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ui, l’an neuf g ! Au
Par Audrey Lafourcade
A travers cette nouvelle, j’ai cherché à prolonger la magie de la période des fêtes. Elle nous paraît déjà si loin ! En suivant Gui dans son épopée, vous vous apprêtez à embarquer sur ma plume pour un voyage au coeur de la nature et des traditions ancestrales. Cette année, j’ai choisi de vous présenter mes voeux par l’intermédiaire d’une belle histoire. L’inspiration m’est venue quelques jours après Noël et c’est au cours d’une discussion avec ma merveilleuse grandmère que l’intrigue a pris sa forme finale. Installées confortablement au coin du feu, je l’ai questionnée sur les traditions d’antan. Elle a fouillé dans les tiroirs de sa mémoire pour en extraire certains des personnages de cette histoire. Avec cette nouvelle, c’est donc l’esprit de famille, des moments simples et magiques que j’ai essayé de vous trasmettre. Cette courte nouvelle est aussi une histoire d’amitié. Celle que je partage avec Olivia Gouguenheim, qui signe les illustrations de ce petit livre. De son joli coup de crayon, les personnages ont pris forme. Je vous invite d’ailleurs à découvrir son univers malicieux sur son site internet : www.oliviagouguenheim.com. Enfin, Veronica Alba, de ses doigts de fée et son oeil expert, a transformé un simple document Word en un véritable petit ouvrage de qualité. Vous l’aurez compris, ces voeux sont le résultat d’un travail très personnel, imprégné de jolies valeurs pour bien vous faire commencer 2020. J’espère que cette histoire sera pour vous comme une parenthèse dans le rush du début d’année. Bonne lecture et bonne année ! Au plaisir de vous lire (par mail, sans doute) ! Découvrez mon travail ici :
Et là : www.audreylafourcade.com hello@audreylafourcade.com +44(0)770 833 5675 3
Au gui, l’an neuf !*
* Dès le Moyen-Âge, on cueillait du gui pour l’offrir avec ce souhait “Au gui, l’an neuf”, formule remplacée plus tard par “Bon an, mal an, que Dieu soit céans” (soit dans la maison). Au XIXème siècle, on disait “Bonne et sainte année, le paradis à la fin de vos jours”, expression modernisée au XXème siècle en “Bonne et heureuse année”.
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Au gui, l’an neuf !* Perché sur son peuplier, Gui trouvait le temps long… Elle était loin l’époque où les gens se bousculaient au nouvel an pour s’embrasser sous son feuillage. Qu’est-ce qu’il l’aimait ce défilé de têtes en janvier ! Tantôt couvertes de bonnets tricotés avec amour, de chapeaux chics ou chiches, à l’opposé ; tantôt dégarnies, ou au contraire touffues… Toutes si différentes, et pourtant toutes aussi réjouissantes. Sa mission cyclique lui laissait également tout le loisir de voir la vie de ses visiteurs évoluer d’année en année et de deviner les souhaits qu’ils venaient faire secrètement en s’embrassant sous ses ramages. “Tiens, ces ceux-là espèrent un garçon pour troisième enfant, c’est sur” pensait Gui à la vue d’un couple en attente d’un heureux événement, “eux, une bonne récolte”, poursuivait-il à l’approche d’une nouvelle famille, “ceux-là, ils viennent pour que la santé du mari s’améliore”... Gui, en plus d’être doué aux devinettes, savait qu’il avait le don de porter bonheur. Noël passé, il trépignait d’impatience à l’idée de voir revenir ses têtes connues et d’en découvrir de nouvelles, après qu’il 6
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ait porté chance à de nombreux couples l’année précédente. Mais, voilà… La vie moderne avait peu à peu absorbé les aspirants au bonheur et leur nombre s’était réduit comme une peau de chagrin. Cette fois, 2020 était là et personne ne s’était encore présenté à Gui alors que la fin du mois s’apprêtait à sonner. Cette mission désuète, complétée d’un sentiment de grande solitude, avait fini par lui pomper toute sa sève. Plusieurs fois, Gui avait eu envie de décrocher et aujourd’hui il s’en sentait prêt.
dans ses mouvements, il sentit soudain le lien casser pour lui offrir enfin sa liberté. Dans sa chute, Gui se sentit instantanément pousser des ailes ! Au lieu d’une descente fulgurante - à l’amortissement plus que relatif -, il s’envola, porté par le souffle d’un vent magique. Il virevoltait sur des courants vivifiants, surfait entre les branches d’arbres qu’il n’avait encore jamais vus, c’était une joie immense. Il était : “Liiiiiiiiibre” ! Et si la retraite procurait un tel sentiment, sa vie allait devenir trépidante.
“C’en est trop, c’est décidé, je m’arrache !, se dit la vieille branche. Je n’en peux plus de me sentir aussi inutile et seul. Après des siècles de service, je prends ma retraite et c’est bien mérité !” Gui s’était imaginé un monde terrestre très différent de l’aérien, venteux et solitaire qu’il avait connu jusqu’alors : “Une fois au sol, je pourrai sympathiser avec les perce-neiges, sociabiliser avec les jonquilles, m’enivrer du parfum des fraises des bois à l’approche de l’été, jouer avec les coccinelles, les papillons et les bourdons et lorsque les gouttes automnales seront là, je me transformerai en abris chaleureux pour champignons délicieux !”.
La boule verte et feuillue n’avait aucune idée de sa destination. Gui s’en remettait entièrement à la volonté du vent mystérieux qui l’avait libéré. L’allégresse était telle qu’aucun questionnement ne pouvait venir perturber ce moment.
Gui avait longuement pensé à la façon dont il quitterait ses fonctions. Son plan était mûrement réfléchi : il se balancerait d’avant en arrière et de gauche à droite, pour rompre le lien qui le rattachait depuis si longtemps à son peuplier. Projeté au sol, ses feuilles les plus souples l’amortiraient et il pourrait rouler vers de nouvelles aventures.
“Étrange !”, se dit Gui.
Après un long et planant voyage au cours duquel il avait pu observer la beauté des vallées, des plaines, et des villages, le vent faiblit et ralentit sa course. Gui atterrit finalement devant la porte d’un bâtiment en brique, dont l’enseigne indiquait : Amicale des traditions en voie de disparition.
Le blizzard qui l’avait porté jusqu’à cette adresse, souffla une dernière fois de toutes ses forces pour pousser les portes de l’intrigante institution et projeta le rondelet végétal à l’intérieur du bâtiment.
Gui se balança donc, donnant une force croissante à ses secousses. Et, alors qu’il concentrait tous ses efforts 8
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Chamboulé et désorienté, il reprit ses esprits devant trois paires d’yeux écarquillés. - “Qui êtes-vous ?”, leur demanda Gui. - “Nous sommes les dignes représentants de “l’Amicale des traditions en voie de disparition”, dit un vieux barbu à la voix chevrotante. - “Oui, enfin, disons qu’on est plutôt un petit groupe de traditions disparues ou en voie de disparition, c’est un peu moins pompeux tout de même !”, expliqua un chapeau exotique à la voix féminine. - “Bienvenue, dit la troisième membre du groupe. Je suis la quille. Je fais partie des traditions disparues, tout comme le papi ici présent, dit-elle en désignant son voisin. J’appartiens à une époque révolue, durant laquelle les hommes partis faire leur service militaire m’ont donné vie au centième jour précédant la fin de leur mission. Ces jeunes avaient pour habitude de sculpter une quille pour symboliser la fin de leur service qui approchait. A l’époque, nous étions autant de quilles que de jeunes militaires. Mais, petit à petit, cette tradition s’est raréfiée et une fois que le service militaire n’a plus été obligatoire, la quille a totalement disparu des rangs. Je suis le dernier symbole de cette tradition morte”, expliqua la forme de bois. - “Moi, je suis le Père Janvier, reprit la barbe blanche. Avant l’arrivée du Coca-Cola, et simultanément du Père Noël, j’apportais leurs étrennes aux enfants, en janvier, comme 10
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mon nom l’indique. Ils m’attendaient comme ils espèrent encore la petite souris à chaque dent perdue ! Oh, ça fait longtemps déjà, que ce n’est plus moi qu’ils guettent, mais le traîneau du bonhomme rouge, le soir du 24 décembre… Retraite anticipée et forcée pour moi ! J’étais déjà âgé, je l’ai toujours été d’aussi loin que je me souvienne, mais j’étais encore en forme ! Bref, après que le Père Noël, ses rennes et ses lutins m’aient volé la vedette, je me suis retrouvé seul quelques années… Et un jour, j’ai décidé de briser la solitude et de créer cette amicale pour les traditions qui avaient subi le même sort que moi. C’est comme ça que j’ai connu la quille”, rapporta-t-il. - “On s’est rassemblés et on a créé l’Amicale pour se serrer les coudes”, l’interrompit la sculpture militaire. - “Oui, enfin, façon de parler, parce qu’avec toi, les coudes, euh !…”, marmonna le vieillard dans sa barbe. - “Et moi, c’est Catherinette !, se présenta le chapeau jaune et vert. Je n’ai pas tout à fait disparu encore, mais on fait de moins en moins souvent appel à moi. J’ai pour rôle de donner de l’espoir aux jeunes filles de 25 ans qui ne sont pas encore mariées. Seulement, la situation étant devenue de plus en plus courante aujourd’hui, on m’a mise au placard. Je reprends donc du service très rarement et je passe le plus clair de mon temps entourée de ces ceux-là. Et toi alors, qui es-tu ?”, interrogea le chapeau. - “Moi ? Je m’appelle Gui ! Et je suis bien content de rejoindre votre club ! Avant d’arriver ici, j’étais suspendu à un arbre, et ne servais plus à rien ni à personne.” 12
- “Pourquoi tu dis ça ?” demanda la quille. - “Depuis que les druides avaient décrété que j’étais “l’arbuste de la lune”, symbole de lumière et de force, les groupes d’amis, les familles, ou les couples venaient s’embrasser sous mon feuillage pour que je réalise leurs souhaits annuels. Ma mission était d’apporter du bonheur à ces gens-là”, confia Gui, un sanglot dans la voix. Il se ressaisit : “Ces dernières années, je n’ai vu personne défiler… Pas même les plus désespérés… Je me suis fait rattraper par la cagnotte de l’EuroMillions et l’esprit cartésien de nos contemporains. Plus personne ne veut s’en remettre à une boule feuillue pour son bonheur de nos jours. Soit ! J’en ai pris mon parti et j’ai décidé de partir la retraite ! A priori, ce sera à vos côtés !” - “Il n’en est pas question Gui !, rétorqua Catherinette. Dans ta région, tu étais peut-être un peu délaissé, mais ça n’est pas une raison pour baisser les bras aussi rapidement !” - “Elle a raison, acquiesça Père Janvier. Tant que tu n’as pas été remplacé clairement par une nouvelle habitude ou que ton rendez-vous annuel n’a pas été effacé du calendrier, tu n’as pas le droit de décrocher de ta mission. C’est le code des traditions ancestrales qui le stipule. Tu veux voir l’article ?”, demanda le vieux barbu. - “Réfléchis Gui !, s’immisça la quille. Avec nous, au début ce sera sympa, mais tu vas t’ennuyer rapidement. Crois-nous, c’est pour ton bien qu’on te dit ça ! Rappelletoi de ces journées d’hiver où tu faisais le bonheur de tes visiteurs. Ils ont sans doute changé leurs habitudes, mais les humains courent et courront toujours après le bonheur. 13
Tu ne seras donc jamais à la retraite mon p’tit père !”, s’amusa-t-elle.
- “Oh la la, rabat-joie ! Tu t’es posé moins de questions en volant jusqu’à nous hein !”, se rebiffa Catherinette.
- “Ah ah, pour une fois, la quille a raison !”, plaisanta le Père Janvier.
- “Elle a raison, Gui, dit le Père Janvier. On peut toujours essayer et puis si ça ne marche pas, tu pourras alors prendre ta retraite. Qu’en dis-tu ?”
- “Mais j’en ai assez d’être suspendu à ce peuplier depuis des siècles ! J’ai envie de liberté, moi !”, se rebella Gui. - “Attends, j’ai une idée !”, lança Catherinette. “Et si, plutôt que d’attendre les gens, tu partais à leur rencontre pour leur apporter tout le bonheur qu’ils souhaitent cette année ?!” - “Qu’est-ce que c’est que cette idée saugrenue encore, Catherinette !”, grommela Père Janvier. - “C’est pas du tout saugrenu ! Mais Gui est plein de petites branches, que l’on peut facilement détacher les unes des autres !” - “Oui, et alors ?”, interrogea Gui. Elle reprit :On pourrait donc tout à fait te “diviser” en plein de “mini-Gui” pour que tu t’envoles vers tes destinataires ! Comme ça, d’une, tu n’attendrais plus pendant des heures que les gens viennent à toi, et de deux, tu retrouverais ta motivation d’antan en reprenant ta mission originelle.” - “Ça c’est une idée !”, valida la quille tout en regardant le Père Janvier approuver d’un large sourire. - “Je suis un peu sceptique…, s’exprima Gui. Comment-veux-tu que je “m’envole” vers ces gens-là ?” 14
Gui, leva les yeux au ciel, poussa un long soupir et finit par dire : “Okay, essayons !”. Ni une, ni deux, ses trois nouveaux amis l’encerclèrent pour tirer sur ses branches et décrocher un an un ces “mini-Gui”. La boule verte se transformait peu à peu en en amas de ramages gracieux. Gui se sentait allégé et libre à nouveau ! Au loin, il entendit le blizzard forcir. Tout à coup, les portes de l’Amicale des traditions en voie de disparition s’ouvrirent et une tornade céleste souleva Gui et ses petits clones dans un tourbillon puissant. Pris dans ce courant magique, il disparut dans la nuit en s’écriant : “Merci les amiiiiiiiiiis”.
- “C’est dommage quand même, je l’aimais bien moi, Gui !”, dit la quille. - “Ce que tu peux être égoïste parfois”, râla Catherinette. - “Vivement la reprise du service militaire !”, plaisanta Père Janvier, en adressant un clin d’œil à sa vieille amie. 15
Illustrations : www.oliviagouguenheim.com