MEMOIRE MASTER
AVFM#11
Shinjuku NO Baptiste FRANCOIS Matérialisations, Perceptions et Applications des Règles de la Gare de Shinjuku à Tôkyô, Japon
JURY DE SOUTENANCE ALESSIA DE BIASE (DIR.) PHILIPPE BONNIN AUGUSTIN BERQUE
{22022011}
M#11
Shinjuku No Matérialisations, Perceptions et Applications des Règles de la Gare de Shinjuku à Tôkyô, Japon
Les documents ayant servi à l’élaboration de ce travail sont disponibles sur le blog :
www.shinjukuno.wordpress.com
ENSAPB 2011
Baptiste François Sous la direction de : Alessia de Biase
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Avant propos Les transcriptions des termes japonais de ce mémoire sont celles du Hepburn. Les noms japonais sont donnés dans leur ordre normal : nom de famille, prénom. Ne disposant d’aucun diplôme validant nos acquis en japonais, un grand nombre de termes traduits du japonais est accompagné de sa retranscription entre crochets. Nous nous excusons auprès de notre lecteur pour l’éventuelle gêne que ce dispositif peut engendrer. Les termes marqués d’un astérisque sont traduits de l’anglais. Sauf mention contraire, les photographies, toutes prises dans la gare de Shinjuku, sont de l’auteur.
Préface.................................................................................................................... 4 0. Introduction....................................................................................................................... 5 La gare de Shinjuku................................................................................................ 7 Entretiens.............................................................................................................. 12 Hypothèses........................................................................................................... 14 I. La gare de Shinjuku vue par ses usagers...................................................................... 17 L’objet physique et l’objet fonctionnel.............................................................................. 18 Forme / Fonctions ; jonctions et disjonctions........................................................ 20 Lieu de rendez-vous.............................................................................................. 23 La gare, c’est les Autres.................................................................................................. 26 Ordre et désordre.................................................................................................. 29 Le temps du lieu.............................................................................................................. 31 L’espace sensible............................................................................................................ 35 II. La Règle........................................................................................................................... 39 Définitions........................................................................................................................ 40 Règle Versus Bonnes manières............................................................................ 41 L’espace et la Règle.............................................................................................. 44 La raison de la Règle....................................................................................................... 46 L’absence de présent physique............................................................................ 47 Dualité................................................................................................................... 49 La norme............................................................................................................... 51 L’Autre................................................................................................................... 55 Transmettre la Règle....................................................................................................... 58 L’individu............................................................................................................... 59 Le groupe.............................................................................................................. 61 La représentation de la Règle............................................................................... 64 L’Autre et la Règle........................................................................................................... 69 Incertitudes et questionnements........................................................................... 69 Méthodes de régulation......................................................................................... 71 Transgressions...................................................................................................... 73 Limites................................................................................................................... 75 III. Conclusion...................................................................................................................... 79 Annexes Timeline : Histoire de la gare de Shinjuku, de ses signes et de ses règles....................... II Bibliographie...................................................................................................................XIII Textes généralistes..............................................................................................XIII A propos du Japon.............................................................................................. XIV Présentation complète des personnes interviewées................................................... XVII
- Sommaire
- Avant propos
Sommaire
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Préface
Une année et quatre mois au Japon, dont la grande majorité à Tôkyô : - Avant le voyage : un travail acharné d’un an pour acquérir les bases de la langue japonaise. - En arrivant là-bas le 11 mars 2009 : premier voyage au Japon, pas de choc culturel, une compréhension orale et écrite toute relative, l’accueil de la famille d’un ami, un voyage à Kanazawa, Hiroshima et Ôsaka seul et quasiment sans argent, pas d’objet de recherche. - Au cours de l’année : des cours d’architecture en japonais, une guest-house habitée en majorité de Japonais, un stage dans une toute petite agence d’architecture dans la langue de Murasaki Shikibu, quelques moments de vide, un changement de laboratoire de recherche, un groupe d’amis architectes, un groupe d’amis musiciens, des voyages dans le pays, la visite de proches, et un objet de recherche prenant corps. Voilà peut-être une partie de ce que représente ce mémoire, au moins pour moi. Au bout d’une dizaine de mois de pratique du pays et de sa langue, j’avais acquis une grande partie des codes de conduite de la vie en société, codes que mes camarades s’empressaient toujours de m’enseigner avant (ou après) mes impairs. Le seul point sur lequel je n’étais jamais critiqué était celui de la langue. Je pouvais ainsi m’adresser à des supérieurs dans un langage presque familier sans que cela ne me soit reproché, cela pendant une longue période. Une fois seulement la remarque m’a été faite d’un défaut de langage. La remarque cinglante de la responsable du bureau d’architecture au sein duquel j’ai travaillé plusieurs mois a été un électrochoc : la dérogation qui m’avait été donnée à ce sujet en tant qu’étranger avait pris fin. A partir de cet instant, il m’a fallu surveiller mon langage autant que mes gestes face à tout supérieur hiérarchique qui me connaissaient. Pourtant, dans l’anonymité de la ville, je restais un étranger, peut-être arrivé la veille ou repartant le lendemain, étranger auquel (presque) rien ne peut être reproché. Cette dualité du regard porté sur soi était une expérience très étrange, elle s’ajoutait à celles du parcours dans la ville, de la lecture de cette dernière au travers de ses usagers autant que de ses signes. Ce sont ces expériences qui m’ont incité à entamer le présent travail. Lorsque j’ai souhaité entamer les série d’entretiens qui ont servi de base à ce mémoire, mon niveau de japonais était suffisant pour me permettre de poser les questions mais pas nécessairement pour comprendre toutes la subtilité des réponses qui y étaient apportées. Chaque entretien apportait donc au suivant son lot d’améliorations. Pour cela, j’ai retranscris l’intégralité des entretiens sur ordinateur. Cela m’a permis un travail approfondi sur le texte en cherchant à rester fidèle à la pensée des personnes interviewées, à éviter les contresens. Malgré cela, on ne peut écarter le fait que ces personnes ont pu parfois simplifier leurs pensées et leur vocabulaire pour les rendre plus accessible à un étranger, de même qu’on ne peut écarter toute erreur d’interprétation des entretiens dans l’analyse. C’est en ayant à l’esprit ces failles que la lecture de ce mémoire pourra prendre du sens : comme un travail en cours et à venir.
O Introduction
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A la lecture de quelques uns des nombreux ouvrages qui existent sur le Japon et la société japonaise, nous avons été frappé par la description d’un « strict contrôle social » qui s’exerce sur les individus pour établir un « code de normalité » (Buruma in Pons, 1984 : 275-290) cela jusqu’à parler « d’organisation moutonnière [hitsujikate sôshiki] » ou de « l’ère de monsieur tout-le-monde [hutsû no jidai] » (Yatabe, Suzuki, Yamamoto, 1992 : 87, 99). Ce mémoire exprime le souhait d’entamer un travail de recherche sur les relations qu’entretiennent les acteurs de cette société à ses règles dans la ville, cela au travers du discours de ces mêmes acteurs. La ville japonaise a ceci de particulier qu’elle offre très peu d’espaces publics, incitant ses utilisateurs à penser la ville par ses espaces privés, généralement de consommation, et à considérer l’espace public comme un espace de transit, où les règles sont posées pour éprouver son efficacité et la rationalité de son utilisation. La gare, en particulier celle de Shinjuku à Tôkyô, fait partie de ces zones indéfinies dans lesquelles se mêlent public et privé avec une subtilité qui les amènent à se confondre. La désorientation devient le lit de la sur-information ; incapables de se situer dans l’espace les indications deviennent nécessaires, ou présentées comme nécessaires, aux usagers. Un déluge d’informations complémentaires, et non moins contraignantes, est ainsi justifié. Elles sont censées améliorer la circulation de la foule ou la qualité de vie de l’individu en son sein. Quelle relation à l’Autre peut alors émerger dans ce lieu public régulé qu’est la gare de Shinjuku ? Nous exposons ci-dessous les données dont nous disposons pour cette étude : le lieu d’abord, puis les entretiens que nous avons réalisés avec certains de ses utilisateurs et notre démarche.
La gare de Shinjuku
La gare de Shinjuku à Tôkyô est un lieu fascinant, sous ce nom se cachent en effet « douze gares différentes : la gare JR, le terminal Odakyû, le terminal Keiô, le terminal secondaire de Seibu, trois stations de la régie de métro (Nishi Shinjuku, Shinjuku et Shinjuku SanChôme) et cinq stations du métro préfectoral (trois sur la nouvelle ligne Toei Ôedo et deux sur la ligne Tôei Shinjuku) » (Aveline, 2003 : 124)1 cela sans compter les terminaux de bus. Avec trois millions de passagers par jour en 20082, si elle n’est pas la gare la plus utilisée au monde comme il est souvent dit3, la gare de Shinjuku est indéniablement la plus utilisée du Japon. Mais tous ses utilisateurs ne sont pas uniquement des passagers des transports collectifs, la gare sert aussi d’accès à de nombreux centres commerciaux où « le voyageur se transforme en consommateur » (Aveline in Bouissou, 2007 : 330). Nous en dénombrons une dizaine parmi lesquels Mitsukoshi, Isetan, Takashimaya, Marui, Lumine 1 et 2, Subnade, Keiô hakkaten, Odakyû Hakkaten liste à laquelle nous pouvons ajouter My Lord, My city, Tower Record, les magasins d’électronique Yodobashikamera ou Bikkukamera ou les supermarchés du livre Kinokunya et Junkudo. Il serait aussi possible de lister les nombreux hôtels internationaux, les tours de bureaux, dont la construction a débuté au début des années 1960 au cours du grand rush immobilier 4, ou plus minutieusement les izakaya et autres nomiya [litt. lieu pour boire] que comptent les alentours de la gare. Cette dernière sépare en effet deux quartiers : le quartier de bureaux Fukutoshin à l’ouest où se trouve la mairie de Tôkyô [Tôkyôtochô] et le quartier Kabukichô, à l’est célèbre pour « ses bars louches, (...) ses boîtes pour homosexuels ou sado-maso, (...) discos pour minets » (Kessler, 1996 : 105) que les guides touristiques se plaisent à décrire comme « les endroits les plus animés et les plus chauds de Tôkyô » (Rutherford, 1996 : 196). Le quartier est nettement moins célèbre pour la mairie de l’arrondissement de Shinjuku et son annexe [Shinjuku Kuyakusho] qu’il abrite également. La plupart de ces lieux et bâtiments sont reliés à un vaste réseau de couloirs souterrains piétonniers « véritable labyrinthe (...) de plus de deux kilomètres d’est en ouest. » (Aveline, 2003 : 124) qui s’étend sur un territoire de plus d’un kilomètre carré. Les cartes des pages suivantes apporteront les compléments nécessaires à la compréhension de nos propos.
1 Depuis le travail de Natacha Aveline, une nouvelle ligne de la régie publique Tôkyô Metro Fukutoshin a été créée en 2009, elle partage la gare de Shinjuku SanChôme avec la ligne Marunouchi de la même régie. 2 Selon nos calculs réalisés à partir des chiffres officiels du bureau des statistiques du ministère de l’administration générale, de l’intérieur et des postes et télécommunications de la ville de Tôkyô [Tôkyôto sômukyoku tôkeibu] (http:// www.toukei.metro.tokyo.jp/tnenkan/2008/tn08qyti0510u.htm). Ces chiffres ne tiennent pas compte des transferts internes aux compagnies ; on pourra également consulter les chiffres de la compagnie semi-publique JR East Japan (748 522 passagers par jour en 2009 http://www.jreast.co.jp/passenger/index.html), de la compagnie publique Tôei Chikatetsu (535 077 passagers par jour en 2009 http://www.kotsu.metro.tokyo.jp/subway/kanren/passengers.html) ou de la régie publique Tôkyô Metro (362 696 passagers par jour en 2010 http://www.tokyometro.jp/corporate/enterprise/ passenger_rail/transportation/passengers/index.html). Les chiffres des trois compagnies privées, Odakyû, Keiô et Seibu, ne sont pas directement disponible sur leur site internet. N.b. : Tous les sites internet de cette note ont été consultés le 4 février 2011 3 Le trafic d’utilisateurs de la gare Chhatrapati Shivaji (ancienne gare Victoria) de Mumbai en Inde est de 6 millions d’usagers par jour, trafic qui serait lui-même inférieur à celui de la gare de Pékin (France inter, « Interception », 14 mars 2010 : à 12’50” http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/interception/index.php?id=89110 consulté le 4 février 2011). 4 Cf. Timeline (Annexe p.VIII) : également disponible sur la page http://shinjukuno.wordpress.com/timeline/
0. Introduction
0. Introduction
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0. Introduction
0. Introduction 8
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La gare de Shinjuku
image©Google Earth
Les quais de surface de la gare
imagecBaptiste François
0. Introduction
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Souterrains de la gare
imagecBaptiste François
Les bâtiments reliés par le souterrain de la gare
imagecBaptiste François
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Entretiens
Il est aisé de comprendre que par sa situation et sa configuration, la gare de Shinjuku draine un public assez varié dont nous nous permettons de faire une liste à la manière de Jorge Luis Borges5 : a/ marchant sans but b/ portant des vêtements à la mode c/ yakuza d/ écoutant la conversation du voisin e/ jeune f/ chikan g/ avec un sac à dos h/ inflexible i/ poussant une poussette j/ vivant là k/ ivre l/ et cætera m/ qui fait peur n/ qui travaille tard le soir... Si cette liste peut sembler une digression, tous ses items sont extraits des entretiens que nous avons menés — pour la plupart en japonais — en préparation du présent travail auprès de neuf personnes plus une entre le mois d’Avril et de juin 2010 à Tôkyô. Nous avons sélectionné ces personnes — excepté pour M. Miyagawa, toutes faisaient partie de notre réseau de connaissances principalement lié à l’université d’échange — afin d’avoir les témoignages de plusieurs générations d’utilisateurs de la gare de Shinjuku. Dans l’ordre décroissant des âges, voici leur présentation6 : - M. Awaya, 62 ans7, ingénieur électronique à la retraite, né dans la préfecture de Kanagawa « à une heure en train de Tôkyô, » marié et père de deux fils, vit dans la banlieue sud de Tôkyô. Lorsqu’il travaillait, M. Awaya utilisait tous les jours la gare de Shinjuku, où il effectuait un transfert le matin à 7h45 précise. Son retour chez lui était moins programmé. Il se rendait également à la gare de Shinjuku pour faire quelques achats. Deux entretiens d’une heure chacun le 30 avril et le 19 juin 2010 - M. Miyagawa, 49 ans, animateur de télévision et de radio à la NHK (télévision nationale) et compositeur, né à Tôkyô, marié et père d’une fille, il a longtemps vécu à Sangûbashi à deux stations au sud de la gare de Shinjuku. M. Miyagawa utilisait la gare de Shinjuku tous les jours lorsqu’il était étudiant. Depuis, il se rend régulièrement à Shinjuku, pour le travail au théâtre Komagekijô au nord de la gare, ou pour les loisirs pour y faire quelques achats. Deux entretiens d’une heure et demi chacun le 20 avril et le 15 juin 2010 - M. Yamanouchi, 42 ans, employé de bureau, a grandi à la campagne, marié sans enfant, utilise la gare de Shinjuku tous les jours de la semaine pour se rendre à son travail, mais il lui arrive de l’utiliser en fin de semaine pour se rendre à des matchs de football ou pour faire quelques achats. Trois entretiens d’une heure chacun le 19 avril, le 14 et le 24 juin 2010. - Mlle Kageyama, 37 ans, employée de bureau, née dans la préfecture de Chiba à l’est de Tôkyô, célibataire, vit à Asagaya à quelques stations à l’ouest de la gare de Shinjuku. Elle utilise la gare de Shinjuku depuis longtemps : le matin entre 8h et 8h30 ; le soir le plus tôt à 19h et le plus tard à minuit. En fin de semaine, elle y donne rendez-vous à des amis ou va y faire quelques achats.Trois entretiens d’une heure chacun le 21 avril le 26 mai et le 16 juin 2010. - M.Tsuchiya, 34 ans, employé de bureau, marié sans enfant, habite sur la ligne Nishi Seibu Shinjuku, né dans la préfecture d’Ibaraki. Il utilise la gare de Shinjuku tous les jours pour son travail, mais également lorsqu’il fait des soirées entre collègues. Il n’utilise généralement pas les lignes de la compagnie JR East Japan. Deux entretiens, le premier d’une heure et demi et le second d’une heure le 23 avril et le 28 mai 2010. - M. Hada, 32 ans, employé de bureau, marié père de deux enfants, né dans la préfecture
de Aichi dans les environs de Nagoya, vit à Setagaya, à une demi-heure en train au sudouest de la gare de Shinjuku. M. Hada est passionné par les trains, il va les voir passer sur la courbe de la ligne Chuô au nord de la gare. M. Hada est également passionné d’électronique, et se rend régulièrement dans les magasins dédiés du quartier de Shinjuku, il « peut passer beaucoup de temps dans la gare. » Deux entretiens d’une heure chacun le 20 avril et le 28 mai 2010. - Mlle Tchapi, 32 ans, doctorante à l’Université de Tôkyô, célibataire, née en France, vit à l’est de la gare de Shinjuku à Nakano-Shimbashi, sur la ligne de métro Marunouchi. Elle se déplace beaucoup en vélo et différencie la gare de Shinjuku par le moyen de transport qu’elle utilise. Elle utilise régulièrement la gare de Shinjuku pour y faire des achats ou pour des rendez-vous. Trois entretiens d’une heure chacun le 21 mai, le 5 et le 26 juin 2010. - M. Nakamura, 21 ans, étudiant de dernière année de licence en chimie, célibataire, Il a toujours vécu « à la campagne » et n’est venu à Tôkyô que pour ses études. Les jours de beau temps, il se déplace en bicyclette jusqu’à la gare de Shinjuku et prend la ligne Marunouchi pour se rendre à l’Université, sinon, il n’utilise la gare de Shinjuku qu’en fin de semaine pour y faire quelques achats. Trois entretiens d’une heure du 11 mai, 17 et 22 juin 2010. - Mlle Anki, 27 ans, en stage dans une agence internationale de design, Danoise de père Hongkongais, elle a vécu a Nerima avant de déménager à Nakano-Shimbashi. Elle utilise la gare principalement pour ses loisirs, pour regarder les gens ou pour y faire quelques achats. Un entretien d’une heure le 1 juin 2010. Avant d’entamer les entretiens, la seule information dont disposaient les personnes interviewées était celle du lieu concerné par l’étude : la gare de Shinjuku. Aucune mention de règle ou de règlement n’était faite. Le premier entretien se déroulait sans l’appui de document, nous mettions à disposition de la personne des feuilles blanches et un stylo bille sans obligation aucune de s’en servir. La première question était : « qu’est-ce que la gare de Shinjuku [shinjuku eki wa nan desuka] ? » Nous utilisions ensuite une série de thèmes selon les circonstances : les limites de la gare, les activités qui y sont faites, les lieux appréciés et dépréciés, les autres utilisateurs et enfin les règles. Le deuxième entretien commençait par des demandes d’approfondissements de certains points évoqués lors de la première rencontre, si cela n’avait pas été fait lors du premier entretien nous invitions ensuite la personne à dessiner un parcours à l’intérieur de la gare quel qu’en soit le mode de représentation — M. Nakamura est le seul a avoir décrit ce parcours par des phrases écrites. La durée de ces deux étapes était très variable suivant les personnes. Ces dernières étaient ensuite invitées à réagir sur des photographies de détails d’affiches ou panneaux représentant la règle, puis, sur des séries de photographies de différentes représentations d’une même règle. Nous présentons ensuite une animation faisant défiler des photographies de panneaux et d’affiches toutes prises dans la gare de Shinjuku dont le questionnement implicite était : « Quel est le sens de cette abondance ? » A la fin de cette animation8, nous énoncions aux personnes le thème de notre recherche. Le troisième entretien, s’il avait lieu, se basait entièrement sur les demandes d’approfondissements de certains points évoqués lors de la deuxième rencontre. Avant d’aborder l’analyse de ces entretiens, il nous reste à exposer les hypothèses que nous formulons a priori à partir de l’observation sur le terrain et quelques lectures.
5 Borges, 1986, « La langue analytique de John Wilkins » in « Enquêtes, suivi de Entretiens »,Paris, Gallimard, coll. Folio, pp. 138-143. 6 Une présentation plus complète est disponible en annexe 7 Les âges sont ceux de l’année des entretiens.
8 Les documents présentés lors des entretiens sont consultables sur la page internet suivante : http://shinjukuno. wordpress.com/entretiens/
0. Introduction
0. Introduction
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Hypothèses
Fig.0.a : L’attente sur le quai, alignés derrière les marques au sol représentant les portes du train
Pour se déplacer à l’intérieur de la gare de Shinjuku, tout est indiqué : où marcher, comment utiliser les escaliers roulants, comment attendre, où attendre (fig.0.a), quoi faire, ne pas faire, etc. Ces signes, devenus signes de la vie de tous les jours, semblent perçus comme « naturels » (Silbey, Cavicchi, 2005 : 557), de ce fait scrupuleusement respectés et loin d’être remis en cause, ne serait-ce que dans leur abondance. Ainsi, les usagers se soumettent-ils individuellement en pensant le règlement pour la masse ? Une affiche de la gare prévient les satyres [chikan], un manga représentant un employé de la gare nous pointant du doigt : “Vous gâchez votre vie” [anata no issyô dainashi ni] le tout écrit en jaune sur fond rouge éclatant (fig.0.b). Des campagnes de publicités expliquent, en présentant un personnage sortant des règles : « Si des gens vous aviez vus vous ne l’auriez pas jeté par terre, en bref vous souhaitez juste échapper à leur regard [hito ga mitetara sutenai wake de, tsumari kossori yatteta wake da]. » Quels sont ces Autres et qui leur donne autorité pour juger du comportement d’autrui ? L’initiative ou l’action individuelle est-elle culpabilisée sur ces affiches et campagnes de publicités ? Chaque lieu, chaque objet doit-il avoir une fonction propre, restrictive, définie par avance, que rien de doit entraver, et cela pour le bien de tous ? Les signes d’obligations et d’interdictions qui les accompagnent contraignent-il par la force de l’image et celle de l’homogénéisation naturelle des comportements de groupe enseignés dès le plus jeune âge au Japon (Tsuneyoshi in Alvarès, Satô, 2007 : 141) les usagers du lieu à en respecter les règles ? La pression consciente est-elle supplantée par la pression inconsciente qui résulte de cette première ? Voici quelques-unes des questions auxquelles nous tenterons si ce n’est d’apporter des réponses au moins d’en présenter quelques bribes.
0. Introduction
0. Introduction
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Ce travail est divisé en deux parties : la première concerne la description de la gare de Shinjuku telle qu’elle est vécue par les usagers que nous avons interviewés, dans laquelle nous tenterons d’expliciter les particularités qui émergent du lieu de l’étude lui-même. La seconde partie analysera la Règle [rûru]. Nous commencerons par définir les termes et leur influence sur l’espace de la gare de Shinjuku avant d’examiner trois points : la raison de la Règle, sa justification autant que sa construction ; la transmission de la Règle, les acteurs de leur transmission et le type d’influence qui leur est attribué ; les Autres et la Règle, définir les limites de la Règle par rapport à la relation qu’elle crée plus ou moins artificiellement entre les utilisateurs du lieu qu’elle régule.
Fig.0.b : « Faire le satyre est un crime : vous gâchez votre vie »
I La définition de la gare de Shinjuku [Shinjuku eki] n’est pas précise, le détail de quelques exemples de représentations contemporaines de celle-ci permet de s’en convaincre (fig.I.a). Les bâtiments qui la composent se développent sur différents niveaux et demi niveaux générant leur propre « topographie, et confond[ent] souvent les distinctions entre sous-sol, rez-de-chaussée, et étages supérieurs » (Traganou, 1999 : 172) en « un vaste continuum spatial en trois dimensions » (Aveline, 2004 : 123). Parler de ce qui se passe à l’intérieur de la gare de Shinjuku demande avant tout de définir ce qu’est cet intérieur. D’un point de vue d’architecte ou d’urbaniste pur, nous pouvons considérer les bâtiments de la gare, ses souterrains et les multiples schémas d’usages associés. Mais cela ne pourra produire qu’un aperçu, voir occultera complètement certaines pratiques qui articulent l’espace à l’usage qui en est fait. Nous trouverons des lieux physiques absents des pratiques, ou tout au moins des descriptions de celles-ci. La « season road [Shîzunrôdo] » par exemple — une voie piétonne souterraine reliant la gare de Nishi-Shinjuku à la mairie de la ville — à l’atmosphère atone, physiquement connectée à la gare, sera transcrite sur le papier mais restera absente des discours. Nous ne parlons pas ici d’un tout homogène, pas plus que d’une simple juxtaposition d’objets et de choses distinctes, mais nous nous efforcerons d’apporter une lecture du lieu par l’analyse des dix discours produits par les personnes interviewées dans de cadre de cette étude.
La gare de Shinjuku vue par ses usagers
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L’objet physique et l’objet fonctionnel
détacher — d’objets physiques ; ces derniers appartiennent à la gare ou à sa périphérie selon les pratiques. Aller d’un point à un autre nécessite de monter et descendre des escaliers, passer sur ou sous les voies, traverser des galeries, passer des portes, être sous terre ou au-dessus, contourner une zone d’accès payant, etc. Ce parcours est « difficile à expliquer [setsumei shitsurai]. » C’est particulièrement la traversée de la gare d’est en ouest — la direction des voies étant nord-sud — qui retient l’attention de M. Hada ou de Mlle Tchapi. En effet, la configuration du site oblige à la traversée de galeries commerçantes « labyrinthiques [meiro] » et de subir leur « pression commerciale »3. On peut aussi contourner le bâtiment principal par la route au sud ou encore traverser le « petit passage en dessous des petites baraques, (...) un peu austère » au nord (cf. carte ci-contre) dont M. Miyagawa donne une autre l’image : « si ce tunnel étroit [semai] (...) sombre [kurai], sale [kitanai] et puant [kusai] (...) n’existait pas, la gare de Shinjuku ne serait pas ce qu’elle est » (Miyagawa, 20 avril 2010)
Ce « tunnel » présente une alternative à la traversée par l’intérieur des bâtiments. Pourtant, de cette traversée ce n’est pas le parcours qui est décrit : c’est la manière de le comprendre pour le produire ; sa méthode de production. En effet, l’utilisateur de la gare doit d’abord « explorer, expérimenter suivre les gens et leur routine »* pour prendre ses propres repères. Chacun admet ensuite ses limites : connaître mieux la sortie Ouest que le reste, utiliser systématiquement — et quelle que soit la destination — la sortie Sud même si « les distances [kyori] sont rallongées, » ou encore ne pas connaître les accès des gares de métropolitain au sous-sol. Mlle Anki décrit ainsi après 7 mois passés à Tôkyô : « Je pense que je ne suis pas si familière de la gare de Shinjuku même si j’y suis allée de si nombreuses fois. (...) je ne connais pas (la gare de) Shinjuku en général » (Anki, 1 juin 2010)
Bien que ce type de définition ne soit apparu dans la plupart des entretiens que dans un second temps, la gare de Shinjuku est avant tout un cadre physique qu’il convient de donner en préalable à des notions plus abstraites. Ses limites, nous le verrons, sont loin d’être précises ou arrêtées1. Ici, l’objet fonctionnel et l’objet physique sont analysés en parallèle, pour se dégager de l’illusion d’une quelconque superposition forme / fonction sans réfuter le lien qui existe entre les deux. Mlle Kageyama résume le lieu en un mot : « immense [dekai]. » La particularité de la gare de Shinjuku est qu’elle est née d’une construction spontanée sans plan directeur (Pons, 1988)2 à l’image de la ville amibe décrite par Ashihara Yoshinobu (1989). Le bâtiment principal (loc.) — lui-même composé de plusieurs constructions appartenant chacune à une des 6 compagnies qui exploitent les lieux — s’étend sur une surface d’environ 6 hectares. La gare de Shinjuku peut-être considérée comme un « agrégat » (Sansot, 1984 : 10) — dont nous allons progressivement nous 1 Les limites relèvent souvent des « coutures » car elles « réunissent plutôt (qu’elles ne) séparent » un « élément dominant » — la gare — à son contexte (Lynch, 1999 : 72 et 124) 2 « Shinjuku n’a jamais en effet été l’objet d’un plan d’urbanisation au sens strict du terme : sa croissance fut organique plus que programmée. Certes, le quarter a bénéficié au départ, c’est-à-dire au début des années 1960, d’une volonté politique : développer dans la capitale des “centres secondaires” à cheval sur la ligne de train Yamanote qui ceinture les quartiers les plus densément peuplés. (...) Shinjuku s’est construit dans un enchaînement d’initiatives d’entrepreneurs du secteur privé et des autorités publiques. La ville souterraine par exemple comme l’ensemble des tours de la sortie Ouest de la gare sont nés ainsi : “Un peu comme une variation sur un thème en musique esquivant ainsi la rigidité abstraite du fonctionnalisme,” commente l’architecte Isozaki Arata. » (Pons, 1988 : 311-312) ;
La gare de Shinjuku n’est pas un lieu qui s’appréhende dans sa globalité : elle « s’attache [tsuku] aux corps [karada] » des usagers avec le temps et la pratique. Le chemin utilisé est choisi [kimerareru] : « comme c’est grand [ôki], ne pas choisir, c’est très ennuyeux [taihen]. » Celui-ci est ensuite expérimenté puis assimilé. Dans une ville où le système d’adresse faisait partie de la régulation sociale et générait des interactions obligées (Berque, 1982 : 124 ; Bel, 1980 : 356), la représentation abstraite de la gare de Shinjuku — remplaçant les interactions directes, dans un quartier qui n’est pas résidentiel — est dominante sur la ville elle-même. Il est bien sûr possible de se déplacer « clairement [kiyoi] » en « regardant attentivement [chûi shite mite] » les panneaux et les cartes de secteurs [annai chizu] sans nécessairement comprendre le chemin parcouru. Mais cette méthode, quasiment absente des discours, ne semble pas majoritairement utilisée. Se déplacer, quand le parcours n’est pas encore connu, c’est rechercher sur internet, généralement sur terminal mobile, ou utiliser le plan dessiné par une connaissance ou sur n’importe quel prospectus pour se repérer (Barthes, 1970 : 48-49). Sur ces cartes sont représentés, sont symbolisés les lieux. Cette symbolisation amène à des conventions4 — toponymique ou graphique — qui se transmettent et se défor3 Le taminâru depâto [de l’anglais departement store, grand magasin des terminaux ferroviaires dont la gare de Shinjuku fait partie] est « conçu pour articuler les différentes lignes entre elles. » Natacha Aveline décrit ensuite les différents types de lieux commerciaux présent dans les gares : les taminâru depâto , les sutôa et sûpâmâketto [supermarchés], les grandes surfaces de vente spécialisées (bricolage, Mujirushi Ryôhin appelé Muji, prêt-à-porter, etc.), les combini [de l’anglais convenient stores], les boutiques de gare (ligrairies, boulangeries, cafés, fleuristes, etc.) et les galeries commerciales. (Aveline, 2004 : 120 et 125-133) 4 Belting explicite la théorie des signes en la rapportant aux images « en reconnaissant que les signes ressortissent
I. La gare de Shinjuku vue par ses usagers
Passage piéton souterrain
I. La Gare de Shinjuku vue par ses usagers
Fig.I.a : Trois types de représentation en plan de la gare
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ment. Mlle Tchapi décrit :
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de la ville ; en cela elle répond à la description de Philippe Pons (1988 : 316-317) où la gare de Shinjuku et ses alentours sont décrit comme constitués en trois cercles concentriques : au centre, la gare5 à proprement parler est un univers diurne généralement dédié aux femmes avec ses grands magasins. Un deuxième cercle correspond à l’univers nocturne de lieux pour boire [nomiya ou izakaya] et de plaisir [kabukichô] et un troisième cercle comprend les hôtels et love-hôtels. La description qu’offre M. Awaya correspond bien à celle des deux premiers cercles centrés sur la fonction « gare. » C’est ce même premier cercle que décrit M. Miyagawa de manière claire pour qui ne connaît pas les lieux :
Ce sont ces « prises » (Berque, 2000 : 101) à partir desquelles l’usager régulier crée le maillage menant à sa compréhension du lieu. Par leur simple évocation, les plus reconnues d’entre elles induisent une définition : il n’est pas nécessaire en effet de préciser ce qu’est « Takashimaya » ou « Marui » pour l’usager courant de la gare, de même que pour n’importe quel usager d’autres centres commerciaux du même nom. En revanche, pour qui ne connaît pas les lieux ou ces enseignes, le discours devient abscons et se transforme vite en suite de noms propres vides de sens. Ainsi, M. Awaya définit les limites de la gare : « Il y a Komagekijyo qui marque la limite du côté nord de la gare de Shinjuku, en continuant on atteindrait Ôkubo. (...) Il y a aussi Mitsukoshi (...) Isetan (...) Tôkyôchô, Takashimaten » (Awaya, 30 avril 2010)
Le nom, seul, donne à la fois l’image de l’objet physique, sa fonction et parfois même sa position géographique plus ou moins précise : tout le monde sait que Komagekijyo est un grand théâtre au nord de la gare, Ôkubo la gare suivante en remontant vers le Nord sur la ligne circulaire Yamanote, Tôkyôchô la mairie de la ville à l’ouest de la gare ou encore Mitsukoshi, Isetan et Takashimaten — Takashimaya — trois des gigantesques grands magasins d’une dizaine de niveaux [depâto] généralement associés à une ou plusieurs sorties de la gare. Nous voyons apparaître ici certains codes de transmission de l’information spatiale qui se sont créés par la pratique et sont communs aux différents usagers. Edward T. Hall précise les codes comme nécessaires à la communication : « S’il n’en était pas ainsi (l’homme) ne pourrait ni parler, ni agir ; ces activités exigeraient trop de temps. (...) Une grande partie de ce qui n’est pas dit est admis implicitement. Mais la teneur du message implicite varie selon les cultures » (1971 : 131). Dans le cas précis de la gare de Shinjuku et des discours qui la décrivent, celle-ci varie également, à un niveau inférieur, selon les pratiques et les expériences du lieu. Pour la plupart des entretiens, les codes spatiaux utilisés correspondent soit à des bâtiments, soit à l’espace public qui fait face à ces bâtiments — mais qui reste défini dans le discours ou le dessin par le bâtiment lui-même. Ceux-ci, par leur position, délimitent la gare de Shinjuku, mais cette limite est lâche : Il n’y a pas de précision quant aux niveaux ; certaines rues du périmètre appartiennent à la gare de la même manière que les passages souterrains directement reliés aux portes automatiques d’accès aux quais. En s’attachant, dans les paragraphes suivants, à l’objet fonctionnel, nous affinerons cette analyse et montrerons ainsi comment s’articule le couple forme / fonction que nous avons souhaité différencier.
Forme / Fonctions ; jonctions et disjonctions
La gare est un lieu de correspondance [norikae] pour les employés de bureau [sararîman], un lieu d’amusement [asobibasho] pour les étudiants [gakusei] qui viennent se divertir ou boire [nomini kuru] ou encore d’emplettes [kaini kuru] pour les femmes au foyer [shufu]. C’est une partie aux systèmes sociaux et qu’ils reposent sur des conventions » (2004 (2001) : 22) ; « Toute symbolisation suppose des conventions. » (Berque, 1982 : 75) ; « Les signes réputés “artificiels” (...) sont (...) utilisés par des êtres humains pour communiquer avec d’autres êtres humains, sur la base de conventions. » (Eco, 1988 : 23)
« Grand magasin [depâto] plus gare [eki] plus grand magasin… et après, gare des bus » (Miyagawa, 20 avril 2010)
Gare de la JR East Japan
I. La Gare de Shinjuku vue par ses usagers
« Je vais planifier mon parcours, (...) trouver les moyens stratégiques et les points de repère pour trouver directement là où je veux aller, (...) je vais penser mon chemin » (Tchapi, 21 mai 2010)
La fonction « gare » en plus de celles de « centre commercial » et « gare des bus » est considérée comme partie intégrante de la définition globale de la gare Shinjuku. Cette particularité est commune à tous les entretiens : la gare de Shinjuku inclut la fonction « gare » qui n’est qu’une fonction parmi d’autres. Elle acquiert plus ou moins d’importance dans les discours en fonction des pratiques mais n’apparaît pas nécessairement comme principale. C’est un lieu « commode [benri] »6 pour les nombreuses lignes de train et de métro qu’il met en correspondance, mais également du fait qu’il est l’accès vers divers lieux de consommation, d’achat ou d’amusement. La seule exception à cette description de pluralité de fonctions aurait pu être M. Yamanouchi, qui décrit la gare de Shinjuku comme l’ensemble des 16 quais et les circulations qui y mènent géré par la JR East Japan [JR Higashi Nihon] dans ces termes (cf. carte ci-contre) : « C’est ce qui est compris à l’intérieur des portes automatiques d’accès aux quais [kaisatsu] (...) et dehors aussi, un peu encore [sukoshi kurai] » (Yamanouchi, 19 avril 2010)
La gare a donc pour fonction celle d’une gare dans son sens moderne de 1835 : embarquement et débarquement des voyageurs et des marchandises (Le nouveau petit Robert, 2008). A cela vient s’ajouter la nuance « et dehors aussi, un peu encore, » plus tard précisée en « 5 mètres environ. » Cette précision déplace la fonction simple de « gare » en ajoutant celle de « lieu de rendez-vous. » Pour se donner rendez-vous aux sorties de la gare, « on choisit la sortie la plus proche en fonction des objectifs [mokuteki] » ; ou sur les quais, « au plus proche de l’extrémité du quai direction 5 Philippe Pons place au centre, non pas la gare, mais le magasin de livre aux allures de supermarché nommé Kinokunya qui lui est adjacent. 6 A ce sujet, lire Bel, 1980 : 188-190
I. La gare de Shinjuku vue par ses usagers
Fig.I.b : Parcours de M. Yamanouchi représenté par celui-ci en plan
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— soit, on y passe et donc, on s’y arrête : « Même si tu ne t’arrêtes pas là, tu dois passer par la gare de Shinjuku (...) Je dois passer par cette station (...) tu peux t’arrêter là pour faire quelques extras. » La gare de Shinjuku est détachée d’elle-même ; sa fonction principale est de « faire du shopping, » tandis que « déambuler », « regarder les gens », « passer le temps » entre autres, sont ses fonctions secondaires. Être dans la gare de Shinjuku c’est y effectuer une de ces fonctions secondaires au minimum. La fonction « gare » est renvoyée en dehors de ce cadre.
Tokyo par exemple. » Cette nouvelle fonction est intégrée entièrement à l’objet gare de Shinjuku : à l’intérieur des portes, comme devant celles-ci, à l’extérieur. La limite pourtant claire des portes automatiques est rendue flottante par une approximation volontaire permettant d’élargir le nombre de fonctions. Comme si la fonction de « gare » à elle seule ne suffisait pas, que la fonction « lieu de rendez-vous » dépendait de l’existence de cette limite flottante pour exister. Cette approximation apparente permet en réalité de préciser l’existence de cette deuxième fonction : tout lieu de rendezvous est à l’intérieur de la gare de Shinjuku. Nous reviendrons plus tard sur leur description. Une troisième fonction est ajoutée lorsque M. Yamanouchi précise faire quelques achats en attendant son train dans les magasins de gâteaux [kêkiyasan] spécifiquement situés à l’intérieur de l’espace de transport des gares ou autres convenient stores [kombini] 7. Cet ensemble de trois fonctions — « gare » comme fonction centrale, « lieu de rendez-vous » et « achat occasionnel » — est l’ensemble fonctionnel le plus restreint décrit par les personnes interviewées. L’objet physique qui s’y attache l’est également, seule une partie du sous-sol est décrite : les quais de la compagnie JR East Japan et leurs accès. Cela transforme pour M. Yamanouchi la gare en un objet horizontal décrit par le dessin (fig.I.b). A l’inverse, Mlle Anki considère le lieu comme vertical (fig.I.c) : une suite de niveaux dont « chacun est connu »* ; le niveau bas — le sous-sol — étant celui d’arrivée ou de départ et correspond aux quais. Elle ne décrit de la station que les bâtiments situés au-dessus : « Ce qu’est pour moi la gare de Shinjuku ? C’est un centre commercial. (...) Après avoir pris connaissance des lieux, après y avoir déambulé (...) j’ai réalisé que c’était le centre principal parfait (...) le cœur de Shinjuku. (...) La limite est la route, à partir du moment où tu la traverses, il y a des routes dans différentes directions qui mènent à la gare (...) Il y a beaucoup de centres commerciaux dans la station, au-dessus. (...) Le sous-sol n’existe pas pour moi. » (Anki, 1 juin 2010)
La fonction même de « gare » est quasiment absente du discours : la gare a « dépassé (son) simple caractère de transit et (est) devenu(e un) lieu de destination » (Traganou, 1999 : 171) Les centres commerciaux situés « au-dessus » de la gare sont la gare. Soit, on vient à Shinjuku — « des routes (...) qui mènent à la gare, » « je n’ai aucune raison de venir, mais je veux toujours y aller » 7 Pratique que l’on retrouve dans toutes les interviews ; l’équivalent pour une gare moyenne est décrit par Jean Bel comme étant les achats dans la rue commerçante qui mène à la gare (1980 : 369).
Lieu de rendez-vous
Nous venons de le voir, à chacune des visions individuelles de la gare correspond un socle commun de codes spatiaux et fonctionnels, et une approche personnelle qui les transforme, les individualise. Parler de la gare de Shinjuku, c’est parler d’une partie plus ou moins importante de pratiques individuelles. L’espace construit ne change pas, il s’offre tout entier et de la même manière à chaque utilisateur de la gare pour se transformer immédiatement en des pratiques. Cellesci créent la perception de l’espace construit et non l’inverse. Pour paraphraser Philippe Pons : « l’espace vécu l’emporte sur l’espace conçu » (1988 : 320)8. Mais si, dans la majorité des cas, la définition fonctionnelle et physique du lieu diffère, il en est une pour laquelle nous pouvons créer des liens. En effet, la fonction « lieu de rendez-vous » est donnée dans tous les entretiens. Elle peut être différenciée en trois catégories : la première est celle des rendez-vous sur les quais, dont parle M. Yamanouchi. Elle s’appuie sur deux critères pour qualifier le lieu du rendez-vous : le nom de la ligne de train ou de métro et une des deux directions de celle-ci. Les quais ayant une longueur pouvant varier de 75 à 200 mètres, la direction désignée n’est pas tant pour désigner le quai — généralement compris tacitement par l’objectif du rendez-vous — que pour désigner l’extrémité du quai qui servira de lieu de rencontre. Ainsi, nous trouvons des personnes qui patientent en général aux extrémités des quais. La ponctualité des trains de la capitale n’étant plus à démontrer, les rendez-vous sont généralement pris à une heure précise, souvent respectée. Si les noms des lignes désignés sont fixés, les directions ne le sont pas forcément, leur particularité étant qu’elles ne s’appuient sur aucun objet concret — tel qu’un bâtiment ou une place — mais sur des « écritures exposées » (Petrucci, 1993 apud. Denis, Pontille, 2010) que sont les panneaux d’information. Toute gare se situant en amont ou en aval sur la ligne peut être choisie pour qualifier la direction ; si celle-ci n’est pas une gare principale, elle n’est pas inscrite sur les panneaux de direction et ne correspondra à rien d’immédiatement intelligible, mettant potentiellement en jeu la connaissance de la position de la gare dans son contexte urbain. Cette première catégorie de la fonction « lieux de rendez-vous » intervient au croisement entre l’espace des quais, sa sémiotique et une éventuelle contextualisation urbaine. La deuxième catégorie, dominante, est caractérisée par la proximité des portes automatiques et la désignation d’un point de repère extérieur. Mlle Kageyama décrit cette articulation : « Pour le lieu de rendez-vous avec des amis, pour comprendre facilement, sortie sud, sortie est (...), à l’extérieur des portes automatiques, (...) devant le marchand de fleurs [Ohanayasan], ou devant le bâtiment de Tower record [Tawârekôdo] : on désigne (shitei) un magasin » (Kageyama, 21 avril 2010)
8 Philippe Pons reformulait ici un énoncé d’Augustin Berque (1982 : 121) ; les concepts mêmes « d’espace vécu » et « d’espace conçu » — ainsi que « l’espace perçu » — sont empruntés par ce dernier à Henri Lefebvre.
I. La gare de Shinjuku vue par ses usagers
I. La Gare de Shinjuku vue par ses usagers
Fig.I.c : Parcours de Mlle Anki représenté par celle-ci en coupe
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réduit, domine dans la désignation du lieu, cela sans référence aucune à un contexte. La troisième et dernière catégorie situe les lieux de rendez-vous à proximité des sorties de la gare en se rattachant à un objet construit désigné ; en cela, elle peut s’apparenter à la précédente. La différence fondamentale réside dans le fait que l’on passe d’un intérieur construit à un extérieur, ce qui représente un nouveau changement de repère. M. Nakamura décrit ce changement en d’autres termes : « En terme d’espace [kûkantekini] c’est étroit [semai], le plafond est bas [hikui]. (...) Ma perception [inshô] de la gare c’est le toit [yane] bas : parler de la gare c’est parler d’un lieu bas [hikui tokoro]. (...) C’est au moment où je sors à l’extérieur [soto ni dechauto] que finalement je suis sorti de la gare : ce n’est pas tant sortir des portes automatiques que de sortir à l’extérieur » (Nakamura, 11 mai 2010)
Le lieu de rendez-vous est défini par le nom de l’objet construit désigné et une direction qui correspond à la sortie. Mlle Tchapi précise ses lieux habituels de rendez-vous : « Je reste dans la partie ouest. Mais je peux donner rendez-vous UniQro (...) Je peux utiliser parfois la sortie Est (...) je me tape tout le petit passage sous les rails pour pouvoir donner rendez-vous à Alta. (...) Pour voir quelqu’un, on s’est donné rendez-vous au Koban » (Tchapi, 21 mai 2010)
La porte est qualifiée par son numéro ou sa position géographique tandis qu’un magasin à l’extérieur est nommé. Pour atteindre ce lieu, les panneaux « jaunes » de direction de la gare indiquent les portes, leur nom, leur numéro et les grands magasins à proximité pour les panneaux les plus complets. S’il est correctement indiqué lors du rendez-vous, la seule connaissance du nom de la porte automatique permet de rejoindre le lieu et de le confirmer par la présence du bâtiment ou du magasin adjacent. Nous voyons se dessiner clairement la limite marquée par les portes automatiques qui définit un intérieur et un extérieur. A l’intérieur, l’utilisateur-consommateur (Aveline in Bouissou (dir.), 2007 : 330) pratique un lieu fermé physiquement par les portes ; sortir de cette zone offre un, si ce n’est plusieurs degrés de liberté supplémentaire — l’extérieur est une zone ouverte dont on pourra définir des limites à différentes échelles : le bâtiment, la rue, le quartier, l’arrondissement, la ville, etc. Ceci demande la spécification d’un deuxième point reconnaissable. La porte seule n’est pas suffisante : « il peut y avoir plusieurs portes » précise M. Tsuchiya. Sortir de « l’intérieur » demande une nouvelle prise de repère ; ainsi Mlle Anki raconte sa première sortie des portes automatiques : « Après avoir passé les portes, je pense que je me suis simplement assise là pendant 5 minutes (...) « Oh mon dieu, où suis-je ?. » A cause de l’impact de tous ces gens (...) ; je suis restée là pendant 5-10 minutes, je ne sais pas. (...) Je ne savais simplement pas où aller : comme gauche, droite, gauche » (Anki, 1 juin 2010)
Les « gens », probablement aussi nombreux à l’intérieur qu’à l’extérieur de la limite des portes automatiques, déstabilisent l’arrivée dans cette zone ouverte. Imaginons la même situation avec une donnée supplémentaire en possession de Mlle Anki pour son arrivée : un nom de bâtiment, de magasin ou de lieu aisément reconnaissable visuellement dès la sortie. L’expérience aurait probablement été tout autre. Les simples portes automatiques ne définissent qu’une limite que l’on traverse mais pas un lieu ; c’est le magasin préalablement « désigné » qui jouera ce rôle. Pour cette catégorie de lieu de rendez-vous, le contexte physique, même s’il se restreint à un objet construit
Ainsi chaque sortie possède son lieu de référence9 : l’enseigne Uniqlo de la sortie Ouest pour Mlle Tchapi,, l’enseigne Gap de la sortie Sud pour M. Yamanouchi et le bâtiment Tower records [Tawâ rekôdo] pour Mlle Kageyama, le centre commercial Takashimaya de la nouvelle sortie Sud [shin minami guchi] pour M. Hada, les centres commerciaux Isetan ou Marui de la sortie Shinjuku 3ème secteur [Shinjuku san chôme] pour M. Awaya ou encore Le Kôban [poste de police] et le bâtiment des studios Alta de la sortie Est. Nous voyons apparaître dans la définition des lieux de rendezvous des invariants, le plus évident étant le cas du bâtiment des studios Alta10. Cela fait apparaître l’influence des enseignes de la ville pour sa compréhension — ce que déplore Mlle Tchapi : « On se repère uniquement avec (les grandes enseignes) : c’est bien, hein ! ». Le mode de repérage peut en certains point s’apparenter à celui mis en jeu à l’intérieur des centres commerciaux. Ce sont ces points de référence qui permettent de décrire la gare de Shinjuku et ses éventuelles limites dans les discours et dans les dessins (fig.I.d). Ces trois catégories de lieu de rendez-vous ont la particularité de faire apparaître la vision de ce qu’est la gare de Shinjuku pour les personnes qui la décrivent. Donner rendez-vous, la fonction « lieu de rendez-vous » signifie se déplacer jusqu’à un point que l’on a défini avec une ou plusieurs autres personnes comme délimité, reconnaissable et praticable. Cela met donc en jeu les connaissances du lieu et fait interagir celles-ci directement avec l’objet physique construit. Paradoxalement, c’est dans le contexte le plus fermé — à l’intérieur de la limite des portes automatiques, sur les quais — que la référence est la plus large et la plus abstraitement représentée par une direction vers le reste de la ville. Cette dernière intervient pour la troisième catégorie de façon directe : nous sommes dans la ville. Et c’est pour la deuxième catégorie que les références sont les plus réduites et détachées de leur contexte : le passage d’une limite accompagné d’un point de référence. Ainsi nous pouvons dire que c’est là où certains penseront sortir de la gare — les portes automatiques — que nous nous trouvons dans le rapport le plus direct avec l’objet physique de la gare à proprement parler. 9 « Les principaux lieux de rendez-vous entre amis à Tôkyô ne sont pas des cafés célèbres, mais des “objets” facile à identifier, situés à la sortie des gares. » (Aveline, 2004 : 116 note 73) 10 « Les deux lieux de rendez-vous les plus connus de Tôkyô sont le grand écran de l’Alta, à la sortie est de la gare de Shinjuku, et la statue du chien Hachiko, devant celle de Shibuya. » (Aveline in Bouissou (dir.), 2007 : 330) Le studio Alta apparaît dans les guides touristiques comme « lieu à voir » et la volonté de ses commanditaires d’influencer sur le quartier dès sa construction est décrite par J-L. Capron (in Berque, 1994 : 295-308). On comprendra aussi la fascination qu’il représente au début des années 1980 dans le film “Sans soleil” de Chris Marker (1982).
I. La gare de Shinjuku vue par ses usagers
I. La Gare de Shinjuku vue par ses usagers
Fig.I.d : La gare de Shinjuku vue par M. Nakamura ; les points de référence structurent la trame des voies
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La gare, c’est les Autres
« Il y a beaucoup de gens [hito ga ôi]. » (Yamanouchi, 19 avril 2010) « C’est plein de gens [hito ga tsumaru], il y en a vraiment beaucoup. » (Nakamura, 11 mai 2010) « Il y a un monde incroyable [sugoku hito ga ôi]. » (Kageyama, 21 avril 2010) « Je pense : “Il y a beaucoup de gens, il y a beaucoup de gens.” » (Hada, 20 avril 2010) « Toutes les classes, toutes les catégories (...) ce n’est pas une petite chose : tout le monde doit venir ici. » (Anki, 1 juin 2010)
Parler de la gare de Shinjuku, ce n’est pas immédiatement parler de « l’objet conçu, » c’est d’abord parler des Autres11. La première minute de chaque entretien en témoigne. Les jeunes représentent la classe la plus représentée : selon M. Miyagawa la moitié seraient des « Heisei » — personnes nées pendant la période qui débute en 1989, correspondant au début du règne de l’empereur actuel. Tous les discours concordent en ce point : les personnes agées [toshiyori] et les enfants ne fréquentent que peu les lieux. Mais on peut y trouver « le Yakuza, la prostituée, le salaryman (...) l’hôtesse (...) des homeless, des étudiants. » Mlle Tchapi fait ici ressortir deux typologies de personnes : la typologie définie, caractérisée par l’article défini singulier — le, la — et la typologie 11 « Il suffit d’aller flâner dans les quartiers de Shinjuku ou de Shibuya à Tôkyô — le Saint-Michel ou les Halles Tokyoïtes — (...) : le promeneur, aussi attaché soit-il à son identité et à sa personnalité (l’individu existe, même au Japon), se trouve happé par la foule, la formidable foule propre à l’Asie, où ne subsiste plus rien, une fois en son sein, que les plaisirs (et l’illusion) d’un bain de semblables. » (Yatabe, Suzuki, Yamamoto, 1992 : 99)
Quartier Shin Toshin
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générale, caractérisée par l’article indéfini pluriel : des. On est un « homeless » ou un « étudiant » parmi d’autres comme on pourrait l’être à n’importe quel endroit de la ville. Tandis que la mafia japonaise, la prostitution, les emplois de bureau ou les bars à hôtesse créent des personnes identifiées au lieu même de la gare de Shinjuku12. Cette distinction nous semble assez caractéristique de l’image du lieu pour être soulignée : Les alentours de la gare de Shinjuku sont célèbres pour le quartier de plaisirs Kabukichô (cf. carte ci-contre) — bar à hôtesse, prostitution, sex-shop — contrôlé en partie et ce depuis la fin de la seconde guerre mondiale par la mafia japonaise (P. Pons, 1988 : 334-335). Le salaryman, quant à lui, est une figure emblématique et omniprésente du paysage de la ville nippone, décrit comme tel par les Japonais eux-mêmes (JTB, 1996), et dont l’image peut être définie comme appartenant au quartier d’affaire de Shinjuku [shin toshin] (cf. carte ci-contre) donc à sa gare. Celle-ci est un lieu de brassage, tout le monde y a la même place. Chacun peut voir en l’Autre une certaine représentation de soi, un fantasme ou un danger [kowai mono] qui disparaît aussitôt pour faire place à une nouvelle image. Une personne n’est qu’une partie d’un ensemble qui s’homogénéise par le nombre — les gens — mais peut se différencier au travers de sa propre vision : (...) La jolie femme, l’homme énervé, (...) les gens viennent de derrière, ils viennent d’ici, de là, à ce moment on se voit, quand ils arrivent de directions opposées : c’est ce que j’appelle la multivision* (...) Nous, les Japonais, aimons bien cette maxime : « un instant une rencontre [ichi go ichi e] », ou encore « Si les manches [sode] se rencontrent [au], c’est signe d’un lien [en] dans une autre vie [tajô] » : c’est la communication [komyunikêshon] des manches » (Miyagawa, 20 avril 2010)
L’idée, décrite par le « lien [en], » est celle de la simultanéité d’une relation qui ne prend pas parti 12 A ce sujet, voir le travail du photographe Coréen Gwon Chol (Photgazet, n°0 : 33)
I. La gare de Shinjuku vue par ses usagers
Quartier Kabukichô
I. La Gare de Shinjuku vue par ses usagers
Fig.I.e : La figure du Salaryman dans la foule
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Ce lieu surchargé et toujours en mouvement ne correspond pas nécessairement à toutes les zones à l’intérieur de la gare de Shinjuku décrites physiquement par certains. Dans la plupart des cas, la précision apportée par les lieux appréciés et dépréciés de la personne permet de faire émerger des distinctions. Celles-ci peuvent être porteuses de discriminations ponctuelles : un lieu, du fait qu’il ne correspond plus à l’image présentée, n’appartient plus à la gare de Shinjuku. Ainsi, « le petit café » situé entre l’enseigne Lumine — appartenant à JR east Japan — et le bâtiment de la compagnie Keiô, dans une zone qui « pourtant (...) appartient complètement à la station » n’est pas considéré comme relevant de la gare car « le flux est différent, il y a moins de monde, c’est plus reposant. » M. Tsuchiya « déteste [kirai] » le passage souterrain principal [chûô chika dôro] (cf. carte ci-dessus) , à l’intérieur même des portes automatiques de la JR east Japan, et l’isole : « la rue principale* n’est pas la gare [eki no koto]. (...) c’est un lieu qui s’en détache [hazureru tokoro] (...) Il y a beaucoup de jeunes qui marchent doucement en groupe d’environ cinq, formant des obstacles [shishô] (...) Je ne suis pas à l’aise [nigate] dans les endroits où il y a trop de monde » (Tsuchiya, 23 avril 2010)
Pour M. Yamanouchi ou M. Nakamura au contraire, quel que soit l’endroit, la gare de Shinjuku est définie par l’absence de lieu apprécié ou appréciable dû à l’omniprésence des Autres : « Même dans les magasins, ce n’est pas reposant [ochitsukanai] car c’est criblé de monde [hito darake] ». Jusqu’à présent, nous avons pris soin de ne pas utiliser les mots « foule, » « masse » ou « flux » 13 « Il est caractéristique de la vie urbaine que nos contacts physiques sont étroits, mais que nos contacts sociaux sont distants. Le monde urbain privilégie la reconnaissance visuelle. Nous voyons l’uniforme qui signale le rôle des fonctionnaires et nous oublions l’originalité personnelle qui se dissimule derrière l’uniforme. » (Wirth in Grafmeyer, 2004 : 270)
Fig.I.f : Les portes automatiques génèrent un ordre qui disparaît immédiatement la porte passée
photocAaron Webb_flickr
mais le mot « Autre, » au singulier ou au pluriel, pour désigner une altérité qui n’est pas globale. Le but étant de définir progressivement ce que sont ces « Autres » et à quoi peut correspondre leur ensemble ou leurs associations si ils existent.
I. La gare de Shinjuku vue par ses usagers
« J’aime bien regarder les gens (...) Je recule d’un pas (...) je m’assois, je regarde (...) : un homme, une grand-mère, une jolie fille, (...) les vêtements, la mode. (...) Voir tous ces gens qui se croisent dans le même espace, c’est intéressant [omoshiroi] » (23 avril 2010)
29 Sourerrain principal de la JR
I. La Gare de Shinjuku vue par ses usagers 28
(Berque, 1982 : 67). Des personnes sont identifiées : « la jolie femme, l’homme énervé. » L’ensemble est anonyme mais chacun y fait émerger des personnages : en cela elle n’est pas seulement un tout, c’est un ensemble que chacun manipule. L’Autre n’est pas uniquement perçu par la vue mais aussi par le toucher, l’effleurement ou encore son humeur qu’il laisse à voir. Au contraire, M. Hada décrit les « Autres » Japonais — plus précisément, les groupes de travailleurs Japonais — comme tous identifiables mutuellement. « Il y a des étrangers [gaikokujin], les Japonais qui travaillent ensemble [nihonjinmo isshoni hataraitete], et les jolies filles [kireina onêsan] » nous dit-il suite à ses observations régulières qu’il effectue en buvant « tranquillement [nonbiri suru] » un café avant de rentrer chez lui. Cette identification des « Japonais qui travaillent » est simplifiée par la généralisation du costume qui uniformise et anonymise l’individu, en majorité des hommes, dans sa fonction : travailler. En effet, parler de salaryman dans un lieu comme la gare de Shinjuku revient avant tout à parler de quelqu’un qui porte un costume et une cravate (fig.I.e)13. Les gens ne sont pas différenciés en eux-mêmes mais par leurs « comportements ou leurs attributs physiques » (Ridgeway, 2001 : 326) en s’appuyant sur des statuts et des groupes déterminés. De la même manière que des codes de communication spatiale sont portés par le discours ou le dessin, des codes de communication de l’altérité sont portés par sa désignation dans le discours. Regarder cette altérité est parfois un jeu, en particulier pour M. Tsuchiya qui le décrit :
Ordre et désordre
Les descriptions de l’activité humaine de la gare de Shinjuku se divisent en deux types qui souvent cohabitent : celle de l’ordre et celle du désordre. L’ordre dans le nombre voit la somme des entités s’apparenter à un tout. Les « gens, » dans ce lieu de mobilité, se déplacent, chacun avec son objectif en tête. L’ordre peut apparaître de cette somme de déplacements lorsque les buts sont similaires ou lorsque les trajets vers différents buts se superposent au moins en partie. Cela tout en dépendant des points d’entrée et de sortie des parcours. La comparaison de M. Miyagawa est éclairante sur ce point : « La gare de Shinjuku, selon moi, est composée de vaisseaux sanguins [kekkan]. (C’est) le cœur [shinsô] peut-être. (...) En marchant, par exemple entre les bâtiments de Odakyû et ceux de la JR, je suis un parmi les autres dans l’écoulement [nagare] du sang [ketsueki] (...) Une personne est emportée [nomarete] dans la rivière [kawa] » (Miyagawa, 20 avril 2010)
L’idée « d’écoulement » est reprise entre autres par Mlle Anki « like water, » « flow », M. Nakamura [kawa nagare] et M Yamanouchi [hito no nagare] : nous verrons l’importance que prend cette expression pour les règles et en particulier leur compréhension. Une entité — un individu — n’est qu’une partie d’un ensemble qui n’est plus la somme de ses entités mais correspond à quelque chose de différent. Nous évitons le terme « flux » trop souvent simplifié en de grosses flèches parées de chiffres et parlons avec parcimonie « d’ensemble » que nous qualifierons quand nécessaire. Ce terme — signifiant « les uns avec les autres » (Le nouveau petit Robert, 2008) — s’oppose à l’individu indépendant. Ce dernier ne co-agit pas et peut donc être générateur de désordre. Le désordre est l’absence d’ordre : le « Chaos [kaosu ou konton] » dont parle M. Tsuchiya ou la « bousculade
Fig.I.g : Les deux direction du flot de personnes du matin
« Entre le quai 15/16 et 14 (de la JR east Japan), il est mal organisé parce qu’il y a pas assez de place et que ça bloque le flux » (Tchapi, 21 mai 2010)
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Le terme « bloqué, » utilisé dans le sens de perturbé, fait apparaître cette idée de coexistence. Il y a génération de désordre, de turbulences dans un espace donné. L’agitation créée par la perturbation modifie la perception de l’ensemble en son tout lorsque cette perturbation est absente : il y a coexistence entre le « flux » et le blocage. Celle-ci peut-être spatiale, nous venons de le voir, autant que temporelle. Si la première est aisément compréhensible, la deuxième demande une définition qui sera l’objet des paragraphes suivants.
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Le temps du lieu
Nous définirons 3 temporalités à l’intérieur de la gare de Shinjuku : le matin, le soir et la nuit15. Mlle Kageyama attache beaucoup d’importance à la différence entre le matin et le soir. Elle décrit l’agitation matinale : « Le matin, tout le monde va dans la même direction [minna onaji hôkô] : Gaaaaaaa. (...) Beaucoup de gens ont déjà choisi [kimattemasu] leur direction et y vont directement [massugu]. (...) Chacun est contraint de se dépêcher pour aller à son travail (...) le trajet prend précisément [pittari] une heure, autant que possible, on ne perd pas de temps [jikan wo issanai] (...) on ne peut réussir qu’en marchant rapidement, en s’ajustant au temps [pittari arukanaito] : tout le monde est pareil [minna issho] je pense (...) le temps est court [mijikai] (...) Le travail commence exactement [pittari] à 9 h, on est obligé de se presser » (Kageyama, 21 avril 2010)
Chaque personne se déplace avec « dextérité [minna jôzu] » et l’objectif de chacun est identifiable comme étant son travail. De la même manière qu’il est décrit par la majorité des victimes de l’attaque au gaz sarin dans le métro en 1995 (Murakami, 1997), le matin, l’Autre ne représente aucun attrait particulier, ou dans certains cas, une éventuelle perte de temps. Chacun joue sa course contre la montre avec le même objectif et perçoit les Autres, l’ensemble, comme étant dans une situation identique. M. Awaya « n’utilisai[t] que le chemin (qu’il) avai[t] choisi » : « c’était tous les
14 Dans le film de « Sans soleil » de Chris Marker (1982), un long plan sur une porte de sortie de quai lorsque celleci n’était pas encore automatisée montre que la mise en ordre n’était pas aussi rythmée et individualisante que celle décrite ici.
15 « Shinjuku connaît trois heures de pointe et non deux comme le reste de la ville : le matin et la fin du jour (rythmant les allers retours du domicile au travail et inversement) mais aussi les environs de minuit lorsque les derniers trains et les taxis agglutinés sur plusieurs files dans les embouteillages inextricables, chargent les milliers de noctambules qui rentrent chez eux. » (Pons, 1988 : 347)
I. La gare de Shinjuku vue par ses usagers
I. La Gare de Shinjuku vue par ses usagers
[Konzatsu] » qui sont les premiers mots de M. Yamanouchi : « Les personnes se heurtent » [hito wo butsukaru]. Bien que cette notion ressorte régulièrement dans les discours sous différentes formes, elle n’est pas décrite en tant que telle : elle est un message implicite admis. C’est par la coexistence de l’ordre et du désordre (Morin, 1990 : 82) que nous tentons une première lecture de ce message : l’image des portes automatiques offre une immédiate visualisation de cette coexistence. Celles-ci génèrent une nécessaire et ponctuelle mise en ordre permettant leur usage. Les portes sont franchies, individu par individu, avec une suite d’actions identique : insérer le ticket, avancer, attendre l’ouverture du portillon si fermé, récupérer son ticket. Entre chaque utilisateur ces actions sont enchaînées de façon parallèle sur toute la longueur de la porte, le temps de la validation du ticket donne un rythme à ce passage14. Cela quel que soit l’afflux d’usagers, quel que soit la situation — ordre ou désordre — avant et après leur franchissement (fig.I.f). Un autre exemple, qui démontre à l’inverse d’un désordre ponctuel, est donné par Mlle Tchapi :
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Encore une fois, nous retrouvons le terme « chaos » : ici il décrit clairement le désordre, presque celui de la peur du désespoir de ne pas pouvoir monter dans ce dernier wagon bondé. L’objectif de tous est de rentrer chez soi avant la nuit et son changement des utilisateurs, donc des pratiques, de la gare. M. Tsuchiya explique ce changement au niveau de la place souterraine de la sortie Ouest (cf. carte ci-dessous.) :
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jours. Le train part à 7h45. » Dans son discours, les Autres sont absents, comme s’ils n’avaient pas d’importance. Ils réapparaissent dans le dessin — jugé raté et rapidement barré — du « chemin choisi, » cela sous la forme de points tracés de la pointe du stylo percutant le papier : les Autres sont là sans exister. C’est sur les quais que leur présence est signifiée dans le discours. « Les gens font de leur mieux pour monter dans les wagons [ganbatte noru] » en contraignant parfois d’autres personnes à renoncer [akirameru] et à patienter pour le train suivant. Nous trouvons ainsi deux regards : celui de l’intérieur qui vit cette course et fait abstraction de l’ensemble tout en en faisant partie, et celui de l’extérieur qui voit « les gens couler [hitonagare] » comme un liquide s’organise selon ses propriétés d’ensemble homogène, ordonné. C’est probablement à cette temporalité que fait référence M. Miyagawa dans sa comparaison de la gare avec le système cardiaque. Une description que nous pouvons dire circonscrite dans le temps des heures de pointe matinales entre 6h et 9h — nous verrons en effet qu’elle ne peut répondre aux autres temporalités de la gare de Shinjuku. Les personnes qui pratiquent cette gare le matin sont généralement celles qui la pratiquent le soir d’une autre manière, que Mlle Kageyama présente ainsi : « La gare le soir [yoru], il y a des gens qui se donnent rendez-vous [machiawase] (...) d’autres qui viennent s’amuser [asobini iku], des gens qui marchent doucement, d’autres plus vite (...) tout le monde marche mollement [daradara] avec ses amis, les jeunes… (...) il y a plus de variations dans l’émotion (...) On n’est pas pressé, (...) on peut arriver chez soi à n’importe quelle heure » (Kageyama, 21 avril 2010)
Après son travail, le même salaryman qui le matin se déplaçait avec dextérité et sans perte de temps est parfaitement intégré à l’ambiance « molle » du soir dont les « étrangers » et les « jolies filles » (Hada, 20 avril 2010) sont partie prenante. Nous voyons apparaître la principale différence de ces deux temporalités, matin et soir, ordre et absence d’ordre, alors qu’une grande partie de la population y est similaire : « Les gens qui, comme moi après le travail, n’ont pas envie de rentrer chez eux viennent ici : (...) sur le chemin de retour, tu t’arrêtes, tu vaques, tu fais quelques courses et tu t’en vas encore. » (Anki, 1 juin 2010)
L’activité de l’Autre est identifiée à sa propre activité. Encore une fois, il y a deux types de
Place de la sortie Ouest
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« Le dernier train de la ligne Yamanote (...) c’est le plus bondé (...). A la gare de Shinjuku, c’est là où il y a le plus de monde. Beaucoup de gens se jettent dans les wagons [tobikonde] (...) Le matin on trouve des personnes qui ont abandonné [yame to iu hito] (...) J’ai vraiment l’impression du chaos [kaosu]. » (Hada, 20 avr. 2010)
« La nuit [yoru], il y a des « sans-abri » [homuresu]. (...) ils se rassemblent [atsumatte], après que les volets se sont fermés devant les magasins. (...) Les médias relaient l’information, c’est dans les environs [hen] qu’ils vont habiter [sunde itte], les gens qui n’ont pas de travail sont nombreux : (...) ils ont formé une communauté [comyunitei]. (...) L’atmosphère [funiki] change, (...) ils ont tous l’air sinistre [kuraikao], amènent des cartons, marchent pour chercher leur lieu [jibun no basho]. (...) C’est la nuit, vers 11h, minuit environ. (...) En partant des beaux magasins de fleurs, de Lumine, du très beau bâtiment de la gare, (...) les belles femmes et les beaux habits [oshare], tous ces vêtements que l’on achète : (...) à un pas (ippo) de la belle partie [kirei na bubun] se trouve la partie obscure [dark* nabubun]. (...) La gare de Shinjuku c’est ce chaos [kaosu] dont j’ai déjà parlé » (Tsuchiya, 23 avril 2010)
Cette description permet de comprendre le changement rapide d’une partie de la gare qui cohabite pendant quelques instants avec la temporalité précédente, proposant un contraste saisissant entre le « beau » et le « sombre, » ; le « bien [zen] et le mal [aku] » dont parle M. Miyagawa. Le terme de « chaos » est réutilisé, non dans le sens de confusion, mais dans le sens d’un fort contraste créateur d’un sentiment de confusion. La gare perd sa fonction de « gare » car les usagers viennent d’un extérieur non défini — « ils se rassemblent » — pour « habiter » le lieu. La nuit donne droit à des suppositions, Mlle Tchapi parle du passage sous les voies au nord et de « certaines heures [où] tu vois des gens bizarres justement parce que c’est un coin un peu caché (...) je suis sûre qu’il y a des bagarres. » Les particularités de différents lieux, la place souterraine à l’ouest et le passage au nord, rencontrent celles de la temporalité. La nuit, il n’est plus question de fonction du lieu mais de suppositions d’utilisations16. Aucune des personnes interviewées n’est restée la nuit à la gare. Les trois temporalités qui viennent d’être décrites sont celles qui ressortent clairement des 16 « Il existe un fantastique évident de la gare qui paraît absent des autres lieux de la ville (...) : Le sang, les rixes du moins l’inquiétude et l’énervement nous semblent être des révélateurs d’une urbanité certaine. » (Sansot, 1984 : 88-89)
I. La gare de Shinjuku vue par ses usagers
description, extérieure et intérieure. La première, que décrit Mlle Kageyama, permet d’identifier l’Autre comme appartenant à un groupe extérieur, la seconde, celle de Mlle Anki, à son propre groupe : « Comme moi après le travail. » D’une manière générale, l’ensemble des comportements est présenté comme un tout logique. Contrairement au matin, ce tout n’est pas un ensemble ordonné mais une similitude des comportements individuels associés à une diversité des pratiques ; en ce sens nous pouvons parler de désordre. Chaque individu ou groupe d’individu possède son propre objectif. Il n’est pas pressé et sait que l’Autre, qu’il croise sans le bousculer, est dans le même état d’esprit. Le regard intérieur et le regard extérieur rendent les mêmes conclusions sur ce point. Nous le comprenons, parler du soir, c’est parler du début de la sortie des bureaux à 19h, l’heure de pointe, jusqu’à la fin de l’existence de cette atmosphère détendue. Le dernier train de la gare de Shinjuku est à 00h40. « A ce moment, on n’a plus le choix » :
Fig.I.h : Le dernier train de la journée ; photographie prise par dépit par un retardataire
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entretiens bien que le thème même du temps n’ai pas été abordé comme tel. La journée, entre le matin et le soir, soit entre 9h et 19h, qui pourrait se diviser à nouveau de diverses manières dans le cadre d’observations futures, n’est pas spécifiée en tant que temporalité particulière dans les entretiens. Seul M. Tsuchiya parle de la « journée [hiruma] » comme d’un moment où « il y a les qui viennent s’amuser [asobini kita toka], les gens qui viennent manger un bout [hitokuchide] » sans pour cela préciser ce qui se passe dans la gare. Cela ne signifie pas que les personnes interviewées ne pratiquent pas la gare de Shinjuku dans la journée, mais plutôt qu’il n’y a rien dans les discours qui ne marque un moment définissable car particulier au cours de cette période. La fin de semaine n’est pas non plus différenciée de manière claire. Mlle Tchapi précise que la « Southern Terrace (...) toujours plein(e) » est « l’endroit (qu’elle) déteste le week-end parce que tout le monde y va. » Ceci sans préciser la situation dans le reste de la station et sans qu’aucun autre discours ne vienne appuyer ou contredire ce point de vue d’une manière quelconque. A une échelle de temps plus large, c’est une temporalité particulière dans l’année qui ressort du discours de M. Hada. C’est la période de rentrée scolaire et universitaire : « Au début du mois d’avril, les étudiants se réunissent : Baaaaaa. (...) La nuit aussi, tout le monde boit (...) les gens coulent [hito nagare] : Guwaaa. (...) il est difficile d’atteindre son objectif [mokuteki ga tsurai] : (...) hommes, femmes (...) les gens viennent s’amuser [asonderu mono] (...) le type étranger [gaikokujin no kata]. (...) En montant dans les wagons de la ligne Yamanote : Baaaaa. (...) Il faut, autant que possible, faire Jiiii (lire : se glisser à l’intérieur) » (Hada, 20 avril 2010)
Après avoir décrit le lieu comme un lieu où « il y a beaucoup de monde » en général, M. Hada nous présente ce moment de la gare de Shinjuku en insistant uniquement sur les Autres : il y a plus que « beaucoup de monde. » Nous retrouvons le vocabulaire de « l’écoulement » analysé plus haut qui vient s’appuyer ici sur des onomatopées diverses17 qui appuient l’importance que prend l’ensemble des Autres. Ces derniers sont indifféremment homme ou femme, ce qui est important est la raison de ces rassemblements : s’amuser. Rien dans les autres entretiens ne venant corroborer ce discours18, nous le présentons comme un fait ponctuel. La gare de Shinjuku répond à des temporalités particulières qui ne se succèdent pas nécessairement dans le temps : le matin et le soir sont définis mais l’entre-deux, la journée, ne l’est pas. La gare de Shinjuku n’est jamais décrite comme vide, pourtant lorsque la présence de l’Autre se laisse différencier en un ensemble surprenant — rivière, sang — la temporalité est décrite : le matin, le soir, la nuit ou le « début du mois d’Avril. » L’ordre ou le désordre permettent de qualifier ces temporalités : la notion d’ordre est relative aux heures de pointe matinales, celle de désordre au soir et à la nuit. Aux autres moments moins remarquables, l’Autre n’est réduit qu’à son rang d’altérité simple, la présence des usagers à l’intérieur de la gare n’est pas qualifiée. C’est ce découpage du temps, ces « hétérochronies » (Foucault, 2008 : 1578) qui définissent les temporalités de la gare de Shinjuku de façon non continue.
17 A ce sujet, lire Berque (1982 : 35-39) 18 Cette période est évoquée dans les propos recueillis par Muriel Jolivet : Takahaka Fumi qui, après avoir parlé de l’air saturé d’alcool du métro le soir, explique que « les jeunes ont aussi un problème avec l’alcool, surtout au mois d’avril où les nouveaux étudiants sont traditionnellement accueillis par les anciens. » (2007 : 34)
L’espace sensible
De nombreuses approches de ce qui pourrait être l’espace sensible peuvent être développées19, nous l’aborderons ici du point de vue de la perception qu’ont les personnes interviewées de la gare de Shinjuku. Deux types de visions se distinguent : la vision rationaliste et la vision utopiste, dans son sens premier « en aucun lieu » — le terme empirique n’est volontairement pas utilisé pour ne pas opposer ces deux visions qui se confondent parfois. La gare est « fascinant[e] malgré tout » ou est une « étrange [fushigi] gare. » L’idée de « chaos [kaosu], » qui est le premier mot de M. Tsuchiya et qui reviendra à plusieurs reprises dans le discours, est emprunté au vocabulaire biblique : vide ou confusion existant avant la création (Le nouveau petit Robert, 2008). La gare est un lieu où l’on passe, où l’on entre pour atteindre un but qui n’est pas celui de la gare elle-même mais qu’elle représente. Les lieux qui lui sont attribués aux travers de ses fonctions — les lieux pour « s’amuser, » les lieux pour faire du « shopping » — n’appartiennent pas tant à la gare qu’à son image. Pour reprendre les mots de Pierre Sansot, « la gare est plus forte » que les lieux d’amusement dont « le caractère premier (est) de faire partie de l’environnement de la gare » (1984 : 27). La ville est perçue comme concentrée en un point que l’on nomme par convention gare de Shinjuku. Ainsi estil courant de définir le lieu qui rassemble les données de cette image pour ensuite ne parler que d’un fragment : La description des limites de la gare que donne M. Awaya fait partie des plus larges alors que le discours qui suivra sur les règles se concentrera sur le bâtiment principal. A l’inverse, la 19 Ainsi l’approche du « topologue » de Pierre Sansot (1984 : 17) ou celle de la « fantasmagorie » selon les mots de Walter Benjamin (1989 (1982), « Paris ; capitale du XIXe siècle ; le livre des passages », Paris, Cerf, 974 p. : 47)
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« Cela dépend des distances*, (...) les souterrains de la gare sont si grands [tôi], (...) je ne sais pas où [doko made] s’arrête la gare de Shinjuku, (...) je ne peux pas expliquer la limite [border line], c’est une question de perception [chikaku], il n’y a pas d’explication [setsumei nai] » (Kageyama, 16 juin 2010)
Une fois à l’intérieur de la gare, on ne fait plus référence au lieu mais à des lieux. L’espace du train est lui aussi parfois inclus dans la gare, dilatant et contractant l’espace à la façon du système cardiaque décrit dans les paragraphes précédents. Les autres personnes qui utilisent la gare n’y sont, de la même manière, que temporairement : « c’est tous les jours des gens différents. » En ce sens, la gare « juxtapos(e) en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles » (Foucault, 2008 : 1577). Roland Barthes, entre autres, constatait en 1970 que le centre d’un quartier était sa gare (Barthes, 1970 : 52) : ici, la gare de Shinjuku est le quartier. Aux termes « gare de Shinjuku » vient souvent se substituer « Shinjuku. » Cette synecdoque se réfère plus à une image qu’à la réalité20 : en effet, les bâtiments de la gare sont à la limite entre l’arrondissement de Shinjuku et celui de Shibuya (cf. carte ci-contre). A l’exception de M. Yamanouchi et Mlle Kageyama, qui dépeignent la gare de façon radicalement rationaliste, les discours traduisent des émotions particulières associées à ce lieu. Cette émotion peut être uniformément positive : Mlle Anki n’a « pas de raison d’y aller, mais veut toujours venir, » envie qu’elle rattache « peut-être » à son « premier jour » ; ou uniformément négative : M. Nakamura qui « sent beaucoup de stress [sutoresu ha kekkô kanjiru] » et de « pression [appaku]. » Mais nous trouvons le plus souvent une combinaison de ces deux sentiments, qui apparaît parfois contradictoire aux yeux des utilisateurs qui la décrivent : M. Miyagawa nous dit successivement ne « pas aimer [amari suki janai] » la gare puis « ça c’est le Shinjuku que tous les gens de ma génération (shôwa 1928-1989) aiment » pour conclure « cela me plaît beaucoup [tanoshî]. Finalement j’aime bien !”. Ces deux sentiments contradictoires sont à considérer comme constituants de la perception de la gare de Shinjuku.
20 Ceci sans occulter le fait que la gare de Shinjuku est représentée comme l’arrêt nommé « Shinjuku » sur les plans et cartes des réseaux de transports tokyoïtes.
I. La gare de Shinjuku vue par ses usagers
Dans « L’espace de la société urbaine japonaise », Jean Bel différencie deux types de discours : « vécu » et « idéologique » (1980 : 187). Le premier étant qualifié « d’en bas », le second « d’en haut. » Dans cette première approche de la gare de Shinjuku, nous avons esquissé le lieu au travers de ses données spatio-temporelles et de l’impact que celles-ci ont sur ses usagers, en prenant le lieu dans son ensemble et en focalisant notre analyse sur le « vécu. » Nous l’avons déjà dit, la gare de Shinjuku n’est pas un lieu qu’il est possible d’embrasser dans sa globalité, chaque aspect et chaque sentiment qui s’y attache démontrent d’une vision guidée par une focale particulière dont il nous est nécessaire de comprendre la spécificité pour parler du lieu. Comprendre à la fois le lieu par son vécu et son idéologie nécessite une approche orientée vers cette dernière. Ainsi semble-t-il pertinent d’analyser la Règle — intermédiaire entre l’usager du lieu et ses concepteurs-organisateurs — au travers de sa matérialisation et la perception que celle-ci engendre pour son application. Nous nous attacherons dans les prochains chapitres à définir quelques-unes des notions nommées ici.
Limite d’arrondissement
I. La Gare de Shinjuku vue par ses usagers
description la plus réduite s’élargira au fur et à mesure du discours, comme c’est le cas de celle de Mlle Kageyama qui intégrera progressivement les espaces qui jouxtent celui qu’elle a défini comme la gare de Shinjuku. Cela redéfinit une limite floue entre l’intérieur et l’extérieur du lieu. Limite qu’elle dira elle-même finalement ne pas connaître :
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II « Ce jour-là je marchais dans la ville. Ou bien, je marchais dans une gare. Ou peut-être était-ce un centre commercial souterrain, ou encore le chemin d’accès aux portes d’embarquement d’un aéroport. En bref, je marchais quelque part. Et j’en ai eu assez : au Japon, où que l’on aille, on trouve les mêmes affiches et indications. »
MORI Tatsuya, 2010, « dare ga dare ni nani wo itteru no ? [Qui dit quoi à qui ?] », p. 1, trad. de l’auteur
La Règle
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Définitions
Dans la mesure où les entretiens de Mlle Tchapi ont été réalisés en français, il nous apparaît important de souligner l’effort de contextualisation mis en œuvre dans son discours pour définir le mot règle. Selon elle, « la règle » se trouve en relation directe avec le « côté autoritaire (du) contexte japonais » tandis que « les règles » sont apprises par « l’éducation » dans le « pays de référence : plus flexibles » (05 juin 2010). En d’autres termes, la règle est perçue comme exogène, l’acteur principal étant l’autorité du « gouvernement » ou des « compagnies » qui gèrent l’espace ouvert au public ; les règles, après acquisition par l’éducation, sont endogènes. Nous voyons apparaître dans la définition des termes les différents acteurs impliqués, mais également les différentes notions qui seront explicitées plus avant dans le propos. La différence étymologique entre le japonais et le français demande la définition exacte et précise des vocables utilisés. Ceci permettra de ne pas dissoudre les enjeux des propos derrière un malentendu référentiel (Fukusima in Latour (dir.), 2005 : 58) 1. Au cours des entretiens en japonais, c’est le terme rûru qui est principalement utilisé pour faire référence aux règles2 : rûru renvoie en 1 « Ces appareils rhétoriques, tel que l’étymologie et l’analyse conceptuelle, ne prennent entièrement sens que si vous partagez avec le public le même héritage linguistique, que celui-ci soit l’ancien Allemand ou le Latin impérial. La rhétorique peut toucher le cœur des descendants des ancêtres de tribus ou d’empires disparus. Mais le problème apparaît lorsqu’ils sont traduit dans les langues extra-européennes, l’aura de la rhétorique s’évapore de manière éphémère et les personnes peuvent commencer à se demander quel est réellement l’enjeu des mots. » (Fukusima in Latour (dir.), 2005 : 58) trad. de l’auteur 2 le terme est emprunté à l’anglais rule. Celui-ci regroupe six notions dont trois sont pertinentes pour notre propos
Le second terme le plus utilisé des entretiens en japonais traduit l’idée de « bonnes manières » : il s’agit du mot manâ [emprunté à l’anglais manner]. L’emprunt en japonais du terme au singulier ne nous semble pas anodin : c’est au pluriel, manners, que celui-ci est défini comme « comportement considéré comme poli dans une société ou un groupe particulier » ou encore comme « les us et coutumes d’un groupe de personnes particulier » et serait clairement traduisible en bonnes manières. Le terme au singulier renvoie plus simplement à « la manière avec laquelle quelqu’un agit et parle face à d’autres personnes » (Oxford advanced learner’s dictionary, 2005)3. Il fait référence à la manière [hôhô] de saluer et implique une interaction directe entre deux personnes. L’utilisation en français de l’expression « bonnes manières » ne vise pas à écarter les autres significations décrites ci-dessus mais à éviter tout contresens dans l’utilisation d’autres mots tels que comportement ou attitude que nous utiliserons de manière plus générale. Ces derniers pourront traduire si nécessaire ce terme manâ dans les entretiens lorsque cela nous semblera plus adapté.
II. La Règle
II. La Règle
japonais à trois autres termes plus anciens : 1. kisoku dont le premier caractère, ki, est composé du caractère de l’époux [otto], représentant l’autorité, et du caractère du jugement, de l’enseignement [ken]. Il signifie compas. Ce dernier est la référence [yori dokoro] du comportement [idô] ou d’une appréciation [handan] face à une norme [kijun]. Il représente l’ajustement [hamaru] à une limite, un cadre [waku], déjà fixé [ittei]. Il est également composante des termes « norme » [kikaku ou kihan], « réglementation, » « contrôle » [kisei], « règlement » [kiyaku] ou « discipline, » « ordre » [kiritsu]. Le deuxième caractère, soku, signifie suivre, se conformer [nottoru]. 2. kitei, dont le premier caractère est identique à celui du terme kisoku et le second caractère, tei, signifie fixé [sadameru]. 3. kimari, substantif du verbe « se décider, » « être fixé » [kimaru] (Dejitarudaijisen, 2009).
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Règle Versus Bonnes manières
Dans ce paragraphe, nous explicitons les raisons pour lesquelles l’expression « la Règle » désignera indifféremment les règles ou les bonnes manières au cours de notre analyse. Dans les entretiens, la différence faite entre les bonnes manières et les règles est a priori très claire pour les personnes interviewées : « Les règles, c’est ce que l’on doit faire [yaranakya ikenai], (...) on est obligé de suivre un comportement, cela naturellement [shizenteki]. (...) Les bonnes manières [manâ], c’est ce que l’on devrait faire [yarubeki], c’est mieux de le faire [yatte hô ga î]. C’est la même différence que celle qui existe entre must et should. » (Tsuchiya, 23 avril 2010)
Les règles relèvent de la « loi [hôritsu] » et ont un aspect « systématique* » (Tsuchiya, 23 avril : 1. Une habitude, l’état normal des choses, ce qui est vrai dans la majorité des cas. 2. Une déclaration de ce qui est possible en référence à un système particulier, où la gare de Shinjuku sera vue comme un système ou un ensemble de systèmes. 3. Le gouvernement d’un pays ou le contrôle d’un groupe par une personne particulière, un groupe ou un système (Oxford advanced learner’s dictionary, 2005). 3 Manâ en japonais renvoit indifféremment aux termes « attitude, » « comportement, » « conduite » [taido], « politesse, » « courtoisie » [reigi] et « bienséances » [reigi hôhô]. En japonais, manâ peut donc être explicité par deux termes : taido et reigi. Le premier caractère de taido décrit l’attitude [kamae] du corps [mi] — de façon plus imagée du cœur [kokoro] — ou plus généralement un état [arisama ou yôsu] tandis que le caractère do correspond à un degré [teido] ou une mesure [setsudo]. Cela induit un certain degré dans l’attitude et donc une hiérarchisation préalablement constituée de ces degrés. Le terme reigi, traduit mot à mot, correspondrait à rite [sasugi] ou objet [koto] des salutations [rei] (Dejitarudaijisen, 2009).
« Il y a les règles tacites [anmoku rûru], ce qui est normal [atarimae]. (...) C’est la partie basique*. N’importe qui peut réfléchir et se rendre compte que c’est normal. (...) Il y a donc les bonnes manières [manâ], puis les règles tacites : ce sont les règles [rûru]. (...) Les règles tacites ressemblent beaucoup [yoku niteru] aux bonnes manières » (Awaya, 19 juin 2010)
M. Awaya dégage deux types de comportement qu’il réunit sous le vocable « règle. » En prenant l’exemple de la « distance [kyori] entre les personnes » il tente de mieux décrire ce qu’il entend par « règles tacites » : le fait de conserver une distance convenable entre les personnes s’appuie sur la règle tacite qui détermine cette même distance (Hall, 1971 : 150). Une relation de coexistence non orale est établie « naturellement » entre les utilisateurs de la gare. Le simple fait de supposer cette relation peut permettre de décrire la « communication » qui en résulte :
II. La Règle
« Autant que possible [narubeku], tout le monde se comporte réciproquement [otagai] de telle manière à éviter les sentiments [kibun] négatifs* : ce sont les règles tacites. (...) Quand les bonnes manières sont respectées [mamoru toki], on se sent très bien [kimochi î] sans avoir besoin de parler : on a constaté la paix [heiwa]. » (Miyagawa, 15 juin 2010)
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Les règles tacites et les bonnes manières sont ici confondues en une relation réciproque permettant de « constater la paix. » Cette relation n’est pas qualifiée par des interactions, mais plutôt par leur absence, ce que Mlle Kageyama appelle « faire la coexistence [kyôson suru]. » Sa propre existence est « mise en veille*, » l’Autre est « ignoré [mushi] » par politesse (Goffman, 1973b : 309), chacun « réduit l’impact de sa présence [sonzai] » jusqu’à se rendre « transparent* » : « Les gens ne se dérangent [jama] mutuellement [otagai] pas : c’est le respect*. L’espace personnel* : c’est aussi le respect*. Ainsi, on ne dira pas “j’ai de l’estime [sonkei] pour le temps d’une personne” (...) ; le sens est peut-être plus proche de “faire cas de [sonchû].” Mais j’utilise le mot “respect*” en anglais parce qu’il peut s’appliquer à n’importe quoi [zenbu hukumete] : les lieux réciproques [otagaino basho], l’espace personnel*, le temps [jikan], et cætera. On s’ignore mutuellement (...) “Coopérons [kyôryoku] tous ensemble.” (...) Il y a des règles [rûru] pour se déplacer tranquillement [sumûzu] et autre chose qui ressemble aux règles : le sens commun*. » (Kageyama, 21 avril 2010)
Trois catégories sont ainsi généralement différenciées : les règles, les bonnes manières et un « entre-deux [kono aida] » ou un « troisième genre* » (Tsuchiya, 28 mai 2010) qui s’apparente tantôt aux règles, tantôt aux bonnes manières. Il peut avoir des dénominations variées : « bon sens » en anglais ou en japonais [jyôshiki], « respect* », « règle tacite », « règles locales* » ou encore « normalité [atarimae]. » Il n’est caractérisé autrement que par les termes que nous venons d’énoncer tandis que les règles sont définies par la « force coercitive de leurs représentations [sain no kata no kyôseiryoku] » (Tsuchiya, 28 mai 2010). Leur aspect « officiel » est compris par le truchement de leur représentation. Les bonnes manières, pour le respect desquelles il n’existe pas de « forces de contraintes [kôsokuryoku] » (Yamanouchi, 14 juin 2010)4, sont officieuses : « S’il y a des signes [sain], c’est une règle, c’est officiel* (...). A l’intérieur du train, on ne s’assoit pas où il n’y a pas de siège mais ce n’est pas écrit... Même si c’est écrit (...) sur certaines affiches [posutâ] ; ce n’est fondamentalement [kihonteki] pas une règle officielle*. Pour dire les choses de façon simple : tout le monde pense que c’est une question de bonnes manières, donc personne n’agit de la sorte. » (Kageyama, 26 mai 2010)
Les bonnes manières existent comme une forme antithétique des règles — « signe / non signe » 4 M. Yamanouchi oublie les « sanctions informelles » (Goffman, 1973b : 102) : la « surveillance mutuelle, les régulations et sanctions » qui régulent les transgressions de « l’espace clairement défini du train » et plus largement des espaces de transports (Okabe, Itô in Itô, Okabe, Matsuda (dir.), 2004 : 208-211).
; « officielles / officieuses » — nonobstant la ponctuelle mise en doute de ce modèle. Cette dernière permet parfois la réaffirmation de l’opposition ou le passage de la qualification d’un comportement d’une catégorie à l’autre : « Il n’y a pas de règle écrite (...) pour l’application des bonnes manières sur les escaliers roulants : (...) ce n’est pas un comportement qui a été choisi [kimareta]. C’est appliqué depuis longtemps [mukashi kara] donc c’est peut-être devenu une règle. » (Nakamura, 17 juin 2010)
Bien que relevant au départ des bonnes manières, un comportement reconnu comme partagé par tous depuis « longtemps » est affirmé en tant que règle : le temps permet le passage de l’officieux à l’officiel sans que le recours à la représentation ne soit nécessaire. A l’inverse, le fait de critiquer une personne qui ne respecte pas une règle transforme la perception de cette dernière : « Je peux me dire “Ce gars [yatsu] à de mauvaises manières [manâ warui]” en voyant une personne fumer [sutte shimau]. Mais l’interdiction de fumer, n’est-ce pas une règle ? » (Tsuchiya, 28 mai 2010)
Le manquement à une règle est sanctionné par une référence aux bonnes manières. C’est l’acte proscrit lorsqu’il est constaté qui redéfinit la limite entre ces deux catégories. Ainsi, d’un entretien à l’autre, un acte qualifié de relatif à la règle ou aux bonnes manières est souvent redéfini comme relevant de l’autre catégorie par le même individu. De même, de nombreux lapsus ont été relevés au cours de leurs explications par les personnes elles-mêmes. Il existe une « ambiguïté [aimai] » (Tsuchiya, Nakamura) entre les termes dont M. Yamanouchi s’exemptera finalement : «Que l’on parle de règle ou de bonnes manières, tout ce que je souhaite c’est que cela soit respecté [mamotte hoshî] » (Yamanouchi, 24 juin 2010)
Il n’est pas accordé d’importance à la définition des termes, seul l’autorégulation par chacun importe. Pour toutes les raisons que nous venons de décrire, il nous est apparu difficile de distinguer pertinemment les règles et les bonnes manières en tant qu’objets séparés d’investigations dans la présente analyse. Le japonais ne permettant pas une différenciation équivalente à celle que fait le français entre pluriel et singulier, nous parlerons de « la Règle, » au singulier. Dans tous les autres cas, il sera question d’une ou plusieurs règles constituantes de la Règle elle-même.
II. La Règle
2010) alors que les bonnes manières relèvent de la « volonté personnelle [jibun no iji] » (Nakamura, 11 mai 2010). Mais la clarté de ces différences s’efface dès la confrontation à des exemples concrets ou à une explicitation plus poussée. Une troisième catégorie est alors majoritairement précisée :
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II. La Règle
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L’espace et la Règle
Les lieux porteurs de représentation de la Règle et le type de règle les plus cités sont respectivement les escaliers et le sens de circulation. Nous supposons plusieurs raisons à ce fait : l’horizontalité domine dans l’espace construit et l’escalier permet une circulation verticale entre deux niveaux horizontaux. Il est un point de resserrement dont l’utilisation est rendue obligatoire par la configuration globale des lieux : accès aux quais, sorties, etc. Même si la Règle existe autant dans l’espace horizontal que vertical, le point de resserrement qu’est l’escalier la fait apparaître comme plus présente puisque plus représentée, plus dense. L’escalier serait donc d’autant plus représentatif de l’application de la Règle qu’il accumule différentes mises en exergue — verticalité, resserrement — qui densifient sa représentation par l’ensemble des Autres. De même, le sens de circulation est une règle directement représentée par la pratique des utilisateurs du lieu. Un utilisateur qui marche dans un couloir de la gare, son comportement et la relation qu’il entretient avec celui des personnes qui l’entourent peuvent être perçus comme l’expression de la règle de circulation. Alors que l’interdiction de fumer, par exemple, ne sera pas comprise simplement en voyant une personne qui ne fume pas ; elle pourrait tout aussi bien être non fumeur ou ne pas avoir envie de fumer :
est connu rendant son rappel presque inutile en regard de sa pratique. A travers ces trois extraits de discours, nous venons de voir qu’un escalier peut être perçu comme différent de par la simple existence d’une règle particulière qui lui est appliquée. Cette considération se fait au moment de la pratique du lieu mais n’est pas suffisante pour marquer ce dernier : aucune personne interviewée n’a pu définir un point de passage autre que physiquement matérialisé — passage extérieur-intérieur, portes automatiques — entre deux zones caractérisées par des règles distinctes à l’intérieur de la gare de Shinjuku5. La Règle ne permet pas de mettre en évidence cette différence pour les utilisateurs du lieu mais permet en revanche d’adapter à chaque lieu le regard sur l’information, dont la Règle est partie.
II. La Règle
Fig.II.a : De larges flèches sur fond vert représentent le sens de circulation des escaliers de la ligne Oedo
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« “Circulation à droite [migigawa tsûkô]”, pour tous les escaliers. (...) Comme c’est écrit dans beaucoup de gares, si ce n’était pas écrit dans la gare de Shinjuku, on comprendrait tous [minna] par déduction [tonikaku suru] et on marcherait à droite. » (Hada, 28 mai 2010)
Dans une gare, tous les escaliers ont un sens de circulation précis (fig.II.a) ; il n’est donc pas surprenant de voir appliquer cette règle à la gare de Shinjuku. La Règle est perçue comme la normale et un espace ne sera reconnu que dans sa différence à celle-ci. Elle n’existera réellement que quand un lieu particulier viendra la contredire : « Par exemple, la Règle est “Circulation à droite [migigawa tsûkô]”, mais à l’intérieur d’une zone [eria no naka] on aura “Marchons à gauche [hidarigawa ni arukimashô] : le lieu [basho] a une règle. » (Hada, 28 mai 2010)
Une zone est caractérisée par l’application d’une règle différente de la Règle générale qui s’applique sans distinction aux autres espaces de la gare ; ses utilisateurs marquant par leur changement de comportement son entrée et sa sortie, son intérieur est généralement caractérisé par la présence de représentations graphiques de la Règle vues et consultées : « Le nombre (de représentations de flèches) a augmenté [huemashita] récemment, par exemple lorsqu’il faut monter (des escaliers) du côté contraire [hantai gawa oriru]. » (Yamanouchi, 14 juin 2010)
Il existe un « côté contraire » sans nécessité de préciser quel est le côté normal. Ce dernier
5 « Le voyageur sortit du quai évolue dans un dédale de couloir, galeries commerciales, grands magasins, sous-sols, immeuble de bureau, etc. Il ne perçoit guère le passage d’un lieu à l’autre ni même le franchissement des voies ferrées ou routières tant les circulations sont fluides. » (Aveline, 2004 : 123-124)
Fig.II.b : Panneaux d’informations durant les travaux ; à gauche « attention aux personnes qui surgissent »
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La raison de la Règle
La raison est ici entendue autant comme rationalité que justification. C’est ce même terme qui nous permettra d’entrer dans le processus discursif de formation de la Règle par sa justification, dont la rationalité6 même est parfois discutable. Ici, ce n’est pas la raison invoquée officiellement qui nous intéresse — ce qui sera un des éléments de la partie suivante — mais les raisons perçues par les utilisateurs dans leurs pratiques courantes ; étant évident que certaines se superposent. Selon Erving Goffman, « les règles sont efficaces (pour autant qu’elles le sont) parce ce que ceux auxquels elles s’appliquent croient en leur justesse et en viennent à se concevoir en fonction de ce que la conformité leur permet d’être et en fonction de l’état auquel une déviation implique qu’ils sont réduits » (1973b : 103). La première question à poser est celle de l’existence de cette règle. Le discours de M. Awaya réunit sur ce point différents aspects présents dans la majorité des autres discours : il n’y aurait pas de règle à l’intérieur de la gare. En cela M. Awaya veut dire que la gare de Shinjuku, prise en tant qu’objet, ne fait pas référence à une série de règles particulières qui lui serait spécifique : « 20 à 30 ans en arrière (...) il y avait des gens qui s’installaient devant les sorties [deguchi], devant les portes, qui empêchaient les autres de rentrer, c’était dérangeant [jama]. Il y avait tous ces gens qui ne pensaient pas à ces choses-là.(...) Maintenant, ce genre de chose existe plus ou moins, ce n’est pas sérieux [shinkoku] (...) avant c’était terrible [taihen] (...) Je pense 6 « J’utilise le terme “rationalité” pour indiquer un appareil heuristique permettant de poser les questions sur le comportement humain et chercher à évaluer les réponses qui y sont données. » (Lindenberg in Turner (dir.), 2001 : 635) trad. de l’auteur
C’est dans la société, dans la relation entre des individus, qu’existe la Règle et non dans un lieu particulier. Comme nous l’avons déjà vu dans le cas de la temporalité du lieu7, le regard intérieur de celui qui pratique la Règle fait abstraction de celle-ci : la Règle est subordonnée à sa pratique, escamotant son existence par son omniprésence. Le regard est ici rétrospectif sur le comportement des gens vis-à-vis de l’Autre dans un espace qui a évolué. Cette particularité se retrouve dans d’autres discours ; parfois pour traduire, à l’opposé de la description proposée ici, une perte des valeurs de la Règle et donc, justifier son existence. Le facteur déterminant est le « dérangement. » S’il n’y a pas dérangement, alors, il n’y a pas règle. Les deux questions qui sous-tendent ce raisonnement sont : faut-il une règle s’il y a dérangement ? La Règle disparaît-elle d’elle-même lorsque le dérangement n’est plus ?
L’absence de présent physique
Nous appelons présent physique l’espace existant perçu au moment même de son utilisation, cet espace n’étant ni compris comme le résultat d’une construction, ni comme celui d’une étape vers une évolution8. C’est la description pure est simple d’un lieu : la gare de Shinjuku étant en travaux lors de l’enquête, ce sont alors les barrières de sécurité, les sols plastifiés, les panneaux décrivant les travaux, et tous les objets installés temporairement qui y prennent parfois place. Mais son absence est souvent caractéristique des discours, M. Awaya commence par définir la Règle — dont le système mis en jeu n’est pas la gare mais la société dont la gare n’est qu’un lieu parmi d’autres — comme un « ensemble » [zentaimono] qui comprend les « règles tacites » [anmoku rûru], les « bonnes manières » [manâ] mais dont la partie restante n’est pas définie. C’est dans cet « ensemble » que chaque règle présentée pendant l’entretien trouve sa raison sans pour autant 7 Cf. La gare de Shinjuku vue par ses usagers : le temps du lieu (pp.31-34) 8 « Le présent, au moment même où il se fait, désire se regarder comme déjà historique, comme déjà passé (...) comme s’il voulait “prévoir” le passé, se faire passé avant même d’être encore pleinement advenu comme présent ; mais ce regard, c’est le sien, à lui présent. » (Hartog, 2003 : 127)
II. La Règle
II. La Règle
qu’on peut dire qu’il n’y pas particulièrement de règle. » (Awaya, 31 Avr. 2010)
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« Ils font la queue parce qu’ils attendent le métro et cʼest des endroits où il y a beaucoup de gens (...) beaucoup de connexions : marunouchi, JR Yamanote (...) On a lʼimpression dʼêtre tout le temps en attente de queue, alors quʼil nʼy a peut-être pas forcément beaucoup de monde sur le quai (...), mais [les responsables] le savent puisqu’il y a des travaux. » (Tchapi, 21 mai 2010)
’est la situation passée qui a décidé du début des travaux, et c’est pour une amélioration future C que les travaux ont lieu. Pourtant, la situation au moment de la constatation implique bien une « attente de queue »11 acceptée. Les travaux se justifient par la Règle et la Règle par les travaux, le lieu et la configuration de l’espace contemporain n’ayant pas réellement d’importance dans cette appréciation. Le présent physique du lieu, bien que ses conséquences soient nécessairement perçues, n’est pas considéré comme dominant dans le jugement dont il est pourtant l’élément central : 9 Cf. Timeline (Annexes p.VIII) 10 « Ce qu’on appelle un instinct, ce qu’on appelle une institution, désignent essentiellement des procédés de satisfaction. Tantôt en réagissant par nature à des stimuli externes, l’organisme tire du monde extérieur les éléments d’une satisfaction de ses tendances et de ses besoins ; ces éléments forment, pour les différents animaux, des mondes spécifiques. Tantôt en instituant un monde original entre ses tendances et le milieu extérieur, le sujet élabore des moyens de satisfaction artificiels qui libèrent l’organisme de la nature en le soumettant à autre chose, qui transforment la tendance elle-même en l’introduisant dans un milieu nouveau. » (Deleuze, 2008 (1955) : 24) 11 Expression non consensuelle qui trouve son équivalent à l’intérieur du vocabulaire de la Règle dans l’idiome seiretsu jôsha [monter alignés en voiture / ou / attendre alignés pour monter en voiture]
la Règle temporise l’attente de l’amélioration qui en amènera une nouvelle et ainsi de suite.
Dualité
Une deuxième raison de la Règle est abordée par M. Miyagawa dans sa description de la gare de Shinjuku et de ce qu’elle intègre :
Le « bien » est présenté avec le « mal » comme une dualité inhérente au lieu. Nous pouvons aisément apporter plusieurs nuances à ces propos : la subjectivité de l’idée de propreté et de saleté ; le quartier Kabukichô est aussi celui qui abrite les bâtiments de la mairie de Shinjuku [shinjukuku yakusho] dont l’aspect dangereux et effrayant peut être excessif ; la différence de perception d’un lieu en fonction de différents moments de la journée et de la nuit, etc. Nuances que ne renierait pas M. Miyagawa car elles n’entrent pas en conflit réel avec son argumentation. L’important n’étant pas de décrire l’objet de façon objective mais d’en déceler les particularités qui le fondent. Nous avons déjà cité ce même type de discours avec la description que M. Tsuchiya fait de l’arrivée des sans abris quand vient la nuit : « à un pas [ippo] de la belle partie [kireina bubun] se trouve la partie obscure [dark na bubun]. 12 » M. Miyagawa continue ainsi : « Il y a bien sûr le terrorisme [tero], (…) la gare de Shinjuku en particulier est dangereuse [dangerous] mais 99 % des gens respectent la Règle [mamottemasu] (…) il y a ces moments effrayants [kowai], mais finalement [yappari] il y a la Règle. (…) de temps en temps, le 1 % restant se manifeste avec un pistolet [pisutoru] ou un couteau. » (Miyagawa, 20 avril 2010)
La gare est dangereuse mais la Règle n’entre pas en opposition frontale avec ce problème : ce sont les pratiques de la Règle, le fait que « les gens » la respectent, qui empêche le danger de dominer. Il est personnifié en un « 1% restant. » qui peut toujours se manifester : la tranquillité [anshin] peut à tout moment être mise en péril. Le terme anzen [sécurité]13 est ainsi utilisé par M. Nakamura pour qualifier la raison de la Règle : celle-ci sert à « défendre [mamoru] la sécurité » et à empêcher les « actes [kôi] répugnants [hukai] » (17 juin 2010). L’idée de « bonne volonté, » — implicitement opposée à l’idée de mauvaise volonté — à laquelle fait appel Mlle Tchapi, s’inscrit en ce sens : « On prend beaucoup trop sur soi [au Japon], nous dans notre perception ce nʼest pas nous respecter. (...) Le fait de faire la queue alors que tu es en retard, tu es hyper énervé, tu vas avoir une remarque de ton boss peu importe. Tʼas peut-être envie de ne pas être obligé de suivre tout le monde mais tu vas te forcer à le faire, tu vas prendre sur toi. (...) je vais considérer que cʼest me faire du mal et ne pas me respecter. » (Tchapi, 5 juin 2010)
Le fait de « prendre sur soi » est ici perçu de façon négative tandis qu’on trouve le sentiment inverse dans tous les autres discours : « Tout le monde patiente [gaman], patientons donc ! [gamansyô] 12 Cf. p.33 13 Cette notion de sécurité / tranquillité est apparue dans les enquêtes sur la population effectuées par la mairie de l’arrondissement en 2005 (Shinjukukusei Monitâ Ankêto, 2005) sous l’appellation « prévention criminelle et sécurité » [bohantotikianzen]. Actuellement, elle est nommée « Sécurité et tranquillité » [anzentoanshin] et représentait l’année dernière, selon les mêmes sources, la priorité des habitants de l’arrondissement (Shinjuku kusei Monitâ Ankêto, 2009).
II. La Règle
« Ici le bien [zen], là le mal [aku], il y a tout [zenbu] (…) ce n’est pas caché [kakusitenai]. Tout le monde connait les lieux sales [kitanaitokoro]. Tout le monde connait le quartier Kabukichô : sale, dangereux [abunai], effrayant [kowai], il peut y avoir de la drogue [mayaku] (…) tout, il y en a beaucoup, mais ce n’est pas caché. Tout le monde le sait. Et ça c’est ce que l’on appelle Shinjuku. » (Miyagawa, 20 avril 2010)
Sortie Sud
II. La Règle 48
générer une raison d’ensemble : telle règle est justifiée par un accident [jiken], telle autre pour une raison pratique ou encore par un danger [abunai desukara]. L’ensemble des comportements dans la gare relève plus, selon lui, de la « morale » [moraru]. Son amélioration trouve sa raison dans l’évolution de l’hygiène de vie et des infrastructures [infura], en particulier à partir des jeux Olympiques de 1964 ; de la même manière qu’elle aurait trouvé des facteurs d’améliorations à Pékin pour les jeux Olympiques de 2008. Cette amélioration du niveau de morale — M. Awaya parle de « morale basse » [moraru ga hikukatta] — viendrait de l’enseignement offert par « l’expérience » [keiken] des diverses situations physiques passées de la gare. Le comportement actuel serait construit par l’apprentissage du passé du lieu : en ce sens, l’évolution ne peut aller que vers l’amélioration, nécessairement subjective, dans les pratiques de la gare. Les améliorations physiques*, en terme d’espace disponible — largeur des souterrains — ou de « beauté / propreté » [kireisa], influeraient directement sur la perception de la Règle qui s’applique au lieu, voir favorise son omission comme régulateur des pratiques. Ces dernières sont perçues comme des institutions acquises qui s’appuient sur la « morale » dont le niveau de prise en compte [ishiki] varie dans le temps et dans l’espace (Awaya, 19 juin 2010). La rénovation de la gare n’est donc pas faite pour améliorer, mais pour permettre d’avoir un point de comparaison avec une situation physique donnée comme contemporaine. L’institution de la Règle s’applique sur le lieu, changeant, et fait ainsi varier la perception du même objet institutionnel sans que celui-ci ne soit directement engagé dans une transformation ou estimer qu’une telle transformation est nécessaire. C’est dans ce sens que M. Nakamura, dont la pratique de la gare n’est que récente, décrit les « incessants travaux » [zutto kôji] comme ne « permettant toujours pas de satisfaction » [manzoku] (Nakamura, 17 juin 2010). La rénovation et les agrandissements de la gare, commencés dans les années 19609 actuellement focalisés sur la sortie Sud (cf. carte ci-contre), permettent d’attribuer à la Règle cette notion de « procédés de satisfaction »10 propre à une institution. Cette règle est justifiée temporairement par l’attente d’une amélioration future (fig.II.b) :
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« il y a peut-être des gens qui penseront : “Arrêter serait assurément bien [ii]” » (Tsuchiya, 28 mai 2010)
II. La Règle
« “No smoking,” c’est bien ; (…) arrêter de fumer, je trouve ça bien » (Tchapi, 5 juin 2010)
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Les nuances face à cette dualité sont apportées par la désignation des systèmes de référence de la Règle : cette dernière peut s’attacher à la loi [hôritsu] (par ex. Miyagawa, 20 avril 2010) et faire de celui qui ne la respecte pas un contrevenant face à l’état. Elle peut également être celle de l’entreprise qui gère le lieu (par ex. Tchapi, 5 juin 2010) : ne pas la respecter implique être passible d’une contravention ; il y a rupture du contrat passé par l’utilisateur 15 lors de l’utilisation de la gare ou d’une partie de la gare16. Enfin, la Règle relative à la société [shakai]17 (par ex. Kageyama, 26 mai 2010) existe par le biais des relations entre les personnes qui y appartiennent18. La définition de la société selon Mlle Kageyama est entièrement dépendante des règles — en regard de ses différents systèmes — et réciproquement : « Les règles créent la société et la société crée les règles » (Kageyama, 26 mai 2010)
La dualité entre le bien et le mal est articulée par ces trois systèmes sur lesquels elle s’appuie. Aucune des personnes interviewées ne mettrait sur le même plan un meurtre avec le fait d’entrer dans un wagon en doublant les personnes alignées, mais l’un comme l’autre de ces cas est considéré comme « mal » ou « mauvais » [iya] par rapport à son système de référence. La raison de la Règle tiendrait donc de sa capacité à réglementer le mauvais pour laisser le bon : c’est parce que quelqu’un « a déjà fait (un acte mauvais), et non parce qu’il y a beaucoup de monde qui l’a fait (…) qu’il y a la Règle » (Yamanouchi, 24 juin 2010). Michel Foucault décrit comme appartenant à un système disciplinaire cette définition de l’interdit : « Le système de légalité, le système de la loi a essentiellement pour fonction de déterminer les choses d’autant plus qu’elles sont interdites » (Foucault, 2004 (1978) : 47)19. Ici, ce n’est pas le système que nous qualifierons de disciplinaire — quoi que ce 14 Sur l’émergence dans le Japon des années 1980 de la dualité bien / mal dans l’imaginaire de la classe moyenne majoritaire, lire « Tôkyôhyôryû » [La dérive de Tôkyô] du photographe Fujiwara Shinya (1983) 15 « Seul mais semblable aux autres, l’utilisateur du non-lieu est avec celui-ci (ou avec les puissances qui le gouvernent) en relation contractuelle. L’existence de ce contrat lui est rappelée à l’occasion (le mode d’emploi du non-lieu en est un élément) : le billet qu’il a acheté, la carte qu’il devra présenter au péage, (...) en sont la marque plus ou moins forte. » (Augé, 1992 : 128) 16 Les différentes parties de la gare de Shinjuku sont contrôlées par 6 entreprises différentes (Timeline annexes p.XII) 17 Nous verrons comment le système de la société est accaparé par celui de l’entreprise au travers de la représentation de la Règle, troublant par là-même la différence entre règle et bonnes manières 18 Erving Goffman différencie deux systèmes principaux de référence : les « règlements » et la « pression sociale. » Il subdivise ensuite le premier en deux parties : « la loi, le règlement du comportement qui s’appuie sur le pouvoir et l’autorité de l’Etat, et les règles, normes imposées par un agent autorisé, mais dont l’autorité provient d’une organisation moins globale que l’Etat. » (1973 : 102). Loi, Règles et Pression Sociale : nous retrouvons ainsi les trois systèmes que nous avons identifiés. 19 A propos de la troisième différence entre système disciplinaire et système sécuritaire : « Au fond, la discipline, comme d’ailleurs les systèmes de légalité, comment est-ce qu’ils procèdent ? Eh bien, ils répartissent toute chose selon un code qui est celui du permis et du défendu. Et puis, ils vont, à l’intérieur de ces deux champs du permis et du défendu, spécifier, déterminer exactement ce qui est défendu, ce qui est permis, ou plutôt, ce qui est obligatoire. Et on peut dire qu’à l’intérieur de ce schéma général, le système de légalité, le système de la loi a essentiellement pour fonction de déterminer les choses d’autant plus qu’elles sont interdites. Au fond ; ce que dit la loi, essentiellement, c’est
n’est pas une hypothèse à écarter — mais la perception qu’ont les usagers de ce système qui le fait apparaître comme disciplinaire. Le terme même de discipline [kiritsu] est employé par M. Nakamura lorsqu’il décrit la soumission nécessaire à la Règle qu’il différencie et exempt de toute réponse à une interaction avec la « foule » [daishû]. Selon lui, l’Autre n’importe pas face à la prescription de la Règle de la gare (Nakamura, 22 juin 2010). Les médias qui relayent l’information des actes malveillants ou des accidents confortent une partie de cette justification tout en garantissant l’intégrité de la Règle face aux personnes qu’ils décrivent comme l’ayant violée : « De temps en temps, une personne meurt en se faisant casser le cou [hasamatte shinda] [dans les escaliers roulants], j’ai vu cela de nombreuses fois [nankaika] aux informations [nyûsu] » (Miyagawa, 15 juin 2010)
« Les informations montrent que les gens viennent vivre à cet endroit, beaucoup n’ont pas de travail (…) cela devient une communauté [komyunitî] » (Tsuchiya, 23 avril 2010) « Honnêtement, je pense qu’il y a beaucoup de satyres20 [chikan]. On le voit souvent dans les journaux [shinbun] ou à la télévision [terebi] » (Yamanouchi, 24 juin 2010)
Les extraits d’entretiens ci-dessus font tous référence à une règle spécifique qui empêche ou réduit les risques dont les conséquences, et non la cause première, sont décrites. La répétition de ce type d’information, qui dans un premier temps justifie la Règle pour mettre fin à une catégorie de danger, de dérangement ou de délit, incrimine dans un second temps la personne victime du fait quel qu’il soit. L’interdit ayant été défini et désigné, c’est sur la personne impliquée d’une manière quelconque avec cet interdit qu’incombe la responsabilité du « mal. » Nous reviendrons sur l’utilisation de cette dualité dans les analyses consacrées à l’apprentissage de la Règle.
II. La Règle
» (Kageyama, 26 mai 2010). Le terme gaman signifie autant patience que maîtrise, endurance et tolérance. M. Nakamura énonce clairement : « Parce que ce n’est pas bien [yokunai], arrêtons [yameyô] » (17 juin 2010). Cette idée d’un « pas bien » amalgame le terrorisme, les petits délits et les bonnes manières. Ce qui est « mal » donne raison à la Règle d’exister, permet une éventuelle prise de conscience de ceux qui l’engendrent et définit surtout son opposé : le bien 14.
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La norme
Parler de la norme dans la société japonaise, c’est d’abord parler d’une série d’analyses la faisant apparaître dans divers domaines21, série sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour analyne pas faire ceci, ne pas faire encore cette chose-là, ne pas faire non plus celle-ci, etc. De sorte que le mouvement de spécification et de détermination dans un système de légalité porte toujours et avec d’autant plus de précision qu’il s’agit de ce qui est à empêcher, de ce qui est à interdire. Autrement dit, c’est en prenant le point de vue du désordre que l’on analyse de plus en plus finement, que l’on va établir l’ordre — c’est-à-dire : c’est ce qui reste. L’ordre, c’est ce qui reste lorsqu’on aura empêché en effet toute ce qui est interdit. C’est cette pensée négative qui est, je crois, caractéristique d’un code légal. Pensée et technique négative. » (Foucault, 2004 (1978) : 47) 20 Au Japon, pendant les heures de pointe les hommes profitant de la cohue pour se coller ou caresser des femmes sont appelés des satyres. A ce sujet, voir le film « Sore mo boku o yattenai [Cela non plus je ne le fais pas]» de Suo Masayuki (2006) 21 Ainsi pourra-t-on entre autres lire sur la démocratie « La “démocratie” japonaise est une sorte de sentiment communautaire avec pour supposition principale un degré élevé de cohésion et de consensus à l’intérieur du groupe. » (Nakane, 1994 (1970) : 152) trad. de l’auteur ; sur la relation à l’autre « A tout instant, chaque individu cherche à adapter son moi à la situation où il se trouve et non à l’affirmer en l’imposant aux autres » (Berque, 1982 : 60) ; sur le couple : « Il rentre enfin. En poussant la porte, il lance le rituel “Tadaima” (“Je rentre”), elle répond “Okaeri” (“bienvenue”) (...). Ceci est un portrait-robot, le tableau de la vie familiale généralisé par la vox populi elle-même et les médias. (...) Cela fait partie du jeu de la communication entre homme et femme. Chacun ses règles. » (Bret in Pons, 1984 : 118) ; sur les vêtements « Cette similarité (physique des gens), érigée en vertu, s’exprime aussi dans la tenue vestimentaire : le costume bleu foncé de l’homme d’affaires, l’uniforme a col montant ou marin de l’écolier, les habits de travail. » (Richie, 2000 : 87) ; sur la politique « La réalité sur le sujet et que les étudiants ne sont pas intéresser à faire de vagues. Une fois leur formation finie et leur diplôme assuré, il commence à envoyer leur curriculum vitae à des entreprises. La promesse d’un travail obtenue, ils perdent tout intérêt dans l’université. En tant que nouveau membre de la force de travail, ils se
ser les discours. Une norme est reconnue dans plusieurs entretiens et est désignée, entre autres, par le mot atarimae [normal, naturel, ordinaire] qui signifie mot à mot « avant le choc » : « Il y a une règle qui stipule de jeter les détritus [gomi] à la poubelle ? L’entendre dire est une question normale [atarimae] de sens commun [jyôshikiteki], tout le monde peut le comprendre [nattoku]. Pour les questions relatives au sens commun [jyôshiki sugi], je ne pensais pas qu’il y avait une règle, mais c’est une règle. (…)
II. La Règle
Les satyres [chikan] font des délits [hanzai], tout le monde le sait Evidemment la raison [wake] peut être la banalité [atarimae] du fait. » (Tsuchiya, 28 mai 2010)
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Après la surprise de découvrir une règle là où M. Tsuchiya ne voyait qu’une expression « normale du sens commun, » cette dernière vient justifier la Règle et sa compréhension. Sur la question des satyres, la banalité de la Règle revient à considérer l’assertion « les satyres font des délits » comme un pléonasme. Et en effet, le terme même de chikan signifie « homme sot » et inclut l’idée d’absence de rationalité [risei], donc l’impossibilité de comprendre la raison de la Règle. Dans les deux cas, le terme atarimae pose la Règle comme la normale et son effraction comme anormale — ou pour reprendre le terme japonais : qui a choqué. Ainsi certains discours désignent « les Japonais » [nihonjin] (Kageyama, 16 juin 2010) ou « l’homme moyen » [hutsûna hito] (Hada, 20 avril 2010) comme celui qui agit ou pense « comme eux » [bokuto issho] (Awaya, 30 avril 2010). M. Yamanouchi définit la notion de liberté [jiyû] par « faire ce que l’on veut est bien [ii], » et pense que « les Japonais n’y sont pas habitués [naretenai]. » Dans le même entretien, il commente cette notion : « Pour ainsi dire, j’en ai [bokunonaka] une mauvaise [warui] image, les Japonais [nihonjin] pour la majorité en ont une mauvaise image. Si tout le monde [minna] fait la même chose [onajikoto], c’est particulièrement bien [tokuni ii] : cette préférence [konomi] est répandue parmi les Japonais, je pense [kana]. On n’aime pas [sukijanai] faire quelque chose de différent des autres [hito chigau koto]. » (Yamanouchi, 14 juin 2010)
C’est après avoir présenté ce contexte qu’il nuance le propos et apporte une justification à la Règle sans y adhérer totalement : « Je pense que tout a changé [kawatte kita] récemment [saikin]. (…) Certains font des choses très différentes des autres [hitoto sugoku chigau koto], certains exercent cette liberté [jiyû] dans la gare. Je ne sais pas si c’est bien [ii] ou pas : c’est un stade [hû] où il est difficile de dire [kagiranai] que l’homogénéité des comportements [minnatoissyo] est bonne. (…) On aime faire des règles [kimari] au Japon, (…) je les respecte(rai), tout le monde [minna] les respecte(ra) 22
jettent à corps perdu dans leur carrière et la politique ne fait plus partie de leurs préoccupations. » (Igarashi in Anno, Moyoko, Hashizume (dir.), 2006 (2004) : 65) trad. de l’auteur ; Sur la société civile et l’état « (Le Japon) n’est pas un pays qui célèbre la diversité. Même les étrangers qui en connaissent un peu plus que la normale sur le sujet connaissent le proverbe “Un clou qui dépasse appelle le coup de marteau [deru kugi wa utareru]” » (Schwartz/Pharr/Barshay (dir.), 2003 : 4) trad. de l’auteur ; etc. 22 En japonais, la nuance entre le présent et le futur n’étant pas aussi nette qu’en français, la dernière phrase de
[mamoru]. » (Yamanouchi, 14 juin 2010)
Ce changement récent permettant de sortir des « normes sociales » est décrit par Anne GuarrigueTestard et Marie Chevalier23 comme une nouvelle possibilité offerte aux Japonais, bien qu’elle aille souvent de paire avec la perte de son niveau de vie. Avant de terminer l’entretien, M. Yamanouchi reviendra sur la « mauvaise image » de la liberté en la replaçant « à l’intérieur [naka] des règles [rûru] et des bonnes manières [manâ] » pour en faire une « bonne chose [î koto]. » Nous voyons apparaître deux types de libertés : celle qui s’affranchit des règles, dont l’image est « mauvaise, » et celle qui permet d’agir à l’intérieur de la Règle, qui est bonne. La norme est aussi clairement identifiée en l’Autre [hito] ou par l’ensemble des Autres [minna] tandis que la Règle, à l’intérieur de laquelle une certaine liberté est à trouver, permet de rester dans cette norme ; autrement dit, de respecter cette norme24. La Règle n’est qu’un catalyseur de la norme qui l’a créée. M. Miyagawa décrit en ce sens la situation passée face au cosmopolitisme de la société actuelle et les changements induits : « Avant, il n’y avait que des Japonais au Japon, les bonnes manières [manâ] étaient très prégnantes [okinakoto] : tout le monde [minna] pensait la même chose [onajikoto] (…), avait une conscience commune [onaji ninshiki]. (…) Maintenant, il y a des Américains, des Français, des Chinois, des Iraniens, etc. Tout le monde a des comportements [manâ] différents, (…) que l’on soit de la campagne [inaka] ou de la métropole [toka], (…) c’est l’éducation [shitsuke]. (…) Peut-être [moshikashitara] que les bonnes manières sont comprises par tous dans le monde [sekai], (…) c’est dans les faits [yaru koto] que c’est différent [chigau], (…) la manière de penser le mot public [kôkyô] est différente je pense. » (Miyagawa, 15 juin 2010)
De l’homogénéité de l’éducation et de la pensée — l’objet partagé sur lequel la pensée individuelle se focalisait — naissait cette « conscience commune » qui ne peut plus être face à la diversité de l’éducation des utilisateurs de la gare25. La Règle doit jouer ce rôle d’éducation pour que le mot public ait la même valeur pour tous : elle a une « valeur éducative » (Tchapi, 5 juin 2010). Cette nécessité explique l’importance qu’à pu prendre la Règle par rapport à un passé plus ou moins bien identifié. Elle prend également corps lorsque Mlle Kageyama parle de « generation gap* [fossé entre les générations]. » Elle insiste sur l’impact des technologies — « des personnes habituées [nareteru] jeunes au double-click* » — et sur l’évolution de l’éducation liée au « système » qui la transcende : « Je trouve que les Japonais ont de mauvaises manières [manâ warui], je le pense vraiment [sugoku omou] (…) c’est devenu normal [atarimae] mais ce n’est pas la cause [wake] du mal. C’est l’éducation reçue [sodatta] à l’intérieur du système [system] : ces personnes ne peuvent pas comparer [kuraberenai]. » (Kageyama, 16 juin 2010)
Ici ce ne sont pas les différences d’éducation mais l’évolution de l’éducation dans le temps qui entre en jeu. Comme dans le cas de la transformation physique de la gare, c’est la transformation M.Yamanouchi peut être interprétée indifféremment au présent ou au futur. 23 « A la faveur de la crise, un changement a commencé à s’opérer dans la manière dont l’intégration sociale s’effectue au Japon : les facteurs économiques prennent progressivement le relais de la pression du groupe. Si de nombreux Japonais continuent à se conformer a modèle dominant, c’est moins par conformisme culturel intrinsèque que par crainte de perdre leur niveau de vie. (...) Dans le Japon du XXIe siècle, s’il est devenu possible de s’écarter des normes sociales, ce choix reste généralement coûteux en termes de carrière et de niveau de vie. » (Guarrigue-Testard, Chevalier in Bouissou, 2007 : 472) 24 « Kurt Singer faisait observer dans les années 30 que beaucoup de Japonais (en fait, la plupart d’entre eux, à l’époque où il écrivait) apprennent à évoluer «à l’intérieur du cadre étriqué de règles restrictives» qui leur servent généralement de structure. A la notion occidentale de «liberté de ...» correspond «obligation de ...» laquelle façonne souvent, et à découvert, un individu taillé selon un modèle commun. » (Richie, 2000 : 89-90) 25 Il y avait 1,6 % de personnes étrangères au Japon en 2009 (Source : www.e-stat.go.jp Portal site of official statistics of Japan consulté le 4 février 2011)
II. La Règle
Fig.II.c : « Ondes des téléphones mobiles éteintes !! à côté des sièges prioritaires »
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des pratiques qui devrait être comparée pour comprendre l’enjeu de la Règle et de son respect ou non. La Règle aurait donc pour but de faire comprendre le passé et sa norme aux nouveaux arrivants et aux générations qui ne peuvent pas comparer la situation contemporaine à leur propre expérience : Elle est un ersatz du passé. A l’opposé de la transformation de l’environnement physique, la relation avec une situation passée impose à la Règle de constantes reformulations tandis que la norme, elle, ne change pas. Les nouveaux utilisateurs de la gare se forgeront leur modèle de comparaison en combinant la situation qu’ils expérimentent à la Règle qui s’impose à eux. En ce sens, M. Miyagawa constate un changement dans les pratiques du téléphone mobile :
Fig.II.d : « En semaine, le wagon 10 de la ligne SaiKyô est réservé aux femmes le matin et le soir » qui « disparaît facilement » (Petit Robert, 2008). La volatilité permet de voir en priorité l’objet — qui est en réalité l’ensemble des « normalités différentielles27 » — et donc la norme qu’il définit.
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L’anthropologue Itô Mizuko a montré en ce sens que la pression de la Règle (fig.I.c) sur les conversations téléphoniques à modifié les pratiques que les adolescents ont de leur téléphone mobile : ils sont nommés « génération du pouce » [oyayubi sedai] du fait qu’ils utilisent en majorité les messages écrits pour ne pas avoir à parler à haute voix (Itô, Okabe, Matsuda, 2004). M. Hada note encore que ce sont généralement « les étrangers [gaikokujin] et les personnes âgées [toshiyori] » qui « parlent fort » [ôki koede] au téléphone dans le train et non les jeunes (Hada, 20 avril 2010). Il nous apparaît donc cohérent de voir dans l’évolution de la Règle la référence à un passé proche abstrait qui représente à chaque instant une situation de la norme. Elle viserait ainsi à contenir les évolutions trop brutales plus qu’à réfréner des pratiques ponctuelles parfois jugées comme déplacées par les utilisateurs habitués du lieu. En ce sens, il semble que la Règle est perçue comme disciplinaire — nous l’avons vu plus haut — bien que sa formation et son évolution relève de ce que Michel Foucault intègre au concept de dispositif de sécurité26. M. Yamanouchi décrit le processus de création de la Règle par le fait que « personne ne respecte [minna mamoranai], donc on crée une règle » (Yamanouchi, 24 juin 2010). Dans cette phrase, le verbe respecter [mamoru] ne peut être pris ici que dans le sens conserver [hoji] ou maintien [iji] : la Règle n’existant pas à ce stade. Nous voyons à nouveau apparaître la question d’une situation établie, normée, qui demande l’intervention de la Règle pour son maintien. La situation est menacée par l’ensemble qui l’a créée. A chaque stade de cette recréation, la norme peut être réévaluée et adaptée. Mlle Tchapi décrit ainsi la « volatilité » autour de la Règle : « Tout le monde le fait aussi, je ne suis pas toute seule, il y a plein de gens qui doublent : il y a juste une limite (...) il faut quʼil y ait une espèce de volatilité autour dʼune règle (...) maintenir cet équilibre avec quelques électrons mauvais comme moi ou comme dʼautres et quelques-uns qui respectent scrupuleusement. » (Tchapi, 5 juin 2010)
Il y a inversion des proportions : « Plein de gens » doublent tandis que seulement « quelques-uns » respectent la Règle de l’alignement. Mais le terme « volatilité » ne se rattache qu’à ce qui se trouve « autour » de la Règle et non à la Règle elle-même relativisant la question des proportions. La Règle est considérée comme un objet — un solide — autour duquel il y a de la volatilité : un ensemble 26 En parlant des dispositifs mis en place face aux épidémies de variole au XVIIIème siècle : « Dans les disciplines, on partait d’une norme et c’est par rapport à ce dressage effectué par la norme que l’on pouvait ensuite distinguer le normal de l’anormal. Là, au contraire, on va avoir un repérage du normal et de l’anormal, on va avoir un repérage des différentes courbes de normalité, et l’opération de normalisation va consister à faire jouer les unes par rapport aux autres ces différentes distributions de normalité et [à] faire en sorte que les plus défavorables soient ramenées à celles qui sont les plus favorables. (...) Ce sont ces distributions-là qui vont servir de norme. La norme est un jeu à l’intérieur des normalités différentielles. C’est le normal qui est premier et c’est la norme qui s’en déduit, ou c’est à partir de cette étude des normalités que la norme se fixe et joue son rôle opératoire. Donc, je ne dirais plus qu’il s’agit d’une normation, mais plutôt, au sens strict enfin, d’une normalisation. » (Foucault, 2004 : 65)
L’Autre
Dans la première partie nous avons vu l’importance que prennent les autres utilisateurs dans la perception de ce que qu’est la gare de Shinjuku. Nous venons de voir que la question de la norme, qui implique nécessairement un ensemble, est prépondérante comme raison de la Règle. Il n’est donc pas surprenant de remarquer que la question de l’Autre comme partie de cet ensemble est également invoquée pour la justification de l’existence de la Règle. Dans la plupart des entretiens, cet Autre est indifféremment telle ou telle personne qui entoure un individu, comme dans le cas de la description des activités pendant le temps de transport qui suit : « Je lis un livre (…) j’écoute de la musique (…) je suis dans mon monde [jibun no sekai] (…) je ne veux pas entrer dans la communication [comyunikêsyon] avec les Autres [hito]. (…) Il y a seulement [bakari] des personnes que je ne connais pas [shiranai hito] (…) je me mets en shut down*. (…) En dehors du contexte du train [densha igai], on ne peut pas imaginer cette distance physique [kyori] [avec les autres]. Si la Règle n’est pas respectée, personne ne pourra plus utiliser [tsukaenai] [les lieux] » (Tsuchiya, 23 avril 2010)
L’Autre est simplement une altérité indifférenciée qui partage les même besoins d’usage. La Règle permet l’utilisation du lieu et c’est la logique de chacun qui mène à son respect. Deux notions de ce discours réapparaissent dans d’autres entretiens : l’expression shut down qui est passée dans le langage courant ; souvent utilisée dans les conversations pour évoquer les moments de transports ; et celle d’une « bulle » personnelle (Hall, 1964 : 124) — Mlle Kageyama parle de « personal space* » (26 mai 2010), M. Hada de « moi c’est moi [boku ha boku] » (20 avril 2010) ou M. Nakamura des « interstices [sukima] à conserver » entre les personnes (11 mai 2010)28. Cette individualisation des pratiques est à mettre en rapport, selon M. Tsuchiya, avec la construction des manshon — terme emprunté à l’anglais mansion pour désigner les immeubles de logements — qui permettent « d’ignorer [mushi] » l’Autre sans que le lien indéfectible inhérent à l’humain [ningen desu kara] ne puisse être totalement rompu (Tsuchiya, 28 mai 2010). C’est cette relation imposée, qui passe au-delà de l’ignorance de l’Autre, qui donnerait une nouvelle raison à la Règle d’exister. A ceci s’ajoute le comportement personnel : le « monde » que l’on crée autour de soi pour « minimiser* le stress [sutoresu] » est le complément de la Règle. Cette dernière « corrige [naosu] le chaos*, (…) dans le but [wake] de faire disparaître le stress [sutoresu] » (Kageyama, 21 avril 2010) et chaque personne apporte le complément dont elle a besoin en générant son monde. Le stress est 27 ib. 28 On pourra trouver également l’évocation de la « bulle personnelle » (Garrigue-Testard, Chevalier in Bouissou, 2007 : 469) ou encore de « l’espace personnel » (Sugimori in Jolivet,2007 : 14) comme autant de rappel de qu’Erving Goffman appelle le territoire de « réserve “égocentrique.” » (1973b : 44)
II. La Règle
II. La Règle
« A l’intérieur de la gare, il y a peu de (personnes qui ne sont pas polies*) Aujourd’hui, il y a peu de personnes qui discutent [shaberu hito] à l’aide de leur téléphone mobile [keitai denwa]. Dans les années 1990, il y en avait énormément [ippai]. » (Miyagawa, 15 juin 2010)
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II. La Règle
« Il y a beaucoup de satyres, quand les trains sont pleins [konderu] c’est vraiment juste [girigiri], n’est-ce pas déplaisant [iya] pour les femmes [onnanohito] ? (…) L’idée [des wagons pour femmes] est d’offrir un refuge [hinan] aux dames [jyosei] pendant ces périodes [komu jikan]. (…) C’est quelque chose que je peux comprendre [rikai]. (…) C’est une règle pour la tranquilité [anshin]. (Awaya, 19 juin 2010)
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L’Autre est à la fois le satyre et les femmes. Il n’y a pas de relation directe entre cette règle et M. Awaya. Il ne se sent pas directement concerné, mais il la « comprend. » La Règle, selon lui destinée aux femmes (fig.II.d), s’inscrit dans un ensemble plus grand qui est celui de la tranquillité [anshin] déjà évoquée. Celle-ci est souvent mise à contribution dans les discours : de manière directe « les Japonais détestent [iya] les ennuis [toraburu] » (Yamanouchi, 19 avril 2010), ou de façon imagée « inconsciemment, la tranquillité [heiwa] fait naître l’amour de l’Autre [ai] (…) donc la Règle peut exister [rûruga dekiru] » (Miyagawa, 20 avril 2010). L’objectif principal de cette tranquillité amène à un retour à la fonction gare : M. Hada parle « d’aller naturellement [shizen] de façon fluide [sumûzude iku] » (20 avril 2010). Le mot traduit par « fluide »— sumûzu — dans cette phrase est un emprunt à l’anglais smooth, également homogénéité, qui signifie en japonais : le fait d’effectuer quelque chose sans avoir d’obstacle [shisyô]. Ce terme représente la bonne marche des choses [enkatsu na shinkô] (Dejitarudaijisen, 2009), en ce sens, il se rapporte à la normalisation. L’expression « aller de façon fluide » nécessite un point d’arrivée : c’est ce que nous venons d’appeler le retour à la fonction gare. L’objectif est bien de prendre le train pour atteindre une destination, la raison de la Règle s’appuie donc sur un entre deux [ma31] qui sépare le moment d’utilisation de la gare avec le reste des activités. L’idée de shut down, citée précédemment, exprime clairement cette pause, cette suspension du temps et des activités qu’elle relie. En général, le discours ouvert sur ce qu’est la gare de Shinjuku que nous avons vu dans la première partie se referme sur sa fonction centrale de lieu de transport qui (re)devient principale pour évoquer la Règle et sa raison.
29 L’analyse en fonction de différentes conditions de transport montre l’incidence du temps de transport mais surtout du nombre de personnes — « crowding level » traduit par niveau d’encombrement — sur certains indices mesurables de stress. « 1. Dans le cas des trains d’aller-retour du lieu d’habitation au travail, le corps libère des hormones (de stress) en lien avec le niveau d’encombrement (...). 2. Le temps des aller-retour entre l’habitation et le travail est aisément facteur de fatigues chroniques (...) 3. En regard des analyses, le groupe dont le temps d’utilisation du train dans le temps total de migration quotidienne est inférieur à 15 minutes le stress est moins important (...). 1. Durant le Week-end (à partir de vendredi) l’évacuation du stress par le corps augmente. 2. Le niveau d’encombrement influence le niveau de stress de tous les jours ainsi que les fonctions de sa régulation. (...) » (Policy research institute for Land, Infrastructure, Transport and Tourism, http://www.mlit.go.jp/pri/english/houkoku/gaiyou/english_kkk55.html, consulté le 25 février 2010) trad. de l’auteur 30 « L’institution est un acte de magie sociale qui peut créer la différence ex nihilo ou bien, et c’est le cas le plus fréquent, exploiter en quelque sorte des différences préexistantes, comme les différences biologiques entre les sexes ou, dans le cas par exemple de l’institution de l’héritier selon le droit d’aînesse, les différences entre les âges. » (Bourdieu, 1982 : 125) 31 « Fondamentalement, le ma est l’intervalle qui existe obligatoirement [tôzen] entre deux choses qui se succèdent [renzoku] ; d’où l’idée de pause » (Berque, 1982 : 62)
Une raison souvent exprimée mais peu été évoquée ici est celle de la logique de la Règle, la Règle « allant de soi » (Goffman, 1973a : 107). En effet, un grand nombre de premières approches d’une règle ou de la Règle se faisait par la constatation de la logique de son existence. Nous sommes partis du principe que ce « cela va sans dire » — dont il nous paraît important pour la compréhension de la suite du propos de faire mention — s’appuie en réalité sur l’analyse ci-dessus. Nous venons de le voir, la raison de la Règle est construite à la fois dans la transformation et la rénovation permanente de l’espace construit, une dualité entre le bien et le mal articulée sur trois systèmes principaux, une norme en constant renouvellement faisant référence à un passé récent, et l’obligation de la relation à l’Autre dans un espace qui n’est que transitoire.
II. La Règle
un facteur mis en exergue dans les discours29. La présence de l’Autre comme éventuel perturbateur est déplaisante [iya] ; et dans le cas de certaines règles spécifiques, l’Autre sera différencié de son voisin pour être désigné comme appartenant à un sous-groupe institué par la Règle elle-même30 :
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vest considérée comme se faisant uniquement dans l’enceinte de la gare : lorsque l’individu auquel
est transmise la Règle est un utilisateur du lieu. Nous analyserons dans les paragraphes suivants ce que nous avons identifié comme étant les trois agents principaux de transmission de la Règle : l’individu, le groupe et la représentation de la Règle.
Au cours des entretiens, nous avons demandé aux personnes interviewées quelles étaient les personnes ou les institutions par le biais desquelles la Règle ou ses fondements sont transmis : aucune n’a témoigné avec évidence d’une ou de plusieurs autorités responsables de cet enseignement. Des noms, s’ils sont précis et se correspondent globalement d’un entretien à l’autre, sont prononcés de manière évasive : les parents [oya], la famille [kazoku] les professeurs [sensei], les senpai [aînés, prédécesseurs dans une expérience (à l’université, dans l’entreprise, etc.)]. C’est l’ensemble des discours qui fait émerger la période de l’école primaire [shôgakko] comme le moment privilégié de cet apprentissage. Ceci est justifié par le manque d’expérience, par l’absence d’intégration des codes que l’enfant est en train d’apprendre à l’école34 tandis que la société lui en fait la démonstration journalière :
II. La Règle 58
L’individu
Transmettre la Règle
De la même manière que la logique de la Règle ne semble pas constituer un argument suffisant à son intégration dans les pratiques — et nous avons montrer qu’une partie des règles considérée comme tacite peut trouver sa raison dans l’espace construit et son évolution — il n’est pas satisfaisant de considérer la pratique de la Règle ou une partie de celle-ci comme ne résultant pas d’un apprentissage, quel qu’il soit. Nous nous attacherons ici à comprendre qui transmet la Règle ; ce qui nous mènera vers le comment de la transmission. Pour ce fait, nous différencierons l’individu du groupe de la manière suivante : le premier, l’individu, peut s’apparenter à une personne comme à un petit groupe de personnes ayant une interaction directe ou reconnue avec l’individu auquel est transmis la Règle. Cette interaction peut avoir lieu dans la gare de Shinjuku comme au-dehors, sans que le moment auquel elle a lieu n’ait d’importance. Ainsi, les collègues ou les amis sont décrits comme des individus même si l’on peut parler du groupe d’amis ou du groupe des collègues32. Le second, le groupe, est ce que nous avons défini comme l’ensemble des Autres qui n’ont d’autre lien avec la personne à laquelle est transmise la Règle que de pratiquer également la gare de Shinjuku. Les membres du groupe sont en constant renouvellement tandis que le groupe lui-même reste une entité constituée33. Par définition, une interaction entre un individu est le groupe est indirecte. Elle 32 En ce sens, Murakami Yasuhiro parle de « société du ie [maison] » lorsqu’il « définit la culture sociale japonaise comme une “idéologie du lien familial et social,” centrée non sur l’individu mais sur ses liens avec les autres et la communauté. » (Bouissou 2004 : 268) 33 Nous adaptons ici le principe « d’auto-organisation » au groupe : « un organisme reste identique à lui-même bien
« Par exemple cracher, jeter sa cigarette : cela va sans dire, n’est ce pas [deshô] ? (…) C’est la base*. Personne ne l’enseigne [oshieru] car c’est normal [atarimae]. Face à des écoliers [shôgakusei] on peut dire “arrête !” [ikenaiyo], mais une fois adulte [otonani natta], ce n’est plus la peine de le dire car ils ne font plus ce genre de choses. » (Awaya, 19 juin 2010)
L’exemple de la cigarette s’appliquant à un enfant semble quelque peu hors de propos mais il ne sert qu’à désigner plus généralement un acte qui sort des règles, et en ce sens pourrait être reproché à un écolier facilement reconnaissable par son uniforme. Du comportement de celui-ci d’aucun pourra corriger un manquement à la norme. « Depuis le plus jeune âge [chîsai tokikara] » (Yamanouchi, 19 avril 2010) la Règle est abordée à l’école « en fonction des circonstances [baai] » (Awaya, 30 avril 2010), l’acquis devant ensuite être amélioré, complété. Ainsi, les écoliers semblent être considérés comme réceptifs à la Règle et à son apprentissage : ils peuvent recevoir un message correctif de leur entourage, voir d’un inconnu35. Cette période de l’école primaire passée, l’apprentissage de la Règle ne se ferait plus directement par « l’inconnu » mais par « l’entourage que tous ses constituants se soient renouvelés. » (Morin, 2005 : 44) 34 « Sous le titre générique “d’activités spéciales”, les directives pédagogiques nationales aujourd’hui en vigueur au Japon attribuent une enveloppe horaire aux activités de classe, aux manifestations scolaires et à l’acquisition des bonnes manières à la cantine. De plus, l’acquisition des “habitudes de vie fondamentales” [kihon seikatsu shûkan], comme ranger ses affaires, dire bonjour, se tenir correctement, définissent un domaine important d’intervention des enseignants, spécialement dans les petites classes. (...) « Jusqu’au niveau cinq (équivalent du CM2 français), les enfants s’étaient montrés réceptifs et dociles. » (Tsuneyoshi in Alvarès, Sato, 2007 : 141) « Les bénéficiaires de cette capacité d’empathie sont avant tout les enfants, à l’égard desquels la société tout entière — et pas seulement les parents concernés — se montre d’une tolérance et d’une gentillesse singulières. (A)u Japon, c’est justement parce que l’enfant ne connaît pas encore bien son rôle social que la société des adultes plie devant lui. » (Berque, 1982 : 60) 35 Jean Bel décrit l’influence du voisinage dans une ville moyenne sur le respect de certaines règles de vie en communauté et le contrôle de chacun par tous que cela implique (1980 : 180, 401). En ce sens, M. Yamanouchi décrit l’importance de la « fréquentation du voisinage [kinjyo tsukiai] » à la campagne [inaka] qui influe directement et de façon « positive » sur les comportements.
II. La Règle
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Fig.II.e : « Cours de sens commun pour adulte des bonnes manières d’antan »
Fig.II.f : Les personnes qui patientent sur l’escalier mécanique laissent un espace de passage à droite
[mawari no hito] » :
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Ce qui est bizarre ou anormal est éliminé des comportements ou des pratiques sous les remarques des proches. La dualité entre normal et bizarre serait ainsi transmise, au moins pour partie, par l’entourage direct des personnes. Un comportement dans la norme est construit à partir de la désignation d’un bizarre que l’on peut trouver décrit dans les livres. En effet, il existe de nombreux livres ou magazines s’adressant image©Nikkei Otona no OFF ouvertement à un public adulte qui décrivent règles et bonnes manières. On y trouve généralement des rappels sur la vie de tous les jours ou le travail, tandis que l’espace de transport n’est pas oublié : ainsi sont pointés du doigt dans un « cours [kôza] de sens commun [jôshiki] pour adulte » le fait de « lire l’édition du journal du matin ou du soir en prenant trop d’espace dans un wagon », de prendre « “Le petit déjeuner dans le train en allant au travail” du pain et une canette de café », « faire un banquet [enkai] sur les quais après une nomikai [soirée arrosée entre collègues] », etc. (Iwashita, Nomura, Hongo, 2010 : 10. fig.II.e). Nous pouvons aisément imaginer que l’objectif de ces articles, s’il est d’abord l’information individuelle, est celui de la transmission de la norme réaffirmée entre collègues ou entre amis. L’existence d’une norme ne peut se réduire à l’échelle de l’individu, ce n’est qu’en partie par ce dernier qu’elle est transmise. Comme nous venons de le voir, une distinction existe entre la légitimité d’un inconnu et celle de l’entourage : si le premier n’a qu’une influence restreinte, principalement circonscrite à la période de l’école primaire, c’est bien l’entourage qui semblent avoir le rôle le plus important dans le processus de transmission de la Règle. Il apparaît alors pertinent de différencier en son sein l’individu se plaçant en situation d’égalité de statut36 face à la personne à laquelle est transmise la Règle — ami ou collègue — et l’individu représentatif du groupe — professeur, parents ou senpai. Si ce dernier fait autorité par le statut qui le définit face à la personne à laquelle est transmise la Règle, le premier peut rechercher l’autorité dans un extérieur jugé représentatif, par exemple les livres ou magazines que nous avons évoqués, ou plus directement le groupe. Ainsi, la transmission de la Règle par l’individu ne peut être considérée comme indépendante de celle du groupe que nous analysons dans les paragraphes suivants.
Le groupe
« Sur les escaliers roulants [esukarêta], tous les gens qui stationnent [tomatte] sont sur la partie gauche. (…) Quand d’autres personnes [hokano hito] voient cela, elles apprennent [manabimasu]. (…) Avec le temps [jikan kakate], on comprend [wakaru]. (…) Ce n’est pas une règle qui a été choisie [kimatenai] par quelqu’un, ce n’est pas une règle officielle mais officieuse (et) tout le monde la connait [shitteru] (…) Ce n’est pas écrit. » (Kageyama, 21 avril 2010)
Cet exemple des escaliers roulants comme règle tacite (fig.II.f) est le plus répandu dans les entretiens avec celui de la distance [kyori] à garder entre les personnes. La différence est faite entre un « quelqu’un » inconnu et « tout le monde » : bien que personne n’ai choisi cette règle, le groupe l’applique. M. Awaya ne photocdouble-h_by_phone_flickr parle pas d’apprendre la Règle à ce sujet mais de « recevoir » [morau] la Règle (19 juin 2010) avec l’idée de passivité qui en découle. Il y a réception d’un message « sans émetteur intentionnel » (Eco, 1988 : 48) qui implique un comportement qui n’est pas nécessairement conscientisé. C’est de « l’empilement [tsunde] de l’expérience » (Yamanouchi, 24 juin 2010), à force « d’erreurs » [shippai] (Kageyama, 21 avril 2010), que « l’adaptation » [fit] (Anki, 1 juin 2010) à un « rôle normal » se fait (Turner in Turner, 2001 : 233-254). Ainsi le groupe donne le droit à l’erreur pour ceux qui ont le moins d’expérience du lieu : les jeunes japonais et les étrangers. Les premiers comprendront en devenant adulte, en « mûrissant » [enjuku], et perdront progressivement ce droit à l’erreur tandis que les seconds peuvent « joui(r) » (Tchapi, 5 juin 2010) de la situation presque indéfiniment 37. De même, certaines personnes affectées par une défaillance temporaire et identifiable — l’homme ivre par exemple 38 — bénéficie d’un certain laisser-aller propre au lieu : « Il y a des gens ivres [yopparai] qui montent dans le train, “Ah ! C’est Shinjuku ! On n’a pas le choix [shiyôga nai].” (...) Une femme [jyosei] toute étincellante [kirakira] soulignée [punpun sasete] par une forte odeur de parfum : “Bah, c’est Shinjuku” ; parce que c’est Shinjuku [shinjuku dakara] des gens comme ça montent. » (Hada, 20 avril 2010)
Les fonctions qui gravitent autour de la gare — s’amuser, aller boire — permettent des libertés ponctuelles. Par exemple, la personne ivre est reconnue par le groupe qui tolère un certain nombre de libertés par rapport à la norme, en relation directe avec l’ivresse : « si une personne de la catégorie ivre [yopparai no kei] monte dans le train, elle s’agite [gyaragyara], elle dit des choses bizarres (...), elle dérange [meiwaku] tout le monde. (...) Si elle
37 « (l’étranger) est à la fois libre de ses propres mœurs et plus ou moins protégé de ceux des Japonais. L’aspect positif de cette distance est que l’étranger, ou gaijin, bénéficie de nombreuses exceptions. Le Japon a en effet mis au point tout un système d’exceptions appliquées aux étrangers. » (Richie, 1999 : 109-110)
36 « La théorie structurale du rôle utilise le terme de “statut” à l’intérieur d’un groupe déjà organisé et le terme de “rôle” pour les comportements basiques fixés et attendus d’une personne occupant un statut. » (Strycker in Turner, 2001 : 217)
38 « Le Japon est tolérant pour l’ivresse (c’est un “paradis de l’ivrogne” : yopparai tengoku, dit-on). » (Pons, 1988 : 355) ; « L’ivresse japonaise qui prend l’apparence d’une hystérie désordonnée fournit en réalité l’occasion d’épancher ses sentiments, ses rancœurs et ses folies par un discours dissolu ou une gestuelle expansive : tout ce qui n’aurait pas pu être exprimé auparavant est alors lâché, en général en in de soirée, dans un bar, avec ses collègues ou des supérieurs hiérarchiques, ou bien sur le quai de la gare avant le dernier train dans une sorte de dramaturgie collective. Il est admis que tout cela est oublié le lendemain par tous les partenaires.» (Pelletier, 2004 : 17)
II. La Règle
II. La Règle
« Les parents [oya] l’enseignent aussi peut-être [kamoshirenai], les frères et sœurs [kyôdai] : “Grand frère, c’est bizarre ce que tu fais [okashîyo] !” Après il y a les amis [tomodachi]. Les gens de son entourage [mawari no hito] : si je fais quelque chose de bizarre [okashîno koto] on me dit “C’est bizarre [okashîyo] !” En faisant de la sorte on retient [oboeteru], non ? (…) On comprend [rikai] ainsi les choses normales [atarimae] » (Awaya, 30 avril 2010)
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De même, la femme outrageusement parée aura certaines libertés liées à ce que le groupe reconnaît comme le lieu particulier de représentation de soi qu’est le quartier de Shinjuku. Ici, ce que Talcott Parsons appelle un « rôle malade » [sick role] (1951 apud. Turner 2001) — caractérisé par l’éphémère d’une défaillance — est parfaitement décrit. L’individu est « certifié » (Gordon, 1966 apud. Turner 2001) par une marque extérieure comme pouvant appartenir à une catégorie particulière. Il peut ainsi obtenir du groupe certaines dérogations au sein d’obligations qui lui incombent normalement 39 :
II. La Règle
« Il y a des gens qui ne peuvent pas aller de façon fluide [sumûzu dekinai], (…) des gens qui s’impatientent [irairasuru]. (…) Par exemple dans le train, c’est très étroit [semai], les visages sont proches les uns des autres [kao chikai], tout le monde est assis et se démène [ganbaru] pour se faire petit [minimaizu], mais il y a des gens qui ne savent pas faire ça [jyôzu baransu torenai]. (...) Tout le monde l’endure / patiente [minna gaman surukara], alors je décide d’endurer / de patienter [gaman shô]. » (Kageyama, 26 mai 2010)
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Ce n’est pas tant l’éphémère de la défaillance elle-même — difficilement vérifiable — mais l’aspect transitoire40 de l’utilisation de l’espace de transport qui permet la dérogation. En effet, le terme « d’endurer / de patienter »41 sous-entend que la situation est éphémère, mais ce n’est pas directement ce qui entre en jeu dans le processus de décision. C’est parce que « tout le monde patiente » que l’on patiente à son tour. La personne qui constate un comportement déviant se détache de la responsabilité de la gêne occasionnée en s’appuyant sur l’acceptation silencieuse du groupe42. La réciproque est utilisé lors des campagnes [kyanpen] de bonnes manières43 dont la gare est parfois le théâtre : « Les campagnes [kyanpen] (…) pour la propreté [gomi sutenai] : Tout le monde se rassemble [atsumatte] et montre [misete] les déchets, les ramasse [hirou] et les jette aux endroits dédiés [gomino tokoro]. (…) Tous les jours, tous les jours [mainichimainichi], ces petites actions [chisaikoto], ce qui est fait sera probablement suivi [tsuduisô]. » (Tsuchiya, 23 avril 2010)
Le groupe de personnes qui fait campagne permet de créer une atmosphère [huniki] qui invite à se comporter de la même manière que ce qu’il présente comme une bonne chose : il y a démonstration de la norme par un sous-groupe. L’utilisateur de la gare est interpellé par les cris et le son des haut-parleurs 44, il est conforté ou ébranlé dans ses habitudes. Ainsi sont affirmés les « bonnes 39 « Il y a deux types de déviances ( : ) le comportement désapprouvé socialement (déviance morale) et les déficiences physiques et mentales qui affectent les capacités à jouer un rôle de manière usuelle. (...) Quand un individu est assimilé à un rôle déviant qui réduit ses compétences plutôt que de relever de la faute morale (...) les attentes et pressions sociales tendent à se réduire forçant la personne à agir à l’intérieur d’un champ d’activités réduit. (...) Talcott Parsons (1951) a formulé le concept de “rôle malade [sick role]” comme un rôle temporaire dont le titulaire bénéficie de liberté face à nombre de responsabilités usuelles. (...) L’individu est “certifier” éligible pour un rôle malade (Gordon, 1966). L’idée d’un rôle malade peut être généralisée à une catégorie de rôles exemptant [exemptive], tels que le rôle de tristesse, le rôle d’ivresse (MacAndrew & Egberton, 1969) et dans quelques sociétés un “rôle de stress” (Hogan, 1984). Les privilèges de tous ces rôles exemptants sont supprimés après ce qui est considéré comme une période raisonnable de rétablissement. » (Turner in Turner (dir.), 2001 : 246-247) trad. de l’auteur 40 Cf. La Règle : la raison de la Règle ; l’Autre (pp.55-57) 41 Selon Anne Garrigue-Testard et Sylvie Chevallier, le terme gaman — « vertu traditionnelle » qui se perd face à « l’affirmation du “moi” » — correspond à « la volonté, considérée comme essentielle pour la cohésion sociale, de “prendre sur soi” par la patience, la résignation et la maîtrise de soi. » (in Bouissou, 2007 : 472-473) 42 « L’une des conséquence du fonctionnement prédominant en groupe est la dilution de la responsabilité. » (Pelletier, 2002 : 100) 43 Par exemple la campagne « Clean [kurin] Shinjuku » de 1977 (Timeline annexes p.IX) 44 Pour un aperçu de l’importance du haut-parleur dans le paysage sonore Tokyoïte, lire Bertrand Raison et Philippe Pons (in Pons, 1993 : 30-31 et 32-38)
» pratiques qui peuvent s’apparenter à des devoirs de citoyens ou d’usagers. En ce sens, Mlle Kageyama souligne la différence entre « droit » [kenri ou right*] et « devoir » [gimu ou obligation*] en critiquant une perception qui se généralise des devoirs comme donnant accès aux droits45. Elle définit l’application des devoirs comme « venant de soi [watashikara] pour aller vers l’extérieur [soto] » et des droits comme « partant des Autres [hokakara] vers soi [jibun] » (16 juin 2010). Le groupe donnerait accès aux droits alors que les devoirs ne seraient redevables qu’à un extérieur qu’elle ne définit pas. Cela est probablement à mettre en relation avec les trois systèmes que nous avons identifiés plus haut46 qui articulent la dualité bien / mal ; non défini puisque multiple. Il donne naissance à un extérieur qui est différent de l’altérité simple du groupe. Le groupe contrôle la distribution des droits, non celle des devoirs. Pourtant il est perçu comme légitime lorsqu’il rappelle l’individu qui évolue en son sein à l’ordre. Un individu est donc redevable autant à la loi, à la Règle de la gare, aux bonnes manières qu’au groupe. Remarquons que c’est en faisant appel au groupe, par un renversement arbitraire des proportions entre le groupe majoritaire de la norme et un groupe diffus qui y déroge que Mlle Tchapi justifie son comportement : « Je vais faire ce que jʼai envie de faire (…) quand je vois les autres, et bien tant pis. (...) Mais tout le monde le fait aussi, je ne suis pas toute seule, il y a plein de gens qui doublent. » (Tchapi, 5 juin 2010)
La notion de groupe permet de justifier des actes que la norme à laquelle il souscrit réprouve. Quoique l’application de la Règle apparaisse comme largement majoritaire dans les pratiques, « l’équilibre » entre les « électrons mauvais » dont parle Mlle Tchapi et — par extension — le noyau peut se révéler précaire dans le discours. Le choix du groupe d’appartenance pour justifier un comportement atteste de l’importance de la notion de groupe. L’expression « tout le monde le fait » entérine l’existence d’un groupe qui se veut représentatif d’une pratique déviante. C’est cette même expression qui est utilisée par M. Hada pour justifier à l’inverse un comportement en accord avec le groupe majoritaire qui l’influence et donc de la norme (Hada, 20 avril 2010). Pourtant, le consensus que peut créer le groupe peut déstabiliser un individu habituellement à l’aise dans une situation similaire : « Les règles font que les gens sont trop parfaits, ils ne font aucune erreur [mistake]. (…) Une fois, je voulais venir (...) juste pour me balader [dans la gare de Shinjuku], et il y avait tant de gens biens : maquillages, coiffures, tout (…). À partir du moment où je suis sortie [du train] (...), j’ai dû rentrer chez moi me changer. (…) Je me sentais dans l’erreur, quelque chose comme “Oh ! Tu es différente!” Différente des Autres [others] (…) d’un “nous.” (…) Tu connais l’histoire du mouton noir, j’avais ce sentiment. » (Anki, 1 juin 2010)
L’ensemble des personnes présentes dans la gare de Shinjuku ce jour-là a été perçu par Mlle Anki comme un ensemble homogêned’entités parfaites. Celui-ci crée un « nous », dont Mlle Anki se sent exclue, qui partage les mêmes comportements et les mêmes styles vestimentaires ; un « habitus » (Bourdieu, 1984) ou un « capital culturel généralisé » (Rôssel, Collins in Turner, 2001 : 513)47. 45 « On peut avancer que les normes ou les règles empiètent sur l’individu de deux façons différentes : en tant qu’obligation qui exigent qu’il fasse (ou s’abstienne de faire) quelque chose quant aux autres, et en tant qu’attentes qui lui font espérer à juste titre que les autres feront (ou prendront garde de faire) quelque chose quant à lui. Ces obligations et ces attentes sont parfois nommées des droits quand la personne qui les a les désire, et des devoirs dans le cas contraire. » (Goffman, 1973b : 102) 46 La loi, le règlement du lieu et les bonnes manières (Cf. La Règle : la raison de la Règle ; Dualité pp.49-51) 47 « Le capital culturel généralisé consiste en des symboles chargés d’une signification d’appartenance partagée par les membres d’un groupe ou des catégories sociales. Il inclut les moeurs sociales, les sujets de conversation, les styles et les goûts, etc. Le capital culturel généralisé est l’équivalent de ce que Bourdieu appelle “l’habitus” (1984). » (Rôssel&Collins in Turner (dir.), 2001 : 513) trad. de l’auteur
II. La Règle
n’était pas ivre, cette même personne voyagerait normalement [hutsuni notteru]. C’est à cause de la force de l’alcool [osakeno chikara], on n’a pas le choix. » (Hada, 20 avril 2010)
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Fig.II.g : Diverses représentations de la Règle dans la gare
présent physiquement, n’apparaît pas clairement dans les discours comme facteur d’apprentissage de celle-ci. Ce sont particulièrement les panneaux et affiches représentant un message injonctif 50 qui sont désignés comme impropre au processus de transmission de la Règle :
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Un « message primaire » est « inintéressant » donc peut être négligé. Ici ce n’est pas le message qui est rejeté mais bien sa méthode formelle de transmission. Cette particularité s’est vérifiée au cours des entretiens : les panneaux et autres affiches au message injonctif ne sont pas reconnus dans la plupart des cas 51. Pourtant, M. Miyagawa prend l’exemple des campagnes de sensibilisation à la gêne créée par le téléphone portable dans les transports : selon lui, comparé aux années 199052, les comportements se sont nettement améliorés grâce à l’accrochage de panneaux et affiches incitant à ne pas utiliser son téléphone trop bruyamment dans les espaces partagés, voir à l’interdiction pure et simple de son utilisation (fig.II.c : p.52). Ainsi extrapole-t-il cette évolution possible des comportements à celui des personnes s’asseyant par terre dans la gare ou dans le train, ce qu’il juge malpoli : C’est à partir de l’observation des Autres48, de la constatation d’une différence non souhaitée entre soi et le groupe qu’elle en déduit ce sentiment de « mouton noir49. » Le fait de ne pas s’identifier au groupe est ressentie comme une impossibilité de poursuivre une activité en son sein. Ainsi le groupe — ce « tout le monde » — est utilisé dans le discours à la fois comme agent de transmission de la Règle et comme autorité permettant à un individu de s’en exempter. Ce deuxième point peut-être subdivisé en deux catégories : celle généralement reconnue par le groupe lui-même — les rôles malades — et celle plus ponctuelle d’individus cherchant à justifier leur comportement déviant par l’existence d’un sous-groupe déviant dont ils se disent faire partie et qu’ils soustraient au groupe majoritaire. Quelle que soit la situation, il est impossible de placer le groupe comme formateur neutre des pratiques : si son action n’est pas nécessairement reconnue ni décrite comme déstabilisante, l’autorité créée et portée par le groupe « est toujours plus tyrannique que celle d’un individu, si sévère soit il » (Arendt, 1972 : 233).
« Là aussi, si on fait des signes [sain] : “Interdit de s’asseoir [suwatte ikemasen],” “Ne pas s’asseoir sur le plancher du train [densha no naka]” et que l’on en accroche énormément [takusan kakeba], dans 10 ans environ cela disparaitra [nakunaru] peut-être. » (Miyagawa, 15 juin 2010)
Les messages injonctifs sont généralement utilisés par les personnes interviewées pour désigner le signifié d’un panneau ou d’une affiche. Ici, il nous semble donc pertinent de faire une différence claire mais non exclusive entre le signifiant — panneau ou affiche — et le signifié qui est désigné par M. Miyagawa par un message injonctif : c’est l’influence que produit la répétition des représentations d’un même signifié et leur grand nombre qui sont qualifiés comme efficace. Encore une fois, l’expérience est mise en avant : ce n’est pas à proprement parlé la représentation de la Règle qui permet sa transmission, c’est au sein du processus d’acquisition de l’expérience de la Règle et de ses pratiques que sa représentation a un effet pour sa transmission. La distance entre les deux discours analysés ci-dessus n’en reste pas moins frappante ; elle peut être mise en rapport avec la subjectivité de ce que Donald Richie appelle « vision partielle »53 : « Tout le monde agit de manière à ne voir que les informations qui le concerne [jibunno jôhô igai] » (Tsuchiya, 28 mai 2010)
La représentation de la Règle
La Règle est représentée de façon diverse à l’intérieur de la gare de Shinjuku (fig.II.g). Cette répartition n’est pas uniforme et s’organise dans l’espace de façon tout aussi diverse — 3051 affiches, panneaux et autocollants relatifs au règlement à l’intérieur de l’espace payant de la compagnie JR east Japan pour seize quais alors que la station de métro Shinjuku de la ligne de métropolitain Marunouchi en comptera 105 pour deux quais. L’affichage de la Règle, s’il est indéniablement 48 « La relation soi-autre s’intègre au Japon dans un spectre plus large : celui du binôme uchi-soto que l’on peut traduire par « dedans-dehors ». Au Japon, tout est ou tout peut se classer en uchi ou en soto. Si l’individu ne le fait pas de lui-même, inconsciemment ou consciemment, de gré ou de force, l’entourage, le groupe, la société poussent d’une façon ou d’une autre. » (Pelletier, 2004 : 17) 49 Ce qu’Hannah Arendt appelle la « tyrannie de la majorité » (Arendt, 1989 : 233)
Un message injonctif pourra être efficace dans la mesure où il est établi un lien entre le message et l’interprétant par ce dernier : un signifiant qui « concerne » un individu sera « vu », quel que soit le type de message dont il est porteur. L’efficacité d’un message peut donc être attribuée à la 50 Le message est délivré brut, sans distance ou explication 51 Au cours du second entretien, une série de zoom sur certaines représentations graphiques de la Règle était présentée aux interviewés en leur demandant de les commenter. 52 « Les utilisateurs [de téléphones portables] ne se rendent pas compte qu’ils s’épanchent dans les oreilles des passants, et d’ailleurs cela ne les déranges absolument pas » extrait du journal de Donald Richie écrit le 15 décembre 1996 (Richie, 2000 : 91) 53 Donald Richie applique ce concept à la visite touristique de la ville ; ainsi, parlant des antennes de télévision et autres stations-services entourant un objet digne d’intérêt : « Un autochtone ne voit sans doute pas tout cela, car il jouit d’une vision partielle, c’est-à-dire de la faculté de négliger tout ce qui pourrait empiéter sur l’illustre sanctuaire, l’unique pin séculaire ou le panorama sur la mer si beau autrefois. L’Occident n’encourage pas une vision aussi sélective, mais à Tôkyô elle devient presque une nécessité. » (1999 : 126-127)
II. La Règle
II. La Règle
« Il y a ces affiches [posutâ] sur lesquelles est écrit : “Tous ensemble, améliorons les bonnes manières dans la gare [yoku shimashô]” (...) Après avoir vu ces affiches, je ne pense pas [amari omowanai] “Ah, c’est vrai !” (...) Elles ne pénètrent pas ma vision [meni haittenai]. (...) Les affiches au message primaire [yôchi] sont inintéressantes [omoshirokunai]. (...) On ne fait pas attention s’il est simplement écrit “Veuillez coopérer [gokyôryoku kudasai] (...) » (Tsuchiya, 23 avril 2010)
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toute la gare pour ses usagers, en semaine de 8h à 20h, la montée dans le train s’effectue » Fig.II.h : « Requête : Dans comme figuré sur le schéma ci-dessous, veuillez donc coopérer s’il vous plaît qualité et la pertinence de sa représentation, autant qu’à sa répétition dans le temps et dans l’espace. Ce deuxième point est clairement identifiable dans le cas particulier du sens de montée et de descente des escaliers représenté soit par des flèches, soit par le mot « montée » [nobori ou agari] ou le mot « descente » [kudari ou sagari], placés au-dessus des escaliers sur des panneaux ou collés directement sur le sol sur des autocollants :
Fig.II.i : La flèche indique le lieu, la direction et l’attitude à adopter pour monter dans les wagons
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M. Nakamura définit deux pré-requis à la compréhension du champ d’application des flèches représentant le sens de montée et de descente dans les escaliers : l’expérience — celle des « rush du matin » — et être Japonais. Ce dernier est un argument récurrent dans les discours. Dans le cas trivial du dessin d’une flèche, l’étranger n’est pas vu comme ne pouvant comprendre le signifiant, mais comme ne pouvant saisir la nécessité de celui-ci au moment où il est perçu. Etre Japonais permettrait de comprendre et d’appliquer la Règle représentée sur un panneau ou une affiche autant que le pourquoi de cette règle. Mlle Kageyama commente ainsi le panneau de la figure II.h : « Même si c’est écrit, ceux qui ne sont pas habitués [naretenai] ne comprennent pas, n’estce pas ? L’information est écrite, mais c’est parce qu’on connaît la coutume* que l’on peut l’appliquer. (...) Les gens qui voient cela pour la première fois, les gens qui viennent d’autres pays, devant le même style [onaji hû] d’information (...), ce n’est pas qu’ils ne veulent pas, c’est qu’ils ne peuvent pas [dekinai] l’appliquer. (...) Si l’on ne connaît pas seiretsu jôsha 54on ne peut pas comprendre le signe seiretsu jôsha. » (Kageyama, 26 mai 2010)
Cet argumentaire fait ressortir la différence entre le signifié — « seiretsu jôsha » — et le signifiant — le panneau ou l’affiche. Le référent des deux précédents n’est pas la Règle mais la « coutume » : le « code en commun » (Eco, 1988 : 23) nécessaire à la compréhension de la représentation (fig.II.i). Ainsi, l’apprentissage de la Règle « depuis tout petit » définit une partie de la culture — la coutume — comme permettant à l’autorité de s’instaurer par la représentation de l’objet de l’apprentissage55. C’est une « pratique culturelle et elle ne repose donc pas seulement sur un savoir technique, mais sur le consensus et l’autorité » (Belting, 2004 : 80). C’est parce qu’il est vu comme ne partageant pas la même coutume que l’étranger n’est pas soumis à l’obligation de compréhension de la représentation de la Règle et peut donc déroger à son application. La représentation n’aurait donc pas pour but la transmission de la Règle, mais le rappel de l’apprentissage du groupe ou de l’apprentissage de l’individu pour un public ciblé : 54 seiretsu jôsha : monter alignés en voiture / ou / attendre alignés pour monter en voiture. C’est la règle d’alignement. 55 « L’image est une image, quelle que soit sa puissance, elle n’a que les vertus qu’on lui prête. » (Augé Marc, 1997, « la guerre des rêves », Paris, Seuil, 180 p. : 179 apud Belting, 2004)
« C’est un rappel pour les [gens qui ne respectent pas les bonnes manières]. Tout ce qui a été dit par les parents [oya] ou la famille [kazoku] est rappelé si l’on fait attention aux alentours, sans que personne ne le dise. (...) Mais ceux qui n’y font pas attention [kini shinai] n’y font pas attention 56. » (Kageyama, 16 juin 2010)
La représentation agit, non en tant que tel, mais comme partie d’un système, où l’enseignement de l’entourage et celui du groupe est corroboré par ce qui est donné à voir. Cependant, dans certains cas, l’absence de la représentation ne nuit en rien à l’application d’un comportement adopté par le groupe : « Avant, il n’y avait pas de règle pour les escaliers roulants. Puis, il y a eu des affiches [keiji] il me semble : “Laissez le passage à droite pour les gens pressés [isogu hitono tameni]”. (...) Quasiment tout le monde [hotondono hito] a respecté [keishichau] alors c’est devenu une règle je pense. Mais pas pour les gens qui viennent pour la première fois [hajimete iru hitotachi] ou pour les étrangers. » (Yamanouchi, 14 juin 2010)
Ici, ce n’est pas une règle qui apparaissait sur les affiches dont M. Yamanouchi pense se souvenir, mais une proposition de comportement qui a été adoptée puis est devenue une règle. Les affiches ayant été retirées — si celles-ci ont un jour existé — c’est maintenant le groupe qui devient le signifiant de la Règle pour les nouveaux arrivants. Pourtant, même si ces derniers appliquent les comportements du groupe, ils ne les perçoivent pas comme l’application d’une règle à part entière du fait de l’absence de la représentation de celle-ci. Nous venons de le voir, l’individu est un des agents de transmission de la Règle. C’est généralement le cas lorsqu’il fait partie de l’entourage : lorsque la relation pré-existe à l’apprentissage donné par un individu pour l’autre. L’inconnu n’agit pas d’ordinaire directement dans le processus d’apprentissage de la Règle mais par l’intermédiaire du groupe dont il est un des acteurs. C’est alors par l’observation des comportements admis par le groupe — ce qui inclut les comportements déviants — que l’expérience d’un individu peut se traduire par un apprentissage de la Règle. La représentation de cette dernière dans l’espace de son application influerait non pas directement 56 L’article « On peut se faire arrêter [taiho] pour cela aussi !? “Transgression de la loi [hôrei ihan]” inattendue [omoigakenai] » (Sakai in Iwashita, Nomura, Hongo (et al.), 2010 : 32) semble s’adresser à ce public.
II. La Règle
II. La Règle
« Les flèches de montée et descente des escaliers, c’est une règle. C’est grâce à ce choix qu’au sein de la cohue [konzatsu] ont peut se déplacer confortablement [sumûzu]. Seuls les Japonais peuvent vraiment comprendre ; pendant les heures de pointe* du matin, il faut faire attention [ishiki] sinon c’est le désordre [gochagocha]. » (Nakamura, 17 juin 2010)
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sur son apprentissage, mais sur la définition qui est donnée de leurs pratiques par les utilisateurs du lieu. Le groupe et la représentation de la Règle donnent tous les deux droits à des dérogations : le premier en fait bénéficier des personnes identifiées comme nouvelles utilisatrices — l’étranger étant un nouvel utilisateur permanent — la seconde, aux utilisateurs ne possédant visiblement pas les conventions permettant l’interprétation du signifiant. Le processus de transmission de la Règle apparaît comme la combinaison des trois agents de transmission : l’entourage, le groupe et la représentation. En dehors de la période de l’école primaire, c’est la transmission de la Règle par le groupe qui est privilégiée. Mais le panneau et l’affiche permettent aux utilisateurs de la gare d’associer une pratique instituée à la Règle. Lorsque la représentation est absente, le groupe peut être considéré comme seul signifiant d’une règle nonobstant l’existence officielle de cette dernière. Ainsi, le groupe peut avoir la même valeur que la représentation de la Règle pour son application, mais seule la représentation est porteuse d’un caractère officiel reconnu. C’est dans ce contexte que nous analyserons dans les paragraphes suivants l’importance de la représentation de la Règle pour les usagers de la gare de Shinjuku.
L’Autre et la Règle
A de nombreuses reprises au cours des entretiens, la figure de l’Autre et des attentes quant à son comportement sont décrites. Nous tenterons dans les paragraphes qui suivent de définir ces attentes et leurs implications ; nous examinerons les incertitudes liées au comportement de l’Autre et les méthodes de régulations qu’elles impliquent, puis les transgressions que s’autorise un individu face aux Autres et celles qu’il autorise face à la norme et enfin les limites d’application redéfinies par certaines interprétations de la Règle. Dans ce chapitre, nous nous appuierons principalement sur le travail d’Erving Goffman et plus particulièrement le deuxième tome de « La mise en scène de la vie quotidienne ; 2. Les relations en public » (1973b) ; pour la clarté de la lecture, les chiffres entre parenthèses désignent les pages de cet ouvrage.
Incertitudes et questionnements
Au cours du deuxième entretien M. Hada commente ainsi une série de photographies d’autocollants représentant des flèches collées à l’intérieur de la gare de Shinjuku : « Peut-être que les flèches [yajirushi] ne sont pas remarquées [ukenai]. (...) Dans la routine [hutsû] de la vie [seikatsu], dans la routine des allers-retours au travail [tsûkin], le corps a déjà
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retenu [oboetteru], on ne regarde pas [mitenai] tous les jours, on ne vérifie pas [kakunin] tous les jours. On suit [shitagatteru] le bon sens d’avant [mae no dôri]. » (Hada, 28 mai 2010)
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Regarder une représentation graphique de la Règle est associé à une vérification ; cette dernière n’est pas journalière, ce qui n’exclut pas sa pratique irrégulière. Dans la suite de son discours, M. Hada se pose la question suivante : « Si tous les signes étaient arrachés [hagashitara] pendant une journée environ [ichinichi kurai], combien de temps ce comportement (de respect de la Règle) resterait partagé par tous [minna] ? » L’absence de la représentation de la Règle signifierait que le « bon sens d’avant » n’est plus généralisable à une situation et un scepticisme sur son partage par tous s’installerait progressivement : la présence du signe rappelant la Règle apparaît importante. Pourtant, dans tous les discours, les autocollants et autres représentations de la Règle sont pour la plupart ignorés : « Il y a des petits autocollants (...) sur les murs (...) ou à l’intérieur des trains : ce sont des signes nécessaires [hitsuyô] (...) mais même s’il n’y en avait pas, je le comprendrais (...). D’ailleurs, si tout est écrit alors l’imagination* s’affaiblit [usureru] progressivement (...). En faisant fonctionner [hatarakashitara] son imagination*, on comprend ce qui est interdit [dame], ce qui peut déranger [meiwaku]. Je déteste [iya] les pensées du genre [hû] : “ce n’est pas écrit donc je peux le faire.” » (Kageyama, 26 mai 2010)
Dans son quotidien, Mlle Kageyama n’adopte pas le comportement qui est dicté par les « nécessaires » panneaux et affiches, mais par son « imagination57, » ceci pour « ne pas déranger [meiwaku wo kakenai]58 (fig.II.j). » Le fait de stipuler la totalité des comportements à adopter à l’intérieur de la gare de Shinjuku par des panneaux et affiches mène à la perte de cette imagination. La représentation de la Règle s’adresse alors aux personnes qui se fient uniquement à elle pour agir : « Même si c’est écrit, les gens qui font des mauvaises choses [warui koto] continuent, ce n’est pas à cause [wake] d’eux (que la Règle est affichée) : si ce n’est pas écrit des gens pourront par exemple se dire “Je peux fumer ici” peut-être. J’ai l’impression qu’on est obligé d’afficher (la Règle) [hatte sinakya ikenai]. » (Hada, 28 mai 2010)
L’affichage de la Règle est considéré comme efficace pour une certaine catégorie d’utilisateurs, donc nécessaire : une personne peut se poser à n’importe quel moment, à n’importe quel endroit la question « puis-je faire telle action ? » et la Règle doit pouvoir y répondre dans l’instant. Face à d’autres personnes, les messages qui la rappelle seraient perçus comme inutiles voir contre productifs : « En voyant le message “Les satyres sont des criminels [chikan ha hanzai desu]”, il y a peut-
57 Le terme « imagination » en anglais dans l’entretien cité est la traduction du mot japonais « sôzôryoku » utilisé par M. Tsuchiya, terme que Mlle Kageyama a employé lors de l’entretien du 16 juin 2010. 58 Meiwaku est « un terme extrêmement courant qui couvre une large gamme de significations incluant le trouble, la responsabilité, le dérangement, la contrariété, le mécontentement ou la gêne. » (Sugiyama-Lebra, 2004 : 44) trad. de l’auteur
être des gens qui pensent “Ok ! J’arrête !” (...) mais cela peut aussi avoir l’effet inverse [gyaku no kôka] : (...) c’est un crime donc on peut s’y frotter [sureru] et cela encourage [kobu] certaines personnes ; elles auront envie d’essayer. » (Miyagawa, 15 juin 2010)
Du message d’une règle claire relevant de la loi, c’est la « pire lecture possible » (113) qui est décrite. Ce n’est plus l’incertitude qui est supposée mais la malhonnêteté d’une partie des autres usagers. Que la Règle soit exposée ou non, elle peut toujours inciter, être contournée, ignorée ou mal interprétée : un doute existe face à la « confiance réciproque » (32) que doivent se témoigner les utilisateurs d’un même espace public pour sa pratique. La confiance face à l’Autre est comparée à celle qu’un individu se porterait à lui-même ou qu’il porte face à ses proches, lui étant nécessairement inférieure : « Ma mère ne comprend pas les signes de la Règle [sain] mais elle ne va pas déranger volontairement [wazawaza jyama] : elle a son propre [jimin] bon sens*. (...) J’ai le sentiment [kanji] que le nombre de gens qui n’utilisent plus leur bon sens* et ne comprennent pas (les règles) si elles ne leurs sont pas explicitées a augmenté [hueta]. » (Kageyama, 16 juin 2010)
Selon Mlle Kageyama, la représentation de la Règle est de plus en plus nécessaire pour de plus en plus d’utilisateurs de la gare. Certaines personnes « sournoises* » peuvent, tout en agissant dans le cadre strict de la Règle exposée, s’autoriser des pratiques dérangeantes. Ceci alors que le simple « bon sens » doit suffire à maintenir la tranquillité de chacun. Le bon sens ou sens commun s’appuie sur la considération qu’un individu porte à l’Autre lorsqu’il envisage ou constate la conséquence de ses initiatives : « Quand je suis dans la foule [shûdan], il me semble très important [daiji] de veiller à ne pas déranger [meiwaku] les gens autour de moi. J’ai peut-être une très grande conscience [ishiki ga tsuyoi] de cela. (...) Je ne vais pas nécessairement aller jusqu’à [soko made kangaenai] imaginer ce que pensent les gens de moi, mais juste me dire “cette personne fait une drôle de tête [hen na kao].” (...) Je lis toujours un livre, mais je ne peux pas vraiment me concentrer [shûchû]. » (Tsuchiya, 28 mai 2010)
Dans la suite de son discours, M. Tsuchiya décrira la manière dont il vérifie régulièrement la présence ou non de personnes âgées à qui il devra laisser sa place s’il est assis ou celle de personnes à aider s’il se déplace dans la gare. Le jugement que portent les Autres sur lui, qui décidera de son propre jugement sur lui-même, est en permanence remis en question. Ce dernier est comparé aux comportements des « personnes qui ne font pas attention [ki ni shinai] » à la Règle ou aux Autres et aux perturbations qu’ils peuvent engendrer. Le sentiment d’une constante attention à l’amélioration de son propre comportement incite à interpréter tout dérangement par l’Autre comme volontaire. Ces constats répétés donnent lieu à des réactions visant soit à la régulation du trouble, soit à son intériorisation par la personne qui l’observe. Dans ce cadre, l’expression du visage, le regard de l’Autre sur soi joue un rôle non négligeable, souvent minimisé.
Méthodes de régulation
« Il y a trois types [kei] de personnes : ceux qui n’y prêtent par attention [kinzukanai], ceux qui y prêtent attention [kinzuiteruhito] mais ne disent rien, et ceux qui y prêtent attention et le disent [chanto ieru]. Finalement, c’est ceux qui ne disent rien qui ont la plus mauvaise façon de faire [ichiban warui gakko : lit. La plus mauvaise inflexibilité] » (Tsuchiya, 28 mai 2010).
Les personnes interviewées regrettent généralement de constater des agissements déviants
II. La Règle
Fig.II.j : « Requête : Stationner ici peut être une gêne pour les autres usagers, veuillez cesser »
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« Je fais attention aux gens qui ne respectent pas les règles ou les bonnes manières (...). C’est bien [î] mais (...) il y a quelque chose qui m’empêche d’agir [tashô] un obstacle [shôgai]. Je me dis “c’est mal [yâ]” et je broie du noir [moya moya]. » (Tsuchiya, 28 mai 2010)
II. La Règle
Le jugement sur un comportement déviant est négatif et sans appel mais conduit rarement à une réaction autre qu’intériorisée. Nous pouvons supposer que cette dernière implique, involontairement ou non, des regards ou des gestes de désapprobation. En effet, pour Daisuke Okabe et Itô Mitsuko, « la forme la plus commune de sanction non verbale est le regard » (in Itô, Okabe, Matsuda, 2004 : 209)61 dans les transports au Japon. L’ensemble des entretiens permet de confirmer cette dernière affirmation mais seul M. Awaya évoque la lecture des expressions faciales en tant que correcteur de ses propres comportements :
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« On est obligé d’utiliser les expressions [hôjô] du visage [kao] pour comprendre (que l’on dérange). Dès que l’on a compris : “Ah !” (lire : on corrige son comportement) » (Awaya, 19 juin 2010)
Le pouvoir de régulation de l’individu est sous-estimé, l’influence de son regard sur l’Autre est considérée comme « négligeable [atariwari no nai] » par rapport à la pression « des gens de la foule [ôzei no hito]. » Ce n’est donc pas l’individu en tant que tel qui est considéré, mais une entité appartenant à un tout tirant sa force de régulation de ce dernier. Les relations directes entre les personnes sont éliminées : « On n’a aucune relation [issai kankei nai] avec les Autres. (...) Adresser la parole à quelqu’un qu’on ne connaît pas serait ridicule [okashî], les Japonais ne font pas cela : (...) d’aucun penserait “Que me veut cette personne? Quel est son but [mokuteki]? ” (...) Ce ne sont pas les usages [echiketto], en allant plus loin c’est même désagréable [kimochi warui]. » (Awaya, 30 avril 2010)
La désignation d’une infraction à la Règle ou la simple demande de son respect peut-être formulée par l’intermédiaire d’interactions hors norme. Dans un contexte où la communication verbale entre inconnus n’a usuellement pas sa place, la prise de parole est une méthode de régulation permettant de rappeler la personne déviante à l’ordre tout en attirant l’attention des Autres et solliciter la pression qu’ils pourront exercer sur celle-ci : « Une femme a dit “cet homme est un satyre,” les autres personnes l’ont entouré [tsukamaete] et le personnel de la gare l’a emmené. » (Yamanouchi, 14 juin 2010) 59 « La plupart des gens préfèrent fermer les yeux, pour ne pas avoir à prendre parti. » (Jolivet, 2007 : 14) 60 Les exemples cités qui impliquent uniquement les Autres sont ceux des sièges prioritaires [yûsen seki] —destinés aux personnes agées [toshiyori], M. Awaya avait 62 ans lors des entretiens, aux femmes enceintes et aux impotents — et les wagons pour femmes [josei senyô sha] dont aucune des personnes interviewées ne revendiquait l’utilisation. 61 « Get Murtagh (2002) (...) a montré que le regard et les postures (changer la direction du visage ou du buste) sont des négociations subtiles qui construisent la situation partagée et les limites implicites de ce qui constitue une nuisance publique. (...) Regarder ou fusiller du regard un utilisateur de téléphone portable est un moyen pour les autres passagers d’être engagé dans une régulation publique des comportements. » (Okabe, Itô in Itô, Okabe, Matsuda, 2004 : 209) trad. de l’auteur ; Murtagh, 2002, « Seeing the “Rules” : Preliminary observations of action, interaction, and mobile phone use » in « Wireless world : social and interactionnal aspects of the mobile age », New-York, ed. Brown, Green, and Harper, pp. 81-91
La majorité des personnes interviewées suppose que le nombre de satyres est important et que ces actes restent largement impunis62. L’acte du satyre est quasiment invisible par l’Autre — qui peut tout du moins feindre de ne rien voir — c’est la parole accusatrice qui le fait apparaître : le retentissement de cette dernière est important à la fois pour la personne qu’elle désigne63 et pour celle qui accuse et pour l’ensemble des Autres qui assiste à la scène. Elle oblige ces derniers à s’impliquer dans une situation embarrassante, au sein de laquelle chacun joue un instant le rôle d’un juge (112). Mais la prise de parole peut également jouer un rôle régulateur dans le cas majoritaire d’offenses « ne tombant pas sous le coup de la loi » (308) : par exemple, une personne faisant obstacle à un individu se verra, en temps normal, demander le passage d’un geste de la main mimant une lame tranchant verticalement l’espace (JTB, 2001). Mais si ce geste ne suffit pas, un « sumimasen [excusez-moi, pardon] » (Yamanouchi, 14 juin 2010) prendra l’apparence d’un rappel à l’ordre puisqu’il n’aurait pas dû être énoncé Cependant, face à la conduite d’une personne inconnue sortant des règles, les personnes interviewées ont affirmé se manifester dans des cas « extrêmement rares [honno tamani] » car « difficile [shinikui] » La raison majoritairement évoquée contraignant au silence est la peur [kowai] (Nakamura, 11 mai 2010) : celle du risque de dispute [kenka] (Awaya, 19 juin 2010), de se faire gifler [naguru] (Tsuchiya, 28 mai 2010), allant jusqu’à l’évocation, parce que le cas a été « vu dans les journaux [nyûsude nagare], » du risque de se faire poignarder [naifuga sasareru] (Miyagawa, 23 avril 2010). Ainsi, l’infraction à la Règle par un inconnu est acceptée dans la pratique. Quant au personnel de la gare, il n’est évoqué qu’à deux reprises dans le rôle « d’agents du contrôle social » (229) : Pour M. Yamanouchi les employés s’appuient sur la représentation de la Règle pour justifier les brimades (24 juin 2010) ; Pour Mlle Kageyama les employés bénéficient de la bienveillance des utilisateurs de la gare pendant les rush-hours, rendant ainsi leur travail possible (21 avril 2010). Dans ces deux cas, leurs actions ne sont pas considérées comme directement régulatrices, mais comme les rappels à un ou plusieurs individus de l’influence de la représentation de la Règle ou du groupe.
Transgressions
Malgré l’importance donnée à la norme dans les entretiens, sa flexibilité est souvent mise en jeu par des transgressions parfois estimées bénignes. L’idée de degrés d’acceptation, comme M. Tsuchiya les a décrits plus haut, est souvent utilisée : « Tant que l’on n’enfreint pas de manière outrageuse dans son comportement une règle donnée, il n’y a pas forcément de raison de sauter sur la personne parce qu’elle aura enfreint un petit peu les règles. » (Tchapi, 26 juin 2010)
Il est ainsi possible d’enfreindre la Règle dans une certaine mesure, chacun définissant les limites de ce « petit peu » suivant ses propres critères. Il n’est pas applicable à toutes les règles : 62 Ces appréciations sont parfois justifiées par la presse ou par l’évocation de nombreux classements qui recensent les lignes les plus dangereuses sur ce point. Sur l’influence des médias dans la société japonaise, on pourra lire les travaux engagés du journaliste Mori Tatsuya (2010) 63 La conséquence est souvent la prison pour la personne incriminée. Les actes des satyres sont classés dans les « comportements indécents [hiwai kôdô] » ou dans les « crimes de contraintes d’outrage à la pudeur [kyôsei waisetsu tsumi] » dans le droit pénal et sont passibles de peines de réclusion et/ou d’amendes (site de la préfecture de police : http://www.keishicho.metro.tokyo.jp/kouhoushi/no1/koramu/koramu5.htm#%235_1hourei consulté le 1 février 2011)
II. La Règle
sans les faire remarquer59. Ceux-ci n’impliquent pas toujours la personne qui décrit la situation : il n’est pas question des « gens qui me dérangent » mais de ceux « qui dérangent » ou plus encore « qui peuvent déranger [jyama wo kakesô] »60. Les discours semblent être produits de telle manière à définir l’influence de pratiques déviantes sur une situation sans que l’engagement de la personne qui la décrit ne soit pris en compte. L’Autre est regardé en tant qu’acteur d’une société au sein de laquelle ses propres agissements n’ont pas d’influence. Une situation embarrassante pour l’Autre est constatée, mais rien ne peut être fait :
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« Je ne sais pas si c’est une règle ou les bonnes manières, mais il y a 15 ans (...) quand je montais dans le train j’essayais de plier ma poussette. A un moment donné [itsu kara ka], les gens ont commencé à monter sans la plier [sono mama], je pense qu’on peut accepter jusqu’à 50 pour cent, mais maintenant tout le monde fait comme ça. (...) La baisse de la natalité [shôshika] est devenue un gros problème. (...) Les naissances sont encouragées [ôen]. (...) C’est inconscient [muishiki] (...) personne ne fait attention [chûi shinai] et tout le monde pense “ce n’est pas si grave.” » (Miyagawa, 15 juin 2010)
II. La Règle
Consentir à une gêne de la part de jeunes parents est mis en relation avec le taux de renouvellement de la population du pays64 : les naissances sont encouragées inconsciemment par un espace de liberté supplémentaire offert aux parents. De plus, le seuil d’acceptation des Autres est supposé supérieur à celui de M. Miyagawa par ce dernier, l’obligeant à accepter lui aussi ce qu’il considère comme une gêne. L’ambiguïté face au degré d’acceptation des Autres peut conduire une personne à accepter une transgression qu’elle considère blâmable hors de son contexte. Il peut toujours y avoir autour de soi une personne qui n’est pas dérangée par un acte déviant, justifiant de ne pas relever celui-ci :
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« Les gens normaux [hutsû no hito] font attention [ki wo tsukatteru] à ne pas déranger [meiwaku wo kakenai]. Mais ce qui dérange ou ne dérange pas, cela dépend des gens : c’est la manière de penser des Japonais [nihonjin no kangae]. » (Awaya, 30 avril 2010)
La justification de sa propre inflexibilité est remise en question face à la possible bienveillance ou plus simplement l’indifférence que montrent certaines personnes à l’égard de comportements déviants. Cette bienveillance est parfois même sollicitée par une personne qui s’autorise une transgression. « Dans les escaliers roulants, la véritable bonne manière de faire est peut-être [tabun] de s’arrêter lorsqu’on les utilise [tomatte noru] (...). Bien sûr, les gens qui marchent sur la droite font quelque chose de mal [warui koto] (...). Moi je m’arrête parce que je pense que c’est une règle [rûru] : c’est normal [hutsû] de penser cela, tout le monde [minna] pense cela. Autant que possible, je monte à gauche (...) mais quand je suis pressé [isoideru toki], je veux marcher sur les escaliers roulants. Donc, par exemple, si je monte environ trois fois à gauche, je peux marcher une fois à droite peut-être. » (Hada, 28 mai 2010)
Autant que possible, M. Hada se tient à ce qu’il comprend comme une règle mais il se permet parfois de la transgresser. En pratique, le comportement prescrit sur les escaliers roulants est celui de l’attente, mais monter les marches n’est pas ouvertement proscrit. Dans la gare de Shinjuku comme ailleurs à Tôkyô, il est parfaitement courant de continuer à marcher en utilisant les escaliers roulants ; à de très rares exceptions près, ceux qui patientent laissent le passage aux autres en se tenant sur la partie gauche des marches. Pourtant ce n’est pas par le groupe que M. Hada justifie un comportement qu’il juge déviant et qu’il est le premier à condamner. Il compense celui-ci par une majorité large d’agissements similaires répondant aux recommandations de la Règle. Une telle logique obligerait à connaître le comportement exact de chaque utilisateur de la gare jour après jour pour juger, suivant les proportions d’actes conforment à la Règle ou non, si telle personne respecte la Règle. Il est évident qu’un tel degré de connaissance des utilisateurs de la gare de Shinjuku ne peut être atteint, cependant cela permet de supposer qu’une règle qui n’est pas respectée à un 64 En 2008, Le taux de fécondité au Japon était de 1,37 enfant par femme et le taux de renouvellement de la population de 0,66. (source : site internet du ministère de l’administration générale [sômushô] http://www.stat.go.jp/data/nenkan/02. htm consulté le 4 février 2011)
Fig.II.k : « Faisons-le à la maison : veuillez vous abstenir de vous maquiller dans le train » instant précis l’est en réalité à une échelle de temps plus longue, et ainsi de justifier son existence. Nous retrouvons ce même type de logique dans le commentaire que Mlle Kageyama fait d’une affiche de la régie Tôkyô Metro représentant une femme se maquillant dans un wagon (fig.II.k). Elle commence par expliquer certaines des nuances temporelles à apporter pour une conduite respectueuse face aux autres usagers65 : « Cela dépend de l’affluence : finalement si le train est presque vide [aiteru], cela ne gêne[meiwaku] personne. (...) Mais lorsque c’est l’affluence [konderu toki], n’est-on pas maussade [uttoshî] de voir quelqu’un faire cela ? » (Kageyama, 16 juin 2010)
Après avoir lu, à notre demande, le message inscrit en bas de l’affiche — « Veuillez vous abstenir [enryo] de vous maquiller dans le train [shanai] » — elle comprend ce message comme une « règle, » ou plutôt une interdiction : C’est une règle [rûru] : le maquillage est quelque image©Tokyo Metro chose de privé [uchiwa] : “Avant de sortir, tu finis cela”. (...) Sauf si c’est juste mettre du rouge à lèvres. » (Kageyama, 16 juin 2010)
L’interdiction est traduite dans un langage qu’elle est mieux à même de s’entendre dire, cela afin de se convaincre de sa valeur : « Avant de sortir, tu finis cela. » L’affirmation du droit à une transgression mineure — l’application de rouge à lèvres — permet de ne pas remettre en cause l’objet de l’interdiction en adoptant une position de compromis entre l’interdiction totale préconisée par l’affiche66 et les variations de cette interdiction au cours du temps décrites précédemment. Ici encore, la Règle est comprise dans sa souplesse, en sollicitant la bienveillance de l’Autre. Dans le paragraphe suivant, nous abordons d’autres exemples pour lesquels les limites de la Règle sont déplacées, désignant comme déviants des comportements qui ne le sont pas officiellement.
Limites
Une affiche de la régie publique de Tôkyô Metro représente un homme mangeant goulûment dans le train en empiétant visiblement sur « l’espace personnel » (43) de son voisin (fig.II.l). Le message de cette affiche vise à donner un statut préférentiel à une situation, M. Nakamura interprète celui-ci comme une interdiction permanente de manger dans les wagons. Après avoir lu, suite à 65 Ce que Daisuke Okabe et Mizuko Ito appellent « situationaly sensitive interpretation » (in Ito, Okabe, Matsuda, 2004 : 210) 66 Notons que seule la régie publique Tôkyô Metro interdit le maquillage dans ses wagons au travers de ses affiches de bonnes manières, mais qu’une affiche demandant « de l’attention [kokorokubari] envers les autres passagers lors de l’utilisation de maquillage [keshô] dans le train [shanai] » existe également à l’intérieur des espaces de transports de la compagnie publique Toei Chikatetsu
II. La Règle
l’exemple des satyres ne souffre d’aucun débattement, l’acte est unanimement condamné. Mais d’autres règles sont vues avec plus de souplesse. M. Miyagawa donne l’exemple de l’acceptation de la gêne causées par les poussettes :
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Fig.II.m : A côté d’une femme, un homme préfère avoir les mains occupées ou à la vue des autres passagers
notre demande, le message inscrit au bas de l’affiche — « Veuillez témoigner de considérations [hairyo] pour les autres usagers lorsque vous mangez dans le train » — il nuance ses propos :
son innocence face à un crime qui peut être commis à tout instant (fig.II.m)67. Aux heures d’affluence de la gare de Shinjuku, « nous avons donc affaire à un spectacle de » l’innocence toujours à recommencer pour « produire les apparences perçues comme normales » (245).
II. La Règle
« Pour les autres personnes du même wagon, c’est une mauvaise conduite [hikô], (...) dans un espace réduit [semai kûkan] cela peut répandre une odeur dérangeante [hukai na nioi] pour tous. (...) Mais à l’intérieur d’un train, ce panneau transmet un message très sympathique [kyôkan]. (...) Je n’ai jamais vu personne manger des ramen [soupe de nouilles] dans le train, mais des onigiri [boule de riz] ou du pain, oui. (...) Le type d’aliment entre en jeu (pour l’interdiction) : l’odeur est le plus dérangeant, ensuite les éclaboussures [shiru]. » (Nakamura, 22 juin 2010)
76
Bien que l’interdiction n’est en réalité qu’un avertissement visant à éveiller la sollicitude [kizukai] vis-à-vis des Autres face à un comportement pouvant déranger, M. Nakamura continue de considérer le fait de manger image©Tokyo Metro dans le train comme une « mauvaise conduite. » La règle est interprétée et ses limites sont étendues à toute situation pouvant s’apparenter à un dérangement. Selon Mlle Kageyama, cette extension des limites de la Règle permet de contenir une éventuelle « intensification* » de nuisances qui ne sont pas encore avérées. C’est pourtant le même type d’interprétation qu’elle critique : « Il existe des sièges prioritaires [yûsen seki] et quand les autres sièges sont libres [aiteru], finalement quand il n’y a pas de personnes âgées, on peut s’y asseoir* n’est-ce pas. Mais (...) pour tous [minna ni], cela s’est transformé en : “Je n’ai pas le droit de m’asseoir là*.” (...) Sans raison particulière [nantonaku] il est interdit de s’y asseoir. (...) » (Kageyama, 26 mai 2010)
Pour Mlle Kageyama, il est normal de pouvoir s’asseoir sur n’importe quel siège dans la perspective de libérer sa place si une personne qui en a visiblement plus besoin qu’elle vient à monter dans le train. Cependant, elle a compris que les autres utilisateurs de la gare interprètent la priorité donnée aux personnes âgées, aux femmes enceintes et aux impotents aux sièges prioritaires en une interdiction de s’y asseoir ; cela pour tous ceux qui n’y ont pas priorité. La pression que les Autres exercent sur elle lorsqu’elle effectue une action qu’elle juge conforme à la Règle l’oblige à reconsidérer leur interprétation comme la Règle elle-même. Pour échapper au regard accusateur de l’Autre, un comportement qui outrepasse les limites intérieures de la Règle doit être appliqué :
Dans cette dernière partie, nous avons montré que l’attitude d’un utilisateur de la gare de Shinjuku est en permanence soumise au jugement du regard de l’Autre, justifiant de l’omniprésence de la Règle et son rappel. Ce dernier est généralement fait par les regards et les gestes qui dominent pour le contrôle des comportements de tous sur chacun. Mais si la pression de la norme est photocElijah_flickr évoquée, le vecteur de cette pression n’est souvent pas précisé ou sa portée est minimisée. La prise de parole permet d’attirer l’attention autant sur le comportement déviant que sur l’ensemble des Autres qui prennent part à la situation hors norme ; mais ses conséquences éventuelles engendrent l’inquiétude voir la peur quant à son utilisation courante. C’est donc bien l’absence de parole qui caractérise la pression qu’exerce le groupe sur un individu. Celle-ci n’est pas uniforme, certaines transgressions sont acceptées par la bienveillance des Autres. La supposition que son seuil de tolérance est inférieur par rapport à une normale indéfinie oblige parfois un individu à renoncer à sanctionner un acte qu’il juge pourtant dérangeant ou déviant. Dans d’autres situations jugées minoritaires, ce même individu pourra solliciter de la bienveillance à son égard sans renoncer à considérer la Règle applicable en temps normal. Ces petites transgressions permettent de ne pas renier la Règle tout en y dérogeant ponctuellement. A l’inverse, certaines situations impliquent une démonstration excessive du respect de la Règle en projetant les limites de cette dernière sur des faits qui n’y sont normalement pas soumis. Dans l’ensemble de ces analyses, le regard de l’Autre sur soi joue une place prépondérante tandis que son propre regard n’est pas considéré comme influent.
« Il y a beaucoup de fausses accusations d’acte de satyre [chikan anzai] (...)alors qu’il n’y a pas de preuve [shôko] possible (de son innocence). Si on se fait attraper pour acte de satyre, c’est la fin : au Japon c’est un problème de société [shakai mondai]. On peut perdre son travail, (...) cela m’inquiète [shinpai], j’essaye de ne pas laisser mes mains libres quand le train est bondé. Je pense que beaucoup (d’hommes) font la même chose. » (Yamanouchi, 14 juin 2010)
Pour M. Yamanouchi, il n’apparaît pas normal d’être inquiet à cause d’un acte qu’il ne commettra jamais, pourtant si la règle est justifiée par le nombre supposé important de satyres, son inquiétude se trouve justifiée. Etre accusé de satyre peut mener un individu dans un processus judiciaire kafkaïen, cette perspective l’oblige à prendre des dispositions qui démontrent aux Autres
67 On trouvera de nombreux sites internet non officiels sur lesquels des conseils sont prodigués aux utilisateurs des transports masculins pour prouver leur innocence aux yeux de tous (par ex. http://www.wichpack.com/ qui milite pour la création de wagon spéciaux pour les hommes calqués sur l’exemple des wagons spéciaux pour femmes [josei senyô sha], consulté le 4 février 2011) tandis que le site officiel de l’agence centrale de police de Tôkyô donnera plutôt des conseils de prudence ou de défenses aux femmes (http://www.keishicho.metro.tokyo.jp/kouhoushi/no1/koramu/ koramu5.htm consulté le 4 février 2011).
II. La Règle
Fig.II.l : « Faisons-le à la maison : veuillez témoigner de considération quand vous mangez dans le train »
77
III Conclusion
80
Dans ce travail, nous avons exploré divers aspects de la Règle à l’intérieur de l’espace public de la gare de Shinjuku. La première partie nous a permis de saisir les différentes manières qu’utilisent ses usagers pour l’appréhender. Les limites de la gare de Shinjuku sont lâches ce qui lui permet d’englober un certain nombre de fonctions autres que celle de « gare » elle-même, la reléguant parfois à un rang tout à fait secondaire. Par l’analyse de la fonction « lieu de rendez-vous, » nous avons vu que les quais ne sont pas nécessairement définis comme l’intérieur de la gare. Ce sont les portes automatiques qui y donnent accès qui obligent un usager à la relation la plus forte à son environnement construit pour définir sa position dans l’espace. Mais quel que soit le lieu, la gare de Shinjuku projette son image sur l’ensemble de ses utilisateurs : l’Autre n’est qu’un parmi les Autres ; il peut être différencié comme partie d’un sous-ensemble, ou être une représentation de soi toujours renouvelée, parfois fantasmée sans jamais être isolée de la gare elle-même. Les temporalités caractéristiques de celle-ci sont marquées par cette figure de l’Autre, elles sont non continues et relèvent à la fois de l’ordre et du désordre. Des dominantes sont identifiées : le matin relève de l’ordre, les trains et passages souterrains déversent des flots d’utilisateurs de la gare, chacun visant un objectif identifiable comme étant son travail ; le soir et la nuit relèvent du désordre, l’ambiance y est plus molle, plus détendue, les objectifs sont moins identifiables mais peuvent être compris par les fonctions des alentours de la gare qui lui sont souvent assimilés. La gare de Shinjuku réunit en un lieu pluriel d’autres lieux, d’autres imaginaires, qui l’élargissent parfois par la modification de sa désignation : la gare de Shinjuku devient alors Shinjuku, tout simplement. La seconde partie de ce travail s’attache à définir la Règle et son application à l’intérieur de la gare de Shinjuku. Nous explorons tout d’abord la construction de son existence pour ses usagers : sa raison. La Règle s’appuie sur trois systèmes, la loi, le règlement et les bonnes manières, qui définissent deux types d’actions : les « bonnes » et les « mauvaises. » Cette dualité vise à l’élimination
des comportements jugés « mauvais » quel que soit le système dont ils relèvent. La liberté d’action d’un utilisateur de la gare est ensuite à définir dans les limites de la norme. Pourtant, une tolérance existe face à cette dernière : la Règle est en constante réadaptation, une règle particulière peut être créée jusqu’à ce qu’elle ne soit plus nécessaire. Les écarts face à la norme sont ainsi réduits sans être complètement effacés. Dans la pratique, chacun crée autour de lui un monde personnel dont la Règle assure l’intégrité : la Règle est le résultat de l’effort constant de chacun. Remarquons que dans ces descriptions, les limites de la gare de Shinjuku et ses fonctions se redessinent autour de la fonction « gare » : entre un point de départ et un point d’arrivée, l’espace de la relation aux Autres de la gare de Shinjuku est compris comme transitoire quoiqu’inévitable. Nous abordons ensuite l’apprentissage de la Règle au travers de trois acteurs : l’individu, le groupe et la représentation de la Règle. L’apprentissage de la Règle se fait généralement par l’entourage d’un individu. Dans ce type de relation, une personne est soit représentante de l’autorité, soit considérée comme un égal et devra tirer son autorité d’un objet tiers. Par l’existence de ces corrections constantes, nous comprenons que le groupe donne droit à l’erreur, une action hors du cadre de la norme pouvant toujours être corrigée à l’avenir par l’expérience qu’un individu fera de ses conséquences. Seul l’étranger ou celui qui est vu comme tel peut bénéficier d’un dédouanement permanent car son âge et sa situation apparente ne révèlent pas nécessairement d’une expérience de la société japonaise, ou plus particulièrement de la gare de Shinjuku. Le groupe contrôle ainsi la distribution des droits de chacun et il est légitime lorsqu’il corrige d’éventuels manquements à la norme. Dans ce processus d’apprentissage, la représentation de la Règle semble jouer un rôle minime. Elle n’est efficace que dans la mesure où elle est pertinente face à un individu particulier au sein des nombreux utilisateurs de la gare ; elle n’agit pas directement sur le groupe. Encore une fois, l’étranger est déchargé de sa compréhension et donc de l’application de ce qu’elle désigne. Cependant, si elle est généralement considérée comme un rappel de la Règle pour ceux qui la connaissent déjà, la représentation de la Règle comporte un caractère officiel reconnu qui peut se révéler être le support de l’apprentissage. Le dernier point que nous avons traité et la relation de l’Autre à la Règle. Dans de nombreux cas, des incertitudes sont émises face au comportement éventuel de l’Autre : un doute quant à sa conduite mettant parfois même son honnêteté en cause. Cette incertitude donne lieu à des questionnements sur son propre comportement et des tentatives de requalification de celui-ci par rapport au regard de l’Autre. Les relations entre utilisateurs de la gare de Shinjuku sont ainsi caractérisées
III. Conclusion
III. Conclusion
Fig.III : Dessin sur un panneau d’un agent de la compagnie JR remerciant les usagers de leur coopération
81
III. Conclusion
par l’absence de la parole. En effet, quoique souvent minimisée, l’influence des regards et des gestes des Autres régule le comportement de chacun, générant une pression du groupe. La parole n’est utilisée qu’en dernier recours, elle est une interaction hors norme qui sollicite ouvertement le pouvoir régulateur du groupe par rapport à un acte déviant. Pourtant, des transgressions à la Règle sont tous les jours observées. Elles peuvent être celles d’un individu qui sollicite la bienveillance de l’Autre à son égard, ou bien être la conséquence de la pression du groupe qui peut obliger un individu à augmenter son niveau de tolérance. Dans les deux cas, la transgression n’est pas sanctionnée. A contrario, les limites de la Règle peuvent être étendues à des comportements ne relevant pas de celle-ci : pour éviter toute sanction, un utilisateur de la gare se sentira obligé de sur-jouer son appartenance au groupe majoritaire afin de produire une situation jugée normale par les Autres. A l’intérieur de la gare de Shinjuku, l’Autre est une figure duale : il est celui qui transgresse et celui qui régule.
82
Pour finir, il est nécessaire de rappeler la limite de ce travail. Ce dernier ne prétend bien sûr ni à l’exhaustivité ni à la généralisation : il traite d’un lieu précis à partir d’un corpus d’entretiens particuliers réalisés à un moment précis à l’aide de méthodes spécifiques. Il est le résultat d’une année de travail et ne se veut que l’ébauche d’une recherche plus approfondie que nous souhaitons mener sur le thème des relations que les usagers entretiennent dans l’espace public de la ville japonaise. Plusieurs pistes qui ont été abordées dans se mémoire nous intéressent : les limites d’application de l’idée de norme, ses transgressions et ses projections, les évolutions de la Règle, la figure de l’Autre.
Remerciements
Avant quiconque, je souhaite remercier les personnes qui ont accepté les entretiens sans qui ce travail n’aurait bien sûr pas été possible : Mlle Anki, M. Awaya, M. Hada, Mlle Kageyama, M. Miyagawa, M. Nakamura, Mlle Tchapi, M. Tsuchiya et M. Yamanouchi. Sans oublier Mlle Îda Sayaka qui m’a permis d’entrer en contact avec M. Miyagawa et bien sûr Awaya Yûta qui m’a permis de m’entretenir avec son père. Je remercie également M. Yabe Akira, M. Azuma Kenji et M. Tamakawa Tsukasa de la mairie de Shinjuku pour m’avoir accordé des entretiens qui n’ont pas directement été exploité dans ce travail, mais qui l’ont bien sûr nourri. Je remercie mon professeur de laboratoire au Japon, M. Yatsuka Hajime, qui m’a présenté à des gens passionnants et qui m’a donné toutes les libertés lors de mes présentations et mes investigations. Le professeur Morita avec qui je n’ai eu qu’un seul entretien, mais qui a été décisif pour mon choix de site et de méthode d’étude. Mme Fushimi Yoshiko pour son aide lors des recherches à la bibliothèque Toritsuchuô ou sur le site internet de la mairie de Shinjuku et pour nos discussions stimulantes. Sans oublier Sakurai Kenji, Tamaru Masakazu, Watanabe Junya sans qui il aurait été difficile de faire des présentations compréhensibles de mon travail en japonais, Kaneko-san pour ses conseils de lecture et Horiki Shun et tous les autres membres du laboratoire Yatsuka (j’ai honte de ne pouvoir énumérer tous les noms) pour leur aide ou leur soutien. En France, je remercie ma directrice de mémoire, Mme Alessia de Biase pour la liberté qu’elle m’a laissé face au choix de mon sujet et pour ses relectures et conseils et le professeur Philippe Bonnin pour ses relectures attentives, ses corrections et ses critiques sans lesquelles la dernière partie de ce mémoire n’aurait pas été tout à fait la même. Je n’oublie pas Thaïs Heintz qui ne m’a pas encore aidé à préparer la soutenance de ce travail lorsque j’écris ces mots, et encore moins Gérard François-Descroix pour son soutien et Joëlle François-Descoix (on comprendra que ce sont mes parents) dont les critiques inflexibles (parfois moqueuses) ont permis je l’espère à mon lecteur de comprendre mes phrases. Je remercie tous ceux que j’ai oubliés et ceux qui ont témoigné de l’intérêt pour mon travail, ce qui m’apportait une motivation supplémentaire. Et enfin, non la moindre, K pour son aide lors mes recherches dans les archives de la bibliothèque de Shinjuku, pour m’avoir présenté le travail de Mori Tatsuya et Satô Katsuo, pour m’avoir fait visiter les studios de la NHK, pour m’envoyer régulièrement les photos de panneaux et affiches représentant la Règle et pour son soutien moral constant.
Annexes
1910
Ouverture de la gare d’Ogikubo dirigée depuis Shinjuku (shinjukuekichô)
!
!
!
!!!
1900
!
!
!
O Installation de feux de signalisation automatiques sur les voies
Création de l’administration des chemins de fer
bureau impérial des chemins de fer
Kobutetsudô Kawagoetetsudô Shigaitetsudô Teikokutetsudô
Kobutetsudô Kawagoetetsudô Shigaitetsudô Teishinshotetsudô
Nihontetudô Kobashatetsudô Kobutetsudô Kawagoetetsudô Shigaitetsudô
Nihontetudô Kobashatetsudô Kobutetsudô Kawagoetetsudô
Nihontetudô Kobashatetsudô Kobutetsudô
!
Nihontetudô
compagnies d’exploitation
Nihontetudô Kobashatetsudô
. & * + *
Signes / Règles
!
188
1890
! train électrifié du Japon
Hors gare
Gare
Annexes
Magasins sur les quais en 1907
La gare en 1885
II
Technologies
Annexes
guerre
la
Début de l’occupation de la Corée
Le Japon a aque Russie et la Corée
Révolte des Boxers en Chine ; Accord militaire du Japon avec l’Angleterre
Traité de Shimonoseki, victoire japonaise ; début de l’occupation de Taiwan
Première sino-japonaise
Nouvelle constitution Meiji promulguée (dainippon teikoku kenpô)
signes O règles N rush hour e nouvelle ligne ! accident S
Légende :
Timeline : Histoire de la gare de Shinjuku, de ses signes et de ses règles
III
Technologies
1920
1910
! Shinjuku est la gare la plus utilisée du Japon Réforme des horaires de la ligne Chûô
1930
La surveillance de la station revient à la direction du ministère des lignes de Shinjuku (ShôsenShinjukuekichô)
! Portes à fermetures automatiques sur la ligne Keihin-Tôhoku (Teikokutetsudô)
La ligne Yamate ( Te i k o k u t e t s u d o )
Effort national pour le développement du réseau ferré
Hors gare
5 " * 4 )
électriques
N Le resquillage est monnaie courante durant tout le mois de septembre
!N Wagons pour dames (Fujinseigôsha) sur la ligne Chûô
O
O
O Réforme du système de numérotation des lignes
!O Installation de signes
4 Publicité dans les ) !O wagons des lignes Chûô, O ! Yamate et Keihin 8 !O Installation de hauts O parleurs O " !O Installation d’horloges
!
N
!
!
!
N
!
Signes / Règles
Kawagoetetsudô Teikokutetsudô Tôkyôshiden Keiôtetsudô Odaharakyûkôtetsudô
! Premier Hôtel à Shinjuku
Annexes Gare
Annexes
Ouverture du magasin Isetan : Shinjuku 3Chome 1933
Tetsudoin est remplacé par Tetsudojô
Kobutetsudô Kawagoetetsudô Teikokutetsudô Tôkyôshiden Keiôtetsudô
chemin de fer de la ville
Kobutetsudô Kawagoetetsudô Teikokutetsudô Tôkyôshiden
compagnies d’exploitation
Création de l’administration des chemins de fer
IV V
Crise économique
Suffrage universel masculin ; adoption de la loi sur le maintien de l’ordre (chianijihô)
Grand tremblement de terre du Kantô, 44% de la ville de Tôkyô est détruite, 140 000 morts
Signature des traités de Washington : le Japon renonce à l’expansion coloniale
Traité de Versailles ; le Japon obtient toutes les possessions Allemandes du Pacifique Nord
Le Japon entre en guerre contre l’Allemagne
Début de l’occupation de la Corée
signes O règles N rush hour e nouvelle ligne ! accident S
Légende :
Restauration du train de nuit le soir du nouvel an
Création de la ! Premier train société nationale de thermique passant par communication Shinjuku
! Train le plus rapide du monde au Japon : 145km/h
! Généralisation des trains de 10 voitures sur la ligne Chûô ! Ventilateurs dans les trains des lignes nationales
S
N
! N
e
N Problème de retard des lignes de tramway causés par l’arrivée des voitures dans la ville
e Personnel spécial sur les quais pour la gestion des rush-hours (Oshiya)
Keiôtetsudô Shôsentetsudô Odakyûtetsudô Tôkyôkyûkôdentetsu Eidanchikatetsu Seibutetsudô
! O
N Retrocession des wagons de l’ONU ; ré-ouverture première classe lignes Chûo/ Yamate
Odakyû prend la tutelle de Hakonetôzantetsudô et Kanagawachûônoriaishidô
!
Le département transport et communication (Unyu tûshinshô) devient département transport (Unyushô)
Ome et Nanbutetsudô sont racheté par le pays et deviennent Shôsenome et Shôsennanbu
Kawagoetetsudô Keiôtetsudô Tôkyôtodentetsu Odakyûtetsudô Shôsentetsudô
Kawagoetetsudô Tôkyôshiden Keiôtetsudô Odaharakyûkôtetsudô Teikôsokudokôtsûeidan
compagnies d’exploitation
Keiôtetsudô Shôsentetsudô Odakyûtetsudô Tôkyôkyûkôdentetsu
N Wagons spéciaux pour l’ONU sur les lignes Chûô et Yamate
O Affiche “parce que la lumière est à Shinjuku” (Hikarihashinjukukara) devant le marché noir
N
!N Contrôleurs femme
N
la
N Suppression première classe
de
N Réajustement législatif des affaires relatives au transport terrestre (Rikujô kôtsujiggôchôsei o) O Extinction des signes néons à 21h
N
!!
! Généralisation 1950 des trains de 8 voitures sur la
! Généralisation des trains de 7 voitures sur la ligne Yamate
Réforme des horaires
Réforme des horaires
1940
Les bus de la ville (Tôkyôshiei) fonctionnent au charbon de bois
N O
!N Ouverture de la première classe à Shinjuku
La station Yotsuyashinjuku prend le nom Keiôshinjuku
N
Signes / Règles
Hors gare
! Généralisation des Début de la télévision trains de 9 voitures sur la ligne Chûô
Technologies
Gare
S La station brûle avec ses annexes
Annexes
Annexes
Rush hours 1957
Quai de la gare de Shinjuku 1947
VI VII
de
Premier plan d’urbanisation de la métropole de Tôkyô Réintroduction de l’enseignement de la morale à l’école
Début des “Quatre grands cas” : scandales de pollution du pays
Fin de la guerre de Corée ; division de la Corée ; les Coréens au Japon perdent leurs droits
Fin d’occupation Taiwan
Début de la guerre de Corée
Procès de Tôkyô ; le général Tojô ainsi que 5 autres militaires et 1 civil sont pendus Loi pour la liberté d’avortement
Suppression du ministère de l’intérieur (Naimushô)
Manifestation des femmes autour du palais impérial pour l’obtention de riz
Bombes atomiques d’Hiroshima et Nagazaki Fin des guerres ; 2 millions de morts dans le pays ; ; nouvelle constitution japonaise
Bombardements de la ville : 38% de la ville de Tôkyô est détruite
Début de la guerre du pacifique : Pearl Harbor
Dissolution des partis politiques, idéologie totalitariste du kokutai
Déclenchement de la seconde guerre mondiale
Mobilisation
Déclenchement de la seconde guerre sino-japonaise ; massacre de Nankin
signes O règles N rush hour e nouvelle ligne ! accident S
Légende :
Hors gare
de
1960
Fin des wagons restaurant sur la ligne Chûô Optimisation des horaires à l’échelle de la ville (Tôkyôtsûshinbukokuden)
d’une bombe derrière le poste de police sortie est, 12 personnes
SExplosion
Premier ordinateur portable (sans ba erie)
Invention du “personal computer”
Etablissement des trains de 10 voitures sur Keiô, 8-10 voitures sur Odakyû
N
O
N
Ne
! N O
S
N
O
N
O
! N
O
!
S
!!
Incendie d’un 1980 bus Eidan sortie Ouest : 6 morts, 17 blessés
S
! Trains de 10 voitures sur les lignes Odakyû durant les rush-hour
! Généralisation des trains de 8 voitures sur les lignes Keiôtetsudô
Invention de la puce RFID (radio frequency identification technol- Fusion des lignes de tramway de 27 à 32 ogy) (ligne Setagaya), autres lignes fermées ! Première speakerine de la station pour les rush hours
Plan d’enterrement des réseaux de communication, 96% en fibre optique
1970
Réforme du système Seiko utilise pour la ferré (Kokutetsudô) première fois un écran ! Wagon climatisé à cristaux liquide pour (Keiôtetsudô) une montre
SCollision entre un train de marchandise et un wagon tanker de l’armée américaine à Nakano
La gare de Shinjuku redevient et restera la gare la plus utilisé du Japon (821 830 pers/j)
Début de la télévision ! Utilisation de la réservations par ordinacouleur teur
! Mise en service du Shinkansen
Début de la climati- Réforme du système ferré du pays sation (Kokutetsudô)
Démocratisation l’automobile
Création de la ! Premier train société nationale de thermique passant par communication Shinjuku
Technologies
! Train le plus rapide du monde au Japon : 145km/h
O Sonne es électriques de signalement de départ des trains à quai
N Début de la campagne “Clean (Kurin) Shinjuku”
O Renouvellement des affiches de voyages de la station ; standardisation des formats
N Généralisation de la classe Sylver seat
O La ligne de métro Ogikubo est renommée Marunouchi N Fin des wagons pour dames ; début de sylverseat (Shiruvâshîto)sur la ligne Chûô O Nouvelle signalétique pour le métro N Sylver seat sur la ligne Yamanote Ne Interdiction de fumer pendant les rush hours
N Mise en place des “beautiful-day” sur la rue Meiji : interdiction à tout véhicule de circuler à Shinjuku, Ginza, Ikebukuro
O Mise en place des codifications couleur des lignes à l’échelle du pays
!N Début de la classe “fenêtre verte” (midorimado) sur les trains de banlieue
O Nouveau logo pour le métro
N Problème de retard des lignes de tramway causés par l’arrivée des voitures dans la ville
Signes / Règles
Tôkyôkyûkôdentetsu Shôsentetsudô Keiôtetsudô Eidanchikatetsu Odakyûtetsudô Seibutetsudô Toeichikatetsu
Keiôtetsudô Shôsentetsudô Odakyûtetsudô Tôkyôkyûkôdentetsu Eidanchikatetsu Seibutetsudô
compagnies d’exploitation
Annexes Gare
Annexes
Quais au cours des rush hours 1980
Place souterraine sortie Ouest 1969
VIII IX
de
Procés des événements de Lockheed (rokkîdojiken) , prison ferme pour Tanaka Kakuhei pour corruption
Assassinat dans une rue de l’arr. Tôkyôkôtôku faisant suite à une affaire judiciaire autour de stimulants d’usage courant
Deuxième choc pétrolier
Traité de paix avec la Chine
Début de la mise en place d’équipement pour les personnes handicapées dans la ville
Premier choc pétrolier
Exposition universelle d’Ôsaka Première manifestation des féministes Les premiers jugements des scandales de pollution condamnent lourdement les entreprises
Manifestation de “pacifistes folks” (Hansenfôku) sortie ouest maîtrisée aux gaz par la sécurité (Kidôtai) : interdiction de manifester
(Shinjukusôranshiken) 1500 personnes entre dans la gare pour une manifestation pacifiste et anti communiste ; incidents : crimes séditieux pour la sécurité (Keishichô)
Le Japon devient la deuxième puissance économique mondiale
Début de l’expansion des voies express automobiles
Jeux-Olympiques Tôkyô 1964
Effort national pour l’amélioration du réseau viaire Généralisation de la couverture maladie et du système des retraites Création de la régie de F u k u t o s h i n (Fukutoshinkaiha tsukôsha) pour l’exploitation immobilière en perspective de JO de 1964. Grand rush immobilier (Kensetsurassyu) autour de la sortie ouest jusqu’en 1968
Premier plan d’urbanisation de la métropole de Tôkyô Réintroduction de l’enseignement de la morale à l’école
signes O règles N rush hour e nouvelle ligne ! accident S
Légende :
Hors gare
Shinjuku est placé sous la juridiction de JR higashinihonryôgakutetsudô
la i e
de la
Le bluetooth est intégré au téléphones mobiles
! Publication du classement des lignes où le nombre d’attouchements est le Généralisation de la plus élevé 3G sur tous les opérateurs Deuxième génération de bluetooth
2000
Climatisation complète des lignes de métro
C a m p a g n e d’amélioration du service passager de la JR ! Employées femmes dans le métro
Déraillement sur généralisation des la ligne de métro écrans LCD couleur Hibiya L’opérateur NTTdocomo expérimente une offre 3G sur ses téléphones mobiles ; lancement des table es PC par Microso
Mise à disposition de puces RFID à bas coût
Début du Wifi (norme 802.11a)
Libéralisation l’industrie de communication Erricson lance t e c h n o l o g bluetooth
Intégration de la technologie infrarouge (IrDA) aux téléphones mobiles
Apple lance le premier PDA (assistant numérique personnel)
Annonce publique du Mise en place d’une taxe les voyages World Wide Web : sur (Shôhizei) début de l’internet La ligne de fret de 1990 la Ligne Yamanote est utilisée pour le transport de voyageurs automatiques Début de la popularisa- Portes sur Keiô/Odakyû ; tion du téléphone Odakyû portes larges mobile pour les rush hours
O !
O N
N O
O
O
O O N
!
N
N O
O
O
N
O
Réforme des horaires
Lancement par la Grand nombre de vols société japonaise recensé à Shinjuku Sharp du premier Réforme des horaires ordinateur de poche
O Les quais 1-2 sont désignés pour la ligne Saikyô ; les autres numéros de quai sont décalés de 3 à 12
! O
O Nouvelle signalétique de la Odakyû ; Sur les rambardes de protection des chantiers, un passager décide de dessiner des panneaux de signalisation à la bande adhésive N Suppression de toutes les poubelles dans les stations de Tôkyô métro O Nouvelle signalétique de la Toei O Nouvelle signalétique LED sur la JR N Interdiction de fumer dans les rues de l’arrondissement O Début des campagnes annuelles de “bonnes manières” sur la Toei O Mise en service de la carte de crédit “ToMe” associé au pass “Pasmo” ; début de la campagne “Do it at home” de Tôkyô metro
O Mise en service du pass prépayé “Passnet” O Panneau de publicité de 250x965cm sortie ouest N Réouverture de wagons dédiées aux femmes (Jyoseisenyôjyôsha) pendant les rush hours O Mise en service du pass prépayé “Pasmo”
N Interdiction de fumer dans la rue pour tout l’arrondissement de Shinjuku (Rojyôkitsuenkinshijyôrei)
pour la compagnie JR image-up (imêji-appu) N Interdiction de fumer sauf lieux désignés
) & * Les quais 3-4 sont 4 Odésignés pour la ligne express ; les autres & Narita numéros de quai sont de 5 à 14 * Odécalés Campagne de publicité
O Rénovation générale (Kiborinyûaru) ; Changement du système de signalisation, Mélodie pour le départ des trains à quai sur la JR
N Interdiction totale de fumer dans les stations de métro
O Changement de la codification couleur des trains
N Début de la vente de la carte orange
Signes / Règles
O Sonne es électriques de signalement de départ des trains à quai
! N
Privatisation de la Fermetures de la gare société nationale de de fret de Shinjuku communication 100 ans de la station Premier ordinateur Shinjuku portatif (avec ba e- Révision du système ferré du pays rie)
Technologies
Etablissement des trains de 10 voitures sur Keiô, 8-10 voitures sur Odakyû
Toeichikatetsu Odakyûtetsudô Keiôtetsudô Seibutetsudô JR Higashinihon Tôkyô Metro
Odakyûtetsudô Keiôtetsudô Toeichikatetsu Seibutetsudô Eidanchikatetsu JR Higashinihon
Privatisation partielle de Shôsentetsudô (Kokutetsukakuhô)
compagnies d’exploitation
Annexes Gare
Annexes
Quais 2010
Intérieur de la gare 2000
Quais 1993
Quais 1985
X XI
photo CanadaGoodcFlickr
forces
Crise économique des subprimes
Retrait des Japonaises d’Irak
A entat D’al Quaïda dans le métro de Londres Privatisation de la poste
Engagement des forces Japonaises en Irak
L’expression “Cool Japan” est utilisée par le gouvernement pour la promotion culturelle
Fin de la récession
Début de la popularisation du “Cool Japan”
Un missile Nord-Coréen survole l’archipel
Tensions territoriales avec la Chine pour la possession des îles Senkaku
Séisme de Kobe A entat au gaz Sarin sur les lignes Marunouchi,, Hibiya et Chiyoda : 12 morts, milliers de blessés
Eviction des sans-abris de la gare de Shinjuku
Première crise nucléaire avec la Corée du Nord
Crise économique
Fin de la bulle économique Les titres NTT ne valent plus que 20 000¥
Médiatisation du phénomème “Otaku”
Scandale des campagnes de recrutement de la JR Higashinihon Collision entre 2 trains à Higashi nakano : 2 morts, 109 blessés
Les titres NTT passent la barre des 300 000¥ Crash boursier à New-York
Bulle économique (Boburu Keizai) ; Boom des constructions
Fin de la gratuité des soins pour les personnes âgées ; recul de l’âge de la retraite
Procés des événements de Lockheed (rokkîdojiken) , prison ferme pour Tanaka Kakuhei pour corruption
signes O règles N rush hour e nouvelle ligne ! accident S
Légende :
Hors gare
Le bluetooth est intégré au téléphones mobiles
N
O !
O N
N O
O
N Interdiction de fumer dans la totalité de la station (sauf pièce aménagée quai 3-4)
O Nouvelle signalétique de la Odakyû ; Sur les rambardes de protection des chantiers, un passager décide de dessiner des panneaux de signalisation à la bande adhésive N Suppression de toutes les poubelles dans les stations de Tôkyô métro O Nouvelle signalétique de la Toei O Nouvelle signalétique LED sur la JR N Interdiction de fumer dans les rues de l’arrondissement O Début des campagnes annuelles de “bonnes manières” sur la Toei O Mise en service de la carte de crédit “ToMe” associé au pass “Pasmo” ; début de la campagne “Do it at home” de Tôkyô metro
Signes / Règles Quais 2010
Annexes Gare
forces
Un missile Nord-Coréen survole l’archipel
Crise économique des subprimes
Retrait des Japonaises d’Irak
A entat D’al Quaïda dans le métro de Londres Privatisation de la poste
Engagement des forces Japonaises en Irak
L’expression “Cool Japan” est utilisée par le gouvernement pour la promotion culturelle
Fin de la récession
Sources iconographiques : Haraguchi Ryuko “Photographies anciennes du chemin de fer sous l’ère Showa”, SeikaiBunkaSha 原口隆行、 「古写真で見る昭和の鉄道」、世界文化社 2001, 247p., p. 107 “15 ans d’évolution de l’arrondissement de Shinjuku”, Tokyo, Tokyoto-ShinjukuKuyakusho 「新宿区15年の歩み」東京、東京都-新宿区役所、昭和37年 p. 116 Danjo Kanji “100 ans d’évolution de la gare de Shinjuku” Tokyo, Ouverture de la commémoration des 100 ans de la gare de Shinjuku 壇上完爾「新宿駅100年の歩み」東京、新宿駅開業100周年記 1985 “Paysages de Shinjuku, Souvenirs des époques Meiji, Taisho et Showa” Tokyo, Musée d’histoire de Shinjuku 「新宿風景、明治、大正、昭和の記憶」東京、新宿歴史博物館、平成21年 2009, 196p. Koshizawa Akira “Urbanisme de Tokyo de l’ère Showa” in “Cartes 1/1000 du Tokyo de la reconstruction, explication”, Tokyo, HakuShobo 越沢明「昭和の東京都市計画」in「戦災復興期東京1万分1地形図集成、解題」東京、拍書房 1988, 47p., pp. 42-45 “Résumé du rapport d’étude pour une facilitation du passage est-ouest de la station Shinjuku”, Shinjukuku 新宿駅東西自由道路基本調査、報告書<概要版>」新宿区、平成8年 p.47 “Cartes culturelles de Shinjuku” 「新宿文化絵図、特別付録、江戸、明治、現代重ね地図。淀橋/新宿」新宿区」 Période Meiji, Taisho et Showa, Cartes au 1/1000ème de Tokyo Shinjukuku 「明治、大正、昭和、東京1万分1地形図集成、報告書」新宿区 Cartes historique d Edo-Tokyo, 50000ème, 1887-1959 Autres sources : 「Historical map of Edo-Tokyo5万分1、江戸東京市街地図集成II、1887(明治20)年-1959(昭和34)年、報告書」 Cf. Bibliographie 「東京都渋谷区」ゼンリン住宅地図2009-1 +「東京都新宿区」2009-10
Toeichikatetsu Odakyûtetsudô Keiôtetsudô Seibutetsudô JR Higashinihon Tôkyô Metro
compagnies d’exploitation
Sources internet : h p://www.larousse.fr/encyclopedie/ville/Tokyo/146987 h p://www.larousse.fr/encyclopedie/article/Le_2_septembre_1945/11024804 h p://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Japon/185382 h p://www.jreast.co.jp/development/tech/pdf_4/24-31.pdf h p://www.tokyometro.jp/global/en/about/history.html h p://resume.liberation.fr/_monde/japon-affaire-proces-dirigeants-secte.html h p://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/chronologie-des-a entats-perpetres-a-londres_485226.html h p://chiebukuro.travel.yahoo.co.jp/detail/1340068388.html?p=東京都&pg=14&st=3 h p://www.city.shinjuku.lg.jp/content/000020687.pdf h p://www.ktr.mlit.go.jp/toukoku/09about/saisei/retokyo002.htm h p://tsushima.2ch.net/test/read.cgi/newsplus/1238861199/l50 h p://www.tetsudo.com/news/249/首都圏の駅ホーム全面禁煙へ%E3%80%80JR東/ h p://aidat.09.free.fr/spip.php?article68
2010
! Publication du classement des lignes où le nombre d’attouchements est le Généralisation de la plus élevé 3G sur tous les opérateurs Deuxième génération de bluetooth
Technologies
téléphones mobiles ; lancement des table es PC par Microso
XII
Bibliographie
Textes généralistes
Ouvrages
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Presse des mines, Mines ParisTech, collection sciences sociales, 199 p.
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Articles
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Annexes
signes O règles N rush hour e nouvelle ligne ! accident S
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—, 2008, “Le métro revisité”, Paris, Hachette littératures, pluriel actuel, 100 p.
BELTING Hans, 2004 (2001), « Pour une anthropologie des images », Paris, Gallimard, coll. Le temps des images, 346 p.
XIII
DELEUZE Gilles, 2002, « Instincts et institutions » in DELEUZE Gilles, L’île déserte, Paris, Les éditions de minuit, p. 416, pp.24-27
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Annexes
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XIV
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A propos du Japon
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Ouvrages
Articles
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Annexes
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XV
« Villes en gares », La tour d’Aigues, Les éditions de l’Aube, pp. 171-190 WALEY Paul, 1995, « Les lieux de passage et les espaces publics dans la ville japonaise » in Patrick BEILLEVAIRE et Anne GOSSOT (dir.), « Japon Pluriel, Actes du premier colloque de la Société française des études japonaises », Arles, Éditions Philippe Picquier, 468 p., pp. 319-326
Présentation complète des personnes interviewées
Sites internets (Tous consultés le 7 février 2011)
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Seibu group, http://www.seibu-group.co.jp/railways bonnes manières http://www.seibu-group.co.jp/railways/smile/ manner-poster/index.html Toei Chikatetsu, http://www.kotsu.metro.tokyo.jp ; bonnes manières http://www.kotsu.metro.tokyo.jp/fan/manner.html Tôkyô Métro, http://www.tokyometro.jp/index.html ; bonnes manières http://www.tokyometro.jp/global/en/service/ notice.html
Annexes
XVI
Sources iconographiques :
Haraguchi Ryuko, 2001,“Photographies anciennes du chemin de fer sous l’ère Showa”, SeikaiBunkaSha 247p., p. 107 “15 ans d’évolution de l’arrondissement de Shinjuku”, 1962, Tokyo, Tokyoto-Shinjuku Kuyakusho, p. 116 Danjo Kanji “100 ans d’évolution de la gare de Shinjuku” Tokyo, Ouverture de la commémoration des 100 ans de la gare de Shinjuku,1985 Musée d’histoire de Shinjuku, 2009, “Paysages de Shinjuku, Souvenirs des époques Meiji, Taisho et Showa” Tokyo, 196p.
M. Awaya
62 ans1, ingénieur électronique à la retraite, né dans la préfecture de Kanagawa « à une heure en train de Tôkyô, » marié et père de deux fils, sa famille est propriétaire d’une petite maison dans la banlieue sud de Tôkyô où se passaient les entretiens autour d’une tasse de thé et d’une part de gâteau que nous apportait sa femme. Cette dernière disparaissait alors dans une autre pièce de la maison, très soucieuse de ne pas nous déranger. Nous avons effectué deux entretiens d’une heure le 30 avril et le 19 juin 2010. Lorsqu’il travaillait, M. Awaya utilisait tous les jours la gare de Shinjuku, où il effectuait un transfert le matin à 7h45 précise. Son retour chez lui était moins programmé. Il se rendait également à la gare de Shinjuku pour acheter ou choisir du matériel dans les nombreux magasins d’électronique ou pour se détendre. Nous avons pris contact avec M. Awaya par l’intermédiaire de son fils rencontré en France.
Koshizawa Akira, 1988, “Urbanisme de Tokyo de l’ère Showa” in “Cartes 1/1000 du Tokyo de la reconstruction, explication”, Tokyo, HakuShobo, 47p., pp. 42-45 “Résumé du rapport d’étude pour une facilitation du passage est-ouest de la station Shinjuku”, Shinjukuku, 1996, p.47 “Cartes culturelles de Shinjuku”, Mairie de Shinjuku
M. Miyagawa
“Période Meiji, Taisho et Showa, Cartes au 1/1000ème de Tokyo”, Mairie de Shinjuku “Cartes historique d’Edo-Tokyo, 50000ème, 1887-1959”, 2009, Mairie de Shinjuku
49 ans, animateur de télévision et de radio à la NHK (télévision nationale), musicien, compositeur et artiste il se dit « concepteur de musique, » né à Tôkyô, marié et père d’une fille, il a longtemps vécu à Sangûbashi à deux stations au sud de la gare de Shinjuku. Le premier entretien, du 20 avril 2010, s’est déroulé dans les locaux de la NHK, en présence de son agent qui nous avait mis en contact. Il devait initialement durer trente minutes, mais l’enthousiasme de M. Miyagawa pour notre discussion qu’il jugeait « stimulante » l’a poussé a la prolonger jusqu’à une durée d’une heure et demi. Le deuxième entretien du 15 juin 2010 s’est déroulé en face des bâtiments de la NHK, dans un café au décor vieillot dont les fauteuils au tissu élimé sentaient la cigarette. M. Miyagawa s’est excusé de ne pas choisir un meilleur endroit mais c’était le café le plus proche du studio où il était attendu après l’entretien. Ce dernier dura également une heure et demi. M. Miyagawa utilisait la gare de Shinjuku tous les jours lorsqu’il était étudiant, il ne pensait que peu aux études et passait beaucoup de temps dans les Pachinkoya [Etablissement très bruyant alignant des billards verticaux appelés pachinko] et les gêmusentâ [de l’anglais game center] ou en tentant de séduire les filles. Depuis, il se rend régulièrement à Shinjuku, pour le travail au théâtre Komagekijô au nord de la gare, ou pour les loisirs pour y faire quelques achats. A chaque passage, il ne manque pas d’aller 1 Les âges sont ceux de l’année des entretiens.
Annexes
Policy Research Institute for Land, Infrastructure, Transport and tourism, « research as to what effect transportation has on health I », http://www.mlit.go.jp/pri/english/houkoku/gaiyou/english_kkk55.html
XVII
Annexes
XVIII
M. Yamanouchi
42 ans, employé de bureau, a grandi à la campagne, marié sans enfant, utilise la gare de Shinjuku tous les jours de la semaine pour se rendre à son travail, mais il lui arrive de l’utiliser en fin de semaine pour se rendre à des matchs de football ou pour faire quelques achats. Les entretiens se déroulait à l’université dans un espace dédié au dialogue isolé des bureaux open-space par des paravents, trois entretiens d’une heure chacun le 19 avril, le 14 et le 24 juin 2010. Etudiant en échange dans cette université, M. Yamanouchi a accepté d’entamer cette série d’entretiens parce qu’il a à cœur d’aider tous les étudiants dès qu’il en a la possibilité. Lors du premier entretien, il pensait répondre à une série de questions et nous a semblé décontenancé face à liberté qui lui était laissée de parler de la gare de Shinjuku comme il l’entendait. Il ne touchera pas au café ni aux friandises que nous apportions systématiquement pour permettre une brève détente aux deux parties. Ses phrases étaient brèves et précises et démontraient d’évidences, son langage est resté tout au long de nos rencontres le standard de la politesse. Le deuxième et troisième entretiens se sont déroulés de façon plus détendue, à la fin du troisième, il nous confiera penser que « les Japonais ne se posent pas beaucoup de questions sur ce thème. Pour (lui) c’était très original [shinsen] et intéressant [omoshirokatta]. » C’est M. Tsuchiya, que nous présenterons plus bas, qui nous a mis en relation avec M. Yamanouchi, mais également avec M. Hada et M. Nakamura.
Mlle Kageyama
37 ans, employée de bureau, née dans la préfecture de Chiba à l’est de Tôkyô, célibataire, vit à Asagaya à quelques stations à l’ouest de la gare de Shinjuku sur la ligne Chuô. Elle a fait une partie de ses études aux Etats-Unis et travaillait à la section internationale de notre université d’accueil, où nous nous sommes rencontrés, avant de s’arrêter en août 2010 pour se consacrer à sa passion pour la sculpture en métal. Elle a été fumeuse mais a arrêté depuis plusieurs années. Elle utilise la gare de Shinjuku depuis longtemps : le matin entre 8h et 8h30 ; le soir le plus tôt à 19h et le plus tard à minuit. En fin de semaine, elle y donne rendez-vous à des amis ou va y faire quelques achats. Les trois entretiens d’une heure chacun se sont déroulés le 21 avril le 26 mai et le 16 juin 2010. Interrogative lors du premier entretien quant au sujet à aborder, Mlle Kageyama était finalement très expansive dans ses discours. Elle utilisait parfois un langage standard, parfois un langage plus amical sans se fixer ni sur l’un, ni sur l’autre, utilisait l’anglais aussi parfois. Le lieu des entretiens était le même que ceux que nous utilisions avec M. Yamanouchi.
M.Tsuchiya
34 ans, employé de bureau, marié sans enfant, habite sur la ligne Nishi Seibu Shinjuku, né dans la préfecture d’Ibaraki il est venu à Tôkyô pour ses études supérieures quinze ans auparavant mais y passait enfant une partie de ses vacances. Il est passionné de base-ball et « aime le look des rock-bands » dont il s’amuse à chercher des représentants dans la foule de la gare de Shinjuku. Lunettes cerclées de noir et crâne rasé, M. Tsuchiya se sait « remarquable » mais préfère ne pas attirer l’attention et déteste les regards insistants. En supplément de son travail, il étudie le marketing et la publicité, intarissable sur le dessin des panneaux et affiches et sur l’impact de ceux-ci sur leurs « cibles » potentielles. Il n’aime pas les lieux où il y a trop de monde, lorsqu’il s’y trouve, il se met en retrait et regarde les gens en imaginant les réactions de chacun face à une affiche ou une publicité. Il n’utilise pas les lignes de la compagnie JR East Japan en temps normal. Il fume. Pour lui, le temps de transport est « une chance d’être seul » entre le travail où il est constamment sollicité et la maison où il parle avec sa femme. Nos entretiens se déroulaient dans une pièce séparée de son lieu de travail et de ses collègues par des hautes armoires remplies d’archives. Le premier entretien d’une heure, le 23 avril 2010, s’est prolongé le lendemain une quarantaine de minutes. Nous n’avons pas différencié ces deux entretiens pour la retranscription. Le deuxième entretien s’est déroulé le 28 mai, alors qu’une tierce personne, feignant de rien voir et de ne rien entendre, travaillait à un bureau dans la pièce où nous étions. Entre ces deux entretiens, M. Tsuchiya s’est rendu compte qu’il passait tous les soirs du temps assis dans un café de la station Îdabashi pour se reposer, fait qu’il avait omis jusqu’alors. Comme il est dit plus haut, c’est M. Tsuchiya qui nous a mis en contact avec M. Yamanouchi, M. Hada et M. Nakamura. Nous n’avions pas prévu d’effectuer des entretiens avec lui, mais son intérêt pour le marketing et la publicité découverts lors d’une conversation nous ont semblé intéressant dans le cadre de ce travail. M. Tsuchiya ne se sentait lui-même pas capable de participer à ces entretiens mais il s’est très rapidement montré enthousiaste.
M. Hada
32 ans, employé de bureau, marié père de deux enfants dont un est né en mai 2010, né dans la préfecture de Aichi dans les environs de Nagoya, il est venu pour la première fois à Tôkyô il y a dix ans environ. Sa première destination a été la gare de Shinjuku « pour voir en vrai » le lieu et les bâtiments qu’il avait tant de fois aperçu à la télévision. Il est arrivé a Tôkyô pour ses études supérieures sept ou huit ans auparavant et n’en est plus reparti. Il vit aujourd’hui à Setagaya, à une demi-heure en train au sud-ouest de la gare de Shinjuku. M. Hada est passionné par les trains, il étudie par exemple les horaires du seul train de fret traversant la gare de Shinjuku dans la journée pour aller le voir passer sur la courbe de la ligne Chuô au nord de la gare. Il dira de lui-même : « cela ressemble un peu à des paroles d’otaku [littéralement maison, par extensions successives, désigne les gens passionnés2]. » M. Hada est également passionné d’électronique, et se rend régulièrement dans les magasins dédiés du quartier de Shinjuku, il « peut passer beaucoup de temps dans la gare, » il aime 2 Il existe une abondante littérature sur les Otaku, terme tour à tour péjoratif puis mélioratif qui s’est exporté de différentes manières. A ce sujet on pourra voir le travail de Patrick W. Galbraith (entre autres : 2009, « The Otaku encyclopedia ; an insider’s guide to the subculture of Cool Japan », Tôkyô, Kôdansha, 248 p.).
Annexes
boire un jus de fruit au petit magasin spécialisé de la compagnie Odakyû ou de manger des ramen [soupe de nouilles] debout [tachigui]. Nous avons rencontrer l’agent de M. Miyagawa lors d’une visite des studios de la NHK, et plus particulièrement de celui où il officiait.
XIX
Annexes
XX
Mlle Tchapi
32 ans, doctorante à l’Université de Tôkyô, célibataire, née en France, elle est venue à Tôkyô « par hasard » après quelques années de travail dans un cabinet d’architecte en France et avoir rempli la demande de bourse d’étude Monbushô du ministère des affaires étrangères japonais, loge à l’est de la gare de Shinjuku à Nakano-Shimbashi, sur la ligne de métro Marunouchi. Elle étudie les chônaikai [communauté de quartier] et les formes urbaines dans lesquelles elles s’inscrivent. Elle se déplace beaucoup en vélo et différencie la gare de Shinjuku par le moyen de transport qu’elle utilise. A l’intérieur de la gare, certains magasin lui rappelle la France et elle aime aller acheter son pain à la boulangerie de Odakyû en prononçant le nom « baguette » avec l’accent français. Dans la gare de Shinjuku, elle est « en mode évitement » et ne regarde pas les gens, « par habitude peut-être. » Ce n’est qu’au moment où elle s’arrête à l’extérieur de la gare pour un rendez-vous qu’elle observe les gens, sur les quais elle regarde les publicités qui l’énervent souvent. Elle fume dans la rue mais ne jette pas ses mégots par terre. Pour Mlle Tchapi, « c’est l’objet de la règle d’être remis en cause. » Les entretiens en français se sont déroulés le 21 mai, le 5 et le 26 juin 2010, respectivement chez elle, dans son laboratoire dans un campus annexe de l’université et dans un café du campus de l’Université de Tôkyô durant une heure à chaque fois. Nous nous sommes rencontrés à Tôkyô, par l’intermédiaire d’un ami architecte qui habite et travaille à Shanghai.
M. Nakamura
21 ans, étudiant de dernière année de licence en chimie, célibataire, Il a toujours vécu « à la campagne » et n’est venu à Tôkyô que pour ses études, il étudie les énergies renouvelables. Les jours de beau temps, il se déplace en bicyclette jusqu’à la gare de Shinjuku et prend la ligne Marunouchi pour se rendre à l’Université, sinon, il n’utilise la gare de Shinjuku qu’en fin de semaine, pour se rendre dans un magasin de cycles, ou pour y faire quelques achats. Il compare son comportement dans la gare à celui qu’il adopte dans sa chambre quand il est seul : il n’a aucune raison de parler, c’est un peu « sombre [kurai]. » Lorsqu’il utilise la gare de Shinjuku, il n’a que l’envie d’en sortir. Il ne fume jamais à Shinjuku car les cendriers publics sont « trop sales. » Il a accepté de faire les entretiens par curiosité, entretiens au cours desquels il réfléchissait longuement avant de parler dans un langage standard de respect. Il semblait prendre garde à ne pas faire d’erreur sur l’unique dessin qu’il consentit à produire, la possibilité de se tromper semblait le paralyser, il jugea d’ailleurs le deuxième entretien « difficile. » Pour les trois entretiens d’une heure du 11 mai, 17 et 22 juin 2010
nous nous installions dans une des salles libres de son université.
Mlle Anki
Nous ajoutons à cette liste des neuf entretiens celui d’une heure, le premier juin 2010 dans un café Starbucks de la gare de Shinjuku, avec Mlle Anki, 27 ans, en stage dans une agence internationale de design où ne travaille « que des Japonais. » Elle a commencé son stage il y a 7 mois à Tôkyô pour une durée de 8 mois. Danoise de père Hongkongais, Mlle Anki se définit comme une « maniaque du shopping, » et utilise la gare principalement pour ses loisirs à la manière d’un centre commercial. Elle a vécu a Nerima avant de déménager à Nakano-Shimbashi où elle vivait lors de notre rencontre. Nous n’avons pas pu continuer les entretiens car elle était très occupée par les divers événements qui été organisés pour son départ prochain de l’entreprise et du Japon mais son témoignage nous a semblé intéressant à exploiter car elle décrivait la découverte de la gare et son exploration, lieu dont elle n’avait jamais auparavant entendu parlé. Elle parlait en anglais.
Annexes
à s’asseoir seul dans un café choisi au hasard pour regarder passer les autres utilisateurs du lieu et se reposer ou prendre le temps de fumer une cigarette sur les lieux indiqués. Ses descriptions de la gare étaient très précises et enthousiastes. Les entretiens se passaient dans un espace délimité par des paravents dans le bureau où il travaillait : deux entretiens d’une heure chacun le 20 avril et le 28 mai 2010. M. Hada travaille avec M. Tsuchiya.
XXI
SÉ M IN AIRE SDÉEMMINASTE AERCH CTU RERCH S E ITE T VCTU ILLE SREFSACE ÀILLE LA SMFON D IALISATION AIRER D M ITE ASTE RA ETV ACE À LA MON D IALISATION
ECOLE NATION ALE SU N P ÉATION RIE U RE ’AURCH ITE UCTU D RCH E PARIS -BERELLEDVEILLE ECOLE ALED S P É RIE RE RE D ’A ITE CTU PARIS -BE LLE V ILLE
MATÉ RIALISATION S , PE RCE P TION S E T AP P LICATION S D E S RÈ G LE S D E LA GARE D E SH IN JU K U À TÔK Y Ô , JAP ON
Shinjuku NO
« A Tôkyô,«les règles les sont biensont respectées et il y a beaucoup de panneaux qui A Tôkyô, règles bien respectées et il y a beaucoup de panneaux qui les représentent. » De ce constat subjectif succinct voulais je construire les représentent. » De cetrès constat très et subjectif etjesuccinct voulais construire une étudeune pour un mémoire de masterde enmaster architecture. Tout d’abord, étude pour un mémoire en architecture. Tout choisir d’abord, choisir un lieu, la Shinjuku, et une méthode : les entretiens. Ensuite, Ensuite, un gare lieu, de la gare de Shinjuku, et une méthode : les entretiens. laborieusement compter compter tous les panneaux qui représentent ce qui peut laborieusement tous les panneaux qui représentent ce qui peut s’apparenter à la règle àsur les quais compagnie JR East Japan : il Japan y en a : il y en a s’apparenter la règle sur de les la quais de la compagnie JR East précisément 3051, et 373 caméras surveillance. Enfin, prendre précisément 3051, et 373de caméras de surveillance. Enfin,contact prendreavec contact avec des personnes qui acceptaient de me raconter heures environ des personnes qui acceptaient de mependant racontertrois pendant trois heuresceenviron ce moment banal de banal leur vie deviennent, une parmiune les parmi autres,les des moment delorsqu’elles leur vie lorsqu’elles deviennent, autres, des utilisateurs de la garededelaShinjuku. La première question question que je leur posais utilisateurs gare de Shinjuku. La première que je leur posais alors sansalors préliminaire était « qu’est-ce la gare delaShinjuku » sans préliminaire était « que qu’est-ce que gare de ?Shinjuku ?»
Baptiste FRANCOIS
Japon Gare Règle e Norme
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AVFM#11 M #11
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