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ANALYSE ET COMPARAISON DE MODÈLES THÉORIQUES EN ÉDUCATION DES ADULTES :
LE BÉHAVIORISME ET LE COGNITIVISME Réalisé dans le cadre du cours THÉORIES DE L’APPRENTISSAGE ET ÉDUCATION DES ADULTES, Téluq
Par Audrey Miller @millaudrey www.amtice.com
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1. INTRODUCTION Enseigner a longtemps été considéré comme un art. Ce n’était alors pas tant la connaissance qui était importante, mais le savoir-faire. Ce n’est qu’à la fin du 19e siècle qu’on a commencé à appliquer à l’éducation des principes scientifiques en lui apposant des modèles tirés de la psychologie (Tardif, 1996). Deux courants ont tour à tour prédominé dans ce qu’on appelle la science de l’éducation : l’empirisme (aussi appelé « béhaviorisme ») et le cognitivisme. Ces deux approches s’intéressent à la façon dont une personne évolue intellectuellement de l’enfance à l’âge adulte et veulent décrire objectivement les lois qui régissent l’acquisition de connaissances, par opposition à d’autres courants psychologiques qui laissent plutôt place à la subjectivité. Cependant, elles sont très différentes sur leurs fondements.
2. BÉHAVIORISME ET COGNITIVISME : BRÈVE DESCRIPTION DES APPROCHES Tel que défini par Tardif (1996), le paradigme béhavioriste s’emploie à étudier les comportements en réponse à certains stimuli et à tracer les règles qui les régissent, en vue de les prédire et de les contrôler. Selon cette psychologie, l’être humain apprend de façon mécanique à partir de signaux (stimuli) provenant de son environnement. Si une réponse (comportement) à un signal entraîne une issue (renforcement) positive, ce comportement est plus susceptible de se reproduire que s’il entraîne une issue négative ou neutre (Weiten, 1996). En résumé, pour les behavioristes, apprendre signifie acquérir un nouveau comportement, ou donner une réponse correcte à un stimulus. De son côté, le cognitivisme veut plutôt expliquer les processus cognitifs desquels découlent les comportements, « ce qui se passe dans la tête des individus lorsque ces derniers apprennent, résolvent des problèmes ou effectuent diverses
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tâches »
(Basque,
2011).
Basque
souligne
par
ailleurs
qu’on
compare
métaphoriquement cette approche à l’intelligence artificielle qui permet aux ordinateurs de réagir de telle ou telle façon selon les processus enclenchés. Ces processus, qu’ils soient humains ou artificiels, définissent comment l’information est acquise, mémorisée et réexploitée (Weiten, 1996; Kaplan, 1998). En résumé, pour les cognitivistes, il y a apprentissage lorsque les structures mentales sont modifiées (Basque, Rocheleau et Winer, 1998). Donc, le béhaviorisme étudie la façon dont les comportements visibles et concrets sont acquis, alors que le cognitivisme analyse le fonctionnement des connexions complexes et invisibles qui régissent l’esprit humain.
Allons maintenant voir comment ces deux modèles psychologiques s’appliquent concrètement en éducation en influençant le rôle de l’enseignant, la place de l’apprenant et les caractéristiques des outils d’apprentissage.
3. CARACTÉRISTIQUES DU MODÈLE BÉHAVIORISTE L’apprenant, un contenant vide façonné par les stimuli de son environnement Selon le postulat béhavioriste, l’esprit humain naît comme un contenant vide qui sera rempli et façonné par son environnement, à travers les expériences vécues et en réaction à des stimuli externes (Tardif, 1996). Aussi, toujours selon Tardif, la connaissance s’acquiert par répétition, habitude et conditionnement. Donc, l’apprenant a une place plutôt passive dans ce modèle puisqu’il est appelé à être façonné, d’une certaine façon, par son enseignant qui le dirigera vers le développement des comportements souhaités. Son rôle est de répondre aux stimuli qui lui sont proposés. D’un autre côté, si l’apprenant connaît bien cette théorie psychologique, il peut
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éventuellement s’en servir pour se conditionner lui-même en s’offrant des stimuli. À ce sujet, Weiten (1996) cite en exemple un élève qui obtient un A à son examen après avoir étudié avec sérieux. Comme la réponse a été positive (examen passé avec succès), il sera plus enclin à bien étudier pour le prochain examen.
L’enseignant, le scientifique qui façonne les comportements Dans le modèle béhavioriste, l’enseignant a un rôle prépondérant. Il agit en quelque sorte comme un scientifique qui modèle le comportement de ses sujets. Pour ce faire, il crée des « situations naturelles et quotidiennes d’apprentissage » et utilise des renforcements systématiques et immédiats (Tardif, 1996), par exemple des mots d’encouragement, des récompenses, etc. Concrètement, l’enseignant établit des objectifs d’apprentissage très précis qui dictent précisément ce que les élèves doivent savoir faire en fin de leçon. Ces objectifs décrivent quels sont les comportements qui sont attendus de la part des élèves. Le style d’enseignement est principalement magistral (Basque, Rocheleau et Winer, 1998). En résumé, « l’enseignant prend toute la responsabilité de l’atteinte des objectifs d’apprentissage; c’est à lui de créer des conditions environnementales et un système de renforcements qui vont amener l’élève à adopter de nouveaux comportements. »
Les outils d’apprentissages : répétition et rétroaction Comme l’apprentissage résulte notamment de l’habitude et de la répétition selon l’approche béhavioriste, on note que les outils d’apprentissage qui y sont conformes sont de type exerciseur ou tutoriel (Basque, Rocheleau et Winer, 1998). Par exemple, apprendre une table de multiplication ou un poème par cœur, faire une série de 50 exercices d’accord du nom au pluriel, etc. Les outils informatisés sont intéressants ici puisque l’ordinateur peut générer un nombre infini d’exercices du même type en
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changeant les variables, permettant de s’exercer autant que nécessaire sur un concept tout en offrant une réponse instantanée (renforcement systématique et immédiat). Les évaluations sont souvent de type examen à correction objective (Basque, 2011) pour permettre de calculer très précisément le niveau d’atteinte d’un objectif.
Basque, Rocheleau et Winer (1998) concluent ainsi que « le béhavioriste s'intéresse surtout à l'enseignement plutôt qu’à l’apprentissage et aux résultats observables de l'enseignement plutôt qu’au processus d’apprentissage. »
4. CARACTÉRISTIQUES DU MODÈLE COGNITIVISTE L’apprenant : une cartographie mentale en constant changement L’apprenant a ici un rôle plus actif puisque ses apprentissages sont modelés par l’autoorganisation de ses catégories mentales (Tardif, 1996). En bref, chaque apprenant est encouragé à acquérir et traiter l’information provenant de son environnement d’une façon qui lui est spécifique et qui est dirigée par ses apprentissages antérieurs, avec lesquels il doit faire des liens (Basque, 2011). Selon Basque, le cognitivisme « stipule que ces représentations mentales changent tout au long de l’apprentissage » De plus, cette approche propose de développer les habiletés de façon intégrée et non isolée afin que l’apprenant puisse les utiliser de manière appropriée aux situations qu’il rencontrera. Ces habiletés sont aussi nommées « compétences » par certains auteurs (Tardif, 1996; Basque, 2011). D’ailleurs, Tardif résume qu’apprendre signifie « accroître son niveau de maîtrise des compétences ».
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L’enseignant : l’agent de transfert L’enseignant, dans une perspective cognitiviste, a un rôle beaucoup plus complexe que dans la perspective béhavioriste. En effet, il doit intégrer une dimension affective et tenir compte des connaissances antérieures de ses élèves (Tardif, 1996). Il ne peut pas se contenter de transmettre un savoir isolé, mais doit s’efforcer de le faire correspondre de façon logique aux schémas déjà intégrés par les apprenants, tout en refaisant l’évaluation de leurs caractéristiques cognitives et affectives de façon continue (Basque, 2011). Aussi, l’enseignant s’assure de sélectionner, organiser et schématiser les idées et de les mettre en évidence selon leur importance (Tardif, 1996). De cette façon, il accompagne ses élèves vers une meilleure transposition en mémoire à long terme puisqu’il les encourage à participer activement au traitement et à l’encodage de l’information, toujours selon leur organisation mentale particulière.
Caractéristiques des outils d’apprentissage Dans l’approche cognitiviste, les outils d’apprentissage doivent permettre à l’apprenant d’appliquer des mécanismes cognitifs et de construire son savoir selon son organisation mentale particulière. Tel que clairement expliqué par Basque (2011), les outils d’apprentissage à privilégier selon cette approche sont des outils dits cognitifs, c’est-àdire qu’ils facilitent ou amplifient le fonctionnement cognitif. Ce sont aussi des outils interactifs, donc qui exigent un effort mental de la part de l’apprenant. Idéalement, ce sont des outils réactifs, c’est-à-dire qui peuvent s’adapter aux différences individuelles. Ceci dit, tel que souligné par Basque, le paradigme ne rejette pas complètement la pratique répétée puisqu’elle permet le développement d’automatismes qui laissent place à des activités de plus haut niveau cognitif. Un exemple d’outil pédagogique qui se situe particulièrement bien dans ce contexte est la carte conceptuelle. En effet, elle permet à l’apprenant d’intégrer les apprentissages en relation avec les connaissances
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déjà acquises à l’intérieur d’un schéma personnel. Plusieurs outils informatiques permettent d’y arriver très facilement et de faire des modifications rapidement. Ainsi, les cartes peuvent évoluer avec l’apprenant.
5. FORCES ET FAIBLESSES DES DEUX MODÈLES Si
les
orientations
actuelles
en
sciences
de
l’éducation
reconnaissent
leur
complémentarité, il convient tout de même de dégager les principales forces et faiblesses de ces deux modèles. Les deux modèles partagent la faiblesse de la rigidité de leurs postulats. Ils considèrent l’apprentissage humain comme le résultat d’opérations précises et calculables. Kaplan (1998) reproche aussi au cognitivisme son manque d’unité puisque plusieurs modèles sont proposés par les scientifiques à propos des processus d’encodage, de mémorisation et d’exploitation de l’information. Il souligne que l’application objective de cette approche est encore difficile. Selon lui, le béhaviorisme exclut tous processus mentaux comme la conscience et la pensée, ce qui ne donne donc qu’un aperçu partiel des raisons d’un comportement. Enfin, l’auteur souligne le peu de différence qualitative entre les animaux et les êtres humains dans cette approche. Cela dit, on peut quand même dégager des forces à ces psychologies. Le cognitivisme permet une analyse détaillée des processus impliqués dans l’acquisition et le traitement de l’information par le cerveau. Selon Kaplan (1998), cela pourrait notamment servir à diagnostiquer et à corriger des difficultés au niveau de la résolution de problèmes. De son côté, le béhaviorisme a l’avantage de présenter une théorie de l’apprentissage claire, précise et testable en laboratoire, tel que résumé par Kaplan. De
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plus, l’approche accorde une grande importance à l’environnement spécifique aux individus.
6. PRISE DE POSITION PERSONNELLE En tant qu’éducatrice d’adultes, je trouve difficile d’identifier précisément le modèle qui me convient le mieux car je vois d’importants avantages à chacun. Je crois qu’il est possible d’arriver à un programme d’apprentissage qui intègre un peu des deux. Mais pour les besoins de l’exercice, je dirais que je penche vers le modèle cognitiviste. La recherche a montré que les jeunes adultes voient un déclin de leur performance dans la résolution de problèmes abstraits, mais une augmentation au niveau des problèmes concrets (Kaplan, 1998). On constate donc l’importance que prend l’expérience de l’apprenant et je considère qu’il est fondamental de tirer profit des structures mentales déjà en place chez les étudiants lorsqu’on enseigne. Ceci dit, si les structures mentales déjà en place ne permettent pas le traitement adéquat de l’information, et donc rendent difficile l’apprentissage, cela pose un défi plus grand. Alors, il me semble probable que certains aspects de l’approche béhavioriste puissent être d’un grand secours. D’ailleurs, les cognitivistes n’en rejettent pas tous les postulats, comme la nécessité de certaines activités de répétition pour développer des automatismes (Basque, 2011). Malgré tout, en général, l’approche béhavioriste me conviendrait moins car je n’aime pas le fait que l’enseignant soit le maître d’œuvre de tout et que les apprenants soient uniquement des récipients. Particulièrement chez les adultes, je vois difficilement comment on peut ne pas tenir compte des caractéristiques cognitives et affectives et s’attendre à ce que tous obtiennent les mêmes résultats avec la même méthode. De plus, je crois que l’apprenant adulte tire une plus grande satisfaction de ses
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apprentissages s’il a été un acteur principal de leur intégration. En plus, la planification des cours est beaucoup plus intéressante pour le formateur dans une perspective cognitiviste puisqu’il n’a pas à tout préparer dans les moindres détails et peut laisser place au changement, selon la réaction des apprenants. Cela dit, le constructivisme est souvent assimilé à l’apprentissage par la découverte, tel que le décrit Legendre (2004), « où l’élève doit reconstruire le savoir par lui-même, approche qui élimine toute possibilité d’enseignement direct et apparaît inopérante en contexte scolaire. » Comme le suggère l’auteure, c’est probablement pourquoi de nombreuses pratiques pédagogiques ne sont pas en elles-mêmes cognitivistes, même si elle sont cohérentes avec ces perspectives.
En résumé, je retiens que chaque courant psychologique apporte quelque chose de plus à la pédagogie et que chaque acteur du processus d’apprentissage devrait se les approprier à sa façon dans le meilleur intérêt des apprenants.
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RÉFÉRENCES Basque, J. (2011) Les fondements théoriques de l’ingénierie pédagogique. Dans J. Basque (dir.), Recueil de textes, Ingénierie pédagogique et technologies éducatives (p. 27-56). Québec, QC : Télé-université, Université du Québec à Montréal.
Basque, J., Rocheleau J. et Winer L. (1998). Une approche pédagogique pour l’école informatisée.
Récupéré
le
11
janvier
2012
du
site
http://www.robertbibeau.ca/peda0398.pdf
Legendre, M.-F., (2004). Cognitivisme et socioconstructivisme. Des fondements théoriques à leur utilisation dans l’élaboration et la mise en œuvre du nouveau programme de formation. Dans P. Jonnaert et A. M’Batika (dir.), Les réformes curriculaires, Regards croisés. (p. 13-47), Québec, QC : Presses de l’Université du Québec
Kaplan, P. S. (1998). The Human Odyssey : Life-Span Development, 3rd Edition. Brooks/Cole.
Tardif, M. (1996). Le projet de création d’une science de l’éducation au XXe siècle : analyse et comparaison de deux psychologies scientifiques. Dans C. Gautier et M. Tardif, La pédagogie. Théories et pratiques de l’Antiquité à nos jours (p. 211-238), Montréal, Gaëtan Morin éditeur.
Weiten, W. (1996). Psychology Themes & Variations, Briefer Version, 3rd Edition. Brooks/Cole.
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