Louis H. Sullivan, la Forme suit la Fonction

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Louis H. Sullivan la Forme suit la Fonction

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Baptiste Charles Yves Bridelance Faculté d’architecture LaCambre-Horta / 2013 Promoteur : Pablo Lhoas


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« Qu'il s'agisse de l'aigle planant dans son vol, de la fleur éclose du pommier, du cheval de trait qui peine, du cygne folâtre, du chêne branchu, du ruisseau qui serpente à ses pieds, des nuages qui dérivent dans le ciel, et par-dessus tout, de la course du soleil, la forme suit toujours la fonction, c'est la loi. » Louis H. Sullivan, The tall office building artistically considered (1896)


Je dédie ce travail à l’ensemble de mes amis proches, qui m’ont accompagné et soutenu tout au long de mes études, ici trop nombreux pour être tous mentionnés. A mes amis et collègues de Master, qui ont su m’encourager et m’écouter parler de ce travail sans (trop) broncher : Guillaume, Anne-Laure, Tiago, Emmanuelle, Jean-François, Joana, Catalina, Delphine, Selim, Will (et tellement d’autres). A Elise. A ma famille, mes frères, ma soeur, mes parents et mon grand-père, pour leur franc soutien et leur intérêt sans cesse renouvelé en mes travaux. Je remercie aussi bien sûr Pablo Lhoas et Gilles Maury, pour leurs suggestions de lectures et leurs conseils avisés, sans qui ce travail ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Merci aussi à Colette Mell et Marie Despres-Lonnet pour leurs lectures attentives et leurs corrections respectives. A qui se trouve à l’aube d’une carrière d’architecte, angoissé de ne pas trouver sa place, de ne pas réussir à s’épanouir dans son métier, craignant de ne jamais réussir à assouvir totalement ses pulsions créatives, ou même d’avoir assez de temps pour les amener à maturité, je lui souhaite de s’intéresser à Sullivan. Au delà de l’obscur personnage mystique ou de la belle leçon d’architecture qu’il nous offre, plus que quiconque, Sullivan incarne la figure du courage, de la persévérance et de l’obstination dans le paysage de l’architecture moderne. L’histoire de cet architecte, non pas père, mais plutôt grand-oncle du modernisme, est celle d’un incompris, d’un curieux, d’un donneur de leçons sans égales, d’un imprudent. A ceux qui me liront, je souhaite de tout coeur au moins piquer votre intérêt, sinon réussir à vous faire partager ma passion pour l’oeuvre de cet architecte à part à bien des égards.

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Introduction Nous connaissons en architecture certaines figures emblématiques, qui par leur charisme, la maîtrise de leur profession ou leurs apports théoriques, ont su inspirer des générations de jeunes architectes. A la fin du 19ème siècle eut lieu un important débat d’idées précédant l’avènement de l’architecture moderne. Aux Etats-Unis surtout, où l’on vit une prise de conscience de la nécessité d’un style national, libéré de l’influence de l’académisme Beaux-Arts d’une part, et de l’industrialisme exacerbé d’une autre. L’enjeu était de taille, car il dessinerait le visage moderne des villes américaines à venir. On vit émerger plusieurs visions, dont l’une des plus atypiques reste aujourd’hui celle de Louis H. Sullivan. Sullivan a eu un impact considérable sur la pensée de ses contemporains. L’apport théorique, la complexité de sa pensée et ses écrits pourraient aisément être considérés à la hauteur de ceux de « Vers une architecture » du Corbusier. La seule chose qui sépare ces deux références (contemporaines, respectivement de 1922 et 1923), c’est l’homme. Le message de Sullivan n’a trouvé d’oreilles attentives que sur une courte période de sa vie, trop complexe pour être considéré valable, puis trop daté pour être jugé utile. On n’en garda qu’une formule, qui, amputée de la pensée mère qui l’avait formulée, acheva de brouiller les pistes et forgea le portrait nébuleux qu’on se fait de son auteur aujourd’hui, « La forme suit toujours la fonction ». Cette formule répond à un ensemble de problèmatiques que rencontraient les architectes et penseurs de la ville à l’époque. Révolutionnaire dans sa formulation, elle ne trouve sa réelle signification qu’une fois remise dans son contexte, accompagnée du champ lexical qui l’a vu mûrir. Alors que l’on assiste aujourd’hui à un retour de l’ornement chez certains architectes contemporains, il parait important de revenir sur le travail de celui qui fut l’un des premiers penseurs de cette tendance. Sullivan l’architecte bien sûr, mais aussi l’artiste-dessinateur, le penseur de son temps, l’écrivain philosophe... Les bribes d’informations que nous avions pu recueillir sur le personnage jusqu’à la réalisation de ce travail ne permettaient d’en dresser qu’un portrait fort incomplet. C’est de cette frustration qu’est née l’idée de réunir l’éventail des facettes du travail de l’architecte : son contexte, ses contemporains, ses références comme son legs théorique.

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L’objectif, dans un premier temps, fut de créer la biographie la plus exhaustive possible de Sullivan, en explorant des thématiques peu abordées par ses biographes. Ce travail fut par la suite complété d’une seconde partie, plus spécifiquement dédiée à la formule La forme suit toujours la fonction, l’objectif étant de la replacer dans le contexte des réflexions de Sullivan. En dernier lieu, nous avons proposé une mise en perspective à travers la question de la préservation et de la reconnaissance des bâtiments de Louis Sullivan aux Etats-Unis. Ceci a permis de mieux comprendre la méthode de Sullivan et de montrer qu’elle constitue un héritage important pour le projet aujourd’hui. Enfin, par delà le plaisir intellectuel de la découverte, nous voulions mettre à la disposition de l’étudiant ou du jeune architecte l’outil (en français) qui nous avait manqué jusque là. Dans la continuité de la vision d’artiste de Sullivan, et afin de faciliter la compréhension de sa pensée, nous avons accompagné visuellement ce mémoire d’un important travail graphique.


L’ archéologie du trait Ce travail est illustré d’un grand nombre de cartes, schémas, plans, coupes et façades redessinés ou créés par nos soins. Cette idée de mettre à disposition ces documents inédits est née de deux sources de frustration ressenties dès l’amorce de ces recherches. D’une part, nous n’avons encore jamais eu l’occasion ou les moyens de nous rendre à Chicago pour l’instant, et de contempler de visu l’oeuvre de l’architecte et /ou faire des relevés. D’autre part, il est extremement difficile de se procurer ces documents, qu’on ne retrouve qu’à des échelles réduites même dans les biographies spécialisées, ou en (très) mauvaise définition sur internet. Cette difficulté peut constituer un frein important pour celui qui souhaite découvrir l’oeuvre de Sullivan, et nous avons vu dans l’ajout d’éléments visuels un « plus » indéniable à apporter. La même méthode de tri de l’information a été appliquée à chacun des exemples abordés, dans une optique d’« archéologie du trait ». Les bâtiments choisis pour cet exercice de « redessin » sont tardifs dans la carrière de l’architecte, car nous souhaitions montrer sa production architecturale « mûre », nourrie de ses travaux théoriques. Afin de donner une vision globale de son travail, nous avons choisi d’étudier un panel de bâtiments de différentes échelles et abritant divers programmes. Chaque exemple est accompagné de schémas, certains mettant en lumière l’emplacement des ornements majeurs sur les façades, d’autres traitant de la question du rythme / de la géométrie sur ces mêmes façades. La question de la composition des plans y est également abordée.

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Image originale / Image redessinée Extrait du plan du premier étage de l’Auditorium, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Chicago: Richard Nickel Committee, p. 363


Sullivan : biographie d’un visionnaire

Production architecturale

A propos de Chicago Présentation du contexte : L’architecture et les enjeux socio-économiques suite à l’incendie de Chicago Le premier Chicago Après l’incendie Première période : 1873-1893 Evolution du style de Sullivan jusqu’à l’Auditorium, influences majeures et maturation du projet L’affirmation d’un jeune talent - L’immeuble Borden - Le Walker Warehouse - Le Theatre Mc Vicker - L’Auditorium A propos des Clubs de Chicago - « Le jeune homme devant l’architecture », Kindergarten Chats

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Seconde période : 1890-1898 Les problèmes auxquels Sullivan a dû faire face, ses solutions personnelles, ses apports et contradictions Adler & Sullivan à l’ère des gratte-ciels - Le Wainwright Building - Le Schiller Building - L’Union trust Building - Le Guaranty Building Contexte de travail avec Frank Lloyd Wright, divergences de point de vue - « La question de l’immeuble toute hauteur », Kindergarten Chats Troisième période : 1898-1924 Causes de la disgrâce de Sullivan, retour sur son réseau professionnel d’alors, ses projets non aboutis Egarement d’un génie de son temps - Le Bayard Building - Le Gage Building - Le Magasin Schlesinger & Mayer - Les huit banques du Midwest Lectures et correspondances

Ecrits

« Kindergarten Chats »

Le pouvoir et l’anticonformisme des Chats

Les thèmes abordés / retenus

- « Caractéristiques et tendances de l’architecture américaine », Kindergarten Chats


« Autobiography of an idea » Introduction - Pourquoi un récit à la troisième personne? - Le titre de l’ouvrage - What about Albert Sullivan?

Corps du récit : lecture personnelle, mise en avant d’extraits clefs

« A System of Architectural Ornament, According with a Philosophy of Man’s Powers »

A propos des grammaires de l’Ornement

Contexte de création et volontés de l’auteur

L’inorganique et l’organique - A propos du processus créateur - L’homme identifie l’organique et l’inorganique en lui-même - Quelque chose de plus sur les pouvoirs de l’homme - Le pouvoir de l’homme en action Les planches

La forme suit toujours la fonction

Que se cache-t-il derrière la « démonstration qui n’admet aucune exception » de Sullivan ?

L’ « idée »

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Une réflexion tronquée

Sullivan le mystique

Le texte initial de «Form follows function»

Mises en application

L’Auditorium Building 1889

Le magasin «Schlesinger & Mayer»

1896

La «Henri B. Babson house»

1908

Les banques du Midwest

1908-1919

La préservation du patrimoine Sullivanesque, un combat d’actualité ? Quelle mémoire perdure aujourd’hui du travail de Sullivan ?

Un état des lieux, échange avec David Van Zanten, Docteur et enseignant à la Northwestern University, auteur du livre Sullivan’s City: The Meaning of Ornament for Louis Sullivan (2000, W. W. Norton)

John Vinci, le référent

L’ouvrage «The complete architecture of Adler & Sullivan»

Les expositions «Looking after Louis Sullivan» et «Louis Sullivan’s Idea», 2010

Et après ?

La fascination pour le dessin de Louis Sullivan, réinterprétation par Woody Rainey

La mémoire de la méthode

Bibliographie raisonnée / Documents complémentaires


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Sullivan : biographie d’un visionnaire

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Production architecturale


A Propos de Chicago Le premier Chicago

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Le destin du « Plus grand architecte de l’école de Chicago » est intimement lié à la « Métropole des prairies », qui changea de rôle et d’importance en passant du statut de « Frontier Town » des années 1930 à celui de « BoomTown » dès la seconde moitié du 19ème siècle. A ce momentlà, un tiers de la population vivait dans des campements de fortune, les plus aisés dans des maisons de bois en ossature légère préfabriquée. Celles-ci pouvaient se construire rapidement, sans nécessiter de main d’oeuvre qualifiée ; seule la prison était construite en pierres. Bien que ces maisons traditionnelles résistaient structurellement aux écarts de sécheresse et d’humidité, leur isolation était quasi nulle. Leur fort besoin en combustible et leur composition hautement inflammable participèrent largement à l’ampleur du fameux incendie, et motivèrent leur abandon progressif au profit des structures métalliques ignifugées à la « terra cotta ». Le premier Chicago souffrait énormément de l’humidité ambiante, de la boue et de l’eau stagnante dans les rues. Cela posait des problèmes de salubrité, de santé publique, auxquels s’ajoutait un manque d’efficacité des infrastructures urbaines. En effet, les voiries n’étaient pas toujours pavées, les trottoirs n’étaient parfois que de simples planches de bois posées à l’entrée des bâtiments, et les égouts, en surface, rendaient souvent l’air nauséabond. A cause de ce même sol boueux, les architectes de Chicago devaient prendre en considération un tassement de plus de 60cm (!) lors de la construction de leurs bâtiments. La grande ville dynamique, se reconstruisant sans cesse, a su profiter de son emplacement stratégique. A l’« ère des canaux », on compte notamment l’ouverture du canal de l’Erié en 1825, ainsi que celle du canal reliant le bassin du Mississippi et le lac Michigan en 1829. Ces travaux furent entrepris par l’Etat d’Illinois, tandis que la (re) construction de la ville était laissée à l’initiative privée. D’un point de vue urbain, c’est le chemin de fer qui a posé les bases de la ville que nous connaissons aujourd’hui. Pas moins de 10 lignes furent installées en 1856, desservant les usines Mc Cormick et les fameux abattoirs dès 1865.

Après l’incendie Le 8 octobre 1871, le grand incendie de Chicago s’est déclaré. Il ravagea un tiers de la ville en trois jours, pour finalement s’éteindre, faute de combustible. Il fit plusieurs centaines de morts, laissa 100 000 sans-abris et les dommages furent estimés à un montant de 200 millions de dollars. Le centre des affaires, les rues commerçantes comme les usines du nord étaient à reconstruire, mais 200 chantiers étaient déjà lancés la semaine suivante ! La structure urbaine subsista globalement, avec le « loop » et les banlieues ; mais les matériaux, méthodes de construction et ambitions d’ingénieurs s’adaptèrent au défi : faire renaître la ville de ses cendres, plus belle, plus grande, plus haute. Suite à l’incendie de 1871, la ville fut reconstruite très vite. Théâtre du capitalisme sauvage et de l’argent sale, attirant gangsters des années folles et agitateurs politiques, c’était une ville violente. D’un vue économique, il s’agissait d’une ville très dynamique, ainsis que du plus grand abattoir du monde jusqu’aux années 1970, ou « porkopolis ». Ces abattoirs s’installèrent au sud de la ville ; on y abattait en 1877 près de 500 000 bovins et 2 millions de porcs par an. Les patrons quittèrent le centre pour de nouveaux quartiers en périphérie, les usines s’installèrent près du port et des gares, accompagnées des ghettos des populations immigrées qu’elles employaient. Le territoire fut successivement segmenté par le tramway à cheval, le métro aérien et souterrain, et enfin la voiture, apportant à la ville sa fameuse trame urbaine. Peu à peu, le centreville devint très monofonctionnel, avec une implantation massive du secteur tertiaire et des activités commerciales, les habitations en étant quasiment bannies.

Sullivan fut marqué par cette ville, sa ville, « la plus militante des Etats Unis », où anarchistes manifestaient dans les rues alors que les premiers gratte-ciels se construisaient. En réaction à l’effroyable barbarisme et autres clivages sociaux dont la ville était le théâtre, nous pouvons comprendre la sophistication, le raffinement de Louis Sullivan et ses contemporains intellectuels d’alors. Dans ce climat de concurrence féroce et révoltes multiples, au sein du grand laboratoire social et urbain, on retiendra ses mots, écrits dans l’ Autobiographie :

« La ville se donnait des extinctions de voix à force de réclame. Mais les vantards de Chicago se différenciaient des menteurs de l’ecclésiaste, car ce qu’ils disaient était vrai. Et s’ils avaient dit, au milieu du tumulte: « Nous sommes les rêveurs et les entrepreneurs les plus grossiers, les plus vulgaires et les plus sauvagement ambitieux du monde », ç’aurait été vrai aussi. Car ces hâbleurs se flattaient d’être « la ville la plus lourdement endettée du monde ». Ce qui plaisaient assez à Louis, dont le regard restait fixé sur la prairie infinie et le lac majestueux. »

Illustrations : - Ernest Burgess, Robert E. Park, (1930), The city , « Schéma de la croissance de la ville de Chicago : cercles concentriques qui s’interpenetrent », University of Chicago Press, 250 p. - « The Heart of Chicago 1900 Streetscape Photo », Woodhaven Historic Photographs Références : - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p.17-26 - Collectif, (1988), Chicago, naissance d’une métropole 1872-1922, Editions Réunions des Musées Nationaux, Musée d’Orsay, 479 p.


Loop

Zone de transition vague immigration 1

Petite Sicile Port Ghetto

Habitat travailleurs vague immigration 2

Appartements China town

Zone residentielle classe moyenne

Immigrés allemands Quartier noir «Hotels residenciels» Abattoirs

Zone residentielle population aisée «commuters»

Maisons de campagne

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Première période: 1873

1893 L’affirmation d’un jeune talent

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Alors que tout restait à faire à Chicago, Sullivan y vit l’opportunité d’y trouver sa place en tant que jeune architecte. De retour des Beaux-Arts, à tout juste 19 ans, il travailla pour l’ingénieur Dankmar Adler puis fonda son agence avec lui. Sans nul doute, Adler a su lui apporter très vite son expérience et certaines connaissances techniques nécéssaires. Le tandem dirigea pendant près de quinze ans une des principales agences de Chicago, employant jusqu’à 50 dessinateurs pour produire en tout plus de 150 projets. L’immeuble Borden, construit en 1880, au début de leur collaboration, démontre déjà l’ensemble des qualités communes qui allaient faire leur force. Le génie créatif du jeune étudiant des Beaux-Arts, associé à l’audace technique de l’ingénieur, permit de construire rapidement l’image de marque de l’agence : radicalisation de la façade, baies généreuses et entrées de lumière, ornements fins stratégiquement placés. L’amour de Sullivan pour l’association de matériaux, textures et couleurs en façade se fait aussi ressentir sur ce projet, avec brique, céramique, fonte, fer, et déjà des éléments de terra cotta. Ce bâtiment marqua l’invention et la mise en application du « système vertical » que Sullivan s’appropria. Ce système lui permit d’affiner sa structure porteuse pour laisser place à une succession de baies, et selon lui, lui apporta très jeune un statut d’« iconoclaste et révolutionnaire ». Viennent ensuite quelques bâtiments (magasins et bureaux) pour les Rothchild et Ryerson, grandes familles bourgeoises de Chicago. Sullivan y est critiqué pour sa tendance à l’ornementation « déplacée », bien qu’il s’agissait en fait volonté de rendre visible la fonction de l’immeuble par le placement de ses ornements. Une ambiguité de plus à rajouter à son palmarès, cette tension constante entre fonctionnalisme apparent des façades et éléments ornementaux riches savamment placés ; nul doute aussi qu’il s’agissait d’un argument auprès du client : le regard du passant cherchant les ornements ne pouvait que s’attarder sur l’enseigne en cours de route.

Au cours de la même période, l’agence mit au point une douzaine d’entrepôts et usines à proximité du loop, sortes de « Boîtes » de pierre ou de brique. Pour ce type de programme, l’oeuvre du bostonien H.H. Richardson et son « Wholesale Store » des magasins Marshall Field (1887) marqua particulièrement le jeune Sullivan. Il existe d’ailleurs de nombreuses similitudes entre ce bâtiment et le Walker Warehouse de Sullivan, construit pour les Ryerson. Le bâtiment de pierre possède sept étages, les façades se divisent chacune en huit couples de baies et le soubassement monte sur deux étages. Les ornements sont limités et de grandes arches signalent les entrées. Ce type de compositions et ces principes serviront de base à de nombreux immeubles construits ensuite par l’architecte. Adler joua un rôle déterminant dans l’élaboration d’un autre type de programme affectionné par l’agence: les théâtres ou music halls. En effet, le marketing urbain prenait de l’importance et les Music halls devenaient le programme culturel en vogue, prisé par la bourgeoisie des villes. La première commande de ce type rencontra un franc succès (le « Grand Opera ») et l’agence se chargea ensuite d’une « academie de musique », du théatre Hooley... les performances acoustiques ainsi que la richesse de leurs décors faisant son image de marque. Le jeune Sullivan fut à l’époque interviewé, déjà décrit comme « un gentleman agréable mais un peu dérangé par de grandes idées tendant à la métaphysique ». Celui-ci refusait d’être catalogué et jugeait son travail en continuité avec « les premiers principes de Spencer et la doctrine de l’évolution de Darwin ». Cet engouement pour les salles de spectacles permit à l’agence de créer le grand Auditorium du festival opératique de Chicago (1885, 6200 places), puis le fameux Auditorium Building. En réalité, le premier était une structure temporaire, installée en quelques mois, mais tellement grandiose et rentable qu’elle motiva la construction du second. Au même moment, c’est le théâtre McVicker qui faisait figure de projet principal de l’agence. Immeuble grandiose intégrant différents programmes (dont des bureaux en façade) et un système de ventilation mécanisée innovant, il marqua aussi l’apogée décorative du jeune Sullivan. Il s’agit aussi du premier bâtiment où l’architecte adoptait les ampoules incrustées plutôt que les lustres. Plus de 1000 ampoules éclairaient la prolifération de dorures et panneaux de staff, ne laissant aucun répit, aucun vide hormis la scène du théâtre. Sullivan était alors un ornementaliste éclectique, mais il eut sans doute peur qu’on se souvienne de lui comme d’un « simple » décorateur, rendant plus « esthétiques » les grandes structures industrielles d’Adler, trop froides pour le bon goût bourgeois d’alors. Rappelons que la tendance en Europe voulait que l’architecte soit relégué au traitement des façades, sans avoir à toucher aux structures des ingénieurs. Cette dérive hanta le jeune Sullivan jusqu’à l’oeuvre de sa véritable maturité architecturale : l’Auditorium Building.

Illustrations : - En haut : Henry Hobson Richardson, Wholesale Store, Chicago, 1887 - En bas : Louis Sullivan, Walker Warehouse, Chicago, 1888-1889 ( http://www.studyblue.com/notes/note/n/midterm-1-buildings/deck/2133421 ) Références : - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p.27-38


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La construction de l’Auditorium occupera Sullivan quatre ans, le laissant très fatigué et lassé de Chicago. C’est à ce moment-là qu’il décida de s’accorder du repos et partit visiter la Californie et la Nouvelle-Orléan. Il y retrouva un couple d’amis de Chicago, les Charnley, et découvrit avec eux Ocean Springs. Il y fera bâtir un cottage, et s’y rendra tous les mois de mars des dix-huit années qui suivirent. Il est évident que lorsque la banqueroute le força à s’en séparer en 1905, cela l’affecta profondément. Il éluda la cause et évoque même un ouragan dans l’ Autobiographie: « Apres dix-huit ans des soins les plus tendres, ce paradis, ce poème printanier, cet alter égo de Louis fut détruit par un ouragan capricieux venu des Antilles ». Il faut croire que le destin a fini par l’exaucer, puisque le petit cottage fut bel et bien gravement endommagé par l’ouragan Katrina en 2005.

A propos des Clubs de Chicago

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L’école de Chicago, dont Sullivan fut l’un des plus actifs membres, définit dès le début des années 1880 ce que devait être le gratte-ciel commercial américain. C’est en suivant la tendance opposée que la «Prairie School» fit son apparition en 1900, privilegiant l’éxploration de l’architecture des maisons traditionnelles américaines. Chacune des écoles, portées par Sullivan d’un côté et Wright de l’autre, marquèrent leurs différents dès l’Exposition Colombienne (le quatrième centenaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb). Cette exposition fut une lourde défaite pour Sullivan, et un frein définitif aux recherches de l’école de Chicago, considérant qu’elle promut le néoclassicisme et l’académisme au rang de nouvelle architecture dogmatique. Les idéaux de Sullivan étaient bafoués et il en voulut à nombre de ses confrères, jugés avilis par l’appât du gain et manquant de scrupules à l’égard du public néophyte. Il s’en prit même directement à Burnham, qu’il accusa d’avoir pollué définitivement l’esprit de ses contemporains américains. En ses mots, dans l’ Autobiographie :

« C’est alors qu’apparut à l’horizon le petit nuage blanc. Il venait de l’Est... Le travail achevé, on ouvrit les portes le 1er mai 1893... les foules furent stupéfaites. Elles contemplèrent ce qui était pour elles la révélation de l’art architectural, art dont elles ne connaissaient rien jusqu’alors. Ce fut une véritable apocalypse, un message venu d’en haut. L’imagination populaire en conçu de nouveaux idéaux. Et les visiteurs rentrèrent chez eux, emportant tous dans leur âme l’ombre du nuage blanc, tous contaminés par le poison subtil à effet retardé... Les dégâts causés par l’Exposition universelle dureront au moins un demi-siècle après elle, sinon d’avantage. Ils ont profondément pénétré les tissus cérébraux du peuple américain, produisant des lésions qui conduisent à la démence. »

Illustration : Référence :

Suite à l’exposition, chacune des écoles durcit ses positions afin de défendre ses idéaux, mais du admettre qu’elle ne pourrait pas s’imposer comme un courant majeur aux yeux du public. A cela s’ajouta une crise économique entre 1893 et 1903. Particulièrement présente à Chicago, elle frappa tous les domaines liés au bâtiment et mit bien entendu en difficulté les agences d’architecture. Cette crise eut pour effet de remettre en question le statut des architectes et de leur profession, surtout en ce qui concerne leur rôle social. La méfiance vis-à-vis des mouvements européens ( Sezession, Arts & Crafts...) et les nouvelles demandes sociales liées au logement vont pousser les jeunes architectes américains à affirmer leur point de vue théorique et politique sur leur production. On voit ainsi apparaître une série de groupes aux dogmes tous aussi « louables » les uns que les autres (féministes, hygiénistes...). Intellectuels, sociologues et politiciens s’y réunissaient autour d’architectes et exposaient librement leurs idées. Parmis ces clubs le « Chicago Architectural Club » occupa une place prépondérante, il comptait pas moins de 120 membres en 1902. Très actif, il génèrait même concours, conférences et organisait une exposition annuelle des travaux de ses membres. D’abord relativement conservateur, son aura dépassa même le sol américain. Il absorba par la suite « le groupe du Steinway Hall » (où figuraient entre autres Wright et W. B. Griffin) et invita même le fameux Sullivan. A son initiative, l’A.L.A (Architectural League of America) fut créée, fédérant tous les clubs d’architectes du pays. Les débats qui y avaient lieu furent alimentés par de fameux discours de Sullivan dont certains furent repris dans Kindergarten Chats ; on y trouve par exemple « la question du pure design », et « le jeune homme devant l’architecture ». Ce dernier est particulièrement intéressant et concentre à la fois les talents d’orateur de l’architecte et la logique intrinsèque de son discours. Il faut situer le contexte : le congrès, qui s’est étendu sur trois jours, est sur le point de s’achever, et la salle de l’auditorium est comble. Des architectes de Chicago et d’ailleurs, des jeunes salariés comme de grands patrons ont débattu de l’ensemble des questions sur lesquelles ils vont devoir se positionner. Ce, afin de représenter au mieux le nouveau visage, sain comme téméraire, de la profession. Un grand banquet est offert et Daniel Burnham porte les toasts, la presse est au rendez-vous, on a longuement applaudi et chacun attend le discours de clôture de Sullivan. Après un intermède musical, le prophète prend la parole. Selon un journaliste du Brickbuilder alors présent, il fut écouté avec la plus éxtrème attention, et ses « graves paroles » touchèrent chacune des âmes présentes. Dès le commencement, il installe la scène: un jeune homme, riche d’idéaux romantiques, dans lequel chacun se retrouve, est confronté aux bruits et mouvements de la ville ; en ses mots, « tous signes, figures et prédictions de notre civilisation ». Le jeune homme fait silence, et ne peut alors que compter sur son esprit logique: c’est le début de la formation architecturale. L’architecture n’est pas thérapie, elle ne se complait pas dans quelque singularité gratuite. Elle est trop sérieuse pour reposer sur des bases faussées, nécessitant avant tout logique et bon

- Plaque de verre ornée de la porte de l’agence «Adler & Sullivan», Chicago History Museum, redessinée Louis Sullivan, (1900), «The young man in architecture», Discours (Additional papers, Kindergarten Chats)


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usage du cerveau humain. A l’instar de la plante qui croit et murit, l’esprit découvre peu à peu la pensée organisée et la simplicité, « fruit de la complexité organique ». Explicité par l’architecte dans Kindergarten Chats, ce discours utilise un vocabulaire qui à l’époque dépassait la simple analogie pour traduire clairement une méthode de conception du projet. Ces idées de la croissance et de la complexité organique sont alors très répendues et défendues par de nombreux architectes. Nous pouvons retenir le fait que la simplicité est méthode, et qu’elle consiste à contrôler les étapes de la croissance d’une figure jusqu’à son accomplissement final.

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Ce discours constitue un tour de force de génie, Sullivan met en effet des mots sur un ensemble de pensées latentes que la majorité de son auditoire partage, et si chacun l’admet, alors un grand nombre de doutes n’ont plus lieu d’être. En ce qui concerne l’originalité, par exemple, « Ne mettez pas tous vos efforts, je vous en avertis, après ce qu’on appelle l’originalité », à un esprit « correctement entrainé, l’individualité de l’expression vient naturellement comme la fleur vient à la plante, car c’est une loi de la nature » ; le style, lui, ne se force pas, il est le fruit d’une convergence d’idées entre différents individus avertis. De même pour les références, il faut respecter les livres et leur contenu, mais aussi les questionner et refuser leur autorité. Sullivan achève son discours en rappelant deux de ses combats : l’idéal démocratique à préserver des conservateurs véreux, et le système éducatif réactionnaire qui est à repenser intégralement. Ces thèmes ne sont pas choisis au hasard, ils hissent le débat et l’étendent à l’échelle de la société, dont les architectes sont membres actifs et penseurs de son devenir. Enfin, Sullivan, dans la fièvre de l’instant, pointe furieusement son auditoire du doigt et prononce son ultimatum :

« Voulez-vous ou ne voulez-vous pas, avez-vous le désir ou non de devenir ces architectes dont tout le souci sera d’épanouir la démocratie en se chargeant d’interpréter ses exigences matérielles et ses aspirations? A l’heure dite, je n’en doute pas, vous saurez répondre à votre façon. Mais je vous avertis: le temps qui vous reste pour répondre est compté. Car, si jeunes que vous soyez, déjà vous êtes moins jeunes qu’hier. Et demain? Demain! »


Seconde période: 1890

1898 Adler & Sullivan à l’ère des Gratte-ciels Dès la fin des années 1880, l’agence Adler & Sullivan connait une renommée extraordinaire ; celle-ci exécute par exemple pas moins de 30 projets au cours de l’année 1890. Les commandes importantes affluent et les deux associés abandonnent progressivement les locaux industriels et maisons individuelles pour concevoir de grands immeubles. Bien que cette période soit brève, elle a permi nombre des bâtiments considérés comme les plus représentatifs de l’alchimie entre les deux hommes. Sullivan y trouva l’occasion de mettre directement en pratique ses théories sur ce que doit être la nouvelle architecture américaine, à la fois moderne et authentique. Il est des premiers à considérer par exemple l’immeuble toute hauteur comme l’expression la plus pure de celle-ci. Parmi les oeuvres majeures de cette période, nous pouvons citer le Wainwright Building (1), le Schiller Building (2), l’Union Trust Building (3), et le Guaranty Building (4). C’est pendant l’hiver 1889 que Sullivan rencontra un brasseur de Saint Louis du nom de Wainwright. Il avait pour projet de construire un immeuble de bureaux et achèta en 1890 une parcelle d’angle entre Chestnut Street et la 7ème Rue. Il demanda à Sullivan un immeuble de huit niveaux, avec bureaux, brasserie et salle de billard au rez-de-chaussée ; l’ensemble permettant le plus possible d’entrée de lumière naturelle. Sullivan voulut que l’architecture reflète l’aspect révolutionnaire des nouvelles structures métalliques légères, tout en finesse et verticalité donc. Wright, alors employé à l’agence fut particulièrement marqué par l’efficacité et le génie dont fit preuve son « Liebermeister » sur ce projet ; pour lui, il était clair que c’est à ce moment-là que sa vision prit forme, le « gratteciel » était né.

bien qu’il soit en apparence d’un seul tenant, il entoure en réalité une cour intérieure et correspond éventuellement plus au type « îlot » que tour. Le bâtiment monte donc sur neuf niveaux, avec un plan en « U », et respecte les codes en vigueur de la façade noble et de celle(s) de service. Sur la façade, la verticalité prime, avec des colonnes saillantes « toute hauteur « (à partir du socle de deux étages) ; pour renforcer cette verticalité, Sullivan alla jusqu’à mettre deux fois plus de pilastres que nécessaire en façade. Le dernier étage, qui regroupe les espaces communs et de service, n’est éclairé qu’à travers de petits oculi, encastrés dans une immense frise ornementale venant couronner l’immeuble. Depuis l’extérieur, l’immeuble reste spectaculaire de par son caractère monolithique et sa couleur rouge/rouille homogène ; l’intérieur a cependant été entièrement dénaturé par une « restauration » au début des années 1970. Le jeune Wright fut licencié peu de temps après l’achèvement de ce projet, Sullivan ayant découvert qu’il développait sa propre clientèle et travaillait sur des projets personnels pendant les weekends. C’est du moins ce que l’histoire en a retenu, mais cette rupture cache avant tout de réelles divergences de points de vue. Wright, impétueux et téméraire, commençait à mûrir sa vision de la composition architecturale et ornementale, et en vint à remettre en question l’approche sullivanesque. Il reprochait, entre autre, le façadisme de l’immeuble Wainwright, tandis que Sullivan faisait des séquences ornementales une des valeurs de son architecture. Wright admirait comme questionnait le fait que Sullivan semblait privilégier la plasticité de la forme, sans vraiment adapter son dessin aux caractéristiques du matériaux auquel il le destinait. En ses mots :

« Tous les matériaux étaient « argile » dans les mains du maître. (…). A cause de ce sens resplendissant de la sympathie qu’il possédait - pour tout ce qui le regardait ou qu’il voulait en savoir, les matériaux étaient à peu de chose près un seul pour lui. Dans l’élément plastique primordial l’argile- son imagerie opulente pouvait triompher, et elle le fit » Dans leurs méthodes même, Wright confessa n’avoir jamais su être aussi habile que le maître à main levée, et se servir du thé et de l’équerre en douce pour produire et redessiner les ornements à l’agence. Sullivan reprochait à la rigueur des instruments de dessin la rigidité éxtrème à laquelle ils pouvaient conduire, ôtant par la même toute vie à l’ornement, alors que Wright, au delà de la méthode, reprochait à Sullivan ce manque continu de consistance, cette « mollesse » dans le trait, trop éloignée du matériau concret. Ces différends mirent fin à six ans de collaboration (1887-1893) et tous deux prirent en main les combats futurs qui leur seraient propres.

Un bémol cependant, ou plutôt une nuance. Dans le contexte urbain de l’époque, il va sans dire qu’un bâtiment de ce type fut l’un des premiers à soulever les problèmes de promiscuité, de vues et de mise à distance. De ce fait,

Référence : Citation :

17

- Louis Sullivan, (1896)« The tall building artistically considered », (Additional papers, Kindergarten Chats) - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p.62-95 - Frank Lloyd Wright, (1949), Genius and the Mobocracy, New York : Duell, Sloan, and Pearce, 113 p.


La question de l’immeuble en hauteur Sullivan n’avait jamais eu l’occasion d’exprimer sa théorie sur les gratte-ciels avant de se voir attribuer la commande du Schiller Building. Il en profita pour s’exprimer dans le magazine The Graphic, en écrivant l’article «La question de l’immeuble en hauteur». Cet article, qu’on retrouve dans les Chats, soulève les thématiques majeures liées à ce nouveau type d’architecture : le gabarit, la lumière naturelle, l’équilibre privé-public (espaces à louer du propriétaire/ air et lumière du passant). A cheval sur les mesures et les gabarits, il posa même ce qui pourrait aujourd’hui être comparé à des règles de PLU. Bien au courant du caractère impétueux de ses contemporains, il tenta d’inculquer la « politesse urbaine » aux entrepreneurs trop gourmands, peu soucieux de la qualité de vie des espaces urbains. On peut résumer ces quelques règles ainsi : - Pour la rue chicagolaise de 22m de large, le premier gabarit d’immeuble n’excèdera pas 43,5m. (soit un angle de 30° depuis le bout de la rue) - La hauteur de 43,5m signifie 10 étages de 4m (3,5m sous plafond et 0,5m de dalle) - Ensuite, le second gabarit doit faire au maximum la moitié du premier, et peut monter sur deux fois sa hauteur (97m + 43,5, on arrive à 140,5m)

18

- Si le propriétaire souhaite encore faire monter son immeuble, il ne doit pas construire sur plus d’un quart de la parcelle au sol. - Dans le cas d’une parcelle d’angle entre deux voies de largeurs différentes, l’immeuble ne sera pas plus haut que la somme des largeurs de ces voies.

3

2

11 niveaux 43,5m

1

000 dollars. Accolé à l’immeuble Borden, de dix ans son ainé, le Schiller Building cristallisa la mise en application des idées de politesse urbaine exposées la même année par Sullivan, mais aussi ses limites. On y trouve au rez-de-chaussée le grand hall et deux boutiques, puis une batterie de bureaux donnant sur la rue. Dans les étages, un plan en « I » permet à l’architecte de dégager assez les façades latérales pour apporter à toutes les pièces la lumière naturelle (quasi-zénithale, compte tenu du fort vis-à-vis ). A partir du 11ème niveau, les locaux sont alloués au « Club allemand » (restaurant, brasserie, salon, petit théâtre et belvédère au sommet). Totalisant 17 étages, il s’agit du plus grand immeuble construit par Adler & Sullivan ; il est d’ailleurs pensé pour être vu par le piéton comme une tour, l’architecte redoublant d’efforts pour faire paraître cet ensemble « Tour-Théâtre » interdépendant comme deux unités distinctes depuis l’extérieur. Autre curiosité, des programmes semblables tels que le grand et petit théâtre ne suivent pas la même logique d’implantation dans le bâtiment, le premier se positionnant naturellement en fond de parcelle, tandis que l’autre impose un mur aveugle à la façade principale au quinzième étage. Comme souvent chez Sullivan, le bâtiment comporte un « socle » pourvu d’un traitement différant de celui du reste de la façade. Celui-ci dispose de deux statues d’atlantes, deux grandes vitrines, et un grand balcon (au premier étage) surplombant la porte d’entrée tripartite. Pour le reste, la façade est recouverte de pierres de taille et terra cotta, reprenant le rythme tripartite rigide, et appuyant la fonction « bureaux ». Deux colonnes de Bow-windows encadrent la tour sur les huit premiers étages, on trouve ensuite cinq héros du folklore germanique gravés sur les allèges du quinzième étage, puis une frise de terre cuite sur toute la hauteur du seizième, qui, avec la corniche le surplombant, cadre efficacement le sommet de la tour. Rappelons que, comme chacun des théâtres de Sullivan, celui du Schiller a marqué les esprits de par la virtuosité de ses ornements et ses performances acoustiques. Six ans après son inauguration, le bâtiment fut rebaptisé « Dearborn ». Il devint ensuite cinéma en 1928, puis fut rasé en 1961 pour être remplacé par un parking a étages... Triste fin pour ce fantastique bâtiment, incarnation du savoir-vivre urbanistique. Entre deux projets majeurs, Sullivan créa la tombe de Charlotte Dickson Wainwright, dont il dessina chacun des ornements à échelle humaine. Elle reste encore aujourd’hui dans les mémoires comme l’une de ses plus fascinantes oeuvres, tant dans sa volumétrie inhabituelle que par l’incroyable finesse de son décor.

22m 1/2

1/4

Le Schiller Building (2) , ou « opéra allemand » fut commandé par le « Club allemand » de Chicago. Il comporta un petit auditorium de 1300 places, encadré par 28 bureaux, et 350 chambres d’hôtel, le tout pour 750

Schéma personnel Photographies : (retravaillées) - http://commons.wikimedia.org/ - http://emh-runningdesign.blogspot.fr/ - http://www.shorpy.com/ - http://www.wikiartis.com/

Lors de l’exposition Colombienne de 1894, le pavillon des Transports de Sullivan reçut un accueil des plus favorables des critiques européens. Il se pencha sur le projet de l’Union Trust Building (3).


19

1.

3.

2.

4.

1.

Wainwright Building

1890

2.

Schiller Building

1891

3.

Union trust Building

1893

4.

Guaranty Building

1896


Celui-ci, situé à proximité du Wainwright, d’un budget équivalent à celui du Schiller, respecte un plan en U, donnant l’impression depuis la rue de deux tours de 60m de haut, reliées entre elles en fond de parcelle. Le « U » ne faisant que 15m de large, la quasi totalité des bureaux est éclairée naturellement, le mur mitoyen du fond étant le seul aveugle. L’ensemble des façades, du deuxième au dixième étage, sont relativement épurées, laissant apparaître de larges baies cadrées par une structure fine. Le socle est par contre extrêmement chargé : l’immense porche d’entrée est cadré par six larges baies, les ouvertures de l’étage consistant en une série d’oculi, le tout noyé dans une frise sculptée. On y trouve également sept lions portant des écus, figure ornementale chère à Sullivan, et ici très présente. On observe un contraste similaire avec les derniers étages de l’immeuble : des colonnes non porteuses, une soixantaine de têtes de lions sculptées dans les allèges, des têtes de chauves-souris marquant les coins... un bâtiment un peu bavard et confus donc, considéré par beaucoup comme en deçà de ce qu’avait montré Sullivan auparavant. La même année verra l’apparition de la Bourse de Chicago, bâtiment conçu dans l’optique de faire de l’ombre à celle de Wall Street à New-York. Il ne reste aujourd’hui que son arche d’entrée, la salle des cotations, reconstituée en 1977 à L’Art Institut de Chicago, et des éléments disparates sauvés de la destruction.

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L’agence créa avec ce dernier gratte-ciel une de ses oeuvres les plus cohérentes, les plus modernes, et paradoxalement une des plus richement ornementées. Un pied de nez à la tendance européenne qui prônera après Loos de plus en plus de dépouillement. L’histoire ne dévoilera pas ce qui aurait pu venir ensuite, car Adler abandonna le métier en 1895 (et décéda à peine cinq ans plus tard), laissant Sullivan seul aux commandes de l’agence. Certains jugeront que l’éclectisme de la production d’Adler & Sullivan, cristallisée en ces quatre gratte-ciels, démontre un manque de maturité dans la démarche, dans la pensée et le projet. Nous pensons que Sullivan a toujours eu à coeur de se renouveler, de tester de nouvelles méthodes de construction/matériaux et expressions architecturales, chaque essai étant une expérimentation nécessaire pour mettre son Idée à l’épreuve. Il est aussi important de garder en tête que la production architecturale de Sullivan est à considérer parallèlement à sa production écrite. Certains des articles majeurs contenus dans Kindergarten Chats datent d’ailleurs de cette seconde période de l’épopée de Sullivan.

En 1895, Adler & Sullivan construisent ce qui sera leur quatrième et dernier gratte-ciel: le Prudential, à Buffalo, plus connu sous le nom de Guaranty Building (4). Celuici fait 11 étages, plus deux de commerces qui occupent le socle. Situé entre Pearl Street et Church Street, la parcelle qu’il occupe en quasi totalité fait 32 par 37 mètres. Son implantation en « U », comme l’impression de « bloc plein » qu’il donne au passant, évoque l’immeuble Wainwright bâti cinq ans auparavant. La corniche généreuse et sa rangée d’oculi sur le dernier étage reste, à notre avis, un des détails les plus efficaces dans leur fonction de « capteurs d’attention » et fins dans leur réalisation bâtie jamais réalisé par Sullivan. Les deux façades donnant sur la rue, très homogènes et rassurantes dans leur expression, sont recouvertes de plaques de terra cotta.

Illustrations :

- Schémas d’interpretation personnels : Fonctions, Formes, Stratégie commerciale, Plan


3. 3. Sommet : étages nobles -Communiquer le prestige de l’entreprise à l’échelle de la ville -Terminer le volume du bâtiment en lui donnant un caractère unique 2.

1.

3.

2.

1.

2. Etages : bureaux/ services -Exprimer le serieux, l’éfficacité de l’entreprise -Mettre en avant l’idée d’égalité dans le travail 1. Socle : RdC Commercial -Attirer le regard/ image de marque -Inviter le passant à entrer/ creer l’évenement Fonctions : clairement séparées/ hierarchisées

Exemple d’application:

3. : étages nobles : attirer le regard/ impact stratégique depuis la rue LaSommet stratégie commerciale -Communiquer le prestige de l’entreprise à l’échelle de la ville le volume du bâtiment en lui donnant un caractère unique Sommet -Terminer : étages nobles -Frise ou larges baies/ Ornements aux angles = Attirer le regard depuis la rue 2. Etages : bureaux/ services -Exprimerservices le serieux, l’éfficacité de l’entreprise Etages : bureaux/ -Mettre en mises avant en l’idée d’égalité le travail -Verticales avant, quittedans à ajouter des éléments non porteurs = Guides 1. Socle : RdC Commercial Socle : RdC Commercial -Attirer le regard/ de marque -Marquer l’entrée/image l’oppulence du lieu -Inviter le passant à entrer/ creer l’évenement Surfaces plus ou moins ornementées

Exemple d’application:

3.

2.

1.

La stratégie commerciale : attirer le regard/ impact stratégique depuis la rue Formes : très diverses, fouillées ou volontairement dépouillées Sommet : étages nobles Sommet -Frise : Corniche massive + Frise sculptéeaux ouangles système ouvertures différent ou larges baies/ Ornements = Attirer le regard depuis la rue -Apparence «étage noble», pas toujours dans la fonction Etages : bureaux/ services Etages : plus «lisses»mises en avant, quitte à ajouter des éléments non porteurs = Guides -Verticales -Des angles massifs cadrent la façade: effet «forteresse» cher à Sullivan Fonctions : clairement séparées/ hierarchisées -Les allèges, souvent moulées, sont plus sombres, en retrait par rapport aux piliers Socle : RdC Commercial 3. Sommet : étages nobles -Marquer l’entrée/ l’oppulence du lieu Socle : sur deux étages, sinon plus (déséquilibre) -Communiquer le prestige de l’entreprise à l’échelle de la ville -Entrée principale prédominante, souvent centrale -Terminer le volume du bâtiment en lui donnant un caractère unique Surfaces plus ou moins ornementées -Grandes baies vitrées d’ornements (gravures, statues...) 2. Etages-Proliferation : bureaux/ services -Structure le volontairement épaissie -Exprimer serieux, l’éfficacité de l’entreprise -Materiaux d’habillage differents que le surtravail ledépouillées reste de la façade Formes :-Mettre très diverses, fouillées ou volontairement en avant l’idée d’égalité dans Sommet Corniche massive + Frise sculptée ou système ouvertures différent 1. Socle : :RdC Commercial -Apparence «étageimage noble», toujours dans la fonction -Attirer le regard/ depas marque -Inviter le passant à entrer/ creer l’évenement Etages : plus «lisses» -Des angles massifs cadrent la façade: effet «forteresse» cher à Sullivan Exemple d’application: -Les allèges, souvent moulées, sont plus sombres, en retrait par rapport aux piliers

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La stratégie commerciale : attirer le regard/ impact stratégique depuis la rue Socle : sur deux étages, sinon plus (déséquilibre) Sommet -Entrée : étagesprincipale nobles prédominante, souvent centrale -Grandes baies vitrées -Frise ou larges baies/ Ornements aux angles = Attirer le regard depuis la rue -Proliferation d’ornements (gravures, statues...) -Structureservices volontairement épaissie Etages : bureaux/ -Materiaux d’habillage differents sur ledes reste de la façade -Verticales mises en avant, quitte que à ajouter éléments non porteurs = Guides Socle : RdC Commercial -Marquer l’entrée/ l’oppulence du lieu Surfaces plus ou moins ornementées

Formes : très diverses, fouillées ou volontairement dépouillées Sommet : Corniche massive + Frise sculptée ou système ouvertures différent -Apparence «étage noble», pas toujours dans la fonction Etages : plus «lisses» -Des angles massifs cadrent la façade: effet «forteresse» cher à Sullivan -Les allèges, souvent moulées, sont plus sombres, en retrait par rapport aux piliers Socle : sur deux étages, sinon plus (déséquilibre) -Entrée principale prédominante, souvent centrale En plan: -Grandes baies vitrées -Proliferation d’ornements (gravures, statues...) Plan en «U» = cour intérieure/ lumière naturelle -Structure volontairement épaissie Deux façades principales: pensées complémentaires -Materiaux d’habillage differents que sur le reste de la façade Bureaux en périphérie Espaces servants au centre (circulations/ ascenseurs)


Troisième période: 1898

1924 « Le problème unique et fondamental qui est à l’origine de tous mes malheurs, de mon aigreur, de ma douleur et de ma dépression finale n’est rien d’autre que l’absence constante de sympathie que j’éprouve pour les autres » Lettre à Carl Benett, 14 avril 1924

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Egarement d’un génie de son temps La biographie de Sullivan met en évidence une série d’épreuves personnelles qui le feront plonger dans la dépression, la drogue et l’alcool. Suite à la dissolution de l’agence Adler & Sullivan en 1895, Sullivan est chassé de sa maison en 1896 par son frère. Il est contraint d’hypothéquer sa maison de vacances une première fois en 1897, puis une autre fois en 1905. On lui refuse le poste de professeur à l’université du Michigan la même année. En l’espace de deux ans (1909 et 1910), il vend ses biens aux enchères et sa maison de vacances à Ocean Springs. Il ne peut plus subvenir aux besoins de son ménage et sa femme le quitte après dix ans de vie commune. Sans situation stable, Sullivan quitte ses locaux du dernier étage de l’Auditorium en 1918, pour s’installer successivement à l’entresol puis au 1808 et 1701 Prairie Avenue, au Sud de Chicago. Il décède dans un hôtel, ce qui montre qu’il se trouvait alors dépouillé de toutes ses possessions terrestres. Hormis la mauvaise fortune de Sullivan, il faut considérer que cette descente aux enfers a été accélérée par la forte dépression économique qui touche le pays : le secteur du bâtiment en souffrit plus que les autres, comme c’est souvent le cas dans cette situation. Sullivan était pourtant au mieux de sa renommée : véritable célébrité locale, membre de trois clubs, locataire du fameux Auditorium, c’était un conférencier apprécié et un écrivain prolifique. L’adjectif « sullivanesque » était alors sur toutes les bouches des étudiants d’art de Chicago, la tendance étant à faire des projets et ornements à la manière du maître.

Référence :

A ce moment là, alors que les chantiers se font rares, Sullivan reçoit la commande de ce qui deviendra l’immeuble Bayard. Cet immeuble de douze étages, ayant alors couté 275 000 dollars, abandonne le fameux plan en « U » (cf illustration 4 p. 21) pour se rapprocher de la typologie de nos gratte-ciels contemporains. Bâti sur une parcelle de 30 x 30 mètres, le Bayard prend la lumière de ses quatre façades, mais ne présente qu’une façade noble (il n’est pas situé dans un angle). Les espaces de circulation y sont périphériques, chaque étage étant porté par une structure d’acier. Les façades sont entièrement recouvertes de faïence, les neuf niveaux centraux étant identiques. La façade principale se divise en cinq travées qui se terminent en arches, elles même subdivisées afin de renforcer la forte verticalité de l’ensemble. Mur mitoyen, colonnes porteuses, colonnettes, cadres de fenêtres à guillotines, sont tous extrêmement hiérarchisés, avec des reculs progressifs mais traités dans la même finition blanche laiteuse. Le socle, sur deux étages, comporte l’entrée principale sur la gauche. Celle-ci est surmontée d’un imposant fronton en demi cercle, qui contraste avec les simples pendentifs des autres trames de la façade. Les colonnes guident le regard aux 11 et 12ème étages, avec leurs six figures ailées et leurs cinq oculi, le tout lié par une riche frise ornementale. Pour Sullivan, il s’agit du premier gratte-ciel qu’il peut attribuer à son seul génie, le « poème du moderne », comme il l’appellera. Bien que nous puissions douter du caractère moderne d’un bâtiment qui met autant en avant sa structure que ses ornements, le fait est qu’il a su rester « au goût du jour », abritant encore aujourd’hui agences d’architecture et de graphisme. Le Gage Building, bâti ensuite en 1899, démontre lui très efficacement la séparation de ses fonctions internes en façade. Nous pouvons regretter que sa « restructuration » récente ait tant abimé ce qui fut l’un des bâtiments les plus modernes de Sullivan. Construit rapidement, la structure de l’immeuble va à l’essentiel : une structure poteau-poutre, recouverte de terra-cotta ignifugée puis de parement (blanche, pour la première fois). La structure, rigide dans son expression, se subdivise en trois travées principales, et cadre toujours fortement la façade. Celle-ci reste globalement peu ornementée : pas de frise au sommet ici, mais les deux colonnes centrales y font tout de même jaillir un bouquet d’animaux fantastiques (kraken, vampire et gorgone) ! Sullivan porte une attention particulière à la lumière avec des fenêtres à la française et des panneaux de verre feuilleté (dit « prismes Luxfer ») diffusant la lumière naturelle au plafond. Ce travail de composition subtile entre transparences de verres et dimensions d’ouvertures furent l’une des plus belles réussites de Sullivan, preuve bâtie d’une réflexion en avance sur son temps. Le socle exprime le luxe avant tout, sa façade ornementée de plaques de fonte décorative cadrant de larges baies ouvertes sur la rue. La porte d’entrée ressort en volume sous forme d’une cage de verre surmontée d’un fronton sculpté, contrastant fortement avec les baies l’encadrant. Difficile à entretenir, le rez-de-chaussée fut détruit depuis, laissant le paysage architectural chicagolais orphelin de certains des ornements les plus fins jamais produits par Sullivan.

- Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p.98-104


Sullivan, Wright et leurs contemporains

Année de naissance 1810 Garstensen Gildemeister

Snook

1820 Bauer 1830

Jenney Furness

Wight 1840 Adler

Silsbee

1850 Edelmann

I. Pond Sullivan

1860

A. Pond

Wright

Maher 1870

Mueller

MM. Griffin

Gill

Elmslie

Beman

Schmidt Garden

WB. Griffin

1880

Purcell L. Wright

Schindler

Mendelsohn

1890

J. Wright

Neutra

Moser

1900 Dinwiddle

Dow Soriano

Harris

1910

Ain 1920

Soleri

Employeur

23

Drumond

Byrne

Utzon

Employé

Partenariat

Source schéma : - «American architects and the mechanics of fame», Roxanne Kuter Williamson, p. 32.: Sullivan and Wright and their connections» (redéssiné)

Keck


Ce bâtiment atteste de la bonne santé architecturale de Sullivan à la fin du siècle : on y trouve des innovations techniques, de nouveaux matériaux, une volonté d’aller plus à l’essentiel tout en gardant le caractère fort qui a fait le succès de ses précédentes réalisations. Nous sommes encore loin des dérives de style qui vont l’accabler les dernières années de sa vie. Sullivan construira ensuite en 1896 le Schlesinger & Mayer Store, dernière commande importante de l’architecte, et l’une de ses oeuvres majeures. Nous y reviendrons...

Lectures et correspondances Sullivan laissa beaucoup d’écrits destinés à être rendus publics (ses articles, ouvrages...), mais on sait finalement très peu de lui en tant qu’homme, de ses pensées intimes. A l’aise en société, il laisse aussi l’image de celui qui passait beaucoup de temps seul au quotidien, à réfléchir, dessiner, lire, écrire. Si on s’intéresse au Sullivan solitaire, deux voies peuvent permettre de mieux le connaître : ce qu’il lisait et ce qu’il écrivait /dessinait. En d’autres termes, le contenu de sa bibliothèque personnelle et celui de ses correspondances.

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Il est de notoriété publique que Sullivan possédait une bibliothèque riche et complète, comprenant de nombreux ouvrages rares. Les sujets abordés par ceux-ci nous permettent de comprendre ses centres d’intérêts et de faire quelques suppositions sur d’éventuels projets non aboutis... Le contenu de cette bibliothèque fut rendu public le jour où il fut contraint de la vendre aux enchères (en 1909). On en trouve une description dans l’ouvrage de Hugh Morrison, Louis Sullivan prophet of modern architecture :

“[Sullivan] read a great deal. The books in his library reveal some rather esoteric interests. There were several books on Japan and Japanese art, and he possessed a small but choice collection of Oriental rugs, Chinese and Japanese vases, bronzes, and jade carvings. He had about a dozen books on gems and precious stones, from the designs of which it has been suggested that he derived motives for his ornament, although this is not true. Gray’s Botany influenced his ornament more than any other single source. He had a dogeared copy, showing extensive use in studying the morphology of plants and their curious and marvellous differentiations within species. He referred the book to students frequently. His sketch-book was full of drawings from this source: complex organic developments from single germinal ideas. There were a few books on the history of music, others on musical analysis, harmony, etc., and fourteen volumes of oratorios. Several books on psychology and psychic phenomena reveal a profound interest in this field. There were in addition well-worn copies of Walt Whitman’s Leaves of Grass and Nietzsche’s Thus Spake Zarathustra, especially suggestive to the student of his writings.”

On trouve donc pèle-mêle: - des ouvrages sur le Japon et de l’art japonais - des livres traitant de pierres précieuses (une douzaine!) - le School and field book of bothany de Asa Gray (études de végétaux d’un collègue de Charles Darwin, l’exemplaire de Sullivan avait de nombreuses pages au coin corné, soulignant son étude approfondie) - des écrits sur la musique (histoire, analyses...) - de nombreux traités sur la psychologie et les phénomènes psychiques - Leaves of Grass de Walt Whitman (recueil de poèmes) et Thus spake Zarathustra (Ainsi parlait Zarathoustra) de Nietzsche, les deux exemplaires étant très abimés. Ainsi qu’une collection de tapis orientaux, des vases japonais, chinois et des sculptures en bronze et jade. Alors que certains ouvrages trouvent ici leur place en toute logique (quoi de plus sain qu’étudier la musique quand on construit des salles de concert ? ), d’autres peuvent surprendre plus, tels que les ouvrages sur le Japon. Il est important de mentionner les moyens humains et financier nécessaires à la création d’une telle bibliothèque à l’époque, sans mentionner l’extraordinaire diversité des sujets abordés, signe de l’ouverture d’esprit de Sullivan. On ne peut qu’à peine se rendre compte combien la perte de ce qui l’aida à constituer son propre imaginaire fut un déchirement pour l’homme de lettres qu’il était. Parallèlement à ses lectures, Sullivan entretint tout au long de sa vie des correspondances avec ses proches. Les lettres conservées jusqu’aujourd’hui constituent indéniablement une ouverture très « vraie » et intime sur sa vie. Nos recherches ont révélé :

- Une correspondance de longue date (jusqu’en 1922) avec son amie d’enfance, Marie Louise Culver. Nous n’en avons pas trouvé de trace écrite.

- Une correspondance avec Frank Lloyd Wright, à partir de 1918, Nous n’avons eu accès qu’à un échange, deux lettres exposées en 2010 à Chicago.

- Une lettre d’admirateur de Bruce Goff, dont nous n’avons trouvé que la réponse de Sullivan, datée du 7 aout 1920.

- Les échanges avec son éditeur, dans le cadre des Kindergarten Chats, mis en appendices dans notre exemplaire.

- Les échanges avec Carl Bennett, fervent admirateur et banquier, qui lui commanda la National Farmer Bank en 1907. Nous n’en avons trouvé que des extraits.

Citation : - http://www.chicagohistoryjournal.com/ - Hugh Morrison, (1935), Louis Sullivan prophet of modern architecture, New York : WW Norton & co, 400 p. Illustrations / retranscriptions : - http://www.flickr.com/photos/karlasfotos/4860793126/ - http://www.flickr.com/photos/karlasfotos/4860793454/


August 23, 1920 Dear Frank If you have any money to spare, now is the wright time to let me have some. As I do not know how you are fixed, I cannot specify any sum. I can verily say that I am in a very serious situation, indeed it is now a sheer matter of food and shelter. So many of my friends are out of town on vacation that the situation has become very peculiar: I seem to have lost my way. There are two rifts in the overhanging clouds of the general situation: two encouraging letters from bankers: one from Iowa and one from Georgia. These with several other good prospects should make me busy when the tide turns. Meanwhile the immediate problem is to keep on earth. These letters were very recently received. With kindness, Louis Sullivan »

25 « December 21, 1922 Lieber Meister: I am going to tell you a secret which I hope you will keep-“ I am extremely hard up – and not a job in sight in the world. My selling campaigns have failed. I am anxious about you – always and hope all is well with you – at least enough so, that the “vie d’interieur” is undisturbed. If things get desperately bad and you are in serious ways you must know that I would share my last crust with you and I hope you will always let me know when ever that time threatens. I enclose some thing of what (...) to insure you some thing for Christmas as by that time I may be far away on the quest for work. Affectionately, Frank Taliesin – November 30, 1922 Thanksgiving »


De manière générale, les « proches » de Sullivan furent peu nombreux. Méfiant par nature et détestant les « lèchebottes », nous supposons qu’il devait attendre beaucoup de ses collaborateurs. N’ayant pas eu l’occasion d’être titularisé enseignant, il n’eut pas de lien direct avec le milieu étudiant au quotidien, et ses relations restèrent quasiment toutes professionnelles. On peut voir apparaître sur le graphique « Sullivan, Wright et leurs contemporains » Jenney, Edelmann et Furness, anciens employeurs et proches de Sullivan, tous trois décédés avant lui, ainsi que Gill, Elmslie, Mueller et Wright, anciens employés, tous partis ensuite faire leur carrière de leur côté. Nous pouvons affirmer que Sullivan fut très seul les quinze dernières années de sa vie. Frank Lloyd Wright, ou le fol espoir

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En 1917 déjà, Sullivan se dit « au bout du rouleau » et parle même de faire commercialiser son nom. Bien que l’affaire ne se fit pas, cela en dit long sur le désespoir matériel dans lequel cet homme d’ordinaire si fier se trouvait. Tout en cherchant un travail de fonctionnaire (sans succès), il commence en 1918 une correspondance avec Frank Lloyd Wright. Ces échanges, fameux, furent conservés. Deux lettres furent dévoilées à l’exposition de Tim Samuelson, au Chicago Cultural Center (2010) ; respectivement datées de 1920 et 1922. Nous ignorons si elles se suivent (le délai est important) ; il est possible que la famille Wright ait souhaité préserver la vie privée de l’architecte en ne dévoilant que ces deux lettres. Frank Lloyd Wright, alors occupé à la construction du second Imperial Hotel de Tokyo (entre 1915 et 1923), ne roule pas sur l’or. Bien qu’il ait choisi sa propre voie, Wright n’a jamais manqué de respect envers son maître, le Liebermeister. Près de trente ans passèrent, dans une indifférence mutuelle polie, et Sullivan revint, meurtri, désabusé et las. Sa lettre n’est autre qu’un appel à l’aide : « Si tu as de l’argent de côté, c’est le bon moment pour m’en faire don », « c’est maintenant une affaire de logement et de nourriture ». Sullivan vit une situation étrange, en ses mots, «Il semble que je me sois égaré ». Malgré des « lettres encourageantes » reçues de banquiers Iowa et Georgie (qui n’aboutiront à aucune commande, la dernière banque de Sullivan datant de 1919...), la lettre de Sullivan s’achève ainsi : « l’urgence est de rester sur terre ». La phrase « I seem to have lost my way » a ici une signification forte, extrêmement dramatique. Il n’y a plus de rapport patron-employé ou professeur-élève, juste un homme perdu qui cherche du réconfort auprès d’un autre qui le semble moins. Sullivan restera désoeuvré deux ans encore, avant de commencer la rédaction de ses deux derniers ouvrages en janvier 1922. La réponse de Wright, deux ans plus tard (donc peutêtre pas la réponse directe à la première lettre), est guère encourageante : « je suis complètement fauché, pas un emploi en vue ». Wright arrête alors très vite de s’apitoyer sur sa mauvaise fortune pour encourager et montrer de l’empathie envers son Liebermeister: « je suis toujours

Illustration : Citation :

inquiet à votre sujet et espère que vous allez assez bien pour que votre « vie d’intérieur » demeure imperturbée ». La fin de la lettre est quasiment une invitation: « Si les choses se gâtent, vous devez savoir que je partagerais mon dernier crouton de pain avec vous et j’espère que vous me le ferez savoir le jour où ce moment viendra. » Wright tenait à préserver les apparences (taire sa situation financière inconfortable), et ainsi éviter de reproduire le schéma de fin de carrière de Sullivan. Nous savons aujourd’hui que Wright, malgré son génie reconnu internationalement, a bien vécu une période de vache maigre (approximativement entre le début des années 20 et la crise de 1929). Deux ans avant sa lettre, Sullivan demandait déjà implicitement à Wright un emploi :

« J’ai envoyé toutes mes affaires au garde-meuble, et rendu la clef de l’agence. J’en éprouve du soulagement. Je suis libre de mes mouvements, et prêt à saisir au bond nimporte quelle occasion aux Etats-Unis, l’Est, la Californie, le Japon, Tombouctou, nimporte où. » Nous connaissons l’attrait de l’architecte pour le Japon, nul doute qu’il s’en soit fallu de peu pour que le dernier travail de Sullivan soit pour son ex-employé, sur l’Imperial Hotel de Tokyo (!). Cette hypothèse admet que Wright, outre que réponde poliment par courrier, accepte d’avoir « dans les pattes » son ancien employeur tyrannique... Bruce Goff, l’admirateur Bruce Goff (1904-1982), acteur majeur de la tendance organique de l’architecture américaine, avait à peine 16 ans lorsqu’il écrit à Sullivan. La réponse de l’architecte se trouve dans l’ouvrage The Architecture of Bruce Goff, 1904-1982, mais nous n’avons pas retrouvé la lettre originale du jeune Goff. Compte tenu de sa situation de jeune prodige, Nous nous doutons qu’il ne s’agissait pas seulement d’une « lettre d’admirateur », mais que Goff voyait déjà en Sullivan un maître, un artiste avec une vision qu’il sentait déjà proche de la sienne. Nous avons retranscrit au mieux la lettre, avec l’aide de Pablo Lhoas. Nous en retiendrons l’étonnement manifeste de l’architecte d’avoir affaire à un adolescent si mature (« so young ! »), et sa sincère reconnaissance pour son attention (« It is always gratifying to learn that we have well-wishers! », « I cordially appreciate and welcome your enthusiasm »...). Nul doute que Louis Sullivan devait être des plus heureux de recevoir ce genre de lettre de la part d’un brillant architecte en devenir, lui qui était passé à côté d’une carrière de professeur, classé trop tôt par ses contemporains dans les pages de l’histoire. Si Sullivan a eu de nombreux fidèles, employés, admirateurs, nous pouvons admettre qu’il eut deux fils spirituels : Frank Lloyd Wright et Bruce Goff. Tous deux ont su tirer des leçons du travail de l’architecte pour forger leur propre vision, et bien que Bruce Goff soit aujourd’hui moins connu internationalement, son architecture organique originale puise ses fondements dans tout un imaginaire romantique, comme l’a fait celle de Sullivan.

- Pauline Saliga, Mary Woolever, (1995), The Architecture of Bruce Goff, 1904-1982, Munich: Prestel Books, p.3 - Extrait de la lettre du 18 mai 1918 de Sullivan à Wright


7th August 1920 My dear young friend, It is always gratifying to learn that we have wellwishers! And I (...) this idea from (...) (...) Architects to such ? a copy of your letter to that journal under date aug. 8th. I wish you to know, on my part, that I cordially appreciate and welcome your enthusiasm which is quite (...) In (...) so young! And to (...) the hope that you may never (...) it. Amically, Louis Sullivan

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Sullivan : biographie d’un visionnaire

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Ecrits


Kindergarten Chats « Les Chats se sont avérés être un assaut vigoureux et âpre, un matraquage de l’ordre architectural existant alors (est-il différent aujourd’hui, je me le demande), mais il désignèrent un chemin de liberté à tout jeune talent architectural sincère qui étouffe dans l’air vicié de notre industrialisme ou s’embourbe dans le marais académique. Vaste, ample, discursif, mélange de sublime et de ridicule, comme si Ariel avait collaboré avec Caliban, Kindergarten Chats demeure dans mon souvenir comme une des lectures les plus provocantes, ahurissantes, stupéfiantes, inspirantes que j’ai jamais faites. »

changements de son environnement direct, critiquant et mesurant ceux-ci, mais n’hésitait pas de même à interroger et expliciter ses propres interventions. Déjà très jeune, Sullivan écrivait des billets. Dans l’Autobiographie, il mentionne l’essai « Inspiration », écrit en 1886 et divisé en trois sous parties : « Croissance: un chant du printemps », « Décadence : une rêverie d’automne », et « L’infini : un chant de la mer ». Cette poésie lyrique ne toucha alors personne en dehors de l’entourage proche de son auteur. Le problème résida dans le fait que personne ne savait de quoi parlait Sullivan, et si même lui le savait... Quoi qu’il en soit, ces élucubrations ne pouvaient en aucun cas avoir un lien avec l’architecture. Sullivan, lui, considéra ce travail comme la première mise sur papier de sa pensée globale, finale, bien que pêchant d’immaturité dans sa mise en forme. Il fit même parvenir son texte à son ancien professeur de latin de l’université du Michigan, pour recevoir pour toute réponse : « La langue est belle, mais je n’ai pas la moindre idée de ce dont tu peux bien parler ». Il fallut attendre 1919 pour que McLean du Western Architect rende enfin raison à Sullivan en écrivant :

« Il y a quelque trente-cinq ans, à Chicago, un jeune homme lisait un essai poétique devant une assemblée d’architectes représentative de la profession dans le Middle-West. Peu nombreux furent ceux qui comprirent la métaphore, mais tous reconnurent la ferveur de l’ambitieux et inspiré génie avec lequel Louis H. Sullivan avait produit « Inspiration ». Il appela ces très remarquables vers libres « Chant du printemps », et quoique inconsciemment, c’était peut-être là sa thèse de l’architecture. Depuis ce temps lointain, ses réalisations ont exprimé, dans une large mesure avec succès, ces fondamentaux considérés alors par ses auditeurs comme d’abstraits symboles »

Claude Bradgon, 1923

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avant-propos à l’ Autobiographie d’une idée

Sans agence, Sullivan consacra les derniers mois de sa vie

à réviser ses 52 Kindergarten Chats, parus à l’origine en 1901 sous forme de feuilleton dans le Interstate Architect & Builder. Il ne trouvera pas d’éditeur et ceux-ci ne seront publiés qu’après sa mort. Nous connaissons aujourd’hui comme édition la plus rependue celle de Dover publication, Inc., à New York. Il est intéressant de noter qu’il s’agit d’une réédition d’une version « réaménagée » de l’ouvrage, parue en 1918. Celle-ci est cependant bien complète et comporte illustrations, biographie et une note éditoriale d’Isabella Athey. L’édition s’étoffe d’une série de compléments (« Additional Papers ») et des Appendices qui ne sont autres que les demandes écrites à l’époque par l’architecte à l’éditeur. Nous avons identifié par « A.P. » dans la liste cicontre les écrits originaux repris dans l’ouvrage. Cet ouvrage est sans doute le moins accessible parmi les trois, du fait qu’il ne connaisse pas de traduction francophone (pour l’instant), et que l’anglais employé soit celui du début du siècle. Il est pourtant celui qui retranscrit le plus fidèlement le style littéraire de l’architecte, étant très proche de l’authentique première édition. Condensé des idées développées par Sullivan dans ses billets, les Chats sont un hommage à son investissement en tant que sachant alerte, acteur et auteur du visage changeant de Chicago. L’auteur réagissait aux

Citation : Référence :

Nous pouvons trouver dans Kindergarten Chats des textes plus « actuels » que d’autres, aptes à toucher l’âme de nos contemporains créatifs. Nous retiendrons notamment ses écrits sur l’Auditorium, la question des bâtiments grande hauteur, l’enseignement (en architecture, sociologie, urbanisme...), le nouveau style architectural américain, la démocratie... Sullivan brasse ainsi des domaines larges dans la continuité de son esprit d’ « aventurier pluridisciplinaire ». Nous pouvons définir trois thématiques majeures dans les écrits de Sullivan : 1. 2. 3.

Les questions de société, capables de toucher tout un chacun : Religion, Académisme, Enseignement et Démocratie Les réflexions d’ordre ornementales Celles, critiques, concernant l’architecture.

- Sullivan Louis H., (2011), Autobiographie d’une idée, Paris: Allia, traduction: Christophe Guillouët, p. 249 - Sullivan Louis H., (1979), Kindergarten Chats and Other Writings, New York: Dover Publications, Inc., 251 p.


Bibliographie des écrits de Louis Sullivan mentionnés dans « Kindergarten Chats » (certains de ces billets ont connu plusieurs publications, dans diverses revues, brochures, comptes rendus... nous n’avons ici mentionné que la première publication connue) « Kindergarten Chats », Interstate architect & builder vol. 2, 16 fevrier 1901 « The autobiography of an Idea », The journal of the american institute of architects, juin 1922- aout 1923 Religion/ Academisme/ Enseignement/ Democratie « An unaffected school of modern architecture: Will it come? », Artist, New York, janvier 1899 « An adress before the Chicago Architectural Club », The Art Institue, Chicago, mai 1899 « The master », non publié, 1880-1899 « The young man in architecture », The Brickbuilder vol. 9, juin 1900 (A.P.) « Education », billet lu à la convention annuelle de la ligue architecturale americaine, à Toronto en 1902 (A.P.) « Natural thinking: a study in democracy », billet lu devant le club architectural de Chicago, en fevrier 1905 « Democracy: a man search », livre non publié, 1er juillet 1907 Reflexions ornementales/ artistiques « Inspiration », Inland Architect Press (brochure), Chicago, Novembre 1886 « What is the Just Subordination, in architectural design, of details to mass? », Inland architect & News Record, Chicago, avril 1887 (A.P.) « Ornamentation of the Auditorium », Industrial Chicago vol.2, Chicago « Ornament in architecture », Engineering Magazine, aout 1892 (A.P.) « Emotional architecture as compared with intellectual: A study in objective and subjective », Inland architect & News Record, Chicago, novembre 1894 (A.P.) « Sympathy- a romanza », non publié, 1904 « Is our art a betrayal rather than an expression of american life? », The Craftsman vol. 15, Janvier 1909 « Suggestions in artistic brickwork », introduction à « Artistic brick », Hydraulic-Press Brick Company, Saint Louis, vers 1910 « Wherefore the poet? », Poetry vol. 7, mars 1916 « A system of architectural ornament, according with a philosophy of man’s power », press of the A.I.A, 1924 Critiques/ Reflexions architecturales « Characteristics and tendencies of American architecture », Builders’ Weekly Reporter, Londres, 1885 (A.P.) « The tall office building artistically considered », Lippincott’s vol. 57, mars 1896 (A.P.) « The modern phase of architecture », Inland architect & News Record vol. 33, Chicago, juin 1899 « Reality in the architectural art », Interstate architect & builder vol. 2, 16 fevrier 1901 « The possibility of a new architectural style », The Craftsman vol. 8, juin 1905 « What is architecture: A Study in the american people of today », American Contractor vol. 27, janvier 1907 (A.P.) « Development of construction », billet lu devant l’A.I.A. De l’Illinois, The Economist vol. 55, Chicago, juin 1916 « The chicago tribune competition », Architectural Record vol. 53, fevrier 1923 « Concerning the imperial hotel, Tokyo », Architectural Record vol. 53, avril 1923 « Reflections of the Tokyo disaster », Architectural Record vol. 55, fevrier 1924

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La suite « logique » des chapitres des Chats pose, elle, plus question. Comme à son habitude, Sullivan nous raconte une histoire, enrobe la théorie avec tout un nuancier de métaphores, poésies, anecdotes, etc. Il nous fait passer de thématique en thématique sans continuité apparente, le tout pour mieux souligner le fait qu’elles soient indissociables, chacune apportant sa pierre à l’édifice. Nous avons tenté de distiller ce contenu dans l’ensemble du mémoire, liant les chapitres majeurs aux thématiques que nous souhaitions aborder. Ici, attardons-nous sur l’article « Characteristics and tendencies of American Architecture », véritable clef de voûte de la pensée sullivanesque. Celui-ci nous apporte la première tentative de définition de l’architecture moderne américaine connue à ce jour.

« Characteristics and tendencies of American Architecture » (1885)

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Sullivan commence son texte par un constat : l’absence d’un style américain, ce qui est à ses yeux à la fois « étrange et déplorable ». Il condamne l’influence du Vieux Continent, ou l’obsession de ses contemporains de transplanter aux Etats-Unis des procédés qui leurs sont étrangers. Un style national nait et évolue lentement, nourri graduellement à la fois par ce qui le compose et ce qu’il apporte lui-même. Sullivan recherche les premiers signes d’architecture « spontanée », éloignée d’un idéal sublimé, d’un fantasme non fondé, et plutôt liée à l’« esprit américain ». L’Amérique, grand territoire peuplé de grandes forêts et vastes prairies, fut colonisé. L’impact de la nature y est bien plus fort qu’en Europe, il n’y génère donc pas les mêmes aspirations.

thématiques clefs qui lui sont chères). Le vocabulaire passant de similitude à métaphore, un mot bien choisi sert trop souvent à justifier une absurdité architecturale. Au début de sa réflexion, Sullivan observe « a curious mélange of supersentimentalisms », mais entrevoit derrière cette vision incertaine, un instinct fort, presque animal. Les architectes américains créent donc instinctivement, par la pratique quotidienne de leur profession, un « alphabet plastique de formes élémentaires », détaché de toute influence. Autre obsession de Sullivan, le Pouvoir. Celui des architectes est limité comparé à celui des businessmen et autres financiers. Faibles, il doivent avant tout veiller à valoriser les pensées vitalisantes plutôt que s’obstiner à maintenir d’anciennes traditions. Ceux qui détiennent le Pouvoir, en restant ouverts, peuvent alors permettre aux architectes d’exacerber leurs pulsions créatrices. La Responsabilité ensuite : les architectes doivent suivre le public, et le guider seulement lorsqu’ils « obtiennent des résultats bénéfiques ». Le public est lui nécessaire à l’établissement d’une architecture nationale, mais ne sait que partiellement formuler ses aspirations. Cet échange sur le court terme constitue le mouvement majeur de ce style national en construction, et comme l’auteur le souligne « We work at short range and for immediate results ». Le texte se termine sur une métaphore sur les rapports « générations d’hommes / style national » et « soleil / plante », insistant sur l’effort sur le long terme nécessaire à la floraison d’un style dans son entière maturité, « comme issu du trésor de la nature ».

Pour l’auteur, la dynamique de la culture américaine se cristallise dans un art majeur : la littérature. C’est le seul art national, accompli et reconnu alors à l’étranger. Les thématiques qu’il aborde sont toutes générées par la culture américaine : l’obsession du détail, des descriptions ; la conscience forte de la mort ; une certaine pudeur visà-vis de ce qui n’est pas émotion pure, « docile » ; l’attrait pour la fiction... le tout écrit dans un style accessible au plus grand nombre. Sullivan juge que la culture américaine est à la fois « trop une question de coeur et de poigne, et pas assez de cerveau et d’âme » ; chaque génération tendant à rétablir l’équilibre. L’émancipation de l’américain dépend de sa capacité à accepter la nature de sa culture « par le jour, pour le jour », libérée d’un héritage culturel/ artistique jusqu’alors faussé. Considérant ceci acquis, l’art évolue, se remet en question, dans une logique de mouvement continu. On le voit alors exprimer le vrai « romantisme américain », exquis et non viril, expression concrète d’une main de fer dans un gant de velours. Son application en architecture rencontre des obstacles bien spécifiques : le premier étant les Mots. (Sullivan commence alors à aborder le sujet qui l’intéresse par le biais de quelques

Référence :

-« Characteristics and tendencies of American Architecture », 1885 (Additional papers, Kindergarten Chats)


Structure de l’ouvrage (chapitres): I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII. XIX. XX. XXI. XXII. XXIII. XXIV. XXV. XXVI. XXVII. XXVIII. XXIX. XXX. XXXI. XXXII. XXXIII. XXXIV. XXXV. XXXVI. XXXVII. XXXVIII. XXXIX. XL. XLI. XLII. XLIII. XLIV. XLV. XLVI. XLVII. XLVIII. XLIX. L. LI. LII.

A Building with a tower Pathology A terminal station The garten An hotel An oasis The key Values A Roman temple (1) A Roman temple (2) A Department store Function and form (1) Function anf form (2) Growth and Decay Thought Imagination A Doric Column Attention Responsibility: The public Responsibility: The architect; the schools The Professor The Tulip An Office Building Summer : The storm (1) A letter The Awakening A College library building Revulsion Democracy Education Man’s powers Eminence Our City Another City A Survey Autumn Glory The Elements of architecture : Objective and subjective (1) Pier and Lintel The Elements of architecture : Objective and subjective (1) The Arch Illumination On scholarship On culture What is an architect? On criticism On knowledge and Understanding On citizenship Pessimism Winter On poetry The Art of expression The Creative impulse Optimism Spring song

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Autobiography of an idea « Une autobiographie serait un moyen très efficace d’exposer le vague commencement, le développement progressif et la forme finale de ma philosophie de l’architecture »

Souliognons le caractère très optimiste du récit, compte tenu du contexte d’écriture de celui-ci. Sullivan ne se plaint pas, il n’exprime pas de regret ou de désespoir dans ses lignes, le texte n’est pas alambiqué ou difficile d’accès, mieux : au néophyte. Il donne une vision assez fidèle (quoique délibérément romantique) de ce que pouvait être la jeunesse d’un garçon entreprenant, issu de la classe moyenne américaine. On lit les foules et le vent dans les rues de Boston, l’exaltante beauté de la campagne de South Reading, Chicago la « grande fourmilière », l’admiration du garçon pour son père, la tension palpable à chaque rencontre majeure de sa vie... Cet ensemble rythme très efficacement le récit, lui donnant un « cachet » bien à part. On sent aussi clairement que Sullivan écrit pour lui-même, faisant un réel travail de recherche de souvenirs, et à travers les yeux de ce jeune Louis, chasse ses démons pour retrouver sa liberté, sa curiosité, en bref, l’essence de son âme, son âme d’enfant. Plus qu’une question d’égo, c’est avant tout pour extraire la vision pleine d’entrain du jeune homme qu’il était, et ainsi séparer un personnage fictif « idéal » de l’homme qu’il est devenu, avec ses échecs et ses regrets. A ce sujet, on peut relever ce passage, où il tente de s’expliquer la fin désastreuse de son entreprise :

Louis Sullivan dans une lettre à son éditeur

Sullivan 34

signe un contrat en février 1922 avec l’ordre des architectes pour faire paraître dans leur magasine sa biographie, en seize articles de 4000 mots chacun. Lorsqu’ils seront plus tard publiés en un même ouvrage, l’Autobiographie d’une idée, l’auteur ne touchera que 25 cents de droits d’auteur pour chacun des 2000 exemplaires parus. Cette « Autobiographie » reste un document précieux sur la vie de l’auteur (et un des plus abordables) bien que tout à fait contestable de par sa subjectivité, ses flous et autres oublis volontaires. Difficile de passer aussi sous silence le fourmillement de détails, lieux et personnages hauts en couleur qui rythment le récit, tous aussi nets dans le souvenir de l’auteur, qu’il fut bambin ou homme mûr ! L’exemplaire que nous nous sommes procuré abrite un avant propos de Claude Bradgon et une « Chronologie », que nous avons reproduite sur les pages suivantes. Cette chronologie marque de par sa précision, les faits ainsi décrits contrastant avec le récit et mettant en exergue quelques éléments majeurs... Pourquoi un récit à la troisième personne? Louis Sullivan n’était pas du genre à laisser son égo au vestiaire ! Son intention était d’ailleurs claire dès le début de son travail sur l’Autobiographie : tombé dans l’oubli, qui d’autre que lui aurait pu/voulu relater les évènements majeurs de sa vie, ses leçons, ses expériences, ses rencontres...? Par là même, pour donner sa propre vision des faits. Les biographes ne peuvent aujourd’hui garder l’histoire que dans les grandes lignes, et nombre d’évènements personnels contés par l’auteur demeurent absolument invérifiables.

Référence : Citation :

« (…) Autrement dire, Louis était crédule à un point absurde, grotesque. Comment en aurait-il pu être autrement? Il croyait que la plupart des gens étaient honnêtes et intelligents. Comment aurait-il pu suspecter les gens distingués? Aussi Louis voyait-il le monde à l’envers. Il était grossièrement ignorant. S’il prospérait, c’était que le monde était honnête. Plus tard il répandit son âme dans le monde et elle lui revint bientôt, chargée d’un message épouvanté. »

Le titre de l’ouvrage Le titre a ici son importance : il s’agit de l’autobiographie D’UNE IDEE. Sullivan fait ici implicitement référence à la formule qui nous intéresse, « la Forme suit toujours la Fonction ». Il ne s’agit donc pas d’une autobiographie personnelle, mais bien de la biographie d’une formule par son auteur. Aussi, il faut s’attarder sur son contenu et la façon dont l’auteur a omis des informations jugées non pertinentes et mis en valeur d’autres, qui d’un point de vue strictement biographique, se révèleraient plutôt anecdotiques. Le récit chronologique s’arrête tôt dans la vie de Sullivan, c’est-à-dire à l’aube de sa carrière avec Adler (nous avons marqué ce moment dans la biographie par un trait rouge). Peut-être était-ce le moment où il n’aurait plus pu parler seulement de Louis et de son extraordinaire apprentissage solitaire, mais plus des « aventures de Dankmar et Louis », ou que ce choix l’arrangeait bien pour ne pas avoir à traiter les tristes évènements qui ont marqué la fin de sa vie... Plus sérieusement, il souligne ainsi que l’idée a mûri très tôt en lui, dans l’écrin des visions enchanteresses de son enfance. L’idée est donc avant tout

- Sullivan Louis H., (2011), Autobiographie d’une idée, Paris: Allia, traduction: Christophe Guillouët, 228 p. - p. 238, p. 214


romantique et « pure », à savoir non déformée par les questions terre à terre du monde des adultes. Sullivan a aussi veillé à la mettre en application, mais il n’explique cela que dans les deux derniers chapitres de l’ouvrage...

« Car c’était la tâche qui le fascinait que de construire un système de la technique, une maîtrise de la technique. Et l’on ne pouvait guère attendre d’un tel système qu’il atteignit son plein développement sans maturation, guère imaginer qu’il atteigne ainsi sa plénitude, qu’il pût jamais l’atteindre; car le monde de l’expression est sans limite; la théorie si profonde dans l’idée, si riche dans son contenu qu’elle exclut toute fin de sa bénéfique et inclusive puissance. Et l’on peut se souvenir ici de Monsieur Clopet, du livre de géométrie descriptive jeté au panier, et de la tonitruante admonestation: « Notre démonstration sera telle qu’elle n’admettra nulle exception ».

Chapitres de l’ouvrage: I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV.

L’Enfant C’était un enfant Et ce fut le printemps! Des vacances Newburyport Boston Boston – Le collège Rice Louis fait un voyage Boston – Le lycée anglais Adieu à Boston Chicago Paris La ville jardin Face à face Après coup

(Sullivan fait ici référence à son professeur de mathématiques, lorsqu’il préparait son concours des Beaux-Arts à Paris. La formule l’a profondément marqué, à tel point qu’il a gardé l’objectif de trouver sa propre démonstration sans exception, à savoir « la Forme suit toujours la Fonction ») What about Albert Sullivan? Comme nous l’avons indiqué, l’auteur a déformé certains évènements de sa vie, voire même omis des informations non négligeables. Le biographe averti notera avant tout l’absence du frère de Sullivan dans le récit : il n’est en effet à aucun moment mentionné ! Il est acquis que les deux frères étaient en froid au moment de l’écriture de cet ouvrage. Sans qu’on ne connaisse les détails du différend, nous savons que Sullivan construisit une maison pour sa mère en 1891 et qu’elle n’y habita jamais. La maison fut par contre habitée par l’architecte et un « couple d’amis », les Lewis, pendant 5 ans. Son frère (qui avait payé la maison bien que Louis en fut l’architecte), finit par le mettre à la porte pour y vivre avec sa femme et sa fille. La biographie souligne bien le fait que les parcours de chacun des frères se sont souvent croisés, à commencer par leur enfance, qu’ils ont passé ensemble (jusqu’aux 12 ans de Louis), puis leurs maisons de vacances respectives à Ocean Springs. Connaissant le caractère bien trempé de Louis Sullivan, sa verve et son égo, on peut très bien imaginer combien la présence d’un frère à la carrière remarquable dans les chemins de fer a pu créer des conflits lorsque sa propre situation professionnelle, économique et sociale s’est dégradée. Hormis ces considérations, nous pouvons concevoir que pour l’auteur, l’histoire de son frère n’avait pas eu de rôle dans l’élaboration de l’idée, et ne trouvait donc pas sa place dans le récit.

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Biographie de Louis Sullivan, telle que mentionnée dans «L’Autobiographie d’une idée» 1817

Naissance de l’Irlandais Patrick Sullivan

1847

Arrivée à Boston où il est « professeur de danse ». Il ouvre une academie en 1851

1852

Le 14 aout Patrick épouse Andrienne, née en 1835, fille d’Henri et Anna List, Suisses genevois immigrés depuis deux ans. Andrienne a un frère, Julius, et une soeur, Jennie

1853

Les Sullivan ont un premier enfant, une fille qui meurt à la naissance

1854

Ils tentent de s’installer à New York. Le 17 septembre, naissance d’Albert Walter (il vivra jusqu’en 1938)

1855

Ils sont de retour à Boston au début de l’année et Patrick rouvre son académie

1856

Il achète la maison de South Bennet Street avec l’aide de sa belle-famille qui en devient aussi locataire. Le 3 septembre, naissance de Louis Henri. La famille est désormais composée de huit personnes, qui vivent ensemble pendant cinq ans

1858

Le 28 septembre, la comète de Donati est photographiée à Harvard

1861

A la fin de l’année les grands-parents List, Jennie et Julius emménagent dans une ferme d’environ 9 ha qu’ils ont acheté à South Reading, à 15 km au nord de Boston. Le village fondé en 1638 a connu un développement soudain avec l’arrivée du train en 1845 et compte 3200 habitants en 1860. Les industries locales sont la chaussure, la glace, le rotin

1862

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Patrick, à l’instar de maints nouveaux propriétaires, doit revendre sa maison avec une lourde perte. Il s’installe quelques mois avec sa famille dans la ferme de Folly Cove, à Gloucester, non loin de Boston. Apres l’été, Albert et Louis sont confiés aux grands-parents List. Rentrée de Louis à la West Ward School de South Reading.

1863

L’école est ravagée par un incendie criminel. Les enfants Sullivan passent l’été avec leurs parents à Newburyport, à 70 km au nord de Boston, où Patrick a ouvert une académie d’été. En septembre les Sullivan partent pour Halifax en Nouvelle-Ecosse, région insulaire qui n’appartient pas encore au Canada et où les immigrés irlandais sont nombreux. La ville est prospère grâce à la guerre de Sécession.

1864

En mars les parents retournent à Boston, les enfant à South Reading. Rentrée de Louis et Albert à la Brimmer School de Boston. Louis y passe deux ans

1865-1868 Les deux frères passent leurs étés à South Reading tandis que les parents sont à Newburyport

1866

Rentrée de Louis à la Rice School de Boston pour quatre années scolaires. Il a 11 ans quand sa vocation d’architecte se déclare

1868

A l’automne les parents et Albert partent vivre à Chicago. Louis retourne vivre à South Reading

1870

Durant les vacances d’été Louis rencontre Minnie, avec qui il n’a pas de lien de parenté et dont le vrai nom est Marie Louis Culver. Ils correspondront jusqu’à la mort de celle-ci en 1922 à 70 ans. Rentrée de Louis à l’English High School, branche moderne de l’école fondée en 1636 pour préparer à l’université d’Harvard

1871

Le 9 et 10 octobre, incendie de Chicago: 685 ha détruits; 300 000 sans abri; 200 M $ de pertes

1872

Rentrée de Louis au Massachussetts Institute of Technology, situé à l’époque à Boston, dans l’atelier de l’architecte néoclassique William Ware, auteur de The American Vignola mais néogothique dans ses projets. Les 9 et 10 novembre, incendie de Boston: 24 ha détruits; 20 000 sans abri; 60 M $ de pertes


1873

En juin ou juillet Louis est recommandé par Ware à Frank Furness, architecte à Philadelphie où il est reçu par son grand-père et son oncle. Il travaille chez Furness pendant l’été. La crise financière de septembre interrompt l’activité et en novembre Louis rejoint Chicago où vivent ses parents et où la reconstruction bat son plein, bien que la crise commence à se faire sentir. Albert est apprenti mécanicien. Louis entre dans l’agence de l’architecte et urbaniste William Jenney (1832-1907), pionnier du gratte-ciel à ossature. Jenney a reçu à Paris l’enseignement de J.N.L. Durand à l’Ecole centrale, et reçu l’influence de Viollet-le-Duc. Il est aussi « Major » de l’armée nordiste et « Baron ». Comme nombre d’ingénieurs actifs à l’époque, il a servi comme tel pendant la guerre de Sécession.

Le dessinateur et chef de projet John Edelmann (Cleveland, 1852- New York, 1900) rencontré chez Jenney invite Louis au Lotos Club, où l’on pratique en amateur de nombreuses activités sportives à un niveau d’excelence. Louis y invite à son tour Albert, qui y sera un des plus brillants champions. Louis sera actif dans le club jusqu’à l’été 1877 et son frère continuera à le fréquenter. Le club est aussi pour Louis et Edelmann, érudit et activiste socialiste puis anarchiste, un lieu d’échanges intellectuels sur divers sujets dont l’architecture. Edelmann se mariera en 1890

1874

Le 11 juillet Louis embarque pour Liverpool, vers Paris. Après une préparation intense et suivant un jeu de recommandations de Ware au patron d’atelier Emile Vaudremer et entre les Beaux-arts et la légation américaine, Louis Sullivan est autorisé à se présenter à « l’admission ». Il est le premier étudiant à l’obtenir dès sa première tentative et il entre à l’atelier Vaudremer, second Grand Prix de Rome 1854. Il a déjà lu Taine et suit vraisemblablement ses cours d’histoire de l’art aux Beaux-arts. A partir de cette année il a des lectures assidues non seulement d’oeuvres littéraires mais dans de nombreux champs scientifiques, y compris les sciences humaines. Il poursuit à Paris, en collaboration avec Edelmann, des études de décoration d’une synagogue et d’un temple à Chicago

1875

Départ pour l’Italie en avril. Retour aux Etats-Unis le 24 mai

1876

Les fresques réalisées par Sullivan pour la synagogue Sinaï et le « Moody Tabernacle » font sensation par leurs couleurs et leurs motifs botaniques. Sullivan étudie la ville de Chicago et accomplit divers travaux en free-lance. Il travaille à partir de 1879 pour Dankmar Adler, un des architectes en vue. Il devient salarié à partir de 1881 ou 1882. Adler est né à Stadt Lengsfeld en Saxe en 1844. Sa famille ayant émigré son père fut rabbin à Detroit avant de s’installer à Chicago en 1861.

1883

Adler et Sullivan s’associent le 1er mai. Sullivan devient un proche de la famille Adler. De 1879 à leur séparation en 1895, Adler et Sullivan ont 180 commandes, dont 60 résidences – villas ou immeubles – 33 immeubles de bureau ou magasins, 27 ateliers, 17 salles de spectacle et 11 entrepots. Sullivan est en charge de l’ornement et des façades, mais il est aussi un maître dans l’organisation du projet et du chantier.

1884

Mort de Patrick Sullivan. Andrienne va vivre à Lyons Falls avec sa soeur Jennie

1886-1889 Conception et réalisation de l’Auditorium. Cet immense projet inaugure une nouvelle période de la

production d’Adler et Sullivan: tandis que les projets en étaient pour moitié résidentiels, ceux-ci déclinent nettement dans une commande qui devient constituée en majorité d’immeubles commerciaux: bureaux, entrepôts, usines, magasins. Nombre de ces projets sont confiés par des clients qui habitent déjà une résidence bâtie par Adler et Sullivan. Ce sont des projets plus rentables pour l’agence et qui donneront lieu à la théorie de la construction moderne de s’exprimer dans l’architecture.

1888

Frank Lloyd Wright (1869-1959) est embauché, d’abord pour travailler aux décors de l’Auditorium puis aux projets de résidences privées, dont la maison Charnley de 1892. En 1893 Sullivan licenciera Wright pour avoir eu sa propre clientele. Wright demeurera fidèle à celui qu’il appelera Liebermeister.

1889

Georges Elmslie (1871-1952) est embauché. Il sera l’assistant de Sullivan jusqu’en 1909

1890

Louis, ses amis les Charnley et Albert achètent chacun un terrain à Ocean Springs, sur la côte de la Louisiane. Louis y fait construire une maison de vacances. Il en confie à Wright le dessin. Il y passera ses vacances jusqu’en 1910. Il empruntera pour le voyage la voiture Pullman privée d’Albert qui est devenu directeur général des chemins de fer du Illinois Central Chicago-to-New Orleans et sera président de l’American Railway Association. En 1887, Louis s’est lié à un couple, les Lewis, avec qui il cohabite pendant une dizaine d’années, y compris à Ocean Springs

37


1890-1895 Sullivan développe et précise sa maîtrise du sens de la verticalité comme essence du gratte-ciel. Pendant

cette periode l’agence produit, parmi d’autres, 12 projets de gratte-ciels dont 6 sont batis: le Wainwright Building à Saint-Louis; le Schiller Building à Chicago, qui comprend une tour de bureau et deux théatres; le St. Nicholas Hotel et le Union Trust Building à Saint-Louis; le Chicago Stock Exchange (La Bourse); le Guaranty Building à Buffalo

1891

Louis fait construire une maison pour sa mère à Chicago, dont les travaux sont payés par Albert

1892

Andrienne meurt le 12 mai. Louis emmenage dans la maison avec les Lewis. Albert se marie en 1893

1893

A l’exposition colombienne, l’Union centrale des arts décoratifs (UCAD) de Paris distingue entre tous la Golden Doorway du Transportation Building, ainsi que d’autres réalisations de Sullivan. Celui-ci donne au Musée des arts décoratifs des pièces ornementales et fait un voyage à Paris. Il sera médaillé de L’UCAD en 1894. Lors de son séjour de 1893-1896 aux Etats-Unis, l’architecte viennois Adolf Loos (1870-1933) est marqué par l’architecture de Louis Sullivan

1895

La crise économique qui fait rage depuis deux ans a raison de l’association avec Adler, qui abandonne pour quelques mois la profession. Après cette séparation Sullivan réalisera: le grand magasin Schlesinger and Mayer en 1896-1902; le Bayard Building à New York en 1897; le Gage Building en 1898

1896

En mars, publication de The Tall Office Building Artistically Considered, où est théorisée l’architecture des gratte-ciels et énoncée la formule « form ever follows function ». De 1886 à 1922, Sullivan a écrit 51 articles, essais ou textes de conference prononcés dans le cadre de diverses institutions. Louis doit quitter la maison qu’il habite pour la laisser à Albert et sa femme, qui en sont les propriétaires.

1899

Le 1er juillet il épouse Mary Azona Hattabaugh (1879-194?)

1900

Dankmar Adler meurt le 16 avril

38

1901-1902 Publication de Kindergarten Chats dans la revue Interstate Architect and Builder

1909

Le 29 novembre Sullivan vend presque tous ses biens mobiliers aux enchères. Sa femme le quitte une semaine plus tard. Ils n’auront pas eu d’enfants

1910

Il doit vendre sa propriété d’Ocean Springs

1906-1919 Il conçoit et réalise huit petites banques dans des localités du Midwest

1922

De janvier à l’été 1923 Sullivan travaille simultanément à deux ouvrages : A System of Architectural Ornament, qui comprend des planches ornementales accompagnées de textes ; et Autobiography of an Idea. Le second paraît d’abord en feuilleton mensuel dans le American Institute of Architects Journal. Les deux seront publiés en 1924 par l’AIA

1924

Trois jours après les avoir reçus, le 14 avril, Louis H. Sullivan meurt à Chicago

1.

3.

2.

5.

6.

8.

4.

7.

9.

1. http://www.artic.edu/ 1876, 20 ans 2. http://louissullivanfilm.com/ vers 1890, 30 ans 3. http://www.knowla.org/ 1890, 34 ans 4. http://abouthuman.net/ vers 1890, 30 ans 5. http://www.rugusavay.com/ vers 1900, 40 ans 6. http://socalarchhistory.blogspot.fr/ vers 1910, 50 ans 7. http://socalarchhistory.blogspot.fr/ vers 1920, 60 ans 8. Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p.6 vers 1900, 44 ans 9. http://blogs.wttw.com/ 1920, 64 ans


Photographies connues de Louis Sullivan

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Corps et logiques du récit Afin d’introduire cet écrit, nous avons cherché à valoriser, chapitre après chapitre, les évènements, impressions, citations qui nous ont particulièrement marqués. On s’aperçoit assez vite que le récit respecte une logique très précise, chaque chapitre servant en réalité à mettre en valeur un certain nombre d’éléments de différents types, sous forme d’ « ensembles d’informations », à savoir : 1. considérations philosophiques / observations sensibles, 2. souvenirs forts / épisodes marquants, 3. réflexions projetées dans le présent Les quatre premiers chapitres traitent de l’enfance de Sullivan, l’action se déroulant avant tout à South Reading.

40

Dans cette partie du récit, Sullivan insiste sur ses yeux, la vue, l’observation. On se rend d’ailleurs vite compte qu’il avait en effet une très bonne mémoire visuelle, tant ses descriptions de visages, attitudes et paysages se veulent complètes, surtout pour un enfant. Il s’étonne, s’émerveille sans cesse de ce qui l’entoure (il parle beaucoup de la nature environnante, de la diversité des essences des plantes...). Il mentionne aussi ses racines irlandaises à travers la forte valeur symbolique de ses grands-parents, en effet très présents lors de sa petite enfance. Ceux-ci l’élevèrent, le suivant même assidument dans sa progression à l’école. Il aborde aussi ce sujet en soulignant combien déjà jeune, il était avide de connaissances et très doué : c’était « si facile d’être premier de la classe »... il parle de même du rôle de la religion dans son éducation (et du fait qu’entre autre, elle le laissait totalement indifférent), la formule « que Dieu nous bénit » prononcée en français à table ressemblait alors à une étrange incantation à ses oreilles : kudgernoobaynee ! Le cinquième chapitre se déroule à Newburyport alors qu’il a 7 ans. Il s’agit d’une période courte où il traite avant tout de ses parents, de son père. Celui-ci lui inculqua la discipline, à travers de nombreux exercices physiques... il y voyait un véritable modèle. Newburyport fut aussi un monde de découvertes : de la mer, mais aussi des grands chantiers, c’est-à-dire du génie constructif humain, des pouvoirs de l’homme. Les chapitres sur Boston (du sixième au dixième) marquent l’arrivée de Louis à la grande ville, ou « puissance collective ». L’école là-bas ne l’intéressa pas beaucoup, enfant des campagnes, il se réfugia dans des « lectures fantastiques ». Un épisode marquant de ces chapitres reste la découverte de la descriptive par Louis, son père lui expliquant que parmi deux montagnes de même taille au loin, l’une est plus grande que l’autre parce qu’elle est plus proche (p. 87). Plus tard, au lycée anglais, Louis eut comme professeur Moses Woolson, personnage doté d’un caractère bien trempé, et dont l’enseignement fit forte impression sur le jeune homme. En 1868, Louis Sullivan a 12 ans ; c’est à ce momentlà qu’on estime qu’il se destina à l’architecture (il matérialise cette révélation dans le récit par sa rencontre

Citations : - p. 154 - p. 170

avec un « architeque »). Alors avec ses parents à Boston, en cours au collège Rice, il sait sa mère déjà très malade, atteinte de diphtérie. Ce passage marque une évolution du petit Louis dans le récit, vers un être plus mature, critique. Il vécut le grand incendie de Chicago qu’il décrit avec le champ lexical du désespoir (p.150) Suite à ces évènements tragiques, Louis commença ses études à « Tech ». Il eut pour professeurs William R. Ware et Eugène Letang, découvrit la camaraderie, la liberté dans les études. Déjà téméraire, il n’hésite pas à remettre en question l’enseignement, se rendant compte qu’il évolue dans une pâle copie de l’école des Beaux-Arts. Nous pouvons retenir sa remise en question des cinq ordres de l’architecture (dorique, ionique, corinthien, toscan et composite) :

« Ces ordres rigides semblaient dire: « le livre est clos; l’art va mourir ». Puis il se demanda: pourquoi cinq ordres? Pourquoi pas un? Chacun des cinq raconte clairement une histoire différente. Lequel doit être vu comme sacro-saint? Et si l’un d’eux est sacro-saint, les quatre autres seront invalidés. » Impatient de travailler et se rendre compte de la réalité du métier, il n’y resta qu’un an. Louis gagna alors Chicago, où il rencontra entre autres le Major Jenney (qui devint son employeur), John Edelmann et William B. Curtis. Ahuri par l’incohérence des bâtiments de la reconstruction (il parle de l’ « illettrisme des architectes »...), il continue sa propre recherche de l’ « Idée ». A ce stade très proche de sa grande démonstration (et du fameux John), il parle de « Fonction réprimée » :

« Un jour, John expliqua sa théorie des fonctions réprimées; Louis fut saisi, et vit en un éclair que cela représentait la vrai clef du mystère de ce qui se cache derrière le voile des apparences. Louis était particulièrement sensible à l’impact inattendu, explosif d’un simple mot; et quand le mot « fonction » détonna sous l’action du mot « réprimée », une nouvelle, immense idée prit corps, éclaira son monde intérieur et extérieur d’une même lumière. Et, avec l’aide de John, Louis vit le monde intérieur et extérieur plus clairement, et le monde des hommes commença à prendre une apparence formelle, et fonctionnelle. Mais hélas, ce qu’il avait supposé être le seul voile du mystère susceptible de se lever d’un coup, comme un nuage, s’avéra d’expérience être une série de gazes suspendues qui devaient lentement monter une à une, dans une scène de transformation, comme celle que petit garçon il avait vue dans «les quarante voleurs », où grâce à l’imagination infantile, tout se transformait en réalité. »

Vint ensuite le voyage en Europe de Louis, son épopée à Paris et aux Beaux-Arts. Il y passa en réalité moins d’un


an, et n’eut donc que le temps d’assimiler ce qu’il put de connaissances avant de repartir. Il écrit avoir préparé le concours d’entrée en six semaines sur place, à un rythme de 18 heures de travail par jour, un régime simple, en prenant des cours de français et de mathématiques. Pour le français, Louis possédait déjà des bases, mais la tâche fut tout de même ardue (il renvoya de nombreux professeurs qu’il jugea pas assez bons/ performants/ pédagogues ou qualifiés). Concernant les mathématiques, un professeur du nom de Monsieur Clopet lui apprit toutes les bases dont il avait besoin, et plus encore...

« (…) Il prit les livres, choisit un long exposé de géométrie descriptive, et commença de tourner les pages. « Regardez maintenant: voici un problème avec cinq exceptions ou cas particuliers; ici un théorème, trois cas particuliers; encore neuf, et ainsi de suite, un cortège d’exceptions et de cas particuliers. Je suggère que vous jetiez ce livre à la corbeille à papier; nous n’en auront pas besoin ici; car ici nos démonstrations seront si générales qu’elles n’admettront AUCUNE EXCEPTION! » A ces mots stupéfait, Louis fut tel celui dont le corps est devenu une pierre brulante, son esprit se déchaina. Instantanément les mots avaient formé un éclair, une vision s’était levée et une résolution s’était fixée; un questionnement instantané et une réponse immédiate. Le questionnement: si ceci est le cas des mathématiques, pourquoi pas en architecture? La réponse immédiate: c’est possible, et ce sera ainsi! Nul ne l’a fait, moi je le ferai! Cela peut impliquer un long combat; plus long et plus dur que la randonnée dans la foret du domaine de Brown. Il peut se passer à partir d’aujourd’hui des années avant que je trouve ce que je cherche, mais je le trouverai, où que ce soit et quelque soit la manière, avec ou sans autre guide que mon flair, ma volonté et mon entendement. Ce sera fait! Je vivrai pour cela! personne, rien, pas une force ne m’en détournera. Le monde des hommes, des pensées, des choses, sera mien. Je crois fermement que si je peux ne serait-ce que l’interpréter, ce monde est plein d’évidences. J’explorerai ce monde, je fouillerai, je trouverai. Je pèserai ce monde dans une balance. Je le questionnerai, je le soumettrai à des examens répétés, au bout du compte, je l’interprèterai – rien ne me retiendra, je l’emporterai! »

Une fois le concours passé, Sullivan raconte son expérience acquise à l’Atelier Vaudremer (dont était aussi originaire Eugène Letang), son voyage en Italie, puis les limites des méthodes, de l’enseignement de l’école, trop académique, classique, l’amenant dangereusement à produire une architecture embourbée d’« un fatal résidu d’artificialité ». De retour à Chicago, il est frappé par l’activité qu’il y trouve, son intuition d’enfant se transformant en une véritable foi en l’Homme et ses pouvoirs potentiels. En ses mots :

Citations : - p. 182 - p. 204 - p. 209

« Cette ferme croyance dans la puissance de l’homme était un instinct infantile sans mélange, une institution et une foi infantile qui jamais, pas un seul jour en le quittèrent, mais se renforcèrent, tel un démon qui résidait en lui. Avec les jours qui se succédaient, il voyait la puissance grandir devant lui, chaque monde nouveau, insoupçonné, montant et s’ouvrant à ses yeux émerveillés; il voyait la puissance s’intensifier et se dilater; et toujours augmentait son émerveillement de ce dont les hommes étaient capables. Il en vint pour ainsi dire à adorer l’homme comme être, comme présence contenant des pouvoirs merveilleux, de mystérieux pouvoirs cachés, des pouvoirs assez variés pour le surprendre et le confondre. Ainsi l’Homme, ce mystère, devint pour lui une sorte de symbole de ce qu’il y avait de plus profond. »

Il travaille successivement dans divers ateliers, rencontre Frederick Bauman et retrouve John Edelmann (qui l’introduit à Burling et Adler). Alors que son intérêt pour l’ingénierie, ponts, et grandes structures grandit, il découvre peu à peu l’ « esprit scientifique ». Après avoir rencontré brièvement Adler, il élabore sa théorie :

« En attendant, ses journées étaient consacrées au travail; ses soirées à étudier, réfléchir, et à formuler peu à peu les 41 idées subsidiaires à l’idée principale qu’il élaborait désormais consciemment, seul. Cette forme de solitude ne l’inquiétait pas. Il voyait qu’une démonstration de Clopet était affaire d’années de travail et de développement. Ce qui l’inquiétait était l’aspect insaisissable de la pensée majeure qui l’occupait, qui semblait s’éloigner et grandir alors même qu’il était plus apte à la saisir »

Il commence enfin sa collaboration avec Adler, outre trois commandes qu’il décrit, (l’immeuble Borden, un Theatre moderne, et une « vaste résidence »), nous garderons surtout le formidable entrain et « la faim de briller » dans l’expression du texte de Sullivan, un Sullivan à l’aube de sa grande carrière, prêt à soulever des montagnes, le regard tourné vers l’avenir. La fin de l’Autobiographie Les derniers chapitres ne relèvent plus du tout de l’autobiographie DE L’IDEE (même romancée). Nous abandonnons Louis dans le récit chronologique en 1879, alors qu’il a 23 ans. Dans les deux chapitres restants, nous sommes projetés dans un univers plus concret et complexe, qui n’est plus observé à travers les yeux du jeune Louis (ou alors seulement pour maintenir un semblant de continuité dans le récit). Le ton contraste totalement avec ce que nous avons pu lire dans la première partie de l’ouvrage, Sullivan abandonnant le personnage « Louis » pour parler en son nom dans les dernières


pages, en tant que narrateur. Ses mots sont édifiants, et insistent sur le caractère testamentaire de ce travail:

« On peut s’interroger sur la valeur sociale de ce que celui qui a eu accès aux trésors du passé et au pire comme au meilleur de la pensée de son temps, peut laisser derrière lui comme résultat pondérable – comme IDEE. Par rapport à cela le narrateur convient que l’instinct premier de l’enfant, comme il a été montré, est à la base de toute idée fructueuse, et que la faculté de telles idées d’accroitre leur puissance est déjà un travail de l’instinct; et que, si il a été bien montré que l’instinct est primaire et l’intellect secondaire dans toutes les grandes oeuvres humaines, ce portrait est correct. Et ce que croit encore le narrateur à ce propos, c’est que s’il a réussi à mettre en lumière les fondements de la puissance fertile de l’IDEE qui pénètre et domine cette histoire d’une vie menée au plan physique et spirituel, ce fut bien dans un récit dont les mots doivent être médités par le coeur. »

42

Dans « Face à face », Sullivan insiste sur les pouvoirs de l’homme (que nous avons préféré expliciter dans le chapitre sur le Traité d’Ornementations Architecturales). « Après coup » revient par contre sur la rencontre de Sullivan avec John Root et « Dan » Burnham, l’aventure de l’Auditorium, le fiasco de l’exposition sur la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, et une description des matériaux et techniques mis en pratique par l’architecte. Attardons nous sur Burnham & Root, l’agence précédant de quelques années celle d’Adler & Sullivan. Louis tissa des liens très forts avec cet étrange duo, à la fois compagnons de fortune, rivaux et « meilleurs ennemis »:

« C’est ainsi que dans le monde de l’architecture de Chicago deux agences prirent de l’importance, Burnham & Root, et Adler & Sullivan. Dans chacune il y avait un homme ayant un dessein vital irrévocable, au nom duquel il était prêt à tout sacrifier, à faire plier toute chose. Daniel Burnham était obsédé par l’idée féodale du pouvoir. Louis Sullivan était également obsédé par la bienfaisante idée de Pouvoir démocratique. Daniel avait choisi la facilité, Louis le chemin le plus dur. Tous deux ruminaient incessamment leurs idées. » Encore aujourd’hui, nous pouvons considérer que les deux agences ont su développer les facettes du Chicago d’alors, si ce n’est que l’aspect « commercial » de l’architecture de Burnham & Root était encore plus appuyé que chez Sullivan, Daniel Burnham ressortant comme « un colossal homme de marketing ». Sullivan trouva bien plus chez John un compagnon, un référant, que chez Dan, bien qu’il le rencontra des années plus tard.

Citations : - p. 271 - p. 237 - p. 240 Frises : Documents personnels

Il vécut d’ailleurs très mal son décès, et se rendit compte de l’urgence de faire passer son propre travail à la postérité.

« (…) Mais John ne vécut pas assez pour mener son programme à terme, bien qu’il se fut forgé un moral qui chez Burnham restait rudimentaire. Il quitta cette vallée des larmes, ou ce meilleur des mondes, le 15 janvier 1891, à 41 ans, laissant dans le coeur et l’esprit de Louis un sentiment profond de vide et de perte. Car John Root avait pour lui d’être grand tandis que Burnham avait pour lui d’être gros. En partant John Welborn Root laissa dans son sillage un vide. »

Ces deux personnages hauts en couleurs clôturent la liste des personnalités de Sullivan, sa « ménagerie ». La « ménagerie de grandes et petites personnalités » C’est sous cette appellation que Sullivan a répertorié au long de son récit les seconds rôles du théâtre de sa vie. Les descriptions de traits physiques, attitudes, manières de ses personnes, mêlées à diverses anecdotes permet au lecteur de mieux comprendre ce que l’auteur pensait de son entourage. Nous retrouvons parmi ces personnalités certaines que l’histoire a retenues, certaines sans qui le Chicago d’alors n’aurait pu être ce qu’il fut, et d’autres enfin qui ne marquèrent que l’auteur. Nous avons porté à chacune la même attention, dessinant d’après description lorsque nous ne trouvions aucune photographie d’époque.


Les evenements marquants de sa vie

1860

1855

62 63 64

3 septembre 1856

1855

66

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72 73 74

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1865

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Reading

96

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Partenariat avec Adler 93

94

96

1905

Vacances à Ocean «Form ever «Kindergarten followsSpring, Louisiane Chats» Voyage à Paris function»

«Form ever follows function»

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Comète Donati

1878

Incendie Chicago

1889

Naissance du Phonographe

28 septembre 1858

9,10 octobre 1871

1878

Comète Donati

Incendie Chicago

Naissance du Phonographe

1900

1895

Invention du Expo Universelle Cinéma à Paris: 1889 1895 Tour Eiffel

Expo Universelle à Paris: Tour Eiffel

Invention du Cinéma

Décès

Décès

«A System of Architectural Ornament», «The Autobiography of an Idea»

«Kindergarten Chats»

Première G.M.

Evenements contemporains majeurs

9,10 octobre 1871

1930

«A System of14 avril 1924 Architectural Ornament», «The Autobiography of an Idea»

Voyage Liverpool, Paris, Retour Chicago

28 septembre 1858

1925

1920

1915

Epouse Mary Azona Hattabaugh

Médaillé de l’UCAD

William Jenney, Chicago

1910

Vend ses biens aux enchères, sa femme le quitte

Partenariat avec Adler

1930

22 14 avril 1924

Vend ses biens aux enchères, sa 09 femme le quitte

Epouse Mary Azona Hattabaugh

Médaillé de l’UCAD

1925

1920

1915

09

Vacances à Ocean 99 01 Spring, Louisiane

Voyage à Paris

1910

01

1900

1895

1890

1885

1880

Massachussetts Rencontre Adler West Ward Naissance Institut of Rice School, 72 73 62 63 3 septembre 1856 64 66 68 74 76 79 83 School, South Technology, Boston Reading Boston English High Frank Newburyport Furness, School, Halifax Massachussetts PhiladelphieRencontre Adler South West Ward Naissance Institut of Reading Rice School, Brimmer School, South Technology, William Boston School, Jenney, Reading Boston Boston English High Frank Chicago Newburyport Voyage Liverpool, Paris, Furness, School, Halifax Philadelphie Retour Chicago South

Brimmer School, Boston

93 94

1905

1900

1895

1890

«E=Mc2» Einstein

Premier Zeppelin

1912 14

1909

1905

Naufrage du Titanic

18 1920

Premier emissions de CIAM Pavillon de Radio 18 1920 l’Esprit Nouveau 1925 1928 LeCorbusier

Decouverte

«E=Mc2» Einstein

Premier Zeppelin

1928

Première G.M. Premières

1912 14 1909 1905 du pôle Nord

1900

1925

Premières Premier emissions de CIAM Pavillon de Radio l’Esprit Nouveau LeCorbusier

Naufrage du Titanic Decouverte du pôle Nord

Sullivan dans l’histoire de l’architecture moderne 1904

1889

1906

1910

1908

1918

1916

1914

1912

Sullivan et les acteurs de l’architecture moderne Schlesinger & Mayer, Chicago, Illinois

Auditorium Building,

1904

Chicago, Illinois 1889

1860

1870

1880

1890

1910

1920

Schlesinger & Mayer, Chicago, Illinois

National Farmer's Bank, Owatonna, Minnesota

1908

1910

Henry B. Babson House, 1930 Riverside,1940 Illinois

National Farmer's Bank, Owatonna, Minnesota

Peoples Savings Bank, Cedar Rapids, Iowa

1912

1950

1914

Henry Adams Building, 1980 1960 1970 Algona, Iowa

Merchants' National Bank, Grinnell, Iowa

Peoples Savings Bank, Home Building Cedar Rapids, Iowa

Association Company, Newark, Ohio

Henry B. Babson House, Riverside, Illinois

43

People's Federal Savings

Association, 1918 1916and Loan Sidney, Ohio

1990

2000

1920 2010

Farmers and Merchants Bank, Columbus, Wisconsin

People's Federal Savings and Loan Association, Sidney, Ohio

Henry Adams Building, Algona, Iowa Purdue State Bank,

Organiques americains

Auditorium Building, Chicago, Illinois

Louis Henri Sullivan Frank Lloyd Wright Bruce Alonzo Goff Herb Greene Bart Prince

1900

1906

1920

Farmers and Merchants Bank, Columbus, Wisconsin

West Lafayette, Indiana

Merchants' National Bank, Grinnell, Iowa Home Building Association Company, Newark, Ohio

Pré-modernistes européens

Antoni Gaudi Paul Hankar Victor Horta Hector Guimard Josef Maria Olbrich Charles Rennie Mackintosh Josef Hoffmann Adolf Loos Eliel Saarinen

Purdue State Bank, West Lafayette, Indiana

Modernistes

Walter Gropius Mies Van der Rohe Le Corbusier Richard Buckminster Fuller Alvar Aalto Louis Kahn Philip Johnson Oscar Niemeyer Eero Saarinen

1860

1870

1880

1890

1900

1910

1920

1930

1940

1950

1960

1970

1980

1990

2000

2010


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Moses Woolson « Enfin assis, Louis observa le maître, dont l’apparence et l’habit suggéraient, dans une certaine mesure, un fermier de type robuste, économe, hâlé, impécunieux, prospère – un homme de quarante ans au plus. Quand le silence eut gagné la masse des élèves, le maître se leva et commença un sermon à l’intention de ses jeunes recrues ; le fait est qu’il s’y lança sans un seul mot de bienvenue. C’était un homme de taille au dessus de la moyenne, à la barbe peu fournie, les cheveux en bataille, il avait des gestes de panthère, ses traits, lorsqu’ils étaient en action, devenaient autoritaires et pugnaces, comme du second d’un navire qui prend en charge son nouvel équipage. Il était tendu et ne plastronnait pas – c’était un homme de passion. »

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Citation : Dessin personnel

- p. 130


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«L’architeque» « Un jour, comme Louis se baladait sur Commonwealth Avenue, il vit un gros homme, d’allure digne, avec barbe, haut de forme, redingote, sortir d’un bâtiment adjacent, monter dans sa voiture et donner au cocher le signal du départ. Il n’y avait pas d’erreur sur la dignité, à Boston tous les hommes de rang étaient dignes ; parfois avec un peu d’insistance, Louis souhaitait savoir qui est-ce qu’il y avait derrière la dignité. Aussi il interrogea l’un des ouvriers, qui dit : « Eh ben, c’est l’architeque de l’immeuble. - Ah bon ? Et qu’est-ce qu’un architeque, le propriétaire ? - Nan ; c’est l’homme qui a dessiné les plans de cet immeuble. - Comment ? Qu’est-ce que vous avez dit : dessiné les plans de cet immeuble ? - Bien sûr. Il trace les plans des pièces sur du papier, puis fait une image de la façade, et nous travaillons pour notre patron à nous, mais l’architeque est le patron de tout le monde » Louis était épaté. » 47

Citation : Dessin personnel

- p. 98


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William R. Ware et Eugène Letang « Le professeur Ware était un gentleman de la vieille école ; un célibataire, de bonne taille, mince, portant barbe à l’anglaise grisonnante. Il avait ses petites manières affectées, inoffensives. Sa voix était un peu rauque, son allure était impeccable, faite de politesse et d’amabilité. Il avait un sens de l’humour précieux et léger, et apparemment un solide bon sens. En outre, il était digne de respect et d’affection. Ses ambitions étaient modérées et clairement au goût du jour ; ses jugements étaient transparents et droits. Amabilité et bon sens sont les mots qui résument sa personnalité; il n’était pas assez imaginatif pour être ardent. » « Ce Letang était la tristesse et la gravité mêmes ; un visage long et maigre avec une barbe clairsemée. Disons qu’il avait trente ans. Il n’avait pas un air de professionnel ; c’était un étudiant échappé des Beaux Arts, un massier qui semblait transplanté de l’atelier, où les anciens, soit les étudiants plus âgés, aident les nouveaux, soit les jeunes recrues. Il était admirablement patient, et semblait croire à la valeur véritable du travail qu’il accomplissait avec tant de candeur; de temps en temps il disait : « d’une discussion peut venir la lumière ». » 49

Citations : - p. 152, 153 Photographies retravaillées : - cpc.state.pa.us -web.mit.edu


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Frank Furness (Furness et Hewitt) « Frank Furness était un curieux personnage. Il affectait des manières anglaises. Il portait de lourds plaids, et avait un air renfrogné, et sous son visage pendait en éventail une merveilleuse barbe rousse, magnifique de ton, chaque poil étant tout du long délicatement froncé. De plus, son visage était grondant et laid comme d’un bouledogue. Les yeux de Louis étaient rivés sur cette barbe, fascinés, tandis qu’il l’écoutait débiter des chapelets kilométriques de jurons.(...) Frank Furness « faisait des bâtiments à partir de sa tête ». Cela convenait mieux à Louis. Et Furness était un extraordinaire dessinateur à main levée. Il hypnotisait Louis, spécialement quand il dessinait et jurait en même temps.. »

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Citation : Photographie retravaillée :

- p. 158 - www.findagrave.com


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Major Jenney « A Chicago, il y avait deux ou trois timides, le nez dans les livres, et quelques-uns d’intelligemment consciencieux dans l’intérêt de leurs clients. Parmi ces derniers on pourra mentionner Major Jenney. Le major était un Monsieur cultivé et décontracté, mais pas un architecte, sauf à l’appeler ainsi par courtoisie. Son vrai métier était ingénieur. Il avait reçu sa formation technique, son éducation, à l’école polytechnique en France, et avait servi pendant la guerre de sécession comme Major dans le génie. (…) Il parlait français avec un accent si abominable que cela faisait grincer des dents, tandis qu’en anglais son discours se balançait comme s’il avait la danse de SaintGuy. Il avait les yeux monstrueusement globuleux, des traits flasques et mobiles, des lèvres sensuelles, et il réglait les affaires avec aisance, à la manière d’un ancien combattant certain de savoir de quoi il en retourne. Louis trouva chez le Major, non pas exactement, au fond, un ingénieur mais une nature de bon vivant, un gourmet. (...) Tout chez le Major était effusion; un type robuste et cordial, officier de la Loyal Legion, bien accueilli chez tout le monde, mais préférant accueillir. Il était aussi excellent conteur, avec un vif sens de l’humour et des pointes empruntées à un imaginaire apparemment gaulois. (…) Le Major était vraiment et réellement drôle. » 53

Citation : Photographie retravaillée :

- p. 167, 168 - www.jmhdezhdez.com


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John Edelman « John était le chef de l’agence. Il était indolent par nature, rapide par vanité et par pratique. Il tournait en dérision et jouait à écraser les plus lents ; et faisait un récit fleuri de sa vitesse d’exécution de tels ou tels travaux. Il fut évident que John avait un culte du héros, John adorant John avec affabilité et devant tout le monde ; et Louis nota en passant que l’inconscience où était John de sa propre personnalité se situait dans une région fabuleuse et légendaire, sur quoi ils devinrent rapidement amis. Louis avait tout de suite remarqué chez John une nouvelle personnalité ; musculeux, âgé de vingt-quatre ans, barbe, négligé, négligeant, une voix riche, sonore, modulée, un réservoir débordant de vocabulaire. Orateur né – il lui fallait parler ou périr. Sa formule invétérée était « moi-même, je » - faisais – étais – suis – pense – sais – à la seizième décimal et à la énième puissance de l’égoïsme. »

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Citation : Dessin personnel

- p. 169


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William B. Curtis « « Bill » le costaud avait trente-huit ans, à ce qu’il disait. C’était un homme intelligent et qui ne se vantait jamais. Il était trop cynique pour se vanter, et terriblement littéral dans ses propos. Comme mathématicien, il avait contesté Haswell. Il avait un esprit dur, ses manières étaient douces. Il connaissait son anatomie, et avait imaginé un exercice spécial pour chaque muscle particulier de son corps. (...) Par un étrange paradoxe il détestait se montrer. Il n’avait nulle vanité. Il avait un sens de l’humour narquois (…) Son cerveau était remarquablement chargé de connaissances variées, de genre prétendument supérieur, mais il en faisait rarement état, si ce n’est brièvement et avec dérision. »

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Citation : Photographie retravaillée :

- p. 173 - http://digitalgallery.nypl.org/ (New York Athletic Club Track Team)


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Frederick Bauman « C’était un blagueur caustique et intelligent, ce Frederick Bauman. Eduqué en Allemagne jusqu’au cynisme, il était le maître d’une idée qu’il formula dans un pamphlet intitulé « Une théorie des fondations sur pieux isolés », publié en 1873. La logique de cet essai était si cohérente, d’un sens commun si sain que son idée simple a depuis cette date continuellement servi de base à la pratique normale. Honneur, donc, à Frederick Bauman, homme intelligent, explorateur d’une idée nouvelle, dont il est l’inventeur. Il atteignit avec vigueur quatrevingt-quinze ans, et comme toutes ces années défilaient devant lui, le monde et ses peuples apparaissaient, à ses yeux rieurs et perçants, toujours plus ridicules – cette conviction le réconforta, alors que ses vertèbres se recourbaient.. »

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Citation : Photographie retravaillée :

- p. 202 - thisoldpalette.blogspot.com


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Burling et Adler « Burling était affalé dans un fauteuil pivotant, ses longues jambes posées sur le bureau ; il tortillait un cigare mâchouillé en parlant à un visiteur et crachait dans une boite carrée. C’était un yankee incroyablement grand, au gros nez, qui visiblement vieillissait vite, et dont s’affaiblissait manifestement la volonté – un représentant de la génération qui avait fait des affaires considérables après l’incendie mais que le crack avait durement frappé. » « Adler se tenait à l’écart, à la table d’un dessinateur, bien en vue, dans la lumière. C’était un juif râblé au nez court, avec une belle barbe et un magnifique front en dôme qui s’arrêtait soudain au départ d’une masse compacte de cheveux noirs. Il était l’image de la force énergique, au physique et au mental. (…) Ensuite, John emmena Louis à Adler dont le visage large, sérieux, le regard efficace de bons yeux marrons, se rassemblaient dans un riche sourire d’ouverture et d’accueil. Il ne fallait guère beaucoup de secondes d’attention pour noter que l’intelligence d’Adler était intensément active et ambitieuse, son esprit ouvert, large, réceptif, et d’un rang exceptionnellement élevé. Il était de douze ans l’aîné de Louis, et en pleine forme. » 61

Citations : Photographie retravaillée : Dessin personnel

- p. 208 - fr.wikipedia.org


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Burnham et Root « Louis trouva chez Burnham un sentimental, un rêveur, un homme aux fermes résolutions et – sans doute possible – à la forte volonté, une présence imposante, salutaire, efficace, presque pompeuse, un mystique – un swedenborgien – un homme prêt à ouvrir son coeur à qui lui était sympathique. Bientôt, ils s’appelèrent Louis et Dan, car Dan se disait mal à l’aise dans les formalités; il aimait à parler d’homme à homme. Il aimait les hommes de coeur comme les hommes de tête. » « Tout de suite, il fut attiré par la personnalité magnétique de Root. Lui, Root, n’était pas du même type que Burnham, mais des cheveux roux, une large tête ronde, rasée de près, plein d’entrain et d’esprit, le nez petit, de la vivacité, jovial, pétillant, un sens de l’humour aigu – dont manquait Burnham – , solidement composé, un cou de taureau, parsemé de taches de rousseur, des bras de fer, de sensuels yeux bleu clair ; dessinant avec facilité, saisissant rapidement les idées, et se les appropriant encore plus vite ; excellent musicien, érudit sur presque tous les sujets ; ayant l’habitude de parler anglais avec exactitude, bien campé et mobile, c’était un homme d’une culture générale déliée, enjouée ; et d’une vanité incommensurable. Une vanité, toutefois, qu’il avait soin de ne pas laisser s’imposer. C’était un homme du monde, un homme de chair, et dans une grande mesure un homme du diable. Son tempérament était celui d’un collaborateur indépendant à la toilette impeccable, qui ne prenait jamais rien trop au sérieux, en quoi il différait de son pesant associé, comme la libellule du mastiff. Pas plus qu’il ne possédait un dixième de la volonté de son associé, il n’avait la capacité dudit associé de traverser l’enfer pour parvenir à ses fins. L’ambition primordiale de John Root était de briller; d’être objet d’admiration, avec une pitoyable sensibilité à la flatterie ; ce qui lui amenait un essaim de flagorneurs de luxe et de parasites, sur les genoux desquels il avait l’habitude d’étendre ses pieds pour leur faire sentir leur position, tout en autorisant ces minus à l’appeler « John ». »

Citations : Photographie retravaillée :

- p. 235, 236 - interactive.wttw.com

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A System of Architectural Ornament According with a Philosophy of Man’s Powers A propos des Grammaires de l’Ornement

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Sullivan ne fut pas le premier à interpréter géométriquement et graphiquement les logiques de la nature. Il s’inscrit dans une lignée de théoriciens du genre, et reflète les préceptes philosophiques et artistiques néoplatoniciens répendus à son époque. Nous pouvons citer un écrit qui marqua toute une génération d’étudiants par sa vocation pluridisciplinaire: la « Grammaire des arts du Dessin », de Charles Blanc (1867). Nous y trouvons des idées que Sullivan défendra à son tour ; telles que le Dessin comme un art d’expression (et non d’imitation), d’expression d’une idée ; l’harmonie des couleurs, tons, lignes et formes... Nous pouvons établir quelques rapprochements entre les deux textes et avancer sans trop de doutes que Sullivan a pris connaissance de cet écrit lorsqu’il était aux Beaux Arts. En parallèle interviennent quatre ouvrages majeurs, qui ont profondément influencé la culture architecturale américaine : L’origine des espèces (1859) de Charles Darwin, Flore ornementale (1868) de Ruprich-Robert, Grammaire de l’ornement (1868) d’Owen Jones, et La religion de la beauté (1879) de Ruskin. Chacun de ces écrits exposent un point vue et se complètent quant à une certaine approche scientifique de la croissance et de l’ornement. Charles Darwin explicite de son côté le principe de divergence ; ou les idées de variation et de sélection naturelle. Nous pouvons retenir que le milieu extérieur a une action directe sur l’individu, et que chacune de ses variations en amène d’autres, pourvu que l’individu demeure dans la « sphère de variation » ainsi délimitée. Le fait que Darwin ait recours à des métaphores permet d’appliquer ses idées à des domaines très variés, dont l’architecture. Ruprich-Robert fait de son combat le fait que le dessin soit avant tout moyen d’expression, et soit nécessaire dans l’apprentissage comme dans la pratique de la profession. C’est à travers l’observation de la plante, et le respect minutieux du réel dans le dessin que l’artiste peut chasser la répétition pour faire confiance aux infinies modulations contenues dans la nature. On trouve dans les planches de cet ouvrage des dessins de relevé botanique, avec des étapes de croissance, des comparaisons d’espèces, des rapports d’échelles... avec une certaine neutralité scientifique bien maîtrisée.

En ce qui concerne Ruskin, il accorde une valeur primordiale aux formes rayonnantes, contenant « la force de toute vie organique ». La constitution géométrique d’une figure de base assure le processus de croissance : il commence alors à classer par familles de branches, trois, cinq ou six... En soit, il serait assez aisé d’en faire une analogie avec composition picturale, musicale, architecturales, le groupe ternaire possèdant, par exemple, une forte cohésion et unité. Son étude des fleurs, d’un autre côté, permet d’imaginer « des formes plus complexes […] par rayonnement affecté d’une force sans cesse changeante, que ce soit à partir d’une racine qui croît, ou par un mouvement imprimé depuis un point donné selon une loi donnée » Ces travaux accompagnent l’ouvrage majeur On growth and form (1917) d’Arcy Thompson, théoricien de la croissance comme processus formel. Y figurent une série d’observations et remarques sur la croissance, qu’elle puisse par exemple constituer une « simple augmentation de taille sans altération visible de la forme », ou plutôt « un changement graduel de forme et le lent développement d’une structure plus ou moins compliquée ». Nous remarquons qu’en dehors du fait que Sullivan ait fortement voulu s’inscrire dans cette continuité de penseurs, c’est surtout le travail de Frank Lloyd Wright par la suite qu’ils vont éclairer. Comme nous l’avons vu, le 19ème siècle a compté un certain nombre de penseurs et de traités majeurs qui peuvent s’apparenter à des « grammaires de l’ornement », mais chacune de celles-ci, de près ou de loin, prennent en compte The Grammar of ornament (1856) d’Owen Jones. Cet écrit eut une influence majeure sur Frank Lloyd Wright et Sullivan, bien qu’ils ne l’abordèrent pas de la même manière... Cette profusion de « grammaires » répond à une exigence sociale et une crise de l’ornement sur laquelle Europe et USA vont prendre globalement des voies divergentes. L’Europe était alors hantée par les canons antiques, l’Art Nouveau vu comme une dernière tentative d’ériger un nouvel ornement populaire à la hauteur des inspirations d’une certaine bourgeoisie éclairée, viendra ensuite progressivement la période moderniste, pour laquelle l’utile devient le seul crédo, l’ornement une vilénie dont l’homme moderne doit définitivement se passer. De l’autre côté de l’océan par contre, l’ornement était une découverte : sans le poids du passé, comment s’en servir pour légitimer et affirmer aux yeux du monde la nouvelle architecture moderne Usonienne ? Nous pouvons retenir la définition de Dresser : « L’ornement est ce qui, ajouté à l’utile, rend un objet plus acceptable en lui ajoutant une quantité de beauté qui lui ferait défaut autrement ». Si Owen Jones regroupe dans son ouvrage nombreux ornements de tous horizons, ce n’est pas pour créer un catalogue, mais bien pousser le lecteur à la réflexion. Il part du constat que l’ornement n’a pas pour but d’être utile mais plutôt de charmer le regard. De même, chaque ornement répond à des règles de structure graphique qui lui sont propres, à l’artiste contemporain de faire en sorte qu’elles rentrent en résonance avec

Illustrations : - Premières pages et planches extraites des ouvrages traités Références : - Sullivan Louis H., Art Institut of Chicago, (1995), Traité d’ornementation architecturale, Bruxelles: Mardaga, 159 p. - Lauren S. Weingarden, « Le traité d’ornementation architecturale de Louis H. Sullivan», p.9-13


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les principes accordés à la nature. Afin de guider au mieux les artistes, et les inviter à se fier à leur propre inspiration plutôt qu’à l’interminable quête d’un style, il met en place 37 propositions, 37 « principes généraux de l’arrangement des formes et des couleurs dans l’architecture et dans les arts décoratifs ». L’ouvrage connut un incroyable engouement, accessible au néophyte, remarquable outil d’apprentissage pour jeunes dessinateurs. Wright lui-même aurait passé de nombreuses soirées à décalquer l’intégralité des cent pages de la « grammaire ». Il y a vu une logique, une méthode qu’il a très clairement su appliquer à son architecture. Jones transmit dans son livre sa passion pour l’observation, le respect du détail, et démontra une extraordinaire faculté d’abstraction. Les deux pistes qu’il offrit furent chacune pleinement empruntées par Wright et Sullivan. L’un se servit de ces principes pour élaborer et composer l’espace, l’autre explora un ornement clairement détaché de l’espace, savamment disposé. C’est chose acquise que le Liebermeister et son jeune disciple partageaient cette même culture ornementale. Selon l’Autobiographie de Frank Lloyd Wright, il aurait même présenté à son entretien d’embauche chez « Adler & Sullivan » une série de calques sur lesquels il avait transposé des ornements de Jones « à la manière sullivanesque ».

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Contexte de création et volontés de l’auteur A 66 ans, Louis H. Sullivan entama ce qui sera sa dernière oeuvre de dessin architectural. Le bras droit de plus en plus affecté par une nervite (qui aboutit en paralysie), des admirateurs prirent conscience de son état et lui passèrent commande d’une oeuvre qui fera passer sa philosophie et ses concepts à la postérité. Sa condition financière étant connue, la somme de 750 dollars fut versée en mensualités à l’architecte, la moitié de la somme provenant de la Burnham Library, l’autre étant constituée de donations de ses commanditaires. Les impressionnants dessins du manuscrit ne furent au départ prévus par Sullivan que pour illustrer sa théorie. Ils devaient être au nombre de 30, mais 20 dessins furent finalement réalisés. On dénombre donc parmi les documents originaux 35 feuilles manuscrites au crayon (format A4) et 20 dessins au crayon sur carton Strathmore (57,5 x 73,5). Sullivan avait pour volonté que « l’ensemble du travail puisse être présenté comme une thèse unique ». Il le voyait comme une oeuvre totale, et s’intéressa dès les premières planches à la façon dont il devait être abordé. Une oeuvre didactique donc, organique dans sa façon de lier intimement les parties écrites et illustrations. Selon ses propres mots:

« (…) J’ai commencé par élaborer le « prélude », un essai de cinq pages en simple interligne présentant l’Homme et ses Pouvoirs – l’homme naturel et ses pouvoirs naturels... au moyen de notations sur chaque feuille, j’ai l’intention d’étendre le pouvoir du prélude à toute une série de vingt dessins, et une fois la série terminée, de rassembler tous les fils en une sorte d’épilogue. » L’ouvrage part de ses concepts abstraits, les explicite ensuite à l’aide d’illustrations et explications écrites, puis cristallise ces mêmes concepts en des exemples choisis d’ornements.


La structure de l’ouvrage Le prélude (« L’inorganique et l’organique ») en trois parties:

-L’homme identifie l’organique et l’inorganique en lui-même

-Quelque chose de plus sur les pouvoirs de l’homme

-Le pouvoir de l’homme en action

Les planches (Plate n°) datées

1 -The Inorganic 1922 2 -Manipulation of the Inorganic 1922 3

-The Inorganic: Manipulation of forms in plane geometry

Mobile geometry 1922 4 - Fluent geometry 22 fevrier 1922 5

-The values of axes (life is infinite)

1922

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-Manipulation of Variants, on a given axial theme

1922

7 -The values of Parallel Axes 1922 8 -Parallel Axes, further development 1922 9

-Interlude: The doctrine of Parallelism

(sans date)

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-Fluent Parallelism (non Euclidian)

1er mai 1922

11

-Values of Parallel Planes (parallelism)

23 mai 1922

12

-Values of Overlap and Overlay

7 juin 1922

13

-Interpenetration: with resultant form and development

6 juillet 1922

14

-Fantasy, a study of curves in three dimensions

18 juillet 1922

15

-Values of the Multiple Leaf (differential energy)

29 aout 1922

16 -Impromptu 28 octobre 1922 17 -A Geometrical Play-ground 15 decembre 1922 18 -(sans titre) 15 mai 1923 19 -(sans titre) 11 juin 20 -« Finis » 19 mars

à retenir: « L’homme est pouvoir »/ « Souvenez-vous du germe »

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Un premier parcours de ces planches permet de comprendre une suite de thématiques ; nous verrons de même qu’elles découlent toutes les unes des autres, amenant le lecteur à aborder la vision de Sullivan depuis sa base théorique vers son application pratique (du plus simple au plus complexe aussi). Ainsi, après avoir différencié l’inorganique de l’organique dans le prélude, Sullivan explique ses différentes manipulations possibles. Il aborde ensuite la thématique des « axes » ; des axes parallèles, on parle ensuite de parallélisme en général : la « doctrine », le parallélisme non euclydien, les plans parallèles... pour aborder doucement la thématique des courbes et de l’interpénétration des formes. A noter que les premières planches (jusqu’au prélude) présentent un certain équilibre texte/dessin, alors que les dix dernières sont plus des dessins commentés, voire « juste » des dessins pour les quatre dernières planches. Cela suit tout à fait la logique de Sullivan dans sa vision de ce que devait être cet ouvrage, ses dernières planches s’inscrivent dans la continuité du dernier commentaire écrit, sur la planche 16: « Note: We are now in the domain of Virtuosity, Romance & Symbolism ».

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On peut voir dans ce travail une « version mystique » de celui de Jones, sorte d’hommage et témoignage de l’importance cet écrit a marqué l’auteur. On peut aussi y voir un drame... les ultimes instants de vie de Sullivan furent consacrés à cette recherche masturbatoire, vestige d’une pensée depuis longtemps embourbée dans une voie sans issue. En effet, le peu d’intérêt accordé par les jeunes architectes modernistes de 1924 à ces considérations « décoratives » montre bien le décalage marqué de l’auteur avec ses contemporains.

Illustration :

- Extrait de la «Plate 14»: Fantasy, a study of curves in three dimensions, retravaillée


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L’inorganique et l’organique A propos du processus créateur La technique graphique de Sullivan est intimement liée à sa vision du processus créatif. Selon lui, l’acte artistique représente l’union spirituelle entre l’homme et la nature, en une unité appelée « l’Esprit créateur infini ». Sullivan tire cette notion de l’esthétique transcendantaliste de Ralph Waldo Emerson. Elle va le guider et nous éclaire lors de l’analyse de ses « décorations » ornementales. Le prélude insiste sur trois phases du processus créateur ; à savoir sensorielle, spirituelle et pratique. Elles visent la sublimation de l’inorganique en organique, de l’idéal en réel, ou encore du subjectif en objectif. Il s’agit en réalité de la base de son discours développé dans la suite du traité où Sullivan s’approprie la tradition esthétique romantique issue du 19ème siècle afin d’en faire son style « Sullivanesque ».

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Le choix des matériaux n’est jamais laissé au hasard dans son architecture. Ceux-ci, inertes, inorganiques (pierres, métaux, bois mort...) deviennent par l’action de l’architecte, la concrétisation des « aperçus métaphysiques qu’il a intuitivement reçu ». Selon Sullivan, l’artiste (ou l’homme) a des pouvoirs réels bien qu’ « ordinaires » ; à la science de lui permettre de les concrétiser. Ce processus créateur doit cependant suivre la voie de la nature, à l’instar du germe de la graine (figure très présente dans les écrits théorique de Sullivan et cet ouvrage en particulier). L’homme identifie l’organique et l’inorganique en luimême Sullivan met l’accent sur l’interaction sensorielle entre l’homme et la nature, qui provoque en lui une contemplation spirituelle. L’instinct reste au centre du processus créateur, car il possède une « logique transcendantale », à la fois subtile et puissante. Sullivan est novateur, car à contre courant de ses contemporains pour qui la pensée rationnelle fait figure de loi. L’instinct amène à la sympathie et permet une relation concrète et une communion spirituelle avec l’essence de la nature (selon ses propres mots, la sympathie correspond au « pouvoir d’entrer en communion avec les choses vivantes et inertes ») La sympathie, une fois en phase avec l’égo (équivalent du germe), permet le passage à la seconde phase du processus créateur : la phase spirituelle. L’ego est un ensemble de potentiels, il est solitaire et intégral, et comme le germe, la source du pouvoir de l’initiative. Il n’a besoin que de la sympathie pour se donner un but et focaliser ses efforts.

Quelque chose de plus sur les pouvoirs de l’homme Sullivan explique ici que l’égo passe progressivement d’une phase intérieure, contemplative, à une phase extérieure, à l’instar du germe. Ce processus est accompagné d’une réflexion de l’artiste sur son rapport avec le monde matériel extérieur, et permet à l’égo de donner réalité à l’idéal. L’esprit joue aussi un rôle primordial, il « contemple ses vastes pouvoirs, qui sont le véritable égo ». Le pouvoir de l’homme en action On met ici en avant la phase final du processus créateur. L’analogie entre le germe et l’égo se termine où commence cette phase « pratique ». L’artiste agit directement sur le monde extérieur physique, devient un « surmanipulateur » (ou « maître artisan ») qui se doit de détruire l’ordre existant et conduire l’humanité à un niveau supérieur d’existence. On se doute bien que Sullivan parle de luimême lorsqu’il définit ainsi l’artiste par les adjectifs « Devin, mystique, prophète, poète, pionnier, porteparole, fier aventurier ». On retrouve là les idées de Nietzsche quand celui-ci définit le « surhomme » dans « Ainsi parla Zarathoustra » (1891). L’artiste doit par contre maîtriser ses talents afin que son travail ait une valeur sociale ; pour ce faire il utilise ses pouvoirs humains, qui sont d’ordre physique, intellectuel, émotionnel, moral et spirituel. Dans cet ultime niveau du processus créateur, Sullivan exprime le fait que tout acte découle d’un choix moral. A l’artiste de savoir rester intègre et humble. Le groupe de pouvoirs intellectuels comprend celui d’observation, de réflexion, de mémoire et de raisonnement (ou « comment la curiosité s’y prend pour satisfaire son désir de forme ordonnée »). Le groupe de pouvoirs émotionnels revêt, lui, encore plus d’importance parmi les phases d’expression. En effet, les pouvoirs intellectuels ne permettent que d’exprimer l’intensité émotionnelle de l’artiste. L’instinct et la base de l’action appartiennent aux pouvoirs émotionnels. Les pouvoirs intellectuels sont, eux, conditionnés par les choix moraux, qui leurs apporteront une « superqualité... la clarté de la vision ». Vient enfin le groupe des pouvoirs spirituels, les plus haut placés dans la hiérarchie des pouvoirs, et dont émanent la « vision ». Sullivan insiste aussi sur l’importance du choix, comme le plus important des pouvoirs moraux, se rapportant à luimême, il met en analogie son discours et le fait qu’il ait décidé de constituer cet écrit théorique de cette manière comme étant une application concrète du choix dans le processus créatif. Les planches qui suivent se présentent alors comme une suite logique, illustrant la technique graphique et une expression symbolique de ses intuitions spirituelles.

Références : - Sullivan Louis H., Art Institut of Chicago, (1995), Traité d’ornementation architecturale, Bruxelles : Mardaga, 159 p. - Lauren S. Weingarden, « Le traité d’ornementation architecturale de Louis H. Sullivan», p.41-44 Illustrations : - Planches scannées, contenues dans Traité d’ornementation architecturale, Sullivan Louis H., Art Institut of Chicago, (1995),Bruxelles : Mardaga


Les 20 planches du traitÊ d’ornementation architecturale

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Les planches Les vingt planches qui suivent ne sont pas qu’une simple illustration, mais bien un système de symboles visuels, destinés à traduire la synthèse dialectique entre objectif et subjectif. Il oppose l’objectif / géométrique / production mécanique au subjectif / botanique / changement morphologique. Cette polarité s’exprime par des motifs soient très géométriques (l’inorganique), soient proches de la plante (l’organique). Sullivan présente ces deux logiques dans les premières planches, celles qui suivent démontrent de quelles façons chacune des tendances peut idéalement tendre vers l’autre. Ce développement de la pensée par opposition est calqué par Sullivan sur la loi de l’évolution du scientifique britannique Herbert Spencer. On y retrouve notamment « La croissance organique comme processus progressif, dialectique, par lequel le simple devient complexe, l’indéfini défini, et les contraires parviennent à un équilibre dynamique. » Sullivan voulait son oeuvre intemporelle, se référant à un mode de représentation pré-linguistique et primitif, sans pour autant renier son attachement à sa filiation romantique. C’est en partie ce qui rend encore aujourd’hui son travail difficile à qualifier, à classer et lui permet de garder une empreinte encore très présente dans la culture architecturale américaine.

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Il exprime dans les premières planches la valeur symbolique des formes géométriques, commençant par le carré, ou « le contrôle initial de l’homme sur les matériaux et leur destiné ». Cette idée n’est pas nouvelle, on retrouve le carré (l’Homme), le cercle (les cieux, le divin) et l’octogone (la rencontre entre les deux entités) dans la symbolique des églises depuis les prémisses de la chrétienté. Sullivan enrichit cette définition, ou l’actualise en expliquant que les civilisations anciennes ont créé les premières formes primaires en réaction au chaos de la nature les environnants. Elles ont ensuite attribué à ces formes des « pouvoirs occultes », un « sens ésotérique » et des « nombres mystiques ». Cette réaction de l’homme renfermait le désir de contrôler et s’approprier les pouvoirs de la Nature ; et l’homme la représente encore géométriquement aujourd’hui. La complexité traduit la compréhension intellectuelle de la nature, acquise après des siècles d’observation, et Sullivan tenta de pousser cette réflexion à son paroxysme.

Illustrations :

Récapitulatif des phases d’expression du processus créateur selon Sullivan Première phase: intérieure, contemplative La sympathie guide « l’égo » (germe) Deuxième phase: extérieure, spirituelle L’esprit libère les pouvoirs humains contenus dans « l’égo » Troisième phase: extérieure, pratique artiste devient « maître artisan », confrontation au réel; usage des pouvoirs: Spirituel/ + important, amène à vision

Moral/ choix, vers une « superqualité »

Emotionnel/ instinct, base de l’action Intellectuel/ émotions + Observation/ Réflexion/ Mémoire/ Raisonnement Physique/ mise en application

Systèmes graphiques en opposition Inorganiques: -Objectif -Géométrique -Production mécanique Organiques: -Subjectif -Botanique -Changement morphologique

- «The Inorganic» et «Manipulation of the Organic», Plates 1 & 2


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La forme suit toujours la fonction

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L’ «Idée»


La forme suit toujours la fonction

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« (…) Mais à toutes les objections, Louis faisait la sourde oreille. S’ils avaient été mille à le condamner, les mille n’auraient pas modifié sa course. Comme se proposaient à lui des programmes de caractères variés, il leur appliqua son système forme et fonction, et ce faisant, sa conviction s’accrut que la manipulation architecturale, comme simple artisanat ou comme art, doit être rendue absolument plastique à l’esprit et à la main du concepteur; que les matériaux et les formes doivent céder à la maîtrise de son imagination et de sa volonté; qu’à travers cela seulement les conditions de la modernité seraient rencontrées et fidèlement exprimées. Cela signifiait le rejet de tout pédantisme, de tous les enseignements artificiels des écoles, de l’acceptation inconsidérée des traditions ineptes, des habitudes puériles d’esprits sans curiosité; que tout ce rebut de la pensée, dépourvu de centre de gravité, et vide de sympathie et de compréhension, devait être supplanté par une raison philosophique de l’architecture vivante, valable pour tous les temps, fondée sur les seules fondations possibles – l’Homme et ses pouvoirs. » Louis Henri Sullivan, 1923 L’ « Autobiographie d’une Idée », p. 213

Une réflexion tronquée Selon Bruno Zevi, comme il l’a écrit dans «Vers l’ère organique», il existe deux courants fondamentaux de l’architecture moderne : Le rationalisme fonctionnaliste et l’organique. Selon lui, ces deux courants sont fondamentalement opposés, et une architecture exclusivement fonctionnaliste ne sera jamais organique. Il catégorise de même l’organique selon cinq tendances :

- L’école de Sullivan - L’école de Wright - Le Bay Region Style - L’empirisme scandinave - L’architecture sculptée

Louis Sullivan donne une autre définition de la « fonction organique ». Dans Kindergarten chats and other writings, il expose qu’elle est toujours fonctionnelle, et que cette théorie et ses architectures s’inscrivent dans une série instrumentale de solutions architectoniques liées à un projet organique. En jouant sur cette ambivalence, il se montre à la fois profondément enraciné dans une tradition mystique et en phase avec le pragmatisme matérialiste de son temps. Sullivan se veut moderne, et son architecture est résolument fonctionnaliste, mais pas seulement. Sa composante mystique matérialise sa prise de position à l’égard du projet organique, et ne peut lui permettre d’être considéré comme trop souvent « père du fonctionnalisme moderne ». Le quiproquo réside dans la définition même de la fonction selon Sullivan. Pour lui, la fonction signifie « ce qui relie tout être et toute chose aux principes sacrés de la création du monde », elle ne peut donc être qu’organique. Elle permet avant tout l’harmonie des êtres et des choses, et le fait qu’elle se matérialise par une recherche de la forme utile, judicieuse ou ergonomique n’est qu’une de ses nombreuses finalités.

Sullivan le mystique Sullivan a beaucoup apporté à l’architecture américaine, et sans avoir été clairement moderne, il eut un rôle clef à jouer dans une période plus courte, plus chahutée et bien plus occulte de l’histoire de l’art et de l’architecture. Une sorte de pré-modernisme ou néo-traditionalisme romantique, qu’il a su teinter de sa propre vision et de ses propres affinités et ambitions. Il ne faut pas sous-estimer l’impact majeur qu’eut l’école des Beaux-Arts sur le jeune Sullivan ; ainsi que le monde étudiants, ses activités et rites du Paris des années 1870. Bien qu’il « gomme » ces influences dans l’Autobiographie pour les faire siennes, force est de constater que sa pensée lyrique, mystique et romantique constitue un substrat des courants de pensées occultes européens, filtrés à travers les yeux d’un jeune américain (trop) curieux. Il convient de parler d’ésotérisme dans l’Europe de la fin du 19ème siècle, cette notion regroupant un ensemble de « philosophies occultes », alors très en vogue dans les milieux bourgeois. Pratiquées en dehors des enseignements officiels, elles découlaient de croyances populaires héritées essentiellement du Moyen Age et de l’Antiquité. Même si dans un premier temps, ces « sciences » prenaient en compte seulement deux niveaux de « causes » : premières (l’universel et le particulier) et secondaires, peu représentées (les entités intermédiaires : la nature et ses niveaux de réalité, son rapport au monde divin...), un souffle nouveau est venu progressivement perturber cet équilibre. La magie, l’alchimie, l’astrologie sont autant de disciplines qui ont trouvé dans ce cadre leurs adeptes éclairés. Il était alors aisé de trouver des « corpus » de textes anciens, fables et formules pour chacun des courants ésotériques, le théosophisme étant l’un des plus tardifs... Voici une présentation de ces notions, afin de mieux comprendre ce que Sullivan a retenu de chacune d’entre elles.

Références : - Bruno Zevi, (1945), Verso un’architettura organica, Turin / traduction par P. Francastel, (1956) « Vers l’ère organique », Art et technique, Paris - Antoine Faivre, (1996), Accès de l’ésotérisme occidental I, France: Gallimard,

Illustration :

p. 15-29 - Photographie de la corniche du Guaranty Building (http://amyfrankiesmith.files.wordpress.com)


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L’ésoterisme et la gnose L’ésoterisme (ou « entrée en soi », intériorisme) se constitue d’une composante majeur : une gnose (ou connaissance) qu’il faut trouver en soi, et faire mûrir en résonance avec le monde et la nature à l’aide de « l’imagination active ». La gnose ainsi nourrie, elle comporte le savoir, la croyance et l’Imaginal (adjectif original d’Henry Corbin), et provoque mutation intérieure de l’homme, illumination et salut de son âme.

d’Antoine Faivre entrent ici particulièrement en résonance avec les concepts de Sullivan:

« La théosophie ne prétend pas qu’il faille dépasser l’homme pour le transformer en autre chose qu’en un homme ; elle veut seulement lui rappeler quels étaient nos vrais pouvoirs, et tente de nous les rendre »

La mystique La gnose n’est pas mystique, mais la mystique contient bien quelques composantes de la gnose. Elle recherche l’humilité intellectuelle, sans courir après l’originalité, est plus « nocturne » et cultive volontiers le renoncement, à l’opposé de la gnose. De même, alors que la gnose pousse à la connaissance illuminatrice, la mystique tend à la spécialisation, à s’unir à une entité supérieure avant tout. La gnose est donc une sorte de mystique à valeur ajoutée, faisant appel à l’intelligence et à la mémoire. La théosophie L’ésotérisme au sens large comporte deux dimensions annexes : la théosophie et l’occultisme.

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Passons sur l’occultisme, qui regroupe alchimie, astrologie, courants de magie... et s’éloigne de notre propos. La théosophie, elle, ouvre l’ésotérisme à l’univers entier et questionne l’univers naturel, elle permet ainsi une philosophie de la Nature. La gnose s’émancipe, et plus que le travail sur soi, favorise la pénétration de l’esprit dans les profondeurs du divin même. Le théosophe cherche à voir plus loin que l’écran du réel, pour interroger les logiques mathématiques intrinsèques de la nature. Il vit l’expérience du symbole et appréhende l’existence humaine comme un tout. En ce qui concerne la théosophie, il est difficile de passer à côté de l’apport de Valentin Tomberg, qui a enrichi la définition en différenciant deux formes de théosophie. La première consiste à acquérir la connaissance de la Vérité révélée au travers de l’enseignement de l’Eglise, la seconde est une quête personnelle des mondes spirituels et physiques, ainsi que des forces qui y oeuvrent. Cette dernière est elle-même subdivisée en deux modes d’approche théosophiques complémentaires : temporel (« symbolisme mythologique ») et centré sur l’espace (« symbolisme typologique »). Ces considérations ne font pas l’unanimité, chaque théosophe ayant son propre théorème, dosant mystique et approche scientifique en fonction de ses affinités. La théosophie est un courant de pensée qui a connu des « vagues d’intérêt » au cours de l’histoire, et nous en vivons une en ce moment. Le fait est que nous nous interrogeons toujours sur la corrélation entre notre esprit (nos rêves, nos aspirations) et l’univers qui nous entoure. Les mots

Référence :

Le texte initial de Form follows function Intitulé « Function and Form », ce texte, paru en 1901 dans les Chats, se divise en deux parties. La première aborde les deux notions « fonction » et « forme », la seconde sa mise en application en architecture. Comme dans l’ensemble des Chats, nous assistons ici à un dialogue entre un père et un fils / un professeur et un élève / un sachant et un apprenti... à la manière de Platon. Sullivan veut éviter tout raccourci, quitte à nous perdre en chemin :

« - The interrelation of function and form. It has no beginning, no ending. It is immeasurably small, immeasurably vast ; inscrutably mobile, infinitely serene ; intimately complex yet simple. - But you surely told me to listen, not to the words, but to the thought. How can I follow, if you are always thinking away ahead of the words? You seem to take delight in it. » « The form, wave, looks like the function, wave. ». Sullivan nous expose alors une série d’exemples donnés par mère nature: le pin, le cheval, l’araignée, la vague... et exprime le fait que toute fonction découle d’une autre: le nuage, puis la pluie ; l’oiseau, puis l’aigle, puis le bec de l’aigle. Cette logique est applicable à l’être humain : « a man named John Doe smiles » équivaut à trois fonctions qui prennent forme et se suivent l’une après l’autre. John Doe aura vécu et sera mort suivant cette vérité sans jamais en avoir conscience. Nous trouvons aussi un premier regard sur l’architecture américaine dans ce chapitre: « The form, American architecture, will mean, if it ever succeeds in meaning anything, American life ». Les objets créés par l’homme respectent aussi la formule, l’auteur cite la littérature, la musique, un couteau, une hache, un moteur « and on and on... », et nuance tout de même avec l’architecture, jugée plus complexe. L’Idée étend son pouvoir au delà même du monde matériel : « The physical world of man we believe we know and the borderland of that world we know not ». La connaissance et la maîtrise de cette formule apporte « une glorieuse révélation », son ignorance en contre partie « un fantasme fragile qui précipite l’esprit au désespoir ». Sullivan a bien conscience que l’humanité n’est pas prête pour son Idée, que beaucoup d’hommes vivent dans la peur, le doute, l’obscurité, la nuit.

- Sullivan Louis H., (1979), Kindergarten Chats and Other Writings, New York: Dover Publications, Inc., p. 42-48


La forme est dans tout, les domaines du rêve, de l’imagination, de l’intuition, de la raison, étant même des formes exaltées des cinq sens physiques (le goût, l’odorat, l’ouïe, le toucher, la vue).

« Form in everything and anything, everywhere and at every instant. According to their nature, their function, some forms are definite, some indefinite ; some are nebulous, others concrete and sharp ; some symmetrical, others purely rhythmical. Some are abstract, others material. (…) But all, without fail, stand for relationships between the immaterial and the material, between the subjective and the objective – between the infinite spirit and the finite mind.” La forme dépend de sa nature et de sa fonction, et n’est pas forcément abordable directement dans notre environnement matériel. Elle émerge d’une autre forme, tout comme la fonction nait d’une autre, et l’élément clef, nécessaire, leur liant, n’est autre que le rythme. Il est leur « parfum », leur « langage », et lorsqu’il n’est plus, forme comme fonction « disparaissent dans la nuit qu’on appelle le passé ». Au commencement du second chapitre, la conversation reprend. L’élève-lecteur exprime une première remarque: « Je me serais fait une meilleure idée de votre argumentaire sur forme et fonction si vous aviez utilisé la moitié des mots ». A lui de reprendre le fil de la pensée de l’auteur, il existe une force vitale (qu’il appelle Dieu) derrière chaque chose qu’on voit (ou une fonction derrière chaque forme). La forme existe à cause de la fonction, et chaque fonction tend à trouver sa forme, c’est une loi universelle, mais quelle est sa traduction en architecture? L’auteur invite l’élèvelecteur à trouver sa propre interprétation, forcément un peu naïve et maladroite dans sa formulation :

« -I suppose if we call every building a form -You strain my nerves - but go on. -I suppose if we call every building a form, then there should be a function, a purpose, a reason for each building, a definite explainable relation between the form, the developpement of each building, and the causes that bring it in that particular shape ; and that building, to be good architecture, must of all, clearly correspond with its function, must be its image, as you would say. -Don’t say good architecture, say, merely, architecture ; I will know what you mean. -And that, if a building is properly designed, one should be able with a little attention, to read through that building to the reason of that building. -Go on. -Well, that’s all right for the logical part of it ; but where does the artistic side come in? -No matter with the artistic side of it. Go on with your story. -But -Never mind the buts. -Well, then, I suppose if the law is true of the building as a whole, it must hold true of its parts. -That’s right. -Consequently each part must so clearly express its function that the function can be read through the part. »

Il est ici clair que les « raccourcis » agacent Sullivan : non, un bâtiment n’est pas seulement une forme, et nous ne pouvons dignement parler d’architecture que si elle est « bonne », par définition. De même, aborder le « côté artistique » revient à soulever la question du « style » en architecture, style qui selon Sullivan vient naturellement et ne doit en aucun cas constituer une quête. Le bâtiment doit donc manifester sa propre cohérence, dans ses parties jusqu’au détail, et vice versa. Nous devons pouvoir lire la fonction à travers la forme, mais pas seulement : pour que la fonction de l’ensemble soit organique, chaque partie du bâtiment doit avoir la même qualité. La fonction organique est liée à la qualité organique et à la pensée organique. La pensée organique amène à une réflexion plus « entière » que la simple pensée logique, qui connait ses limites. Pour l’auteur, la logique est nécessaire, mais ne constitue pas une fin en soi. Elle ne fait d’ailleurs pas partie des facultés nécessaires au « vrai » architecte (ou lui-même), décrites à la fin du chapitre : 1. Une imagination poétique 2. Un sens naturel de la sympathie, des qualités humaines, du sens commun et un esprit discipliné 3. Une technique perfectionnée 4. Un don abondant et gracieux pour l’expression artistique La limite de la logique, selon Sullivan, est qu’elle ne stimule pas l’imagination et n’engendre que de l’architecture « de masse », privée des qualités pourtant nécessaires à son statut. Nous pouvons retenir :

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« Simply because logic, scholarship, or taste, or all of them combined, cannot make organic architecture. They may make logical, scholarly or « tasty » buildings, and that is all. And such structures are either dry, chilling or futile. »

Ce texte lie la logique forme-fonction à l’idée d’une pensée organique. Il s’agit de la première définition de ce qu’on appellera ensuite l’architecture organique, elle même générée par la fonction du même nom. La fonction est donc organique lorsqu’elle se manifeste au travers d’un ensemble de formes de différentes échelles comportant la même qualité intrinsèque. La forme est de qualité si elle est cohérente avec elle-même et son contexte, juste dans sa conception, et surtout qu’elle traduit explicitement la fonction à laquelle elle est destinée.


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La forme suit toujours la fonction

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Mise en application


Illustration :

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- Vue «Bing Maps» en axonométrie, l’Auditorium Building de Chicago, dessin personnel


LeCorbusier

Les bâtiments retracÊs 1889

1904

Auditorium Building, Chicago, Illinois

Schlesinger & Mayer, Chicago, Illinois

1906

1908

1910

National Farmer's Bank, Owatonna, Minnesota Henry B. Babson House, Riverside, Illinois

1914

1912

Peoples Savings Bank, Cedar Rapids, Iowa Henry Adams Building, Algona, Iowa

1916

1918

1920

People's Federal Savings and Loan Association, Sidney, Ohio Farmers and Merchants Bank, Columbus, Wisconsin

Merchants' National Bank, Grinnell, Iowa Home Building Association Company, Newark, Ohio Purdue State Bank, West Lafayette, Indiana

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L’Auditorium building (1889)

« C’est un temple où riches et pauvres de toutes les classes se rencontrent en terrain commun pour s’élever l’âme et s’enrichir l’esprit, grâce à la puissance de la musique que symbolisent aujourd’hui les fresques de ce proscenium » « Comparées à la solidarité de cette merveilleuse construction née de l’esprit d’initiative chicagolais, les pyramides paraissent inutiles et insignifiantes, et la tour Eiffel n’est qu’un jouet » Ferdinand Peck En 1886, il est de notoriété publique que Ferdinand Peck vient d’acheter un terrain de 6500m2 entre Michigan Avenue, Congress Street et Wabash Street. Il souhaite y placer un hôtel à l’européenne de 300 chambres, une grande salle de 5000 places et des bureaux. Sullivan vient à sa rencontre à peine deux jours plus tard avec deux esquisses, sans que personne ne lui aie demandé quoi que ce soit. Rebuté par l’aspect trop « familier » des façades, Peck et ses associés demandent un avis externe à... William Ware, ancien professeur de Sullivan à Boston. L’avis est positif et Sullivan reçoit 10 000 dollars d’acompte pour se mettre au travail.

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Le projet évolue, Sullivan affirme l’emprise au sol du bâtiment, agrandit la tour et diminue la quantité d’ornements. L’empreinte de Richardson est encore là, avec le rythme en façade des paires de baies sur quatre étages et un socle massif qui comporte les trois premiers. Une structure porteuse métallique supporte les neuf étages de l’édifice, elle même recouverte d’un placage de terra cotta. Au niveau du rez-de-chaussée, le matériau prédominant reste le granit, recouvrant les arcs en plein cintre des entrées et les poteaux massifs sur rue. Sullivan opte ensuite pour le calcaire gris (traité tout aussi « grossièrement ») pour les autres étages, renforçant ainsi l’identité du socle. La tour marque l’entrée de la grande salle, et permet au bâtiment de dominer le quartier du haut de ses 19 étages. La construction occupe 800 à 1000 ouvriers pendant 3 ans et l’inauguration a lieu le 8 décembre 1889. A savoir que Sullivan aurait passé la soirée au bar, aucun des discours officiels ne faisant mention de son nom ou même de celui d’Adler... Innovations techniques et défis d’ingénieur Comme on l’a vu, le grand défi des ingénieurs de Chicago reste la question des fondations et de la stabilité globale de l’édifice. Adler est bien connu pour les qualités acoustiques de la grande salle, mais il a aussi dû répartir les charges et gérer un tassement supérieur au demi mètre habituel. Aussi, tous les raccords des réseaux ont dû être conçus flexibles, et l’édifice repose sur un immense radier, plus important encore sous la tour (qui fait tout de même à elle seule plus de 15 000 tonnes). Afin que l’ensemble subisse un tassement semblable, Adler leste d’ailleurs artificiellement la tour pendant la construction. Il est admirable que ce bâtiment aie tenu jusqu’à aujourd’hui sans fissures et vices majeurs, compte tenu des difficultés techniques qu’il posait à l’époque.

En ce qui concerne la grande salle, sa scène repose sur des vérins hydrauliques, permettant diverses combinaisons possibles en fonction de l’évènement. Il en va de même pour les derniers gradins, qui peuvent etre cachés par une paroi amovible, permettant ainsi de passer à 2500 places et adapter la capacité de la salle au nombre de spectateurs attendu. Les gradins sont en forte pente, respectant la « courbe isocoustique » de l’ingénieur Scott Russel. Combinée à la série de grandes arches de la structure, cette disposition permet à chaque spectateur d’entendre idéalement le son provenant de la scène. Sullivan prend en compte l’arrivée de l’électricité et se permet de créer de grands espaces intérieurs sans ouvertures (la grande salle en est l’exemple le plus probant). Ainsi seuls les autres programmes bénéficient de vues sur rue et de lumière naturelle. Les ampoules sont placées de manière à mettre en valeur les éléments structurels, attitude moderne et qui montre bien la prise de maturité de Sullivan. A l’époque, c’est avant tout la profusion de détails ornementaux, combiné à l’usage de la lumière électrique, qui a marquée les esprits. Le mobilier a de même été intégralement dessiné par Sullivan, Wright et Elmslie, produit ensuite avec le savoir faire et les fonds importants mis à leur disposition. L’ensemble des espaces intérieurs inspirent le luxe, de par les matériaux employés et les finitions. Sullivan a même recours à Louis Millet, Tom Healy et Fleury, anciens collègues des Beaux-Arts, pour l’aider à honorer la commande colossale de décorations. On sent bien une hiérarchie entre les espaces, de par leurs dimensions et l’attention apportée à leurs détails, mais l’ensemble reste tout de même très riche. A part la grande salle, on peut compter aussi l’hôtel comme programme majeur, accessible par trois grandes arches sur le lac Michigan. Celui-ci comporte un des plus beaux bars des Etats Unis, ainsi qu’une salle de bal et une salle à manger. Ces deux dernières ont été ajoutées pendant la construction, et sont portées par d’immenses poutres triangulées au dessus de la grande salle. Immeuble de toutes les démesures et contradictions, l’Auditorium crystallise à lui seul les enjeux socio-culturels de l’époque, et démontre ce que pouvait signifier une initiative « démocratique » générée uniquement par des fonds privés. Mis à part la « modestie » des entrepreneurs chicagolais d’alors à son égard, force est de constater que le bâtiment accuse une réelle diversité de programmes: Hôtel de luxe, restaurants, bureaux, commerces... le tout gravitant autour de l’activité centrale des conférences, concerts et opéras. Hélas, l’ensemble n’a jamais vraiment fonctionné comme un tout cohérent, et la salle de 4200 places ferme en 1930, pour être progressivement transformée en musichall puis cinéma. Le somptueux mobilier est vendu aux enchères, la grande salle y perdant toute sa cohérence et sa force. En 1941, le restaurant et l’hôtel font faillite, et seuls les commerces sur rue continuent à faire du profit. Suite à la seconde Guerre Mondiale, l’Université Roosevelt s’installe dans les locaux ; mais il faut attendre 1965 pour que la grande salle soit enfin restaurée et réouverte.

Citation : - Ferdinand Peck, discours inaugural du 11 décembre 1889 Photographie : -The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 88 (retravaillée) Coupe, plan atelier : -The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 363 Plan RdC, R+1 : - www.greatbuildings.com - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 39-57


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Hall et Grand hall d’entrée Gradins / Scène

Schémas personnels


Coupe principale 1/500e

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Plan R+1 1/500e

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Plan de l’agence 1/200e

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Le magasin Schlesinger & Mayer (1904) Le Schlesinger & Mayer store constitue l’une des oeuvres majeures de Sullivan, car de par sa modernité, il a su demeurer en l’état jusqu’à nos jours. Inscrit dans le contexte du début de la consommation de masse, faire de ce bâtiment une oeuvre pérenne était pourtant loin d’être la volonté des commanditaires. A l’époque, chaque grand magasin de Chicago cherchait à se démarquer de ses concurrents, et cette lutte passait avant tout par leur situation et leur architecture. La compagnie Schlesinger & Mayer a su entre 1903 et 1960 acheter progressivement dix-huit lots de terrain, tous accolés, à l’un des emplacements les plus côtés de Chicago. Dans un contexte commercial où tout bon projet se devait d’avoir un architecte prestigieux, quel meilleur argument y avait-t-il pour médiatiser ce projet que choisir Sullivan? Aussi, tout le projet fut décrit très tôt dans le Chicago tribune du 28 mai 1898, sous le titre : « Esquisse du futur magasin S & M à un million de dollars »... tout est dit !

Le bâtiment et les terrains sont vendus par S & M, alors au bord de la faillite, en 1904, et c’est Burnham qui se trouve chargé d’agrandir le projet sur les parcelles restantes. Il respectera relativement l’oeuvre originale, allant cependant plus à l’essentiel et laissant de côté les ornements. Après plusieurs modifications au cours du temps, le bâtiment est inscrit à l’inventaire des monuments historiques de Chicago en 1959, ce qui évitera toute « modernisation » postérieure. Sous l’appellation « Carson Pirie Scott », il deviendra monument historique national en 1975.

Composition en plan, coupe

« Schlesinger & Mayer vont construire sur l’emplacement de leur magasin actuel un bâtiment métallique de onze étages, avec une façade de marbre et de bronze, pour un prix estimé d’un million de dollars... Louis H. Sullivan a été choisi comme architecte. Il a conçu des façades aux lignes simples, laissant la beauté du matériau parler d’elle même... Les show-rooms seront disposés au rez-de-chaussée et au premier étage, formant une magnifique devanture de verre-glace dans 98 un cadre de bronze d’un dessin unique et exquis. De là au sommet de la corniche, tout le bâtiment sera en marbre blanc, poli, avec des bandeaux et moulures d’une belle simplicité. La frise principale sous la corniche de blocs de marbre recevra une ornementation frappante aux lignes fluides, relevée de médaillons sculptés... Toutes les finitions intérieures seront en bronze et acajou de Saint-Domingue. Le magasin sera équipé de 24 ascenseurs, et les escaliers disposés de façon à assurer une évacuation aisée et confortable.»» Le projet n’évoluera que très peu entre cette description et sa mise en oeuvre, hormis fonte et terra cotta blanche qui viendront habiller la façade. Le bâtiment fait entre 8 et 11 étages, ses deux façades sur rue étant articulés par une fantastique rotonde toute hauteur (habillée de 5 sublimes panneaux de « dentelle de fonte »), richement ornementée au niveau du socle de trois étages. Le grand show room au rez-de-chaussée, éclairé par de larges vitrines en partie composées de panneaux Luxfer, est à la fois très moderne dans sa composition et richement ornementé. Les cadrants des fenêtres en bronze sombre jouent le contraste avec la faïence blanche qui les cadre, donnant l’impression que les deux matériaux se superposent en une parfaite osmose. Ce n’est que lorsqu’on s’éloigne que la trame rigide de la façade ressort, laissant l’impression d’un bâtiment relativement sobre et totalement moderne. La trame est par contre très appuyée en plan, et on y lit la volonté d’un grand espace d’exposition, libre et ouvert (et ce plus de 30 ans avant les fameuses trames de Mies van der Rohe !).

Concentration d’ornements / Entrée principale

Photographie : - www.loc.gov (retravaillée) Coupe et plan R+1 : - www.architectureweek.com - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 104-111 Schémas personnels : trame et ornements


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Plan RdC 1/500e

Faรงade principale 1/500e

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La «Henri B. Babson house» (1908) Sullivan, bien qu’il est fait du gratte-ciel son combat, a eu aussi l’occasion de concevoir des projets aux dimensions plus humbles. Parmi ceux-ci, nous pouvons compter quelques très belles villas dans l’Illinois. Celle-ci fut construite pour Henry B. Babson, alors président de la Tobey Furniture Company. Choisie entre trois esquisses de Sullivan, elle se caractérise par un immense lieu de vie commun au Rez-de-chaussée, tout en longueur et ouvert de chaque côté sur le jardin. Cette maison, en harmonie avec son site, et cadrée par trois arbres imposants, comporte une suite au rez-dechaussée et trois chambres à l’étage. Les transitions « espaces extérieurs-semi extérieurs-intérieurs » sont particulièrement soignées, donnant à l’habitant la liberté de jouir visuellement du terrain autant que possible. On trouve une loggia, extrêmement travaillée en façade, apportant une richesse supplémentaire à l’étage. La toiture, débordant généreusement, se caractérise par une pente très faible, et la brique orientale employée au Rez-de-chaussée donne l’impression qu’il constitue un socle massif en contraste avec l’étage en bardeaux de bois. La Henri B. Babson house fut démolie en 1960 pour subdiviser le terrain en plusieurs lots constructibles.

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Il est intéressant de comparer cette oeuvre avec la Robie House de Frank Lloyd Wright, contemporaine à celle-ci. Bien qu’elle soit plus épurée dans son expression, que ce soit dans son horizontalité, la présence de sa base massive, le traitement de la toiture à forts débords, la répétition des fenêtres, la qualité des vitraux et mobilier intérieur (rangements, lampes...), les similitudes sont frappantes! En plan surtout, on trouve au rez-de-chaussée des deux maisons le même espace de vie commun traversant (certes plus affirmé chez Wright), et en son centre un grand foyer de cheminée, élément central, essentiel, canalisateur de l’architecture usonienne. Cet exemple montre bien que l’aspiration de Sullivan est bien passée chez Wright, et que, quelque part, les tâtonnements du Liebermeister ont aidé son disciple à affirmer plus vite sa propre architecture.

Frank Lloyd Wright, Robie House (1909, Chicago)

Lieu de vie : continuité

Robie House : Plan : www.studyblue.com Photographie : cornersofthe20thcentury.blogspot.com Photographie : -The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 214 (retravaillée) Photographies extérieures : -The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 212, 425 Plans : -The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 425 Schéma personnel

Composition en plan, coupe


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Faรงade principale 1/200e

107 Faรงade 1/200e


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Plan R+1 1/200e

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Plan RdC 1/200e


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Les 8 banques du Midwest

Les quinze dernières années de sa vie, Sullivan se retrouve seul, sans agence, clientèle ou foyer. Apres le magasin « Schlesinger & Mayer », sa dernière grosse commande, la conception de 8 banques va occuper l’essentiel de son temps. Toutes situées dans le Midwest, elles coutent entre 15 000 et 125 000 dollars et font entre 120 et 1000m2. L’expansion agricole encourage à ce moment là l’installation de petites banques dans les villes de province. Les paysans ayant de même une mauvaise opinion des banquiers bourgeois de Chicago, le « progressive banking » fait son apparition et tente de rétablir un rapport humain chaleureux, franc et honnête avec eux. Cette volonté se matérialisera bien entendu dans l’architecture et les programmes: la banque devient foyer, espace culturel d’échange et de dialogue. L’architecture « has-been » de Sullivan convient à ce type de commande ; devenue trop décorative et chargée pour l’ère des gratteciels, elle correspond cependant bien à ce qui pourrait faire la nouvelle identité de la « banque pour tous » américaine.

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National Farmer’s Bank, angle Broadway et rue Cedar, Owatonna, Minnesota, 1908 Peoples Savings Bank, angle 8eme avenue et 1ere rue, Cedar Rapids, Iowa, 1912 Henry Adams Building, angle des rues Moore et State, Algona, Iowa, 1913 Merchants’ National Bank, angle 4eme rue et Broad, Grinnell, Iowa, 1914 Home Building Association Company, angle Main Ouest et 3eme angle, Newark, Ohio, 1914 Purdue State Bank, intersection des rue South, Vine et State, West Lafayette, Indiana, 1914 People’s Federal Savings and Loan Association, angle rue Court et avenue Ohio, Sidney, Ohio, 1918 Farmers and Merchants Bank, angle rues James et Dickson, Columbus, Wisconsin, 1919

Illustration personnelle :

- Les huit banques retracées en axonometrie, mise en avant de la «logique de la boite»


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La National Farmer’s Bank (1908) Carl Bennett, un banquier d’Owatonna dans le Minnesota, fut le premier commanditaire de Sullivan. Interpellé par un des nombreux articles de l’architecte, celui-ci lui paya le voyage depuis Chicago en 1907. Sullivan dessina immédiatement les plans, et le bâtiment fut achevé dans l’année qui suivi. Cette « banque nationale des cultivateurs » consiste en un imposant cube de brique de 22X22X15m. L’espace central qu’il abrite est éclairé naturellement à la fois par un lanterneau en toiture et par deux grandes ouvertures sur rue à l’Ouest et au Sud. Cet espace est complété par une aile en équerre de deux niveaux, regroupant bureaux, dépôt et rédaction/ imprimerie d’un journal local.

constitués de grandes cartouches aux angles supérieurs de la façade, ainsi que d’une corniche de faïence. Cette banque marqua une nouvelle notoriété tardive de Sullivan, et lui assura la suite des commandes du même type. Elle fit même d’Owatonna un lieu de pèlerinage architectural; Hendrik P. Berlage, notamment, fit le détour rien que pour la voir. Malgré le rachat de la banque en 1929 et des travaux de réaménagement dans les années 40, la bâtiment a été admirablement conservé et reste encore aujourd’hui très proche de son état original. cout: 125 000 dollars dimensions: 440m2

L’espace central devait accueillir 8 employés, et fut subdivisé pour des raisons de commodités. Le parti de l’architecte consistait en deux rangées de services de 5m de large chacune, contenant coffres, bureaux et salles de réunion, disposées de part et d’autre d’un espace central de 12m de large. Cet aspect « petites boites dans la boite » se retranscrit en façade, celles-ci faisant la hauteur du soubassement (3m).

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Ici, Sullivan a du traduire deux idées relativement éloignées dans une même architecture: Une institution bancaire à la fois solide, discrète, autant qu’accessible et ouverte. Le bâtiment évoque immédiatement l’imaginaire de la forteresse, un véritable coffre architecturé, bloc monolithique à l’extérieur, écrin de soie regorgeant de richesses à l’intérieur. Une forteresse bien ouverte cependant, par de curieuses meurtrières permettant à tout un chacun d’observer le fonctionnement de la banque, ainsi que deux larges baies au niveau du sol, à l’angle des rues, donnant sur le bureau de Carl Benett. A l’intérieur, le coffre était visible depuis l’entrée et la rue, abrité seulement par une rangée de barreaux, cadrée par les deux caissiers. Cette disposition, admirablement éclairée par le puis de lumière zénithal, fut modifiée en 1940. La lumière, parlons en! Sullivan était un maître en la matière et s’exerça ici à multiplier les sources d’éclairage, artificiel comme naturel, latéral comme zénithal, direct comme indirect. On trouve dans la banque 4 lustres colossaux de 6m de haut, sculptures octogonales suspendues, portant en couronne 16 sphères lumineuses et 6 autres cachées dans un berceau de fonte. Ceux-ci sont complétés par d’autres éclairages plus discrets liés aux locaux de services, et le puit de lumière s’allie aux larges baies, afin de permettre à l’espace central de baigner dans une lumière surréaliste.

Position des ornements

Cette mise en lumière va de pair avec la qualité et la quantité d’ornements que l’on trouve à l’intérieur. Louis Millet, ancien collègue de Sullivan aux Beaux-Arts, se joint au maître et signe les vitraux, frises de céramiques et bas reliefs de stuc peints et dorés. L’ensemble chargé est complété par deux toiles de l’artiste viennois Oskar Gross. En ce qui concerne les matériaux, la base du bâtiment est constituée de grès brun-rouge, les murs sont ornés de briques « tapisseries », un cadre de faïence et de mosaïques souligne les arrêtes du volume. Les ornements sont ici

Photographie : - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 246 (retravaillée) Photographie façade principale : - www.vivusarchitecture.com Coupe, plan : - www.greatbuildings.com Photographie autre façade : - hisp305.umwblogs.org Schémas personnel - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 113-119


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Coupe principale 1/200e

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La People Savings Bank (1912) En 1911, Louis Sullivan reçoit une autre commande à Cedar Rapids, dans l’Iowa. Ici aussi, le plan se présente comme un rectangle avec deux murs aveugles, l’entrée donnant sur le coffre fort. La porte du coffre-fort, imposante (2 mètres de diamètre et 25 tonnes d’acier) est visible depuis l’entrée, et l’espace central en double hauteur (près de 16 mètres!) donne sur une série continue de bureaux et locaux servants. Quatre colonnes colossales en briques servent de structure principale, et permettent l’arrivée de lumière et air frais par 24 baies. cout: 125 000 dollars dimensions: 405m2

Position des ornements

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Rythme et géométrie

Photographie : - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 255 (retravaillée) Plans, coupe, façades : - www.artic.edu Schémas personnel - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 119-120


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Faรงade principale 1/200e

Faรงade 1/200e

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Plan de toiture 1 1/200e

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La Merchant’s National Bank (1914) La commande provient du conseil d’administration de la banque, impressionné par la People’s Savings Bank de Cedar Rapids, et mettant à la disposition de l’architecte un budget sans commune mesure pour ce type de programme. Cette nouvelle banque a des airs de National Farmer Bank, bien qu’elle acquiert avec le temps un statut d’icône faisant d’elle la plus remarquable parmi ses soeurs. Sullivan joue ici sur deux registres ; au niveau du sol, de l’entrée et de la rue, trois larges baies s’accordent avec un registre du domestique, de l’architecture humble presque du quotidien ; alors qu’au dessus on arrive dans l’univers du divin, du symbolique et du grandiose. Ce volume de briques orientales est percé par une grande baie de 3 mètres de haut sur son « grand côté » et d’une rosace de 2 mètres de diamètre au dessus de la porte d’entrée. La banque ayant là aussi deux murs aveugles, elle est pourvue d’une large verrière apportant une lumière diffuse chaleureuse à l’espace central. On retrouve disposition intérieure chère à Sullivan, et particulièrement adaptée au « progressive banking », à savoir un espace central en double hauteur, ceinturé par des pièces servantes basses.

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L’architecte entraine avec lui l’osmose terra cotta / brique orientale à son paroxysme. Deux rangées de terra cotta viennent couronner l’édifice, et la large baie est abritée derrière un véritable écran composé de neuf colonnettes métalliques, reprenant le rythme des menuiseries, toujours dans un souci de redondance et cohésion dans les rythmes de la façade. La porte principale est, elle, entièrement bâtie en terra cotta gris pâle, en saillie par rapport à la façade. Elle est ornée de lions ailés en faïence dorée, et les pilastres qui la cadrent sont couronnées de chapiteaux corinthiens. L’oculus situé au dessus de la porte est cadré d’une composition en terra cotta de 5 mètres de côté, donnant dans l’accumulation d’entrelacs circulaires et carrés jusqu’à une infinité de détails et volumes sculptés. Le surréalisme de ce geste graphique dénote très fortement avec la relative sobriété du reste de la façade, et permet d’y voir une certaine mise en abîme : la porte-serrure qui donne accès à la banque-coffre.

Position des ornements

Rythme et géométrie

Photographie : - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 266 (retravaillée) Photographie façade principale : - www.commons.wikimedia.org Plan : - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 121 Schémas personnel - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 120-125


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Faรงade 1/200e

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Le Henry Adams Building (1913) La Purdue State Bank (1914) Deux ans plus tard, Sullivan est contacté par un certain Henry C. Adams pour construire une banque (qui, sans les autorisations nécessaires, devient immédiatement une agence immobilière). L’architecte décide d’occuper pleinement la parcelle de 8x25 mètres et créé une « boite » de huit mètres de haut, percée de neuf hautes fenêtres. La aussi, la porte blindée du coffre est visible depuis la rue, éclairée par une ouverture zénithale. Le volume ne bénéficie pas de corniche, mais est magnifié par un bandeau de briques orientales et quelques motifs terra cotta.

La Purdue State Bank marque l’enfermement croissant de l’architecte dans le cumul de décors d’argile moulé. Obsédé par des tours de force techniques, il en vient même à négliger les rapports d’échelle en vigueur. Cette banque, construite en 1914 sur une petite parcelle de pointe, en devient presque bavarde de par ses bandeaux de briques émaillées et la quantité de détails exprimés sur une si petite façade. cout : 15 000 dollars

dimensions : 200m2

Position des ornements

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Rythme et géométrie

Photographie : - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 260, 262 (retravaillée) Photographies façades : - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 260-263 Schémas personnel - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 126-128


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Faรงade principale 1/200e

Faรงade 1/200e

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Faรงade principale 1/200e

Faรงade 1/200e


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La Home Building Association Company (1914) La même année, Sullivan se lance dans ce projet, qui est en fait une banque de prêts à la construction. Il va attester de l’attention de plus en plus forte de l’architecte sur la « décoration », effectuée par le maniement savant de la terra cotta et du stencil. Ici, la structure est metallique est habillée de terra cotta, structure légère donc, qui a permis aux propriétaires suivants d’en sectionner l’angle principal pour offrir un plus large accès depuis la rue. La banque se limite à une bande de services (coffre, caisses, bureaux) face aux fenêtres donnant sur rue. Dû aux petites dimensions de la parcelle, Sullivan rationalise l’espace et attribue au premier étage un ensemble de bureaux. Les deux façades, respectivement de 12 et 6 mètres de large, sont liées dans les dimensions et hauteurs de leurs baies, et cadrées par un ruban de terra cotta gris. Sullivan innove en intégrant et signifiant clairement les futurs emplacements des panneaux publicitaires. La décontraction dans le geste peut dérouter, mais le fait est qu’ils n’ont de ce fait jamais été remplacés et que la façade telle que dessinée par l’architecte subsiste en toute cohérence encore aujourd’hui. La façade principale arbore donc encore fièrement « THE OLD HOME » en lettres dorées, dessinées à l’époque par Millet, et l’autre deux « arbres » de pierre, deux cartouches et un lion ailé.

Position des ornements

cout: 30 000 dollars

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Rythme et géométrie

Photographie : - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 290 (retravaillée) Plan : - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 126 Schémas personnel - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 126


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Faรงade principale 1/200e

Faรงade 1/200e

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La People’s Federal Savings and Loan Association (1918) Cette banque est construite sur une parcelle d’angle et donne sur un square. Elle possède deux murs aveugles, des fenêtres basses et une grande baie haute. Les enseignes sont là aussi intégrées, accompagnées des habituelles frises de céramiques : l’ensemble des accessoires de la boite à bijoux sullivanesque, en somme. Sullivan se repose de plus en plus sur ses acquis, sourd aux critiques et avis externes. Rapidement irritable et sur la défensive, il s’emporta lorsqu’un des membres du conseil de la banque suggéra quelques modifications: « c’est à prendre ou à laisser ». La grande façade se veut tripartite, un soubassement de marbre noir et une couronne de carreaux en céramique dorée cadrent le tout. Une série de neuf hautes fenêtres sont cernées de colonnes de pierre en saillie, formant un cadre avec les linteaux du même style. On retrouve au dessus un grand panneau de mosaïque vert clair, sur lequel sont écris le nom de la banque, ainsi que ses dates de fondation et reconstruction. La façade d’entrée est elle symétrique, ornée de divers éléments en terra cotta vert pâle. Louis Millet intervient là aussi pour couvrir le tympan de mosaïques bleu clair et du mot « THRIFT » (épargne), inscrit en doré. Sullivan abandonne ici la figure du lion ailé pour deux corbeaux de pierre, curieusement penché au dessus des baies du salon des dames et du bureau principal.

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Bien que l’intérieur soit assez sobre et juste dans son traitement, le placement des ornements en façade se fait moins subtile et ceux-ci sont finalement trop présents, ce qui les désacralise. On trouve de nombreuses « décorations » florales, en saillie qui plus est, ce qui pousse Hugh Morisson, critique réputé « sullivanophile », à qualifier le bâtiment en ces termes : « là s’arrête le caractère, là commence la caricature ».

Position des ornements

Rythme et géométrie

Photographie : - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 273 (retravaillée) Photographie façades : - http://www.flickr.com/photos/tshearer/7327247812/in/set-72157632714219718 - http://www.flickr.com/photos/tshearer/7327250066/in/set-72157632714219718/ Plan : - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 128 Schémas personnel - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 126-128


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La Farmers and Merchants Bank (1919) Cette banque est la dernière construite par l’architecte, alors que celui-ci voit sa santé (physique comme financière) décliner. Le banquier Wheeler s’adresse à lui après lui avoir confessé avoir admiré la National Farmer’s Bank, qu’il croyait de ... Wright. Sullivan se met au travail et met un point d’honneur à donner à cette banque un aspect tout sauf wrightien ! Le plan s’adapte à la parcelle mais se fait très proche de celui de la Home Building Association, les bureaux à l’étage en moins. L’architecte en profite pour lui offrir une grande hauteur et une façade à tympan en guise d’entrée. Il utilise là aussi la brique tapisserie en façade, ajoutant une quantité impressionnante d’éléments de terra cotta. La façade d’entrée comporte une double porte et une baie, toutes deux écrasées par un imposant linteau comportant une plaque de marbre sur laquelle on peut lire « Farmers & Merchants Union Bank ». Le linteau détonne par ses dimensions et la quantité d’éléments disparates qu’on y retrouve: fragments de colonnes gothiques, immenses cartouches, lions héraldiques... comme posé en équilibre sur un poteau en brique central, en saillie, celui-ci porte une arche à quadruple archivolte. L’ensemble, comme sourd à toute critique, est dérangeant et exprime très clairement le malaise créatif dans lequel se trouve alors Sullivan. La grande façade comporte même des murs fruités, des contreforts et cinq arches surlignées par des frises florales de céramique.

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Photographie : - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 297 (retravaillée) Photographie façades : - www.artic.edu - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 296 Schémas personnel - Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p. 131


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La préservation du patrimoine Sullivanesque, un combat d’actualité ?

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Louis Sullivan et l’école de Chicago dans l’histoire de l’architecture moderne

Eiffel FER

Bogardus

Saulnier

Premières études béton armé

Maillart

Hennebique

Labrouste

Wagner radicalisme

Baltard les halles

Mackintosh Glasgow Loos

Berlage

Rietve

Loos Dresde

Ecole d’Amsterdam

Behrens

Gropius

Muthesius à Londres Morris and Webb

Muthesius

Arts and Crafts

Morris Company

Wiener Werkstatte

168 Hoffmann Olbrich

Berlage USA

Werk

Doe Mon

Wagner Ecrits de Viollet-le-duc

1ère exposition du Werbund, Cologne

Paxton: Crystal Palace

Wagner

Freyssinet

Oud Mackintosh Vovsee

Van de Velde Horta Guimard

Jourdain

Art Nouveau

Ozenfan

Gaudi Le Corbusier Viollet-le-duc

Tony Garnier

dictionnaire raisonné de l’architecture française

Perret

Japon Traditionnel Richardson Baron Jenney

Loos Chicago Adler & Sullivan

Chicago School

Louis Sullivan

Wright

Illustration : - Frise originale de Gilbert Cordier, publiée avec son article «Origines et tendances de l’architecture contemporaine» dans Architecture d’Aujourd’hui n°139, 1968. Redessin personnel.

Prairie School

Eco


Wachsmann

1970

1960

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1950

1945

1965 Archigram GEAM

USA

Candela

Neutra Rietveld Berlin Mies van der Rohe

Dessau

Gropius

Doesburg Mondrian

De Stijl Ponti

Oud

Warchavchik Costa

Loos à Paris

Jacobsen

Kahn

Ecole de Philadelphie

Broek

Bakema

Smithson

Venturi

Eick

Candilis/ Jossic/ Woods Albini Reidy

CIAM

L’Esprit Nouveau

Ozenfant

Saarinen

Rudolph Candilis

Neuman

CIAM

Doshi

Purisme Ecole Française

Yoshizaka

Mayekawa Sakakura

Asihara Tange

Otani/ Kehe/ Isozaki Otaka/ Maki Wright à Tokyo

Kikutake

Soleri

Ecole FLW Haertling/ Green/ Fowler

Chicago School Viollet-le-duc Berlage USA

Urbanisme

Kurokawa/ Kawazne/ Awazu/ Assada

Aalto

Goff

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Vigano

rbusier Paris

Team X

Carlo

Musée d’Art Moderne Tokyo

Werkbund Suisse

Design and Industries (GB) Slojdsforening (Suède)

Ashihara USA

Johansen

Werkbund

De Stijl à Paris

Deutscher

Traditionalisme moderne/ Néo-classicisme

Style International

USA

Londres

Breuer

Johnson

USA

Londres

Bauhaus

Hunshaft

USA

Ministère de l’éducation Rio

Weimar

2ème exposition du Werbund, Cologne

tatte

Freedman Hansen

Torroia Mendelsohn

Après-Guerre

thesius

Frei Otto

Coyne

Nowicki/ Sarger/ Saarinen Couvertures suspendues

Nervi

1ère exposition du Werbund, Cologne

us

1940

Le Ricolais

ssinet

terdam

1935

1930

1925

1920

1915

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Fuller Béton armé

Atelier de Tange Team Tokyo Kessel Metabolisme


Un état des lieux

« Hello Mr Van Zanten,

Afin de porter plus loin ce travail, il nous fallait découvrir ce qu’il se passait aujourd’hui sur le terrain, à Chicago. Nous avons commencé par écrire un mail à Marshall Brown, architecte, urbaniste, et enseignant à l’Illinois Institute of Technology. Cet architecte est intervenu à Bruxelles dans le cadre des conférences « Greetings from... » du Recyclart, pour faire un exposé sur sa ville et son histoire architecturale. Sa réponse consista en un passage de flambeau à un ami, David Van Zanten, admettant lui-même ne pas être expert et ne pas pouvoir répondre à nos questions.

My name is Baptiste Bridelance. I’m a Master student in architecture in Brussels, and I’m currently writing my master thesis on « Louis Sullivan and Form ever follows Function ». I’m writing to you after sending an e-mail to Marshall Brown, who admitted not being an expert on the topic, and gave me your contact. What’s following is nearly the mail I sent him at the first place. I’m about to finish my work, the only thing I miss now is the look of someone concerned and sensitive about the way things are now in Chicago (since I never went there for now). I’m sorry to disturb you, I would be very grateful if you could take a bit of your time to answer me, to help me to enhance my work.

David Van Zanten, aujourd’hui professeur au Weinberg College of Arts and Sciences à Evanston, Illinois, est Docteur en architecture, diplômé d’Harvard. Auteur entre autres du livre Sullivan’s City: The Meaning of Ornament for Louis Sullivan (2000, W. W. Norton), il nous répondu sans délais. Nos questions étaient divisées en trois thématiques : l’enseignement des théories, la préservation des bâtiments et l’éventuelle continuité dans le projet actuellement à Chicago depuis Sullivan.

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Nous souhaitions savoir comment Sullivan était enseigné, si il s’agissait seulement de cours d’histoire de l’architecture, ou bien aussi d’assimiler ses apports théoriques dans le cadre d’ateliers de projets, si les étudiants profitaient de la proximité des bâtiments pour les visiter, y faire des workshops... En ce qui concerne la préservation des bâtiments, nous espérions trouver une liste de bâtiments préservés, connaître les critères de préservation, qui se mobilisait pour cette cause, mais aussi l’avis de mon interlocuteur, en tant que chercheur sensible au sujet. Pour la question du projet, l’aspect commercial des projets de Sullivan se retrouve t-elle dans la production architecturale chicagolaise actuelle ? Nous voulions aussi connaître son avis sur l’éventuelle utilisation des principes sullivanesques dans le cadre de projets architecturaux aujourd’hui. Voici le mail que nous lui avons envoyé:

Teaching I’m looking for an overview of the way Sullivan is seen in Chicago nowadays (that’s something I can’t find in books !) As a professor at Weinberg College of Arts and Sciences, could you tell me how is Sullivan’s work approached in this school ? In France and Belgium, I only learned about him in my “history of Architecture” classes, but you are able to visit the buildings, draw the ornaments, take pictures, study the archives... Is there an “Atelier” which is specifically working on Sullivan, Burnham, FLW..., trying to learn from their way to conceive the architectural project? If it is, is it attributed to Masters or first years students ? Does your school maybe organize visits, workshops...? About the preservation of buildings Since a lot of Sullivan’s buildings have been lost through history, do you feel, as a professional, a particular motivated community of researchers and architects trying to preserve the remaining ones ? Specifically, is there some offices contributing to the preservation of Adler & Sullivan buildings? Personally, what is your opinion on the way things are now, any restoration you judge “cheap” or destroyed buildings you definitely regret to not remain in nowadays’s Chicago ? Could you help me find a list of the officially preserved Sullivan buildings ? If not, Is there any institution I could contact to get this kind of informations? The project Would you say there’s a link in the specificities of the Chicago Sullivan had to deal with and the ones from today? I mean, Sullivan had to work with a lot of businessmen, institutions and politicians which were the only ones wealthy enough to avoid to build such projects, do you feel that the main current projects in Chicago still have this kind of “commercial” aspect ? Do you personally think that Sullivan’s theories/ principles could still be applied in today’s architecture ? (I’m convinced of that, I just would like to know your opinion on this idea, if you have any good examples...) I thank you in advance, I wish we could exchange a bit on the subject later, since you’ve written a book on this incredible architect. Baptiste Bridelance »


Et sa réponse: « Ah, Baptiste Bridelance, you assume much greater organization in American academe and preservation than there is -- extrapolating from French research and monument administration, I presume. There are no on-going Sullivan research projects -- the closest to that is administered by the architect John Vinci and summarized in his recent huge book. Various places have placed various preservation orders on the best-known buildings, but these are very loose by European standards. Many buildings are unprotected. Having said that, there are, 1). Academic researchers working, usually, on their own on Sullivan, like myself or Weingarden; 2). Architectural MSS collections with drawings and MSS -- especially the Art Institute of Chicago, the MSS being in the charge of Mary Woolever in the library, the drawings in the charge of Alison Fisher in the Department of Architecture. Frank Lloyd Wright gave a body of Sullivan drawings to the Avery Architectural; Library at Columbia University which he publishes in his book «Genius and the Mobocracy’. 3). The Elmslie papers and drawings at the University of Minnesota includes much Sullivan material, Elmslie having been Sullivan’s chief draftsman for some 15 years. 4). John Vinci -- successful professional architect here in Chicago (often works for the Art Institute on exhibition designs) who inherited the one huge collection of Sullivan material gather by Richard Nickel, himself a respected architectural photographer. There are thousands of photographs of Sullivan buildings, especially the early ones (mostly now destroyed) as well as a collection of architectural fragments which have been dispersed (although there is a large collection of them on display in the library of South Illinois University at Edwardsville). Vinci, I understand, is about to give the photographs to the Art Institute -- or evan may have just done so. I hope this helps you, all my best in your work, David van Zanten »

Nous avons été marqué par le caractère désabusé de son mail : nous nous attendions à ce que les institutions américaines soient moins à même de protéger leur propre patrimoine architectural (considérant la récente condamnation du « Prentice Women’s Hospital » de Bertrand Goldberg). Il n’existe aucun projet officiel d’étude actuellement sur Sullivan, ce qui s’en rapproche le plus figurant dans le livre de Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci et Ward Miller, The Complete Architecture of Adler & Sullivan (2010). Aujourd’hui, nombre de bâtiments d’Adler & Sullivan ne sont pas protégés, il semble que leur salut réside dans la volonté de leurs occupants actuels à les mettre en valeur. Nos recherches nous ont amené à cette conclusion, que dans ce contexte, un bâtiment non adapté, qui ne sert pas, qui gène a très peu de chance de subsister, à moins que son architecte ait atteint une forte notoriété auprès du grand public (la destruction aveugle d’un Frank Lloyd Wright ou d’un Mies Van der Rohe paraît aujourd’hui improbable). Nous pouvons citer un exemple de bâtiment aujourd’hui hors de danger: le Krause Music Store. La société « Studio V Design » a installé ses bureaux dans le Krause Music Store, mettant en valeur la rénovation faite comme respectueuse de l’esprit de l’oeuvre originale, et organisant même des visites guidées pour les amateurs de Sullivan. La façade du magasin, dernière commande de l’architecte, fut restaurée par GGC et McQuire Igleski & Associates. On peut trouver sur le site de GGC un descriptif de l’intervention, détails et prix reçus, photographies à l’appui.

John Vinci, le référent Suite à son décès, Sullivan connut une reconnaissance internationale par le biais d’évènements et expositions majeurs. On peut compter, deux ans après sa mort, l’exposition « l’architecture moderne americaine », à Berlin, puis l’exposition à New York des planches originales du traité d’ornementation architecturale en 1937. Enfin, en 1957, Richard Nickel et Aaron Siskin faisait leur exposition de photographies à l’Institut de design de Chicago. Décédé en 1972 lors de la démolition du Chicago Stock Exchange Building, Richard Nickel, éminent photographe, fut l’un des premiers à militer pour la préservation des bâtiments de Sullivan. John Vinci, ayant hérité de sa collection d’éléments de bâtiments et de photographies, en a ensuite fait don à l’Institut d’art de Chicago. Ces deux personnages, avec Aaron Siskin et Ward Miller, ont travaillé ardemment à ce ce qui constitue à ce jour le document le plus complet sur Adler & Sullivan : l’ouvrage « The Complete Architecture of Adler & Sullivan ». Aussi, que le nom de Vinci soit ressorti dans le mail de Van Zanten n’est pas une surprise : il est très reconnu à Chicago et ailleurs pour ses efforts afin de médiatiser le travail de Sullivan.

Sites à consulter: - http://www.studiovdesign.com - http://www.ggcinc.net - http://www.sullivan150.org/ - http://www.artic.edu/aic/collections/exhibitions/LouisSullivan - http://preservationresearch.com/

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En 2006, un programme de six semaines fut mis en place par le Muséum d’Histoire de Chicago. Divers évènements, dont un grand symposium, vinrent ainsi commémorer les 150 ans de Sullivan. En 2008 eut lieu l’exposition « Elmslie and Sullivan », cadrée par l’historien Tim Samuelson, grand connaisseur du travail de Sullivan à Chicago. Riche en ornements, elle mit l’accent sur les relations de travail au sein de l’agence « Adler & Sullivan » (avec Wright, notamment...), et met en lumière la vision artistique originale d’Elmslie. Collaborateur de longue date de Sullivan, dessinateur discret, nous pouvons nous douter aujourd’hui qu’on lui doit plus que ce que Sullivan laissa entendre. Citons aussi les deux expositions « Looking after Louis Sullivan » et « Louis Sullivan’s Idea », qui ont eu lieu à Chicago en 2010. La première reprend le travail des photographes que nous venons de citer, mettant l’accent sur les bâtiments détruits et le drame que constitue cette perte d’héritage architectural. La seconde s’inscrit en continuité avec la collection permanente des départements de photographie, d’art et d’architecture de l’Art Institut. Elle met l’accent sur la vie de Sullivan, à travers ses écrits, ses apports créatifs et ses projets en contexte. Cette dernière fut créée par l’artiste Chris Ware et l’historien Tim Samuelson.

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Et après? Sullivan, ayant tant cherché à donner un caractère intemporel à son travail, a laissé, autre que ses bâtiments, une oeuvre complète encore vivante aujourd’hui, du moins à qui sait l’interpréter et en extraire les enseignements majeurs. Par exemple, nous pouvons avancer que le dessin de Louis Sullivan, de par sa complexité graphique, peut susciter l’intérêt au delà du domaine de l’ornementation architecturale. Lors de nos recherches, nous nous sommes intéressé au travail d’un graphiste, Woody Rainley, membre du collectif d’artistes « ONYX ». Cet artiste a étudié la méthode de construction des ornements de Sullivan et s’est lancé dans une production graphique originale, redessinant librement les ornements de « System of Architectural Ornament » au crayon et à l’encre. L’apport personnel de Rainley a consisté à abstraire ce qui était des formes complexes pensées en volume. Le résultat est voulu plus épuré, graphique que l’original ; avec un contraste noir/ blanc très marqué et des formes simples et efficaces dans leur expression. 6 des vingt « plates » de Sullivan ont été réinterprétées de cette manière ces 40 dernières années, accusant un résultat époustouflant ne souffrant pas de l’image « datée » des originaux. Au delà des images finies, on pourrait très bien imaginer une production graphique d’ornements à partir de la page blanche, ayant pour seule contrainte le respect de « la méthode Sullivan » exposée dans son ouvrage. Cette méthode de l’ornement organique et inorganique ne cherche pas à contraindre l’artiste, mais vise au contraire à l’accompagner dans sa conception et sa production graphique. Dessins : - http://2onyx.blogspot.fr/ Woody Rainley, plates 11, 16, 19, 13, 18 Photographies : - http://www.e-architect.co.uk/

La mémoire de la méthode L’ornement n’a jamais cessé de fasciner les architectes, qu’ils l’utilisent ou pas, avec parcimonie ou massivement, en façade ou dans le détail. Assumé ou dénigré, il a su traverser les courants et écoles de l’histoire architecturale, évoluant avec les techniques d’expression graphique jusqu’à nos jours. Bien que Sullivan plaçait des ornements majeurs à des endroits choisis sur ses façades, celles-ci étaient souvent recouvertes de plaques sculptées. Suivant cette idée, difficile de passer à côté de la continuité architecturale dans laquelle tente de s’inscrire Wiel Arets avec sa bibliothèque universitaire d’Utrecht (2004). Doyen du College of Architecture de l’Illinois Institut of Technology, Wiel Arets n’a pas pu passer à côté du travail du maître lorsqu’il s’est penché sur la question de l’ornement. Il reprend ici un même motif moulé (de bambous) sur plaque de verre ou de béton, et recouvre l’ensemble des façades de son bâtiment avec. Comme un ornement bien placé pourrait mettre en évidence l’enseigne d’une boutique ou d’une banque, ici, sa prolifération indique plus un programme public occupant l’ensemble du bâtiment. L’absence de couronnement ou de socle ne fait que renforcer cette impression. Ici, nous observons donc une référence à Sullivan dans la prise de position de Wiel Arets : l’ornement est là, forme et fonction se lisent jusque dans le détail, la mise en application de l’Idée s’adaptant au programme et aux technologies contemporaines. Le message est clair : dans le milieu architectural de Chicago, les leçons de Sullivan ne sont pas oubliées.


173


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Conclusion Le jeune architecte d'aujourd'hui qui s’intéresse à la question de l'ornement en architecture doit avant tout considérer l'héritage théorique laissé par ceux qui se sont penchés sur la question avant lui. Bien que la pensée de Sullivan soit ancrée dans un contexte historique particulier, le patrimoine bâti qu'il nous a transmis et les questions qu'il a soulevées s'inscrivent dans des problématiques bien actuelles. Nous avons vu que dans sa pratique professionnelle, Sullivan a eu l'occasion de travailler sur de nombreux programmes différents, dans des contextes géographiques et socio-économiques variés. Les multiples facettes de son expression architecturale portent l'empreinte de l'évolution de sa réflexion sur l'ornement. Ses écrits montrent que c'était également un homme engagé prêt à défendre, y compris politiquement, sa vision de la nouvelle architecture américaine. La mise en perspective du contenu théorique de ses écrits, des évènements marquants de sa vie et des analyses de ses oeuvres majeures, permettent de lui redonner sa place en tant que théoricien et praticien de l'ornement, porte parole d'une génération . Ce nouvel éclairage à son travail, notamment à la formule La forme suit toujours la fonction permet de lever les ambiguïtés que des interprétations souvent réductrices en ont fait. Alors que la majeure partie des réalisations de Sullivan a été détruite, et qu'il ne reste de son travail architectural et théorique qu'un nombre assez limité d'édifices, nous espérons avoir pu grâce à ce travail redonner une image complète de son oeuvre et montrer la portée contemporaine de ses réflexions sur l'ornement. Nous espérons que ce mémoire permettra d'alimenter les études menées aujourd'hui et qui s'inscrivent dans l'histoire de l'éternel retour de l'ornement.

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Louis H. Sullivan, plate 16 «Impromptu»

/

Woody Rainley, plate 16


Les 20 bâtiments conservés de Louis H. Sullivan (autres que les 8 banques du Midwest)

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0

400m

0

Immeuble des bijoutiers, 15-19 Wabash sud, Chicago, 1882

Maison de rapport pour A. Halsted, 1826-1834 Lincoln Park, Chicago, 1885

Tombeau de Martin Ryerson, cimetière Graceland, Chicago, 1887

Synagogue Kehila Anshe Ma’ariv, 33eme rue et avenue de l’Indiana, Chicago, 1890

Auditorium, avenues Michigan et Wabash, rue Congress, Chicago, 1889

Villa Charnley, 1365 rue Astor, Chicago, 1892

Corbeille de la bourse de Chicago (reconstruite à l’institut d’art), avenue Michigan et rue Adams, Chicago, 1894, 1981

Tombeau de Carrie Getty, cimetière Graceland, Chicago, 1890

Façade du magasin Gage, 18eme avenue Michigan Sud, Chicago, Grand magasin Schlesinger et Mayer (aujourd’hui Carson, Pirie, Scott), angle des rues State et Madison, Chicago, 1898-1903

Illustrations :

Villas Charnley et Sullivan, Oceanspring, Mississippi, 1890 Magasin de musique Krause, 4611 avenue Lincoln, Chicago, 1922

- Cartes personnelles de Jean Claude Garcia, p. 136 et 137 de son ouvrage Sullivan, France: Editions Hazan, 143 p. (1997). Redessinées

2km


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0

Villa Halsted, 440 Beldon Street ouest, Chicago, 1883 Immeuble Wainwright, 7eme rue et Chetnut, Saint Louis, Missouri, 1892 Tombeau de Charlotte Wainwright, cimetière Bellefontaine, Saint Louis, Missouri, 1892 Immeuble de l’Union Trust, angle 7eme rue et Oliver, Saint Louis, Missouri, 1893 Immeuble Guaranty (ex Prudential), angle des rues Pearl et Church, Buffalo, New York, 1896 Immeuble Bayard (puis Condict), 65 rue Bleecker, New York, New York, 1897 Magasin Van Allen, angle 5eme avenue et 2eme rue, Clinton, Iowa, 1915

1000km


Nombre de bâtiments construits par année par Sullivan 0 1873 1874 1875 1876 1877 1878 1879 1880 1881

5

10

15

20

25

30

Quelques chiffres : Total : 237 projets dont bâtis : 195 (42 études/ non concrétisés) Détruits : 149 projets Détruits par incendie : 16 Détruits de manière certaine avant la mort de Sullivan (1924) : 30 82% des projets bâtis par Sullivan sont aujourd’hui détruits

1882 1883 1884 1885 A v e c A D L E R

1886 1887 1888 1889 1890 1891 1892 1893 1894

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Projets: Maisons, Cottages, Appartements: 66 Entrepôts, Usines: 38 Immeubles, bureaux: 31 Magasins: 29 Music Halls/ Auditoriums/ Opéras: 15 Infrastructures (Scolaire, Medical, Transports) 13 Banques: 9 Equipements religieux: 9 Installations temporaires/ Expositions: 8 Culturel (Bibliotheques, Clubs): 7 Hôtels: 6 Tombeaux/ Statues/ Décorations: 6

1895 1896 1897 1898 1899 1900 1901 1902 1903 1904 1905 1906 1907 1908 1909 1910 1911 1912 1913 1914 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1921 1922 1923 1924

dont avec Adler (et l’agence) : 180 projets

60 résidences 33 immeubles de bureau et magasins 27 ateliers 17 salles de spectacle 11 entrepots


Catalogue raisonné des projets de Sullivan informations « entre parenthèses » : année/ cause de destruction

1873 Chicago Avenue Church (1939) 1875 Sinai Temple (inconnu) 1879 Central Music Hall Block (1901) Simon Mandel House (1943) 1880 Crilly & Blair Building (1968) Grand Opera House (1858) Building for Union Mutual Life Insurance Company (inconnu) 1881 Borden Block (1917) John Borden House (1955) E. Rotschild & Brothers store (1972) S.A. Maxwell & Company Store 1882 A.S. Gage & Company Store (1968) Rosenfeld Building (1958) Academy of Music (1930/ incendie) J.M. Brunswick & Bale Company Plant (1989/ incendie) Chicago Rubber Works (inconnu) Commercial Loft for Emmanuel Frankenthal (1939) Row houses for Thomas Nicholson (inconnu) Inter-State Industrial Exposition Building (1882) Hooley’s Theater (1926) J. Russel Jones House (inconnu) J.A. Rothschild (inconnu) Building for Max M. Rothschild (1982) M.C. Bullock Manufacturing Company (inconnu) 1883 Charles P. Kimball House (1964) Marx Wineman House (1920) Hammond Library, Chicago Theological Seminary (1963) Building for Joseph Roster (1949) Ann Halsted House Building for Richard Knisely (1958) Design for a Double House (non bati) McVicker’s Theater Building (1986) Row House for Max M. Rothschild (1976) Building for E.L. Brand (1949) Factory and Warehouse for Wright and Lawther Oil and Lead Manufacturing Company (inconnu) Morris Selz House (1976) Chicago and North Western Railroad Dock Warehouse (inconnu) Building for Reuben Rubel (inconnu) Buildings for Ferdinand Kaufmann Marengo Public School (1993) 1884 Aurora Watch Company Factory (1989/ incendie) F.A. Kennedy & Company (1884/ incendie)

Tableau : Liste :

Building for Solomon Blumenfeld (1963) Double House for Mr. Straus (non bati) Mendel Brothers Stable (1936) Louis E. Frank House (1968) Martin Barbe House (1963) Morgenthau, Bauland &Company Store (inconnu) Row Houses for Ann Halsted Sinai Temple (inconnu) F.A. Kennedy & Company (1970) Three Houses for Max M. Rothschild (1966) Inter-State Industrial Exposition Building (1884) Anna McCormick House (1970) People’s Theater Building (inconnu) Haverly’s Theater (1900/ incendie) Abraham Strauss House (1953) Commercial Loft for Benjamin and Simon Schoeneman (1898/ incendie) Gray, Kingman & Collins Store (1939) Leon Mannheimer House Commercial Loft for Anton Troescher (1978) Factory for Scoville & Towne (non bati) Maria Kleiner House (1936) Reuben Rubel House (1958) Factory for Abraham Knisely (inconnu) 1885 Commercial Loft for James W. Scoville (1974) Leopold Schlesinger House (1914) Lakeside Club (non bati) Inter-State Industrial Exposition Building (1885) Zion Temple (1954) World’s Pastime Exposition (inconnu) Warehouse for George Watson (1909) Marcus C. Stearns House (inconnu) Office and Superintendent’s House for Marcus C. Stearns (inconnu) Henry Stern House (1959) Samuel Stern House (1959) Benjamin Lindauer House (1959) Abraham Kuh House (inconnu) Two Houses for Walter L. Peck (non bati) 1886 Houses for Mrs. Abraham Kohn, Dankmar Adler, and Eli B. Felsenthal (1958, 1961) Springer Building (1989) Milwaukee Industrial Exposition Hall Building (1886) Hugo Goodman House (inconnu) Chicago Opera House (inconnu) The Arthur Block (1964) West Chicago Club (1953) Warehouse for E.L. Brand (non bati) Keith Brothers & Company Store (1928) Hannah Horner House (inconnu) Warehouse for Walter and Clarence Peck (1928) 39th Street-Oakland Passenger Station, Illinois Central Railroad (1934) Frances M. Jones House (non bati) Wahl Brothers Brick Factory (inconnu) B. Dessenberg & Company Store (1886)

- Document personnel, d’après les informations contenues dans The Complete Architecture of Adler & Sullivan, (2010), de Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, Chicago: Richard Nickel Committee «Catalogue raisonné of the complete architecture of Adler & Sullivan», p. 329-443

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1887 Joseph Deimel House Levi A. Eliel House (1961) Mathilde Eliel House Building for Edward G. Pauling (1913) Crane Brothers Manufacturing Company Pipe Mill (inconnu) Selz, Schwab & Company Factory (inconnu) Kranz Building (1975/ incendie) Commercial Loft for Martin Ryerson (non bati) Mary M. Lavery House (inconnu) Commercial Loft for Wirt Dexter (2006/ incendie) Chicago Nursery and Half-Orphan Asylum (inconnu) 1888 The Standard Club (1931) Kuhn’s European Hotel (inconnu) 43rd Street Passenger Station, Illinois Central Railroad (1942) Factory for Adolf Loeb Patrick Farrell House (inconnu) Patrick Farrell Barn and Flats (inconnu) Row Houses for Victor A. Falkenau (1958) Pueblo Grand Opera House (1922) Commercial Loft for Lazarus Silverman (1925) George M. Harvey House (2006/ incendie)

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1889 James H. Walker & Company Store and Warehouse (1953) Stanton E. Kitts House (inconnu) Factory for Eli B. Felsenthal (1908) Ira A. Heath House (non bati) Warehouse reconstruction for E.W. Blatchford Warehouse for E.W. Blatchford Wirt Dexter House (non bati) 1890 Martin Ryerson Tomb Inter Ocean Building (1941) Auditorium Building Deutsches Stadt Theater (1895/ incendie) Commercial Loft for Selz, Schwab & Company (non bati) Wright & Hills Linseed Oil Company of Illinois Factory (inconnu) Louis H. Sullivan Cottage and Outbuildings (2005/ ouragan) James Charnley Cottage and Outbuildings (2005/ ouragan) 1891 Carnegie Hall Hebrew Manual Training School (1953/ incendie) Kehilath Anshe Ma’ariv Synagogue (2006/ incendie) Hotel Ontario (non bati) Seattle Opera House Building (non bati) Carrie Eliza Getty Tomb ` Crane Company Foundry and Machine Shop Factory (1917) McVicker’s Theater (1986) Standard Elevator Company Factory Building for Mercantile Club, St. Louis (non bati) Office Building for

Adolph Loeb (non bati) Fraternity Temple (non bati) 1892 Chicago Cold Storage Exchange and Warehouse (1902) Schlesinger & Mayer Store (1902) Dooly Block (1964) Schiller Building (1917) Wainwright Building Charles H. Berry House (1926) Chattanooga Chamber of Commerce Building (non bati) James Charnley House Appartment Building for Adolph and William Loeb (1923, 1974) Albert W. Sullivan House (1970) Warehouse for J.W. Oakley (1976) Sinai Temple (années 20) New Orleans Passenger Station, Illinois Central Railroad (1953) Walker & Oakley Company Tannery (inconnu) Shone Ejector Company Factory (1906) Schlesinger & Mayer Store (1903) Minneapolis Industrial Exposition Building (1893) Portland Building (non bati) Wholesale Store Building for the Estate of M. A. Meyer (non bati) Commercial Loft for the Estate of M. A. Meyer (1968) 1893 Transportation Building, World’s Columbian Exposition (1893) Charlotte Dickson Wainwright Tomb Auditorium Hotel Annex/ Congress Hotel, Powerhouse, and Pedestrian Tunnel Union Trust Building Victoria Hotel (1961/ incendie) Design for a Building with Twin Towers (non bati) Illinois Leather Company Factory (1973) Mandel Brothers Store (inconnu) Warehouse and Stable for Mandel Brothers (1922) Illinois Eye and Ear Infirmary (inconnu) First Regiment Armory, The Trocadero (1893/ incendie) Design for a Tall Office Building (non bati) 1894 Design for a Tall Building (non bati) St. Nicholas Hotel (1974) Warehouse for Wolf, Sayer & Heller Warehouse for J. M. Ball & Company (inconnu) Chicago Stock Exchange Building (1972) Design for a Tall Office Building (non bati) Building for Herman Braunstein (1965) Minnetonka Cottage (1917/ incendie) Design for an Apartment Building (non bati) 1895 Design for a Tall Building (non bati) Chicago Dock Company Warehouse (1915) Burnet House (non bati) National Tube Works Freight House (inconnu) National Linseed Oil Cooper Shop (années 20/ incendie)


1896 Guaranty Building Study for a Christian Science Church (non bati)

1913 Harold and Josephine Bradley House H. C. Adams Land and Loan Office

1897 Schlesinger & Mayer Store Schlesinger & Mayer Store/ ajout (1903) Coliseum of the ST. Louis Exposition and Music Hall (1907)

1914 St. Paul’s Methodist Episcopal Church John D. Van Allen & Son Store

1898 Design for a Coliseum Sketch Design for a Country Club (non bati) Albert W. Goodrich House (non bati) 1899 Bayard Building

1915 Purdue State Bank Merhants National Bank The Home Building Association Company 1917 High School for Owatonna, Minnesota (non bati)

1900 Commercial Loft for Gage Brothers & Company Cyrus Hall McCormick House (1954) Eutson & Company Linseed Oil Plant Crane Company Foundry and Machine Shop (1976)

1918 Peoples Savings & Loan Association

1901 Design for a Women’s Pavilion, Presbyterian Hospital (non bati) Virginia Hall, Tusculum College Nancy «Nettie» Fowler McCormick Cottage (non bati)

1921 Design for the Eddy Family Memorial Enclosure (non bati)

1902 Cottages and Girl’s Dormitory, Stanley McCormick School Ellis Wainwright House (non bati) Arthur Henry Lloyd House (non bati) 1903 Schlesinger & Mayer Store Holy Trinity Russian Orthodox Greek Catholic Church and Rectory Chicago Linoleum Company Plant Design for a Theater Front (non bati) Crane Company Factory (inconnu) 1904 Crane Company Office Building (inconnu) Study for an Office Building (non bati) 1906 Store, Apartment, Office, and Loft for Eli B. Felsenthal (1982) 1908 National Farmer’s Bank Island City (non bati) Henry B. Babson House (1960) 1909 Addition to the Auditorium Building (non bati) 1911 Peoples Savings Bank 1912 Carl K. Bennett House (non bati)

1920 Farmers and Merchants Union Bank

1922 Design for the Krause Music Store Screen for Andrew O’Conner (non bati) 1923 Base for the Governor John M. Palmer Statue and Monument Proposed Plaque and Monument for the National Terra Cotta Society (non bati) 1924 First National Bank (inconnu)

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Les voyages de Sullivan

Italie 75

Paris 74

Liverpool

74 93

Halifax été 63 Philadelphie

été 73

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Chicago 76-24

Boston/ South Reading/ Gloucester/ Newbury Port

Ocean Spring 90-10

Illustration :

- Carte personnelle «Les voyages de Sullivan», sur le modèle graphique de la carte Dymaxion de Buckminster Fuller (1895-1983)


Bibliographie / Sites consultés Collectif, (1988), Chicago, naissance d’une métropole 1872-1922, Editions Réunions des Musées Nationaux, Musée d’Orsay, 479 p. Antoine Faivre, (1996), Accès de l’ésotérisme occidental I, France: Gallimard, 377 p. Adrain Forty, (2012), Words and Buildings: A Vocabulary of Modern Architecture, Angleterre: Thames & Hudson, 336 p. Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, 143 p. Daniel Guibert (Techniques & Architecture), (1989), Imre Makovecz: projet organique, pensée périphérique, France: Régirex, 47 p. Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Chicago: Richard Nickel Committee Progressive Architecture, (Decembre 1962), Goff on Goff: the work of Bruce Goff, Architect, New York: Reinhold publishing corporation, 168 p. Pauline Saliga, Mary Woolever, (1995), The Architecture of Bruce Goff, 1904-1982, Munich: Prestel Books, 119 p. Louis H. Sullivan, (1979), Kindergarten Chats and Other Writings, New York: Dover Publications, Inc., 251 p. Louis H. Sullivan, Art Institut of Chicago, (1995), Traité d’ornementation architecturale, Bruxelles: Mardaga, 159 p. Louis H. Sullivan, (2011), Autobiographie d’une idée, Paris: Allia, traduction: Christophe Guillouët, 228 p. Frank Lloyd Wright, (2005), Testament, Marseille: Parenthèses, traduction: Claude Massu, 219 p. Bruno Zevi, (1945), Verso un’architettura organica, Turin / traduction par P. Francastel, (1956) « Vers l’ère organique », Art et technique, Paris

183 Sites choisis (articles) : http://www.chicagohistoryjournal.com/ http://preservationresearch.com/ http://www.artic.edu/research/louis-sullivan-collection http://chicago-architecture-jyoti.blogspot.fr/2010/08/louis-sullivans-ideas.html http://newcity.com/2012/09/27/ living-landmark-how-cultural-historian-tim-samuelson-became-an-encyclopedia-of-chicago/ http://socalarchhistory.blogspot.be/2011/05/r-m-schindler-richard-neutra-and-luis.html http://www.chicagosavvytours.com/apps/blog/categories/show/931092-louis-sullivan http://www.dwell.com/interviews/article/architecture-adler-sullivan


Bibliographie raisonnée

Ouvrages francophones:

Sullivan Louis H., Art Institut of Chicago, (1995), Traité d’ornementation architecturale, Bruxelles: Mardaga, 159 p. Sullivan Louis H., (2011), Autobiographie d’une idée, Paris: Allia, traduction: Christophe Guillouët, 228 p. Sullivan Louis H., (2008), Kindergarten Chats and Other Writings, Vancouver: Read Books, 264 p.

Editions américaines:

Ecrits de l’architecte : Sullivan Louis H., (1950), Autobiography of an Idea, Dover Publications, Inc., 333 p. Sullivan Louis H., (2008), Kindergarten Chats and Other Writings, Vancouver: Read Books, 264 p. Louis H. Sullivan, (1894), Emotional architecture as compared with classical, Chicago : Inland Pub., 34 p. Louis H. Sullivan, (1886), Inspiration: an essay read at the 3rd annual convention of the Western Association of Architects at Chicago, Nov. 17, Chicago : Inland Architect Press, 36 p. Sur ses théories, ses dessins, ornements : Anthony Barker, (2010), Louis H. Sullivan, Thinker and Architect, Charleston: Bibliobazaar, LLC, 326 p. Maurice English, (1963), The testament of stone; themes of idealism and indignation from the writings of Louis Sullivan, Northwestern University Press, 227 p.

184

Southern Illinois University at Edwardsville, (1981), Louis H. Sullivan architectural ornament collection, Edwardsville: Office of Cultural Arts and University, 77 p. Paul Edward Sprague, (1979), The drawings of Louis Henry Sullivan : a catalogue of the Frank Lloyd Wright Collection at the Avery Architectural Library, Princeton, N.J. : Princeton University Press, 72 p. John Szarkowski, Terence Riley (Intro.), The Idea of Louis Sullivan, (2000), Londres: Thames and Hudson, Nouvelle edition, 184 p. Robert Twombly, Narciso G. Menoca, (2000), Louis Sullivan: the Poetry of Architecture, New York, W.W. Norton, 416 p. Lauren S. Weingarden, (2009), Louis H. Sullivan and a 19th-Century Poetics of Naturalized Architecture, Londres: Ashgate, 456 p. David van Zanten, (1989), Louis Sullivan: The Function of Ornament (Norton Critical Studies in Art History), New York: W.W. Norton, 224 p. Sur l’école de chicago : Nancy Frazier, (1999), Louis Sullivan : And the Chicago School, Albany: Knickerbocker Press, 112 p. W.R. Hasbrouck, (1967), Architectural Essays from the Chicago School (Thomas Tallmadge, Louis H. Sullivan, Jens Jensen and Frank Lloyd Wright) from 1900 to 1909, Prairie School Press, 20 p. Donald Hoffmann, (1999), Frank Lloyd Wright, Louis Sullivan and the Skyscraper, Dover Publications, Inc., 128 p.


A propos d’architecture : Patrick F. Cannon, (2011), Louis Sullivan : creating a new American architecture, San Francisco : Pomegranate, 192 p. Taylor Crombie and Jeffrey Plank, (2001), The early Louis Sullivan, building photographs, San Francisco, CA, 259 p. Hugh Morrison, Timothy J. Samuelson (Intro.), (1998), Louis Sullivan: prophet of Modern Architecture, New York, W.W. Norton, Nouvelle édition, 400 p. Yukio Futagawa, Albert Bush-Brown, (1979), National Farmers’ Bank, Owatonna, Minnesota, 1907-08; Merchants’ National Bank, Grinnell, Iowa, 1914; Farmers’ & Merchants’ Union Bank, Columbus, Wisconsin,1919 / Louis H. Sullivan , A.D.A. EDITA Tokyo, 40 p. Lauren S. Weingarden, (1990), Louis H. Sullivan: The Bank, Cambridge: MIT Press, Nouvelle édition, 164 p. Ouvrages généraux : H. Frei, (1992), Louis Henri Sullivan, Ellipsis London Ltd, 176 p. Elia Mario Manieri, (1996), Louis Henri Sullivan, Princeton Architectural Press, 280 p. Esther McCoy, (1979), Vienna to Los Angeles : two journeys, Santa Monica, Calif. : Arts + Architecture Press, 155 p. Sarah C. Mollman, (1989), Louis Sullivan in the Art Institute of Chicago : the illustrated catalogue of collections, New York : Garland Pub., 280 p. Robert Twombly, (1988), Louis Sullivan : the public papers, Chicago : University of Chicago Press, 257 p.

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Table des illustrations Couverture : -Extrait de la plaque de verre ornée de la porte de l’agence «Adler & Sullivan», Chicago History Museum, redessinée 1ère page : - Portrait de Sullivan (www.rugusavay.com) Quatrième de couverture : - Annonce de la vente aux enchères de la bibliothèque de Louis Sullivan (Chicago Daily Tribune, 27 novembre 1909)

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p. 11 - Ernest Burgess, Robert E. Park, (1930), The city , « Schéma de la croissance de la ville de Chicago : cercles concentriques qui s’interpenetrent », University of Chicago Press, 250 p. - « The Heart of Chicago 1900 Streetscape Photo », Woodhaven Historic Photographs p. 13 - En haut : Henry Hobson Richardson, Wholesale Store, Chicago, 1887 - En bas : Louis Sullivan, Walker Warehouse, Chicago, 1888-1889 ( http://www.studyblue.com/notes/note/n/midterm-1-buildings/deck/2133421 ) p. 15 - Plaque de verre ornée de la porte de l’agence «Adler & Sullivan», Chicago History Museum, redessinée p. 18 - Schéma personnel p. 19 -Photographies (retravaillées) - http://commons.wikimedia.org/ - http://emh-runningdesign.blogspot.fr/ - http://www.shorpy.com/ - http://www.wikiartis.com/ p. 21 - Schémas d’interpretation personnels : Fonctions, Formes, Stratégie commerciale, Plan p. 23 - «American architects and the mechanics of fame», Roxanne Kuter Williamson, p. 32.: Sullivan and Wright and their connections» (redéssiné) p. 25 - Photographies : - http://www.flickr.com/photos/karlasfotos/4860793126/ - http://www.flickr.com/photos/karlasfotos/4860793454/ p. 27 - Pauline Saliga, Mary Woolever, (1995), The Architecture of Bruce Goff, 1904-1982, Munich: Prestel Books, p.3 p. 39 - Photographies : 1. http://www.artic.edu/ 2. http://louissullivanfilm.com/ 3. http://www.knowla.org/ 4. http://abouthuman.net/ 5. http://www.rugusavay.com/ 6. http://socalarchhistory.blogspot.fr/ 7. http://socalarchhistory.blogspot.fr/ 8. Jean-Claude Garcias, (1997), Sullivan, France: Editions Hazan, p.6 9. http://blogs.wttw.com/ p. 43 - Frises personnelles p. 44 - Dessin personnel p. 46 - Dessin personnel p. 48 - Photographies retravaillées : - cpc.state.pa.us -web.mit.edu p. 50 - Photographie retravaillée : - www.findagrave.com p. 52 - Photographie retravaillée : - www.jmhdezhdez.com p. 54 - Dessin personnel p. 56 - Photographie retravaillée : - http://digitalgallery.nypl.org/ (New York Athletic Club Track Team) p. 58 - Photographie retravaillée : - thisoldpalette.blogspot.com p. 60 - Photographie retravaillée : - fr.wikipedia.org - Dessin personnel p. 62 - Photographie retravaillée : - interactive.wttw.com p. 65 - Premières pages et planches extraites des ouvrages traités p. 68, 69 - Extrait de la «Plate 14»: Fantasy, a study of curves in three dimensions, retravaillée p. 71 - Planches scannées, contenues dans Traité d’ornementation architecturale, Sullivan Louis H., Art Institut of Chicago, (1995), Bruxelles : Mardaga p. 73 - «The Inorganic» et «Manipulation of the Organic», Plates 1 & 2 (Traité d’ornementation architecturale, Sullivan Louis H., Art Institut of Chicago, (1995), Bruxelles : Mardaga) p. 77 - Photographie de la corniche du Guaranty Building (http://amyfrankiesmith.files.wordpress.com) p. 82, 83 - Vue «Bing Maps» en axonométrie, l’Auditorium Building de Chicago, dessin personnel p. 85 -The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 88 (retravaillée) p. 99 - www.loc.gov (retravaillée) p. 105 -The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 214 (retravaillée) p. 115, 116 - Illustration personnelle


p. 117 p. 127 p. 137 p. 143 p. 148 p. 155 p. 161

- The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 246 (retravaillée) - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 255 (retravaillée) - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 266 (retravaillée) - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 260, 262 (retravaillée) - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 290 (retravaillée) - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 273 (retravaillée) - The Complete Architecture of Adler & Sullivan, Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, (2010), Chicago: Richard Nickel Committee, p. 297 (retravaillée)

p. 168, 169 - Frise originale de Gilbert Cordier, publiée avec son article «Origines et tendances de l’architecture contemporaine» dans Architecture d’Aujourd’hui n°139, 1968. Redessin personnel. p. 172 - Photographies : http://www.e-architect.co.uk/ p. 173 - Dessins de Woody Rainley, plates 11, 16, 19, 13, 18 (http://2onyx.blogspot.fr/) p. 175 - Louis H. Sullivan, plate 16 «Impromptu» / Woody Rainley, plate 16 p. 176, 177 - Cartes personnelles de Jean Claude Garcia, p. 136 et 137 de son ouvrage Sullivan, France: Editions Hazan, 143 p. (1997). Redessinées p. 178 - Tableau personnel, d’après les informations contenues dans The Complete Architecture of Adler & Sullivan, (2010), de Richard Nickel, Aaron Siskind, John Vinci, Ward Miller, Chicago: Richard Nickel Committee p. 182 - Carte personnelle «Les voyages de Sullivan», sur le modèle graphique de la carte Dymaxion de Buckminster Fuller (1895-1983)

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