FR_changer_leur_monde

Page 1

Changer leur monde –

es mouvements de femmes, L concepts et pratiques Par Srilatha Batliwala Chercheuse associée, AWID-BFEMO

Renforcement des mouvements et organisations féministes (BFEMO)

2008


Changer leur monde –

es mouvements de femmes, L concepts et pratiques Par Srilatha Batliwala Chercheuse associée, AWID-BFEMO

Renforcement des mouvements et organisations féministes (BFEMO)


Changer leur monde : les mouvements de femmes, concepts et pratiques, publié par l’Association pour les droits de la femme et le développement (AWID), 215 Spadina Avenue, Suite 150, Toronto, M5T 2C7, Canada et Cerrada de Mazatlán N°12, Colonia Condesa, México D.F, MEXICO. C.P 06140 et 401 Ovenstone House, 8 St. George’s Mall, Cape Town, South Africa, 8001. www.awid.org Copyright © L’Association pour les droits de la femme et le développement (AWID), 2008 Graphisme et mise en page par Laura Mónica Mendoza Révision par Srilatha Batliwala, Karen Murray et Zazil Canto Appui et supervision par Cindy Clark Imprimé en Inde par Brijbasi Art Press, New Delhi Pour obtenir la permission de re-imprimer, écrivez nous à contact@awid.org Tout droits réservés ®


Table de matières Reconnaissances

4

Introduction

5

Chapitre 1 : Le pouvoir des mouvements : clarifions nos concepts

9

Chapitre 2 : Résumés des études de cas de BFEMO

33

Les femmes parmi les mouvements des peuples indigènes du Mexique : Nouveaux chemins pour transformer le pouvoir Résumé de l’étude de cas par Marusia López Cruz

35

Envers et contre tout : la construction d’un mouvement féministe en République Islamique d’Iran Résumé de l’étude de cas par Homa Hoodfar

38

Le mouvement des femmes intouchables en Inde : Dalit Mahila Samiti Résumé de l’étude de cas par Jahnvi Andharia et le collectif ANANDI

41

Employées de maisons organisant aux Etats-Unis Résumé de l’étude de cas par Andrea Cristina Mercado et Ai-jen Poo

44

Des difficultés multiples : la campagne « Une sur neuf » (One in Nine), Afrique du Sud Résumé de l’étude de cas par Jane Bennett

47

Quand les mères font bouger les choses : le réseau des centres maternels de La République tchèque Résumé de l’étude de cas par Suranjana Gupta

50

La démobilisation des mouvements féministes : le cas de la Palestine Résumé de l’étude de cas par Islah Jad

53

Le mouvement piquetero/a en Argentine Résumé de l’étude de cas par Andrea D’Atri et Celeste Escati

56

GROOTS Kenya Résumé de l’étude de cas par Awino Okech

59

Le mouvement européen des femmes romsréseau international de femmes roms Résumé de l’étude de cas par Rita Izsak

61

Chapitre 3 : Ce que nous avons appris : Enseignements tirés des dix études de cas de mouvements de femmes�

65


Reconnaissances L’équipe AWID-BFEMO voudrait exprimer ses plus profonds remerciements à tous ceux qui ont, d’une façon ou d’une autre, contribué à ce produit. Aux auteurs de ces études de cas qui ont, de bonne volonté, documenté et partagé ces histoires perspicaces et importantes : Homa Hoodfar Andrea Cristina Mercado Ai-jen Poo Jane Bennett Suranjana Gupta Islah Jad

Andrea D’Atri Celeste Escati Awino Okech Rita Izsak Marusia López Cruz Jahnvi Andharia and ANANDI

Aux participants du rencontre consultatif de BFEMO en février 2008, pour leurs précieux apports et critiques du procès et des produits BFEMO. Mónica Alemán Sindi Blose Ewa Charkiewicz Lin Chew Michel Friedman Pregs Govender Ayesha Imam Islah Jad Helen Kim

Marusia López Cruz Sanushka Mudaliar Kumudini Samuel Sandra Schilen Ellen Sprenger Lisa VeneKlasen Barbara Williams Shamillah Wilson Nani Zulminarni

A Anahita Bhatia qui a préparé les sommaires des études de cas. A Parastoo Anita Mesri, qui a travaillé de mains en main avec les auteurs des études de cas, et corrigé les premières versions de ces études. À Lydia Alpízar pour sa vision, direction, et ses contributions critiques à cette analyse. A Karen Murray, pour avoir efficacement réglementer le raffinement de ce produit, révisant aussi les corrections anglaises et françaises. A Zazi Canto qui a supporté la traduction espagnole et Cindy Clark pour sa supervision. Le succès de ce travail a été rendu possible grâce aux aides reçues de : Oxfam, Canada; International Development Research Centre, Ottawa Canada. AWID apprécie aussi touts autres aides, venus de nos différents généreux donneurs, qui ont supporté nos initiatives stratégiques :

Cordaid Ministère Hollandais des Affaires Étrangères

Oxfam Novib

Hivos Aide irlandaise - département des affaires étrangères Fondation Levi Strauss

Agence internationale suédoise de coopération au développement Agence suisse pour le développement et la coopération

Sigrid Rausing Trust


Introduction L’initiative relative à la renforcement des mouvements et organisations féministes fut lancée par AWID dans le cadre de son plan stratégique 2006. L’objectif de cette initiative est de faire avancer notre entendement des mouvements féministes dans le contexte mondial actuel et d’utiliser cette compréhension pour renforcer la capacité des organisations de femmes à catalyser, aider et soutenir la construction du mouvement. 7V\Y JL MHPYL UV\Z H]VUZ PKLU[PÄt KL\_ WOHZLZ LZZLU[PLSSLZ !   *LSSL KL JSHYPÄJH[PVU K\ JVUJLW[ KL TV\]LTLU[Z LU WHY[PJ\SPLY KL TV\]LTLU[Z MtTPUPZ[LZ *SHYPÄJH[PVU PUKPZWLUZHISL n \UL tWVX\L V SL [LYTL KL ­ TV\]LTLU[ ® LZ[ \[PSPZt PUKPZ[PUJ[LTLU[ pour décrire tout rassemblement d’organisations ou tout type d’activités conjointes. Qu’est ce qui KtÄUP[ L_HJ[LTLU[ \U TV\]LTLU[ & 8\LSSL LZ[ SH KPMMtYLUJL LU[YL VYNHUPZH[PVU L[ TV\]LTLU[ & 8\LSZ ZVU[ SL\YZ Y SLZ YLZWLJ[PMZ L[ SLZ YLSH[PVUZ X\P SLZ \UPZZLU[ & 8\»LZ[ JL X\P KPZ[PUN\L SLZ TV\]LTLU[Z MtTPUPZ[LZ KLZ H\[YLZ TV\]LTLU[Z ZVJPH\_ & (\[HU[ KL X\LZ[PVUZ H\_X\LSSLZ UV\Z [LU[LYVUZ KL YtWVUKYL KHUZ SL WYLTPLY JOHWP[YL KL JL KVJ\TLU[ ­ *SHYPÄLY UVZ JVUJLW[Z ® 2.  Nous estimons qu’il est très important d’analyser les expériences des mouvements de femmes MVY[Z L[ ]P]HU[Z n [YH]LYZ SL TVUKL HÄU KL JVTWYLUKYL SL\Y t]VS\[PVU SL\YZ Z[YH[tNPLZ L[ SL\Y [YH]HPS 5V\Z ]V\SVUZ H\ZZP L_WSVYLY SH ZPNUPÄJH[PVU L[ S»LZZLUJL KLZ WYH[PX\LZ MtTPUPZ[LZ KHUZ SH construction de mouvement, ce que les mouvements féministes sont aujourd’hui et comment ils agissent sur le terrai. Nous attendons de cette analyse qu’elle nous aide à créer un nouveau cadre conceptuel qui explicitement établisse les liens entre les processus de renforcement organisationnel et de construction de mouvement, et ce dans une approche féministe. À cet effet, l’AWID, dans le cadre de l’initiative BFEMO « Renforcement des mouvements et organisations féministes », a commandité une série de 10 études de cas 1 portant sur différentes régions du TVUKL PSS\Z[YHU[ SH THUPuYL KVU[ SH TVIPSPZH[PVU KLZ MLTTLZ H t[t SL YLZZVY[ K»\U JOHUNLTLU[ ZPNUPÄJHtif. Le réseau d’adhérents AWID tout entier a été mis à contribution pour sélectionner les mouvements X\P JVYYLZWVUKHPLU[ SL TPL\_ n JL WYVÄS LU \[PSPZHU[ SLZ JYP[uYLZ Z\P]HU[Z !   Diversité géographique (au moins un mouvement pour chaque grande région du monde)   Diversité thématique (mouvement travaillant sur des problèmes d’ordres différents en lien avec les intérêts des femmes)   Pluralité des femmes (mouvements ayant été construits par des femmes de différentes identités)   Durabilité (mouvement actifs depuis au moins cinq ans). 3LZ t[\KLZ KL JHZ VU[ t[t YtHSPZtLZ WHY KLZ JOLYJOL\ZLZ PKLU[PÄtLZ WHY S»tX\PWL )-,46 KL (>0+ L[ leurs correspondantes dans les différentes régions2. Un schéma directeur3 H t[t tSHIVYt L[ WYVWVZt HÄU de pouvoir obtenir des informations comparatives sur les origines, les structures les stratégies et les réalisations des différents mouvements. Les études ont été réalisées entre juillet 2007 et février 2008. Le chapitre deux contient les brefs résumés des études de cas, soulignant leur origine, objectifs politiques, stratégies clés, structures organisationnelles et réalisations. Les études de cas complètes sont disponibles dans le CD du Forum et peuvent être téléchargées du site www.awid.org.

1.  Il ne s’agit en aucun cas d’une approche exhaustive et pleinement représentative des mouvements de femmes actuels. Ce sont les prémisses d’un travail de documentation sur la richesse et la variété des expériences de mouvements.


Introduction Le chapitre trois, Ce que nous avons appris : Enseignements tirés des dix études de cas de mouvements de femmes, livre les premiers enseignements moissonnés de ces riches études de cas ; ils sont organisés en huit grands volets : 1)  Vue d’ensemble sur les cas 2)  Facteurs de limitation ou de fragmentation des mouvements 3)  L’origine des mouvements 4)  Les différentes voies évolutives des mouvements 5)  Quelques schémas de relations entre organisations et mouvements 6)  Leurs stratégies 7)  Leurs structures et directions   3L\Y PUÅ\LUJL L[ V\ YtHSPZH[PVUZ n JL QV\Y Quelques unes des conclusions corroborent ce que nous savions déjà sur les caractéristiques des mouvements de femmes, en particulier les mouvements féministes – à savoir, qu’ils mettent fortement l’accent sur la mobilisation et la construction de la conscience politique des femmes les plus opprimées, par exemple, ou sur les analyses politiques d’un point de vue féministe et progressiste visant à soutenir cette JVUZJPLU[PZH[PVU +»H\[YLZ JVUJS\ZPVUZ JVUÄYTLU[ SH ]tYHJP[t KL JLY[HPULZ [LUKHUJLZ X\L UV\Z WYLZZLU[PVUZ THPZ Z\Y SLZX\LSSLZ UV\Z THUX\PVUZ KL KVUUtLZ ÄHISLZ [LSSLZ X\L SH ]VSVU[t KL UVZ TV\]LTLU[Z n TL[[YL LU WSHJL KLZ Z[Y\J[\YLZ KtTVJYH[PX\LZ V SH WYPZL KL KtJPZPVUZ ZL MHP[ KL THUPuYL YLZWVUZHISL ,UÄU LSSLZ UV\Z WLYTL[[LU[ K»LU[YL]VPY KLZ HZWLJ[Z X\L UV\Z PNUVYPVUZ ¶ 3H ]HYPt[t KLZ ZP[\H[PVUZ L[ des modalités dans lesquelles éclosent les mouvements de femmes, et la manière complexe et sophistiquée dont les différents problèmes sont croisés et intégrés dans de totalement nouvelles approches, et l’immense diversité et créativité des stratégies mises en œuvre pour construire leur pouvoir collectif et réaliser leur travail. Attendu que les mouvements sont fréquemment cités, pour la faciliter la lecture nous y ferons référence par des sigles (voir tableau ci-dessous).


Introduction Tableau 1 : Études de cas par région

Sigle

Mouvement

Région / Pays

Sigle

Mouvement

Région / Pays

CM

Czech Mothers (Mères Tchèques)

République tchèque

IW

Indigenous Women (Femmes indigènes)

Mexique

DW

Domestic Workers (Employées de maison)

États-Unis

P

Piqueteras

Argentine

DMS

Dalit Mahila Samiti (Femmes intouchables)

Inde

OINC

One in Nine Campaign (Une sur neuf)

Afrique du Sud

GK

GROOTS Kenya

Kenya

RW

Roma Women (Femmes romes)

Europe de l’Est

PW

Palestinian Women’s Movements (Mouvements des femmes palestiniennes)

Palestine / Moyen-Orient

IW

Iranian Women’s Movement (Mouvements des femmes iraniennes)

Iran / MoyenOrient

Nous espérons que ce document sera un guide utile pour votre travail, votre organisation et les mouvements auxquels vous participez. Nous vous encourageons à lire l’ensemble des études de cas et à UV\Z LU]V`LY ]VZ JVTTLU[HPYLZ L[ PUMVYTH[PVUZ LU YL[V\Y JL X\P UV\Z HPKLYH n t[LUKYL L[ HMÄULY UV[YL analyse. Nous sommes convaincues qu’il y a toujours beaucoup à apprendre mais que nous avons apporté ici une pierre importante à la mise en lumière de ce qu’est le ….

Pouvoir des mouvements!!



Chapitre 1

Le pouvoir des mouvements : clarifions nos concepts



Clarifions nos concepts

Chapitre 1 :  Le pouvoir des mouvements : clarifions nos concepts Par Srilatha Batliwala1 ­:P ]V\Z UL JOHUNLa WHZ KL KPYLJ[PVU ]V\Z HYYP]LYLa WL\[ v[YL Sn V ]V\Z ]V\SLa HSSLY ® – Lao-Tseu Cette phrase du grand philosophe chinois Lao-Tseu semble avoir été écrite pour celles et ceux d’entre nous qui nous intéressons à la situation présente des mouvements féministes à travers le monde. D’un JLY[HPU J [t UVZ TV\]LTLU[Z ZLTISLU[ H]VPY WLYK\ ILH\JV\W KL S»tSHU KL SH JVOtZPVU L[ KL S»PUÅ\LUJL qu’ils manifestaient il y a encore une dizaine d’années, mais de l’autre, on assiste à la construction par KLZ MLTTLZ KL SL\Y WV\]VPY JVSSLJ[PM K»\UL THUPuYL PU[LUZL 3n V SL TV\]LTLU[ Z»LZ[ HMMHPISP UV\Z voyons l’intérêt se déplacer vers des projets à court terme et la fourniture de services. Ces actions, certes utiles, sont cependant souvent palliatives, faute d’un programme politique clair visant à transformer durablement les rapports de pouvoir entre les groupes sociaux et entre les sexes. Même si nous continuons à nous référer au « grand mouvement des femmes », nous ne sommes pas sures de parler d’une réalité, mais plutôt d’évoquer un souvenir nostalgique. De nombreux facteurs ont contribué à cette déliquescence du mouvement. Des facteurs externes d’abord : les donateurs ont donné une nouvelle orientation à leurs stratégies, HIHUKVUUHU[ SL ZV\[PLU n SH JVUZ[Y\J[PVU KL TV\]LTLU[Z H\ WYVÄ[ KL ­ S»PU[tNYH[PVU KL SH KPTLUZPVU KL NLUYL ® V\ ­ KLZ JVU[LU\Z ZL_VZWtJPÄX\LZ ® KHUZ KLZ WYVQL[Z KL Kt]LSVWWLTLU[ ZL ]V\SHU[ WS\Z ]HZ[LZ Les gouvernements ont récupéré et dépolitisé les stratégies issues de la pensée féministe qui visaient à transformer les relations de pouvoir entre les sexes – par exemple, le microcrédit ou la participation poli[PX\L ,UÄU SLZ TV\]LTLU[Z ZVJPH\_ X\P M\YLU[ \U QV\Y ZLUZPISL n SH WYVIStTH[PX\L KL S»tNHSP[t LU[YL SLZ ZL_LZ V\ K\ TVPUZ X\P H]HPLU[ t[t VISPNtZ KL WYLUKYL LU JVTW[L SL Y SL L[ SLZ WYVISuTLZ ZWtJPÄX\LZ des femmes en leur sein (par exemple dans le cas des mouvements de défense de l’environnement, des droits de l’homme, de la justice économique) – le sont aujourd’hui beaucoup moins, ou tendent à instrumentaliser le thème des femmes sans que l’égalité entre les sexes ne soit véritablement au cœur de leurs préoccupations, programmes ou stratégies. Des facteurs internes aussi font que le militantisme féminisme ait perdu une partie de sa force et de son élan. La lutte pour la survie organisationnelle ou personnelle, pour la conservation de l’autonomie THSNYt SLZ JVTWYVTPZ H\_X\LSZ VISPNLU[ SLZ JOHUNLTLU[Z KL WVSP[PX\LZ KL ÄUHUJLTLU[Z L[ JVU[YL SLZ attaques dont les acquis et les positions féministes sont l’objet dans de nombreux endroits, n’a pas t[t ZHUZ SV\YKLZ WLY[LZ +LZ JVUÅP[Z L[ KLZ ZJOPZTLZ KHUZ L[ LU[YL SLZ NYV\WLZ VU[ JVUK\P[ n SH MYHNmentation et à l’exaspération de la concurrence pour les ressources de plus en plus limitées, nuisant à S»tWHUV\PZZLTLU[ KL S»PUÅ\LUJL KL S»VYNHUPZH[PVU MtTPUPZ[L Mais plus insidieusement, au niveau interne, une confusion s’est faite jour et n’a fait qu’augmenter autour de la notion de mouvement. Au cours de nombreuses réunions internationales de femmes, on a pu constater combien le mot « mouvement » était employé, avouons-le, à tort et à travers. Tout regroupement d’organisations de femmes, tout type de campagnes ou d’activités en lien avec les femmes est

1.  Chercheuse associée vivant en Inde, L’Association pour les droits de la femme et le développement (AWID), et Centre Hauser pour les Organisations à but non lucratif, Harvard University

11


Clarifions nos concepts Oo[P]LTLU[ H\QV\YKÂťO\P X\HSPĂ„t KL TV\]LTLU[ ! SLZ NYV\WLZ KÂťVYNHUPZH[PVUZ [YH]HPSSHU[ KHUZ \UL YtNPVU particulière (le ÂŤÂ mouvement des femmes africaines ) ou dans un pays (le mouvement des femmes PUKPLUULZ V\ IPLU KHUZ \U ZLJ[L\Y V\ Z\Y \U [OuTL ZWtJPĂ„X\L SL TV\]LTLU[ WV\Y SH ZHU[t KLZ MLTmes, le mouvement pour les droits gĂŠnĂŠsiques, le mouvement des gays et des lesbiennes) ; autant de ÂŤÂ mouvements  qu’ils en aient ou non les caractĂŠristiques. Il existe un ĂŠnorme corpus d’ouvrages traitant des mouvements sociaux, du dĂŠveloppement organisationnel et autres sujets connexes, mais la plupart de ce matĂŠriel n’a jamais ĂŠtĂŠ exploitĂŠe dans une approche fĂŠministe, et partant, ne nous ĂŠclaire que partiellement sur le concept et la pratique de construction de mouvements fĂŠministes. Quelques unes des ĂŠtudes ĂŠcrites dans les annĂŠes 80, sur l’introduction de la dimension de genre dans les analyses des processus de dĂŠveloppement et de changement social1, et dans les annĂŠes 80 et 90 sur les processus d’autonomisation des femmes2, demeurent les meilleurs guides pour une praxis de la construction de mouvement pour les fĂŠministes. (\ ]\ KL JL X\P WYtJuKL UV\Z WLUZVUZ X\L SL [LTWZ LZ[ ]LU\ KL YtL_HTPULY L[ KL JSHYPĂ„LY JL X\L nous entendons par mouvements, par construction de mouvement et, surtout, par mouvements fĂŠministes. L’initiative stratĂŠgique d’AWID ÂŤÂ Renforcement des mouvements et organisations fĂŠministes  a t[t SHUJtL WV\Y WHY[PJPWLY KL JL[[L JSHYPĂ„JH[PVU UVU JVTTL \U L_LYJPJL W\YLTLU[ PU[LSSLJ[\LS THPZ WV\Y nous aider, nous-mĂŞmes et d’autres groupes, Ă revoir nos stratĂŠgies et Ă stimuler une nouvelle vague de construction de mouvement, susceptible de remettre Ă l’ordre du jour les thèmes fĂŠministes dans les politiques locales et mondiale, avec un regain de clartĂŠ, d’Ênergie et de force.

  Les questions fondamentales II tombe sous le sens que nous ne pouvons trouver de nouvelles stratĂŠgies visant Ă renforcer notre travail de construction de mouvement avant d’avoir rĂŠpondu Ă quelques questions fondamentales :   Qu’est-ce qu’un mouvement ?   Qu’est-ce qu’un mouvement fĂŠministe ?   Pourquoi les mouvements sont-ils importants ?   Quels sont les dĂŠfis que doivent relever les mouvements fĂŠministes / de femmes ?   Quelles sont les relations entre organisations, individus et mouvements ?   Quels sont les ĂŠlĂŠments d’une approche de renforcement de mouvement ? 5V\Z ZVTTLZ IPLU JVUZJPLU[LZ K\ MHP[ X\ÂťPS UÂťL_PZ[L WHZ \UL YtWVUZL \UPX\L JLY[HPUL L[ KtĂ„UP[P]L WV\Y JOHJ\UL KL JLZ X\LZ[PVUZ 5V\Z [LU[LYVUZ KHUZ JL KVJ\TLU[ KL JLYULY SLZ JVUJLW[Z SLZ KtĂ„UP[PVUZ L[ SLZ JHYHJ[tYPZ[PX\LZ KLZ TV\]LTLU[Z L[ KL MHPYL \UL WYLTPuYL HUHS`ZL KLZ KtĂ„Z X\P KVP]LU[ v[YL YLSL]tZ L[ KLZ VIZ[HJSLZ n Z\YTVU[LY HĂ„U KÂťHSSLY KL SÂťH]HU[ 5V\Z LZWtYVUZ X\L JLSH UV\Z WLYTL[[YH KL JSHYPĂ„LY nos idĂŠes sur la renforcement des mouvements, mouvements fĂŠministes en particulier, et sur les relations entre organisations, individus et mouvements. AWID souhaite que cette ĂŠtude provoque le dĂŠbat et la discussion, la mise en contexte des concepts et l’analyse, et partant, que nos approches et stratĂŠgies JVSSLJ[P]LZ NHNULU[ LU WYtJPZPVU L[ Ă„ULZZL ,UĂ„U UV\Z ]V\SVUZ MV\YUPY X\LSX\LZ V\[PSZ KL IHZL X\P UV\Z HPKLU[ n L_HTPULY UV[YL WYVWYL [YH]HPS Âś Vƒ X\L UV\Z UV\Z ZP[\PVUZ H\ZZP IPLU NtVNYHWOPX\LTLU[ X\ÂťLU [LYTLZ [OtTH[PX\LZ V\ Z[YH[tNPX\LZ Âś HĂ„U X\ÂťLUZLTISL Yt]PZHU[ UVZ Z[YH[tNPLZ HJ[\LSSLZ UV\Z JVT-

2.  Cf. les travaux de Maxine Molyneux et Kate Young sur les besoins pratiques et les intÊrêts stratÊgiques des femmes et sur la condition et la position des femmes dans les diffÊrentes sociÊtÊs. 3.  Cf. conceptualisations de DAWN, Naila Kabeer, Srilatha Batliwala et Diane Elson’s.

12


Clarifions nos concepts mencions une nouvelle ĂŠtape du militantisme fĂŠministe et redonnions vie Ă nos mouvements. Pour rendre la lecture plus aisĂŠe, nous avons ĂŠvitĂŠ des notes en bas de page et rĂŠfĂŠrences dans le texte, mais une IPISPVNYHWOPL Ă„N\YL LU HUUL_L WV\Y JLSSLZ L[ JL\_ X\P ]V\KYHPLU[ LU[YLY WS\Z LU WYVMVUKL\Y KHUZ SL Z\QL[

  Qu’est-ce qu’un mouvement ? 3LZ TV\]LTLU[Z ZVJPH\_ VU[ MHP[ SÂťVIQL[ KL UVTIYL\ZLZ KtĂ„UP[PVUZ ZH]HU[LZ " VU WL\[ JLWLUKHU[ KPYL simplement qu’un mouvement est un ensemble organisĂŠ de membres poursuivant un objectif politique commun de changement moyennant l’action collective. Les mouvements se distinguent donc par les caractĂŠristiques suivantes : 1.  Ils possèdent une base visible de membres ; 2.  Les membres les constituant sont regroupĂŠs en organisations formelles ou informelles ; 3.  Ils ont une continuitĂŠ dans le temps (un soulèvement spontanĂŠ ou une campagne n’est pas un mouvement en soi bien que pouvant en constituer le point de dĂŠpart) ; 4.  Ils sont engagĂŠs dans des actions et activitĂŠs collectives visant Ă atteindre les objectifs WVSP[PX\LZ X\ÂťPSZ ZL ZVU[ Ă„_tZ " 5.  Ils recourent Ă diverses actions et stratĂŠgies – confrontations, militantisme (incluant la voie ]PVSLU[L THUPMLZ[H[PVUZ WHJPĂ„X\LZ UVU JVVWtYH[PVU n SH .HUKOP [YH]HPS Z\Y SÂťVWPUPVU W\ISPJ actions de soutien, de dĂŠfense ; et 6.  0SZ KtĂ„UPZZLU[ KLZ cibles prĂŠcises tant internes qu’externes pour les changements qu’ils visent, telles que :   Leurs propres membres ou communautĂŠs (mouvements contre les coutumes et les pratiques sociales discriminatoires comme les mutilations gĂŠnitales fĂŠminines, la violence Ă l’encontre des femmes, le machisme, etc.) ;   La sociĂŠtĂŠ dans son ensemble (pour changer des comportements, des prĂŠjugĂŠs ou des perceptions de soi et de l’autre nĂŠgatifs comme l’est la discrimination basĂŠe sur la race, la caste, l’ethnie, la religion ou le sexe) ;   Des groupes sociaux particuliers (revendication pour les terres ou les salaires auprès des propriĂŠtaires ou employeurs) ;   L’État ou le rĂŠgime en place (lutte pour la dĂŠmocratie, les rĂŠformes juridiques ou le changement des politiques) ;   Des acteurs du secteur privĂŠ (contre les pratiques patronales, les dommages environnementaux ou l’appropriation des ressources naturelles imputables aux entreprises, etc.) ;   Les organismes internationaux (Banque mondiale, Nations unies, Fonds monĂŠtaire international ou Organisation mondiale du commerce) ; et   Une combinaison de tout ce qui prĂŠcède. (Ă„U KL YtWVUKYL n SH KL\_PuTL X\LZ[PVU Âś X\ÂťLZ[ JL X\Âť\U TV\]LTLU[ MtTPUPZ[L & Âś UV\Z KL]VUZ d’abord nous arrĂŞter sur le sens que revĂŞt le terme fĂŠminisme dans le monde d’aujourd’hui, Ă la lumière de l’historie rĂŠcente et de la rĂŠalitĂŠ contemporaine.

13


Clarifions nos concepts

Qu’est ce que féminisme aujourd’hui ?   3L MtTPUPZTL H\QV\YK»O\P YtWVUK n SH KV\ISL KtÄUP[PVU K»idéologie et de cadre d’analyse, connotation à la fois plus large et plus précise que dans les années 1960 et 70. Trois décennies de militantisme, de lutte et de recherche, sur fond de bouleversement géopolitique mondial, nous ont HWWVY[t KLZ tStTLU[Z KL YtÅL_PVU L[ \UL L_WtYPLUJL UV\Z WLYTL[[HU[ KL TLZ\YLY S»t[LUK\L KL UVZ acquis, mais aussi nos reculs et les enjeux futurs. ; ceci nous a permis également de reformuler notre philosophie et nos approches, pour nous doter d’une vision plus ample de nous-mêmes et du monde que nous voulons créer.   Nous ne luttons plus seulement pour l’égalité entre les sexes, mais pour la transformation de tout rapport de force social qui opprime, exploite ou marginalise une quelconque catégorie d’individus, femmes ou hommes, sur la base de leur sexe, de leur âge, de leur orientation sexuelle, de leurs aptitudes, de leur race, religion, nationalité, de leur appartenance territoriale, ethnique, de classe ou de caste. Nous ne réclamons pas la parité simpliste qui ne ferait que transférer aux femmes les privilèges et les pouvoirs néfastes dont les hommes ont joui si longtemps, et qui résulterait dans la perte de ces forces et capacités dites « féminines » dont les femmes ont été socialement investies. Nous voulons une transformation qui implique l’égalité entre les sexes dans un ordre social entièrement rénové – au sein duquel les hommes et les femmes peuvent individuellement et collectivement vivre comme des êtres humains, dans des sociétés construites sur l’égalité sociale et économique, en harmonie avec la nature, jouir des droits les plus t[LUK\Z n S»HIYP KL [V\[L ]PVSLUJL OVYZ KL [V\[ JVUÅP[ HYTt L[ SPIYLZ KL [V\[L TPSP[HYPZH[PVU   +HUZ SL JHKYL KL SH JYPZL TVUKPHSL HJ[\LSSL MHJL n SH ÅHTItL KLZ WYP_ KLZ HSPTLU[Z SH OH\ZZL croissante des coûts énergétiques et le cauchemar du changement climatique, le féminisme se dresse pour exiger des politiques économiques basées sur la sécurité alimentaire, l’utilisation d’énergies propres et renouvelables, la responsabilité écologique, afin de garantir la durabilité de notre planète et de toutes les ressources naturelles qu’elle recèle, et l’avenir de toutes les espèces qui la peuplent.   Attendu les atteintes à l’égalité entre les sexes et à l’équité en général résultant du néo-libéralisme et de la mondialisation, nous nous battons également pour une transformation économique visant davantage l’équité sociale et le développement humain, que la simple croissance économique.   Nous voulons des transformations politiques qui garantissent les doits à la pleine citoyenneté et à tous les droits humains, et des régimes démocratiques pluriels, séculiers, transparents et responsables, à l’écoute de tous les citoyens, femmes et hommes.   3»LZJHSHKL ILSSPJPZ[L SLZ N\LYYLZ JP]PSLZ SLZ KtWSHJLTLU[Z KL WVW\SH[PVU SPtZ H\_ JVUÅP[Z HYTtZ SH perte de liberté des hommes comme des femmes, l’utilisation croissante de la violence sexuelle envers les femmes comme arme politique, ont conduit les féministes à s’opposer à toute forme de violence et à se dresser contre les guerres et les conflits sources d’exil, de maltraitance, d’oppression et d’appauvrissement pour les hommes comme pour les femmes. Par conséquent, nous défendons la paix et la non-violence, L[ SH YtZVS\[PVU WHJPÄX\L KLZ différends moyennant des processus inclusifs et participatifs.   Nous prônons la dépendance responsable mutuelle plutôt que l’individualisme mais nous défendons le droit à la liberté de choix des individus dans le respect de leur vie privée. Nous nous opposons à l’invasion rampante du consumérisme, de cette société de consommation qui JOVZPÄL OVTTLZ L[ MLTTLZ L[ PUJP[L H\ NHZWPSSHNL KLZ YLZZV\YJLZ UH[\YLSSLZ KL SH WSHUu[L L[ n SH dévastation de l’environnement.   Le féminisme veut le pouvoir « de », pas le pouvoir « sur » – nous luttons pour changer la pratique du pouvoir aussi bien au sein de nos propres structures et mouvements qu’au cœur KLZ PUZ[P[\[PVUZ ZVJPHSLZ tJVUVTPX\LZ L[ WVSP[PX\LZ V UV\Z PU[LY]LUVUZ 0S L_PZ[L KVUJ \UL ­ t[OP-

14


Clarifions nos concepts que féministe » qui, bien que connaissant des variantes à travers le monde, contient des principes essentiels communs : les structures de prise de décisions et de pouvoir doivent être moins verticaSLZ WS\Z OVYPaVU[HSLZ WHY[PJPWH[P]LZ L[ KtTVJYH[PX\LZ " SLZ HZWLJ[Z ÄUHUJPLYZ L[ SPtZ H\_ WYVJLZZ\Z intérieurs et extérieurs doivent être transparents et ouverts, garantissant la participation de tous les acteurs clés, internes comme externes ; le sens de la solidarité / sororité / inclusion doit être développé, créant un fort sentiment de responsabilité chez nos membres et face aux mouvements plus SHYNLZ H\_X\LSZ UV\Z ZVTTLZ YH[[HJOtZ " KLZ WVSP[PX\LZ L[ KLZ WYH[PX\LZ PU[tYPL\YLZ ÅL_PISLZ L[ sensibles à la dimension de genre doivent être mises en œuvre, basées sur la reconnaissance et le respect des différentes capacités, et moyennant le plus souvent des stratégies d’actions excluant la violence. Ces préceptes sont suivis dans la plupart des mouvements et organisations féministes HÄU KL JYtLY KLZ JVUKP[PVUZ KL [YH]HPS HK OVJ   En conséquence, nous promouvons le renouvellement au sein de nos organisations et mouvements, en poussant à la responsabilisation et l’autonomisation des nouvelles générations de participantes et de dirigeantes, en donnant les espaces et les rôles respectifs qui leur sont dus à la jeunesse, à l’expérience et à la sagesse.   ,UÄU nous nous opposons à toute idéologie et à toute forme de fondamentalisme dont les prémisses vont à l’encontre de l’égalité entre les sexes, des droits des femmes ou des droits humains en général, que ce soit sur des bases économiques, sociales, raciales, ethniques religieuses, politiques ou d’identité sexuelle.

Qu’est-ce qu’un mouvement féministe ? Dans le contexte mondial actuel, les mouvements féministes doivent donc présenter les caractéristiques décrites plus haut concernant les mouvements, plus d’autres, répondant à leur orientation féministe, selon les critères également mentionnés ci-dessous :   Leur programme est élaboré à partir d’une analyse en termes de genre du problème ou de la situation qu’ils affrontent ou qu’ils veulent faire changer ;   Leur base, membres et cadres sont des femmes – les femmes sont les sujets et non les objets du mouvement ;   Ils professent leur adhésion aux valeurs et à l’idéologie féministes (égalité entre les sexes, tNHSP[t ZVJPHSL L[ tJVUVTPX\L YLZWLJ[ KL [V\Z SLZ KYVP[Z O\THPUZ [VStYHUJL PUJS\ZPVU WHJPÄZTL non-violence, espaces et rôles pour toutes et tous, etc.), même s’ils ne dénomment pas « féminis[LZ ® V\ HWWSPX\LU[ JLZ WYPUJPWLZ K»\UL THUPuYL J\S[\YLSSLTLU[ ZWtJPÄX\L "   Les femmes occupent les instances dirigeantes des mouvements, à tous leurs niveaux – ils n’instrumentalisent pas les femmes (pour « faire nombre » dans la bataille mais sans réel pouvoir de décision ou d’orientation des stratégies du mouvement) ;   Leurs objectifs politiques intègrent la dimension de genre (ils cherchent non seulement à faire changer les choses mais à les faire changer dans un sens qui privilégie les intérêts des femmes ; ils poursuivent la transformation à la fois des relations de pouvoir social et entre les sexes) ;   Ils utilisent des stratégies et des méthodes tenant compte de la sexospécificité – stratégies visant à créer la mobilisation des femmes / à développer leurs capacités de négociation et qui impliquent les femmes à tous les stades du processus ; et   Ils promeuvent la création d’organisations de femmes – pyramides hiérarchiques plus larges que hautes, systèmes de direction plus collectifs – et accueillent avec enthousiasme le changement au sein de leurs propres structures et mouvements. Il va sans dire que tous les mouvements féministes existants – ou tous les mouvements se réclamant K\ MtTPUPZTL ¶ U»HMÄJOLU[ WHZ UtJLZZHPYLTLU[ [V\[LZ JLZ X\HSP[tZ *L X\L UV\Z KtJYP]VUZ PJP LZ[ \U

15


Clarifions nos concepts cadre de type idĂŠal – aussi idĂŠal que nous sommes actuellement en mesure de le concevoir – vers lequel les mouvements fĂŠministes devraient tendre. La tâche n’est pas si aisĂŠe ; on sait que de nombreux mouvements ĂŠtablis dont le programme est connu pour ĂŞtre progressiste, reproduisent souvent ÂŤÂ chez eux  les mĂŞmes structures politiques et de pouvoir hiĂŠrarchique qu’ils dĂŠnoncent et veulent renverser par ailleurs – structures de privilège, pouvoir de prise de dĂŠcisions et d’Êtablissement des orientations et exclusion. HĂŠlas, de nombreux mouvements et organisations fĂŠministes sont tombĂŠs dans le mĂŞme travers. Il ĂŠtait donc impĂŠrieux de crĂŠer un cadre qui nous permette de combattre ces dynamiques nĂŠgatives Ă l’œuvre au sein de nos propres structures.

  Pourquoi les mouvements sont-ils importants ? Il est possible de nous rĂŠtorquer qu’ils ne le sont pas : que l’autonomisation des femmes peut se faire sans besoin de construire des mouvements, seulement grâce Ă un travail avec la base et sur le terrain politique. D’autres diront que les macro changements – tels que la Convention sur l’Êlimination de toutes les formes de discrimination Ă l’Êgard des femmes (CEDAW) ou la garantie par le Programme d’action du Caire des droits sexuels et gĂŠnĂŠsiques - ont ĂŠtĂŠ obtenus par le biais de la recherche, de la documentation, de l’activisme et des efforts d’individus et d’organisations, sans aucune des caractĂŠristiques du mouvement tel que dĂŠpeint plus haut. Si l’on considère les principaux changements en faveur des femmes et de l’ÊgalitĂŠ entre les sexes survenus dans les dernières dĂŠcennies, il est ĂŠvident qu’aucun progrès toutefois n’aurait pu ĂŞtre accompli sans la construction d’un certain pouvoir collectif, qu’il rassemble des individus, des organisations ou les deux Ă la fois. Plusieurs des structures politiques et normatives des Nations unies – telles que CEDAW, La Plateforme d’action de Beijing, la reconnaissance des droits des femmes en tant que droits humains, ou les changements de politiques Ă l’Êchelon national reconnaissant et garantissant aux femmes les mĂŞmes droits que les hommes pour accĂŠder Ă l’Êducation, aux soins de santĂŠ, au travail, au crĂŠdit, etc. - furent le rĂŠsultat du travail organisĂŠ de groupes de pression conformĂŠs d’organisations de femmes, de militantes fĂŠministes, et de dĂŠfenseurs des droits des femmes, et de leur action collective, sans que la communautĂŠ concernĂŠe ait ĂŠtĂŠ nĂŠcessairement directement mobilisĂŠe ou engagĂŠe dans une action en faveur de ces changements. Pourtant, les mouvements sont importants, et ce en raison de leur capacitĂŠ de crĂŠer des changements durables Ă des niveaux que le seul changement de politiques ne peut atteindre. 3L [OuTL K\ -VY\T KÂť(>0+ LU n )HUNRVR t[HP[ ­ *VTTLU[ SL JOHUNLTLU[ ZL WYVK\P[ PS & Ž Âą WHY[PY de l’immense travail empirique et thĂŠorique rĂŠalisĂŠ au cours des deux dernières dĂŠcennies, plusieurs approches ont ĂŠtĂŠ proposĂŠes dĂŠcrivant quels types de changements sont nĂŠcessaires pour faire de l’ÊgalitĂŠ entre les sexes une rĂŠalitĂŠ pĂŠrenne. L’une des approches4 situe la transformation sociale Ă l’origine KL SÂťtNHSP[t ZVJPHSL L[ LU[YL SLZ ZL_LZ " WHY]LUPY n SÂťtX\P[t PTWSPX\L SH YLTPZL LU JH\ZL L[ SH TVKPĂ„JH[PVU d’au moins trois ĂŠlĂŠments cruciaux des structures de pouvoir en place :   SLZ PKtVSVNPLZ X\P Q\Z[PĂ„LU[ L[ LU[YL[PLUULU[ SÂťPUtNHSP[t SLZ JYV`HUJLZ SLZ JVTWVY[LTLU[Z SLZ WYHtiques conçues pour cimenter les hiĂŠrarchies sociales) ;   SL TVKL KL KPZ[YPI\[PVU L[ KL JVU[Y SL KLZ YLZZV\YJLZ Âś TH[tYPLSSLZ Ă„UHUJPuYLZ O\THPULZ L[ PUtellectuelles ; et 3.  les institutions et les systèmes qui reproduisent des relations de pouvoir inĂŠgales (la famille, la communautĂŠ, l’État, le marchĂŠ, le système ĂŠducatif, de santĂŠ, judiciaire, etc.)

4.  Srilatha Batliwala, “Women’s Empowerment in South Asia – Concepts and Practices� [L’autonomisation des femmes en Asie du Sud – concepts et pratiques], FAO/ASPBAE, 1992 5.  Aruna Rao et David Kelleher, “Unravelling Institutionalized Gender Inequality�, Gender at Work, 2002, disponible sur le site www.genderatwork.org/resources.php

16


Clarifions nos concepts Une autre approche5 voit la possibilitĂŠ de changer la donne du pouvoir en intervenant sur : 1.  qui possède quoi – la distribution et le contrĂ´le des ressources ; 2.  qui fait quoi – la division du travail ; 3.  qui dĂŠcide quoi – pouvoir de prise de dĂŠcisions ; et   X\P Ă„_L SL WYVNYHTTL Âś SL WV\]VPY KL Kt[LYTPULY X\LSZ WYVISuTLZ L[ X\LSSLZ WYPVYP[tZ ZVU[ n [YHP[LY Les donnĂŠes provenant du monde entier mettent en ĂŠvidence le fait que les mouvements peuvent provoX\LY KLZ JOHUNLTLU[Z KHUZ JLY[HPULZ KL JLZ KPTLUZPVUZ IPLU WS\Z LMĂ„JHJLTLU[ WYVMVUKtTLU[ L[ K\YHISLTLU[ X\L SLZ H\[YLZ TVKHSP[tZ KÂťPU[LY]LU[PVU 3H Ă„N\YL JP KLZZV\Z WLYTL[ KL ]PZ\HSPZLY SLZ KPMMtYLU[Z KVTHPULZ Vƒ KLZ JOHUNLTLU[Z KVP]LU[ VWtYLY HĂ„U KÂťVI[LUPY \U JOHUNLTLU[ K\YHISL KHUZ la position et la condition des femmes, en fonction de leur besoins pratiques et de leurs intĂŠrĂŞts stratĂŠgiques.6 Figure 1 : La dynamique du changement Niveau Individuel Croyances, comportements, valeurs Informel

Accès aux et contrôle sur les ressources

Communautaire Normes culturelles et pratiques

Formel

Lois, politiques, distribution des ressources

SystĂŠmiqueme Le schĂŠma situe les diffĂŠrents domaines du changement sur deux axes formant intersection. Sur l’axe ÂŤÂ y  de haut en bas se trouvent les niveaux correspondant Ă l’individu, Ă la communautĂŠ et aux systèmes plus ĂŠtendus ; l’axe ÂŤÂ x  reprĂŠsente le glissement du niveau informel au niveau formel des contraintes sociales, culturelles, ĂŠconomiques et politiques. Ces deux axes dĂŠlimitent quatre aires ou domaines de JOHUNLTLU[ Vƒ \U [YH]HPS KVP[ v[YL LU[YLWYPZ WV\Y WHY]LUPY n [YHUZMVYTLY KL THUPuYL K\YHISL SLZ YLSH[PVUZ de pouvoir sociales et entre les sexes. Dans la partie droite du diagramme sont reprĂŠsentĂŠs les mĂŠcanismes formels qui interviennent sur le statut individuel et collectif des personnes : propriĂŠtĂŠ individuelle des ressources (terre, logement, emploi, niveau d’Êduction, accès aux soins de santĂŠ, etc.), et au niveau systĂŠmique, les lois, les poli[PX\LZ L[ SÂťHWWHYLPS KL KPZ[YPI\[PVU KLZ YLZZV\YJLZ X\P Kt[LYTPULU[ SÂťPUĂ…\LUJL SH ZP[\H[PVU tJVUVTPX\L et le statut social des diffĂŠrents groupes de la population (ĂŠgalitĂŠ garantie par la loi et la Constitution, politiques d’action positive, ou budgets spĂŠciaux pour des programmes de dĂŠveloppement social ou ĂŠconomique en faveur des femmes ; lois pĂŠnalisant les relations entre personnes du mĂŞme sexe ou le travail sexuel). Ceux ci sont les domaines qui peuvent ĂŞtre attaquĂŠes et transformĂŠs moyennant des recherches, des actions de dĂŠfense, de pression, d’information, des campagnes et autres interventions, sans nĂŠcessitĂŠ impĂŠrieuse de mouvement ĂŠtabli des groupes marginalisĂŠs ou discriminĂŠs. La campagne

  +ÂťHWYuZ (Y\UH 9HV L[ +H]PK 2LSSLOLY ¸0Z [OLYL SPML HM[LY NLUKLY THPUZ[YLHTPUN&š .LUKLY HUK +L]LSVWTLU[ Vol.13, No.2, Juillet 2005, p..57 – 69, p..60, disponible sur le site www.genderatwork.org/resources.php

17


Clarifions nos concepts pour l’inclusion dans les systèmes de comptabilité publique du travail non rémunéré des femmes ; les revendications pour l’instauration de budgets spéciaux ou de quotas pour les femmes dans l’éducation, S»LTWSVP SH MVYTH[PVU L[ SLZ PUZ[HUJLZ WVSP[PX\LZ SLZ WYLZZPVUZ WV\Y MHPYL TVKPÄLY SLZ SVPZ KPZJYPTPUH[VPYLZ sont autant d’exemples d’interventions qui ont apporté des changements dans les domaines formels aux niveaux individuel, communautaire et systémique. La partie de gauche du diagramme représente les domaines culturels et sociaux informels, qui sont intériorisés par les individus et qui opèrent au sein des communautés ou collectivités; ce sont eux qui déterminent le plus souvent, pour les femmes, le niveau d’accès aux opportunités, aux droits et à leur titularité, obtenus moyennant les changements dans le domaine formel. Dans cette dimension informelle gravitent les traditions, les croyances, les valeurs, les attitudes, les normes et les pratiques profondément LUYHJPUtLZ KHUZ SH J\S[\YL L[ X\P µ\]YLU[ H\_ UP]LH\_ Z`Z[tTPX\L JVTT\UH\[HPYL L[ PUKP]PK\LS 4VKPÄLY SLZ [YHP[Z J\S[\YLSZ LZ[ IPLU WS\Z KPMÄJPSL L[ WS\Z SLU[ X\L MHPYL JOHUNLY SLZ SVPZ L[ SLZ WVSP[PX\LZ VMÄJPLSSLZ L[ un changement de loi ou de politique n’implique pas automatiquement un changement dans la culture. 3H J\S[\YL KL SH KPZJYPTPUH[PVU KL SH THYNPUHSPZH[PVU L[ KL S»L_JS\ZPVU LZ[ KVUJ SL KVTHPUL SL WS\Z KPMÄJPSL à entamer et il est souvent impénétrable aux changements formels. Figure 2 – Les obstacles à l’accession des femmes à leurs droits et acquis

1.  Perception / reconnaissance des droits / besoins

2.  Autorisation de faire valoir leurs droits ou d’y accéder – de la part de la famille / du conjoint

3.  Tabous culturels

4.  Ressources nécessaires pour y accéder

5.  Disponibilité / adéquation es services

3H ÄN\YL WYtJtKLU[L PSS\Z[YL SLZ UVTIYL\_ VIZ[HJSLZ X\L SLZ MLTTLZ KVP]LU[ Z\YTVU[LY H]HU[ KL WV\voir accéder à leurs droits, la plupart de ces obstacles se situant dans la sphère informelle des normes culturelles et sociales. Prenons comme exemple celui du viol – alors que les lois du pays peuvent avoir t[t YtMVYTtLZ HÄU KL WLYTL[[YL H\_ MLTTLZ KL YLJV\YPY n SH Q\Z[PJL SLZ IHYYPuYLZ J\S[\YLSSLZ X\P ZL KYLZsent entre elles et le prétoire sont souvent infranchissables. D’abord, c’est le système de croyance de la victime qui doit être transformé avant qu’elle reconnaisse qu’il y a eu crime perpétré avec violence, et non quelque chose dont elle doit avoir honte et qu’elle doit cacher par peur d’être montrée du doigts ou rejetée par sa famille ou sa communauté. Ensuite, elle a besoin que sa famille l’encourage - au lieu de la dissuader – à aller à la police et à porter plainte, rendant ainsi l’affaire publique. Le comportement de la police est également à revoir pour que la victime ne soit pas sujette à des harcèlements et des humiliations supplémentaires de la part des policiers, et pour éviter qu’ils ne prennent le parti du violeur, si celui ci appartient au groupe des notables par exemple, allant jusqu’à refuser d’enregistrer la déclaration ou la plainte. La victime et sa famille ont besoin du soutien de la communauté étendue dont les tabous concernant la publicité de ce genre d’affaires doivent tomber. Elle doit en outre avoir les ressources, les moyens nécessaires – en termes de temps, d’argent, etc. – pour recourir aux services d’un avocat ou pour obtenir une assistance juridique.

18


Clarifions nos concepts Finalement, le système judiciaire doit non seulement être accessible, mais également être capable d’accueillir la victime de manière appropriée – audiences en huis clos, juges formés à ces matières. Cet exemple montre clairement que l’existence de lois et de droits formels ne garantit nullement que les femmes puissent les faire valoir et y accéder pour obtenir justice. Nous pourrions citer d’innombrables exemples dans divers domaines – lesbiennes voulant faire valoir leurs droits en tant que couple, travailleuses sexuelles luttant pour leur accès aux systèmes de santé, femmes mariées demandeuses de JVU[YHJLW[PVU V\ WL[P[LZ ÄSSLZ ]V\SHU[ SLZ TvTL JOHUJLZ X\L SL\YZ MYuYL LU TH[PuYL K»tK\JH[PVU Et c’est là qu’intervient le pouvoir des mouvements, en particulier des mouvements liés à la base. Alors que les campagnes menées par des féministes et des organisations de femmes, visant à imposer l’égalité par la loi, ont été couronnées de succès, pour des millions de femmes, surtout dans le Sud, la SVP LZ[ [YVW SVPU[HPUL [YVW JOuYL WV\Y X\»LSSLZ W\PZZLU[ ` YLJV\YPY L[ [YVW KPMÄJPSL n MHPYL HWWSPX\LY WV\Y qu’elle puissent y accéder. Dans de nombreux endroits, l’administration de la justice n’est pas l’apanage KLZ [YPI\UH\_ VMÄJPLSZ " LSSL LZ[ LU[YL SLZ THPUZ KL JHZ[LZ KL JSHUZ [YHKP[PVUULSZ V\ YtWVUK H KLZ Ttcanismes communautaires, basée sur des lois et des pratiques coutumières selon lesquelles l’égalité LU[YL SLZ ZL_LZ LZ[ JVUZPKtYtL JVU[YHPYL n SH JV\[\TL L[ n SH J\S[\YL V SL WH[YPHYJH[ L[ H\[YLZ Z`Z[uTLZ de croyances hiérarchiques sont profondément ancrés. Certes, le travail des féministes en faveur des femmes a été fructueux concernant les politiques, les lois, la distribution des ressources, mais tant que les femmes elles-mêmes, leurs famille et leurs communautés, ne briseront pas les tabous et ne se libèreront pas du poids de la tradition, ces victoires n’auront que peu de sens. Des mouvements constitués à partir de la base, utilisant entre autres des stratégies de conscientisation et d’l’éveil politique visant à débouter le pouvoir et l’exercice du patriarcat, sont plus à même d’ébranler et de renverser les barrières MHPZHU[ VIZ[HJSL n S»tNHSP[t LU[YL SLZ ZL_LZ L[ n S»H\[VUVTPZH[PVU KLZ MLTTLZ TvTL Sn V LSSLZ ZVU[ SLZ plus solides. L’autre raison pour laquelle les mouvements sont importants est que leur résonance est généralement WS\Z NYHUKL X\L JLSSL n SHX\LSSL WL\]LU[ WYt[LUKYL SLZ VYNHUPZH[PVUZ PZVStLZ H\ZZP YHKPJHSLZ LMÄJHJLZ L[ triomphantes soient-elles. Nous sommes tous et toutes témoins de la manière dont des organisations engagées sur le terrain du féminisme ont remporté des victoires sur certaines formes d’oppression et d’exploitation des femmes et suscité des changements notables dans les comportements et pratiques culturelles au niveau local. Mais pour que ces transformations se produisent à une échelle supérieure, la renforcement de mouvements féministes devient indispensable.

Renforcer des mouvements féministes et la renforcement du mouvement féministe La renforcement d’un mouvement est un processus impliquant la mobilisation d’une communauté de WLYZVUULZ X\P PTWSPJP[LTLU[ ZLYVU[ ItUtÄJPHPYLZ K»\U JOHUNLTLU[ ZVJPHS tJVUVTPX\L V\ WVSP[PX\L WHYticulier ; l’organisation de cette masse d’un mode ou d’un autre ; l’élaboration d’un programme politique (ou programme de changement) ; et la préparation des membres à choisir les cibles, stratégies et actions adéquates pour réaliser le changement qu’ils recherchent. Dans ce contexte, il est important de faire la distinction entre deux idées, à savoir : renforcer des mouvements féministes et la renforcement du mouvement féministe. Renforcer des mouvements féministes est un processus qui mobilise des femmes (et leurs alliés V\ Z\WWVY[LYZ KHUZ KLZ S\[[LZ KVU[ SLZ PZZ\LZ ZVU[ ZWtJPÄX\LTLU[ SPtLZ n S»tNHSP[t LU[YL SLZ ZL_LZ L[ aux droits des femmes – par exemple lutte pour l’éradication de certaines pratiques comme l’excision, bride-burning (l’immolation par le feu des brus pour la dot), le fœticide féminin, ou autres violences à S»tNHYK KLZ MLTTLZ V\ WV\Y WYVTV\]VPY S»tNHSP[t KHUZ S»HJJuZ n SH JP[V`LUUL[t n SH [LYYL V n S»OtYP[HNL à l’éducation, à l’emploi, à la santé ou aux droits sexuels et génésiques. Dans ce sens, les lutes pour changer les coutumes relatives à l’héritage au Kenya et en Tanzanie, les mouvements contre les mutila-

19


Clarifions nos concepts tions génitales féminines dans plusieurs pays africains, contre la révocation des droits acquis en matière d’égalité entre les sexes dans des pays du Moyen-Orient, le mouvement des travailleuses sexuelles dans SH YtNPVU (ZPL 7HJPÄX\L LU ,\YVWL L[ KHUZ SLZ (TtYPX\LZ SL TV\]LTLU[ KLZ MLTTLZ HMYV IYtZPSPLUnes au Brésil, le mouvement pour les droits génésiques en Amérique latine, les mouvements anti-dot et contre la détermination du sexe des fœtus en Inde, la lutte contre les crimes d’honneur au Pakistan, contre la traite des femmes aux Philippines et en Indonésie ou pour les droits des femmes migrantes en Chine – sont autant d’exemples illustrant ce qu’est renforcer des mouvements féministes. La renforcement du mouvement féministe WV\Y ZH WHY[ WV\YYHP[ v[YL KtÄUPL JVTTL \UL [LU[Htive de faire pénétrer les analyses féministes et les perspectives d’égalité entre les sexes dans d’autres mouvements – exemples classiques en sont les efforts déployés par de nombreuses féministes pour « génériser », faire prendre en compte la dimension de genre dans les analyses, les objectifs et les stratégies des mouvements de défense de l’environnement, des droits de l’Homme, pour la paix, ainsi que des mouvements de travailleurs et de paysans, dans le monde entier. Code Pink [Code rose], créé pour NtUtYPZLY SL TV\]LTLU[ WHJPÄZ[L Ut H\_ i[H[Z <UPZ LU WYV[LZ[H[PVU JVU[YL S»PU]HZPVU KL S»0YHR L[ SH N\LYYL en Afghanistan est un bon exemple de construction du mouvement féministe. Greenbelt Kenya [Ceinture verte Kenya] – dirigé par la lauréate du Prix Nobel de la paix, Wangari Maathai, est un mouvement environnementaliste à forte tendance féministe qui mobilise les femmes et les hommes pauvres autour du thème plus large de la protection et de la préservation des ressources naturelles de leurs territoires. Shack dwellers International [habitants des bidonvilles] et ses branches nationales mènent la lutte pour le droit au logement décent mais en y incorporant de solides analyses féministes et avec une direction fortement féminine. Les Sandinistes féministes ont joué un rôle important pour mettre les thèmes de l’égalité entre les sexes au cœur de leur lutte politique au Nicaragua. Les femmes autochtones d’Amérique du Sud et centrale œuvrent pour la reconnaissance de leurs droits et font valoir leurs revendications dans le cadre des luttes plus étendues menées par les peuples autochtones. Les Féministes sud-africaines ont joué un rôle similaire dans le mouvement anti-apartheid et aujourd’hui, dans les mouvements qui se consacrent à la lutte contre le VIH-SIDA. Tous ces cas sont exemplaires de la manière dont les Féministes changent L[ PUÅ\LUJLU[ SH JVUZ[Y\J[PVU KL TV\]LTLU[Z TV`LUUHU[ S»PTW\SZPVU KL UV\]LSSLZ VYPLU[H[PVUZ ]LPSSHU[ n ce que les thèmes relatifs à l’égalité entre les sexes ne soient pas écartés ni négligés.

L’état des mouvements féministes Plusieurs facteurs, agissant de manière complexe et conjointe, ont fait que, dans les dix ou quinze dernières années, les mouvements féministes se soient affaiblis et fragmentés.   La récupération et/ou distorsion de l’idéologie, des discours et des programmes féministes par les institutions et d’autres forces sociales – telles que gouvernements, organismes multilatéraux, projets fondamentalistes, donateurs, monde des affaires et des médias. Le terme de « empowerment », par exemple, utilisé par les Féministes pour décrire l’ensemble des efforts visant à renverser les rapports sociaux de pouvoir en faveur de l’autonomisation des femmes, particulièrement des femmes pauvres, a été dévoyé et pratiquement vidé de son sens et de son contenu politique. Non seulement est-il associé aujourd’hui à des actions ponctuelles et unidimensionnelles comme le microcrédit, mais il a été repris par les gourous du management dans le domaine des ressources humaines comme un outil de motivation individuelle. Par ailleurs, les médias ont joué un rôle nettement négatif, en diabolisant les féministes d’une part, et de l’autre – et simultanément – en s’appropriant leur langage pour « faire moderne ». Les intérêts privés ont également phagoJ`[t L[ KtMVYTt SL JVUJLW[ MtTPUPZ[L K»tNHSP[t n KLZ ÄUZ JVTTLYJPHSLZ L[ KV\[L\ZLZ TL[[HU[ LU avant des images de femmes « libérées », pour vendre des produits ou des modes de vie sans aucun rapport avec le féminisme.   La résurgence des fondamentalismes de tous ordres – économique, religieux, ethnique, et H\[YLZ ¶ LZ[ JLY[HPULTLU[ SH WS\Z NYHUKL TLUHJL X\P WuZL Z\Y SL WYVQL[ MtTPUPZ[L L[ H ZPNUPÄt SL YLJ\S

20


Clarifions nos concepts de ses positions. Le fondamentalisme ĂŠconomique a imposĂŠ au monde un ordre ĂŠconomique siNUPĂ„HU[ SH WLY[L KL ZV\]LYHPUL[t KLZ i[H[Z UH[PVUZ ZV\Z SH WYLZZPVU KLZ WYVNYHTTLZ KÂťHQ\Z[LTLU[ structurels et la tyrannie du marchĂŠ. Le phĂŠnomène a des consĂŠquences graves pour les femmes et les relations entre les sexes, que nous n’Êtions pas bien prĂŠparĂŠes Ă affronter ; demande accrue de main d’œuvre fĂŠminine dans certains secteurs (ÂŤÂ fĂŠminisation  du travail), formation de poches KL NYHUKL WH\]YL[t Vƒ SLZ MLTTLZ KVP]LU[ HZZ\TLY SH Z\Y]PL KL SL\Y MHTPSSL ZHUZ SLZ TVPUKYLZ ZV\tiens ni ressources pour ce faire. Les fondamentalismes religieux et ethniques Ă travers le monde sont Ă l’origine de situations ĂŠgalement très complexes. D’un cĂ´tĂŠ, ils s’attaquent fĂŠrocement aux WYVQL[Z L[ HJX\PZ MtTPUPZ[LZ KHUZ SLZ YtNPVUZ Vƒ K\ [LYYHPU H]HP[ t[t ]PZPISLTLU[ NHNUt LU [LYTLZ de lois, politiques et normes en faveur des femmes – droit d’hĂŠritage, ĂŠgalitĂŠ des salaires, protection du travail, droits sexuels et gĂŠnĂŠsiques -, et de conscientisation de l’opinion publique sur la violence et la discrimination basĂŠe sur le sexe. Dans ces pays, le plan des Fondamentalistes est de discrĂŠditer les FĂŠministes : ennemies des hommes, tueuses d’enfants, briseuses de mĂŠnages et KL MHTPSSLZ L[ [LYYPISLTLU[ SPIPKPUL\ZLZ +Âť\U H\[YL PSZ KtĂ„N\YLU[ SLZ YL]LUKPJH[PVUZ MtTPUPZ[LZ Âś [LSZ que la demande d’ÊgalitĂŠ reconnue par loi ou d’un rĂ´le accru pour les femmes dans la sociĂŠtĂŠ civile et la vie politique – pour rĂŠpandre la terreur et la haine, dĂŠnigrer ou diaboliser d’autres comT\UH\[tZ V\ THUPW\SLY SLZ MLTTLZ WV\Y SLZ MHPYL ZÂťLUNHNLY KHUZ SLZ JVUĂ…P[Z L[OUPX\LZ TL\Y[YPLYZ D’autres groupes pratiquent l’attaque frontale pour tenter de faire abroger tous les acquis sociaux et politiques obtenus par les femmes dans les dernières dĂŠcennies et restaurer des rĂŠgimes mĂŠdiĂŠvaux et le règne du patriarcat. Dans la plupart des cas, les FĂŠministes et les groupes de femmes ont ĂŠtĂŠ prises au dĂŠpourvu par ces attaques violentes et multidirectionnelles, crĂŠant des situations graves et complexes. Les rĂŠactions ont ĂŠtĂŠ soit de battre en retraite, soit de rĂŠpondre mais au coup par coup ou encore d’entrer dans une sorte de clandestinitĂŠ, toutes conduisant Ă l’inĂŠluctable affaiblissement et fragmentation de nos mouvements.   On assiste, de la part des principaux donateurs, Ă la rĂŠduction progressive mais rapide des financements destinĂŠs aux actions de renforcement de mouvements en faveur de projets et d’interventions dont les rĂŠsultats sont supposĂŠs ĂŞtre plus ÂŤÂ visibles  et ÂŤÂ mesurables . Ce qui n’avait ĂŠtĂŠ qu’une forte prĂŠsomption pour beaucoup d’entre nous est devenu un fait certain, corYVIVYt H]LJ L_HJ[P[\KL KHUZ SÂťt[\KL KÂť(>0+ ­ 6ƒ ZL [YV\]L SÂťHYNLU[ WV\Y SLZ KYVP[Z KLZ MLTTLZ Ž L[ *L[[L IHPZZL KLZ Ă„UHUJLTLU[ LZ[ SH ZtX\LSSL KL JV\YHU[Z ZV\[LYYHPUZ WYVMVUKZ X\P traversent la politique de plusieurs pays dĂŠveloppĂŠs : un rejet de l’idĂŠologie, de la politique et du pouvoir fĂŠministes ; une vague montante de conservatisme politique et social ; les concessions de plus en plus grandes faites Ă l’Êlite sexiste et conservatrice ; et surtout, la suspicion croissante JVU[YL [V\[ JL X\P KÂť\UL THUPuYL V\ KÂť\UL H\[YL UL YHWWVY[L WHZ SLZ ItUtĂ„JLZ LZJVTW[tZ H\_ pays investisseurs – ouvrir les marchĂŠs Ă leurs exportations, augmenter le pouvoir d’achat, crĂŠer une main d’œuvre mieux formĂŠe mais bon marchĂŠ pour la production Ă l’Êtranger, abaisser les barrières commerciales et diminuer les contrĂ´les sur les investissements, etc. Clairement, l’approche de construction de mouvements est le suspect numĂŠro un ; elle est jugĂŠe trop politique, et partant, MHP[ Ă„N\YL KL TLUHJL WV\Y SLZ PU[tYv[Z KLZ WH`Z Kt]LSVWWtZ V\ JL\_ KL SL\YZ HSSPtZ K\ :\K   Le syndrome de la baguette magique est le rĂŠsultat de cette tendance politique, et l’un des phĂŠnomènes ayant eu des rĂŠpercussions très nĂŠfastes sur la renforcement de mouvements fĂŠministes. Il est Ă l’origine d’une des plus grandes ironies de notre temps : alors qu’il y a apparemment dans le monde un engagement accru pour l’Êradication de la pauvretĂŠ et l’instauration de la justice sociale – comme on peut en juger par le grand bruit fait autour des Objectifs de dĂŠveloppement du MillĂŠnaire et les nouvelles modalitĂŠs de l’aide – la dĂŠception est grande de constater que, pas plus que Moulinex ne ÂŤÂ libère la femme  avec son robot Marie, il n’y a pas de baguette magique ni de tours de passe-passe qui puissent remplacer un processus indispensable de transformation Ă long terme, parfois douloureux mais fondamental. Les militantes fĂŠministes ont toujours compris qu’un changement positif et durable de la condition de la femme ne peut ĂŞtre que le rĂŠsultat d’un processus qui ĂŠbranle les assises du pouvoir et des privilèges et transforme vĂŠritablement nos sociĂŠtĂŠ en faveur des femmes et de toutes les personnes marginalisĂŠes et exclues. Mais aujourd’hui, il est

21


Clarifions nos concepts peu probable que nos organisations reçoivent des fonds pour rĂŠaliser un tel travail, en revanche, SÂťHYNLU[ JV\SLYH n Ă…V[Z ZP UV\Z WYVWVZVUZ KL TL[[YL LU Âľ\]YL JLY[HPULZ KLZ HJ[PVUZ TPYHJSLZ X\P ZL veulent aujourd’hui les voies rapides Ă l’autonomisation des femmes et Ă l’ÊgalitĂŠ entre les sexes, n ZH]VPY PU[tNYH[PVU KL SH KPTLUZPVU KL NLUYL WYVQL[Z KL TPJYV Ă„UHUJL VYPLU[tZ ]LYZ SLZ MLTTLZ et mise en place de quotas de femmes en politique. Certes, ces actions ont leurs racines dans le fĂŠminisme et son combat, mais elles ont ĂŠtĂŠ dĂŠpouillĂŠes de la dimension stratĂŠgique de transformation qu’elles contenaient Ă l’origine pour les rĂŠduire Ă de simples formules, rituels et mantras.   La ÂŤÂ ONG-isation  des mouvements fĂŠministes est un autre des facteurs qui a contribuĂŠ Ă affaiblir notre capacitĂŠ de renforcer de mouvements. Le besoin de moyens et de sĂŠcuritĂŠ a conduit les militantes et dirigeantes fĂŠministes Ă crĂŠer des Organisation non gouvernementales – ONG. Les cadres lĂŠgaux et règlementaires nationaux imposent un certain nombre de normes structurelles aux ONG et les exigences et prioritĂŠs des donateurs, en imposent d’autres. Ces organisations, souvent issues des mouvements ou conçues pour soutenir le travail de renforcement des mouvements, sont progressivement acculĂŠes Ă mettre en place des projets et des services parfois en Ă…HNYHU[L JVU[YHKPJ[PVU H]LJ SL\YZ VYPLU[H[PVUZ SL\Y PKtVSVNPL L[ SL\Y L_WtYPLUJL +L UVTIYL\ZLZ chercheuses fĂŠministes pensent que ce système a progressivement retirĂŠ le pouvoir Ă la base que SLZ TV\]LTLU[Z H]HPLU[ VYNHUPZtL H\ WYVĂ„[ KÂťVYNHUPZH[PVUZ L[ KL Z[Y\J[\YLZ KPYLJ[YPJLZ VYNHUPZHtionnelles qui sont de plus en plus ĂŠloignĂŠes et non reprĂŠsentatives de la base qu’elles sont censĂŠ dĂŠfendre.   La complexitĂŠ et la variĂŠtĂŠ des problèmes que les FĂŠministes ont affrontĂŠs au cours des trois KLYUPuYLZ KtJLUUPLZ SÂťHWWHYP[PVU tNHSLTLU[ KL UV\]LH\_ KtĂ„Z KL UV\]LSSLZ ]VP_ L[ KL UV\]LH\_ groupes d’intĂŠrĂŞts, a conduit Ă un tel niveau de spĂŠcialisation et de diversification que certains le considèrent responsable de la fragmentation et de l’Êparpillement des mouvements fĂŠministes. Le spectre actuel des diffĂŠrents terrains de lutte et des diverses associations de femmes est immense : groupes pour l’autonomisation ĂŠconomique et les droits du travail; femmes autochtones, groupes de femmes rurales et de paysannes sans terre, mouvements pour les droits Ă la santĂŠ, sexuels et gĂŠnĂŠsiques des femmes, lutes pour les droits Ă la propriĂŠtĂŠ de la terre et Ă l’hĂŠritage, mouvements pour le droit au logement des habitants des bidonvilles, associations de lesbiennes et transsexuel(le)s, lutte des femmes dĂŠplacĂŠes et rĂŠfugiĂŠes en raison de projets de dĂŠveloppement tJVUVTPX\L KLZ N\LYYLZ L[ KLZ JVUĂ…P[Z HYTtZ 4V\]LTLU[Z KL [YH]HPSSL\ZLZ ZL_\LSSLZ JHTWHgnes anti traite et contre la violence Ă l’Êgard des femmes; campagnes pour les droits juridiques KLZ MLTTLZ ZHUZ V\ISPLY SLZ S\[LZ JVU[YL KLZ MVYTLZ ZWtJPĂ„X\LZ KL KPZJYPTPUH[PVU T\[PSH[PVUZ gĂŠnitales fĂŠminines, le système de dot, de castes), lutes des femmes appartenant Ă des groupes ethniques ou religieux particuliers (Musulmanes, Romes, Chiapas) ou exerçant certains mĂŠtiers (travailleuses de la pĂŞche, vendeuses des rues, petites fermières ou ĂŠleveuses, piqueteras), femmes engagĂŠes auprès des personnes souffrant du SIDA – la liste serait interminable. Chacune de ces instances a son propre programme, ses objectifs et ses stratĂŠgies, conformant un ĂŠventail impressionnant de prioritĂŠs et d’initiatives qui tĂŠmoigne de la vie intense mais aussi de la grande segmentation des mouvements de femmes. Ceci n’est pas problĂŠmatique en soi mais prĂŠsente SÂťPUJVU]tUPLU[ KL YLUKYL KPMĂ„JPSL SH MVYT\SH[PVU KÂť\U NYHUK WYVNYHTTL NtUtYHS JVTT\U L[ YHZZLTISL\Y H\X\LS [V\[LZ JLZ LU[P[tZ WV\YYHPLU[ ZV\ZJYPYL HĂ„U KL WHYSLY KÂť\UL ZL\SL ]VP_ KÂťH\ TVPUZ \UL sĂŠrie de thèmes. Cette fragmentation, sans qu’existe aucun mĂŠcanisme de cohĂŠsion, est ĂŠgalement une opportunitĂŠ donnĂŠe aux forces adverses de ÂŤÂ diviser pour rĂŠgner .   Les mouvements fĂŠministes ont ĂŠgalement perdu de leur ancienne clartĂŠ concernant leur thĂŠorie du changement. Dans les annĂŠes 70 et 80, par exemple, les FĂŠministes qui se mobilisaient dans le monde entier pour promouvoir le rĂ´le et la reprĂŠsentation des femmes en politique dĂŠfendaient une thĂŠorie du changement Ă peu près en ces termes :   La transformation de la position et de la condition de la femme au niveau de la sociĂŠtĂŠ ou au niveau macro, ne sera durablement accomplie que moyennant le changement politique (politiques de facilitation, lĂŠgislation, application et protection des droits) ;

22


Clarifions nos concepts   Les femmes en politique feront avancer la cause de l’ÊgalitĂŠ entre les sexes et des droits des femmes ;   Si les femmes ne sont pas reprĂŠsentĂŠes dans les instances politiques locales, nationales et au plus haut niveau, l’Êlan de ce changement ira mourant ;   Une masse critique de femmes en poste dans les institutions politiques seront ĂŠgalement les instigatrices du changement dans les politiques de dĂŠveloppement et dans les relations internationales – en promouvant et en soutenant des politiques de paix et de rĂŠsolution non violente KLZ JVUĂ…P[Z SL Kt]LSVWWLTLU[ K\YHISL L[ ZVJPHSLTLU[ tX\P[HISL" SÂťHWWSPJH[PVU L[ SH WYV[LJ[PVU KL SÂťLUZLTISL KLZ KYVP[Z O\THPUZ L[ LU WSHsHU[ SÂťv[YL O\THPU H]HU[ SL WYVĂ„[ " L[   Une masse critique de femmes dans les institutions politiques transformera la nature mĂŞme du WV\]VPY L[ SLZ WYH[PX\LZ WVSP[PX\LZ LU ` PUZ\MĂ…HU[ KLZ ]HSL\YZ KL JVVWtYH[PVU L[ KL JVSSHIVYH[PVU LU JVUZPKtYHU[ SL THUKH[ JVUMtYt JVTTL \U WV\]VPY JVUĂ„t ­ WV\Y Ž L[ UVU ­ Z\Y Ž LU YLZWLJtant la transparence et la responsabilitĂŠ publique, etc. En d’autres termes, les femmes joueront le jeu politique diffĂŠremment et useront du pouvoir de manière responsable. Le travail pour l’autonomisation des femmes dans les annĂŠes 80 et 90 ĂŠtait ĂŠgalement basĂŠ sur l’idĂŠe que le changement Ă long-terme des relations hommes-femmes surviendrait seulement après que les TV\]LTLU[Z MtTPUPZ[LZ H\YVU[ t[t JHWHISLZ KÂťH[[HX\LY L[ KL [YHUZMVYTLY H SLZ PKtVSVNPLZ X\P Q\Z[PĂ„L SH discrimination basĂŠe sur le sexe ; (b) l’accessibilitĂŠ et la distribution des ressources, publiques comme privĂŠes, qui privilĂŠgient les hommes dans toutes les classes sociales ; et (c) les institutions (famille, marchĂŠ, État, communautĂŠ ou collectivitĂŠ) et les structures (ĂŠconomiques, politiques, sociales, culturelles – telles que les politiques et les normes, les pratiques religieuses, les barrières politiques et autres structures d’exclusion comme celles relatives Ă la race, la classe, la caste, la religion, etc.), par le biais desquelles le patriarcat, les privilèges et le pouvoir des ĂŠlites, se perpĂŠtuent. Cette analyse avait le mĂŠrite d’être claire – Ă dĂŠfaut de rĂŠaliste - ; elle fournissait des consignes et un cadre stratĂŠgique pour l’autonomisation des femmes et aidait Ă garantir que l’accent ne serait pas mis sur l’une des dimensions aux dĂŠpens des autres. Aujourd’hui, les dures leçons de la vie nous ont rendues plus humbles – l’expĂŠrience nous a appris X\L SLZ Z[Y\J[\YLZ K\ WV\]VPY ZVU[ L_[YvTLTLU[ YtZPSPLU[LZ 5V\Z H]VUZ ]\ X\ÂťLSSLZ ZH]LU[ UV\Z Ă…H[[LY d’une main (signature des plateformes d’action de Beijing ou du Caire, crĂŠation de commissions femmes, ou rĂŠforme de certaines lois lĂŠonines), et de l’autre, saboter nos programmes de manière insidieuse (travestissant le concept d’intĂŠgration de la dimension de genre, ou faisant des programmes de microcrĂŠdit des parangons de l’autonomisation des femmes). La mondialisation et ses sĂŠquelles sur les femmes et leurs communautĂŠs - sociales, ĂŠconomiques et politiques – est un phĂŠnomène dont nous n’avons pas LUJVYL WYPZ SÂťLU[PuYL TLZ\YL L[ X\L UV\Z UL ZVTTLZ KVUJ WHZ JHWHISLZ KÂťHMMYVU[LY LMĂ„JHJLTLU[ 5V\Z n’avons pas encore assimilĂŠ et synthĂŠtisĂŠ ces leçons pour crĂŠer une nouvelle thĂŠorie du changement L[ PS ` H KL TVPUZ LU TVPUZ KÂťLZWHJLZ Vƒ MHPYL JL [YH]HPS [OtVYPX\L H[[LUK\ SH Ă„U KL SÂťuYL KLZ JVUMtYLUJLZ TVUKPHSLZ L[ SLZ JV\WLZ ZVTIYLZ KHUZ SLZ I\KNL[Z WV\Y Ă„UHUJLY KLZ ­ H[LSPLYZ KL YtĂ…L_PVU Ž 0S LZ[ KVUJ KPMĂ„JPSL KÂťtSHIVYLY \UL [OtVYPL JSHPYL V\ KL MHPYL \UL HUHS`ZL Z\Y SH THUPuYL KVU[ WHY]LUPY n une plus large transformation sociale en tenant compte de la dimension de genre, qui serve de phare au militantisme fĂŠministe. La thĂŠorie du changement qui sous-tend beaucoup de nos actions et stratĂŠgies est souvent trop ĂŠtroite, limitĂŠe, ou pragmatique, perdant de vue la transformation sociale Ă long terme qui conduirait Ă des changements durables dans les relations de pouvoir sociales et entre les sexes. Ceci KL]PLU[ WHY[PJ\SPuYLTLU[ JYP[PX\L H\ TVTLU[ Vƒ SLZ MVYJLZ KL SH TVUKPHSPZH[PVU K\ MVUKHTLU[HSPZTL SH ]PVSLUJL L[ SLZ JVUĂ…P[Z SLZ H[[HX\LZ KL WS\Z LU WS\Z K\YLZ JVU[YL SLZ WYVQL[Z MtTPUPZ[LZ KLTHUKLU[ KLZ rĂŠponses qui ne peuvent surgir que d’une analyse globale et de fond de la manière dont ces forces agissent sur le pouvoir social et de genre. Nous devons donc reformuler une thĂŠorie du changement pour UV[YL tWVX\L Âś LSSL KL]PLUKYHP[ KVUJ SH IHZL Z\Y SHX\LSSL tKPĂ„LY SL WYVNYHTTL JVTT\U X\P LZ[ HIZLU[ ou trop faible dans notre vision et politique actuelles.

23


Clarifions nos concepts

Les relations entre mouvements et organisations Les relations entre mouvements et organisations sont complexes sinon contradictoires. Pour essayer de démêler ce réseau intriqué de relations, il est utile de se revenir sur le concept central du terme « mou]LTLU[ ! TV\]LTLU[ ZPNUPÄL X\LSX\L JOVZL KL K`UHTPX\L X\P H]HUJL ]LYZ \U VIQLJ[PM 0S UL WL\[ v[YL employé pour désigner quelque chose de statique ou en constante reproduction de biens, services ou relations. Les organisations en lien avec les mouvements doivent donc être dotées des mêmes qualités – elles doivent être dans un état de mobilité, tendant vers des objectifs particuliers ou le changement qu’elles ont été créés pour promouvoir. Nous cherchons ici une meilleure compréhension de ce qui fait que les organisations de renforcement de mouvement féministes et partant des organisations qui peuvent se revendiquer comme partie des mouvements féministes. 7V\Y UV\Z HPKLY PS ZLYHP[ \[PSL K»tSHIVYLY \UL [`WVSVNPL KLZ VYNHUPZH[PVUZ ]PZHU[ n JSHYPÄLY SH ZP[\H[PVU des différentes organisations par rapport aux mouvements et au travail de renforcement du mouvement. Une distinction est faite dans les études sur les organisations à but non lucratif entre celles « au service de leurs membres » et celles « au service d’autres ». Au sein des mouvements féministes et des femmes cohabitent les deux types d’organisations. Organisations au service de leurs membres. Ce sont celles issues du mouvement de la base, KLZ TLTIYLZ WV\Y ZL Z[Y\J[\YLY L[ ZL NV\]LYULY L\_ TvTLZ WS\Z KtTVJYH[PX\LTLU[ L[ WS\Z LMÄJHcement, pour gagner en visibilité et mieux se faire entendre, pour prendre des décisions cohérentes et stratégiques et/ou coordonner leur pouvoir collectif et leur action : syndicats, unions et fédérations de travailleuses (telles que les femmes travailleuses indépendantes, travaillant à domicile, vendeuses des rue, travailleuses sexuelles, etc.) ; organisations identitaires (femmes autochtones, femmes intouchables, Lesbiennes et transsexuel(le)s) ; et regroupements de femmes ou de communautés hors catégories sociologiques traditionnelles, sur la base de nouvelles identités émergeant d’expériences sociales ou politiques, et partageant un programme commun (piqueteras, habitantes des bidonvilles, femmes migrantes, KtWSHJtLZ L[ ]PJ[PTLZ KLZ JVUÅP[Z HYTtZ *LZ VYNHUPZH[PVUZ WHYJL X\»LSSLZ UHPZZLU[ KL SH IHZL ZVU[ SL cœur même des mouvements ; elles n’ont généralement pas de problèmes pour établir leur crédibilité ou leur légitimité pour représenter les intérêts de leurs membres à l’extérieur. Elles peuvent cependant – y compris les organisations féministes au service de leurs membres – devenir statiques, hiérarchiques, moins démocratiques, ou être dominées par des directions de style autoritaire ; ces tendances doivent être reconnues et corrigées, quelle que soit la légitimité dont elles jouissent aux yeux des autres. Organisations au service d’autres. C’est dans cette catégorie que se range la majorité des groupes et des ONG féministes, et leurs relations avec les mouvements sont des plus complexes et controversés. Des discussions sont ouvertes sur le fait de savoir si ces organisations relèvent ou non des mouvements féministes, génériques et particuliers. Cette remise en cause est le résultat de la récupération, de la spécialisation et de la hiérarchisation dont nous avons parlé plus haut. Dans de nombreuses régions du monde, les régimes devenant plus perméables aux idées d’égalité entre les sexes, les gouvernements et les donateurs, de concert, ont été les instigateurs de la conversion de groupes fonctionnant autrefois de manière autonome, voire confrontationnelle, en conseillers techniques ou en « experts du genre » attachés à leur service. Ces groupes peuvent-ils être considérés comme faisant partie du TV\]LTLU[ MtTPUPZ[L & De même, maintes organisations féministes et de femmes qui avaient vu le jour pour soutenir et renforcer la construction et le fonctionnement des mouvements, gaspillent leur énergie dans l’exécution de projets et de contrats, purement alimentaires, dont les maitres d’ouvrage sont les donateurs ou les NV\]LYULTLU[Z ± JL Z\QL[ KLZ X\LZ[PVUZ KPMÄJPSLZ ZL WVZLU[ 8\LSSL ZVU[ SLZ ]tYP[HISLZ YHPZVUZ X\P TV[P]LU[ JLZ JOVP_ & +t[V\YUtLZ KL SL\Y JHW JLZ VYNHUPZH[PVUZ WL\]LU[ LSSLZ LUJVYL ZLY]PY SL WYVQL[ ZVJPHS L[ WVSP[PX\L X\P H]HP[ WYtZPKt n SL\Y JYtH[PVU &

24


Clarifions nos concepts Il existe beaucoup d’organisations de femmes « au service d’autres » - y compris certaines fortement imprégnées de la pensée féministe – qui se consacrent exclusivement à la prestation de services en direction des femmes : logements, refuges, garde d’enfants, crédit, aide juridique, etc. Leur rôle est également important et elles peuvent entretenir une relation ouverte avec les mouvements, mais il faudrait qu’elles fassent plus que fournir des services pour devenir ce qu’on pourrait appeler des « organisation du mouvement ». Elles doivent également se doter de mécanismes internes de suivi et de responsabiSP[t ]PZHU[ n ]tYPÄLY X\L SL\YZ ZLY]PJLZ L[ HJ[P]P[tZ JVU[YPI\LU[ LMMLJ[P]LTLU[ n \U TV\]LTLU[ V\ n ZVU projet politique. Nous nous devons de signaler que parfois, les mouvements ont besoin de ces services pour encourager leurs membres à s’engager dans un travail d’organisation et de promotion de leur programme, ou pour protéger leurs militantes et leurs dirigeantes d’attaques politiques ou de poursuites légales. Ici, plutôt que de parler de renforcement du mouvement, pour ces organisations utiles, il serait plus pertinent de créer une catégorie séparée que nous appellerons de « service au mouvement ». Figure 3 – Les relations entre mouvements et organisations

Mouvement des femmes de la base Fédération des femmes de la base ONG de soutien (construction du movement)

Fédération nationale des femmes

ONG de soutien ONG (fourniture de services) Collectifs au niveau des villages Fédération internationale des femmes de la base

Il est important de souligner le fait que nous ne devons pas hiérarchiser nos organisations : celles qui se targuent d’être des organisations de construction de mouvement tenant le haut du pavé et de l’afÄJOL L[ JVUZPKtYHU[ JVTTL SH KLYUPuYL YV\t K\ JHYYVZZL SLZ VYNHUPZH[PVUZ X\P [YH]HPSSLU[ Z\Y SL [LYYHPU L[ fournissent aux femmes de leur communauté des services tels que refuges, logements décents, garde d’enfants, cuisines populaires, prêts d’urgence, assistance juridique; ou celles encore qui aident les femTLZ n Z\Y]P]YL KHUZ \U LU]PYVUULTLU[ WVSP[PX\LTLU[ L[ tJVUVTPX\LTLU[ OVZ[PSL 3H ÄN\YL PSS\Z[YL \U modèle de relations pouvant exister entre les différents types d’organisations : celles au service de leurs membres, celles fournissant des services et un hypothétique mouvement des femmes de la base, qui permet de comprendre que toutes ont leur place dans le mouvement pourvu qu’elles travaillent toutes au même projet. Une autre division s’est produite dans de nombreuses régions, celles entre groupes féministes autonomes et ONG féministes. Dans les années 1970 et 80, les groupes autonomes s’enorgueillisZHPLU[ KL SL\Y PUKtWLUKHUJL ¶ ÄUHUJPuYL LU WHY[PJ\SPLY WHY YHWWVY[ H\_ NV\]LYULTLU[Z H\_ IHPSSL\YZ de fonds et aux intérêts commerciaux, et de leur travail purement militant. La plupart des membres des groupes autonomes gagnaient leur vie en travaillant dans l’enseignement, les médias ou en tant que consultante indépendante, et étaient donc capables de consacrer du temps au militantisme féministe

25


Clarifions nos concepts sans avoir Ă se soucier de leur survie ĂŠconomique. Cependant, les changements dans l’environnement politique et l’institutionnalisation survenus dans les annĂŠes 90, principalement en AmĂŠrique latine et en Asie, ont conduit beaucoup de ces groupes Ă se transformer en ONG. De nombreuses universitaires fĂŠministes sont ĂŠgalement devenues ÂŤÂ femmocrates  au sein des gouvernements, des agences multilatĂŠrales ou ont ĂŠtĂŠ ĂŠlues Ă des postes de reprĂŠsentation politique. Nombreux sont les groupes fĂŠministes autonomes qui critiquent durement la NGO-isation du mou]LTLU[ KLZ MLTTLZ L[ JVU[LZ[LU[ SL KYVP[ KL JLZ 65. KL ZL KPYL MtTPUPZ[LZ Vƒ KL ZL JVUZPKtYLY WHY[PL du mouvement. Cependant, ces mĂŞmes groupes sont souvent devenus des groupuscules isolĂŠs, professant une supĂŠrioritĂŠ idĂŠologique, refusant de s’engager dans un quelconque travail de mobilisation ou de construction de mouvement et coupĂŠs de la base et de ses mouvements dans leurs rĂŠgions. Pour ces raisons, les autres activistes fĂŠministes sont souvent très critiques envers ces groupes et remettent en cause leur droit Ă parler au nom du mouvement. Les ONG fĂŠministes, quant Ă elles, s’Êtant engagĂŠes dans la mise en Ĺ“uvre de projets dirigĂŠs par les donateurs, ou l’exĂŠcution en sous-traitance des projets gouvernementaux et des institutions multilatĂŠrales, sont ĂŠgalement en porte-Ă -faux quant Ă leur appartenance au mouvement. Dans certains contextes cependant, ce sont ces organisations qui ont fourni – et fournissent encore - les ressources, la tribune et l’espace nĂŠcessaires Ă des femmes victimes de nouvelles formes de pauvretĂŠ ou de violence - femmes qui seraient sans cela complètement marginalisĂŠes, isolĂŠes et oubliĂŠes. Mais pour fonder leur revendication d’appartenance aux mouvements fĂŠministes, elles devraient se soumettre au mĂŞme test dĂŠcisif dĂŠjĂ mentionnĂŠÂ : leur travail est-il directement en leur faveur ou dĂŠlibĂŠrĂŠment liĂŠ Ă la base, ou dirigĂŠ Ă la mobilisation de cette base, avancent-elles, moyennant l’exercice d’un pouvoir collectif vers des objectifs WVSP[PX\LZ tSHIVYtZ LU JVTT\U H]LJ SH IHZL PU[tYLZZtL & :VU[ LSSLZ KV[tLZ KL TtJHUPZTLZ ]PZPISLZ KL suivi interne et de responsabilisation par rapport Ă leur programme et Ă la base, plutĂ´t que d’une rhĂŠtorique qui dĂŠguise la responsabilisation de facto LU]LYZ SLZ ZL\SZ IHPSSL\YZ KL MVUKZ& 0S ZÂťHNP[ Sn WV\Y beaucoup d’un exercice assez pĂŠrilleux Ă rĂŠaliser. Nous devons ĂŠgalement signaler que, quelle que soit la force et la dĂŠtermination de nos mouvements, PS ` H KLZ tWVX\LZ Vƒ SLZ JVUKP[PVUZ L_[tYPL\YLZ V\ SLZ K`UHTPX\LZ PU[LYULZ UV\Z VISPNLU[ H\ YL[YHP[ n SH mise en sommeil ou Ă la dispersion. Les rĂŠgimes peuvent fermer les espaces dĂŠmocratiques d’organiZH[PVU JVTTL H\ APTIHI^L LU iN`W[L L[ JLY[HPUZ WH`Z KÂť,\YVWL KL SÂť,Z[  " SLZ N\LYYLZ L[ SLZ JVUĂ…P[Z peuvent enrayer nos efforts d’organisation (Irak, Afghanistan, Sri Lanka) ; les ressources peuvent s’Êpuiser au point que la direction se voit obligĂŠe d’abandonner la modalitĂŠ de construction de mouvement et d’appliquer de nouvelles stratĂŠgies ou de chercher d’autres terrains d’intervention (Inde, Bangladesh, Les Philippines) , ou bien notre propre institutionnalisation et nos politiques internes nous conduisent Ă SH MYHNTLU[H[PVU n SH WVSHYPZH[PVU n SÂťtNHYLTLU[ 4HPZ JL ZVU[ H\[HU[ KL KtĂ„Z X\L UV\Z WV\]VUZ [YHUZMVYTLY LU VWWVY[\UP[tZ JLSSLZ KL UV\Z LUNHNLY KHUZ \UL YtĂ…L_PVU JYP[PX\L WS\Z WYVMVUKL KL [YV\]LY KL UV\]LSSLZ ]VPLZ L[ VYPLU[H[PVUZ " KL UV\Z YLZZV\YJLY L[ KL YtPUZ\MĂ…LY KL SÂťtULYNPL n UVZ TV\]LTLU[Z Notre propos n’est pas de juger, de condamner ou d’exclure, mais d’aider Ă trouver des outils d’anaS`ZL LMĂ„JHJLZ WV\Y L_HTPULY SH YLSH[PVU L_PZ[HU[L LU[YL UVZ Z[Y\J[\YLZ L[ LZWHJLZ VYNHUPZH[PVUULSZ L[ SLZ mouvements, et faire la lumière sur la manière dont nous pouvons nous engager plus fermement dans la construction ou le renforcement des mouvements fĂŠministes.

  Mouvements et individus 5VZ KtĂ„UP[PVUZ L[ HUHS`ZLZ KLZ TV\]LTLU[Z HPUZP X\L UV[YL HWWYVJOL KLZ YLSH[PVUZ LU[YL VYNHUPZH[PVUZ et mouvements, ne doivent pas nous faire oublier ou nĂŠgliger le rĂ´le important, et souvent vital, jouĂŠ par les individus. Les mouvements fĂŠministes particulièrement, ont ĂŠtĂŠ soutenus et quelquefois propulsĂŠs par l’action individuelle de fĂŠministes qui n’appartenaient, mĂŞme de loin, Ă aucune organisation progressiste, de femmes ou fĂŠministe. Dans certaines parties du monde, de fait, des fĂŠministes, travaillant dans

26


Clarifions nos concepts des institutions ou des professions traditionnelles, sont devenues des intellectuelles importantes et des KPYPNLHU[LZ Z[YH[tNPX\LZ KL SH JVUZ[Y\J[PVU K\ TV\]LTLU[ ,UZLPNUHU[LZ JOLYJOL\ZLZ V\ ZJPLU[PÄX\LZ en milieu universitaire ; médecins et professionnelles de la santé travaillant dans les hôpitaux, les centres de soins, l’administration ou les ministères de la santé ; démographes, économistes, professeurs et éducatrices ; journalistes et professionnelles des médias ; avocates, juristes ; employées dans les agenJLZ KLZ WH`Z KVUH[L\YZ V\ SLZ VYNHUPZTLZ ÄUHUJPLYZ T\S[PSH[tYH\_ IPSH[tYH\_ L[ PU[LYUH[PVUH\_ " [V\[ \U univers de femmes féministes profondément engagées dans le projet féministe et auprès des femmes et des hommes marginalisés et exclus. Ce phénomène est toujours d’actualité, et ces femmes peuvent légitimement se réclamer des mouvements. Elles n’appartiennent pas obligatoirement aux groupes des victimes ou à la base qui s’organise en vue du changement ; elles n’ont pas besoin d’entrer dans les mouvements, ayant une carrière et la sécurité de l’emploi, et pourtant, elles choisissent, pour des raisons idéologiques, de s’engager dans la défense des droits des femmes et pour la transformation sociale, tant dans le milieu institutionnel ou professionnel dans lequel elles évoluent qu’en soutenant des mouvements féministes et de femmes sur le terrain. À travers le monde, ces femmes ont joué des rôles cruciaux à certains moments historiques, en permettant la survivance des mouvements féministes et de leurs militantes. En Amérique latine, par exemple, quand les dictatures mirent les mouvements sociaux sous la botte L[ HYYv[HPLU[ SL\YZ KPYPNLHU[Z L[ TPSP[HU[Z KLZ \UP]LYZP[HPYLZ MtTPUPZ[LZ VU[ MV\YUP KLZ LZWHJLZ V ZL Yt\UPY et se soutenir mutuellement jusqu’aux jours meilleurs ; elles ont quelquefois apporté des aides matérielles et légales aux militantes poursuivies et menacées. En Asie du Sud, des féministes de divers milieux professionnels ont apporté un soutien vital aux luttes des masses et aux mouvements des groupes marginalisés (comme les groupes LGBT ou les syndicats de travailleuses sexuelles) sous la forme d’aide juridique, d’espaces de réunions, d’analyses politiques, de recherches, etc. Dans plusieurs parties du monde, ces « cavalières seules » sont celles qui ont donné l’alerte quand les mouvements et/ou leurs dirigeantes ont été attaqués ou en voie d’être éliminés, en dénonçant les faits dans la presse, auprès des commissions internationales et nationales des droits de l’Homme, et en sensibilisant l’opinion publique locale et même internationale. Ces femmes, en tant qu’individus, entretiennent avec les mouvements des relations d’une typologie variée : certaines y entrent et en sortent selon les besoins; certaines s’y associent à l’occasion de projets ZWtJPÄX\LZ n K\YtL Kt[LYTPUtL " L[ K»H\[YLZ ZVU[ KL WLYTHULU[LZ JVTWHNULZ KL YV\[L ;V\[LZ JLZ TVdalités sont utiles aux mouvements, pour leur renforcement et l’expansion des ressources intellectuelles et du savoir faire qu’ils réinvestiront dans leurs luttes. Ces femmes individuellement liées aux mouvements peuvent également être à l’origine d’un réseau d’alliances qui, dans certaines circonstances, apportent aux mouvements une recrudescence de crédibilité, de légitimité et de pouvoir.

Renforcement du mouvement – Quelques éléments clés d’un processus féministe L’instauration de mouvements féministes forts et durables sera le résultat de processus contenant la majorité des éléments ci-dessous ; certains diront peut-être que ce sont ces éléments qui font que le processus soit à la fois féministe et un mouvement :   Conscientisation – Ce sont les féministes qui ont plus ou moins inventé le concept de conscientisation ; en effet, les premières analyses féministes soutenaient que la participation, acceptation ou reproduction par les femmes de leur propre oppression, exclusion et subordination était le résultat d’un errements de leur conscience quant à leur situation. Cette conscience de soi erronée est le fruit à la fois de processus de socialisation (conditionnement à certaines valeurs, croyances, visions du monde et rôles), et de la présence de barrières structurelles et de coaction (intimidation ou violence exercée contre les femmes qui ne restent pas « à leur place »). Élever leur niveau

27


Clarifions nos concepts de conscience quant à leur oppression et leur exploitation est donc le premier pas décisif vers la construction des mouvements féministes. Une pléthore d’outils de conscientisation, efficaces et originaux, ont été créés par les féministes dans le cadre de l’éducation populaire à travers le monde – outils et méthodes qui sont hélas aujourd’hui tombés en désuétude, comme l’étape de conscientisation elle-même, au profit d’autres premières approches comme la constitution de groupes d’épargne et de prêts. Les éducatrices populaires latino-américaines ont également donné à leurs sœurs l’idée formidable de mettre au service du féminisme la pédagogie des opprimés de Paulo Freire, permettant que le processus de conscientisation des femmes débouche sur une analyse incluant la dimension de genre des structures sociales, économiques et politiques dans lesquelles vivent les femmes.   Organisation de la base – La mobilisation de femmes conscientisées dans des groupes ou collectifs divers, dont les noms et les structures sont familiers et proches de la culture locale – les « sanghas » et « samoohs » des programmes d’autonomisation des femmes indiennes par exemple ; les « marais » de Nouvelle-Zélande, les « centres de mères » d’Allemagne et des Pays-Bas ; les groupes de femmes des marchés d’Afrique de l’Est et de l’Ouest ; les « mehfils » du Maghreb, etc. Ces collectifs constituent les fondations de l’organisation féministe à son premier stade et les prémisses de la construction du mouvement, en aidant à faire des masses à la base des mouvements, organisée en unités visibles et faciles d’accès, qui pourront ensuite s’unir pour amplifier leur voix, leur vision et leurs luttes. Cette base et ses instances organisationnelles et de direction sont nettement séparées et autonomes de l’ONG qui peut les avoir mobilisées. En d’autres termes, ce sont elles qui sont l’avant-garde du mouvement, non l’ONG même si cette dernière continue de les soutenir, de leur prodiguer des analyses stratégiques, de nouvelles idées et parfois, une protection contre les attaques. Mettre en place ces fondations est un travail épuisant mais incontournable – c’est lui qui donne aux mouvements féministes leur mordant, leur légitimité et leur pouvoir. Nous être égarées dans d’autres activités nous a coûté très cher, particulièrement en termes de pouvoir politique.   Une question reste posée : est-ce que le nombre est important ? Les mouvements de lesbiennes ou de transsexuel(le)s, les mouvements féministes d’handicapées, répondront immédiatement que ce qui compte ce n’est pas le nombre mais les tactiques, et que le fait d’être peu nombreuses n’en fait pas moins qu’elles forment un mouvement. La vérité est sans doute plus nuancée : le nombre compte mais pas en termes quantitatifs absolus. Le nombre a son importance car pour pouvoir prétendre à l’appellation de mouvement, nous devons démontrer l’existence d’une base engagée dans une action collective. Que cette base représente une centaine ou un millier de personnes n’est pas le problème, ce qui compte c’est le niveau d’organisation, de cohésion, d’adhésion au programme politique commun, l’exercice du pouvoir collectif et la mise en œuvre des actions visant à atteindre les objectifs fixés. Cinquante personnes ou organisations réunies à l’occasion d’une conférence ou d’un atelier autour d’un thème particulier ou d’un problème commun, ne constituent pas un mouvement mais un mouvement pourraient bien naître d’un tel rassemblement.   Les mouvements féministes doivent annoncer des programmes politiques clairs, conçus sur la base et dans le cadre d’une théorie du changement incluant la double dimension de transformation sociale et des relations entre les sexes. L’élaboration de ces programmes se fait de la base vers le haut au cours d’un processus lui-même outil de conscientisation. En d’autres termes, sont proscrits dans nos mouvements les « idéologues » qui « pondent » des programmes et des projets, et les « moutons » qui y adhèrent. Les projets, les programmes, féministes doivent être issus du débat et de la discussion démocratiques au sein desquels la base à un rôle prééminent voire décisif.   Une spirale de mobilisation ; d’organisation ; d’élaboration d’une théorie du changement, d’un programme politique commun, des stratégies pour l’action ; de réflexions critiques et de regroupement devrait caractériser les mouvements féministes. Ils doivent être dynamiques, en pro-

28


Clarifions nos concepts cessus d’apprentissage permanents, non pas statiques et reproduisant les mêmes analyses L[ Z[YH[tNPLZ ZHUZ LZWHJL WV\Y SH YtÅL_PVU JYP[PX\L L[ SH TPZL LU JVTT\U 0SZ KVP]LU[ H\ZZP [LU[LY K»t[LUKYL SL\Y IHZL n JOHX\L IV\JSL KL SH ZWPYHSL HÄU K»HJJYVz[YL SL\Y WV\]VPY JVSSLJ[PM L[ SL\Y PUÅ\LUJL WVSP[PX\L   Attendu l’importance de l’apprentissage et du changement, la construction de nouveaux types de savoirs et de nouvelles politiques de construction des savoirs, devrait être un élément JSt WV\Y SLZ TV\]LTLU[Z MtTPUPZ[LZ 0SZ KVP]LU[ Z»tSL]LY JVU[YL SL TVUVWVSL L[ SH JVUÄZJH[PVU K\ savoir par ses professionnels (universitaires, chercheurs, « experts » en développement ou dans le domaine du genre), et démocratiser les processus d’apprentissage et de génération des connaissances moyennant les mouvements et en leur sein. Ils doivent créer, outre une culture du respect, des espaces, et des mécanismes concrets pour que leurs membres puissent participer de la théorisation, de l’analyse, du suivi et de l’évaluation de leurs expériences, rendant possible que le savoir transite par des véhicules divers qui ne privilégient pas la parole écrite au mépris des autres formes d’expression – traditions orales, théâtre de rue, art ou musique. Ils peuvent utiliser les technologies les plus modernes de documentation et de communication, mais en en faisant des outils de la « démocratie » du savoir plutôt que de l’« économie » du savoir en rejetant les concepts de brevets et de copyrights. Ils doivent aussi résister contre l’exploitation et l’expropriation de leurs connaissances (des plantes et des graines, des méthodes de culture organique, par exemple) que convoitent entre autres, les entreprises multinationales.   Plus important encore, les mouvements féministes doivent promouvoir non seulement les changements au niveau institutionnel formel mais aussi au niveau informel ou dans le contexte et les communautés qui sont l’environnement dans lequel leurs membres vivent leur vie et leurs réalités (autrement dit, pas seulement des changements de législation et de politiques mais des changements dans les comportements et les pratiques des familles et des collectivités). L’emphase doit donc être mise sur les droits en-soi et non sur les structures formelles qui sont souvent étrangères à la réalité des femmes (une réforme juridique par exemple, restera lettre morte sans l’organisation et la conscientisation au niveau de la communauté qui permettra aux femmes d’accéder à leurs droits et de les faire valoir).   Finalement, les mouvements féministes doivent tendre à transformer leur propre pratique du pouvoir, et construire de nouveaux modèles de pouvoir et de direction au sein de leurs structures et processus. Les mouvements féministes du monde entier ont comme dénominateur commun de s’attaquer aux modèles patriarcaux de pouvoir et parallèlement, d’avoir tenté de créer des modèles de direction, d’autorité et de prise de décisions partagées. Ceci n’a pas toujours été une réussite – insidieusement, les structures du pouvoir ont refait surface, même dans des organisations les plus farouchement « horizontales » comme les groupes autonomes de femmes – mais peut servir d’exemples dans la recherche de nouvelles manières de nous gouverner nous-mêmes, de prendre des décisions concertées et de partager à la fois le pouvoir et les responsabilités.

Le cycle de vie des mouvements Les mouvements, comme les personnes et les organisations, sont soumis au cycle de la vie. Ils naissent, grandissent, s’épanouissent, connaissent des réussites et parfois même la gloire, puis, ils peuvent passer par des phases de sommeil, de retrait, et connaître de déclin. Les « vieux » mouvements ne sont donc pas forcément les plus actifs et ceux qui remportent le plus de victoires. Les mouvements ne doivent pas vivre éternellement –leurs objectifs atteints, ils peuvent s’effacer tandis que leur ancienne base WYVÄ[L KLZ MY\P[Z K\ JOHUNLTLU[ *LY[HPUZ TV\]LTLU[Z KVUULU[ UHPZZHUJL n K»H\[YLZ ¶ WYL\]L LU LZ[ le nombre impressionnant de mouvements qui sont les descendants directs des premiers mouvements féministes. Mais si leurs objectifs n’ont pas été atteints, ou que leur pouvoir collectif est en diminution, il est vital pour les mouvements de se renouveler et de se restructurer.

29


Clarifions nos concepts Une étude intéressante sur le cycle de vie des organisations à but non lucrative dénombre cinq stades dans leur évolution ; nous avons adapté cette analyse au cycle de vie de nos mouvements. Stade un : Imaginer et inspirer Nous savons que nous voulons changer les choses, et nous voulons être engagées dans ce changement Stade deux : Fonder et fournir un cadre Construisons notre théorie de changement et décidons comment nous mettrons en œuvre le processus en vue du changement Stade trois : Établir et grandir Mobilisons et organisons notre base Stade quatre : Lutter et apprendre Visons les cibles du changement et expérimentons différentes stratégies Stade cinq : Revoir et renouveler Penchons nous sur ce que nous avons appris jusque là et réfléchissons à la manière de reconfigurer notre structure, notre programme, nos stratégies et nos tactiques pour le prochain stade de l’action Nous sommes indubitablement arrivées au tournant historique où les Féministes doivent revoir et renouveler leurs mouvements, et choisir les stratégies qui les servent le mieux dans le contexte politique et économique mondial et local actuel. Dans l’essai de Raskin et al, « Great Transitions: The Promise and Lure of the Times Ahead » [Grandes transitions : promesse et leurre des temps à venir], on peut lire : « Dans le passé, les nouvelles ères historiques émergeaient de manière organique et inéluctable des crises et des opportunités que laissait en legs l’époque moribonde. Dans la transition planétaire [actuelle], réagir aux circonstances historiques est insuffisant. Consciente que ses actions peuvent compromettre le bien-être des générations futures, l’humanité est confrontée à un défi sans précédent – anticiper les crises qui menacent, envisager les alternatives viables et faire les choix pertinents. L’avenir, autrefois apanage des rêveurs et des philosophes, est devenu le point principal des ordres du jour traitant du développement.”

Nous espérons que ce document sera un apport précieux à la réflexion sur notre propre transition, au moment de nous engager dans les processus de renouvellement et de reconstruction des mouvements féministes.

****

30


Clarifions nos concepts

Lectures conseillées sur le thème des mouvements et de la renforcement des mouvements Sonia Alvarez, “Advocating Feminism: the Latin American Feminist NGO ‘Boom’”, disponible sur le site http://www.mtholyoke.edu/acad/latam/schomburgmoreno/alvarez.html, 2 mars 1998 Srilatha Batliwala et L. David Brown (Eds.), “Transnational Civil Society: An Introduction”, Hartford CT: Kumarian Press, 2006, voir Chapitre 8, “The Personal is Global: The Project and Politics of the Transnational Women’s Movement”, de Gita Sen et Peggy Antrobus, et Conclusion, “Shaping the Global Human Project: The Nature and Impact of Transnational Civic Activism”, de Srilatha Batliwala et L. David Brown. Cindy Clark, Annie Holmes, Lisa Veneklasen et Everjoice Win (Eds.), “Women Navigate Power – Stories About Claiming Our Rights”, Londres, Action Aid International, 2007, voir chapitre 1, “In Search of Freedom: Thirty Years of Feminist Struggle in South Africa”, de Shamim Meer. Andrea Cornwall, Elizabeth Harrison et Ann Whitehead (Eds.), “Feminisms in Development: Contradictions, Contestations and Challenges”, Londres / New York, Zed Books, 2007, voir Introduction et Chapitre 2, “Gender myths that instrumentalize women: a view from the Indian front line” de Srilatha Batliwala et Deepa Dhanraj. Michael Edwards et John Gaventa (Eds.), “Global Citizen Action”, Bolder CO, Lynne Rienner Publishers, 2001, voir Chapitre 16, “International Networking for Women’s Human Rights”, de Charlotte Bunch et Peggy Antrobus, Samantha Frost, et Niamh Reilly. Joanna Kerr et Ellen Sprenger (Eds.), “The Future of Women’s Rights: Global Visions and Strategies”, Londres / New York, Zed Books, 2004, voir le chapitre de Vanessa Griffen. Maxine Molyneux et Shahra Razavi (Eds.) Gender Justice, Development and Rights, Oxford, Oxford University Press, 2002. Naila Kabeer, “Reversed Realities – Gender Hierarchies in Development”, Londres & New York, Verso, 1991. Aruna Rao, David Kelleher et Rieky Stuart, “Gender at Work – Organizational Change for Equality” Hartford CT, Kumarian Press, 1999. Lisa Veneklasen et Valerie Miller, “A New Weave of Power, People and Politics: An Action Guide for Advocacy and Citizen Participation,” Sterling, VA, Stylus Publishing, 2007.

31



Chapitre 2

ésumés des études R de cas de BFEMO



Résumé

Les femmes parmi les mouvements des peuples indigènes du Mexique : Nouveaux chemins pour transformer le pouvoir.1 Résumé de l’étude de cas par Marusia López Cruz Le Mexique est un pays pluriculturel et pluriethnique avec une population indigène de 12,7 millions de personnes, soit 13% de la population nationale. Cependant, au lieu de reconnaître et de protéger les droits, l’état mexicain a toujours entretenu, toléré et même encouragé la xénophobie ainsi que l’exploitation excessive des ressources et de la main-d’oeuvre des populations indigènes, compromettant ainsi la diversité culturelle, la souveraineté et l’identité de la nation en la rendant difficilement gouvernable. La marginalisation et la discrimination historiques dont souffrent les populations indigènes touchent particulièrement les femmes de toutes les sphères de la vie, tant politique, que sociale ou économique. Durant les années 70, un mouvement indigène (dirigé par l’Armée zapatiste de Libération nationale – EZLN) apparut et commença à remettre en question la vision officielle d’une nation homogène, culturellement et racialement intégrée. C’est dans ce contexte que les femmes indigènes commencèrent à rechercher des espaces pour se réunir et à vouloir participer plus activement à leurs propres communautés et au mouvement indigène national. L’arrivée des femmes dans des zones de pouvoir et la reconnaissance de leur programme au sein du mouvement des populations indigènes, devinrent les symboles de la participation et de l’autorité acquise par les femmes zapatistes (l’existence de femmes commandantes et de porte-parole au sein de l’EZLN, le rôle qu’elles jouèrent dans le processus de négociation avec le gouvernement, entre autres). Cette initiative a engendré un élan aboutissant à une assemblée qui constitua le Congrès national indigène (CNI) en 1996, et encouragea les participantes indigènes à former une commission spéciale de femmes qui leur permettrait de s’exprimer personnellement dans tous les espaces de l’organisation indigène. Une année après la formation du CNI, les femmes qui faisaient pression en faveur de cette commission s’accordaient sur le fait qu’elles avaient besoin d’un espace d’envergure national qui leur soit propre et qui leur servirait de lieu de réflexion et d’analyse. Pour réaliser un tel objectif, il fallait créer une alliance entre les différentes femmes qui exerçaient déjà un pouvoir solide dans leurs organisations et communautés et les organisations féministes qui leur étaient proches. Le principal résultat de cette alliance fut la formation du Comité national de coordination des femmes indigènes (Coordinadora Nacional de Mujeres Indígenas – CNMI) qui rassembla plus de 700 femmes appartenant aux différentes populations indigènes du Mexique.

Comité national de coordination des femmes indigènes   Structure et objectifs de l’organisation Le Comité national de coordination des femmes indigènes est un réseau présent dans 14 états du Mexique. Il est composé de groupes de femmes

indigènes et de réseaux de femmes qui s’étendent sur tout le territoire mexicain. Le Comité national de coordination des femmes indigènes est dirigé par une coordonnatrice élue tous les deux ans, chargée de représenter l’organisation, de faciliter la participation de ses membres à différents événements auxquels elles sont invitées, et d’appliquer les décisions prises par l’assemblée annuelle composée de représentantes de tous les états qui sont présents dans l’organisation. C’est à l’occasion de ces assemblées que sont définies les

1.  Document au brouillon.

35


Résumé questions de formation, que les participantes sont informées des progrès et des faiblesses de chaque groupe, et que la Coordonnatrice est élue par rotation. La plupart des assemblées se tiennent à Mexico où se trouvent les bureaux du Comité de coordination. Le premier but du CNMI fut de fournir un espace étendu au sein duquel les voix des femmes indigènes pourraient être entendues. Bien que ce but initial soit toujours d’actualité, le programme s’est progressivement transformé depuis la création du groupe. Le programme actuel peut être divisé en quatre questions principales :   Défense des demandes fondamentales du mouvement indigène national   Besoin de mesures politiques nationales pour répondre à ces demandes   Participation politique   Transformation des pratiques et des habitudes traditionnelles qui freinent son développement et mettent en danger son intégrité. Le programme du Comité de coordination a pour caractéristique essentielle le fait de dénoncer l’oppression économique et le racisme qui vont de pair avec l’insertion des populations indigènes au projet national et de lutter au sein de ses organisations et communautés pour modifier les éléments qui excluent et oppriment les femmes.

Stratégies et résultats Les principales stratégies adoptées par le Comité de Coordination consistent à renforcer les organisations féminines indigènes et à inclure leurs demandes aux priorités de la politique publique et aux programmes des mouvements sociaux. Les membres du Comité de coordination définissent les besoins de formation et dirigent des programmes de formation qui visent à renforcer l’organisation en ciblant des questions comme le pouvoir, l’analyse critique des coutumes et des pratiques traditionnelles, les droits des femmes. Une autre stratégie fondamentale au renforcement de l’organisation et de son pouvoir a consisté à participer aux initiatives latino-américaines des femmes indigènes. La plate-forme régionale a permis aux femmes de compter sur un réseau de référence qui

36

reconnaît la légitimité de leurs activités nationales et leur donne la possibilité de participer à de nombreux événements internationaux. Les efforts du Comité de coordination ont porté principalement sur le renforcement de leur pouvoir et sur la reconnaissance de l’importance de leur rôle au sein du mouvement indigène. Le CNMI a aussi promu la participation des femmes indigènes à plusieurs forums du mouvement féministe, tant au niveau national qu’international, afin d’aligner leurs objectifs sur les idéaux féministes internationaux. Le lien du Comité de coordination avec le mouvement féministe a été un facteur important dans l’analyse de sa position en relation aux femmes indigènes et lui a permis de tisser un réseau important d’alliances. Le Comité de coordination a très bien réussi à s’imposer comme l’unique mouvement national de femmes indigènes et comme l’élément essentiel pour la défense de leurs droits. Leurs travaux de ces dix dernières années ont eu une influence immense sur les vies des femmes, sur leurs communautés et sur les organisations du mouvement indigène. Les femmes qui participent au Comité de coordination ont eu les moyens de prendre des responsabilités dans différents domaines de la vie. Nombre de ces femmes ont commencé à avoir plus de pouvoir dans leurs communautés et dans les organisations mixtes du mouvement indigène national. Les partis politiques ont demandé à certains membres du Comité de coordination de présenter leurs candidatures à des positions publiques et d’être à la tête de mobilisations populaires. Dans la sphère internationale, le pouvoir et la présence des femmes indigènes ont augmenté considérablement depuis la formation du Comité de coordination. Malgré l’opposition de nombreux chefs indigènes masculins, la participation et le programme des femmes au Forum permanent des Nations Unies sur les Affaires indigènes sont maintenant des réalités bien établies. Le mouvement des femmes indigènes au Mexique et en Amérique latine a été déterminant pour renforcer le mouvement féministe. De nombreux effets positifs ont résultés du dialogue établi durant les réunions et les forums entre les féministes et les activistes. Particulièrement, une meilleure compréhension du rapport qui existe entre l’identité hommes/femmes et les autres identités, le détrônement de l’idée qui fait des femmes indigènes


Résumé un groupe vulnérable, incapable de changer leur condition, et la prise de conscience du besoin de créer des alliances avec d’autres mouvements. L’analyse critique des usages traditionnels par les femmes indigènes a permis de reconnaître le bienfondé des questions soulevées par les féministes au sujet des pratiques qui ont un effet négatif sur la vie des femmes. Cela a aussi encouragé les féministes à se débarrasser de certains stéréotypes au sujet des cultures indigènes et à reconnaître leur contribution à la lutte contre le système dominant.

Conclusion Le programme, les stratégies, le pouvoir et les alliances des femmes indigènes qui se sont réunies en Comité national de coordination des femmes indigènes, permettent maintenant de surmonter les divergences sociales, de reconstruire le tissu social à partir de nouvelles bases de soutien et de progresser vers la construction d’une société plurielle pratiquant l’inclusion et d’un état garantissant les droits de l’homme. La voix des femmes indigènes du Mexique devient chaque jour plus forte et

va sans dire que ces femmes ont acquis un rôle fondamental dans la refondation de la nation. Il est incontestable qu’elles doivent affronter des obstacles et une opposition considérables, mais bien que leur présence soit gênante pour certains, elle n’en est pas moins une réalité indéniable. Un extrait du Proyecto Collectivo (Projet Collectif) résume bien la complexité des réalisations du Mouvement des femmes indigènes : « Les nouveaux domaines accessibles à la participation, les nombreux dialogues qui se sont établis avec les différents acteurs sociaux ainsi que la nouvelle approche aux droits des femmes et aux droits des populations indigènes, ont bien évidemment renversé les rôles hommes/femmes… Tous ces espaces organisationnels – qu’ils soient indépendants ou gouvernementaux – peuvent être vus comme des espaces producteurs de sens, processus qui a conduit les femmes indigènes, volontairement ou involontairement, à réfléchir à leur condition, produisant ainsi des échanges entre les questions de genre, d’ethnicité et de classe sociale. » - Proyecto colectivo

37


Résumé

Envers et contre tout : la construction d’un mouvement féministe en République Islamique d’Iran Résumé de l’étude de cas par Homa Hoodfar Cela fait maintenant cent ans que la question des femmes et de l’équité entre les sexes, est un des sujets les plus débattus et qui crée le plus de tensions en République islamique d’Iran. Un tel débat est en lui-même un défi à la République islamique, car conformément à ses règles, les femmes font partie, avec très peu de droits du fief de leur père et de leur mari et Dieu leur a ordonné d’être femmes et mères. La vision nationale et ses composantes juridiques ont été remises en question par des femmes iraniennes aux tendances idéologiques variées. Les femmes activistes ont analysé avec soin le contexte politique et ont préparé un programme se basant sur leur diagnostic des droits et des torts des femmes. Cette étude de cas décrit comment les défenseurs des femmes, pendant deux décennies d’activités décentralisées et informelles/semi-formelles, ont agi pour mobiliser les femmes et construire un mouvement féministe solide.

1979 : Les femmes et la révolution iranienne Après environ un siècle de luttes, les femmes en Iran, malgré la forte opposition des chefs religieux, furent finalement affranchies en 1963. En 1967, la première réforme du Droit de la famille, connue sous le nom Loi sur la protection de la famille, accorda aux femmes des droits minimums en termes de divorce et de garde des enfants. Les femmes jouèrent également un rôle important dans la révolution de 1979 qui aboutit à la chute du Régime du Shah. Cependant, malgré leur contribution au succès de la révolution, les femmes iraniennes avec l’établissement de la nouvelle République islamique et théocratique à l’idéologie régressive en matière de relation entre les sexes, furent les plus grandes perdantes. Deux semaines après son arrivée au pouvoir, le chef suprême de la révolution, l’Ayatollah Khomeiny, annula la Loi sur la protection de la famille. Un mois après son retour en Iran, Khomeiny annonça que conformément à la tradition islamique, il était interdit aux femmes de devenir juges et que deux témoins femmes équivalaient à un témoin masculin. Quelques jours après cette promulgation, Khomeiny déclara que les femmes devaient porter le voile (hijab) sur leur lieu de travail. Ceci fut suivi par la ségrégation de tous les événements sportifs et du passage dans les lieux publics.

38

Pour protester contre ces actions, les activistes femmes organisèrent plusieurs démonstrations et un rassemblement de milliers de femmes le 8 mars, jour international de la femme. Ce rassemblement attira l’attention et le soutien du public, ainsi que des foules de zélotes religieux et de forces paramilitaires qui, sous la protection des forces de sécurité attaquèrent et blessèrent les protestataires. Dès le début de la guerre entre l’Iran et l’Irak (1980-1988) un grand nombre de femmes qui avaient continué à être actives furent emprisonnées ou forcées à l’exil. En 1981, le régime avait annulé pratiquement tous les droits que les femmes avaient acquis entre 1900 et 1979. L’unique droit important que les femmes possédaient encore, était le droit de vote qui selon les calculs du régime serait à son avantage à cause de sa mainmise religieuse sur une grande partie des groupes féminins.

1980-1988 : Conditions qui évoluent et nouvelles formes de résistance La fin de la résistance organisée ne correspondait pas à la fin de l’opposition des femmes au traitement discriminatoire infligé aux femmes par le nouveau régime. Leur stratégie consista à adopter des méthodes qui pourraient mobiliser des femmes sur une vaste échelle contre les nouvelles mesures. Il


Résumé était clair que les questions sur le droit familial qui désavantageait toutes les femmes, touchait toutes les classes et les ethnies et devenait du même coup un point de ralliement pour la mobilisation. Tandis que les laïcs critiquaient avant tout l’idéologie discriminatoire du régime en matière de parité entre les sexes, la plupart des femmes de la campagne étaient prêtes à laisser faire le régime. Les voix de nombreuses jeunes veuves de martyrs de guerre, qui devaient laisser leurs enfants à la famille de leur mari, conformément au droit musulman, critiquèrent aussi le régime. Des milliers d’histoires sur le traitement injuste des femmes étaient publiquement décrites par les journaux, les magazines féminins et lors des réunions religieuses de femmes chez elles ou dans les mosquées. Ces réseaux qui manquaient d’impact formel politique ou juridique, étaient les seuls dont les femmes disposaient pour soutenir publiquement ces injustices. Le premier signe qui témoignait de l’influence de ces stratégies apparut lorsque Khomeiny annonça finalement en 1985 que les veuves des martyrs pouvaient conserver la garde de leurs enfants, même si elles se remariaient. Une seconde victoire fut celle de l’introduction d’un nouveau contrat de mariage spécifiant les situations où les femmes pouvaient demander le divorce tout en donnant la possibilité de stipuler d’autres conditions telles que le droit au travail ou celui de continuer leurs études.

1989-1996 : Groupes de pression : une nouvelle phase d’activisme La fin de la guerre entre l’Iran et l’Irak (1980-1988) et la mort de Khomeiny a ouvert un nouveau chapitre de la politique iranienne. Le régime ne pouvait plus utiliser la guerre comme excuse pour expliquer l’absence d’améliorations socio-économiques promises. Les femmes espéraient que l’absence de l’Ayatollah rendrait le régime plus soucieux de sa légitimité. La réforme juridique sans doute la plus remarquable que les femmes obtinrent pendant cette période fut le passage d’un projet de loi sur la rémunération des travaux ménagers, une campagne qui avait commencé vers la fin des années 80 pour indemniser les femmes qui se retrouvaient divorcées

après de nombreuses années de mariage, souvent parce que leurs maris voulaient des femmes plus jeunes. Plusieurs femmes très en vue, notamment la femme du Président Rafsanjani, défendirent ce projet de loi et finalement, malgré l’opposition féroce des chefs religieux orthodoxes, la mesure sur la rémunération des travaux ménagers, ojrat olmesal, fut adoptée en décembre 1991.

1997-2005 En 1997, la contradiction entre l’idéologie affichée du régime en matière de parité et l’imposition sur les femmes de ses lois prétendument musulmanes, était une des questions les plus débattues dans les discours publics. Durant l’élection présidentielle de 1997, le nombre d’électrices qui participèrent fut sans précédent et la grande majorité vota pour le candidat le plus libéral, Khatami qui était le favori du gouvernement. Plus de 78 % des femmes qui avaient le droit de vote, présentèrent leur bulletin aux urnes, en votant pour le candidat qui était le plus susceptible de commencer une réforme. Bien que les restrictions sociales dont souffraient les femmes aient diminué sous ce gouvernement réformiste, de nombreuses femmes furent énormément déçues par l’incapacité d’obtenir des réformes juridiques. Cependant, le Prix Nobel pour la Paix en 2003 attribué au juriste iranien Shirinb Ebadi, démocrate de longue date et activiste en faveur des droits des femmes et des enfants, suscita une vague de fierté et d’optimisme, et insuffla une nouvelle énergie en Iran et au sein du mouvement féministe. À la suite de l’euphorie créée par le Prix Nobel d’Ebadi, plusieurs réunions rassemblant nombre d’organisations féminines eurent lieu pour parler des priorités, des exigences et des réformes. Le fait que les réformistes ne réussirent pas à faire des promesses ou des déclarations de soutien, craignant les critiques des conservateurs, fit qu’un grand nombre de femmes, en particulier à Téhéran, boycottèrent l’élection en 2005. Simultanément, les forces conservatrices mobilisèrent un soutien dans les plus petites villes et les régions rurales dont la population était tendanciellement plus traditionnelle et conservatrice. Ces deux facteurs permirent au candidat religieux le plus conservateur d’être élu président. Sa position sur la parité

39


Résumé hommes/femmes était plus oppressive et plus conservatrice que toutes celles des fonctionnaires publics et religieux depuis le décès de Khomeiny en 1988.

Conclusion Le mouvement féministe en Iran ne correspond pas au modèle classique de l’organisation centralisée et organisée possédant des dirigeants clairement établis. Il ne souscrit à aucune grande

40

théorie. C’est un mouvement dont l’organisation est éphémère et en changement perpétuel – il est ainsi difficile à supprimer. Alors que les actes individuels de résistance rendent dans de nombreux cas les tentatives de répression et de contrôle de l’état inefficaces, il n’en est pas moins vrai que cette situation risque de conduire les femmes à perdre de vue le mouvement dans son ensemble. Cependant, le fait que mouvement qui a cent ans a toujours et continue de toucher toutes les classes et les ethnies en fait un des mouvements féministes les plus dynamiques de la région.


Résumé

Le mouvement des femmes intouchables en Inde : Dalit Mahila Samiti Résumé de l’étude de cas par Jahnvi Andharia et le collectif ANANDI   Historique En Inde, la lutte contre le système des castes et la discrimination dont sont victimes les membres des castes inférieures, et surtout les hors-castes ou « Intouchables », est une bataille de longue haleine, attendu que ce système est profondément enraciné dans la tradition sociale, politique et culturelle du pays. Les hors-castes sont considérés « intouchables » en raison des travaux et des métiers auxquels ils sont cantonnés et qui impliquent le contact avec des matières « impures » – la peau des animaux (tanneurs), les déchets (éboueurs), les cheveux (coiffeurs). La lutte contre cet ordre d’oppression a été menée par les plus grands leaders indiens comme Mahatma Gandhi et Bhimrao Ramji Ambedkar, brillant avocat, lui-même Intouchable, principal rédacteur de la Constitution indienne. L’Intouchabilité a été abolie et sa pratique est punie par la loi ; des actions de discrimination positive ont été mises en œuvre par le gouvernement indien pour tenter de corriger ces errements historiques. À la fin des années soixante, sous l’influence de vigoureux mouvements de masse en leur sein, les sans castes adoptèrent le nom de « Dalit », de dal, racine du verbe sanscrit signifiant casser ou fendre. Le terme Dalit s’applique donc à tous ceux qui, d’une manière délibérée, sont brisés, écrasés, par d’autres qui se considèrent supérieurs, ceci incluant les femmes, toutes castes confondues, pour être toutes des opprimées. L’acception du mot dalit renferme également le rejet de la notion de souillure du karma1 qui a été utilisée pour justifier la hiérarchie de caste et l’exclusion, et la dénonciation du système des castes dans son ensemble. Mais les Dalits continuent d’être victimes d’une énorme discrimination dans toute l’Inde. Ils représentent 16,2 % de la population totale mais contrôlent moins de 5% des ressources du pays. Près de la moitié de la population dalit vit en deçà du seuil de pauvreté et 62% est analphabète. Plus encore, en proportion dépassant de loin ce qu’on observe dans les autres secteurs de la société, les Dalits sont les cibles quotidiennes des pires crimes et atrocités. Entre 1992 et 2000, au plan national, un total de 334 459 cas relevant de crimes contre les SC (Scheduled Castes : « castes répertoriées » : c’est-à-dire « les Intouchables ») a été enregistré par la police.

Dalit Mahila Samiti Dalit Mahila Samiti (DMS) est une organisation qui regroupe plus de 1 500 femmes dalits de l’état de l’Uttar Pradesh (UP), au nord de l’Inde. DMS est soutenu par Vanangana, une ONG féministe née en 1993 en Uttar Pradesh, dont l’objectif était la construction d’un mouvement de base travaillant sur le terrain en faveur de la justice pour les femmes marginalisées, en particulier les femmes intouchables. Très vite, s’est imposée à Vanangana

la nécessité de l’existence d’une organisation de femmes séparée, dotée d’une claire identité dalit, et en 2002, le Dalit Mahila Samiti voyait le jour.

Objectifs du mouvement   Changer la donne des relations de caste dans la région où il est implanté;   Promouvoir l’organisation et l’apparition de dirigeantes parmi les femmes de la base;

1.  Destin ou prédestination.

41


Résumé   Protester contre toute forme de violence;   Mener des actions stratégiques en périodes d’élection avec les membres des castes supérieures, en ses propres termes, visant l’intérêt des femmes dalits;   Veiller au maintien et à l’application à tous les Dalits éligibles des acquis obtenus lorsque le parti dalit [Bahujan Samaj Party] était au pouvoir.

Structure Les instances dirigeantes de Dalit Mahila Samiti sont encore en évolution et les frontières entre direction du mouvement et prises de décisions sont très peu rigides. Les dirigeantes de DMS ont développé la capacité d’organiser leur travail de manière indépendante, et de savoir quand demander de l’aide à Vanangana. Les premières décisions sur les cas à traiter et les stratégies à adopter sont prises par les dirigeantes de DMS. Dans chaque village, deux femmes sont choisies par les membres du groupe local de DMS pour les représenter au niveau de la section. Chaque section élit à son tour une Adhyaksh (présidente), Koshaadhyaksh (trésorière) et une Sachiv (secrétaire). De même, à la tête de l’organisation globale, il y a une présidente, une trésorière et une secrétaire. Toutes les dirigeantes de sections se réunissent une fois par mois pour partager leurs expériences et prendre des décisions collectives ; les matières demandant des débats plus approfondis sont vues au niveau de l’organisation centrale. Des représentantes de Vanangana participent à ces réunions et dispensent conseils et informations si nécessaires.

Stratégies Les femmes de DMS recourent à des stratégies non agressives mais puissantes pour miner l’intouchabilité et le concept d’impureté. Des actrices militantes de DMS vont de village en village et présentent des saynètes qui conscientisent le public sur le thème de l’intouchabilité. Elles recrutent à cette occasion des femmes qui s’engagent à travailler pour mettre fin à cette pratique; elles invitent également les hommes à devenir des « sathidars » – des compagnons de route. DMS s’attaque aussi aux usages discriminatoires qui

42

existent au sein des foyers et au niveau individuel – en insistant, par exemple, pour que Dalits et non Dalits partagent l’eau potable et prennent des repas ensemble, ceci pousse les familles à changer leurs pratiques quant à l’intouchabilité sur la base d’une nouvelle approche des concepts de pureté et d’impureté (sur lesquels elle est fondée). Dalit Mahila Samiti se fait également l’écho de la plupart des cas ayant trait à la violence et la direction adopte des stratégies pour étudier les éléments qui interviennent dans ces cas. Ils sont discutés à plusieurs instances – en sections, et si besoin est, au niveau régional. En diffusant l’information, DMS met en branle la solidarité et assure les victimes du soutien d’un groupe important de personnes. En outre, le mouvement travaille dans des programmes du gouvernement comme l’initiative du Repas de midi pour les écoliers, et veille à ce que les enfants dalits soient assis et mangent avec les enfants des autres castes.

Réalisations Dalit Mahila Samiti compte de nombreux succès à son actif. Son apport à la formation et au développement de l’identité des femmes intouchables et partant, à l’expansion du mouvement dalit a été fondamental. Les femmes sont intéressées par les changements politiques qui prennent place à l’échelon gouvernemental - une femme dalit est devenue Chef de l’exécutif (Chief minister) de l’état de l’Uttar Pradesh -, mais elles ne négligent pas pour autant les défis qui se posent au niveau local. La nature collective de la direction de DMS est sa plus grande force puisqu’elle repose sur la prise de décisions en commun et non sur la présence d’une ou deux dirigeantes charismatiques. Les instances de direction rassemblent les expériences d’un grand nombre de femmes représentant un ensemble géographiquement très étendu. Plusieurs cas importants illustrent la manière dont DMS signifie clairement sa volonté de se battre jusqu’à ce que la justice règne en Uttar Pradesh pour les Dalits. Ainsi, dans le cas emblématique de l’assassinat d’un militant politique Dalit, les femmes de DMS en partenariat avec Vanangana ont joué un rôle crucial en s’assurant que les assassins de caste supérieure soit arrêtés et punis. Un autre exemple est celui d’une femme dalit enceinte


Résumé qui avait été brutalement frappée par trois femmes de caste supérieure. Grâce à DMS, ces deux cas ont été suivis de près par les médias locaux et par l’administration ; sans l’action du mouvement, ils risquaient de tomber dans l’oubli. Aujourd’hui, les forces conjointes de Dalit Mahila Samiti et de Vanangana sont un véritable mo-

teur de consolidation et d’expansion du mouvement des femmes dalits ; ce mouvement de plus de 1 500 femmes de la région la plus reculée et la plus féodale d’Inde qui a fait la preuve de sa capacité à se dresser face à l’injustice et à l’oppression, en défense de l’égalité, de la justice et pour la dignité des Intouchables, hommes et femmes.

43


Résumé

Employées de maisons organisant aux Etats-Unis Résumé de l’étude de cas par Andrea Cristina Mercado et Ai-jen Poo   Historique et contexte Après plusieurs siècles d’exclusion de toute reconnaissance en tant que véritable main d’œuvre, les employées de maisons aux États-Unis luttent aujourd’hui pour obtenir du respect et du pouvoir, au niveau national. Les employées de maisons ont joué un rôle fondamental dans le développement de la vie sociale et économique des États-Unis. Historiquement, cette main d’œuvre tire ses racines dans le commerce transatlantique des esclaves et l’économie des plantations, qui fournirent les ressources et les matériaux pour l’industrialisation des États-Unis. Pendant l’industrialisation, le travail domestique des femmes resta invisible et non reconnu. Si le travail domestique servit de fondement à la croissance de l’économie, il resta toujours invisible, et délibérément exclu, à plusieurs reprises, de toute reconnaissance ou protection contre les mauvais traitements, dans le droit du travail aux États-Unis. Le fait que les employées de maison aient traditionnellement été des femmes non blanches immigrées est également significatif, puisque leur exploitation représente une lutte clé du mouvement féministe, impliquant qu’on comprenne simultanément les questions d’oppression due à la race, au genre et à la classe sociale pour pouvoir lutter contre. Malgré le rôle critique que remplissent les employées de maisons dans l’économie politique mondiale actuelle, elles restent exclues, aux États-Unis, de la plupart des protections de base en matière de travail, et vivent et travaillent essentiellement selon les désirs de leurs employeurs. Les employées de maison aux États-Unis sont principalement des immigrées non blanches qui travaillent beaucoup pour un salaire peu élevé, qui ne sont pas payées pour les heures supplémentaires qu’elles font, et sont extrêmement isolées. La plus grande majorité des employées de maison ne bénéficient pas des droits humains les plus fondamentaux. À New York, par exemple, 33 % des employées questionnées en 2005 expliquaient qu’elles subissaient une forme de mauvais traitement de la part de leur employeur.1 L’industrie du travail domestique n’est pas régulée, et les quelques lois de base qui s’appliquent aux employés de maison ne sont pas respectées. Les employées de maisons n’ont aujourd’hui plus le choix : il faut qu’elles s’organisent, envers et contre tout. C’est dans ce contexte que les organisations luttant pour les droits des employées de maisons aux États-Unis se sont formées.

L’Alliance nationale des employées de maisons En juin 2007, plus de 50 employées de maisons originaires de pays du sud, travaillant aujourd’hui dans des villes étatsuniennes, se sont retrouvées à Atlanta en Géorgie pour prendre part au premier Forum social des États-Unis (USSF), pour une

rencontre nationale des employées de maisons. Malgré les barrières linguistiques et culturelles, ces femmes ont partagé leurs expériences de luttes dans différentes régions du pays. Le dernier jour de la rencontre, elles ont décidé de former une Alliance nationale des employées de maisons.

L’Alliance nationale des employées de maisons se compose d’organisations de terrain

1.  Domestic Workers United, Home Is Where the Work Is: Inside New York’s Domestic Work Industry: New York, DataCenter and Domestic Workers United, 2006.

44


Résumé qui luttent pour les droits des employés de maisons/domestiques. Les objectifs de cette alliance nouvellement formée sont les suivants : 1.  Attirer l’attention du public, de manière collective, sur les problèmes rencontrés par les employés de maisons/domestiques ; 2.  Apporter respect et reconnaissance aux personnes effectuant ce travail ; 3.  Améliorer les conditions de travail ; et 4.  Consolider la voix et le pouvoir des employés de maisons en tant que main d’œuvre. Plusieurs organisations travaillaient déjà ensemble dans ces mêmes objectifs. Les organisations d’employées de maisons en Californie se sont battues pour un décret d’État interdit par véto du gouverneur Arnold Schwarzenegger en 2006. À New York en 2003, des organisations se sont ralliées pour faire voter une législation concernant la ville de New York, obligeant les agences d’intérim qui placent les employées de maisons à les informer de leurs droits, et les employeurs à connaître leurs obligations juridiques. Actuellement, ces organisations collaborent pour faire voter une Déclaration des droits des employés de maisons au niveau étatique, qui établirait des normes en matière de travail, y compris un salaire décent, le droit à la sécurité sociale et des avantages de base. La réunion des ces organisations a augmenté de manière exponentielle la capacité, la visibilité et l’influence des employées de maisons en tant que secteur du mouvement de justice sociale. Des organisations à Miami, Chicago, San Antonio et Baltimore sont en train de travailler au lancement d’organisations d’employées de maisons au niveau local, avec le soutien espéré de l’Alliance nationale. En outre, d’autres secteurs, y compris le mouvement syndical, commencent à comprendre le rôle stratégique que joue cette main d’œuvre pour la reconstruction du mouvement de travailleurs.

Stratégies Même si l’Alliance nationale des employées de maison n’a pas de stratégie collective, ses organisations membres, comme Mujeres Unidas y Activas (MUA) en Californie et Domestic Workers United (DWU) à New York, cherchent individuel-

lement à renforcer les capacités des employés de maisons. Ces organisations ont des stratégies similaires : elles sont un groupe où les employées peuvent partager leurs expériences et où elles trouvent de l’aide pour s’autonomiser afin de lutter pour les droits des immigrés, des femmes et des travailleurs. Elles utilisent la force de leurs membres qui deviennent mentors pour d’autres femmes, animatrices de groupes, éducatrices dans leurs communautés, et organisatrices. Parmi les éléments clés de leur travail, les recherches, menées par leurs membres au niveau local, sur les conditions de travail dans l’industrie. Elles utilisent les résultats pour obtenir des informations et tirer des leçons sur les luttes à mener pour les employées de maisons. Elles placent également beaucoup d’importance sur le développement de compétences en direction, pour obtenir une direction politique pour les employées de maison au sein des organisations et dans le mouvement plus généralement. Ces organisations ont également mené plusieurs campagnes ; elles ont notamment fait pression pour que des lois cruciales soient adoptées dans leurs États. D’ailleurs, si la Déclaration de droits des employés de maisons du DWU était votée, il s’agirait de la législation la plus exhaustive en matière de protection des employés de maisons n’ayant jamais existé aux États-Unis.

Succès Si les organisations d’employés de maisons aux États-Unis restent encore jeunes, et si les défis à relever à l’avenir restent nombreux, les impacts sur le mouvement de justice sociale plus vaste se sont déjà fait ressentir politiquement, concrètement et culturellement. Concrètement, les leaders d’employées de maisons ont déjà permis de confronter une culture basée sur la patriarchie, le racisme et les discriminations liées aux classes sociales dans la société en général et dans le mouvement pour la justice sociale également. Ce mouvement a permis d’ouvrir la porte à des centaines de femmes immigrées non blanches originaires de la classe ouvrière, de les mettre en position de dirigeantes – d’organiser des luttes, d’être une inspiration pour d’autres, et de mobiliser des communautés entières pour un avenir meilleur – prouvant par là que ces activités sont précisément celles dont le mouvement pour la justice sociale aux États-Unis

45


Résumé avait besoin. Il faut également noter la tenue du premier forum social des États-Unis, où de nombreux membres d’organisations du « mouvement » ont participé, organisations basées sur des communautés ouvrières non blanches – et pour beaucoup menées par des femmes. L’USSF a été pour beaucoup la manifestation d’un profond changement dans le mouvement pour la justice sociale aux États-Unis, fruit de plusieurs années de travail de terrain, d’organisation de groupes au sein des communautés et de développement des compétences en direction et de construction d’alliances. Si certains leaders de ce mouvement naissant s’identifient très peu au féminisme, leur lutte est néanmoins clairement pro-femmes. Ces organisations exigent quotidiennement que le « travail des femmes » soit reconnu et mis en valeur, et pratiquent l’autodétermination des femmes, dé-

46

fendent leurs droits de prendre les décisions qui leurs sont propres et de vivre dans le respect et la dignité. Culturellement, les organisations d’employées de maisons ont forcé le mouvement pour la justice sociale à donner une juste valeur aux rôles joués par les femmes, en tant que principal gagne-pain, pour leurs familles à la maison et à l’étranger, et fournisseuses de soins pour leurs employeurs et leurs propres enfants. Les employées de maisons ont forcé les gens à mieux réfléchir au travail invisible qui permet à d’autre travail d’être fait, et à l’importance d’une reconnaissance, d’un respect et d’une protection pour ce travail conformément aux principes des droits humains fondamentaux. Et pour citer les membres de Domestic Workers United, « Nous rêvons qu’un jour, tout travail sera évalué selon les mêmes critères. »


Résumé

Des difficultés multiples : la campagne « Une sur neuf » (One in Nine), Afrique du Sud Résumé de l’étude de cas par Jane Bennett1

Historique et contexte L’histoire du mouvement des femmes en Afrique du Sud est généralement liée à la résistance au colonialisme et à l’apartheid au cours du XXe siècle. Avant 1990, les analyses féministes des domaines politiques, culturels et économiques étaient mêlées aux différents mouvements qui luttaient pour mettre fin à l’apartheid. Pourtant, dans les années immédiatement après 1994 (année du démantèlement formel de l’État d’apartheid), des différents activistes et des diverses organisations ont réussi à venir à un consensus pour créer l’importante Charte nationale pour les femmes. Cette Charte a servi de plateforme pour faire pression sur le nouveau gouvernement afin qu’il prenne des dispositions concrètes en faveur de la justice liée au genre. Grâce à la Charte nationale pour les femmes, le mouvement des femmes a obtenu un certain nombre de succès, y compris des réformes juridiques, politiques et financières. Entre 1999 (après cinq années d’enthousiasme pour le nouvel État) et 2005, certains estiment que l’organisation du mouvement des femmes a souffert. Il a lutté pour sa propre cohérence et cohésion, dans un contexte d’augmentation rapide de la pauvreté ; de perte de vitesse et d’inquiétudes à la fois au niveau des compétences de l’État mais aussi de sa volonté à transformer les axes économiques et sociaux du pouvoir de manière à obtenir l’égalité des genres « sur le terrain ». En outre, la nécessité de combattre la transmission du VIH, de réduire la violence sexuelle et de garantir l’accès aux droits politiques et sociaux pour les femmes et les filles a accru l’importance des questions de sexualité pour les placer parmi les plus importantes du mouvement des femmes. Le lancement de la campagne « Une sur neuf » (One in Nine) doit être compris dans un contexte national très spécifique : un contexte de plus en plus difficile économiquement, politiquement et socialement, où l’organisation du mouvement des femmes a subi des revers en matière de direction, d’alliances et de durabilité. Par ailleurs, c’est un contexte où existent de nouveaux cadres de travail en matière d’activisme politique, où les questions de justice sociale sont liées à celles de l’égalité des genres et des droits sexuels.

La campagne «Une sur neuf» (One in Nine, OINC) La campagne Une sur neuf a été lancée en février 2006, au début du procès de Jacob Zuma, ex vice-président d’Afrique du Sud, accusé d’avoir violé une amie séropositive de sa famille. Il avait alors été suspendu de son poste officiel en raison d’un autre procès où il était également inculpé. La campagne a été lancée dans le but d’exprimer une solidarité avec la femme en question, mais aussi

avec les autres femmes qui s’expriment sur le viol et la violence sexuelle. Le nom de la campagne se base sur une étude du Medical Research Council menée en 2005 (Centre de recherche médicale, MRC) sur la violence sexuelle, qui indiquait que seulement une victime de viol sur neuf dénonçait l’attaque à la police. Cette statistique a donné son nom à la campagne, « Une sur neuf ». L’étude indique également que parmi les affaires qui passent en justice, seulement 5 % des violeurs accusés sont condamnés.

1.  Institut africain des genres, Université du Cap

47


Résumé

Objectifs et stratégies La mission de l’OINC est de travailler avec des organisations et des institutions impliquées par les questions de VIH/Sida, de violence contre les femmes, de droits des femmes, de droits humains et d’activisme lesbien, gay et bisexuel pour s’assurer « que la question des droits sexuels de toutes les femmes soit évoquée ». Pour ce faire, l’objectif est de construire la solidarité, de faire des recherches, de travailler avec les médias, de chercher à modifier les lois, mais aussi de lancer des campagnes d’action directe. Les objectifs de l’OINC incluent :   Construire la solidarité : Faire connaître les questions de droits sexuels en évoquant surtout le droit des femmes à l’autonomie sexuelle et des pratiques sexuelles sûres et consensuelles.   Recherches : Développer un programme de recherches qui permet d'évaluer effectivement les aspects sociaux et juridiques de la violence sexuelle et leurs conséquences en matière de politiques et de pratiques.   Médias : S’attaquer au pouvoir des médias imprimés et électroniques en faveur de l'éducation et de l'information des institutions principales et du public sur les dimensions juridiques et sociales de la violence sexuelle.   Réformes juridiques : Faire pression pour une réforme de la justice et du cadre juridique pour que les femmes qui osent parler de leur expérience puissent avoir accès à la justice à toutes les étapes du processus.   Action directe : Manifester un soutien et une solidarité directs avec les femmes qui osent s’exprimer contre la violence sexuelle. Depuis le procès de Jacob Zuma, l’OINC a entrepris des activités médiatiques et publiques permanentes qui soulignent l’intransigeance du système pénal pour les victimes de viol. Des protestations ont été organisées devant les tribunaux, des pétitions ont été rédigées, des interventions juridiques soutenues, des « campagnes de publicité en bus » organisées ; il s’agit de travailler sur des cas particuliers pour développer une stratégie. En juillet 2007, deux activistes lesbiennes qui rentraient d’une fête ont été assassinées à Johannesburg. Avec de nouvelles organisations partenaires, l’OINC a organisé la manifestation 07-07-07, au

48

niveau de l’activisme public, en construisant des réseaux de solidarité, en s’attachant également au côté juridique et en créant une gamme de ressources (dont certaines étaient vitales) pour soutenir le mouvement de protestation contre ces meurtres.

Direction et structure C’est un consortium d’organisations qui gère la campagne et ceci se fait sous forme participative, avec une demande de consensus de la part de tous les participants lors de la prise de décisions stratégiques particulières, mais en utilisant aussi l’énergie disponible chez les différentes organisations, en fonction de leurs activités. L’OINC est dirigée par plusieurs femmes dont l’expérience en termes de luttes pour les droits, de résolution de conflits, de sexualité et de droits de reproduction, du VIH ou de la violence liée au genre est différente, et dont les expériences économiques personnelles sont également diverses. Dès le début, l’OINC a consciemment construit un mouvement basé sur les forces politiques et les domaines d’expertise de différentes organisations sur lesquels on n’avait jamais précédemment capitalisé pour former une coalition formelle. Les statuts de l’OINC, rédigés dans les mois suivant la clôture du procès du viol de Jacob Zuma, en mai 2006, sont explicites sur les principes féministes qui guident le projet, auxquels tous les membres doivent adhérer. Ils précisent notamment : (i) La campagne sera menée durablement par des femmes qui chercheront à créer des relations égalitaires de pouvoir au sein de la campagne, grâce à des pratiques de gouvernance bonnes et démocratiques, basées sur les principes féministes de partage des rôles directeurs et de prises de décision en commun; (ii) les prémices idéologiques de toutes les actions de la campagne et de la gouvernance seront le féminisme, surtout le principe de base selon lequel « le personnel est politique », et(iii) les actions de la campagne seront basées sur l’intersection des différentes formes d’oppression.

Succès Les impacts du travail de l’OINC ont été importants : Des protestations publiques ont été organi-


Résumé sées à quatre grandes villes après l’assassinat des activistes lesbiennes, et intégrées aux plateformes de travail de différentes organisations. La combinaison de l’expérience en matière d’activisme acquise au cours du procès de Jacob Zuma et du scandale provoqué par l’assassinat des deux jeunes femmes (qui ne sont pourtant pas les premières à mourir, en Afrique du Sud, à cause de l’homophobie visant des lesbiennes noires en particulier) a à la fois renforcé la coalition mais aussi entraîné un renouvellement d’exigences pour les membres de la coalition, pour qu’ils « soutiennent » la direction de la construction du mouvement. L’OINC est une organisation de construction de mouvement qui se place dans une Afrique du Sud d’une nouvelle ère, où l’importance de la reconnaissance de l’échec de la lutte contre l’apartheid pour les femmes (surtout les femmes noires et pauvres) est traumatisante, notamment pour celles qui ont tra-

vaillé dur pour que l’État prenne des décisions juridiques sur le genre, ou pour réformer différentes lois. Le discours de l’OINC et son activisme ont eu un impact puissant sur la signification de l’organisation féministe en Afrique du Sud, notamment sur les principes de définitions d’une stratégie féministe d’une manière qui influence la compréhension de la visibilité et de la variété des mouvements de femmes. « Nous avons rencontré des difficultés multiples, mais je pense que ce qui nous a fait tenir, c’est le rêve d’un monde meilleur et le fait que nous étions en train de le construire ensemble. Nous avons beaucoup parlé, nous nous sommes soutenus les uns les autres, nous avons fait pression sur la communauté des donateurs pour qu’elle se joigne à nous au lieu de tout simplement nous donner des subventions. » -- Fatma Alloo, founding member, TAMWA (Tanzanian Media Women’s Organization)

49


Résumé

Quand les mères font bouger les choses : le réseau des centres maternels de La République tchèque Résumé de l’étude de cas par Suranjana Gupta   Historique et contexte Le mouvement des mères tchèques commença en 1992 lorsqu’un petit groupe de mères décida de lutter contre l’isolement qu’elles subissaient en tant que mères, et de trouver des moyens de s’occuper de leurs enfants collectivement. Aujourd’hui, il s’agit d’un mouvement sophistiqué, issu de la société civile du terrain, qui est passé de l’ouverture d’un centre maternel à Prague à l’organisation d’un réseau national de plus de 250 centres maternels. Ces centres répondent aux besoins concrets de familles ayant de jeunes enfants à charge, tout en travaillant de manière collective sur un ensemble plus vaste de valeurs qui démontrent pourquoi et comment la société tchèque doit être plus « accueillante pour les familles ». Pendant l’ère soviétique, l’État socialiste tchèque avait toujours soutenu les femmes pour qu’elles réconcilient leurs rôles productifs et reproductifs, et leur permettait de travailler, même si leur accès à l’emploi ne se faisait pas dans les mêmes conditions que les hommes. Les transformations de la sécurité sociale en réaction à la transition à l’économie de marché touchèrent de plein fouet les travailleuses qui étaient également mères. C’est dans ce contexte de transition politique et économique que le mouvement des mères tchèques naquit. La maternité était pensée comme faisant partie intégrante du fait d’être femme ; et plutôt qu’opposer travail et famille, les femmes de la République tchèque considéraient leur participation au monde du travail comme un élément clé de leurs responsabilités familiales. Le Réseau des mères tchèques commence avec le Groupe des mères de Prague, petite organisation informelle et souterraine de vingt mères, dont le principal souci était alors la mauvaise qualité de l’air à Prague et ses conséquences sur la santé des enfants grandissant dans la ville. Inspirées par les Centres maternels allemands qu’elles avaient visités, les Mères de Prague lancèrent alors en 1992 leur premier Centre maternel dans une salle disponible du YMCA de Prague. Aujourd’hui, il existe plus de 252 centres maternels en République tchèque, grâce auxquels les femmes ont réussi à politiser leur rôle de soignantes, et sont devenues une voix politique forte qui influence les décisions publiques pour qu’elles correspondent aux priorités des femmes du terrain en tant que mères présentes également sur le marché du travail.

Structure et objectifs A l’assemblée annuelle des Mères tchèques tenue en mars 2001, les femmes à la tête des Centres maternels obtinrent un mandat pour monter une association anonyme nommée « Réseau des centres maternels de République tchèque ». En octobre de la même année, le Réseau était formellement enregistré auprès du ministère de l’Intérieur. En mars 2002, la première assemblée plénière du réseau des centres maternels de République tchèque, nouvellement officialisé, élisait son premier comité directeur. Aujourd’hui, le comité directeur

50

est composé d’une présidente et de quatre viceprésidentes, toutes élues par des représentantes des Centres maternels, chaque Centre disposant d’une voix. Existe aussi un bureau directeur élu qui doit répondre de toutes ses actions auprès du comité directeur. Le Réseau des centres maternels travaille actuellement sur les questions suivantes :   Mettre le fait d’être parent et l’éducation des enfants au cœur de la sphère publique en reconnaissant la contribution sociale des soins apportés par les femmes à leurs enfants et en la rendant visible ;


Résumé   Créer des mécanismes de dialogue qui permettent une implication et une collaboration entre les citoyens et les gouvernements ; et   Promouvoir de nouvelles formes de développement dans les quartiers et des infrastructures qui reflètent les besoins des familles ayant des enfants à charge.

Stratégies et succès Le rôle joué par les centres maternels, qui rendent visibles les manières dont les politiques et pratiques existantes marginalisent et isolent les mères, socialement et économiquement, tout en portant l’éducation des enfants et la maternité dans la sphère publique, a été fondamental. La fédération formelle des 252 Centres maternels, dans des villes et villages, en tant que réseau, leur permet de consolider leur identité, de diffuser leurs principes et valeurs avec clarté, et de présenter leur vision des changements que les femmes veulent obtenir. Les efforts faits par les Centres maternels ont permis de créer des espaces pour que les femmes puissent s’occuper de leurs enfants de manière collective, accéder à une infrastructure accueillante aux enfants dans leurs quartiers, et s’impliquer dans les décisions prises en matière de politiques sociales. Grâce aux activités de soutien mutuel et de parrainage, et aux liens créés, le réseau des centres maternels rassemble des femmes qui militent pour leurs droits en tant que citoyennes. Il s’agit de femmes ordinaires qui se voient autonomisées et réussissent ainsi à négocier des espaces publics, des financements et l’égalité des chances ; à monter des centres et à gérer des activités ; à s’entraider, à dialoguer avec les responsables des autorités ; et à chercher des systèmes qui respectent les priorités des familles, et y répondent. Ainsi, les femmes ont plus confiance en elles et se considèrent comme des soignantes, des travailleuses, des citoyennes qui peuvent améliorer la qualité de la vie des enfants, des familles et des communautés. Elles se sentent autonomisées et peuvent décider des priorités à se donner de la manière qui leur convienne.

En 1999, les Centres maternels tchèques décidèrent de s’impliquer dans GROOTS International, réseau d’organisations de femmes du terrain, et la Commission Huairou, coalition de réseaux du terrain et de partenaires professionnels. Pour les Mères tchèques, faire partie de réseaux mondiaux partageant des valeurs et des principes similaires permettait de faire passer leur message et signifiait que les femmes se sentaient membres d’une lutte plus vaste, au-delà de leur propre quartier ou pays. En 2001, les Mères tchèques furent l’une des six organisations d’autonomisation des femmes à participer à un dialogue « local à local », projet mondial développé par la Commission Huairou, en réaction aux besoins des groupes de terrain en matière d’organisation et d’avancée de leurs priorités via des dialogues avec les autorités locales. Les Mères tchèques saisirent cette opportunité pour lancer un processus (qu’elles documenteront) au cours duquel les mères d’une petite ville nommée Breznice s’organisèrent pour obtenir le soutien d’écoles et d’entreprises locales en partenariat avec la municipalité, pour la construction d’une ère de jeux pour leurs enfants. Les Centres maternels ont continué à organiser des dialogues « local à local ». Ceux-ci se trouvent actuellement dans leur quatrième année. L’une des stratégies les plus efficaces employées par les Centres maternels tchèques afin de faire avancer les choses en leur faveur a été leur campagne pour une société « accueillante aux familles ». Lancée en 2004, la campagne « accueillante aux familles » cherchait à présenter des moyens concrets pour le gouvernement de faire preuve de son soutien aux familles en adoptant une planification urbaine qui privilégie la sécurité des femmes et des enfants, des emplois flexibles et des infrastructures accueillantes pour les enfants. Et surtout, la campagne mettait les femmes du terrain et leurs rôles en tant que mères dans la sphère publique, et leur permettait de faire campagne pour leurs propres intérêts. La campagne pour une société accueillante aux familles donne des prix aux entreprises et services publics qui présentent des espaces accueillants pour les enfants, des services de garde d’enfants et des conditions de travail flexibles pour les mères.

51


Résumé

Conclusion Les mères s’organisant pour l’éducation de leurs enfants et pour obtenir un soutien des autorités pour les familles ayant de jeunes enfants à charge ont, par leur nombre, pu récupérer et recadrer certaines questions, luttant ainsi contre les puissantes forces conservatrices de droite, qui subsistent généralement par l’organisation de campagnes autour du « respect et de la protection de la famille » dans la patriarchie et l’exclusion. Le mouvement permet de lutter contre les préjugés de

52

classe et de genre contre les femmes en tant que mères, en créant une masse critique de femmes ordinaires qui font connaître la valeur de leur travail non payé – et la prouvent. Il crée également des processus d’autonomisation et de partage des connaissances entre femmes, gérés par les femmes elles-mêmes, et est à l’origine de campagnes de plaidoyer qui ont obligé les gouvernements et le secteur privé à prendre leurs priorités en compte. Le mouvement des Centres maternels travaille donc sur un terrain aussi neuf que fondamental, terrain grandement négligé par les mouvements féministes traditionnels.


Résumé

La démobilisation des mouvements féministes : le cas de la Palestine Résumé de l’étude de cas par Islah Jad   Histoire et contexte Huit ans sont maintenant passés depuis le dernier soulèvement palestinien, ou Intifada, en septembre 2000. Cela fait quinze ans que l’Autorité palestinienne a été créée (PA), lors de la signature de l’Accord d’Oslo en 1993 entre l’État d’Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Cet accord a mis un terme à près d’un demi-siècle de conflits sur le sol palestinien. La première Intifada qui commença en 1987 a été accompagnée d’un mouvement féministe dynamique qui a réussi à mobiliser un grand nombre de femmes tant citadines que rurales afin qu’elles entreprennent des projets féministes nationalistes. Cependant, ces dernières quinze années, ce mouvement fondé sur les masses populaires et qui encourageait les femmes à créer un programme à la fois nationaliste et féministe à partir d’organisations locales dans toute la Palestine, a subi un processus ‘’d’ONG-isation’’. Utilisé pour la première fois par les membres de partis politiques de gauche, l’ONG-isation est un terme qui décrit le processus à travers lequel les questions d’intérêt collectif sont transformées en projets isolés, sans que les facteurs économiques, politiques, sociaux qui les ont fait surgir, soient pris en considération. Vu la forte mobilisation des femmes citadines et rurales de toutes les classes pendant la première Intifada, l’auteur a été choqué d’apprendre que les responsables femmes affirmaient en 2002, « ne pas être organisées ». Il est clair que les jeunes structures nationales mises en place après 1993 étaient insuffisamment équipées pour contribuer à l’organisation de mouvements féministes et de résistance populaire. Pour illustrer les changements qui se sont produits entre le premier mouvement féministe fondé sur les masses populaires et le phénomène d’ONG-isation, nous étudierons deux organisations féministes très différentes.

La Fédération palesti­nienne des Comités d’action féminine   Organisation, buts et stratégies Fondée en 1978, la PFWAC (Fédération palestinienne des Comités d’action féminine) est une puissante tribune de femmes qui a soutenu des organisations féminines au niveau local. Elle avait pour programme d’obtenir l’égalité des droits entre les hommes et les femmes dans le « domaine public », en termes de salaires, de possibilités d’emploi, d’éducation et de participation politique. Un des éléments les plus importants ayant contribué au succès de la PFWAC fut sa capacité à lier, dans le cadre des projets proposés, les intérêts stratégiques des femmes à leurs besoins pratiques. Cette fédération s’efforçait d’une part de fournir des ser-

vices que les femmes désiraient, notamment l’indépendance économique grâce à un travail rémunéré, des services de garderie et préscolaires. Par ailleurs, les projets rémunérateurs prenaient leurs décisions en groupe et avaient également mis en place un espace politisé partagé avec d’autres femmes. Leur but n’était pas de faire de la charité, mais plutôt d’organiser et de mobiliser. Par ailleurs, la PFWAC voulait augmenter son support de masse ainsi que celui du Democratic Front for the Liberation of Palestine (DFLP) (Front démocratique pour la Libération de la Palestine) auquel elle était affiliée. La création de projets rémunérateurs pour les femmes et les jeunes filles a été motivée par le fait que la PFWAC était consciente du fait que pour recruter des femmes de la campagne ou de la classe ouvrière, elle devait fournir des formes d’emploi qui étaient acceptables aux yeux de leurs familles ou de leurs communautés.

1.  Women’s Studies Institute, Ber Zeit University

53


Résumé

Réalisations et déclin En 1987, la PFWAC était une organisation florissante qui avait créé un vaste réseau de crèches et d’activités préscolaires, qui employait plus de 48 enseignants et cinq directeurs fournissant leurs services à 1 504 enfants. La PFWAC avait réussi, dans une large mesure, à construire une identité de groupe et se décrivait comme étant des binat al-‘amal al-nissaei, Filles de l’action des femmes. Celles-ci étaient responsabilisées par leur rôle dans la lutte nationale et par un système de parité hommes-femmes au sein duquel les partis séculiers de gauche dominaient sur les organisations de masse et sur la culture. Responsabilisées par des réseaux importants, elles réussissaient à établir des liens avec les femmes dans les villes, les villages et les camps de réfugiés grâce à des leaders charismatiques et respectées et grâce à leur action collective. Dans un tel climat, les femmes du PFWAC exprimaient ouvertement leurs demandes et leurs intérêts et pouvaient agir en tant que groupe. Elles affirmaient qu’aucune libération de leur patrie ne serait possible sans la libération des femmes, que les femmes travailleraient aux côtés des hommes pour la libération nationale et qu’elles recevraient le même salaire pour le même travail. Cependant, le déclin des organisations populaires locales, y compris de la PFWAC, commença au début des années 90 et fut lié au déclin des « politiques institutionnelles » (politiques pratiquées par les syndicats ou les partis politiques), et à l’incapacité de l’Autorité palestinienne de répondre aux attentes initiales. Les instituteurs n’étaient plus payés, les instituts préscolaires furent fermés et de nombreux autres services ne furent plus fournis. Le déclin des politiques institutionnelles, spécialement au sein du DFLP, fut causé par une division interne du parti qui ne savait pas s’il devait ou non participer aux négociations pour la paix avec Israël. En 1990, le DFLP et la PFWAC s’étaient informellement divisés en quatre organisations. Cette scission reflétait la façon dont la société palestinienne s’était focalisée sur les orientations futures à adopter, les femmes faisant partie de cette évolution.

54

Le Centre des femmes pour l’assistance judiciaire et le service de soutien (WCLAC) L’expansion de la PFWAC au milieu des années 80 aboutit à la création d’une structure interne sophistiquée. De nombreux bureaux spécialisés faisant partie de la bureaucratie permanente chargée de l’administration les affaires quotidiennes furent créés. Cette évolution contribua à la prolifération d’ONG séparées et apolitiques. L’une d’elles, le Le Centre des femmes pour l’assistance judiciaire et le service de soutien (WCLAC) était une organisation qui naquit au sein de la structure de la PFWAC, mais qui se transforma ensuite en un centre indépendant au statut d’ONG.

Organisation, buts et stratégies Le WCLAC fut formellement établi en 1992 et visait à combler le fossé entre les programmes nationaliste et social qui avaient été négligés auparavant par les activistes et les organisations féminines qui assumaient que leur féminisme était lié au nationalisme. Le WCLAC prétend redresser cet équilibre en adoptant une approche basée sur les droits des femmes, dissociée de la lutte nationaliste et fournissant des services et des produits qui visent à transformer les relations hommes-femmes en agissant sur les réformes juridiques. Cette organisation insiste sur le besoin des salariées avec des compétences spécialisées de faire valoir leur travail. Il arriva, par exemple, qu’en embauchant une conseillère professionnelle pour leurs jardins d’enfants, l’école fasse des progrès significatifs. D’autre part, le renforcement des relations entre le centre et les institutions arabes régionales et celles internationales oeuvrant pour les droits de l’homme en général et plus spécifiquement pour les droits des femmes, était considéré comme une mission importante.


Résumé Les mécanismes adoptés pour réaliser les nouveaux objectifs de l’organisation comprenaient notamment des ateliers de formation juridique, la fourniture de conseils juridiques, le conseil et l’aide sociale et psychologique. Le WCLAC a également entrepris de fournir une documentation sur les cas de violation des droits des femmes, d’étudier le statut des femmes, et de diffuser des informations sur la sensibilisation juridique et la formation en matière de parité hommes-femmes destinée aux dirigeantes. Il s’est également engagé à coopérer avec tous les centres et les institutions oeuvrant dans les domaines de l’aide juridique et du conseil social, psychologique et sanitaire en faveur des femmes palestiniennes.

Résultats Les premières années d’activité professionnelle furent marquées par une croissance constante du WCLAC et par une collecte de fonds couronnée de succès, par la fourniture de services précieux pour les femmes dans le domaine de la santé, de l’éducation et de l’éducation juridique, ainsi que par la diffusion de nouvelles informations sur le statut juridique des femmes, sur leurs situations familiales et sur les violences domestiques. Cependant, la professionnalisation du WCLAC s’est accompagnée d’une évolution majeure de sa mission et de ses priorités. L’approche bien intégrée aux trois types d’oppression (nation, classe, genre) visant à modifier la situation des femmes dans la société ainsi que l’orientation du mouvement national tel qu’il avait été promu par ceux qui avaient lancé ce centre finit par se limiter à une approche qui mettait l’accent sur la compréhension juridique de l’oppression des femmes. L’explosion de la seconde Intifada en septembre 2000 a bloqué les projets de nombreuses

organisations féminines, y compris ceux de la WCLAC. Mais leurs travaux touchant aux questions de genre ont introduit la WCLAC et d’autres ONG similaires à une importante communauté de donateurs qui sont à la recherche d’acteurs locaux appropriés pour mettre en œuvre leur programme au Moyen-Orient. La participation de nombreuses ONG, notamment de la WCLAC, au « processus de paix » leur confère pouvoir et légitimité. Mais la légitimité de bon nombre des responsables d’ONG est souvent compromise dans leur pays par leur participation insuffisante aux premières luttes nationalistes ou à des activités au niveau des communautés locales.

Conclusion Cette étude de cas examine les relations qui existent entre deux types d’organisations féminines et les termes de leur engagement : un mouvement féminin aux fondements populaires et le nouveau secteur des ONG. Il pourrait sembler que le « nouveau » discours utilisé par l’élite des ONG discrédite les vieilles organisations et qu’il serve à coopter les organisations populaires. Le nouveau discours des ONG a été utilisé pour créer un espace dans le domaine public aux dépens des anciennes organisations fondées sur les masses populaires. Il s’agit ici de savoir si ce discours prétendument « anti-hégémonique» est tenu pour augmenter ou diminuer l’activisme social des femmes et leur pouvoir politique. En fin de compte, tout discours « anti-hégémonique» doit prendre en considération l’ensemble de la situation historique, l’Occupation militaire en cours, l’Autorité palestinienne impuissante, les partis politiques affaiblis, les organisations féministes affaiblies ou la puissance croissante des mouvements islamistes. L’activisme des ONG en Palestine n’en a pas la capacité.

55


Résumé

Le mouvement piquetero/a en Argentine Résumé de l’étude de cas par Andrea D’Atri et Celeste Escati Le terme «piquetero» ou «piquetera» vient des piquets ou manifestations organisés par les travailleurs sans-emploi, réclamant du travail et protestant contre les taux de chômage en hausse qui dévastaient l’Argentine pendant la crise financière des années 1990. Le Mouvement piquetero est aujourd’hui un ensemble de groupes et organisations qui gèrent essentiellement les allocations de chômage fournies par l’État et réunissent occasionnellement des mobilisations conjointes dans la rue. Mais cet ensemble d’organisations a eu une présence indéniable dans les rues d’Argentine à la fin des années 1990 jusqu’en 2004, et leurs méthodes de lutte ont été prises comme exemple par d’autres mouvements et secteurs sociaux. Bien que le Mouvement piquetero ne soit pas un acteur clé dans les luttes actuelles, ses méthodes novatrices sont profondément ancrées dans la tradition de lutte de la classe ouvrière, des étudiants et autres mouvements sociaux du pays. Le développement du Mouvement piquetero se divise en trois phases :

Les débuts Le Mouvement piquetero a débuté le 16 décembre 1993, par une révolte populaire dans la province de Santiago del Estero, à l’initiative des fonctionnaires qui n’avaient plus touché leur salaire depuis trois mois. Cette phase du mouvement se caractérise par des protestations dans tout le pays en réponse aux politiques impopulaires du gouvernement, en raison desquelles les travailleurs n’avaient ni salaire ni emploi. Les citoyens ont riposté par des barrages massifs d’axes routiers importants, des atteintes à la propriété publique et des batailles rangées contre la gendarmerie nationale envoyée par le gouvernement fédéral pour écraser les protestations. Le Mouvement piquetero de cette période appliquait deux méthodes : le piquet pour mener la lutte et l’assemblée – une forme de démocratie directe – pour prendre les décisions. Avec cette combinaison de stratégies combatives et démocratiques, les participants ont élaboré un programme d’action pour obtenir satisfaction. Bien que plusieurs études s’accordent à dire que les femmes étaient un élément important du mouvement et étaient les plus nombreuses à risquer leur vie sur les barrages, leur rôle était peu reconnu. En fait, les leaders confirmés, mêmes élus au sein du mouvement, étaient généralement des hommes. Mais les femmes sont parvenues à

56

intégrer des exigences relatives à la vie quotidienne dans la liste des revendications du Mouvement piquetero: des écoles maternelles de quartier, par exemple, des améliorations des soins de santé et des exonérations fiscales pour les familles de sans-emploi. Certaines de ces femmes ont même été élues porte-parole des assemblées pour entamer le dialogue avec les autorités, les politiciens et les fonctionnaires locaux, devenant ainsi des personnalités reconnues par le mouvement dans son ensemble.

Deuxième étape Au cours de cette période, le Mouvement piquetero, qui était au départ l’expression inorganique des protestations des fonctionnaires et autres contre l’exclusion résultant des politiques économiques néolibérales, est devenu un mouvement organisé composé de groupes territoriaux qui se réunissaient en divers organes de coordination et blocs politiques. Ce «nouveau» Mouvement piquetero, présent dans le centre économique et politique du pays, est issu d’organisations sociales ayant un passé de lutte, notamment pour l’acquisition de terres et la formation de petites coopératives, et d’associations civiles mutuelles de proximité. En 1997, les chômeurs de la zone métropolitaine de la capitale nationale, appelée Grand Bue-


Résumé nos Aires, ont bloqué des routes nationales 23 fois, tandis que 54 autres barrages routiers étaient organisés dans le reste du pays. Au cours de cette période, les travailleurs sans-emploi ont commencé à constituer leurs propres organisations, créant les premiers Movimientos de Trabajadores Desocupados (MTD), mouvements de travailleurs sans-emploi. Les principales activités de ces MTD consistaient à élaborer et présenter aux autorités locales des projets de travail communautaire pour recevoir des subventions et des prêts pour les micro-entreprises, organiser les chômeurs de la zone et lutter en vue d’obtenir des «plans emploi» du gouvernement pour des denrées alimentaires, du carburant, etc. En 1992, le gouvernement de la province de Buenos Aires avait organisé des milliers de travailleurs sans-emploi pour mettre en œuvre des plans d’aide. Plus de 35 000 femmes, qualifiées «de l’armée manzaneras», agissaient en qualité de coordinatrices entre le projet de distribution alimentaire du gouvernement provincial et les familles bénéficiaires de cette aide. Les femmes ont été choisies parce que le gouvernement sentait qu’elles seraient plus honnêtes et feraient du meilleur travail pour rendre transparente la distribution des ressources. Ce gigantesque réseau de manzaneras a ensuite été exploité par le Mouvement piquetero : les femmes ont adhéré en masse aux MTD, ce qui leur a permis d’acquérir une plus grande visibilité au cours de cette période. Les femmes ont également pu prendre en mains propres la lutte contre la violence domestique grâce au Mouvement piquetero. Elles entreprenaient des «actions persuasives» à l’égard de l’agresseur en lui rendant visite pour lui parler de la raison pour laquelle il ne devait pas continuer à agir de la sorte, de la souffrance de sa compagne, etc. Dans certains cas, quand ces mesures ne donnaient pas de bons résultats, les femmes expulsaient les agresseurs de chez eux par la force. Un autre phénomène internationalement reconnu est apparu devant la faillite, la fermeture ou l’abandon des usines par leurs propriétaires, les travailleurs, hommes et femmes, ont décidé d’oc-

cuper les sites et de les faire tourner «sans patron». Ce phénomène s’est étendu à des centaines d’entreprises, en majorité petites ou moyennes qui, au fil du temps, sont devenues des coopératives. Les travailleurs de Zanon1, pionniers de la méthode de protestation «sans patron», sont devenus un exemple à suivre dans d’autres usines reprises. Ils ont décidé d’engager des travailleurs supplémentaires qui devaient être membres des MTD. Ils ont ainsi créé une alliance avec le Mouvement piquetero, lui permettant de les défendre en cas de d’efforts juridiques pour les évincer ou d’attaques répressives par la police ou la bureaucratie syndicale. Ces travailleurs ont montré qu’ils étaient capables de résoudre la pénurie de travail et que des intérêts commerciaux iniques étaient seuls responsables du fait qu’ils n’étaient pas payés ou étaient sans emploi.

Le mouvement piquetero aujourd’hui Ces quelques dernières années, l’économie argentine a connu une forte croissance, due principalement aux prix internationaux des matières premières. Cette croissance économique a réduit les taux de chômage et considérablement augmenté la consommation, profitant surtout aux classes moyennes et supérieures. Le gouvernement a également pu accroître ses recettes fiscales et, partant, renforcer sa politique de subventions, de mesures incitatives et de crédits aux secteurs du Mouvement piquetero disposés à abandonner la lutte dans la rue. Par la répression d’abord, puis par la cooptation, le gouvernement est parvenu à fragmenter, désarticuler et démobiliser le Mouvement piquetero. Seule une petite minorité d’organisations piqueteras continue à braver le gouvernement et les institutions du régime. Néanmoins, les expériences de lutte contre le chômage et la pauvreté extrême ont servi d’exemple à des millions de travailleurs qui ont perdu leur emploi pendant la mise en application des politiques néolibérales en Argentine. Elles représentent

1.  Zanon Ceramics, l’un des plus grands producteurs de sols en céramique et porcellanato d’Amérique du Sud, était situé dans la province argentine de Neuquén.

57


Résumé également une tradition de lutte, qui sera reprise par la classe ouvrière en cas de futures crises économiques éventuelles. Pour des milliers de femmes, cette expérience a marqué leur entrée dans la vie publique et la transformation de leur vie do-

58

mestique quotidienne. Il reste à savoir comment les sacrifices de ces femmes influenceront les futures générations de filles élevées par ces mères qui «ont risqué leur vie» aux barrages, bravant involontairement les modèles et stéréotypes ancestraux.


Résumé

GROOTS Kenya Résumé de l’étude de cas par Awino Okech Fondé en 1995, GROOTS Kenya est né de la quatrième conférence des femmes tenue par l’Onu à Beijing, en Chine. L’étude de GROOTS Kenya permet de chercher des réponses à la question de la nature d’un mouvement de femmes cohésif au Kenya. Toutefois, la différence entre GROOTS Kenya et les autres groupes est que GROOTS Kenya se considère comme un mouvement et non pas comme un réseau ou une ONG, à l’inverse des autres groupes aux approches similaires.

Structure de l’organisation GROOTS Kenya se définit peut-être le mieux comme un réseau de plus de 500 groupes d’entraide qui entrent et sortent en permanence de son espace de travail, en fonction de leurs besoins. GROOTS Kenya se structure autour d’un secrétariat situé à Nairobi. Ce secrétariat fonctionne comme une base quasi infrastructurelle à partir de laquelle les régions se lient par des projets ou des structures de soutien. Il existe également un Comité dont le rôle est de donner une direction stratégique au travail. Chaque année, les membres des différentes régions se rejoignent pour une retraite, où ils partagent les problèmes qu’ils ont rencontrés, les expériences vécues et les opportunités sur le terrain, ainsi que leur vision pour l’année à venir. Les groupes régionaux informent en permanence la direction stratégique de l’organisation, et leur implication prend plusieurs formes. De plus, des activités de direction et de parrainage sont fournies aux sous-groupes, grâce aux leaders des points d’attache régionaux ; il y a donc une consultation régulière et un flux d’information des leaders de points d’attache locaux au secrétariat et dans l’autre sens, vers les différents groupes régionaux.

Stratégies et succès GROOTS Kenya travaille dans quatre grands domaines thématiques :   Réactions au VIH et au Sida dans les communautés – Les activités de plaidoyer et de programmes impliquent le soutien des communautés par des formations et la construction des capacités pour les femmes. Ceci a permis d’apporter un soutien aux orphelins.

Ressources et moyens de subsistance dans la communauté – Par ce programme, les communautés suivent des processus d’analyse des ressources locales et de mobilisation de celles-ci.   Programme Femmes et immobilier, soit le programme phare de GROOTS Kenya. L’objectif de ce programme est de sauvegarder les droits de propriété des femmes et des orphelins.   Direction et gouvernance par les femmes – Ce programme cherche à encourager les leaders femmes du terrain à partager leurs compétences et à rendre les personnes du gouvernement responsables de leurs actes. Les actions menées par GROOTS Kenya sont principalement centrées sur des interventions stratégiques précises lors de réunions de plaidoyer, quoique le travail du réseau se fasse au niveau du terrain. Le travail de terrain n’a pas choisi de mener des actions orientées vers les protestations comme mécanisme clé pour atteindre ses objectifs : au contraire, l’accent est mis sur le lobbying et le plaidoyer. La plus grande alliance stratégique de GROOTS Kenya a été sa participation au réseau mondial GROOTS International. Un espace s’est ainsi créé pour que ses membres passent au niveau international. GROOTS Kenya se met souvent en partenariat avec GROOTS International pour des actions de plaidoyer international. Au niveau international, l’organisation est connue comme une organisation qui fait voyager les femmes du terrain. GROOTS Kenya a fait partie des principales organisations cherchant à faire changer les choses en Afrique, et voulant passer du travail des ONG traditionnelles à une présence de femmes du terrain à la tête des actions de plaidoyer, avec les ONG comme soutien. Un partenariat est en cours de création, avec le PNUD et GROOTS International,

59


Résumé dans le but de monter des systèmes d’évaluation innovants, pour veiller à ce que les contributions des femmes du terrain soient reconnues financièrement – en d’autres termes, pour mettre une pièce sur un travail bénévole. Le fait que GROOTS Kenya ait été capable d’envoyer des femmes du terrain à des conférences internationales – comme celles d’ONU-Habitat ou le WSSD+10 – a modifié la perception des femmes du terrain et de leurs capacités à contribuer à des débats locaux, nationaux et mondiaux. GROOTS Kenya hésite à s’étiqueter « organisation féministe » car les concepts internationaux comme le féminisme sont mal internalisés dans la société africaine. En outre, il n’existe pas de définition finalisée du féminisme, car les activités féministes sont diverses et variées. Néanmoins, la plupart des féministes seraient d’accord pour dire que leur activisme, recherches et pratiques sont guidées par une perception générale selon laquelle la nature des expériences faites par les femmes en tant qu’individus et que personnes sociales, leur contribution au travail, à la culture et aux connaissances, ont été systématiquement ignorées ou mal représentées par les discours généraux dans différents domaines. Si ceci était considéré comme une définition générale en progression, il serait possible de considérer le programme, les stratégies et l’éthique adoptés par GROOTS Kenya dans son approche à la construction de solidarité sur le terrain comme féministes. En fait, GROOTS Kenya se considère tout d’abord comme une organisation de développement de la communauté. En outre, la plupart des organisations avec lesquelles GROOTS Kenya travaille ne sont pas des institutions qui seraient considérées au Kenya comme orientées sur le genre ou féministes par nature. GROOTS Kenya n’a pas réussi à se détacher du fait d’être une organisation de fourniture de service. Son approche pratique est une réaction à sa structure – des groupes en zones rurales et périurbaines qui n’ont pas profité des gains de développement et souffrent de lacunes en matière d’accès aux ressources. Néanmoins, GROOTS Kenya a également fait

60

avancer les intérêts stratégiques de ses membres en veillant à rester une organisation dont la présence est cruciale pour les évolutions dans ces domaines.

Conclusion L’étude de GROOTS Kenya dans le contexte des mouvements permet de voir que le réseau a tout d’abord émergé en tant qu’ONG. Sa naissance n’a pas été basée sur une réflexion collective parmi des groupes qui sont aujourd’hui « membres ». Toutefois, si l’on applique la théorie des Nouveaux Mouvements, GROOTS Kenya a véritablement construit un mouvement puisque l’organisation a permis à des femmes du terrain de se construire une nouvelle identité, grâce à un accès à des opportunités de direction jusque là inexistantes, ou une visibilité à des forums locaux et internationaux où leurs voix étaient jusque là absentes. Dans le contexte kenyan, la nature apparemment fragmentée des organisations de femmes tendrait à faire penser qu’il n’existe pas de mouvement des femmes. S’il n’existe effectivement pas de mouvement de femmes au Kenya, comment qualifier les nombreuses voix situées dans le pays entier – comme GROOTS Kenya –, qui représentent de manière sporadique des luttes pour les droits des femmes ? En outre, si la lutte pour les droits des femmes au Kenya doit passer au stade supérieur, il faudra faire des efforts concertés pour construire des coalitions et des alliances nationales autour d’idées durables. La politique d’exclusion et d’inclusion générale – et spécifique pour motifs géographiques – continue à être un problème qui entraîne de grandes cassures dans ce qui pourrait autrement être un mouvement cohérent de femmes au Kenya. C’est pour cela que le travail de GROOTS Kenya est appréciable pour de nombreuses raisons, en vertu de ses efforts faits pour construire un mouvement basé sur le terrain, qui couvre les divisions géographiques et ethniques existant au Kenya.


Résumé

Le mouvement européen des femmes roms- réseau international de femmes roms Résumé de l’étude de cas par Rita Izsak   Situation et contexte Les femmes roms1 restent confrontées, dans toute l’Europe, à toutes sortes de discrimination dans leur vie quotidienne. Elles font l’objet d’une discrimination basée non seulement sur leur caractère ethnique mais aussi sur leur sexe. Leur accès à l’éducation et aux soins de santé est extrêmement limité et leur rôle primaire est de prendre soin de la famille. Des mariages précoces et concertés sont souvent imposés aux jeunes filles, ainsi que des tests de virginité. Les femmes sont confrontées à la violence domestique ainsi qu’au danger de la prostitution forcée. Il est donc impérieux d’appliquer des politiques et des stratégies ciblées pour atténuer la situation d’extrême vulnérabilité des femmes roms dans leur vie quotidienne. Cette étude de cas décrit les efforts de deux grandes organisations de femmes roms pour faire face à l’oppression, à l’exploitation et à la discrimination dont souffrent les femmes roms dans toute l’Europe.

Le réseau international de femmes roms (RIFR) : organisation et structure L’idée de créer un réseau international de femmes roms est née en novembre 2002 à l’issue d’une réunion tenue à Vienne par des femmes roms et non roms d’une vingtaine de pays européens. La conférence avait pour but de se pencher sur l’accès aux soins de santé au sein des communautés roms, notamment de la part des femmes roms. Les participants sont alors convenus de mettre en place un réseau international de femmes roms, lequel a été officiellement lancé le 8 mars 2003, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, afin de démontrer l’engagement de l’organisation visà-vis des droits des femmes. Ce réseau est composé de membres de chaque communauté rom,

Roms, Sintis, Tziganes et Gens du voyage, provenant de 18 pays européens; le RIFR ou IRNW est donc la première et la seule organisation-cadre représentant des femmes roms de tous les groupes roms de la plupart des pays européens.

Objectifs et stratégies Les objectifs de l’IRWN, tels qu’ils sont définis dans son mandat sont les suivants :   Améliorer la situation globale des femmes roms et faire pression en ce sens auprès des gouvernements européens ;   Lutter contre la discrimination individuelle et institutionnelle à tous les niveaux, en particulier en termes de logement, de soins de santé, d’éducation et d’emploi ;

1.  NdE. : Les Roms – dénommés populairement et souvent péjorativement « Tziganes » ou « Bohémiens » entre autres appellations – sont l’une des plus anciennes diasporas du monde, ayant émigré vers l’Europe en provenance du nord-ouest de l’Inde à partir du 11e siècle Av. J.-C. Ils forment une minorité raciale et ethnique représentant actuellement une population de 7à 9 millions d’individus, selon les estimations, et dont le plus grand nombre se trouve en Europe de l’Est et en Russie. Pendant des centaines d’années ils ont mené une vie itinérante, mais ils sont aujourd’hui largement sédentarisés dans les pays d’Europe centrale et de l’Est. En dépit de leur implantation fort ancienne dans ces pays, ils ont résisté à l’assimilation culturelle et maintenu vivantes leur langue et leurs traditions ancestrales, incluant une structure patriarcale extrêmement rigide plus proche de celle en vigueur dans le sous-continent indien qu’en Europe.

61


Résumé   Assurer la visibilité des femmes roms, articuler leurs activités et concrétiser certains droits humains fondamentaux.   Veiller à ce que notre culture soit reconnue, respectée et ressourcée ;   Travailler en partenariat avec les gouvernements pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les femmes roms et obtenir le soutien d’organisations et d’institutions internationales.   L’IRWN a recours à plusieurs stratégies pour les aider à réaliser ces objectifs. Par exemple : (i) réaliser des missions d’enquête pour vérifier la situation des femmes roms en matière de droits humains; (ii) mettre sur pied une base de données détaillées sur ces femmes ; (iii) fournir une information relative à la législation nationale et internationale et la jurisprudence ; et (iv) utiliser tous les moyens juridiques disponibles pour soutenir les femmes roms ;

*****

Réalisations et défis L’une des réussites les plus visibles d’IRWN est la communication régulière et la transmission de nouvelles réalisées par l’entremise de leur listserve [Utilitaire qui gère de manière automatique les listes de diffusion sur l’Internet]. Bien que des statistiques annuelles ne soient pas disponibles, on sait qu’entre mars et septembre 2007 seulement, 120 courriers électroniques informatifs ont ainsi été envoyés à 170 abonnés. Depuis sa naissance, IRWN a agit en tant que groupe de pression à divers niveaux, en conséquence de quoi il est aujourd’hui membre fondateur de la première instance internationale rome élue démocratiquement : le Forum européen des Roms et des gens du voyage (the European Roma and Traveler Forum - ERTF). Il est également membre du Lobby européen des femmes, et une déléguée du Réseau siège à son assemblée générale. Ces opportunités de participation ont été obtenues grâce à des contacts personnels et les efforts de pression individuels déployés par des membres d’IRWN. Même si cinq ans ont passé depuis sa fondation, le réseau IRWN continue de lutter pour son

62

développement. L’organisation n’a ni bureau, ni salariés, pas de site web et certaines années, aucun financement. Ceci est l’une des raisons pour lesquelles IRWN n’entreprend que quelques rares activités de son propre chef et dépend de l’information réunie et des activités menées par ses membres. Faute de budget, l’IRWN n’a pas pu fixer un plan de travail ou d’action et ne peut pas mettre en pratique la vision stratégique originale qui est la sienne pour atteindre ses objectifs.

L’initiative conjointe des femmes romes (The Joint Roma Women Initiative JRWI) de l’institut pour la société ouverte (Open Society Institute) Cette initiative a été lancée en 1999 par le Programme du réseau femmes (Network Women’s Programme - NWP) sous les auspices de l’Institut pour la société ouverte (Open Society Institute OSI) qui œuvre pour le progrès des droits humains des femmes, l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes comme partie intégrante du processus de démocratisation. JRWI se centre sur la politique de développement, l’intégration de la perspective de genre dans l’ensemble de la mouvance rome, et travaille à la création de liens ente les femmes roms et les mouvements des droits des femmes en général. Parmi les principales réalisations de JRWI citons la création d’une base de données concernant les femmes roms qui travaillent et militent pour les droits des femmes de leur communauté. En outre, elle a à son actif l’organisation et l’animation d’ateliers et d’actions de formation, ainsi qu’un projet autour du thème de la virginité, mis en œuvre dans sept pays, et dont le but est de promouvoir la liberté de choix et l’égalité entre les sexes. En 2006, JRWI a également lancé un projet dans 11 pays européens visant à développer la formation de réseaux destinés aux femmes au sein des communautés roms de base . L’un des actes les plus notables d`IRWN et de JWRI est la déclaration conjointe publiée en Mai 2006, signée par 26 femmes roms de 10 pays dif-


Résumé férents. Pour la première fois, des femmes romes de pays, d’origines, de groupes et d’âges divers explicitaient la distinction à faire entre les éléments constitutifs de la culture rom et les caractéristique d’une tradition patriarcale plus largement répandue, que les femmes roms – et les autres - doivent combattre. La Déclaration conjointe des femmes fut un véritable pavé dans la mare des a priori présents dans la manière de penser des femmes roms elles-mêmes.

Conclusion La première pierre de l’édification d’un mouvement est la création de réseaux locaux et nationaux. Ce-

pendant, dans le domaine de la défense des droits des Roms, le fait est que de nombreuses organisations se sont formées comme résultat de financements disponibles de la part de grands donateurs internationaux, sans avoir une base populaire ou communautaire bien établie. Si IRWN et JRWI recevait l’aide d’organisations donatrices pour dialoguer et proposer un plan d’action concret pour les années à venir, cela leur permettrait de commencer à construire un mouvement. Ces deux initiatives sont capables de toucher les communautés roms où qu’elles se trouvent et ce potentiel exceptionnel devrait être utilisé pour influencer les politiques européenne et nationales dirigées ou ayant des retombées sur les femmes roms.

63



Chapitre 3

e que nous avons appris : C Enseignements tirĂŠs des dix ĂŠtudes de cas de mouvements de femmes



Enseignements

Chapitre 3 :  Ce que nous avons appris : Enseignements tirés des dix études de cas de mouvements de femmes Srilatha Batliwala1 Considérant la richesse des informations, des conclusions et des enseignements présentés, les études de cas sur les dix mouvements de femmes du monde entier commandées par AWID sont exceptionnelles. Leur diversité à tous les niveaux et dans tous les domaines pouvait au départ faire peur. Qu’il s’agisse des contextes politiques et sociaux, des problèmes et intérêts menant à la formation des groupes, des stratégies employées pour faire avancer les causes, de la multiplicité des cibles visées et des campagnes, des problèmes et revers essuyés, mais surtout, des réussites engrangées, l’hétérogénéité était extraordinaire. Leurs tentatives de systématiser les enseignements tirés et les étapes à suivre à l’avenir ne suffisent pas pour les comprendre dans leur totalité, mais nous aident toutefois à recueillir des messages clés qui nous permettent de faire avancer notre réflexion et de guider nos actions pour la construction de mouvements.

Contextes politiques et historiques La plus grande hétérogénéité de nos études de cas se trouve dans les contextes politiques et historiques d’où proviennent les mouvements. On peut classer les divers mouvements et leurs contextes politiques dans les grandes catégories suivantes :   États postcoloniaux dotés de démocraties néolibérales (Inde, Kenya, Afrique du Sud)   États postcommunistes dotés de démocraties néolibérales (République tchèque, Europe centrale et orientale)   Démocraties néolibérales (USA, Mexique)   Démocraties néolibérales connaissant une lutte pour l’autonomie territoriale (Mexique)   États postdictatoriaux dotés de démocraties néolibérales (Argentine)   États théocratiques postrévolutionnaires (Iran)   États occupés connaissant une lutte pour l’autonomie politique (Palestine) Le fait que des mouvements de femmes – certains faisant preuve d’une forte idéologie féministe – soient nés dans des contextes aussi divergents, suggère qu’il nous faut revoir nos théories sur les conditions « permettant » ou « empêchant » la renforcement de mouvements. Par exemple, les mouvements en Palestine, en Iran, en Argentine et au Mexique se sont construits dans les pires conditions « d'empêchement » imaginables. Par exemple : l’occupation par Israël, la violence et le conflit au quotidien ; la répression par le régime iranien théocratique, profondément suspicieux, voire même hostile, envers les droits des femmes même les plus fondamentaux ; les bouleversements suivant l’effondrement de l’économie argentine ; et une lutte pour l’autonomie territoriale armée violemment réprimée militairement par différents gouvernements mexicains incapables de voir l’hégémonie culturelle et le racisme de leurs politiques envers les peuples indigènes. À l’évidence, la naissance de forts mouvements de femmes n’est pas seulement possible dans des conditions hostiles, mais elle représente aussi une réaction à ces environnements qui touchent non seulement les femmes elles-mêmes, mais aussi leurs familles et communautés.

1.  Universitaire associée, AWID (BFEMO) & chercheuse associée, Centre Hauser d’étude des organisations non lucratives, Université de Harvard

67


Enseignements Autre lieu commun se trouvant déstabilisé par l’histoire de ces mouvements, le fait de croire qu’une démocratie libérale, ou plutôt, qu’un « espace démocratique » est nécessaire à toute organisation populaire. En effet, les cas tchèques et iraniens prouvent que les femmes ont trouvé des moyens ingénieux et subversifs de se mobiliser, même lorsque cet espace était limité ou inexistant. Depuis la révolution islamique de 1979, les femmes iraniennes ne disposent plus d’un espace démocratique légitime protégé par la loi, pour s’organiser ou protester contre l’inexorable déclin de leurs droits. Elles ont donc formé un mouvement très décentralisé, « sans tête », qui travaille à la fois de manière officielle et souterraine. Les femmes se retrouvent les unes chez les autres ou sous couvert de « réunions religieuses » ; les cellules de femmes sont souvent dispersées dans des zones urbaines et rurales du pays ; et le mouvement n’est pas mené par quelques leaders connus dont la détention pourrait l’affaiblir. Ainsi, il est quasiment impossible pour le régime de réprimer ou de détruire une lutte aussi solide. De même, les femmes tchèques ont commencé à s’organiser en tant que mères de jeunes enfants à un moment où les réunions publiques de cinq personnes ou plus étaient interdites par la loi ; ensuite, même après la révolution de Velours, l’État postsoviétique considérait avec suspicion leurs activités, puisque l’idée de société civile et d’organisations populaires était encore considérée comme une menace. Les femmes tchèques avaient également été victimes des politiques pronatalistes des Soviets et de l’État tchèque soviétique qui glorifiait la maternité pour lutter contre des taux de natalité en chute. L’État récompensait les mères de jeunes enfants pour leur travail solitaire d’éducation des enfants à la maison, à plein temps ; en outre il les pénalisait pour leurs tentatives d’être des citoyennes pleinement engagées et organisées afin d’intervenir dans la planification urbaine et les politiques locales et nationales en tant que force collective. Il fallut plus de dix ans d’organisation de résistance et de pressions, plus le pouvoir subversif de la reconnaissance internationale des femmes à la tête du mouvement, pour faire tomber ces barrières. Mais le bloc soviétique a encore la gueule de bois, et continue à soupçonner la société civile de nombreuses façons. En revanche, dans les contextes démocratiques postcoloniaux de l’Inde et du Kenya, les femmes n’ont pas été obligées de s’organiser de manière souterraine. Si ces deux pays possédaient des contextes constitutionnels et juridiques permettant la formation d’ONG et de mouvements populaires, ce sont toutefois d’autres formes de résistance qui devraient marquer les mouvements s’y créant. Nous citons : une lutte contre le niveau phénoménal de pauvreté combiné à des politiques économiques rendant le coût de l’opportunité de participer à un mouvement très élevé ; des structures de pouvoir sociales persistantes fomentant l’exclusion, telle la patriarchie rigide et le système de castes (pour le cas des femmes dalit en Inde) ; ainsi que les attitudes masculines et de la classe aisée qui oppriment les femmes (par exemple, les relations sexuelles privilégiant les hommes, entraînant de forts taux de VIH/Sida parmi les femmes kenyanes) et excluent leurs priorités et leurs opinions des processus politiques (tendance que GROOTS Kenya cherche à renverser). Pour le cas du Kenya, les longues périodes où le pouvoir était tenu par un seul parti autoritaire ont créé des moments de quasi-dictatures allant à l’encontre de sa constitution démocratique. La législation progressiste inscrite dans la loi indienne a également été tout aussi incapable de mettre fin aux structures de pouvoir féodales coutumières qui continuent à dominer les castes historiquement opprimées, notamment dans les zones rurales. La démocratie néolibérale postapartheid en Afrique du Sud est un cas unique. À la naissance de la « nouvelle Afrique du Sud », le monde entier s’est réjoui des réformes égalitaires entre les genres initiés par le nouveau régime, et dont la portée devait être ample – quotas du nombre de femmes au parlement, budgets « genre », puissante commission des femmes possédant un droit de véto sur toutes les politiques publiques, etc. Mais ces promesses de départ ont été trahies sur de nombreux plans. L’économie néolibérale a appauvri la plus grande majorité de la population, les services de base et les financements ont été grandement réduits, le VIH/Sida a dévasté la société et l’économie, et la violence sexuelle contre les femmes et les filles a subrepticement augmenté. La campagne One-in-Nine (OINC) est née de l’accusation de viol portée contre un leader politique sud-africain du parti au pouvoir, puis s’est consolidée autour de l’apathie du gouvernement vis-à-vis de la violence contre les femmes, notamment lesbiennes.

68


Enseignements La plus grande majorité des fondatrices de ce mouvement sont des femmes noires pauvres, qui subissent les désavantages multiples que sont la pauvreté, le genre, l’orientation sexuelle et la violence dans un environnement social de plus en plus hostile. La situation des femmes palestiniennes est encore plus complexe : si elles profitaient d’un espace civique important sous la première Intifada et l’Autorité palestinienne, en tant que citoyennes d’un territoire occupé, elles ont travaillé dans des conditions de conflit et de difficultés économiques quasi permanentes. Leur mouvement a souffert de sa transformation en ONG, facilitée par l’Autorité palestinienne. Cette transformation en ONG est également le résultat involontaire d’une part, des conditions socio-économiques subies par les femmes et les enfants, et d’autre part, de la décroissance du nombre de femmes dans les mouvements féministes à la faveur des mouvements islamistes. En conséquence, les organisations de femmes proposent des services et s’impliquent dans des modes de luttes pour leurs droits qui sont plus occidentalisés, et déconnectés de tout mouvement politique de masse. Ceci bénéficie aux forces islamistes, qui récupèrent de nombreuses femmes et placent leurs soucis loin de ces questions féministes importées, grâce à leurs positions militantes plus populaires contre toute négociation avec Israël et l’occupation du territoire palestinien. Après la chute de l’Autorité palestinienne et depuis le début de la seconde Intifada, les Islamistes se sont créé un espace où accueillir la participation politique des femmes, espace que le mouvement féministe progressiste aujourd’hui devenu ONG n’avait pas réussi à créer. La grande majorité des femmes du terrain qui ont quitté le mouvement pour soutenir les Islamistes n’ont pas encore compris qu’elles sont instrumentalisées selon une conception du monde qui finira par leur retirer leurs droits et toute égalité (ce que les femmes iraniennes ont malheureusement trop bien compris).

Enseignements généraux Nos dix études de cas génèrent des enseignements vastes et très significatifs sur la puissance et la composition des mouvements de femmes, qu’il vaut la peine de noter avant d’entrer dans le détail des mouvements, organisations, structures, stratégies et réussites : 1.  Ces mouvements ont été lancés par des femmes qui ne portaient pas essentiellement l’angle de leur travail sur leur identité comme femmes, mais qui se concevaient comme des femmes ayant des identités particulières, faisant partie de catégories particulières, ou subissant des circonstances particulières – par exemple des femmes d’ethnicités/groupes sociaux particuliers (femmes rrom, dalit ou indigènes) ; des femmes subissant des formes d’exclusion particulières ou « sans voix » (mères, femmes pauvres du terrain), notamment dans des situations d’occupation ou économiquement difficiles (employées de maison, Piqueteras). Ainsi, selon la Zapatiste Esther, « Je suis indigène et je suis une femme, c’est tout ce qui compte, actuellement »2

2.  Nos études de cas démontrent que le pouvoir des mouvements – et notamment des mouvements de femmes – se trouve dans le fait que leurs membres sont les principaux agents du changement qu’ils entraînent. Il faut ici expliquer la différence avec la notion d’« entreprise », très populaire dans nos littératures. Même si une ONG féministe efficace permettra aux femmes d’utiliser leur propre « entreprise », elle ne les laissera peut-être pas, consciemment ou inconsciemment, déplacer le rôle des femmes de manière active et se placer à la tête du mouvement. Les compétences en direction provenant de la base sont souvent secondaires par rapport aux décisions prises par

2.  Toutes les citations de ce document sont tirées des études de cas respectives, disponibles en ligne à l’adresse http://www.awid.org/fre/A-Propos-de-l-AWID/Initiatives-de-l-AWID, sauf mention du contraire.

69


Enseignements l’ONG ou l’organisation de soutien. Mais dans nombre de nos cas – employées de maison, Piqueteras, femmes indigènes, victimes de violence en Afrique du Sud, femmes du terrain au Kenya, et mères tchèques -, les exemples d’« entreprise » ne manquent pas, symbolisée au mieux, peutêtre, par ces mots prononcés par une femme à la tête des Piqueteras : « A d’autres moments je n’aurais jamais imaginé être aussi loin de chez moi et lutter pour des droits qui je crois sont justes…. Essayer de faire connaître aux gens la lutte de mon usine et de mes compagnons, tout ça… Je ne m’étais jamais imaginé que je ferais ça. Je suis sûre que j’en ai toujours été capable, que ça faisait partie de moi, mais je n’avais jamais développé ça. »

3.  Il est intéressant de voir que certains mouvements sont plus « explicitement » féministes que d’autres. Pourquoi certains mouvements adoptent-ils ouvertement l’idéologie et l’étiquette féministe, alors que d’autres hésitent à le faire, même quand ils mobilisent des femmes isolées, marginalisées ou exclues pour leur donner plus de visibilité, une voix, un pouvoir et une influence ? GROOTS Kenya, les employées de maison et les mères tchèques sont, soit hésitantes à se nommer féministes, soit distanciées en raison d’expériences comme celles des Centres maternels allemands, qui n’ont pas trouvé d’espace ou de reconnaissance au sein du mouvement féministe pour les problèmes qu’ils traitent et leur façon de s’organiser3. Ceci nous mène à nous demander comment le féminisme s’est retrouvé dans une position d’exclusion (pas toujours par les féministes elles-mêmes) de femmes ayant une vision des choses implicitement féministe, et comment il doit les impliquer pour les faire réfléchir à leur vision des choses – et éventuellement la radicaliser. Les mères tchèques, par exemple, ne semblent pas avoir encore réfléchi au fait que la responsabilité de s’occuper d’enfants tombe sur un seul des deux genres uniquement, toutefois elles pourraient le faire sans dénoncer ou abandonner leur rôle et leurs droits en tant que mères. Elles ont, jusqu’à présent, pris en compte les besoins de familles hétéronormatives lors de leurs campagnes pour des villes « accueillantes aux familles », mais pourraient passer, petit à petit, à d’autres types de familles. Elles pourraient donc souhaiter adapter leur vision des choses si elles n’avaient pas l’impression que les féministes les rejetaient, ce qui les met sur la défensive au sujet de leur angle d’attaque, qui traite du travail des femmes, très lié au genre ; angle d’attaque utilisé par les féministes d’une époque précédente pour demander reconnaissance, respect et obtention d’une valeur économique. 4.  Néanmoins, nos mouvements opèrent une récupération et un recadrage du féminisme de plusieurs façons : parfois à partir de questions féministes urbaines et liées à la classe moyenne, parfois selon le modèle occidental de libération individuelle, et d’autres fois encore à partir de l’approche instrumentaliste des mouvements menés par les hommes. Les femmes indigènes ont créé, par exemple, une analyse qui expose leur culture, unique, et le pouvoir de leurs relations avec la terre et les ressources naturelles, tout en défiant simultanément non seulement leur oppression liée à la culture, mais aussi la domination de la culture générale et des politiques adoptées par le gouvernement. Les femmes rrom luttent pour la même chose. Les employées de maison créent de nouveaux liens entre leur statut d’immigrées et de main d’œuvre exploitée mais essentielle, et leur statut de femmes marginalisées nécessitant des services de santé et de reproduction abordables. La campagne One in Nine cherche à établir un nouveau cadre conceptuel qui puisse situer la sexualité au cœur des luttes de femmes pour la justice et contre la violence. 5.  On voit donc ressortir une analyse et une théorie féministes plus complexes qui non seulement présentent avec force la nature croisée des besoins pratiques des femmes et de leurs intérêts stratégiques, mais agit également sur ce plan de manière extrêmement intelligente. Les femmes indigènes, par exemple, refusent de sortir des mouvements plus vastes de lutte pour les droits

3.  Communication personnelle avec Monika Jaekel, l’une des fondatrices des Centres maternels allemands, lors d’un entretien mené par l’auteure en 2003.

70


Enseignements indigènes, tout en persistant à défier les reconstructions patriarcales de relations de genre soidisant « traditionnelles », effectuées par les leaders masculins du mouvement ; de même les employées de maison ont atteint un nombre de partenaires locaux avec lesquels elle n’auraient pas pensé travailler : il s’agit de pratiques très complexes. 6.  Certains mouvements sont donc très stratégiques quant à leur manière de poser leur identité autonome, et le moment de le faire – par exemple les femmes indigènes et les Piqueteras –, mais aussi le moment de s’allier ou d’insérer leur vision des choses dans d’autres mouvements. Il s’agit d’un type de stratégie politique particulier, qui reconnait le fait que les opinions politiques plus larges du mouvement restent critiques sur leurs droits, et qui cherche à éviter que les mouvements ne se divisent d’une manière qui pourrait être exploitée par les régimes et les structures du pouvoir que les femmes combattent – on pourrait aisément imaginer, par exemple, la façon dont le gouvernement mexicain pourrait chercher à concéder aux demandes du mouvement des femmes indigènes, au détriment du mouvement indigène en général. Et donc, comme le reconnaît le Comité national de coordination des femmes, « Nous les femmes, nous disons que l’autonomie des peuples indigènes est le chemin vers l’initiation de nouvelles relations entre nous, avec le gouvernement mexicain, avec les autres peuples mexicains, et entre les hommes et les femmes… »

7.  Bien que de nombreuses féministes restent critiques face à certains de nos mouvements, ceuxci ont utilisé les interventions et les services basés sur le développement général – comme les groupes d’entraide, les soins à domicile ou la gestion des financements – comme une base pour renforcer le mouvement, et semblent se diriger au-delà des limites habituelles de ces activités afin de créer – avec succès – une conscience et une vision politique à plus long terme. Les groupes d’entraide membres de GROOTS Kenya, par exemple, se sont révélés être des moyens efficaces de lutte contre les structures de pouvoir locales ; ces femmes se battent pour les droits d’héritage des veuves et des orphelins aux tribunaux de droit coutumier, elles se présentent aux élections locales et s’assurent que les organes de gouvernance locale prennent en compte leurs priorités et leur vision. Les Mères tchèques ont obtenu une position d’autorité similaire vis-à-vis des processus de planification et de développement urbains. 8.  Plusieurs de nos mouvements mettent fortement l’accent sur les compétences en direction et notamment sur la formation de nouvelles dirigeantes (ce qui ne veut pas forcément dire « jeunes »). Les employées de maison promeuvent cette idée de manière très sophistiquée car elles ont instauré des formations en direction dans leur modèle de gouvernance, et s’assurent de la formation de « nouvelles » dirigeantes. De surcroît, la construction des capacités en direction afin de renforcer et soutenir les mouvements est une question clé et une pratique importante au sein de plusieurs autres mouvements : les femmes dalit et indigènes, les Piqueteras, les femmes du terrain, les membres de l’OINC, etc. 9.  Le fait que la lutte soit la meilleure école de direction et conscientisation politique s’observe franchement au sein de plusieurs de nos mouvements – et ceci est un succès, dont même les programmes de formations offerts par les meilleures ONG féministes ne peuvent pas se vanter. La clarté, le courage et l’intelligence stratégique des femmes indigènes, des Piqueteras, des employées de maison ou des femmes dalit seront difficiles à reproduire ! 10.  Nos études de cas nous apprennent aussi que nous devons comprendre la nature « radicale » de nos conceptions politiques et de notre activisme autour des contextes sociopolitiques dans lequel les mouvements évoluent, et non pas selon une norme idéologique absolue. Le cadrage des problèmes évoqués par les Mères tchèques, par exemple, pourrait sembler plutôt conventionnel (centré sur l’isolement de la mère dans une famille nucléaire et l’éducation des enfants) si l’on oubliait de reconnaître le fait que leur organisation est née pendant la période soviétique. Il s’agissait alors d’une période où les rassemblements publics et l’action civique étaient dangereux, et les femmes qui fondèrent ce mouvement devaient se retrouver à des coins de rue

71


Enseignements pour parler de leurs problèmes – leur action était donc très radicale. La mobilisation d’autres femmes et des ressources nécessaires pour monter les centres maternels, dans une région où ni les hommes ni les femmes n’avaient le privilège d’agir de manière indépendante pour leurs propres intérêts, était non seulement radicale mais représentait également une utilisation intelligente de l’espace ouvert par la révolution de Velours. De même, les tentatives menées par des mouvements de femmes rroms encore plus vieux, plus traditionnels, dans l’IEWN, pour faire connaître les soucis et intérêts des femmes et des enfants rroms, doivent être reconnues comme des actions radicales, étant donné les points de vue principalement masculins et basés sur la patriarchie, d’autres organisations rroms à l’époque. 11.  Le recadrage des conceptions politiques de ces mouvements est également un processus fascinant. Dans certains mouvements, l’évolution passe d’une ou deux questions / intérêts liés au genre (les soins à apporter à domicile aux malades, des espaces collectifs pour les mères, la reconnaissance d’un travail domestique comme un véritable travail, la lutte contre la discrimination liée à la caste) à une analyse intersectorielle plus complexe. Comme le dit Klara Rulikova, femme à la tête des Centres maternels tchèques, « …Avec le Centre maternel, nous ne parlions pas de changer la société, mais tout simplement de nous retrouver entre femmes et de discuter. »

Dans d’autres cas, la lutte attire rapidement une complexité et une analyse sophistiquées (OINC, IW) même si l’action collective se concentre sur des luttes plus spécifiques. L’étude de cas sur le mouvement rrom démontre néanmoins des désaccords entre activistes jeunes et plus âgées, et entre différentes formations de femmes rroms (IRWN et JRWI) quant à la conception des luttes ; et des négociations intenses mais respectueuses pour le choix d’un objectif plus féministe. Globalement, les mouvements présentent également une prise en compte de questions plus générales, plus inclusives, intégrant les intérêts de plusieurs communautés, et ce bien plus que les mouvements dominés par les hommes.

Facteurs d’inhibition ou de contraintes pour les mouvements Les plus importants facteurs de ralentissement de la formation et du développement de mouvements sont les suivants : 1.  Renfermement dans une ONG, vision étroite ou angle porté sur le « service », sans analyse ou compréhension politique plus large. Les études de cas rrom, palestinien et des employées de maison soulignent toutes la dépolitisation pouvant découler d’un programme basé dans des ONG, qui s’inquiètent plus de la fourniture d’un service ou de problèmes de survie organisationnelle déconnectés de la renforcement de mouvement, et suivent une approche de plus en plus hiérarchique. Comme l’étude de cas sur les employées de maison précise, « Principalement dominés par des organisations non lucratives qui refusaient de faire une analyse profonde du système économique et politique qu’elles luttaient pour changer, les mouvements d’organisation se sont étroitement focalisés sur des campagnes spécifiques à un problème, prenant rarement contact les unes avec les autres, entre communautés et domaines de lutte. »

2.  Mouvements construits hiérarchiquement, possédant peu ou pas de base sur le terrain – chose que certains membres du mouvement des femmes rrom (JRWI) ont cherché à corriger. Il s’agit du cas classique où un groupe d’organisations forme une coalition et se fait connaître en tant que mouvement (IRWN), mais sans avoir mobilisé les femmes du terrain qu’elles disent représenter, et présentant une absence de conscience politique et d’autonomisation sur le terrain. 3.  Les politiques et approches des donateurs ont également joué un rôle néfaste pour certains aspects de la construction de mouvement et du renforcement de certaines activités : par exemple,

72


Enseignements le Comité national de coordination des femmes indigènes du Mexique a rencontré des obstacles en matière de ressources pour répondre aux demandes des membres en formation en participation politique parce que les donateurs ne voulaient pas financer ce type de travail à moins d’avoir la mainmise sur la conception et la gestion des cours. Il s’agit ici de puissantes institutions externes qui gênent ou contrarient les activités des mouvements. 4.  Dans le cas des Piqueteras, bien que l’étude de cas cite la cooptation et la répression comme principales raisons de la division du mouvement, il faut néanmoins se poser la question du rôle joué par leur alignement très fort avec des partis politiques qui les ont instrumentalisées, pour ensuite perdre tout intérêt dans leur cause première, une fois capables de changer le régime, et le pouvoir politique formel atteint. Les Piqueteras sont passées d’un mouvement fort, basé sur le terrain, à un rôle de clientes des syndicats et des partis politiques leur étant liés, et ont été réduites à un rôle de gestion des financements de l’État donnés aux chômeurs.

Genèse – les commencements La naissance des mouvements rapportés dans nos études de cas semble présenter plusieurs catégories se recoupant, illustrées à la figure 1 ; leur genèse présente également des caractéristiques évolutionnaires intéressantes : 1.  La croissance de ces mouvements est dans certains cas assez spectaculaire, vis-à-vis de leur échelle comme de leur portée. Ainsi, l’étude de cas sur les Mères tchèques explique, par exemple, « Au cours des quinze dernières années, les mères tchèques sont passées de l’ouverture d’un centre maternel à Prague à l’organisation d’un réseau national de plus de 250 centres maternels… puis à la fédération d’un réseau national de femmes qui travaillent de manière collective sur un ensemble plus vaste de valeurs démontrant pourquoi et comment la société tchèque doit être plus « accueillante pour les familles. » »

2.  Les études de cas prouvent que les mouvements suivent un chemin évolutionnaire distinct, et peuvent être placés dans un continuum de croissance et de maturité, qui inclue leur dégénérescence et leur déclin. Certains de nos mouvements n’ont pas fini leur croissance, d’autres viennent juste de rentrer dans l’âge adulte, alors que d’autres encore sont déjà adultes depuis longtemps.

73


Enseignements FIGURE 1 : Naissance des mouvements Né de

Mouvement

Catalyseur / Espace catalytique

Renforcement du mouvement par des organisations féministes / de femmes

Dalit Mahila Samitit Femmes kenyanes du terrain

Vanangana GROOTS Kenya

Femmes indigènes Piqueteras

Dialogue entre des Zapatistes et le gouvernement fédéral du Mexique, menant aux Accords de San Andrés (1996) ; Essoufflement du mouvement piquetero

Espaces stratégiques (conférences internationales ou autres réunions)

GROOTS Kenya Employées de maison

Beijing Forum social étatsunien

Crises

Campagne One In Nine Piqueteras

Procès de Zuma Meurtre d’activistes lesbiennes Effondrement économique en Argentine Moral bas chez les activistes hommes

Périodes politiques spécifiques

Coalition formée avec d’autres mouvements ou des mouvements locaux Programmes / interventions se transformant en mouvements

Femmes indigènes Employées de maison

Mères tchèques GROOTS Kenya

Mouvement zapatiste Mouvement des peuples indigènes au Mexique Associations / syndicats locaux des employées de maison Lancement des Centres maternels Soins à domicile pour les personnes vivant avec le VIH/Sida

Et au moins l’un d’entre eux, le mouvement des Piqueteras, a décliné et n’existe plus. Ces étapes peuvent être observées en regroupant certaines caractéristiques présentées par les mouvements :   Certains mouvements sont plus « mûrs » que d’autres – c’est-à-dire qu’ils présentent une idéologie et un programme politiques plus conscients et mieux articulés, une base organisée sur le terrain, une structure organisationnelle et de prise de décision, des processus de construction et de renouvellement de leur direction, et qu’ils ont des relations clairement définies (en termes de prises de décision et de choix de stratégies) avec leurs alliés et les ONG de soutien qui travaillent avec eux. Ils ont développé des stratégies, des alliances et des relations sophistiquées, et ont obtenu une reconnaissance croissante au sein des gouvernements, auprès d’autres mouvements et du public en général.   Certains sont des mouvements en émergence : ils ont atteint un niveau élevé de mobilisation et de pouvoir collectif, possèdent un programme politique de plus en plus clair, des structures de direction autonomes, mais doivent encore obtenir une durabilité, un impact politique ou des modifications des perceptions publiques de leurs problèmes ou dans le débat plus général.

74


Enseignements   D’autres se trouvent à l’étape plus naissante de formation, et nécessitent un soutien continu pour approfondir leurs politiques, leur programme et leurs stratégies. 3.  Ces « étapes » dans la renforcement des mouvements suggèrent un continuum de « maturité », illustré à la figure 2. L’utilisation du terme « maturité » ne signifie pas que d’autres étapes de formation des mouvements représentent une « immaturité » : au contraire, il s’agit ici d’aider les organisations de construction de mouvements et les mouvements eux-mêmes à mettre le doigt sur une trajectoire utile sur laquelle chacun peut se placer, et à situer les étapes suivantes de la renforcement du mouvement afin d’avancer sur le continuum et d’obtenir un impact politique plus fort.

Relations entre organisations et mouvements Ceci est un terrain d’étude très complexe, et les études de cas présentent des relations d’ampleur extrêmement différentes, qui empêchent presque de faire des classifications. Toutefois, au moins quatre types de relations entre organisations ressortent, selon des rôles clairement différents : 1.  Organisations créées par des mouvements (OCM) – soit, organisations montées par les mouvements pour se donner une structure et renforcer leur prise de responsabilité auprès des membres, promouvoir la visibilité, démocratiser la représentation, la prise de décision, gérer les services, et négocier les intérêts des membres du mouvement et les priorités avec d’autres acteurs – certains exemples d’OCM sont présentés par les études de cas des Piqueteras, NCC, DMS, CM et DW ; 2.  Organisationsde renforcement ou de soutien des mouvements (OSM), qui ont une relation avec le mouvement, et dont la raison d’être est la construction et le renforcement des mouvements auxquels elles sont liées, et dont elles peuvent même tirer leur direction, mais qui n’ont pas été créées par le mouvement lui-même ; certains exemples de ce type de relation se trouvent chez les OSM Vanangana et GROOTS Kenya, qui sont là pour construire et soutenir, respectivement, les mouvements dalit et kenyan de femmes du terrain ; 3.  Organisationsfusionnant pour créer des mouvements – IRWN, JRWI, OINC en sont toutes des exemples. Leurs relations avec leurs membres sur le terrain sont néanmoins très diverses – si les organisations qui se sont rassemblées pour la campagne One-In-Nine ont à l’évidence une présence importante parmi les femmes pauvres et de quartiers sur le terrain, l’IRWN et le JEWI sont, elles, dans la phase d’entrée en contact avec les femmes rroms pauvres des pays d’Europe de l’Est où elles se trouvent. 4.  Organisationsalliées des mouvements – y compris partis politiques (par exemple les partis de gauche qui ont soutenu puis coopté les Piquetero/as), universitaires / groupes de recherche féministes et organisations féministes de différentes sortes (par exemple, plusieurs groupes entrant dans cette catégorie se sont alliés avec le mouvement des femmes indigènes du Mexique ou les employées de maison aux États-Unis, et leur ont fourni un soutien stratégique et de construction de capacités) ; voire même agences de l’ONU,

75


Enseignements

Mobilisation, conscientisation et construction d’identité. Conscience politique et identification des questions. Programme politique préliminaire. Premières actions pour faire changer les choses. Direction naissante, tirée des membres. Dépendance plus forte en l’organisation de soutien. Base de membres stable et continue.

Mouvements en construction

FIGURE 2 : Continuum du développement des mouvements et de leur maturité

Programme politique à long terme et stratégies de changements. Direction interne et structures et systèmes de prises de décisions. Relations avec un nombre d’alliés de plus en plus important. Autonomie plus grande vis-à-vis des organisations de soutien. Impacts visibles croissants sur la société, les débats, les politiques, le droit, la communauté, etc., y compris revers et retours en arrière.

Mouvements émergents

Conscience politique plus élevée et structure organisationnelle évolutive.

Structure organisationnelle et de gouvernance autonome. Direction extensive et profonde. Analyses, stratégies et perspicacité politique sophistiquées. Impact important et mesurable sur les acteurs étatiques comme non étatiques, la communauté et la société en général. Alliances et adversaires stratégiques.

Mouvements mûrs

Base de membres stable et continue, s’identifiant consciemment au mouvement.

ou autres donateurs (comme l’UNIFEM dans le cas d’IW ; UNHABITAT pour les Mères tchèques ; et même le Comité Nobel offrant le prix Nobel de la Paix à Shirin Ebadi, soutenant ainsi la lutte des femmes iraniennes). 5.  La qualité de la dynamique des relations de toutes ces configurations différentes peut être observée et explorée afin de mieux comprendre comment les organisations et les mouvements travaillent ensemble. Plusieurs schémas, ou directions, ressortent de nos dix études de cas :   Équilatérale / circulaire / symbiotique – dans cette dynamique, ni l’organisation de soutien des mouvements ni le mouvement lui-même n’ont un contrôle ou un pouvoir plus important ; au

76


Enseignements contraire les deux vivent une relation circulaire et symbiotique, l’un ou l’autre menant les diverses actions, ou prenant les décisions en fonction des contextes (relations entre Vanangana et DMS, par exemple) ;   Paternaliste / instrumentaliste / clientéliste – ici, les alliés, organisations de soutien ou de construction du mouvement sont aux commandes, et la direction du mouvement et ses organisations vivent une relation instrumentale ou dépendante avec ces organisations (IRWN ou JRWI, ou relations des partis politiques avec les Piqueteras, ou ONG de femmes palestiniennes, par exemple) ;   Continuum du formel à l’informel, où les organisations de structure dirigeante (comme celle créée par les Mères tchèques, les femmes indigènes et les employées de maison) s’occupent du côté formel, et les relations construites sur un programme partagé ou une compréhension commune des problèmes, mais donnant peu de contrôle en matière de gouvernance, de financements et autres, se trouvent du côté informel (comme pour les femmes iraniennes ou dalit);   La force de la « colle » qui tient les relations est une autre variable des types de relations que nous avons observés dans les études de cas. L’Alliance des employées de maison, par exemple, est une coalition plus informelle que le Comité national de coordination des femmes indigènes, le Conseil national des mères tchèques, ou la coalition pour la campagne One-In-Nine. Au plus fort de leur mouvement, les Piqueteras et les femmes iraniennes étaient très vaguement fédérées en réseaux de groupes de quartiers, mais sont liées plus étroitement par leur idéologie et leur cause que par une structure organisationnelle. À l’évidence, dans tous ces mouvements, le facteur « agglutinant » est plus fort que les structures superficielles visibles.

Stratégies Les stratégies utilisées par ces mouvements sont extrêmement variées : certaines sont étonnamment inventives, d’autres douées d’une intelligence politique fine, et d’autres encore, d’apparence conventionnelle en surface, présentent des objectifs beaucoup plus radicaux. Pour dévoiler les dimensions stratégiques de nos études de cas, examinons leurs objectifs et diverses formes d’intervention. 1.  Institutions et forces impliquées, combattues ou questionnées :   Acteurs formels, institutionnels aux niveaux local, national et international, soit l’État et ses diverses représentations (autorités nationales et provinciales, municipalités, etc.), l’Onu et ses diverses branches et commissions (UNIFEM, CSW, CSD, etc.), et autres organes internationaux.   Instruments et « structures normatives » internationales comme les codes en matières de droits humains, les normes en matières d’habitat urbain, les normes internationales du travail, les accords sur l’environnement, etc. (IW, DW, GK, RW).   Processus politiques nationaux, transnationaux et mondiaux - normes en matière de travail, discours sur la durabilité des villes, droits des peuples indigènes, politiques en matière de VIH/Sida et de microcrédit, normes de respect des droits humains, négociations de paix dans des territoires occupés ou en conflit (DW, CM, IW, GK, RW, PW)   Forces du marché et conceptions néolibérales – désorganisation économique causée par la mise en œuvre de réformes économiques néolibérales, précarisation croissante du travail et dislocation ou suppression des services publics suite à des réformes néolibérales (Piqueteras, DW, CM)   Cultures et structures sociales féodales ou semi féodales – racisme et patriarchie, discrimination due à la caste, discrimination ethnique, violence contre les femmes (RW, IW, GK, OINC)   Systèmes juridiques formels et de droit coutumier – droits à la terre pour les veuves d’anciens malades du VIH/Sida, droits des lesbiennes, législation permettant de réguler le travail informel tel que celui des employées de maison (DW, GK, OINC)

77


Enseignements   Société civile et autres mouvements sociaux, y compris mouvements féministes et mouvements de femmes – pour obtenir plus de visibilité et une voix plus forte dans certains mouvements tels que le mouvement des travailleurs, pour transformer des mouvements dominés par les hommes, reprendre des mouvements abandonnés par les hommes, et radicaliser des mouvements ayant un programme libéral plus conventionnel (DW, IW, Piqueteras, OINC, RW)   Institutions et leaders religieux – le mouvement des femmes iraniennes a dû se mettre en relation avec le clergé musulman iranien ainsi qu’avec les imams locaux, pour leur exprimer leur point de vue sur leur interprétation de la loi islamique, et leur prouver que le déni des droits aux enfants suite à un divorce ou un veuvage, ou la perte de droits de citoyenneté si elles épousent un homme non iranien, n’avaient aucune base ou justification dans le Coran ou la Charia. 2.  Tous les mouvements ont employé des stratégies multiples qui reflètent la complexité de leur manière de réfléchir à leurs problèmes et à leurs théories du changement. Aucun mouvement ne s’est lancé dans une seule approche « magique », même si certains d’entre eux avaient commencé ainsi au départ. Ceci est un enseignement important à tirer pour ceux qui croient qu’une seule intervention – comme l’obtention d’un crédit ou la génération de revenus – suffit à faire automatiquement croître un mouvement, ou entraîner de vastes changements capables de transformer la vie des femmes. Il est aussi le contexte dans lequel nous devons considérer les stratégies relationnelles utilisées par nos mouvements, qui peuvent être classées dans les grandes catégories suivantes (bien que ceci soit loin d’être une liste exhaustive) :   Mobilisation et organisation d’une vaste base de militantes affectées par le problème combattu – et dans certains cas, quelques hommes affectés par les mêmes forces (mais dans un rôle de soutien). Ceci est en cours pour certains de nos mouvements – comme les femmes rroms – alors que pour d’autres, c’est un processus avancé (DW, IW, GK, CM, OINC, PW, femmes iraniennes).   Collecte de données et d’informations (surtout grâce à des méthodes de recherche participatives) permettant de mobiliser et de politiser les membres, d’impliquer les décideurs politiques de manière informée, et de lutter contre les interprétations dominantes ou générales des questions sur lesquelles les mouvements travaillent (CM, DMS, DW, IW, OINC).   Formation de liens internationaux ou participation à des réseaux internationaux permettant de se faire connaître plus vastement, d’obtenir un poids politique plus important, d’accéder à des espaces de conception de politiques, ou de se protéger (IW, PW, CM, GK, femmes iraniennes)   Construction de relations et d’alliances permettant de renforcer son pouvoir, d’étendre son influence et sa visibilité, ou d’obtenir un accès à de nouveaux espaces et processus (DW, DMS, IW, OINC, PW)   Formations et construction de capacités – surtout dans des domaines comme le développement de compétences en direction, la participation politique – afin de renforcer les mouvements et organisations, mais aussi avoir un impact plus important sur les institutions impliquées ou rejointes (CM, DMS, DW, GK, IW)   Développement et redéfinition des analyses et programmes politiques – tous les mouvements de nos études de cas font preuve d’une évolution dans leur réflexion sur le fondement social, politique, économique et culturel de leur subordination, et ont construit des programmes politiques qui sont devenus de plus en plus sophistiqués en parallèle à leurs analyses.   Renforcement de leurs propres organisations et structures (y compris par des formations et la construction des capacités), pour obtenir des processus plus démocratiques, représentatifs, crédibles et pouvant être questionnés pour les mouvements eux-mêmes mais aussi aux yeux des personnes impliquées (tous les mouvements étudiés)   Mobilisation de diverses ressources pour leurs mouvements et la construction de mouvements (fonds de solidarité pour les réfugiées rroms du Kosovo, octroi de soins à domicile,

78


Enseignements Centres maternels autogérés, mise en commun des économies faites par les femmes dalits, ressources du travail chez l’IW, etc.)   « Éducation » des responsables officiels et représentants du gouvernement pour qu’ils comprennent les approches des mouvements et les soutiennent, au lieu de leur mettre des bâtons dans les roues (CM, GK) ou sensibilisation et éducation de dirigeants ou alliés d’autres mouvements sociaux (DMS, DW, OINC, IW)   Participation politique de différentes formes, y compris élection dans des structures de gouvernance, étude du fonctionnement d’organes locaux et de programmes de développement, mise en vigueur de droits du travail, etc. (CM, DMS, DW, GK, IW)   Travail sur l’obtention de réformes juridiques / plaidoyer, y compris réformes des lois et codes religieux (DW, CM, IW, femmes iraniennes, RW)   Résistance armée (Piqueteras, IW) ou résistance non-violente : manifestations, marches, etc. (femmes iraniennes)   Récupération d’espaces, de mécanismes ou du contrôle habituellement aux mains d’autres acteurs plus puissants, par exemple, récupération d’usines abandonnées par leurs « patrons » et gestion de ces usines (Piqueteras), récupération de l’octroi de prix des mains de l’État (les Mères tchèques ont monté un « prix accueillant aux familles » qu’elles proposent à certains responsables municipaux), utilisation de réunions et rassemblements religieux pour évoquer les questions des droits de la femme (femmes iraniennes), lutte contre l’exclusion des femmes du terrain des processus politiques mondiaux (GK).

Structures de gouvernance et de prises de décisions 1.  Les études de cas montrent que les femmes ont utilisé, adapté et transformé les formes structurelles qui ont évolué dans la société civile et le domaine des mouvements sociaux pendant des siècles – assemblées populaires, syndicats, fédérations, réseaux et coalitions. Les entités juridiques officielles – ONG ou organisations non lucratives – font également partie du spectre, ayant été créées à la fois par les mouvements en tant que structures de gouvernance ou de représentation ; en plus de celles qui existent précisément pour construire, soutenir et servir les mouvements. Les études présentent quatre grandes catégories de formes structurelles prises par ces mouvements :   Coalitions / réseaux d’organisations – tels l’OINC ou IRWN et JWRI, qui comprennent des organisations connectées autour d’un programme politique spécifique et agissant ensemble dans cet objectif.   Fédérations – comme la NCC de IW, ou les Mères tchèques, ou les syndicats d’employées de maison, ou les organisations Piqueteras, qui comprennent une formation plus étroite d’unités de femmes affectées se rassemblant pour définir leur programme politique et lutter pour.   Partenariats d’ONG fédérées – comme les femmes dalit et Vanangana, ou GROOTS Kenya l’ONG et les groupes de femmes à Nairobi et dans d’autres provinces.   Réseaux souterrains – c’est la seule forme sous laquelle travaille le mouvement des femmes iraniennes, qui a dû utiliser le bouche-à-oreille et d’autres moyens informels de communiquer pour prendre des décisions stratégiques et autres. 2.  En fonction de l’âge, de l’étape de la vie et de l’étendue géographique du mouvement, les structures utilisées pour la planification, le choix de stratégies et la gouvernance présentent un nombre de couches équivalent. Les mouvements plus âgés et plus mûrs – les femmes indigènes, les employées de maison, les mères tchèques, etc. – présentent des structures plus complexes que les mouvements jeunes et émergents. Toutefois, il n’est pas évident que l’on puisse conclure

79


Enseignements que les degrés de formalisme des structures créées pour la prise de décision et la gouvernance soient plus liés au type d’organisation et de programme politique du mouvement qu’à leur âge et leur étendue. Par exemple, les Piqueteras utilisaient l’informel mais très puissant format des assemblées populaires et des “fogados”, qui rappellent la révolution française ; One in Nine fonctionne en convoquant le nombre de représentantes d’organisations membres le plus élevé possible afin de prendre des décisions sur le fonctionnement de la campagne, alors que les femmes dalit ont formé des « comités en grappes », et qu’un des principaux membres des Employées de maison (le MUA) s’est doté du « Comite Corazón » – comité de coordination se trouvant « au cœur » de la campagne. Les problèmes relatifs à la création de structures appropriées sont bien résumés par Dawn Cavanagh, l’une des leaders de la campagne One in Nine : « Nous carburions à l’énergie pure, c’était très chaotique, très mal organisé au début, ceux qui voulaient et pouvaient faire le boulot s’y mettaient, et les décisions étaient prises par la personne qui se trouvait là, et tout le monde acceptait cette façon de faire; ce n’est que plus tard que nous nous sommes assises pour rédiger nos propres statuts et que nous avons prévu une stratégie à plus long terme, nous ne réagissions pas à un truc prévu, avec un budget, etc., nous construisions de manière très forte, pour nous c’était une manière entièrement nouvelle de nous organiser. »

3.  Les systèmes de gouvernance créés par ces mouvements – et notamment les plus avancés – suggèrent donc qu’il nous faut interroger les notions de structures « formelles » et « informelles » lors de la construction de mouvements. Il est évident que certaines des structures apparemment les plus informelles – les assemblées de Piqueteras, les retraites annuelles de GROOTS Kenya et les consultations quotidiennes de l’OINC – sont les plus puissantes et d’une certaine manière, les mieux organisées et les plus participatives. Néanmoins, les structures du Comité national de coordination des femmes indigènes, le Dalit Mahila Samiti et les Mères tchèques le sont également. Certains mouvements – comme l’OINC – ont déterminé un besoin de laisser de côté les styles plus informels de prise de décision dès le début de leurs actions, pour adopter une approche plus systématique et plus démocratique afin de veiller à ce que les valeurs et principes féministes soient respectés, puisqu’ils les avaient adoptés consciemment pour leur lutte. 4.  Quelle que soit la forme prise par les structures, néanmoins, une caractéristique remarquable des mouvements est qu’ils ont tous lutté – apparemment avec succès – pour créer des structures de prise de décision et de gouvernance en couches, représentatives et démocratiques. Que les mouvements se considèrent comme féministes ou non, les structures reflètent certains principes fondamentaux clairement féministes : en d’autres termes :   Une voix et une représentation à tous les membres, surtout sur le terrain ;   Nomination ou élection de dirigeantes / représentantes à tous niveaux des membres qui forment la base, ou le fondement, du mouvement ;   Formation d’unités participatives accessibles, ou de couches de prise de décision au fur et à mesure que le mouvement s’étend géographiquement ou croît en nombre – « comités en grappes » –, syndicats locaux, unités provinciales ou au niveau des comtés, comités centraux locaux de mères.   De nombreuses structures veillent à ce que les responsabilités envers la base, ou les membres, du mouvement soient respectées, et s’assurent que l’organe de prise de décision « d’en haut », ou ONG, ne soit pas trop éloigné, trop puissant ou trop arbitraire, sans responsabilité réelle. En d’autres termes, le processus de choix d’un programme et de prise de décision part plutôt du bas pour aller vers le haut que le contraire. Comme l’étude de GROOTS Kenya l’explique,

80


Enseignements « Les groupes régionaux informent en permanence la direction stratégique de l’organisation, et leur implication prend plusieurs formes. Par exemple, lors de la retraite annuelle, les représentants des différentes régions déterminent le plan de recherches de fonds annuel du secrétariat. De plus, des activités de direction et de mentoring sont fournies aux sous-groupes, grâce aux leaders des points d’attache régionaux ; il y a donc une consultation régulière et un flux d’information des leaders de points d’attache locaux au secrétariat et dans l’autre sens, vers les différents groupes régionaux. Même aux réunions avec les donateurs, les représentants régionaux négocient parfois les financements au nom de leurs régions ; d’autres fois c’est GROOTS Kenya qui s’en charge. »

5.  Autre question fascinante, les diverses unités constituant ces mouvements sont-elles réellement autonomes ? Et sur quels types de questions ou d’actions exercent-elles leur autonomie ? Ceci est une bonne question non seulement par rapport aux relations entre les mouvements et les ONG de nos études de cas, mais également au niveau des organisations et structures de gouvernance créées par les mouvements. De nombreuses unités constitutives des mouvements gèrent à l’évidence leurs propres programmes et services au niveau du terrain – comme les programmes d’aide aux moyens de subsistance, les microcrédits, les services de soins aux enfants et d’éducation scolaire – de manière relativement indépendante de la grande fédération ou organisation parapluie dont elles font partie (voir par exemple les études de cas des femmes indigènes, des femmes palestiniennes et de Groots Kenya). Les structures des réseaux et coalitions – comme celle des employées de maison, par exemple –, suivent également cette approche, les syndicats locaux développant leurs propres stratégies et tactiques. Mais s’il existe une autonomie assez élevée pour la conception d’activités au niveau local, la plupart des mouvements font preuve d’une cohérence et d’une unité autour du programme politique collectif. Par exemple, aucune section du mouvement des femmes indigènes n’ira négocier seule avec le gouvernement mexicain pour signer ses propres accords – les négociations ne pourraient se faire que par le Comité de coordination national, après avoir obtenu un consensus à tous les niveaux. 6.  Les structures de direction sont également grandement tirées des membres du terrain du mouvement. Même des campagnes comme l’OINC, formée par une coalition d’ONG, se sont assurées que la direction soit dans les mains de femmes qui ont été directement victimes des formes de violence contre lesquelles lutte la campagne, plutôt que de femmes de groupes dominants ou privilégiés. Lorsqu’existent différentes couches de direction, plusieurs mouvements ont conçu des processus très démocratiques de sélection/élection et de représentation (voir les études de cas de Dalit Mahila Samiti, des employées de maison et des mères tchèques, par exemple). Les systèmes de responsabilité de la direction face aux membres sont très forts dans certains mouvements, et moins clairs dans d’autres. 7.  Au regard des enseignements tirés des études de cas, on peut conclure que ces mouvements sont des « modèles » des principes et des pratiques de structures de gouvernance et de prises de décision féministes.

Réussites et influence Les études de cas présentent des types de réussites incroyablement vastes, et un nombre important de sphères dans lesquelles les mouvements ont eu une influence sur les attitudes publiques, les débats sur les problèmes rencontrés, le droit, les politiques et les pratiques. La multiplicité de ces impacts est bien articulée par le chemin pris par les femmes indigènes : « Les nouveaux espaces de participation, les multiples dialogues établis avec divers acteurs sociaux, et la nouvelle approche aux droits des femmes et des peuples indigènes ont entraîné, nécessairement, une modification des rôles en matière de genres… Tous ces espaces traditionnels – indépendants ou étatiques – peuvent être conçus comme des espaces de production de sens, processus qui ont poussé de nombreuses

81


Enseignements femmes indigènes, intentionnellement ou non, à réfléchir à leur condition, entraînant ainsi un échange entre le genre, l’ethnicité et la classe sociale. »4 « …. [Le] débat a un impact sur le féminisme et les féministes : il élargit la compréhension de la manière dont l’identité de genre et d’autres identités sont liées, comme celle de classe ou d’ethnicité ; il reconnaît et comprend la résistance de nombreuses femmes aux thèmes controversés du mouvement féministe, comme la sexualité ; il démantèle l’opinion selon laquelle les femmes indigènes sont un groupe vulnérable n’étant ni assez capables ni assez puissantes pour changer leur propre condition ; il reconnaît le besoin de créer des alliances avec d’autres mouvements sociaux et de réfléchir au rôle que les hommes doivent avoir dans la lutte pour l’égalité des genres ; et il récupère diverses formes de lutte et de résistance, innovantes pour le mouvement féministe, surtout dans l’objectif de construire une base sociale plus vaste, capable de devenir un contrepoids au pouvoir en place. »

L’impact et l’influence des mouvements représentent bien les stratégies qu’ils ont suivies, tout en allant plus loin : 1.  Organisationdes femmes concernées par les problèmes combattus afin de lutter, résister et transformer les processus socioculturels, économiques et politiques qui ont exploité, marginalisé ou violé leurs droits de différentes manières. 2.  Construction d’une masse organisée de femmes dotées d’un niveau croissant de conscience politique, d’une conscience de leurs propres pouvoirs et capacités, pour qu’elles deviennent des actrices principales des changements qu’elles souhaitent voir se réaliser. 3.  Avancement / recadrage du débat – ainsi : qu’est-ce que les questionnements féministes, qu’est-ce que la violence, quels sont les droits des femmes admis par la religion, etc. 4.  Espace, voix et visibilité améliorées – surtout pour les groupes qui avaient peu de présence ou d’influence avant la naissance des mouvements. 5.  Amendementdes lois, politiques et paradigmes de développement – reformulation des lois et politiques du travail, lutte contre les interprétations dominantes des codes religieux, planification urbaine accueillante aux familles, approches d’entraide pour les soins à apporter à domicile aux enfants ou malades, contrôle et gestion par les femmes des allocations chômage, approches aux droits coutumiers de propriété et relatifs aux ressources naturelles, etc. 6.  Accès à la justice pour les femmes – non seulement de manière formelle, par les tribunaux, mais aussi par la transformation de la perception publique de la nature de la violence faite aux femmes, et de l’invisibilité de certaines formes de violence – comme la stigmatisation et la légitimation de la violence contre les lesbiennes, les femmes et filles dalits, ou les formes subtiles de violence inhérentes à la suppression des droits d’héritage et des droits aux enfants pour les femmes veuves à cause du Sida ou de guerres et conflits. 7.  Nouveaux organes d’informations et de connaissances – les études, les données rassemblées et la construction de connaissances par certains de ces mouvements ont permis de lutter non seulement contre des constructions dominantes / générales, mais aussi contre certains points de vue féministes. La liste des apprentissages et des transformations est impressionnante : prise en compte des employées de maison sur le marché du travail, nouvelle compréhension du rôle de la famille et des pratiques et cultures traditionnelles, important activisme chez les Piqueteras et capacités à générer des emplois et augmenter la production dans des entreprises abandonnées par leurs propriétaires, création d’un nouveau cadre liant sexualité, violence et pauvreté.

4.  Proyecto Colectivo, “Viejos y Nuevos Espacios de Poder: Mujeres Indígenas, Organización Colectiva y Resistencia Cotidiana.”

82


Enseignements 8.  Récupération et obtention de nouvelles ressources et d’atouts pour les femmes – y compris des espaces collectifs comme les centres maternels, mais aussi les droits à l’héritage, aux terres et à l’immobilier pour les femmes veuves de malades du Sida, accès aux services sanitaires et autres, génération de moyens de subsistance et de revenus, etc. 9.  Créationde nouvelles compétences et capacités pour les femmes – le nombre d’approches à la construction de capacités et de direction et autres compétences choisies par les mouvements a créé une forme entièrement nouvelle de pouvoir et un capital personnel et collectif disponible à tous les membres. 10.  Évolutiondes pratiques coutumières et des relations de pouvoir – Les réussites remportées par les Dalit, les Rroms et les femmes kenyanes et indigènes sont toutes des exemples de la manière dont une culture a été récupérée mais aussi transformée de manière concrète, et où de véritables évolutions ont eu lieu dans des zones de résistance comme l’exclusion ou la discrimination basées sur la caste ou l’ethnicité. 11.  Défis lancés à d’autres mouvements sociaux, et sensibilisation de ceux-ci – ceci est une réussite fondamentale obtenue par plusieurs mouvements, qui ont non seulement réussi à transformer les mouvements plus vastes, dominés par des hommes, dont ils font partie (même s’ils ont rencontré une certaine résistance), mais également les mouvements avec lesquels ils se sont alliés. 12.  Conscientisation et sensibilisation du public – lors de leurs stratégies de mobilisation et d’action, de nombreux mouvements ont été très présents dans les médias et ont donc pu conscientiser, implicitement, l’opinion publique et lui donner un point de vue différent sur des questions importantes comme le viol, l’orientation sexuelle et le pouvoir et « l’entreprise » de femmes pauvres ou marginalisées (au lieu de les présenter comme victimes).

Qu’avons-nous appris de nouveau ? Si nombre de nos études de cas confirment nos connaissances sur le pouvoir de transformation des mouvements de femmes, elles soulignent également de nouvelles dimensions et évolutions, notamment : 1.  Si les mouvements de femmes aspirent à des structures horizontales, plutôt que hiérarchiques, la plupart des formats d’organisation choisis par les mouvements étudiés ne sont pas réellement horizontaux – néanmoins ils sont démocratiques et les dirigeantes peuvent être tenues responsables de leurs actions. Ceci signifie que nous devons nous poser des questions sur la notion selon laquelle la structure féministe idéale est horizontale et sans hiérarchie. Nos études de cas démontrent qu’une hiérarchie sensée, faisant particulièrement attention à la représentation démocratique et à une responsabilité allant du haut vers le bas et du bas vers le haut est cruciale pour l’efficacité des mouvements féministes. Les structures de gouvernance créées par les femmes indigènes, les mères tchèques, le Dalit Mahila Samiti et les employées de maison sont des structures représentatives, très démocratiques, élues par tous les membres – mais qui bénéficient de certains pouvoirs de décision octroyés à une direction qui est élue pour ce faire. 2.  Question liée, et aussi fascinante – et qui devra donc être explorée plus avant – : les structures que ces mouvements se sont données sont-elles réellement capables de rendre des comptes à leurs membres ? Y a-t-il eu des cas où les dirigeantes ont dû être destituées de leur poste, par exemple ; où les actions ont été questionnées ? C’est-à-dire, est-il justifié de dire que les structures de gouvernance de ces mouvements de femmes sont plus capables de rendre des comptes que celles d’autres mouvements ? 3.  Certains mouvements – comme la campagne One in Nine – se sont dotés d’une conception explicitement « féministe » de la direction et du pouvoir partagé, et ont cherché à fonctionner selon

83


Enseignements une approche basée sur le consensus pour toutes les grandes décisions à prendre. D’autres ont développé une direction et des méthodologies féministes sans avoir spécifiquement adopté le label « féministe ». Ceci nous pose des questions sur la manière dont nous apposons l’identité « féministe ». Nos études de cas montrent que ce sont les principes, les valeurs et l’engagement à l’autonomisation des femmes qui sont féministes, plutôt que la déclaration formelle d’adoption de cette identité. Malheureusement, de nombreux groupes se sont sentis aliénés et ne veulent pas dire ouvertement qu’ils sont féministes, peut-être à cause de la manière dont l’idéologie a été récupérée et contrôlée par certaines « gardiennes ». Nous devons repenser ce qui rend un mouvement féministe, et réfléchir à des manières de poser des frontières qui soient inclusives et non pas exclusives. 4.  Bien que la littérature sur les mouvements sociaux parle de mouvements saisissant des moments politiques, certains de nos mouvements sont en réalité créateurs de moments politiques – la campagne One in Nine, par exemple, n’a pas simplement saisi la balle du procès de Jacob Zuma au bond, elle a créé son propre moment politique en appelant à des manifestations suite au meurtre de deux activistes lesbiennes, événement qui aurait autrement été passé aux oubliettes. De même, les femmes iraniennes ont créé leurs propres moments politiques pendant les célébrations du jour international de la femme, et ont forcé l’État théocratique et les leaders religieux à écouter leurs demandes. En bref, toutes nos études de cas présentent des exemples qui montrent que la présence de mouvements sociaux puissants entraîne ses propres évolutions politiques autant que ces mouvements tirent avantage des opportunités offertes par les forces politiques qu’ils cherchent à transformer. 5.  Et pour finir, certaines de nos études de cas nous forcent – surtout dans la communauté des donateurs – à repenser notre mauvaise opinion des conférences nationales et mondiales, considérées comme des discussions vides présentant peu de valeur stratégique. Nous observons parmi nos études de cas des mouvements qui sont nés ou ont été catalysés par des événements comme la Conférence mondiale des femmes de Beijing (GROOTS) ou le Forum social étatsunien (employées de maison). En réalité, le Forum social étatsunien a donné une nouvelle vie et une puissance accrue à l’Alliance des employées de maison, qui l’ont utilisé comme espace d’organisation fondamental et ont ainsi ravivé l’intérêt pâlissant d’autres groupes et mouvements progressistes en cet événement. En conséquence, notre espoir est également ravivé de voir des événements comme le Forum d’AWID être un espace important de stimulation ou de création de mouvements, jouant un rôle énergisant pour des mouvements plus anciens, et offrant une nouvelle vision et compréhension du monde pour les nouveaux.

Nous espérons que ce document, et les idées qu’il contient, sera source d’inspiration pour nombre d’entre nous, pour que nous soyons toujours plus nombreuses à renforcer des mouvements féministes forts et vivants, partout dans le monde!

84



Bureau à la Ville du Mexique :

Bureau à la Ville du Cap :

Bureau à Toronto :

Cerrada de Mazatlán N°12, Colonia Condesa, México D.F MEXICO. C.P 06140 Tél. 5255 5212 1023 Fax: 5255 5212 0626

401 Ovenstone House 8 St. George’s Mall Cape Town, 8001 South Africa Tél. 2721 425 3682 Fax: 2721 421 4742

215 Spadina Ave, Suite 150 Toronto, Ontario Canada M5T 2C7 Tél. 416 594 3773 Fax: 416 594 0330

Site Web : awid.org

Renforcement des mouvements et organisations féministes (BFEMO)


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.