SEPT.
GRATUIT #128
JEANNE CHERHAL 14, 15 SEPT. | LESPAS 16 SEPT. | LUC DONAT
SOMMAIRE
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N°128 SEPTEMBRE 2017 MENSUEL CULTUREL 15 000 EX | GRATUIT
LÉKIP
Dir. publication|Rédac chef Sandrick Romy Chroniqueurs Manzi, Zerbinette, Lodie, Ceelo, Pimprenelle, Karine Bod, Mike, Marie Welsch, Clotilde Brière Photos Mickael Dalleau Distribution Mathias Techer, Shivam Jatoonah Impression : Graphica Photo de couv : © Frank Loriou
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kerveguen | septembre-décembre manzi te fait la leçon | Immondices & mondanités les lunettes de zerbinette | Les ravissants kabardock | septembre-décembre
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Les tribulations d’une chroniqueuse | à avignon
ERREURS & CHANGEMENTS : CONTACTEZ LES LIEUX AVANT DE VOUS Y RENDRE POUR CONFIRMER QUE L’ÉVÉNEMENT ANNONCÉ EST TOUJOURS BON !
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De rouille et d’os | 3ème voix de la marionnette
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les balles de l’Afrique... | Maputo Mozambique | 8,9,13,15 SEPT.
La reproduction du contenu de la présente publication et du site www.azenda.re, est interdite.
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Paye ton myton | Cédric Myton | 15 sept.
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Jeanne Cherhal dans les yeux de ... | 14,15,16 Sept.
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artistes, Musiciens, organisateurs, producteurs : diffusez vos dates et votre programmation sur azenda.re et dans le mag l’azenda. c’est gratuit ! envoyez vos infos à contact@azenda.re
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les bambous | septembre
théâtre du grand marché | septembre Tue, tue, tue, tue, du rock pointu | Kill Kill ! | 16,17,23 sept.
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Sortie cd | univers-île - labelle
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Pa li lotèr | Pa mwin lotèr | oct., nov., dec.
opportunités du sacrifice | Kisa mi lé | 28 sept. lucet langenier | septembre-décembre Femme puissante | Kala | 29 sept., 7 oct. la cité des arts | septembre
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MANZI TE FAIT LA LEÇON
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IMMONDICES & MONDANITÉS MANZI FAIT SA RENTRÉE
Septembre oblige, risque d’arriver, en soirée ou à la machine à café, le terrible moment des causeries culturelles. Votre dernière sortie remontant à une virée au cinoche – vous n’êtes pas obligé d’avouer que c’était pour Valérian - vous risquez forcément de vous sentir un peu ostracisé. Soyez soulagé car Manzi vous donne quelques pistes pour égayer cette pseudo agitation intellectuelle. Questions types.
Alors, c’est possible de voir des concerts dans un cadre sympa à Saint-Pierre ? Au cours du mois d’août, l’annonce de Neymar au PSG est passée quasi inaperçue dans la capitale du Sud tant une autre annonce était attendue : le Kerveguen – oui le vrai, celui de la Rivière D’Abord – va enfin ouvrir ses portes avec ses 122 places assises, 684 debout et une terrasse proposant un bar-resto. Vous êtes donc dans l’obligation de vous déplacer le 15 septembre pour revoir Cédric Myton (passé au Sakifo 2017) surtout si vous avez loupé l’ouverture le 1er septembre, tout de même annoncée complète dès mi août, pour re-revoir Flavia Coelho (passée aux Sakifo 2012 et 2015). Attention, sur place, pas la peine de faire preuve de cynisme en mentionnant ces cas de vus et re-revus : cette forme d’humour ne serait pas comprise des tenanciers. Vous pourrez plutôt citer cette morale digne du maître Fontaine (le notre,
pas le poète) : « L’attente d’un bien est déjà un plaisir ». Ou simplement souligner que vous êtes ravis de retrouver une énième fois à la Réunion TOUS ces artistes. Si vous trouvez dans la programmation le seul artiste jamais programmé sur le sol réunionnais, peut-être bénéficierez vous d’un accès privilégié aux loges VIP ! Enfin, même si bébé Kerveguen a parfois les mêmes goûts musicaux que ma marraine souffrant d’acouphènes, j’espère que cette salle sera plus souvent pleine, sinon ça me ferait de la peine. Y’a quoi au Kabardock ? (ndlr : la seule SMAC de l’île) Ne communiquer que sur quatre évènements pendant tout l’hiver, c’est un peu court, jeune femme ! On pourrait dire… Mon Dieu !... pas grand-chose en somme. Si j’étais agressif, je dirais même que si j’avais une telle pré-programmation, il faudrait sur-le-
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MANZI TE FAIT LA LEÇON | IMMONDICES & MONDANITÉS
champ que je la fermasse*. Mais comme je suis magnanime, j’encourage la nouvelle chargée de comm’ dans ce harcèlement : la Tropical Discoteq (9 septembre) est une boum toujours très réussie, Jupiter & Okwess (le 14 octobre) promet une orgie sonore réjouissante et le Télérama Dub Festival (le 16 décembre) mérite un regard bienveillant avec son sponsoring aussi incongru que réjouissant à la Réunion. Vivement les Rencontres Philosophiques des Bambous parrainées par Visu. * Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac
Alors c’est quoi le festival à ne pas rater ? Hélas ça ne sera pas le festival Danse Péi qui n’aura pas lieu en octobre car une municipalité a opté pour l’incompétence plutôt que promouvoir la danse. Je n’en suis pas fort aise mais allons danser maintenant à Saint Denis où le festival Total Danse revient en grande pompe mi-novembre. La programmation me semble être la plus riche de toutes les éditions et c’est clairement le temps fort culturel avec des places qui partent comme des petits escarpins. Dommage que cette opulence chorégraphique nous prive de notre habituelle proposition circassienne que les Téat nous dégotaient chaque semestre. Du coup, y’a pas moyen d’aller voir du cirque à Saint Leu ? Bonne nouvelle ! Le Séchoir Nouveau est arrivé avec une abondance de propositions inversement proportionnelle à la longueur
des éditos de sa nouvelle directrice. Et y’a quelques perles de spectacle vivant comme Maputo Mozambique, dans la belle salle de Stella Matutina (du cirque esthétique, ethnique, technique, synchronique qui plaît à la critique et au grand public) ou L’Instinct du Déséquilibre de la Cie Ieto (quatuor d’artistes incarnant cette génération de circassiens qui cherche à sublimer l’accident de façon loufoque et poétique). La ville de Saint Leu, mondialement connue pour son clown à moustaches et ses hordes de rastas blancs accompagnés de leurs sacs à puces savants n’attend plus qu’un vrai chapiteau au centreville pour devenir la capitale du cirque de l’Océan Indien. À propos de capitale, que se passe-t-il à la Cité des Arts ? Grâce à une équipe dynamique, la Cité des Arts prenait la bonne voie pour devenir la Cité des Astres. Sauf que le centre culturel de Patate à Durand a vu la CINOR lui baisser sa subvention de fonctionnement de 500 000 patates durant cette année... J’aimerais vous recommander des spectacles mais la programmation n’est toujours pas disponible. Pénible. En revanche, le restaurant – « le Food Art’s » – a enfin ouvert : le lieu est beau, la nourriture est bonne et c’est le spot idéal pour observer à bonne distance cette espèce protégée communément appelée : l’artiste en résidence. Même si ce dernier est généralement de bon goût, ça fait pas grand chose à se mettre sous la dent.
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Question bon goût, y’a quoi à ne pas rater ? Jeanne Cherhal le samedi 16 septembre au théâtre Luc Donat. Primo car cette salle revit clairement depuis quelques temps et, deuxio, car Jeanne Cherhal m’avait bluffée il y a deux ans pour un concert intimiste à la bibliothèque départementale de Saint-Denis en mode piano-voix. Honnêtement, je ne suis pas au taquet question « nouvelle chanson française » mais j’ai été emballé par sa prestation, subtil hommage à la chanson française féminine des années 70 mais d’une modernité pétillante. Ce qui la rend irrésistible c’est sa nonchalance de maestra : d’une facilité déconcertante avec ses deux instruments de luxure que sont le piano et la voix, elle dispose également d’une vivacité d’esprit digne d’une artiste de stand-up pour s’adresser au public avec humour et simplicité; le genre de fille aussi diva que girl next door avec qui on se verrait bien boire des verres et se marrer jusqu’à pas d’heure. C’est quoi le plan pour bien se marrer ? Plaire, Abécédaire de la Séduction de La Compagnie La Martingale le samedi 2 décembre à Luc Donat et le Cabaret de l’Impossible, le mercredi 29 novembre à la Plaine des Cafres, dans le cadre du festival Label Parole. En matière de tchatche désopilante, nos élus locaux tiennent la dragée haute mais les comiques que je vous recommande ne font pas rire à leur insu mais grâce à une verve volontairement décalée et fédératrice.
Justement, pour se la jouer décalé, quelle daube consensuelle faut-il éviter ? Elmer Food Beat à la rondavelle Ti Roule le 10 septembre évidemment. Il serait injuste de juger a posteriori du sexisme et de la beauferie des paroles de ce groupe de mauvais rock alternatif des années 90 (Couroucoucou roploplo, Daniela, La complainte du laboureur, Est-ce que tu la sens ?), plus proche de Lagaf’ et sa Zoubida que les VRP et Les nénés des nanas des nains : c’était une autre époque où l’on rigolait même de Michel Leeb imitant les accents asiatiques ou africains avec une finesse dont Hanouna est le sordide résidu. Sauf que les gars continuent de surfer sur ces vagues grassouillardes et proposent des nouveaux morceaux dénués de second degré et de malice. Honnêtement, cette lubricité malsonnante ne mérite pas notre curiosité nostalgique. Si vous voulez écouter du rock drôle et bien joué, venez chez Ti Roule la veille pour Mothra Slapping Orchestra. PS : Au moment où nous bouclons le magazine, j’apprends la mort du guitariste emblématique de Elmer Food Beat, Twistos, et nous n’en savons pas plus sur le maintien de leur tournée à la Réunion. J’imagine qu’on a autre chose à penser quand on vient de perdre un pote. Mon avis reste le même sur ce groupe mais j’ai une pensée sincère pour ses proches et pour ses fans effondrés. MANZI
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UN BOUQUIN PASSÉ SOUS LES LUNETTES DE ZERBINETTE
LES RAVISSANTS Où ta Zerbinette retrouve sa Julie Legrand, auteur contemporaine installée à La Réunion, dont le dernier recueil de nouvelles, Les ravissants, est une merveille glaçante, étrange et pénétrante ancrée dans le terreau des souvenirs.
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ans Tangor Amer, les nouvelles (des scènes de la vie familiale à La Réunion) dressaient un tableau cynique des mesquineries ordinaires. Sa plume lucide et incisive était un vrai bonheur grinçant. Son nouveau recueil Les Ravissants réitère l’exploit de dépeindre en onze histoires le labyrinthe des vies intérieures, souvent guidées par des pulsions meurtrières, mesquines et dévorantes. Loin d’être aussi ravissants que le titre de cet opus le suggère ; les personnages ont souvent en commun une faille obsessionnelle, qu’un souvenir, au grès d’un imprévu, vient raviver. Tissant sa toile autour d’une chute qu’on ne devine jamais, l’auteur excelle à dépeindre le mécanisme des névroses quotidiennes, par le biais d’une écriture réaliste frisant parfois avec le fantastique. Pourquoi c’est délectable ? Parce que Legrand dissèque la mécanique de nos ratages avec un détachement plein d’empathie.
Dépourvues de pathos, ses histoires racontent comment la maternité dépossède et aliène, la famille humilie et désincarne, l’amour asservit, et l’enfance plante dans nos âmes naïves des désirs qui laisseront place à de mesquines existences où règnent l’éphémère et la désillusion. Julie Legrand semble vouloir rappeler que l’humour et l’humilité peuvent être des antidotes à nos chimères. Raison pour laquelle ; dans un récit qui fleure l’auto fiction ; elle égratigne joyeusement la pédanterie associée à l’acte d’écriture, terre « des platitudes éclatant dans toute leur narcissique pauvreté, que la fiction transfigurait à peine, comme un glaçage de gâteau dont on a du mal à évaluer les proportions et qui ne réussit à napper entièrement la génoise irrégulière et grêlée…» Un festin auquel je t’invite vivement, mon brave lecteur. Julie Legrand, Les Ravissants, Zonaires éditions, juin 2017, 158p
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LES TRIBULATIONS D’UNE CHRONIQUEUSE Zerbinette, notre exploitée-dévouée critique littéraire et chroniqueuse théâtre, s’est rendue quelques jours au célèbre festival d’Avignon (qui se déroulait du 6 au 26 juillet dernier) pour se faire une opinion sur des pièces qui, potentiellement, se joueront tôt ou tard à La Réunion. Pour pouvoir vous en parler en connaissance de cause si, et lorsque celles ci seront programmées sous nos latitudes(1). En attendant, et pour la peine, elle nous livre un petit récit de ses turbulentes tribulations. Les journalistes de L’Azenda ont la vie vaguement dure(2).
AVIGNON JOUR 1
MA PREMIÈRE
I
l est 14h25 et mon TGV vient d’entrer à la Mecque. Bien qu’instruisant régulièrement les colonnes théâtrales de ce noble magasine, j’étais jusqu’à ce jour vierge de toute expé-
rience avignonnaise. Ignarde, pucelle, écuyère au pays des chevaliers aguerris. Bref, la honte. Mais la providence, qui peut avoir mauvais goût, a décidé de réparer ses torts. Me voilà goûteuse de pièces à la petite semaine pour une illustre compagnie locale dont je tairai le nom, son inconscience n’ayant d’égale que sa générosité.
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Qu’importe. Depuis 15 jours, je me sens investie d’une mission quasi humanitaire. En montant dans le coucou de Corsair à destination de la terre promise, je tremble. À mon retour, j’accomplirai enfin ma vengeance. Croiser mon infâme et non moins illustre collègue Manzi. Discuter du programme théâtral. L’entendre vanter une pièce. Et répondre, blasée « Ah non… J’irai pas. Je l’ai déjà vue à Avignon… » puis tourner les talons et jubiler, l’oeil torve. Après 11h de vol, vingt minutes de bus, et 4h de TGV, la campagne provençale se dessine derrière le carreau. Ça y est. J’y suis. Je jette ma valise sur quai. Immédiatement, les cigales, par milliers. L’air est sec. On traine sa guitare. Coups de sac à dos. Soleil de plomb et ciel céruléen. Je vais vivre le rêve avignonnais en Technicolor. Ma valise se fige au pied des murailles. Mon campement est à l’extérieur des remparts. Dans quelques heures, je vais rentrer dans le vortex par la poterne Monclar.
Six jours de pérégrinations artistiques. Une vingtaine de verres de rosé déclarés. 27 spectacles à chroniquer. 368 tracts à collecter avec le sourire. 74124 pas, soit une moyenne de 9,7 kilomètres par jours. Une véritable orgie de chiffres au pays des lettres. Douche en speed et fringues en vrac. Les remparts m’appellent. Alors je fonce. Et soudain, je rentre dans la lumière…
AVIGNON JOUR 2
DÉCONTRACTÉE
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rave lecteur, avant toute chose, faut que tu comprennes un truc. Avignon, c’est binaire. Y’a le In et le Off. L’extérieur de la ville et l’intérieur des murailles. Les initiés et les novices. Les pro et les touristes. Les taxis et les vélos. Les sobres et les avinés. Le jour et la nuit. Dehors, le calme. Les vendeurs de Kebabs et les épiceries arabes. Et les logements des
avignonnais loués pour l’occasion sur AirBnb. Notre camp de base. À 26 minutes à pieds du cœur du monstre. Dans ma tête, Mas provençal, cigales et rosé sous la tonnelle. Quand tu débarques d’Orly, ça vend du rêve. Mais soyons clairs t’y passeras qu’en éclair. Si t’arrives à enchaîner le café, la douche, et six heures de sommeil, t’auras tiré le tiercé gagnant. Dans les faits, ton quotidien, ça sera plutôt nuit blanche et lavage sur la route à la lingette.
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LES TRIBULATIONS D’UNE CHRONIQUEUSE | ZERBINETTE À AVIGNON
À l’intérieur, le cœur de la fourmilière. Des hordes de touristes, des milliers de sandales de cuir qui slaloment entre les donneurs de tracts. Oui, des tracts. Par milliers.
avec des gueules d’illuminés. À défaut de convaincre, ça force le respect. Chacun y va de son argument choc. Ils ont du poétique et du déroutant. Du Molière dépoussiéré. Du Marivaux revisité. Du jubilatoire, du neuf, du sublime. Dans leurs bouches juvéniles et passionnées, une véritable foire aux superlatifs. Même Bescherelle y perdrait son latin. Quand même ça t’émeut toute cette jeunesse pourfendeuse de culture. Du coup, tu deviens poli. T’écoutes et tu promets d’y venir. Tu t’entends même dire que tu seras au premier rang. Toutes ces vieilles pierres, ça finit par réveiller ta culpabilité judéo-chrétienne. Pauvre de toi.
Quand t’es Off, tu t’arrêtes et tu les écoutes dérouler leurs pitchs. Bon dieu ce qu’ils sont dévoués. Il fait 40 degrés à l’ombre, mais les gars se baladent en costume d’époque
Quand t’es In, tu deviens stratégique. Tu dégaines tes solaires en détournant la tête. Tu dis que t’as un programme. Tu sors ta carte pro. Tu changes de trottoir. Tu lèves les poings, tu sors les dents. En 24 heures à Avignon, tu deviens agressif et allergique au papier. Bref, t’es In. Alors, ton parcours peut commencer…
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l’Artéphile, et t’as poursuivi avec une tournée de mousses bio, penché sur les vieilles pierres. Jubilatoire.
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Et puis t’as seriné des princes fatigués pour un lift à vélo sur leur porte bagage. Des gars pas bégueules t’ont ramené. Tu t’es foutu au pieu décimé en jurant que longtemps comme Proust, tu te coucherais de bonne heure. Foutaises.
MOTS/AUX INTERDITS
l est 7h53 et t’as mal aux cheveux. La veille, t’as écouté « Bloom box », un zicos déjanté brancher ses jacks sur des jouets Vully pour un show total décomplexé. Forcément, maintenant que t’es In, t’as enchaîné les bières à
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Il est 7h53, et t’as mal aux cheveux. La journée a même pas encore commencé. Avec ta gueule en Picasso et ta mémoire qui flanche, t’arrives quand même à te souvenir qu’en fait, t’es là pour bosser. T’as 4 pièces à aller voir. Donc 4 chroniques à pondre. Du Voltaire dépoussiéré, entre autres. Misère. Alors, tu secoues ton doliprane dans le fond du verre. Non tu te souviens plus que le paracétamol, à la différence de l’aspirine et de la bière, ça fait pas de bulles. Tu bois l’eau trouble, tu chopes le foutu cachet entre le pouce et l’index et tu cherches un fond de bouteille pour gober ça cul sec. Mazel tov.
Alors ça monte. Rage ou migraine, tu sais pas trop. Qu’importe, ça t’a redonné du nerf. Index en l’air face au miroir, tu te promets qu’à défaut d’arrêter de boire, plus jamais, au nom de tes braves lecteurs, tu ne céderas aux sirènes de la critique publicitaire. Que tu trancheras le cou à ces 4 mousquetaires de pacotille, que tu convoqueras tous les synonymes et onomatopées de la création pour trouver le mot juste, dans le néant de ton ciboulot. Et comme on part en guerre, tu dégaines ton iPad. Exultante. Libérée. Fantasque. Et neuve.
Pas de flotte. Mais une cascade de tracts sur le plancher, vestiges de ta période Off. Tu te penches sur cet éventail de résumés, tête en bas, ça cogne moins fort. Et tu les vois, ces 4 maudits. Mots dits et redits à toutes les sauces. Comme du ketshup dans la syntaxe, de l’exhausteur de goût pour phrasé aseptisé. On te promet du JUBILATOIRE, du DÉCOMPLEXÉ, du DÉJANTÉ et du DÉPOUSSIÉRÉ. Tu étouffes à la vue de toute la dramaturgie de l’édition 2017, séquestrée entre ces 4 adjectifs. La plus scandaleuse prise d’otage grammaticale jamais signalée depuis que le verbe s’est fait chair.
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CAP AU PIRE
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orcément je savais que ça allait arriver. Que sur la sélection des 18 pièces à goûter en 4 jours, je me coltinerais au moins un spectacle imbitable, totalement
hermétique, une prise d’otage théâtrale, une page de torture au cours de laquelle toute la fatigue contenue depuis ces quelques jours se muerait en agressivité effrénée. Oui, je savais qu’un soir, tout mon être sensible se heurterait au spectacle qu’invariablement, Télérama aurait adoré. Donc acte, et Cap au pire.
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LES TRIBULATIONS D’UNE CHRONIQUEUSE | ZERBINETTE À AVIGNON
On ne présente plus Denis Lavant. Tant pis. Denis Lavant. César du meilleur acteur dans Holy Motors. Prix du cinéma européen du meilleur acteur. Molière du comédien dans Les fourberies de Scapin. Bref. Denis Lavant, le puma des planches avignonnaises, le jaguar du septième art, allait se présenter sous nos yeux ébaubis pour jouer « Cap au pire », un obscur et sublime roman de Beckett. Emois et gloussements fébriles dans les gradins du théâtre des Halles. Dans Télérama, ça donnait à peu près ceci : « Quand Denis Lavant, le virtuose que l’on connaît, s’attaque, pour le dépoussiérer à l’un des plus sombres romans de Beckett, ça donne une interprétation jubilatoire et décomplexée de cette œuvre complètement déjantée. » Ketshup et mauvaise foi pour ceux qui se coltineront le récit de mon aventure avignonnaise. Bref. Donc le bonhomme entre en scène. Seul. Vêtu de noir. Sur un plateau nu. La scéno est à l’image du budget au ministère de la culture. Épurée. Autant dire qu’à l’exception de la douche au dessus du corps du comédien, il n’y a rien. Les bougres n’ont même pas ouvert le rideau, c’est dire. Il se place à gauche, en bord de scène. Tête baissée, dos courbé. Il n’en bougera pas pendant les 70 minutes que durera la représentation. Y’a des gens que ça émeut. Des gens qui auraient sans doute payé pour écouter la Callas lire le tiercé ou voir Rodin cuire des nouilles. Rebref.
Oui le texte de Beckett est sublime. On le sait. La preuve, le mec arrive à pondre un roman sans placer le moindre pronom personnel. C’est dire. Ah si. À un moment, Denis Lavant dit « eux ». J’ai compté 5 points de pénalité. À un moment aussi l’acteur relève la tête. J’ai encore enlevé dix points. Après, j’ai cherché d’autres jeux. Un peu comme un gosse dans la voiture qui compte le nombre de voitures rouges sur le Paris Lyon. Mais putain ce soir l’autoroute était déserte. Alors ça a commencé à monter. Lentement mais sûrement. Des picotements au bout des pieds. J’ai scruté les issues de secours. Trop loin. Je me suis demandée si je pourrais ramper. Mon voisin intello s’esclaffait à chaque fin de partie. Pour sûr il me dénoncerait.
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J’ai observé les gens dans la salle. Les visages qui se décomposaient d’ennui, les mains crispées sur les accoudoirs prêtes au meurtre, ceux qui ronflaient, décomplexés, et le désarrois palpable sous les paupières closes. Je me suis contenue. Le prix à payer pour vivre une expérience métaphysique. Et puis enfin j’ai entrevu ma libération. Lavant vaticinant. Les derniers mots expulsés du Beckett. Je ne résiste pas au plaisir sadique de te les copier coller. Tiens mon brave lecteur. Ouvre les ouïes de ta branchitude et sois fort : « Plus qu’à se mettre debout. Tant mal que pis se mettre et tenir debout. Tant mal que
pis y tenir. Ça ou crier. Le cri si long à venir. Non. Nul cri. Douleur simple- ment. Debout simplement. Fut un temps où essayer comment. Essayer voir. Essayer dire. Comment d’abord il gisait. Puis tant mal que pis s’agenouillait. Peu à peu. Jusqu’à ce que debout enfin. Plus maintenant. Rater mieux plus mal maintenant. Un autre. Dire un autre. Tête inclinée sur mains atrophiées. Occiput au zénith. Yeux clos. Siège de tout. Germe de tout. Nul avenir là. Hélas si. » Enfin, il s’est tu. Tonnerre d’applaudissements. Éclaboussures sonores hypocrites jaillissant des paumes. Silence des paumés. Et moi qui sors. Sonnée. Pour une dernière journée... ZERBINETTE
(1) Dans L’Azenda on vous parle de pièces et concerts avant même que vous, et parfois nous, les ayons vues ou entendus. Alors comment faisons nous pour vous donner ces conseils, notre avis ? La recette, c’est des interviews, des recherches, du dossier de presse, des échanges avec ceux qui connaissent, etc.. Mais le mieux reste quand même
d’avoir pu voir ou entendre avant, ailleurs, en vrai. Pour les artistes et pièces créées à La Réunion, direction les répétitions ou les avant premières. Pour ceux et ce qui nous viennent de métropole ou d’ailleurs, l’idée - pour s’en faire une justement - c’est de parcourir les festivals, partir à la découverte. Certes, il y a pire comme boulot, mais c’en est un.
(2) Hormis le boss, bien sûr, et un qui ne faisait pas que semblant de glander (bien imité mais on a fini par réaliser), faire un Azenda ça représente un tout petit peu de boulot. D’ailleurs, bientôt, on vous dit comment on fait.
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DE L’IMPRO VISIBLE
DE ROUILLE ET D’OS EN CRÉATION
Les Voix de la marionnette - 3ème édition
Cie éMoi | Création et résidence à Madagascar du 20/09 au 05/10 | À retrouver en tournée à Maurice (décembre), à La Réunion (janvier 2018), aux Comores (mars) et aux Seychelles (avril)
« L’énergie est une question culturelle qui nous regarde tous. Ensemble, libérons l’imagination et inventons les modes de vie du futur ». Ne vous y méprenez pas braves lecteurs ! Ceci n’est pas un slogan récupéré sur un tract de Nicolas Hulot, mais bien la note d’intention de Filip Auchère et Stéphanie Lefort, pilotes de la troisième édition des Voix de la marionnette, un chantier d’écriture et de création implanté dans l’océan indien. En attendant l’aboutissement de ce projet en cours de réalisation, Zerbinette est partie à la rencontre de l’homme qui voulait faire rimer dramaturgie avec écologie.
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AU COMMENCEMENT
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vant de partir à la conquête des îles de l’océan indien avec ses créations , Filip Auchère était l’honorable directeur du théâtre de Guignol lyonnais. Quand on lui demande comment on passe de cette « Institution » à la terrasse de Tiroule à Saint Leu, où il m’évoque l’aventure malgache à venir, notre homme se marre. « J’ai commencé ma carrière sans le savoir en racontant des histoires, aux terrasses des bars de Saint-Tropez. Après je faisais tourner le chapeau. » Quelques années plus tard, après s’être essayé (avec brio mais il ne s’en vante pas) au métier de comédien, de machiniste qui lui a tout appris, le voilà propulsé aux commandes d’un théâtre de marionnettes pétri de tradition. « Je me suis retrouvé le premier métisse avec une tête d’arabe à la direction d’un théâtre. Et ça s’est très bien passé ! » Maniant l’autodérision avec panache, Auchère ; chemise ouverte et sourire de gosse, porte sur son parcours artistique rocambolesque un oeil amusé qui suscite la sympathie. Quoiqu’il en soit, après avoir soupé de la marionnette à gaine dans laquelle la main de l’artiste est enfermée, il cherche une libération de ses pratiques dans le théâtre d’objets, un art qui consiste à détourner des objets du quotidien pour les personnifier. Donc un point de départ rêvé pour réfléchir aux méfaits de la société de consommation, par le biais de l’humour.
SENSIBILISATION Lorsqu’en qu’en 2016, la commission Océan Indien, une organisation intergouvernementale visant à favoriser le développement dans l’espace indianoéanique, décide de sensibiliser les populations de ses îles à l’utilisation des énergies renouvelables ; Auchère, qui dirige alors le collectif ThB (Théâtre Bazar), y voit l’occasion rêvée pour déclencher « une tempête de cerveaux », lui qui a appris à fabriquer des spectacles avec deux cailloux et trois bouts de ficelle. En résulte que son collectif ThB et la COI ont donné naissance au groupe éMoi, à l’origine de cette troisième édition des Voix de la marionnette. Ayant pour mission de sensibiliser les habitants aux problèmes énergétiques, Auchère s’embarque donc pour une année (ré)créative. Comme pour les deux précédentes éditions, l’invitation du voyage concerne d’autres artistes locaux, puisque Les Voix de la marionnette est avant tout une aventure collective. À ses côtés donc pour l’édition 2017, le metteur en scène Pier Porcheron, l’auteur Christian Caro, le musicien Mounawar, la comédienne Tolotriniaina Solomanana, le comédien Ahmed Soumette, et le vidéaste Nanténaina Fifaliana. Ils seront tous accueillis à l’Alliance française de Diégo Suarez pour la première résidence d’écriture et de création qui débutera fin septembre.
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DE ROUILLE ET D'OS | LES VOIX DE LA MARIONNETTE 3ÈME ÉDITION - EN CRÉATION
FINALITÉS In fine, l’objectif est d’aboutir à une série de tournées : Maurice en décembre, La Réunion en janvier, Les Comores en mars et les Seychelles en avril. Mais pas seulement. Ce sera aussi l’occasion pour Auchère de créer des « kermesses de l’écologie », c’est à dire de multiplier les actions périphériques sur le terrain auprès des populations locales, pour les impliquer dans une démarche qui perdurera après la représentation. D’ailleurs, gage de sa bonne conduite, il limite son attirail de metteur en scène écolo à six tubes de colle (difficiles à trouver à Mada) et 18 pots de confiture pour capturer l’énergie solaire. Preuve que les feux de la rampe peuvent briller sans polluer.
Et lorsque, perfidement, on lui demande si Madagascar n’a pas d’autres priorités à traiter que la question des énergies renouvelables, Auchère finit par nous révéler la mesure de ses ambitions : il espère créer à terme une ONG sur cette terre expérimentale au fort potentiel : « À Mada, c’est le bon moment pour susciter des envies vers des voies d’ingénieur, dans le développement durable » En attendant, il ramassera des canettes et des bouts de ficelle, à l’instar d’un Lavoisier pour qui « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». À nous public d’accepter cette prometteuse mutation, lors d’un prochain rendez-vous en janvier sur notre île. ZERBINETTE
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LES
BAMBOUS COMPLÈTEMENT À L’EST !
Bienvenus *
de Rune Denstad Langlo
CINÉMA CRISTAL
jeudi 7 septembre 19h
Maputo Mozambique
Cie Thomas Guérineau
SALLE GRAMOUN LÉLÉ
UN PARTENARIAT RÉGION RÉUNION I LES BAMBOUS
vendredi 8 septembre 13h30 (spéciale) samedi 9 septembre 20h
Et aussi... Le Théâtre Luc Donat, Le Tampon et Le Séchoir, Saint-Leu
Les amoureux de la scène
> En attendant Thésée
Cie À bout d’scènes (lauréat suppléant)
> Mater Dolorosa
Cultur’Péi (lauréat)
LES BAMBOUS
samedi 16 septembre dès 18h30
Ping Pong (de la vocation) Tréteaux de France
MÉDIATHÈQUE A. L. ROUSSIN vendredi 22 septembre 20h
Visuel Maputo Mozambique © DR
scène ouverte aux lauréats de Festhéat 2017
* (programmation susceptible d’être modifiée) avec la participation de la Région Réunion, la DAC OI, le Département de la Réunion, la Ville de Saint-Benoît
direction : Robin Frédéric 2, rue jean moulin 97470 st-benoît
www.lesbambous.com INFOS 0262 50 38 63
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© Baptiste Le Quiniou
LES BALLES DE L’AFRIQUE ENCHANTÉE THÉÂTRE
Maputo Mozambique
8 sept 13h30 | 9 sept. 20h | St Benoît | Gramoun Lélé | 13-4€ 13 sept. 18h | Le Tampon | Luc Donat | 18-12€ 15 sept. 20h | Piton St-Leu | Stella Matutina | 19-16€
Des jongleries mélodiques d’Afrique, ça vous laisse sceptique ? Attendez que le Professeur MANZI M’BÉNÉ, notre illustre magopinaciophile(1) se charge de vous convaincre. Ce grand marabout authentique détruit toutes les influences négatives et bien d’autres choses encore quelle que soit la distance du temps de loin ou de près. Savez-vous que vous pourriez être aidé ? Oui par la révélation qui changerait vos problèmes. Répond à toutes vos questions prouvées dans tous les domaines culturels. Travail sérieux, surprenant, rapide.
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Vous n’aimez pas les spectacles folkloriques ? Ça tombe bien car MANZI M’BÉNÉ vous promet carrément un concert chorégraphique jonglé. Thomas Guérineau, le metteur en scène, ne s’est pas engouffré dans une création fantasmée et étriquée de l’Afrique. Ce musicien et jongleur a travaillé pendant plusieurs années avec six artistes du Mozambique pour intégrer les éléments rituels dans une création très contemporaine et assez inédite mêlant corps, sons et objets. Les percus africaines vous font mal à la tête… Ne vous inquiétez pas d’autres instruments de musique originaux sont utilisés : les balles, massues ou sacs en plastique font office de boîte à rythme du spectacle. Surtout vous allez être estomaqués par les sons aigus de cet ancien instrument de musique, le rhombe, qui siffle et vrombit quand le musicien le fait virevolter autour de sa tête telle une fronde.
Y’a du rhombe dans l’air Pfff… Le jonglage c’est toujours un peu la même chose. Faux car, ici, les techniques de jonglage rythmique utilisent des balles en l’air, des balles roulées au sol, des massues sur © DR
des peaux de tambours ou encore des sacs plastique - objets de récup’ malheureusement omniprésents sur le continent africain - qui donnent aux tableaux de cette création des allures de performances brutes, proches de l’art plastique. Cette partition circassienne lorgne clairement plus vers le concert, le cinéma ou la danse, voire même les trois en même temps. On est bien loin de ta vision clichée du jonglage où deux hirsutes tentent des passings maladroits avec des massues colorées sur la plage. Ouais bon moi les chants africains…Hakuna matata…C’est pas ma came. Mon très cher, je vais apaiser ta vilaine Pumbalgie. Primo, ce spectacle va te faire réviser ta géographie - avoue que Maputo/Mozambique ça prête plus à l’évasion que Berne/Suisse – et, secundo, tu vas pouvoir réveiller l’ethnomusicologue qui sommeille en toi en savourant les chants traditionnels mozambicains en shangana ou sena. Je me permets de te rappeler que ces chants polyphoniques sont sublimés par un subtil accompagnement de jonglages musicaux et de corps en mouvement alors cesse ta rouspétance et entre dans la transe. MANZI
Le mot magopinaciophile est un néologisme qui décrit le collectionneur de prospectus publicitaires vantant les services de marabouts. (1)
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PAYE TON MYTON
© Claire Vison| Terres du Son MUSIQUE
Cédric Myton - 1ère partie Black Lou
15 sept. 21h | St Pierre | Le (nouveau) Kerveguen | 18-10€
Y’a pas à dire, le reggae (et probablement ce qui va avec), ça conserve ! à l’aube de fêter ses 70 printemps le mois prochain, le mythique Cédric Myton, coauteur notamment du cultissime Heart of the Congos sorti en 1977, (re)viens se produire à La Réunion. « Hey, Youth man…The Congoman is coming… »
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n ne va pas ici vous faire l’affront de retracer la carrière d’un des membres fondateur du groupe roots reggae The Congos. Ceux qui, comme moi, n’ont plus assez de cheveux pour se faire des dread dignes de ce nom se souviennent du premier passage du groupe en 2006 à la ravine Saint-Leu. Et ceux qui, comme moi, font ce qu’il faut pour se faire chaque année le Sakifo, ont eu l’occasion de voir ce monument au Jah il n’y a pas si longtemps. Il n’empêche, ce serait dommage de bouder son plaisir. Même sans son comparse Ashanti Roy, assister à un concert du Myton, ça reste mystique. Surfant évidemment sur le roots
pur jus, le septuagénaire ne renouvelle certes pas les codes mais, tout en jouant sur la corde nostalgique, sait insuffler autre chose que la ganja à ses morceaux. Sa reprise de Youthman, née de l’album Inna De Yard, en témoigne : on peut faire du neuf avec du vieux. Et que dire de cette voix ! Une tessiture restée insensée. Avec une première partie assurée par le local Black Lou - oscillant entre reggae, roots, dance hall et ska - , le Kerveguen devrait être une nouvelle fois bien rempli et majoritairement rouge jaune vert. ça tombe bien, l’ouverture avec Flavia Coelho il y a quelques jours annonçait la couleur.
Affiche Tangente de Julie Jouve et Rida Belghiat / Graphisme Jack and Russel / Photo Yann Maritaud. © 2017 Lacoupure
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CINÉMA
YABETTE LA 10E SOIRÉE DU COURT
TEAT CHAMP FLEURI 6 OCTOBRE
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MUSIQUE
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JEANNE CHERHAL
Jeanne Cherhal
14 et 15 septembre 20h | Saint-Paul | Léspas Culturel Leconte de Lisle | 25-22€ 16 septembre 20h | Le Tampon | Théâtre Luc Donat | 25-22€
DANS LES YEUX DE BAPTISTE VIGNOL Jeanne Cherhal est une figure incontournable de la scène musicale française. Elle nous fait l’honneur de venir chez nous pour 3 dates. Mais, c’est bien connu, tant sur scène que dans l’intimité, la jeune femme est si sublime qu’il est impossible de ne pas être troublé lorsqu’on la rencontre. Connaissant ses propres faiblesses, Manzi a donc préféré, pour vous parler d’elle, s’adresser à quelqu’un qui la connaît bien. Interview.
© Frank Loriou
Tu es fan de Cherhal et un bon pote de Jeanne. Pour sa venue à la Réunion, si tu n’avais pas le choix, préfèrerais-tu la voir en concert ou passer une soirée à boire des coups avec elle ? Bah, Jeanne ne boit pas, ou alors que de l’eau très chaude. Comme ses chansons ne sont pas de l’eau tiède et que son tour de chant, « Solo », est une leçon de music-hall, je crois que je laisserais la bonne copine à ses tisanes pour aller voir la musicienne dont je n’ai pas encore fini de faire le tour du goulot. Jeanne Cherhal est souvent présentée comme un artiste féministe engagée. Pourtant, elle n’est jamais chiante ni donneuse de leçon. C’est quoi le secret ? Elle est naturelle, spontanée, drôle, vive, intelligente, à fleur de peau, généreuse,
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INTERVIEW | JEANNE CHERHAL, DANS LES YEUX DE BAPTISTE VIGNOL
cultivée, curieuse, travailleuse et proche des gens. Tout ça finit par faire une œuvre quand on a, comme elle, du talent. Quelle est la marque de fabrique de Jeanne Cherhal si on la compare à Camille, Émilie Loizeau ou La Grande Sophie ? Voilà quatre artistes qui sont amies dans la vie et qui, en traçant chacune leur chemin musical, arrivent encore à s’épater les unes les autres. Leur marque de fabrique ? Ne pas courir après le tube je dirais. Chanter, recommencer, inventer.
Pour les schnocks qui hésiteraient encore à prendre leurs places, quel est ton argument ultime ? Après cent dates de tournée, une dernière à l’Olympia, pleine à craquer, devant Alain Souchon, Bernard Lavilliers, Vincent Delerm, La Grande Sophie, Séverin, Serge Lama, Vincent Baguian, Natacha Régnier, Dominique Dalcan, Patrick Cohen, venus l’applaudir, Jeanne passe en coup de vent à La Réunion pour donner ses derniers concerts « Solo », avant de créer fin novembre à la Cité de la Musique un spectacle sur Barbara avec Bachar Mar-Khalifé. Quand on aime la chanson française, il faudrait avoir une sacrée soirée pyjama pour passer à côté ! © Frank Loriou
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Perso, j’ai été hypnotisé par ses longues jambes qu’elle anime avec grâce. Est-ce que c’est « mal » ? Tu m’étonnes, Manzi. Les plus belles jambes de la chanson française, avec celles de l’inoubliable Muriel Moreno, du groupe Niagara. Regarde le clip de « Un million d’années »… Mais Jeanne a de très grands yeux aussi. Des poignets exquis. Aucun tatouage, à ce que je sache. Et une langue de vipère.
Jeanne Cherhal utilise la chanson pour dire des choses qu’elle n’arrive pas à aborder facilement dans la vie. Qu’est-ce que tu aimerais lui écrire que tu ne lui as jamais dit à l’oral ? « Je t’aime, idiote ».
Je crois savoir que Jeanne Cherhal vient souvent en vacances à la Réunion. On peut savoir pourquoi ? Jeanne est une nageuse. La température de l’eau donc, j’imagine. Même si ça devient compliqué… Pas l’amour des bananes péi en tout cas ! Elle déteste ce fruit.
© DR
La question Drucker : Et c’est quoi sa chanson qui te touche le plus ? Comme nous sommes plutôt amis, et qu’elle me fait parfois profiter de ses chantiers en cours, celle qui me touche le plus est souvent la dernière, toute chaude, qui n’est pas encore terminée. C’est bon comme une brioche. Et celle que tu aimerais écouter lors de ses prochains tours de chant à la Réunion ? Genre la spéciale dédicace ? « Le cocktail pour intellectuels de gauche » que chantait Guylène Guy. Tu la connais ? Ça fait quinze ans que je lui demande de la chanter. Mais toujours elle répond : « Non ». Jeanne est très caractérielle.
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BIO RAPIDO Baptiste Vignol vit et écrit à la Réunion. C’est le fondateur des Éditions du Boucan dont les ouvrages « La Réunion de A à Z », « L’Écologie de A à Z / Planète Réunion », « Une île toute en auteurs », sont bien connus des lecteurs insulaires dans le coup. C’est surtout un amoureux invétéré de chanson française – il a été programmateur pendant trois ans pour Pascal Sevran (c’est dire…) – qui occupe son temps à alimenter son blog « Mais qu’est-ce qu’on nous chante ? » de billets tendres ou durs et qui gagne sa vie en écrivant sans relâche des bouquins sur des monuments de la chanson francophone. Bien entendu, il est incollable sur Jeanne Cherhal avec laquelle il vient de créer une collection de livres pour enfants chez Gründ, « Les contes de Jeanne et Baptiste » (les quatre premiers volumes paraissent en septembre). Il a gentiment pris le temps de nous répondre entre l’écriture d’un livre sur Barbara et un autre sur Claude François.
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DÉCEMBRE
RÉSERVATIONS
0262 20 96 36 location@cdoi-reunion.com www.cdoi.re 2 RUE DU MARÉCHAL LECLERC 97400 SAINT-DENIS theatre.cdoi
Tcdoi
tgm_cdoi
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SEPTEMBRE
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SEPTEMBRE ven. 08 / 19.00
L’ouverture (de saison) ENTRÉE LIBRE SUR RÉSERVATION
ven. 15 / 18.00 PRAN LA POZ SAT MARON :
KW KWatYor ÈK Piano ENTRÉE LIBRE SUR RÉSERVATION
DU 16 AU 23
Ping Pong (de La vocation) TRÉTEAUX DE FRANCE - CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL f programmation hors les murs
ven. 22 / 19.00 & sAm. 23 / 20.00
L’enfance à L’œuvre ROBIN RENUCCI & NICOLAS STAVY TRÉTEAUX DE FRANCE - CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL
mer. 27 / 19.00 PROjECTION :
Le havre (d’Aki Kaurismäki) en partenariat avec La Lanterne Magique
sAm. 30 / 16.00 SOBATKOZ GRAN BAZAR :
70 ans de dÉcentraLisation thÉÂtraLe PROjECTION (‘‘UNE AVENTURE THÉÂTRALE... 30 ANS DE DÉCENTRALISATION’’, film de Daniel Cling, 2017), puis DÉBAT : ‘‘LA DÉCENTRALO ? ET DEMAIN ?’’
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TUE, TUE, TUE, TUE, DU ROCK POINTU MUSIQUE
Kill Kill !
16 sept. 20h30 | St-Leu | Le Zinc | Gratuit - Avec Pamplemousse & Riske Zéro 17 sept. 17h30 | La Saline | La Varangue du Lagon | Gratuit - Avec Rocuar Palace & Pluto crevé 23 sept. 21h | Le Port | Kabardock | 10€ - Avec KilKil
Le trio KilKil joue du synth-punk à la Réunion. Le duo Kill Kill! joue de la noise-pop en Espagne. Comme les bonnes nouvelles ont deux L, Kill Kill! va s’envoler de ses propres ailes jusqu’à notre île pour élaborer un split album avec KilKil. Vous suivez ?
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n split album (split signifiant « diviser, partager ») est un disque qui réunit des morceaux de deux groupes plutôt copains qui partagent les frais de fabrication et de diffusion. Notre Club des Cinq va donc se retrouver pour une résidence/enregistrement au Kabardock qui se ponctuera par un concert partagé le 23 septembre puis la sortie d’un album. Je vous laisse imaginer le titre : on parie sur Killl Killl! ou Quadruple Tuerie ?
En 2018, ça serait logique de faire venir The Kills, non ? En tout cas, nos rockeurs n’ont pas de sous mais ils sont bosseurs et démerdards, contrairement aux préjugés magistralement résumés par Virginie Despentes (Vernon Subutex 1): « Il en avait marre du rock, la scène hardcore et toutes ces merdes. On appelle pas ça sousculture par hasard. Des demeurés à gueule
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En attendant la sortie du disque, prévue pour le premier semestre 2018, en co-production avec les deux labels des groupes (Maudit Tangue/La Réunion et Miel de Moscas/ Espagne), on a donc droit à trois dates pour aller voir ces espagnols qui vont nous faire remuer notre couenne ailleurs que sur leur table de kiné. MANZI
© DR
PAMPLEMOUSSE À LA RESCOUSSE de rien qui peuvent tenir une soirée sur les modèles d’amplis, la pédale fuzz ou les cols de chemise. Les plus évolués sont incollables en câbles, c’est une culture de garagistes qui n’ont pas voulu passer le CAP ». À ce propos, il faut remercier Xavier Balagna de la bien nommée association « Au Fond du Garage » qui a plongé les mains dans le cambouis pour mettre en relation ces deux entités bruyantes. Également professeur d’espagnol et leader de l’excellent groupe Risk Zéro, ce monsieur s’est spécialisé dans l’import de douceurs hispaniques. Oubliez la pata negra et pensez plutôt musica furiosa. On ne le remerciera jamais assez d’avoir contribué à la venue de La Colonie de Vacances en 2013, d’avoir organisé la tournée de Furia (Western Rock Surf Noise de Cadix) en 2015 et de Miraflores (rock sévillan) en 2016.
On n’a pas eu le temps de vous en parler plus tôt mais l’album de Pamplemousse est disponible en version digitale ou en CD depuis le 8 mai 2017. Ce nouveau groupe de post hardcore réunionnais est adoubé par les critiques locaux et nationaux les plus corrosifs – Le Drône ou Mowno entre autres – n’hésitant pas à leur trouver comme figures tutélaires des monuments tels que Mudhoney, Viet Cong ou encore Metz. Pour les avoir vus en première partie des Make-Overs au mois de juin, il est clair que Pamplemousse est le groupe à aller écouter sur scène cette année : leur prestation est déjà très pro - ce n’était que leur deuxième concert ! – et très épurée. Chose plus rare : leur album est hyper bien produit avec une énergie fidèle à leur son live et au rock abrasif des années 90. On vous confirme l’adage : Bière qui roule amasse la mousse quand les rockeurs cools s’amassent devant Pamplemousse. A écouter sur pamplemoussetheband.bandcamp.com Aussi en concert le 15 sept. au Latino (Le Tampon) et le 24 sept. au Manapany Festival
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OPPORTUNITÉS DU SACRIFICE THÉÂTRE
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Kisa mi lé
28 sept. 20h | St Denis | Théâtre Vladimir Canter | 15-12€
« Je pense donc je suis » affirmait le philosophe. « Encore faut-il savoir en quelle langue je pense pour savoir qui je suis » semble ajouter Daniel Léocadie, jeune auteur et comédien réunionnais. Réponse, ou début de réponse, dans Kisa mi lé, à retrouver le 28 septembre prochain à Vladimir Canter.
K
isa mi lé, en dépit de sa dimension initiatique, n’est pas un conte pour enfants. Ni un récit autobiographique, malgré la narration interne. C’est une œuvre porteuse d’une interrogation commune à tous les Réunionnais, dont on se demande comment la réponse peut émerger sans raviver des haines enfouies.
Ayant pris le parti, dans l’écriture comme dans la mise en scène, de mettre le créole et le français sur un pied d’égalité, Léocadie se propose donc de mener à terme une quête identitaire au-delà des dichotomies. Loin de penser qu’un choix est nécessaire pour être soi, il nous invite à considérer le conflit identitaire comme une opportunité d’ouverture. ZERBINETTE
En effet, le personnage principal de la pièce est un réunionnais confronté à sa dualité intérieure. « Quand on a deux identités et qu’on en abandonne une, que devient l’autre ? ». La réponse proposée par Léocadie est audacieuse. Car c’est bien de cet abandon du créole au profit du français que la pièce s’engage à parler, sans verser pour autant dans les écueils manichéens ou dans la leçon de morale.
L’HISTOIRE Kisa mi lé donne la parole à un petit-fils né sur un bout de terre. Petit, son grand père lui interdit de parler sa langue maternelle et ses parents décident d’aller vivre dans le grand pays pour qu’il ait des chances de réussite. Vingt ans plus tard, alors qu’il n’avait plus de contact avec lui, il apprend la mort de son grand-père. Bouleversé, il se rend compte qu’il a une part de son histoire qu’il ne connaît pas et c’est cette part de lui qu’il va rechercher.
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FEMME PUISSANTE THÉÂTRE
Kala
29 sept. 20h | Piton St-Leu | Le Séchoir | 16-13€ 7 oct. 20h | St-Denis | Théâtre Vladimir Canter | 15-12€
Léone Louis redéfini Kala, personnage dont le travestissement contemporain à réduit l’histoire et la teneur du mythe. Une pièce à découvrir à partir du 29 septembre au Séchoir. Récit d’une salutaire résurrection.
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ans l’imaginaire collectif, le mythe a le pouvoir d’unifier un peuple autour de valeurs communes. C’est un lien transgénérationnel, qui, par sa permanence, aide à la construction de chacun. Mais comment construire son identité de femme à La Réu-
nion si le mythe de référence en la matière, à savoir celui de Kala-GranmèrKal, femme jadis puissante et révérée, est réduit aujourd’hui à un rôle folklorique dans la mascarade d’Halloween ?
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Où sont les Kala aujourd’hui ?
graphique. Kala est une autofiction, c’est à dire une oeuvre dont le propos, loin de nourrir le voyeurisme, est de chercher l’universalité d’une expérience.
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C’est pour retrouver l’essence d’un personnage central de la condition féminine réunionnaise que Les Compagnies Karanbolaz et Baba Sifon ont décidé de créer Kala, une autofiction aux allures de tragédie moderne. Seule sur scène pendant cinquante minutes, la conteuse et comédienne Léone Louis entreprend de raconter un pan de sa tragédie familiale. Inutile de chercher à déterminer, dans cette parole qui jaillit, la part autobio-
Le spectacle a été écrit à quatre mains avec le comédien et auteur Sergio Grondin, qui partage avec Léone Louis une passion commune pour les arts de la parole. Pour l’artiste, qui est également le metteur en scène de la pièce, la problématique était la suivante : « Où sont les Kala aujourd’hui ? Et comment l’histoire de cette âme errante, ancienne esclave devenue libre, peut-elle résonner dans celle de la femme réunionnaise moderne ? ». Les thématiques abordées dans la pièce répondent à ce questionnement de bien des manières. D’abord en ce que Léone Louis, l’héroïne du récit, subit comme Kala jadis, le poids d’un héritage familial qui la meurtrit. Humiliées, privées de voix donc de liberté d’expression, les femmes de sa famille répètent un scénario aliénant dans lequel s’étouffent leurs émotions, comme leurs ambitions. À ce titre, Kala fait office de modèle réparateur, parce qu’elle est un contrepoids puissant à l’oppression. La comédienne rappelle que Kala est avant tout « une des premières
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FEMME PUISSANTE | KALA
femmes noires, libre, qui vole ». Entendons une femme qui, par la peur qu’elle inspire, a obtenu le respect des hommes, à une époque où l’esclavage et sa position de femme justement la plaçaient en état de soumission. « Kala est là pour qu’on n’ait pas honte de nos origines », ajoute la comédienne, qui rappelle qu’à ce titre, la pièce est une excellente base de réflexion pour les adolescents réunionnais parfois embourbés dans ces questions identitaires. Difficile de fait de ne pas voir cette nouvelle création comme le pendant féminin de « Kok Batay », autre autofiction écrite et jouée par Sergio Grondin en 2013. D’abord parce que du Kok à Kala, il est encore question d’un envol difficile. Écrasés par des liens de filiation qui les asservissent, le héros et l’héroïne de ces deux récits se questionnent respectivement sur le poids de leur héritage familial et originel, et cherchent, par le pouvoir des mots,
un allègement. Ensuite parce qu’on y retrouve dans la bouche de Léone Louis l’écriture lapidaire de Grondin, qui n’a pas son pareil pour dire l’ineffable à coup de scalpel. Les mots de Kala, comme l’étaient ceux de Kok Batay, sont des coups de poing qui ne ratent pas leur cible. Reste que la scéno à l’épure, qui place la comédienne devant son lit de jeune fille, nourrit encore une fois la sphère de l’intime. La légende traditionnelle de GranmèrKal est ragaillardie, qui par la musique électro, qui par la voix de la chanteuse Kaloune, dans une volonté de moderniser les arts de la parole En réaffirmant le pouvoir guérisseur de ce mythe, Kala survole nos failles. Afin que ses mots sur nos maux, enfin, apaisent. Un autre regard qu’on vous invite à voir. ZERBINETTE
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© Romain Philippon
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FANTAMYSTIQUE CHRONIQUE CD
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Labelle | Label InFiné | Sortie le 8 septembre
Prémonitoire. La couverture de son premier opus représentait une sorte de constellation. L’accueil spectaculaire d’Ensemble, album autoproduit, a bel et bien propulsé Labelle au milieu des étoiles. Prix musicaux (Voix de l’Océan Indien 2014, Prix Musiques de l’Océan Indien 2015), salutations des médias (pas que L’Azenda hein !(1)), invitations en festivals (Trans Musicales de Rennes, Nuits Sonores, Francofolies), signature sur un label renommé (InFiné(2)), etc.. Sa deuxième production, univers-île, confirme cette mise en orbite. Ecouter ou se faire Labelle en concert, c’est partir loin, haut, ailleurs.
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CHRONIQUE CD | UNIVERS-ÎLE • LABELLE
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tiquetée « électro-maloya », la musique de Labelle est bien plus que ça. Il n’est point question seulement de rythmes digitaux, de réduction numérique de sons analogiques, d’une reproduction synthétique d’une musique ancestrale. Le son de Labelle est une invention, une nouvelle façon de jouer de la musique. C’est un univers à part entière où émancipation et tradition s’ajoutent, se combinent, se métamorphosent. Nous ne sommes ni dans le nouveau, ni dans le renouveau. Nous sommes dans la projection, la filiation, la recomposition. « Les premiers réunionnais ont inventé le maloya en utilisant les percussions qu’ils avaient sous la main. J’aime penser que s’ils avaient possédé des boites à rythme, ils ne se seraient pas privés pour les utiliser… Se limiter à un instrumentarium pour jouer du maloya, c’est figer une musique qui se veut toujours vivante, ce serait dommage. Tout est à réinventer, en permanence. » © DR
Au commencement donc, du moins sous nos latitudes, son premier album Ensemble sorti en 2013 après une campagne de crownfounding. Loin du folklore des beats soléy ou de l’obsession patrimoniale, cet opus, compilation de plusieurs morceaux créés à la mano dépoussiérait le maloya de façon inédite, subtile et magique grâce à des nappes numériques concoctées avec soin. « Je n’utilise pas de sons préenregistrés ou de vrai sample, je fais du micro- découpage note par note. Un travail de fourmi, mais qui me permet des textures très acoustiques, comme de la musique faussement traditionnelle, un peu sale. ». Labelle n’était pas le premier à s’aventurer sur cette voie même s’il lui arrivait, en métropole, de mettre du Danyèl Waro au milieu de ses mix. Lorsqu’il est venu s’installer à La Réunion, en 2011, Psychorigid ou Jako Marron étaient déjà dans l’exercice. Mais l’alchimie d’Ensemble sera marquante. Le psychédélique © Loreleï Franchina
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se mêle à l’onirique, les multiples confluences du maloya - afrique, inde, mada, comores, etc.. - se croisent sous influences transe, électro ou techno des ghettos. La recette n’est pas le fruit d’un encodage du traditionnel mais l’expression d’une personnalité, d’une histoire, d’une quête : « le mélange maloya-électro, c’est le mélange de la culture de ma mère, qui est Métro, et de celle de mon père créole, qui est né à Terre Sainte. Ca représente ce que je suis. et puis, je suis très sensible à la spiritualité qui se dégage de l’île, de cette musique. Ce côté ancestral, très profond, je crois que ça marque beaucoup ce que je fais. Et enfin, je pense que réussir cette fusion entre le moderne et la tradition, c’est le seul avenir possible pour le maloya.». La messe était dite. Ces dernières années, Labelle se produira un peu partout, ici comme ailleurs. De ces multiples scènes, comme d’autres projets et collaborations (Kaang avec le chanteur sud-africain Hlasko, Trois tambours, un lion avec l’asso perchée Constellation, Duvidha avec Prakash Sontakke), naitront non seulement de formidables rencontres mais aussi l’envie d’écrire, de composer un peu différemment. Ainsi, durant ces deux dernières années, Jeremy a pris soin d’écrire un second album « qui cette fois n’est pas un amalgame de morceaux partant dans diverses directions. univers-île raconte, titre après titre, une histoire, un voyage ».
© Ensemble| Kid Kréol & Boogie
Et quel voyage ! univers-île est à la fois ancré dans la terre et dans l’espace. L’enchainement des titres suggère une ascension intime et stellaire. Si on retrouve la pate ciselée de l’artiste - un méticuleux assemblage de symphonies célestes, de sonorités métissées et de boucles contemporaines -, l’ensemble relève du voyage initiatique. Et pour nous emmener dans son amas d’étoiles (qui étaient appelés univers-île au XIXème siècle, avant que les télescopes nous permettent de distinguer chacune d’elles), Labelle a choisi de se faire accompagner sur une majorité de ses pistes d’invités particulièrement lumineux. Jugez plutôt : Zanmari Baré, Natiembé, Maya Kamaty, Prakash Sontakke, Hasawa, João Ferreira et Ballaké Sissoko.
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CHRONIQUE CD | UNIVERS-ÎLE • LABELLE
Et même si nous n’avons pas encore atterris - son album, qui sortira ce 8 septembre mais que nous avons eu le privilège d’avoir depuis quelques jours, tourne en boucle à la rédaction -, nous attendons avec impatience de pouvoir le voir sur scène(3). Etrenné au festival Rio Loco de Toulouse et lors des Les Nuits de Fourvière à Lyon (1ère partie de Gaëtan Roussel de Louise Attaque) en juin et juillet derniers, le spectacle(4) qui découle de l’album - on peut utiliser ce terme pour les concerts de Labelle - a marqué les esprits. Un extraterrestre pareil, tu m’étonnes ! SAND
(1)
Alors que nous préparons notre article dans L’Azenda, nous apprenons que d’autres journalistes de petites revues - Inrocks, Nova, Télérama ou encore The Quietus et Songline de Londres, WDR Cosmo le Nova d’Allemagne, XLR8R à New York)- ont déjà interviewé Labelle et devraient faire paraitre leurs chroniques sur univers-île très bientôt. (2)
« J’ai intégré le catalogue d’InFiné. C’est un peu comme passer un cap, jouer en 1ère division » remarque timidement Jeremy. Effectivement, le label InFiné a fêté ses 10 ans cette année. ça devrait vous dire quelque chose. Invités par les électropicales, ils sont venus fêter l’événement à La Réunion le 25 février dernier lors d’une soirée à La Cité des Arts. Voici ce que nos confrères des Inrockuptibles disent d’eux : « Eviter les routes trop fréquentées et bien éclairées constitue souvent la voie royale pour découvrir l’inattendu, relever le détail savoureux. Dans les jours de malchance, cette démarche fureteuse peut se retourner contre les promeneurs, perdus à force de refuser les parcours balisés. Au contraire, loin de s’égarer, c’est en refusant les facilités et les grands axes que le label InFiné a trouvé son identité et construit sa cartographie inouïe ». (3)
En tournée à partir d’octobre. Labelle interprétera ses nouveaux morceaux sur scène accompagné de Linda Volahasiniaina (valiha, kabôsy) et Matthieu Souchet (pad, percussions, batterie). (4)
Artiste associé à la Cité des Arts, Labelle a pu y développer la scénographie de son concert, faire venir Marine Philomen Roux pour travailler à la création lumière avec Gabrielle Manglou
EN MORCEAUX « Soul Introspection » Labelle accueille le fameux guitariste indien Prakash Sontakke, dont la slide guitare semble parfois se transformer en sitar.
« Kou d’zèl » Le premier morceau de l’album. La mort comme point de départ pour se libérer des caprices du sablier. Une oraison funèbre interprété par Zanmari Baré
« Grand Maitre » Il dissèque méticuleusement la kora malienne de Ballaké Sissoko, et il l’injecte note par note dans son clavier, pour pouvoir accompagner ensuite le virtuose avec sa propre kora numérisée. Un jeu de miroir vertigineux.
« Benoïte » Le second titre. La résurrection. Celle de Benoïte Boulard (1927-1985), fabuleuse chanteuse de sega, que la grande Nathalie Natiembé célèbre à sa façon, dans les pleurs et l’alcool. « Souviens-toi » La voix du slameur Hasawa stimule la mémoire
« Om » Un chaos onirique où résonne les paroles de Maya Kamaty « Observateur » La contemplation, avec João Ferreira, qui précède le climax des deux derniers morceaux. « qui partent dans un autre espace, un ailleurs. J’ai voulu proposer une grande dynamique émotionnelle, avec des bas très bas et des hauts très hauts... Et aussi des espaces, du silence, une œuvre qui respire.» explique Labelle.
renseignements@theatresouslesarbres.re - www.monticket.re - T. 0692 420 244 avec le soutien de : Région Réunion, DAC-OI, Conseil départemental de La Réunion, Ville du Port, TCO, SIDR et SEMADER. Ainsi que : Kabardock, Village Titan, Ankrage, Far-Far.
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PA LI LOTÈR Le CDOI (Centre Dramatique de l’Océan Indien) proposera au cours de ce second semestre trois Pa mwin lotèr. Sous cette appelation qui fleure le mystère et l’impertinence, se cache une formule audacieuse sur laquelle nous reviendrions ces trois prochains mois. En attendant, petites présentations pour y voir plus clair.
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’abords, soyons concis. « Pa mwin lotèr » est un atelier d’une durée moyenne d’une heure, au cours duquel un artiste, comédien, ou metteur en scène, vient proposer une lecture scénique d’un texte de son choix. Pour l’artiste en question, il s’agit souvent d’une étape de travail avant la sortie de sa pièce, même s’il est possible d’imaginer que la lecture ne soit qu’une possibilité gratuite de voyage dans le théâtre, ne débouchant pas nécessairement sur un travail de mise en scène.
Évidemment, cette initiative culottée comporte des risques, pour l’artiste comme pour le public. Côté spectateur, tu pourrais objecter qu’entendre un texte brut, sans les artifices de la mise en scène, risque de ternir le mystère de la création et peut-être ta curiosité. Côté artiste, le danger est de prendre conscience en temps réel que le texte, ne génère pas l’effet escompté dans la salle.
À cet égard, Lolita Tergemina, et sa compagnie Sakidi, première à tenter ce baptême du feu sur les planches du Grand Marché, en appelle à la clémence du public. « C’est très intéressant cette expérience de laboratoire pour savoir ce qui fonctionne. Le public ne doit pas être là pour sanctionner, mais pour participer au processus de création. » La matière de cette rencontre, un solo de Francky Lauret : « La proposition », ou l’histoire d’une femme, en attente d’un texte qu’un auteur doit écrire pour elle. Au delà de la mise en abyme et des interrogations de l’actrice sur ce qu’elle veut donner de son moi profond au public, il s’agit pour Tergemina de s’autoriser un travail sur le fond, lorsque trop souvent le théâtre est obsession d’une forme. Rééquilibrage des forces dramaturgiques pour ce premier labo aux fragrances existentielles. Pa Mwin Lotèr : Francky Lauret > Cie Sakidi Jeudi 19 oct. 18h | St-Denis | La Fabrik | 5€
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Place ensuite à la compagnie Nektar pour une traversée dans l’oeuvre de l’écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek, auteure de « La pianiste ». Célèbre pour ses écrits engagés contre la violence faite aux femmes et toutes les formes de dominations sociétales, Jelinek a la parole acerbe et fédératrice. Parfaite donc pour une mise en bouche. Pour Cécile Hoarau, il s’agira de te proposer la lecture d’un montage de ses textes par plusieurs artistes de sa compagnie, afin d’enclencher avec toi brave spectateur un projet de création. Raison pour laquelle tu es d’ailleurs invité à venir avec un objet de ton quotidien. Tiens-toi prêt. Pa Mwin Lotèr : Elfriede jelinek > Cie Nektar Vendredi 17 nov. 18h | St-Denis | Théâtre du Grand Marché | 5€
Enfin, réjouissances familiales obligent, Leone Louis de la compagnie Baba Sifon te propose un voyage en francophonie dans les textes québécois de Martin Bellemare et Suzanne Lebeau, maîtres conteurs de leur état. Objectif triple : te donner envie de participer à un comité de lecture jeune public pour tous à partir de 8 ans. Te permettre de comprendre comment on peut passer d’un conte à l’écriture d’une pièce de théâtre ou du récit au dialogue. Te libérer, par cette expérience de laboratoire, de toute pression liée à la mise en forme d’une histoire pour te permettre de plonger dans ton imaginaire et te concentrer sur la magie du texte brut. Surprises prévues pendant la rencontre. Motus. Pa Mwin Lotèr : Martin Bellemare, Suzanne Lebeau > Cie Baba Sifon Mercredi 13 dec. 17h | St-Denis | Théâtre du Grand Marché | 5€
De fait, les bords de scène qui suivront ces expériences promettent d’être passionnants. « Le texte de théâtre est une architecture sonore en attente » répète à l’envi Luc Rosello
qui ne craint nullement de te voir bâtisseur. Un défi que tu es sûrement, brave spectateur, d’une trempe à relever. PIMPRENELLE
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