Un peu d’histoire… Petite fille, j’avais un espoir, adopter un enfant, ainsi qu’un projet, écrire et dessiner un livre pour la jeunesse. La vie m’a offert l’opportunité de concrétiser ces deux souhaits presque en même temps. Ce livre a été imaginé après l’adoption de ma fille originaire de Russie. Agée de sept ans à son arrivée, elle ne parlait que le russe et n’avait jamais encore été scolarisée. Ainsi, du haut de ses sept ans, elle fut la première à découvrir peu à peu la naissance de cet ouvrage sous ses yeux. Il fut pour elle un passeport pour la France, un outil d’apprentissage de sa nouvelle langue et d’initiation à la lecture. Pour ma part, la parution de ce livre est la célébration de la venue de ma fille et l’accomplissement de mes rêves d’enfant.
Pour Hazel, Ludo et Rose.
ISBN 978-2-9546820-0-6 Loi n° 49.956 du 6 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse : septembre 2013
D
ans ce village de Russie perdu dans la taïga et le froid mordant de l’hiver, il faisait presque noir, seules les fenêtres d’une taverne bordant le chemin laissaient paraître quelques taches de lumière.
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De cette taverne parvenait une voix douce mais douloureuse, la voix de quelque malheureux ayant jeté là son ballot de misère en espérant gagner un peu d’argent pour poursuivre sa route. Nastia écouta le refrain de la chanson :
Nastia aimait cette heure entre chien et loup, où l’ambiance glacée d’un lointain coucher de soleil jouait des formes et des couleurs. Ainsi, le clocher à bulbe de l’église n’était plus qu’un gros champignon posé sur une butte enneigée, contrastant avec l’élégance argentée des fins bouleaux couronnés du vol courbe des corbeaux freux.
En regardant par la fenêtre, Nastia avait remarqué que la petite porte bleue, qui fermait la vieille barrière de bois entourant l’isba familiale, était restée entrouverte et que Zaftra, l’une des oies blanches, tentait de s’échapper de la cour.
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Abandonnant sur la table son verre de thé fumant, Nastia s’enveloppa dans un grand châle de laine et courut vite dehors pour attraper la fugitive. La petite fille tapait des mains pour faire revenir l’oie désobéissante, quand elle entendit le bruit d’un galop et le tintement des clochettes qui ornent habituellement l’encolure des chevaux. Au même instant, une troïka richement décorée, tirée par un cheval brun, arriva à toute allure, tourna au coin de l’église et passa devant l’isba. Nastia eut le temps d’apercevoir le passager vêtu de fourrure lever un bras vers le ciel et jeter un objet sur sa route.
Elle s’approcha des sillons laissés dans la neige par la troïka et ramassa ce qui était une boule de papier froissé.
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Rentrée chez elle, Nastia déplia son trésor et découvrit à la lumière du feu l’illustration d’un paysage verdoyant d’arbres, de rivière, de collines, au cœur duquel nichait une grande maison de pierre entourée de prairies et de chevaux.
Il était tard, pourtant Nastia était incapable d’aller se coucher, le visage appuyé sur ses deux poings, l’image emplissait sa tête et elle se laissa glisser de rêve en rêve. L’air de ce pays devait être plus doux, plus chaud et plus parfumé, son imagination plongea dans ce monde d’herbes et de feuilles sur lequel un soleil planait.
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Pour Victor, petit garçon de France, cette même journée avait été longue et morne, une pluie battante l’avait cloué à la maison, l’empêchant d’aller jouer avec ses chiens dans le parc. Aussi, une fois sorti de sa réflexion silencieuse et afin de tenter d’égayer cette fin d’après-midi, Victor entreprit de feuilleter quelques livres de la bibliothèque paternelle. Située à l’étage supérieur de la maison, c’était une grande pièce de boiserie acajou impeccablement cirée et tendue de velours rouge, à l’atmosphère plaisante et confortable. Assis dans un fauteuil, Victor apercevait par la fenêtre le parc obscur et embrumé, le vent qui venait juste de se lever égouttait les branches des arbres et faisait craquer les lambris de la mansarde au-dessus de sa tête.
Un des ouvrages retenus par Victor laissait dépasser une feuille, le garçon ouvrit le livre et en retira une photographie sépia qui représentait un homme, son grand-père, debout un fusil à la main, le pied sur la dépouille d’un loup.
« Chasse
Au dos d e la pho to il éta au loup it écrit : de gran d-père e n Russie , hiver 1 90
5 ».
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En effet, Victor se souvenait que son grand-père Jean, du reste très peu présent, avait évoqué parfois en famille cette aventure. Cet homme avait fait fortune dans le commerce des chevaux, et il est vrai qu’en ce début de siècle, il était très en vogue d’aller chasser le loup en Russie après un long voyage effectué en chemin de fer, comme passager du Transsibérien.
Les jambes étendues, les pieds tout près du poêle de faïence, la photographie posée contre sa poitrine sous ses bras croisés, Victor se mit à rêver à la Russie, à l’aventure, au loup...
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Un vent d’Est soufflait glacial sur cette plaine enneigée de Russie. L’obscurité grandissait, le hasard s’il existe avait guidé Victor à l’orée d’un bouquet d’arbres. Appuyé contre un tronc vermoulu, Victor fixait des yeux l’endroit entre ciel et terre d’où venaient des cris d’hommes et de chiens.
Soudain, il aperçut dans un pli de neige la meute des chasseurs et des barzoïs aux corps allongés, lévriers tueurs de loups. Ils poursuivaient la silhouette d’un grand loup gris dont la battue annonçait la mort.
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Victor se moquait bien des chasseurs et de leurs chiens, il avait reconnu le loup de la photo, il devait le sauver, il le savait. Il appela de toutes ses forces :
« Loup, LOUP !!! » Étonnamment, sa voix résonna terriblement dans le tronc d’arbre creux, brisant ainsi l’élan des poursuivants.
Victor venait de trouver sa ruse, il hurla à nouveau dans ce porte-voix providentiel :
« Je suis la sorcière des bois et des étangs qui dévore les petits et les grands. Arrêtez votre chasse et rentrez dans vos datchas. Attention, je ne fais pas que des menaces ! » 12