14 Chefs 14 Maisons Dessins AurĂŠlie Sartres Textes Alain Cohen
14 Chefs | 14 Maisons
Dessins AurĂŠlie Sartres Textes Alain Cohen
Alain Cohen —
Aurélie Sastres —
Je ne me rappelle pas exactement où et quand Alain m’a fait fouler le sol des cuisines de “ses” chefs. Par contre je me souviens de ce que j’ai ressenti lorsque j’en suis sortie : j’avais l’impression que le monde tournait au ralenti ! Je me rappelle avoir pensé que les gens n’imaginent pas la folie, la rigueur, la passion qui s’y déchaînent. Alain m’a montré ça et bien d’autres choses encore. Il écrit comme il vit : un regard vers l’histoire, l’autre vers l’aventure. Un pied dans le passé et l’autre dans le futur. Mais le plus étonnant, c’est lorsqu’il est présent…
Aurélie Sartres est née en à Vienne en Isère, elle a grandi au bord du lac d’Annecy. C’est une fille de la montagne ; elle est descendue dans la vallée pour conquérir le monde. De l’École des Arts Déco de Paris à l’Exposition de Bologne, cette fille d’architecte promène son incroyable vitalité sur la ligne d’horizon avec des pleins et des déliés. Des pleins de talent et de culot, des pleins d’arcs et de flèches, des pleins d’essences et des pleins d’absences. Circonspecte et modeste quand le soleil se lève. Pétroleuse et râleuse quand la chance est en grève Mais lorsque la nuit tombe, Aurélie prend les armes Elle se dresse sous les bombes, la sueur, le sang, les larmes De sa mère infirmière elle apprit la survie Haut-savoyarde et fière, elle se dresse comme un i… Aurélie
Sommaire
Introduction
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Yannick Alléno | Le Meurice
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Frédéric Anton | Le Pré Catelan
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Éric Briffard | Le Georges V
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Alain Ducasse | Le Plaza Athénée
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Mickaël Féval | L’Antoine
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Éric Frechon | Le Bristol
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Patrice Hardy | La Truffe Noire
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Philippe Labbé | Le Shangri-La
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William Ledeuil | Ze Kitchen Galerie
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Christophe Moret | Lasserre
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Alain Pégouret | Le Laurent
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Christophe Raoux | Le Grand Hôtel
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David Rathgeber | L’Assiette
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Jean-François Rouquette | Le Park Hyatt
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Épilogue
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Merci
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Suite… et FIN
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Paris, hiver 2004 Autoroute du soleil. Bretelle de sortie porte d’Orléans Extérieur – Jour Pluie.
Introduction
1 000 fois, je suis revenu à Paris par cette route. 1 000 fois, j’ai emprunté l’étroite rue de la Tombe-Issoire qui permet aux affranchis de contourner la porte d’Orléans, d’éviter trois feux rouges et de gagner ainsi cinq bonnes minutes ! Le jour où cette histoire commence, la Mairie de Paris venait d’inaugurer en grande pompe les travaux du tramway. Un chantier pharaonique qui allait bouleverser pendant des années tous les flux et reflux automobiles à la périphérie et aux portes de la capitale. La moitié des habitants hurla au scandale, les autres crièrent au génie. Les Parisiens n’avaient plus connu telle bataille rangée depuis celle que déclencha Gustave Eiffel en 1889 lorsqu’il érigea cet enchevêtrement métallique de 300 mètres de haut qui allait devenir le monument le plus visité de la planète ! La construction de la tour Eiffel ne dura que deux ans, et cet ingénieur de génie réussit le tour de force de respecter son planning, tenir son budget et ne tuer personne, à une époque où la mortalité dans les Travaux publics faisait partie des pertes et profits quotidiens. 120 ans plus tard, j’eus le triste privilège d’être une des premières victimes collatérales du chantier du tramway. Ce jour-là, en arrivant porte d’Orléans, à l’entrée du raccourci que j’empruntais depuis 25 ans, il m’avait vaguement semblé lire sur un panneau : « Interdit sauf aux taxis »… j’avais certainement mal lu ! « Bonsoir Monsieur ! Police nationale ! Vous avez les papiers du véhicule ? Z’avez pas vu le panneau d’interdiction ? » Patatras… Sens interdit… Tarif : 4 points ! 12 moins 4… moins 4… moins 4… égale zéro… Zéro point… Zéro permis ! L’hiver 2004 commençait mal… Pour moi, il allait durer 12 mois. 12 mois de suspension de permis de conduire… 12 mois de funambulisme pendant lesquels, faire mon travail, allait relever du miracle permanent.
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J’avais 45 ans et j’étais distributeur de légumes et de fruits auprès des plus grands Chefs de cuisine parisiens. Je partageais mon temps entre les halles de Rungis, aux portes de Paris, les cuisines des restaurants, et le sud de la France où j’avais rencontré, à l’occasion de mes débuts dans la profession, des paysans passionnés et virtuoses. Ils étaient la colonne vertébrale de mon grand projet : La Production à la Carte. Une aventure écologique, gastronomique et avant tout une aventure humaine qui allait rapprocher le monde de la gastronomie et le monde agricole. C’était grâce à ces producteurs que j’avais réussi à devenir le fournisseur des plus grands restaurants. D’une rencontre à l’autre, j’appris mon nouveau métier, ébloui par ces Spartacus des temps modernes : les agriculteurs et les cuisiniers. Deux professions sinistrées, tant la donne avait changé en à peine une génération. Ces hommes et ces femmes que j’eus la chance de rencontrer au cours de ces années d’apprentissage et d’exploration avaient en commun la passion, le courage et la force. La passion de leur métier, le courage de leurs choix et la force ! La force physique d’abord, celle des cuisiniers qui travaillent douze heures par jour dans des cuisines surchauffées et celle des agriculteurs qui arpentent leurs champs, assommés par le soleil ou sous une pluie battante, jour après jour après jour après jour, sans relâche, sans répit, car la terre n’attend pas, comme le lait sur le feu ou le client à table. La force mentale de savoir qu’aucune saison même la meilleure ne peut présager de la saison suivante, aucun service du midi, même le plus réussi, n’assure la réussite du service du soir. La force de vivre dans l’urgence et d’apprendre la patience, celle d’être irremplaçable et sur siège éjectable. La force de dire non à la facilité… La force de résister ! La pierre angulaire de toutes ces rencontres, de toutes ces découvertes, de toutes les facettes de ce métier qui me passionne, fut la rencontre de ces deux mondes dont je fus un des instigateurs. C’est au contact des cuisiniers que j’ai mesuré les incroyables contraintes auxquelles ils sont soumis, et c’est en traversant la France, d’une région à l’autre, d’une exploitation à l’autre, que j’ai compris l’immensité de la tâche et l’extrême difficulté du quotidien des agriculteurs. La prise de conscience, pour ne pas dire l’électrochoc que furent pour moi ces rencontres, m’avait convaincu de la nécessité d’emmener en voyage les cuisiniers, à la découverte des paysans et
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de leurs exploitations. J’étais certain qu’eux aussi succomberaient à la fascination que provoqua chez moi cette immersion dans le monde de la production maraîchère, De là germa l’idée d’organiser Le Voyage des Chefs, et poser ainsi les premiers jalons de La Production à la Carte. J’étais encore novice lorsque j’organisai le 1er Voyages des Chefs. Douze ans plus tard, au retour du 4e voyage, je mesure le chemin parcouru. La première escapade eut lieu en 2000 : le Week-end des Chefs. J’avais entraîné avec moi une dizaine de jeunes cuisiniers. Nous avions fait un aller-retour de 48 heures chez Daniel Vuillon au Jardin des Olivades en Provence et avions visité 4 exploitations. À l’été 2011, avec l’équipe des Vergers St Eustache, nous étions plus de cinquante, quatre jours durant, en Bretagne et en Pays-de-Loire à l’occasion de ce 4e voyage : le Voyage des Chefs en Atlantique. Ces voyages ont totalement redistribué les cartes entre les trois acteurs de cette aventure : les cuisiniers, les paysans et les distributeurs que nous sommes. 25 Chefs de cuisine, partant à la rencontre des agriculteurs, quatre jours durant. Les genoux dans les labours, le nez dans les aromates. 25 Chefs de cuisine, étourdis par ce qu’ils découvraient, par ce qu’ils apprenaient et par ces hommes et ces femmes de la terre, solides et calmes, passionnés et réalistes qui se tenaient face à eux comme les forgerons des outils de leur art culinaire. Et tous ces agriculteurs éclairés, farouches défenseurs des vrais produits et des vraies saisons, des vrais stades de maturité et des vrais goûts, regardant les Chefs de cuisine droit dans les yeux, d’abord un peu méfiants et puis à leur écoute. Deux mondes si différents et pourtant si semblables, et si intimement liés l’un à l’autre. La défiance qui peu à peu s’estompe, les langues qui se délient, puis les idées qui fusent, et les questions, et les réponses et puis enfin les rires, les projets et les rêves. La production de ces artistes des champs, à la carte de ces artistes des villes. Les agriculteurs rencontraient enfin les orfèvres capables de transformer leurs pierres de terre en pierres précieuses. Ces rencontres allaient donner naissance à La Production à la Carte La Production à la Carte est le projet dont je suis le plus fier ! Plus que les bâtiments que j’ai dessinés et que j’ai construits aux côtés de Stefania Stera, lumineuse artiste italienne qui
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— Un carnet de croquis dans une main, un crayon dans l’autre, elle se posait dans un coin comme si elle passait à table et sans que je ne m’en aperçoive, elle se mit à croquer les Chefs… —
me fit architecte ; plus que Le Vieil Homme et l’Enfant, ce film entré dans l’histoire et dans lequel j’eus la chance de tourner avec le grand Michel Simon sous la direction de Claude Berri dont c’était le premier film ; plus que mes sauts en parachute sur les plages de Normandie lorsque je me croyais encore immortel, plus que mon enrôlement éphémère dans les Services secrets pour jouer les apprentis espions à travers l’Union soviétique au temps du rideau de fer ; plus que toutes les chances dont la vie m’a abreuvé, La Production à la Carte est ma plus grande fierté, ma plus grande chance, la chance que j’ai offerte aux autres et celle qui donne aujourd’hui à mon travail un sens unique, un sens inouï, un sensationnel ! ! ! Je reçus mon « bâton de Maréchal » le jour où j’entendis cette phrase prononcée par Alain Ducasse : « Tu sais comment je t’appelle quand je parle de toi, Alain ? Je t’appelle le sourcier des fruits et légumes !!!! » (Pour vraiment imaginer mon émotion, il faut entendre cette phrase prononcée avec l’inimitable accent provençal du Chef !) Après avoir été enfant star dans les années 60, serveur dans les années 70, architecte dans les années 80, les années 90 me virent atterrir, presque par hasard dans les halles de Rungis, puis dans les cuisines des grands restaurants. la sentence assassine qui me priva de permis de conduire… autant dire de permis de respirer, me plongea dans une angoisse insurmontable… entre déprime et panique… désespoir et colère… Moi qui passais ma vie à courir… je détestais marcher. Le lendemain de ce jour maudit où j’avais ressenti, douloureusement, l’incontournable principe de réalité qui allait me rendre infirme pendant 12 mois, j’eus la chance insolente, improbable, presque imméritée de rencontrer Aurélie. Aurélie Sartres. Sartre comme Jean-Paul… mais avec un S. Aurélie avait cet incroyable talent de s’exprimer avec un crayon ou un pinceau dans un langage universel, comme Gainsbourg, Sempé, Eiffel… toujours le trait juste, comme un mot juste, comme une note juste… une couleur vraie, un sentiment noble, simple et droit. Elle avait besoin d’argent. Moi d’un chauffeur. Elle fut pendant des mois mon permis de conduire ! Et pendant des mois, d’une cuisine à l’autre, elle fut mon ombre, ou moi la sienne, et elle pénétra avec calme et discrétion dans le monde fabuleux des Chefs. Un carnet de croquis dans une main, un crayon dans l’autre, elle se posait dans un coin comme si elle passait à table et sans que je ne m’en aperçoive, elle se mit à croquer les Chefs… Miam !!!
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Yannick Alléno m’a fait chercher des aiguilles dans des champs de blé. Exigeant et tolérant à la fois, il est un des nouveaux modèles de la grande cuisine. Un jour, à la table de Michel Bras, il avait eu la surprise de goûter un plat de son enfance : la celtuce, une variété de laitue aujourd’hui disparue, qu’on laissait « monter » avant de la cueillir et dont on travaillait le pied plus que les feuilles. Lorsqu’à la fin du repas, Yannick, sa madeleine de Proust encore à la bouche, demanda à Michel Bras comment faire pour se procurer cette salade antique, son aîné lui répondit : « C’est très simple Yannick, si tu veux de la celtuce, viens la manger chez moi ! » Dérouté, dépité, déprimé, de retour à Paris, il m’avait raconté cette histoire et demandé de retrouver la trace de cette salade que sa grand-mère lui cuisinait. Ce fut Henri Bastelica, le Géo Trouvetou des producteurs de La Production à la Carte que je mis sur la piste du Graal. J’écrirai certainement un jour l’histoire des Bastelica, ces anciens professeurs d’université devenus agriculteurs supersoniques, installés à Verlus sur les pentes de la vallée des Deux-Sources, dans les Pyrénées. Les premières informations qu’Henri me donna, après quelques semaines de recherche, n’étaient pas rassurantes. Il avait retrouvé la trace de la celtuce dans des écrits… du Moyen Âge ! Et plus de nouvelles pendant des mois. Un an plus tard, Henri Bastelica me téléphona, il avait réussi à retrouver les graines de cette vulgaire salade que j’avais déjà presque oubliée et dont Yannick Alléno ne se souciait certainement plus… Encore une année entière de tentatives pour ramener à la vie la celtuce sur les collines de Verlus. Plus de deux ans après que Yannick m’eut confié cette mission sacrée, Henri m’expédia le premier colis de celtuce que Paris ait vu depuis Gutenberg. Je me suis offert ce jour-là un coup d’éclat que ni lui, ni moi ne sommes prêts d’oublier. J’avais pris le risque d’une mise en scène un peu limite… J’avais débarqué dans les cuisines de l’Hôtel Meurice, tenant à bout de bras un colis en bois chargé de celtuces… Les Cuisiniers, me voyant arriver en plein service, me dévisagèrent, partagés entre la colère du sacrilège que représentait mon irruption à un tel moment et leur compassion devant l’arrêt de ma propre mort que je signais devant leurs yeux. Et Yannick Alléno vit surgir en pleine tempête son marchand de légumes qui livrait pendant le service dans les cuisines d’un 3 étoiles… et les larmes lui montèrent aux yeux… et il me prit dans ses bras devant 30 cuisiniers médusés ! En couverture de son premier Livre de Cuisine, 4 Saisons à la table 5 : la photo d’une celtuce au Caviar… la celtuce d’Henri Bastelica ! Ce soir-là Yannick devint mon ami. Yannick Alléno. Un prénom du nord et un nom du sud. Un vrai bourlingueur. Le beau gosse de l’histoire… prêt à tout et peur de rien. Tout ce qu’il ne connaît pas l’intéresse, tout ce qui n’existe pas, ou n’existe plus l’attire. Aller plus loin, plus haut… Yannick serait bien inspiré de se poser de temps en temps… on a du mal à le suivre !
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? À 15 ans. À Rueil-Malmaison. Professionnellement à la Canourgue dans le département de la Lozère. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Le premier que j’ai voulu rencontrer : Bocuse. Il passait à une émission de Stéphane Collaro, il fallait écrire pour le rencontrer sur le plateau. La lettre n’est jamais partie ! Votre évolution en 3 mots ? Concours / Bocuse d’or / Michelin. Votre évolution en 3 plats ? « Gelée de langue d’oursin au saké et vinaigre de riz, tuile aux algues » / « Poulet à la bouteille » / « Fuseau pralin et citron, copeaux de truffe ». 3 produits « fétiches » ? Haut-Brillon / Fruits de mer / La Pêche de Montreuil. 3 produits « allergie » ? Vraiment allergique ! : l’aubergine et le pollen… Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? Je suis un Chef du monde. La cuisine est devenue internationale. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Cuisiner s’applique à tous les éléments travaillés. C’est un acte singulier, pas anodin. Il y a la cuisson, la transformation, l’acte de concentration, de réduction… de compréhension. On doit bien comprendre l’ensemble des traitements appliqués aux produits pour être un bon cuisinier. Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? Il n’y en a pas : je suis curieux. Un plat de Brunei, à base de racine, où la farine déliée à l’eau donne quelque chose de sticky qui est ensuite trempé dans une réduction de poisson séché. Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? Graphiquement intéressant : l’os à moelle de Frédérique Anton. La tarte aux truffes de Joël Robuchon. Le boudin noir végétal d’Alain Passard. Particulièrement chez les 3 étoiles, il existe quelques plats incroyablement remarquables, dont on se souvient toute sa vie. C’est la recherche du Graal culinaire. Parfois, on le trouve, c’est le nirvana culinaire ! Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Un sport extrême. Pilote de rallye.
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4 personnes — béchamel — 40 g de beurre / 40 g de farine / 35 cl de lait / Noix de muscade / Sel, poivre Mettre le beurre à fondre dans une casserole. Ajouter la farine et laisser cuire 3 à 4 min pour la torréfier légèrement sans coloration. Refroidir rapidement. Faire bouillir le lait et le verser sur le roux froid en remuant à l’aide d’un fouet. Remettre à cuire 4 à 5 min. Assaisonner de sel, poivre et d’un peu de noix de muscade râpée. — appareil à fromage — 30 g de gruyère râpé / Béchamel / Noix de muscade / Sel, poivre du moulin Mélanger la béchamel avec du gruyère râpé. Ajouter un peu de noix de muscade râpée. Rectifier l’assaisonnement. Mettre dans un moule rectangulaire et faire fondre au four jusqu’à ce que la pâte devienne homogène Couler le mélange et le laisser prendre, comme de l’aligot. Tailler en tranches fines. — Montage du croque — 8 tranches de pain de mie blanc / 4 tranches de jambon de Paris Placer une tranche d’appareil à fromage sur une tranche de pain de mie moelleux. Déposer une belle tranche de jambon de Paris. Ajouter la béchamel par-dessus. Déposer une autre tranche d’appareil à fromage. Terminer par une tranche de pain de mie blanc moelleux. Cuire à la minute dans la machine à croque-monsieur pour souder les côtés.
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Lorsqu’Aurélie commença à croquer les Chefs, Frédéric Anton, fut le premier à y passer. Il venait de décrocher sa 3e étoile, et elle lui offrit trois étoiles dessinées dans le ciel du Pré Catelan. J’ai assisté ce jour-là, à la rencontre de deux artistes. Moitié conquérant et moitié poète, Frédéric est le fils spirituel de Joël Robuchon. Lorsqu’il n’est pas en cuisine, il restaure des meubles vintages des années 70 qui ont fini par envahir chaque recoin de sa maison. Il s’adonne également à la peinture abstraite et produit des toiles feux d’artifices qui s’amoncellent dans son atelier. Frédéric Anton est un des rares Chefs de cuisine que j’ai réellement sollicités. J’ai toujours préféré attendre que les cuisiniers fassent eux-mêmes le premier pas… même un tout petit pas. Un premier pas qui change radicalement les bases de notre relation, c’est ce petit pas qui m’octroie le droit à l’erreur. Ce fut Alain Pégouret, son frère d’armes aux côtés de Joël Robuchon, qui me suggéra d’aller frapper à la porte de Frédéric Anton afin de lui proposer les produits de La Production à la Carte. Lors de notre première rencontre, Frédéric fut « convaincu, mais pas intéressé », par les produits que je lui avais apportés. « Je suis quelqu’un de fidèle, me dit-il, et pour l’instant je suis satisfait de mon marchand de légumes… mais qui sait ?… un jour peut-être… » Nourri par cette infime lueur d’espoir, pendant près de deux ans, je suis passé régulièrement au Pré Catelan lui présenter mes dernières découvertes. Il m’a fallu un moment pour réaliser que lui faire découvrir des tomates jaunes ou des carottes violettes n’avait, pour lui, pas grand intérêt. Une tomate rouge au goût de tomate et une carotte orange au goût de carotte, là était sa véritable quête. Et les semaines passèrent, et les mois… aujourd’hui encore j’ai la nostalgie de ces furtives rencontres au cours desquelles je débarquais au Pré Catelan les bras chargés de trésors que je déposais sur le passe. Et j’attendais, fébrile, de le voir réagir. Frédéric Anton, avec une détermination et une rapidité inouïes, souvent sans commentaires, écartait d’un geste de la main ou d’un mouvement de la tête ce qui ne l’inspirait pas. Parfois, sans dire un mot, il se saisissait d’un légume, goûtait, découpait, taillait, éminçait, retournait, sortait une poêle, allumait un feu, attrapait une bouteille d’huile d’olive, plongeait ses doigts dans un pot de fleur de sel,… Abracadabra… La magie ! Un matin, à 10 h 01, un message de 5 secondes sur mon portable : « Salut Alain, c’est Anton, si tu me trouves des champignons boutons avant midi, je te prends comme fournisseur ! » 11 h 55, en nage, face à lui, 2 colis de « boutons de guêtres » entre les mains, un sourire idiot et irrépressible me déforme le visage. La cuisine de Frédéric Anton lui ressemble ; techniquement de haute précision, visuellement minimaliste, gustativement éblouissante. Le goût du produit… le goût, tout le goût, rien que le goût ! Levez la main droite et dites Je le jure ! Avec Anton tout est possible, tout peut arriver ! Il a deux mains en or, deux jambes en acier trempé… et deux têtes… ! Une tête à l’ombre, et une tête à la lumière. Une tête à l’ombre de ses silences, de sa rigueur, de sa pudeur… À l’ombre des souffrances que l’on croit deviner. À l’ombre de la face nord de l’Annapurna, À l’ombre d’une irrépressible ascension vers les sommets de son art. Et une tête jumelle, tumultueuse et rugissante, une tête à la lumière… à la lumière du jour de gloire et du jour de fête. Un regard de feu, une voix de centaure et une assurance à toutes épreuves ! Anton… A-N-T-O-N
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Nicolas Le Bec / la cuisine des voyages
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? À l’école, à 14 ans en 1979. Tout simplement pour une orientation scolaire. Le métier de cuisinier ne m’était pas prédestiné, je voulais être ébéniste, devenir menuisier. Cuisinier était mon deuxième choix. C’est arrivé par le plus grand des hasards. Finalement, prendre un morceau de bois, le polir, le sculpter, le vernir et éplucher, tailler et assaisonner une carotte ont la même finalité : la transformation de la matière. C’est le métier d’artisan. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Tous les chefs avec qui j’ai travaillé, qui avaient des identités et des personnalités différentes. Mais mes 7 ans de collaboration avec Joël Robuchon ont fait que j’ai rencontré un homme extraordinaire. Un vrai technicien, minutieux et raffiné, qui amène tout à l’extrême. Au-delà de l’artisan, du compagnon, c’est un artiste. Votre évolution en 3 mots ? Transmission / Savoir / Régularité. Votre évolution en 3 plats ? L’os à moelle / La betterave au comté / La gelée de tomate mozzarella 3 produits « fétiches » ? Charcuterie / Chantilly / Moule frite. 3 produits « allergie » ? Les escargots et les huîtres. Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? Dans tous les pays. Je m’adapte. Sinon, l’Espagne, le Maghreb, les pays asiatiques. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Les escargots… Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? C’est plus compliqué ! Si j’aime manger quelque chose c’est que je peux le cuisiner. Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? La blanquette de veau. Un grand plat classique goûteux qui a perduré dans le temps. Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Ébéniste. Fleuriste et jardinier.
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— Christelle Brua, Chef pâtissier —
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4 personnes — Sardines 4 sardines / 12 tranches de comté vieux (12 ans d’âge) / Huile d’olive / Sel, poivre Dans une poêle avec de l’huile d’olive, cuire les sardines assaisonnées de sel et poivre pendant 2 min de chaque côté. Déposer le comté sur les sardines et le faire fondre quelques secondes sous le gril du four. — Couenne caramélisée – 200 g de poitrine demi-sel cuite Dans une poêle, mettre le morceau de poitrine, côté couenne dessous. Laisser caraméliser pendant 15 min environ. Puis la retirer de la poêle. Couper la couenne pour récupérer le caramélisé. Puis couper la viande en fines tranches. — Montage du croque — 16 câpres / 4 tranches de pain aux olives / 16 fleurs de pensées / Huile de friture Déposer le cochon caramélisé sur la sardine. Monter le petit mille-feuille et passer quelques instants au four. Faire frire les câpres dans une huile à 180 °C. Poser la sardine sur une tranche de pain dans une assiette. Ajouter le mille-feuille de cochon à côté. Parsemer de fleurs de pensée et de câpres frites.
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Éric Briffard est, pour moi, le petit dernier. Je dis le petit dernier par la chronologie, pas le dernier de la classe… non : le dernier des Mohicans. Un homme que je connais depuis peu, un solitaire, un aventurier… Un alpiniste, et un spéléologue. Un homme qui mesure ses mots. Un homme qui parle juste. Ce que je connais de son histoire le situe à mes yeux entre Robinson Crusoé et Antonio Vivaldi, un survivant des 4 saisons !!! Un peu à l’ouest… et un peu à l’est. Durant l’été 2011, à l’occasion du dernier Voyage des Chefs, j’ai, pour la première fois, découvert ce grand cuisinier et j’ai appris que la presque totalité de « mes » Chefs de Cuisine avaient croisé sa route. Éric Briffard avait précédé Alain Ducasse dans les cuisines du Plaza Athénée et avait eu, dans ses différentes brigades, la plupart des Chefs que j’avais conviés à cette escapade. Éric donne l’impression d’avoir eu plusieurs vies. Les histoires que j’avais entendues à son sujet avant de le rencontrer me faisaient craindre le pire… Autoritaire… Intransigeant… Distant… mais tout ça c’était avant… avant son exil extrême-oriental, un exil qui allait durer cinq ans. J’ai sans doute eu la chance de faire sa connaissance après sa métamorphose… peut-être devrais-je dire, comme pour les sportifs de haut niveau, après son « décrassage ». Ce fut le décalage entre les récits que j’avais entendus à son sujet et la qualité de nos premiers échanges qui me mit la puce à l’oreille. Ne crois jamais ce que tu entends… et ne crois que la moitié de ce que tu vois ! Éric Briffard, n’en déplaise à certains, est pour moi un exemple d’exemplarité, un humain pétri d’humanité, un être humble, plein de fierté, un homme fier plein d’humilité ! Je revois son regard émerveillé lorsque je débarquais dans sa cuisine, des semaines durant, pour lui proposer les produits qui allaient servir aux recettes de son premier livre de cuisine : Le Cinq… un monument ! À son retour du Voyage des Chefs, le texte qu’Éric a ajouté dans son livre, quelques jours avant sa publication, à propos de La Production à la Carte et qui rend hommage à Daniel Vuillon, aux acteurs de La Production à la Carte et à Michel Charraire, m’a fait chaud au cœur. Éric Briffard, un gentleman français !
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? Ouh là ! 14 ans et demi dans l’Yonne. 15 heures, 6 jours par semaine (seulement 90 heures par semaine !) J’étais logé chez l’employeur. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Mon maître d’apprentissage. Il était le premier à nous avoir montré que la pâte feuilletée est magique. Ensuite, un professeur de cuisine : Gabriel Bourgeois. Pour la petite histoire, il avait œuvré au George V à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il a cuisiné pour Eisenhower ou la reine d’Angleterre. Votre évolution en 3 mots ? Mon tour de France compagnonnique / Ma découverte du Japon (à 28 ans… il y a 23 ans !) / Ma rencontre déterminante avec Joël Robuchon qui fut un déclic pour ma carrière. Votre évolution en 3 plats ? « Les caramels à la peau de lait » que je faisais dès l’âge de 7 ans avec ma grand-mère ; c’était la peau du lait, le parfum d’herbage et le goût de la crème… / Le 2e plat, quand j’ai été Chef, est le « Pithiviers d’oiseaux à plumes de chasse ». L’équilibre des saveurs entre la grouse, le colvert, et le perdreau gris. C’est une tourte feuilletée avec du miel de châtaigne (mais pas une tourte à la française) qui nécessite une maîtrise sur la pâte et qui ressemble au pithiviers au niveau de la forme, mais réalisée exclusivement avec des oiseaux à plumes. Comme un civet, il demande 2 cuissons. Les suprêmes sont justes saisis à l’armagnac. La cuisson doit être rosée en le coupant. On y ajoute des cèpes, de l’aubergine. Le mobile ? ! Le souvenir d’enfant de repas de famille d’agriculteurs (pantagruéliques !) où le feuilleté mesurait 1,20 mètre de diamètre ! Je l’amenais donc chez le boulanger pour la cuisson où le fumet du vin blanc et des aromates donnait déjà sa saveur… Il est devenu un incontournable de ma cuisine. Les copains, Alléno ou Frechon, se sont tous amusés à refaire cette tourte. Il représente premièrement une identité et deuxièmement une maîtrise technique de cuisson. Robuchon dit que c’est le meilleur plat jamais réalisé… Après son lièvre à la royale ! On trouve l’évolution aussi dans la tradition. C’est la cuisine de la lenteur, on prend le temps de faire les choses, même si, par ailleurs, j’ai l’amour du dépouillement, de la pureté, du cru depuis mon retour du Japon. Je le réalise depuis plus de 15 ans, et le fais encore progresser. Comme disait Robuchon : « Pour créer la mode, il ne faut pas la suivre, il faut la faire. » / Le 3e plat est la « Marinière de coquillage et langoustine aux fettucini » avec une écume iodée. L’idée m’est venue en Bretagne, face à la mer, où les vagues éclatent contre le rocher, donnant l’écume que j’ai voulu reproduire. Il a fallu trouver l’équilibre à la crème pour faire une écume (et il y a 20 ans, personne ne faisait d’écume !). Alors c’est sans additif, mais avec l’hélice hors de la marinière, pour l’effet hors-bord, que j’ai réussi à fixer l’écume… Les algues nori sont ajoutées à la fin.
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3 produits « fétiches » ? C’est cyclique, par périodes… Comme dans mon livre 4 Saisons : un quadriptyque où chaque saison révèle une passion. Comme pour la tomate, ou les cèpes. En ce moment : les légumes, les végétaux. Les légumes japonais, de Kyoto. Ils sont les meilleurs car entourés de jardins impériaux : le navet kabu, le kabocha, l’edaname, le radis daïkon, le maïs. Le iodé, le cru. Manger des sushis… Mais au Japon ! (Je suis exigeant !) La cuisson à la braise, au feu de bois : se rappeler que « cuisinier » vient du mot cuisson. 3 produits « allergie » ? Le nato ! Ce soja fermenté, en bille, brun et gluant, collant et fileux au goût très fort de fermentation… Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? Le Japon. Pour la facilité de vie. Les Japonais sont culturellement proches de la cuisine : la street-food y est réellement présente. C’est aussi le seul pays qui, depuis 30 ans, s’est autant intéressé à la cuisine française. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Difficile de faire quelque chose qu’on n’aime pas au goût ! Cuisiner est un acte de générosité, d’amour, de partage à l’instar de l’étymologie du mot « compagnon » : partager le pain. Je suis sans a priori, mais je ne peux pas cuisiner quelque chose que je n’adopte pas. Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? Chez un collègue, un plat que je ne connais pas. Quand je suis séduit, je cherche l’équilibre, la technique. Et aussi, même si, en homme de la campagne, je suis habitué au dépeçage du lièvre ou du porc, je dirais le « sacrifice » des animaux. Je suis un « viandard », pourtant plus je vieillis, moins je mange de viande. Ce n’est pas par coquetterie : la protéine animale doit être d’excellente qualité. Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? La « Gelée de caviar à la crème de chou-fleur » de Joël Robuchon. Précis. Osé à son époque. Synthétise en une cuillère les saveurs. (Mais c’est aussi notre métier) Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Un métier où je puisse avoir cette action, sur une équipe, un groupe, de travail à l’unisson. Comme le chef d’orchestre qui donne le sens. Ou le chirurgien, à qui on donne les outils, et pour mener les gens au bout des retranchements en donnant beaucoup, dans le mouvement et la confrontation d’équipe. Pour aboutir au résultat du travail… Et pouvoir tout recommencer… parce que matières vivantes.
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4 personnes — Cochon et champignons – 400 g de chair de pied et oreille de cochon cuit / 150 g de champignons de Paris en dés / 100 g de rillettes de cochon ½ botte d’estragon / 30 g de moutarde forte / Huile d’olive / Sel et poivre du moulin Colorer les dés de champignons de Paris à la poêle dans un filet d’huile d’olive. Tailler les pieds et les oreilles de cochon en dés de 5 mm de côté. Ajouter les dés de champignons, les rillettes de cochon, l’estragon haché et la moutarde. Saler et poivrer. Mélanger bien pour obtenir un mélange homogène. — Légumes marinés – 12 cl d’eau / 7 cl d’huile d’olive / 7 cl de jus de citron / 50 g de raisins de Corinthe / 1 gousse d’ail 1 petit bouquet garni / 2 feuilles de laurier / 1 brin de thym / 2 clous de girofle 1 cuil. à café de coriandre en graines / ½ cuil. à café de poivre noir en grains / 2 g de gros sel 1 carotte / 1 carotte jaune / ½ bulbe de fenouil Mettre l’ensemble des ingrédients, sauf les carottes et le fenouil, dans une casserole. Porter à ébullition pendant 5 min avant d’ajouter les légumes taillés. Laisser mariner au frais pendant 6 heures. — Montage du croque — 12 tranches de pain de mie / 20 g de roquette / 6 tranches de foie gras cru de 20 g (facultatif) 50 g de parmesan râpé / 50 g de mimolette râpé / 8 radis / Poivre du moulin Tailler 12 tranches de pain à l’aide d’un emporte-pièce ovale avant de les toaster. Mouler l’appareil à pied de cochon sur 4 tranches de pain. Puis ajouter, sur le dessus de chaque croque, 1 nouvelle tranche de pain avec des légumes marinés, la roquette et les radis coupés en fines lamelles. Terminer par une dernière tranche de pain et le foie gras cru dessus. Assaisonner de poivre du moulin. Saupoudrer la surface de parmesan et de mimolette râpés. Gratiner les Crock n’Roll sous le gril du four quelques minutes.
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Être « le sourcier » d’Alain Ducasse est un privilège un peu lourd à porter. J’ai passé plus d’une décennie à tenter de l’étonner en lui présentant quelques-unes de mes plus belles trouvailles, las, le simple bon sens aurait pu m’économiser du temps et m’éviter de nombreuses désillusions ! Alain Ducasse est pour moi, « Le » Chef. Le Chef avec un grand LE et avec un grand CHEF, car il est à mes yeux le Chef des Chefs, mais aussi le Chef des sous-chefs et le Chef des pas Chefs, le Chef de train et le Chef de gare, le Chef de classe et le Chef d’orchestre, le Chef des Chefs-d’œuvre et le Chef des hors-d’œuvre… Le Chef quoi ! « Le » Chef donc, possède une connaissance des produits de la terre à faire pâlir un encyclopédiste. La seule occasion où la surprise apparut sur son visage, fut lorsque je lui fis découvrir le citron caviar… Ce fruit originaire d’Australie mais que j’avais cueilli dans la pépinière de Michel Bachès à Eus, au pied des Pyrénées orientales, est de la taille d’une olive, et, comme une grenade minuscule, dissimule sous une peau épaisse, une multitude de petites perles d’agrume, au goût de citronnelle et de fruits rouges sans équivalent dans la nature, et qui éclatent en bouche en libérant leur nectar. J’avais couru pendant dix ans aux six coins de l’Hexagone dans ma quête de fruits et de légumes rares et goûteux, je rêvais d’arriver un jour à impressionner Alain Ducasse et connaître enfin la gloire de l’élève qui dépasse le maître ! C’est ce petit agrume insignifiant qui allait m’en offrir l’occasion. Le Calife à la place du Calife, le Vieux singe et les grimaces, le mythe de Sisyphe… tout cela se bousculait dans ma tête. C’est ce jour-là que Le Chef me baptisa « sourcier des fruits et des légumes » (dans l’euphorie de cet instant mémorable, l’espace d’un instant j’avais même cru entendre « Je t’appelle le sorcier des fruits et des légumes »). C’est à cette occasion qu’Alain Ducasse m’invita à déjeuner à sa table. Nous étions en compagnie de Christophe Moret à qui il venait de confier les cuisines du Plaza Athénée, et de Hugo Desnoyer, le magicien de la viande, qui allait devenir, à son tour, un des membres de la grande famille du Chef, et un de mes amis par la même occasion. Le repas eut lieu à la « table du Chef » au cœur du Plaza Athénée, dans « l’Aquarium ». Une pièce carrée dont 3 des 4 murs portent des bocaux de légumes et de fruits marinés, des fioles d’huiles et de vinaigres précieux, des sels, des poivres et des épices rares, une véritable caverne d’Ali Baba. Le quatrième côté du carré, qui donna son nom à « l’Aquarium », est une grande baie vitrée ouverte sur la cuisine. Ce jour-là, Christophe Moret, et avec lui toute sa brigade, présentait
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à Alain Ducasse les deux plats et les trois entrées qui faisaient leur apparition à la carte du restaurant ADPA – Alain Ducasse au Plaza Athénée. Le restaurant phare de son entreprise planétaire ne changeait jamais vraiment sa carte, elle évoluait au gré des saisons et des créations du Chef par petites touches, parfois délicates et audacieuses, parfois étonnantes et risquées. Je garde un souvenir éblouissant de ce moment au cours duquel, d’un simple geste de la main, Alain Ducasse donna la preuve infime et en même temps irréfutable de son omniprésence, en filigrane, dans tous ses établissements, au bas de chacune des cartes portant sa signature, dans la conception, bien sûr, mais également dans la réalisation de chacun des plats servis en son nom aux quatre coins du monde. Juste un geste de la main que je n’oublierai jamais et qu’il m’est si difficile de retranscrire en mots. J’aurais aimé que tous les détracteurs, les incrédules, les jaloux, les sourds, les aveugles perçoivent ce que j’ai perçu, ressentent ce que j’ai ressenti, comprennent ce que j’ai compris. Le quatrième plat venait de nous être servi, Christophe Moret était un peu tendu… Parbleu, il était quand même comptable des créations du Chef qui étaient en train d’être goûtées par… Le Chef… à la table du Chef ! Hugo Desnoyer et moi étions heureux d’être là et conscients de notre chance d’assister aux coulisses d’un grand spectacle. Alain Ducasse, qui rencontrait ce jour-là Hugo et qui pour la première fois avait vraiment ouvert sa porte au vagabond que j’étais encore à ses yeux, nous parlait, nous écoutait, et dégustait avec calme et précision chaque parcelle des assiettes qui nous étaient servies. Au milieu de nos échanges, il faisait de temps en temps de courtes et imperceptibles remarques à l’attention de Christophe Moret qui parfois argumentait et parfois acquiesçait. Lorsque ce quatrième plat fut posé sur table, un serveur, une saucière entre les mains, passa d’une assiette à la suivante pour dessiner d’une simple virgule fine et sombre, la dernière touche d’un magnifique carré d’agneau qui allait faire son entrée sur la carte d’ADPA. C’est à ce moment-là que le volcan se réveilla. Le bras du jeune serveur était à mi-course de la virgule finale, au ciel de l’assiette du Chef, lorsque, avec la rapidité et la violence d’un cobra, Alain Ducasse lui saisit le poignet, lui prit la saucière des mains et refit, à l’identique, le geste du serveur. À une légère différence près cependant, légère et pourtant déterminante : la virgule devait être dessinée de la gauche vers la droite et non de la droite vers la gauche… La dernière goutte, le point final n’était pas à sa place !
Les ignorants qui pensent qu’Alain Ducasse n’est plus « dans sa cuisine » depuis des années n’ont tout simplement pas compris qu’il est dans toutes ses cuisines à la fois ! Mais aussi dans les champs, dans les fermes partout sur la terre et sous la mer. Alain Ducasse est un des grands entrepreneurs que j’ai eu la chance de croiser. Je le connais si peu que j’ai hésité à écrire ces quelques lignes… Claude Berri qui fit de moi l’enfant du Vieil Homme et l’Enfant, Daniel Vuillon qui fit de mon nouveau métier une des réussites de ma vie, Michel Charraire qui prit le risque de me laisser la bride sur le cou lorsqu’il fit de moi le Monsieur Produit des Vergers St Eustache et Alain Ducasse, ont été des références qui ont éclairé ma route. Bâtisseurs, conquérants, risque-tout, précurseurs et traditionalistes… À la fois César et Vercingétorix, à la fois Astérix et Obélix, À la fois la Belle et la Bête, la Belle et le Clochard aussi. À la fois caméléons et dinosaures. Des êtres humains qui mordent la vie à pleines dents et prennent leur destin à pleines mains… Des hommes ! Pour en avoir été témoin maintes et maintes fois, je veux témoigner ici que chaque plat, chaque cuisson, chaque sauce, chaque millimètre carré de chaque assiette de chacun des restaurants qui constituent son empire portent sa marque. Tous les cuisiniers que j’ai rencontrés et qui ont travaillé avec lui en parlent avec respect. C’est tout dire ! Lorsqu’Aurélie fit son portrait pour la première fois, elle ne se doutait pas que cette petite toile allait donner naissance à J’ai croqué un Chef.
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? À 16 ans. C’était au Pavillon landais, à Soustons, dans les Landes. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Alain Chapel, chez qui j’ai passé deux ans, à Mionnay. Votre évolution en 3 mots ? Savoir-faire, faire faire et faire savoir / De la Chalosse à la Méditerranée / Le produit, le produit, le produit. Votre évolution en 3 plats ? Le gâteau de carotte que j’ai fait chez Michel Guérard / Les légumes des jardins de Provence à la truffe noire écrasée (Le Louis XV à Monaco) / La Cookpot de légumes (Alain Ducasse au Plaza Athénée à Paris). 3 produits « fétiches » ? L’huile d’olive / Le petit pois / Le caillé de brebis. 3 produits « allergie » ? J’aime tous les produits lorsqu’ils sont utilisés à bon escient et dans la juste proportion. Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? J’ai la chance de pouvoir exercer mon métier dans de nombreux pays du monde ; de Monaco au Japon, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, à Hong Kong, en Russie, en Italie. Pourquoi pas un jour sur Mars ? Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Aucun. Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? Aucun. Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? Je n’ai aucune envie de refaire l’histoire. Je suis beaucoup plus intéressé par le présent. Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Dans mon enfance, je voulais être soit cuisinier, soit architecte, soit voyageur. Aujourd’hui je suis un cuisinier qui voyage et qui travaille avec des architectes pour créer ses restaurants.
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4 personnes — Appareil pesto-pistache – 30 g de pistaches / 30 g de parmesan / 8 feuilles de basilic / 3 cl d’huile d’olive extra-vierge Mixer rapidement les pistaches avec le parmesan et les feuilles de basilic. Ajouter l’huile d’olive et mixer 30 sec. Mettre le tout dans un bol. — Montage du croque — 8 tranches de pain de campagne à mie serrée / 20 asperges vertes fines / 150 g de ricotta / 120 g de petits pois écossés / 70 g de parmesan râpé / 120 g de pois gourmands / 40 g de beurre demi-sel 150 g de mâche / Girolles (facultatif) / Sel, poivre du moulin Parer le pain de campagne afin d’obtenir des tranches de 14 cm par 6 cm. Tailler les asperges à la même longueur que les tartines. Tartiner les tranches de pain d’appareil ricotta-pesto. Sur une tartine, déposer les petits pois sur toute la surface de façon homogène. Parsemer légèrement de poivre du moulin. Placer 5 asperges taillées par-dessus. Saupoudrer de parmesan râpé. Déposer délicatement les pois gourmands sur les asperges. Refermer le croq’ avec la deuxième tartine (le côté tartiné d’appareil ricotta-pesto vers l’intérieur). Faire fondre le beurre demi-sel. Hors du feu, y ajouter le reste du pesto-pistache. À l’aide d’un pinceau, badigeonner généreusement chaque croq’ de beurre fondu à la pistache. Pour le dressage, déposer harmonieusement quelques feuilles de mâche et des girolles poêlées.
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On pourrait présenter Mickaël Féval comme l’archiviste de la famille. Chaque produit, chaque producteur, chaque cuisson, chaque origine… tout était analysé, répertorié, photographié, expérimenté. Ce jeune homme, calme et souriant, après des oscillations entre la haute gastronomie et les grandes brasseries avait croisé la route d’Antoine Vigneron (ça ne s’invente pas). Monsieur Antoine. C’est chez Antoine que Mickaël Féval allait révéler tout son talent et décrocher sa première étoile. Il appelle les bars de lignes par leurs prénoms et rêve de trouver des amanites des césars en allant courir en forêt. Mickaël me fait penser à Gilbert Bécaud, « Monsieur 100 000 volts ». Il est toujours à la barre, sur le pont et dans la cale en même temps. Arpentant les collines de Provence avec des viticulteurs, rendant ses tripes à bord d’un chalutier après 18 heures de mer pour écrire son premier Livre : Pêche en Norvège, éreinté par les nuits de préparation du concours du Meilleur Ouvrier de France… et toujours prêt à bondir. Lorsque je l’ai rencontré, Mickaël était Chef de cuisine au Cap Seguin. Une magnifique péniche amarrée sur les rives de la Seine à l’ouest de Paris. Un véritable navire amiral. Un lieu moitié île flottante, moitié soucoupe volante créé par Manuel Heurtier, un cuisinier remarquable doublé d’un être bienveillant, bien-pensant et bienfaisant. Nos routes se sont séparées, mais je repense souvent à lui avec la même tendresse. Mickaël, à cette époque, avait encore l’air d’un gamin mais son assurance et sa vivacité me firent penser qu’il irait loin. Il a participé à tous les Voyages des Chefs depuis que nous nous connaissons. Il a traversé la France dans tous les sens pour visiter les exploitations et rencontrer les producteurs de La Production à la Carte. Il me presse pour faire avec lui un ouvrage sur les légumes et les fruits qui le passionnent… il est infatigable ! Mickaël Féval est une énigme tant sa dualité est déroutante, il passe d’une seconde à l’autre de baladin à chef d’escadrille, son visage s’éclaircit ou s’assombrit en un éclair. Comme Philippe Mille, Frédéric Duca, Akrame, Éric Guérin ou Franck Putelat, il fait partie de cette nouvelle génération de cuisiniers « explorateurs » débordants de talent et d’inventivité, qui sont tout à la fois créateurs, directeurs des ressources humaines, gestionnaires, psychologues, acheteurs, plongeurs… les pieds sur terre et la tête dans les étoiles.
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de l’art ou du cochon
Il y a quelques semaines Mickaël a décidé de vivre de nouvelles aventures, et, le jour où J’ai croqué un Chef sera publié, cet agitateur professionnel aura quitté l’Antoine et sera devenu le Chef d’un nouvel établissement qui va bouleverser le paysage parisien. Paname : un lieu révolutionnaire et magique qu’il m’a fait découvrir depuis peu et qui m’a laissé sans voix ! Depuis que j’ai cessé d’être architecte, il y a bientôt 20 ans, il m’est arrivé trois ou quatre fois, en découvrant un nouveau lieu, d’avoir un pincement au cœur… une émotion teintée d’admiration et d’envie, de frustration et de joie, d’émerveillement et de regrets… le regret de n’avoir pas conçu et réalisé un tel lieu ! Paname en fait partie ! Une improbable harmonie entre un musée d’Art contemporain qui se décline à travers les étages d’un magnifique immeuble du quartier de la place Vendôme – une superposition de salles de cours de danse qui lui font face comme un mille-feuille de lofts new-yorkais – entre ces deux bâtiments, une immense salle à tout faire, à tout voir, à tout entendre, couverte par une majestueuse coupole de pavés de verre… et, imbriquées comme un labyrinthe épicurien dans ces espaces intemporels, des salles de restauration qui vont du salon de thé au restaurant gastronomique en passant par le bar à vin, la salle de réception ou le café parisien. Au moment où j’écris ces lignes j’ai le secret espoir qu’Aurélie trouvera le temps de faire au moins un dessin de cet endroit qui marquera son temps.
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? 17 ans, à Sucy-en-Brie, en école hôtelière. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Ma première rencontre professionnelle fut Christian Gilon, professeur pédagogue, sympathique et motivant. / Ma deuxième rencontre fut Éric Briffard, avec qui j’ai fait un stage de deux mois dans l’Aisne, au Château de Fère-en-Tardenois, où se trouvait la maison de campagne de mon père. J’ai retrouvé Éric Briffard, plusieurs années après, au Plaza Athénée. Il a l’aura, le charisme et la technique qui permettent d’apprendre la perfection et la rigueur. Votre évolution en 3 mots ? Passion / Persévérance / Perfectionnisme. Votre évolution en 3 plats ? Le pithiviers d’Éric Briffard… / Les « Jambonnettes de grenouilles à la purée d’ail et au jus de persil », de Bernard Loiseau / Le cabillaud gravlax, une recette de mon livre Pêche en Norvège. 3 produits « fétiches » ? Les produits de qualité. Des produits qui doivent être passés dans les mains de passionnés (comme moi !) comme les Bachès et leurs agrumes. 3 produits « allergie » ? Les produits hors saison… Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? Italia ! Je considère, sans aucun doute, qu’il s’y trouve aussi les plus beaux produits. Les fruits, les légumes, les fromages, la charcuterie, l’huile d’olive. C’est aussi l’esprit de cuisine familiale qu’il y a : la trattoria, la mama, la convivialité, la joie de vivre, la bonhomie. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Au boulot comme à la maison, la cuisine que je fais est la cuisine que j’aime. Si je suis confronté à une demande atypique, je dis non. Par exemple du bar avec du ketchup ! Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? Les plats étrangers, pas par désaccord, mais si on n’a pas la culture et la technicité, il faut laisser faire les gens qui ont le savoir-faire. Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? Au bout d’un certain nombre d’années, on crée des mélanges, des associations, mais on n’invente plus. Les livres d’Escoffier ou de Dumaine sont ainsi devenus des ouvrages de référence. Et à la fois, tout reste à faire, le monde évolue, on réadapte la cuisine… Dans 20 ans, on regardera les livres d’aujourd’hui et on se demandera « que faisaient-ils ? ! ». Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Dans l’esprit, un mélange de Cousteau et Nicolas Hulot, à la découverte de la planète, des animaux, de la nature, des cultures. Les rencontres culturelles sont fascinantes, magiques.
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4 personnes — Homard – 2 homards bleus de 500-600 g chacun / Beurre Dans une nage bouillante, pocher les queues de homard 1 min, les petites pinces 2 min, les grosses pinces 3 min. Décortiquer le tout à chaud. Dans une poêle bien chaude, dorer 1 min environ les morceaux de homard dans un beurre moussant. — Croûte d’herbes – 150 g de mie de pain / 8 feuilles de basilic / 1 botte de persil / 1 branche de thym citron 1 branche de sarriette / 1 branche de marjolaine / 100 g de beurre pommade / Sel, poivre du moulin Mixer la mie de pain avec les herbes hachées. Ajouter progressivement le beurre, assaisonner. Étaler cette préparation entre 2 feuilles de papier sulfurisé à l’aide d’un rouleau à pâtisserie. Placer au congélateur pendant 2 heures. Puis détailler, à l’aide d’un emporte-pièce rond, 4 disques de 8 cm de diamètre. Détailler également un disque de 2 cm de diamètre légèrement en décalé dans la croûte d’herbes pour y insérer ensuite la pince du homard. Réserver au congélateur. — Montage du croque — 8 fines tranches de pain de mie brioché / 200 g de pétales de tomates confites / 4 œufs de caille 300 g de mozzarella di Buffala / Quelques pousses de salade (facultatif) / Betterave Chioggia (facultatif) Carottes fanes (facultatif) / Beurre / Sel, poivre du moulin Détailler le pain brioché en disques de 9 cm de diamètre. Sur 4 d’entre eux, creuser des disques de 2 cm de diamètre (coïncidant avec ceux de la croûte d’herbes). Faire dorer légèrement les disques dans une poêle avec un peu de beurre. Sur la moitié des disques, disposer des pétales de tomates confites. Puis ajouter des tranches de mozzarella. Disposer harmonieusement les queues de homard émincées. Recouvrir chaque croq’homard du second disque de pain brioché, ajouter la croûte d’herbes. Disposer la pince de homard sur chaque croq’, en l’insérant dans le creux prévu à cet effet. Dans un four préalablement chauffé à 170 °C, remettre les croq’homard en température (2 min environ). Dans le même temps, poêler les œufs de caille et les ajouter à la sortie du four sur chaque croq’. Servir immédiatement, avec quelques pousses de salade, et, par exemple, de belles lamelles de betterave Chioggia et de carottes fanes, selon le marché.
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Discret et cinglant. D’une intégrité pesante, mais rassurante. Un insatiable explorateur du goût et des saveurs. Virtuose au sang froid, mais à l’âme chaude. En contrôle permanent sur lui-même et sur son régiment de cuisiniers et de pâtissiers ; mais à l’instant où son sourire apparaît, il envahit son visage et vous touche en plein cœur. Éric Frechon est un homme de consensus mais également un homme de décisions tranchantes, il consulte, il partage, il interroge… et d’un seul coup, il impose ! Je l’ai vu tant de fois tester de nouveaux plats sur le rebord du passe. De nouvelles harmonies, de nouvelles architectures, de nouvelles températures, de nouvelles éclaboussures… inlassablement, toujours prêt à remettre 100 fois sur le métier l’ouvrage. Et toujours, auprès de lui, son second : Franck Leroy. Parfois Jiminy Cricket et parfois Docteur Watson, Meilleur Ouvrier de France comme lui, Franck Leroy accompagne Éric depuis son arrivée au Bristol. C’est sans doute la présence de Franck à ses côtés qui permit à Éric Frechon d’enfin lâcher les chevaux ! Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, Éric croisa la route d’un autre créateur infatigable qui l’aida à faire du Bristol une des tables les plus remarquables de la capitale : Laurent Jeannin, un curieux mélange de Peter Pan et de d’Artagnan. Laurent, élu Pâtissier de l’année 2012, est exceptionnellement gentil mais toujours en colère contre les imperfections du monde. Son époustouflante interprétation du citron givré lui ressemble… une apparente simplicité, mais… totalement givré ! Il ne manquait plus que lui dans la bande à Frechon ! Éric fut sans doute le premier à mesurer l’importance de ma démarche auprès des agriculteurs. Il venait de prendre la direction des cuisines du Bristol quand il fit appel à moi pour lui fournir des tomates qui, d’après ce qu’on lui avait dit, avaient le goût de tomate ! Je le revois un soir dans sa cuisine, au début de notre collaboration, le service était terminé depuis peu et lorsque j’arrivai pour lui présenter mes dernières trouvailles, il était assis sur une table en inox, entouré de ses deux sous-Chefs Yannick Frank et Fabien Lefebvre ainsi que de Franck Leroy. Ses deux jeunes sous-Chefs venaient de rejoindre Éric et Franck dans le cercle très restreint des MOF (Meilleur Ouvrier de France). Quatre MOF dans la même brigade, ça avait une sacrée allure ! À cette époque, lorsque je parlais des producteurs et de La Production à la Carte, j’étais intarissable, inarrêtable, incontrôlable… Il était vital que les cuisiniers comprennent que la survie de la gastronomie dépendait du sauvetage de ces agriculteurs. Après dix minutes de propagande ininterrompue, et devant les signes d’impatience et les moqueries de ses collaborateurs, Éric m’interrompit et leur déclara avec calme et gravité : « Vous devez comprendre ce qu’Alain est en train de vous dire, l’avenir de notre métier dépend de l’avenir de ces paysans ! » Merci Éric ! ! ! Éric Frechon est un homme de la terre. Un agriculteur de la gastronomie. Auréolé enfin de sa 3e étoile, je nourris (sans trop y croire) le secret espoir qu’il relâche un peu la pression. Au moment où j’écris ces lignes, Aurélie et lui ne se connaissent pas encore. Je compte sur elle pour l’observer de près et découvrir, un tant soit peu, d’où il puise sa force.
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? À l’âge de 15 ans… C’est très jeune mais je ne l’ai jamais regretté. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Paul Bocuse évidemment, et Joël Robuchon ensuite. Ils ont été depuis mon plus jeune âge de véritables repères pour moi. Votre évolution en 3 mots ? L’école hôtelière / Le MOF / Les 3 étoiles, trois aventures extraordinaires. Votre évolution en 3 plats ? La tarte aux pommes que je faisais avec ma mère le dimanche / Un filet de sole dieppoise / Les fameux macaronis farcis à la truffe, artichaut et foie gras, mon plat emblématique au Bristol. 3 produits « fétiches » ? Le merlan / La pomme de terre / La truffe noire. 3 produits « allergie » ? Il n’y en a pas, je cuisine et j’aime tout ! Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? Aux États-Unis, j’aime beaucoup ce pays. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Tout ce que je cuisine, je le mange ! sinon comment pourrais-je savoir si c’est bon ? Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? Le boudin noir ! Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? Le lièvre à la royale. Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Ébéniste ou ferronnier.
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— Laurent Jeannin, Chef pâtissier —
— Franck Leroy —
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4 personnes – Légumes – 3 courgettes 3 aubergines 10 cl d’huile d’olive Sel, poivre du moulin Tailler finement les courgettes et les aubergines en lamelles. Faire chauffer une poêle à feu vif. Verser l’huile d’olive et poêler délicatement les courgettes et les aubergines. Saler, poivrer. — Montage du croque — 12 tranches de pain de mie 125 g de tapenade d’olives noires 20 quartiers de tomates confites Faire griller les tranches de pain de mie. Puis tartiner chaque tranche de tapenade d’olives noires. Surmonter d’une tranche de lamelles de courgettes et d’aubergines puis de quartiers de tomates confites. Fermer avec une autre tranche de pain de mie et renouveler l’opération une fois.
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Si l’ordre alphabétique n’avait pas prévalu, Patrice Hardy aurait été le 1er de la liste des Chefs à « Croquer ». Parmi les 14 Chefs, Patrice est mon plus ancien complice. Mais ce qui le distingue de tous les autres cuisiniers, c’est qu’il est le seul à avoir rencontré Daniel Vuillon avant moi ! Daniel Vuillon, le maître du Jardin des Olivades. L’agriculteur fou qui, dans les années 90, ressuscita les tomates anciennes. Daniel est installé à Ollioules, près de Toulon, à quelques encablures d’Aiguebelle où Patrice se réfugie chaque fois que le soleil lui manque. Parmi les 14 Chefs à « Croquer », Patrice est le 1er à avoir connu le Jardin des Olivades, qui allait devenir l’élément fondateur de toute l’histoire… de toutes les histoires de ce livre. Admettons que le hasard fasse quand même bien les choses, Patrice Hardy est le 7e sur la liste alphabétique des 14 Chefs de J’ai croqué un Chef… le milieu du parcours, le mitan du livre, le centre de l’histoire. Le centre du 1er Cercle. Car c’est bien du 1er Cercle qu’il s’agit. Depuis l’adolescence je suis imprégné de ce Roman d’Alexandre Soljenitsyne : Le Premier Cercle. Une histoire humaine qui oscille entre la plus profonde humilité et l’ambition la plus débridée, la confidence et le message universel, l’infiniment grand et l’infiniment petit. Dans ce roman, en quelques mots, Soljenitsyne théorise la discipline et la conviction indispensables à toutes réalisations : « La Théorie du dernier centimètre. » … Ce n’est pas le temps qu’il nous en coûte pour arriver au but, qui importe, mais c’est, au moment où l’œuvre est presque achevée et que, satisfait, nous la contemplons déjà, c’est à cet instant qu’il faut poursuivre encore l’effort, le pousser jusqu’au dernier centimètre pour tenter d’atteindre à la perfection. Daniel Vuillon est l’application vivante de ce principe fondamental. Aller jusqu’au bout des choses… et faire encore un pas. Ne jamais se payer de mots. Ne compter que sur soi-même, et encore, pas beaucoup !1 Toute la vie de Daniel n’a été que combats perdus d’avance et cependant, remportés in extremis… contre toute attente… contre tous vents et contre toutes marées… Toujours, au bord de la rupture, au bord des larmes, au bord du gouffre ! Le Jardin des Olivades, sorte d’éden deux fois centenaire, produisait dans les années 80 des tomates de plein champ exceptionnelles qui alimentaient la grande distribution locale (Car-ouf & Consorts). Au cours de l’été 1991, en plein mois d’août, c’est-à-dire au moment où les tomates sont les meilleures, toutes les enseignes de la région annoncèrent, du jour au lendemain, qu’ils ne voulaient plus de tomates de plein champ, mais qu’ils avaient décidé de ne vendre que des tomates hors-sol !!! Ils n’ont demandé leur avis, ni aux producteurs, ni aux consommateurs, ils ont imposé un produit qui, dans leur stratégie commerciale, était plus rentable. Daniel Vuillon refusa de se plier à leur diktat et entra en résistance. Il ne se contenta pas de continuer à produire ses tomates de plein champ, il entreprit de rechercher à travers le monde, les innombrables variétés existantes afin de les mettre en culture. Au début pour le potager familial et pour le point de vente que Denise, son épouse tenait aux Olivades. Par la suite pour les faire connaître au plus grand nombre et pour que cette démarche sonne la reconquête de la biodiversité. Il ressuscita les tomates ananas et les green zébra, les noires de Crimée et les jaunes St-Vincent, les roses de Berne, les andines cornues, les evergreen, les cœurs de bœuf rouges, jaunes, roses… 1
Tristan Bernard
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Les premières saisons il lui arrivait d’en produire plus de cent variétés différentes ! Pendant près de 10 ans il lutta, pour préserver la biodiversité dans ce qu’elle a de plus noble, de plus essentiel, de vital. Protéger, tel un cerbère, les produits de la création. Pas n’importe quels produits, pas les citrons caviar ou les fraises mara des bois, pas les truffes d’Alba ou les asperges de Pertuis. Sauvegarder simplement le végétal le plus commun et le plus consommé sur terre : la tomate ! Pendant près de 10 ans Daniel lutta, au risque de tout perdre car personne ne voulait de ces tomates étranges aux formes et aux couleurs inconnues. Il en était réduit, pour ne pas jeter les trois quarts de sa production, à les brader à 1 franc le kilo pour en faire de la sauce ! ! ! Se produisit alors un événement qui allait rendre à César ce qui était à Rosalie : Alain Ducasse avait lu dans Le Figaro un article sur ce producteur révolté qui cultivait une centaine de variétés de tomates en Provence. Il décida de l’inviter avec son épouse à Monaco où il était chef des cuisines du Louis XV à l’Hôtel de Paris. À la suite de l’inoubliable repas qu’il leur offrit, Alain Ducasse leur dit : « Tenez bon, accrochez-vous, si les gens comme vous baissent les bras et disparaissent, dans 20 ans c’est mon métier qui disparaîtra ! » C’est à cette époque qu’apparut à la carte du Louis XV à Monaco un dessert signé Ducasse : « la tomate green zébra confite de chez Daniel Vuillon. » Les Olivades furent sauvées, et les tomates « gustatives », comme Daniel les nomme, ressurgirent de terre. Lorsque Daniel Vuillon accepta de m’expédier à Rungis ces tomates extra… ordinaires pour que je les fournisse à mes Chefs, il n’y mit qu’une seule condition : que pour un de ses amis, j’accepte de les vendre à prix coûtant. Il s’agissait d’un jeune Chef installé à Paris, un certain Patrice Hardy ! Petit-fils d’agriculteur, Patrice possède un double visage ou plutôt un double regard, un regard calme, penché vers la terre, la tradition, la construction, et le regard de son jumeau maléfique. Un regard de fou tourné vers le ciel, l’innovation, la stupéfaction. Pas un regard de fou à lier, un regard de fou du roi. Fou de cette noble folie d’empêcheur de tourner en rond, de cette folie de provoquer, de bousculer, de détourner… De provoquer le pire pour offrir le meilleur, de bousculer grand-père pour faire danser grand-mère, de détourner du droit chemin pour arpenter les belles traverses. Il commence son itinéraire de cuisinier dans la plus pure tradition : après son apprentissage à la chambre des métiers de Nantes qu’il effectue avec Christian Tetedoie qui allait devenir Meilleur Apprenti de France, Meilleur Ouvrier de France et plus tard président des Maîtres Cuisiniers de France, Patrice Hardy décide de partir sur les routes pour découvrir et pour apprendre. Parmi les belles étapes de ce périple, l’hôtel Hermitage de La Baule aux côtés de Christian Willer, qu’il retrouvera des années plus tard à La Palme d’Or le restaurant doublement étoilé de l’hôtel Martinez à Cannes, La Vieille Fontaine à Maisons-Laffitte avec François Clerc, l’hôtel Crillon avec Jean-Paul Bonin et Jean-Pierre Biffi… Patrice Hardy finit par poser ses rames à Paris après dix années d’exploration hexagonale et enchaîna les aventures : l’ouverture du Zébra Square, ce lieu avant-gardiste (à l’époque) qui revisitait le concept de la brasserie parisienne. Pierre Hermé fit ensuite appel à lui pour l’ouverture de Ladurée sur les Champs-Élysées. Il devint ensuite le Chef du Korova le restaurant plus que branché de Jean-Luc Delarue, l’animateur télé. C’est au Korova que je fis la connaissance de Patrice. Missionné par Daniel Vuillon, les tomates du Jardin des Olivades en bandoulière, je franchis le seuil de ce lieu border line qui avait emprunté son nom à Orange mécanique de Stanley Kubrick et qui réveilla la rue Marbeuf avec son poulet au Coca-cola qui fit le tour de la planète !
Patrice Hardy fut si heureux de me voir débarquer avec une parcelle du Jardin des Olivades entre les mains, qu’il rameuta tous ses cuisiniers et tous les serveurs pour qu’ils goûtent, une par une, chacune des tomates de Daniel. Il me fit déposer les colis sur le sol du restaurant et la dégustation commença. Je me revois assis par terre dans la salle du Korova, encerclé par les cuisiniers et les serveurs que je régalais d’un feu d’artifice multicolore et multisaveur, et eux, fascinés comme autour d’un feu de camp se disputant chaque fragment des tomates gustatives de Daniel Vuillon. Assis en tailleur, tout près de moi, je ne remarquai pas tout de suite un homme étrange, calme et silencieux qui, méticuleusement, presque religieusement, se délectait. Cet homme mystérieux, au visage asiatique, vint vers moi au moment où j’allais quitter le Korova et, s ’adressant à moi en anglais, me dit de but en blanc : « Mon nom est Nobuyuki Matsuhisa, je suis un ami de Patrice Hardy et j’ouvre mon premier restaurant parisien la semaine prochaine à 50 mètres du Korova. Ma cuisine est moitié japonaise et moitié péruvienne. Voulez-vous travailler avec moi et me fournir les fruits et les légumes ? » Je venais de rencontrer Nobu, un bâtisseur de cathédrales, doublé d’un cuisinier extraterrestre. J’allais l’accompagner pendant les dix-huit mois que dura sa tentative avortée d’atteindre enfin son Graal : après avoir ouvert des restaurants pantagruéliques et felliniens dans les plus grandes villes du monde, il concrétisait son rêve : ouvrir un restaurant Nobu dans le berceau historique de la gastronomie : Paris sur Seine – France. Il avait choisi le fantasque trublion, Patrice Hardy, pour l’aider à réunir les ressources humaines et organiques indigènes, indispensables à son projet parisien. J’eus la chance d’être sur le quai quand son train s’arrêta rue Marbeuf aux Champs-Élysées. Nobu fera partie des 16 Chefs à croquer du tome ii et je raconterai le parcours et le destin insensés qui conduisirent ce métis « occidentoriental » à quitter sa minuscule gargote à sushi de Los Angeles pour partir à la conquête du monde et ouvrir des dizaines d’établissements prestigieux. C’est un de ses clients (probablement monomaniaque) qui pendant près de dix ans, à raison de deux ou trois fois par semaine, venait manger dans sa « baraque à frites » version nippone, qui fut à l’origine de son émancipation… (ou de son exil ?) Cet habitué, inconditionnel de la cuisine de Nobu, le harcela sans répit pendant une décennie (3 fois que multiplient 52 semaines que multiplient 10 ans = 1 560 tentatives). « Associe-toi avec moi, on ouvre un Nobu à New York ou à Londres, à Hong Kong ou à Milan… Tu cuisines, je m’occupe du reste ! » De guerre lasse, Nobu accepta. Et de New York à Londres, de Hong Kong à Milan, de Mexico à Dubaï, de Melbourne à Pékin, Athènes ou Tokyo, Nobuyuki Matsuhisa déclina son art culinaire pour faire plaisir à ce premier fan et meilleur client, un certain Robert de Niro. Travailler avec Nobu fut le premier cadeau que me fit Patrice Hardy… Il m’en fit d’autres ! Patrice fut un des premiers artistes cuisiniers que j’ai croisé. Talentueux, facétieux, amoureux des belles personnes et des belles choses. Il restera à mes yeux le grand interprète du poulet au Coca-cola et de la tartine tiède aux truffes fraîches. Cuisinier globe-trotter et coureur de marathon. De New York à Shanghai, Patrice promène sa fine silhouette. Tendu comme un arc et souple comme un roseau. Sa cuisine est précise et libre comme l’air. Son discours est serein, profond et léger à la fois. Un homme qui vous rassure et qui vous étonne. Un ami qui encense et qui caricature. Il se balade sur terre, Corine en bandoulière, sorte de Marie Poppins discrète et tonitruante, une femme des cavernes et une femme des lumières, une assistante et une dirigeante. Un couple atypique, agnostique, asymétrique. Pilote et copilote, chimiste et alchimiste. Une sacrée paire… ! Aurélie y a fêté ses 30 ans.
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? 14 ans. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Mon maître d’apprentissage Jacques Roy. Votre évolution en 3 mots ? Persévérance / Communication / Générosité. Votre évolution en 3 plats ? Canard muscadet / Poulet Coca / Lièvre à la royale façon périgourdine. 3 produits « fétiches » ? Truffe / Œuf / Pomme de terre. 3 produits « allergie » ? Melon / Petits pois / Cervelle. Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? Australie. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Les petits pois à la française. Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? La lamproie, une anguille avec 7 trous dessous ! Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? Le pâté en croûte. Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Égyptologue.
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4 personnes — Beurre truffé – 150 g de beurre frais salé / 20 g de truffe noire melanosporum / Pain de mie Fleur de sel, poivre du moulin La veille, mélanger le beurre pommade avec la truffe coupée en fine brunoise (c’est-à-dire en petits dés). Le lendemain, couper 8 tranches de pain de 1,5 cm d’épaisseur. Les tartiner de beurre à la truffe. Assaisonner. — Montage du croque — 60 g de truffe noire melanosporum / Comté / Jeunes pousses de salade Sur 4 tranches de pain, ajouter le comté et la truffe coupés en lamelles. Recouvrir avec les tranches de pain tartinées de beurre truffé. Mettre dans l’appareil à croque - truffe et laisser reposer pendant 24 heures. Poêler les croques, afin d’obtenir une belle couleur blonde. Servir avec une salade de petites pousses.
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Comme Éric Briffard, je connais Philippe Labbé depuis peu. C’est un des Chefs les plus libres et probablement le plus dingue de tous ceux que j’ai rencontrés. Assez libre et assez dingue pour que je me permette de balancer sans retenue et sans craindre de le blesser ! J’ai rencontré Philippe Labbé dans l’infiniment petit bureau de Jean-Yves Leuranguer, le Chef du Fouquet’s. À l’époque Philippe était Chef de cuisine à La Chèvre d’Or. Il était de passage à Paris pour un repas à quatre mains réalisé avec Jean-Yves dans la mythique Brasserie des Champs-Élysées. À la vue des produits que j’étais venu déposer au Fouquet’s, Philippe me dit simplement : « J’espère qu’un jour nous travaillerons ensemble. » Un an plus tard, il me contacta pour m’annoncer qu’il venait à Paris comme Chef exécutif du Shangri-La, le nouveau Palace parisien de la place d’Iéna, perché au-dessus de la Seine face à la Tour Eiffel. Un challenge titanesque pour lequel, pendant près de deux ans de testing, je lui ai apporté des centaines de produits des quatre coins du monde. Un jour d’électricité dans l’air, Philippe Labbé me hurla dessus, littéralement, alors que nous nous connaissions à peine… J’avais été prévenu que ce cuisinier génial pouvait monter dans les tours sans prévenir. C’est certainement parce que je lui ai répondu sur le même ton que nous sommes devenus amis ! Sa résistance au feu et son talent me sidèrent… et il me fait hurler de rire. S’il n’existait pas je l’aurais inventé… je ne peux plus me passer de lui.
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? 17 ans. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Ma mère ! Votre évolution en 3 mots ? Travail / Rigueur / Évolution. Votre évolution en 3 plats ? Agneau / Coquillages / Tomate(s). 3 produits « fétiches » ? Tomates / Truffe / Poularde. 3 produits « allergie » ? Aucun ! Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? Japon. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Aucun… si je n’aime pas, je ne cuisine pas… Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? Aucun ! Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? La sole meunière. Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Bijoutier d’art.
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1 personne — Sirop de vinaigre – 13 cl de vinaigre balsamique de cidre / 10 g de basilic Mixer les ingrédients du sirop de vinaigre au mixeur. — Émulsion au basilic – 1 œuf / 15 g de moutarde / 7 cl d’huile d’olive / 30 cl de bouillon de tomate réduit à 3 cl 15 g de pain de mie trempé dans un peu de lait et égoutté / 30 g de basilic / 30 g de basilic citron 30 g de basilic cannelle / 20 g câpres / 20 g cornichons / 1 cl sirop de vinaigre (cf. ci-dessus) Cuire l’œuf dans l’eau bouillante pendant 3 min. Rafraîchir. Mettre dans le Thermomix l’œuf écalé et la moutarde. Monter progressivement à l’huile et au bouillon gélatineux de tomate. Ajouter le pain de mie, rajouter les 3 basilics, les câpres, et les cornichons. Rajouter le sirop de vinaigre et continuer de mixer à vitesse maximale. Passer au tamis fin japonais. — Montage du croque — 2 tranches de focaccia à l’anis de 60 g chacune / 20 g d’émulsion de basilic (cf. ci-dessus) 100 g de burrata des Pouilles / 60 g de jambon de Parme coupé très finement 10 g de beurre pommade clarifié / Pousses de basilic Allonger une tranche de focaccia sans croûte et étaler par-dessus une fine couche d’émulsion au basilic. Ajouter quelques pousses de basilic. Couper la burrata glacée en tranches de 3 mm d’épaisseur et la disposer sur le pain. Puis déposer les tranches de jambon de Parme coupées bien fines et recouvrir d’une autre tranche de foccacia badigeonnée de basilic. À l’aide d’un pinceau, badigeonner la focaccia de beurre clarifié et marquer à la poêle ou à la plancha. Lorsque le croque est bien coloré, le retirer et couper. Servir aussitôt.
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À l’époque où j’ai commencé à travailler avec lui, William Ledeuil était le Chef des Bouquinistes. Un « bistrot chic » sur le quai des Grands-Augustins face à l’Île de la Cité. Un des restaurants parisiens de Guy Savoy dont William était le bras droit depuis une décennie. Alors qu’il était encore en poste aux Bouquinistes, William s’intéressa à la construction d’un immeuble mitoyen dans la rue des Grands-Augustins dont le local commercial du rez-de-chaussée était encore vaquant. Une longue façade vitrée, une très grande hauteur sous plafond, une ventilation digne du centre Pompidou, un énorme poteau en plein milieu de la salle comme un pied de nez au milieu de la figure… Une personne normalement constituée n’aurait jamais pu imaginer faire de ce drôle d’entrepôt un restaurant gastro-hors-normique. Et pourtant si, il s’en est trouvé un, William Ledeuil, pétri de tradition culinaire française et d’imagination, et assez culotté pour proposer au Chef Guy Savoy himself de tenter avec lui l’aventure d’expérimenter une nouvelle voie, d’élaborer une nouvelle vision de la restauration dans cet endroit improbable encore en chantier. Le Chef triplement étoilé ayant une collection d’aventures en cours, déclina l’offre et William Ledeuil s’embarqua tout seul à bord de cette coquille de noix dont il allait faire une adresse parisienne connue dans le monde entier : Ze Kitchen Galerie. William Ledeuil est un homme dont j’ai tellement admiré le travail que j’ai supporté son caractère (et, pour être honnête, surtout celui de Nicolas Houlbert son second) pendant des années. Et puis le temps a passé, l’eau sous les ponts, les nuages dans le ciel… Les aboiements et les caravanes… Je suis heureux d’être encore aujourd’hui à ses côtés. Nicolas a appris la diplomatie… Moi la patience. Nous avons même plaisir à travailler ensemble à présent ! William est un boulimique de la découverte, de la création, de la surprise. Ce goûteur infatigable s’est porté volontaire depuis des années pour nous aider, Michel Bachès et moi, à orienter la production des agrumes de la pépinière. Il est devenu ainsi un des acteurs majeurs de La Production à la Carte. Le guide Michelin s’est grandi en lui accordant enfin une étoile (avec des années de retard). William Ledeuil : Un artiste… cartésien et déjanté.
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? 20 ans, le hasard Le premier Chef qui vous a impressionné ? Guy Savoy Votre évolution en 3 mots ? Passion / Liberté / Voyage. Votre évolution en 3 plats ? Les bouillons / Les condiments / La glace chocolat blanc wasabi. 3 produits « fétiches » ? Citronnelle / Agrumes / Basilic thaï. 3 produits « allergie » ? Thym / Laurier / Sarriette. Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? Thaïlande. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Toutes les variétés de choux. C’est une famille dont on a beaucoup de variétés, sous toutes les formes. Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? Le lièvre à la royale. Long et complexe, c’est une matière que je n’aime pas travailler. J’aime travailler les légumes, les fruits, les agrumes ; les préparations instantanées, spontanées. Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? Je ne l’ai pas encore inventé. Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Vigneron. Pour la nature, le grand air. Ce métier demande du feeling, de la sensibilité. Et en plus, il y a l’impondérable nature que l’on ne maîtrise pas.
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6 personnes – Préparation au tarama – 200 g de tarama / 2 jus de citron / 1 bâton de citronnelle Mixer le tarama avec le jus des 2 citrons et la citronnelle émincée. Filtrer avant de mettre la préparation dans une poche. – Mangue épicée – 200 g de mangue (thaï de préférence) / 2 jus citron / ½ tige de citronnelle 1 bulbe de curcuma / 1 cuil. à soupe d’huile olive Éplucher la mangue avant de la mixer avec le jus de citron, la citronnelle, le curcuma et l’huile d’olive. Filtrer. – Montage du croque – 1 botte de radis Détailler les radis en lamelles, à l’aide d’une mandoline. Procéder au montage du croque en alternant tranche de pain, préparation au tarama, lamelles de radis et préparation à la mangue épicée. (montage à confirmer)
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La rencontre avec Christophe Moret est une de celles qui a vraiment compté lorsque j’ai entamé ma carrière de « marchand de légumes ». Il était à l’époque le Chef du Spoon. Il avait travaillé auprès de Bruno Cirino et de Jacques Maximin avant de rejoindre Alain Ducasse, à Monaco, au Louis XV. Lorsque je pense à lui, me vient à l’esprit l’expression anglaise : criss cross1 Criss cross signifie « la croisée des chemins »… « la croisée des destins ». Croiser la route de Christophe Moret fut le sésame qui m’ouvrit les portes du monde d’Alain Ducasse, puis de tous les grands Chefs de cuisine ! Cette histoire dans l’histoire est une parabole sur ce qui me tient le plus à cœur dans l’existence : la rencontre ! Elle est une parabole sur la rencontre et sur les rencontres que chaque rencontre induit. Cette histoire dans l’histoire commence à Paris, porte Maillot, chez Claude Driguez. Il avait été le premier à ouvrir à Paris, à la fin des années 70, un restaurant de couscous à grande échelle : Charly de Bab el Oued. Après quelques années il se porta acquéreur d’un local mitoyen de celui de Charly. Ce lieu allait devenir Le Sud. Au départ une idée simple et belle : mystifier les visiteurs qui, en passant la porte du Sud, allaient se retrouver dans une « bulle » version décors de cinéma ; un mas provençal, des oliviers, des couleurs et des odeurs « Méditerranée » et le chant entêtant des cigales qui vous téléporte en un souffle au Lavandou ou dans les Baux de Provence ! Cette histoire dans l’histoire commence un jour de juin 2000, dans les cuisines du Sud. « Le patron vous attend sur le chantier Monsieur Cohen. Le chantier ? Quel chantier ? L’ancien Charly de Bab el Oued, juste la porte à côté, derrière les palissades. » J’étais venu au Sud pour simplement y déposer des factures… Criss… Cross ! Ce rendez-vous allait changer ma vie. Se retrouver sur un chantier, au milieu des ouvriers et des entrepreneurs, quelques années après avoir fermé, dans la douleur, mon agence d’architecture,… pas simple ! « Salut Alain, on n’a pas encore terminé, reste un peu avec moi le temps qu’on finisse le rendez-vous… tu me diras ce que tu penses de mon nouveau resto ! » Et pendant près d’une heure, je suivis en silence la visite du chantier. Des menuisiers précis comme des ébénistes, des maçons délicats comme des sculpteurs, des orfèvres électriciens, des artistes peintres… une incroyable équipe ! Je fis quelques compliments, quelques critiques et lui donnai quelques conseils… « Mais d’où est ce que tu connais tout ça Alain ? » Lorsque je lui appris que j’avais atterri à Rungis, après 10 ans d’études et 10 ans d’exercice de l’architecture, il me dévisagea, totalement incrédule, puis éclata de rire. 1 © Copyrights Maurice Kazes (« Qu’il m’appelle s’il en a envie »)
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Et pendant six mois, à sa demande, j’assistai aux rendez-vous de chantier hebdomadaires et lui prodiguai discrètement mes conseils. J’avais posé deux conditions : qu’il ne me demande pas d’intervenir en présence des entreprises, et qu’il ne révèle pas que j’étais architecte. D’abord par respect pour son architecte et puis par précaution. Je ne tenais pas à ce que cette information s’ébruite. « Tu connais beaucoup de Chefs de cuisine, lui dis-je, qui soient assez frappés pour choisir un architecte comme marchand de légumes ? » Deuxième fou rire… mais Claude Driguez n’en parla jamais à personne. Après quelques semaines il voulut même me payer pour chaque « consultation » ! « Me payer ? Tu plaisantes ? » Être sur son chantier me faisait plaisir au-delà de ce qu’il pouvait imaginer ! Après le dernier rendezvous, il m’offrit un colis de tomates plutôt étranges, de drôles de formes, de drôles de couleurs… « Pour te remercier de ton aide, Alain, et parce que tu n’as jamais rien accepté en échange, je te fais un cadeau qui va faire ta carrière. » « J’ai rencontré à Ollioules, près de Toulon, un producteur qui cultive une centaine de variétés de tomates dont je t’ai rapporté un échantillon. Voilà ses coordonnées, appelle-le de ma part, en 4 heures de TGV tu es chez lui. Si tu arrives à le convaincre de t’envoyer ses tomates, elles t’ouvriront les portes de tous les grands Chefs ! » J’ai goûté les tomates… et j’ai compris ! Trois jours plus tard j’étais à Ollioules chez Daniel Vuillon, le lendemain je remontais à Paris en train, cinq plateaux de tomates dans les bras… face à moi, le regard ahuri de mes voisins de compartiment… Cette histoire dans l’histoire commence aussi avec Hervé Dos Santos. C’est lui qui fut à l’origine de ma rencontre avec Christophe Moret. Hervé Dos Santos fut le premier Chef qui m’ait donné l’opportunité de travailler pour un établissement d’envergure : l’Appart dans le quartier des Champs-Élysées. Je débutais dans le métier et, grâce à sa confiance et surtout à sa patience, j’entrai dans la cour des grands et j’acquis la crédibilité qui m’ouvrit la route. Cinq ans plus tard, lorsqu’Hervé Dos Santos décida de quitter Paris pour créer sa première affaire, la Bastide Cabezac, dans le Minervois, je décidai, pour le remercier avant son départ, de l’inviter dans le tout nouveau restaurant parisien d’Alain Ducasse, le Spoon. Le Spoon, un véritable laboratoire. Des produits frais, originaires des quatre coins du monde, un menu à géométrie variable, un design et un concept interactif, 100 fois imités depuis. J’avais entendu Hervé Dos Santos en parler quelques jours plus tôt, avec l’envie folle d’aller découvrir ce nouveau délire du Chef.
Je revenais à peine d’Ollioules avec entre les mains les tomates anciennes de Daniel Vuillon, chez qui Claude Driguez m’avait envoyé pour « me faire ma carrière ». Après avoir fait la réservation au Spoon pour faire mes adieux à Hervé, j’eus la témérité de m’y rendre, la veille du repas, afin d’y rencontrer Christophe Moret, le jeune Chef à qui Alain Ducasse avait confié les cuisines de ce « prototype » avant-gardiste. J’avais décidé de lui soumettre une requête outrecuidante : obtenir de lui qu’il prépare pour mon invité, le Chef de l’Appart, une entrée avec les tomates gustatives de Daniel Vuillon que personne n’avait encore goûtées et que je venais de rapporter à Paris dans mes bagages pour les faire découvrir à « mes » Chefs… Christophe Moret me regarda un peu de travers, regarda les tomates, les goûta et son visage s’illumina ! C’est en goûtant ces tomates que Christophe Moret fit de moi, le jour même, son fournisseur de légumes et de fruits et m’ouvrit grand les portes du groupe Ducasse, le Plaza Athénée, le 59 Poincaré et plus tard Aux Lyonnais, le Benoît, le Rech, BE, le Jules Verne… C’est en leur faisant goûter ces tomates que, du jour au lendemain, je fus adopté par Éric Frechon, Yannick Alléno, Pierre Gagnaire, Michel Roth, Alain Soulard, Christophe Raoux, Alain Pégouret, JeanFrançois Rouquette, William Ledeuil… Bref, par tous les Chefs de J’ai croqué un Chef… et par tant d’autres ! Criss… Cross ! Quand Christophe Moret quitta le Spoon pour prendre le poste de Chef au Plazza Athénée, plus d’une mauvaise langue le voyait déjà mordre la poussière. C’était certain, les 3 étoiles du navire amiral d’Alain Ducasse allaient sombrer, entre les mains de ce jeune provincial, inconnu, calme et discret… mais solide comme un roc et sacrement doué ! Fils d’un menhir et d’une harpiste, Christophe Moret, lorsqu’il cuisine, dresse des ponts entre l’art et l’artisanat, la varappe et la haute voltige. Toujours dans le rythme, mais jamais dans le même ! Aurélie et lui se ressemblent mais ils ne le savent pas encore. Il préside aujourd’hui aux destinées des cuisines du restaurant Lasserre, un challenge qui lui va bien ; une véritable institution parisienne à propulser dans le xxie siècle. La tradition et l’aventure, le passé glorieux et l’avenir prometteur, le canard à l’orange et l’émulsion de citron yuzu. On en salive déjà !
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? Trop tôt ! Je suis entré en cuisine comme on entre dans les ordres, à 17 ans. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Bruno Cirino au Grand Hôtel, en 1998, à Saint-Jean-de-Luz. Je n’avais encore jamais vu un Chef aussi explosif ! Si passionné, mais aussi si pointu sur les produits. Votre évolution en 3 mots ? Rencontre / Partage / Travail. Votre évolution en 3 plats ? Petits farcis, à la Méditerranée / Ceviche, chez Spoon / Lièvre à la royale, chez Lasserre. 3 produits « fétiches » ? Petits pois / Langoustine / Gibier. 3 produits « allergie » ? L’agroalimentaire. Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? L’Australie. Il y a tant de choses à faire. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Les œufs de 1 000 ans et aussi le 5e goût japonais, l’umami. Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? Les hamburgers. Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? Celui que j’inventerai demain ! Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Paysan.
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– Pâte à bugne – 1 kg de farine type 45 / 30 g de sel / 8 œufs / 15 cl d’huile d’olive / Huile de friture Mélanger les ingrédients de la recette. Laisser reposer 3 h et récupérer 250 g de pâte à bugne pour la recette. Étaler la pâte, la détailler et la cuire à la friteuse. – Tomates confites – 250 g de tomates grappes bien mûres / Gousses d’ail / Brins de thym / Huile d’olive Sucre / Sel, poivre du moulin Monder, tailler les tomates en 3, les épépiner avant de les mélanger avec du sel, du poivre, un peu sucre, un beau filet d’huile d’olive, quelques gousses d’ail et quelques brins de thym. Une fois les tomates assaisonnées, les disposer sur la plaque du four et les mettre à cuire à 110 °C entre 1 h et 1 h 30 pour qu’elles soient confites. – Concassée de tomate – 250 g de tomates grappes bien mûres / 1 oignon nouveau / 1 bouquet garni / ½ botte de basilic 3 gousses d’ail / 1 petit rove (fromage de chèvre des Alpes du Sud) / Huile d’olive / Sel, poivre du moulin Ciseler l’oignon et le faire tomber à l’huile d’olive. Une fois confit, ajouter les tomates concassées, le bouquet garni, le basilic, les gousses d’ail. Assaisonner. Cuire à 160 °C pendant 1 h 30 à couvert pour obtenir une fondue de tomate sans humidité. Laisser refroidir avant d’ajouter le rove, taillé en cubes. – Montage du croque – 1 tomate ananas / 1 tomate noire de Crimée / 1 tomate ever green / 1 tomate steak 2 pincées de flocons de tomate (tomate déshydratée) / Marjolaine / Ciboulette / Piment d’Espelette / Huile d’olive À COMPLETER PAR RAPPORT AU DESSIN !
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Alain Pégouret, comme Frédéric Anton, est un fils prodige de Joël Robuchon. Ceux qui ont connu Joël Robuchon à la grande époque savent les épreuves et les souffrances que ses collaborateurs ont traversées pour mériter leur place à ses côtés. Voilà plus de dix ans, lorsque j’ai rencontré Alain Pégouret dans son costume de Chef du Laurent, il était un homme d’un contact, pour le moins, difficile. Deux étoiles au Michelin et, certains jours, 300 couverts à envoyer, expliquent ou justifient en partie son humeur et son caractère d’alors. Car Alain fait partie de ces Chefs qui sont « au passe » jusqu’à ce que mort s’en suive. Pas une seule assiette n’est servie au Laurent sans qu’elle soit passée devant ses yeux, entre ses mains et au son rugissant de sa voix, dans la fournaise de sa cuisine… Dans le meilleur des cas ça use, au pire ça vous rend fou… Alain, lorsque je l’ai connu oscillait entre ces deux états ! Il servait des plats d’artiste, mais au milieu d’un océan déchaîné. Un beau jour, ou plutôt un sale matin, le guide lui retira sa 2e étoile… un mal pour un bien… un cataclysme pour une renaissance ! Lorsque la vie vous fait mettre un genou au sol, votre avenir se joue à quitte ou double, à pile ou face, pair ou impair, rouge ou noir… passe ou manque. Certains grandissent, d’autres s’effondrent ! Comme une chenille qui devient papillon, la perte de son étoile allait révéler le véritable Alain Pégouret. Généreux, créatif, attentionné et heureux de vivre. Une véritable leçon d’humanité. Et Alain se remit en question, se remit au travail, se remit à imaginer, à décider, à créer… Et Alain Pégouret redevint le grand cuisinier qu’il était depuis toujours et qu’il avait oublié au passage, dans le tourbillon trépidant et infernal de ce coin de paradis. Il recommença à regarder autour de lui, à écouter les gens et à leur parler. Il recommença à sourire. C’est par son sourire qu’Aurélie a commencé son portrait. Je ne doute pas du retour des étoiles dans le ciel du Laurent.
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? 16 ans. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Joël Robuchon. Votre évolution en 3 mots ? Remise en question / Persévérance / Passion. Votre évolution en 3 plats ? « Araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil » / «Asperge « Balai » au lard et jus de poulet, œuf mollet doré au beurre » / «Flanchet de veau de Corrèze braisé, blettes au jus et olives noires ». 3 produits « fétiches » ? Les produits essentiels / L’huile d’olive / Les produits de la mer et de la terre. 3 produits « allergie » ? Le coq ! C’est un mauvais souvenir d’enfance ! / L’huile de truffe blanche synthétique / Les œufs d’escargot. Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? USA. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? L’aïoli… Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? L’alose à l’oseille. L’alose est un poisson dont les arrêtes sont en forme de Y… ! Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? La pomme soufflée. Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Pilote de chasse ou architecte-décorateur d’intérieur.
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— Remi Sendin, Chef pâtissier —
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4 personnes — Pâte sucrée – 180 g de beurre pommade / 110 g de sucre glace / 300 g de farine 40 g de poudre d’amande / 1 pincée de sel Gousses de vanille / 60 g d’œufs / Beurre (pour les moules) Mélanger les ingrédients dans l’ordre afin d’obtenir une pâte homogène. Laisser reposer la pâte pendant 3 heures. Foncer la pâte dans des moules carrés beurrés. Cuire les fonds de pâte au four à 160 °C pendant 15 min environ.
— Rhubarbe pochée – 5 tiges de rhubarbe / 40 cl d’eau / 200 g de sucre semoule / 2 gousses de vanille Éplucher les tiges de rhubarbe et tailler des bâtons de 5,5 cm de long. Faire bouillir l’eau, le sucre et la vanille fendue et grattée. Retirer la casserole du feu. Pocher les bâtons de rhubarbe dans le sirop pendant 1 min à feu éteint. — Ganache jasmin – 200 g de lait / 10 g de glucose / 3 feuilles de gélatine 300 g de chocolat blanc / 30 cl de crème fleurette 1 goutte d’huile essentielle de jasmin Faire bouillir le lait et le glucose. Ajouter la gélatine préalablement réhydratée et la faire fonde. Verser le tout sur le chocolat. Ajouter la crème froide et l’huile essentielle de jasmin. Mixer et réserver au réfrigérateur. Laisser reposer 1 nuit au réfrigérateur.
— Chips de rhubarbe – 1 tige de rhubarbe Tailler la rhubarbe en bâtons de 6 cm de long puis tailler de fines lamelles à la mandoline. Reprendre le sirop de pochage des bâtons de rhubarbe et le refaire chauffer fumant mais pas bouillant. Plonger les lamelles de rhubarbe dans le sirop. Les ressortir et les disposer sur une feuille de papier sulfurisé en les superposant légèrement pour obtenir un carré. Laisser sécher au four à 70 °C pendant 2 heures.
— Espuma rhubarbe – 500 g de rhubarbe épluchée / 100 g de sucre semoule 1 goutte d’huile essentielle de jasmin 300 g de rhubarbe dégorgée / 2 feuilles de gélatine 2 cartouches de gaz Faire dégorger la rhubarbe épluchée avec 50 g de sucre et l’huile essentielle de jasmin pendant 1 nuit puis égoutter la rhubarbe. Récupérer 300 g de rhubarbe dégorgée et faire compoter avec le sucre restant (soit 50 g). Mixer et passer au chinois. Puis ajouter la gélatine. Mettre en siphon et ajouter 2 cartouches de gaz.
— Montage du croque — Fleurs de jasmin Poser le fond carré de pâte sucrée au milieu de l’assiette. Garnir de ganache jasmin et disposer 3 bâtons de rhubarbe pochée par-dessus. Pocher des boules de ganache sur les bâtons de rhubarbe à l’aide d’une poche munie d’une douille. Disposer un peu d’espuma rhubarbe au centre de la ganache jasmin. Recouvrir avec une chips de rhubarbe et disposer une quenelle de sorbet framboise dessus. Remettre une chips de rhubarbe et ajouter l’espuma par-dessus. Ajouter trois fleurs de jasmin pour le décor et parfumer le dessert.
— Sorbet framboise – 22 cl d’eau / 50 g de sucre / 30 g de glucose atomisé 2 g de stabilisateur / 500 g de purée de framboise Faire bouillir l’eau, le sucre, le glucose atomisé et le stabilisateur. Verser sur la purée de framboise. Mixer et réserver. 119
J’ai pour Christophe Raoux, le Chef du Grand Hôtel, des sentiments mêlés. Probablement parce que c’est un homme calme… comme un volcan, paisible… comme un lion, patient… comme un starting-block ! Entre fils rebelle et grand frère autoritaire, bonne pâte et super héros, Christophe, depuis notre rencontre, m’attendrit et m’intrigue. Rugbyman de corps et d’esprit, disciple d’Alain Ducasse et lieutenant d’Alain Soulard, il passe du rire aux larmes, de la patience à l’intransigeance, de l’expérimentation à l’exécution, sans transition, sans explications, sans hésitation. Alain Ducasse, Guy Legay, Guy Krentzer, trois mentors dont Christophe Raoux parle avec admiration et tendresse, sont quelques-uns des grands de la cuisine qui ont jalonné son brillant parcours ! C’est au drugstore Champs-Élysées, lorsqu’Alain Ducasse lui confia les cuisines du Marcel, le restaurant gastronomique de cette improbable adresse ducassienne à Paris, que je fis sa connaissance. Il s’est passé tellement de temps entre notre première rencontre et notre premier accroc, que j’ai eu réellement du mal à m’en remettre… aujourd’hui encore, l’affection que je lui porte reste pour moi une énigme. Christophe a en lui la noblesse de ne jamais rien demander, et cette noblesse lui donne la force et la liberté de ne jamais rien devoir. C’est sans doute cette qualité, dressée entre nous comme un code de bonne conduite, qui me ¤/#^@!*$? ! ! ! Compagnon au chef-d’œuvre remarquable, finaliste du concours du Meilleur Ouvrier de France, Chef Exécutif du groupe Ducasse… Du Jamin au Louis XV, du Jules Verne au Grand Hôtel, Christophe Raoux possède un CV impressionnant et garde pourtant une humilité et une curiosité intactes. Lorsque je pense à lui, je le revois, mobilisant tous ses cuisiniers, pour qu’ils nous accompagnent à l’arrière du camion afin de découvrir, déguster, détailler, répertorier, les produits les plus incroyables ou les plus traditionnels, les saveurs les plus ancestrales ou les plus invraisemblables, les histoires les plus drôles ou les plus rudes que je trimbale en bandoulière dans l’exercice de mes fonctions. Depuis dix ans Christophe ne s’en lasse pas… tant mieux ! Ce qu’Aurélie a goûté dans la cuisine du Grand Hôtel le jour où elle l’a dessiné restera longtemps dans sa mémoire.
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? 15 ans et demi ; en apprentissage. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Michel de Matteis. À Divonne-les-Bains. Il était Chef au Château. Votre évolution en 3 mots ? Il y en a plein ! Transmission / Rigueur / L’amour… du métier ! Votre évolution en 3 plats ? D’abord, le « plat interdit » de ma réception de compagnon : de l’ortolan, de la bécasse, de la grive, du pinson et du lièvre royal (le seul qui ne soit pas interdit)… / Ensuite, le « Filet de rumsteck en vessie » de Guy Legay au Ritz (pour un concours) / Enfin « L’œuf et la truffe » de l’amitié, pour les copains… qui vont se reconnaître ! 3 produits « fétiches » ? Le gingembre, j’aime bien le travailler… / La truffe / Le gibier. 3 produits « allergie » ? Le thon, à cause du massacre dans les mers du monde entier / La bière. Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? Le Pays basque ! Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Quand tu aimes faire un plat, tu aimes le manger… Cependant je ne mange pas de viande crue. Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? L’ail ! Un plat avec de l’ail. Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? « L’oreiller de la Belle Aurore » (chez Gérard Besson). Il s’agit d’un pâté en croûte de gibier fait de plusieurs couches de gibier. La forme carrée rappelle celle de l’oreiller. Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Il y en a beaucoup ! Menuiser ou tailleur de pierres…
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4 personnes — Montage du croque — 1 plaque de pain de mie nature 4 feuilles d’algue nori séchées 4 tranches de saumon fumé 2 fromages de chèvre Sainte-Maure de Touraine Graines de sésame noires et blanches Étaler la plaque de pain de mie. Disposer les feuilles de nori humides par-dessus puis les tranches de saumon fumé. Terminer avec les fromages de chèvre. Rouler délicatement et fermer avec des cure-dents. Faire colorer les croques jusqu’à obtention d’une croûte blonde, parsemer de graines de sésames noires et blanches.
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David Rathgeber fait partie de ces jeunes apprentis qui eurent la chance de croiser la route d’Alain Ducasse et d’avoir été choisi par le Chef pour faire partie de sa garde prétorienne. Arrivé en Ducasserie à l’adolescence, il aura occupé tous les postes, assumé toutes les corvées, subi toutes les épreuves… et gravi tous les échelons jusqu’à devenir le chef du mythique Benoit, un des rarissimes bistrots étoilés du guide Michelin et une des plus belles salles de restaurant de la capitale. Je l’avais croisé au Plaza Athénée à l’époque où Christophe Moret battait tambour pour me faire entrer dans toutes les cuisines du groupe. Mais c’est lorsqu’il prit le poste de Chef à l’ouverture du restaurant Aux Lyonnais que je découvris cet animal étrange qui allait devenir un véritable ami. David est un loup solitaire doublé d’un chef de meute… une forme de schizophrénie affective ! Les bras grands ouverts mais les poings serrés… La gueule aussi, grande ouverte ! Et pas la langue dans sa poche, dans la poche de personne d’ailleurs. David Rathgeber est un « Chef-propriétaire » qui chez lui est Chez Lui ! Il nourrit ses clients avec une générosité en voie de disparition, mais ne se laisse jamais emmerder… À bon entendeur… Merci ! C’est sans doute grâce à David que J’ai un croqué un Chef est né, c’est lui qui un jour commanda à Aurélie un portrait d’Alain Ducasse pour l’accrocher dans son restaurant L’Assiette en hommage à celui qui lui avait tout appris (ou presque) et qui l’avait présenté à Lulu. Cette Pasionaria du 14e arrondissement qui comptait François Mitterrand comme habitué cherchait un digne successeur pour reprendre son établissement Chez Lulu. Elle s’était adressée à Alain Ducasse pour lui demander conseil. Généralement c’est celui qui s’en va qui fait un cadeau d’adieu. Pour David, ce fut l’inverse. Lorsqu’après 15 ans de bons et loyaux services, il informa le Chef qu’il voulait ouvrir sa propre affaire, celui-ci lui souhaita bonne chance et lui apporta l’Assiette sur un plateau. L’Assiette de David Rathgeber, mais surtout l’Assiette de tous les fans de cuisine traditionnelle, ensoleillée… et brillante ! Un seul regret : qu’Aurélie n’ait pas été présente lorsque le Chef, après avoir déjeuné chez David, tomba nez à nez avec son propre portrait, une petite toile peinte à l’huile ; un portrait qui sortait tout droit de la renaissance… un bijou ! Et dans les yeux d’Alain Ducasse une émotion que nous raconta David et dont il fut le seul témoin. 181, rue du château. Une adresse pour la vie !
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? 15 ans. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Philippe Marc. Votre évolution en 3 mots ? Tradition / Aubergiste / Contemporain. Votre évolution en 3 plats ? La potée auvergnate / Le cassoulet / Le sauté gourmand. 3 produits « fétiches » ? L’écrevisse / Le beurre baratté / Le ris de veau. 3 produits « allergie » ? La baie rose / le yuzu / le vinaigre de framboise. Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? New York, USA. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? La tête de veau. Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? La matelote d’anguille. Parce qu’il faut tuer l’anguille, lui enlever la peau alors qu’elle est encore presque vivante ! Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? Le pâté en croûte façon Lucien Tendret. Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Ostéopathe. C’était après avoir fait une école de foot (où j’avais un bon niveau d’ailleurs !).
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4 personnes — Morilles – 480 g de morilles / 50 g de beurre 4 cl de crème liquide / Fleur de sel, poivre du moulin Équeuter, laver les morilles. Dans une sauteuse, ajouter le beurre frais. Faire suer les morilles. Assaisonner. Leur faire rendre leur eau. Ajouter la crème liquide. Laisser cuire pendant 5 min et retirer de la sauteuse. — Montage du croque — 4 croûtes de pain / 1 gousse d’ail / 250 g de jambon de pays / 4 œufs / Beurre Huile / Fleur de sel, poivre du moulin Passer à la poêle 4 croûtes de pain avec un peu de beurre et d’huile. Retirer les croûtes de pain et les frotter à l’ail. Puis les disposer au centre des assiettes. Dresser les morilles sur les croûtes de pain. Préparer les œufs mollets. Puis les disposer sur les morilles et parsemer de jambon de pays. Terminer par un peu de fleur de sel et poivre du moulin.
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De sa petite cantine de quartier près du Champ-de-Mars au Park Hyatt de la place Vendôme, son grand palace parisien, Jean-François Rouquette n’a pas changé d’un yota. Une silhouette de bûcheron, un sourire d’ange… une gentillesse débordante… un talent « pur » ! Jean-François, qui a connu une ascension fulgurante fait partie des rares personnages qui restent fidèles à leurs premières amours !… ou tout au moins à leurs premières rencontres. Il est de ceux qui redonnent confiance en l’homme ! Il ne fait aucune concession, et dans le même temps il n’abuse jamais. J’ai rarement vu un conquérant, à ce point détaché de ses conquêtes ! Il est un étonnant mélange de cohérence et d’inattendu, à la fois jeune recrue et vieux briscard… Artisan et chercheur. Lorsque je pense à lui, c’est sa capacité à donner sans rien attendre en retour qui m’émeut. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours dû montrer patte blanche pour qu’on me tende la main… ou main blanche pour qu’on me tende la patte. Pas avec lui… Jean-François Rouquette est un homme qui, humainement, prend des risques… Au poker, on dirait de lui qu’il paye pour voir ! Il n’est pourtant ni narcissique ni prétentieux, des dysfonctionnements dévastateurs et très répandus chez ceux qui réussissent. Il est tout simplement sûr de lui, mais il garde le sourire… ça change tout ! Je me souviens d’un des premiers Voyages des Chefs, organisé en Provence et pour lequel sa présence me tenait particulièrement à cœur. En effet à l’époque, je pouvais compter sur les doigts d’une main le nombre de « grands Chefs » disposés à partir 3 jours en villégiature chez des agriculteurs encore inconnus avec, pour guide, leur « marchand de légumes ». D’autant que ce marchand de légumes, encore novice, était un ancien serveur-comédien-architecte… (à ce qu’on racontait !) Il fallait vraiment avoir la foi pour se laisser embarquer. La présence d’un Chef comme lui me donnait de la crédibilité, et avait convaincu plusieurs d’entre eux de tenter l’expédition à leur tour. Par la suite Yannick Alléno, Christophe Moret, Éric Briffard, Alain Pégouret, Philippe Mille, Bernard Vaussion, Guillaume Gomez… la plupart des Chefs de ce Livre et une quarantaine d’autres participèrent aux différents Voyages des Chefs dont le dernier eut lieu au bord de l’Atlantique à l’été 2011. Une fois encore, à cette occasion, Jean-François me prouva sa fidélité et sa disponibilité ; 1 200 km pour faire l’aller-retour dans la journée et répondre présent à l’appel afin que je puisse ajouter une ligne au CV de ce beau projet. Depuis qu’il s’y est fixé, le Park Hyatt est devenu, sans crier gare, le palace le plus cool de Paris… Allez savoir pourquoi ! Jean-François Rouquette : un être humain à cloner d’urgence !
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À quel âge êtes-vous entré en cuisine ? 16 ans, en apprentissage classique, CAP, BEP. Le premier Chef qui vous a impressionné ? Jacques Maximin. J’étais Chef de partie au Martinez, à Cannes. Contemporain, à la fois rigoureux et créatif, il était top aussi bien en cuisine qu’à l’extérieur. Votre évolution en 3 mots ? Transmission / Rigueur / Plaisir. Votre évolution en 3 plats ? La volaille en vessie, au Grand Véfour / Le lièvre à la royale chez Taillevent / La crème brûlée au foie gras, à la Cantine des Gourmets. 3 produits « fétiches » ? La langoustine / Les asperges / Les fleurs. 3 produits « allergie » ? Les rognons. C’est assez limité, il faut toujours y apporter quelque chose… Si vous n’étiez pas Chef de cuisine en France ?… Dans quel pays ? L’Argentine est un pays très européen, un mélange de cultures, entre l’Italie et l’Espagne, fait de mixité méditerranéenne. Le travail sur le rôtissage de la viande y est exceptionnel. Comme les paysages ! Le rythme de vie y est celui d’une Europe des années 50, entre nostalgie et modernité, comme le tango par exemple. Quel plat aimez-vous cuisiner, mais n’aimez-vous pas manger ? Le lièvre à la royale, un peu fort pour moi. Un plat de mémoire, mais qui n’est pas léger, il nous fait devenir rabelaisien ! Quel plat aimez-vous manger, mais n’aimez-vous pas cuisiner ? Le tourteau. Très compliqué à décortiquer. Quel plat auriez-vous aimé avoir inventé ? La tarte Tatin. Si vous n’aviez pas été cuisinier, quel métier auriez-vous aimé exercer ? Un métier d’utilité publique, où on a la vie entre les mains. Comme les chirurgiens, ces derniers héros de notre société. Il existe dans l’exercice de ce métier une certaine similitude avec la cuisine : le geste, les quelques minutes d’extrême, le stress, l’équipe, le challenge… Aller au maximum de son objectif. D’où le nom du croq’ : « Croq’ Red », comme le raid qui te sauve toi-même !
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4 personnes – Chou rouge mariné – ¼ de chou rouge 10 cl de vinaigre de xérès Émincer le chou rouge. Faire chauffer le vinaigre de xérès, ajouter sur le chou émincé et le laisser mariner pendant 5 min. Puis concasser. – Montage du croque – 100 g de mimolette en fines tranches 100 g de pastrami en fines tranches Pain de mie à la tomate (le demander à l’avance à son boulanger) Déposer le chou rouge mariné sur les tranches de mimolette. Ajouter les tranches de pastrami par-dessus. Disposer le tout sur une tranche de pain de mie à la tomate. Rouler sur un papier film : soulever le papier film, rouler délicatement et pousser avec les doigts.
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Paris, Été 2012 Quartier de La Butte-aux-Cailles Intérieur – Nuit Canicule.
épilogue
1 Merci Lucien Joynet, aujourd’hui je repense aussi à toi et à Claude Bellity, à qui je dois tant ! 2 Merci Jacques Abramczyk d’avoir inventé le métier et de m’avoir fait la courte échelle… Monsieur Jacques Abramczyk ! ! !
1 000 fois, j’ai lu et relu les textes de J’ai croqué un Chef. 1 000 fois, j’ai regardé les portraits et les croquis, les peintures à l’huile et les aquarelles d’Aurélie Sartres. Le jour où cette histoire touche à sa fin j’ai le sentiment d’avoir fait mon travail… Je repense à ces femmes et à ces hommes qui sans rien attendre en retour m’ont aidé à avancer, à apprendre et à comprendre. Je repense à tous ces Chefs, débutants ou confirmés, qui ont accepté, supporté pendant des semaines, des mois, de faire de moi un de leurs outils de travail, alors même que leur travail m’était totalement inconnu. Je repense à la première commande de Nobu, notée avec application mais dont la moitié des produits étaient pour moi des énigmes. J’ignorais si c’étaient des fruits, des légumes ou des machines à coudre ! Je repense à Nobu, Monsieur Nobuyuki Matsuhisa qui, devant mon désarroi, décida de m’emmener à Chinatown et qui me fit découvrir des herbes et des salades étranges, des racines extravagantes et des fruits inquiétants, des riz de toutes les formes et des sauces de toutes les couleurs… Je repense à Hervé Dos Santos le Chef de l’Appart. On lui avait un peu forcé la main pour qu’il me fasse travailler… Un ami d’ami d’ami1 était un des « gros » clients du restaurant, il avait sollicité le Chef pour qu’il me donne un coup de main. C’était le temps où j’étais encore homme-orchestre des fruits et légumes, je travaillais seul, j’achetais la marchandise la nuit à Rungis, je n’avais ni entrepôt, ni chambre froide… stock : zéro ! Je devais donc, chaque matin, dénicher sur le MIN (Marché d’intérêt national) l’intégralité des produits à livrer. Je préparais seul les commandes sur le quai de livraison qu’un « concurrent », grand seigneur, mettait à ma disposition2, je rédigeais les factures au volant de mon Renault Trafic dans les embouteillages, sur l’autoroute entre Rungis et Paris, je livrais à « pas d’heures » et je faisais des « gaffes » monumentales. Alors Hervé, pendant plus d’un an, me commanda les Herbes aromatiques pour son restaurant, mais rien d’autre ! Pas une tomate, pas un citron ; ça l’avait vraiment gonflé qu’on lui mette un débutant entre les pattes.
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La première indication qu’il me donna était déjà troublante : « Je veux que tu me trouves du cerfeuil grand comme du persil plat, et du persil plat petit… comme du cerfeuil ! » Les herbes c’était son truc, il pouvait faire d’un repas une Symphonie Aromatique… Pour les saveurs et pour les parfums bien sûr, mais aussi pour l’architecture, la sculpture, la matière, la couleur… et pendant plus d’un an, chaque matin, en livrant mes trois colis d’herbes, je lorgnais sur les piles de tomates et d’aubergines, de champignons et de salades, d’oranges et de pamplemousses, de haricots verts et de petits pois, qui se dressaient comme un mur sur le trottoir de la rue du Colisée et au pied duquel je déposais mes maigres colis ! Chaque matin je préparais les colis d’herbes d’Hervé Dos Santos avec autant de soins que s’il s’agissait d’une corbeille de mariés. J’ai patienté un an avant d’aller le voir, la peur au ventre, pour lui demander de me commander un ou deux articles, en plus des herbes. Il me regarda en souriant et me tourna le dos sans un mot. Un jour, sans que je sache vraiment pourquoi, il se décida à me commander les tomates et les aubergines puis les champignons et les salades… et puis tout le reste. L’une d’entre elles me coûta deux côtes cassées. Le jour où Hervé recevait « le Club des Cent » à l’Appart, je fis le malin en me saisissant de quelques assiettes déjà dressées sur le passe pour lui prouver que j’avais réellement été serveur dans ma « jeunesse »… . Ça ne l’avait pas du tout amusé, il avait sauté sur moi en hurlant et m’avait brisé comme du cristal de Sèvres, d’une simple pichenette… Cet ours en rit encore quinze ans après ! Ma deuxième requête fut plus téméraire, je lui demandai de m’adresser à d’autres Chefs susceptibles de me faire travailler. Il me fit le cadeau de contacter une dizaine de cuisiniers qu’il « connaissait bien » pour leur parler de moi. Pas un seul ne donna suite ! Pour me rassurer je m’étais dit que c’était la jeunesse d’Hervé plus que mon amateurisme qui les avait fait douter. Il en restait un, cependant, pour lequel Hervé avait hésité : Henri Charvet, Le Comte de Gascogne à Boulogne. Durant un temps j’ai cru qu’il était vraiment comte de Gascogne ! « En général les fournisseurs ne tiennent pas plus de six mois chez lui, me dit Hervé, mais c’est un grand cuisinier, étoilé depuis 20 ans, et c’est mon parrain, appelle-le de ma part, il te recevra. Si tu tiens le choc, tu apprendras beaucoup ! » Le « comte » me reçut dans le salon de son restaurant, un verre de château-yquem à la main et, allez savoir pourquoi, il fut attendri par mon incompétence et par mon ignorance totale
des produits en général et de la haute gastronomie en particulier. Il me donna rendez-vous le lendemain à cinq heures du matin à Rungis au « Carreau des Maraîchers » et me présenta Monsieur Clos, le maître des pommes de terre, Mme Maingre et ses framboises Mecker, Monsieur Merlin et son mesclun champêtre… puis il me montra comment on choisissait les petits pois, les radis, les asperges… il fouillait partout, il goûtait à tout… et j’en fis autant. Je repense au Jardin des Olivades et à Daniel Vuillon qui m’avoua que je n’étais pas le premier distributeur de Rungis à lui demander ses tomates. Celui qui m’avait précédé n’avait vu que des tomates à vendre, il avait oublié de regarder l’homme qui les produisait. Il avait déclaré à Daniel, sans rire, qu’il était prêt à distribuer ses tomates à la condition d’avoir l’exclusivité sur toute la production. Quand Daniel Vuillon me dit ça, j’éclatai de rire. Comment pouvait-on être aussi sot et manquer à ce point de discernement ? Demander à un artiste et à un guerrier comme lui de réserver tous les produits de sa terre à un inconnu qui allait en faire le commerce sur le MIN de Rungis ! Daniel me raconta plus tard que c’est mon éclat de rire qui le décida à me laisser repartir avec ses tomates. Pendant les mois qui suivirent je descendis aux Olivades chaque fois que j’avais 48 heures devant moi. J’y appris les aléas et les miracles de la production agricole, la guerre des semences et des produits chimiques, les bras de fer de la grande distribution contre les bras de terre des petits producteurs, les dégâts de la sécheresse et du mistral, les prouesses de l’irrigation, les météos imprévisibles, les marchés de proximité, les contraintes du conditionnement, de la conservation, de l’expédition. En plus de sa collection de tomates gustatives, j’y découvris dix variétés de menthes et de sauges, de thyms et de basilics, ses collections de poivrons, d’aubergines et de courges, ses bambous noirs et ses oliviers millénaires… en un mot la biodiversité ! Daniel me parla de Vavilof, un conservatoire de graines construit à St-Petersbourg il y a plus d’un siècle, véritable arche de Noé, qui renferme un demi-million de variétés légumières. Il me raconta comment, en 1945, pendant le siège de la ville qui s’appelait encore Leningrad, les conservateurs de ce lieu de mémoire de la Terre se laissèrent mourir de faim mais ne touchèrent pas à ce trésor. Il me raconta aussi comment années après années, projets d’urbanisation après projets d’urbanisation, plus de la moitié des terres des Olivades, propriété de sa famille depuis deux siècles, avaient été expropriées, par décret, pour construire la zone commerciale qui assiège aujourd’hui l’exploitation…
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Carrefour – Volkswagen – Mac Donald… la société de consommation flamboyante du xxie siècle s’était mise en marche. Mais Denise et Daniel Vuillon résistent encore et toujours à l’Envahisseur ! Que la Force soit avec eux ! Deux ans après notre rencontre, Daniel m’annonça qu’il allait arrêter de m’expédier ses tomates ! ! ! ! J’ai cru d’abord à une plaisanterie. J’avais tort, Daniel et Denise venaient de décider de tenter une expérience encore inédite en France et qui allait changer leur vie, la mienne, et celle de centaines de milliers de personnes. Les Olivades allaient devenir la première AMAP de France (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne). L’AMAP est ce qu’on appelle également le système des paniers : c’est un contrat de partenariat entre des particuliers et un agriculteur. Ce dernier s’engage, en début de saison, à fournir toutes les semaines à chaque famille un panier de fruits et de légumes représentant la totalité de la récolte de la ferme divisée par le nombre de familles abonnées à l’AMAP. Les familles, elles, contribuent au financement de l’exploitation en payant 6 mois de paniers à l’avance. Elles se rendent chaque semaine à la ferme pour y recevoir leur part de récolte. Parfois la récolte n’a pas été bonne et les paniers sont légers, mais parfois, les familles repartent avec un véritable butin… Les deux idées fortes de ce système sont : d’une part le calcul de la rémunération payée au paysan. Elle est calculée en fonction du prix de son travail, le juste prix, c’est-à-dire celui qui lui permet d’assurer la pérennité de son exploitation, et non en fonction des cours du marché qui eux, sont imposés depuis 30 ans par la grande distribution. On sort ainsi de la loi du marché dont on connaît les dégâts irréversibles qu’elle a provoqués chez les agriculteurs. (3 paysans sur 4 ont disparu entre 1990 et 2010 en France !). D’autre part, les familles abonnées à la ferme se nourrissent au gré des saisons en consommant des produits d’une qualité incomparable tant au niveau gustatif qu’en terme de santé et d’équilibre alimentaire. Les agriculteurs, libérés des contraintes du productivisme, ne sont plus motivés que par la recherche de la qualité. Les familles, quant à elles, reviennent aux fondamentaux de l’alimentation : consommer des aliments cultivés en terre et non hors-sol, sans produits chimiques, en saison… et cueillis mûrs. Ce système, inventé au Japon après la guerre, associé à une politique de préservation des terres agricoles a fait de l’Empire du Soleil levant le seul pays industrialisé à produire sur son propre sol de quoi nourrir toute sa population. À titre de comparaison, la France, pays de tradition agricole depuis
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des siècles, n’est autonome qu’à hauteur de 10 % des aliments qu’elle consomme ! ! ! Denise et Daniel Vuillon furent les premiers à tenter l’expérience en France il y a douze ans. Ils ont depuis présidé à l’installation de plus de 5 000 AMAP à travers toutes nos régions, mais également de centaines d’autres à travers le monde. Ce sont à présent plus de 300 millions de personnes qui se nourrissent grâce à ce nouveau modèle économique. Ce système a, non seulement sauvé des milliers d’exploitations et permis à des millions de personnes de se nourrir comme jamais auparavant, mais il a également contribué à recréer, dans tous les pays où l’expérience a été tentée, un tissu social de proximité en voie de disparition. D’Haïti à Vladivostok, de Libreville à Bogota, de Knock-le-Zout à Montreuil, Daniel Vuillon prit son bâton de pèlerin pour encourager les habitants de la planète à prendre conscience que l’alimentation est la première des conditions de la survie de l’espèce ! Comparée à cette épopée, la décision de Daniel d’arrêter de m’expédier ses tomates qui effectivement avaient « fait ma carrière », paraissait bien insignifiante, elle m’avait cependant plongé dans un tel désarroi, que, pris de « remords » et de « doutes », il se mit à la recherche d’un agriculteur capable de reprendre le flambeau. C’est ainsi qu’est né le projet qui allait devenir le projet de ma vie : La Production à la Carte. Je repense à Martine et à Jean-Paul Libourel, ce sont eux que Daniel avait choisis pour reprendre à leur compte la production de ces tomates extraordinaires. Je nous revois, Daniel et moi, assis avec eux autour d’une longue table de ferme dans leur exploitation d’Eyragues près d’Avignon, aux côtés de la grand-mère, solide paysanne à l’œil vif et à la voix puissante, et de leur fils Vincent, qui plus tard allait reprendre les rênes de l’entreprise. J’entends encore Daniel leur expliquer avec calme et assurance que la route qu’il leur proposait de suivre serait longue
Les agriculteurs, libérés des contraintes du productivisme, ne sont plus motivés que par la recherche de la qualité. Les familles, quant à elles, reviennent aux fondamentaux de l’alimentation : consommer des aliments cultivés en terre et non hors-sol, sans produits chimiques, en saison… et cueillis mûrs.
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et escarpée, mais qu’elle était la seule possible pour arriver à l’excellence et à la valorisation de leur savoir-faire et de leur art. Car c’était bien d’art qu’il s’agissait. De rencontres en découvertes, c’était des artistes de la terre que je trouvais en face de moi ! Créatifs, inventifs, visionnaires. Prêts à tous les sacrifices pour atteindre la perfection. Les Libourel arrachèrent toutes leurs plantations, et sous la conduite de Daniel, se lancèrent dans la production bio de tomates gustatives qui aujourd’hui encore n’ont pas leurs égales. Les deux premières saisons, ils perdirent de l’argent, se découragèrent, Daniel à cette époque était extrêmement présent. Il leur insuffla son savoir et sa force, il les convainquit que la manière dont j’avais commencé à faire entrer leurs productions dans les cuisines des grands restaurants serait le catalyseur d’une réaction en chaîne qui les rendrait indispensables, incontournables pour tous ces grands Chefs de cuisine, et, comme Alain Ducasse qui avait demandé à Daniel de tenir bon, Daniel les persuada de continuer ! Leur nom figure aujourd’hui à la carte des plus grandes tables de la capitale et d’ailleurs. Les tomates anciennes de Libourel sont devenues La référence pour la haute gastronomie ! La même année, Daniel Vuillon me parla d’un autre couple de paysans, les Occelli, des horticulteurs hors pair, installés à Carqueiranne. Ils étaient au bord de la faillite, concurrencés par les fleurs deux fois moins chères qui commençaient à débarquer en Europe en provenance d’Asie, emportant tous les marchés. Je repense à cette phrase intrigante que Daniel prononça un jour quand nous déjeunions ensemble aux Olivades : « Alain, voudrais-tu m’aider à sauver cette exploitation et ces “chirurgiens” de l’agriculture ? » Pourquoi des chirurgiens ? Et comment les sauver ? Les horticulteurs, m’apprit Daniel, sont à l’agriculture ce que les chirurgiens sont à la médecine : leur travail est d’une précision et d’une complexité qui les démarquent de toutes les autres formes d’agricultures. En m’expliquant cela Daniel n’établissait pas une hiérarchie entre les différents domaines de la production agricole, il m’expliquait simplement que leur extrême technicité les rendait aptes à toutes les expériences, à toutes les mutations, aptes à toutes les productions imaginables… et plus encore ! Quant à leur « sauvetage », Daniel était convaincu qu’il était possible de leur faire cultiver des produits exceptionnels qui, comme les tomates gustatives, feraient le bonheur de mes Chefs et seraient une planche de salut pour leur exploitation au bord du gouffre. On fit un rapide tour d’horizon… … Et le gagnant est… La mini-courgette ! ! ! On prit la décision de leur faire mettre en culture une collection
de mini-légumes. Comme les Libourel, les Occelli firent table rase de tout ce qui avait été leur pain quotidien durant des années et se jetèrent à corps perdu sur cette nouvelle voie. De mon côté je m’étais engagé à acheter toute leur production, charge à moi de la revendre à mes Chefs en les persuadant que leur implication dans ce projet était indispensable. Indispensable pour mon projet naissant, indispensable pour la survie de cette exploitation et indispensable pour l’avenir de la gastronomie, c’est-à-dire pour leur avenir. La Production à la Carte était née. Le principe de La Production à la Carte est simple et complexe à la fois tant il ne correspond pas aux schémas économiques habituels. Je voulais en réalité m’inspirer du système des AMAP qui s’adresse aux particuliers et le transposer à un niveau professionnel, c’est-à-dire mettre en place un partenariat entre les cuisiniers et les agriculteurs, mis en œuvre par les distributeurs que nous sommes. Dans ce système, les agriculteurs seraient assurés de la vente de leurs productions, notamment des produits d’exceptions qu’ils mettent en culture à notre demande à destination des Chefs avec qui nous travaillons. De leur côté les cuisiniers seraient assurés de la maîtrise de leurs approvisionnements. Les forces vives de cette aventure sont avant tout les agriculteurs. D’année en année, d’abord à travers Daniel Vuillon puis à travers des rencontres successives, le groupe de ces agriculteurs s’est agrandi, il compte aujourd’hui plus d’une vingtaine d’exploitations. Je repense à Michel Bachès et à sa femme Bénédicte. Il y a dix ans, lorsque Daniel me les a présentés ils étaient uniquement pépiniéristes. « Cueillir les fruits ce n’est pas notre métier » m’avaient-ils dit… J’ai cru devenir dingue… Je venais de passer huit heures dans leur pépinière à goûter une centaine d’agrumes différents. « Si je ramène ces fruits à mes Chefs, leur dis-je, ils vont tomber par terre, tomber dans les pommes, tomber dans mes bras ! ! ! » Je leur ai raconté Libourel et ses tomates magiques, Occelli et ses mini-légumes, Bastelica et sa laitue celtuce… J’ai supplié, chanté, dansé, hurlé ! ! ! Les agrumes de Michel ont depuis fait le tour du monde et font aujourd’hui le bonheur d’une grande partie de Chefs de Cuisine qui sont l’autre pilier de La Production à la Carte. L’exemple de Michel Bachès n’est qu’une histoire parmi tant d’autres, toutes aussi incroyables. Trois ans après le début de notre collaboration, Michel me dit un jour qu’il voulait me présenter un de ses amis, pépiniériste comme lui, séduit par le partenariat que nous avions commencé à mettre en place ensemble, pour éventuellement s’y risquer lui aussi. Il s’agissait de Pierre Baud.
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Merci
Pierre cultivait 60 000 figuiers dans sa pépinière de Vaison-la-Romaine. Depuis les jeunes pousses jusqu’aux figuiers centenaires, et pour les mêmes raisons que Michel Bachès, il ne cueillait pas les fruits sublimes de ses… 350 variétés d’arbres : « Ce n’était pas son boulot » (sic). Alors je suis aussi devenu dingue en parcourant les magnifiques vergers de la pépinière Baud, en goûtant jusqu’à l’épuisement les rondes de Bordeaux et les grises St-Vincent, les dauphines et les longues d’août, les Marseillaises, les Dalmatie, les panachées, les brunswick… Grâce à La Production à la Carte, aujourd’hui, ces figues, sont servies à la table du Plaza, de Lasserre, du Bristol, du Pré Catelan, du Meurice, de l’Assiette, de l’Antoine… bref de tous ces Chefs dont je suis fan et qui pour la plupart ont participé au Voyage des Chefs qui justement les a emmenés chez Pierre Baud, chez Michel Bachès, chez Daniel Vuillon… Je repense aux amandiers géants du Mas El Barbats à Treisserre au sommet desquels j’ai dû grimper pour rapporter des amandes fraîches à Frédéric Anton alors que la saison était terminée. Je repense aussi aux cerises de Céret de Christian Jean-Pierre, aux asperges de Sérignan de Lionel Vernède, aux fraises de La Baule de Xavier Burban, aux pommes des jardins de Brière et aux poires des vergers de la Septière, aux pêches et aux abricots de Cribeillet, aux melons de la ferme de Nogaret et à Alain Jean dont la disparition est une perte dont je reste inconsolable. Je repense aux mini-légumes de la vallée des Deux-Sources, aux herbes de Dominique Chevet et aux légumes de Gérard Le Gruel, aux champignons Sylvestres de Jean-Pierre Barbès et aux truffes de Guy Sant… Et bien entendu à Joël Thiebault qui comme Daniel Vuillon fut mon guide dans le brouillard où j’avançais à mes débuts. Ce sont eux qui, saisons après saisons, réécrivent le menu de La Production à la Carte. Un menu écrit par les agriculteurs pour les cuisiniers afin qu’ils aient à nouveau le choix et les moyens de leur création. La rencontre de ces deux mondes si différents et pourtant si semblables et si complémentaires est la tâche que je me suis assignée et qui me fait me lever tous les matins (… ou presque !) J’ai croqué un Chef a vu le jour pour leur rendre hommage et pour faire connaître l’admirable travail d’Aurélie Sartres. Dans l’Encyclopédia Universalis, à la rubrique « graphiste, témoin de son temps » : son visage dessiné à l’encre de Chine !
Je repense aux Vergers St Eustache, cette entreprise exemplaire et nourricière, celle qui m’a accueilli les bras ouverts après ma xième gamelle et qui m’a laissé mettre tout sens dessus dessous, dans ses rouages si bien huilés, pour me permettre, pour nous permettre de faire ce que personne n’avait réussi à faire depuis longtemps : rendre ses lettres de noblesse au métier de « marchand d’légumes ». Je repense à Momo Amraoui que je croisais rue du Colisée, c’est lui qui livrait le « mur » de légumes et de fruits au pied duquel je déposais mes 3 colis d’herbes en offrande à l’Appart. Il est aujourd’hui le chef d’orchestre des préparateurs de commandes au sein des Vergers St Eustache. Sa maîtrise et son calme, sa connaissance du métier me rassurent et son extrême humanité me touche. Je repense à Angélique, à Laura, à Marco, à Sofiane, à Fanny, à Sonia, à Valentine… Les voix des Vergers. En plus de supporter les cuisiniers au bord de la crise de nerf au téléphone, ils subissent le tir nourri de mes exigences, de mes improvisations, de mes approximations, de mes zappings et de mes bugs quotidiens ! Où trouvent-ils la force ? J’imagine qu’ils m’aiment autant qu’ils me détestent, qu’ils se rassurent, c’est réciproque ! ! ! Je repense à Paula, à Émilie, à Célia, à Carolina qui administrent notre cour des miracles comme une cour de ferme ou une cour de récréation, sortes de bonnes fées penchées sur le chaudron des Vergers afin d’y mettre quand même les croix dans les cases.1 Je repense à Corinne Frémont qui nous manque depuis son départ. Je repense à Fernand qui est au jour ce que Momo est à la nuit, une sorte d’assurance tous risques. 1 © Copyrights Éric Roy
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Je repense à Halit, notre acheteur, qui « n’a jamais de problèmes » mais qui doit gérer tous les nôtres.
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Je repense à Seb, responsable de 12 camions et de 15 chauffeurs, de 200 clefs d’accès aux cuisines et de 200 codes d’entrées d’immeubles, de 12 tournées détournées, retournées, contournées, bouc émissaire de tous les retards et artiste méconnu de toutes les livraisons ponctuelles.
Suite… … et FIN
Je repense à Salim et à Samir, à Hassan et à Thierry, à Bouba et à Patrice, à François, Titi, Rachid, Jonathan, Yemen, Aristote, Fathi, Denis, Gaby, Redouane, Steven… des garçons fiables et solides, les travailleurs de forces des Vergers.
En achevant ce livre, je pense aussi à la suite de l’histoire, à la suite des histoires :
Enfin je repense à ceux qui rendirent ce projet possible : En premier, Michel Charraire, mon patron, le seul que j’ai jamais eu, moitié mécène et moitié gardien du temple, un homme de parole, un chef d’entreprise comme on n’en fait plus.
La nouvelle étape de La Production à la Carte est la mise en œuvre d’un nouveau concept : des contrats de Partenariat entre Restaurateurs, Agriculteurs et Distributeurs. : Les contrats PRAD. Ce sera l’aboutissement de ces 15 ans de voyage au pays des cuisiniers et des paysans.
À sa droite, Éric Roy, son complice de toujours, son éminence grise et son chef d’état-major, écartelé entre son amour des beaux produits et sa collection de croix et de cases à remplir, il a souvent hésité entre me trancher la tête et me sauver la vie… Je suis heureux qu’il ait fait le bon choix ! À sa gauche, Alexia, sa lumineuse fille, (un peu trop mûre pour son jeune âge…), d’une efficacité et d’une rigueur épuisantes. L’avenir des Vergers. Et Olivier Bourges l’indéfectible capitaine, toujours entre l’arbre et l’écorce, amortissant les coups et se retenant d’en donner, mon compère et copilote auprès des producteurs. Et Vanessa Chollet l’incontrôlable Amazone, mon amie et ma sœur, assise avec moi sur le banc des cancres, ma pote du fond de la classe… la classe, la grande classe… Sans eux…
Inspiré des AMAP, le principe des contrats PRAD consiste à être partie prenante des investissements de nos partenaires agriculteurs en amont de la production, et, en contrepartie, être assuré d’être les dépositaires de la part de production correspondante. Après le système des paniers, le système des palettes ! Les premières expériences de contrats PRAD ont déjà vu le jour, elles seront décrites dans le tome ii de J’ai croqué un Chef qui est en préparation et qui sera consacré à 16 autres Chefs de cuisine et 4 Chefs pâtissiers (les oubliés du 1er tome)1 : Michel Roth – Pierre Gagnaire – Thierry Marx – Jean-Pierre Biffi – Hélène Darroze – Henri Charvet – Cyril Lignac – Philippe Marc – Franck Putelat – Jean-Yves Leuranguer – Frédéric Duca – Philippe Vételé – Christian Leclou – Akrame – Éric Guérin –- Philippe Mille – Claire Heitzler – Christelle Brua – Pierre Hermé et Laurent Jeannin qui furent aussi les acteurs de cette aventure humaine. Enfin le nouveau projet que nous avons est de faire un livre de portraits des agriculteurs de La Production à la Carte. Pour l’occasion j’ai conseillé à Aurélie Sartres d’acheter un burin et un marteau. Pour faire les portraits de ces titans, la sculpture dans la pierre me semble être la seule solution !
1 Chose promise, chose due, Laurent !
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Chefs de cuisine
Producteurs
Yannick Alléno | Meurice
La Ferme de Nogaret
Bénédicte et Michel Bachès
www.yannick-alleno.fr
corine.jean84@orange.fr
www.agrumes-baches.com
Frédéric Anton | Pré Catelan
Bastelica La Vallée des 2 Sources
Joël Thiébault
éric Briffard | George V
contact@valdessources.com www.valdessources.com
www.precatelanparis.com
www.fourseasons.com/paris
Alain Ducasse | Plaza Athénée laza Athénée : www.plaza-athenee-paris.fr P Be, Boulangepicier : www.boulangepicier.com
Mickaël Féval | Antoine ttp://www.facebook.com/pages/ h Peche-en-Norvege-le-livre/152936628049739 www.hinoki-editeur.com www.elephantpaname.com
éric Frechon | Bristol
Hervé Cribeillet herve.cribellet@wanadoo.fr
Denise et Daniel Vuillon AMAP : olivades.com Blog : lesolivades.over-blog.com CREAMAP : amap-france.fr
Hugo Desnoyer hugodesnoyer.fr www.régalezvous.com
joel.thiebault@wanadoo.fr Jours de marchés : - mardi et vendredi rue Gros (Paris xvie) - mercredi et samedi avenue du Président Wilson (Paris xvie)
Geneviève et Pierre Baud www.fig-baud.com
Salines de Millac emnat@salines-de-millac.com
www.lebristolparis.com
Patrice Hardy | La Truffe Noire a Truffe Noire : www.latruffenoire.net L Le Rendez-vous des Camionneurs : www.aurdvdescamionneurs.com
Philippe Labbé | Shangri-La Hotel www.shangri-la.com/paris/shangrila
Auteurs Aurélie Sartres
Alain Cohen
aureliesartres@yahoo.fr
cohen.alain@yahoo.fr
William Ledeuil | Ze Kitchen Galerie www.zekitchengalerie.fr
Christophe Moret | Lasserre ww.restaurant-lasserre.com w www.facebook.com /RestaurantLasserre
Alain Pégouret | Laurent www.le-laurent.com
Christophe Raoux | Café de la Paix ww.cafedelapaix.fr w www.paris.intercontinental.com
David Rathgeber | L’Assiette
Staff Philippe Rossat
Leslie Gogois
Notre Editeur… avec un grand E et avec un grand cœur, comme Jean-François Rouquette, Philippe est un être humain à cloner d’urgence.
Elle débarque sans un bruit… elle lit et elle relit… elle cherche et elle recherche… elle trace comme une flèche. Belle et calme comme le Sphinx. Princesse à l’œil de lynx.
Georges Riu
Jean-François Rouquette | Park Hyatt www.paris.vendome.hyatt.com
Notre designer graphique, la science de la patience, la réactivité de l’électricité, le talent des grands.
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www.restaurant-lassiette.com
Aurélia Absalon La Mary Poppins de Laymon, parfaite en tous points !