Benoît MASSON
Mémoire d’iniƟaƟon à la recherche - Séminaire Urbanisme et UrbanisaƟon Dirigé par Bénédicte GROSJEAN
[ Autisme(s) ] et désinsƟtuƟonnalisaƟon Des critères pour penser la «Ville Intense» ?
École NaƟonale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille - Mai 2013
Benoît MASSON Mémoire d’iniƟaƟon à la recherche - Séminaire Urbanisme et UrbanisaƟon Dirigé par Bénédicte GROSJEAN
[ Autisme(s) ] et désinsƟtuƟonnalisaƟon Des critères pour penser la «Ville Intense» ?
École NaƟonale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille - Mai 2013
Introduction : « Ville intense », ville sociale
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L(es)’ autisme(s) – Un rapport au monde bien particulier
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De la pièce à l’urbain – Des critères pour penser la « ville intense » ?
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Un handicap pluriel encore mal connu Un rapport singulier à l’espace architectural De l’institution vers la désinstitutionnalisation
La ville et l’autisme : un terrain à explorer La ville vue par des personnes atteintes d’autisme
Urville - Gilles Tréhin Je suis né un jour bleu – Daniel Tammet Ben X – Nic Balthazar Entretiens avec trois jeunes adultes atteints d’autisme
L’autisme, révélateur des maux urbains contemporains ? Habiter et se déplacer
Qu’est-ce qu’ « habiter » ? Une nécessaire mobilité Les axes de transport : repères urbains et territoriaux Vers des transports en commun … individuels
Immuabilité, mutation et table rase La ville historique et les grands travaux d’embellissement La reconstruction pittoresque Le Mouvement Moderne et la « tabula rasa » La réaction au Mouvement Moderne : une nouvelle approche de l’urbanisme La position contemporaine
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Contenance et « ordre ouvert » Modèle urbain de l’îlot Le modernisme et l’ « ordre ouvert » Une résistance à l’ « ordre ouvert » et le retour de l’îlot Une nouvelle conception de l’îlot : la « ville de l’âge III » De l’ « îlot ouvert » au « macro-lot » La mixité programmatique, vecteur de proximité Espaces publics et multifonctionnalité : un retour à l’ « ordre ouvert » ?
Homogénéité et diversité / Forme et fonction La ville régulée et homogène L’homogénéité et le Mouvement Moderne : naissance du « générique » ? L’homogénéité horizontale La ville hétérogène et l’ « architecture-sculpture » La ville hétérogène : quand l’exceptionnel devient banal Enveloppe et dématérialisation « Les langages de la ville »
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Conclusion
Lexique des acronymes Sources documentaires
Sources Iconographiques Annexes
Entretien avec Jules et sa maman Entretien avec Pierre Entretien avec Louise et sa maman
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73 73 74 76 77 81 85 86
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Introduction : « Ville intense », ville sociale Depuis quelques années, la communauté urbaine de Lille a adopté une politique intitulée « ville intense », véritable leitmotiv pour le développement de la métropole. Dans la délibération cadre Faire la ville intense 1, point de départ commun à l’ensemble du séminaire, certains points ont particulièrement retenu mon attention. « Lille Métropole veut être une Ville intense, une ambition qui est à la fois sociale et solidaire » 2 « Toutes ces exigences se rencontrent dans la notion de Ville intense:[…] une ville qui valorise ses équipements, ses services et ses réseaux de transports au bénéfice de tous; une ville aussi qui, par la mixité et la diversité de ses fonctions et de ses aménités, crée un cadre de vie, de travail et de loisirs plaisant, riche et favorable à l'épanouissement humain. » 3 « […] Elle est aussi un élément constitutif de la solidarité et, ce faisant, de la citoyenneté et de la démocratie. Cette mixité est capable de contribuer à la réduction des inégalités et à la lutte contre les exclusions. » 4
De ce fait, lorsque l’on parle du concept de « ville intense », abordant des notions de « vivre ensemble », il me semble essentiel de poser la question de ceux qui rencontrent des difficultés dans la ville et dans leur vie de tous les jours. Je veux parler ici des personnes en situation de handicap. En effet, la prise en compte du handicap et des personnes en situation de handicap dans la législation française est assez récente. Leur véritable reconnaissance comme citoyens à part entière, dans le respect de tous leurs droits, ne date que de 2002, puis 2005 avec la loi « Pour l’égalité des chances, de la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » qui aborde l’accessibilité généralisée pour tous les domaines de la vie sociale (éducation, emploi, cadre bâti, 1
Direction Aménagement et Renouvellement Urbain, Faire la Ville intense, Conseil communautaire du 26 juin 2009, Lille Métropole communauté urbaine. 2 Ibidem, p.3 3 Ibid., p.4 4 Ibid., p.5
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transport, …), et ce quel que soit le handicap. Cette loi donne également le droit à la compensation des conséquences du handicap, par les aides humaines, techniques et animalières, qui doivent permettre l’autonomie des personnes handicapées sur le plan social et professionnel. Ce terme de « handicap » est très vaste, et regroupe tant les handicaps physiques, mentaux, psychiques que sensoriels. Beaucoup d’actions sont menées dans nos villes pour faciliter l’accessibilité des personnes à mobilité réduite ou pour les personnes présentant un handicap sensoriel. Les personnes atteintes d’un handicap mental ou psychique par contre sont encore trop souvent ignorées. De plus, une enquête menée par l’INSEE en 1998 5 a montré que notre région (le Nord Pas-de-Calais) est plus exposée au handicap mental que la moyenne nationale. Un constat a également été fait sur le manque de structures d’accueil adaptées, ainsi que sur les nombreux placements de personnes handicapées françaises en Belgique 6. Ces données m’ont amené à m’interroger sur cette population en particulier.
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Au sein des handicaps mentaux, catégorie encore très large, je me suis intéressé à l’autisme, déclaré « grande cause nationale » en 2012. En effet, ce handicap est encore mal connu en France, et des études sont en cours pour mieux connaitre, mieux diagnostiquer et mieux accompagner les personnes atteintes d’autisme. Ces données placent l’autisme et toutes les problématiques l’entourant au cœur des réflexions actuelles, ce qui m’a particulièrement intéressé pour ce mémoire d’initiation à la recherche. Comme nous le verrons, les personnes avec autisme présentent un rapport particulier à l’espace architectural. Leur sensibilité accrue à certains critères spatiaux a particulièrement attiré mon attention. De plus, comme beaucoup d’aménagements pour les personnes présentant un handicap, ce qui est valable pour une personne avec autisme est valable pour tous. Aujourd’hui, certaines personnes, comme Geoffroy Bing 7, défendent l’idée que les normes d’accessibilité doivent être une source d’innovation, au service de tous. Ainsi, nous nous demanderons si les critères architecturaux définis pour les personnes avec autisme nous permettent d’établir une grille d’analyse pour penser la ville.
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INSEE, Handicaps-Incapacités-Dépendances, 1998 Liliane Salzberg, Jean-Paul Bastianelli, Pierre de Saintignon (membres de l’IGAS), « Les placements à l’étranger des personnes handicapées françaises », rapport n° 2005-143, Septembre 2005 7 Geoffroy Bing, L’accessibilité de la ville à travers le handicap, article du 02.03.2012, http://www.innovcity.fr 6
Nous commencerons par une approche de l’autisme : ses caractéristiques, son histoire et l’état de sa prise en charge en France aujourd’hui. Nous aborderons également les rapports particuliers qu’ont les personnes atteintes d’autisme avec leur environnement, à l’échelle architecturale. Puis, nous développerons en quoi les critères établis pour les personnes avec autisme permettent une analyse particulière de l’urbanisme contemporain. Nous nous attacherons également à décrire le corpus utilisé pour cela. Enfin, nous confronterons ces critères avec l’histoire de l’urbanisme et la pensée urbanistique contemporaine, à l’aide du corpus décrit précédemment. Cette partie nous amènera à déterminer s’ils permettent de penser la ville comme une ville pour tous, afin qu’elle devienne « ville intense ».
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L(es)’ autisme(s) – Un rapport au monde bien particulier Un handicap pluriel encore mal connu
L’autisme fait partie d’un ensemble plus large de troubles de la même famille, appelés « Troubles Envahissants du Développement » (TED). Ils se manifestent de manières diverses selon les individus, et de façon plus ou moins prononcée. On peut néanmoins dégager des caractéristiques communes à ces personnes : elles présentent une grande difficulté dans les interactions sociales, la communication verbale et non verbale. Elles présentent des centres d’intérêt restreints et/ou stéréotypés, ainsi qu’une peur envers l’inconnu et le non habituel. Les personnes avec autisme 8 peuvent également manifester des troubles du comportement, au contact d’un contexte inadapté à leur trouble. L’autisme se traduit aussi par une hyper-sensibilité, qui se manifeste différemment selon les personnes. La déficience intellectuelle n’est pas caractéristique de l’autisme, bien que 30% des personnes avec TED en présentent une, plus ou moins sévère selon les cas 9. Ce chiffre est de 70% pour l’autisme à proprement dit. De nos jours, au regard de la diversité des cas, on utilise le pluriel « les autismes » pour désigner ce handicap. En effet, il regroupe à la fois des personnes au handicap profond, avec une grande dépendance et une absence totale de communication verbale, et, à l’autre extrême, des personnes dont le handicap permet tout de même un certain degré d’autonomie et qui présentent des capacités intellectuelles parfois jugées hors du commun. Aujourd’hui encore, l’autisme est un handicap mal connu, de la part des spécialistes, et d’autant plus par la société. Et pourtant, c’est un handicap qui touche une partie non négligeable de la population. En effet, même si l’on manque encore d’étude épidémiologique en France, on estime, selon les données les plus récentes d’autres pays, une prévalence des Troubles Envahissants du Développement (TED) de 0.64% 10 de la population, soit environ 450 000 français 8
Ce terme désignant par extension les Troubles Envahissants du Développement (TED), c’est-à-dire l’autisme et les troubles apparentés. 9 Haute Autorité de Santé, Etat des connaissances : Autisme et autres troubles envahissants du développement, (argumentaire), Janvier 2010, p.32 10 Ibidem, p.27
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atteints de syndrome autistique au sens le plus large du terme. On estime également que 5 000 à 8 000 nouveau-nés par an développeront ce handicap. On sait également que l’autisme touche près de quatre fois plus les garçons que les filles 11. Les diagnostics sont de plus en plus répandus et de plus en plus fiables, si bien qu’aujourd’hui, on peut s’attendre à ce que le chiffre de la prévalence de l’autisme augmente encore, car beaucoup de personnes vivent dans l’ignorance de leur handicap. Celui-ci étant encore mal connu, des parents vivent dans le doute, sans pouvoir mettre de nom sur le handicap de leur enfant, qui se retrouve alors dans des structures non adaptées ou à domicile, mais sans suivi approprié. Ces structures non adaptées ne prennent pas en compte les besoins spécifiques des personnes avec autisme, notamment leurs particularités sensorielles, et ne créent donc pas un environnement favorable à leur épanouissement.
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CCNE, avis n°102 « Sur la situation en France des personnes, enfants et adultes, atteintes d’autisme », 8 novembre 2007, p.2-3.
Un rapport singulier à l’espace architectural
Face à un public dont la sensibilité est décuplée, tel que le public avec autisme, l’architecte et l’architecture ont un grand rôle à jouer dans la conception de leurs espaces de vie. Comme le disait Emeline Verschueren lors de la 2ème rencontre annuelle de l’accessibilité « Lille Métropole accessible » 12, les troubles du comportement sont une conséquence de l’autisme, c’est une réaction à un milieu inadapté. De même, lors de cette même rencontre, Luc Baillet 13 parle de bâtiments handicapés et non pas de personnes handicapées.
Une étude menée par Magda Mostafa 14, auprès d’enfants atteints d’autisme au sein d’une école spécialisée en Egypte, démontre ce rôle de l’environnement architectural sur les comportements autistiques. Ainsi, en modifiant l’acoustique et en spatialisant de manière différente une salle de classe, en mettant notamment en place un coin de repli, accessible en tout temps aux enfants, elle a démontré une amélioration de l’attention, un meilleur apprentissage et une baisse des comportements violents des élèves. Stephan Courteix 15, repère quelques éléments dominants communs aux personnes atteintes d’autisme, en relation avec la problématique spatiale. Le repli sur soi, l’absence ou la fuite de contact avec l’environnement extérieur, les troubles de la perception avec les hypersensibilités, le besoin d’immuabilité, de stabilité de l’environnement, les conduites ritualisées et les comportements répétitifs sont autant de caractéristiques communes aux personnes avec autisme. Pour ce qui est de l’hyper-sensibilité, la personne atteinte d’autisme présente une difficulté (plus ou moins importante selon les cas) à donner sens aux informations sensorielles qu’elle reçoit : filtrer et ordonner ces informations n’est pas une chose évidente pour elle. Apparait donc un sentiment de submersion dans un « trop plein de stimuli perceptifs » 16, beaucoup plus élevé que chez une personne « ordinaire ». Chaque espace sensoriel est isolé des autres, et est 12
Emeline Verschueren est psychologue au Centre Ressources Autismes du Nord-Pas-de-Calais. La 2ème rencontre annuelle de l’accessibilité « Lille Métropole Accessible » dédiée aux autismes, déclarés grande cause nationale en 2012, a eue lieu le 3 décembre 2012 à l’hôtel de communauté de Lille. 13 Luc Baillet est architecte, pathologiste de l’immeuble bâti 14 Magda Mostafa, « an architecture for autism : concepts of design intervention for the autistic user », International Journal of Architectural Research, ArchNet, MIT- Massachusetts Institute of Technology, mars 2008, p.189-211 15 Stephan Courteix, « Troubles envahissants du développement et rapports à l’espace », Laboratoire d’Analyse des Formes, École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon, Lyon, Septembre 2009, inédit, 35 p. 16 Ibidem, p.3
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saturé. Cette particularité de l’autisme crée chez la personne un sentiment de confusion ou au contraire, de fascination. « Meltzer, cité par H. Rey Flaud, parle du psychisme des personnes autistes comme le résultat d’un "démantèlement du Moi en ses capacités perceptuelles séparées ; le voir, le toucher, l’entendre, le sentir… qui, au bout du compte réduisent ce Moi en une multiplicité d’évènements uni-sensoriels dans lesquels, animé et inanimé deviennent indistinguables." » 17 « […] tout se passe comme si [elle] juxtaposait des sensations les unes à côté des autres dans une sorte de patchwork qui n’a ni profondeur ni relief. » 18
La personne atteinte d’autisme va également porter une attention accrue à certains détails de son environnement, qui seront de natures différentes selon les personnes et les lieux fréquentés. Cet intérêt ciblé va limiter la personne dans sa vie quotidienne : l’absence de ces détails peut générer une incapacité à reconnaitre le contexte général d’une situation. 16
Stephan Courteix nuance la prise en compte de ces symptômes dans la conception des espaces architecturaux pour les personnes avec autisme. En effet, il ne conseille pas de créer des bulles hermétiques, privant la personne atteinte d’autisme de toute perception et de toute interaction avec son environnement. Au contraire, il faut pouvoir confronter la personne avec la réalité, dans une perspective d’évolution, en visant pour certaines l’insertion dans un environnement banalisé, en milieu ordinaire. En milieu institutionnel, Stephan Courteix recommande une conception spatiale qui permette de vivre de manière bénéfique des situations de vie en petits groupes, tout en offrant des possibilités de repli. Il faut trouver un équilibre entre le respect de l’espace personnel de la personne et le risque d’isolement de celle-ci. Ces espaces ne doivent pas être trop ouverts, doivent donner une sensation de contenance, afin de favoriser les comportements exploratoires. Il convient donc d’éviter au maximum l’utilisation de matériaux dématérialisant tels que les matériaux transparents et réfléchissants. 17 18
Ibidem, p.5 Didier Houzel (2006), cité dans : Stephan Courteix, Op.Cit., p.6
En réponse au besoin d’immuabilité des situations et des espaces, on pourrait penser que les espaces modulables sont à bannir. Cependant, l’auteur, en s’appuyant sur un ouvrage de Kevin Charras, montre que la modulation de certains aménagements de l’espace aurait tendance à diminuer certains symptômes autistiques, ayant trait à la sphère sociale. Un environnement statique pourrait renforcer les ritualisations et l’inadaptation à de nouvelles situations. Il est alors préférable de privilégier la cohérence dans l’usage d’un lieu plus que son immuabilité et sa monofonctionnalité. Pour ce qui est des espaces personnels, et notamment la chambre, il est important que la personne puisse la personnaliser. Cependant, une attention doit être portée à cet aspect, au regard de la relation spécifique apportée aux objets par les personnes atteintes d’autisme. La personnalisation de la porte de la chambre, la présence de niches dans les murs et la mise en place de panneaux d’affichage sont des moyens d’apporter une personnalisation à l’espace intime, tout en étant limités, cadrés. Une appropriation de l’espace collectif peut également être envisagée, et aura un effet de transition, qui facilitera le passage d’un lieu à l’autre. En ce qui concerne les aspects sensoriels, Stephan Courteix ne recommande pas la conception d’environnements pauvres en stimulations sensitives. Au contraire, il préconise la conception d’un environnement riche et structuré par un traitement spécifique des espaces, qui évite les effets de sur-stimulation, qui contribue au repérage et à la différenciation des lieux par des expériences sensorielles variées. Comme vu précédemment avec l’étude de Magda Mostafa, l’acoustique est un point essentiel à prendre en compte dans la conception des espaces pour les personnes avec autisme. Il est donc primordial d’apporter un réel confort sur ce point. Pour ce qui est de la vue et du confort visuel, il est important de limiter autant que possible les sollicitations parasites, éviter les espaces totalement dégagés et privilégier des espaces contenants avec un contact visuel plus cadré. Pour la lumière artificielle, il convient de proscrire les dispositifs lumineux instables qui ont un effet stroboscopique, que les personnes atteintes d’autisme distinguent très nettement. Il faut préférer un éclairage indirect, en prenant en compte la position allongée au sol, fréquente dans les troubles autistiques, afin d’éviter tout éblouissement. Il faut également varier les ambiances lumineuses afin d’augmenter l’éveil de la vue. Enfin, pour ce qui est du toucher, les matériaux dits « durs » sont importants car ils agissent comme « prothèse » au corps, appréhendé comme mou, non maintenu et non contenu, par la personne avec autisme. La diversification des ambiances tactiles est aussi souhaitée pour permettre à la personne d’avoir des expériences différentes.
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La prise en compte de l’influence de l’environnement architectural sur les troubles autistiques est donc une donnée récente qui ne trouve pas encore beaucoup d’applications dans les établissements spécialisés. Ces établissements sont eux aussi encore trop peu nombreux en France, où les placements en milieu psychiatrique ou en établissements non spécifiques sont encore courants. Aujourd’hui, la question de la prise en charge des autismes en France pose beaucoup de questions, dont celle de la désinstitutionnalisation. Cette notion touche à des aspects architecturaux, urbains et territoriaux qui nous intéressent plus particulièrement ici.
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De l’institution vers la désinstitutionnalisation
Les causes de l’autisme ne sont toujours pas clairement définies aujourd’hui. Dans les années 1940-1960, l’autisme était expliqué par des théories psychanalytiques (théorie psychodynamique dont le concept de « forteresse vide ») qui mettait en cause le comportement des parents, et en particulier des mères, dans le développement de l’autisme de l’enfant. Ainsi, l’enfant ne naissait pas autiste mais le devenait, et les parents en étaient les responsables. Les enfants atteints d’autisme étaient donc placés en établissement psychiatrique, loin de leurs parents, de leur famille, de leur domicile et de la vie sociale. Durant les années 1970, suite à des recherches, l’autisme a été considéré comme un trouble apparaissant avant la naissance : ce que l’on croyait être de l’ordre du psychique serait en fait causé par un développement anormal du cerveau, apparaissant avant la naissance de l’enfant. L’autisme n’est pas une maladie mais un handicap et ne peut donc, à ce jour, pas se soigner. Ces découvertes ont conduit, dans les pays anglo-saxons et dans les pays d’Europe du Nord, à développer de nouveaux types de prise en charge, en sortant les personnes atteintes d’autisme des hôpitaux. Les familles se sont vues déculpabilisées et elles ont été intégrées dans le processus d’accompagnement. Depuis les années 1980, la théorie psycho-dynamique de l’autisme a été abandonnée dans beaucoup de pays, sauf en France, où la culture psychanalytique reste encore présente aujourd’hui. En 2004, la France a été condamnée par le Conseil de l’Europe pour « non-respect de ses obligations d’accès à l’éducation à l’égard des enfants souffrant d’autisme » 19. Un processus de « désinstitutionnalisation » s’est alors mis en marche dans les pays ayant abandonné l’approche psychanalytique de l’autisme. Par exemple, depuis 1995, en Suède, les institutions destinées aux personnes présentant un handicap mental, intellectuel ou présentant des troubles de la communication ou du comportement, ont été interdites et supprimées. A la place, un réseau de services médicaux, sociaux et éducatifs a été mis en place pour permettre aux personnes handicapées de vivre au sein de la société. Pour les adultes atteints de handicaps invalidants, des appartements ont été créés, en relation avec des personnes « ressources », pour leur permettre de vivre de manière « normale ». Ainsi, ces dispositifs ont permis le développement
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CCNE, Op.Cit., p.4
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de l’autonomie des personnes handicapées et le regard de la société sur cette population a changé 20. Ce mouvement est soutenu et approuvé par le conseil de l’Europe, comme en témoigne cet extrait des recommandations relatives à la désinstitutionnalisation du 3 février 2010 : « Le Comité des Ministres, conformément à l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe, […] Recommande aux gouvernements des États membres de prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres adaptées à cette situation et respectueuses des principes énoncés en annexe de la présente recommandation, afin de remplacer l’offre institutionnelle par des services de proximité dans un délai raisonnable et grâce à une démarche globale. » 21
20
La France comporte beaucoup de structures accueillant un grand nombre de personnes atteintes d’autisme ou de troubles du comportement et de la communication. En effet, à une époque, on considérait que leur prise en charge nécessitait des moyens qui n’étaient envisagés que dans un environnement de regroupement collectif. Ces établissements, généralement situés en périphérie et loin du domicile familial, ne « perturbent » pas la vie sociale et constituent des isolats. Ainsi, toute la population hébergée dans ces structures est exclue de la vie en société. Dans ce mouvement de désinstitutionnalisation, les familles françaises réclament à leur tour des lieux d’accompagnement et de prise en charge éducative à proximité de leur domicile.
Aujourd’hui, et ce n’est pas un phénomène nouveau, de plus en plus de personnes handicapées françaises se tournent vers la Belgique pour leur prise en charge, la France ne répondant pas à leurs besoins. En 2005, les estimations de la mission sur « les placements à l’étranger des personnes handicapées françaises » 22, commandité par le secrétaire d’Etat aux personnes handicapées à l’IGAS, estime à 5 000 le nombre de personnes handicapées françaises 20
Ibidem, p.15 Conseil de l’Europe, « recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres relative à la désinstitutionnalisation des enfants handicapés et leur vie au sein de la collectivité », adoptée par le Comité des e Ministres le 3 février 2010, lors de la 1076 réunion des Délégués des Ministres, p.3 22 Liliane Salzberg, Jean-Paul Bastianelli, Pierre de Saintignon (membres de l’IGAS), Op. Cit. 21
accueillies en Belgique, en établissements sociaux, médico-sociaux ou scolarisés dans des établissements d’enseignement spécialisé. Le nombre de jeunes handicapés français placés en Belgique augmenterait de l’ordre de 4.4% par an, et le nombre d’adultes handicapés augmenterait de 10% à 13% par an 23. Aujourd’hui encore, aucun organisme, aucun service de l’Etat ne possède de données complètes sur ce phénomène. Le rapport stipule que « les responsables français admettent qu’ils ont une connaissance insuffisante du problème et qu’ils se posent plus de questions qu’ils n’apportent de solutions. » 24 Cette migration des personnes handicapées françaises vers la Belgique concernerait 42 départements français, et plus de la moitié de ces personnes proviendrait de la région Nord-Pasde-Calais. Cette réalité nous intéresse d’autant plus que le cas des personnes avec autisme représente bien ce phénomène. En effet, selon les données de l’échelon régional du service médical de la CRAM 25 Nord-Picardie, 20.3% des dossiers de placements de personnes handicapées françaises dans une structure belge 26, en 2004, concernait des personnes avec autisme. Le rapport du CCNE complète cette observation en soulignant que « le manque actuel d’études épidémiologiques concernant la prévalence des syndromes autistiques en France, en particulier chez les adultes, pose un problème éthique majeur dans la mesure où cette absence de données participe au déni des besoins d’accompagnement et de prise en charge adaptée. » 27
Plusieurs raisons peuvent apporter une explication à ces placements en Belgique. Tout d’abord, on peut citer l’insuffisance de places et de services pour personnes handicapées en France, par rapport au nombre de personnes en attente. Selon la DDASS du Nord –Pas-de-Calais au moment de l’enquête, environ 1600 adultes et 1700 enfants étaient en attente d’orientation 28. Dans la région, le délai d’attente pour un adulte lourdement handicapé est de 6 ans en moyenne.
23
Ibidem, p.2-3 Ibid., p.1 25 Caisse Régionale d’Assurance Maladie 26 Structure belge avec une prise en charge par le régime général de la sécurité sociale française 27 CCNE, Op. Cit., p.12 28 Liliane Salzberg, Jean-Paul Bastianelli, Pierre de Saintignon (membres de l’IGAS), Op. Cit.,p.14 24
21
Différents plans nationaux 29 ont été mis en place successivement pour, entre autre, répondre à ce besoin d’établissements, mais il n’est aujourd’hui toujours pas comblé. De plus, il apparait que « l’effort important consenti ces dernières années […] pour résorber le déficit de places n’a toutefois pas réduit le nombre de placements en Belgique » 30. A cela il faut ajouter l’insuffisance des services de soins à domicile et d’auxiliaires de vie, qui contraignent les familles à chercher des solutions d’établissements avec hébergement, trop peu nombreuses en France. Enfin, en ce qui concerne l’autisme, la personne a besoin d’un accompagnement tout au long de sa vie. La France manque encore de réponses pour les personnes avec autisme adultes, ce qui entraine également les familles à se tourner vers la Belgique, où un certain continuum existe.
22
Un deuxième aspect entre alors en jeu en ce qui concerne ces placements en Belgique. Les offres belges sont plus complètes et de meilleure qualité, pas tant au niveau de la qualité des soins, mais dans la qualité de l’accompagnement humain. Les établissements belges présentent également une plus grande tolérance vis-à-vis des troubles du comportement. Cet aspect est directement lié au conflit de positions existant en France, en ce qui concerne la prise en charge et les causes de l’autisme. Les prises en charge par des méthodes psychanalytiques, souvent utilisées en France, mobilisent plus de personnel médical que d’éducateurs. Le milieu de vie de la personne avec autisme en France est trop souvent un service où le soin prime sur l’éducation et l’enseignement. En Belgique, on retrouve le schéma inverse, ce qui séduit beaucoup de familles. La personne atteinte d’autisme est appréhendée dans son environnement et l’interaction de l’un par rapport à l’autre est prise en compte.
Cependant, la désinstitutionnalisation est fortement discutée aujourd’hui. En effet, il ne faut pas prendre la désinstitutionnalisation comme une fermeture totale de tout lieu de vie en collectivité et de tout établissement spécialisé. Selon Philippe Miet, et en réaction aux recommandations du Conseil de l’Europe, « […] la désinstitutionnalisation est un processus qui vise
29 Plan quinquennal 1999-2003, plan triennal 2001-2003, et les « plans autisme » 2005-2007, 2008-2010 et actuellement 2013-2017 30 Conseil Général du Nord, « Schéma départemental en faveur des adultes handicapés 2002-2006 », adopté par arrêté du 3 décembre 2003
à aider les personnes à gagner ou reconquérir le contrôle de leur vie comme des citoyens à part entière. La recommandation n’exclut pas systématiquement toute vie en collectivité. » 31 Les recommandations de l’ANESM 32 pour l’accompagnement des personnes avec autisme ou autres troubles envahissants du développement, stipulent qu’en ce qui concerne l’accueil ou l’habitat, une intégration dans un environnement résidentiel est recommandée. Cette implantation au cœur de la cité participera à l’inclusion sociale des personnes. De plus, pour les institutions, il est recommandé d’organiser régulièrement des activités (« de détente, sportives ou culturelles ») en dehors des locaux de l’établissement, dans des lieux publics 33.
Il faut ainsi faire attention de ne pas confondre « institution » et « établissement », comme nous le rappelle Lionel Deniau, en citant le sociologue québécois André Turmel : l’établissement est un lieu physique et géographique dans lequel se déroulent des activités organisées 34. L’établissement n’est pas forcément synonyme d’enfermement. Pour conclure sur cette question de la désinstitutionnalisation, je citerai le CFHE qui souhaite que la désinstitutionnalisation en France ne s’accompagne pas « d’un démantèlement systématique et inconsidéré des dispositifs institutionnels au seul prétexte qu’ils sont institutionnels. La dynamique dite de proximité doit s’accompagner d’une démarche de mise à niveau des capacités d’accueils collectifs (institutionnels …), en termes de qualité des prestations proposées ou d’offre disponible. Ces deux mouvements, répondant tous deux à une demande et à des besoins avérés qui ne sont pas assimilables, doivent pouvoir coexister et permettre à tout moment le libre choix de la personne et/ou de ses représentants naturels. » 35
31
Philippe Miet, Lionel Deniau, « Enfants handicapés : faut-il « désinstitutionnaliser » tous azimuts? », revue Union Sociale, n°238, Juin/Juillet 2010, p.30 32 ANESM, Recommandations de bonnes pratiques professionnelles -Pour un accompagnement de qualité des personnes avec autisme ou autres troubles envahissants du développement, Janvier 2010, 58 p. 33 Ibidem, p.27 34 Philippe Miet, Lionel Deniau, Op. Cit., p.32 35 CFHE, Institutions Désinstitutionnalisation, une proposition française relative aux choix de vie des personnes en situation de handicap au regard des Droits de l’Homme et de la pensée européenne, Avril 2008, p.24
23
Un projet d’habitat innovant en milieu ordinaire pour personnes avec autisme se développe actuellement à Roncq, dans un quartier en pleine restructuration. Prévu pour 2015, ce projet nommé « HabiTED », mené par l’association ISRAA 36 en association avec le bailleur social « Notre Logis », est le premier de ce type en France. Il illustre bien le mouvement de désinstitutionnalisation qui s’amorce dans notre pays. Ce projet se développe au sein d’un ensemble de logements ordinaires. Les logements dédiés sont regroupés dans un bâtiment, au rezde-chaussée duquel se trouve un appartement commun, afin que puissent s’y organiser des activités collectives, pour éviter l’isolement des locataires. Une maîtresse de maison veillera au bon fonctionnement de l’ensemble, bien que les locataires soient libres de leurs mouvements. L’emplacement de ce projet a été pensé en fonction de la proximité des transports en commun, des commerces, des offres de loisirs, des sites professionnels, etc., afin de favoriser au maximum l’autonomie des locataires et de permettre leur inclusion dans la société.
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Sur le plan architectural, ce projet a porté une grande attention aux nuisances sonores, sans pour autant créer un bulle insonorisée. La qualité des éclairages a également été prise en compte, de manière à ce qu’ils ne soient pas trop vifs. Enfin, la mise en place d’une signalétique dans les espaces communs, par une différenciation de la couleur des portes des logements, permettra aux locataires de mieux distinguer les espaces collectifs des espaces personnels. Au-delà des questions sociétales et éthiques, la désinstitutionnalisation touche alors à des questions architecturales, urbaines et territoriales.
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ISRAA : Innover Sensibiliser Réagir pour l'Avenir de l'Autisme
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De la piè ce à l’urbain – Des critè res pour penser la « ville intense » ? La ville et l’autisme : un terrain à explorer
Comme nous l’avons vu précédemment, plusieurs recherches ont été effectuées afin d’étudier au mieux les espaces conçus pour les personnes avec autisme, dans le cadre de l’habitat, de l’établissement médico-social ou de l’établissement scolaire 37. Ces recherches traitent de la conception architecturale, à l’échelle d’une pièce, ou de la relation entre plusieurs espaces. Cependant, dans un mouvement de désinstitutionnalisation et d’inclusion dans la vie sociale, la personne atteinte d’autisme va être amenée à fréquenter la ville, les espaces publics, les commerces, les équipements sportifs et culturels ainsi que les transports en commun. A ce jour, à ma connaissance, aucune réflexion n’a été menée sur l’espace urbain vis-à-vis de cette catégorie de personnes. L’urbanisme tel qu’il est pensé aujourd’hui permet-il cette ouverture de la personne avec autisme sur la ville ? Un personne dite « normale » (ou « neuro-typique » comme disent certaines personnes atteintes d’autisme) va avoir la capacité de s’adapter à n’importe quelle situation urbaine, n’importe quel environnement inconnu ou changeant. Cependant, cette faculté d’adaptation et d’approche d’un contexte inconnu, ou différent, ne signifie pas que cet environnement soit adapté et de qualité. La personne avec autisme, présentant une sensibilité accrue aux détails, aux matières, aux couleurs, à la permanence, aux dimensions des espaces, etc., peut selon moi être un bon critique des tendances urbaines actuelles. Le besoin d’immuabilité de l’environnement dans lequel on vit, la nécessité de trouver des repères et de reconnaitre le contexte, ainsi que la qualité des perceptions sensibles des espaces que l’on côtoie sont des éléments communs à tous, mais ceux-ci sont perçus et exprimés de manière plus significative chez la personne atteinte d’autisme. L’ouverture de la ville au handicap mental, et notamment à l’autisme, ne doit pas se faire sous la forme de parcours spécifiques. J’entends par là qu’on ne doit pas différencier des aménagements spécifiques adaptés, tels que les cheminements pour personnes à mobilité réduite, trop souvent séparés des cheminements pour personnes valides. Ces aménagements doivent 37
Cf. L’(es) autisme(s) - Troubles autistiques et rapport à l’espace : travaux de Magda Mostafa et Stephan Courteix.
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convenir à tous, en gardant un caractère urbain, sans arriver à des espaces aseptisés, pauvres en perceptions. La personne atteinte d’autisme me « sert » ici de révélateur des maux urbains contemporains. Cette analyse depuis un « regard autiste » me permettra de revenir sur certaines tendances actuelles pour apporter des pistes de réflexion pour la conception de la « ville intense ». Pour approcher cette question, j’ai repris les principales caractéristiques des espaces conçus pour les personnes avec autisme, à l’échelle architecturale, pour essayer de les transposer à l’échelle urbaine. J’aborderai donc des notions de permanence, de contexte, d’homogénéité, de densité, de perceptions visuelles, de signalétique, d’usage et de forme du bâti.
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Pour cela, je remonterai dans le temps afin d’observer ces critères au cours de l’histoire et des théories de l’architecture et de l’urbanisme du siècle dernier, pour arriver jusqu’aux formes urbaines actuelles en France. Je me baserai donc essentiellement sur deux ouvrages de Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000) 38 et Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités 39. Ces deux ouvrages me permettent d’avoir une vision d’ensemble de l’évolution de la conception architecturale et urbaine, de l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui, le tout observé, analysé et raconté par un seul et même auteur. Ainsi, la continuité entre les deux ouvrages permet une certaine cohérence de point de vue tout au long de l’époque observée. L’ouvrage de François Ascher, Les nouveaux principes de l’urbanisme 40, me permet, quant à lui, d’avoir un regard plus global et abstrait sur les enjeux actuels du devenir de nos villes. Ainsi, la plupart des propos et des exemples utilisés dans la prochaine partie seront directement basés sur ces ouvrages de référence. Afin d’apporter mon point de vue spécifique sur les notions évoquées précédemment, je me suis constitué un corpus de documents aux formes diverses, ayant tous trait à la relation entre l’autisme et la ville. Voici en quoi il me semble intéressant de les confronter à ma réflexion sur l’état actuel de l’urbanisme.
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Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Histoire et théories, éditions le moniteur, collection architextes, Paris, 2001, 375 pages 39 Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Editions de La Vilette, Paris, 2012, 205p. 40 François Ascher, Les nouveaux principes de l’urbanisme, éditions de l’aube, collection aube nord, série les rencontres du nouveau siècle, 2001
La ville vue par des personnes atteintes d’autisme Urville - Gilles Tréhin 41
Gilles Tréhin est un autiste atteint du syndrome d’Asperger. Depuis 1984, il conçoit une ville imaginaire dénommée « Urville ». Cette ville, fondée au XIIe siècle avant J-C, se trouverait sur une île en face de la côte d’Azur et abriterait plus de 12 millions d’habitants à ce jour. Elle serait la capitale économique de la France et aurait un rayonnement culturel international. Dans son ouvrage qui regroupe tous ses dessins, Gilles Tréhin dresse une description historique, géographique, économique et culturelle de cette mégapole. Il se défend de la concevoir comme une ville idéale, mais bien comme une ville réelle. Cet ouvrage est particulièrement intéressant pour observer l’évolution de cette ville, de ses quartiers, de ses espaces publics et de ses formes urbaines au fil des époques. C’est en quelque sorte un condensé de l’histoire de l’urbanisme en un seul ouvrage, décrypté par le regard d’une personne atteinte d’autisme. Tous ces dessins comportent énormément de détails et d’informations et sont donc une source d’analyse très intéressante.
Je suis né un jour bleu – Daniel Tammet 42
Ce témoignage nous permet de nous plonger dans la vie de Daniel Tammet, autiste atteint du syndrome d’Asperger, et dans ce qu’est ce handicap. Il nous décrit ici sa vie, sa perception des choses et sa manière de penser. Cet ouvrage permet de mieux comprendre le raisonnement d’une personne atteinte d’autisme de haut niveau et me permet d’avoir des descriptions de sa vie quotidienne telle que des trajets en bus, ou encore la manière dont il fait ses courses.
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Gilles Tréhin, Urville – Entre émotion Et fascination Cité imaginaire Ou rêve visionnaire …, Editions Carnot, Chatou, 2004, 189p. 42 Daniel Tammet, Je suis né un jour bleu, éditions des Arènes, collection « j’ai lu », traduit de l’anglais par Nils C. Ahl, 2007
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Ben X – Nic Balthazar 43
Ben X est un film relatant le quotidien de Ben, adolescent atteint d’autisme vivant chez sa maman et suivant une scolarité dans un établissement ordinaire. Au-delà de l’histoire qui révèle la difficulté d’adaptation et d’insertion d’une personne avec autisme dans la société, ce film m’intéresse pour les différentes scènes présentant le personnage dans la ville. A plusieurs moments, on peut suivre Ben dans son trajet quotidien, entre son domicile et son établissement scolaire. Dans ces scènes, la caméra se place dans l’œil du personnage, et révèle ainsi la vision et l’approche de la ville par la personne avec autisme.
Entretiens avec trois jeunes adultes atteints d’autisme 44
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Pour compléter ce corpus, j’ai réalisé différents entretiens avec des personnes atteintes d’autisme ayant acquis une certaine autonomie. Ces entrevues ont parfois été réalisées en présence d’un de leur parent, qui a pu ajouter des précisions sur certains points. Ces témoignages que je qualifie de « quotidiens » me permettent de confronter ma réflexion, dans le sens où ils font émerger des situations de la vie de tous les jours, vécues par ces personnes, dans la métropole lilloise, en France ou en Europe. Ma position lors de ces entretiens a été de leur poser des questions de base, préparées à l’avance, sur leur relation générale avec la ville, leurs moyens de transports et sur leur ressenti visà-vis de certains lieux. Mais principalement, j’ai essayé de leur faire raconter des situations concrètes qu’ils ont vécues, qui ont fait ressurgir de manière claire leur relation spécifique avec la ville. Nous verrons dans la conclusion les points sur lesquels je m’étais fait une idée, et qui n’ont pas été vérifiés lors de ces entretiens. Je tiens à préciser que les personnes interrogées représentent une infime partie du spectre autistique, et qu’elles ne peuvent donc pas être considérées comme représentatives des autismes. Les entretiens ont mis en évidence la particularité de chaque personne, leur autisme se traduisant par des caractéristiques différentes et donc des relations différentes avec l’environnement urbain. 43 44
Nic Balthazar, Ben X, Film, couleur, Belgique, 2007, durée 90min env. Les entretiens sont en version complète en annexes
J’ai donc pu recueillir le témoignage de Jules et de sa maman, jeune homme assez indépendant qui se déplace principalement en voiture; le témoignage de Pierre, jeune homme autonome et fasciné par les transports en commun ; et le témoignage de Louise et de sa maman, qui présente une déficience mentale et qui se déplace seule dans les transports en commun depuis maintenant 2 ans.
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L’autisme, ré vé lateur des maux urbains contemporains ? Habiter et se déplacer
« Dans cette formidable mutation, l’homme a peine à suivre et à s’adapter. C’est pourquoi l’une des premières tâches est de lui apprendre à habiter. » 45
Afin de pouvoir analyser la ville contemporaine au regard des notions liées à l’autisme, il me semble nécessaire de déterminer dans un premier temps notre relation à la ville et l’usage que nous en avons aujourd’hui. Pour cela, je me suis intéressé à la notion d’ « habiter ».
Qu’est-ce qu’ « habiter » ? Dans un ouvrage de 2007, Thierry Paquot reprend les trois termes « habitat », « habitation » et « habiter » pour préciser leur signification 46. Dans certaines sociétés, le « chez soi » ne représente pas l’espace intime mais l’appartenance à un « soi » plus vaste qui procure des conditions de vie. Le terme d’habitat, au XXème siècle, est considéré comme le milieu dans lequel l’homme évolue. Pour Max Sorre 47, l’habitat contient en partie l’habitation et en constitue les conditions environnementales. Le Corbusier et les partisans de la charte d’Athènes considèrent qu’ « habiter » est une fonction humaine citadine, tout comme « travailler » « se récréer » et « circuler ». Enfin, pour Henri Lefebvre 48, l’ « habiter » n’est pas lié à un « bon » urbanisme ou une « bonne » architecture, mais il doit être « considéré comme source, comme fondement ». Ainsi il regroupe notamment l’habitat, au sens de logement, et tous les parcours urbains qui y mènent.
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Michel Ragon, (1964), cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.127 Thierry Paquot, « « habitat », « habitation », « habiter », précisions sur trois termes parents » dans : Thierry Paquot, Michel Lussault et Chris Younès (sous la direction de), Habiter, le propre de l’humain – Villes, territoires et philosophie, Editions La Découverte, collection armillaire, Paris, 2007 47 Max Sorre (1880 – 1962), géographe français 48 Henri Lefebvre (1901 – 1991), sociologue, géographe et philosophe français 46
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Thierry Paquot conclut ce rapide retour sur les significations de ces termes en résumant : « Dorénavant, l’habitat dans le sens commun comprend l’habitation et tous les itinéraires du quotidien urbain. Mon habitat est extensible au gré de mes humeurs, de mes relations de voisinage, de ma géographie affective, tout comme il peut se rétrécir, si moi-même je me replie sur moi, ne veux rencontrer personne, m’enferme dans mon appartement comme une huitre dans sa coquille. » 49
L’habiter est donc une question importante pour l’évolution des villes, et notamment pour le public avec autisme. Dans l’optique du mouvement de désinstitutionnalisation où ces personnes vont avoir accès à une plus grande autonomie, il ne faut pas que leur habitat se résume uniquement à leur logement et qu’elles se renferment sur elles-mêmes et s’isolent. La ville doit permettre l’ouverture et la circulation aisée entre l’habitat et les autres fonctions qu’elle abrite.
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Dans le même ouvrage, Michel Lussault 50 présente à son tour sa perception de l’ «habiter». Après avoir repris les propos de Bachelard 51 qui analyse ce que recherchent les êtres humains dans l’habiter, - à savoir un « espace souple, appropriable, aussi bien à l’échelle de la vie privée qu’à celle de la vie publique, de l’agglomération et du paysage. » - Michel Lussault caractérise l’ « habiter » contemporain. Selon lui, l’ « habiter » est aujourd’hui fortement marqué par la mondialisation et l’urbanisation. L’ « habiter » reprend alors des notions telles que la mobilité et la co-spatialité.
49
Thierry Paquot, Op. Cit., p. 14 Michel Lussault, « Habiter, du lieu au monde. Réflexions géographiques sur l’habitat humain. » dans : Thierry Paquot, Michel Lussault et Chris Younès (sous la direction de), Op. Cit., p.35-52 51 Gaston Bachelard (1884 – 1962), philosophe français 50
Une nécessaire mobilité Ainsi, nous n’habitons plus un seul lieu, mais une multitude de lieux, reliés entre eux par un maillage de réseaux, réels ou virtuels. La ville moderne telle que la définit François Ascher est structurée et fonctionne comme une série de réseaux qui assurent le déplacement des personnes, des biens et des informations. Les transports, et plus particulièrement les transports en commun sont donc aujourd’hui une condition nécessaire à la vie de la ville. Cette nécessité est visible dès les années 1990 avec la création d’infrastructures de transport, et notamment le tramway, pour restructurer et redynamiser certaines villes de France, dont l’espace urbain manque de cohérence. C’est par exemple le cas de Nantes, avec un projet développé par Bruno Fortier et Italo Rota, et de la banlieue nord de Paris, entre Bobigny et SaintDenis, projet réalisé par Paul Chemetov et Borja Huidobro, en association avec Alexandre Chemetoff. Ces interventions prennent place après le Mouvement Moderne, qui a créé des entités libres de toute structure urbaine, que nous détaillerons un peu plus loin. Alexandre Chemetoff analysera alors le besoin de reconstituer une continuité urbaine en disant : « Nous sommes dans un monde qui a dispersé les pièces du puzzle et qui est en train de se poser la question ; qu’est ce qui se passe sur chacune des pièces de ce puzzle ? La vraie question, en fait, c’est de rassembler ces pièces sur le territoire. » 52
Cette restructuration passe par la création de lignes de transports et le réaménagement de l’espace public. Gilles Tréhin, dans ses représentations d’Urville, dessine une multitude de moyens de transports différents : la voiture, le bus, le métro, le tramway, le bateau, le train, l’avion et la marche, fortement représentée par la foule de gens qui peuplent les espaces publics. De plus, Gilles Tréhin a même débuté sa conception de la ville en dessinant l’aéroport. On peut donc dire que cette ville s’est bâtie autour des réseaux de transports, l’auteur ayant même « construit progressivement la ville avec un plan de métro » 53.
52 53
Alexandre Chemetoff cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.321 Gilles Tréhin, Op. Cit., p.185
35
Les axes de transport : repères urbains et territoriaux Les voies de chemin de fer, les cours d’eau, les axes routiers, sont autant d’éléments structurants du territoire qui, par leur présence et leur permanence, nous permettent de nous repérer et nous donnent des directions. Cette présence au sein de la ville a été questionnée au cours du siècle dernier.
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Alors que les voies routières structuraient la ville faite d’îlots au début du XXème siècle, dès les années 1940, la ville moderne refuse cette organisation. Pour les « modernistes », il en est alors fini des bâtiments assujettis à un alignement sur rue, les fonctions d’ « habiter » et de « circuler » étant deux fonctions distinctes de la ville. Les axes routiers restent donc visibles, mais sont dessinés indépendamment de l’implantation du bâti. Cette conception va trouver une évolution plus radicale dans les années 1960 avec ce que l’on a appelé le « zoning vertical ». Les fonctions de la ville établies par la Charte d’Athènes (Habiter, Travailler, se Récréer, Circuler) qui autrefois se répartissaient de manière horizontale sur le territoire, vont venir se superposer. Ainsi, les voies de circulation routière vont être recouvertes par une dalle, sur laquelle vont se développer les circulations piétonnes et les bâtiments de bureaux et d’habitation. Ainsi, en tant que piéton dans la ville, les axes de circulation ne sont plus visibles. On peut retrouver ce type d’urbanisme dans le quartier du Front de Seine, dans le XVe arrondissement de Paris, développé à partir de 1959 Henry Pottier et Michel Proux 54. Aujourd’hui, la présence de ces éléments au sein de la ville est également questionnée : on voit de plus en plus d’autoroutes ou de voies ferrées être recouvertes pour permettre à la ville de s’étendre au-dessus. Ces infrastructures sont considérées comme des frontières, empêchant la communication des bouts de ville se déployant de part et d’autre. Ces grands travaux sont particulièrement visibles à Paris avec le quartier Austerlitz de la ZAC Paris Rive-Gauche ou encore dans la ZAC Clichy Batignolles, où une partie du réseau ferré est recouverte par une dalle accueillant de l’espace urbain. La grande différence avec l’urbanisme vertical est la conservation des axes routiers sur la dalle. Ces grands projets permettent de relier des quartiers autrefois séparés mais ils perturbent la lecture des grands repères territoriaux au sein de la ville.
54
Dans Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ?, Op. Cit., p.22-23 et dans Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit, p.88-89
Zoning vertical: Habiter/Travailler/ Circuler Michel Holley
1961
Coupe de principe ZAC Clichy Batignolles - Paris
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Recouvrement des voies Paris Rive-Gauche
Ligne de métro aérienne et ligne de tramway Place de Tipasa Urville Gilles Tréhin
Ligne de tramway et cours d’eau Urville Gilles Tréhin
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Lignes de tramway Place du Buis Urville Gilles Tréhin
Jules, lors de ses trajets inhabituels, repère des éléments qui l’aident à s’orienter, et notamment des éléments à l’échelle territoriale. Sa maman et lui m’ont raconté comment ils avaient procédé pour se rendre à Bruxelles en voiture. « Jules: Flo et moi nous avons visionné sur Google Earth la rue et le trajet le plus court qu’il fallait emprunter. Ça n’a pas été évident du tout parce qu’il fallait sortir à tel endroit précisément et … Maman de Jules : Mais moi je me souviens que toi tu te repérais aux voies ferrées … J.: Exact. Maman de J. : […] Donc à chaque fois il me disait "bah là normalement on doit croiser une voie ferrée, je l’ai vu sur euh …" donc c’est les repères remarquables : les ponts, les voies ferrées … […] J.: Exact. […] Maman de J. : […] Mais c’était ça, lui, ses repères c’était toujours ça "il y a une 55 voie ferrée, là y’a le canal" donc il savait se repérer par rapport à ça. »
A Urville, comme nous l’avons vu, les moyens de transport sont omniprésents. Les lignes de transport sont visibles et donnent des directions au sein de la ville. Que ce soit le métro, qui par moment devient aérien, le tramway qui passe dans les rues ou en contrebas de celles-ci, ou encore les lignes de chemin de fer, ces éléments sont très présents dans les représentations de la ville 56. Lors de mon entretien avec Pierre, ces axes de transports en commun se sont également révélés comme des points de repères et d’orientation pour lui. « Pierre : […] je peux me repérer avec n’importe quel élément. […] Mais principalement c’est les arrêts de bus. Et les panneaux. […] Je me repère souvent aux arrêts de bus. Par exemple une fois, j’avais même pas 9 ans, mes parents ils se sont paumés à Calais, ils ont … ils étaient en panne d’essence, enfin ils avaient un problème d’essence je me souviens, ils ne 55
Entretien avec Jules et sa maman, annexes Gilles Tréhin, Op. Cit., p.27 ; 39 ; 69 ; 78 ; 95 ; 97 ; 101 ; 135 ; 137 ; 139 ; 141 ; 142 ; 143 ; 148 ; 149 ; 151 ; 157 ; 161 ; 162 ; 167
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savaient plus comment faire pour rejoindre l’autoroute, et j’ai réussi à les rallier à l’autoroute parce que j’avais un plan des bus et j’ai réussi à me repérer grâce aux arrêts de bus qu’y’avait dehors. » 57
Pierre m’a également raconté plusieurs situations dans lesquelles il avait aidé des chauffeurs de bus à retrouver leur chemin, à Paris et à Lille notamment, car ils n’empruntaient pas le bon itinéraire. Ou encore à Londres, lorsqu’il avait voulu se rendre à un endroit de la ville et que le métro était en panne : il a alors suivi la ligne à pieds pour se rendre à son point d’arrivée. De même, Louise connait par cœur le nom des arrêts de tramway qu’elle utilise pour se rendre à son travail ou à ses activités de loisir. Le tramway, et ces arrêts en particulier, sont pour elle des points de repère dans la ville, pour ses déplacements. Ainsi, ces exemples démontrent l’importance des réseaux de transports pour l’organisation et l’orientation au sein de la ville.
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Vers des transports en commun … individuels La ville contemporaine prend également en compte l’individualisation croissante de la société. Ainsi, en ce qui concerne la mobilité, François Ascher préconise le développement de services publics de transports plus individualisés, en combinant plusieurs modes de déplacement différents pour desservir des territoires de plus en plus larges. Cette tendance à l’individuation des transports se lit dans notre quotidien, avec notamment le développement des vélos en libreservice qui sont apparus ces dernières années dans plusieurs grandes villes de France. « Chacun possède son propre monde qui dépend des pratiques et de ses mobilités ainsi que des représentations et de l’imaginaire conçus au contact de
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Entretien avec Pierre, annexes
Le V’Lille Transport individuel
Ben prenant le bus seul Tiré du film Ben X A 10min20s
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Ben s’isolant dans le bus Tiré du film Ben X A 10min55s
ce monde et des différents lieux qui le composent. Dans ce sens, deux mondes ne peuvent être identiques puisque chaque individu est unique. » 58
Ces moyens de transport plus individuels, correspondent bien au public avec autisme, qui n’arrive que difficilement à gérer des situations de proximité et de coprésence avec un grand nombre de personnes. Jules et Pierre m’ont confié que le plus souvent, ils se déplacent seuls, car ils sont « de nature solitaire » 59. Dans son ouvrage, Daniel Tammet décrit à plusieurs reprises des trajets effectués en bus. Il décrit combien ces trajets sont angoissants, à cause de la foule qui s’entasse, mais également à cause de la difficulté pour lui de se repérer. Dans le film Ben X, on remarque également l’angoisse de Ben durant ses trajets en bus, ne quittant pas ses écouteurs et regardant constamment à l’extérieur pour ne pas croiser le regard des autres personnes. Cette tendance à l’isolement dans les transports en commun n’est pas un fait autistique : aujourd’hui, les personnes n’écoutant pas de la musique se font rares et croiser le regard de l’autre est devenu presque impossible. De plus en plus de gens craignent de prendre les transports en commun, de peur d’avoir à faire à des interactions sociales qu’ils n’ont pas prévues. 42
Cette tendance à l’individualisation est à surveiller car elle peut s’avérer dangereuse. Elle peut engendrer des problèmes de cohésion sociale et des logiques d’entre soi. Le développement des télécommunications (internet, téléphones portables, smartphones, etc.) permet les interactions à distance spatiale et temporelle. La coprésence n’est donc plus nécessaire pour les interactions sociales. La ville doit se méfier de cette tendance car comme le rappelle François Ascher, « l’accessibilité physique, la possibilité de rencontre sont plus que jamais les richesses premières des lieux urbains » 60.
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Florent Herouard, « Habiter et espace vécu : une approche transversale pour une géographie de l’habiter », dans : Thierry Paquot, Michel Lussault et Chris Younès (sous la direction de), Op. Cit., p. 163 59 Entretien avec Jules et sa maman, annexes 60 François Ascher, Op. Cit., p.60
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Immuabilité, mutation et table rase
Comme nous l’avons vu, l’autisme se caractérise par un besoin d’immuabilité, d’habitudes, de prévisibilité. Nos lieux de vie nous sont familiers car nous avons appris à les appréhender, nous y avons nos repères. Le temps de la ville est un temps long, elle se construit et se modifie petit à petit, gardant des traces du passé. Cependant, cela n’a pas toujours été le cas. De quelle manière se traduit la permanence dans la ville contemporaine ?
La ville historique et les grands travaux d’embellissement Les villes européennes ont un passé lointain, et se sont construites sur des bases remontant souvent au Moyen-Age ou encore, pour certaines, à l’époque de l’empire romain. Elles portent encore aujourd’hui les marques des premières installations, par des tracés de rues, des espaces publics majeurs ou encore des édifices remarquables. Aux XVIIIe et XIXe siècles, des grands projets de restructuration des villes voient le jour, afin d’embellir et de rendre plus saines les villes moyenâgeuses. Ces programmes se traduisent par une modification du visage initial des villes, par le tracé de grands axes structurants et par l’élaboration de règles urbaines pour les nouvelles constructions, le long de ces axes. L’exemple le plus proche de nous et le plus parlant est certainement le projet d’Haussmann pour la ville de Paris. La seconde guerre mondiale et les programmes de reconstruction qui s’en suivent mettent les formes urbaines pittoresques au centre des questionnements : faut-il reconstruire à l’identique ou profiter de ce renouveau pour réinventer les formes urbaines ? De là, plusieurs positions se démarquent, en s’inspirant plus ou moins des modèles du passé.
La reconstruction pittoresque Certains architectes prennent le parti de reconstituer à l’identique les parties de ville détruites par la guerre. C’est notamment le cas des villes de la Loire, pour lesquelles l’image de la ville d’avant-guerre a été conservée. Les réponses apportées sont dites « régionalistes », réutilisant les matériaux présents avant la guerre et reconstituant un parcellaire pittoresque, fait de rues et d’îlots. Cependant, les préoccupations moderne d’hygiène, d’économie et de techniques ne sont
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pas pour autant écartées. C’est ce qu’exprime André Leconte, dans la Charte de l’architecte reconstructeur : « Songez que, depuis plus d’un demi-siècle, les petites villes, les campagnes s’enlaidissent, les caractères régionaux s’effacent. Pourtant, jadis, l’œuvre des hommes faisait corps avec le paysage et avec eux-mêmes ; aujourd’hui elle tend à devenir uniforme d’une région à l’autre, disparate dans une même région et inhumaine. […] Certes il ne saurait être question, dans la reconstruction, de retourner à des formes et des dispositifs condamnés par la technique, l’hygiène et l’économie. Mais il faut, à la faveur d’une enquête attentive, rechercher tout 61 le côté spirituel qui peut être sauvé de l’héritage et remis en valeur. »
Cette posture est donc mesurée : il ne faut pas reconstruire à l’identique pour ce simple fait, mais ce qui est primordial c’est de garder l’esprit et le savoir-faire local, adapté aux exigences et aux préoccupations de l’époque.
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Le Mouvement Moderne et la « tabula rasa » « Une ville ne peut renaitre que de ses décombres. Quand elle ne fonctionne plus, il faut la raser, non par demi-mesures mais par îlots entiers, et différemment la reconstruire. » 62
Cette déclaration de Pierre Dalloz en 1957 traduit bien la position des modernistes, partisans de la Charte d’Athènes. Le Mouvement Moderne a voulu faire table rase du passé, jugeant que les formes urbaines qu’il a engendrées n’étaient pas convenables vis-à-vis des besoins de la ville moderne. Des projets un peu fous prévoyaient par exemple de raser une partie de Paris pour transformer la ville en un vaste parc dans lequel viendraient s’implanter des immeubles d’habitation et de bureaux. Seuls les bâtiments patrimoniaux seraient sauvegardés et constitueraient des îles dans la ville moderne. Les traces historiques se résumeraient alors aux bâtiments les plus remarquables.
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André Leconte, Charte de l’architecte reconstructeur (1941) cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.24 62 Pierre Dalloz (1957), cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.82
Reconstruction pittoresque Gien (Loiret) AndrĂŠ Laborie A partir de 1946
Maquette du plan voisin pour Paris Le Corbusier 1925
Perspective du plan voisin pour Paris Le Corbusier 1925
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Maison Barbel en 1970, avant les travaux de restauration / Maison Barbel aujourd’hui Québec
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Document du projet de restauration du Vieux-Québec avec la maison Barbel
Le modernisme adopte une posture dite de conservation, considérant les bâtiments patrimoniaux comme des documents historiques, se suffisant à eux-mêmes. « Tous les projets se heurtent […] à un souci de préserver un passé qui, en dehors de quelques sites qu’il importe de protéger de toute atteinte, ne vaut nullement qu’on s’y attache. » 63
Pierre Sudreau, Commissaire à la Construction et à l’Urbanisme pour la région parisienne, développe un plan de rénovation en 1955. Suite à une enquête, le Paris central est différencié du Paris périphérique : alors que le centre est sauvegardé en l’état, la périphérie se voit programmer des grandes destructions pour l’élaboration de bâtiments qui rompent avec les tracés et les gabarits existants.
La réaction au Mouvement Moderne : une nouvelle approche de l’urbanisme En réaction à ce mouvement de destruction massif, André Malraux, en 1962, fait promulguer la loi sur les « Secteurs Sauvegardés », qui définissent des périmètres, des bouts de ville à conserver en l’état. Toute nouvelle construction à l’intérieur de ce périmètre est rigoureusement normée et les édifices existants jugés incompatibles avec cet environnement historique peuvent être détruits. A certains endroits, on voit également apparaitre, ou plutôt réapparaitre des bâtiments, reconstruits à l’identique, dans une logique de rétablissement. Qu’en est-il alors de la notion d’authenticité ? La ville a certes besoin de garder son histoire, ses traces, mais est-il pour autant nécessaire d’en faire un musée, voire une ville factice destinée aux touristes? Tel est l’exemple du quartier de la place Royale à Québec. Dans les années 1960-1970, le gouvernement Québécois a racheté une soixantaine d’immeubles dans le quartier de la place Royale, afin de rétablir son visage d’origine. Le quartier a alors été rasé pour être reconstruit tel qu’il était à son origine. Aujourd’hui, ce quartier est déserté par les habitants de la ville de Québec et est considéré comme le quartier touristique de la ville, foisonnant de boutiques de souvenirs et de restaurants. 63
Raymond Lopez (1964), cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.88
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Aujourd’hui, les Secteurs Sauvegardés ont été remplacés par les ZPPAUP 64, procédure beaucoup moins stricte qui prend en compte l’évolution de la ville. « […] ce qui constitue par excellence le fait urbain, c’est ce qui subsiste au milieu d’un ensemble en transformation. […] la ville est quelque chose qui perdure au-delà de ses transformations et […] les fonctions, simples ou plurielles, qu’elle remplit au cours du temps ne sont dans la réalité de sa structure que des moments. » 65
La création des POS 66 en 1967 entraine l’apparition de la notion de « paysage urbain », prenant en compte le contexte dans lequel chaque futur projet viendra s’implanter. Les bâtiments patrimoniaux ne sont plus considérés comme des isolats mais comme faisant partie d’une entité bâtie. Plus que l’objet historique en lui-même, c’est l’identité du lieu qu’il faut sauvegarder. Les nouveaux édifices viendront s’implanter dans le paysage en respectant les gabarits, les typologies et l’esprit des bâtiments alentour. C’est ce que l’on appelle l’approche typo-morphologique. Les travaux de Kevin Lynch, de Robert Venturi et les études typologiques et morphologiques italiennes vont également inspirer les réflexions urbaines du début des années 1970. 50
Ces postures amènent à un retour vers l’îlot, comme constituant élémentaire de la ville. Cette position est traduite en 1975 dans l’ouvrage De l’îlot à la barre de Jean Castex et Philippe Panerai. « Construire la ville sur la ville » devient même le leitmotiv d’Antoine Grumbach dans les années 1980. Cependant, on observe un retour en arrière considérable pour certains architectes, qui adoptent des positions que l’on peut juger extrémistes. « […] il s’agit désormais de revenir en arrière et de reprendre le travail d’imitation des plus beaux exemples préindustriels tant dans les proportions, les dimensions, la simplicité morphologique que dans le mode de production visant à l’usage des matériaux traditionnels et à l’artisanat plutôt qu’à l’industrialisation. » 67
64
ZPPAUP : Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et du Paysage, créé en 1982 Aldo Rossi (1966), cité dans : Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Op. Cit., p.30 66 POS : Plan d’Occupation des Sols, remplacé aujourd’hui par le PLU : Plan Local d’Urbanisme 67 Maurice Culot, Léon Krier (1980), cités dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.262 65
Urville, représente bien cette évolution selon moi. Lorsque l’on observe la vue générale de la ville, on observe un urbanisme d’ilots denses, organisés par des grands axes directeurs et répondant à des règles d’implantation et de gabarit. L’insertion des bâtiments plus récents dans ce contexte est également signifié dans cette vue. En effet, alors que les ilots sont représentés très simplement, sans détails, les éléments postérieurs à sa constitution sont détaillés en façade. J’émets cette hypothèse car certains de ces bâtiments détaillés dérogent aux règles de prospect qui gèrent à priori la constitution de ces ilots. Ces similitudes sont sûrement dues au fait que Gilles Tréhin, lorsqu’il a commencé la représentation globale de sa ville, a, dans le même temps, étudié l’histoire. « C’est dès 1993 que, véritablement, les dessins d’Urville se sont organisés et généralisés, avec la première vue globale de la ville. Au cours de cette première année, j’ai commencé à étudier l’histoire parce que je me rendais compte que c’était important pour connaître une ville, et l’histoire m’a permis de m’instruire. » 68
La fin du XXe siècle est donc marquée par un retour à la ville, les architectes se libérant petit à petit des grands préceptes architecturaux pour créer une architecture en relation avec le lieu et le contexte. « Une architecture doit avoir sa personnalité et doit répondre en termes de dialogue, d’époque, de site, d’usage, exactement aux questions qui lui sont posées. Alors cela ne s’accorde pas avec de grandes théories formelles et typologiques. » 69
68 69
Gilles Tréhin, Op. Cit., p.185 Jean Nouvel (1986), cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.295
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Vue générale Urville Gilles Tréhin
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La position contemporaine Aujourd’hui, la question de « l’immuabilité » de la ville est toujours présente, mais elle est posée sous une autre forme. Ainsi, la permanence est recherchée, dans le neuf comme dans l’ancien, à travers les notions de durabilité et de transformation. La prise de conscience écologique et l’adoption de comportements allant dans le sens du développement durable, encouragent selon moi la permanence de la ville. En effet, face à un ensemble bâti existant, ne répondant plus aux normes ou aux besoins d’usage, on se pose de plus en plus la question de la conservation et de la modification de celui-ci plutôt que sa destruction et la reconstruction d’un ensemble neuf. Cette pratique est particulièrement visible dans notre région au fort passé industriel (le Nord Pas-de-Calais), quant à la sauvegarde des usines et leur conversion en logements ou en lieux culturels. Ainsi, par le biais de ces sauvegardes, le paysage urbain ne se trouve pas ou peu modifié. Cette tendance répond en quelque sorte au besoin d’immuabilité de la ville, à la sauvegarde de la ville historique et du patrimoine. « Ayant rompu avec les idéologies simplificatrices et totalitaires du progrès, il [le néo-urbanisme] s’accommode de la complexité des villes dont il hérite et il en joue. Il patrimonialise ainsi de plus en plus le bâti existant, soit en le muséifiant et en l’intégrant à la nouvelle économie culturelle et touristique urbaine, soit en le réutilisant et en l’affectant à de nouveaux usages. Le néourbanisme essaie autant que possible d’utiliser les dynamiques du marché pour produire ou conserver les valeurs symboliques de la ville ancienne. » 70
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Pour ce qui est des ensembles neufs, la notion de durabilité et de transformation des usages sont de mise. Ainsi, dans le concept de la « ville de l’âge III » par exemple, Christian de Portzamparc justifie la forme de plots, indépendants les uns des autres, en mettant en avant le fait que l’on puisse transformer une partie sans modifier le tout. La « ville de l’âge III » pourra alors se transformer petit à petit, sans se « défigurer ». « Le durable, c’est le transformable » 71
70
François Ascher, Op. Cit., p.92 Christian de Portzamparc, principes de l’ilôt ouvert, cité dans : Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Op. Cit., p.51
71
Vers un urbanisme des temps ? Luc Gwiazdzinski, géographe, a développé un concept répondant selon lui aux problèmes urbanistiques actuels. La ville pensée autour de questions énergétiques et spatiales est, pour l’auteur, inefficace face à la société d’aujourd’hui. Son nouveau concept, basé sur une notion temporelle, est celui de la « ville malléable » 72. Ainsi, il imagine une ville dont les usages changeraient selon le temps, à différentes échelles : diurne/nocturne, mensuelle, saisonnière ou encore annuelle. Cette ville malléable agirait principalement sur les espaces collectifs, qui évolueraient selon des rythmes temporels. Ce concept ne remet pas en cause l’immuabilité physique de la ville, mais insère une dimension éphémère des usages au sein de celle-ci. Un même parcours au sein de la ville malléable, à différents moments de la journée ou de l’année, n’apporterait donc pas les mêmes perceptions, les mêmes ambiances, les mêmes pratiques. « La ville malléable, c’est également celle d’une « identité de trace », une identité du parcours plus que de site, le temporaire prévalant sur la permanence. » 73
Ainsi, aujourd’hui, la réflexion autour de l’immuabilité de la ville ne se fait pas uniquement sur le cadre bâti mais également sur les usages et la vie dans la ville. Ce concept rejoint la notion d’individuation de la société décrite par François Ascher car elle propose une ville « modulable pour chaque individu, citoyen éphémère de l’ici et du maintenant » 74. La ville, par sa malléabilité serait alors adaptée à tous, mais pas dans le même temps.
La permanence au sein de la ville est une donnée qui pose donc encore beaucoup de questions. Au-delà des considérations historiques, elle est selon moi nécessaire à un certain degré, car elle favorise la reconnaissance d’un contexte et permet le repérage et l’orientation.
72
Luc Gwiazdzinski, Utiliser la clé des temps, Vers la ville malléable, revue Ecologik n°11, octobre/novembre 2009, p. 41-44 73 Ibidem, p.44 74 Ibidem
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Ce besoin est manifesté par les personnes avec autisme, et notamment dans le film Ben X. A chaque trajet que Ben effectue entre son domicile et son établissement scolaire, la caméra effectue les mêmes plans sur les mêmes bâtiments. On comprend alors que ceux-ci servent de repères à Ben pour s’orienter et s’assurer qu’il est sur le bon chemin. « La prévisibilité était importante pour moi, c’était une façon d’avoir le contrôle sur une situation donnée, au moins temporairement. » 75
Cette prévisibilité, rendue possible par l’immuabilité de l’environnement et des situations, est également importante pour chacun d’entre nous. Cependant, en cas d’altération de nos repères, nous sommes capables de nous en créer de nouveaux, à l’aide d’autres éléments. La personne avec autisme n’a pas cette capacité et tout changement va être pour elle source d’angoisse.
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Lors de notre entretien, j’ai demandé à Louise de me citer des endroits qu’elle appréciait et où elle se sentait bien. Elle m’a répondu : la gare d’Orchies. En effet, la gare d’Orchies est pour elle un repère, un endroit qu’elle connait, une étape dans son parcours de son domicile à son lieu de travail. La familiarité avec ce lieu lui permet de s’y sentir bien.
75
Daniel Tammet, Op. Cit., p.91
L’architecture comme support d’orientation Tiré du film Ben X A 7min50s, 34min57s et 55min28s
L’architecture comme support d’orientation Tiré du film Ben X A 7min51s et 34min15s
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L’architecture comme support d’orientation Tiré du film Ben X A 8min08s, 34min48s et 55min31s
Vue aérienne Ilots Haussmanniens Paris Georges Eugène Haussmann Travaux d’aménagement 1852-1870
Vue aérienne Ilots Cerdà Barcelone Ildefons Cerdà Plan d’aménagement de 1860
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Reconstruction du Havre Avenue Foch vue depuis la porte Océane sur la tour de l’hôtel de ville Auguste Perret 1955
Contenance et « ordre ouvert »
Au niveau architectural, la personne avec autisme a besoin d’un environnement contenant, avec des limites claires pour se sentir à l’aise et oser se déplacer facilement. Qu’en est-il dans la ville, qui est formée d’espaces publics divers, de vides répondant à des pleins ?
Modèle urbain de l’îlot L’histoire de l’urbanisme a été marquée par de grandes tendances dans l’évolution des modèles urbains, qui ont chacun engendré des perceptions différentes de l’espace public et de la rue. Au XIXe siècle, nos villes européennes sont fortement marquées par ce que l’on appelle l’ «îlot». Cet îlot, prend différentes formes selon la ville dans laquelle il se trouve et selon l’époque à laquelle il a été pensé. Ainsi, un îlot Haussmannien (Paris) n’a pas les mêmes caractéristiques qu’un îlot Cerda (Barcelone). Le développement des îlots peut être fait de manière plus ou moins aléatoire, pour les morceaux de ville édifiés au Moyen-Age, ou il peut être ordonné par des règles, qui fixent les alignements, les gabarits, les hauteurs, ce que l’on peut observer suite aux grands travaux d’embellissement. Ainsi, la ville, jusqu’au début du XXe siècle se dessine sous la forme de rues, bordées de bâtiments répondant ou non aux mêmes normes de gabarit. La rue peut alors être comparée à un couloir, qui ne laisse pas d’échappées sur les côtés, et offre une direction unique. Après la seconde guerre mondiale, la reconstruction « pittoresque » s’inspire de ce modèle urbain. Ainsi, les villes de Maubeuge et du Havre par exemple, sont reconstruites sous forme de rues, de places et d’îlots plus ou moins fermés. Ces travaux peuvent être rapprochés des embellissements des XVIIIe et XIXe siècles dans le sens où ils instaurent une certaine unité de composition sur l’ensemble de la ville. Le modernisme et l’ « ordre ouvert » Le modernisme a remis en cause cette conception de la ville, formée d’îlots structurés par des rues. Pour Le Corbusier et les partisans de la Charte d’Athènes, les blocs bâtis doivent se libérer de l’asservissement des voies. Les seules données qui doivent guider leur implantation sont
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« le soleil et la biologie des fonctions à satisfaire » 76. L’urbanisme d’îlot fait alors place à l’urbanisme d’ensemble. On voit donc apparaitre ce que l’on appelle les «grands ensembles», entourés de larges espaces libres (espaces verts, parkings, etc.). Cette conception de la ville n’offre plus la contenance observée auparavant avec la logique d’îlots. La rue n’est plus bordée de bâtiments et le regard trouve alors plusieurs échappées possibles. « La rue traditionnelle, trop étroite entre des alignements de façades qui dissimulent bien souvent le taudis, fait place à un aménagement d’îlots largement ouverts. Les murs aveugles disparaissent. Par toutes les faces, l’immeuble s’ouvre à la lumière sur des espaces libres où les plantations apporteront le complément nécessaire à la vie des hommes. » 77
Une résistance à l’ « ordre ouvert » et le retour de l’îlot
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Cependant, face à un manque de structure spatiale et à une généralisation du modèle des « grands ensembles », l’ « ordre ouvert » trouve des critiques. Ainsi, le manque d’organisation de ces nouveaux morceaux de villes totalement libres est remis en cause. « Il ne faut pas qu’à la routine de l’îlot fermé […] succède un néo conformisme de l’ordre ouvert, adopté quel que soit l’environnement […]. L’urbanisme moderne a soif de liberté et voudrait rejeter les sujétions traditionnelles comme celle du gabarit. Cependant, l’abus de la liberté aboutit à un désordre d’ores et déjà visible, dû à ce que trop de constructeurs se croient capables d’un morceau de bravoure et veulent se distinguer du voisin. » 78
Robert Auzelle, Emile Aillaud et Fernand Pouillon représentent bien cette résistance. Ainsi, sans pour autant remettre en cause les préceptes de base du modernisme, ils recherchent une organisation des bâtiments plus structurée afin d’offrir des intériorités. Par exemple, Robert Auzelle met en place un schéma d’implantation des bâtiments d’habitation, à la fois ouvert et fermé. 76
Le Corbusier (1941), cité dans : Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Op. Cit., p.18 77 Antoine Spinetta (1953), cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.64 78 Pierre Sudreau (1960), cité dans : Ibidem, p.75
Conception de la ville moderne et de l’ordre ouvert Le Corbusier 1941
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Schéma d’implantation des bâtiments à usage d’habitation Robert Auzelle 1950
Plan de l’«Espace Kiêthon» avec mise en valeur de la circulation Médréac Léna Riaux et Joël Gimbert 2008
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Circulation de l’«Espace Kiêthon» Médréac Léna Riaux et Joël Gimbert
Schémas de l’îlot ouvert et de la rue ouverte Christian de Portzamparc Vers 1995
« […] un espace suffisamment fermé pour que l’intimité indispensable soit conservée tout en laissant au regard la possibilité de larges échappées » 79
Les nombreuses critiques de ce modèle et la mise en avant de l’importance de la rue comme constituant de la ville marquent le développement des Plan d’Occupation des Sols (POS), régis par la loi d’orientation foncière de 1967. On remarque alors un retour aux fondements de la ville : la rue, l’îlot et la parcelle. « Les gens veulent ce que la modernité leur a promis mais pas dans la forme dans laquelle elle a été traduite. Pas d’espaces trop ouverts, mais des espaces plus contenus, mieux définis. » 80
Une nouvelle conception de l’îlot : la « ville de l’âge III » Les Zones d’Aménagement Concerté (ZAC), créées à la même époque, vont être le terrain d’expérimentation et de transformation de l’îlot traditionnel. A travers différentes expériences, l’îlot s’ouvre peu à peu jusqu’à donner le type de « l’îlot ouvert », concept développé au début des années 1990 par Christian de Portzamparc. Cette typologie marque selon lui la « ville de l’âge III », qui fait suite et contient les deux premiers types de ville : la ville historique et la ville moderne. Cette typologie est une sorte d’hybride des deux premières, offrant une rue structurée, bordée de bâtiments, mais présentant des échappées visuelles à travers les îlots. La densité du bâti, l’indépendance de ceux-ci les uns par rapport aux autres et les multiples ouvertures des intérieurs d’îlots sur la rue, créent des micro-lieux qui donnent une sensation de contenance, d’enserrement que l’on retrouve dans la conception des espaces pour les personnes atteintes d’autisme. Si l’on observe le bâtiment du centre d’accueil de jour pour personnes atteintes d’autisme « Espace Kiêthon » à Médréac en Ille-et-Vilaine, réalisé par l’architecte Joël Gimbert et l’architecte d’intérieur Léna Riaux 81, on remarque qu’une attention particulière a été apportée aux espaces de circulation. Plus précisément, les architectes parlent d’articulations, d’aspérités et de 79
Robert Auzelle (1950), cité dans : Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Op. Cit., p.21 80 Christine Binswanger (2010), cité dans : Jacques Lucan, Ibidem, p.70 81 Clémence Mathieu, L’autisme autrement, Ecologik n°11, octobre/novembre 2009, p. 108-116
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fractionnement du déplacement. L’espace de circulation qui forme une boucle autour du patio intérieur reprend les idées de contenance, de densité et de serrage. Ainsi, par dilatation et articulation de cet espace, les lignes fuyantes sont évitées pour ne pas favoriser les états d’angoisse. Je trouve qu’il y a une certaine similitude entre les espaces urbains de « la ville de l’âge III » et la circulation de ce bâtiment, dans le sens où le cheminement est guidé, entouré par une certaine densité mais offre des échappées, des aspérités tout au long du parcours. Penser les espaces de circulation en fonction des spécificités de l’autisme peut alors être une piste de réflexion pour la ville contemporaine, car ce qui fonctionne pour les personnes avec autisme fonctionne pour tout le monde, mais l’inverse n’est pas vrai.
De l’ « îlot ouvert » au « macro-lot »
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L’ « îlot ouvert » va trouver une évolution dans ce que l’on appelle les macro-lots. Au-delà des aspects de gestion et de programmes, une différence que je marque entre ces deux formes urbaines est la possibilité de traversée. Ainsi, contrairement à l’ « îlot ouvert », les espaces intérieurs créés dans les macro-lots sont accessibles. Ainsi, comme à Boulogne Billancourt par exemple, divers cheminements peuvent être empruntés : la rue, bordée et structurée par des règles d’alignement et de gabarits ; des mails piétonniers qui traversent le quartier, eux aussi structurés par des règles d’alignement et de gabarits ; des traversées par les intérieurs d’îlots, qui offrent des paysages et des intériorités différentes. Ces traversées d’îlots rendent l’ensemble de la ville publique : la distinction avec l’espace privé est de plus en plus difficile. Un autre type d’urbanisme se développe également, prenant appui sur ces notions de traversées piétonnes, entre espace public et espace privé. C’est le modèle dit d’ « urbanisme lamellaire », alternant bandes bâties, bandes de jardins privés, bandes d’espaces publics et voies routières. On retrouve ce modèle urbain dans la ZAC Euralille II avec le quartier du « bois habité » par exemple. Ici, la notion de contenance est à l’échelle du quartier entier, protégé du reste de la ville et des voies bruyantes (boulevard périphérique et boulevard du président Hoover) par une enceinte de bâtiments hauts. A l’intérieur du quartier, l’intimité est créée par la densité de végétaux et la densité bâtie, qui enserre les espaces publics.
On remarque que de tous temps, et quel que soit le modèle, une certaine contenance est recherchée au sein de la ville, que ce soit au cœur des îlots bâtis, dans l’espace public de la rue ou encore à l’échelle du quartier entier.
La mixité programmatique, vecteur de proximité Cette tendance peut également se lire dans la volonté de mixité programmatique au sein des bâtiments et des quartiers. Alors que le modernisme a créé un zonage dans la ville, séparant les fonctions d’habitat et de commerce par exemple, la ville contemporaine s’efforce de mixer ces programmes et de les contenir dans un même endroit. « Les solutions uniques et monofonctionnelles, fragiles et peu adaptables font place à des réponses multifonctionnelles et redondantes, plus à même de faire face aux évolutions, à la variété des circonstances, aux dysfonctionnements et aux crises. Les performances urbaines sont plus souvent fondées sur la mise en commun et la coordination de potentiels localisés variés que sur la massification. » 82
Ainsi, les nouveaux quartiers voient apparaitre des petits commerces de proximité au pied des immeubles de logement. La multiplication de petites surfaces commerciales au sein de la ville est préférée aux grandes surfaces des périphéries. Cette proximité favorise une meilleure qualité de vie pour tous, et notamment pour les personnes atteintes d’autisme. « Un temps, nous allions toutes les semaines au supermarché […], comme la plupart des gens. Cependant, je me fermais régulièrement, je devenais anxieux et sauvage à cause de la taille du magasin, du grand nombre de clients et de la multitude de stimuli autour de moi. […] La solution fut d’aller faire nos courses chez les commerçants du quartier, ce qui est à la fois plus agréable pour moi, souvent moins cher, et une manière de soutenir le petit commerce de notre communauté. » 83
82 83
François Ascher, op. cit., p.83 Daniel Tammet, Op. Cit., p.272
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Espaces publics et multifonctionnalité : un retour à l’ « ordre ouvert » ? Alors que la tendance urbaine semble être revenue à une certaine structuration de l’espace, favorisant les intériorités, on peut remarquer une exception dans l’aménagement des grands espaces publics centraux des villes. En effet, les villes qui réaménagent leur centre-ville se dotent de vastes espaces publics libres, non caractérisés, afin de pouvoir accueillir divers évènements temporaires. Cette volonté de flexibilité entraine un manque d’aménagement et de lisibilité de l’espace, par la mise en place de mobilier et de végétaux par exemple, et ne favorise donc pas son appropriation. Ces espaces anonymes ne sont alors pas ou peu investis en dehors des évènements extraordinaires pour lesquels ils ont été pensés.
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Ainsi, je pense notamment au centre-ville de Tourcoing dont les nouveaux espaces publics sont principalement constitués de vides qui s’enchainent. Ils n’offrent pas d’abris ni de cadrage du regard. Au contraire, la partie plus ancienne du centre de Tourcoing (la grand’ place), avec ses jeux de niveaux et le parking qui occupe son centre 84, structure des directions, des cadrages et offre une certaine contenance. On remarque une différence dans l’usage de ces deux lieux, pourtant côte à côte. Les gens ne font que traverser la nouvelle esplanade, alors qu’ils adoptent plus volontiers une attitude de flânerie dans la partie plus ancienne. Ce comportement est certainement dû également à la présence de commerces plus nombreux sur la grand’ place, mais un aménagement plus fragmenté de la nouvelle esplanade favoriserait, à mon avis, l’investissement de celle-ci. Vince Lattanzio, architecte de l’agence Carducci et associés à San Francisco, a abordé la conception des espaces publics pour les personnes atteintes de troubles autistiques 85. Il préconise notamment une définition claire de l’aménagement de ces espaces, avec des limites bien définies, et une flexibilité minimale de leurs usages. Dans l’ouvrage de Gilles Tréhin, on peut remarquer qu’à Urville, toutes les places publiques sont bien définies avec des éléments de mobilier (bancs, réverbères, bouches de métro), d’art (statues, monuments, kiosques) ou encore des éléments paysagers (parterres, fontaines). Les limites de ces espaces sont également signifiées par la présence d’alignements d’arbres, de voies routières et/ou de bâtiments. Les seuls espaces publics « libres » de tout aménagement particulier 84
Aménagements réalisés en 1985 Jared Green, Interview with Brian Johnston on the Landscape of autism, The DIRT (http://dirt.asla.org/), Uniting the built and natural environments, American Society Of Landscape Architects, article du 10.10.2012 85
La Grand’ Place de 1985 et l’esplanade Saint-Christophe de 2011 Tourcoing
Espace public qualifié et cerné Place Albert Tauvillesc Urville Gilles Tréhin
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Espace public qualifié et cerné Place de la République Urville Gilles Tréhin
Aménagement de la Grand’ Place en espace partagé Lille 2011
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Principe d’aménagement des Champs Elysées Paris Bernard Huet 1994
Vue aérienne des aménagements des Champs Elysées Paris
sont soit datés des XIe et XIIe siècles et ont une fonction marchande, soit ils correspondent au parvis d’équipements tels que des musées, des galeries marchandes ou encore le palais d’exposition. Une autre tendance actuelle de l’aménagement des espaces publics, allant à l’encontre de ces notions de définition des espaces, est ce que l’on appelle « l’espace partagé ». Ce concept se traduit par un lissage de l’espace public : voitures, bus, vélos et piétons partagent le même sol, sans distinction des flux. Le traitement au sol est le même partout, et aucune différence de niveau n’est marquée. De cet aménagement, ou non aménagement, résulte un manque de compréhension de l’espace et un manque de signalisation claire pour diriger les flux de manière confortable et prévisible. On trouve un exemple de ce type d’aménagement avec la Grand’ Place de Lille (réaménagée en juillet 2011) bien que dans ce cas, le flux routier soit tout de même guidé par des poteaux. Rem Koolhaas traduit ce besoin contemporain de continuité et de lissage dans ce qu’il appelle le « junkspace ». « La continuité est l’essence du Junkspace ; il exploite n’importe quelle invention qui peut favoriser l’expansion, et déploie l’infrastructure de l’ininterruption […] Il est toujours intérieur, et tellement extensif qu’on en aperçoit rarement les limites : il favorise la désorientation par n’importe quel moyen (miroir, surfaces lisses, écho) … » 86
Cependant, Jules semble ne présenter aucun malaise au contact de grands espaces : il fréquente régulièrement le centre de Lille et de temps en temps la Grand’ Place. Bien que sa dernière visite remonte à un peu plus d’un an, il ne se souvient pas avoir ressenti une gêne à cette occasion. Selon moi, l’espace public doit être aménagé de manière à favoriser certaines utilisations. Les matériaux utilisés pour le sol, peuvent, par exemple, indiquer des directions, des cheminements, des usages. Je pense notamment à l’aménagement des espaces piétons des Champs Elysées par Bernard Huet, qui différencie deux espaces sur les larges trottoirs: le
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Rem Koolhaas, Junkspace, Editions Payot et Rivages, collection Manuels Payot, traduction française, Paris, 2011, p.82
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traitement aux abords des vitrines des magasins, espace de flânerie et de terrasses de cafés, n’est pas le même que celui proche de la rue, dédié aux circulations plus « rapides ». Les matériaux peuvent également être utilisés pour indiquer un parcours, pour servir de guide. A Boston, la « freedom trail », ligne en brique insérée dans le trottoir, guide les touristes pour un parcours historique dans la ville. Dans le film Ben X, lors des plans tournés dans la ville, on distingue clairement que Ben suit les joints du pavement au sol, tel un fil conducteur. On le voit également suivre la bordure qui sépare l’espace piéton des pieds d’immeubles, aménagée avec un pavement plus sombre. De même pour les plaques en métal (bouches d’eau ou de gaz), dont il suit l’alignement. Lorsqu’on le voit traverser la rue, on peut également repérer qu’il place ses pieds sur les bandes blanches du passage piéton, qui lui servent de repères pour avancer. « Quand je marchais, y compris dans la rue, je gardais toujours la tête baissée et regardais bouger mes pieds. Souvent je heurtais quelque chose et je m’arrêtais. » 87
70 Le traitement du sol est donc une donnée importante à prendre en compte dans l’aménagement des lieux urbains, pour les personnes avec autisme comme pour chacun de nous. Ainsi, une définition claire des structures urbaines, dans leurs limites et leurs usages, favorise et facilite leur appréhension et leur utilisation.
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Daniel Tammet, Op. Cit., p.116
Importance du traitement du sol La plaque métallique Tiré du film Ben X A 8min02s, 34min27s et 55min50s
Importance du traitement du sol La bordure Tiré du film Ben X A 8min07s
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Importance du traitement du sol Le passage piéton Tiré du film Ben X A 35min12s
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Homogénéité et diversité / Forme et fonction
L’autisme se caractérise par une grande difficulté à gérer un trop grand nombre d’informations sensorielles. De plus, la personne avec autisme ne réfléchit pas en mots mais en images. Plus particulièrement, les personnes atteintes du syndrome d’Asperger développent une pensée logique et visuelle. Ainsi, ces caractéristiques m’amènent à me questionner sur l’esthétique et l’image de la ville contemporaine.
La ville régulée et homogène Les grands projets urbains des XVIIIe et XIXe siècles, et notamment le Paris Haussmannien abordé précédemment, ont la particularité de donner à une ville un caractère unique. Tous les bâtiments et aménagements urbains sont soumis à des règles esthétiques et de gabarits afin d’unifier et de réguler l’image de la ville. Ainsi, pour reprendre l’exemple de Paris, peu importe où l’on soit, on retrouve les mêmes caractéristiques du paysage urbain : mobilier, fontaines, plaques d’égout, ordonnancement et alignement des façades (matériaux, balcons, corniches, pentes de toitures, etc.). Cette unification créé un paysage reconnaissable, que l’on ne peut attribuer qu’à la ville de Paris. Cependant, par cette unification globale, il peut être difficile de se repérer au sein de la ville, par manque de différenciation des édifices les uns par rapport aux autres. Cette uniformisation est tout de même nuancée par la présence d’altérations (bâtiments remarquables, monuments, détails de façade, …) qui permettent la différenciation. Ce trait de la ville homogène a été repris lors de la reconstruction d’après-guerre, dans des villes telles qu’Orléans, Maubeuge ou Le Havre que nous avons citées précédemment. « La nécessité d’harmoniser les divers éléments architecturaux des villes fait partie des préoccupations du commissaire à la Reconstruction immobilière » pour lutter « contre la laideur envahissante du chaos, de la disparate. » 88
L’uniformité peut favoriser la perte de repères. Il est donc nécessaire pour nous de trouver des altérations dans la ville qui nous permettent de nous repérer et de nous situer.
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André Leconte (1941), cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.29
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Les personnes atteintes d’autisme sont en mesure de reconnaitre une situation dès lors que des détails rattachés à celle-ci sont présents. Le test de la tâche de Navon exprime bien cette spécificité. Alors qu’une personne ordinaire percevra en premier lieu le « H », formé par les petits « s », la personne avec autisme va percevoir les petits « s » sans apercevoir le « H ».
Une anecdote racontée par la maman de Louise lors de notre entretien illustre bien cette particularité. Louise et sa famille vivent dans un lotissement résidentiel, milieu qui favorise la perte de repères par la grande homogénéité globale du bâti qui le compose, bien qu’ici, les maisons ne soient pas exactement construites sur le même modèle. « Maman de Louise : C’est un lotissement, les maisons sont différentes, mais moi j’ai des amis qui sont déjà venus dix fois et qui ne retrouvent pas ma maison … Alors qu’elle […] dès qu’on est arrivés, elle a repéré, elle ne s’est jamais perdue, elle ne s’est jamais trompée de maison… » 89
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Ainsi, Louise repère sûrement les petites particularités qui font la différence entre les maisons, chose qu’une personne non autiste n’arrive pas à faire, ou du moins pas de manière instantanée. L’homogénéité et le Mouvement Moderne : naissance du « générique » ? La reconstruction et la généralisation des grands ensembles font appel à une industrialisation de l’architecture, pour satisfaire des données temporelles et économiques. Ainsi, l’industrialisation du bâtiment va engendrer une homogénéité à plusieurs échelles : dans la répétition d’un même modèle d’immeuble, sur un même site ou non, et dans les éléments constitutifs de celui-ci. La normalisation et la répétition des mêmes éléments fait appel, pour les modernistes, à l’unité que présentent certaines villes. Cette sorte de simplicité apporte alors une certaine évidence dans la composition du bâti, qui permet sa lecture et sa compréhension. 89
Entretien avec Louise et sa maman, annexes
Homogénéité du bâti Haussmannien Boulevard Haussmann Paris
Homogénéité et industrialisation de l’architecture Nancy Bernard Zehrfuss
1962
Homogénéité horizontale et « industrialisation de l’urbanisme » Projet pour le centre de Francfort Georges Candilis, Alexis Josic et Shadrach Woods
1963
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« Nous pensons que la beauté de certaines villes ou villages anciens que nous aimons est due à leur profonde unité, à la répétition des mêmes éléments, des mêmes formes, des mêmes « manières de faire » : à une sorte de Normalisation naturelle. » 90
Les architectes travaillant sur des projets de plus en plus importants re-questionnent leur statut et se considèrent alors plus comme des industriels que comme des artisans. Jacques-Henri Labourdette déclare alors que les architectes ont « […] comme objectif de travailler non seulement sur l’ensemble du territoire français, mais encore – et c’est bien là le but d’industriels – d’exporter au-delà de nos frontières. » 91 L’architecture devient à ce moment-là un produit, que l’on peut implanter dans n’importe quel environnement. Ainsi, on peut penser que l’industrialisation de l’architecture ouvre les portes de la « Ville Générique » 92.
L’homogénéité horizontale 76
Face au modernisme et à l’apparition des grands ensembles qui se développent de manière verticale, en utilisant une emprise au sol minimale, apparait un courant qui privilégie les « nappes » horizontales. L’architecture qui s’en dégage est qualifiée de « proliférante ». Cette architecture est basée sur une trame régulière, à l’intérieur de laquelle viennent s’implanter des programmes divers. Ce courant peut être illustré avec le projet de Georges Candilis, Alexis Josic et Shadrach Woods pour l’aménagement du centre de Francfort en 1963. « Il faut loger une telle diversité d’activités que, si chacune devait être considérée séparément, le résultat serait chaotique. Il faut faire de ces divers éléments un seul, un organisme unique, contenant et desservant différentes
90
André Hermant (1943), cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.32 Jacques-Henri Labourdette (1967), cité dans : Jacques Lucan, Ibidem, p.75 92 La « ville Générique », terme utilisé par Rem Koolhaas pour désigner les villes construites de toutes pièces, sans histoire, sans structure, sans relation au contexte. 91
fonctions, tout en gardant une échelle valable, et pour le site et pour les utilisateurs. » 93
L’uniformisation d’un ensemble tel que celui-ci ne favorise pas le repérage, puisque l’ensemble des programmes, aussi divers soient-ils, est unifié. La maquette du projet traduit bien ce concept : on peut y voir une « nappe », percée de manière non uniforme, de laquelle aucun élément ne dépasse. Celle-ci vient s’insérer dans les espaces libres du tissu existant. Alors que les modernistes parlent d’architecture industrielle, Georges Candilis attend de ce modèle une « industrialisation de l’urbanisme » 94. Dans cette optique, il imagine une mégastructure, capable de recevoir différentes fonctions susceptibles d’évoluer dans le temps. On peut alors également y voir une certaine immuabilité. La ville hétérogène et l’ « architecture-sculpture » Alors que les mouvances précédentes, bien que différentes, cherchaient une homogénéité du bâti (en passant notamment par l’industrialisation et la réalisation en série), certains architectes, au contraire, se dirigent vers une architecture singulière, développant des formes architecturales en adéquation avec la fonction du bâtiment. Ainsi, la forme du bâtiment doit se révéler « utile ». « Lorsque […] nous parlons de Formes Utiles, nous ne pensons pas seulement à l’utilité de l’objet, c’est-à-dire à la correspondance de tout ce qui caractérise et révèle cet objet à nos sens avec les aspirations de l’esprit, en un lieu et en son temps. » 95
Le début des années 1960 voit apparaitre des architectures-sculptures, jouant avec les formes et les matières. Artistes et architectes collaborent de plus en plus afin de créer des ensembles uniques, sculptures et fresques venant régulièrement accompagner les bâtiments. L’architecture devient alors elle-même une œuvre, fruit d’un artiste-architecte et elle peut faire l’objet d’interprétations. L’architecture est alors considérée comme « un art individualiste ».
93 Georges Candilis, Alexis Josic et Shadrach Woods (1963), cités dans : Jacques Lucan, Architecture en France (19402000), Op. Cit., p.145 94 Georges Candilis (1969), cité dans : Jacques Lucan, Ibidem, p.147 95 André Hermant (1959), cité dans : Jacques Lucan, Ibidem, p.93
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Architecture sculpture Logements Paris Roger Anger et Pierre Puccinelli 1960
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Architecture sculpture Ensemble de logements Angers Vladimir Kalouguine 1976
La ville de l’âge III Quartier Massena, ZAC Paris Rive Gauche Paris Christian de Portzamparc 2010
« La sculpture-architecture peut être une pépinière de formes nouvelles. Elle permettra le développement d’un art individualiste, une œuvre faite par un seul, face à l’autre pôle de l’architecture, totalement industrialisé. » 96
Georges Candilis va critiquer cette tendance en disant qu’une telle architecture ne peut pas convenir à une société en évolution, car ces « œuvres » sont statiques. Cette expression exacerbée de l’architecture est rattachée selon Jacques Lucan à la dernière expression d’un « esprit Beaux-Arts, pour lequel la recherche du « parti » est le guide et le but du projet, l’image produite devant « représenter » le programme et être immédiatement compréhensible » 97. Il conclut que l’architecture française des années 1960-1970 réside dans des recherches formelles, fruits d’architectes qui cherchent à être les plus originaux possible. Ces architectures « séduisent trop souvent des commanditaires publics ou privés avides de spectaculaire » 98. Cette conclusion faite par Jacques Lucan sur la période des années 1960-1970 pourrait être celle de l’architecture actuelle : nous assistons aujourd’hui au renouveau de cette architecturesculpture. Rem Koolhaas traduit cette tendance à l’individualisation de l’architecture par la disparition des détails qui formaient l’homogénéité d’un ensemble urbain. « Jadis, le travail des détails contribuait à la réunion, peut-être perpétuelle, d’éléments disparates, il opère désormais un assemblage transitoire, attendant d’être défait, dévissé, une union temporaire avec une forte probabilité de séparation ; on ne voit plus la rencontre orchestrée de la différence, mais la fin abrupte d’un système, un point mort. » 99 « Alors que des millénaires entiers ont œuvré en faveur de la permanence, des symétries, des relations et de la proportion, le programme du junkspace est l’escalade. » 100
96
Michel Ragon (1963), cité dans : Jacques Lucan, Ibidem, p.121 Jacques Lucan, Ibidem, p.207 98 Ibidem, p.211 99 Rem Koolhaas, Op. Cit., p.90 100 Ibidem 97
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La tendance contemporaine est à la différenciation, à l’originalité, parfois sans rapport avec le milieu bâti dans lequel « l’objet architectural » s’implante. Le concept de la « ville de l’âge III » de Christian de Portzamparc, assume cet aspect, dont la variété est la marque de fabrique. La « ville de l’âge III » a développé une nouvelle typologie de bâtiments que l’on appelle « plots », hybride entre la tour et la barre des années 1940-1960. Ce type d’urbanisme crée un maillage dense de bâtiments individuels, chacun étant confié à un architecte différent. Chaque architecte voulant se démarquer des autres, rivalise de créativité dans l’expression de son bâtiment, tant au niveau des formes, des matériaux, des couleurs que des motifs ornementaux. Cette diversité voulue et assumée, crée ce que certains appellent une « collection d’architectures », comme des objets d’art posés les uns à côté des autres. Il est alors difficile de trouver une unité dans cet ensemble disparate, qui génère une multitude d’informations différentes. Ce type d’ensemble n’est pas un phénomène isolé, on peut ainsi retrouver cet urbanisme dans d’autres villes françaises ou européennes. « L’architecture d’aujourd’hui, dit-il, est devenue du design, ce que démontrent les revues d’architecture qui ne publient plus que des formes spectaculaires – des formes qui ont été conçues et construites pour être photographiées. » 101
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Au-delà de la question de l’identité locale, ces bâtiments posent le problème de la relation entre eux. Il n’est pas rare d’entendre parler de « bâtiments autistes » 102, terme utilisé grossièrement selon moi, sans connaissance de la complexité de ce handicap, mais qui révèle bien l’incapacité de ceux-ci à dialoguer pour former un ensemble cohérent. Le schéma qui donnait de l’importance à l’ensemble bâti au-delà de chaque construction, que l’on trouvait par exemple dans le Paris Haussmannien, se retrouve aujourd’hui inversé. La cohérence d’ensemble que l’on trouve dans la ZAC de Bercy avec ses lignes horizontales filantes est totalement perdue dans la ZAC Massena et les autres ZAC contemporaines. L’exemple des villes nouvelles, et notamment de Villeneuve d’Ascq, représente aussi ce phénomène d’architecture individualiste à la recherche de formes nouvelles. Voulant pallier la mauvaise image des « grands ensembles », ces villes ont cherché des nouvelles formes d’habitat, 101
Massimiliano Fuksas (1996), cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.341 Vittorio Magnago Lampugnani, Des gestes vides de sens, revue L’Architecture d’Aujourd’hui, mars/avril 2012, n°388, p.65 102
accumulant les opérations de taille et d’esthétique diverses. Ces opérations ont fait l’objet de nombreuses critiques, reprochant l’accumulation de bâtiments qui ne font que se côtoyer, sans créer de véritables ensembles urbains. « La complexité peut être source de stress si elle n’est pas harmonieuse. […] Si un bâtiment ou un ensemble de bâtiments est conçu d’une manière simple et évidente, cela demandera moins d’efforts à la personne pour l’utiliser et se sentir bien. […] Un bâtiment conçu avec un sens de clarté et d’ordre a un effet apaisant chez l’utilisateur, qu’il soit autiste ou non. » 103
La ville hétérogène : quand l’exceptionnel devient banal Les bâtiments singuliers se détachant du reste de la ville, tant au niveau de l’implantation, du gabarit que de la forme, étaient autrefois réservés à des fonctions bien spécifiques. On distinguait alors le bâti « de base » (habitat) du bâti « spécialisé » (institutionnel, religieux, …). Ce dernier servait de point de repère dans la ville. Avec cette course à l’originalité, la ville voit se multiplier ces points de repère qui n’en sont pas, si bien que finalement, on ne repère plus rien. Bernard Huet prône un retour à une position significative des équipements au sein de la ville pour que celle-ci retrouve « un ordre lisible et repérable » 104. « On se rend compte aujourd’hui que la ville n’a aucun sens sans la forte présence des institutions et de leur représentation symbolique qui, quoi qu’on pense, doivent emprunter des atours de la monumentalité pour acquérir une « visibilité » et retrouver une « lisibilité » urbaine. » 105
Gilles Tréhin, dans sa vue générale d’Urville, montre bien l’importance de ces bâtiments pour le repérage. En effet, on peut observer que les bâtiments « spécialisés » se démarquent par leur implantation générale dans la trame de la ville et par leur forme particulière. De plus, Gilles Tréhin a dessiné ces éléments de manière plus prononcée que le reste du tissu (Cf. vue générale
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Simon Humphreys, « Architecture et autisme », Link Autisme-Europe, n°55, Juin 2011, p. 9 Bernard Huet (1976), cité dans : Jacques Lucan, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Op. Cit., p.30 105 Bernard Huet (1990), cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.308 104
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d’Urville p.52-53). Cette particularité m’amène à penser que pour lui, ces éléments sont importants dans la ville pour le repérage et l’orientation. Cependant, un des quartiers d’Urville ne répond pas à ces critères. Le quartier des affaires, construit sur le modèle des grandes villes américaines, est basé sur une grille orthogonale qui vient recevoir des gratte-ciels, tous différents les uns des autres. Ainsi, on peut se demander si la diversité présente dans ce quartier peut être assimilée à la diversité présente dans la « ville de l’âge III » de Christian de Portzamparc. Selon moi, l’échelle de la diversité n’étant pas la même, elle n’apporte pas la même chose. Ici, la diversité de chaque bâtiment permet un réel repérage dans l’espace, dans la trame des rues quadrillées. Cette particularité de repérage est aussi valable car ce type d’urbanisme n’est présent que sur ce quartier en particulier. S’il avait dominé toute la ville, cette notion d’orientation aurait été moins forte. Ici, le quartier en lui-même constitue un point de repère à l’échelle urbaine. Jules, lorsque je lui ai demandé de me décrire l’un de ses trajets habituels, a utilisé des bâtiments remarquables comme points de repères de son parcours : « Eh bien … Pour aller me promener par exemple autour des lacs de Villeneuve d’Ascq, eh bien je prends direction Lys-lez-Lannoy, Hem, ensuite je prends la sortie Cousinerie et je me stationne au parking qui mène au lac du Héron. Je prends la direction du parc, je passe sous la bretelle autoroutière qui mène jusqu’au château de Flers, ensuite je reviens sur mes pas, je traverse à proximité du stade, et je passe par le parc du Héron et … ça fait 3h de promenade, deux fois par semaine. » 106
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Vittorio Magnago Lampugnani 107 dénonce les « sculptures architecturales contemporaines ». Il remarque que les architectes renommés sont appelés à construire dans tous les nouveaux quartiers de grandes villes, en compétition les unes avec les autres, cherchant à donner une image jeune et dynamique pour attirer de plus en plus de monde. Ainsi, il est demandé à ces architectes de « faire comme à tel endroit », et ils ne font donc que répéter un même langage formel dans tous leurs projets. Ainsi, paradoxalement, le besoin de différence revient à créer de l’uniformité. V. M. Lampugnani rejoint ici le discours de Rem Koolhaas sur la « Ville Générique ».
106 107
Entretien avec Jules et sa maman, annexes Vittorio Magnago Lampugnani, Op. Cit., p.62-69
Bâti spécialisé Académie des sciences naturelles Urville Gilles Tréhin
Bâti spécialisé Centre International d’Etudes et Recherches Urville Gilles Tréhin
Le quartier des affaires comme repère à l’échelle urbaine Bâti spécialisé Institut René Descartes Urville Gilles Tréhin
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Grands Projets et dématérialisation Tour sans fins Paris Jean Nouvel et Jean-Marc Ibos 1989
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Dématérialisation et perte de repères CETI Zone de l’Union Tourcoing / Roubaix / Wattrelos Saison Menu Architectes 2012
Transparence et facilité de lecture Grande Bibliothèque Nationale Montréal (Québec, Canada) Patkau Architects
« Mais l’infinie variété de la Ville Générique n’est pas loin, c’est le moins que l’on puisse dire, de rende la variété normale, banalisée ; contre toute attente, c’est la répétition qui est devenue inhabituelle et, partant, potentiellement audacieuse et passionnante. » 108
Enveloppe et dématérialisation Ces architectures renferment également de plus en plus de programmes différents. Il n’est pas rare aujourd’hui qu’un seul et même bâtiment contienne des commerces, des bureaux, des logements ou encore une crèche. Dans l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme, on ne trouve presque aucun « modèle », aucun antécédent de bâtiment alliant tous ces programmes. Il n’existe pas d’écriture de la complexité programmatique. Ainsi, la lisibilité du bâti dans sa fonction et dans son organisation est de moins en moins évidente. Les enveloppes, les peaux et autres systèmes de façades viennent souvent unifier ces ensembles bâtis complexes. « Il crée une enveloppe « furtive » autour de l’architecture, qui le rend irrésistible, comme le cadeau de Noël d’une institution de bienfaisance. » 109
Les grands concours lancés dans les années 1990 voient apparaitre des réponses pour lesquelles le travail de l’enveloppe avec des matériaux légers est privilégié. Deux thèmes apparaissent alors : la transparence et l’immatérialité 110. L’architecture contemporaine continue d’exploiter ces thèmes : elle utilise beaucoup le verre et de plus en plus le métal réfléchissant, que ce soit en façade ou pour l’intérieur des bâtiments. Cependant, ces matériaux, dits dématérialisant, brouillent les limites, les effacent, ce qui rend l’espace difficile à percevoir et à lire. Cette difficulté de perception est accentuée chez la personne avec autisme. Cependant une certaine transparence peut être acceptée si elle permet de lire un bâtiment, son organisation, ses circulations verticales, etc. Elle peut donc être utilisée dans les bâtiments publics pour une meilleure appréhension des lieux. Par exemple, dans un reportage de l’émission « découverte » de Radio Canada, consacrée à l’autisme, Hugo Lamoureux, autiste de 108
Rem Koolhaas, Op. cit., p.72 Ibidem 110 Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.312 109
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haut niveau, parle de l’atrium de la nouvelle bibliothèque nationale de Montréal. Celui-ci, entièrement vitré et transparent, donne à voir l’épaisseur des planchers des étages, les escaliers et les ascenseurs, également vitrés. Dans ce cas, la transparence permet une meilleure lecture d’un bâtiment à l’organisation complexe et permet donc une utilisation plus aisée de celui-ci.
« Les langages de la ville » A la fin des années 1960, Henri Ciriani, Borja Huidobro et Michel Corajoud développent un projet pour le quartier de l’Arlequin à Grenoble. Ils développent un langage graphique pour séquencer la « rue » piétonne qui dessert le quartier. S’inspirant de l’ouvrage The image of the city de Kevin Lynch, ils ont recours à un graphisme tiré de la signalétique et de la publicité, intégré à l’architecture, afin d’animer les lieux et de transmettre des informations. Ils se qualifient alors d’« architectes urbains » 111.
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Patrick Berger, dans les années 1990, refuse ce qu’il appelle une « architectureenseigne » 112. Il ne cherche pas pour autant à se fondre dans le paysage par mimétisme du passé, mais recherche une certaine continuité, excluant toute rupture. Face à une grande hétérogénéité, la ville contemporaine se voit dotée de plus en plus d’enseignes, de panneaux directionnels et informatifs ajoutés, car la forme de l’architecture et des espaces urbains n’explicitent plus leur fonction ou elle n’est plus clairement lisible. La logique de réhabilitation et de conversion de l’usage de bâtiments anciens, que l’on a abordée précédemment, participe également à cette confusion. « 1.5 […] jusqu’à la transformation systématique de logements en bureaux, d’ateliers en lofts, d’églises abandonnées en boites de nuit, depuis les faillites en série de magasins qui rouvrent ensuite dans des zones commerciales de plus en plus chères, jusqu’à la conversion implacable de l’espace utilitaire et espace « public », en passant par la piétonisation, la création de nouveaux parcs […] toute authenticité est implacablement évacuée. » 113
111
Ibidem, p.176 Patrick Berger (1993), cité dans : Jacques Lucan, Architecture en France (1940-2000), Op. Cit., p.347 113 Rem Koolhaas, Op. cit., p.49 112
Signalétique urbaine Séquences de la « rue » du quartier de l’Arlequin Grenoble Henri Ciriani 1970
87 La variété tempérée de Lyon Confluence 2 Herzog et de Meuron 2009
Signalétique urbaine Le crucifix Tiré du film Ben X A 8min30s et 55min54s
Signalétique urbaine Le « bonhomme vert » Tiré du film Ben X A 35min05s
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Absence de signalisation routière et urbaine Faculté de la Vaillène Urville Gilles Tréhin
Face à la ville contemporaine, chargée d’informations, de signes et de signaux, Herzog et de Meuron proposent une « ville variée » pour la conception urbaine de Lyon Confluence 2. Ce nouveau modèle de ville est proche de la conception de la « ville de l’âge III » de Christian de Portzamparc et de l’urbanisme de macro-lots, à la différence que la diversité recherchée ici est « tempérée ». En effet, une homogénéité des matériaux et des couleurs est visée, à l’exception des bâtiments les plus hauts ou exceptionnels, qui viennent ponctuer le quartier. La ville nécessite tout de même la présence de certains signaux qui nous aident au quotidien, l’architecture seule ne pouvant répondre à tous nos besoins d’information et d’orientation. Dans le film Ben X, on peut relever que Ben attend que le « bonhomme » soit vert avant de commencer à traverser. Cette image associée à la couleur verte lui indique qu’il est autorisé à traverser, et les lignes blanches du passage piéton lui indiquent l’endroit où il peut le faire. Lors de notre entretien, Louise a également évoqué ce code, qui l’aide à se déplacer : « Louise : On traverse au feu vert, quand il est vert. […] Je traverse sur le même passage piéton. » 114
Ainsi, le développement d’un langage commun sous la forme de pictogrammes et de codes dans la ville facilite notre orientation et notre information au quotidien : la croix verte de la pharmacie, le « M » des stations de métro, le losange rouge des bureaux de tabac, les panneaux et la signalétique routière, etc. De plus, dans Ben X, lors du trajet de Ben filmé à plusieurs reprises et à des moments différents du film, on remarque la répétition de plans similaires de bâtiments, de détails présents dans l’espace public. Ainsi, on peut relever le crucifix de l’église, qui, grâce à sa permanence, lui sert de points de repère pour effectuer le parcours de son domicile jusqu’à son établissement scolaire. Cependant, Gilles Tréhin, dans ses représentations d’Urville, ne dessine aucune signalisation routière (ni panneaux, ni feux tricolores, ni passages piétons), aucune enseigne de magasin, aucun panneau publicitaire et très peu de signalétique urbaine. On ne retrouve que quelques noms sur certains bâtiments 115 et quelques panneaux portant le nom des stations, au114 115
Entretien avec Louise et sa maman, annexes Gilles Tréhin, Op. Cit., p. 48 ; 49 ; 51 ; 54 ; 67 ; 69 ; 73 ; 114 ; 152 ; 163
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dessus des bouches de métro. De plus, comme nous l’avons vu précédemment, seul le bâti spécialisé se démarque dans le paysage urbain d’Urville, l’architecture exprimant parfois la fonction de celui-ci. Urville est donc une ville « pauvre » en informations « ajoutées ». On peut cependant se demander si ce « manque » est dû à l’échelle du dessin et à l’angle du vue utilisés, qui ne permettent pas l’ajout de ces détails, ou si Gilles Tréhin ne les considère pas comme des éléments essentiels pour circuler dans la ville. Cette deuxième hypothèse est probable : Louise présenterait également cette particularité. Lors d’un séjour en vacances avec sa famille, dans un lieu où elle n’était jamais allée, elle a réussi à retrouver une route qu’elle n’avait faite qu’une seule fois auparavant. Je lui ai alors demandé comment elle avait fait pour se repérer. Après m’avoir répondu qu’elle avait regardé les panneaux directionnels, sa maman est intervenue pour rectifier cette réponse : il n’y en avait apparemment pas sur cette route.
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«Maman de Louise : […] Je pense qu’elle a du mal à verbaliser ce qu’elle repère, je pense qu’elle repère des choses, ça peut être une maison, une barrière … Parce que là c’était vraiment la campagne … Donc c’était des maisons très isolées avec … Je ne sais pas sur quoi elle s’est repérée mais il n’y avait aucun panneau … Mais un moment il fallait tourner pour rejoindre le centre d’Honfleur, et elle a tourné, donc elle ne s’est pas trompée, nous on aurait eu tendance à aller tout droit … […] y’avait pas de panneaux […] … je pense qu’elle, mais ça c’est mon analyse, je pense qu’elle se repère aux bâtiments, aux choses qui sont … -
Aux choses différentes qui font qu’elle repère …
Maman de Louise : Oui, elle a une très forte mémoire […] des endroits où on passe. Elle repère la route : il suffit de le faire une fois et elle a repéré. Mais elle ne repère pas … Je me permets Louise, excuse-moi, ce que tu dis c’est pas forcément vrai, je ne dis pas que c’est pas vrai, mais […] elle ne se repère pas aux … -
Aux panneaux directionnels ?
Maman de Louise : Oui. Elle va se repérer à un clocher, à un bâtiment... Mais par contre elle va s’en souvenir. » 116
L’architecture a donc une fonction de repère dans la ville, mais elle n’a pas besoin pour autant de se démarquer de manière ostentatoire. Une trop grande homogénéité tout comme une trop grande diversité ne favorisent pas le repérage et l’orientation. Ce sont donc les petits détails et les codes urbains qui nous permettent d’évoluer et de comprendre l’espace de la ville.
91
116
Entretien avec Louise et sa maman, annexes
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Conclusion
Après avoir observé l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme du XXe siècle à nos jours au regard de critères nécessaires à l’environnement architectural des personnes avec autisme, nous pouvons en tirer quelques conclusions. Nous avons pu remarquer qu’au cours de l’histoire, les notions de permanence, de contenance et d’esthétique de la ville ont été maintes fois abordées et questionnées. Lorsque de nouvelles tentatives se sont éloignées de ces critères de base, ou en ont proposé des interprétations différentes, des débats ont rapidement pris place. Cela montre bien que ces questions sont intimement liées à la qualité de l’espace urbain. Nous avons pu constater que certaines tendances architecturales et urbaines actuelles ne vont pas dans le sens de ces critères. La création d’espaces publics anonymes et polyvalents, les « collections » d’ « architectures-sculptures », les tendances à l’individuation sont autant de pratiques à re-questionner aujourd’hui. Les critères de conception de l’environnement architectural des personnes avec autisme sont donc valables à l’échelle urbaine, afin de penser la ville pour tous. Ils m’ont permis de me questionner plus largement sur la complexité, le « générique » et la lisibilité de la ville contemporaine. Il me semble intéressant d’observer plus précisément la mobilité au sein de la ville et du territoire ainsi que les repères que forment leurs infrastructures. Ces éléments, non présents à l’échelle architecturale, se sont révélés importants au travers du corpus. Comme nous l’avons vu, la ville contemporaine ne peut se passer de ses moyens de transports, et l’avenir nous apportera sûrement de nouvelles manières de nous déplacer. Ces dernières auront des conséquences sur nos façons d’habiter ainsi que sur les lieux urbains. Pour les trois personnes que j’ai pu interroger, dont l’autisme s’exprime différemment, ces transports sont les garants de leur autonomie et de leur inclusion sociale. A la suite des entretiens que j’ai effectués, je remarque cependant quelques différences entre les critères de l’échelle architecturale et la pratique de la ville des personnes interrogées. Il en est ainsi, par exemple, des espaces urbains de grande dimension. Stephan Courteix, dans son rapport de recherche, préconise de garder une certaine contenance pour les espaces extérieurs.
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Pour ce qui est des espaces ouverts, il recommande de trouver des espaces de pause, plus contenants, au sein de ceux-ci 117. Jules et Pierre n’ont pas témoigné de gêne spécifique au contact de ces espaces (comme la Grand’ Place de Lille par exemple). J’ai pu faire la même remarque en ce qui concerne la sensibilité aux matériaux et aux couleurs. Stephan Courteix conseille de limiter les matériaux dématérialisant 118 et les stimulations visuelles trop nombreuses. Une fois de plus, Jules et Pierre n’ont pas témoigné de sensibilité accrue à certains matériaux, dématérialisant ou non, à certaines textures ou encore à certaines couleurs. Ces observations sont à nuancer. En effet, les personnes avec autisme présentent une difficulté à communiquer leurs ressentis et émotions. J’ai pu le constater lors de mon entretien avec Louise. Lors de cette rencontre, c’est principalement sa maman qui m’a répondu, Louise n’étant pas toujours capable de développer ses réponses. Jules et Pierre sont des adultes présentant un syndrome d’Asperger, développant un autisme moins sévère que la moyenne et montrant une grande autonomie. La moindre sévérité de leurs troubles leur a permis de me répondre plus précisément, mais je ne peux généraliser leurs réponses pour l’ensemble des personnes avec autisme. 94
Afin de pouvoir apporter des conclusions précises sur la relation entre le public avec autisme et l’environnement urbain, il faudrait interroger un panel plus large de personnes, et pouvoir faire des observations « in situ », en les accompagnant lors d’un parcours dans la ville. C’est pourquoi, je considère ce mémoire d’initiation à la recherche comme étant la base d’un travail beaucoup plus important, qu’il est selon moi nécessaire de mener aujourd’hui afin de faire de la « ville intense », une ville pour tous.
117 118
Stephan Courteix, Op. Cit, p.21 Ibidem, p.16
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Lexique des acronymes
ANESM : Agence Nationale de l’Evaluation de la qualité des établissements et Services sociaux et Médico-sociaux CCNE : Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé CFHE : Conseil Français des personnes Handicapées pour les questions Européennes CRA : Centre Ressources Autismes CRAM : Caisse Régionale d’Assurance Maladie IGAS : Inspection Générale des Affaires Sociales INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Économiques ISRAA : Innover Sensibiliser Réagir pour l'Avenir de l'Autisme LMCU : Lille Métropole Communauté Urbaine PLU : Plan Local d’Urbanisme POS : Plan d’Occupation des Sols S.S : Secteur Sauvegardé ZAC : Zone d’Aménagement Concerté ZPPAUP : Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et du Paysage
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BALTHAZAR Nic, Ben X, Film, couleur, Belgique, 2007, durée 90min env. TAMMET Daniel, Je suis né un jour bleu, éditions des Arènes, collection « j’ai lu », traduit de l’anglais par Nils C. AHL, 2007, 288 pages TREHIN Gilles, Urville – Entre émotion Et fascination Cité imaginaire Ou rêve visionnaire …, Editions Carnot, Chatou, 2004, 189 pages Entretiens avec : Jules et sa maman, Pierre et Louise et sa maman, 2013, annexes
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Sources Iconographiques 1ère DE COUVERTURE -
Prise de vue de : BALTHAZAR Nic, Ben X, Film, couleur, Belgique, 2007, durée 90min env., à 7min50s, 34min57s et 55min28s
PAGE 29 -
Première de couverture du livre : TREHIN Gilles, Urville – Entre émotion Et fascination Cité imaginaire Ou rêve visionnaire …, Editions Carnot, Chatou, 2004, 189 pages Première de couverture du livre : TAMMET Daniel, Je suis né un jour bleu, éditions des Arènes, collection « j’ai lu », traduit de l’anglais par Nils C. AHL, 2007, 288 pages
PAGE 30 -
Affiche du film : BALTHAZAR Nic, Ben X, Film, couleur, Belgique, 2007, durée 90min env.
PAGE 37
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Habiter-Travailler-Circuler, Michel Holley. Figure extraite du site www.parisfrontdeseine.fr Coupe de principe du quartier de la ZAC Clichy Batignolles. Figure extraite de : atelier François Grether atelier Jacqueline Osty & associés – OGIP, cahier des orientations urbaines, architecturales et paysagères, février 2012, p.31 Photographie du recouvrement des voies ferrées, ZAC Paris Rive-Gauche, crédits FC, 2009, extraite du site www.pss-archi.eu
PAGE 38 -
« Place de Tipasa », Gilles Tréhin, Op. Cit., p.141 « Palais du destrier et butte de Jars », Gilles Tréhin, Op. Cit., p.161 « Place du Buis », Gilles Tréhin, Op. Cit., p.167
PAGE 41 -
Le V’Lille, photographie extraite du site www.keolis.com Prise de vue de : BALTHAZAR Nic, Op. Cit, à 10min20s Prise de vue de : BALTHAZAR Nic, Op. Cit, à 10min55s
PAGE 47 -
Reconstruction de Gien par André Laborie. Photographie extraite de : LUCAN Jacques, Architecture en France (1940-2000), Histoire et théories, éditions le moniteur, collection architextes, Paris, 2001, p.21 Plan voisin de Le Corbusier. Crédits FLC/ADAGP Photographies extraites du site www.fondationlecorbusier.fr
PAGE 48 -
Maison Barbel, avant les travaux de restauration en 1970. Ministère des Affaires culturelles, 1970. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Maison Barbel, après les travaux de restauration. Crédits Jean-Pierre Lavoie, 2009, Musée de la civilisation, Québec. Elévation de la place Royale côté EST avant et après les rénovations. Figure extraite du cours de lecture du milieu bâti, Gian Piero Moretti, Université LAVAL, Québec.
PAGE 52-53 -
Vue générale d’Urville, Gilles Tréhin, Op. Cit, p.188-189
PAGE 57 -
103 Prise de vue de : BALTHAZAR Nic, Op. Cit, à 7min50s, 34min57s et 55min28s Prise de vue de : BALTHAZAR Nic, Op. Cit, à 7min51s et 34min15s Prise de vue de : BALTHAZAR Nic, Op. Cit, à 8min08s, 34min48s et 55min31s
PAGE 58 -
Ilots Haussmanniens, prise de vue Google Earth Ilots Cerda, prise de vue Google Earth L’avenue Foch, le Havre, pendant la reconstruction des années 50. Photographie extraite du site imagesduhavre.wordpress.com
PAGE 61 -
Schémas de l’ordre ouvert, Le Corbusier, 1941. Figures extraites de : LUCAN Jacques, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, éditions de La Villette, Paris, 2012, p.18 L’implantation des bâtis à usage d’habitation, Robert Auzelle, 1950. Figures extraites de : LUCAN Jacques, Architecture en France (1940-2000), Histoire et théories, Op. Cit., p.78
PAGE 62 -
Plan de l’Espace Kiêthon, Ecologik n°11, octobre/novembre 2009, p. 114 Circulation de l’Espace Kiêthon. Crédits Bertrand Demée Schéma du concept de l’ilot ouvert et de la rue ouverte de Christian de Portzamparc. Figure extraite de : LUCAN Jacques, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixité, Op. Cit., p.45
PAGE 67 -
Centre-ville de Tourcoing. Photographies de l’auteur, 2013 « Place Alfred Tauvillesc », Gilles Tréhin, Op. Cit., p.84 « Place de la République », Gilles Tréhin, Op. Cit., p.111
PAGE 68 -
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Photographie de la Grand’ Place de Lille. Crédits Laurine.lolo via Wikimedia Commons Plan de principe du traitement de sol des Champs Élysées, Bernard Huet. Figure extraite du site www.villeet-architecture.com Prise de vue aérienne des Champs Élysées, Bernard Huet. Photographie extraite du site www.ville-etarchitecture.com
PAGE 71 -
Prise de vue de : BALTHAZAR Nic, Op. Cit, à 8min02s, 34 min27s et 55min50s Prise de vue de : BALTHAZAR Nic, Op. Cit, à 8min07s Prise de vue de : BALTHAZAR Nic, Op. Cit, à 35min12s
PAGE 75 -
Photographie du Boulevard Haussmann, Paris. Crédits Thierry Bézecourt via Wikimedia Commons Quartier du Haut-du-Lièvre, Nancy, Bernard Zehrfuss, 1956-1962. Photographie extraite de : LUCAN Jacques, Architecture en France (1940-2000), Histoire et théories, Op. Cit., p.77 Maquette du projet pour le centre de Francfort, Georges Candilis, Alexis Josic et Shadrach Woods, 1963. Photographie extraite de : LUCAN Jacques, Architecture en France (1940-2000), Histoire et théories, Op. Cit., p.145
PAGE 78 -
Immeuble rue des Pyrénées à Paris, Roger Anger et Pierre Puccinelli, 1960. Photographie extraite de : LUCAN Jacques, Architecture en France (1940-2000), Histoire et théories, Op. Cit., p.136 Ensemble de logements à Anger, Vladimir Kalouguine, 1972-1976. Photographie extraite de : LUCAN Jacques, Architecture en France (1940-2000), Histoire et théories, Op. Cit., p.125
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Photographie du quartier Massena à Paris. Crédits KLEFER
PAGE 83 -
« Académie des sciences naturelles », Gilles Tréhin, Op. Cit., p.49 « Centre international d’études et recherches scientifiques - CIERS », Gilles Tréhin, Op. Cit., p.137 « Tour An 2000 », Gilles Tréhin, Op. Cit., p.177 « Institut René Descartes », Gilles Tréhin, www.urville.com
PAGE 84 -
La Tour sans Fins, Jean Nouvel et Jean-Marc Ibos, 1989. Photographie extraite du site www.jeannouvel.com Photographie extérieure du CETI, zone de l’Union, Roubaix/Tourcoing, Saison Menu Architectes. Photographie de l’auteur Photographie de l’atrium de la Grande Bibliothèque Nationale de Montréal, Québec, Canada, Patkau + Croft Pelletier + Gilles Guité architectes. Photographie extraite du site www.patkau.ca
PAGE 87 -
Dessins des séquences de la « rue » du quartier de l’Arlequin à Grenoble, Henri Ciriani, 1970. Figure extraite de : LUCAN Jacques, Architecture en France (1940-2000), Histoire et théories, Op. Cit., p.175 Perspective d’ambiance du projet urbain de la ZAC Confluence 2, Lyon, Herzog et de Meuron, 2009. Images extraites du site www.herzogdemeuron.com
PAGE 88 -
Prise de vue de : BALTHAZAR Nic, Op. Cit, à 8min30S et 55min54s Prise de vue de : BALTHAZAR Nic, Op. Cit, à 35min05s « Faculté de la Vaillène », Gilles Tréhin, Op. Cit., p.133
4ème DE COUVERTURE -
Vue générale d’Urville, Gilles Tréhin, , Urville – Entre émotion Et fascination Cité imaginaire Ou rêve visionnaire …, Editions Carnot, Chatou, 2004, p.188-189
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Annexes
Entretien avec Jules et sa maman
Le 25/04/2013 à 16h, à leur domicile, dans le centre-ville de Wattrelos.
Vous avez votre permis de conduire c’est bien ça ? Jules : Exact Ça fait combien de temps ? 5 ans et 2 mois, depuis le 4 février 2008. Du premier coup je l’ai eu. Vous vous déplacez dans quel but ? But professionnel. Vous travaillez ou vous êtes encore en études ? Oui je bosse en tant que salarié à mi-temps à l’entreprise Chicorée Leroux à Orchies. D’accord … Et déplacements personnels pour mes activités théâtrales le mercredi, le jeudi et un samedi mensuel D’accord. Et est-ce que vous vous déplacez autrement qu’en voiture ? Oui à pieds … … à pieds ? Vous vous déplacez dans le quartier ou c’est euh … Dans le quartier aussi et je prends ma voiture pour aller autour des lacs de Villeneuve d’Ascq et je me promène D’accord ! Et est-ce que vous prenez de temps en temps les transports en commun ? Bus, métro, … Sur Paris Sur Paris oui ? Le métro, je prends le TGV pour aller à Paris de temps en temps, le train pour aller à Bruxelles … Quand j’étais collégien, lycéen je prenais le train pour aller de euh… Herseaux jusqu’à Tournai. D’accord. Donc vous voyagez quand même pas mal régulièrement ? Ca dépend les périodes de l’année. D’accord. La semaine c’est surtout pour le boulot. Pour le travail alors. Et quand vous vous déplacez, vous vous déplacez plus souvent seul ? Seul, oui. Je suis de nature solitaire. Est-ce que les trajets que vous empruntez sont toujours les mêmes ? Des fois j’essaye de changer un ptit peu. Pas toujours les mêmes. D’accord.
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Disons que quand c’est les vacances scolaires je prends l’autoroute pour aller au boulot parce que euh… y’a moins de monde, et pendant les périodes scolaires je prends les routes de campagne. Au moins y’a pas de monde. Quels sont les éléments qui vous permettent de vous repérer dans la ville ? Quand vous faites vos trajets à pieds, ou en voiture ? Est-ce que ça serait plus au niveau de bâtiments spécifiques, ou justement la signalétique routière, les panneaux, etc. ou est-ce que ça peut être euh … je ne sais pas, des enseignes de magasins … ? Ca dépend. Quand je me rends dans un endroit que j’ai jamais vu de toute ma vie, je regarde sur Google Earth, parce que des fois il y a des photos de bâtiments spécifiques dans certains quartiers, je visualise bien, je me repère au nom de la rue, et je fais un petit repérage des fois, à l’avance. D’accord. Et donc quand vous prenez votre voiture, c’est plus tout ce qui est signalétique routière … Oui, c’est ça … tout ce qui est panneaux Oui, les panneaux, et aussi un bâtiment particulier qui se trouve à proximité ou alors si c’est un bâtiment qui se trouve à proximité d’un canal, je sais que c’est le long des quais qu’il faut que j’aille. D’accord. Vous avez un exemple d’un lieu où vous vous rendez souvent et d’un bâtiment spécifique auquel vous vous repérez ? Non … Non ? Non, pas spécialement, c’est plus pour les trajets occasionnels. D’accord. Est-ce qu’il y a des endroits dans la ville où vous vous sentez particulièrement bien ? Vous citiez tout à l’heure les lacs de Villeneuve d’Ascq par exemple … Ouais, c’est pour me détendre. Pour la marche sportive. A la campagne. Et donc dans la ville ? Je ne sais pas, une rue, une place ou euh … Le centre-ville de Wattrelos, y’a pas de problème. Y’a aucun souci ? Aucun. D’accord. Me promener en ville, à Lille, pour faire des emplettes ou un peu de shopping, y’a pas de problème. D’accord. Et par exemple, la Grand Place de Lille qui a été rénovée il n’y a pas très longtemps : maintenant il n’y a plus aucune distinction entre l’espace piéton et l’espace des voitures. Est-ce que vous l’avez déjà pratiquée depuis que ces aménagements ont été faits et est-ce que ça vous gêne un peu ce … cette dimension où il n’y a plus de distinction justement entre … Difficile à dire … Maman de Jules : Tu n’y es pas allé depuis ? Moi je l’ai empruntée il n’y a pas très longtemps. C’est vrai que c’est pas évident. C’est pas évident du tout hein … Non parce qu’en fait on peut se faire renverser comme un rien. C’est ça, il n’y a plus aucune distinction ni de niveau, ni de texture au sol qui permet de se repérer, … Je ne pense pas qu’il soit… je ne sais pas si on est repassés la dernière fois qu’on est allés à Lille
Non pas du tout On l’a pas empruntée ensemble Non ? La dernière fois que je l’ai empruntée la Grand Place, ça a été pour m’acheter un manteau de cuir, fin du mois de mars 2012 D’accord. Donc ça avait pas encore … c’était pas encore en … si ça fait 1 an Non, je n’y suis pas retourné depuis cette date D’accord. 13mois. Et est-ce que vous avez par exemple une expérience qui vous revient d’un … d’une situation – donc ça peut être un moment de la journée, ou une situation bien particulière – dans laquelle vous ne vous êtes senti pas très à l’aise dans la ville ? Euh … Oui. Quand je suis allé à Bruxelles, pour assister à une séance dans un studio de doublage, il y avait eu des perturbations du trafic ferroviaire belge. Une fois arrivé à Bruxelles, du fait que mon téléphone ne passait pas sur le réseau belge, hé bien j’ai voulu utiliser ma carte de crédit pour utiliser un téléphone, mais ça ne marchait pas, et donc, plutôt que de faire demi-tour et rentrer chez moi, eh bien, j’ai pris un taxi, et hop, je me suis rendu sur place, et voilà. D’accord. Et après, tous les bons moments que j’ai passés là-bas m’ont permis d’oublier un peu ce désagrément. D’accord ! Mais j’ai bien improvisé ! J’ai dû prendre une correspondance à Mons, et … c’était un petit peu angoissant ! [à Jules] Non mais sinon la … la … au niveau de la question, par rapport à ce qui arrive, en ville, il y a quelque chose qui t’a perturbé il n’y a pas longtemps, en ville, qui t’est arrivé sur Wattrelos … Essaye de te souvenir de ce qu’il s’est passé … Et t’étais un peu perturbé pendant deux jours … Qu’est ce qui s’est passé dans la rue ? Quand tu rentrais le soir … Tu ne te souviens plus ? [à moi] Parce qu’en fait il va au théâtre pas très loin de la maison à 200 mètres, même pas, 100 mètres… [à Jules] Tu m’as dit c’est pas possible, on dirait un coupe-gorge … Tu ne te souviens plus de ce qu’il s’est passé ? Non … peut être … Il n’y avait plus d’éclairage public D’accord. Haaa ! C’était il y a quelques mois ça, c’était pas récemment ! Il n’y avait plus d’éclairage public, et ça a duré, je ne sais pas si c’est deux jours, ça a duré un certain temps quand même, et donc … C’était en Janvier ! … il est revenu en disant … c’est angoissant quand même Ouais … mais c’était pas récemment, c’était il y a quelques mois quand même
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Oui, enfin pour moi c’est récent ! Je ne sais pas si ça répond, si ça peut répondre à la question … Si, si, ça fait partie aussi des aménagements urbains qui permettent de … de se sentir mieux dans la ville ! Mais je pensais par exemple à des endroits qui seraient par exemple trop ouverts : je ne sais pas si vous êtes déjà allé à Tourcoing, dans le centre de Tourcoing, par exemple l’ancienne Grand Place et l’esplanade qu’ils ont faite en face de l’espace Saint Christophe et de l’église … Je ne sais pas s’il est retourné depuis longtemps Pas du tout, ça fait tellement longtemps qu’on n’y est pas allés que … Je n’ai pas mis les pieds dans le centre de Tourcoing depuis super longtemps Parce que la tendance actuelle est vraiment à aplanir l’espace urbain et à le rendre vraiment libre et euh … pour qu’on puisse y organiser un grand nombre d’évènements, et du coup les gens ne s’approprient plus l’espace du tout, parce que justement il n’y a rien, c’est un grand espace vide, les gens ne font que traverser, alors que l’ancien centre de Tourcoing où il y a des emmarchements, le parking, il y a des arbres etc., les gens se baladent plus volontiers, s’arrêtent, discutent, etc. … Donc c’est des choses que j’ai remarquées, et j’ai lu quelques études sur euh … l’espace architectural, donc au niveau d’une pièce, et des comportements autistiques, qui mettaient en avant, qui insistaient sur la notion de contenance des lieux qui était importante, donc je me dis un peu, dans l’espace urbain, est ce qu’on peut retrouver un peu cette contenance, et comment elle peut se matérialiser, et donc je trouve que cet exemple est assez parlant, parce que justement, même nous, on n’agit pas de la même manière dans ces lieuxlà. Donc je ne sais pas si vous avez des exemples de, je ne sais pas, de boulevards très larges, ou des rues très rectilignes ou euh … vous n’avez pas, non ? Non D’accord. Enfin c’est des hypothèses que j’émets, moi, et justement ces entretiens me permettent aussi de … [à moi] Oui, oui, de savoir si le fait qu’il n’y ait pas de … [à Jules] que t’ais pas de limites tu sais, ou des bâtiments, des choses comme ça… Si les grands espaces t’occasionnent une gêne ou … Non, non [à moi] C’est vrai que Tourcoing c’est bizarre … Moi j’ai connu Tourcoing avant et maintenant… Ça n’a plus rien à voir Je ne trouve pas ça terrible ce qu’ils ont fait … Ca a tendance à m’angoisser … Mais bon, lui il ne l’a pas revu Non Faudrait y repasser pour voir ce que t’en penses Ouais … Et après, au niveau des matériaux, des couleurs, des textures, est ce qu’il y a des choses qui vous attirent plus ou euh … Par exemple aujourd’hui on fait beaucoup de bâtiments très vitrés, très réfléchissants, est ce que vous avez déjà eu l’expérience de ce genre de bâtiments et est-ce que ça … Non … boarf … pas d’importance. Pas d’importance ? Non ? Vous n’avez aucune sensibilité par rapport à certaines couleurs, certains matériaux, … non ?
Certains coloris ça laisse un peu à désirer quand même, ce qu’ils utilisent dans l’architecture. Comme ces bâtiments qu’ils ont construits le long de la gare Lille Europe, ça fait un peu … Bizarre. C’est l’hôtel ? Oui c’est ça, trop bizarre comme coloris. C’est le coloris qui vous gêne ou c’est la texture ? Parce que c’est un métal très brillant … Oui, c’est l’aspect du métal … Ca fait une espèce de coloris qu’on utiliserait dans un abri antiatomique. [rires] Disons que c’est l’impression que ça donne. Vous me disiez que quand vous voyagez, vous essayez de repérer un peu vos parcours … Exact … donc sur internet … Je visionne sur Google Earth, c’est super pratique ce logiciel D’accord, et vous pouvez me citer un exemple de voyage où vous avez fait ce repérage et qu’est-ce que vous avez repéré justement par rapport à ça ? Eh bien, pour se rendre à un studio de doublage à Bruxelles où j’ai dû faire un stage d’une journée eh bien … Flo et moi nous avons visionné sur Google Earth la rue et le trajet le plus court qu’il fallait emprunter. Ça n’a pas été évident du tout parce qu’il fallait sortir à tel endroit précisément et … Mais moi je me souviens que toi tu te repérais aux voies ferrées … Exact. Parce que moi j’avais dit tu regardes, moi je conduis et je suis tes indications. Donc à chaque fois il me disait « bah là normalement on doit croiser une voie ferrée, je l’ai vu sur euh … » donc c’est les repères remarquables : les ponts, les voies ferrées … D’accord Exact. Et après tu m’as dit aussi, un bâtiment… tu m’avais dit qu’il y avait un bâtiment … T’avais pas repéré un bâtiment ? Tu m’as dit « là normalement on devrait tourner » Ouais … Enfin, ça ne nous a pas empêché de nous tromper ! Mais on y est arrivés quand même ! En fait, on aurait dû prendre le trajet Bruxelles-Zaventem. Ce qu’on a vu euh … Oui, au retour… Mais c’était ça lui, ses repères c’était toujours ça « il y a une voie ferrée, là y’a le canal » donc il savait se repérer par rapport à ça. D’accord. Et on avait tourné à gauche alors qu’il fallait tourner à l’entrée d’un parc public qui était situé à proximité, et c’est quand tu croyais qu’on avait perdu espoir que … qu’on a trouvé ! Et un beau bâtiment aussi ! On s’était repéré par rapport à une pagode chinoise. Parce qu’il y avait un beau bâtiment, ça il a dit normalement… il m’a montré la photo … ça on doit le voir ! Oui, quelque chose de très remarquable et de particulier dans ce paysage là … Exact. Espacé par plusieurs arbres et jardins publics.
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D’accord. Et ici, dans le quartier, quand vous vous promenez, qu’est-ce qui vous permet de vous repérer ? Est-ce que c’est parce que vous connaissez très bien les lieux et du coup vous connaissez toutes les rues alentour ou est-ce qu’il y a des éléments qui vous permettent de dire « ha bah c’est là qu’il faut que je tourne, c’est là qu’il faut que j’aille tout droit … » ? Ici, pas besoin de me repérer, je connais très bien la ville. D’accord. Vous habitez ici depuis toujours ? Depuis décembre 89 c’est ça ? Oui t’es … toi t’es arrivé t’étais tout petit, t’étais un bébé. Ok. Est-ce que vous êtes capable de me décrire un de vos trajets quotidien ou quasi quotidien ? Eh bien … Pour aller me promener par exemple autour des lacs de Villeneuve d’Ascq, eh bien je prends direction Lys-lez-Lannoy, Hem, ensuite je prends la sortie Cousinerie et je me stationne au parking qui mène au lac du Héron, je prends la direction du parc, je passe sous la bretelle autoroutière qui mène jusqu’au château de Flers, ensuite je reviens sur mes pas, je traverse à proximité du stade, et je passe par le parc du Héron et … ça fait 3h de promenade, deux fois par semaine. D’accord. Et pour le boulot eh bien … A22 et ensuite A23. Et c’est sortie Orchies. Mais uniquement pendant les vacances. A l’aller. Sinon à l’aller pendant la période scolaire, c’est la campagne. Mais le retour, c’est toujours par l’A23 que je passe. D’accord. Et pour quelle raison ? Il y a une raison particulière ? C’est plus rapide, c’est plus fluide et aussi pour des économies de carburant. D’accord, ce qui est compréhensible ! Des fois il m’arrive de passer par la Belgique pour mettre un peu plus de temps pour rentrer parce que, comme il y a les sorties d’école [leur domicile se trouve juste en face d’une école primaire] et que le parking n’est pas toujours vide, rentrer un peu plus tard ça me permet d’avoir une chance de me stationner. D’accord, donc vous préférez faire plus de route plutôt que de patienter et de … Exact. Mais ça dépend des jours. D’accord. Bon bah très bien, je pense que j’ai à peu près tout !
ARRET DU DICTAPHONE. Durée de l’entretien enregistré : 16min48sec.
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Entretien avec Pierre
Le 30/04/2013 à 16h45, au Centre Ressources Autismes du Nord Pas-de-Calais.
Vous avez quel âge ? J’ai 24 ans. 24 ans, d’accord. Et vous habitez où ? A Coudekerque-Branche, c’est en dessous de Dunkerque. Ok. Mais là j’ai cru comprendre que vous habitez à Wazemmes aussi, vous avez un appartement ? Oui j’ai pris un appartement pour la formation du CLRP Ok, et vous êtes à Wazemmes la semaine, et à Coudekerque le week end ? Oui c’est ça. Enfin ça dépend des week-ends. A Coudekerque, est-ce que vous habitez dans le centre de la ville ? Oui à peu près oui … Oui ? Près du centre commercial … Près du centre commercial. Ok. Et vous habitez une rue, un boulevard ? Une rue Et dans quel type de logement vous habitez ? Une maison Une maison individuelle ? Euh … oui c’est des maisons collées les unes aux autres, mais c’est des maisons. OK. En tout y’a deux étages. Et à Lille c’est un appartement ? Oui Et il est comment cet appartement ? Est-ce qu’il y a une chambre ? Ben en fait il y a une chambre, un coin chambre, un coin cuisine, une salle de bain de l’autre côté et des toilettes. C’est pas pourtant très grand, mais c’est plus grand qu’une chambre d’étudiant. Et il donne sur la rue cet appartement ? Non il donne sur une allée et de l’allée on peut aller vers la rue. Ok. Quand vous êtes à Coudekerque, comment vous vous déplacez le plus souvent dans la ville? En vélo … En vélo ? ou en bus … Ouais le vélo ça va, y’a que la marche qui me dérange. Ou alors je me déplace en courant, mais pas en marchant si j’peux… En voiture aussi. En voiture aussi … Vous avez votre permis de conduire ? Oui.
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Oui ? Vous l’avez obtenu quand ? En deux mille euh … deux mille neuf. Ok. Et quand vous êtes à Lille … Ça fait combien de temps déjà que vous êtes à Lille ? Que j’ai emménagé ? Oui Bah c’était lundi dernier. Lundi dernier, ok. Donc c’est tout … Récent. … tout neuf ! Et vous prenez les transports en commun sur Lille ? Bah non là j’attends ma carte donc là j’suis en vélo et là bah … ou alors là je suis obligé d’aller à pieds aussi. On m’a pas dit que je marcherais autant donc euh … j’ai hâte d’être dans mon lit ce soir ! Et vous n’avez pas pris votre voiture avec sur Lille ? Non, non, je la prenais quand j’étais … pas en formation. Ok. Donc là j’attends d’être payé pour pouvoir faire la preuve de … du truc pour pouvoir faire ma carte Iris. Ok. Et quand vous dites que vous prenez le vélo, c’est un vélo à vous ou c’est les V’Lille ? C’est un vélo à moi. Que vous avez ramené de … Chez vous ? Chez moi. Donc vous m’avez dit, vous prenez le bus ? Et donc sur Lille vous prenez le vélo et à pieds ? Oui Vous ne prenez pas le métro du tout ? Vous n’avez pas encore eu l’occasion ? Non pas encore, j’attends ma carte. D’accord. Pour quelles raisons principales est-ce que vous êtes amené à vous déplacer en ville ? Est-ce que c’est pour euh … plus pour euh … votre formation professionnelle ou est-ce que c’est plus pour aller rendre visite à de la famille ou pour des activités de loisir ? Bah sur Dunkerque c’est plus pour me promener et pour rendre visite, et sur Lille, bah en général euh … ça va être pour ma formation et pour me promener aussi. D’accord. Vous vous êtes déjà promené un peu sur Lille ? Bah … euh je vais me promener… Bah avant oui mais là pas trop, je suis la formation. Quand j’aurai la carte et que j’aurai des congés, j’la garderai la carte. Et, principalement, quand vous vous déplacez, est-ce que vous êtes seul ou accompagné ? Bah … seul. Seul ? Est-ce que les trajets que vous empruntez sont toujours les mêmes ? Ou est-ce que vous changez de temps en temps de trajet pour vous rendre d’un point A à un point B ? Ca dépend. Des fois y changent. Ca dépend de quoi ? Est-ce que c’est …
Bah quand c’est … bah ça dépend … Des fois je regarde quel trajet est plus rapide, si j’ai pas le temps je prends le plus court qui n’est pas forcément le plus agréable, sinon je prends un qui est agréable mais qui est plus long. Et qu’est-ce que c’est pour vous un parcours plus agréable ? Bah euh … Un parcours agréable à vélo c’est un parcours avec les pistes cyclables vont bien et sont pas dégueulasses ou usées ou mal faites. A Dunkerque y’en n’a pas beaucoup. Et donc à Dunkerque par exemple je vais prendre les pistes, euh le truc court pour aller à mon entrainement d’athlétisme, et des fois c’est par les chemins agréables. Ici c’est pareil. Mais … Bah pour le bus c’est pareil, y’a des chemins plus agréables que d’autres. Ca dépend où qu’une ligne passe et les points d’intérêt qu’y a dessus aussi. Quels sont les éléments qui vous permettent de vous repérer quand vous faites vos parcours ? Est-ce qu’il y a des éléments dans la ville devant lesquels vous passez et vous vous dites « bah tiens, là je reconnais, il faut que je tourne à droite, faut que j’aille tout droit … » Bah j’utilise tous les éléments en fait. C’est-à-dire ? Bah tous les éléments, je peux me repérer avec n’importe quel élément. N’importe quoi, donc ça peut être … Mais principalement c’est les arrêts de bus. Et les panneaux. Et les panneaux de … Je me repère souvent aux arrêts de bus. Par exemple une fois j’avais même pas 9ans, mes parents ils se sont paumés à Calais, ils ont, ils étaient en panne d’essence, enfin ils avaient un problème d’essence je me souviens, ils ne savaient plus comment faire pour rejoindre l’autoroute, et j’ai réussi à les rallier à l’autoroute parce que j’avais un plan des bus et j’ai réussi à me repérer grâce aux arrêts de bus qu’y’avait dehors. D’accord… Ils étaient étonnés mais j’ai réussi. Et à Paris c’est pareil. Vous êtes déjà allé à Paris ? Ouais. A Paris une fois, je jure c’est vrai, à Paris une fois y’a un mec, on, un chauffeur, on devait aller en bus, de l’hôtel à la Défense à métro , pour revenir on était en bus comme ça on pouvait voir le paysage parce qu’on voulait sortir euh … Y’a une ligne qui allait au Quais d’Orsay et mes parents voulaient qu’on marche le long de la Seine jusqu’au Châtelet, Eh bah le mec, le chauffeur, c’est sa ligne et il s’est trompé de parcours, alors que c’était sa ligne et moi encore une fois j’avais le plan des bus et je lui ai dit où qu’il devait passer. Et d’ailleurs à Lille, une fois aussi à Lille, euh … c’était quelle ligne ? Vous voyez la Corolle là ? Celle qui fait le tour ? Eh ben, une fois le bus … Le premier jour j’étais allé sur la Corolle pour la tester, pour voir ce que ça faisait parce qu’elle était longue, Eh ben y’a un chauffeur, il ne savait pas où il devait aller ! Et là je l’ai aidé, et le chauffeur a halluciné ! C’est comme euh… des fois ça arrive souvent que … euh comment dire … Vous voyez Picard dans Star Trek ? Euh … Non. Non ? Bah des fois Picard il est un peu, y’a … des endroits où que c’est comme les « mèmes » là où qu’ils sont dans une pose et après il pose des questions incroyables sur la cause même parce que à chaque fois … En fait Picard il dit des trucs comme ça à chaque fois, quand il est étonné il y a une image où y’est comme ça [faisant un geste] et après des fois il mettent des textes des fois au-dessus pour dire qu’il est étonné d’un truc que parfois il dit
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… Eh ben des fois je suis étonné parce que des fois y’a des gens ils me demandent des trucs euh … dans des villes de repérer et j’arrive alors que c’est moi le touriste par exemple. Une fois des gens en banlieue ils m’avaient demandé un truc à Paris euh où ils devaient aller pour euh … pour aller à Porte de Choisy, et moi j’habite pas dans Paris et c’est moi je les ai renseignés alors qu’un gars qui habitait là était pas capable de les renseigner. Et aussi euh … à Boulogne aussi, y’en a ils se perdent parce qu’à Boulogne c’est, les lignes de bus c’est un mélange des chiffres et des lettres, y’en a plein ils se perdent. Des lignes, c’est des chiffres, y’en a d’autres c’est des nombres, y’en a d’autres c’est des lettres, y’en a c’est des amalgames de lettres et de chiffres, y’en a plein ils s’emmêlent les pinceaux mais moi ça va. D’accord. Donc c’est vraiment les lignes de bus … Ouais c’est avec ça que j’me repère mais je peux aussi me repérer avec des éléments de décors sinon. J’ai une bonne topologie de toute façon. Même la première fois j’ai dû aller à Londres aussi, c’était pareil. Notamment on a failli se perdre parce qu’ils disent « ouais, les lignes de métro c’est … c’est même pas des numéros et des chiffres, c’est des noms ». Donc y’en a ils se perdent à cause de ça, en plus les lignes de métro à Londres c’est assez compliqué y’en a ils trouvent mais bon, moi ça va quoi ! Enfin voilà. Et … quand vous allez quelque part … enfin dans un endroit que vous ne connaissez pas, par exemple. Comment vous faites pour vous y rendre ? Vous regardez les lignes de transport en commun ? Bah je regarde un plan et les lignes et c’est bon ! J’ai juste ça à faire. En fait je vais juste euh … si je vais en trans… euh ça dépend, je dois aller comment ? En vélo, en bus ou en … ? Peu importe ! Par exemple si vous allez à Londres et que vous n’êtes jamais allé à Londres ? Bah … Bah en fait ouais le premier truc qu’on a fait c’est qu’on a eu un quartier libre, bah je voulais aller, le premier qu’on est arrivés je voulais aller à un endroit, et donc j’y vais et justement la ligne de métro était fermée. Donc j’ai regardé le plan de métro, je suis allé à pieds en courant et après je suis revenu en passant par l’autre côté de la Tamise. Et aussi le soir, on était à un hôtel qui était en banlieue de Londres, bah je suis allé à la gare que j’avais vue, j’ai regardé le plan et après j’ai réussi à m’orienter pour aller à la Tower Bridge que je voulais photographier… Et par exemple Paris, est-ce que c’est une ville que vous aimez bien ? Londres ? Paris ! Bah oui. D’ailleurs tout à l’heure on a du faire ce qu’on appelle un plan de projet euh … ça s’appelle un projet de sortie et devait faire euh … On devait réfléchir à aller à un truc culturel le matin, où manger le midi, et un truc euh …bah disons divertissant l’après-midi. Et euh … bah moi on m’a tout de suite chargé de faire la topologie de l’itinéraire parce que bon étant donné que … voilà ! Bah même en plus, de toutes façons, le truc, le total c’est ce que je faisais avec ma mère, puisque ma mère elle voulait, c’est sa dernière année de cours, elle doit aller à Paris, elle veut aller à Paris, au Louvre cette année parce qu’elle est jamais allée, moi j’suis jamais allé non plus, et euh … Parce qu’on n’a été que deux fois à Paris, une fois bah la fois que l’histoire du bus que j’ai repéré et une autre fois j’étais petit mais on n’avait pas eu le temps de voir grand-chose, et quand on a été à Paris à trois c’est vieux donc y’a beaucoup de choses qui ont changé, y’a plein de choses qu’on n’a pas vues. Eh ben j’ai déjà fait un projet comme ça aussi, je lui ai dit « Tac on va aller au Louvre, on va … » on est trois jours ensemble dans une semaine parce que elle comme c’est sa dernière année où qu’elle est institutrice elle aura droit à une réduction pour certains
sites donc moi comme c’est la première année où j’aurai un salaire bah je vais en profiter aussi donc j’ai fait « Tac là on va aller au Louvre, ce jour-là on va aller au château de Versailles » parce que je voulais aller avec ma mère, ça fait longtemps que j’attendais d’y aller et que elle vienne aussi. Le palais des découvertes aussi, centre Georges Pompidou, j’ai fait l’itinéraire pour qu’on puisse voir où est-ce qu’on pouvait aller en une journée, dans la journée suivante et comment y aller, où qu’on peut bouffer aussi. Donc là euh …ce côté-là ça va, mais oui j’aime bien Paris parce que, enfin, en général quand je viens à Paris c’est sur des trucs, des … des périodes assez courtes donc en deux, trois jours j’ai pas le temps de faire beaucoup de choses … Pratiquement quand j’allais en deux, trois jours ça se limitait à … y’a un jour qu’y’avait Disney Land, un jour où qu’y’avait la Défense et euh … et euh … les bus et un autre où qu’y’avait … bah … la Tour Eiffel ou le Champs de Mars. Donc là j’aurai plus de temps pour aller au musée du Louvre et au château de Versailles donc ça va. Parce que je vais rester une semaine et demie moi. Ma mère va rester quatre, cinq jours. Ok. Mais à part ça à Paris j’suis toujours embêté parce qu’y’a des trucs que j’aurais aimé faire mais … Donc y’a un truc aussi, un truc que je voulais faire avec quelqu’un d’autre, donc je voudrais que ma mère puisse y aller en retraite donc euh … c’est bien elle pourra profiter un peu de voir, ça prend du temps d’aller au Louvre quand même … Je ne suis jamais allé non plus … Bah là ils me disent que c’est un musée, mais bon c’est quand même un bon musée donc ça va … Enfin, en plus avec mes … j’crois qu’y’a qu’avec ma mère que je pourrais y aller parce que les autres personnes que j’connais elles sont pas trop musées. Pourtant j’leur dit c’est quand même le Louvre donc euh … Pour ça déjà le Louvre ça va nous prendre une journée je crois … Oui … Parce que bon y’a … Je suis jamais allé hein mais … Bah déjà la queue … La queue ça peut prendre facilement 1h, enfin ça dépend, après bon y’a la … y’a la pyramide, y’a toutes les ailes euh … y’a toute une exposition, enfin l’exposition qu’y’a là et puis y’a plusieurs ailes au musée aussi donc ça peut facilement prendre une journée … Vous n’êtes jamais allé vous ? Non ! C’est quand même dans votre projet je suppose d’y aller au moins une fois … Oui oui ! C’est que je n’ai jamais eu l’occasion ! Pour ça y’a beaucoup de choses à faire à Paris ! Ouais ouais … Euh … d’ailleurs j’ai dû modifier mon pro… mon truc parce qu’elle voulait aussi aller au musée d’Orsay… Donc c’est moi qui dois planifier pour elle. Est-ce qu’y’a des endroits dans la ville, par exemple à Coudekerque ou ici à Lille, je ne sais pas si vous avez encore eu l’occasion de beaucoup vous promener, où vous vous sentez particulièrement bien ? Bah à Coudekerque je dirais … Le parc du Fort Louis. J’aime bien m’y entrainer. Pour aller courir ? Ouais, bah y’a une course dimanche c’était là. Bah je préférais l’année dernière, parce que l’année dernière j’avais gagné et cette année j’suis que deuxième parce qu’y’a un gars c’était sûr que j’allais pas le battre,
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c’était le seul que c’était sûr que j’allais pas le battre, sinon personne me bats. Mais euh …j’étais deuxième à l’aise hein, derrière y’avait rien et devant moi y’avait 1minute mais derrière y’avait rien non plus. Y’avait de grands écarts sur le podium ! Bah à Lille, bah … Je sais pas trop … le metro. La Gare Saint-Sauveur … Certaines lignes de bus aussi, le Carrefour d’Euralille, et V2 intégralement, sauf les boutiques de filles. Le carrefour d’Euralille ? Ouais Pourquoi ça ? Bah y’est sympa, on peut y lire ! Mais c’est vrai que le Furet c’est mieux parce qu’y a des chaises ! Ah oui, le magasin Carrefour ! Ouais ! D’accord ! Ouais, ouais, excusez-moi ! Et euh … le Tripostal aussi quand y’a des expositions sympathiques ! Et c’est tout. Je sais que ma mère elle aimerait bien aller à la Gare Saint-Sauveur et le parc Jean Lebas, mais on n’a pas trop, on n’a pas eu l’occasion d’y aller non plus. Et la Gare Saint Sauveur c’est plus pour les expositions ? Bah ouais, je sais qu’y’a des restaurants là mais j’ai pas eu l’occasion d’y aller. Et … Est-ce que vous avez le souvenir d’un endroit où vous vous n’êtes pas senti à l’aise, qui vous a gêné ou … une situation dans laquelle vous vous êtes retrouvé dans la ville et qui … qui vous a occasionné une gêne ? Bah … Ca dépend comment, qu’est-ce que vous voulez dire par gêne ? Bah … Je ne sais pas, est ce que vous avez un endroit, une fois dans une ville où vous ne vous êtes pas senti à l’aise ? Parce que c’était un endroit qui était trop grand, ou un endroit où il y avait trop de monde ? Bah des fois dans Euralille y’a du monde hein ! Ma mère elle ne se sent pas à l’aise parce qu’y’a la police, enfin souvent la police. Pourtant je ne sais pas ce qu’elle dit, moi je n’ai jamais vu la police à part les vigiles moi, jamais la police à Euralille, c’est bizarre. A part ça ça va. Est-ce que vous avez une certaine sensibilité à certains matériaux, certaines couleurs ou certaines textures ? Non. Non ? Enfin j’aime pas trop le … mince comment ça s’appelle … le béton cellulaire. D’accord. Pour quelle raison ? Bah c’est un peu salissant. Et des fois c’est assez dur à tailler. Et puis j’suis pas très manuel donc … Voilà. Est-ce que vous pourriez me décrire un trajet que vous faites habituellement, à Coudekerque par exemple ? Bah … ici chez moi à la gare à Dunkerque, de Dunkerque plutôt. Enfin à Coudekerque, chez moi à la bibliothèque aussi … Et donc vous passez par où, vous y allez comment ? J’y vais en vélo … et j’passe par… bah j’ai juste à traverser deux, trois rues et c’est bon. Ok. Avez-vous eu l’occasion de faire d’autres voyages que Londres et Paris ? Bah j’suis allé en Allemagne à Munich, et à Berlin, et une fois je suis allé en Irlande aussi. Et qu’est-ce que vous aimez faire quand vous voyagez comme ça ? Ah oui, et Canterburry aussi. Quoi ?
Qu’est-ce que vous aimez faire quand vous voyagez ? Bah voyager. C’est à-dire ? Quand vous arrivez dans la ville, qu’est-ce que vous faites ? Bah se promener. Vous allez voir … Est-ce que vous achetez avant un guide pour vous renseigner sur la ville ? Bah en général je me suis renseigné avant d’arriver et je sais où aller. D’accord. Donc vous faites un repérage avant des lieux à voir ? Ouais, bah c’est mieux en général. Parce que si on le fait sur place on perd du temps. C’est sûr ! Bon … c’est à peu près tout ce que je voulais vous demander… Peut-être une dernière question, quand vous allez faire vos courses, vous allez où particulièrement ? Pour la nourriture ? Ouais Bah … à Cora et Lidl. Et vous parliez de Carrefour tout à l’heure, Carrefour vous y allez juste pour aller lire ? Bah … Oui. Oui. C’est pour les livres. Ok. Bon bah très bien ! Ah non, dernière question, vous faites une formation professionnelle en quoi ? J’ai oublié de vous demander ! Euh … Bah c’est pour les autistes Asperger. Oui, et c’est pour quel métier ? Bah on doit découvrir un métier nous-même en fait. On doit trouver une formation et un stage et après on aura un métier normalement. Ok. Donc vous, vous voudriez faire quoi par exemple ? Bah un métier dans le sport ou le transport. Ou alors dans la topologie. Et vous avez déjà trouvé, vous avez déjà des pistes ? Bah là on vient de commencer, ça fait que 4 semaines, enfin 3, 4semaines. Donc là on nous a mis dans le bain. Et ça se passe bien pour le moment ? Oui. A part ce matin. C’est ce que j’ai cru comprendre ! Il s’est passé quoi ce matin ? Ben en fait on devait visiter quatre entreprises, une entreprise en ESAT, une entreprise adaptée et des entreprises en milieu ordinaire. Pour aller aux quatre, bon bah j’ai fait l’itinéraire, et pour … et ce matin c’était le A. Ceux qui était groupe A ils ont eu, en fait on doit chercher, on doit former plusieurs groupes à chaque fois pour visiter une entreprise, et on devait chercher les entreprises nous-même. Ceux qui ont eu le A ils n’ont pas eu de chance, trois entreprises leur ont fait faux bond parce qu’ils manquaient de personnel pendant les vacances, parce que c’était les vacances la semaine dernière, alors pourtant c’est plus les vacances cette semaine, et celle qui restait c’était à Tourcoing, dans un endroit que le 33 il passe. Y’a que le 33 qui passe, et le 33 c’est la ligne la plus … la moins fréquente du lot, elle passe toutes les demi-heure donc … Donc en fait on est arrivés… j’avais prévu à la …comme des fois j’en voyais qui n’aimaient pas attendre j’avais prévu à la minute près, enfin à 3, 4minutes, et j’leur avais pas dit où est-ce qu’on avait donné rendez-vous, y’en a qui sont allés au rendez-vous au CHR Oscar Lambret,
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et d’autres rendez-vous au CLRP, j’avais pas prévu que ils allaient arriver… ceux qui étaient au CLRP allaient marcher aussi lentement donc du coup bah… Au lieu d’arriver à partir de la station, enfin de où qu’on était à et quart on est partis à vingt, donc euh … Arrivés à Tourcoing centre, le 33 était passé quand on était à Sébastopol, on a dû aller à pieds, on en a croisé un dans l’autre sens, ce qui ajoute à la frustration … En repartant … J’avais… En repartant j’avais fait, j’avais regardé l’itinéraire, en cachette j’avais regardé l’horaire pour voir, pour essayer de … comme je suis bon en topologie j’ai vu à peu près où est ce qu’il était l’ arrêt de bus le plus près, et j’avais vu combien de temps on avait mis pour aller de l’arrêt de bus, enfin quand on a passé l’arrêt de bus, puisqu’on ne s’est pas arrêtés en bus, quand on l’a dépassé à pieds jusqu’à l’entreprise, parce que j’me suis dit « combien de temps il nous faudra pour y retourner après », alors j’ai fait exprès pour laisser les questions, ce que j’avais pas prévu non plus c’est que, les deux formatrices, elles envisageaient de revenir avec deux stagiaires de cette entreprise-là, donc elles ont posé d’autres questions, donc on a dépassé, et pour la deuxième fois le 33 nous est passé sous le nez. Enfin l’autre fois, la première fois on était sous terre et on était pas loin donc ça aurait été, ça aurait été un bus aérien, enfin au niveau de la route il serait passé sous le nez aussi. Donc là il est passé devant le nez, on est partis à pieds. Heureusement on n’en a pas croisé dans l’autre sens parce que sinon … Mais bon ce qui est chiant aussi c’est qu’on n’a pas tous la même vitesse de course, on n’a pas tous la même vitesse de marche plutôt donc après on a dû, à chaque fois on devait attendre et tout et après à chaque fois … Et là on retombe comme … comme la première fois, bon après c’était moins chiant donc ça a marché, on a dû sortir à CHR Oscar Lambret et tout se taper à pieds jusqu’à … au truc. Et encore comme on n’a pas la même vitesse de course eh ben … euh de marche, on a dû attendre. C’était l’heure du midi, on est tous allés … ceux qui étaient devant étaient impatients parce que c’était des pâtes, on a quand même dû repartir au … dans la salle de cours pour déposer nos sacs. On a quand même réussi à arriver assez tôt au self parce qu’on a couru mais … Bon c’était pénible. Mais bon heureusement ma mauvaise humeur elle a juste duré le matin parce que … des pâtes on a pu en reprendre parce qu’on est arrivés assez vite et c’était bon. Donc l’aprèsmidi ça va c’est pas si gênant. Mais bon le problème c’est que j’ai dû encore venir à pieds parce qu’en fait cet aprèsmidi on a fini … on a du faire le truc … pour les … pour les choisir où est ce qu’on allait aller au matin pour un musée, donc on a sélectionné deux trucs, on n’était pas d’accord, j’ai refait le test avec les itinéraires qu’il nous faudrait pour voir aussi à quel restaurent on irait, si on allait au forum des sciences on irait manger à V2, si on allait à la piscine il faudrait manger dans le centre-ville de Roubaix. Mais après, le temps qu’ils se mettent d’accord et qu’ils expliquent les consignes, bah la liane 2 allait passer devant mon nez, je sors pile du CLRP, j’vois … j’fais « non … » … Bon là y’en avait une dans pas trop longtemps mais j’me suis dit bah je vais pas attendre parce que ça se trouve il va arriver un truc et y’avait des informations disponibles alors je suis venu à pieds donc euh … Marcher en jean j’aime vraiment pas … Donc voilà. Mais demain c’est bon là, demain … non pas demain, jeudi on a une des deux entreprises ordinaires, il en reste plus que deux, c’est à Wambrechies, donc là on ne pourra pas marcher jusqu’au métro puisqu’y’en n’a pas ! On sera obligés de prendre la Liane 1. Donc là c’est bon. En plus elle est beaucoup moins loin, elle est beaucoup moins loin du truc. Bon ça va pas être très intéressant parce que je me fiche de la bière et du vin mais au moins on ne va pas marcher. En plus le jeudi on quitte à midi donc c’est bon. Je vais revenir juste sur un point, quand vous me disiez des endroits que vous aimiez bien, vous avez cité V2 aussi, c’est ça ? Oui
Et qu’est-ce que vous aimez bien à V2 ? Bah l’ambiance d’un centre commercial, c’est un bon centre commercial. Bah déjà j’aime bien le Flunch. Je crois que c’est le Flunch où j’ai le plus mangé de ma vie. Y’a un Furet aussi, et le Furet c’est bien, à Dunkerque y’avait un Furet avant mais ils l’ont fermé et y’a Majuscule, et Majuscule c’est pas très bien pour les livres. Comme bizarrement Majuscule qu’y’a à Tourcoing centre il est bien. Le Majuscule à Dunkerque il est plus petit. Y’a un Virgin aussi mais on peut pas vraiment s’asseoir pour lire les livres donc … Mais V2 c’est bien. Bon ce qui est un peu pénible c’est que comme tous les Auchan, enfin je sais plus si c’est un Auchan … ouais si c’est un Auchan ! Comme tous les Auchan bah le Flunch y’est à l’opposé de l’endroit le plus près de l’arrêt de bus, à Tourcoing c’est pareil. A Tourcoing, la ligne 4, au centre commercial de Roncq, le Flunch y’est à l’autre bout. De toute façon sur la problématique j’en connais un rayon. A Leers c’est le 29, c’est pareil. Son arrêt de bus, le Flunch y’est à l’autre bout du centre commercial. A V2 c’est pareil. A Grande-Synthe bah … Ah ouais Grande-Synthe non, à Grande-Synthe Dunkerque ça va, c’est le seul Flunch que je connaisse qui est à l’entrée. Ou si, à Belle Epine à Paris, c’est pour ça que j’aime bien ce centre commercial là. En plus il est très bien servi. Il est servi pas les lignes de bus mais c’est la ligne de bus la plus fréquente du … de France celle-là. Le dimanche elle passe tous les quarts d’heure. Mais ouais, ma mère aussi elle préfère V2 à Euralille aussi ma mère. Mais aussi elle habite à … à Dunkerque. Mais mes parents ils profitent plus à Lille qu’à Dunkerque j’ai l’impression, des centres commerciaux. A Dunkerque y’en a moins, forcément. Sinon y’a la cité Europe aussi. Vous aimez beaucoup les centres commerciaux j’ai l’impression ! Non j’aime pas vraiment beaucoup les centres commerciaux mais bon, c’est pas … c’est pas désagréable d’être dans un centre commercial quoi. Enfin c’est agréable l’hiver quand il fait froid dehors surtout, et puis j’aime bien lire donc … c’est aussi les bibliothèques et les magasins, c’est bien. Ok. Bon bah merci beaucoup !
ARRET DU DICTAPHONE. Durée de l’entretien enregistré : 25min33sec
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Entretien avec Louise et sa maman
Le 17/05/2013 à 11h, dans les locaux de l’association ISRAA à Wasquehal
Quel âge avez-vous Louise ? Louise : 23 ans, je vais avoir 24 ans au mois de juin. D’accord. Et où est ce que vous habitez ? A Wasquehal n°60. Et c’est un lotissement, une rue ? Un lotissement. Un lotissement, oui ? Donc avec des maisons individuelles ? Oui. Est-ce que toutes les maisons sont identiques dans le quartier ? Maman de Louise : Pas tout à fait. [à Louise] Je te laisse répondre la première et moi je t’aide au cas où tu as besoin. Et … du coup vous savez bien vous repérer dans ce quartier-là ? Oui. Et si les maisons étaient toutes identiques, est-ce que vous arriveriez à vous repérer de la même manière ? Oui. Oui ? Le plus souvent, comment vous vous déplacez ? Est-ce que c’est en voiture, à vélo ? En tram. En tramway ? Pour aller travailler. En tram et train. Et le train, ok. Est-ce que parfois vous vous baladez un peu à pieds dans le … Non. Non, jamais ? Jamais. Donc vous utilisez les transports pour aller travailler ? Ouais. Uniquement pour aller travailler. Est-ce qu’il vous arrive parfois d’aller faire des courses, aller à la boulangerie … ? Oui. Oui ? Et dans ces cas-là vous y allez seule ? Non avec ma… ma nourrice. C’est plus une nourrice Louise, elle t’a expliqué. Alors j’explique un peu, il y a une AMP qui vient un petit peu en relais à la maison, pour lui apprendre justement l’autonomie, et ça, ça fait partie des choses qu’elle a travaillé avec Louise, c’est-à-dire que quand … elle voit un petit peu ce qui lui manque pour aller au travail le lendemain, parce qu’elle prépare son plat, et alors ils notent ce dont ils ont besoin, et elle va avec elle jusque Carrefour, elle la laisse se débrouiller… enfin voilà, c’est un petit peu ça qu’elle travaille avec, non pas sa nounou,
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parce qu’elle dit nounou, mais avec l’AMP qui travaille sur l’accès à l’autonomie, donc elle … elle sait aller à Carrefour, par exemple passer à la caisse où elle scanne elle-même, c’est des choses qu’elle fait … Donc c’est en apprentissage … d’accord ! Donc quand vous allez travailler vous êtes toute seule pour vous déplacer ? Oui. D’accord Explique quand même un petit peu, tu es toute seule mais jusque où ? Jusque Lille Flandres. Et après ? Je vais à « Accès + » et j’attends pour avoir mon train. Parce qu’elle passe par « Accès + ». « Accès + » c’est le stand pour personnes handicapées qui se trouve à la gare de Lille, parce que donc, pour information, il y a un changement, le tram c’est toujours la même … La même ligne… … le même trajet donc y’a pas de soucis, mais quand elle a commencé à travailler à l’ESAT, on s’est rendu compte qu’effectivement le train c’est pas toujours la même voie. Donc il y a eu quelques situations qui ont été un peu épiques avec des … des mauvais trains pris … des départs jusque Valenciennes, et donc le fait qu’elle soit reconnue handicapée à 80% lui donne accès au stand « Accès + » et ils la prennent en charge quand elle arrive le matin pour lui dire au moins … A quel quai elle doit se rendre ? … à quel quai elle doit se rendre. Sachant qu’aujourd’hui on n’a pas évalué, après deux années, sa capacité à chercher elle-même toute seule … Peut-être qu’aujourd’hui elle y arriverait … Elle serait capable … … mais on ne l’a pas évaluée. Mais en tous cas elle va jusqu’au stand, elle se fait connaître et là ils lui disent… Ok. Et donc vos trajets sont toujours les mêmes ? Toujours le même. Et … si jamais vous empruntiez un autre trajet, est-ce que vous seriez capable de vous repérer ? Non, non … Et comment vous avez fait pour connaître ce trajet-là ? [pour se rendre à son travail] Parce qu’il est près de chez moi. Il est près de chez moi. Il est proche de chez vous ? Oui Et comment ça s’est passé les premières fois ? Est-ce que tu l’as fait toute seule les premières fois ? Non … Tu l’as fait avec qui ? Avec maman. Et comment vous avez fait pour reconnaitre un peu le trajet que vous deviez emprunter ? Est-ce qu’il y a des éléments que vous avez repérés ? Bah oui, j’ai repéré Lille Flandres. La gare Lille Flandres.
Et pour vous rendre jusqu’au tramway ? Tramway … oui… C’est quoi les points que tu repères ? Les points que vous regardez pour vous dire que vous êtes sur le bon chemin ? Bah je regarde où j’habite, Lille ou Tourcoing. Moi je prends celui de Lille. Et votre trajet de votre maison jusqu’au tramway ? Je vais à pieds. A pieds ? Et comment vous faites pour voir que vous êtes sur le bon chemin ? Est-ce qu’il y a … qu’est-ce que vous regardez ? Je regarde … la rue. La rue aussi. D’accord. Est-ce qu’il y a par exemple des bâtiments que vous regardez en particulier ? Non … Non ? Est-ce que … je ne sais pas … des passages piétons que vous repérez et vous vous dites « là il faut que je traverse à cet endroit» ? On traverse au feu vert, quand il est vert. Ouais … Et est-ce que tu traverses toujours au même passage piéton ou de temps en temps tu vas sur … Quand tu arrives, tu vois quand tu arrives là, au carrefour… Tu prends toujours le même passage piéton ou parfois tu changes ? Je traverse sur le même passage piéton. Toujours le même ? D’accord… Est-ce qu’il vous est arrivé d’être dans la ville et de rencontrer une situation où vous avez ressenti une gêne, un endroit où vous ne vous êtes pas sentie bien ? Non. Jamais ? Et au contraire, un endroit où vous vous êtes vraiment sentie bien dans la ville ? A Orchies. A Orchies ? A quel endroit précisément ? A la gare d’Orchies. A la gare ? Et qu’est-ce que vous aimez bien à la gare ? Bah j’aime bien prendre le train. Et pourquoi ? Parce qu’il va jusque Lille Flandres et après on prend le tram. D’accord. Donc c’est parce que c’est un endroit que vous connaissez et donc vous aimez bien cet endroit-là. Oui Est-ce qu’il y a certaines couleurs que vous aimez ou que vous n’aimez pas ? Jaune ! Le jaune vous aimez bien ? Et des matériaux, des textures que vous aimez ? Non … Non ? Tu sais ce que c’est qu’une texture ?
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Non … C’est comme du tissu … Est-ce que c’est lisse ? Du tissu rose ! Non pas la couleur Louise, est-ce qu’il y a des choses, est-ce que tu … Le bois, la brique … Tu vois là-bas, c’est de la brique … Non je n’aime pas. Vous n’aimez pas ? Pourquoi vous n’aimez pas ? Parce que c’est pas la même couleur. Parce que c’est pas jaune ? Non, non. Est-ce que vous pouvez me raconter, par exemple … tout à l’heure vous disiez que vous vous étiez trompée de train, donc vous étiez allée dans une mauvaise direction. Comment vous avez fait pour vous retrouver ? Je vais te rappeler Louise l’évènement qui s’était passé, c’était au tout début… Il y avait Sibylle et souviens toi… J’ai descendu du train. Voilà tu peux expliquer. J’ai descendu du train et j’ai parti chez moi. Et comment vous avez fait, vous avez demandé à la gare comment revenir chez vous ? Non, en fait ce qu’il s’est passé c’est que … Alors, peut être que ça vous aidera aussi dans votre analyse, on s’est rendu compte que, ils font la route ensemble, ils sont plusieurs pour aller à l’ESAT, à l’époque ils étaient trois à prendre le train, et chacun se repérait sur l’autre visuellement. Donc il y avait Louise, il y avait Mathieu, et il y avait Sibylle, Sibylle étant la plus autonome dans les transports en commun. Et c’est vrai que Louise se repérait sur Sibylle, et Mathieu se repérait sur Louise, et donc ce jour-là, on ne sait pas ce qu’il s’est passé, Sibylle a eu envie de descendre du train. Donc elle est descendue du train, et donc Louise ne voyant plus Sibylle, elle est descendue du train aussi, le train est parti et c’est Mathieu qui s’est perdu, parce que du coup il cherchait Louise pour savoir où il devait descendre. Et il n’est pas descendu du tout et il s’est retrouvé à Valenciennes. Et en fait, c’est ça, on s’est rendu compte que finalement ils ont des repères, souvent c’est une personne avec laquelle ils ont l’habitude de voyager, et voilà c’est tout un concours de circonstances qui a fait que Louise ne voyant plus Sibylle, elle a eu le réflexe de descendre, Mathieu ne l’a pas vu spontanément, il a réalisé après que Louise n’était plus dans le train et donc du coup il est allé jusqu’au bout, il n’a pas cherché à descendre. Donc c’est vrai que c’est des situations comme ça qui nous ont amenées à réfléchir à, justement ce stand « accès + » parce que … Donc comme elle est descendue du train, elle a fait exactement le même chemin en sens contraire, c’est-à-dire qu’elle a repris le tram dans l’autre sens comme tous les soirs, donc ça n’a pas été compliqué pour elle. On a tous eu un moment de panique parce qu’à l’ESAT ils attendaient, et donc j’ai eu un appel du moniteur éducateur disant « y’en a aucun des trois qui est arrivé », donc on a eu un petit peu peur, et en fait j’ai rappelé après pour dire qu’elle était rentrée à la maison et que c’est Mathieu qui était… Donc ils ont des repères … quand même visuels mais sur des personnes aussi, ils s’étaient repérés… Je ne sais pas si aujourd’hui… ils se repèrent encore mutuellement.
Est-ce que tu, Louise, est-ce que tu sais me dire aujourd’hui, quand tu reviens le soir en tram, est-ce que Mathieu est toujours avec toi ? Oui, toujours. Toujours avec toi dans le tram? Oui, oui oui, toujours. Donc ils sont en … Alors, après, d’une personne à l’autre, je pense que elle, connaissant le trajet, je ne suis pas sûre qu’elle soit perturbée par quoi que ce soit, à partir du moment où c’est le même trajet qu’elle fait dans l’autre sens, Mathieu je ne sais pas. Et si jamais il y avait un problème sur le trajet ? Alors il y a déjà eu une panne de train. Et elle m’a appelé. Elle a pris son téléphone et elle m’a dit « on va être en retard ». Il lui arrive de m’appeler quand elle sait que le train va avoir du retard. Donc ça, ça c’est des choses qu’elle a appris récemment finalement. Je pense que la panne de train, il y a deux ans, ça l’aurait fait paniquer. Là comme elle s’est habituée au trajet, voilà là, elle a trouvé ses repères, aujourd’hui elle est en mesure d’anticiper un évènement, je ne dis pas qu’elle est en mesure de le gérer, mais elle est en mesure de constater un évènement et de verbaliser, au moins de prévenir. Ok. Est-ce que vous avez déjà voyagé un petit peu, allée dans d’autres endroits que dans la région par exemple ? Tu peux répondre Louise ! Je ne sais pas … Tu ne sais pas ? Où on était la semaine dernière ? En Normandie ! En Normandie ? D’accord ! Et comment ça se passe quand vous arrivez dans un endroit que vous ne connaissez pas ? Une ville que vous ne connaissez pas ? Je demande. Tu demandes … A maman. Et après ? A papa. Et ? Tu demandes quoi par exemple ? La route pour arriver chez moi. Mais c’est pas chez toi quand on est en vacances… La route pour aller en vacances. D’accord. Donc vous aimez bien savoir où vous allez et comment vous y allez. Oui. Et … Ça ne vous pose pas de problème d’aller dans une ville par exemple, quand vous vous promenez, une ville que vous ne connaissez pas. Non, non. Non, la ville qu’elle ne connait pas ça ne lui pose pas de problème, par contre le lieu qu’elle ne connait pas ça peut, le lieu de vacances, il faut la préparer avant. C’est-à-dire qu’il faut qu’elle voie des photos. Je lui montre des photos, je lui dis où on va, son environnement dans lequel elle va dormir, par contre c’est vrai que … bah là on est
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allés en Normandie, y’a pas eu de soucis. On a pu se balader à pieds, on a pris les routes de campagne et euh … Par contre elle repère très, très vite. Très, très vite le lieu. Par exemple, je ne sais pas si ça peut vous être utile mais, on était partis avec mon beau-frère et donc, y’a été un soir, elle est partie avec son père et son oncle en ville, parce qu’on n’était pas loin d’Honfleur, et il a pris une autre route, elle a pris une route avec eux. Alors que nous on avait pris une autre route quand on est allés tous ensemble, et le lendemain on est repartis avec ma belle-sœur, on voulait prendre la route que les hommes avaient pris, et elle se souvenait exactement laquelle c’était, c’est elle qui nous a indiqué quelle route il fallait prendre, alors que c’est des routes de campagne, c’est vraiment … des routes de campagne, nous on ne savait pas par où, et c’est elle qui nous a guidées, alors qu’elle ne l’avait fait qu’une fois, finalement. Et qu’est-ce qui vous a permis de retrouver cette route-là ? Euh … moi. Oui, mais qu’est-ce que tu as repéré sur la route ? Qu’est-ce que vous avez regardé ? Les panneaux. D’accord. Les panneaux de direction ? Je ne suis pas sûre ça, il n’y avait pas de panneaux. Je pense qu’elle a du mal à verbaliser ce qu’elle repère, je pense qu’elle repère des choses, ça peut être une maison, une barrière … Parce que là c’était vraiment la campagne … Donc c’était des maisons très isolées avec … Je ne sais pas sur quoi elle s’est repérée mais il n’y avait aucun panneau … Mais un moment il fallait tourner pour rejoindre le centre d’Honfleur, et elle a tourné, donc elle ne s’est pas trompée, nous on aurait eu tendance à aller tout droit … et c’était, y’avait pas de panneaux, et euh … je pense qu’elle, mais ça c’est mon analyse, je pense qu’elle se repère aux bâtiments, aux choses qui sont … Aux choses différentes qui font qu’elle repère … Oui, elle a une très forte mémoire de … des endroits où on passe. Elle repère la route : il suffit de le faire une fois et elle a repéré. Mais elle ne repère pas … Je me permets Louise, excuse-moi, ce que tu dis c’est pas forcément vrai, je ne dis pas que c’est pas vrai, mais elle… elle ne se repère pas aux … Aux panneaux directionnels ? Oui. Elle va se repérer à un clocher, à… un bâtiment... Mais par contre elle va s’en souvenir. C’est pour ça que je demandais tout à l’heure, dans votre lotissement, souvent c’est des mêmes maisons qui se répètent, donc savoir comment elle a réussi à repérer votre maison parmi toutes les autres finalement parce que … Elles sont différentes euh … à la fois je pense que … elle se repère beaucoup plus facilement qu’une personne on va dire euh … [rire] Parce que moi j’ai des, on a … C’est un lotissement, les maisons sont différentes, mais moi j’ai des amis qui sont déjà venus dix fois et qui ne retrouvent pas ma maison … Alors qu’elle des fois … dès qu’on est arrivés, elle a repéré, elle ne s’est jamais perdue, elle ne s’est jamais trompée de maison… Est-ce que ça peut être dû à la couleur de la porte ou … J’avoue qu’on n’a jamais vraiment creusé avec elle … […] sur l’extérieur j’avoue que je ne sais pas trop si c’est aux couleurs … à un arbre … J’ai parfois le sentiment que sa démarche est très automatique. Voilà c’est … on n’a même pas l’impression qu’elle regarde autour d’elle en fait. Quand on va en ville, elle ne regarde pas les magasins par exemple. Elle dit qu’elle va faire les magasins, elle analyse qu’elle va faire les magasins avec maman, mais elle ne regarde pas.
Elle avance et … Et pour elle, elle a fait les magasins. On est allés à V2 par exemple, elle va faire les magasins, c’est une manière pour elle de faire les magasins, mais elle ne regarde pas, mais elle sait qu’on le fait. C’est, c’est difficile pour moi de dire, et je pense que pour chacun d’eux ils repèrent ce qui les intéresse en particulier. Par contre les stations de métr… de tram, elle … elle sait exactement leur nom. Moi je ne sais pas par exemple. Moi c’est vrai que quand on me dit « pour venir chez toi il faut s’arrêter où ? » bah encore aujourd’hui je ne sais pas, quelle station. Tandis qu’elle, elle sait. On s’arrête où ? Grand Cottignies Voilà. Et quand tu vas à la danse tu t’arrêtes où? A Foch. D’accord. Ca elle a repéré. Donc c’est les arrêts de … transport. Ca, ça oui ! Ok. Si on lui dit « c’est Foch », elle sait qu’elle descend à Foch. Et vous faites de la danse ? Oui, le vendredi soir je vais à la danse. Et vous y allez seule aussi ? Ma mère me conduit, des fois j’y vais en tram … Oui ça dépend. Ok. Donc là c’est pareil, le trajet vous l’avez fait avant avec quelqu’un pour apprendre ? Oui. Pour apprendre. Ok. C’est vrai qu’aujourd’hui en terme de transport, c’est essentiellement le tram qu’elle prend, elle n’a jamais pris le métro seule … la prochaine étape ça va être le bus. Puisque le bus elle n’a pas encore pris et on voudrait avec elle travailler sur la liane … et c’est vrai que comme c’est toujours la même ligne, c’est p’t’être un bus mais c’est vrai qu’avec les infrastructures telles qu’ils les ont mis, il n’y a pas de déviation possible, il n’y a pas de … il n’y a pas de perturbations liées aux bouchons, parce que ça elle peut être … elle peut être très perturbée par un bouchon … quelque chose d’important hein … Mais du coup c’est vrai que là, la liane, comme il y a des couloirs exprès … enfin, voilà, on va commencer à travailler sur la liane aussi. Ok. Et … Est-ce que vous faites du vélo ? Parfois, oui. Est-ce que, par exemple, ça vous arriverait de prendre un vélo, comme les vélos en libre-service à la place de prendre le tramway ? Est-ce que vous préfèreriez par exemple prendre un vélo pour vous rendre jusque la gare ? Ah ouais ! Oui ? Vous préfèreriez que le tram ? Ouais … C’est une question qu’on te pose, est-ce que tu préfèrerais le tram ou le vélo ?
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Le tram. Le tram ? Et pourquoi vous préférez le tram ? Parce qu’il va jusque Lille Flandres. Mais tu peux aussi aller jusque Lille Flandres à vélo avec les … est-ce que tu as vu les vélos rouges ? Oui ! Les vélos rouges j’ai vu ! Les V’Lille V’Lille … Tu peux prendre un vélo avec ta carte, l’utiliser et le remettre, donc ce que te demande Benoît c’est ça, est-ce que si un jour on te disait « bah tiens, pour changer Louise tu vas y aller en vélo », est-ce que … comment tu ferais ? Ça ne me dérangerait pas … Et … Et donc vous préfèreriez quand même prendre le tramway ou le vélo ? Le vélo. Le vélo ? Pourquoi, parce que vous seriez toute seule ? Oui, à vélo. Alors que dans le tramway y’a d’autres gens autour de vous. Donc ça est-ce que ça vous dérange qu’il y ait beaucoup de gens autour de vous ? Non. Non, ça ne vous dérange pas ? Non, non. Ok. C’est pareil, moi j’ai des amis qui prennent le tram et ils ont déjà pris le tram avec Louise, la connaissant voilà … et ils me disaient que quand elle rentre dans le tram, elle va a sa place, toujours pareil, il peut y avoir plein de monde, il y a une place dans le fond, et j’ai une collègue qui me disait, ce jour-là il y avait énormément de monde sur le quai, parce que c’est le terminus Lille Flandres, elle s’est dit « ça va être compliqué pour elle parce que forcément, il y a du monde … » … Elle ne voit pas, elle me dit « elle était trop drôle parce qu’elle a pris sa place, tout de suite », elle n’est pas du tout perturbée par le monde. Enfin ça c’est ce qu’on m’a fait remarquer, moi je l’ai déjà vu aussi quand je suis avec elle, c’est vrai que des fois quand on prend les transports en commun, surtout quand on arrive dans un endroit comme Lille Flandres, y’a beaucoup de monde … Y’a du bruit, les gens courent partout, … Les gens se bousculent, courent partout, ça peut être violent quand même, je trouve, et elle n’est pas du tout perturbée, enfin elle trace sa route quoi, c’est pas … c’est pas le monde qui va la perturber, vraiment pas. Et dans le tramway ou dans le train, qu’est-ce que vous faites pour vous occuper? Je prends des mots croisés. Des mots croisés … C’est pas des mots croisés que tu fais, c’est quoi ? Des mots flé… Mêlés ! D’accord ! Je crois que j’ai tout ce qu’il me faut !
ARRET DU DICTAPHONE. Durée de l’entretien enregistré : 22min20sec
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Remerciements Je tiens tout d’abord à remercier Mme Grosjean pour son suivi tout au long de l’année, et pour la confiance qu’elle m’a accordée concernant le choix de ce sujet. Merci à Mme de Oliveira pour son aide dans ma recherche de contacts, afin de réaliser mes entretiens, et pour l’information qu’elle a pu me donner sur le projet d’habitat innovant pour personnes avec autisme (HabiTED) qu’elle mène avec son association ISRAA. Je tiens également à remercier Jules et sa maman, Louise et sa maman ainsi que Pierre, d’avoir accepté de répondre à mes questions et d’avoir partagé avec moi leur expérience. Un merci particulier à Marine Vignot pour le prêt de son dictaphone, pour la réalisation de ces entretiens. Je tiens enfin à remercier le Centre Ressources Autismes du Nord-Pas-de-Calais, pour le prêt de documents et leur accueil chaleureux.
[ Autisme(s) ] et désinsƟtuƟonnalisaƟon Des critères pour penser la «Ville Intense» ?
La « ville intense » se veut être « sociale », « solidaire » et désire luƩer « contre les exclusions ». Qu’en est-il alors des personnes en situaƟon de handicap? L’accessibilité aux personnes en situaƟon de handicap est aujourd’hui une donnée obligatoire à prendre en compte dans la concepƟon des espaces architecturaux comme urbains. Ces normes sont à considérer comme autant d’opportunités d’innovaƟon, afin de construire des cadres de vie plus agréables pour tous, dans une démarche d’inclusion de l’ensemble des citoyens dans la société.
“Ville intense” wants to be “social”, “supporƟve” concept and desires to fight “against exclusions”. What about disabled people? Nowadays, accessibility to disabled people is a thing to take care of in architectural and urban design. These rules should all be taken as opportuniƟes to innovate, to build more pleasant living environments for all, in an approach of inclusion of all people in society.
SI l’auƟsme est un handicap encore mal connu, on sait que les personnes avec auƟsme présentent un rapport parƟculier à l’espace architectural. Ainsi, nous pouvons nous demander si ces parƟcularités peuvent nous aider à établir une grille d’analyse afin de penser la ville pour tous, et qu’elle devienne « ville intense ».
AuƟsm’s disability isn’t really known nowadays, however we know that people with auƟsm have a specific relaƟon with architectural spaces. So, we wonder if these parƟculariƟes can lead us to imagine a city for all, which would be named “ville intense”.
A travers l’auƟsme, c’est une réflexion sur les praƟques urbaines contemporaines que je vous propose ici.
Through auƟsm, I propose a reflecƟon on contemporary urban pracƟces.
AUTISME DESINSTITUTIONNALISATION HANDICAP URBANISME VILLE INTENSE
AUTISM DEINSTITUTIONALIZATION DISABILITY URBANISM VILLE INTENSE