles, bébé ? Des médias ? Elle secoua la tête. — Pas seulement eux. C’est l’ensemble. Mad ne m’a rien dit. Tu supposes qu’il voulait prendre soin de moi, et pourtant il ne m’a rien dit. Si ça se trouve, il accumulait des informations sur mon compte afin de pouvoir contre-attaquer au cas où je découvrirais le pot aux roses et que je réclamerais une part du gâteau. En soupirant, Gabriel l’attira plus près de lui. — Je ne pense pas, non. — Et puis, il y a toi. Je ne me coulerai jamais dans le moule, tu sais. Je n’ai pas la moindre idée de quel couvert il faut utiliser pour tel ou tel mets, et je m’y connais encore moins dans les affaires. J’aime les ordinateurs parce qu’eux, ils ne me mentent pas. Un code, c’est un code, ça ne varie pas. Ça fait ce que je lui indique. Je resterai toute ma vie la petite geek d’une petite ville perdue. Tu peux bien m’enfiler cette robe, tu n’oublieras jamais d’où je viens, et tes amis non plus. Avant que tu ne t’en rendes compte, tu me considéreras comme un boulet à ton pied et tu retourneras aux top-modèles et aux actrices que tu affectionnes tant. Il l’enlaça et la retint fermement entre ses bras. — Bébé, tu ne peux pas penser ça. Elle se laissa bercer. C’était peut-être la dernière fois. — Et pourtant si. Tu ne vois donc pas qu’il vaudrait mieux qu’on se sépare en bons termes ? Je ne peux pas être ce dont tu as besoin, et je ne veux même pas essayer de m’adapter à ton univers. Je ne supporte pas les médisances et les manipulations. — Si tu n’apprécies pas mon univers, c’est uniquement parce que tu n’as pas vu combien tu l’influences. Everly, depuis l’instant où je t’ai vue dans ce bar, quelque chose a changé en moi. Je n’aime pas la façon dont fonctionne ce monde qui m’entoure, moi non plus. Alors change-le avec moi. On n’est pas obligés de se conformer aux règles de quiconque sinon les nôtres. Et pour ce qui concerne ta crainte de ne pas être assez bien pour moi… tu es mon incroyable déesse geek et je suis totalement en admiration devant toi. Je suis fasciné par la manière dont fonctionne ton esprit et émerveillé par ta force. Tu es un mystère pour moi, et j’essaierai encore de le résoudre dans ma tombe. Il s’écarta, et elle vit ses joues empourprées par l’émotion. — Alors écoute-moi, reprit-il. Écoute-moi bien, Everly Parker. Je vais te séduire. Je serai constamment à tes côtés, à te tenir la main et t’embrasser chaque fois que tu me permettras de te rappeler comme nous sommes bien ensemble. Tu vas peut-être dormir dans une autre chambre cette nuit, mais je peux t’assurer que tu penseras à moi et au plaisir que je pourrais te donner. Allongée dans ton lit, tu revivras toutes les manières dont j’ai posé mes mains et ma bouche sur toi. Je ne serai qu’à quelques mètres, en train de penser à ta douceur, à ton goût. De regretter de ne pas t’avoir tout contre moi pour te montrer à quel point j’ai envie d’être avec toi. Je continuerai à chercher le moyen de
rendre ce désir réalité, et rien ne me fera dévier de cet objectif. Quand tu seras prête, tu n’auras qu’une chose à faire : traverser le couloir. Et je serai plus qu’heureux de me racheter auprès de toi, de rattraper ensemble le temps perdu. Sur quoi il fit un pas en arrière, la laissant les mains tremblantes. Et emplie d’une évidence : elle ne parviendrait pas à penser à autre chose, cette nuit.
13 Gabe ouvrit la porte et fit signe à Everly d’entrer la première. Elle était encore un peu pâle après la conférence de presse impromptue qu’ils avaient tenue dans un hôtel voisin, pourtant Gabe jugeait que ça s’était bien passé. D’ici à demain, tout le monde saurait que Maddox et lui n’avaient pas eu maille à partir dans un triangle amoureux avec Everly. Les caméras resteraient braquées sur eux, mais la frénésie médiatique et la foule des paparazzis affamés ne manqueraient pas de se calmer maintenant qu’ils avaient présenté Everly comme la sœur longtemps méconnue de Maddox Crawford et le nouvel amour de Gabriel Bond. Ce qui lui laissait au maximum quelques semaines pour la convaincre de rester auprès de lui, et pour voir s’ils pouvaient envisager un avenir ensemble. Pour l’instant, ses chances de regagner son affection ne semblaient pas très élevées. Jennifer écarquilla les yeux en les voyant franchir les portes vitrées du hall d’entrée de Crawford Industries. La jeune réceptionniste se leva dans son uniforme impeccable. Son visage, en revanche, exprimait un mélange de sidération et d’exténuation. — Monsieur Bond, fit-elle avec un hochement de tête. Everly, je suis vraiment contente que vous soyez de retour. La presse ne cesse de téléphoner. Je leur réponds qu’on ne fera aucun commentaire, mais ils rappellent sur-le-champ pour reposer les mêmes questions en boucle. Le système n’est pas conçu pour subir ce nombre de coups de fil. Qu’est-ce que je dois faire ? C’est le chaos total au bureau. En fond sonore, les sonneries retentissaient en effet sans interruption. Derrière la zone de réception, Gabe entendait des éclats de voix et des claquements de portes. Voilà qui ne ressemblait en rien au hall tranquille et organisé qu’il avait traversé la veille. Apparemment, aucun directeur de service n’avait su gérer la crise. Quelques gouttes de sang dans l’eau et déjà les requins approchaient. Bon sang, Everly avait raison. Avec la disparition de Mad, ils devaient se montrer présents tous les deux jusqu’à ce que redescende la pression. Sans une poigne ferme, l’organisation de l’entreprise imploserait. — Appelez Amanda et Hilary et demandez-leur de s’en occuper. Everly était calme et posée, comme si se trouver confrontée à un problème à résoudre l’aidait en fait à se concentrer. — Les autres lignes téléphoniques sont reliées au système et je peux rediriger tous les appels provenant de numéros inconnus ou non enregistrés en tant que contacts. Ça vous permettra de gérer les clients réguliers pendant que les autres filles s’occuperont des journalistes. Quelqu’un du service relations publiques a rédigé un script à suivre ? Visé par le service juridique ? La jeune femme lui tendit un unique feuillet posé sur le comptoir d’accueil.
— J’ai reçu ça il y a dix minutes. Everly parcourut le document, puis elle hocha la tête. — « Crawford Industries ne fera aucun commentaire sur la vie privée de ses dirigeants. » Parfait. Faites-en une copie et transmettez-la à Amanda et Hilary. En leur recommandant de lire le script mot pour mot, avant de raccrocher. Point barre. Le téléphone continuait à faire entendre sa sonnerie insistante. — Un instant, dit Jennifer, qui redirigea rapidement l’appel vers un autre service du bâtiment. Très bien, reprit-elle en offrant à Everly un sourire reconnaissant. J’ai encore des appels en attente, pratiquement sur toutes les lignes. — Eh bien, au moins maintenant, vous connaissez la conduite à tenir, la rassura Everly. Tout va bien se passer. J’ai remarqué que des agents surveillaient les portes du rez-de-chaussée. Est-ce qu’on les relaie de façon régulière ? — Oui. Scott s’est déjà porté volontaire pour s’en charger et a affiché un roulement. — Dieu merci. Faites-moi savoir si vous avez besoin d’autre chose. Sur quoi Everly se retourna. Et sans un regard vers Gabriel, elle poussa les portes en verre dépoli et s’enfonça au milieu de l’océan de box de travail, se dirigeant vers son bureau d’un pas déterminé. Heureusement, elle ne pouvait pas marcher bien vite sur ses escarpins – il devrait remercier Roman pour cette idée plus tard. — Everly, tu sais, ça ne fonctionnera pas si tu n’arrives même pas à me regarder. Elle se retourna, les sourcils froncés. — De quoi tu parles ? Je peux tout à fait te regarder. Très lentement, il lui prit la main et la porta à son torse, l’attirant près de lui. — Si les employés ne croient pas que nous entretenons une vraie relation, ils parleront à la presse et on sera revenus à notre point de départ. — Gabriel, je suis une femme, jeune de surcroît. Tu imagines à quel point c’est compliqué pour moi d’être prise au sérieux en tant que manager ? Je ne cherchais pas à te battre froid, j’essayais juste de me montrer professionnelle. Elle libéra sa main de la sienne. — On ne devrait pas être obligés d’afficher des preuves d’affection au bureau pour les convaincre. Et je ne veux pas voir les grimaces de ceux qui trouveront nos comportements déplacés ici, d’autant plus que tu es mon supérieur. Gabe se pencha plus près encore. Il comprenait où elle voulait en venir, et se demandait à quel point ça avait dû être dur pour elle. Il ferait en sorte que les choses soient plus aisées à l’avenir. — Je ne resterai pas longtemps ton patron. Je ne suis qu’intérimaire, chez Crawford Industries. Et puis, je suis ton petit ami, selon l’interview que nous venons de donner. Tu as perdu ton frère, j’ai perdu mon meilleur ami. Personne ne s’attend de notre part à un comportement froidement professionnel. Il la tira par la main et la rapprocha de lui. — Et puis, tout le monde nous regarde. Everly jeta un coup d’œil à la ronde et finit par remarquer les regards tournés vers eux. Elle lâcha un juron à mi-voix, mais posa la paume contre la sienne en mêlant leurs doigts. — Je n’aime pas les faux-semblants. Gabe était habitué à ce genre de subterfuges, lui qui avait vécu la plus grande partie de sa vie d’enfant et d’adulte sous les feux de la rampe. Pour lui, cependant, rien de ce qu’ils partageaient n’était feint, en l’occurrence.
— Ce sera bientôt fini. Ils se rendirent au bureau d’Everly, où elle rangea son sac à main avant de passer en revue ses messages. Gabe balaya des yeux la pièce remplie d’ordinateurs et autres appareils associés. Et se demanda un instant s’il parviendrait un jour à rivaliser avec son amour pour tout ce qui touchait à l’électronique. — Tu ne veux pas aller dans ton bureau ? s’enquit-elle, un sourcil haussé. — Oh si, j’aimerais travailler dans mon bureau. Dans mon entreprise. Mais j’ai besoin d’acquérir une connaissance fonctionnelle de cette opération. Voilà qui lui donnait une idée. Everly connaissait Crawford Industries et adorait cette entreprise. La lui faire diriger en attendant que Sara reprenne les rênes pourrait les rapprocher. — Tu vas être en mesure de me renseigner ce soir devant un bon dîner. Je nous ai réservé une table au restaurant Le Cirque. Elle plissa un peu le front. — Je suppose que tu as choisi un lieu public pour qu’on nous voie. Il ne voulait rien de feint dans leur relation, mais Everly n’était pas prête à croire qu’elle serait parfaitement à l’aise dans son univers. Alors en attendant de l’en persuader, il profiterait de tout le temps qui leur était accordé. — Non, c’est parce que j’aime leur cuisine. Mais on transformera ça en dîner d’affaires. Tu me raconteras tout sur la structure managériale de l’entreprise. Tu sais, ce qui fonctionne bien, ce qui mériterait d’être modifié. — Je comprends que cette situation a complètement chamboulé ta vie aussi. Tu sais, tu pourrais retourner à Bond Aéronautique pour l’après-midi. Je parlerai des photos avec Tavia. Je pars du principe que c’est elle qui les a transmises à Maddox, mais je vais vérifier. — Pas question. Gabe n’en démordrait pas. Entre l’incendie et la pression des médias, l’idée de la laisser seule ici le mettait plus que mal à l’aise. — Quelqu’un a tenté de nous tuer hier soir. Alors je ne te quitte pas des yeux. Que tu me croies ou pas, que tu croies en avoir besoin ou pas, je te protégerai. — Ces deux hommes n’étaient pas venus pour nous tuer. On s’est juste trouvés là quand ils ont essayé de brûler la maison de Maddox, voilà tout. Je pense plutôt qu’ils souhaitaient détruire des preuves, cacher quelque chose. — Certes, sauf qu’ils étaient prêts à nous tuer pour y parvenir, fit-il remarquer. Et l’un d’eux s’est enfui. Qui nous dit qu’il ne va pas revenir et tenter de finir le boulot ici ? Bref, tu es coincée avec moi. — OK. Les sourcils froncés, elle alluma son ordinateur portable, avant de porter son attention sur l’écran d’à côté. Elle plissa les paupières. Cette expression n’était pas celle qu’elle arborait quand elle réfléchissait, mais quand elle était furieuse. Gabe s’efforça de ne pas la trouver ravissante, en vain. — Qu’est-ce qui ne va pas ? Elle se pencha et fit courir ses doigts sur différents claviers qui semblaient tous connectés à un écran géant. — Quelqu’un a franchi la sécurité. — Du bâtiment ? Entrer ou sortir de l’édifice requérait un badge magnétique. Tout le monde en portait un à l’intérieur aussi. Des rectangles de plastique qui montraient la photo de leur propriétaire et
contenaient les codes qui décidaient à quels étages et dans quelles zones chaque employé était autorisé à pénétrer. Avant que les agents de sécurité ne consentent à déclencher l’ouverture de la porte la veille, Gabe avait dû prouver qu’il était bien le nouveau P-DG de Crawford Industries. — Non, de mon ordinateur. Quelqu’un a tenté d’accéder à mon bureau, expliqua-t-elle, les doigts dansant toujours sur les touches. C’est mon outil principal. Lui et mon ordinateur portable sont tous les deux connectés à mon système de sauvegarde et à mes moniteurs, mais celui-ci possède une capacité de stockage bien plus importante que le portable. Quelqu’un a essayé d’y entrer, mais le système a refusé l’accès après trois tentatives infructueuses sur le mot de passe. Elle se leva et saisit le téléphone. — Henry ? Bonjour. Merci, je suis ravie d’être de retour. Vous pouvez me sortir les vidéos des caméras de surveillance autour de mon bureau ? Remontez environ trente heures en arrière, j’ai besoin de savoir qui est entré ou sorti de mon bureau. Je sais que tout était sécurisé, j’ai déverrouillé en arrivant hier matin, pourtant il apparaît que quelqu’un a touché à mes affaires depuis. Merci. Elle raccrocha. — Il va visionner les bandes. Quelqu’un est entré ici, ça, c’est sûr, mais pour y chercher quoi ? Des informations confidentielles sur l’entreprise ? Gabe haussa les épaules. — Tu es un matériau sensible, maintenant. Selon moi, c’est plutôt un employé qui cherchait à s’introduire dans ton ordinateur pour y dégoter quelque e-mail torride ou des photos sexy à vendre aux tabloïdes. Si la personne avait accédé à ton ordinateur, elle aurait aussi eu accès à tes sauvegardes sur le cloud, non ? — Je n’ai pas de compte cloud. Et pourquoi aurais-je des images pornographiques sur mon ordinateur professionnel ? Dieu qu’elle était naïve ! — Je ne parlais pas de porno, mais de photos nues. De toi. De nous. Ses joues prirent une adorable teinte rosée. — Ça non plus, je ne vois pas pourquoi j’en aurais. C’est ridicule. Lui, en revanche, il adorerait avoir quelques clichés d’elle, alanguie et nue, le corps rougi après l’orgasme. — N’empêche, ça arrive. Tu as entendu comme moi les histoires de ces célébrités qui stockaient ce genre de photos sur leur téléphone ou leur ordinateur. — Je déteste ça. Tous ces trucs me débectent. Comment peux-tu vivre sous un microscope ? Il brûlait de la prendre dans ses bras, mais comme à présent ils étaient seuls, elle protesterait à coup sûr. — Les gens observent, ils jugent, on est tous confrontés à ça dans la vie. C’est le degré d’observation qui est nouveau pour toi, fit-il dans un haussement d’épaules. Moi, j’y suis habitué, je vis avec la presse depuis des années. Enfin, ce n’est pas aussi terrible pour moi que ça l’était avec Mad. En fait, il semblait passer son temps à attirer volontairement l’attention sur lui. Et je ne te parle même pas de Zack. Mad ne subissait pas la moitié de ce qu’il endure. Certains jours, Gabe allumait les chaînes d’information en se demandant comment Zack faisait pour ne pas se suicider. Être président, c’était l’un des boulots les plus difficiles au monde. Tout le monde avait son opinion et personne n’hésitait à lui en faire part. — Je ne pense pas être capable de fonctionner ainsi. Sans pouvoir descendre au magasin du coin de la rue ou prendre le métro sans attirer l’attention. OK, elle avait déjà établi clairement qu’il existait un mur entre eux.
— Crois-le ou non, mais ça ne sera pas toujours aussi intense. Les paparazzis perdent tout intérêt pour un homme comme moi quand il se marie, fait quelques enfants et passe ses soirées chez lui en compagnie de sa famille. Évidemment, on perd aussi quelques avantages dans la foulée. Quand je ne suis plus sous les flashs des médias, les maîtres d’hôtel des restaurants en vue sont moins enclins à me réserver leur meilleure table. — Quand tu auras des enfants en bas âge, tu t’estimeras heureux de pouvoir avaler un hamburger dans un fast-food. Bizarrement, l’idée ne l’effrayait pas autant qu’avant, pas s’il se représentait des enfants qui ressemblaient à Everly. Ce serait agréable de rentrer à la maison et de retrouver sa famille tous les soirs. Il n’élèverait pas ses enfants comme l’avaient fait ses parents. Il serait là pour les border, pour écouter leurs craintes et leur servir de guide. Jamais il ne pourrait envoyer ses bébés en pension quelque part. Gabe avait beau aimer ses amis, il voulait en priorité que ses enfants puissent compter sur l’amour et le réconfort de leurs parents. — En fait, je pense que je préférerais manger à la maison. Ce n’est pas quelque chose que j’ai eu l’occasion de faire souvent dans ma vie. Ça serait un changement agréable. — Oh, je t’en prie, répliqua-t-elle en levant les yeux au ciel. Tu t’ennuierais à mort. Pas du tout. — Je ne suis pas le play-boy que dépeignent les tabloïdes. Je suis prêt à m’embarquer dans une vie tranquille et stable. Laisse-moi t’emmener dans les Hamptons. On ferait un barbecue, on pourrait se promener sur la plage, passer du temps ensemble. On commencera là-bas. C’est magnifique, et très calme à cette époque de l’année. Elle hésita un moment, puis : — Je n’en doute pas, n’empêche que cette image de la maison tranquille, de la vie confortable et calme est impossible dans ta réalité. Je ne pense pas pouvoir m’intégrer dans ton univers cinq étoiles. — Everly, bébé… — Arrête. Tu crois que je vais être éblouie par ta vie de jet-setter et que je changerai d’avis. Mais je ne suis pas faite pour les feux de la rampe. Je refuse d’avoir à me soucier d’éventuels photographes si je trébuche sur le trottoir ou rentre à la pharmacie pour m’acheter des tampons. Au moins, ils évoquaient un avenir commun potentiel. Mais pour l’instant, ça n’était pas la logique d’Everly qui conduisait sa réflexion, c’était sa peur. Gabe faisait de son mieux pour la rassurer. — Je te jure que cette attention permanente va se calmer. Je sais que c’est insupportable en ce moment, mais ça passera. Et alors on pourra construire notre avenir à nous. Peu importe ce qui se passera, tu feras toujours partie de ma famille. Je serai toujours là pour toi, et Sara aussi. Ma sœur est merveilleuse et elle aura bien besoin de toute l’aide disponible pour élever son bébé. Tu es la seule famille qui reste, du côté de Mad. Elle voudra t’avoir près d’elle, tout comme moi. Quand elle releva les yeux vers lui, ils étaient voilés par les larmes. — Vous n’avez pas à vous préoccuper que je vous crée des soucis, ni l’un ni l’autre. Tu en es conscient, n’est-ce pas ? Je n’ai aucune intention de réclamer l’argent de Mad ou son entreprise. — C’est un souci qui ne m’a même pas traversé l’esprit, lui assura-t-il doucement. Pas une seule fois depuis que je sais qui tu es. — Bien. Car Crawford Industries appartient à l’enfant de Maddox. Il hocha la tête. — Oui. Et on va protéger l’entreprise pour lui. — Ou elle, précisa-t-elle avec fermeté.
— Ou elle. Dieu qu’il était fou de cette femme ! C’était plus fort que lui. Il se pencha et effleura ses lèvres des siennes. Elle se figea, sa respiration s’interrompit. Pourtant elle ne recula pas. Au contact de ses seins contre son torse, il sentit aussitôt son sexe palpiter dans son pantalon large. Il lui suffisait de la frôler pour qu’il ne parvienne plus à songer à autre chose qu’à sa douceur, au plaisir et à quel point il la désirait. Il profita de l’instant pour lui déposer un doux baiser sur la bouche, dans lequel il tâcha de mettre toute l’adoration qu’elle lui inspirait. Il n’abandonnerait pas, ne la quitterait pas. Il songea soudain qu’elle était seule depuis la mort de son père. Or c’était le genre de femme à avoir besoin d’une famille. Une famille qu’il lui donnerait. C’était par ce biais-là qu’il la regagnerait. Pas par l’argent, les voyages au bout du monde ou les cadeaux. La famille. Il pouvait lui offrir un endroit où elle se sentirait chez elle, entourée, estimée à sa juste valeur et aimée comme la femme unique qu’elle était. Alors qu’il approfondissait son baiser, elle lui noua les bras autour du cou. Il pourrait la culbuter contre le bureau. Vu l’équipement informatique qui s’y accumulait, il n’était pas sûr de pouvoir tout balayer pour l’allonger dessus, se positionner entre ses cuisses et trouver son chemin en elle. Mais en tout cas, il allait essayer. Affamé et impatient, il entreprit de la pousser en douceur. La porte s’ouvrit brusquement. Everly sursauta, s’écarta, s’empourpra. Sur le seuil, Tavia cilla et porta une main à sa poitrine. Et rougit à peu près aussi fort qu’Everly. — Oh, là, là, je suis désolée. Bon, d’accord, ils étaient venus pour lui parler, sauf qu’en cet instant, Gabe avait plutôt envie d’étrangler l’intruse, tant la pauvre Everly semblait mortifiée. Et manifestement, il venait de rater l’occasion de la séduire pour un moment. Déjà elle s’éloignait de lui afin de défroisser sa jupe. — Non, non, pas de problème. Tu n’interromps rien du tout. La bouche béante de Tavia esquissa une grimace, son expression se fit gênée. — Mais si, je vois bien que si. Dès que j’ai entendu dire que vous étiez ici, je n’ai pas pu m’empêcher de venir. (Elle se précipita dans la pièce et vint enlacer Everly.) J’ai eu si peur pour toi ! J’ai vu les infos, ce matin. Mon Dieu, un incendie ? Tu as failli mourir, ma belle. Everly répondit à son étreinte, quoiqu’un peu raide. — Ça n’était pas si grave, mais bon, pas très agréable non plus. — Ça a dû être horrible ! Tavia tressaillait, un peu comme si elle pleurait. Everly lui tapota l’épaule. — Je vais bien, tout va bien maintenant. Les yeux écarquillés, l’air hagard d’un petit animal pris dans les lumières de phares, Everly regarda Gabriel par-dessus les épaules secouées de sanglots de Tavia. Il fronça les sourcils. Tavia était-elle toujours aussi sensible ? Everly semblait un peu perdue, pour le coup. C’était elle qui venait d’échapper à la mort, et pourtant c’était Tavia qui avait besoin de réconfort. Un réconfort que lui prodiguait sa douce Everly. Voilà comment elle fonctionnait. Elle ne pouvait s’empêcher de donner aux gens ce dont ils avaient besoin. S’il jouait bien ses cartes, elle lui donnerait tout ce dont il rêvait aussi : son corps, son affection, ses lendemains. Alors il se prépara à dire et à faire tout ce qu’il faudrait pour l’emporter. Vingt minutes plus tard, Everly était assise dans le bureau de Tavia et acceptait une tasse de café tendue par Gabriel. Elle en avait bien besoin. Au milieu du chaos de cette matinée, elle n’avait pas eu
l’occasion d’en avaler plus de quelques gorgées au loft de Connor, elle qui était plutôt du genre à en boire trois tasses chaque matin. Gabriel avait accordé quelques minutes à Tavia pour s’épancher, puis il avait repris le contrôle de la situation et les avait guidées jusqu’au bureau de la jeune femme, selon ses dires pour la mettre plus à l’aise. En réalité, Everly soupçonnait que ses raisons avaient plus à voir avec le désir de ne pas discuter de ce qu’ils avaient trouvé chez Maddox, dans un bureau où l’on s’était récemment introduit clandestinement. — Merci. Quoi qu’il en soit, elle ne pouvait que lui être reconnaissante d’avoir mis un terme à l’étalage émotionnel de Tavia. Everly elle-même avait été quelque peu surprise de cette réaction excessive au récit de ses mésaventures. Certes, elles étaient amies. Tavia avait été la première femme à se montrer sympathique avec elle quand elle avait débarqué chez Crawford, pourtant elle n’aurait jamais imaginé que Tavia se sentait aussi proche d’elle. En l’occurrence, elle lui devait une fière chandelle. Tavia lui avait épargné une humiliation certaine, car il aurait suffi de dix secondes supplémentaires des baisers de Gabriel pour qu’elle s’offre à lui directement sur son bureau. Oui, elle aurait été capable de s’allonger sur sa table de travail, d’écarter les jambes et de l’accueillir en elle. Elle avait été émue par la sollicitude qu’il lui avait témoignée, par l’idée de rester toujours dans la vie du bébé – et par voie de conséquence dans celle de Gabriel. Alors qu’elle ferait tellement mieux de s’éloigner. Sauf qu’elle ne voyait pas vraiment comment. Ils seraient amenés à se rencontrer plus ou moins toutes les semaines. Comment réussirait-elle à passer des années à proximité de cet homme sans lui céder ? Pire, si elle parvenait à garder ses distances, comment surmonterait-elle de le voir tomber amoureux et épouser une autre femme ? — Donc vous dites que vous avez trouvé des photos ? Tavia avait retouché son maquillage et retrouvé son apparence normale, malgré un nez encore un peu rouge. Marchant de long en large derrière le bureau de verre et de métal, un sourire éclatant aux lèvres et la tasse de café que Gabriel lui avait offerte à la main, elle était l’image parfaite de la femme d’affaires. — Merci beaucoup. Encore une fois, je vous prie de m’excuser de vous avoir interrompus tout à l’heure, bredouilla-t-elle en regardant Gabriel droit dans les yeux. Je dois admettre que j’avais mis Everly en garde à votre sujet. Je pensais que vous n’en aviez qu’après ses fesses. — Pas uniquement. Je n’irais pas jusqu’à les refuser, mais… (Il esquissa un sourire affable.) Il ne faut pas croire tout ce qu’on lit dans les journaux ou que l’on voit à la télévision. Entre Everly et moi, c’est très sérieux. L’intéressée s’abstint de tout commentaire. Elle avait promis de garder le secret sur le fait qu’ils n’étaient pas vraiment en couple, et elle s’y tiendrait. — Tavia, ces photos que Maddox avait cachées, c’étaient des clichés de certaines des fillettes disparues. Il les conservait dans un coffre avec ses documents les plus personnels. C’est toi qui les lui avais données ? J’ai reconnu l’une des gamines dont on a parlé lundi. Quant aux autres, tu me les avais montrées au cours d’un déjeuner il y a quelques semaines. Je n’arrivais pas à me sortir leur visage de la tête. L’air à nouveau à cran, Tavia hocha la tête. — C’est difficile pour moi d’aborder le sujet. Je me suis tellement attachée à ces enfants. (Elle jeta un bref coup d’œil en direction de Gabriel.) Vous n’avez pas idée à quel point. Elles sont si jeunes, elles devraient avoir toute leur vie devant elles. Le monde est vraiment un endroit terrible.
Elle se remit à arpenter la pièce, de plus en plus vite. — Pour tout vous dire, Maddox s’apprêtait à retirer ses billes de la fondation. Il est venu me voir, il y a un mois de ça, pour me menacer de cesser de financer le projet dans son ensemble. Choquée, Everly fit claquer sa tasse en la reposant sur le bureau. — Il a fait ça ? Tavia leva une main. — Je l’en ai dissuadé. Il était apparemment inquiet à cause d’une histoire de dépenses excessives pour les galas. Il avait apporté plusieurs factures avec lui. Gabriel se pencha par-dessus le bureau. — Des reçus qui correspondaient aux frais de bouche et de boissons au cours des deux années écoulées ? Tavia parut étonnée qu’il soit au courant de tels détails. — Oui. Vous devez savoir que je ne suis plus vraiment impliquée dans l’organisation de ces soirées, aujourd’hui. C’est Valerie qui s’en charge depuis deux ans. Je suis gênée de n’avoir pas prêté plus attention à ce qu’elle fabriquait. D’après ce que je comprends, elle a détourné plus ou moins cent mille dollars depuis qu’elle est aux commandes. Elle est en contact avec un réseau de traiteurs qui doivent sans doute se partager le magot avec elle. J’ai réussi à convaincre Maddox de ne pas la renvoyer. Il n’était pas ravi, mais il a accepté. Everly se tourna vers Gabriel. Voilà qui expliquait pourquoi Valerie avait conservé son poste. — Comment l’avez-vous convaincu d’oublier qu’on l’avait escroqué ? s’enquit Gabriel. — Je n’ai pas fait ça, je lui ai juste demandé d’attendre après le gala de cette année, afin que nous ayons des preuves écrites. Pour l’an dernier, on ne comprend pas comment elle s’y est prise exactement pour détourner autant. On ne cherchait pas de fraude éventuelle, à l’époque. Gabriel rivait ses yeux perçants sur Tavia. Everly ignorait comment sa collègue parvenait à soutenir pareil regard sans flancher. Rien que d’être témoin d’un examen aussi intense, elle-même ne pouvait s’empêcher de s’agiter sur son siège. — Que serait-il arrivé si Mad avait subitement retiré ses fonds avant le gala prévu ? La fondation aurait coulé, sans son soutien financier ? insista-t-il. — Pas du tout. J’ai plusieurs entreprises qui adoreraient reprendre le flambeau du mécénat. Je reçois tout le temps des appels de compagnies de cosmétiques ou spécialisées dans les produits féminins. Ça leur fournirait une excellente publicité, expliqua Tavia, avant de soupirer. Pour être honnête, je pourrais aisément trouver un meilleur sponsor. On m’a offert assez d’argent pour que je démissionne de mon travail en entreprise et que je me consacre exclusivement à la fondation. — Pourquoi n’en avoir rien fait, dans ce cas ? La fondation était l’obsession de Tavia, sa passion. On avait l’impression qu’elle ne dormait jamais, travaillant quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept à l’amélioration de la vie de ces fillettes. — Je me sentais redevable vis-à-vis de Maddox, répondit-elle en haussant les épaules. Il m’a embauchée et a renfloué la fondation en des temps désespérés. Et puis, ma mère avait un faible pour cette entreprise. Elle leva des yeux un peu penauds. — Il faut croire que ta mère n’a pas été la seule à tomber sous le charme de Benedict Crawford, conclut-il à l’intention d’Everly. — Ne me dis pas que tu es ma demi-sœur. Son père biologique avait apparemment pas mal roulé sa bosse.
Le rire de Tavia emplit la pièce. — Non, je ressemble bien trop à mon père. Ma mère n’a eu son aventure avec le vieux Crawford que sur le tard. — Et vous et Mad ? demanda Gabriel. Je sais que vous avez été amants et… — C’était il y a des lustres, l’interrompit Tavia. Et juste une aventure sans lendemain. Pas plus sérieuse pour lui que pour moi. On s’est vite rendu compte qu’on était mieux comme collègues et amis, alors on en est restés là, fit-elle avec un sourire pour Everly. Votre conférence de presse de ce matin a fait l’effet d’une bombe ! Maintenant, je comprends pourquoi Maddox était aussi dingue de toi. Ça n’avait rien de sexuel, il apprenait à connaître sa sœur. Malgré elle, le sujet rendait Everly un peu triste encore. Ils s’étaient mis d’accord dans la limousine pour ne pas mentionner qu’elle n’avait appris son lien de parenté avec Maddox que le jour même. Alors elle se contenta de hocher la tête. — Ça va peut-être contribuer à calmer un peu Val, supposa Tavia. — Comment ça ? demanda Gabriel. Tavia rougit. — Euh… Comment formuler ça de façon délicate ? Everly, elle a une raison de te détester. Gabriel serra les mâchoires. — Mad couchait avec elle. Et elle croyait que tu étais sa rivale, bébé. — Ils se montraient très discrets, confirma Tavia. Il a cessé de la voir quand il a commencé à fréquenter Sara. — Tu étais au courant pour Sara ? s’étonna Everly. Et elle qui croyait qu’il s’agissait là d’un secret bien gardé… — Oui, acquiesça Tavia. Mais je n’en parlais jamais. C’étaient leurs affaires. Après que Mad a rompu avec Sara, Valerie lui a signifié sa disponibilité, mais il a préféré passer tout son temps avec toi. Et tu sais ce que prétendait la rumeur. Alors comme ça, Valerie pensait que Maddox s’était mis avec elle, éconduisant sans plus de manières son ancienne maîtresse. Pas étonnant que Valerie ait été aussi venimeuse ces derniers temps. — Valerie devait pourtant savoir qu’il n’avait jamais pris leur relation au sérieux. Tavia grimaça. — Elle en a toujours pincé pour lui, même si je la soupçonne d’avoir été plus attirée par son argent que par son cœur. Et par la célébrité. Ça aussi, ça l’intéressait, d’ailleurs elle était très vexée qu’il refuse de la sortir en public. J’ai essayé de l’avertir que Maddox n’avait pas d’intentions sérieuses à son égard, mais elle n’a rien voulu savoir. Gabriel leva les yeux au ciel. — Mad ne pouvait décidément rien faire qui ne fiche le bazar. — Exact, approuva Tavia. On s’était mis d’accord, lui et moi : si Valerie détournait ne serait-ce qu’un centime cette année, je l’aiderais à monter un dossier en béton contre elle. J’avais prévu de me plonger là-dedans après le gala, à condition que je ne sois pas renvoyée d’ici là, précisa-t-elle avec un regard appuyé en direction de Gabriel. Mais Maddox a emporté les papiers avec lui, et sans ça, j’ai les mains liées. Vous avez dit que vous les aviez retrouvés ? — Oui, mais ça me préoccupe moins que les photos de ces gamines, admit Gabriel. Je ferai venir un comptable juriste qui démêlera tous les mouvements effectués par Valerie. On pourra agir à partir de ses conclusions. Faites-moi confiance, je n’hésiterai pas à la renvoyer. Mais dites-moi plutôt : Mad a-t-il évoqué la raison pour laquelle il tenait à ces photos de vos fillettes disparues ? — C’est moi qui les lui avais données, expliqua Tavia. Je lui avais demandé d’embaucher des
mercenaires pour les retrouver. Enfin… des gens dotés de talents très spécifiques. Il était réticent, alors je lui ai transmis les photos des fillettes, en espérant que mettre des visages sur des noms le motiverait à agir. — Des « mercenaires » ? En d’autres pays, ces gens pouvaient être considérés comme un mal nécessaire, mais Everly ignorait que Crawford Industries avait jamais eu recours à de tels services. Tavia continuait à faire les cent pas, incapable de rester en place. — Oui. Quand j’ai évoqué cette solution, Maddox a dit qu’il en connaissait certains. Et après que je lui ai montré les clichés, il a promis d’y réfléchir. Mais il n’a pas eu le temps de revenir vers moi, il… Elle renifla, donnant l’impression qu’elle tentait péniblement de contenir ses larmes. — Mon Dieu, quel gâchis ! On frappa à la porte de son bureau. Tavia consulta sa montre et se raidit. — C’est Valerie, on a une réunion. Gabriel se leva et rajusta sa veste. — Je vais m’occuper d’elle. — Vous ne pouvez pas, chuchota Tavia. Pas tant qu’on n’aura pas rassemblé un dossier solide contre elle. Si vous la renvoyez maintenant, vous lui offrez le temps de couvrir ses arrières. Je la connais bien, monsieur Bond. Elle vous causera des soucis si vous ne maîtrisez pas parfaitement la situation. Everly acquiesça. Il lui suffisait de regarder Gabriel pour que son cœur menace de se fendre en deux. Moins d’une heure loin de ses bras et déjà il lui manquait. Ce serait peut-être une bonne idée qu’elle s’octroie quelques minutes toute seule. — On va te laisser tranquille, Tavia, fit-elle, avant de se tourner vers Gabriel. Pourquoi ne pas aller dans ton bureau un moment ? Tu dois vouloir rencontrer les autres directeurs de service. Et demande à Connor de t’apporter les dossiers. Tu pourras passer quelques coups de fil, histoire de lancer le processus d’enquête. Moi, je vais retourner à mon bureau et m’occuper de mes e-mails. Retrouvons-nous à 17 heures. Après tout, les apparences y gagneraient si tout semblait revenu à la normale cet après-midi. Il glissa une main dans la sienne, entremêlant leurs doigts. — D’accord. Ça va aller avec Valerie ? ajouta-t-il à l’intention de Tavia. Celle-ci se dirigeait déjà vers la porte de son bureau. — Bien sûr. Je vous promets que je suis en mesure de gérer ça. Elle ne soupçonnera rien. Elle ouvrit grand la porte et offrit un large sourire à Valerie. — Salut, entre. Tu as déjeuné ? Valerie ne mangeait quasiment pas, d’après ce qu’Everly avait pu constater. Ce qui était confirmé par sa maigreur maladive. La visiteuse leva les yeux au-dessus de Tavia pour les river sur Everly. Et une expression qu’elle ne pouvait qualifier que de dégoût s’afficha sur son visage. — Je crois que j’ai perdu l’appétit. Everly sentit la main de Gabriel se resserrer autour de la sienne. Son visage, en revanche, garda une expression parfaitement neutre alors qu’il l’entraînait hors de la pièce. Puis il se tourna vers Valerie. — Je vous verrai plus tard. Une simple phrase qui aurait pu paraître anodine, mais qu’il parvint à faire sonner comme une menace.
— Je croyais que tu laissais Tavia s’en occuper, murmura Everly quand la porte fut refermée derrière eux. Elle n’aurait jamais avoué le plaisir qu’elle éprouvait à lui tenir la main, le sentiment de sécurité que ça lui procurait. Et malgré tous les regards qui se posaient sur eux depuis chaque bureau et dont elle était parfaitement consciente, en cet instant peu lui importait. Le contact de Gabriel suffisait à l’apaiser, et elle adorait arborer cet homme à son bras. Raison pour laquelle elle avait besoin d’espace. Sans quoi il serait bien trop facile d’oublier qu’il n’était pas réellement à elle. Même s’il lui affirmait le contraire, elle ne voyait pas comment il pourrait en être autrement. — Je n’ai pas aimé la façon dont cette femme t’a regardée, lui confia-t-il en les conduisant vers le bureau d’Everly. Je la ferai escorter hors de ces bureaux à la première occasion. Valerie ne lui manquerait pas du tout, pourtant quelque chose paraissait bizarre dans cette histoire. — Si elle a vraiment détourné autant d’argent, elle mérite d’être renvoyée. Pourtant, même si elle a été assez maligne pour voler et si elle était sans doute très en colère contre Maddox, je ne pense pas qu’elle l’ait tué. — Ça, je n’en sais rien. Elle m’intéresse plus à cause de sa toquade pour Mad que pour ses malversations financières. Il l’aurait renvoyée, mais je doute qu’il serait allé jusqu’à la poursuivre en justice. Ça aurait nui à la fois à la réputation de l’entreprise et à celle de la fondation. Non, le dossier qu’il montait, s’il en montait un, visait sans doute à l’obliger à se taire. Gabriel s’arrêta devant le bureau, puis il baissa son regard intense sur elle. — Cela dit, elle voulait Mad rien que pour elle, et certaines femmes sont assez folles pour tuer plutôt que de renoncer à l’objet de leur obsession. Il nous reste des tas de choses à découvrir, mais je pense qu’il vaut mieux considérer que cette femme avait un motif pour assassiner Mad. Exact, et Valerie n’étant pas une lumière, elle avait peut-être effectivement songé à tuer Maddox. Être capable de passer à l’acte, en revanche, c’était une autre histoire. — Je travaille avec elle depuis un moment. J’avoue être un peu surprise qu’elle soit parvenue à détourner cent mille dollars. Quant à faire exploser un avion en vol, je n’y crois pas une seconde. Elle n’est pas assez maligne. Gabe fronça les sourcils. — Elle fait peut-être semblant d’être idiote, ou alors son avidité l’a rendue plus maligne. Quoi qu’il en soit, je souhaite que la police enquête. Je vais rassembler quelques informations et leur demander de l’interroger. Mais toi, je veux que tu sois mise à l’écart de tout ça aussitôt que possible. Avec un soupir, il l’attira plus près de lui. — Je me sentirais mieux si tu venais avec moi. — Je serai parfaitement en sécurité dans mon bureau. Elle n’était toujours pas convaincue que Valerie soit autre chose qu’une simple garce. De plus, l’heure approchait de rencontrer son mystérieux informateur. Et là aussi, elle était à peu près sûre qu’elle ne risquerait rien. Le parking n’était jamais vide avant la tombée de la nuit. Les employés entraient et sortaient, et il y avait des caméras de surveillance un peu partout. — Vas-y. Fais ce que tu as à faire, tout ira bien pour moi. Il se pencha et ses lèvres effleurèrent les siennes. Dieu que c’était bon. — On se voit dans quelques heures, alors. Ne quitte pas le bâtiment. Elle ne le quitterait pas. Au sens strict, le parking était rattaché à l’immeuble. Elle baissa les yeux vers sa montre. Il lui restait du temps. Elle retrouva avec soulagement le havre de paix de son bureau.
Elle se dirigea aussitôt vers le coffre et en sortit la carte SD qu’elle y avait enfermée à double tour. S’étant rassise, elle entreprit de télécharger les photos. Elle voulait les avoir sur son ordinateur portable, car son ordinateur de bureau n’était manifestement plus assez sûr. Elle se plongea dans l’observation du troisième cliché. On y voyait Mad par la fenêtre de chez elle. Il souriait, un verre de son mauvais brandy à la main. Son frère. À quoi aurait ressemblé sa vie, si elle avait grandi avec lui ? Elle téléchargea encore deux photos, puis un message apparut, lui indiquant que le disque de destination ne contenait plus l’espace nécessaire au stockage des fichiers. Quelque chose mangeait son disque dur. Décidément, il y avait des problèmes avec ce fichu système de sécurité. Elle lâcha un grognement. Elle n’avait pas eu l’occasion de le réparer ou de le reformater, comme elle l’avait prévu. À cause des soucis rencontrés avec son portable, elle avait eu l’intention de nettoyer complètement le système d’exploitation et de redémarrer de zéro, en espérant que ça résoudrait le problème. Lundi, elle avait passé des heures à sauvegarder ses dossiers sur un disque dur externe en vue de cette réinitialisation, mais elle n’avait pas pu enchaîner sur l’étape suivante. Elle n’avait pas prévu de passer sa journée à s’occuper de maintenance informatique, mais elle croyait cette preuve importante et voulait absolument effectuer une autre copie des photos qu’elle avait gardées – juste au cas où. Avec une détermination farouche, elle vérifia par deux fois qu’elle avait bien sauvegardé tout ce dont elle avait besoin sur son disque dur, avant d’entreprendre le nettoyage intégral du système et le reformatage du disque. Une fois cette manœuvre terminée, elle put enfin réinstaller le système d’exploitation. Mais ça allait prendre toute la journée… Scott arriva environ une demi-heure plus tard, un sandwich à la main. Ils discutèrent de choses et d’autres, Scott devinant qu’elle ne voulait pas aborder le sujet « Gabriel ». Il conserva donc à leur conversation un tour léger. Et avec la myriade de problèmes qu’Everly eut à gérer, la journée passa vite. Plusieurs heures s’écoulèrent avant qu’elle ne jette un coup d’œil à la pendule pour se rendre compte qu’il était temps de se rendre à son rendez-vous mystère. Un petit frisson d’excitation la traversa. Enfin elle pouvait agir. Elle s’était sentie si impuissante, ces derniers jours, subissant les événements sans jamais les provoquer elle-même. Cette occasion de se montrer active la soulageait d’un poids. Elle éjecta la carte SD. La sauvegarde de ces photos devrait attendre qu’elle ait remis son ordinateur portable en service. Pas question de prendre le moindre risque avec ces preuves. Elle rangea l’ordinateur et le disque dans son coffre et en sortit son pistolet. Sans lui, au cours des derniers jours, elle avait eu la sensation d’être toute nue, mais porter une arme quand on se rendait à un entretien avec son nouveau patron ou au poste de police n’était pas forcément bien vu. Alors elle l’avait laissé là. Cette fois, elle vérifia le chargeur et fourra l’arme dans son sac à main. Le parking était normalement un endroit sûr, mais elle n’était pas stupide : si on lui avait interdit de venir accompagnée, elle se devait d’avoir un soutien sous une forme ou une autre. Enfin prête à aller chercher des réponses, elle appela le bureau de la sécurité et parla à l’un des agents. Il suivrait ses déplacements via les caméras de surveillance et enverrait du renfort si elle rencontrait le moindre problème. Au moins, maintenant, elle avait quelqu’un pour protéger ses arrières. À elle de se montrer prudente. Le moment était venu de découvrir l’identité de son informateur et ce qu’il pouvait bien savoir. — Tu es en train de me raconter que Mad a été tué pour de l’argent ? (Dax secoua la tête.) J’aurais
plutôt cru qu’il tomberait d’un toit en essayant de s’enfuir de chez une femme mariée. Ou qu’il se ferait tirer dessus par un mari jaloux. Gabe observait les reçus que Dax avait apportés. Il avait fallu quelques heures à son ami pour rassembler les preuves dont ils avaient besoin, discuter de la situation avec Connor et traverser la ville. Il regrettait qu’Everly n’ait pas pu déjeuner avec lui, mais elle avait affirmé avoir trop à faire. Alors il avait passé quelques heures à organiser les factures et le dossier de Valerie récupéré auprès des ressources humaines. Il se révélait que les informations de Tavia étaient à la fois justes… et fausses. Les commandes passées et les reçus montraient des dépenses accablantes, mais ça n’aurait pas suffi à convaincre Valerie de fraude si Mad avait décidé de la menacer de poursuites. Cependant, il avait peut-être trouvé une autre carte à poser sur le tapis. Une belle carte. Ça faisait beaucoup de détails à disséquer, pourtant il avait été content de voir Dax rappliquer. — Je ne sais pas si j’irais jusqu’à dire que c’était uniquement pour l’argent, mais l’argent entre en effet en jeu dans cette affaire. Apparemment, il a couché avec elle à un moment donné, avant de sortir avec Sara. Je le soupçonne d’avoir découvert qu’elle détournait de l’argent du budget que Crawford allouait aux galas de la fondation. Et cet après-midi, j’ai trouvé des informations supplémentaires. Il avait constitué un dossier plutôt solide contre elle. Sa secrétaire m’a procuré la sauvegarde de son ordinateur. Selon elle, il la lui avait transmise sous enveloppe le soir de sa mort, juste avant de quitter le bureau. — Comme s’il savait qu’il allait mourir ? s’étonna Dax. — Hilary m’a indiqué qu’il faisait souvent ça avant de quitter la ville – il avait perdu ou endommagé plus d’un ordinateur portable au cours de ses voyages. Pour éviter que tout le monde ait accès à ses dossiers sensibles, il refusait d’utiliser le même système de sauvegarde que le reste des employés du bâtiment. Du coup, il effectuait souvent des sauvegardes sur clé USB, qu’il conservait sous enveloppe scellée. Quand j’ai demandé à Hilary si elle avait une idée de l’endroit où commencer, pour comprendre comment Mad dirigeait cette entreprise et quels projets il pouvait avoir, elle m’a donné cette clé USB. Dax secoua la tête. — Afin que tu puisses reconstituer le dossier qu’il avait monté contre Valerie ? — Oui. J’ai trouvé une chemise entière à son sujet. Il avait comparé les trois derniers galas de la fondation. Valerie s’est occupée de toutes les commandes et des buffets pour les deux derniers. Entre l’année précédant son arrivée à ce poste et le gala de l’an dernier, les dépenses ont augmenté de presque cent cinquante pour cent. Dax émit un sifflement. — Elle n’a pas songé que ça risquait d’attirer l’attention ? À moins d’être stupide, elle devait s’en douter. Gabe hocha la tête, réfléchissant à la remarque de Dax. En effet, Valerie ne s’était pas montrée très subtile dans ses agissements. Everly jugeait sa collègue peu maligne. Elle avait réussi à voler de l’argent, mais pas de façon discrète. Cela dit, elle avait fait montre d’assez de créativité comptable pour qu’il soit malaisé de remonter jusqu’à elle. Or pour ça, il fallait un minimum de jugeote. Et puis, si elle était bien à l’origine de l’explosion de l’avion de Mad, cela avait requis un peu plus qu’une intelligence passable. Or, si l’on admettait qu’elle n’était pas des plus futées, ne devrait-elle pas avoir laissé traîner quelque indice incriminant ? — Je l’ignore. Mad en savait plus que je ne l’ai d’abord cru. J’ai trouvé des fichiers additionnels, mais qu’il avait protégés avec un mot de passe. J’ai besoin que Connor les force. Il avait essayé sans succès tous les mots de passe évidents. Mais Connor saurait accéder aux
fichiers en question, par un moyen ou un autre. Car n’étant pas certain de ce qu’il allait trouver làdedans, il préférait pour l’instant ne pas impliquer Everly. — Attaquer une employée pour détournement de fonds risque de donner une mauvaise image à cette fondation. — Je m’en fiche. Il avait bien réfléchi et décidé que s’assurer de l’emprisonnement de cette fille valait la publicité négative encourue. S’il avait raison, elle avait tout de même tué son meilleur ami. De plus, il n’avait vraiment pas aimé la façon dont elle avait regardé Everly. Il reconnaissait une femme jalouse quand il en voyait une. Certaines se montraient juste acerbes, mais d’autres – comme Val – pouvaient aller très loin. — L’argent a été détourné de Crawford Industries, pas de la fondation. C’est un abus des largesses de l’entreprise, et si je me fends d’un communiqué affirmant clairement mon soutien à la fondation, tout devrait bien se passer. Gabe ne s’inquiétait pas pour ça. En revanche, qu’allait-il bien pouvoir faire pour garder Everly à ses côtés si ce danger imminent s’éteignait ? Il réussirait à gagner une semaine ou deux, maximum, à cause de la presse. S’il n’était pas parvenu à la faire changer d’avis d’ici là… Il lâcha un juron à mivoix. Il lui fallait du temps, plus de temps, car il n’avait nullement l’intention qu’ils deviennent de simples amis, et encore moins des étrangers. Pas question d’être celui qu’elle saluerait aux fêtes d’anniversaire du gamin ou aux réunions de travail. — J’ai envoyé un SMS à Connor. Il est déjà en train de monter un dossier contre Valerie. Roman a mis quelques-uns de ses associés sur la préparation de dossiers concernant tous les employés de Crawford. Au fait, j’ai parlé à la mère d’Everly, cet après-midi. Un ange. Elle a confirmé les informations qu’Everly nous a données. Sachant que ta petite copine ne souhaite pas se trouver plus exposée médiatiquement qu’elle ne l’est déjà, j’ai menacé sa mère de représailles si elle parlait à la presse. Juste à temps, apparemment. Elle s’apprêtait à se faire quelques dollars sur la toute nouvelle célébrité de sa fille. — Si elle lâche un mot, je la détruis. Dax ricana discrètement. — Je me doutais que tu réagirais comme ça. J’ai passé du temps avec les subordonnés d’Everly. Ils lui sont extrêmement dévoués. Un ou deux a admis avoir été un peu agacé au début, à cause de sa… — Sa poitrine ? Gabe imaginait aisément ce qu’avaient pu penser certains membres de l’équipe de cyber-sécurité en voyant débarquer ce petit bout de femme. — Ouais, en quelque sorte. Le dernier chef de la cyber-sécurité en date était un gars plus âgé, un ancien militaire. L’arrivée d’Everly a dû sacrément chambouler leurs habitudes. Cependant, elle a vite fait ses preuves, et maintenant ils la surnomment « la reine de la brigade des geeks ». Ils l’adorent. Ils s’inquiétaient pour elle ; d’ailleurs, prépare-toi à ce qu’ils te fassent passer un sale quart d’heure. Il faut que tu parviennes à l’admettre, Gabe : elle est heureuse, ici. Bon sang, il aurait préféré l’emmener avec lui chez Bond Aéronautique. Une relation de travail les aiderait à consolider leur relation personnelle, mais elle refuserait de changer de boîte juste pour ses beaux yeux. Un choix qu’il respectait, au fond, même s’il s’en irritait tout autant. Enfin, elle ne lui avait pas laissé beaucoup le choix : il allait devoir s’y faire, car elle était intelligente et compétente, et méritait de s’épanouir dans sa carrière. Sara la soutiendrait sans doute sur ce point, du coup il se retrouverait en minorité. — Qu’est-ce que tu as appris d’autre ?
S’il y avait bien une chose qui ne l’inquiétait pas, c’était d’éventuels squelettes dans le placard d’Everly. — Elle travaille dur et tout le monde l’aime. Car elle était le genre de femme qui excellait dans ce qu’elle entreprenait. Contrairement à lui, elle n’avait pas eu d’entreprise à plusieurs millions de dollars qui lui était tombée toute cuite dans son assiette. Pas d’héritage. Pas de boulot pépère ou de fonds fiduciaire qui l’attendait. Non, elle n’avait rien eu d’autre que son courage, et elle avait bossé dur pour réussir. Gabe sentit son cœur se serrer. Il était sorti avec pas mal de filles, mais Everly était peut-être la première femme qu’il fréquentait. Que faisait-il avec elle ? Il s’amusait ? Il jouait les possessifs envers sa passade du moment ? Pourtant, rien de ce qu’ils partageaient ne s’apparentait à ces comportements futiles. Non, c’était très sérieux pour lui. — Bref, elle est exactement qui elle affirme être, conclut-il. — Ouais, acquiesça Dax. Et toi, t’es un con. — Je sais. J’aurais dû la croire quand elle répétait qu’elle n’avait pas été une conquête de plus dans le lit de Mad. Mais ce qui est fait est fait, et je ne peux pas la laisser m’échapper. Il sentait sur ses épaules tout le poids des regrets. Si seulement il disposait de plus de temps pour la convaincre qu’ils seraient heureux ensemble ! Il aurait fini par comprendre de lui-même que sa relation avec Mad était platonique, mais il était trop tard pour cela désormais, il avait manqué sa chance. Dax hocha la tête. — Non. Tu ne peux pas la laisser partir. Tu as besoin d’elle. Mon pote, elle te rend presque fréquentable, cette fille. — Trouduc. Pourtant il souriait, car c’était bon d’avoir l’approbation de son ami. Dax appréciait Everly. Mad l’adorait. Oui, ça comptait aussi. D’ailleurs il se demandait pourquoi Mad ne lui avait pas confié le secret de l’existence de sa sœur. Son Interphone sonna. Avec un long soupir, il décrocha l’appareil. Il voulait bien admettre qu’il n’éprouvait pas le même enthousiasme pour les affaires de Crawford que pour celles de sa propre société. Il adorait construire des avions, des hélicoptères. Enfant, il était obsédé par tout ce qui volait. Il avait avec Bond des liens imprescriptibles. Crawford Industries lui rapporterait peut-être plus d’argent, et pourtant il s’en fichait. Everly, en revanche, se passionnait pour cette entreprise. Il ne parviendrait pas à la convaincre de le suivre chez Bond Aéronautique, ni par les sentiments ni par la force. Non, c’était ici, sa place. — Gabriel Bond. — Il y a ici quelqu’un de la sécurité qui souhaite vous parler. Il dit avoir des informations sur les enregistrements des caméras de surveillance. Merde. — Faites-le entrer. Dax écarquilla les yeux. — Qu’est-ce qui se passe ? — Quelqu’un s’est introduit dans le bureau d’Everly depuis la dernière fois où elle était ici. Elle a demandé aux gars de la sécurité de passer en revue les vidéos pour découvrir le coupable. Apparemment, ils ont trouvé quelque chose. Il traversa la pièce pour ouvrir la porte.
Un homme d’un certain âge arborant l’uniforme bleu de Crawford Industries entra. Il tenait sous le bras un ordinateur portable et, les sourcils froncés, il salua Gabe d’un hochement de tête. — Monsieur Bond, j’ai pensé que vous voudriez voir ceci. Gabe hocha la tête à son tour, plein de gravité. — Vous avez des preuves que quelqu’un s’est introduit dans son bureau ? — Absolument. La porte était fermée à clé, mais apparemment la femme disposait d’une carteclé. Alors : le personnel de service de l’étage possède des cartes qui ouvrent à peu près toutes les portes, mais ils ne font le ménage dans les bureaux fermés que deux fois par semaine. Or, celui de Mlle Parker n’était pas au programme de ce soir-là, et en plus la personne affectée à son bureau est un homme. — De quelle femme parlez-vous, alors ? Le gardien ouvrit l’ordinateur portable et appuya sur une touche pour lancer la vidéo. Il s’agissait d’un enregistrement en noir et blanc, mais qui montrait clairement la portion de couloir devant le bureau d’Everly. L’employé de ménage, un homme plutôt petit et portant des écouteurs aux oreilles, passa devant la caméra avec son aspirateur, dont il usait sur la moquette beige, effectuant quelques pas de danse tout en travaillant. Et puis Gabe la vit. Elle avait relevé ses cheveux sous une casquette de sport et portait le pull bleu du personnel de service, mais qui semblait bien trop grand pour sa frêle silhouette. Elle regardait autour d’elle, l’air manifestement nerveux, en prenant soin toutefois de garder la tête baissée, comme si elle savait avec précision dans quelle direction étaient braquées les caméras du couloir. Enfin, n’importe quel cambrioleur un peu malin aurait la même attitude. — Qui est-ce ? demanda Dax. Gabe avait bien sa petite idée, mais ce n’étaient pas les grandes minces qui manquaient parmi le personnel de Crawford. On était à New York, après tout. Et la police répondrait qu’il pouvait bien s’agir de n’importe laquelle. Gabe se pencha, essayant de distinguer un indice qui fasse mouche. La femme posa la main sur la poignée de porte du bureau d’Everly, révélant un détail qu’aucune femme de ménage ne porterait, et encore moins au travail : une jolie montre blanche. Chanel, s’il ne se trompait pas. Bien sûr, ça pouvait toujours être une imitation, mais qui irait plonger les mains au quotidien dans les produits nettoyants avec au poignet un bijou qui ne supportait pas l’eau ? Cette montre, il l’avait déjà vue, un peu plus tôt, quand sa propriétaire avait fait son possible pour humilier Everly. À présent, il avait la preuve irréfutable que Valerie préparait un sale coup. S’introduire dans le bureau d’Everly, ça s’appelait une effraction. Il n’avait pas besoin de preuves supplémentaires. — Il s’agit de Valerie, de la comptabilité, et elle est renvoyée. Nous allons l’accompagner dans le hall d’accueil sur-le-champ. Assurez-vous qu’elle n’emporte rien d’autre que ses affaires personnelles. Ensuite nous la conduirons au commissariat. La police la détiendrait assez longtemps pour qu’il puisse dénicher les autres preuves nécessaires afin que l’accusation pour escroquerie tienne la route. — Bien, monsieur, acquiesça le gardien. Gabe était soulagé de pouvoir se débarrasser de cette femme. Il y avait quelque chose chez elle qui, à ses yeux, exsudait une extrême méchanceté. Des garces, il en avait rencontré suffisamment pour les reconnaître. Certaines femmes déballaient leur linge sale en public, d’autres étaient capables d’éliminer leurs ennemis sans sourciller. Et il aurait parié que Valerie entrait dans la seconde catégorie. Alors plus elle serait loin d’Everly, et mieux ce serait. Sa petite amie savait peut-être se défendre, mais il préférait qu’elle n’ait pas besoin d’en faire la preuve.
— Dax, tu peux nous accompagner, au cas où… ? — Où elle essaierait de t’arracher les parties génitales ? OK. Il leur emboîta le pas. Gabe se fichait pas mal que tout le monde les observe en se demandant si le nouveau P-DG était devenu fou. Tout ce qui lui importait, c’était d’assurer la sécurité d’Everly. Alors qu’il atteignait le bureau de Valerie, une sensation glacée lui emplit la poitrine. Il n’avait pas de raison précise de redouter qu’elle ne soit déjà passée à l’acte ou n’ait fait du mal à Everly… hormis une terrible prémonition. Le cœur battant fort, il ouvrit d’un coup la porte de son bureau. Vide. Partie. Il se tourna vers l’assistante de Valerie. — Où est-elle ? La jeune femme n’avait pas pu rater l’impatience dans sa voix, et elle se tourna aussitôt, rougissante, pour bredouiller : — Je… je… eh bien, elle… euh… Mlle Richards s’est absentée pour l’après-midi. Gabe avait la désagréable impression qu’il connaissait les projets de Valerie. Il s’adressa à l’agent de sécurité. — Trouvez-moi Valerie. Et tout de suite.
14 Everly balaya du regard le parking souterrain désert, puis jeta un coup d’œil nerveux à son téléphone : 15 h 10. Elle avait l’impression d’attendre depuis une éternité. Ses nerfs ne tiendraient pas beaucoup plus longtemps. Si ça se trouvait, ces mystérieux e-mails et SMS n’étaient qu’une horrible plaisanterie. Et peutêtre celui ou celle qui les lui avait envoyés n’était-il qu’un mystificateur. Voire un malade. Trois étages sous la surface, chaque son était amplifié par l’écho du béton. Chaque crissement de pneus était accentué, chaque coup de frein, chaque vrombissement de voiture qui naviguait au sein de la structure. Peu à peu, l’attente s’était muée en impatience anxieuse. Aussi, lorsqu’elle entendit résonner derrière elle des pas sur le ciment, elle sursauta. Plongeant la main dans son sac, elle s’assura de la présence de son pistolet, puis elle s’éloigna des ascenseurs qui l’avaient conduite là, cherchant la source du bruit de pas. L’arrivée de son mystérieux contact à pied semblait confirmer qu’il affectionnait les mises en scène et prenait un malin plaisir à la mettre à cran. Malgré les circonstances, il tenait manifestement à faire une entrée remarquée. Si cet homme se révélait n’être qu’un journaliste, Everly allait décharger toute sa frustration sur sa personne et lui passer le savon de sa vie. S’il ne s’était pas payé sa tête, en revanche… elle ne savait pas encore comment elle réagirait. Quand elle aperçut l’homme, elle sut sans l’ombre d’un doute qu’il s’agissait bel et bien de celui qui l’avait contactée de façon aussi énigmatique. Il se dirigeait vers elle, ses chaussures à bout golf cirées claquant avec assurance. Son visage était à peine visible sous le bord d’un Borsalino, et malgré une chaleur incroyable pour la saison, il portait un trench-coat au col remonté afin de mieux masquer son identité. Même si ce déguisement digne des films noirs avait de quoi faire sourire – certes, son interlocuteur mesurait à peu près quinze centimètres de plus qu’elle mais comment le prendre au sérieux quand il, débarquait dans une tenue digne de Hollywood ? –, Everly restait sur ses gardes. Les lumières faiblardes du parking ne lui permettaient toujours pas de distinguer son visage, pourtant elle lui donnait à peu près la cinquantaine. Le bonhomme semblait étonnamment sportif, signe qu’il se défendrait sans doute bien en cas de corps-à-corps. Il portait probablement une arme, mais bon, elle aussi, et elle la sortirait bien plus vite que lui, embarrassé qu’il serait par son imperméable volumineux pour atteindre un holster d’épaule. Alors qu’il franchissait la distance qui les séparait, son regard ne cilla pas, et il n’ouvrit pas non plus la bouche avant d’atteindre le bloc de béton devant les ascenseurs, juste au-delà du champ des caméras de surveillance. — Mademoiselle Parker, ravi de constater que vous êtes capable de suivre des instructions.
Il était donc impressionné qu’elle sache lire ? Génial. — Qu’est-ce que je fais ici ? Il haussa un sourcil. — Vous n’êtes pas du genre à tourner autour du pot, hein ? Everly n’avait pas le temps. Gabriel ne tarderait pas à se mettre à sa recherche, et elle préférait ne pas avoir à lui expliquer ce rendez-vous. — Mieux vaut aller droit au but. L’homme hocha la tête. — J’ai été content que vous réchappiez vivante de l’incendie chez Crawford, la nuit dernière. — Moi de même. Qu’avez-vous à me dire ? Il répondit à son impatience par un sourire sournois. — Si ça n’est pas déjà fait, je pense que vous allez découvrir que l’homme tué sur les lieux était un petit bras de la mafia russe, un type qu’ils utilisaient quand ils ne voulaient pas être mêlés de trop près à un délit. — Oui, on avait compris. Que l’inconnu soit au courant de cette information ne prouvait rien, hormis qu’il avait lu les nouvelles en ligne ou mis la main sur les rapports de police. N’importe quel imbécile comprenant comment fonctionnaient les Russes se méfierait d’un criminel de Brighton Beach1. — Ils vont devoir faire vite, autrement ils ne retrouveront jamais M. Hall vivant, ajouta-t-il avec une expression déçue. — M. Hall ? Pour autant qu’elle le sache, la police n’avait pas encore identifié le second assaillant. Ils avaient mis la main sur une vidéo floue de sa fuite filmée par une caméra de surveillance, mais n’avaient pas encore posé de nom sur les images. — Si mes informations sont correctes, vous apprendrez bientôt que le deuxième homme impliqué s’appelle Lester Hall. Everly se figea. L’intrus qui avait péri dans l’incendie avait appelé son complice « Les ». Comment cet homme pouvait-il le savoir ? — C’est un homme de main bien connu de la Bratva, et un ami d’enfance de Jason Miller, poursuivit son informateur. Sans doute pensait-il jouir d’une planque ensuite, sauf qu’à mon avis, les hommes qui l’ont embauché préféreront grandement qu’il ne soit plus jamais en mesure de parler de l’incident. Ils ont probablement engagé les deux hommes pour faire brûler la maison de Crawford et prévoyaient de les abattre après. Ces Russes savent garder les secrets. D’ici à quelques jours, le corps de Hall réapparaîtra et la police ne manquera pas d’assimiler votre expérience traumatique à un incendie criminel isolé et de classer l’affaire sans suite. Everly n’aimait pas ce qu’elle entendait. — Pourquoi deux hommes sans aucun lien avec Maddox iraient-ils incendier sa maison comme ça, sans raison ? Elle se garda de préciser que Gabriel et elle avaient vu les types chercher quelque chose – pour l’emporter ou le détruire, ça, elle l’ignorait. Elle n’était pas là pour fournir des informations à l’informateur. L’homme haussa les épaules. — La police s’en fiche. Pour eux, ce sont de petits criminels que personne ne pleurera. Autrement dit, des gens faciles à accuser, et puis à oublier. Everly esquissa un mouvement de recul.
— C’est dur. — Mais vrai. Miller et Hall n’apportaient rien à la société, et l’homme dont la maison a fini en cendres est mort à présent. Il n’y a donc pas véritablement de victime. Du moment que la police et l’opinion publique peuvent faire porter le chapeau à quelqu’un et que le crime a été résolu… Presque tout le monde est content, conclut-il dans un nouveau haussement d’épaules. — « Presque » ? Pas tout le monde ? demanda-t-elle. Elle n’arrivait pas à savoir si cet individu était sérieux ou totalement fou. Peut-être la seconde option. Sans doute. Mais s’il connaissait vraiment l’identité du deuxième cambrioleur, que savait-il de plus ? — Eh bien, vous, par exemple, vous ne devez pas beaucoup vous réjouir. Dans quelques heures, la police refermera aussi l’investigation sur la mort de Maddox Crawford. Soit en décrétant qu’il ne s’agissait finalement pas d’un homicide, soit en désignant un bouc émissaire. Dans un cas comme dans l’autre, ils décréteront toutes les pistes closes et balaieront tout ça sous le tapis. Ce type parlait comme un conspirationniste… mais cela faisait-il forcément de lui un dingue ? — Pourquoi ? Il a bien été assassiné, non ? — Bien sûr, répliqua-t-il, comme s’il s’agissait là d’une évidence. Il en savait trop et ne pouvait pas rester en vie. — Il en savait trop à quel sujet ? Voyant son interlocuteur hésiter, Everly lui jeta un regard glacial. — Vos e-mails et vos SMS laissent entendre que vous possédez toutes les réponses. Si c’est la vérité, dites-moi pourquoi Maddox est mort. Il inclina la tête et la regarda par-dessous le rebord de son chapeau. Elle ne voyait toujours pas son visage, mais elle entendit parfaitement son grondement rauque. — Bien. Vous êtes maligne. C’est là, le cœur de l’affaire. Tout le reste n’est que bruit de fond destiné à détourner l’attention. Est-il mort à cause d’une erreur de pilotage ? Ou d’une bombe à bord de l’avion ? Et qu’en est-il de l’apparition soudaine de cette vidéo montrant Bond menaçant de tuer Crawford ? Voilà qui donne une bonne tête de coupable à votre petit ami et occupe l’opinion publique. Tout ça ne fait qu’effleurer la surface de ce qui se passe en réalité. Vous-même, vous creusez, mais vous avez à peine égratigné le vernis. — Qu’est-ce que vous entendez par là ? — Vous commencez à obtenir des informations, mais les indices ne semblent pas liés entre eux, comme s’ils n’avaient pas de rapport les uns avec les autres, c’est bien ça ? N’abandonnez pas. Les preuves peuvent donner de fausses impressions, prises individuellement, sous l’apparence de vérités toutes simples. Everly brûlait d’envoyer balader cet homme, de le traiter de fou. Pourtant, même si tout ce qu’il lui avait raconté jusque-là était pour le moins bizarre, elle avait le pressentiment qu’il mettait le doigt sur quelque chose. — Cessez de vous exprimer sous forme d’énigmes et dites-moi ce qui se passe, bon sang ! — Je n’ai pas de preuve tangible. Vous allez devoir les dénicher vous-même. Mais croyez-moi, si je vous révélais toute la vérité, vous me traiteriez de menteur. Ou bien vous paniqueriez. — Je ne suis pas une pauvre demoiselle en détresse. — Non, en effet, acquiesça-t-il d’une voix suave. Mais les implications sont immenses. Presque inimaginables. Vous ne me croyez peut-être pas, mais essayez. Il se peut que votre vie en dépende. Elle aurait bien aimé balayer cette mise en garde d’un revers de la main, mais après le meurtre de Maddox et l’incendie volontaire de sa maison, elle le croyait sans peine.
— Menez votre propre enquête, poursuivit-il. Si vous soulevez chaque voile comme je l’ai fait, et que vous continuez à poser des questions – même si elles semblent folles – vous aboutirez. Pourquoi les implications de l’assassinat de son demi-frère seraient-elles aussi ridiculement immenses ? Et comment était-elle censée connaître les bonnes questions à poser ? — Je n’y comprends rien, fit-elle, totalement perdue. Je vois bien pourquoi un mari jaloux ou une maîtresse dédaignée aurait souhaité tuer Maddox, mais dans les deux cas, ils auraient préféré la satisfaction de le faire de leurs propres mains à l’explosion de son avion. — Pensez plus grand, mademoiselle Parker, gronda-t-il. Bien plus grand. À qui bénéficie sa disparition ? — Si vous suggérez que Gabriel Bond l’a tué pour hériter… — Non. On est au-delà de la simple cupidité, commenta-t-il avec un regard furieux. Qui a le pouvoir de couvrir un meurtre tel que celui de Crawford ? Renseignez-vous là-dessus et ôtez vos œillères pour ce qui concerne les raisons. Je n’en dirai pas plus pour le moment. Ça ferait trop de poids pour vos épaules sans preuve pour étayer ce que j’avance. Mais je ne vous laisserai pas démunie. Vous pouvez faire confiance à une seule personne. Son discours théâtral n’avait pas grand sens aux oreilles d’Everly, mais elle apercevait enfin une lumière au bout du tunnel. — Vous ? s’enquit-elle, un sourcil haussé avec ironie. Il éclata d’un rire profond. — Oh, bon Dieu, non ! Je ne me ferais pas du tout confiance. Non, je parle de Lara Armstrong. Elle est à Washington. Trouvez-la, comparez vos indices. Elle a saisi quelques fils intéressants, mais n’a pas encore trouvé sur lesquels il faut vraiment tirer. Une fois qu’elle l’aura découvert, elle sera en danger car personne ne veut que ces informations soient révélées. Votre ami, M. Crawford, en a fait l’amère expérience. La frustration était à son comble. Pourquoi ne pouvait-il pas tout simplement lui avouer ce qu’il savait ? — Je n’ai pas le temps de mener l’enquête, et ce n’est pas exactement ma partie. Dites-moi qui a tué mon frère et basta. Il secoua la tête, alors même que son sourire s’étirait de plus en plus. — J’ai été surpris que vous découvriez cette information-là aussi vite. Dites-moi, est-ce que ça a soulagé M. Bond, d’apprendre qu’il n’avait pas couché avec la maîtresse de son meilleur ami ? ricanat-il, avant de reprendre son sérieux. Il n’est peut-être pas coupable de meurtre, mais quoi qu’il arrive, ne faites pas confiance à Gabe Bond. Everly s’en doutait déjà. Elle se demanderait toujours ce qui serait arrivé s’il n’avait pas appris la vraie nature de sa relation avec Maddox. Aurait-il fini par croire un jour qu’elle n’avait pas couché avec Maddox ? Ou bien décidé au bout du compte qu’il ne voulait pas des restes de son ami et qu’il la lâchait ? Malgré tout ça, elle n’aimait pas entendre cet étranger parler ainsi de Gabriel. — Je ne pense pas que mes relations vous regardent en quoi que ce soit. — Si vos relations se mettent en travers de la vérité, alors si, elles me regardent. Mais pour qui se prenait-il, nom de Dieu ? — Vous m’avez fait venir ici pour me transmettre des informations… — Non, je vous ai fait venir ici pour vous indiquer une direction. Pour l’instant, vous n’allez pas dans le bon sens. Il tournait en rond, et ça commençait à irriter passablement Everly. — Dites ce que vous êtes venu dire, qu’on en finisse. Car pour le moment, je vous rangerais plutôt
dans la case théoricien du complot fouineur. — Ah, enfin la battante se réveille. Alors comme ça, vous n’aimez pas que je parle mal de Gabe Bond ? Vous en pincez sérieusement pour lui. — Encore une fois, ce ne sont pas vos affaires. Une fois qu’ils auraient découvert qui avait tué Maddox, Gabriel et elle ne se verraient plus qu’à l’occasion, autour du bébé de Sara. Elle pourrait reprendre son travail et son rythme d’une lecture de polar par semaine. Quant à Gabriel, il pourrait retourner à son ancienne vie de tombeur de ces dames à Manhattan. Pourquoi cet état de fait était-il aussi douloureux ? — Je n’ai rien contre Gabe en particulier, il est juste de mèche avec des gens qui doivent enfouir ces informations assez profondément pour qu’elles ne remontent jamais à la surface. Plusieurs factions se battent pour arriver en tête, dont certaines ne connaissent même pas l’existence des autres parties en présence. Dès qu’elles y verront plus clair et que vous commencerez à rassembler les pièces du puzzle, vous serez en danger. Croyez-moi, l’histoire n’en est qu’à son tout début. Ce que vous savez ne constitue que le coin minuscule d’un puzzle bien plus grand. — Est-ce que ça a un lien avec l’argent détourné ? Il fronça les sourcils. — Avec l’argent détourné ? Ainsi son informateur mystère ne savait pas tout. D’ailleurs, peut-être ne savait-il rien du tout. Everly secoua la tête. Ce type n’était probablement qu’un dingue, en fait. — OK, c’est quoi, l’arnaque ? Vous travaillez pour cette Lara Armstrong, qui qu’elle soit ? Oh, et puis, vous savez quoi ? Peu m’importe. J’en ai assez entendu. Et elle fit demi-tour. — Attendez. Je peux vous apporter les preuves de ce que j’avance. Avez-vous trouvé les photos des fillettes disparues dans le coffret de la pièce cachée ? Everly était pétrifiée. Même les flics n’étaient pas au courant, pour le coffre. Gabriel et elle n’avaient pas voulu qu’il soit mis sous scellés comme les autres preuves – ni déclencher des spéculations sur les préférences sexuelles de Maddox en remettant ce coffre aux enquêteurs. — Comment êtes-vous au courant de ça ? Il sourit. — Vous avez été très maligne, pour retrouver le chemin jusqu’à la sortie et échapper au feu. Il savait qu’il la tenait, et elle ressentait presque physiquement sa satisfaction. — Ne prenez pas cet air choqué. Je suis au courant de pas mal de choses que je ne suis pas censé savoir. C’est pour ça que vous devez vraiment m’écouter. — Pourquoi ne pas aller voir les autorités vous-même ? Il secoua la tête. — Je serais discrédité et ignoré. Comme je vous l’ai expliqué, je sais des choses, mais n’en ai pas de preuve tangible. Vous, mademoiselle Parker, possédez ce truc, cette sincérité, cette jeunesse en laquelle les gens croient. Et je ne doute pas un instant que vous découvrirez les preuves pour appuyer vos affirmations. Je vous dirigerai dans la bonne direction. — Pourquoi moi ? — Parce que vous étiez sa sœur, expliqua-t-il. Parce que vous avez les aptitudes nécessaires à la résolution de ce meurtre. Parce qu’il aurait souhaité que vous soyez heureuse et en sécurité. Elle avait des milliers de questions à lui poser, mais doutait qu’il réponde à aucune. — Qui êtes-vous ?
— Ça n’a pas d’importance. Je ne suis qu’un acteur mineur dans ce jeu. Je préserve mon identité pour sauver ma peau. Vous ne réussirez pas à la découvrir. Ne perdez pas un temps précieux à essayer. Sachez juste que je suis du côté de votre frère et vous. — Mais pas de celui de Gabriel. Il secoua légèrement la tête. — Je ne dirais pas ça. J’admire tous les amis de Maddox. C’est juste que je ne pense pas qu’il soit dans vos intérêts de leur faire confiance. Ces hommes-là ont leur amitié très à cœur. N’imaginez pas que vous réussirez à vous mettre entre eux – pas une seconde. Si Gabe doit choisir entre ses frères d’enfance et vous, il les choisira, eux. Il vous sacrifiera peut-être à contrecœur, mais il le fera. L’atmosphère dans le parking sembla soudain se refroidir. Oui, Gabriel avait des amis puissants, mais elle ne comprenait pas très bien où son mystérieux interlocuteur voulait en venir. — Pourquoi devrait-il choisir ? Les traits de l’homme se firent durs, son regard d’acier. — Parce qu’ils sont impliqués plus qu’ils ne le pensent, et c’est une autre raison pour laquelle je ne peux pas simplement vous raconter tout ce que je sais. Même si je détenais les preuves et que tout le monde me croyait, ils tenteraient d’étouffer l’affaire pour se protéger. Or la vérité doit éclater. — Je ne vous suis pas. Elle entendit le grondement d’un moteur de voiture au-dessus. — Je sais que ça fait beaucoup à digérer maintenant. Je vous ai envoyé les informations nécessaires pour les débuts, expliqua-t-il, et dans sa voix Everly perçut une pointe de frustration. Commencez par là. Soudain, le rugissement du moteur augmenta. Elle sentit le sol trembler tandis qu’une voiture de sport blanche passait en trombe. Bizarre. Peu de gens garaient leur véhicule si bas. Même au milieu d’une journée de travail, il devait rester des tas d’emplacements libres au-dessus. Certes, il y avait des employés qui craignaient de se garer à côté d’autres voitures, mais elle n’avait pas remarqué celle-ci à ce niveau, tout à l’heure. Elle se retourna vers son informateur mystère, espérant qu’il ne s’effraierait pas d’une présence étrangère dans le parking. D’autres questions lui brûlaient les lèvres, mais la plus importante nécessitait une réponse immédiate. — Vous faites allusion aux e-mails et aux SMS que vous m’avez envoyés ? Parce qu’ils ne contenaient aucune information. Un crissement de pneus déchira l’air derrière eux. Celui qui était assis au volant de ce véhicule conduisait vraiment comme un fou. — Non, je ne parlais pas de ça. Je parle des données. Quand elle lui répondit par un regard perdu en secouant la tête, il écarquilla les yeux. — Je vous ai envoyé une tonne d’informations, qui n’existent qu’en un seul exemplaire. Everly, si elles tombent entre les mauvaises mains, on pourrait tout perdre. Merde ! (Il semblait complètement paniqué.) Vous ne retrouverez jamais Sergeï sans ces données. Sergeï, l’homme que Mad mentionnait dans sa vidéo avec Gabriel, juste avant de prendre ce qui serait son dernier vol ? — Qui est ce Sergeï et pourquoi dois-je le retrouver ? demanda-t-elle, tandis que de l’ascenseur, non loin, s’échappait un « ding ». Les portes commencèrent à s’ouvrir, et elle tourna la tête, curieuse de voir qui descendait aussi bas dans le parking, en plein milieu de la journée. Avant qu’elle puisse distinguer celui ou celle qui occupait la cabine, un bruit plus inquiétant
emplit le sous-sol qui détourna son attention. Un moteur vrombit, assourdissant. Des pneus crissèrent. Puis elle aperçut la voiture blanche qui redescendait l’allée dans sa direction, à toute allure. Le véhicule approchait, et Everly attendait qu’il freine. Au lieu de quoi la personne qui conduisait appuya encore sur l’accélérateur et braqua les pneus droit vers elle. — Everly ! cria Gabriel, dont la voix couvrit le vacarme du moteur. Elle crut apercevoir une femme au volant. Valerie. La comptable n’avait pas l’intention de s’arrêter. Ni même de ralentir. Et elle ne bifurquait pas non plus vers le niveau inférieur. Non, Valerie fonçait droit sur elle, une expression assassine sur le visage. Et Everly, paralysée par la peur, ne pouvait que fixer la jeune femme des yeux. Tout à coup, elle s’envola en l’air, avant d’atterrir dans un bruit sourd, plaquée contre le ciment dur sous le corps puissant de Gabriel. En même temps qu’un grondement masculin, elle entendit le sifflement de la voiture qui passait à deux doigts, si près qu’elle sentit le courant d’air froid sur sa peau. S’ensuivit un bruit de tôle fracassée contre le béton, et à travers une sorte de brouillard, elle tourna la tête dans cette direction. La voiture s’était encastrée dans le mur devant lequel elle se tenait quelques secondes plus tôt. Si Gabriel ne l’avait pas percutée, l’envoyant rouler hors de portée du bolide, Valerie l’aurait tuée. Gabriel resta un bon moment ainsi, les bras étroitement serrés autour d’elle. Enfin, il démêla leurs membres et se redressa à genoux au-dessus d’elle. Il était blanc comme un linge. — Tu vas bien ? Je ne t’ai pas fait mal ? Elle était un peu secouée, mais dans son esprit, la situation était claire : il avait risqué sa vie pour sauver la sienne. Bien qu’essoufflée, elle parvint à se rasseoir. — Je crois que ça va. Merci. Dax se précipita, un semi-automatique à la main, le regard rivé à la voiture. — La Mustang a cogné le mur violemment, mais je dirais sans trop m’avancer que le bâtiment a emporté la bataille. Besoin d’une déménageuse ? ajouta-t-il à l’intention d’Everly. Ah, la joie d’avoir affaire à un homme qui connaissait le jargon ! Elle bougea ses bras et ses membres avec précaution, soulagée de constater que tout semblait en ordre. Non, elle n’aurait pas besoin d’une ambulance. — Merci, ça ira, mais si Valerie est toujours en vie, il va lui en falloir une. Dax hocha la tête. — Sortez du véhicule, les mains en l’air, cria une voix masculine, qui rompit le silence retombé sur le parking souterrain. Everly vit l’un des agents de sécurité s’approcher de la voiture. D’après ce qu’elle distinguait de sa place, tout l’avant du véhicule avait été embouti. Et de la fumée sortait du capot. L’airbag s’était déclenché et, d’après les mouvements qui l’agitaient, elle aurait parié que Valerie se trouvait coincée derrière, à se débattre pour tenter de respirer ou de se dégager. Mais elle eut beau regarder un peu partout, elle ne voyait en revanche plus aucune trace de son mystérieux interlocuteur. Il avait disparu, considérant probablement que la tournure des événements constituait soit une bonne raison soit une diversion idéale pour s’éclipser. Il se cachait. Everly ne se faisait pas de souci, il s’inventerait bientôt quelque nouvelle théorie du complot à propager pour le plaisir. Mais enfin, comment avait-il su, pour le coffret de Maddox ?
— Sortez de là et pas un geste brusque, répéta le gardien, sans quitter la voiture des yeux. Lentement, la jeune femme ouvrit la portière et sortit, un peu vacillante, en levant les mains en l’air. — Je regrette de t’avoir ratée, salope. Tu m’as tout pris. Elle portait toujours ses vêtements de créateur et ses onze centimètres de talons, mais son mascara lui barbouillait le visage et du sang tachait son chemisier. Ce qui lui donnait un air à la fois élégant et inquiétant. — Qu’est-ce que je t’ai pris ? ne put s’empêcher de demander Everly. — Maddox. Il était censé m’aimer. Il avait juré qu’il me désirait, pourtant au bout du compte, c’est vers toi qu’il allait. Toujours toi. Pourquoi me l’as-tu volé ? Je te déteste. Apparemment, Valerie n’avait pas vu la conférence de presse du matin. Et Everly en avait assez de se justifier. — Maddox n’était pas mon amant, c’était mon frère. Tu as essayé de m’écraser pour venger la perte amoureuse d’un homme que je n’ai jamais touché. Les pupilles de son interlocutrice se dilatèrent. — C’est impossible. Tu n’es qu’une menteuse. Une putain corrompue qui essaie de me détruire parce que tu voulais Maddox pour toi toute seule. C’est pour ça que tu as fabriqué des documents destinés à me faire limoger, mais je réussirai à prouver que c’est toi, la coupable. Et sinon, je ferai tout pour t’entraîner dans ma chute. Everly entendit les sirènes retentir au-dessus de sa tête. Elle s’apprêtait à voir débarquer la police sur son troisième accident en moins de quarante-huit heures. Elle grimaça. Jusqu’à quel point son après-midi allait-il encore se dégrader ? Gabe regarda Everly qui serrait la main de l’officier de police. Sa petite femme, toute en douceur et en courbes, avait géré la situation avec force et grâce. La plupart des filles seraient en train de pleurer, de trembler, de chercher du réconfort auprès d’autrui. Même Valerie, quand elle avait été emmenée, hurlait son intention de vengeance. Hystérique. Everly, elle, s’était contentée d’enchaîner sur sa tâche suivante, s’adressant aux policiers avec le plus grand calme, allant même jusqu’à rire et plaisanter à un moment donné. Découvrir cet aspect de sa personnalité constituait une révélation. Elle était parfaitement compétente, dans son élément. Tout le long du processus, elle ne s’était pas intéressée à lui, à une exception près : pour lui demander s’il avait besoin de quelque chose. Sur le coup, il avait répondu que non, mais il avait menti. Il avait besoin de la déshabiller et de l’allonger sous lui. Il avait besoin de poser les mains sur elle afin de s’assurer qu’elle était bien en vie. Bon sang, c’était lui qui avait besoin de réconfort. — Tout va bien ? s’enquit Dax, croisant les bras sur son large torse tout en observant les dégâts causés dans le parking souterrain. Machinalement, Gabe songea qu’il devrait faire venir un ingénieur en bâtiment, afin de s’assurer que cette garce complètement dingue n’avait pas fragilisé toute la structure de l’immeuble. — Pas vraiment. Je veux tout savoir sur cette bonne femme. Dax hocha la tête. — Après s’être penché sur les factures de banquets douteuses, Connor a travaillé là-dessus. Il a sorti le dossier de Valerie et découvert qu’elle avait omis de mentionner les différentes périodes durant lesquelles elle a été internée pour des problèmes émotionnels. — Tu déconnes ? Bon Dieu, mais comment a-t-elle pu être embauchée ?
— Allons, Gabe. Tu sais bien que les services de ressources humaines n’ont légalement pas accès à certains détails personnels. Apparemment, elle a tenté de faire effacer cette période de sa vie, mais Connor a découvert le pot aux roses sans trop de mal. Selon la rumeur, elle était aussi connue au bureau pour sa volonté de complaire par tous les moyens à ses supérieurs masculins. Ainsi donc, elle couchait volontiers. — Je ne comprends toujours pas à quoi elle faisait allusion en affirmant qu’Everly avait fabriqué de fausses preuves contre elle. En pleine réflexion, Dax haussa les sourcils. — J’imagine qu’elle tâche de persuader tout le monde qu’elle n’a jamais détourné de fonds. Mais ça devrait être relativement facile à prouver. Ça représente beaucoup d’argent. Si Valerie est bel et bien coupable, je doute qu’elle ait tout enterré dans des boîtes à café au fond de son jardin. On va étudier tout ça, mais j’aurais tendance à penser que sa tentative de meurtre sur Everly risque d’aggraver encore la peine qui lui pend au nez. Le rythme cardiaque de Gabe décrivit un nouveau pic. — Ça n’est pas drôle. — Il est trop tôt pour en plaisanter. OK, pigé. Désolé, mec, s’excusa Dax en le tapotant dans le dos. Qu’est-ce qu’Everly faisait ici, au fait ? Gabe n’avait pas réfléchi aux raisons qui avaient pu la conduire ici. Il voulait seulement la localiser pour s’assurer de sa sécurité. Par chance, l’un des gardiens l’avait vue qui se dirigeait d’un bon pas vers le parking souterrain. Sa progression avait été plutôt facile à surveiller grâce aux caméras, c’est ainsi qu’il l’avait retrouvée au dernier sous-sol. Qui ou qu’est-ce qui l’avait amenée ici ? Pas sa voiture, en tout cas. Selon ses propres affirmations, elle venait généralement au travail en métro, et Dax les avait conduits ici en limousine le matin. — Quand les portes de l’ascenseur se sont ouvertes, elle parlait avec quelqu’un, fit remarquer Gabe. Un homme, je crois. Je l’ai pris pour une connaissance, sauf que ce connard n’est même pas resté pour vérifier si Everly allait bien. Il a dû avoir peur, mais à présent je me pose des questions. La plupart des gens auraient naturellement supposé que Valerie avait eu un accident, et se seraient assurés que personne n’avait besoin de l’intervention d’une ambulance, ou bien seraient demeurés sur les lieux pour apporter leur témoignage à la police. Mais ce gars-là a choisi de mettre les voiles. — Tu sous-entends qu’il savait que ça n’avait rien d’un accident et qu’il a pris la fuite ? — Quelque chose comme ça. Sauf qu’il n’est pas parti en courant, mais en marchant. Maintenant que j’y repense, je l’ai trouvé étonnamment calme. — On dirait qu’Everly avait organisé une rencontre clandestine avec ce type. Gabe, à ton avis, il est possible qu’elle ait pu avoir rendez-vous avec un journaliste ? Il secoua la tête. — Non, elle ne ferait pas ça, du moins pas volontairement. — Bien des femmes se délecteraient d’attirer autant l’attention. — Pas Everly, fais-moi confiance. Il refuserait de croire à cette éventualité, à moins qu’il ne la surprenne dans une salle de presse et devant un micro, prête à faire une annonce en direct. Voilà qui méritait quelques secondes de réflexion. Il faisait donc confiance à Everly ? Cette révélation le sidéra. Oui, il lui faisait vraiment confiance. Il croirait ce qu’elle voudrait bien lui dire, car il connaissait cette femme jusqu’au tréfonds de son âme. Enfin, il ne connaissait certes pas tous les détails de son existence quotidienne – comment elle aimait ses œufs ou ses activités préférées pour un
dimanche après-midi au calme – mais il avait bel et bien cerné son caractère. — Tu es sûr ? demanda Dax. Pourtant le sourire de son ami confirma à Gabe que Dax faisait confiance à Everly, lui aussi, et insistait juste pour le plaisir de le lui faire admettre. — J’en suis certain. Si elle avait rendez-vous avec quelqu’un, eh bien c’était qu’elle pensait cette personne en mesure de nous aider. Je lui poserai la question. Il se passa une main dans les cheveux, conscient qu’il se retrouvait souvent dans le rôle de l’inquisiteur, ces derniers temps. — En ce qui me concerne, la journée est terminée pour elle. Après tout, elle a déjà été suffisamment rude. Tu pourrais aller chercher la limousine ? Je pense que la police en a bientôt fini ici, et je n’ai pas la moindre envie de m’attarder au bureau. Car il voulait être seul avec elle. La voir échapper de si peu à la mort aujourd’hui, savoir qu’il aurait pu la perdre de façon définitive avait changé quelque chose en lui. Certes, la nuit dernière avait été éprouvante, mais au moins il était là, avec elle à chaque étape. Aujourd’hui, en revanche, il avait juste été témoin de la tentative d’assassinat perpétrée par Valerie. Il était furieux qu’Everly se soit mise en situation de cible pour cette folle, mais il savait aussi fort bien que sa petite femme n’était pas descendue ici sous quelque prétexte égoïste. Gabe était conscient d’avoir tout gâché. Il aurait dû la croire quand elle avait juré que Mad et elle n’avaient jamais été amants, mais s’il avait eu tant de mal à admettre qu’elle ne mentait pas, c’était que jamais de sa vie il n’aurait pu croire à l’existence d’une personne telle qu’Everly Parker. Son cynisme risquait à présent de lui coûter la seule femme qu’il pouvait aimer. Et merde, voilà qu’il recommençait à penser à l’amour. Oui, il était tout à fait capable d’aimer Everly, à condition de franchir les murs qu’elle avait érigés autour d’elle, en gagnant sa confiance. Elle était sans doute du genre méfiante avant même de le rencontrer, ça, il en était sûr, mais ses commentaires idiots quand il avait parlé avec sa sœur au téléphone et ce fichu rapport du détective avaient transformé de simples mesures de protection bien naturelles en une véritable forteresse autour de son cœur. Sans compter son style de vie. Ça, il ne pouvait le nier. Bon sang de bon sang, il fallait vraiment qu’il passe du temps en tête à tête avec elle, qu’il découvre ce qu’elle fabriquait ici, à qui elle parlait, et quel goût délicieux elle aurait à présent qu’il était conscient de ses propres sentiments envers elle. Ensuite, il lui faudrait trouver un moyen de regagner sa confiance. Après un hochement de tête à l’intention de l’officier avec qui elle conversait, Everly revint dans la direction de Gabe, son sac nouvellement rempli à l’épaule. Sa robe neuve avait un accroc au niveau du genou et une énorme tache de poussière à l’épaule. Malgré tout, elle était si belle qu’il eut toutes les peines du monde à se refréner et à s’abstenir de la toucher. Même dans cet environnement sinistre, elle rayonnait. — Les urgentistes m’ont examinée : comme je ne montre aucun signe de commotion, ils m’ont relâchée, pas besoin d’aller à l’hôpital pour passer des examens. Quant à la police, je pense qu’ils en ont fini avec la paperasserie pour ce soir. Je vais devoir retourner au commissariat demain pour témoigner, mais les caméras de surveillance ont dû filmer la majeure partie de l’accident. À mon avis, Valerie aura du mal à prétendre qu’elle a raté le virage. Portant une main à sa hanche, elle plissa les paupières. — Je vais supposer que tu m’as trouvée grâce aux caméras. Tu ne m’as pas greffé une puce de géolocalisation sous la peau pendant la nuit, tout de même ? Non, mais il y songerait peut-être pour la suite. Il n’avait pas aimé ignorer où elle était passée.
Cette fille avait une fâcheuse tendance à ne pas rester où il la laissait. Était-ce trop demander que d’espérer ne pas avoir besoin d’en venir à des mesures aussi drastiques ? Que le danger finisse par disparaître ? Manifestement, c’était Valerie, le méchant, dans le mystère que Mad avait laissé derrière lui. Sauf que Gabe n’était pas tout à fait convaincu. — Ce sont les gardiens qui m’ont aidé à te retrouver. — D’accord. Je vais te croire, parce que je suis vraiment ravie de ne pas avoir fini en cadavre aujourd’hui. Il y a une raison particulière pour laquelle tu as décidé de me traquer jusqu’ici au beau milieu de l’après-midi ? Comment réussissait-elle à instiller ce sentiment de culpabilité en lui reprochant d’avoir envahi son espace personnel, alors qu’elle aurait dû le remercier de lui avoir sauvé la vie ? — On a trouvé la preuve que c’est Valerie qui s’est introduite dans ton bureau. Et puis, je… Comment expliquer ça sans passer pour un dingue ? — … j’ai eu le pressentiment que tu étais en danger et que je devais te trouver. — D’autant que personne ne savait où Valerie était passée, ce qui n’a pas aidé, ajouta Dax. — OK, ça paraît logique. Clairement, elle en avait après moi – pour des tas de mauvaises raisons, soupira-t-elle. Les policiers semblent penser que c’est elle qui a engagé les gars de Brighton Beach pour incendier la maison de Maddox, car elle aurait découvert qu’il enquêtait sur elle. — C’est logique, admit Gabe. Je me sentirai mieux une fois qu’on aura retrouvé l’argent qu’elle a détourné. Au moins cela prouverait sans l’ombre d’un doute qu’elle était coupable, et pas seulement cinglée. — Sans doute, fit Everly, qui posait sur lui un regard songeur. Je jetterai un coup d’œil à ses finances dès que je pourrai, mais je ne suis toujours pas persuadée qu’elle a été en mesure de faire exploser un avion. Dax s’éclaircit la gorge. — Euh, le mystère est levé sur ce point. J’ai reçu un coup de fil de Roman pendant qu’Everly parlait à la police. La FAA a révisé sa position quant au crash. Ils disent que les produits chimiques découverts sur le site provenaient de résidus ramassés sur place et non à bord de l’avion lui-même. Apparemment, il existe une usine de produits chimiques dans le coin, sur laquelle l’EPA enquête, car elle déverserait illégalement ses déchets dans un cours d’eau de la région. Bref, termina-t-il en déglutissant, ils concluent à l’erreur de pilotage. Alors même que ce revirement semblait lever la menace d’accusation de meurtre qui planait jusque-là au-dessus de sa tête, Gabe sentit un frisson glacé lui caresser la peau. — N’importe quoi ! Mad n’aurait jamais déconné au point de crasher son avion. Everly semblait paralysée, elle aussi. — Tu en es certain ? Il y avait une tempête, cette nuit-là. Gabe secoua la tête. — Mad a volé dans les pires conditions qui soient. Peu après le jour où on a décroché notre brevet de pilote, il a subi une panne d’équipement par épais brouillard, et il s’en est pourtant sorti sans problèmes. Ce n’est pas un petit orage qui aurait pu le détourner de sa feuille de route. Et s’il avait pensé que l’avion tombait, il possédait les connaissances techniques et l’équipement pour s’éjecter en parachute. Aucun appel de détresse n’a été émis. Pas un seul SOS. — Tu es particulièrement calé en matière d’avions, et Mad en savait presque autant que toi. Non, tout ça me fait l’effet d’une tentative de dissimulation, commenta Dax, le visage tendu. — Je veux avoir accès à la boîte noire. Après examen, je pourrai vous dire absolument tout ce qu’a fait Mad. Mais c’était un bon pilote, et son avion était équipé d’un système de sécurité et de
navigation high-tech. Ce bijou vole presque tout seul. Je ne vois pas pour quelle autre raison la FAA aurait soudain changé ses conclusions. — Quelqu’un a quelque chose à cacher, chuchota Everly Elle était si pâle qu’on aurait cru qu’elle venait de voir un fantôme. Encore une fois, la journée avait été longue pour elle. Par précaution, Gabe se faufila à ses côtés. — L’argent. Ce genre de saloperies a généralement à voir avec l’argent, or je suis le seul à qui la mort de Mad bénéficiait. — Pour autant que nous sachions, précisa Everly, soudain pensive. — Rien de tout ça n’a de sens, reprit Gabe en haussant les épaules. Qui d’autre aurait pu souhaiter la mort de Mad ? Everly hésita, avant de répondre, manifestement à contrecœur : — Gabriel, tu as des amis très puissants qui pourraient convaincre la FAA de fermer les yeux. Il se figea, avec l’impression que ses pieds s’enfonçaient dans le sol alors que le sens des paroles d’Everly pénétrait dans son cerveau. — Tu penses que j’ai demandé à Zack de corrompre la FAA ? — Je pense que si quelqu’un aurait pu le faire, c’est bien le président. Ou alors Roman, peut-être. Je doute qu’un chef d’État mette lui-même les mains dans le cambouis. Elle se mordit doucement la lèvre inférieure tout en réfléchissant au problème. — Tu as le soutien de la Maison-Blanche, ajouta-t-elle, et ton ami Connor est manifestement très doué dans son travail, qui doit être en lien avec l’espionnage. À eux trois, ils pourraient très bien couvrir n’importe quoi. Immobile, il la dévisageait. Everly pensait donc qu’il avait tué Mad ? — Gabe n’aurait jamais fait ça, affirma Dax, sa voix résonnant dans le parking comme une impitoyable menace. Elle ne pouvait pas le désirer si elle le prenait pour un meurtrier. Jamais elle ne parviendrait à lui faire confiance si elle le pensait capable d’un acte aussi haineux envers celui qui avait été comme un frère pour lui, et qui était son frère, à elle. Elle leva les yeux sur Dax. — Bien sûr que non, il n’aurait pas fait ça. Ne soyez pas ridicule. N’empêche qu’il reste le suspect numéro un. Tout mène à lui. Vos amis auraient-ils pu essayer de te couvrir, Gabriel ? Auraient-ils essayé de te protéger ? Une vague de soulagement le balaya, et soudain peu lui importait qu’ils soient au fond d’un parking souterrain avec trois des plus brillants enquêteurs de New York, deux agents de sécurité, un urgentiste et un photographe de scènes de crime. Il parcourut la distance qui le séparait d’elle et enfonça les doigts dans ses cheveux, pour soulever son visage vers lui. — Qu’est-ce que tu… ? Sans lui laisser le temps de terminer sa question, il lui couvrit les lèvres des siennes. Il avait besoin d’être proche d’elle, de sentir son corps contre lui. Il lui prit la bouche en une longue et lente caresse. Et à l’instant où elle se détendit contre lui, il l’envahit. Il mêla leurs langues dans une danse sensuelle. La façon dont elle se pelotonnait contre son corps le réconfortait, comme la pression de ses petites mains à sa taille alors qu’elle fondait. Au moins elle était honnête avec lui quand il l’embrassait. Les difficultés d’Everly à faire confiance et les paroles idiotes qu’il avait prononcées ne comptaient plus, dans ces moments-là. Se trouver ainsi collé à elle était excitant, une sensation qui avait plus à voir avec son besoin de la marquer de son sceau qu’avec un simple désir sexuel. Ce qu’il éprouvait pour Everly était beaucoup
plus complexe. Dévorant. Mais il ne pouvait pas satisfaire son besoin d’elle ici. Il ne pouvait la faire sienne comme il en brûlait d’envie, s’il voulait conserver une chance de la garder auprès de lui. Avec un grondement frustré, il brisa leur étreinte, non sans s’être accordé un dernier effleurement de ses lèvres, avant de poser le front contre le sien pour la respirer un moment encore. — Tu croyais que je t’accusais de quelque chose ? demanda-t-elle, les mains toujours à sa taille. — Je suis heureux qu’il y ait au moins une personne intelligente, dans ce couple. Il allait devoir ramper. Il était prêt à tomber à genoux et à la supplier, s’il le fallait. Il ferait n’importe quoi pour gagner son pardon et la persuader de la profondeur de ses sentiments. Elle pouffa. — Je sais que tu n’aurais jamais fait le moindre mal à Maddox. Enfin, je pense que tu lui aurais volontiers flanqué une bonne raclée, mais tu n’aurais pas tué ton ami. Tu ne tuerais personne. Sur ce point, elle se trompait. Une heure plus tôt, il avait voulu serrer le cou de Valerie entre ses mains, et ne pas s’arrêter tant que n’aurait pas disparu la menace qu’elle faisait peser sur Everly. Quand il songeait aux personnes qui avaient failli la tuer au cours des quelques jours qui venaient de s’écouler, il se sentait parfaitement capable de tuer, avec sauvagerie même. — C’est vrai, jamais je n’aurais mis fin aux jours de Mad. Je vais me renseigner pour savoir si Zack et Roman s’inquiètent qu’on tente de me piéger. Il lui donna un dernier baiser, puis s’écarta pour jeter un coup d’œil inquisiteur en direction de Dax. Celui-ci secoua la tête. — Moi, je ne sais rien là-dessus. Et tu peux aussi rayer Connor de ta liste, il t’en aurait parlé en face. Je ne dis pas qu’il ne couvrirait pas un ami, mais il s’arrangerait d’abord pour connaître la vérité, ce qui impliquerait de te soumettre à un interrogatoire très désagréable. Everly leva les yeux vers lui. — Tu ne comptes pas en rester là, pas vrai ? — Pas tant que j’aurai encore un souffle de vie. La mort de Mad n’était pas un accident. Ça, il le savait avec certitude. Et peu importait si sa conviction le faisait passer pour un naïf, voire un crétin, pas question d’abandonner quand il pouvait aider ceux qu’il aimait. La mort de Mad ne diminuait en rien la force de leur lien. — Je lui dois bien ça. — On le lui doit tous, acquiesça Dax. Everly le regardait à présent, avec dans les yeux une résolution qu’il n’y avait jamais décelée. — Il se trompe à ton sujet. L’homme que j’ai rencontré tout à l’heure, je veux dire. (Elle serra la mâchoire et glissa la main dans la sienne.) Juste avant les obsèques, j’ai reçu un message, puis d’autres ensuite, de la part d’un individu qui affirme savoir ce qui est arrivé à Maddox. Alors, un peu plus tôt dans l’après-midi, j’ai accepté un rendez-vous avec lui. Gabe s’accorda un temps pour digérer ces paroles. Elle lui avait caché des informations. Il s’était montré honnête, et elle lui avait menti. — Bon sang, Everly, c’était dangereux. Et il n’allait pas lui en tenir rigueur, car il ne pouvait se permettre de s’emporter et de la laisser s’éloigner. La muraille dont elle s’entourait comportait désormais une brèche, et il n’allait pas lui offrir la moindre occasion de la colmater. Elle lui avouait la vérité maintenant, c’était tout ce qui comptait. — Le risque était calculé, répondit-elle en haussant les épaules. Je portais une arme. J’aimerais
consulter les vidéos des caméras de surveillance, mais je doute qu’on ait un aperçu très net du gars en question. Il portait un chapeau et gardait la tête baissée. Si toutefois on réussit à obtenir une image de son visage, je connais des logiciels de reconnaissance faciale qui pourraient nous aider à l’identifier. Il faudra pour ça que je pirate le site du FBI… à moins que l’un de tes copains ne soit partant pour nous aider. Alléluia ! Voilà qu’elle trouvait enfin un élément positif dans son style de vie. En effet, il possédait des amis en mesure de l’aider à pirater des sites gouvernementaux majeurs. Bon OK, sa vie aurait peut-être été plus facile aux côtés d’une fille qui se contenterait d’un bracelet de chez Tiffany. Mais ce n’était pas le genre de sa déesse geek. — Je te jure que je parlerai avec Roman, on t’obtiendra tout ce dont tu as besoin. À présent, raconte-nous ce que tu sais. Gabe se faisait la promesse de la protéger. Il ne voulait pas qu’elle reçoive des SMS de quelque connard complètement dingue qui la convaincrait encore de le rencontrer. C’était trop dangereux. Cette seule idée le rendait fou. — Pas ici, murmura-t-elle. Je n’ai pas suffisamment de preuves pour mêler la police à tout ça. Et les éléments qu’on pourrait leur communiquer risqueraient de fuiter dans la presse. Je crois que nous devons mener notre propre enquête jusqu’à ce que nous apprenions de façon certaine qui cache quoi et que nous soyons en possession de preuves tangibles. Elle avait raison, le lieu était mal choisi pour parler de ça. — Dax, tu peux approcher la limousine ? On ferait bien de filer d’ici. Everly secoua la tête. — Je dois remonter récupérer mon ordinateur portable. — Non. Valerie ne reviendra pas, on va demander à la sécurité de verrouiller ton bureau. Tout sera sécurisé. Et il refusait de laisser Everly argumenter sur ce point. Elle venait à nouveau d’échapper de justesse à la mort, alors pas question qu’elle remonte là-haut et arpente tranquillement les couloirs. Il était urgent au contraire qu’elle prenne un petit congé le temps qu’ils découvrent qui tirait ces ficelles fatales. Les épaules de sa petite amie se soulevèrent et retombèrent sous la force de son soupir. — J’ai vraiment besoin de cet ordinateur et d’un tas d’autres bricoles qui se trouvent dans mon bureau. Gabe croisa les bras, déterminé. — Non. Everly secoua la tête, résignée. — OK. Au moins il se trouve dans mon coffre, alors je sais que personne ne fera main basse dessus. En revanche, on doit discuter de l’endroit où je vais dormir ce soir, car je pense qu’il est temps de prendre un peu de recul. Il s’approcha suffisamment pour qu’elle l’entende susurrer : — Ce n’est pas l’impression que j’ai eue quand je t’ai embrassée, tout à l’heure. — Ce n’est pas parce que mon corps réagit au tien que nous faisons un bon couple hors du lit, Gabriel. Il reste des tas de questions en suspens entre nous, qui ne pourront pas être résolues par une partie de jambes en l’air. Je vais terminer ce que j’ai à faire avec la police. Sur quoi elle se dirigea vers l’inspecteur, faisant claquer ses talons sur le béton. Avec une grimace, Gabe admira le balancement de ses hanches. Mais quand elle se tourna, il vit aussi sur son visage qu’elle était fatiguée. De se battre contre lui ? D’être obligée de se soumettre à
ses exigences quand cela allait manifestement à l’encontre de sa nature profonde ? S’ils avaient eu une relation normale, il aurait cédé au moindre de ses caprices. Il aurait ainsi pu lui prouver toute l’étendue de sa patience. En l’occurrence, il semblait au contraire qu’il passait la moitié de son temps à l’agacer, à la plonger dans un état de stress et d’anxiété lorsqu’il essayait de la protéger tout en tâchant de ne pas s’énerver quand elle résistait. Durant l’autre moitié du temps, quand ils étaient seuls, il avait découvert à la fois une aisance et un désir dont il n’aurait jamais soupçonné l’existence, et qui manquaient à toutes ses relations précédentes sans exception. S’il y allait trop fort avec Everly, il la perdrait. — Je vais avancer la voiture, mais je ne nous conduis pas directement chez Connor, indiqua Dax. Tu as besoin de passer un peu de temps seul avec cette fille. Elle n’est pas contente de toi, frangin. Tu vas devoir ramer un peu. Et par ramer, j’entends t’affairer à la faire hurler. J’ai découvert que les femmes sont toujours plus heureuses après qu’on leur a donné un orgasme ou deux. Gabe n’était pas sûr qu’il soit vraiment judicieux d’écouter les conseils ès relations de Dax. — Dit l’homme que sa femme a quitté. — Oui, eh bien, j’ai passé une année sur un bateau, du coup c’était compliqué, pour les orgasmes. Pas étonnant qu’elle m’ait largué. Dax lui donna une claque dans le dos, avant de poursuivre : — Fais-moi confiance, je sais de quoi je parle. Tu dois te rabibocher avec cette fille, Gabe. Elle est parfaite pour toi. Il hocha la tête. Oui, c’était la femme de sa vie. Jamais au grand jamais il n’aurait imaginé la trouver, surtout pas dans cette ambiance mortifère, chaotique et dangereuse. Cependant, était-il pour autant l’homme de sa vie ? En tout cas, une chose était certaine : même s’il ne l’était pas, il ne se pensait pas capable de la laisser partir.
1. Quartier majoritairement russophone sur la péninsule de Coney Island, à la pointe sud de New York. Il est surnommé « Little Odessa ». (N.d.T.)
15 Dans le hall d’entrée du bâtiment de Crawford Industries, Everly attendait que Gabe la rejoigne pendant que Dax conduisait la limousine devant l’entrée. Elle envisagea sérieusement de quitter l’immeuble pour prendre le métro. En deux temps, trois mouvements, elle serait chez elle. Là, elle verrouillerait toutes les portes et laisserait sonner son téléphone, histoire de ne pas avoir à affronter Gabriel Bond du tout. Oui, elle pourrait tout à fait se terrer, lancer un marathon de Docteur Who ou traîner sur Internet. Elle pourrait aussi rassembler toutes les informations en sa possession sur Valerie et tenter de voir si elle avait un lien avec ces deux malfrats. Enfin, elle pourrait essayer de trouver l’identité de son informateur car oui, malgré sa mise en garde, elle allait bien évidemment essayer. Au moins, cette débauche d’activité lui éviterait de penser à Gabriel ou de redouter de craquer pour lui. Elle resterait cachée en tâchant de redevenir la femme qu’elle était avant de le rencontrer. Sauf qu’il ne s’écoulerait pas bien longtemps avant que son copain super flippant, l’espion qui travaillait sans doute pour le compte de la CIA, ne s’introduise chez elle. Et là, elle aurait droit au sermon de sa vie. Alors non, elle n’allait pas fuir. Ce serait sans doute préférable pour sa sérénité, mais pas question de filer comme un petit animal apeuré. Elle allait lui parler, insister jusqu’à le convaincre qu’elle avait besoin de temps pour digérer tout ce qui était arrivé. Le problème, c’était qu’au fond, elle n’avait pas vraiment envie de passer du temps loin de Gabriel. Non, elle voulait être avec lui – dans tous les sens de l’expression –, surtout après avoir à nouveau vu la mort d’aussi près. — Oh non, ta robe ! Elle est fichue. Tu vas bien ? Scott sortit de l’ascenseur comme une flèche et se rua vers elle, l’air inquiet. Qu’avait-il entendu au sujet de l’incident avec Valerie ? — Quelques bosses, quelques égratignures, mais autrement, tout va bien. — Dieu merci. La rumeur circule que Val a essayé de te tuer, ajouta-t-il d’une voix légèrement tremblante. Elle commençait à en avoir plus qu’assez, du téléphone arabe de Crawford. Hélas, cette fois, il se révélait fiable. — Valerie s’était fait de fausses idées quant à ma relation avec Maddox, répondit-elle avec une désinvolture feinte. Mais j’ai survécu. — C’est ma faute, affirma Scott en baissant les épaules. Je savais qu’elle ne t’aimait pas, j’aurais dû intervenir. — Tout le monde savait qu’elle ne m’aimait pas, Scott. Il plongea un regard coupable dans celui d’Everly.
— Mais moi, je savais pourquoi elle te haïssait. Voilà qui était un peu déroutant. — Tu savais qu’elle avait eu une liaison avec mon frère ? — Je ne m’habitue toujours pas à l’idée que tu es la sœur de Maddox, mais oui. À un moment donné, Val faisait office de ce que la plupart des hétéros mâles qualifient de « plan cul régulier ». Everly grimaça. — OK, inutile d’être aussi explicite. — Désolé. Un peu plus tôt dans l’année, Crawford voyait Valerie de temps en temps. Souvent, elle restait tard au bureau, au cas où il aurait eu envie d’elle. Ça n’a jamais été du sérieux, pour lui. Une fois, j’étais sorti boire un verre avec Tavia et Val après le boulot, et Crawford l’a appelée. — Genre… pour lui proposer la botte ? Scott hocha la tête. — Exactement. Il lui a dit qu’il était soûl, mais qu’elle pouvait le retrouver dans un hôtel si elle voulait baiser. A priori, elle se fichait pas mal de passer pour une désespérée en acceptant. Elle s’est levée d’un bond et a quitté le bar. D’après Tavia, sitôt que Crawford lui faisait signe, Val accourait. — Du coup, quand récemment, il s’est mis à passer pas mal de ses soirées chez moi, elle en a déduit que j’étais une concurrente. — Oh, tu ne boxais pas dans la même catégorie. Il tenait à toi, alors que même pendant leur relation, il ne lui adressait guère la parole pendant la journée. Mais elle se voilait la face. Tavia disait qu’à la pause déjeuner, elle racontait à ses amis que Crawford allait l’épouser. Et elle déblatérait sur toi, la putain qui essayait de le lui voler. Eh bien, il n’y avait décidément plus une journée sans que quelqu’un l’accuse de prostitution. — J’espère pour elle qu’on lui proposera de l’aide en prison. (Et qu’elle y restera longtemps.) Ce n’est pas ta faute, Scott. Moi non plus, je ne t’en aurais sans doute pas parlé si quelqu’un avait raconté des horreurs derrière ton dos sans que tu puisses rien y changer. Val et moi, on n’était pas amies, je savais qu’elle ne m’appréciait pas. — Jamais je n’aurais imaginé qu’elle deviendrait complètement dingue et s’en prendrait à toi physiquement. — Eh bien, si, tu vois. Mais j’essaie de considérer les choses du bon côté : au moins, maintenant, ce sera beaucoup plus facile de passer ses dossiers à la loupe pour découvrir où est passé l’argent qu’elle a détourné. Tu as fait de la compta, toi, non ? Il se redressa quelque peu. — Exact. — Et tu es doué ? — Comme dans tout ce que je fais, ma belle. Un franc soulagement envahit Everly. Enfin, elle allait peut-être obtenir des réponses concrètes sur les raisons de l’assassinat de Maddox. — Tu pourrais te pencher sur la compta du gala de la fondation pour les dernières années écoulées ? J’adorerais me faire une idée précise de ce que Val manigançait. Si je pouvais découvrir comment et où elle détournait cet argent, ça m’aiderait énormément. — Pas de problème, je peux tout à fait jeter un coup d’œil. À coup sûr, elle était de mèche avec des traiteurs, histoire qu’ils surfacturent leurs prestations et puissent ensuite se partager les bénéfices entre eux. Mais je te tiendrai au courant si je vois autre chose. — Merci. J’aimerais beaucoup profiter de tes lumières. Je dois découvrir ce qui s’est passé. Ça pourrait être la cause du meurtre de mon frère.
Même si l’idée d’une Valerie émotionnellement instable qui serait parvenue à tuer Maddox en trafiquant son avion ne cadrait toujours pas selon Everly. Si Valerie avait voulu tuer Maddox, elle l’aurait sans doute poursuivi avec un couteau ou aurait essayé de le ruiner, elle n’aurait pas posé une bombe dans son avion. Et par ailleurs, pourquoi quelqu’un aurait-il tenté de couvrir son crime ? Malheureusement, à l’heure actuelle, il n’y avait pas d’autre suspect. Son mystérieux contact ne lui avait pas fourni beaucoup d’informations sur lesquelles travailler. Oh, elle irait dénicher les indices qu’il avait mentionnés, elle ferait aussi ses recherches sur Lara Armstrong, histoire de voir si elle déterrait quelque autre idée ou preuve, mais elle ne voyait pas comment cela pourrait conduire à autre chose qu’un cul-de-sac. Scott la dévisagea quelques secondes, puis il hocha la tête. — Pas de problème, tu peux compter sur moi. — C’est un sacré soulagement. Gabriel a appelé un comptable juriste à la rescousse, mais j’ai besoin de réponses tout de suite. Même un coup d’œil vite fait, ça m’aiderait. — Un comptable juriste ? répéta Scott, les yeux écarquillés. OK, bon, je ne suis pas surdoué non plus, mais je te prépare un rapport dès que possible. Ça ne devrait pas être trop compliqué. Voilà au moins un problème qui était en passe d’être réglé. — Merci, Scott. Appelle-moi quand ce sera fait, OK ? — Promis. Il tourna la tête. Gabriel se dirigeait vers eux à grandes enjambées. — On dirait que ton escorte est là. Everly serra rapidement Scott dans ses bras, sentant les yeux de Gabriel rivés sur elle. Quand elle reporta son attention sur lui, il était planté là, à les observer. Une lueur possessive brillant dans ses iris. Puis, avec un effort visible, il parvint à se détendre et à offrir un sourire à Scott, avant de prendre la main d’Everly. Quelques instants plus tard, ils franchirent ensemble les portes du hall d’entrée et il la poussa vers la limousine. Seuls quelques journalistes traînaient encore dans les parages. Gabriel avait vu juste : entre l’annonce de son lien de parenté avec Maddox et celle de la FAA confirmant la thèse de l’erreur de pilotage, Gabriel et elle n’intéressaient plus beaucoup les médias. Alors que Dax démarrait, Everly respira un peu mieux. Puis elle remarqua que l’on avait levé la paroi qui les séparait du chauffeur. Ce qui donnait à l’immense habitacle de la limousine un côté très intime. Elle était seule avec Gabriel. Et très consciente de son regard intense posé sur elle. — Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle d’une voix moins assurée qu’elle ne l’aurait voulu. De son côté du siège, il continuait à l’observer, ses pupilles bleues si brillantes qu’elles menaçaient de la transpercer. Un début de barbe très sexy ombrait ses mâchoires. — Il faut qu’on parle, toi et moi. Il avait raison, sauf qu’elle ne souhaitait pas aborder le sujet qu’il avait probablement en tête. — Je ne sais pas. L’homme avec qui j’ai parlé cet après-midi m’a conseillé de ne pas te faire confiance car tu te rangerais toujours du côté de tes amis quand toute cette affaire s’envenimerait. Il se redressa sur la banquette, l’air très sérieux. — On est dans le même camp. Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire, ce genre de déclaration ? Au moins il ne la regardait pas comme si elle n’était qu’un tout petit lapin qu’il s’apprêtait à dévorer goulûment. — J’aimerais bien que tu me le dises. — Bébé, je ne sais même pas ce que t’a raconté cet enfoiré. Rien de très flatteur me concernant,
apparemment. Comment est-il au courant de quoi que ce soit, d’abord ? Et qu’est-ce qui nous dit que ce n’est pas juste un journaliste ? Elle s’était elle-même posé la question. — Il m’a demandé si nous avions trouvé les photos des fillettes dans le coffret de la pièce cachée. Sa révélation le secoua. — Comment a-t-il su qu’on avait découvert une pièce cachée, ou un coffret, et surtout ce qu’il contenait ? — Aucune idée. Il lâcha un soupir. — Mad avait fait installer des caméras un peu partout dans sa maison, pour… des raisons de sécurité. Quelque chose dans la façon dont il prononça le mot « sécurité » intrigua Everly. — Je supposais qu’elles avaient été détruites lors de l’incendie, reprit-il, mais peut-être pas. — Des « raisons de sécurité » ? Dis plutôt qu’il avait fait poser des caméras afin de se garder des sex-tapes sous le coude. Elle connaissait son frère. Il avait été un ami génial avec elle et un pervers absolu avec les autres femmes. Les lèvres de Gabriel se retroussèrent légèrement. — OK, il ne les a peut-être pas toujours utilisées pour sa sécurité. N’empêche que je ne vois pas comment, sans ça, notre homme aurait eu vent de l’existence de cette pièce ou du coffret. Reste à savoir comment il pouvait se trouver à l’intérieur de la maison avec nous. Ça, c’était sa partie à elle. À l’université, elle avait réussi à attraper l’exhibitionniste du campus en piratant les caméras de surveillance de sa résidence universitaire. Elle ne l’avait pas dénoncé, d’ailleurs, elle voulait juste prouver qu’elle en était capable. Le gars s’était révélé particulièrement bien doté par la nature, et au bout d’un moment, tout le monde attendait avec impatience son apparition mensuelle. — Il n’était pas forcément dans la maison avec nous. S’il a réussi à détourner les enregistrements, il pouvait très bien nous observer à distance. Et ce, pendant toute la soirée. L’expression furieuse qui s’était peinte sur le visage de Gabriel en disait long sur ce qu’il pensait de cette idée. À la vérité, elle ne plaisait pas non plus à Everly. — Cela dit, ça n’explique pas comment il aurait été au courant des photos dans le coffret, fit-elle remarquer. Car on ne l’a pas ouvert chez Maddox. Gabriel se pencha vers l’avant pour jeter un coup d’œil au petit écran de contrôle situé de son côté de la limousine, afin de s’assurer que Dax ne l’entendait pas. — Il n’existe qu’un seul autre moyen pour que notre homme ait été au courant : qu’il soit en contact avec Dax, Connor ou Roman. Mais je ne crois pas qu’ils nous trahiraient. Elle non plus n’y croyait pas, mais elle était étonnée qu’il envisage ses amis comme des suspects potentiels ne serait-ce qu’une seconde. — À moins que mon informateur n’ait surveillé Maddox chez lui pendant des semaines et ne l’ait vu remplir le coffret sur les vidéos. — Pourquoi aurait-il fait ça, hormis s’il s’intéressait à lui avant même sa mort ? Gabriel pencha la tête et posa sur elle un regard perçant, presque défiant. — Ton informateur est peut-être impliqué dans cette affaire. Everly voyait où il voulait en venir, à savoir que son informateur n’avait peut-être pas été un simple spectateur dans le meurtre de Maddox, mais elle envisageait l’affaire sous un angle différent.
— Maddox était aussi un sujet intéressant de son vivant. Si ça se trouve, ce type le surveillait dans le but de fournir des sex-tapes ou autres informations juteuses aux tabloïdes, et il a continué à regarder les enregistrements pour voir ce qui se passait pendant l’enquête sur son meurtre. Gabe se figea, puis il relâcha son souffle. — Tu as une idée de qui ce gars peut bien être ? — Non, mais il sait des tas de choses. Il affirme m’avoir envoyé des informations qui peuvent m’aider à comprendre le meurtre de Maddox. Jusqu’à présent, tout ce que j’ai reçu de lui, c’est un email et quelques SMS cryptiques. Il prétend pourtant m’avoir envoyé d’autres infos, qu’il a qualifiées de « données », mais moi, je n’ai rien réceptionné de tel. Quelqu’un m’a bien fait parvenir un appareil photo, mais il contient des photos, pas des données. J’ai téléchargé certains de ces clichés avant que mon ordinateur portable ne me lâche. Si tu m’avais laissée aller récupérer ce satané engin, j’aurais pu transférer les photos sur l’ordinateur de Connor. — Désolé, soupira-t-il. J’essayais de te protéger. Je te promets qu’on les récupérera demain matin à la première heure. Valerie ne s’introduira pas dans ton bureau depuis sa cellule. Maintenant explique-moi ça. C’était bien parce que Valerie était en garde à vue qu’Everly n’était pas remontée en trombe dans son bureau pour rassembler ses preuves. — Apparemment, quelqu’un nous surveillait, Maddox et moi, avant sa mort. Quelqu’un qui m’a envoyé un appareil photo avec une carte mémoire à l’intérieur. Une carte SD qui contenait des photos. (Elle leva la main, car Gabriel semblait sur le point d’exploser.) Je vais me connecter à distance ce soir et je te montrerai les images que j’ai pu télécharger. Promis. Et demain, on pourra visionner les autres. Inspire un grand coup, ça va aller. Il redressa les épaules. Dans cette posture, il paraissait encore plus impressionnant. Everly commençait à reconnaître les signes extérieurs de sa colère ou de son inquiétude. — Il a pris des photos de toi avant la mort de Mad ? Oui, là, il allait piquer une crise. — Je pense qu’il en sait beaucoup sur moi. Dans tous les domaines. Il a dit qu’il y avait plus derrière la mort de Maddox que ce que nous voyions. Bien plus. J’en déduis qu’il entend par là que ce qui s’est passé va au-delà du meurtre. Il a mentionné le nom de Sergeï. On est censés trouver un type de ce nom-là. Gabriel serra les mâchoires. — Le jour de sa mort, Mad m’a questionné sur un certain Sergeï, sauf que je n’en connais aucun. Ton informateur mystère t’a indiqué comment on était supposés le trouver ? — Pas nous. Moi. Je suis censée dénicher Sergeï seule. L’informateur m’a dit de ne pas te faire confiance. Pourtant, elle sentait qu’elle le pouvait. Ou bien était-ce juste parce qu’elle voulait vraiment croire que son cœur ne la tromperait pas à ce point ? — Je te le jure sur tout ce que j’ai de plus cher : quand on aura démêlé ce bazar, je vais flanquer une raclée monumentale à ce Sergeï. Et à ton indic d’opérette aussi. Voilà qui n’était probablement pas l’idée du siècle. — Je pense qu’on recherche un gars qui aurait des connexions avec la mafia russe, du coup je me demande s’il aurait un lien avec cette autre femme sur laquelle Maddox essayait de mettre la main. Natalia, non ? L’idée lui tournicotait dans la tête depuis le matin. — Je veux engager un détective pour la retrouver.
— Le dernier en date est mort dans des conditions pour le moins suspectes, Everly, l’avertit Gabriel, très sombre. Tu ne te mêles plus de cette affaire. À présent que Valerie est hors d’état de nuire, ton rôle dans cette histoire est terminé. Elle secoua la tête. — Non. C’est à moi que le mystérieux indicateur veut parler. Il m’a suggéré d’entrer en contact avec une Lara Armstrong – j’ignore de qui il s’agit. Alors je vais le faire, et tâcher de la sonder sur ce qu’elle sait. Cette fois, il était pâle comme un linge. — Certainement pas. C’est la fille qui tient Scandales au Capitole. Connor va s’occuper d’elle. Ben voyons, avec la délicatesse d’un marteau-piqueur. Un peu comme Gabriel en ce moment. — Sois raisonnable. Je veux découvrir qui a tué mon frère. OK, j’ai compris, tu n’as pas apprécié que je manque me faire écrabouiller, seulement tu as besoin de moi. — Je ne nie pas tes compétences, mais c’est fini, tu ne te mêles plus de ça. Je refuse que tu risques ta vie à nouveau. Nom de Dieu, je sais que tu vas me détester, mais il n’est pas question que je te laisse mettre ta vie en jeu. Il pensait vraiment ce qu’il disait ? Il semblait sincèrement terrifié et tout aussi déterminé. Avaitil eu vraiment si peur de la perdre ? Comment allait-elle réagir à cela ? Taper du pied et crier ne les avait menés nulle part. — Gabriel, tu ne peux pas m’entourer de coton. Je comprends que ça te paraisse plus sûr, en effet, mais ça ne marchera pas. Tu as dit que tu me voulais. — Ça oui ! — Le problème, c’est que dans ce cas, tu ne me veux pas telle que je suis, car je ne suis pas le style de femme à abandonner cette enquête. Dans son expression tendue, elle lisait un mélange de frustration et d’inquiétude. — Bon sang, Everly, lança-t-il en pénétrant dans son espace personnel. Je ne voulais pas que notre conversation prenne ce chemin. Se retrouver si proche de lui accéléra les battements de son cœur. Et une vague de chagrin menaça de la renverser, car malgré cette proximité, un gouffre les séparait toujours. — Toi, tu veux une gentille petite femme qui fera tout ce que tu lui diras. Qui se laissera enfermer dans une jolie cage. Et je suis certaine qu’il se trouve plein de femmes dans cette ville qui seraient plus que ravies de t’obéir sans jamais poser la moindre question. Je te souhaite de trouver la bonne, mais ce n’est pas moi. — Ce ne sont pas ces femmes que je veux. Il la saisit par les épaules, plantant ses yeux dans les siens, la violence de son désir la clouant au siège. — C’est toi que je veux. — Pas vraiment, non. Autrement tu ne me demanderais pas d’abandonner. (Les larmes menaçaient.) Il est peut-être temps d’admettre qu’on s’est lancés dans cette relation sans réfléchir. Les yeux en feu, il se pencha encore un peu. — J’essaie seulement de te protéger. — C’est justement ce que je me tue à te faire comprendre : je ne veux pas être protégée. Je veux être ta partenaire. Si tu me connaissais ne serait-ce qu’un peu, tu saurais que si tu m’écartes de l’affaire, je poursuivrai ma propre enquête. Et je le ferai même si tu me renvoies. — Tu n’as pas idée de ce que je suis en mesure de faire quand j’ai une idée en tête, bébé. Si je décide de t’assigner à résidence, tu vas te retrouver enfermée à double tour vingt-quatre heures sur
vingt-quatre, sept jours sur sept. Son sérieux envoya un frisson glacé le long du dos d’Everly. — Tu n’oserais pas. — Je ne parierais pas, à ta place. Il s’approcha encore, l’obligeant à se coller contre la portière. — Si je le lui demande, Dax nous conduira hors de la ville, et tu te retrouveras dans une maison hyper sécurisée avec quatre gardes du corps payés pour ne rien écouter de tes suppliques. Ils ne te laisseront pas filer, ils te garderont là jusqu’à ce que je leur donne le feu vert pour te laisser sortir. Elle le repoussa, et le simple fait de le toucher déclencha l’inévitable bagarre. Car elle ne quitterait pas ce véhicule sans lui avoir prouvé qu’elle n’était pas une petite chose douce et malléable. Jusqu’à présent, elle l’avait laissé conduire leur relation. Il n’y avait eu aucune raison d’agir différemment, et ça lui avait paru naturel, mais à présent elle avait besoin de montrer à Gabriel Bond qu’elle était capable de l’affronter. — Tu n’as donc rien écouté de ce que je t’ai dit ? Elle le repoussa et pénétra à son tour sur son territoire, soulevant sa robe afin de dénuder sa cuisse. Il baissa aussitôt les yeux dessus, et son pantalon ample se tendit de manière tout à fait perceptible. Elle possédait un pouvoir sur cette relation, et elle ne rechignerait pas à en user. — Tu dois me prendre telle que je suis ou consentir à me laisser poursuivre ma route. Pour être honnête, je ne suis pas encore prête à décider ce que je souhaite pour la suite, en revanche je sais que je ne supporterai pas une relation où mon compagnon pense pouvoir m’enfermer selon son bon vouloir. — Je te veux tout le temps, avoua-t-il, glissant une main sur son genou, avant de remonter sur la peau volontairement exposée. Tout le temps. À la seconde où il la toucha, elle se sentit à l’étroit dans ses vêtements, qui soudain l’encombraient. Seul Gabriel lui faisait cet effet-là, et elle redoutait que ça ne soit pour toujours. S’ils ne parvenaient pas à régler leurs différends, elle risquait fort de finir vieille fille. — Non, tu veux la femme que tu as imaginée dans ta tête, celle qui ronronne pour toi sur commande et boit la moindre de tes paroles. Elle était plutôt satisfaite de la fermeté de sa voix, malgré son cœur qui battait avec la force d’une fanfare tout entière. — Non, je veux la femme intelligente qui a su trouver le moyen de sortir d’une maison en flammes. Je veux celle qui est assez courageuse pour rester en arrière et secourir son amant alors qu’elle devrait s’enfuir. Je veux celle qui me défie à chaque décision. Il remonta la main jusqu’à sa taille, sous sa robe, et tout à coup elle se retrouva assise sur ses genoux, son érection pressée contre ses fesses. — Je te veux à chaque seconde de la journée, nom de Dieu. Je n’arrive plus à réfléchir de façon sensée, tellement je te désire. — Tu arrives à réfléchir assez pour donner des ordres à tout bout de champ. — Tu ne vas peut-être pas me croire, mais jamais je ne me suis montré aussi possessif. Je ne suis pas le genre de connard qui exige de sa femme qu’elle fasse tout ce qu’il dit, affirma-t-il en l’enlaçant. Je la laisse mener sa vie et j’en fais autant de mon côté. En général. Pas vraiment ce qui s’était passé entre eux jusque-là. — Eh bien, on devrait peut-être s’en tenir là pour le moment. Avec Valerie en garde à vue, rentrer chez moi ne devrait plus trop poser de problème. — Pas question. Je ne peux pas te laisser partir, fit-il entre ses dents serrées. Montre-moi tes seins.
Sitôt qu’il usait de ce ton grave et dominateur, Everly brûlait de s’exécuter. Sauf que c’était justement ce qui l’avait mise dans la panade au départ. — Je n’ai pas à faire ce que tu m’ordonnes. — Comme si tu m’avais déjà obéi une seule fois, gronda-t-il. Tu savais que je refuserais que tu rencontres ce type toute seule, alors tu as filé en douce. Et tu t’es mise en danger. — J’avais un pistolet et je sais me défendre, répliqua-t-elle pour balayer son accusation. — Le type aurait pu avoir des complices qui t’attendaient pour te supprimer. Ou t’enlever. Elle sentit sa main se resserrer sur la sienne, comme s’il avait peur de la lâcher. — Il aurait pu t’arriver n’importe quoi. Si je n’avais pas découvert où tu étais… je ne veux même pas y penser. L’odeur mâle de sa peau mêlée aux notes de bois de santal de son après-rasage titillait les narines d’Everly. À chaque bouffée, des flashs lui revenaient de leurs moments intimes – Gabriel allongé sur elle, plongeant avec force entre ses cuisses pour lui offrir le plaisir le plus incroyable qu’elle ait jamais ressenti. Il était si proche, et pour éprouver à nouveau cette jouissance, il lui suffisait de s’approcher de quelques millimètres seulement et de joindre leurs lèvres. Il n’aurait pas besoin d’être incité davantage. — Je sais me défendre toute seule, répéta-t-elle, les yeux rivés à sa bouche superbe. — Pas face à ces gens, non. Bon sang, Everly, dis-moi : je suis le seul de nous deux à être profondément attaché ? Ça ne te gênerait pas si je me précipitais dans ce qui pourrait se révéler une embuscade ? Ça ne te ferait aucun effet si je mourais ? Ses paroles sonnaient comme un grondement désespéré. Everly hésita. Elle n’avait pas imaginé qu’il puisse ressentir un attachement aussi profond que le sien. Pas vraiment. Elle savait qu’il la désirait et, toute protestation mise à part, attribuait sa possessivité à sa personnalité de mâle alpha. Mais voilà qu’il ne parlait plus de sa sécurité ni même simplement de sexe. Était-il possible qu’il tombe réellement amoureux d’elle ? Pouvait-elle s’autoriser à penser qu’elle n’était pas une femme de plus que ce milliardaire au charisme de star de cinéma adorerait quelques semaines ou quelques mois avant de passer à la suivante ? Pouvait-elle bel et bien être la femme avec qui il souhaitait vraiment s’engager ? Sans doute pas. Et si elle choisissait de garder la vérité pour elle, peut-être qu’elle pourrait préserver son petit cœur d’un coup terrible, pourtant Gabriel, lui, n’avait pas hésité à se montrer vulnérable devant elle. Elle ne pouvait décemment pas répondre à son aveu par des mensonges. — Oh, Gabriel, je serais dévastée, chuchota-t-elle. Si quelque chose t’arrivait, je voudrais mourir. Mais je ne peux pas non plus vivre dans une bulle. Il scella son regard au sien, comme pour tenter de s’imprimer en elle. — Et moi, je ne peux pas te laisser partir. — Je ferai toujours mon possible pour être prudente, mais je ne peux pas cesser de vivre pour autant. — Nom de Dieu, jura-t-il. Elle avait raison, manifestement il le savait et ça ne lui plaisait pas. — Embrasse-moi, exigea-t-il. Embrasse-moi tout de suite. Lui céder n’était peut-être pas bien malin, mais ses récents flirts avec la mort lui donnaient envie de profiter de chaque instant. Si elle ne buvait pas jusqu’à la dernière goutte chacun de leurs moments ensemble, elle regretterait d’avoir laissé échapper cette chance de le toucher. En fait, c’était sans doute un moyen de retarder leur séparation inévitable, mais tant pis : elle le choisirait, lui, à chaque occasion qui lui serait donnée.
Elle se pencha donc et posa les lèvres sur les siennes en retenant légèrement son souffle. Même s’il ne lui restait qu’une nuit avec lui, elle la prendrait. Douces. Ses lèvres étaient incroyablement douces et sensuelles, pour un homme. Elle porta les mains à ses mâchoires puissantes, éprouvant sous ses doigts la rudesse de son début de barbe. Elle adorait ce contraste entre douceur et masculinité exacerbée. À l’image de l’homme lui-même. Sa virilité cachait des trésors de tendresse qu’il n’avait probablement jamais montrés qu’à ses cinq amis les plus proches. Et elle se sentait privilégiée d’en être le témoin, elle aussi. Elle n’aurait peut-être pas le luxe de partager tous ses lendemains avec cet homme, mais au moins elle profitait de l’instant présent. Il remonta la main le long de sa cuisse tandis que leurs langues entamaient une danse. Elle écarta les jambes pour lui permettre d’accéder plus loin. Voilà, ils étaient parfaitement emboîtés, comme s’ils étaient faits l’un pour l’autre. Dans les bras de Gabe, le monde disparaissait. Plus de mystère à résoudre. Plus de journalistes à éviter. Plus de danger à combattre. Plus de chagrin, plus de deuil, plus d’incertitudes. Rien qu’elle et lui et cette impression de complétude. Elle lui passa la langue sur la lèvre inférieure, et malgré sa puissance, il frissonna. — Montre-moi tes seins, Eve. Il continuait à lui caresser les cuisses, de plus en plus haut. Et ses doigts frôlaient de si près l’endroit où elle avait le plus besoin d’être touchée… Pourtant, il semblait se satisfaire de la titiller, et s’arrêtait régulièrement à un millimètre de ses chairs avides, sans jamais quitter sa bouche. Elle répondait à ses baisers, décidée à le provoquer en retour. Elle lui embrassait le nez, les joues, frottait leur visage l’un contre l’autre avec affection, avant de donner un coup de langue sur l’arête de son oreille. — Qu’est-ce que tu m’offres si j’obéis ? — Mes mains pour les toucher, mes lèvres et mes dents pour les vénérer. Je veux les lécher, les sucer jusqu’à ce que tu sois si excitée que tu ne puisses plus ni réfléchir ni même respirer. Il remonta encore la main sous sa robe, frôlant la couture de sa culotte. — Est-ce que tu mouilles pour moi ? Est-ce que tu brûles de recevoir mon sexe ? — Tu sais bien que oui. En fait, elle devait se mordre la langue pour ne pas le supplier de lui accorder le plaisir que lui seul savait lui donner. — Alors montre-moi tes seins. Et cette fichue main s’écarta encore, lui tirant un gémissement frustré. — Baisse ma fermeture Éclair. Elle ne pouvait pas l’atteindre toute seule, elle avait eu besoin de son aide pour la remonter le matin. Ce qui avait engendré un moment de douce intimité, durant lequel elle avait presque oublié leur dispute et s’était même imaginé qu’ils formaient un couple normal se préparant pour une journée normale. Puisque c’était lui qui l’avait habillée, il paraissait naturel que ce soit lui qui la dégrafe et l’aide à se débarrasser des vêtements qui les séparaient. Il fit glisser une main le long de ses cuisses, sur son buste, effleurant le lobe d’un sein avant de frôler sa nuque du bout des doigts. La sensation se propagea le long de son échine. Puis, lentement, il entraîna la fermeture Éclair dans un cliquètement assourdi. — J’adore te dévêtir. C’est comme déballer mon cadeau préféré, commenta-t-il tout en se penchant pour fourrer le nez dans son cou. Quand je te vois, je n’ai qu’une envie : te mettre nue et posséder une à une chaque partie de toi. Ravalant un petit cri, Everly le laissa baisser la robe jusqu’à ses épaules. Elle se renversa en
arrière pour lui donner la place de repousser les manches le long de ses bras. La robe lui tomba à la taille, dévoilant son soutien-gorge. Le souffle saccadé, Gabriel posa aussitôt les yeux sur sa poitrine. Il porta la main à sa cravate, qu’il desserra comme s’il n’arrivait plus à respirer. Cette réaction conféra à Everly une sensation de puissance absolue. Si on lui avait dit la semaine passée qu’aujourd’hui elle serait en train de se déshabiller à l’arrière d’une limousine pour l’homme le plus beau qu’elle ait jamais rencontré, elle aurait crié à la folie. Elle n’était pas une fille sexy. Du moins elle ne s’était jamais perçue comme telle. Sauf que Gabriel avait changé la donne. Il l’avait changée, elle. Quand il la regardait avec ce désir au fond des yeux, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir belle. Jamais il ne la laissait se cacher derrière ses doutes, d’ailleurs elle n’en éprouvait pas le besoin, face à une passion aussi franche et évidente. Même s’ils se séparaient demain, elle lui resterait éternellement reconnaissante de l’avoir aidée à acquérir une telle confiance. Elle dégrafa son soutien-gorge et ses seins furent libérés. À la seconde où ils se trouvèrent nus, il se lécha les lèvres comme un loup ayant repéré sa proie. Il était prêt à se repaître d’elle. — Passe les bras derrière ton dos. — Quelle autorité ! Il secoua la tête. — Non, c’est de l’avidité. Mets les bras derrière ton dos, ou je vais être obligé de prendre des mesures drastiques et bousiller ce très joli pantalon. Gabriel était plutôt du genre maîtrisé, normalement. Et elle adorait l’idée de l’amener aussi près de la perte de contrôle. Se mordant la lèvre, elle noua les bras dans son dos, ce qui fit saillir ses seins vers l’avant, les tétons pointés dans l’attente des caresses promises. — Tu sais à quel point je te trouve belle ? Il s’empara de ses seins de ses grandes mains. — Je sais en tout cas que je me sens belle sous ton regard. — Je veux être avec toi, Everly. Et je ne veux pas seulement dire ici et maintenant. Je ne veux pas que ça s’arrête entre nous. Il leva les yeux vers les siens, avec sur le visage une question à laquelle elle ne savait pas comment répondre, faute de la comprendre vraiment. Non, il ne lui demandait tout de même pas un engagement sérieux ? Elle ne pouvait pas penser à ça maintenant. Impossible. — Ne me fais pas attendre, répondit-elle alors. S’il te plaît. Il se pencha pour embrasser son sein, dont il lapa la pointe érigée. Il attisa les sensations déjà intenses en la mordillant, et un courant brûlant descendit directement dans le bas-ventre d’Everly. Elle haleta. — Tu ne me crois pas, murmura-t-il. Tu penses que je vais te quitter, mais non, bébé. J’ai bien l’intention de te protéger. Je t’ai choisie, je resterai à tes côtés. Et même si tu essaies de me laisser tomber sous prétexte que c’est mieux pour nous ou je ne sais quoi, je reviendrai te chercher. Je te convaincrai, Everly. Facile à dire dans le feu de la passion, mais les choses pouvaient-elles en effet fonctionner entre eux ? Elle finirait par lui pardonner les idioties qu’il avait dites à sa sœur. Il n’en demeurait pas moins un play-boy et elle une fille ordinaire tombée dans ses filets. Alors elle avait bien du mal à croire que ses belles paroles avaient plus de poids et de vérité que celles qu’il avait confiées à Sara. Elle comprenait que les expériences de la vie avaient rendu Gabriel méfiant, et elle comprenait aussi pourquoi il ne lui avait pas fait confiance d’emblée. Elle voulait croire qu’elle représentait vraiment quelque chose à ses yeux, qu’ils pouvaient évoluer et grandir ensemble. Mais comment se persuader
que cet homme magnifique voudrait d’elle plus qu’une simple aventure sexuelle ? Parviendraient-ils à surmonter leurs problèmes pour se construire un avenir ensemble ? Soudain, toute pensée cohérente lui échappa, car Gabriel suçotait son téton et l’attirait plus près de lui. Il tirait sur la pointe dure, envoyant des ondes de plaisir convulsif à travers tout son corps. — J’en veux plus. Sur quoi il l’allongea sur la banquette. Elle sentait la progression de la voiture sous son dos, un roulis étonnamment apaisant. Gabriel remonta complètement sa robe, et avant qu’elle ait le temps de protester, il fit glisser sa culotte par-dessus ses hanches et le long de ses jambes. Il la jeta, repoussa encore un peu plus la robe et contempla son entrejambe. Son loup affamé était encore plus affamé que tout à l’heure. — Dax ne va pas s’arrêter bientôt ? demanda-t-elle dans un souffle saccadé. On devrait peut-être attendre d’être rentrés chez Connor. Sauf qu’elle n’avait pas la moindre envie d’attendre. Car à l’instant où la limousine s’immobiliserait et que la portière s’ouvrirait, le monde extérieur envahirait l’habitacle. Ils devraient briefer Connor sur les événements récents, et il s’écoulerait des heures avant qu’ils ne se retrouvent enfin seuls à nouveau. Mais elle ne souhaitait pas non plus faire la une des tabloïdes, sa robe remontée jusqu’à la taille et Gabriel entre ses jambes. Cependant, au moment où il s’agenouilla pour déposer une ligne de baisers le long de ses cuisses, celui-ci ne semblait pas tracassé par les mêmes considérations. — Il ne s’arrêtera pas tant que je ne lui en donnerai pas l’ordre. Je voulais me retrouver seul avec toi, te goûter encore. Est-ce que je t’ai dit comme j’adore avoir ton goût sur la langue ? Sa bouche planait au-dessus du sexe d’Everly, et soudain toute idée d’interrompre leurs retrouvailles s’évanouit. Il frotta le nez contre la partie la plus sensible de son anatomie, puis le visage tout entier. Tout ce qu’il faisait était si bon, si naturel. À la fois un peu interdit et si intime que ça gonflait le cœur d’Everly. — J’adore quand tu me goûtes. Il releva la tête, pupilles dilatées. — C’est vrai ? Un petit sourire dansa sur ses lèvres, puis sa tête disparut de nouveau entre ses cuisses, et il entreprit de lui mordiller l’intérieur de la jambe. — Je pense tout le temps à la façon dont tu me touches, avoua-t-elle d’une voix rauque, enfonçant les doigts dans ses cheveux courts. Il s’écarta et lui releva la cuisse, laissant courir les doigts sur son clitoris. — Comme ça ? Elle lâcha un grognement, son corps se raidit. — Encore. — Alors dis-moi ce que tu veux. Dis-moi ce dont tu as besoin. Qu’est-ce qu’elle attend de moi, cette jolie petite chatte ? — Embrasse-la. — Oh, ça, je peux le faire, fit-il en déposant un baiser léger sur son clitoris. Tu vois. Je suis très doué pour les baisers. Salopard. Son sourire sournois ne lui avait pas échappé. Il profitait de la situation pour la tourmenter et semblait parti pour faire durer le plaisir.
— Non. Lèche-moi. Il passa la langue sur l’une de ses grandes lèvres, puis l’autre, dans une lente glissade qui la rendit folle. — Madame ordonne, j’obéis. — Arrête de faire le malin, Gabriel. Je veux sentir ta langue partout. Dévore-moi. Fais-moi monter, hurler et jouir, intima-t-elle en le dévisageant. Personne d’autre que toi ne me fait le même effet. — C’est ce que je voulais entendre. Il reposa la bouche sur elle, et le premier passage de sa langue – une longue lapée – tira un halètement à Everly. Elle renversa la tête en arrière, incapable de lui résister. Elle avait tant attendu ce plaisir, ce don de soi réciproque, ces instants où elle s’abandonnait à lui. Mais cela signifierait tellement plus, s’ils pouvaient envisager un avenir commun. Elle voulait être sa partenaire – dans le plaisir, les affaires, la vie. Ses pensées volèrent en éclat tandis qu’opérait la magie de la langue de Gabriel. — Gabriel… — Ouvre plus tes jambes, bébé. Et il repoussa ses genoux pour glisser les épaules dans l’intervalle. Pantelante, elle se noya dans l’exquise béatitude. D’un doigt, il écarta ses replis, s’insinua en elle. La sensation, fulgurante, éveilla une faim nouvelle en elle. Se plaquant contre ce doigt, elle tenta de son mieux de l’inciter à la pénétrer plus avant, à bouger plus vite. Mais il continua sur le même rythme lent et régulier qui lui crispait le corps, propageait des picotements de ses pieds à sa tête, rendait la respiration presque impossible. Il l’amena au pinacle du désir. Elle lui agrippait la tête, tentant de nouer les jambes autour de ses épaules. N’importe quoi pourvu qu’un petit plus de sensations lui permette de basculer. Mais rien n’y faisait : il refusait de se laisser presser ou d’accélérer sa lente, son affolante descente vers les abysses de la déraison. Quand elle geignit, il lapa son clitoris, puis leva les yeux vers elle. Ses lèvres brillaient de son excitation. — Tu en veux plus. Ça n’était pas une question. — Tu sais bien que oui. — Alors demande-moi. — Encore, Gabriel. Plus. Maintenant. Elle aurait voulu lui crier sa requête. Elle était si proche de basculer. — Donne-m’en plus… Il semblait déterminé à la torturer. — Plus de quoi ? De mes doigts ? Ou est-ce que tu veux mon sexe ? Dans sa tête, Everly n’avait aucun doute sur ce qu’elle voulait. — Je te veux en moi, Gabriel. Fort. Vite. Remplis-moi. Le visage de son homme s’éclaira d’une expression dangereusement satisfaite. — Avec plaisir, mais tu vas devoir le mériter, bébé. Car j’ai l’intention de faire durer le plaisir un bon moment. Et il replongea la tête, et elle haleta, et chaque muscle de son corps se raidit alors qu’il l’emmenait à nouveau vers une incroyable fièvre. Sur ce point au moins, ils étaient d’accord. Elle aussi voulait que ça dure toujours.
Gabe se délectait d’elle. De tout chez elle. Sans cesser de passer la langue sur ses chairs tendres, il enfonça un deuxième doigt en elle. Profondément. Et il profitait de tout. Elle sentait si bon – un mélange féminin et sucré – qu’il était certain d’avoir encore le goût de son excitation sur la langue, le jour de sa mort. Elle avait la peau si délicate qu’il s’inquiétait de laisser des marques sur ses cuisses à cause de son début de barbe. Mais il n’avait pas eu le temps de se raser, cet après-midi. Cela dit, Everly ne semblait pas s’en soucier. Les jambes largement écartées, elle lui présentait son sexe magnifique sans hésitation ni inhibitions. Elle s’ouvrait pour lui comme une fleur qui serait restée bien trop longtemps sans soleil. Il lécha la perle de son clitoris. Le petit bijou était sorti de son capuchon, quêtant son attention. Il allait s’en délecter. Everly le combattait peut-être dans les autres domaines, mais là ils étaient du même avis, avaient les mêmes besoins. Il avança les doigts plus loin dans son sexe et suça son clitoris, lançant une cadence qui la fit bientôt onduler sur sa main, avide du soulagement ultime. La vue, les sons et l’odeur de son excitation suffisaient à attiser son propre désir à lui. Plus il allait, et plus elle montait, affolée, enfonçant les ongles dans son cuir chevelu, resserrant les cuisses autour de sa tête. Dieu qu’il aimait son enthousiasme décomplexé vis-à-vis du sexe, sa façon de ne jamais rien retenir. Il la sentit convulser autour de lui et entendit son cri de plaisir. Elle s’agita sur le cuir souple de la banquette, chevauchant ses doigts sur l’orgasme qu’il lui donnait. Sa senteur emplit l’habitacle – et les narines de Gabriel – à tel point qu’il fut incapable de se retenir davantage. Il lui fallait arracher ses vêtements, baisser sa braguette et s’enfoncer en elle jusqu’au tréfonds. Quand sa tempête s’apaisa, que les vagues retombèrent, elle soupira. — Comment tu arrives à me faire ça ? Il ne lui répondit pas, faute de savoir que dire. Avec elle, le sexe était meilleur, voilà tout. Et ça avait été le cas dès leur première fois, dès qu’il avait posé les mains sur elle. Ça avait aussi été différent de ces innombrables autres expériences, du brouillard de visages et de corps qu’il avait connus avant. Ce qu’il partageait avec Everly était… plus grand. Si une autre femme l’avait complimenté sur ses prouesses sexuelles, il aurait souri et se serait montré à la hauteur de sa réputation. Ses mots à elle, en revanche, le rendaient étrangement vulnérable. Il ne voulait pas qu’elle le considère seulement comme un bon coup. Il ne voulait même pas être le meilleur coup de sa vie – non, pas s’il ne représentait rien de plus que cela. Il voulait être son seul amant. Il voulait être l’homme de son cœur. Cette pensée déferla sur lui, et il s’adossa au siège avec un soupir sidéré. Tout ce qui se trouvait en dessous de sa ceinture lui enjoignait de baisser son pantalon et d’enfoncer son sexe dans le corps offert d’Everly, sauf qu’il espérait d’elle bien plus que du plaisir. Lui, si rarement hésitant, restait là, comme pétrifié. Et si elle ne ressentait pas la même chose ? Malgré les doutes et la peur qui lui tourbillonnaient dans la tête, il ne parvenait pas à la quitter des yeux. Elle était si jolie, si coquine, avec sa robe retroussée à la taille, ses courbes délectables et ses parties les plus intimes offertes à son regard. Il aimait ça aussi, chez elle. La peau rosie et la bouche entrouverte pour prendre une longue inspiration, elle ouvrit les yeux pour l’observer. — Qu’est-ce qui se passe ? Il secoua la tête. — Rien. Sa roseur vira au rouge. — Tu n’as pas envie de moi ?
— Je veux savoir si toi, tu veux de moi. Dieu que cette phrase était ridicule, formulée ainsi. Il ferait mieux de la prendre, elle ne le repousserait pas, pourtant il avait besoin de quelque chose qui allait bien au-delà de son consentement et d’un simple échange charnel. La mettre dans son lit n’était pas le sujet, c’était entrer dans son cœur, le problème. — Bien sûr que je te veux, je croyais que c’était évident. Elle tira sur sa robe dans un effort pour arranger sa tenue. — Qu’est-ce qui t’arrive ? Dax va continuer à rouler, tu es sûr ? Et merde. Il l’avait perdue. La déception était dévastatrice. — Je vais lui dire de nous ramener à la maison. Même s’ils n’allaient pas vraiment chez lui, le mot de « maison » sonnait quand même juste, car pour lui, la « maison », c’était désormais tout foyer où Everly se trouvait aussi. Quand ce changement s’était-il opéré ? Il inspira péniblement une longue goulée d’air et se retint à grand-peine de balancer son poing dans la vitre de la limousine. Il n’avait pas la moindre idée de la manière dont il parviendrait à survivre à cette nuit, mais après tout, il n’aurait pas dû s’attendre à autre chose, vu la façon dont il l’avait traitée le matin. Il ne voulait même pas penser à ce qu’il ferait du reste de ses jours. Il tourna la tête vers la vitre et regarda défiler les rues du centre de Manhattan. Les lumières de Times Square, non loin, illuminaient le début de soirée. Contrairement aux locaux, qui passaient à la hâte sans un coup d’œil, les touristes se massaient sur la place pour admirer la multitude de néons multicolores, depuis les affiches des spectacles de Broadway jusqu’aux publicités pour des baskets. Gabe grimaça. Il était en train de repousser l’inévitable, mais tant pis, il tenait à éclaircir un dernier point avant de communiquer à Dax leur destination finale. — Everly, je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que tu oublies ce que j’ai dit ce matin. Je veux que tu le saches. Je me rends bien compte que le moment est très mal choisi pour commencer une relation, mais je ne peux pas te perdre juste à cause de ça. J’ai merdé. J’aurais dû te croire. Je ne peux que te garantir que je ne commettrai pas une autre fois la même erreur. Tu me prends peut-être pour le pire des salauds, de m’entêter ainsi sur ta sécurité, mais je te promets de ne pas te tenir à l’écart. Elle posa sur lui un regard méfiant, manifestement peu sûre de le croire. — Et tu vas quand même m’enfermer ? Oui, il l’avait menacée de ça quand elle l’avait poussé à bout, et il le regrettait. Il ferma les yeux un long moment, pendant lequel il l’entendit renfiler sa robe, et il se prit à regretter de ne pouvoir rejouer cette journée depuis le début. Ou du moins une grande partie de la journée. — Bien sûr que non, répondit-il enfin en rouvrant les yeux, prêt à s’expliquer. Mais toutes les belles paroles dont il usait généralement pour charmer et amadouer les femmes restèrent coincées dans sa gorge quand il la vit. — Tu es nue… Magnifiquement, complètement nue. En fait, elle n’avait pas du tout rajusté sa robe, elle l’avait enlevée et s’était agenouillée au sol. Et un sourire sexy retroussait ses lèvres. — Vous êtes très observateur, monsieur Bond. Le sexe de Gabe signala de nouveau son excitation en pulsant dans son pantalon. Et son cœur n’était pas en reste. — Eve…
Elle se positionna entre ses jambes, et ses mains remontèrent le long de ses cuisses. — C’est mon tour, Gabriel. Je pense que c’est ça, notre problème : je n’ai pas exigé de toi que nous soyons égaux. Je ne peux pas être la princesse parfaite que tu enfermes et sors uniquement quand tu estimes que c’est sans danger. Le monde est un endroit dangereux et vaste, et tu as besoin de quelqu’un sur qui tu puisses compter. Moi aussi. Cet homme que j’ai vu aujourd’hui, il m’a dit que si les choses tournaient mal, tu choisirais toujours tes amis plutôt que moi. Il aurait donné cher pour avoir une petite discussion avec ce type. — Ce n’est pas vrai. Elle leva une main pour l’interrompre. — Je pense que si, peut-être, mais je ne sais pas trop ce que je peux y faire, alors je vais choisir de vivre l’instant, en attendant. Lui, il ne voulait pas se contenter de vivre l’instant, il s’en rendit compte en la contemplant. Jusque-là, c’était ce qu’il avait fait. Après le décès de son père, il avait été obligé de s’occuper de ses affaires, de sa sœur, à présent de Crawford Industries et bientôt d’un neveu ou d’une nièce. Il s’était rebiffé face à ces nouvelles responsabilités, mais Everly lui donnait envie de devenir meilleur. Elle lui donnait envie de rêver à un avenir. Ses années de play-boy étaient derrière lui, et un constat le frappa en plein visage : plus jamais il ne serait le garçon insouciant qu’il avait été jusqu’à présent. D’ailleurs, ça n’avait peut-être jamais été qu’une illusion. Les jours où il parcourait le monde en compagnie de ses amis étaient bel et bien finis. Ils resteraient de précieux souvenirs, mais sa rencontre avec Everly avait servi de catalyseur à sa vraie mutation : du play-boy à l’homme. Son homme. Et selon toute probabilité, elle ne croirait pas un traître mot de ce qu’il lui dirait. À cette pensée, il se sentait terriblement impuissant. Il pourrait la renvoyer et tenter de la forcer à travailler pour Bond Aéronautique, où il lui serait plus aisé de s’assurer de sa sécurité. Ensuite, deux chemins s’offriraient à eux : soit elle le haïrait pour ce qu’il avait fait, soit elle l’accepterait et, peu à peu, toute cette vivacité qu’il aimait tant s’éteindrait, cet esprit si unique écrasé par son fichu besoin de tout contrôler. Gabe ne savait plus comment se tirer de cette impasse où il s’était lui-même fourvoyé. Ce qu’il savait, en revanche, c’était qu’il la désirait assez fort pour accepter de prendre tout ce qu’elle était disposée à lui donner. — Qu’est-ce que tu as en tête, beauté ? Elle voulait prendre le contrôle ? Eh bien, il allait le lui céder, il devait le lui céder – pour le moment. Il reprendrait les rênes plus tard, après l’avoir laissée agir un peu à sa guise. Il se cala contre le dossier. Son Eve posa les mains en haut de son pantalon ample, sur son sexe, qui tressaillit aussitôt pour réclamer plus de caresses. — Te tenter. — Pour me tenter, il te suffit d’exister. Elle baissa délicatement la fermeture Éclair. — Ça, je ne sais pas. Tu me sembles un peu hésitant, ce soir. Son sexe fut libéré, et parut se tendre vers elle comme s’il savait précisément où il souhaitait se trouver. Gabe n’aimait pas être taxé d’hésitant, et elle devait s’en douter. À croire que c’était son tour de le pousser dans ses retranchements. — « Hésitant » ? Bébé, j’essayais juste de t’accorder la liberté dont tu sembles avoir besoin. Elle contemplait son sexe, tendant les doigts vers la peau dénudée pour l’effleurer.
— Je n’ai pas besoin de liberté. Je pourrais te montrer à quel point je te désire. Je pourrais te lécher, te sucer, mais j’ai réfléchi à quelque chose. Ces derniers jours ont été pénibles pour toi, tu devrais peut-être te détendre et me laisser prendre soin de toi. — C’est ce que j’ai fait ce matin, pour ce que ça m’a rapporté… — Eh bien, ça t’aurait peut-être rapporté plus si tu n’avais pas été raconter à ta sœur que je n’étais qu’une putain de passage. Elle se rassit sur ses talons. Alors comme ça, elle cherchait la bagarre ? Attention, car il pourrait bien lui répondre. — Je n’ai pas dit ça. Elle haussa l’une de ses épaules parfaites. — Pas mot pour mot, en effet, mais en substance, si. — Tu as décidé de ne rien écouter de ce que je te dis. Et ça le tuait. Bon, elle ne lui laissait pas d’autre choix. — J’ai l’impression que te céder le contrôle de la situation ne fonctionne pas trop, bébé. Alors je vais le reprendre. Viens par là. Impossible de rater la façon dont ses tétons pointèrent à la seconde où sa voix se fit rude. Pas de doute, elle aimait qu’il tienne les commandes pendant l’amour. Évidemment, elle devait apprécier de prendre le dessus de temps en temps, mais elle se trouvait en l’occurrence dans une position délicate. Il lui demandait de se fier à lui entièrement, alors même que son passé et les propos qu’il avait tenus à Sara ne jouaient pas en sa faveur – sans compter les racontars de ce fichu informateur. Bien sûr, ils auraient pu en parler longuement maintenant, mais il pensait qu’il était temps de passer à l’action. Peut-être parviendrait-il à lui exprimer ses sentiments de manière plus éloquente sans paroles. — Qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-elle, passant la langue sur ses lèvres tandis que sa respiration s’accélérait. — À ton avis ? Toi. Je te l’ai dit, j’ai tout le temps envie de toi. Je veux l’Everly qui a été assez courageuse pour enlever ses vêtements et tomber à genoux à l’arrière d’une voiture en plein centre de New York, au cœur de l’une des rues les plus fréquentées de Manhattan. Ça oui ! D’ailleurs, je pense que je veux baiser cette Everly-là sur-le-champ. La limousine était coincée dans la circulation habituelle de Times Square. Ils étaient arrêtés sur la file la plus proche du trottoir et Everly tourna la tête. Ses yeux s’écarquillèrent alors qu’elle apercevait les centaines de gens qui marchaient autour d’eux. Machinalement, elle leva une main pour se couvrir les seins. Pas question de laisser l’extérieur s’immiscer entre eux. Il l’attira sur ses genoux. — Je t’interdis de renoncer. Tu t’es déshabillée pour moi, tu voulais me montrer à quel point tu étais belle. Alors ne te cache pas. — Mais Gabriel… commença-t-elle en désignant la vitre. Il ne la laisserait pas user de cette excuse. — Les vitres sont teintées. Personne ne peut voir à travers. Personne ne peut voir comme tes seins sont magnifiques. Sauf moi. Il en prit un dans sa paume. Jamais il ne s’habituerait à la perfection avec laquelle ce globe se moulait dans sa main ou à cette douceur. Elle frissonna dans ses bras, et il était quasi certain que ce n’était ni de gêne ni de peur. L’idée de faire l’amour au milieu de la foule l’excitait-elle ? Oh, il pouvait devenir coquin, si ça stimulait sa compagne. Il garda le sein au creux de sa main, le soulevant légèrement, comme pour l’exhiber aux gens dans la rue.
— S’ils pouvaient te voir, ils s’arrêteraient aussitôt pour t’admirer, tellement ils seraient sidérés. Voilà à quel point tu es belle. Ces gens ne pourraient s’empêcher de te regarder, de te vénérer. Un petit rire saccadé s’échappa de sa gorge. — Je ne pense pas, non. — Cesse de te voir à travers tes propres yeux. Regarde-toi à travers les miens. Vois comme je te trouve belle. Même si elle le quittait, il tenait à ce qu’elle le sache. Il voulait qu’en s’observant dans un miroir, elle se voie telle qu’elle était, magnifique, sans jamais remettre ce fait en question. — Écarte les jambes. — Je ne sais pas. Mais déjà ses genoux retombaient sur les côtés, révélant son intimité. Le membre de Gabe se durcit à cette vue. Everly était encore gonflée de son récent orgasme, mais déjà prête et même affamée à nouveau. Il la toucha, s’enduisit les doigts de son miel. — Là aussi, tu es tellement jolie. S’ils nous voyaient, les gens me regarderaient te caresser, entrer mes doigts en toi, les ressortir, comme je m’apprête à le faire. Elle arqua le dos. — Oh oui… Fais-le Gabriel, touche-moi. — Ça va venir, bébé. Mais d’abord, je veux que tout le monde assiste au spectacle. Il est plus beau que tout ce qui se donne à Broadway. Plus joli que les lumières. Il la sentait onduler, essayant de se rapprocher un peu plus de ses doigts. — Ils vont voir la façon dont tu entrouvres la bouche quand je fais ça. Il appuya doucement sur son clitoris et, exactement comme il l’avait imaginé, elle haleta et sa jolie bouche s’ouvrit en un O surpris, comme s’il l’avait vraiment prise de court. Il voulait lui apprendre à attendre ce plaisir de lui, à l’exiger. Il voulait qu’elle le sache : lorsqu’il avait les mains sur son corps, elle serait toujours satisfaite. Elle se cambra et ses seins bondirent vers l’avant. La vue la plus sexy qui ait jamais été offerte à Gabe. Elle était toujours allongée sur ses genoux, cuisses écartées pour son plaisir. Et même s’il était absolument certain que personne ne pouvait les voir à l’intérieur de la limousine, il imaginait le monde autour d’eux en train d’admirer la beauté spectaculaire d’Everly. Mais le spectacle de sa nudité, de son plaisir n’était que pour lui. Il pouvait bien jouer les exhibitionnistes, jamais il ne supporterait de la montrer à un autre que lui. Son corps lui appartenait, à lui seul, et il n’était pas question une seule seconde de laisser un autre homme contempler sa nudité. La voiture avança un peu, pas plus de quelques mètres. Quelqu’un frôla la carrosserie en traversant la rue. Everly ouvrit les yeux d’un coup. Gabe dessina le contour de son clitoris à nouveau. Il n’existait qu’une façon de lui faire perdre ses inhibitions, c’était de la noyer dans le plaisir. — Mets-toi à genoux. Il l’aida à descendre au sol. Elle tomba à genoux, et soudain il ne vit plus que ses fesses sublimes pointées vers le ciel. Il tendit la main et la posa sur les lobes, les caressa. — S’il te plaît, Gabriel, je ne peux plus en supporter davantage. — Tu supporteras ce que je déciderai de te donner. Mais il n’avait pas l’intention d’attendre. Il avait trop besoin d’elle. Il s’agenouilla derrière elle et baissa son pantalon, sans prendre le temps de l’enlever complètement. Son désir était bien trop ardent, et en plus il adorait l’idée d’être encore habillé alors qu’elle était délicieusement nue. Il y avait
quelque chose de super excitant dans l’exposition de sa peau. Il se caressa une seconde, avant de l’agripper par les hanches et de positionner son érection. Oui. C’était ça, dont il avait besoin. La journée se serait déroulée autrement, s’il avait pu la garder au lit avec lui. Il grimaça. Car c’était justement ce qu’Everly tâchait d’éviter, elle ne voulait pas être son joli petit sex-toy. Elle voulait être respectée. Et aimée ? Aspirait-elle à être aimée par lui ? Il était quasi certain d’avoir raté le coche, en la matière, et qu’il ne pouvait plus rien y changer. Mais il l’aimait et il devait trouver le moyen de le lui prouver. Parfois, la solution la plus simple était aussi la meilleure. Il avait appris ça il y avait bien longtemps. Il s’insinua en elle, entouré par sa chaleur qui semblait l’attirer plus avant. — Je t’aime. Dans un cri, elle se poussa contre lui. Il sentait à quel point ses paroles l’affectaient, pourtant elle ne répondit rien en retour. — Je t’aime. Peut-être allait-il le répéter jusqu’à ce qu’elle le croie. Il s’enfonça plus profondément, et chaque millimètre déclenchait une onde de plaisir pur. — Je t’aime tellement. Elle secoua la tête, mais continua de s’empaler sur lui avec avidité. — Gabriel, je ne peux pas. Everly avait traversé tant d’épreuves au cours des quarante-huit heures écoulées. Bon sang, elle avait failli se faire écraser il y avait moins de deux heures. Il ne pouvait pas lui en demander beaucoup plus maintenant. Même s’il la perdait, il l’aimerait. Cette évidence le frappa en pleine poitrine alors qu’il la maintenait fermement. — Tu n’es pas obligée, bébé. Puis il se laissa aller, plongeant au plus profond de son sexe. C’était si bon. Elle était si parfaite, avec sa chair soyeuse serrée autour de lui. Il se mit à la pilonner et elle lui répondit avec une ardeur égale. À chaque assaut, elle répliquait, féroce dans sa bataille pour le plaisir. Il la souleva légèrement afin de s’insinuer plus loin encore. Avec un bruit mat, elle plaqua les deux mains à la fenêtre pour essayer de se rééquilibrer, et ses seins effleurèrent la vitre. — Et maintenant, tu sais ce qu’ils verraient, s’ils le pouvaient ? Une femme sublime baisée par un homme qui ne peut pas vivre sans elle. Ils te verraient, toi, mais ils me verraient moi aussi. Je ne pourrais pas me cacher d’eux, et je ne compte pas me cacher de toi. Pas une seconde de plus. Il baissa les yeux vers son membre qui disparaissait en elle. Leur union était si belle. Mais il avait besoin de voir son visage, nom de Dieu. Peu lui importait le fantasme, tout à coup, il n’y avait qu’elle. Il se retira et l’entraîna avec lui sur le plancher de la limousine, reconnaissant qu’il soit recouvert d’un tapis confortable. Alors qu’il la retournait sur le dos, elle ouvrit sur lui des yeux langoureux de désir. — Quoi ? Elle représentait tout ce qu’il avait toujours voulu sans même le savoir. Ce dont il avait toujours eu besoin. Les désirs fébriles qu’il avait éprouvés toute sa vie semblaient disparaître quand il était avec elle. Et ça le rendait nerveux, parce que cette femme avait un pouvoir immense sur lui. Elle était capable de le détruire en un battement de cœur. Quelques mots cruels, une trahison et plus jamais il ne serait le même. Il avait vu ça souvent. Dans son univers, les mariages n’étaient pas heureux. Ce n’étaient que des unions arrangées pour l’argent, l’ambition et le sexe. Lui, il en voulait plus.
Mais il ne l’obtiendrait pas en reculant maintenant. Alors il se repositionna et s’enfouit à nouveau en elle. Cette fois, elle noua les jambes autour de lui et l’enlaça en soupirant. — C’est mieux. C’est toujours bon avec toi, mais dans cette position, j’adore. J’aime que tu puisses m’embrasser. Il s’immobilisa, son sexe profondément fiché en elle, et se pencha pour l’embrasser. En douceur, leurs lèvres se soudèrent. — Je veux voir ton visage. Je veux te voir quand je te dis à quel point je t’aime. Elle leva alors les yeux vers lui : ils étaient emplis de larmes. — Gabriel, je ne peux pas, je t’ai averti. Il se retira et la pénétra de nouveau, lentement. — Tu n’es pas obligée. Tu ne seras jamais obligée de me le dire, mais moi, j’ai besoin que tu le saches. J’aime tout de toi, Everly Parker. Il ne la lâchait pas des yeux, concentré sur elle pendant qu’il lui faisait l’amour. Elle faisait de lui un homme meilleur, et ça, il ne s’en cacherait pas, ne le refuserait pas. L’amour d’Everly était important. Il ferait tout pour le gagner, mais celui qu’il ressentait à son égard valait tout l’or du monde pour lui aussi. Car cet amour l’avait transformé de bien des façons. Il l’embrassa encore, décidant de ne pas insister pour le moment. Mais il essaierait, il réessaierait, sans relâche, aussi souvent que possible. Jamais il n’abandonnerait. Pour la première fois, il livrait une véritable bataille. Alors oui, il avait déjà affronté des adversaires sur les terrains de sport, dans les cours de récréation et au sein des conseils d’administration, mais gagner Everly Parker définirait son avenir. Et il serait impitoyable dans la conquête de son cœur. Il s’appuya sur elle de tout son poids afin que leurs peaux entrent en contact en tous points. Poitrine contre poitrine. Bouche contre bouche. Bras entremêlés. Il l’assaillit, encore et encore, espérant que l’instant durerait le plus longtemps possible. À deux reprises, elle se contracta autour de lui dans l’orgasme avant qu’il arrive lui aussi au point de nonretour. Un picotement se déclencha au bas de son dos et ses testicules remontèrent. Il plongea plus fort et lui donna tout ce qu’il avait, submergé par le plaisir. Pantelant, il s’affala sur elle, adorant leur proximité parfaite, la synchronisation des battements de leur cœur, du rythme de leur respiration. La voiture accéléra et roula à travers Midtown. — Gabe, je déteste me faire le porteur de mauvaises nouvelles, lança Dax dans le microphone, mais je dois retourner chez Connor. Je crains qu’il n’y ait du changement. Au moins il n’avait pas gâché leur étreinte en faisant cette annonce trop tôt. Pourtant, le cœur de Gabe se serra. La dernière chose dont il avait besoin, c’était d’un souci supplémentaire. Il regarda Everly. — Tu te sens bien ? Tu peux m’accompagner ? Je sais que tu as envie de rentrer, mais si Connor a découvert quelque chose, je préférerais que tu sois présente. Elle hocha la tête. Pour la première fois depuis qu’il avait tout gâché, elle lui offrit le même sourire doux que lors de leur première rencontre. — Oui, je viens avec toi. Il s’agenouilla et l’aida à se redresser. Il actionna le haut-parleur qui les reliait à l’avant de la limousine. — OK, on fait demi-tour. Il s’apprêtait à saisir la robe d’Everly quand elle vint se pelotonner sur ses genoux.
— Il nous reste quelques minutes. La circulation est atroce, accorde-moi encore un peu de temps. Voilà bien une requête à laquelle il accédait volontiers. Et tandis qu’ils traversaient les rues de Manhattan, il la tint contre lui, profitant de ces derniers instants où les lumières et la foule restaient à l’écart.
16 En pénétrant dans la cuisine du loft de Connor, Everly tentait fébrilement de défroisser le tissu fripé de sa robe de créateur. Gabriel était sur ses talons, mais son costume semblait avoir bien mieux survécu que sa robe Prada à leurs ébats dans la limousine. Des ébats ? Non, mais qui essayait-elle de tromper, là ? Ce qu’ils venaient de partager allait bien au-delà du simple acte sexuel. OK, c’était torride, c’était fou, mais Gabriel Bond lui avait aussi dit : « Je t’aime. » Et elle n’avait pas répondu à sa déclaration. Les mots étaient pourtant suspendus au bout de sa langue. L’assurer de la réciproque aurait été facile, naturel, même. Pourtant si fort qu’elle tienne à lui, elle craignait toujours que l’affection qu’il proclamait ne dure pas, elle redoutait son univers de paillettes et de paparazzis, et le chagrin qui l’accablerait si elle restait. Gabriel lui faisait peur parce qu’elle ne se reconnaissait pas quand elle était avec lui. Ce n’était pas elle, cette fille qui faisait l’amour à l’arrière d’une limousine, qui exhibait son corps nu à quelques centimètres d’une foule d’inconnus circulant dans la rue. Cependant, elle devait admettre qu’elle aimait bien la femme qu’elle était en présence de Gabriel. Si seulement elle savait quoi faire à son sujet. À leur sujet. — Tu vas bien ? Les doigts de Gabriel frôlèrent les siens, comme pour lui demander tacitement qu’elle les prenne. Elle s’écarta parce que lui tenir la main l’empêchait de réfléchir clairement. — Très bien. Un peu honteuse de cette virée en voiture, peut-être. Physiquement, hormis quelques douleurs dues à l’accident qui avait failli la tuer, elle se sentait étonnamment bien. Parce qu’il l’avait sauvée. Elle leva les yeux vers Gabriel. Il n’essayait même pas de masquer le chagrin que lui causait son mouvement de recul. Mâchoires serrées, il la contempla, les yeux brûlants de tristesse. Et quand, les sourcils froncés, il entra dans la pièce devant elle, Everly sentit son estomac se vriller. Dax la contourna pour rejoindre Gabriel et lui poser une main sur l’épaule, comme s’il cherchait à le réconforter. Puis le capitaine de la marine reporta son attention sur elle, une colère noire dans le regard. Voilà qu’elle devenait la méchante de l’histoire. Redressant les épaules, elle entra dans la salle à manger où Connor examinait attentivement son écran d’ordinateur. Ses cheveux coupés en brosse étaient en bataille, comme s’il avait passé la main dedans. Il regarda Gabriel et s’adressa à lui sur un ton morne. — La police a retrouvé le deuxième homme de l’incendie. Lester Hall. Il est mort. Une balle entre
les deux yeux et deux dans la poitrine. Dax ferma les yeux. — Merde, grommela-t-il. Ainsi donc, son mystérieux informateur ne s’était pas trompé. — Exécuté, donc. Par la Bratva, apparemment, si mes informations sont correctes, intervint-elle. — Qu’est-ce qui te fait dire ça ? s’enquit Gabriel. On n’a aucune certitude que la mafia russe soit dans le coup. Connor s’adossa à son siège. — Je pense que la rouquine a raison. Deux balles dans la poitrine et une dans la tête, c’est la signature d’un pro qui n’a voulu prendre aucun risque. (Il se tourna vers elle.) J’aimerais en savoir plus sur vos informations. En partant, ce matin, vous ne sembliez pas en détenir beaucoup. Elle haussa les épaules. — Cet après-midi, j’ai rencontré un homme qui m’avait envoyé des SMS anonymes et semble avoir eu accès aux enregistrements des caméras de surveillance de chez Maddox. À voir l’air médusé de Connor, qui demeurait bouche bée, elle n’eut aucun doute sur sa surprise. Or il y avait fort à parier que peu de gens parvenaient à étonner Connor Sparks. — Vous avez des rendez-vous avec une Gorge Profonde ? — Ça fait un peu film porno, commenta Gabriel en secouant la tête. Elle avait rendez-vous avec un homme qui semble savoir des choses. Connor soupira. — Excusez-le, il a dormi pendant toute la seconde partie du cours sur l’histoire américaine. Manifestement, il a raté celui sur le mystérieux informateur qui, pendant le scandale du Watergate, a conduit Woodward et Bernstein à la vérité, aboutissant à la fin de la présidence de Nixon. — Évidemment que je savais ça, fit Gabriel sans se démonter, en levant les yeux au ciel. Cette référence au scandale du Watergate effraya Everly. — Eh bien, en tout cas mon Gorge Profonde à moi jouait son rôle à fond. Il s’est pointé en trenchcoat et Borsalino. J’ai failli tourner les talons, et puis il a fini par me prouver qu’il détenait des informations étonnantes. Il ne cessait de répéter que ce qui arrivait allait bien au-delà du meurtre de Maddox, plus loin que je ne pouvais imaginer. C’est peut-être parce que vous avez mentionné le Watergate, mais mon esprit se dirige automatiquement vers une personne. — Zack, termina Gabriel, le regard grave. — Vous pensez que ce type en a après Zack ? demanda Dax. — Je ne sais pas. Il est resté volontairement vague. Connor se passa une main sur les yeux. — Encore une fois, je pense que la rouquine a raison. Elle est bien plus maligne que je ne l’aurais cru. À la seconde où la moindre allusion sera faite à une possible implication de Zack dans quoi que ce soit de légèrement scandaleux, tout va exploser. — Il a court-circuité l’enquête de la FAA ? s’enquit Everly. — Je l’ignore, répondit Connor, avant de se lever et de s’étirer. Si on agit vite, on peut attraper Roman au gala qui commence au Plaza dans vingt minutes. Il doit retourner à Washington DC demain. Je suggère qu’on le retienne jusqu’à avoir déterminé ce qui se passe exactement. Roman a toujours été un excellent menteur, mais on le connaît. S’il nous cache quelque chose, on le verra. — Et on fera quoi ? Les paroles de l’informateur hantaient Everly. Il avait affirmé qu’ils la lâcheraient pour protéger l e s leurs. Qu’est-ce qui lui garantissait qu’ils n’allaient pas le faire et l’abandonner sans aucune
réponse sur les vraies causes de la mort de son frère ? — On va découvrir le fin mot de l’histoire, insista Connor. — Zack ne ferait jamais rien d’illégal, assura Dax. — Mais il se peut qu’il couvre quelqu’un, fit Gabriel en se grattant le menton. — Qui ? voulut savoir Connor. Gabriel haussa les épaules. — Il me croit peut-être coupable. Je n’en sais rien. Et Roman ? Vous savez qu’il était prêt à tout pour faire élire Zack, surtout après la mort de Joy. Alors peut-être couvrait-il aussi un autre de ses chers amis ? Dans la pièce, l’atmosphère était devenue sinistre à la mention de feu l’épouse du président. Everly se rappelait la couverture médiatique de l’époque, elle avait pris une balle destinée à Zack Hayes durant la campagne des élections présidentielles. Zack s’était allongé sur le corps de sa femme dans le chaos qui avait suivi les coups de feu, mais il était trop tard. La photo du jeune et beau politicien couvert de sang avait envahi tous les journaux, tous les écrans de télévision. Bien entendu, Everly n’avait jamais rencontré le président, elle avait seulement vu les images d’un chef d’État sérieux, voire froid, dont les sourires étaient si rares qu’ils faisaient exploser les flashs. Elle ne le connaissait pas, n’avait aucune idée de son caractère. Cependant, elle avait rencontré Roman Calder et s’était forgé une idée assez précise de ce qu’il était prêt à faire pour une cause qu’il embrassait. Gabe soupira. — Si Zack voulait balayer quelque chose sous le tapis, Roman le couvrirait. Il irait même jusqu’à organiser l’opération, en fait. Connor arpentait la pièce. — On doit lui parler. Je ne vois pas les liens, là. J’ai cherché toute la journée, nom de Dieu, et je ne trouve rien dans ce merdier, hormis le fait que le père de Zack a été ambassadeur de Russie pendant des années et que la Bratva est apparemment impliquée. Zack n’est pas retourné à Moscou depuis des décennies. Roman sait peut-être quelque chose. — Et il ne nous aurait rien dit ? s’étonna Dax. Connor referma brusquement son ordinateur portable et haussa les épaules. — Peut-être pas. Et le pire, c’est que la seule personne à qui on aurait pu parler est morte en prison il y a environ une heure. La pièce tout entière sembla se figer. — Valerie est morte ? — Oui. La police l’a retrouvée inconsciente dans sa cellule, et elle est décédée dans l’ambulance qui l’emmenait à l’hôpital. Selon leur théorie, elle avait des drogues dans le corps avant son arrestation, et ça a pris un certain temps avant qu’elles fassent effet. Les inspecteurs l’ont décrite comme un peu à côté de la plaque quand ils l’ont incarcérée, expliqua Connor. — À moins qu’on les lui ait données en prison pour l’empêcher de s’épancher, suggéra Everly. Connor croisa son regard par-dessus la table. — Possible. Je ne serais pas étonné qu’ils lui découvrent une marque d’aiguille quelque part sur le corps. Ça aurait été relativement facile à effectuer durant la procédure. Et Dieu sait que la Bratva a des appuis dans la police. — Ce qui nous ramène à notre point de départ. Un danger rôdait quelque part et ils avaient un temps de retard sur lui. Gabriel s’approcha et lui prit les mains. Cette fois, elle ne les retira pas.
— Everly, je sais que c’est frustrant, mais je te jure que je vais faire tout mon possible. En attendant, tu ne peux pas rentrer seule. Comme si elle en avait eu l’intention. — Je ne compte pas m’opposer à toi sur ce point, Gabriel. La menace est bien réelle. Les cadavres s’accumulent. Je ne t’avais pas parlé de Gorge Profonde, car je ne voulais pas t’effrayer et je savais que tu t’opposerais à ce que j’aille le voir. — Tu avais vu juste, concéda-t-il. S’il te recontacte, je te laisserai t’en charger. Tu t’en es bien sortie avec lui aujourd’hui, sauf que tu n’avais pas prévu l’auto qui a manqué de te tuer. Alors j’accepterai que tu le rencontres à nouveau si besoin, à condition que tu m’autorises à organiser votre entrevue. Il faisait des efforts. Elle pouvait bien en concéder quelques-uns, elle aussi. — OK. Peut-être parviendraient-ils à surmonter leurs différences, après tout. — Très bien, acquiesça Connor. Je dois m’habiller pour un dîner à mille dollars le plat. Gabriel, j’ai récupéré ton smoking tout à l’heure, il est à l’étage. — Comment tu es rentré chez moi ? Tu n’as pas les clés. Connor se contenta de sourire. — Tu dois m’accompagner à ce pince-fesses, reprit-il. Considère Everly comme ta bonne cause, et puis tu dois crever l’abcès avec Roman. Dax peut rester ici pour la garder. — Il n’a pas à livrer mes batailles, intervint Everly. Laissez-moi y aller, je m’en charge. Gabriel exerça une pression sur sa main, puis il s’adressa à Connor : — Elle marque un point. Je vais appeler un personal shopper et lui faire envoyer une robe sur-lechamp. Ça ne prendra pas plus d’une heure. Évidemment, elle ne pouvait pas y aller habillée comme elle l’était. Ils n’étaient pas en train d’essayer de l’écarter, simplement de faire en sorte que l’affaire avance. À un moment donné, elle devrait décider si elle accordait sa confiance à Gabriel ou non. En supposant qu’il l’aime, comme il le prétendait, elle n’avait pas d’autre choix que de le croire capable de parler à Roman sans essayer de l’entourlouper, elle. — Vas-y, lui assura-t-elle. Je serai très bien ici avec Dax. Je vais peut-être tenter quelques opérations de piratage de mon côté, si quelqu’un veut bien me prêter un ordinateur. Gabriel m’a obligée à laisser le mien au bureau, ajouta-t-elle à la cantonade. Je pense que le moment est venu que je jette un coup d’œil sur cette fondation. — Bien. J’ai passé toute la journée à fouiller dans les comptes de Crawford. La fondation était ma prochaine cible, admit Connor. J’ai un système d’exploitation que vous pouvez utiliser. — Ne le croyez pas, fit Dax avec un sourire malicieux. Le plus clair de sa journée, il l’a passé à flirter avec Lara Armstrong sur Internet. Si incroyable que ça puisse paraître, Connor rougit légèrement. — Je ne flirte pas. Je construis une relation avec elle dans le but de découvrir ce qu’elle fabrique. Oh, là, là, le scoop qu’elle avait pour lui ! — Lara Armstrong est la seule personne à qui Gorge Profonde m’a recommandé de faire confiance. Il prétend qu’elle détient des informations. — Vraiment ? Un sourire prédateur éclaira le visage de Connor, et soudain Everly se prit à plaindre Lara Armstrong. — Il a ajouté qu’il m’avait envoyé d’autres éléments, or je ne les ai pas trouvés. Je dois repasser
mes e-mails au peigne fin. Mais bon, il se peut aussi qu’il m’ait menti. Elle ne le pensait pas, mais il fallait tout envisager. — Pas sur l’implication de Lara, en tout cas, affirma Connor. Elle est enfoncée jusqu’à ses jolis yeux bleus dans ce bazar, et je compte bien percer à jour ce qu’elle sait. Je serai prêt dans quinze minutes. Sur quoi il se dirigea vers sa chambre à grandes enjambées. — Que quelqu’un prie pour cette femme, marmonna Dax à mi-voix. Everly était d’accord. Connor avait tout du loup affamé quand il parlait de Lara Armstrong. — Soit il la baise, soit il la tue, murmura Gabriel, les yeux rivés dans la direction que Connor avait prise. Je pencherais plutôt pour la première option. — Je ne pense pas qu’il la tuerait, fit Dax dans un haussement d’épaules. Du moins je l’espère. Gabriel offrit un sourire à Everly. — Tu es sûre que ça ne te dérange pas de rester ? Je ne plaisantais pas, je t’emmène avec moi si tu veux. Cet effort manifeste de l’inclure dans le groupe aidait grandement à apaiser ses inquiétudes. — Non, ça va aller. Et si vous avez besoin de Dax, je suis même prête à promettre de ne pas quitter ce loft. — Aucun de nous deux ne mettra un pied hors de ces lieux, affirma Dax, les bras croisés sur son large torse. — Je pourrais rester avec elle… Gabriel semblait sincèrement réticent à partir. — Gabe, tu sais que Connor a raison. Va te préparer, je m’occupe de ta petite femme. Tu veux que je règle sa laisse à quelle longueur ? s’enquit Dax, comme si elle n’était même pas là. Gabe posa les yeux sur elle et lui prit l’autre main. — Je ne devrais pas rester absent très longtemps, mais si quoi que ce soit se produit, tu la suis comme son ombre. Elle sait ce qu’elle fait, elle se débrouille, mais je veux qu’elle puisse bénéficier de soutien. Sur quoi il se pencha et lui effleura les lèvres des siennes. — Je t’aime, Everly. Deux mots qui menacèrent de la briser. Et tout ce qu’elle parvint à souffler en réponse, ce fut un : « Merci » faiblard. Il soupira et resserra son étreinte sur ses mains avant de s’éloigner. — Sois sage. Il s’engagea dans l’escalier menant à l’étage, et elle se sentait plus vide à chaque marche qui les éloignait. — « Merci » ? Il vous dit qu’il vous aime et vous le remerciez ? s’exclama Dax en secouant la tête d’un air écœuré. J’ai besoin d’une bière. En le regardant s’éloigner, Everly songea qu’elle venait sans doute de perdre un allié. Elle se frotta le front et se dirigea vers le séjour. Les immenses baies vitrées permettaient d’admirer la beauté de l’Upper East Side et de l’Hudson au loin. Qu’allait-elle faire ? Elle savait ce qu’elle voulait : Gabriel. Sauf qu’elle n’était pas sûre de pouvoir le garder. Elle avait pris la décision de lui accorder sa confiance et, malgré les recommandations de Gorge Profonde, elle lui avait transmis toutes les informations en sa possession. Oui, elle avait tout raconté à Gabriel et à ses amis, parce qu’elle lui faisait confiance. Quand il redescendit, il était vêtu d’un smoking qui lui donnait encore plus l’allure d’une star de
Hollywood en route pour une avant-première sur tapis rouge. Devait-elle le juger sur son apparence ? Devait-elle avoir peur d’une si grande beauté ? Ou devait-elle se rappeler qu’il était un être humain et avait à ce titre besoin des mêmes choses que tous les autres, d’amour et d’affection ? Elle pourrait être la femme qui les lui offrirait, si elle réussissait à s’ouvrir. — Je reviens bientôt. Il l’embrassa avec délicatesse, presque comme quelqu’un qui aurait peur d’approfondir le contact, malgré l’intimité qu’ils avaient partagée. Elle voulut lui rendre son baiser, lui promettre que tout irait bien, mais elle ne parvint qu’à esquisser un hochement de tête. Et pourtant, elle aurait voulu lui dire tant de choses. Mais Connor entra, un regard impatient braqué sur sa montre. Gabriel et lui échangèrent un coup d’œil, puis ils partirent. Restait à espérer qu’il y avait à manger, dans ce loft, car elle craignait un peu que Dax ne la laisse mourir de faim. Jusqu’à ce que sa large silhouette s’encadre dans la porte. — Je commande des pizzas, vous aimez les champignons ? — À condition qu’il y ait des pepperonis aussi. Une heure, des pepperonis et quelques champignons avec supplément sauce tomate plus tard, elle ouvrit les trois clichés qu’elle avait réussi à télécharger et tourna l’écran vers Dax. Elle avait utilisé le système d’exploitation dont Connor lui avait parlé pour se connecter à distance avec son ordinateur portable laissé au coffre. Et qui était lui-même relié au petit réseau d’ordinateurs qu’elle était seule à utiliser au bureau. À présent qu’elle avait accédé à son bureau, elle pouvait visionner les photos. Dommage qu’elle n’ait pas laissé la carte SD dans son port, elle aurait peut-être trouvé un moyen de visualiser aussi les autres sans avoir à les télécharger. Dax se pencha vers l’écran, les sourcils froncés. — Et quelqu’un vous a envoyé ça. Vous pensez qu’il faisait référence à ces clichés-là ? Elle ne put que hausser les épaules. — Je l’ignore. Ça ne constitue pas vraiment des informations, si ? Je déteste l’idée qu’il se trouve un autre harceleur bizarroïde qui suive le moindre de mes mouvements, mais je ne vois pas comment ces photos s’emboîtent dans le puzzle. Gorge Profonde est un conspirationniste, il a évoqué la mort de Maddox comme un événement aux répercussions plus vastes qu’on ne l’imagine. Alors pourquoi m’enverrait-il des images de Maddox et moi ? — Aucune idée. On dirait qu’elles ont été prises depuis l’immeuble qui se trouve en face du vôtre. — Oui, admit-elle. Et comme ce bâtiment a un accès au toit, j’en déduis que le photographe était posté là-haut. — Il devait avoir un bon téléobjectif sur son engin, commenta Dax en fixant l’écran. Et vous dites qu’il y en a d’autres comme ça ? — Oui, répondit-elle, mais quelque chose dans les propos de Dax la fit réfléchir. J’ai des soucis avec mon ordinateur portable. Ça fait à peu près une semaine, maintenant. Quelque chose qui cloche avec mon disque dur, du coup je ne peux rien y stocker. Je dois le déshabiller complètement, mais chaque fois que je vais pour me lancer, quelqu’un essaie de me tuer. Désolée, ces derniers jours ont été plutôt rudes. L’appareil photo que j’ai reçu ne comportait pas de téléobjectif, c’est un petit truc numérique. Il secoua la tête. — Ça, en tout cas, ça a été pris au téléobjectif. Pas de doute là-dessus. Le téléphone portable d’Everly sonna. Elle baissa les yeux sur l’écran, espérant que c’était Gabriel. Malheureusement, ce ne fut pas son prénom qui s’afficha, mais celui de Scott. Il avait l’habitude
de l’appeler au moins une fois par jour, et deux fois le week-end. — Je dois décrocher, indiqua-t-elle en se levant de son fauteuil confortable. Dax hocha la tête. — Je vais passer ces photos en revue, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. — OK, pas de problème. Elle n’aurait pas réagi ainsi la veille, mais elle commençait à s’attacher aux amis de Gabriel. Le dîner qu’elle avait partagé avec Dax avait été agréable. Ce capitaine de la Navy l’avait régalée d’histoires hilarantes sur son enfance, et sur quelques problèmes que s’étaient attirés Gabe et le reste de la bande. En discutant tranquillement avec lui, elle s’était rendu compte que, malgré leur richesse et leurs privilèges, ils avaient été des petits garçons seuls au monde. Maintenant, c’étaient des hommes. Et comme tout homme, Gabriel pouvait la quitter. Il pouvait partir, exactement de la même manière que sa mère. N’importe quel homme pouvait agir ainsi, et pourtant Gabriel pourrait bien être celui qui valait la peine de risquer son cœur. Elle se précipita à la cuisine et passa le pouce sur l’écran de son portable. — Salut, Scott. Comment tu vas ? — Tout baigne, Everly ? J’ai un peu peur. Il parlait tout bas, presque dans un souffle. — Oui, ça va, qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle en retournant au séjour. — J’ai examiné les dossiers comme tu me l’avais demandé. Tu savais que pendant deux ans environ, on avait eu un second sponsor pour le gala de la fondation ? Il y avait toujours plusieurs sponsors. Il existait même une liste des entreprises qui donnaient de l’argent à la fondation. — Bien sûr. — Everly, je viens de parler avec Tavia et on a tous les deux peur pour toi. Elle n’avait pas abordé le sujet avant, mais avec ce qui est arrivé à Valerie… Je ne veux pas qu’il te fasse du mal. Je t’en prie, tu dois te mettre à l’abri. Voilà qui était horriblement exagéré. — Mais de quoi tu parles, Scott ? — Gabriel Bond est enfoncé dans cette affaire jusqu’aux sourcils. C’est Bond Aéronautique qui s’est occupé du banquet, il y a deux ans, et j’ai trouvé un échange d’e-mails entre Valerie et Gabe Bond. Ils étaient amants et préparaient une escroquerie ensemble en détournant de l’argent de Crawford. Viens me rejoindre chez moi, que je te montre les preuves. Un frisson parcourut Everly. Gabriel avec Valerie ? C’était une femme séduisante, certes, mais jamais il n’avait donné l’impression de la connaître. D’un autre côté, si Valerie n’était probablement pas assez maligne pour orchestrer un accident d’avion, Gabriel oui, sans l’ombre d’un doute. Mieux, ça entrait tout à fait dans son domaine de compétences. Mais si ces deux-là avaient été impliqués dans une quelconque arnaque, pourquoi aurait-il attiré son attention sur les factures des galas de la fondation ? Pourquoi l’aurait-il sauvée de la folie meurtrière de Valerie ? S’ils étaient ensemble, Everly ne l’imaginait pas laissant Val se faire arrêter, surtout s’il nourrissait le moindre soupçon qu’elle puisse mourir en prison. — Je ne sais pas trop, Scott. Je ne devrais pas. Je parviendrai peut-être à m’échapper demain. — Il faut que tu viennes maintenant, insista-t-il. Bond pourrait s’en prendre à toi. C’est lui qui est derrière tout ça, tu t’en rends compte ? Bon Dieu, Everly… Valerie n’était pas une copine ni rien, mais je crois qu’il a tout manigancé pour qu’elle endosse la faute. Échappe-toi tant que tu le peux encore.
Il hésita, puis sa voix baissa encore d’un ton. — Rassure-moi : tu n’es pas avec lui en ce moment ? Facile. — Non, il est parti. — Alors va-t’en. Sur-le-champ. Viens à mon appartement et on réfléchira à la conduite à suivre, à la façon de te protéger. L’indécision lui tordait le ventre. Scott avait peut-être tout compris de travers, mal lu les documents, mais elle détestait l’idée qu’il s’inquiète pour elle. Et puis, si elle n’acceptait pas sa proposition, il la harcèlerait de coups de fil. — D’accord. Je fais mes bagages et j’arrive d’ici une heure. — Vers 20 heures donc ? demanda-t-il, insistant. Promis ? Elle resserra son étreinte sur le téléphone. — Oui. — Bien. Je t’attends. Ce type est un cerveau criminel qui ne recule pas devant le meurtre. Alors sois prudente. Elle raccrocha, médusée, et se mit à arpenter la pièce. Qu’est-ce qui se passait ? À qui pouvait-elle faire confiance, nom d’une pipe ? En l’occurrence, deux choix seulement s’offraient à elle : Gabriel ou Scott. Son ami avait tendance à dramatiser, mais de là à traiter Gabriel de « cerveau criminel »… Ça ne ressemblait pas à l’homme pour qui elle craquait. Et Scott s’était montré si pressant pour qu’elle aille le rejoindre dans l’instant… S’il la croyait vraiment en danger, pourquoi n’accourait-il pas à sa rescousse ? Pourquoi ne lui demandait-il pas au moins où elle était ? D’un autre côté, les mots d’amour de Gabriel étaient-ils son ultime mensonge afin de la contrôler ? Était-elle une cible facile, dans l’appartement de Connor ? S’efforçant d’enfouir ses émotions pour se concentrer uniquement sur les faits, elle alla dans le couloir et s’arrêta dans la salle à manger, où l’écran de l’ordinateur éclairait les traits durs de Dax. — J’ai une question. — J’écoute, dit-il, sans lever les yeux de l’écran. — Gabriel connaissait Valerie ? — Qui ? demanda-t-il en prenant son soda. — Valerie. Vous savez, la meurtrière en puissance qui est morte en garde à vue il y a quelques heures ? Existe-t-il la moindre possibilité que Gabriel l’ait connue avant cette semaine ? Qu’il soit sorti avec elle ? Cette fois, elle avait toute l’attention de Dax. — Bon Dieu, mais de quoi vous parlez ? Il n’y a aucune chance pour que Gabe ait eu une liaison avec cette folle. Elle ne connaissait pas Dax. Elle ne l’avait rencontré que quelques jours plus tôt. Elle ne connaissait pas non plus très bien Gabriel, d’ailleurs. Scott, en revanche, elle le connaissait depuis longtemps. Il l’avait soutenue. Il était devenu son ami. — Primo, poursuivit Dax, Valerie n’était pas son type. Du tout. Secundo, pas une seule fois il n’a fait allusion à elle devant moi, même comme un coup d’un soir. — Vous ne connaissez pas toutes les femmes avec qui Gabriel… est sorti. Elle détestait l’idée qu’il puisse coucher avec une autre. Vraiment. — Non, en effet, mais s’il l’avait vue plus de deux ou trois fois, les paparazzis les auraient surpris. Et tertio, qu’est-ce que ça peut bien faire ? Jamais, pas une seule fois je ne l’ai entendu dire à une
femme qu’il l’aimait. Jamais, Everly. Elle l’observa fixement plusieurs secondes. Il ne cilla pas. Au bout du compte, il ne lui restait plus qu’une possibilité. — Dans ce cas, on a un problème. Je pense que mon ami Scott est impliqué dans l’histoire. C’était lui, au bout du fil. Il se fait peut-être juste des idées sur ce qu’il a découvert, mais il est aussi possible qu’il essaie de piéger Gabriel. Il vient de tenter de me convaincre que celui-ci veut me tuer. — Et vous ne croyez pas votre ami ? Finalement, la décision avait été aisée à prendre. Elle avait agi comme son père lui avait toujours appris à le faire : en interrogeant son cœur et en suivant son instinct. Gabriel Bond n’était pas un criminel. C’était même un très mauvais menteur. Quand il lui avait avoué qu’il l’aimait, il le pensait. Ça n’avait rien d’un stratagème. C’était sa vérité, elle était prête à parier sa vie là-dessus. — Non. Dax se redressa sur son siège. — C’est qui, ce type ? Elle s’affala sur le canapé. Parfois, dans la vie, une femme devait faire le grand saut et croire en sa bonne étoile. — Scott Wilcox travaille avec moi chez Crawford. Je lui ai demandé de fouiller dans les factures des deux dernières années pour l’organisation des galas de la fondation. Il m’a affirmé avoir la preuve que Gabriel était impliqué dans le détournement de fonds et a insisté pour que j’aille le rejoindre chez lui illico afin qu’il me montre ça. Elle prit une profonde inspiration. « Quand le vin est tiré, il faut le boire », disait-on. — Il essaie visiblement de m’attirer loin d’ici en me racontant tout un tas de conneries. À croire que quelqu’un cherche à nous séparer, Gabriel et moi, pour une raison que j’ignore. Dax se leva. — Vous feriez un appât de choix, surtout s’il cherchait à vous utiliser comme monnaie d’échange contre Gabe. Mon pote ferait n’importe quoi pour vous protéger, mon petit. Et on l’y aiderait tous. Votre Scott a peut-être songé à ça. Et voilà, il venait d’exprimer exactement le pressentiment qui lui nouait le ventre. Gorge Profonde avait peut-être vu juste sur le coffret et l’enquête concernant le meurtre de Maddox, mais il se trompait au sujet de Gabriel. Ses amis et lui se serreraient les coudes. Ces cinq-là étaient soudés, sans aucun doute, cependant cette solidarité incluait leurs compagnes. Or elle était celle de Gabriel Bond. Et elle deviendrait sa femme, alors il était temps de suivre ce que lui dictait la loyauté et de prendre sa place sur l’échiquier. — Il faut réfléchir, vite et bien. Comme vous l’avez dit, je suis un appât. Je pense qu’ils veulent Gabriel. Il avait des tas de raisons de souhaiter la mort de Maddox, et Scott, ainsi que celui qui travaille avec lui, utilise cet état de fait à leur avantage. Elle refusait de mettre Gabriel en danger. Pas question qu’il tombe pour la protéger. — Ou bien ils tentent de brouiller les pistes, de nous occuper tellement à couvrir nos arrières qu’on ne pigera pas ce qui se passe réellement, commenta Dax en passant une main sur ses cheveux noirs coupés en brosse très courte. Je n’aime pas ça du tout. Si Mad soupçonnait bien Valerie de vol, pourquoi ne l’avoir pas virée sur-le-champ ? Pourquoi toutes ces ruses ? — Il voulait accumuler assez de preuves pour l’attaquer en justice ? Everly répondait à cette question par une question, car à présent qu’elle y réfléchissait, cette logique n’avait pas de sens. — À moins… Je sais qu’on n’a jamais poursuivi un seul employé, chez Crawford. Un peu plus tôt
cette année, un employé a été surpris à essayer de vendre des documents internes. Eh bien, il a juste été renvoyé. La plupart des entreprises évitent les procès à cause de la mauvaise publicité que cela engendre. — Mais les actions peuvent plonger, dans le cas d’un scandale tel qu’un détournement de fonds. Le Mad que je connaissais aurait viré la fille et empêché que les pertes s’accumulent. Sauf qu’ils n’avaient pas trouvé que des factures. En fait, en y réfléchissant, elle se rappela que les factures n’étaient même pas sous clé. Elles se trouvaient sur le bureau de Maddox, avec tout un tas d’autres papiers. Il n’avait pas essayé de les cacher. Ce qu’il avait gardé secret, en revanche, c’étaient les clichés des fillettes, ainsi que le nom de sa mère et celui de cette femme russe. Qu’avait dit Gorge Profonde ? Que parfois on ne voyait pas la forêt à cause de tous les arbres qui nous la cachaient. Calme-toi. Réfléchis. Tu as les pièces du puzzle. Essaie de les assembler correctement. Son père adorait les puzzles. Souvent, ils mangeaient sur des plateaux devant la télé, car la table de la cuisine était couverte du puzzle sur lequel il travaillait. Il lui avait toujours répété qu’assembler un puzzle apprenait la patience. Il pouvait passer des heures à observer la forme des pièces, une à une, et lentement un motif se dessinait. Maddox Crawford était homme à choisir presque toujours le chemin le plus direct. Elle l’avait vu renvoyer un manager qui avait fait une erreur sur le rapport d’un investisseur. Maddox n’avait pas pris la peine de monter un dossier bien ficelé. Il avait joué le rôle du juge, du jury et du bourreau. Quant aux femmes avec lesquelles il couchait, il en avait renvoyé plus d’une dès qu’elles commençaient à le déranger. Cet homme gérait une fortune de plusieurs milliards de dollars. Alors l’argent détourné ne lui aurait pas vraiment manqué. Non, il aurait été plus enclin à s’inquiéter de l’impact sur l’entreprise et la fondation qu’à essayer de récupérer l’argent. Les éléments importants étaient placés dans le coffret, soigneusement cachés. Les photos des fillettes. Le nom de sa mère. Et Natalia Kuilikov. Qu’avait dit Tavia sur les fillettes disparues ce matin ? Que Maddox avait envisagé d’embaucher des mercenaires. Pourtant, la première fois où elle lui en avait parlé, après sa nuit avec Gabe, Tavia lui avait expliqué que c’était l’équipe d’investigation de Crawford Industries qui recherchait les gamines. Everly n’avait pas été mise au courant de l’affaire, car elle ne concernait pas une menace électronique. De plus, Tavia connaissait les filles et leur famille, elle possédait déjà les informations nécessaires. Il fallait qu’elle vérifie quelque chose. — Je peux utiliser l’ordinateur une minute ? Dax haussa les épaules et s’écarta, poussant le portable dans sa direction. Quelques clics plus tard, elle était dans les dossiers de Mulford concernant cette enquête. Et elle n’aimait pas ce qu’elle découvrait. — Des semaines, voire des mois, se sont écoulés sans que mon homologue à la sécurité physique, Joe Mulford, n’ait reçu la moindre nouvelle ou demande de remboursement de la part d’aucune équipe de sécurité basée à l’étranger. Elle fronça les sourcils alors qu’une autre idée la frappait. Tout à coup, pas mal de détails venaient s’additionner les uns aux autres. — Ma question va vous paraître bizarre, mais Maddox connaissait-il des mercenaires ? Dax éclata de rire. — Bon Dieu, non ! Mad connaissait des sommeliers aux quatre coins du monde, mais pas des
mercenaires ! Il se serait adressé à moi ou à Connor, s’il recherchait quelqu’un de ce genre dans une partie éloignée du monde. — Ou bien à Zack ? Après tout, il volait en direction de Washington DC, quand… — Non. Il n’aurait jamais demandé au président les références d’un soldat mercenaire. D’autant moins que, comme vous le savez, Crawford possède des succursales partout dans le monde, dont chacune a sa propre équipe de sécurité. Mad aurait commencé par là. — Et s’il avait trouvé que ça ne suffisait pas ? — Que ça ne suffisait pas ? (Il la regardait comme si elle était devenue folle.) Vous savez qu’ils sont au top. Ils connaissent les autochtones, ils connaissent le terrain comme leur poche. Je mets au défi quiconque d’effectuer meilleur travail que ces gens-là sur ces territoires. Et si malgré tout ils n’avaient pas été à la hauteur de la mission, Mad les aurait renvoyés pour embaucher de meilleurs gars. Mais jamais il n’aurait engagé un type qui pouvait être acheté. Il avait raison. — Récapitulons : des fillettes ont disparu des écoles de la fondation. Au moins trois. Probablement plus, mais Maddox jugeait que ces trois-là étaient importantes. Je sais que deux d’entre elles sont africaines, et une indienne. Elle se jeta sur le clavier. Dax l’aida pour les mots de passe. Ils n’eurent aucun mal à retrouver les noms et la localisation des écoles. Deux de ces établissements se trouvaient dans un rayon de soixante-dix kilomètres d’une succursale de Crawford. — Ça confirme votre théorie, ils n’ont pas dû recourir à des mercenaires. (Elle fronça les sourcils.) Une fois que Tavia a contacté directement les équipes sur place, on aurait dû adresser à Mulford une demande d’approbation de leurs frais. Sauf que j’ai vérifié ses rapports. Rien. Nada. Que dalle. Pas une requête de remboursement qui soit classée dans le dossier des dépenses sur le terrain. Quand j’ai informé Tavia que je reprenais le travail de Mulford pendant son absence, elle m’a demandé de ne rien faire qui puisse les détourner de leur mission. Un vilain pressentiment s’installait au creux de son ventre : d’une façon ou d’une autre, Tavia faisait partie du complot, elle aussi. — Et si ces fillettes n’avaient pas simplement disparu ? Dax secoua la tête. — Comment pourrait-on le prouver ? — Je pense… Il faut que je découvre pourquoi on m’a envoyé ces fichues photos. Je réfléchis peut-être de manière trop littérale. Gorge Profonde a insisté sur le fait que j’aurais dû recevoir ses informations. Je croyais qu’elles se trouveraient là, sous mon nez, mais peut-être est-il plus sournois que ça ? Cet appareil photo est la seule chose que j’aie reçue qui ne concerne pas le travail. Si mon ordinateur portable ne dysfonctionnait pas, j’aurais pu… Oh, bon sang ! La vérité venait de lui tomber dessus avec la force d’une tonne de briques. Comment avait-elle pu être aussi bête ? Elle courut à la cuisine. — J’aurais pensé à ça sur-le-champ, si mon portable ne m’avait pas déjà causé des soucis. Comment ai-je pu ne pas le voir ? Dax arrivait sur ses talons. — Moi, je ne vois rien, beauté. Que diriez-vous d’éclairer ma lanterne ? D’abord elle devait confirmer son intuition. Elle ouvrit le dossier contenant les photos. Ces derniers jours avaient été si chaotiques qu’elle n’avait pas songé à se demander pourquoi les fichiers photo occupaient autant de mémoire. Elle avait attribué cette bizarrerie aux soucis de son système d’exploitation. Et si au contraire c’était inhérent aux clichés eux-mêmes ?
Le menu apparut en même temps que la taille des documents. Everly désigna l’écran. — Vous voyez ces fichiers ? Ils sont énormes. Dax plissa les paupières. — Vous faites de la discrimination contre les grosses photos ou quoi ? Qu’est-ce que ça peut bien faire, leur taille ? Les photos, ce sont toujours des fichiers lourds, non ? Les mains d’Everly voletaient à présent sur le clavier, car désormais elle savait de quoi il s’agissait. — Lourds, oui, mais ceux-là sont énormes. Ils ont occupé presque toute la place disponible sur mon disque dur, et ce n’est pas par hasard. Il y a quelque chose de caché derrière. — Caché ? Comment ? Elle téléchargea l’un des clichés sur l’ordinateur de Connor – il ne connaîtrait pas les mêmes soucis de capacités que le sien. Encore une fois, elle se prit à regretter d’avoir laissé sa carte SD dans son portable. Car grâce à cette carte, elle aurait pu tout télécharger sur l’ordinateur de Connor. — Ça s’appelle la stéganographie. On dissimule des informations importantes derrière quelque chose de banal en apparence. La plupart du temps, dans une photo. Dès qu’on trouve des fichiers d’une taille anormalement grosse, c’est un indice fort de ce genre de procédé. Et voilà. L’image se transforma en tout autre chose. Dax prit un siège à côté d’Everly. — Waouh. Qu’est-ce que vous avez fait ? C’est du russe ? Un frisson la parcourut. — J’ai craqué le code. C’est facile, maintenant que je sais ce qui se cache là derrière. Et oui, c’est du russe, sans l’ombre d’un doute. Tout est en cyrillique. Malheureusement, je n’ai pas la moindre idée de ce que ça signifie, mais ça ressemble à un document scanné. Ces pages sont manuscrites. — Je ne connais pas grand-chose au russe, mais je sais déchiffrer l’alphabet. Zack parle couramment la langue et on l’utilisait plus ou moins comme un code entre nous. Ça, c’est un nom, expliqua-t-il en posant un doigt sur l’écran. Vous voyez, ça ressemble à une entrée de journal intime, et puis il est apposé en guise de signature. À plusieurs reprises. Cette écriture est féminine, selon moi. Elle a signé les pages de son journal. Everly s’arrêta. — Il s’agit donc du journal intime d’une femme. Dax, s’il vous plaît, dites-moi qu’elle s’appelle… — Natalia. — Oh, mon Dieu ! Elle ne comprenait toujours pas tout, mais une chose était certaine : elle devait récupérer les autres photos. — Il faut qu’on aille à mon bureau. Le reste de ce journal se trouve sur la carte SD. C’était ce que cherchait Valerie, je parie. Elle devait être impliquée ou alors ils l’ont utilisée comme bouc émissaire. Ces documents vont nous conduire à la mystérieuse Natalia, et avec un peu de chance elle connaît un gars du nom de Sergeï. — Je suis d’accord, même si je ne vois pas trop le rapport avec les détournements des fonds de Crawford pour les galas. J’ai l’impression qu’il nous manque des pièces du puzzle. Elle voyait pourtant qu’il était sur le pied de guerre. — Moi aussi, mais il nous faut récupérer cette carte SD avant que Scott et ses éventuels complices n’y parviennent. S’ils volent ces informations, on perdra toutes nos chances de comprendre ce qui est réellement arrivé à Maddox.
Dax sortit son téléphone et composa un numéro. — Gabe va me tuer. Merde, c’est sa boîte vocale. Gabe, ramène-toi chez Crawford. On pense avoir trouvé une grosse pièce manquante du puzzle. C’est le paquet qu’a envoyé l’informateur à Everly, et qui se trouve dans son bureau. Je la conduis là-bas, car elle a accès au bâtiment et pas moi, mais viens nous rejoindre aussi vite que possible. Et rappelle-moi. Sur quoi il raccrocha, les sourcils froncés. — OK, je vous suis. Everly sortit de la maison presque en courant et plongea dans la nuit. — Je me sens tout nu sans mon téléphone portable, marmonna Gabe tandis qu’ils contournaient la foule. — Tu sais pertinemment pourquoi Roman impose ces mesures, répondit Connor. Parce qu’il y avait eu bien trop de scandales à cause de gens qui avaient enregistré des discours pour les diffuser hors contexte ou montrer le politicien sous un jour peu flatteur. Des vidéos d’hommes politiques en conversation avec leur base avaient déstabilisé plus d’une campagne, du coup Roman avait interdit les portables à l’intérieur des salles de banquet lors de galas de levées de fonds, y compris ceux auxquels Zack n’était pas attendu. — Je sais bien, n’empêche que c’est une plaie. Gabe scruta la foule tandis qu’ils étaient enfin admis dans la salle de bal. Un visage familier attira son attention. — Merde, c’est bien qui je pense ? Connor suivit son regard, posé sur une jolie blonde. — Liz. Ça alors. Pourquoi il ne nous a pas avertis ? Si Liz Matthew était présente, alors Zack aussi, forcément. Gabe sentit son estomac se vriller. Roman leur avait menti. — Eh bien, estimons-nous déjà heureux qu’il ne nous ait pas interdit l’accès à la salle de bal. Connor leva une main. — Arrête. Ce sont nos meilleurs amis. Laisse-leur l’occasion de s’expliquer. Il passa la foule au peigne fin, en quête de Roman. Il comprenait mieux, maintenant, toutes les mesures de sécurité auxquelles ils avaient dû se soumettre. — Monsieur Bond ? Gabe se retourna pour découvrir l’un des hommes des services secrets qu’il avait rencontrés quelques jours plus tôt. Et merde. — J’ai besoin de voir Zack. Il resta fièrement campé face à son interlocuteur, se demandant si on allait l’escorter dehors, avec force gesticulations et cris, ou si l’on se contenterait de lui administrer un gentil coup de taser avant de jeter son corps dans quelque coin reculé. — Il souhaiterait vous voir tous les deux. Lui et M. Calder vous attendent dans un salon privé à l’étage. Ils vous ont vus entrer sur les caméras de surveillance. Je suis mandaté pour vous préciser que parler aux tabloïdes de tout incident qui aurait pu ou non intervenir dans l’attribution du surnom de « Trottinette » serait un délit punissable d’une incarcération à la prison de Guantanamo. — Il plaisante, là ? s’insurgea Gabe. Connor avait esquissé un sourire. — Je ne pense pas que les services secrets soient autorisés à plaisanter. Ils suivirent l’armoire à glace au costume sombre jusqu’à un ascenseur privé.
— Je pense que Zack essayait de te signifier qu’il a prévu ta fureur, chuchota Connor alors que la cabine s’élevait. — Ouais, eh bien, ce n’est pas une petite blague qui va m’empêcher d’être furax. Mais je ne suis pas stupide. Je vais le défoncer, cet enfoiré, tellement bien qu’il devra quitter son poste. — Il plaisante, indiqua Connor à leur accompagnateur, avant de retourner vers Gabe un regard noir. Tu sais, mec, ils ne déconnent pas avec les menaces visant le président. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. À l’intérieur se tenait Roman, dans un smoking impeccable. Il leva les mains. — Ce n’est pas ce que vous pensez. Gabe envisagea sérieusement de lui envoyer quand même son poing dans la figure, mais la présence du gars des services secrets, avec ses lunettes noires et son air de dur à cuire, l’en dissuada. Mieux valait garder la tête accrochée au corps. — Dans ce cas, explique-nous un peu ce qui se passe. Je veux savoir qui a interféré avec l’enquête de la FAA. Je veux savoir pourquoi Mad était parti voir Zack, en réalité. Et cette fois, j’exige la vérité, parce qu’il y a quelqu’un qui s’en prend à la femme que j’aime. Je ne laisserai pas les manœuvres politiciennes de Zack la faire tuer. Après une brève montée, ils atteignirent leur étage. Connor suivit Gabe dans un couloir, et l’agent se posta devant les portes de l’ascenseur, qui se refermaient. Alors Roman prit la parole. — Primo, je voulais garder secrète l’apparition de Zack ce soir. C’est pour ça que je ne vous en avais pas informés. Les tabloïdes vous suivent partout, Everly et toi. — Plus maintenant. — Je suis ravi d’apprendre que le plan a fonctionné. — Roman, vas-y, je pense qu’on doit tout leur raconter, lança la voix lasse de Zack depuis la pièce qui s’ouvrait devant eux. Gabe pénétra dans l’immense pièce principale de la suite. Zack était assis sur le canapé moelleux, avec l’air du gars qui a passé une nuit blanche. Bien que sur son trente et un, il paraissait accablé d’un épuisement absolu. Il posa les yeux derrière Gabe et Connor, puis hocha la tête. Aussitôt, l’agent des services secrets disparut. — Dax est avec ta petite amie ? — Oui, acquiesça Gabe. — J’ai été vraiment navré d’apprendre, pour tous ces incidents pénibles. Et soulagé quand j’ai su qu’aucun de vous deux n’était blessé. Zack tendit la main vers un verre de ce qui ressemblait à du scotch. Il le vida, puis se leva pour s’en verser un autre. Avec un regard par-dessus son épaule, il lâcha : — Quelqu’un est intéressé ? — Non. Ce que je veux, c’est comprendre. Je dois retourner auprès d’Everly dès que possible. Gabe n’aimait pas voir Zack aussi fatigué, mais Everly constituait son souci premier à présent. Et peu lui importait si révéler les irrégularités de l’enquête de la FAA déclenchait un scandale qui plombait la présidence de son ami. Du moment que ça tirait Everly du danger. — Je sais que ça va sans doute te faire une belle jambe, intervint Roman, mais c’est lui qui m’a demandé de te faire venir. Il s’assit, son propre verre à la main, avant de reprendre : — Il comptait tout te raconter au petit déjeuner demain. Il n’avait même pas imaginé que le
complot qui a conduit à la mort de Mad le visait en fait lui, jusqu’à ce que je lui communique ce qu’on avait découvert un peu plus tôt dans la journée. On ne comprend toujours pas ce que ça signifie. Zack se tourna. — Pour rien au monde je ne te souhaiterais d’endurer l’enfer que j’ai traversé, sache-le. La perte de sa femme. Mad et Gabe étaient présents à l’hôpital, cette nuit-là. Il n’avait pas été blessé, mais une fois les journalistes partis, Zack avait perdu les pédales. Les docteurs avaient dû lui administrer un sédatif. Avec Mad, Gabe était resté à son chevet pendant que Roman prenait les dispositions pour le corps de Joy. Gabe s’adoucit légèrement en s’asseyant. — Je sais bien que non. Ces gars-là étaient ses amis les plus proches. Il devait leur faire un peu confiance. — Dis-moi ce que vous savez, ajouta-t-il. Zack ôta sa veste d’un coup d’épaule et la posa sur le dossier d’un fauteuil dans lequel il s’affala. — Je sais que le chef de la FAA me jure ses grands dieux qu’il s’agissait d’une erreur de pilotage, selon ses enquêteurs. Je n’étais pas impliqué là-dedans, mais j’aimerais que Connor se renseigne sur chacun des membres de cette investigation. Je sais bien que tu n’es pas censé travailler sur le sol américain, mon pote. Connor haussa les épaules. — J’ai fait pire. Je m’en occupe. Il découvrirait la vérité. Zack ne prendrait peut-être pas les mesures nécessaires s’il pensait que de bonnes raisons l’en empêchaient, mais Connor découvrirait le pot aux roses. Ça faisait donc un souci de moins. — Pourquoi Mad venait-il te voir ? — Il voulait me questionner sur une certaine Natalia Kuilikov, répondit Zack, avant d’avaler une autre gorgée de son scotch. Il m’avait expliqué avoir été contacté par une personne qui avait trouvé son journal intime. Il a refusé de nous révéler qui, mais il a précisé que Scandales au Capitole se démenait pour acheter le document. Apparemment, la guerre des enchères faisait rage sur le Dark Web pour acquérir ce carnet. Gabe secoua la tête. — Le Dark Web ? — Une sorte de version immergée de l’Internet, expliqua Connor. Il y a des adresses auxquelles on ne peut pas accéder via les chemins traditionnels. Le Dark Web accueille pas mal d’activités criminelles. Qui était cette femme ? Une ancienne petite amie à toi ? Elle est morte ? — Je n’en sais rien, admit Zack. Je la croyais encore en Russie. Mais ça n’était absolument pas ma petite amie, j’ai déjà parlé d’elle avec toi, il s’agit de Nata. — Ta nounou ? Gabe se rappelait, en effet. Nata était le surnom que Zack lui donnait quand il était trop petit pour savoir prononcer Natalia. Il avait toujours parlé avec affection de cette jeune Russe qui s’était occupée de lui durant les sept premières années de sa vie, à Moscou. — Oui, grogna Zack. Tu comprends ma perplexité. J’avais sept ans la dernière fois que je l’ai vue. Mon père et ma mère avaient embauché une Américaine pour me surveiller pendant les vacances d’été de mes années de pensionnat. Et quand ma mère est morte dans un accident de voiture, mon père a décrété que j’étais devenu trop vieux pour avoir besoin d’une baby-sitter. Qu’est-ce que Nata aurait pu raconter de si vital ou secret pour que les gens aillent jusqu’à tuer dans le but de récupérer ses confessions ?
— Ton père a eu une liaison avec elle ? s’enquit Connor. — J’ai déjà cherché dans ce sens, intervint Roman, qui faisait les cent pas dans la pièce. Même si son père avait entretenu une relation avec la nurse de son fils, ça n’a rien d’assez scandaleux pour atteindre Zack. Son pourcentage d’opinions favorables est ridiculement élevé. Tout le monde sait que son père avait des problèmes avec les femmes et l’alcool, mais il est loin des feux de la rampe à présent. Une découverte pareille ne mériterait pas plus qu’une note de bas de page dans une biographie. — Tu as interrogé ton père ? Gabe savait que Zack n’était pas proche de son paternel, mais si l’homme était en mesure d’éclairer un peu les événements, ça valait la peine de le contacter. — Je peux essayer, soupira Zack, mais il est atteint de démence sénile au premier degré, malheureusement. Et puis, même quand il s’en souvenait, il n’aimait pas parler du passé. — Alors il y a forcément autre chose. On doit retrouver ce fichu journal intime par nos propres moyens, marmonna Gabe. Je veux mettre des détectives sur les enregistrements vidéo du parking souterrain. Ça nous permettra peut-être d’attraper l’homme qui a parlé avec Everly. Il semble en savoir bien plus qu’il ne devrait. Je veux aussi voir l’épave de l’avion de Mad. Mon entreprise a construit cet appareil, j’ai appris à Mad à le piloter. Je veux conduire une enquête indépendante. Zack hocha la tête. — Je vais voir ce que je peux faire. Everly était réellement la demi-sœur de Mad ? — Oui. — Waouh. J’aurais bien aimé voir comment cet enfoiré gérait la présence d’une petite sœur. Dieu sait qu’il ne s’est pas gêné pour draguer les vôtres. J’étais ravi d’être fils unique, pour ma part. Vous vous rappelez la fois où il avait jeté son dévolu sur la cousine de Roman, quand on était adolescents ? Gabe parvint à rire. — Elle lui avait cassé le nez. L’une des meilleures journées de ma vie. Je me demande comment il aurait géré la paternité, ajouta-t-il plus sérieusement. — Sara sait qu’on est tous derrière elle, j’espère, fit Zack. Elle peut nous demander n’importe quoi. — Tu pourrais t’arranger pour qu’on me rende mon téléphone ? lui demanda Gabe. — Déjà fait, répondit Zack. On devrait te le monter d’ici quelques minutes. Quand on vous a repérés dans la foule, à l’entrée, j’ai essayé de les arrêter avant qu’ils ne te confisquent ton portable, mais c’était trop tard. — Je veux appeler Everly pour lui annoncer que je rentre. Je crois qu’on va rester chez Connor un moment. Son loft est mieux sécurisé que ma maison. Je dois la protéger très discrètement. — Sinon, c’est lui qui va se retrouver avec le nez cassé, termina Connor. Everly n’est pas du genre poupée du bal des débutantes. C’est la fille d’un flic, et elle ne se gêne pas pour le montrer. — Toi et la sœur de Mad… Roman secouait la tête comme s’il n’arrivait pas à y croire. — Je vais l’épouser. Du moins il allait tâcher. Mais avant, il devait travailler sur leur relation, sur la confiance d’Everly. — Jamais je n’aurais cru que ça se produirait un jour, commenta Zack avec un sourire. Puis il se leva et lui tendit la main. Gabe la saisit, mais son vieil ami l’attira dans une accolade. Ces gars étaient ses frères, sa famille de cœur. Il pouvait compter sur eux.
— On va découvrir le fin mot de cette histoire. Et y mettre un terme. — Tu m’étonnes qu’on va le faire, acquiesça Roman, une main dans le dos de Zack. — Et on se débarrassera de quiconque nous menace, promit Connor. Le cercle était incomplet, mais Dax n’était pas le seul absent du sextuor. Ils seraient à jamais diminués, désormais, puisque Maddox était mort. Le chagrin remonta à la gorge de Gabe comme les bulles d’une bouteille que l’on viendrait de déboucher. — Il me manque, à moi aussi, avoua Zack. Je m’en veux terriblement d’avoir refusé de le voir. Je pensais qu’il voulait me demander d’arranger les choses avec toi, Gabe. Il m’avait dit qu’il avait un truc important dont il voulait discuter avec moi, et je l’ai envoyé balader. Il ne serait peut-être pas monté dans cet avion, si je ne lui avais pas raccroché au nez. — Tu ne peux pas voir les choses comme ça, lui dit Roman quand ils s’écartèrent. Mad a toujours été imprudent. Il me manquera jusqu’à la fin de mes jours, mais on avait des raisons de lui en vouloir. Tout ce qu’on peut faire maintenant, c’est essayer de découvrir qui l’a tué et pourquoi. Les portes de l’ascenseur émirent un nouveau « ding », et un autre agent de sécurité entra, qui rapportait les portables de Gabe et de Connor. Immédiatement suivi par Liz Matthew, portant une robe noire très à la mode, resserrée sur sa taille fine et tombant en un mouvement fluide sur ses hanches féminines. Gabe l’avait entendue regretter d’être trop ronde pour la caméra, mais il trouvait plutôt que la télévision ne rendrait jamais assez hommage à son intelligence, à la façon dont ses yeux pétillaient de vie. Et il lui était reconnaissant d’avoir sauvé Zack du désespoir. Cette femme était belle, à l’intérieur comme à l’extérieur. Et ils avaient de la chance qu’aucune caméra ne se trouve dans les parages pour surprendre le regard affamé que posait sur elle le président des États-Unis. — La foule commence à s’impatienter, Zack, annonça-t-elle. Et je pense avoir atteint mon quota de blagues au-dessous de la ceinture. (Son sourire s’étira quand elle les aperçut.) Gabe et Connor, quel plaisir de vous voir, tous les deux. Comment va ta sœur, Gabe ? En fille du Sud qui se respectait, Liz n’oubliait jamais de s’enquérir de la famille. — Elle va bien, elle prend un peu de repos loin du tumulte de la ville. À présent qu’il avait récupéré son portable et qu’ils avaient apparemment rassemblé toutes les informations disponibles pour le moment, il était temps qu’il aille retrouver Everly. — Zack, merci. On te contacte dès qu’on en apprend plus. — Je te transmettrai les informations dont tu as besoin. Et je veillerai à ce que tu puisses examiner l’avion. Zack saisit sa veste de smoking et l’enfila. Et aussitôt Liz se retrouva à ses côtés, qui l’époussetait et rajustait sa cravate. — Merci. Gabe baissa les yeux sur l’écran de son portable. Dax avait essayé de le joindre. Il écouta sa boîte vocale, sur laquelle résonna la voix forte de son ami. Il fallait qu’il rapplique sur-le-champ chez Crawford. Il avait l’intention d’épouser Everly – s’il ne la tuait pas avant. Bon sang ! Dax savait pourtant qu’il ne voulait pas qu’elle se rende au bureau. Bon, il allait prendre une profonde inspiration et gérer ça. Il s’agissait d’un bâtiment bien surveillé et Everly était capable de se débrouiller seule. S’il n’y prenait garde et qu’il affirmait trop son instinct de protection, il risquait de la rebuter. — Connor, appelle la limousine. On doit passer chez Crawford pour récupérer Everly et Dax,
indiqua-t-il en composant le numéro de son ami. — Ne me hurle pas dessus, le pria celui-ci sitôt qu’il décrocha. Elle est très persuasive. Au moins ils allaient bien. — Attendez-moi. Je peux être sur place dans quinze minutes. — On est en train de franchir les portes. Everly a découvert qu’elle possède le journal intime de Natalia Kuilikov sur une carte SD dans son coffre. Elle pense aussi que ses amis et collègues de l’entreprise ne sont pas clean, et je crois qu’elle t’aime bien. Vraiment, vraiment bien. Du Dax dans le texte, toujours à plaisanter. — Eh bien, je l’aime vraiment, vraiment bien, moi aussi. Prends bien garde à elle, je suis en route. — Je t’appelle quand on repart, et tu pourras passer nous prendre. On est venus en métro, vu que Connor et toi, vous avez pris la limousine en otage, et qu’il n’a pas eu l’amabilité de me laisser les clés de sa Porsche. Gabe jeta un coup d’œil en direction de Connor. — Tu ne pouvais pas leur laisser tes clés, non ? — Pas question, ricana ce dernier. Il me bousillerait la boîte de vitesses en un clin d’œil. — Dépêchez-vous, et rejoignez-nous devant l’immeuble. Sur quoi il raccrocha, l’adrénaline montant déjà dans son système. — Everly pense avoir des informations, annonça-t-il aux autres. — J’ai raté quelque chose ? demanda Liz. Zack lui offrit ce que Gabe appelait son sourire « politiquement correct ». — Ce sont juste des informations sur une vieille amie. Rien dont tu aies à te tracasser. Descendons. La prochaine élection n’aura lieu que dans six cents jours au bas mot. Tu es certaine que je ne peux pas démissionner avant ? L’ascenseur arriva et ils s’y entassèrent, suivis par l’agent des services secrets, qui appuya sur le bouton conduisant à la salle de bal et au hall d’entrée. Liz n’en finissait pas de s’affairer sur Zack. — Non, impossible, affirma-t-elle. Allons-y, monsieur le Président. Si tu démissionnes, je perds mon boulot, or j’ai besoin de chaussures neuves. Tu feras joujou avec tes amis plus tard. Roman, j’ai besoin que tu fasses interférence. Si quiconque laisse le sénateur Baxter s’approcher trop près du gin, tu sais ce qui se passe. La porte de l’ascenseur s’ouvrit, et Liz et Zack sortirent. — J’arrive, indiqua Roman, avant de s’immobiliser devant Gabe : Je serai chez toi dès que possible. Sois prudent. Et la porte se referma. — Il faut vraiment qu’ils le fassent dans la chambre Lincoln, commenta Connor en secouant la tête. Selon Gabe, Zack et Liz devraient le faire, tout court, et peu importait où. Parfois il était persuadé que Zack avait le pire métier du monde. Enfin, ils atteignirent le hall. — J’envoie chercher la limousine. Connor se dirigea vers le voiturier, et Gabe se prit à regretter qu’ils ne soient pas venus en Porsche. Il avait tellement hâte de rejoindre Everly. D’une façon ou d’une autre, il allait arranger les choses avec elle ce soir.
17 Everly rempocha sa carte-clé en se demandant qui allait se faire licencier ce matin : personne n’occupait le bureau de la sécurité. Les lieux étaient déserts, le silence presque inquiétant. La nuit écoulée avait été infernale. Dès que Dax et elle étaient sortis du métro, elle avait reçu un SMS d’une voisine l’informant que la porte de son loft était ouverte et qu’on avait saccagé son appartement. Elle avait donc rappelé la vieille dame, qui avait précisé que rien ne paraissait avoir été volé, mais qu’on cherchait manifestement quelque chose. Les informations de Gorge Profonde, sans l’ombre d’un doute. — Gabe arrive, annonça Dax, mais avec la circulation, il faut bien compter quelques minutes. Vous êtes sûre qu’on ne devrait pas plutôt aller à votre appartement d’abord ? Elle secoua la tête. — Non, j’ai demandé à ma voisine de tout verrouiller. On s’occupera de ça plus tard, de toute façon on sait ce qu’ils cherchaient. — Cet endroit a de quoi flanquer la frousse, la nuit, fit-il en balayant les lieux du regard, sourcils froncés. Everly commençait à s’habituer à sa présence, et se sentait désormais assez à l’aise pour le taquiner. — Non, mais je rêve ! Vous n’êtes pas censé être un héros de la marine ou un truc du genre ? Les gars comme vous n’ont jamais la frousse, si ? Elle appuya sur le bouton d’appel de l’ascenseur. Dax la suivit à l’intérieur de la cabine et choisit le quarantième étage. — Je suis capitaine de la marine américaine, s’il vous plaît, et ça signifie que je suis habitué à être entouré de gens vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Ce vide, c’est flippant. Qu’on me donne un bon gros bateau avec, à son bord, quelques centaines d’hommes armés sous mes ordres, et je suis heureux. — Vous êtes un enfant gâté, capitaine Spencer. Elle parvint à lui sourire malgré sa mâchoire crispée. Une fois qu’ils auraient récupéré cette information, tout le reste risquait de dégringoler comme des dominos, et alors elle n’aurait plus aucune raison de rester auprès de Gabriel. Sauf qu’elle en avait envie. Elle était même prise de panique en imaginant sa vie sans lui. Ils avaient beau se disputer, elle n’envisageait pas de cesser de le fréquenter. Bref, mieux valait écarter ces pensées pour le moment et se concentrer sur le problème qui les occupait à cet instant. Il lui fallait découvrir pourquoi Scott était impliqué dans ce bazar et de quoi Tavia était coupable exactement.
Everly soupçonnait la fondation de se trouver au cœur du problème. Or Tavia, c’était la fondation. Cette organisation caritative avait été créée par sa famille, sa vie et sa carrière tournaient autour de sa gestion. Elle était donc forcément dans le coup et n’avait sans doute eu aucun mal à trafiquer des documents afin d’incriminer Valerie. La question, c’était plutôt de savoir pourquoi Tavia avait besoin de cet argent. La fondation connaissait-elle des soucis financiers ? Ou se passait-il quelque chose de plus sinistre encore ? Et Valerie, l’avait-on éliminée pour l’empêcher de parler ? — On ne fait que l’aller-retour, déclara Dax. Vous récupérez cette carte et on s’en va. On la visionnera une fois rentrés chez Connor. Peut-être Everly aurait-elle encore un rôle vital à jouer dans l’affaire. Même quand la carte SD serait transmise, ils auraient peut-être encore besoin d’elle. — OK. Je laisserai Connor s’occuper des documents pendant que je me mettrai en quête de Gorge Profonde. Si je lui renvoie un e-mail, avec un peu de chance il retournera dans un cybercafé pour me répondre. Je peux déduire où il vit, s’il se rend systématiquement au même endroit ou dans le même périmètre. Je le soupçonne de payer en liquide, ce salopard, car je n’ai pas été en mesure de mettre en parallèle des paiements par carte de crédit avec les fois où il m’a écrit. — Alors là, vous me flanquez la trouille, Parker. On peut vraiment faire ça avec un ordinateur ? Quand elle hocha la tête, il siffla. — Vous êtes une petite chose dangereuse et je vous demande pardon, mais Gorge Profonde doit changer de nom. Gabe avait raison à ce sujet : moi, ce truc ne m’évoque que du porno. Dax mesurait au moins trente centimètres de plus qu’elle, sans compter une bonne cinquantaine de kilos de muscles, mais il la faisait rire. Il était une sorte de grande, de superbe usine à tablettes de chocolat. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et elle le guida à travers les couloirs familiers. — Bizarre, commenta-t-il en baissant les yeux sur son téléphone. Je viens de perdre toutes mes barres. — Peut-être un souci avec l’antenne-relais. Elle vérifia son propre portable. Rien non plus. — Je vais me dépêcher. Elle n’avait pas fait plus de cinq pas quand Dax lui posa une main sur le bras. Elle pivota. — Quoi ? Il leva le poing. Grâce à ses années passées au contact de militaires, Everly connaissait la signification de ce geste : silence. Elle s’immobilisa et tendit l’oreille, espérant qu’il s’agissait des gardiens en cours de ronde ou bien des gens de l’entretien. Dax tendit le doigt devant eux. Et le ventre d’Everly effectua un looping lorsqu’elle comprit ce qu’elle voyait : une paire de pieds chaussés de baskets dépassant de l’alignement de box face à elle. Et un aspirateur couché sur le flanc. — On retourne aux ascenseurs, chuchota Dax. Quelqu’un est là, qui a installé un brouilleur de portables. Je vous exfiltre. — Si ça se trouve, il a fait une attaque cardiaque, objecta-t-elle en se dirigeant vers l’homme à terre. — Non, il se passe un truc pas net. Dax commençait à la tirer en arrière quand ils entendirent un mouvement dans le couloir sur leur droite.
— Dommage pour toi que le journal ait disparu, mychka. Tu sais que je ne peux pas rentrer à la maison sans lui. Everly était pétrifiée. Elle avait reconnu un accent russe, très prononcé. Et elle percevait le bruit mat de bottes sur la moquette. — Oncle Yuri, tout ça n’est qu’une terrible erreur, répondait la voix tremblotante de Tavia, qui s’approchait. Dax se coucha aussitôt, entraînant Everly avec lui. Ils arrivaient de l’autre côté et leur bloqueraient bientôt l’accès aux ascenseurs. Et ils allaient aussi devoir croiser le chemin des Russes pour atteindre les cages d’escaliers. Elle suivit donc Dax à quatre pattes entre le dédale de box, puis ils se faufilèrent à l’intérieur de l’un des espaces du milieu. Il la serra contre lui. — Ne criez pas, lui murmura-t-il à l’oreille. En se retournant, elle comprit la raison de ses paroles. Elle se plaqua une main sur la bouche pour étouffer le hurlement qui menaçait de lui échapper. Le corps de l’un des agents de sécurité avait été poussé contre la paroi du box, et au centre de son front, juste au-dessus de ses yeux grands ouverts, un trou béait. On aurait dit qu’il fixait le néant. L’estomac d’Everly se tordit. L’autre gardien était certainement mort, lui aussi. D’où l’absence de toute sécurité dans le hall d’entrée. — Une erreur ? reprenait la voix à l’accent russe, qui semblait s’être arrêtée devant les ascenseurs. Ça n’était pas une erreur, mychka. Tu es devenue gourmande. Ça ne te suffisait pas de jouer les mères maquerelles, tu voulais faire chanter le patron. Où as-tu trouvé le journal ? Natalia nous a quittés depuis de nombreuses années. — C’est Maddox Crawford qui a trouvé son carnet. D’après moi, mais ce n’est qu’une supposition, son père a dû tomber dessus quand il couchait avec ma mère. Peut-être le lui avait-elle donné pour qu’il le conserve à l’abri, mais bref, quoi qu’il en soit, Mad l’a récupéré. C’est lui qui voulait m’obliger à faire du chantage à Ivan. Je n’aurais jamais fait une chose pareille, je suis loyale envers ma famille. Moi, tout ce que je demande, c’est de pouvoir diriger ma fondation. La preuve, j’ai pris des risques pour toi, cet été. J’ai réussi à faire passer le chargement d’armes alors que personne n’y parvenait. — En revanche, tu n’as pas réussi à couvrir ton petit trafic d’êtres humains. — Sur les centaines de filles que j’ai vendues, seules trois d’entre elles ont fait l’objet d’un avis de recherche. Je trouve que les chiffres parlent en ma faveur. Everly sentit son ventre se vriller à nouveau. Tavia ne cherchait donc pas à éduquer des fillettes dans des pays pauvres. Elle les enlevait à leur famille et ruinait leur courte vie dans l’unique but de gagner quelques dollars. Elle avait dupé tout le monde. Maddox avait-il découvert le pot aux roses avant sa mort ? Était-ce pour ça qu’on l’avait tué ? — Les chiffres, comme tu dis… C’est quoi, l’expression des Américains, déjà ? Ils pourraient nous mettre dans la merde jusqu’au cou. Je t’avais dit que ça ne s’arrêterait pas tant que tu ne te serais pas fait prendre. — Je ne me suis pas fait prendre, argua-t-elle. Et ça n’arrivera pas. On doit se concentrer sur tes problèmes. Pas besoin de tuer la fille. Mon frère se trompe : si on la tue ou qu’on la kidnappe, la police va nous tomber dessus. — Je n’ai pas été envoyé ici pour rester planté là, les bras croisés, à espérer que rien ne déraille, répondit l’oncle de Tavia d’une voix grave et caverneuse. Une remarque que la jeune femme ne sembla pas écouter. — Tout ce que je dis, c’est que si on trouve le journal avant elle, on n’a pas besoin de la tuer.
Cette petite idiote n’a pas la moindre idée de ce qui se joue autour d’elle. Autrement elle aurait couru parler à la presse. — Comment peux-tu en être aussi sûre ? — Parce que je la connais. C’est une bonne samaritaine. Si elle comprenait la signification de ce journal, elle s’en remettrait immédiatement aux autorités. Crois-moi. Quand les choses vont se calmer, elle oubliera cette affaire pour se concentrer sur le gros portefeuille de son nouveau petit copain. Tout rentrera dans l’ordre et nos affaires reprendront leur cours. Avec un frisson, Everly comprit qu’ils parlaient d’elle. — On doit trouver ce journal, poursuivit Tavia. Bon, il n’est manifestement pas dans le bureau de Crawford, on a fouillé partout. Si ça se trouve, il a été détruit dans l’incendie de sa maison. — Jason et Lester avaient fouillé la maison avant. Nitchiévo. Rien. — Rien ? OK, alors… peut-être qu’il a été détruit dans l’avion ? Après tout, il était en route pour rencontrer le président. — Raison pour laquelle il était nécessaire de tuer cet homme. Tout aurait pu s’effondrer s’il était arrivé à Washington DC avec ce journal, espèce de crétine. Tu sais depuis combien de temps ce plan est en place ? Combien de personnes sont mortes afin qu’on jouisse de cette chance ? — Je connais les enjeux. — Et pourtant tu as décidé de te faire de l’argent facile grâce à ça. Une troisième voix venait de se joindre aux deux autres, et celle-ci était familière. Scott ? — J’ai trouvé la preuve que c’est bien elle qui a envoyé les e-mails de chantage. Et détourné les fonds de la fondation à hauteur d’un bon demi-million de dollars par an. Dis-moi, petite sœur, tu as tout investi en poudre blanche ? Scott était le frère de Tavia ? Toute trace de gentillesse avait disparu de sa voix, il avait même l’air plus colérique et impitoyable qu’Everly l’avait jamais entendu. — De quoi tu parles ? demanda le Russe. Scott lâcha un ricanement sinistre. — Tavia a un petit problème avec la cocaïne. Je suis prêt à parier que vous allez découvrir qu’elle a détourné les fonds de Crawford et fait porter le chapeau à cette pauvre Valerie, mais ça ne lui suffisait pas. Quand le journal intime lui est tombé entre les mains, elle y a vu un autre moyen de gagner de l’argent. Malheureusement, Crawford a tout pigé en vérifiant les comptes pour comprendre ce qui se passait. D’où la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. — Que savait Crawford avant de mourir ? s’enquit le Russe. — Il en avait deviné assez pour se rendre compte que Zachary Hayes était dans un sacré pétrin, répondit Scott. Il avait commencé à poser des questions sur Sergeï. Un fracas retentit à travers la salle, accompagné par ce qui ressemblait à un chapelet de jurons en russe. — Calme-toi, fit Scott d’une voix apaisante. On n’est pas encore fichus. Everly Parker n’est pas arrivée pour notre rendez-vous, j’espère qu’elle est seulement en retard. J’ai un homme sur place, au cas où elle se pointerait, mais on doit aussi envisager la possibilité qu’elle ait basculé dans le camp de Bond et de ses acolytes. — Oncle Yuri, tu dois me croire, renifla Tavia. — Je ne « dois » rien, chère nièce, et tu sembles oublier qui est le patron, ici. Alors je vais te le montrer. Une détonation déchira l’air, et Everly eut toutes les peines du monde à réprimer un hurlement lorsqu’elle entendit un bruit mat. Les bras de Dax se resserrèrent autour d’elle.
Ils avaient abattu Tavia ! Combien de salopards armés y avait-il sur les lieux ? Comment allaientils s’échapper d’ici ? — Tu sais que je ne voulais pas en arriver là, elle faisait partie de la famille, expliqua le Russe à voix basse. Je ne pouvais pas la laisser détourner l’argent d’une entreprise et risquer de nous compromettre. Ses mauvaises habitudes l’ont perdue, elle devait être supprimée. — Je sais, répondit Scott. Elle menaçait la pérennité de nos opérations. Je n’ai pas passé la majeure partie de ma vie dans ce pays de merde pour que ma sœur fiche tout en l’air à cause de la cocaïne. Une longue pause s’ensuivit. — Trouve-moi ce journal. — Je te l’ai dit, je pense que cette Parker l’a en sa possession, répliqua Scott. — Tavia a pourtant dit que ce n’était qu’une petite putain complètement stupide. Scott lâcha un ricanement arrogant. — Tavia a une balle dans le crâne, donc on ne devrait peut-être pas trop se fier à elle. Je vais fouiller le bureau de Parker jusque dans les moindres recoins. Le journal n’était pas dans son appartement, donc il est forcément ici. — Pourquoi Crawford le lui aurait-il confié ? Ça aurait été plus logique qu’il l’emporte avec lui, fit remarquer le Russe. — Je le surveillais et je me suis rapproché d’elle. Ça m’a pris pas mal de temps pour y arriver, mais une fois que j’ai compris à quel point elle comptait pour Crawford, j’ai fait semblant d’être homosexuel. J’ai gagné sa confiance. Je pense que Crawford a dû envoyer une copie du journal à sa sœur perdue de vue depuis si longtemps. Malgré toutes ses excentricités, il restait prudent. Et même si l’original a été détruit dans le crash, je suis sûr qu’il en avait une sauvegarde. Mais le problème, c’est que je ne peux pas pénétrer dans son système d’exploitation. J’ai essayé. Elle l’a verrouillé. On va devoir voler son ordinateur et embaucher un hacker, mais je préférerais repasser son bureau en revue. Il faut fouiller sa table de travail et chercher un éventuel coffre-fort. Et je vais embarquer tous les disques durs que je pourrai. Il est forcément là. S’ils ouvraient le coffre, ils mettraient la main sur la carte SD. Ça leur prendrait peut-être un moment avant de comprendre que les informations étaient dissimulées derrière les photos, mais ils finiraient par y arriver. Alors les informations seraient perdues pour elle, Gabriel et ses amis. Des factions. Gorge Profonde avait mentionné des factions à la recherche du journal. Si Scott s’emparait de la carte, les renseignements échapperaient à sa faction, à elle. Car oui, elle avait choisi son camp, et ça n’était certainement pas celui des Russes. Plus aucun des obstacles entre Gabriel et elle ne tenait à présent. Ni la presse ni les femmes qui l’avaient précédée. Pas même ce satané rapport. Non, rien de tout ça n’importait face au risque de ne plus jamais le voir. Elle aimait Gabriel Bond, et si elle survivait, pas question de le laisser lui échapper. — Comment tu vas te débrouiller ? demanda l’oncle russe. — Tu oublies que j’ai fait des rondes avec l’équipe de sécurité. C’est comme ça que j’ai su où placer les brouilleurs afin que ni les gardiens ni le personnel d’entretien ne puissent donner l’alerte. Je nettoierai les ordinateurs, qu’on croie que Tavia a été la seule à se connecter. Personne ne devinera ce qui s’est réellement passé. Je peux nous faire sortir d’ici dans vingt minutes. — Bon, d’accord. Everly s’approcha de Dax et lui chuchota : — On doit atteindre mon bureau.
— Non, on ne fait rien du tout tant qu’il y a du danger, répondit-il à son oreille. Ils ignorent qu’on est là et ils vont bientôt partir. S’ils dénichent la carte SD, eh bien il nous faudra la leur reprendre, mais on ne fait rien du tout tant que je ne vous ai pas mise à l’abri. Un « ding » retentit, annonçant l’ouverture des portes de l’ascenseur, et Everly sentit une nausée glaciale lui serrer la gorge. La probabilité qu’ils meurent venait peut-être de grimper en flèche. Le bâtiment était plongé dans le silence, à l’exception du claquement des chaussures de Gabe et Connor sur le sol. Apparemment, les gardiens faisaient leur pause, mais Gabe était concentré sur Everly. Il avait presque atteint l’ascenseur quand Connor l’arrêta. — J’ai perdu le réseau sur mon portable. Gabe baissa les yeux vers son téléphone. En effet, lui non plus n’avait aucune barre. — C’est bizarre. Il doit y avoir un problème. Pas étonnant qu’ils ne nous répondent pas, je te parie que leur téléphone ne fonctionne pas. Au moins, ils savaient où aller. Les portes coulissèrent et il entra dans la cabine. Connor le rattrapa par le bras. — Tu ne comprends pas. J’avais du réseau dans la rue. Je pense que quelqu’un a placé un brouilleur à l’intérieur de l’immeuble. Et un modèle très puissant. Qui que ce soit, il ne veut pas que l’on puisse utiliser de téléphone, pour recevoir ou passer un appel. Everly était là-haut. Et il y avait de fortes chances pour qu’elle ignore dans quel guêpier elle mettait les pieds. Elle était peut-être tombée dans une embuscade. Gabe prit sa décision en une fraction de seconde. Il monta dans l’ascenseur. — Va chercher de l’aide. — Gabe ! Descends de là. Connor se précipita vers lui, mais Gabe actionna la fermeture des portes. — Je vais te mettre la raclée de ta vie, gronda Connor alors que les deux panneaux de l’ascenseur entraient en contact. Et Gabe entendit la réverbération du coup de poing de son ami contre le métal. Connor était désormais le seul à pouvoir rameuter de l’aide. Gabe aurait été incapable de se contenter de rester au rez-de-chaussée en espérant que tout se passait bien en haut. Au fur et à mesure que les étages défilaient, son adrénaline grimpait. Il y avait quelqu’un là-haut qui en avait après Everly. Celui ou celle qui avait tué Mad avait-il mis la main sur elle ? Était-elle déjà morte ? Son cœur se serra à l’idée qu’elle soit en train de souffrir ou de trembler de peur. En cet instant, il aurait fait n’importe quoi pour échanger sa place avec la sienne. Il avait toujours estimé que lorsqu’un mari souhaitait mourir avant son épouse, sa réaction relevait de l’instinct de protection, à présent il se rendait compte que c’était un syndrome tout bonnement égoïste. Car pour rien au monde il ne voulait être obligé de vivre sans elle. Ni ressentir la douleur que susciterait sa disparition. S’il vous plaît, s’il vous plaît, faites qu’elle soit en vie. Il n’avait pas prié depuis des années, mais il était prêt à supplier qui il faudrait pour qu’elle soit épargnée. L’ascenseur s’arrêta et le monde sembla se mettre à tourner au ralenti. Les portes s’ouvrirent avec une lenteur extrême, et la première chose qu’il vit fut le corps d’une femme allongée au sol dans une posture peu naturelle. La bile lui monta à la gorge, et puis il se rendit compte que cette femme-là était blonde, et pas rousse comme Everly. Tavia.
Tavia était morte. Pas Everly. — C’est aimable à vous de nous rejoindre, Bond, lança une voix. Sortez donc de l’ascenseur, je vous prie. Levant les mains, il obtempéra. L’homme qui lui faisait face ressemblait à un taureau géant doté d’épaules larges et d’un torse en forme de barrique. Des tatouages se faufilaient sous les manches courtes de son tee-shirt et lui couvraient le cou. Ses cheveux bruns étaient coupés presque aussi court que ceux d’un militaire, ce qui ne faisait rien pour cacher la cicatrice irrégulière qui lui barrait le visage. Ces tatouages en disaient long. Même avec un éclairage aussi faible, Gabe distinguait ceux que l’homme avait sur les bras. Une église et des anges éplorés. Il avait passé du temps sur Internet, plus tôt dans la journée, et vu les mêmes dessins chez les mafieux russes. Ils détaillaient ainsi leurs crimes et les châtiments auxquels ils avaient survécu. Prenant garde à laisser ses mains bien en vue, Gabe espéra que Connor parviendrait à rameuter la police à temps. — Qu’est-ce qui se passe ? — Vous voulez jouer les idiots ? Le jeune homme planté à côté du Russe était Scott, l’ami d’Everly. À croire qu’elle et Mad avaient été encerclés par les traîtres. Scott tenait un semi-automatique à la main, avec l’aisance d’un homme habitué depuis longtemps au maniement des armes. Jouer les idiots était en effet sa seule option. Il laissa le désespoir s’insinuer dans sa voix. — Si vous cherchez de l’argent, je peux vous en procurer beaucoup. Où était-elle ? Dax avait-il deviné la situation et s’était-il caché quelque part avec elle ? — C’est le constructeur d’avions ? Le Russe fit un pas vers lui pour le dévisager. — Oui, mon oncle. Et il est blindé de fric. Qu’est-ce que vous faites ici aussi tard, Bond ? Une expression suspicieuse déforma les traits de Scott, qui regarda autour d’eux, comme pour s’assurer qu’ils étaient seuls. S’ils ignoraient qu’Everly et Dax se trouvaient ici, ce n’était pas lui qui allait les détromper. Il devait fournir à Dax une occasion de la sortir d’ici. — J’ai laissé des papiers ici dont j’ai besoin pour les avocats. Bon Dieu, pourquoi avez-vous tué Tavia ? Parce qu’elle était forcément impliquée. Mais ça, il ne le dit pas. Il baissa les yeux vers le cadavre et secoua la tête. — Elle qui a fait tant de bien dans ce monde. — Ma sœur était une accro à la coke qui vendait des petites filles aux plus offrants, l’informa Scott. Qu’est-ce que ça déclencherait, comme scandale, si tout le monde apprenait que Crawford Industries avait servi de couverture à un trafic d’êtres humains pendant des années ? Donc Mad cherchait les fillettes. Il avait compris que quelque chose clochait. Malgré la situation, Gabe sentit une inquiétude en moins lui peser sur la poitrine : Mad avait tenté de faire le bien par luimême. — Je ne vous crois pas. — Je ne vous demande pas de me croire, cracha Scott en s’approchant de lui. Tout ce que vous avez à faire, c’est de nous amener Everly Parker. — Je ne suis pas censé la voir ce soir. Elle m’a dit qu’elle retournait chez elle, mentit Gabe. — Écartez-vous des ascenseurs, Bond.
Scott commença à arpenter le dernier alignement de box, et à observer entre chacun des espaces. Everly était-elle là ? — Qu’est-ce que vous lui voulez ? lança Gabe, pour les obliger à parler. — Ça ne vous regarde pas, répliqua l’oncle de Scott. Si vous ne nous ramenez pas la Parker ici, je vous tue. Vous ne me servez à rien, et puis notre plan initial de nettoyer tout ce bazar est fichu en l’air, de toute façon, pas vrai ? La mâchoire de Scott se crispa. — Exact. Mais bon, tu pourrais quand même le garder en vie. Je pense qu’il nous serait utile pour faire parler Everly. Je ne crois pas qu’elle viendra si je l’appelle, vu qu’apparemment elle m’a posé un lapin. Elle est sexy, hein ? ajouta-t-il à l’intention de Gabe. J’ai tenté ma chance auprès d’elle, au début. Mais il faut croire qu’elle se réservait pour un milliardaire. — Pourquoi est-ce que tu la harcelais, de toute façon ? — On a découvert qu’elle était la sœur de Crawford longtemps avant lui, expliqua le Russe. Ça fait de longues années qu’on utilise Crawford Industries. Son père était facile à manipuler. Le fils, un peu moins. Mais je pense que ce sera plus simple avec vous, vous me semblez être un homme raisonnable. — Et il a une sœur aussi. Tu pourrais toujours envoyer les gars à sa recherche. Vous ne pensiez tout de même pas qu’on agissait seuls, si ? J’ai certains des criminels les plus sadiques de la fraternité qui fouillent le bureau de Tavia au moment où nous parlons. Je pense que vous allez les aimer. Sur quoi Scott sortit un talkie-walkie. Qui devait fonctionner malgré le brouilleur, car il était sans doute réglé sur une fréquence du choix de l’utilisateur. — Niles, viens par ici. J’ai un nouveau boulot pour toi, ordonna Scott, avec un sourire sournois en direction de Gabe. Il sera plus que ravi de divertir votre sœur jusqu’à ce que vous me conduisiez à Everly. Je vais venir avec vous, histoire de m’assurer que vous ne vous perdez pas en chemin. Si Mlle Parker et vous me donnez ce que je veux, il ne sera fait aucun mal à votre sœur. Ou du moins pas trop. Gabe eut l’impression que son cœur s’arrêtait de battre. — Tu es certain qu’on a besoin d’elle ? demanda le Russe à son neveu. — S’il y a un élément informatique dans ce bordel, oui : Everly est douée pour pirater un système. Je me suis dit qu’elle pourrait nous être utile au cas où le journal serait protégé par une forme de sécurité, or elle sera sans doute plus encline à nous donner un coup de main si nous détenons son petit ami ici. Il baissa les yeux vers son talkie-walkie et rappuya sur le bouton. — Niles ? Viens. — Everly est sans doute à Brooklyn, suggéra Gabe. Une fois qu’il aurait entraîné les Russes à l’extérieur, Dax recouvrerait une liberté de mouvement qui lui permettrait peut-être d’emmener Everly en lieu sûr. Quant à Connor, il les attendrait probablement au rez-de-chaussée. Et dire qu’il avait plaisanté avec son ami en sous-entendant qu’il était sans doute un peu plus qu’un simple analyste. Il priait pour que ce soit le cas, à présent. Car il n’avait pas besoin du cerveau de Connor, là, il avait besoin d’un chasseur. Soit Everly était ici, soit elle était déjà en train de retourner chez Connor, où elle serait en sécurité. Dans les deux cas, il avait plus de chances de s’en sortir en gagnant la rue. Personne ne savait où se trouvait Sara, et bien entendu jamais il ne révélerait à ces types où habitaient sa sœur et son bébé à naître. Plutôt mourir. — Niles, viens, je te dis, marmonnait Scott dans le talkie-walkie. Je croyais qu’Everly vivait avec
vous. Elle n’est pas chez vous ? Ils mettraient plus longtemps pour atteindre Brooklyn. Autant de temps de gagné. — Non. Elle a prétendu avoir besoin d’espace. Je suis certain qu’on la trouvera là-bas. J’ai une voiture au pied de l’immeuble, on peut partir la récupérer sur-le-champ. Le Russe ricana. — Ils ne tardent pas à se balancer mutuellement. Ah, les Américains, vous êtes bien tous les mêmes : vous ne pensez qu’à vous. Scott pointa à nouveau son arme directement sur Gabe. — Ça n’est pas du tout la réputation qu’il a. Merde. — Écoutez, c’est juste une nana que je baisais. Je n’ai pas envie de mourir, moi. Les paupières plissées, Scott l’examinait attentivement. — Ah oui ? Juste une nana ? C’était quand même la sœur de votre meilleur ami. Admettons que vous ne ressentez rien pour elle, à lui en revanche, vous étiez profondément attaché. Je sais qu’elle ne se trouve pas à Brooklyn. Je suis déjà allé y jeter un coup d’œil, je sais donc que vous mentez. Elle est ici, pas vrai ? J’ai cru entendre l’ascenseur, tout à l’heure, mais j’ai mis ça sur le compte de la paranoïa. En réalité, j’avais raison. Elle est ici, elle se cache. La panique menaçait de le submerger. Gabe s’efforça de rester calme. — Je suis seul, je vous l’ai déjà dit. Je suis venu ici récupérer de la paperasse. — Ben voyons. Scott se dirigea vers lui à grandes enjambées, mais Gabe ne bougea pas. Il ne broncha pas non plus quand l’autre lui fourra le canon de son arme sous le menton, malgré la douleur dans son cou. — Où elle est ? Il secoua la tête. — Je n’en sais rien. Peu lui importait qu’ils lui fassent sauter la cervelle, du moment qu’Everly était sauve. Ses frères la protégeraient. Tout irait bien. Un calme étrange s’empara de lui. Scott et son oncle ne la trouveraient pas. Le Russe balaya le couloir des yeux. — Je n’aime pas ce silence. Ce n’est pas normal. Mes gars répondent, quand je les appelle. Ne le tue pas avant que je sois revenu. Tandis que son oncle s’éloignait, Scott resserra son étreinte. — Everly, chérie ? Tu es là ? Parce que j’ai un flingue appuyé contre la tête de ton joli cœur, et je suis sur le point d’appuyer sur la gâchette. De nouveau, Gabe pria pour qu’elle n’entende pas les paroles de Scott et qu’elle ait l’intelligence de rester à couvert. — Je suis là. Ce furent ses mains qu’il aperçut en premier. Horrifié, il la vit ensuite se lever lentement derrière le mur de partition d’un box. — Gabe est venu me chercher. Je n’étais pas censée venir toute seule. Elle avait insisté lourdement sur « toute seule ». Conclusion : Dax était dans les parages et il s’apprêtait à agir. Pas un instant l’arme braquée contre la mâchoire de Gabe ne s’abaissa. Il était obligé de reconnaître ce mérite à ce salopard de Scott, si c’était bien son vrai nom : il était sacrément entraîné. — Je veux le journal, Everly.
Elle écarquilla les yeux et secoua la tête. — Je ne vois pas de quoi tu parles. Je suis venue ici récupérer un disque dur. J’ai reçu un message m’indiquant qu’il y avait quelque chose d’important dessus. Je peux te le passer, mais tu dois libérer Gabriel. Il n’a rien à voir avec ça. Bon sang, mais qu’est-ce qu’elle fichait ? Le journal se trouvait sur la carte SD et non sur un disque dur, il le savait, autrement dit elle bluffait. Mais pas question de la laisser subir la colère des Russes, quand ils se rendraient compte qu’ils n’avaient pas les renseignements escomptés. — Non. Tu nous dis où est le disque dur, et ensuite je le libère. Évidemment, Scott n’était pas stupide. Or Gabe connaissait déjà la suite des événements, puisqu’ils ne pouvaient se permettre de leur laisser la vie sauve, ni à Everly ni à lui. Même s’il parvenait à faire traîner la situation jusqu’à ce que Connor débarque avec la police et que l’affaire tournait alors à la confrontation, ils risquaient d’emmener Everly comme monnaie d’échange. Gabe préférait leur servir d’otage lui-même. — Je réussirai à dénicher ce disque dur d’une façon ou d’une autre, promit Scott. Une fois que je me serai assuré que les informations y figurent bien, j’aurai besoin du nom de la personne qui te l’a envoyé. Allez, bouge. On va à ton bureau ensemble. Elle hocha la tête et se dirigea vers le bout de la rangée de box. — Ne lui fais pas de mal, Scott. Sinon je ne t’aide pas. — Everly, bébé, à la minute où tu lui auras donné ce qu’il veut, il me tuera. Et il te tuera juste après. Ne fais pas ça. Gabe allait devoir tenter quelque chose pour lui donner une chance de s’échapper. Le seul problème étant qu’il n’avait aucune certitude qu’elle saisirait l’occasion. Elle s’immobilisa une fois sortie de l’allée, complètement à découvert. — Tu sais ce que tu m’as dit tout à l’heure ? fit-elle. J’aurais dû te répondre la même chose, Gabriel. Elle le tuait. — Ça n’a pas d’importance, bébé. — Je t’aime, moi aussi. Jamais je ne te quitterai. Ses mâchoires étaient crispées, et pourtant ses paroles et sa voix étaient douces, comme si elle essayait de lui communiquer une vérité. Il fallait qu’il les tire de là. — Everly, tu sais ce que je voudrais. Scott renfonça le canon de son arme dans la joue de Gabe, ravivant la douleur. — Fermez-la, tous les deux. Everly, si tu veux que ton petit ami garde la tête sur les épaules, tu te tournes et tu marches en direction de ton bureau. Si tu tentes quoi que ce soit, j’appuie sur la gâchette. C’est pigé ? Elle hocha la tête et pivota, avant de se diriger lentement vers le bloc des bureaux de direction. Scott le tenait avec une telle poigne que Gabe avait du mal à avancer. Tant bien que mal, il suivit le mouvement. S’il trébuchait, est-ce que cela donnerait à Everly le temps de fuir ? Ou essaierait-elle de se rebiffer ? S’il survivait, il leur faudrait avoir une sérieuse conversation. Un cri horrible les immobilisa tous et soudain, Gabe se retrouva propulsé vers l’avant. Il heurta le sol dans un choc dur et mat, ses genoux vrillés par une douleur qui lui remonta le long des jambes. Mais le temps n’était pas à l’apitoiement. Le corps galvanisé par l’afflux d’adrénaline, il se retourna sur le dos. Everly était debout au-dessus de lui. Il tourna la tête et vit Dax. Bon sang. Ce gars-là était doué avec un pistolet, mais il s’avérait que Dax était aussi très habile pour dégoter des armes de
fortune dans un environnement de bureaux. Il avait enfoncé une paire de ciseaux dans le pied droit de Scott. Gabe grimaça en voyant la profondeur de la plaie. — Fils de pute ! hurla le blessé. Celui-ci avait beau être au sol, il n’avait pas lâché son pistolet. Alors que Dax se remettait sur ses pieds, Scott le visa, et le métal scintilla dans le faible éclairage. — Courez ! hurla Dax en plongeant derrière les box. Sors-la d’ici, nom de Dieu ! Un coup de feu résonna, si proche qu’il faillit bien lui déchirer les tympans. Everly essayait de le traîner. Elle refusait de partir, et Scott allait les rattraper s’ils ne fuyaient pas sur-le-champ. Dax bondit par-dessus le muret et disparut. Scott tira de nouveau, en direction de Dax cette fois. Tout se passait à la vitesse de l’éclair. Gabe saisit la main d’Everly. L’instant était décisif. Il aimait ses frères, ils étaient sa famille. Mais la femme de sa vie passait en priorité. Alors qu’il s’élançait dans le couloir à ses côtés, cette réalité le frappa avec la force de l’évidence : le monde avait changé. À présent, il devait la faire passer avant tous les autres. Ils allaient se marier et avoir des enfants, ce qui ne l’empêchait pas d’aimer sincèrement ses amis qui avaient constitué son univers tout entier, cependant ils viendraient toujours derrière elle désormais. Son enfance, cette époque géniale et insouciante où il pouvait être égoïste et où le monde était son terrain de jeu, cette époque était révolue. Maintenant, il était là pour elle. Il serait son mari, ce qui impliquait d’autres termes aussi – amant, ami, protecteur. Ça lui faisait mal d’abandonner Dax, mais il reviendrait à sa rescousse sitôt qu’il aurait la certitude qu’Everly était en sécurité. Dax était malin, et il avait de l’entraînement. Il ne tomberait pas facilement. Everly non plus, cela dit, mais pas question de lui faire prendre le moindre risque. Alors qu’ils couraient vers son bureau, les pieds frappant lourdement le sol, il lui agrippa la main et mêla ses doigts aux siens afin de ne pas la perdre. Bon Dieu, non, il ne pouvait pas la perdre. Encore quelques secondes et il serait en mesure de l’enfermer à double tour et à l’abri. Un homme très grand tourna à l’angle du couloir, un pistolet bien visible à la main. Gabe s’arrêta si brutalement qu’il manqua tomber en arrière. Il entendit le halètement d’Everly et la sentit trébucher contre lui. Trop tard. Il était trop tard. Il essaya de faire demi-tour, de courir dans l’autre sens. Scott se tenait à l’autre bout du couloir. Gabe poussa Everly derrière lui, dos au mur, mais ils étaient pris au piège. — Ton pote est mort, connard, lança Scott, en avançant malgré une claudication prononcée. Everly hoqueta et le cœur de Gabe lui tomba dans les talons. Dax ne pouvait pas être mort. Non, impossible. Scott continuait à les tenir en joue, tout en hochant la tête à l’intention du nouvel arrivant. — Où sont Niles et mon oncle ? L’armoire à glace lui répondit en russe, mais Gabe aurait parié cher qu’il lui expliquait n’en avoir pas la moindre idée. Putain, mais que fichaient Connor et la police ? D’accord, il n’était pas possible d’entendre les sirènes d’où ils se trouvaient, mais il continuait à prier dans l’attente que s’ouvrent enfin les portes de l’ascenseur, et qu’en émergent les meilleurs flics de New York en hurlant à tout le monde de se plaquer au sol. Dax ne pouvait pas être mort. Il était juste blessé, ou bien il faisait semblant. Forcément. Ils l’emmèneraient à l’hôpital et cette soirée deviendrait une histoire passionnante qu’ils se raconteraient à l’avenir.
Merde. Rien de tout ça n’était censé arriver. Ils étaient supposés être amis pour la vie. Tout au long de leur longue vie. Ils n’étaient pas censés se perdre dans la force de l’âge. Everly le serrait fort contre elle, comme si elle ressentait sa douleur et tâchait de lui en prendre un peu. — Tout va bien se passer. — Toi, tu prends Bond. Je prends la fille, annonça Scott. Si elle tente quoi que ce soit, tue-le. — Je t’aime, murmura-t-elle alors qu’ils étaient arrachés l’un à l’autre. Il regarda Scott poser son arme contre la tête d’Everly. Son trésor. Elle lui était si précieuse et ce salaud la menaçait comme si elle n’était qu’un vulgaire pion. — Bon, maintenant on va chercher ce disque dur. Et après, on partira tous ensemble faire une petite promenade, expliqua Scott. — Qui est Sergeï ? Malgré l’arme collée à sa tempe, Gabe se rappela que Mad avait mentionné la nécessité de trouver un type du nom de Sergeï. Était-il le chef des Russes ? Était-il l’homme qui tirait les ficelles ? Scott se figea, et une peur immense se peignit sur ses traits. — Comment vous connaissez ce nom ? Qui vous a donné ce nom, putain ? — J’ignore qui c’est, mais à mon avis, il est temps de le découvrir, vous ne pensez pas ? intervint une voix familière. Connor. Gabe lâcha un soupir soulagé. Le grand Russe avança dans le couloir, très raide. Utilisant son corps en guise de bouclier, Connor obligea l’oncle de Scott à entrer dans la pièce, une arme pointée sur sa nuque. — OK, petit mec, j’ai descendu tes gros bras, et maintenant je vais buter cet enfoiré si tu ne relâches pas mes amis, gronda Connor. — Je ne pense pas, non, répliqua Scott. Je ne crois pas que tu les aies abattus. — Tu peux le croire, parvint à marmonner le Russe entre ses lèvres serrées. J’ai vu les corps. Il les a tous tués à mains nues. Ce type est un animal. Scott blêmit, mais ne relâcha pas son étreinte. — Tu n’as pas idée du merdier dans lequel tu t’es fourré. — C’est Yuri Golchenko, répliqua Connor en pénétrant plus avant dans la pièce avec sa proie. L’un des lieutenants d’une bande de mafieux moscovites, dirigée par un certain Ivan Krylov. Et vous cherchez le journal intime de Natalia Kuilikov, qui s’est occupée du président des États-Unis depuis sa naissance jusqu’à ses sept ans. Vous pensez trouver quelque chose dans ce journal que vous puissiez utiliser contre lui. Je vais vous offrir une chance de sauver votre peau. Lâchez vos armes et tirez-vous, je vous laisse quelques minutes d’avance. Vous aurez peut-être un jour ou deux de répit avant que je ne vous retrouve. Scott secoua la tête. — Je vais la tuer si vous ne libérez pas mon oncle. — Vas-y. Maintenant que je sais où est le journal, elle ne me sert plus à rien. Vas-y, tue-la. Et je tue ton oncle. Tu n’as qu’à abattre Bond aussi, tiens. Ça ne m’empêchera pas de vous descendre tous les deux et de partir d’ici avec le gros lot. — Connor ? Gabe dévisageait son ami, totalement horrifié. Non, il ne pensait pas ce qu’il venait de dire. — Gabe, c’est juste une mission, et tu sais pertinemment que mon boulot est plus important que tout. Je te l’ai déjà expliqué, je ne ressens pas grand-chose. En revanche, je récupérerai ces informations et je trouverai Sergeï, rétorqua Connor, en tournant vers lui un visage de pierre. C’est
comme quand on jouait à la crosse, mec. Je faisais le travail. Tu n’étais là que pour me permettre de marquer. La vie, c’est comme un match contre Whittington. Merde. Merde. Merde. À la crosse, Gabe passait presque tout son temps sur le banc, pendant que Connor et Roman étaient les stars de l’équipe. Néanmoins, en dernière année, ils avaient affronté l’école prépa de Whittington. Et le rôle de Gabe avait consisté à détourner l’attention de l’adversaire assez longtemps pour que Connor aille marquer. OK, Connor avait donc besoin qu’il distraie l’ennemi. Quand ils seraient sortis de ce cauchemar, Gabe jurait de ne plus jamais se plaindre de l’ennui de son boulot confortable. — Tu es un beau fils de pute. Tu as toujours été un joueur égoïste. Et avec un hochement de tête à l’intention de Connor, il se lança. Il se laissa tomber directement au sol. Son corps atterrit avec un bruit sourd et la douleur l’envahit. Il entendit le cri d’Everly, puis le tir étouffé d’un silencieux. Et il sentit l’homme qui l’avait tenu en joue s’écrouler par terre. Connor ne ratait jamais sa cible. Il ne se contentait pas de blesser l’adversaire. Le gars était mort à l’instant où la balle de Connor avait quitté le canon. — Récupère son arme, ordonna-t-il. — Tu ne bouges pas du sol, sinon je la tue. Pour la première fois, Scott semblait un peu paniqué. Ce qui n’était pas une bonne nouvelle. Il risquait de perdre les pédales et d’appuyer sur la gâchette. Et alors plus rien ne compterait. — Il ne l’abattra pas, parce qu’il pense encore qu’il peut gagner et qu’il a raison, lâcha Connor, de la voix fluide du parfait bluffeur. Tu as conduit une enquête sur Maddox Crawford, Scott. Ce qui signifie que tu connais ses amis. Tu savais que je mentais, quand je t’encourageais à tuer Gabe, mais tu sais aussi que je me fous complètement de la bimbo qu’il s’envoie. Alors je te propose un marché. Gabe s’agenouilla pour ramasser le pistolet tombé à terre. Pourvu qu’Everly ne croie pas un mot de ce que racontait Connor… Évidemment qu’il ne lui ferait jamais le moindre mal, Gabe mettait sa vie entre les mains de son ami, et il devait aussi y remettre celle d’Everly. Mais au cas où, il agrippa le pistolet et le braqua sur Scott. — Prends la fille, reprit Connor, j’embarque ton cher tonton avec moi, et une fois que tu auras les renseignements dont tu as besoin, on passera un accord. Je te donnerai ton oncle et le journal, en échange du nom de l’homme qui a transmis les informations à la fille. Et on partira chacun de notre côté, conclut-il. — Ne lui donne rien du tout, mon neveu. Tu sais ce qui est en jeu. Tu sais ce qu’ils feront, insista Yuri Golchenko avec son fort accent. Je ne suis pas idiot. Ce gars est de la CIA. S’il découvre… Une détonation retentit et un point rouge apparut sur l’avant de la chemise blanche de Golchenko. Une tache de sang fleurit suite au coup de feu de Scott, et Connor, qui ne parvenait plus à soutenir le cadavre, le laissa s’affaler au sol. — Lâche cette putain d’arme, cria Connor alors que Scott poussait Everly. Gabe la rattrapa avant qu’elle ne tombe par terre, et il la recouvrit de son corps. — Vous voulez savoir qui est Sergeï ? demanda Scott, une lueur ardente dans les yeux. Il est plus près que vous le pensez. — Pose ton arme, répéta Connor en marchant vers lui. — Non, et vous ne m’obligerez pas à parler. Sans leur laisser le temps de réagir, Scott porta l’arme à sa tempe et fit feu. Everly hurla. Connor jura et Gabe put enfin bien regarder son ami. Ses vêtements habituellement immaculés étaient couverts de sang, et il arborait l’air le plus féroce qu’il lui ait jamais vu tandis qu’il
sortait son portable. Apparemment, il ne les avait pas débarrassés que des Russes, mais aussi du brouilleur de téléphones. — Sparks à l’appareil. Il me faut une équipe de nettoyage pour l’immeuble Crawford à Manhattan. Neuf sacs. Oui, il y en a cinq pour qui il faudra inventer une histoire pour les médias. Non, je suis seul. Il fourra le téléphone dans sa poche et releva les yeux. — Je viens de mentir à la CIA. Tu dois sortir Everly, Dax et cette fichue carte SD d’ici le plus vite possible. — Dax est en vie ? demanda Gabe, plein d’espoir. Connor hocha la tête. — Il a une balle dans le flanc, mais il est vivant. Emmène-le à l’hôpital et raconte-leur que c’était une tentative de vol de voiture. Tu n’étais pas présent. Allez, file, vite ! — On doit appeler une ambulance. Gabe se remit debout et aida Everly à se relever, puis l’attira dans ses bras. Elle était là, bien vivante. Il la serra un moment. — Je ne peux pas me permettre qu’ils vous trouvent ici, insista Connor. — Gabe, il faut y aller, fit Everly en se libérant. Bébé, on doit conduire Dax à l’hôpital. Connor, je peux effacer les enregistrements de surveillance de tout le bâtiment depuis mon ordinateur. Ça ne me prendra pas longtemps. J’ai utilisé ma carte-clé pour pénétrer le système. — Les Russes ont volé ta carte, répondit Connor. Et moi, j’ai volé celle de Gabe. Everly se rua vers son bureau. — Qu’est-ce que tu fous, mec ? (Gabe dévisageait Connor, sans trop savoir s’il reconnaissait son vieil ami.) Dax a besoin de soins et vite. Tu dois appeler une ambulance et les flics. Avant que Connor n’ait eu le temps de répondre quoi que ce soit, Dax déboula dans le couloir, titubant, une petite serviette plaquée au flanc gauche. — Je vous jure que s’il ose nous répéter qu’il est analyste, je lui colle une raclée. Après mon opération. Tu as besoin d’aide mon pote ? Waouh, y a un sacré paquet de cadavres par ici. C’était moins dangereux au Moyen-Orient. Gabe parvint à sa hauteur juste au moment où son ami s’écroulait. — Je ne te remercierai jamais assez, fit-il en le rattrapant. Lourdement appuyé sur Gabe, Dax sourit de toutes ses dents. — J’ai ma petite idée, moi. Un peu de ce scotch que tu as récupéré et puis tu me conduis à l’hôpital. N’appelle pas les flics, Gabe, on ne peut pas. Bien sûr que si, ils pouvaient, mais apparemment même Everly était contre lui. — J’ai la carte SD, annonça-t-elle, un ordinateur portable sous le bras. Oh, mon pauvre Dax. — Dites donc, poupée, vous n’avez pas une sœur ? lui demanda-t-il d’une voix légèrement pâteuse. Il n’y avait que Dax pour continuer à se chercher un rencard alors qu’il se vidait de son sang. Ils gagnèrent les ascenseurs et, quand Gabe se retourna, Connor était entouré de corps sans vie, couvert de sang et complètement seul. Un sentiment de malaise le glaça. Tandis que les portes se refermaient, Everly lui posa une main sur l’épaule avec un sourire. Qu’il lui rendit. Il s’inquiéterait pour Connor plus tard. Pour le moment, il devait se concentrer sur elle. — Ça n’est pas terminé, commenta-t-il en baissant les yeux sur la petite carte SD qu’elle avait au creux de la main. Quand elle remarqua Dax qui s’adossait au mur, elle lui offrit son aide aussi. À eux deux, ils parvinrent à le garder debout.
— Non, répondit-elle, mais on va s’en sortir parce qu’on est ensemble, Gabriel Bond. Toi et moi. À ces paroles, une sensation étrange s’installa profondément en lui, celle d’un vide soudain comblé, un vide dont il n’aurait pas eu conscience jusque-là. — Oui, bébé. Toi et moi.
Épilogue Everly entra dans la pièce, tout excitée. Elle avait réussi ! Son père aurait été fier. Il était temps de montrer à sa nouvelle famille combien elle était maligne. Et sachant que la nouvelle famille en question se composait notamment d’un agent de la CIA et du dirigeant du plus grand pays occidental, elle devait trouver le moyen de se faire sa place. Elle se dirigea vers la porte de la suite destinée aux invités et s’immobilisa. Un homme, grand et sévère, vêtu d’un costume sombre et de lunettes noires se tenait devant, qui montait la garde. Deux autres étaient tapis devant l’entrée de la maison, et deux encore dans la cuisine. Elle aimait bien Zack, mais elle avait hâte de profiter des lieux sans tout ce monde. Avec son fiancé. — Bonjour, Thomas. Je peux me faufiler à l’intérieur ? Le grand costaud la dévisagea. — Non. Jamais de fioritures avec lui. — Je dois voir mon fiancé. Puis-je s’il vous plaît avoir accès à une pièce de ma propre demeure ? Thomas finit par esquisser un sourire. — Bien entendu. Elle s’apprêtait à ouvrir la porte, puis : — Vous avez un nom de famille, Thomas ? — Non. Elle finirait par le découvrir. Tout comme elle avait fini par découvrir le pourquoi de la mort mystérieuse de Maddox… bien que cette élucidation ait apparemment conduit à un autre mystère. Le visage de Gabriel s’éclaira d’un sourire dès qu’elle pénétra dans la suite. — Coucou, bébé. Il se leva d’un bond de son siège près du lit et traversa rapidement la chambre. Chaque fois qu’elle entrait dans une pièce, son bel amant ne manquait pas de lui prouver l’affection qu’il lui portait. Il se pencha et lui déposa un baiser sur les lèvres. — Ton dur labeur a payé ? Dax se redressa sur le lit avec un tout petit grognement. — Non, c’est vrai ? Vous avez réussi ? — Bien sûr que oui. Le président des États-Unis était assis en face de Dax, un échiquier le séparant de lui. Malgré la perfusion que le blessé avait encore au bras, il sirotait un verre de ce fichu scotch qu’ils semblaient tous tellement apprécier.
— On devrait peut-être appeler Connor, suggéra Roman, qui observait la rue en contrebas par la fenêtre. Connor avait rendu visite à Dax à l’hôpital, mais il n’avait fait que quelques allers-retours discrets sans dire grand-chose aux membres de la bande. — Il n’a même pas pris la peine d’appeler la police quand je le lui ai demandé. Gabriel était encore un peu en colère. — Non, il s’est juste débrouillé pour grimper quarante étages par les escaliers, avant de neutraliser tous ces salauds un à un sans le moindre bruit. Dax, au contraire, n’avait cessé de prendre la défense de son meilleur ami. — Tu aurais pu y rester, rétorqua Gabriel. Et nous aussi. Est-ce qu’il a seulement envisagé les conséquences, s’il avait échoué ? — Connor n’échoue pas, intervint calmement Zack. Et si tu dois t’en prendre à quelqu’un, Gabe, dirige plutôt ta colère vers moi. Gabriel plissa les paupières. — T’inquiète, j’en ai autant à ton service. Everly, de son côté, n’en voulait pas trop à Connor et à Zack. Connor avait un boulot à accomplir et il avait été forcé de choisir entre sa mission et ses amis. Les enjeux en présence étaient bien plus importants qu’aucun d’eux ne l’appréhendait vraiment. — Il nous a choisis malgré tout. Soudain, quatre paires d’yeux emplis d’intelligence se braquèrent sur elle. — Comment ça ? l’interrogea Gabriel. Elle y avait beaucoup réfléchi au cours de la semaine qui avait suivi cette terrible nuit. Gabriel était furieux que Connor ait gardé la police en dehors de l’affaire. Il avait pourtant joué le rôle demandé par son ami, et raconté aux flics qu’on avait tiré sur Dax pendant une tentative de vol de voiture, ajoutant que comme ils se trouvaient tout proches de l’hôpital, il avait été plus rapide de l’y conduire directement. Mais il fulminait en silence. Elle devait abattre les barrières qui s’étaient érigées entre ces deux-là, car elle avait bien l’intention que tout ce petit monde assiste à son mariage. — S’il avait prévenu les flics, ils auraient saisi la carte SD. Ils auraient posé tout un tas de questions auxquelles aucun de nous n’était prêt à répondre. Tu comprends bien quel aurait été son meilleur coup à jouer, alors ? Gabriel secoua la tête. Roman fronça les sourcils. — Il n’aurait jamais fait ça. La veille, elle avait longuement discuté de ce scénario avec Roman, quand ils avaient installé Dax dans sa chambre actuelle. — S’il avait assumé pleinement son rôle d’agent de la CIA, il l’aurait fait, Gabriel, expliqua-telle. Il a besoin de savoir pourquoi les Russes sont si intéressés par Natalia et il a besoin de connaître l’identité de Gorge Profonde. Car manifestement, le président est en danger. Or il a tiré un trait sur ces deux questions, en choisissant de nous sauver. Il aurait été plus aisé pour lui de les laisser m’embarquer. Il nous aurait suivis sans peine. J’avais encore mon téléphone portable sur moi, figuretoi ! Il aurait pu nous pister, et puis poser quelques micros et les Russes n’auraient jamais su que quelqu’un les espionnait. Ainsi il aurait obtenu ses réponses, au lieu de quoi il a préféré nous sauver, toi, moi et Dax. — Et tu imagines comment la presse aurait réagi ? On aurait eu les journalistes sur le dos nonstop, ajouta Roman. Déjà que là, le scandale a fait surface…
Connor avait inventé une histoire pour couvrir la mort de Tavia et de Scott, en utilisant les détournements de fonds et l’addiction de Tavia à la cocaïne pour attribuer son assassinat, ainsi que ceux des agents de sécurité et de l’homme de ménage, à une affaire de drogue qui avait mal tourné. Dans l’histoire de Connor, Scott avait eu la malchance de se trouver en compagnie de Tavia quand son dealer était venu réclamer son argent. A priori, l’équipe de nettoyage de la CIA savait comment maquiller une scène de crime. Yuri et ses hommes de main avaient tout bonnement disparu. — Et il m’a promis que la CIA ferait son possible pour retrouver les fillettes disparues, d’ailleurs il en a déjà ramené une chez elle, reprit Everly. Elle avait échangé avec Connor par e-mails, sans parvenir à le convaincre de venir dîner. Elle l’avait invité à les rejoindre pour prendre un verre cet après-midi, et cette fois elle avait dans sa besace un argument supplémentaire, pourtant il ne s’était toujours pas montré. — Je vous promets qu’on retrouvera aussi les autres, annonça Zack. On ne relâchera pas nos efforts tant qu’on ne les aura pas toutes localisées. Connor est déjà en train de fouiller dans les dossiers de la fondation à cet effet. Allons, fit-il à l’intention de Gabriel, il a quasiment commis un suicide professionnel. Si quiconque découvre qu’il a menti sur les événements… — Sans compter que dans son domaine, un suicide professionnel, ça peut aboutir à un suicide tout court, admit Roman. Enfin, un assassinat maquillé en suicide. Gabriel pâlit quelque peu. — OK, arrêtons de parler de gens qui meurent, il y a déjà eu assez de victimes comme ça. Quand Connor va se pointer, je me montrerai aimable avec lui. — Je te prends au mot, frangin. Connor venait d’entrer dans la chambre. Il se tenait immobile, incertain de l’accueil qui lui serait réservé. C’était la première fois qu’Everly le voyait avec cet air vulnérable, et en cet instant, elle ne put s’empêcher de se demander quel effet cela lui avait fait d’être l’étudiant boursier, le seul désargenté au milieu de jeunes gens immensément riches. Enfin, il était venu. Elle ne put réprimer un sourire. Elle savait qu’il ne résisterait pas à l’appel de la carte SD. Elle se dirigea directement vers lui et le serra dans ses bras. Connor resta immobile. — Je ne sais pas trop comment réagir à ça. À quoi Gabriel finit par éclater de rire. — Cède-lui. Elle te veut dans la famille, or Everly obtient toujours ce qu’elle veut. — Mon pote, c’est bon de te voir, lança Dax avec un sourire rayonnant. Lentement, Connor commença à répondre à l’étreinte d’Everly. Au bout d’un moment, elle s’écarta et remarqua qu’une partie de la tension s’était dissipée dans la pièce. Malheureusement, à son grand dam, elle allait la faire remonter. — J’ai décodé le journal intime. Elle avait découvert qu’il avait été écrit en langage codé, et un code russe, en plus. Quand enfin elle avait rassemblé toutes les informations, l’ensemble formait un seul et unique élément : un carnet manuscrit qui avait été scanné. Elle avait œuvré toute une semaine au décodage de la chose, avant de le confier à un traducteur de confiance. — Je vous envoie à tous une copie de la traduction. Le journal débute presque un an après son arrivée dans la famille Hayes. Elle y parle de son bonheur et de son affection pour Zack. C’était le reste qu’elle rechignait à leur raconter. Si seulement elle avait pu s’en tenir là… — Et ? demanda Zack, un sourcil haussé, comme s’il devinait la suite. — À un moment donné, elle mentionne sa frayeur quand la directrice de son école était venue la
voir, quelque temps avant, pour lui annoncer qu’elle allait être placée. Elle évoque une faute qu’elle aurait commise, une sorte d’acte honteux qui rejaillissait sur son école. Apparemment, la directrice lui avait affirmé que travailler pour l’ambassadeur permettrait de tout arranger. C’est un peu cryptique, mais elle décrit ce travail comme le seul moyen pour elle de protéger quelque chose qu’on n’arrive pas vraiment à déchiffrer. Le traducteur pense qu’elle fait allusion à la protection de sa propre vie. À mon avis, on la menaçait. — Merde, commenta Roman en secouant la tête. Son école ? Dites-moi que ça n’était pas l’une des écoles créées par la fondation. — Malheureusement… C’était là que débutait le scandale. Ça remontait au jour où l’on avait dit à une pauvre fillette russe qu’il était temps pour elle de se mettre au travail. — Bon sang. Zack, tu as été élevé par la victime d’un trafic, conclut Dax d’une voix rauque. — La question, c’est : tes parents savaient-ils ? intervint Gabriel. — Ça ne m’étonnerait pas plus que ça, fit Zack, tendu. Alors le but était donc de jeter l’opprobre sur moi ? En vue de la prochaine campagne électorale ? — J’ai bien l’intention de le découvrir, affirma Connor avec une résignation sinistre. Je pense que Natalia est vivante. La pièce se figea à ces mots. — Elle est en Russie ? s’enquit Roman. Connor secoua la tête. — Elle a obtenu un visa pour les États-Unis il y a quinze ans, et puis elle a disparu. Je pense qu’elle est toujours ici, et je pense aussi que Lara Armstrong sait où la trouver. Je vais découvrir le fin mot de l’histoire, Zack. Pas question de laisser qui que ce soit l’utiliser pour te faire tomber. Connor s’installa aux côtés de Zack, Dax et Roman. Et ils se mirent à organiser leur plan d’action. Il était temps pour Everly de quitter la pièce. Elle avait atteint la porte quand Gabriel la rattrapa. — Hé, tu ne sortiras pas d’ici sans un baiser, dit-il en lui effleurant la bouche de ses lèvres. D’ailleurs, tu n’es pas obligée de sortir du tout. Tu as un rôle à jouer dans cette affaire, bébé. Mais certaines choses étaient du ressort des garçons. Elle avait fait sa part du travail et avait hâte de s’occuper l’esprit à autre chose. Elle fit tourner l’impressionnante bague de fiançailles à son doigt. — Non. Ta sœur doit arriver d’une minute à l’autre et il faut qu’on passe en revue l’organisation de la fête de fiançailles. Indice : j’espère que tu aimes la nourriture asiatique, parce que Sara a des envies un peu dingues en ce moment. Il plongea les yeux dans les siens. — Je t’aime. — Je t’aime aussi, répondit-elle, sans l’ombre d’une hésitation. Cet homme était son homme. Sur quoi elle quitta la chambre, car parfois les Parfaits Gentlemen avaient besoin d’un peu de temps entre eux. Au cœur de la nuit, Connor Sparks était assis devant son ordinateur, des bourdonnements dans la tête. Il avait bien failli tous les perdre. Cette fichue soirée hantait ses rêves. Quand il parvenait à dormir, il revoyait Dax à terre, Gabe et Everly criblés de balles.
Il détestait ça. Il fallait qu’il prenne du recul par rapport à ses amis. Car cette impulsion avait bel et bien été là, à portée de main. Celle de laisser les Russes emmener Everly afin de les suivre et de jouer le jeu pour lequel il était né. Si jamais ses supérieurs apprenaient quelle avait été sa conduite, il allait se retrouver à croupir au fond d’une cellule. En tout cas, il serait cloué au pilori, désavoué et subirait tous les désagréments qui attendaient les agents choisissant leurs amis au lieu de leur pays. Mais ces gars-là lui faisaient éprouver des sentiments. Dax, Gabe, Roman et Zack. C’étaient les seuls qui y parvenaient. Il gardait une photo un peu floue d’eux six sur son bureau. Il s’installa, se versa un shot de bourbon et contempla le verre quelques secondes. Six gamins, dont cinq qui n’avaient pas encore découvert à quel point le monde pouvait être merdique. Et pendant longtemps, ça avait été le boulot de Connor de faire en sorte qu’ils restent dans l’ignorance. Tout comme ça avait été son boulot de veiller à ce que Gabriel Bond garde la femme qu’il aimait. — Va te faire foutre, Mad. Et voilà qu’elle revenait, cette source de chagrin honni qui semblait si proche de la surface, ces derniers temps. Il avala le liquide ambré. — Tu n’étais pas censé mourir. C’était moi qui devais tomber en premier. Il avait toujours pensé qu’il échouerait dans quelque trou puant au fin fond de l’enfer, et qu’ils resteraient tous les cinq à se demander ce qui lui était arrivé. Survivre, c’était pire que mourir. Mais bon, ça, il l’avait appris depuis bien longtemps. Son ordinateur émit un « bip » et il se tourna vers l’écran en soupirant. Skype. Son rythme cardiaque augmenta d’une façon étrangement plaisante, parce qu’une seule personne lui envoyait des messages instantanés à cette adresse précise. Niall Smith avait une seule amie au monde. Enfin, si elle tapait son nom sur le Net, elle trouverait une sélection variée d’amis gauchistes sur ses comptes Facebook, Instagram et Twitter créés pour l’occasion. Évidemment, elle verrait aussi la photo d’un stagiaire de l’Agence qu’ils avaient utilisée pour inventer une vie à Niall Smith, afin que Lara Armstrong ne se pose pas de questions sur lui quand il lui écrivait. Niall ? Niall, tu es là ? Sa photo apparut à côté de la question. Voilà, c’était bien elle. Une petite mignonne aux cheveux bruns et aux yeux bleus espiègles. Une fille de riche qui croyait pouvoir changer le monde via ses reportages dans les tabloïdes. Oh, il savait bien comment elle se justifiait. Elle lui avait raconté qu’elle utilisait les gros titres à sensation pour attirer les lecteurs et leur assener ensuite les vraies histoires. Mais il connaissait la vérité. C’était une petite princesse gâtée et baignant dans la fortune de papa, avec qui elle entretenait cependant des rapports conflictuels. Sauf que, dans ce cas, pourquoi le simple fait de regarder sa photo suffisait-il à l’exciter ? Décidément, il avait besoin d’une bonne partie de jambes en l’air. Oui, je suis là. Quoi de neuf, ma douce ? Il ne savait pas trop pourquoi il avait pris l’habitude de l’appeler comme ça, mais bon, ça faisait partie de sa couverture, non ? Lara Armstrong avait un lien avec Gorge Profonde, et il allait découvrir lequel. Elle savait peut-être aussi où dénicher Natalia Kuilikov. Si tel était le cas, il l’apprendrait. Il protégerait ses amis et son pays. Et si pour ça il devait se salir un peu les mains, tant pis. Niall, j’ai peur. Je me suis fourrée dans une embrouille, et je pense que quelqu’un essaie de me tuer. Un sourire se dessina lentement sur les lèvres de Connor. Voilà, il la tenait. Ne t’inquiète pas, je vais m’occuper de toi, ma douce. Raconte-moi tout.
Il se cala dans son fauteuil. La partie commenรงait.