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C.E.N. BULLETIN « EUROPEAN CENTRE FOR NUMISMATIC STUDIE S » « CENTRE EUROPÉEN D’ÉTUDE S NUMISMATIQUE S » VOLUME 50

N° 1

JANVIER – AVRIL 2013

Christian LAUWERS * ‒ La circulation naies de fouille ou de site sont peu pumonétaire en Sicile aux vi et v siècles [1] bliées pour le monde grec, et le monnayage de bronze occupe une place très 1. sources et méthodologie largement prépondérante ; dans l’Antiquité comme aujourd’hui, on mettait es documents que nous pou- plus d’énergie à rechercher une monvons mettre en œuvre afin d’ap- naie de métal précieux qu’une petite procher la circulation monétaire pièce de bronze [4]. Le bronze n’appaantique sont de quatre types : les dépôts raissant que dans la seconde moitié du monétaires ou trésors, le plus souvent ve siècle, cette source ne peut nous serdécouverts fortuitement, les monnaies vir que pour la fin de la période consitrouvées lors de fouilles archéologiques, dérée, et particulièrement pour le règne les monnaies surfrappées et les sources de Denys l’Ancien. A. Cutroni Tusa a littéraires. Les textes sont quasiment in- consacré à ces monnaies de fouille un existants. Je ne vois guère, pour la Sicile article [5] qui nous donnera une idée au ve siècle, que deux passages de ﬈u- assez précise des zones de circulation cydide [2]. Les monnaies surfrappées ont grecque et carthaginoise à la fin du ve été étudiées par S. Garraffo [3]. Les mon- siècle et au début du ive.

L

__________

* Cabinet des Médailles, Bibliothèque Royale de Belgique, doctorant dans le cadre du PAI Comparing regionality and sustainability in Pisidia, Boeotia, Picenum and NW Gaul between Iron and Middle Ages (1000 bc – ad 1000), financé par BELSPO. [1] Chapitre extrait de L’importance de Syracuse aux vie et ve siècles avant notre ère jaugée sur la production et la circulation de son monnayage, mémoire de Master en histoire de l’art et archéologie, sous la direction de M. François de Callataÿ, présenté à l’Université Libre de Bruxelles en juin 2011. [2] ﬈ucydide, La guerre du Péloponnèse, Livre vi, 31 et Livre vii, 82, Paris, Les belles lettres, 1955 ; je discute ces passages plus bas. [3] S. Garraffo, Nuove riconiazioni in Magna Grecia e in Sicilia, in G. Fiorentini, E. De Miro & A. Calderone, Archeologia del Mediterraneo : studi in onore di Ernesto De Miro, Ro-

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Des origines du monnayage sicilien jusqu’au début de l’expédition athénienne de 415-413, notre source principale est constituée par les trésors monétaires. __________ ma, 2003, p. 351-362, qui complète un ouvrage antérieur, S. Garraffo, Le riconiazioni in Magna Grecia e in Sicilia, Emissioni argente dal vi al iv secolo a.C., Catane, 1984. [4] F. de Callataÿ, Greek coins from archaeological excavations: a conspectus of conspectuses and a call for chronological tables, in Agoranomia: Studies in money and exchange presented to John H. Kroll, New York, 2006, p. 181. [5] A. Cutroni Tusa, La circolazione in Sicilia, in La monetazione dell’età dionigiana, Atti dell’viii convegno del Centro internazionale di studi numismatici, Napoli, 29 maggio-1 giugno 1983, Roma, 1993, p. 245-269.

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C’est une source incomplète [6] qu’il convient d’utiliser avec précaution. Ces trésors ont été amassés pour différentes raisons ; il peut s’agir par exemple du butin ou de la solde d’un mercenaire, du trésor d’un temple, de la caisse d’un marchand ou de l’épargne d’une famille aristocratique. Les raisons de l’enfouissement du dépôt peuvent également être multiples : guerre, épidémie, conflit familial [7]. Enfin, les raisons de la nonrécupération du trésor après la crise peuvent être de différentes natures : décès ou esclavage du propriétaire, oubli du lieu exact de la cachette, voire même incendie de la cité. Certains trésors, comme ceux des temples, sont le résultat d’une longue accumulation, d’autres, rassemblés et dissimulés dans l’urgence, forment un échantillon représentatif de la monnaie circulant en un lieu et à un moment précis de l’Histoire. Enfin, la plupart des trésors ne nous parvenant pas par le biais de fouilles archéologiques bien documentées mais à travers le commerce, il nous faut les examiner d’un œil critique. Nombreux sont les trésors qui ont subi des manipulations, soit que des monnaies en aient été soustraites, soit que des monnaies intrusives, appartenant à d’autres époques, voire d’autres aires géographiques, y aient été ajoutées. Ces limitations sont bien illustrées par le titre même d’un article de Chr. Boehringer : « Reconstruction du trésor d’Ognina 1923 » [8]. Que peut-on dès lors tirer des

__________ [6] C.M. Kraay, Hoards, small change and the

origin of coinage, ﬈e Journal of Hellenic Studies, 84 (1964), p. 76 ; Fr. Duyrat, La circulation monétaire dans l’Orient séleucide (Syrie, Phénicie, Mésopotamie, Iran), Topoi, Suppl. 6, 2004, p. 382. [7] G. Gerin, C. Grandjean, M. Amandry & Fr. de Callataÿ, La monnaie grecque, Paris, 2001, p. 37. [8] C. Boehringer, Rekonstruktion des Schatzﬔndes von Ognina 1923, Revue Suisse de Numismatique, 57 (1978), p. 102-143 et pl. 28-39.

110

trésors en tant que source dans notre approche de la circulation monétaire antique ? Le plus utile est de considérer les trouvailles monétaires en termes de pourcentages [9]. Mon étude des trésors siciliens est donc quantitative. J’ai recensé tous les trésors siciliens des vie et ve siècles et les ai classés dans l’ordre chronologique de leur enfouissement. De nombreux trésors enfouis au ive siècle contiennent des monnaies émises au siècle précédent et je les ai recensés également. Les trésors monétaires grecs ont fait l’objet d’une publication exhaustive en 1973 [10], complétée depuis par les dix volumes des Coin Hoards [11]. Il existe de plus des publications ponctuelles, où le contenu des dépôts monétaires est généralement utilisé afin d’établir ou de préciser la chronologie des émissions [12]. Rhegium, dans le Bruttium, faisant partie de la sphère économique sicilienne, j’ai inclus dans mes tableaux les trésors d’Italie du Sud contenant des monnaies de cette cité et/ou des monnaies émises en Sicile. J’ai considéré l’Italie du Sud et la Sicile comme formant une seule zone de circulation monétaire.

__________ [9]

C. Howgego, Ancient History from coins, London y New York, 1995, p. 88-90. [10] igch = M. Thompson, O. Mørkholm & C.M. Kraay, An inventory of Greek coin hoards, New York, 1973, qui reprend et complète l’ouvrage de S.P. Noe, A bibliography of Greek coin hoards, New York, 1937. [11] Coin Hoards 1 à 9, London, 1975-2002, Coin Hoards 10, New York, 2010. [12] Deux de ces publications m’ont paru mériter une attention particulière : C. ArnoldBiucchi, ﬈e Randazzo hoard 1980 and Sicilian chronology in the early fi﬇h century bc, New York, 1990, et C. Arnold-Biucchi, L. BeerTobey & N.M. Waggoner, A Greek archaic silver hoard from Selinus, American Numismatic Society Museum Notes, 33, New York, 1988, p. 1-35 et pl. 1-15.

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lieu de découverte

n d’inventaire

contenu

syracuse

Égypte Naucratis

igch 1647

15 

1

Phénicie Massyaf

igch 1483

100  + bijoux

1 fragment

c. 51 Æ

35 (+ 11 ?)

Eubée Chalcis

igch 26

Bizerte

igch 2259

80  + lingot

?

Cilicie

igch 1256

>9

1

Cilicie

igch 1259

> 89 

1

Égypte Naucratis

igch 1652

83 

1

Tableau 1 – Monnaies de Syracuse trouvées hors de la zone Sicile-Italie du Sud

Denys l’Ancien, au début du ive siècle, unira d’ailleurs politiquement une grande partie de cette zone sous son autorité. Un autre intérêt des trésors est qu’ils contiennent souvent des monnaies importées d’autres aires géographiques ; il convient de se demander comment ces monnaies sont arrivées dans ces dépôts [13]. La présence en Sicile de nombreuses monnaies émises à Corinthe, Égine et Athènes se doit d’être commentée [14]. Dans l’autre sens, des monnaies de Syracuse ont voyagé et ont été découvertes hors de la zone Sicile-Italie du Sud. Les quantités mises en jeu dans les sept cas que j’ai identifiés sont faibles : un nombre indéterminé [15] de tétradrachmes à Bizerte (sur un total de 80), quelques dizaines de monnaies de bronze à Chalcis, et pour l’ensemble des cinq autres dépôts, quatre monnaies et un fragment. On est loin des quantités de monnaies athéniennes ou corinthiennes découvertes en Sicile.

Le premier trésor de Naucratis est décrit comme un trésor d’orfèvre, conte__________

nant des monnaies de huit cités différentes et des morceaux d’argent. Le trésor de Massyaf contient un sicle perse, des monnaies, souvent fragmentaires, émises par seize cités grecques et deux cités phéniciennes, ainsi que des bijoux. Le trésor de Bizerte, en Tunisie, contient des tétradrachmes de Syracuse, Akragas, Géla, Messana et Athènes, ainsi qu’un lingot et des bracelets. Dans ces trois dépôts, les monnaies semblent avoir été thésaurisées pour leur valeur métallique et non pour leur valeur faciale. À Chalcis, un récipient contenait 51 (?) pièces de bronze frappées en Sicile, à Syracuse, Himèra et Léontinoi. Le bronze voyageait peu, sa valeur faciale étant très surévaluée par rapport à sa valeur métallique ; ce dépôt me semble tout à fait atypique. Les deux trésors trouvés en Cilicie et le second trouvé à Naucratis contiennent chacun un tétradrachme émis à Syracuse [16]. Dans ces trois derniers cas, les tétradrachmes athéniens forment la plus grande part (respectivement 6, 35 et 70 ex.) du dépôt. La présence de monnaies syracusaines dans ces trésors me semble, sinon fortuite, du moins sans signification concernant la circulation de ce monnayage.

[13] Howgego, op. cit., p. 88-90.

__________

[14] J’ai inclus ces monnaies dans les tableaux

[16] La frappe de ces tétradrachmes s’interrompit vers 400. La plupart des tétradrachmes athéniens provenant de ces dépôts datent également du ve siècle.

sous l’intitulé « Autres régions». [15] J’ai indiqué les nombres indéterminés dans les tableaux par un ?.

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111


date d’enfouissement

lieu de découverte

n d’incontenu ventaire

fin vie-c. 490

Sélinonte

c. 500

Léontinoi

igch 2060 2 

c. 500

Sélinonte?

igch 2059 70 

c. 500

Calatabiano

igch 2061 8 

c. 493

Messana

igch 2062 186 

c. 490

Bolognetta

igch 2063 c. 100 

ch 8·35

syracuse

> 170 

autres régions Abdère, Corinthe, Égine

Tableau 2 – Trésors de Sicile et d’Italie du Sud enfouis avant 490

Pour l’ensemble des vie et ve siècles, ces 7 trésors représentent environ 7% des dépôts monétaires repris ici. La zone de circulation des monnaies émises à Syracuse me semble bien se limiter à la Sicile et, dans une moindre mesure et à certaines époques, à l’Italie du Sud. 2. la période archaïque

Zankle Sélinonte Naxos Himèra Égine Corinthe Italie du Sud Abdère

trésors

monnaies

3 2 2 2 1 1 1 1

164 105 32 23 80 39 8 1

Tableau 3 – Nombres de trésors et de monnaies par cité

Toutes les monnaies présentes dans ces 6 trésors sont en argent. Les nombres de monnaies indiqués par cité sont toujours des minima, les sources ne livrant pas systématiquement ces nombres. À l’exception du trésor de Sélinonte ch 8·35, ces dépôts ne contiennent que des monnaies émises en Sicile, à Himèra, Naxos, Sélinonte et Zankle (Messana), soit les quatre ateliers les plus productifs de l’époque archaïque. Le tableau offert par ch 8·35 est très différent : il contient 8 monnaies incuses d’Italie du Sud émises dans la seconde moitié du vie siècle, 1 drachme d’Himèra, 35 statères de Sélinonte, 80 statères d’Égine, 36 statères et 3 drachmes de Corinthe, 1 tétradrachme d’Abdère, 4 lingots et un fragment d’argent. Les tortues d’Égine étaient reconnues à l’époque archaïque comme une devise internationale, les marins d’Égine étant des acteurs essentiels dans le commerce méditerranéen [17]. Corinthe profita d’un quasi-monopole commercial dans l’Ouest au viie siècle, et ﬔt graduellement remplacée par Athènes dans le courant du vie [18].

Six dépôts enfouis pendant la période archaïque ont été répertoriés. Le monnayage de Syracuse n’y est pas représenté. L’échantillon est de petite taille, et une trouvaille supplémentaire pourrait y provoquer de grands changements. Il se peut également que les émissions monétaires archaïques de Syracuse, frappées entre 510 et 490 avec seulement 22 droits de tétradrachmes et 2 de didrachmes, dans une cité qui n’avait pas encore commencé son expansion territoriale, n’aient pas ou guère voyagé.

112

__________ [17] Arnold-Biucchi, Beer-Tobey & Waggo-

ner, op. cit., p. 17. [18] G.K. Jenkins, A note on Corinthian coins

in the West, in H. Ingholt (ed.), American Numismatic Society centennial publication, New York, 1958, p. 367 ; Arnold-Biucchi, BeerTobey & Waggoner, op. cit., p. 10.

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date d’enfouissement

lieu de découverte

n d’inventaire

contenu syracuse

ve siècle

Sicile

igch 2111

1 

490-480

Naxos

igch 2064

c. 26 

490-470

Serra Orlando 1*

igch 2069

3 

489-479

Messana

igch 2065

> 36 

ch 2·12

> 28 

Géla 2

igch 2066

1.076 

33

480-c. 470

Passo di Piazza 3

igch 2068

45 

19

480-470 ?

Palazzolo 4

igch 2070

4 

4

488 c. 485

Sicile

c. 480

Géla 5

c. 480

Sélinonte ?

ch 1·10

c. 500 

1

3 Acanthe, Athènes

33 

igch 2071

273 

70

Sicile

igch 2073

4 

2

470-465

Casulla 7

igch 2075

40 

9

c. 470

Himèra ?

igch 2072

35 

Sicile

igch 2076

c. 200 

Palerme

igch 2074

9 

460-450

Léontinoi 8

igch 2077

93 

57

c. 460

Bruttium 9

igch 1891

381 

36

475-c. 460 ?

465-450 c. 465

460

Katane

ch 5·6

> 8 

460

Sicile

ch 7·18

Acanthe, Athènes

Beaucoup

igch 2067

475-470 ou 465 Monte Bubbonia 6

autres régions

Acanthe, Athènes

?

Corinthe, Leucas Beaucoup

= igch 2073 ? * Les numéros 1 à 9 renvoient aux emplacements sur la carte 1 (p. 114)

Tableau 4 – Trésors de Sicile et d’Italie du Sud enfouis entre 490 et 460

Le rôle de Corinthe dans le commerce sicilien jusque dans la seconde moitié du vie siècle semble confirmé par ce trésor. Les statères corinthiens, d’une masse de c. 8,5 g, ont probablement servi de modèles aux premiers monnayages de Sélinonte, Géla et Akragas, dont

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les didrachmes ou statères pèsent c. 8,7 g [19]. Vers 500 se produisit une évolution dans la fabrication des monnaies : à Corinthe, le carré creux du revers ﬔt remplacé par la tête d’Athéna casquée. __________ [19] Ibid., loc. cit.

113


9

1 6 235 7 48

Carte 1 – Distribution des trésors enfouis entre 490 et 460 (dao C. Devillers)

Les cités siciliennes imitèrent cette innovation en ajoutant un type au revers de leurs monnayages [20]. Des monnaies surfrappées viennent confirmer la présence de monnaies corinthiennes en Sicile à la période archaïque. G.K. Jenkins cite deux surfrappes de Sélinonte sur des monnaies de Corinthe au début du ve siècle [21]. S. Garraffo mentionne deux didrachmes surfrappés sur des statères de Corinthe entre 515 et 472, l’un émis à Akragas, l’autre à Himèra [22].

3. les décennies tyranniques 490-460 Le monnayage de Syracuse est présent dans 13 trésors sur 20 (65%) ; dans 8 cas (40% du total), il s’agit certainement de monnaies frappées sous les Déinoménides [23]. __________ [20] G.K. Jenkins, op. cit., p. 368. [21] Ibid., p. 367. [22] S. Garraffo, op. cit., p. 354-355. [23] Certains

trésors ont été décrits très sommairement avant d’être dispersés dans le com-

114

trésors Syracuse 13 Zankle/Messana 10 Akragas 9 Géla 7 Himèra 6 Rhegium 5 Léontinoi 4 Athènes 3 Sélinonte 3 Acanthe 3 Italie du Sud 1 Corinthe 1 Kamarina 1 Leucas 1 Naxos 1 Ségeste 1

monnaies 233 82 536 361 75 11 5 192 65 7 317 7 1 1

Tableau 5 – Nombres de trésors et de monnaies par cité __________ merce, et il est parfois impossible de savoir si les monnaies mentionnées ont été émises à l’époque archaïque ou sous le règne des tyrans.

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date d’enlieu de fouissement découverte milieu ve s. Inconnu 460-425 Rhegium 1 * c. 455-c. 435

Sélinonte 2

avant 450 ? avant 450 450-c. 445

Carancino 3 Paterno 4 Villabate 5 Sicile « Randazzo » 6

n d’inventaire ch 9·598 igch 1899 igch 2084 = ch 10·370 igch 2081 igch 2080 igch 2082 ch 7·17 = ch 8.55

Taormina 7

igch 2083

64 

64

Avola 8 Katane Sicile

igch 2085 igch 2106 igch 2107 igch 2078 = ch 5·8 igch 2079

c. 2.000   >6

>2?

10 

4

igch 1896

c. 750 

igch 1905 igch 2086 ch 8·62

9 288  

3 139 ?

igch 1898

> 130 

2

450-445 450-445 450-c. 435 450-400 450-400 c. 450

Akragas 9

c. 450 ?

Messana Lucanie Métaponte ? Etrurie Pyrgi Akragas aJ Sicile Bruttium Cotrone aA [24]

440-c. 430 440 ou c. 384 c. 435 430-320 c. 430 c. 430

Rhegium

Léontinoi aB Sicile Megara Sélinonte S. Caterina c. 420 Villarmosa aC 420 Himèra c. 415 Pachino aD c. 415 Syracuse aE 410 ou plus tard Sicile 409-c. 400 Himèra c. 409 Sélinonte aF 409 Himèra Manuzza, 409 Sélinonte c. 430 c. 430 avant 428 425

igch 1897 = ch 10·371

31  

syracuse 21 ?

475 

136

4 21  c. 250 

2 10 > 79

539 

308

contenu

Fractions 

1  frag. > 50  ? c. 240  ? 2Æ > 10 Æ

> 50 > 65

igch 2089

c. 100 

13

ch 2·30 igch 2090 igch 2091 ch 5·12 ch 8·66 igch 2092 ch 10·376

48 AE 100-200  ? 11 , 65 Æ 76 >4 147  44  21 30  14 Æ

Athènes

ch 8·166 igch 2087 igch 2088 ch 2·29

ch 5·13

autres régions

__________ [24] Trésor hors carte, pointé dans le Bruttium.

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115


c. 405

Katane aG

igch 2093

?

c. 405

Sicile

igch 2094

3 

1

Scornavacche aH

igch 2095

27 

5

Athènes

c. 403

Naxos aI

igch 2096

> 2.000 

?

Athènes

c. 403

Naxos bJ

igch 2097

> 230 

?

403

Naxos bA

22 

7

igch 2098bis

> 70 

?

405-c. 400

peu avant 400 Milazzo bB

ch 10·378 = ch 8·584

Athènes

c. 400

Akragas bC

igch 2104

> 200 

?

c. 400

Augusta bD

igch 2101

28 

15

c. 400

Caltanissetta

igch 2099

> 6 

c. 400

Cassibile bE

igch 2100

14 

8

c. 400 ?

Falconara bF

igch 2103

> 700 

?

Athènes

c. 400

Monforte S. Giorgio bG

igch 2098

26 , 8 Æ

4

Corinthe

c. 400

Monteraci bH

igch 2102

33 

7

c. 400

Sicile

igch 2105

> 37 

5

?

> 180 

> 6

400

Falconara bI

ch 7·23 = igch 2103 ?

400

Katane, environs de cJ

ch 3·13

fin ve siècle

Himèra ?

igch 2108

33 Æ

fin ve siècle

Rhegium

ch 10·377

fin ve siècle

Ségeste cA

igch 2109

> 6 

?

ve siècle

Canicatti cB

igch 2110

2 

2

ve siècle ?

Akragas

igch 2113

2 

ve siècle ?

Campanie, Pianura

igch 1907

Beaucoup 

> 1

ve siècle ?

Castellazzo cC

igch 2112

c. 70 

?

fin ve-début ive Inconnu

ch 10·373

200 Æ

200

fin ve-début ive Motya

ch 10·374

6 Æ

400-390 ?

Capobello di Licata cD

igch 2114

100-200  ?

400-350

Canicatti cE

igch 2125

80 

6

400-350

Messana cF

igch 2126

> 60 

> 60

400-350

Sicile

igch 2128

95 

95

Ambracie

Athènes

Athènes, Carthage

* Les numéros 1 à cF renvoient aux emplacements sur la carte 2 (p. 117)

Tableau 6 – Trésors de Sicile et d’Italie du Sud enfouis entre 460 et 400

116

BCEN vol. 50 no 1, 2013


bB cA 2aF

5

bG

cF 1 aA

6 7 aIbJbA

aC cBcE 9aJbC cD cC

4 aGcJ aB

aH

bD 3aE bE bH 8 bFbI aD

Carte 2 – Distribution des trésors enfouis entre 460 et 400 (dao C. Devillers)

Tous les trésors contenant des monnaies syracusaines et dont les lieux de découverte sont connus, proviennent du Sudest de l’île, c’est-à-dire de la zone gouvernée par les Déinoménides, à l’exception du trésor trouvé dans les États d’Anaxilas, igch 1891 (no 9, dont l’emplacement signalé est le Bruttium, placé arbitrairement sur la carte au centre de cette région). Serra Orlando se trouve sur l’emplacement de l’ancienne Morgantina, Passo di Piazza sur celui de l’ancienne Géla, Palazzolo sur celui de l’ancienne Akrae. Monte Bubbonia se trouve à 25 km au nord de Géla, Casulla à 15 km à l’ouest de Léontinoi. Ces cités faisaient partie du royaume de Gélon et Hiéron. Toutes les monnaies sont en argent. Les tétradrachmes archaïques d’Athènes font leur apparition dans 3 dépôts (15%) en quantités assez importantes, plus de 20 à Messana, 166 à Géla, 6 à Monte Bubbonia. Ils sont dans les trois cas accompagnés de quelques tétradrachmes (resp. BCEN vol. 50 no 1, 2013

4, 2 et 1 ex.) émis à Acanthe, cité de Macédoine disposant, comme Athènes, d’importantes mines d’argent. La monnaie corinthienne n’a pas disparu ; elle constitue, avec une monnaie de Leucas, colonie de Corinthe, l’intégralité du trésor de Katane [25]. Les émissions siciliennes archaïques, didrachmes ou statères de Sélinonte, Akragas, Géla et Himèra, forment une partie importante des trésors, mais le monnayage des tyrans de Syracuse, Akragas et Messana est présent dans au moins 12 trésors sur 20 (60%). Trois dépôts contiennent des monnaies émises par les Samiens à Zankle entre 494/493 et 490/489 : le trésor de Messana igch 2065, ch 2·12 et le trésor de Géla igch 2066. Le monnayage d’Anaxilas, frappé à Rhegium ou à Messana, aux types tête de lion/tête de veau et bige de mules/lièvre est présent dans neuf dépôts (45%). Le seul trésor de cet

__________ [25] Il pourrait s’agir d’une partie d’un dépôt

plus important.

117


te période découvert en Grande-Grèce, igch 1891, montre bien que les cités des deux côtés du détroit gouvernées par Anaxilas ne formaient qu’un seul État, et que cet État servait de trait d’union entre les deux régions. Il contient des monnaies de Rhegium et Messana, ainsi que, du côté sicilien, des monnaies de Syracuse, Akragas et Géla, et du côté italien, des monnaies de Taras, Laus, Métaponte, Poseidonia, Sirinus-Pyxus, Sybaris, Kaulonia et Crotone. 4. la seconde démocratie et les débuts de denys l’ancien 460-400 trésors monnaies Syracuse

45

1.417

Akragas

29

174

Géla

27

279

Messana/Zankle

24

218

Léontinoi

23

136

Katane

21

58

Rhegium

19

38

Himèra

14

232

Sélinonte

11

131

Naxos

9

17

Athènes

7

12

Kamarina

7

9

Ségeste

6

9

Italie du Sud

3

873

Motya

3

7

Sur 62 trésors, 45 contiennent des monnaies émises à Syracuse (~ 73%). Des monnaies athéniennes sont présentes dans 7 trésors (~ 11%) ; 2 trésors contiennent des Pégases, statères émis par Corinthe et ses colonies, ici Ambracie (~ 3%). Les monnaies d’argent, constituant la totalité de 51 trésors et présentes dans 2 autres, restent très majoritaires (~ 85%). Deux trésors enfouis dans la dernière décennie du siècle ne contiennent que des monnaies d’or (~ 3%). Le bronze fait son apparition au début des années 420 ; il est présent dans neuf trésors (~ 15%). Le plus ancien dépôt de bronze, deux triantes coniques, a été découvert dans la tombe lxix de Megara Hyblaea (igch 2088). Peut-être peut-on y voir l’équivalent en bronze de l’obole à Charon [26], destinée à payer le passage du déﬔnt aux Enfers. Cela voudrait dire que la monnaie de bronze était si bien identifiée à la monnaie d’argent que même une divinité était susceptible de l’accepter. Des monnaies de bronze et d’argent ont été trouvées ensemble dans deux dépôts, igch 2091, enfoui vers 415 à Syracuse, et igch 2098, enfoui vers 400 à Monforte San Giorgio, 24 km à l’ouest de Messana. Il me semble y voir l’indication que la monnaie de bronze était considérée comme un bien possédant une valeur intrinsèque, et donc digne d’être thésaurisée au même titre que la monnaie d’argent.

Siculo-puniques 3 Corinthe et colonies 2

7

Eryx

2

2

Panormos

1

Hipana

1

Tableau 7 – Nombres de trésors et de monnaies par cité

118

Entre l’émission des monnaies et leur thésaurisation, un espace de temps plus ou moins important peut s’écouler. Au milieu du ve siècle, alors que toutes les cités grecques étaient régies par des gouvernements démocratiques, les émissions monétaires massives des tyrans circulaient encore largement. On les re__________ [26] L’obole à Charon est mentionnée pour la première fois dans une source littéraire en 406 par Aristophane dans sa comédie Les grenouilles, Paris, Les belles lettres, 1954, au vers 142.

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trouve en grandes quantités dans certains trésors, par exemple les trésors de Randazzo et de Villabate, enfouis vers 450 [27]. Les « innovations monétaires » de Denys l’Ancien ﬔrent très tôt thésaurisées, sans doute à cause de l’insécurité régnant en Sicile suite aux invasions carthaginoises de 409 et 406. Des décadrachmes [28] et des monnaies d’or [29] ﬔrent inclus dans des trésors à partir de c. 400. La provenance de 2 trésors est inconnue ; 7 autres ont été découverts en Sicile, sans plus d’indications. Sur les 53 trésors restant, 7 ont été trouvés en Italie, dont 4 contenaient des monnaies syracusaines. Les monnaies siciliennes du trésor de Cotrone igch 1898 sont probablement intrusives (une des deux syracusaines est un bronze de Hiéron II, du iiie siècle) [30]. Le trésor du sanctuaire de Pyrgi, en Étrurie, igch 1905, est mal daté (400 ou 384, lors du sac de la ville par Denys l’Ancien ?) Le trésor de Pianura, en Campanie, igch 1907, contient beaucoup de monnaies émises en Sicile, dont une frappée sous Hiéron, et quelques tétradrachmes athéniens. La « grande qualité artistique » de l’ensemble l’a fait dater du ve siècle, peutêtre du ive [31]. Le seul cas certain de trésor enfoui en Italie entre 460 et 400 et contenant des monnaies syracusaines est le trésor de Rhegium (Reggio) igch 1899, caché entre 460 et 425, et dont on ignore le contenu exact. Le lieu de découverte, en Sicile, des 46 autres trésors, est connu (parfois très approximativement) : 19 ont été trouvés sur les sites de villes antiques : 3 à Akragas, 1 à Himèra, 1 à Inessa, 2 à Katane, __________ [27] C. Arnold-Biucchi, op. cit., p. 46. [28] igch 2098, 2125, 2126 et 2128. [29] igch 2093 et 2094. [30] igch, p. 279. [31] igch, p. 281.

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1 à Léontinoi, 1 à Megara Hyblaea, 1 à Messana, 1 à Motya, 3 à Naxos, 1 à Ségeste, 2 à Sélinonte, 1 à Syracuse et 1 à Tauromenium. Si l’on reporte les lieux de découverte des trésors contenant des monnaies syracusaines sur une carte de Sicile, on constate une expansion de la zone de circulation par rapport à la période précédente, ainsi qu’une nette différence entre l’est et l’ouest de l’île. Quatre trésors ont été trouvés à l’ouest d’une ligne reliant Akragas et Himèra : 1 à Ségeste, 2 à Sélinonte et 1 à Villabate, près de Palerme. La grande majorité des trésors a été découverte à l’est de cette ligne. Cette division est/ouest de la circulation monétaire doit être expliquée, de même que la présence de monnaies athéniennes dans 6 trésors enfouis en Sicile entre 405 et la fin du ve siècle. Une première raison de cette division est/ouest me semble à chercher dans la géographie même de la Sicile. Le nord de l’île est montagneux et n’offre sur sa plus grande longueur qu’un seul port sûr, Himèra. Le centre de l’île est formé de montagnes et de collines. Aux vie et ve siècles, il était principalement occupé par des peuples indigènes, les Élymes à l’ouest, les Sicanes au centre, les Sicules à l’est. À de rares exceptions près, les colonies grecques et carthaginoises étaient implantées sur les côtes ; la plupart des trésors ont d’ailleurs été enfouis non loin des côtes. Arrivés de l’est, les colons grecs s’installèrent sur la côte est avant d’avancer vers l’ouest ; venus du sudouest, les Carthaginois s’installèrent sur la côte ouest avant de s’étendre vers l’est. Après une période où les deux peuples commercèrent, période pendant laquelle les villes-frontières grecques, Himèra et Sélinonte, prospérèrent et développèrent leurs monnayages, vint le premier grand heurt, la bataille d’Himèra, en 480. Leur défaite ﬔt si sévère que les Carthaginois ne revinrent en force dans l’île que 70 ans plus tard, alors que l’expédition athénienne de 415-413 avait

119


affaibli les cités grecques et spécialement Syracuse. Cependant, la disparité entre l’est et l’ouest de la Sicile se maintint. Dans son étude du trésor de Randazzo [32], C. Arnold-Biucchi compare le contenu de 9 trésors enfouis en Sicile entre 490 et 435 [33]. Tous ces trésors contiennent des monnaies de Syracuse, Akragas et Messana. Les monnaies de Géla sont présentes dans 7 (voire 8) trésors, celles de Léontinoi dans 7, d’Himèra dans 5, de Rhegium dans 4. Les didrachmes et tétradrachmes de toutes ces cités de l’est de la Sicile se trouvent communément mélangées dans les trésors. Les monnaies des cités dont la frappe a connu de longues interruptions, Kamarina, Katane et Naxos, s’y trouvent également, en plus petites quantités. Toutes ces monnaies, dont beaucoup portaient au droit la représentation d’un quadrige, devaient circuler et s’échanger librement dans toute la zone grecque de l’est de la Sicile. Dans les 9 trésors examinés par C. ArnoldBiucchi, par contre, les monnaies émises dans l’ouest de l’île sont rares. Deux trésors contiennent des didrachmes de Sélinonte et un trésor contient peut-être des didrachmes de Ségeste. Il me semble voir ici un argument en faveur d’une division est/ouest de la circulation monétaire en Sicile à l’époque des tyrans. Cette division apparaît nettement dans l’étude d’A. Cutroni Tusa sur la circulation monétaire à l’époque de Denys l’Ancien [34]. Après avoir constaté l’accélération de l’émission de monnaies siculo-puniques à la fin du ve siècle et au début du ive, cet auteur passe en revue les monnaies de cette époque trouvées en Sicile au cours de fouilles archéologi-

ques. Les fouilles du sanctuaire de Déméter et Koré à Syracuse, saccagé par Himilcon en 396, ont livré des unciae au type du poulpe, des hippocampes et des bronzes à l’étoile dans un espace quadripartite incus, montrant une continuité et un usage parallèle des monnaies de bronze émises sous le gouvernement démocratique et sous la tyrannie de Denys [35]. Les fouilles des cités de l’est de l’île, Naxos, Léontinoi et Kamarina, ont livré des hippocampes et des bronzes au type « tête d’Athéna/ étoile entre deux dauphins » [36]. Dans la partie centrale de l’île, les fouilles de Géla ont permis d’exhumer beaucoup de monnaies d’Akragas, des bronzes syracusains du ve siècle, des hippocampes et des bronzes de Géla [37]. Les fouilles de Morgantina ont livré 1 décadrachme d’Evainète, 5 bronzes à l’étoile entre deux dauphins, 70 hippocampes et 44 bronzes puniques [38]. Les fouilles d’Himèra ont montré que lors de la destruction de la ville en 409, les séries syracusaines en bronze y circulaient communément [39]. À l’ouest de la ligne Akragas-Himèra, les monnaies siculo-puniques sont largement majoritaires. Sur 12 monnaies d’époque grecque trouvées dans la nécropole de Panormos, 8 sont puniques. À Éryx, la fouille de la nécropole a confirmé une circulation totalement punique [40]. À Sélinonte, les fouilles de l’acropole ont livré 3 hippocampes, des monnaies de bronze de Sélinonte, Géla et Akragas du ve siècle et des monnaies puniques. La masse de la circulation __________ [35] Ibid., p. 256.

__________

[36] Ibid., p. 257.

[32] C. Arnold-Biucchi, op. cit., p. 42-43.

[37] Ibid., p. 258-259.

[33] ch 7·17 ; igch 2066, 2068, 2071, 2075, 2076,

[38] Ibid., p. 257.

2077, 2082 et 2084.

[39] Ibid., p. 260.

[34] A. Cutroni Tusa, op. cit., p. 245-269.

[40] Ibid., p. 264.

120

BCEN vol. 50 no 1, 2013


était constituée de monnaies de bronze siculo-puniques [41]. Pour A. Cutroni Tusa, jusqu’en 430, les trésors enfouis en Sicile contenaient beaucoup de tétradrachmes frappés à Syracuse [42]. Vers 430, cette production diminua et les monnaies de bronze commencèrent à remplacer les monnaies d’argent. Vers 400, Denys suspendit l’émission des tétradrachmes et augmenta sensiblement la production de monnaies de bronze. Ces monnaies ﬔrent largement diffusées jusqu’à la ligne Akragas-Himèra. À l’ouest de celle-ci, la présence de ces bronzes resta sporadique [43]. À l’ouest de l’île, les Carthaginois émirent de plus en plus de monnaies d’argent et de bronze ; ces monnaies tendirent à se diffuser vers l’est [44]. L’auteur conclut : « la géographie des trésors et la séparation des espèces monétaires circulant dans la zone syracusaine à l’est, punique à l’ouest, coïncide avec la géographie politique [45] ». La présence de monnaies athéniennes dans 6 trésors pourrait trouver une explication dans les Livres vi et vii de La guerre du Péloponnèse de ﬈ucydide. Dans un passage du Livre vi, le stratège athénien énumère (sans les chiffrer) les dépenses consenties par le Trésor public et par les particuliers pour financer l’expédition de Sicile en 415 [46]. Aux frais d’équipement des navires, des cavaliers et des hoplites et à la solde des __________

équipages et des troupes, ﬈ucydide ajoute les sommes prévues pour subvenir aux besoins de l’expédition pendant une longue période ainsi que « tout ce qu’en s’embarquant soldats ou négociants avaient pris pour trafiquer – on eût trouvé que c’était au total un nombre important de talents qui sortaient de la cité [47] ». En 413, lorsque l’expédition athénienne se termina par une dernière défaite, les prisonniers athéniens « étaient six mille ; tout l’argent qu’ils possédaient, ils en firent le dépôt en le jetant dans des boucliers retournés, et ils remplirent de la sorte quatre boucliers [48] ». De nombreux soldats athéniens ﬔrent capturés par des Syracusains qui ne les livrèrent pas à l’État mais les gardèrent [49] soit comme esclaves, soit pour les vendre ou les échanger contre rançon. Une partie du butin pris aux Athéniens a pu être thésaurisée. La fin du ve siècle vit également la réapparition en Sicile des Pégases, les statères émis à Corinthe et dans ses colonies [50]. Ici encore, ce sont des événements guerriers qui expliquent cette réapparition. En 414, Corinthe, métropole de Syracuse, envoya à sa cité-fille une flotte pour participer à sa défense contre l’invasion athénienne [51]. A. Cutroni Tusa constate que dans le trésor de Monforte San Giorgio, igch 2098, les statères corinthiens présentent la même oxydation et la même usure que les didrachmes et tétradrachmes siciliens qui les accompagnent.

[41] Ibid., p. 265. [42] Ibid., p. 245. [43] On en trouve par exemple à Motya, dans la

strate de destruction des fortifications de la Porte Sud, démantelées en 397 lors de la prise de cette ville par l’armée de Denys, Cutroni Tusa, op. cit., p. 255. [44] Ibid., p. 266-267. [45] Ibid., p. 267-268. [46] ﬈ucydide, La guerre du Péloponnèse, Livre vi, 31.

BCEN vol. 50 no 1, 2013

__________ [47] Ibid., 31, 5. [48] ﬈ucydide, La guerre du Péloponnèse, Li-

vre vii, 82, 3. [49] Ibid., 85. [50] igch 2098, quatre statères corinthiens ; ch

3·13, au moins six statères d’Ambracie. [51] ﬈ucydide, La guerre du Péloponnèse, Li-

vre vii, 2 et 7.

121


date d’enfouissement

lieu de découverte Bruttium début ive siècle Gizzeria début ive siècle Giarre Reposto

n d’inventaire

igch 2115

2 , 58 Æ > 3 

début ive siècle

Sabucina

ch 10·384

26 Æ

3

début ive siècle

Sabucina

ch 10·385

43 Æ

7

début ive siècle

Sabucina

ch 10·386

4 Æ

3

ive siècle

Géla, environs

ch 10·380

> 1.000 Æ > 204

c. 390

Piano Rizzuto

igch 2116

21 

7

390-385

Naro

igch 2118

c. 88 

c. 88 

390-380

Contessa

igch 2119

113 

31

390-380

Manfria

igch 2121

> 48 

17

Athènes, Leucas Athènes

390-380

Ognina Palerme, environs

igch 2120 ch 4·19 = igch 2120 ? ch 10·383 = igch 2117 igch 1911 = ch 10·388 igch 1910 = ch 10·389

> 309 

97

Ath., Corinthe

igch 2122

390-380 390-370

Léontinoi

c. 387

Rhegium

c. 387 c. 370 c. 370 c. 370 c. 370 c. 360 350-c. 340 350-325 350-325 ? milieu ive siècle milieu ive siècle

122

Bruttium Vito Sup. Avola, Mammanelli Avola, Mammanelli S. Maria di Licodia S. Maria di Licodia Avola Licata Megara Hyblaea Piazza Armerina Mégara Hyblaea Monte S. Calogero

igch 1913

contenu

syracuse

autres régions

Ambracie

8 

Corinthe

c. 30 

?

Athènes

c. 97 

35

Athènes

134 

41

Athènes, Corinthe

c. 200 

c. 147

4 

4

> 80 

73

1 

1

34 

14

Perse + divers

igch 2130

91 

3

Ath., Corinthe

igch 2136

47 

4

Corinthe

igch 2139

ch 7·30cp = igch 2122 igch 2123 ch 7·31cp = igch 2123 igch 2124

ch 2·16 igch 2129

340

Sicile

c. 340

Centuripe

ch 3·20 = ch 4·23 igch 2131

c. 340-330

Gibil Gabib

igch 2132

Perse Athènes, Corinthe

Corinthe

2 Æ

> 9 

2

Pégases

40 

3

Corinthe

88 

11

Ath., Corinthe

26 

7

Corinthe

BCEN vol. 50 no 1, 2013


c. 340-330

Leonforte

igch 2133

327 

38

Ath., Corinthe

330

Inconnu

ch 10·399

?

Cor., Carthage

c. 330

Syracuse

igch 2134

14 Æ

14

325

Géla, environs

ch 3·21

> 60 

1

310

Géla, environs

ch 5·28

> 26

300

Kamarina

ch 7·59

300

Sila, Calabre

ch 4·30

> 100  > 68 , > 213 EL 6 

3

Ath., Carthage Carthage, Macédoine Carthage

300

Sud Sicile

ch 10·405

?

Carthage

c. 300

Morgantina

ch 8·222

> 95 

8

Macédoine

c. 300

Sicile Sud-est de la Sicile

ch 8·223

33 Æ

4

ch 6·21

4.268 

93

Carthage Ath., Cor., Macéd.

c. 300

Amphipolis

> 123

Tableau 8 – Trésors de Sicile et d’Italie du Sud enfouis au ive siècle

Elle en déduit que ces monnaies ont circulé conjointement en Sicile à la fin du ve siècle [52]. En 396, Denys l’Ancien demanda l’aide de Corinthe pour défendre Syracuse contre le Carthaginois Himilcon [53]. C’est encore de Corinthe que viendra au ive siècle Timoléon afin de restaurer la démocratie à Syracuse. Au ive siècle, les statères corinthiens deviendront partie intégrante de la circulation monétaire en Sicile. 5. trésors enfouis au iv siècle contenant des monnaies du v siècle trésors monnaies Syracuse Corinthe et colonies Messana

34

1.054

16

2.494

14

141

Siculo-puniques

13

319

Athènes

12

858

Akragas

11

98

__________ [52] A. Cutroni Tusa, op. cit., p. 251. [53] Diodore de Sicile, Bibliothèque historique,

Livre xiv, Paris, Les belles lettres, 1997, 62, 1.

BCEN vol. 50 no 1, 2013

Rhegium

11

36

Géla

10

73

Léontinoi

10

43

Panormos

7

35

Sélinonte

7

26

Carthage

6

156

Ségeste

6

36

Katane

6

31

Motya

5

11

Alexandre III

4

1.217

Himèra

3

3

Perse

2

47

Italie du Sud

2

27

Eryx

2

7

Lampsaque

1

14

Abydos

1

1

Amphipolis

1

1

Philippe II

1

1

Tableau 9 – Nombres de trésors et de monnaies par cité

123


De nombreux trésors enfouis au ive siècle contiennent des monnaies frappées au siècle précédent. D’autre part, les décadrachmes et les monnaies de bronze dont la frappe a commencé dans les dernières années du ve siècle continuèrent à être émis, les décadrachmes jusqu’aux environs de 380, le bronze jusqu’à la fin du règne de Denys en 367. Dans l’Inventory of the Greek Coin Hoards et dans les dix volumes des Coin Hoards, 39 trésors sont susceptibles de contenir des monnaies émises en Sicile au ve siècle. 34 contiennent des monnaies syracusaines (~ 87%). La plupart des trésors enfouis à cette époque contiennent des monnaies frappées dans d’autres régions. Les monnaies d’Athènes sont présentes dans 12 trésors (~ 31%), les Pégases dans 16 (~ 41%). 6 trésors contiennent des monnaies carthaginoises (~ 15%), 3 des monnaies macédoniennes (~ 8%) et 2 des dariques perses (~ 5%). L’argent est présent dans 28 dépôts (~ 72%), le bronze dans 8 (~ 21%) et l’or dans 4 (~ 10%). Chr. Boehringer signale dans le trésor d’Ognina, igch 2120, 3 tétradrachmes athéniens frappés avant 406, qui pourraient provenir du butin de 413 [54]. Plusieurs trésors enfouis au début du ive siècle contiennent des monnaies athéniennes qui pourraient avoir la même origine [55]. L’apparition de dariques dans deux trésors composés uniquement de monnaies d’or et enfouis à Avola vers 370 et 360 [56] est probablement due aux mouvements de troupes mercenaires [57]. Le darique équivalait à 25 ou 26 drachmes attiques

__________ [54] C. Boehringer, op. cit., p. 138. [55] igch 1910, 1911, 2117, 2119 et 2121. [56] igch 2122 et 2124. [57] A. Cutroni Tusa, op. cit., p. 254-255.

124

[58]. Un hoplite recevait une solde d’une

drachme par jour, parfois plus [59]. Un darique pouvait donc constituer un mois de solde. Les décadrachmes frappés sous Denys se retrouvent dans des trésors jusqu’à la fin du ive siècle [60], de même que les Pégases et les monnaies siculo-puniques [61]. 6. synthèse Quel tableau de la circulation des monnaies syracusaines pouvons-nous tirer de nos sources ? Pour C. Arnold-Biucchi, « l’importance du volume du monnayage joue un rôle dans la circulation : une petite émission voyage moins et se retrouve moins loin qu’une grande [62] ». Il y a d’autre part un délai plus ou moins long entre la frappe des monnaies et leur thésaurisation. Ceci peut expliquer que les premiers tétradrachmes de Syracuse, frappés en petites quantités à partir de c. 510, ne se retrouvent dans aucun des 5 trésors enfouis à l’époque archaïque. Les émissions massives frappées par les tyrans entre 490 et 460 se diffusèrent par contre largement et la géographie des trésors enfouis durant __________ [58] Xénophon, Anabase, Livres i-iii, Paris, Les belles lettres, 1930, i, 3, 21 : « Cyrus promet de donner à tous moitié plus que ce qu’ils recevaient auparavant : au lieu d’un darique, un darique et demi par mois à chaque soldat ». [59] Boehringer, op. cit., p. 141 ; ﬈ucydide, La guerre du Péloponnèse, Livre iii, Paris, Les belles lettres, 1967, 17, 3 : « Les hoplites en position devant Potidée touchaient une solde de deux drachmes (une drachme par jour chacun et une pour son valet) » ; voir aussi ﬈ucydide, La guerre du Péloponnèse, Livre v, Paris, Les belles lettres, 1967, 47, 6 et Livre vii, Paris, Les belles lettres, 1955, 27, 2. [60] ch 5·28 enfoui en 310, ch 6·21 enfoui vers 300. [61] Tétradrachmes portant la mention SYS, émis à Panormos. [62] C. Arnold-Biucchi, op. cit., p. 43.

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cette période se confond avec la géographie politique. Des monnaies syracusaines ﬔrent trouvées dans 13 sur 20 trésors enfouis à cette époque (65%), réparties dans tout l’ « empire » déinoménide et jusqu’en Italie du Sud [63]. Un autre phénomène fit son apparition sous le règne des tyrans : l’imitation. Le quadrige syracusain ﬔt copié à Géla, Himèra et Sélinonte et adapté à Messana. Cette diffusion du type iconographique du droit des tétradrachmes syracusains me paraît un indice supplémentaire de la large diffusion de ces monnaies. Sur les 62 trésors enfouis entre 460 et 400, 45 (~ 73%) contenaient des monnaies émises à Syracuse. La plupart de ces dépôts ﬔrent trouvés dans l’est de l’île, mais il faut noter la présence sporadique de ce monnayage à l’ouest de la ligne Akragas-Himèra [64] ainsi qu’en Italie [65]. À cette époque, les imitations se multiplièrent ; le quadrige apparut sur les tétradrachmes de Kamarina. Dans la zone carthaginoise, le quadrige ﬔt copié à Panormos, la tête d’Aréthuse à Ségeste et à Motya, où elle se trouvait entourée de dauphins comme à Syracuse. Enfin, le monnayage de Syracuse est présent dans 34 des 39 trésors (~ 87%) enfouis au ive siècle et contenant des monnaies frappées au ve, dans toute la zone grecque et dans le Bruttium. Une reconstruction hypothétique de la circulation des monnaies étrangères en Sicile et de leur influence sur le monnayage sicilien me paraît possible. Les

statères d’Égine et de Corinthe auraient été les premières monnaies importées dans l’île [66]. Les monnaies de Corinthe, de c. 8,2 grammes, portant au revers un carré incus, auraient été imitées à Sélinonte à partir de c. 540. Vers 500, l’atelier monétaire de Corinthe ajouta dans le carré incus de ses statères un nouveau type, la tête d’Athéna. L’atelier de Sélinonte imita rapidement son modèle en ajoutant, dans le carré incus au revers de ses statères, une représentation supplémentaire. À la fin du vie siècle et au début du ve, le volume des échanges commerciaux de l’île avec Corinthe diminua, tandis que le commerce athénien prenait de plus en plus d’importance. Ceci pourrait expliquer pourquoi les Syracusains, au moment de commencer la production de leur monnayage, optèrent pour le tétradrachme d’étalon attique. Bénéficiant dès le début de leurs émissions des exemples de Corinthe, Sélinonte et Athènes, les Syracusains placèrent au revers de leurs premiers tétradrachmes une tête féminine au centre d’un carré creux [67]. Suite à ses défaites militaires de 413 en Sicile et de 404 face à Sparte, Athènes perdit de son influence en Sicile au profit de Corinthe. Les statères corinthiens en vinrent à circuler librement dans l’île à la fin du ve siècle et au début du ive. Des raisons culturelles, économiques et politiques contribuèrent à préserver des liens étroits entre la Sicile et la Grèce dont témoigne la circulation monétaire.

__________ [63] igch 1891.

__________

[64] igch

[66] Cf. le trésor de Sélinonte ch 8·35.

2084 et 2092, trouvés à Sélinonte ; igch 2080, trouvé à Villabate ; igch 2109, trouvé à Ségeste. [65] igch 1899, trouvé à Rhegium (Reggio); peut-être igch 1905 trouvé à Pyrgi en Étrurie et igch 1907 trouvé à Pianura en Campanie.

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[67] Il

existe un unique exemplaire de tétradrachme syracusain portant au revers un carré creux sans représentation au centre, c. 510, le no 1 du catalogue donné par Erich Boehringer, Die Münzen von Syrakus, Berlin, 1929.

125


Cédric WOLKOW – Un quart de statère éduen de la série de Chenôves

N

ous avons eu l’opportunité de prendre connaissance d’une monnaie gauloise trouvée en territoire ségusiave, en région Rhône-Alpes, et plus précisément à proximité de l’oppidum d’Essalois (comm. de Chambles, dép. de la Loire). Il s’agit d’un quart de statère en bas or ou électrum de 13 mm et 1,49 g qui répond à la description suivante ( fig. 1) : a Tête à gauche, les cheveux rejetés en arrière, constituée de longues mèches régulières finissant par des volutes. Devant la bouche, [un double fleuron]. r Cheval à gauche, surmonté d’un aurige aviforme. Cette série monétaire attribuée à l’unanimité aux Aedui [1], est représentée par une majorité de statères et une quantité très limitée de quarts de statère par ailleurs absents du dépôt éponyme de Chenôves. Elle est généralement répartie en trois groupes selon la typologie : la classe I « à la lyre », la classe II « à la roue » et la classe III « au triskèle » [2]. 68

de distinguer avec certitude la classe de notre exemplaire mais le profil du droit et le cheval du revers, tous deux tournés à gauche, ainsi que l’aurige aviforme, plaident pour un quart de la classe « au triskèle » ( fig. 2). Notons que le style de notre exemplaire évoque celui des deux premières classes ( fig. 3) mais cela ne constitue pas une anomalie puisque B. Ficher fait la même constatation sur un statère de la classe III « au triskèle » [4]. 71

Par ailleurs, il nous paraît important de signaler la présence d’un quinaire éduen ( fig. 4) en argent [5] découvert sur le même site. En effet, les Ségusiaves étaient clients des Éduens et la situation du territoire ségusiave, qui se trouve être en bordure de celui des Éduens, est un argument qui pourrait permettre de consolider l’attribution de notre quart de statère aux Aedui. 72

Notons pour terminer que le territoire ségusiave ne nous a offert que très peu de monnaies de la série de Chenôves dont voici l’inventaire [6] : 73

74

69

Comme le fait remarquer B. Fischer, les quarts de statère sont peu nombreux ; le type à la lyre est le plus représenté avec six exemplaires et les deux autres classes par seulement un exemplaire chacune [3]. 70

L’absence de différent sous le cheval à gauche ne permet malheureusement pas __________ [1]

S. Scheers, Les monnaies d’or éduennes des types de Chenôves, rbn cxxvi (1980), p. 31-41 et pl. II. [2] Plusieurs variantes typologiques sont à intégrer au sein de chaque classe. [3] B. Fischer, Le trésor de Chenôves (Saôneet-Loire), Revue Archéologique de l’Est et du Centre-Est, 1982, nos 2-4, p. 99-109 et plus part. p. 102.

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Statère, classe « au triskèle », buste à dr., trouvé à Feurs, Loire, 5,77 g [7] Statère, classe « au triskèle » buste à dr., trouvé à Roanne, Loire, 6,93 g [8] 75

Statère, classe « au triskèle » buste à g., trouvé à Roanne, 4,72 g [9] 76

Quart de statère, classe « au triskèle » buste à dr., trouvé à Feurs, 1,34 g [10] 77

__________ [4] Ibid., p. 104. [5]

DT 3188, série 881, cl. II.

[6] Les fig. 2 et 3 sont publiées avec l’aimable

autorisation de Louis-Pol Delestrée. [7] M. Vaginay & V. Guichard, L’habitat gau-

lois de Feurs (Loire) : fouilles récentes (19781981), Paris, 1988, p. 164. [8] G. Depeyrot, Le numéraire celtique. IV. Bituriges, Éduens, Séquanes, Lingons, Wetteren, 2004 (Coll. Moneta 41), p. 136. [9] Ibid. [10] Vaginay & Guichard, loc. cit.

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éch. 3/2

qui ont été étudiés par M. & K. Prieur [3] ; mise à part l’absence de l’empereur, on ne connaît pas de raison à ce changement. 80

R.F. Bland [4] a prouvé qu’une partie des graveurs monétaires a quitté la ville en 240 pour y revenir quelques années plus tard. Ces graveurs sont allés à Césarée de Cappadoce où des émissions de drachmes, didrachmes et tridrachmes ﬔrent frappées ( fig. 4-5) [5]. Ces espèces étant exclusivement datées Γ, Δ et ", soit des années 3, 4 et 5 du règne (240-242 de notre ère), il devient aisé de dater la seconde émission d’antoniniens ainsi que les trois émissions de tétradrachmes. Cette chronologie est confirmée par la guerre qui éclate entre Sapor Ier, mettant fin aux émissions de Césarée.

Fig. 1

81

Fig. 2

82

Fig. 3

Fig. 4

Briac MICHAUX – Répartition typologique et stylistique des antoniniens de Gordien III émis dans les ateliers de Rome et d’Antioche ors du précédent article [1], nous nous étions quittés en 239240 lorsque Gordien quitte Antioche après sa tournée de vérification des troupes. Ce départ s’accompagne d’un changement dans le monnayage.

L

78

À cette époque, une seconde émission d’antoniniens voit le jour à Rome. On les différencie aisément par leur titulature de droit qui devient IMP CAES GORDIANVS PIVS AVG. À Antioche, en revanche, les antoniniens ne sont plus émis. Ils sont remplacés par les tétradrachmes syro-phéniciens ( fig. 1-3) [2] 791

__________ [1]

Voir bcen 49, no 3, 2012, p. 86-90. Fig. 1 : tétradrachme (Antioche, 240) a AVTOK K M ANT ΓOPΔIANOC CЄB, buste armé à g. r ΔЄMAPX ЄΞYCIAC (sic !), Prieur [2]

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En 241, Gordien se marie avec Tranquilline, la fille de Timésithée alors préfet du prétoire. Les offensives perses ayant déjà obligé les Romains à ﬔir la Mésopotamie et l’Arménie, il ne restait plus que la Syrie pour protéger les réserves de vivres entreposées en Égypte. Gordien et surtout son beau-père Timésithée préparèrent la contre-offensive contre les Perses sassanides. Avec l’appui de ce général aguerri, le jeune em__________ 282b – Fig. 2 : ΔЄMAPX ЄΞ VΠATOC TO B / SC (Prieur 288), légende rare correspondant à la 3e ém., phase 2, de Rome – Fig. 3 : Antioche, 3e ém. : r ΔЄMAPX ЄΞ VΠA[T]O B, bélier à g. surmonté d’un croissant (Prieur 295). [3] M. & K. Prieur, A type corpus of the SyroPhœnician tetradrachms and their fractions from 57 bc to ad 253, Lancaster, 2000. [4] R.F. Bland, ﬈e coinage of Gordian from the Mints of Antioch and Caesarea, thèse de doctorat inédite, Univ. of London, 1991. [5] Fig. 4 : Césarée de Cappadadoce,  tridrachme. a AY K M ANT ΓOPΔIANOC CЄB, buste armé à g. r MHTPOΠ KAICAPI / ЄT Γ, le Mont Argée – Fig. 5 : Idem mais buste lauré, cuirassé et drapé à dr. vu de dos, et dans le champ B / NЄ / ЄT Γ. Les deux exemplaires sont contremarqués.

127


pereur réussit rapidement à rétablir l’ordre aux frontières et à acculer l’armée de Sapor. Vers mai-juin 243, alors que l’armée romaine venait de remporter une grande victoire à Rhesaena [4], une maladie que certains qualifieront de suspecte vint à bout de Timésithée [5] qui ﬔt remplacé par le maître de cavalerie de Gordien, Marcus Julius Philippus. Celui-ci deviendra l’empereur dit Philippe Ier l’Arabe, sa famille étant originaire de la province romaine d’Arabie. 83

84

Simultanément au départ de Gordien pour Antioche, fin 241, débute à Rome une nouvelle émission d’antoniniens : la titulature de droit change une nouvelle fois pour devenir IMP GORDIANVS PIVS FEL AVG ( fig. 6). À l’arrivée à Antioche, en 242, l’effort de guerre nécessite une nouvelle production de monnaies impériales et la même titulature est reprise. Cette seconde série syrienne est nettement plus aisée à identifier que la première : elle comprend 2 émissions pour un total de 14 types de revers se répartissant en 29 variantes. La première émission de la 2e série d’Antioche regroupe 6 types de revers, qui __________ [6]

Cité située en Mésopotamie, à la confluence entre l’Euphrate et le fleuve Chaboras, non loin des villes de Carrhae et d’Édesse. [7] Zosime, i, 18. Il est certain que le beau-père et mentor de Gordien III mourut durant l’année 243 (Cf. Vita Gord., xxix, 1). Toutefois ni le lieu ni la date exacte de sa mort ne sauraient être précisés. L’Historia Augusta, Vita Gord., xxviii, 1, évoque deux versions des faits relatant les circonstances de cette mort : « Sed ista felicitas longior esse non potuit. Nam Misitheus (Timésithée), quantum plerique dicunt, artibus Philippi, qui post eum praefectus praetorii est factus (il était donc selon toute vraisemblance le collègue de Timésithée ; fait qui implique que les deux préfets se trouvaient bien sur le théâtre d’opération), ut alii, morbo extinctus est […] ». Selon l’H.A., cette mort aurait donc été provoquée soit par Philippe, soit par la fatalité.

128

existent tous avec 2 types de bustes. Ceux-ci peuvent être drapés et cuirassés (comme à Rome) ( fig. 7 et 14) ou simplement cuirassés comme pour la seconde émission ( fig. 8). Pour différencier les monnaies d’Antioche de celles de Rome, lorsque celles-ci affichent le même type de buste, il suffit de comparer les revers. Les monnaies ne portent en effet jamais les mêmes combinaisons titulature/divinité. À titre d’exemples, on peut citer : Rome

Antioche

AETERNITATI AVG ORIENS AVG ( fig. ( fig. 9) 10) ou ORIENS Sol debout de face tête AVG N ( fig. 11)

à gauche tenant un Même type globe de la main gauche et le bras droit levé P M TR P III (IIII, V ou VI) COS II P P

SAECVLI FELICITAS ( fig. 13)

( fig. 12) Gordien en habit militaire avançant à droite tenant un globe de la main droite et une lance de la main gauche

Même type

P M TR P V COS II P P P M TR P V COS II P P ( fig. 14) ( fig. 6 et 12)

Gordien avançant à droite (comme au dessus) ou Apollon assis à gauche tenant une branche de la main droite et le bras gauche appuyé sur une lyre

Hercule nu, la peau de lion sur le bras gauche, avançant à droite tenant sa massue et un arc

Revenons-en, pour conclure, aux opérations militaires de Gordien et Philippe contre les forces de Sapor Ier. Accompagnés de leur armée, les deux hommes continuent à progresser sur le territoire perse vers Ctésiphon, capitale de l’Empire de Sapor, suivant en cela la stratégie mise au point par Timésithée. Une grande bataille, connue sous le nom de bataille de Mésichè, finit par opposer les deux armées vers la fin février-début

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mars 244 [8]. Les légions romaines sont en fait tombées dans un guet-apens que leur ont tendu les armées perses de Sapor. À ce moment-clé, deux théories très divergentes s’affrontent. D’un coté, les chroniques perses qui affirment que Gordien est décédé durant les combats, des suites d’une fracture de la jambe, consécutive à une chute de cheval [9]. De l’autre, les historiens romains avançant l’idée que Philippe se serait rendu coupable de trahison, dans la perspective de prendre le pouvoir à son tour. Il aurait ainsi fini par être l’instigateur de l’élimination de Gordien sur le lieu même de la bataille [10]. Les historiens 85

86

87

__________ [8] Le dernier rescrit de Gordien III est daté du 13 janvier 244 (Cod. Just., vi, 10, 1) et le premier de Philippe est, quant à lui, daté du 14 mars (Cod. Just., iii, 42, 6). Par ailleurs, les dernières inscriptions où est mentionné le nom de Gordien III sont deux graffiti d’Égypte respectivement datés du 3 et du 25 février 244 (Sammelbuch griechischer Urkunden aus Ägypten, nos 3493 et 8487). [9] Cette version des faits est celle qui coïncide le mieux avec les « Res Gestae Divi Saporis » figurant sur un bas-relief de Naqsh-i Rustam. Cf. A. Maricq, « Res Gestae Divi Saporis », I, Le texte grec, in Syria, xxxv, 1958, p. 307 : « Et aux confins de l’Asôrestân, à Mésichè, il y eut une grande bataille rangée. Et le César Gordien périt, et nous anéantîmes l’armée romaine. Et les Romains proclamèrent Philippe César. Et le César Philippe vint à composition et, pour rançon de leur vie, il nous donna 500.000 deniers (= dinars, monnaie d’or équivalent à l’aureus romain) et il devint notre tributaire. Et nous, pour cette raison, nous avons rebaptisé Mésichè Péroz-Sapor. » Le lieu de la bataille a été identifié par A. Maricq, op. cit., p. 112-118 à l’endroit que Ammien Marcellin, xxiv, 2, 9 (cf. Zosime, iii, a3, 3) nommait « Pirisabora », aujourd’hui al-Anbâr, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Bagdad. [10] Aur. Victor, Liber de Caesaribus, xxvii, 8 : « Ibi gesto insigniter bello, Marci Philippi praefecti praetorio insidiis periit sexennio imperii. » ; Epit. de Caes., xxvii, 2 : « Apud Ctesiphontem a Philippo praefecto praetorio, accensis in seditionem militibus, occiditur anno vitae undevicesimo. » Vita Gord., xxix-xxx.

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actuels privilégient la première hypothèse, en mettant en avant la propagande romaine orchestrée contre Philippe mais aussi du fait du choc occasionné par la mort d’un empereur hors des frontières de l’Empire. Pour beaucoup de Romains, ce dénouement était tout simplement inconcevable, ce qui laissa sans aucun doute place aux rumeurs. Certains historiens modernes interprètent encore cette « fraude Philippi » par une erreur tactique que le général aurait pu commettre durant la bataille, bien que rien ne soit évidemment prouvé. Quoi qu’il en soit, cette défaite, marquée par le décès d’un empereur au combat, constitue bien une première dans l’histoire romaine et est révélatrice d’un équilibre des forces de plus en plus fragile entre le monde romain et ses adversaires de l’époque. Philippe finit par construire un cénotaphe en l’honneur du jeune Gordien, décédé à l’âge de 18 ou 19 ans [11], en territoire romain, pré88

__________ Ammien Marcellin, Res Gestae, xxiii, 5, 17 : le témoignage de cet auteur fait partie d’un discours fictif attribué à l’empereur Julien II qu’il aurait prononcé au printemps 363 lors de son expédition contre les Perses. Ammien Marcellin et Eutrope faisaient en outre partie du voyage. Julien II se trouvait alors à Zaitha lorsqu’il s’adressa aux soldats en ces termes : Après avoir évoqué les grandes figures de l’Histoire romaine qui ont combattu en Orient dont Pompée et Trajan, « […] redissetque pari splendore iunior Gordianus, cuius monumentum nunc vidimus honorate, apud Resainan superato ﬔgatoque rege Persarum, ni factione Filippi, praefecti praetorio, sceleste iuvantibus paucis, in hoc ubi sepultus est loco, vulnere impio cecidisset. » Eutrope, Bréviaire, ix, 2 : « fraude Philippi » après la campagne militaire. Festus, Bréviaire, xxi, qui reprend les propos d’Eutrope. Zosime, Histoire Nouvelle, i, 18-19. Saint Jérôme, Chronique, éd. Schöne, p. 181. Orose, Histoires, vii, 19, 5. Georges le Syncelle, Chronique, éd. Bonn, p. 681. Zonaras, Epitomé historion, xii, 18. Jean d’Antioche, éd. Müller, fragment no 147. [11] X. Loriot, Les premières années de la grande crise du iiie siècle. De l’avènement de Maxi-

129


cisément à Zaitha, non loin de Circesium [12] et par acheter la paix avec les Perses, eux aussi fort diminués, au prix d’un lourd tribut. 89

Identification des illustrations (1-3 : tétradrachmes, 4-5 : didrachmes, 6-14 : antoniniens) 1. Coll. de l’auteur : 12,82 g ; ! — 2. B. Peuss Nachf., 409, 25/iv/2013, no 763 : 10,94 g ; . — 3. Idem, no 764 : 12,36 g ; ! — 4. H.D. Rauch, 92, 22/iv/ 2013, no 1404 : 9,26 g ; . — 5. Coll. de l’auteur : 8,41 g ; ! — 6. Coll. part. : 3,99 g ; __________ min le ﬈race (235) à la mort de Gordien III (244), in Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt. Geschichte und Kultur Roms im Spiegel der neueren Forschung, éd. de Gruyter, Berlin, 1975, p. 725, n. 525 : « Son dies natalis nous est indiqué par les Fasti Philocali (cil, i, 1, p. 255-256 = I. Ital., xiii, 2, p. 239) et les Fasti Polemii Silvi (cil, i, 1, p. 257 = I. Ital., xiii, 2, p. 264). Étant donné qu’il avait environ treize ans lors de son élévation à l’Empire (Hérodien, viii, 8, 8), l’année de sa naissance ne peut être que 225 (s’il était âgé de 13 ans révolus) ou 226 (s’il était dans sa 13e année). » [12] Circesium se trouvait au confluent du Chaboras et de l’Euphrate (cf. Ammien Marcellin, Res Gestae, xxiii, 5, 7-8 qui situe ce tombeau à Circesium ; Eutrope, ix, 2, 3 à vingt milles de Circesium, idem pour Festus, xxii (cf. Zosime, iii, 14, 2), la Vita Gord., xxxiv, 2 « apud Circesium » et l’Epitome de Caesaribus, xxvii, 3 : « Corpus eius, prope fines Romani Persique imperii positum, nomen loco dedit Sepulcrum Gordiani. »). Les bases de ce monument n’ont pas encore été mises au jour. Cf. M.J. Johnson, ﬈e sepulcrum Gordiani at Zaitha and its significance, Latomus, liv (1), 1995, p. 143, n. 10. Cf. Eutrope, ix, 2, 3 : « exsequias Romam revexit ». Selon M.J. Johnson, op. cit., p.141-144, le monument construit à Zaitha qui a été décrit par Ammien Marcellin, xxiii, 5 aurait pu abriter les restes de Gordien III. L’auteur se base sur le témoignage d’Ammien qui déclara que Julien II y effectua un sacrifice en l’honneur du Divin Gordien « ubi sepultus est » (Ammien Marcellin, xxiii, 5, 8 et xxiii, 5, 17) « Ammianus records in detail an event at which he was present: the visit to the tomb and the sacrifice by Julian, who certainly must have known whether or not Gordian’s remains occupied the tomb. » Cette thèse est acceptée par J. Matthews, ﬈e Roman Empire of Ammianus, London, John Hopkins University Press, 1989, p. 130-132.

130

# — 7. Coll. de l’auteur : 4,81 g ; / — 8. Coll. part. : 4,42 g ; . — 9. H.D. Rauch Sommerauktion 2012, 20-22/ix/2012, no 1224 : 4,22 g ; ! — 10. H.D. Rauch, 12 e-live Auction, 2223/iii/2013, no 614 : 5,27 g ; ! — 11. Gemini LLC, IV, 8/i/2008, no 482 : 4,41 g ; ! — 12. Coll. part. : 3,87 g ; / — 13. Coll. part. : 4,93 g ; ! — 14. Pecunem Gitbud & Naumann, 2, 7/iv/2013, no 266 : 4,70 g ; ..

Fig. 1

Fig. 2

Fig. 3

Fig. 4

Fig. 5

Fig. 6

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Fig. 7

Fig. 8

Fig. 9

Cédric WOLKOW – Une variante inédite d’un antoninien de Valérien II frappé à Cologne la fin de l’été 256, alors que l’Empire gouverné conjointement par Gallien et Valérien est menacé de toutes parts, Valérien II (Publius Licinius Cornelius Valerianus), fils aîné de Gallien et de Salonine, est élevé au rang de césar afin de répartir le pouvoir impérial sur les secteurs sujets aux dangers les plus imminents : Valérien II est installé sur la frontière du Danube, dans la province de Pannonie, tandis que Valérien I réside à Antioche pour faire face à la menace perse [1]. Gallien, accompagné de son second fils Salonin, s’occupe de la frontière du Rhin.

À

90

Deux ans après, à l’été 258 [2], Valérien II meurt pour des raisons encore incertaines et des monnaies sont émises en commémoration de sa consécration. 91

Fig. 10

Fig. 11

Nous avons acquis, il y a quelques années, une variante d’un antoninien de Valérien II ( fig. 1a), à la légende de revers CONSACRATIO, appartenant à cette série, qui ne semble toujours pas publiée et que nous signalons donc ici.

Fig. 12 Fig. 1a

Fig. 13

a DIVOVALERIANOCAES Buste radié et drapé de Valérien II à droite, vu de trois quarts en arrière. r CONSACRATIO __________

Fig. 14

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[1] M. Christol, Les déplacements du collège impérial de 256 à 258 : Cologne, capitale impériale, Cahiers du Centre Gustave Glotz, no 8, 1997, p. 244. [2] Ibid., p. 248.

131


Aigle tenant un foudre dans ses serres, volant à droite, emportant au ciel Valérien II, tenant un sceptre de la main gauche et levant la main droite.

Au﬌aüser, 21-22/xi/1985, no 367 = Kölner Münzkabinett 90, 27-28/x/2008, no 160 ; 2,38 g ; Ì ; ? ; a2/r1 — 1d. Vte Lanz 18, 13/v/1980, no 611 ; 3,17 g ; Ò ; 21mm ; a2/r1 — 1e. Musée de Gotha

Cohen², vol. v, p. 517, no 5 var. ; ric v/1, p. 117, no 9 var. ; mir 36, 44-44, no 911e var. Sur les monnaies communes à cette série, l’aigle ne tient pas de foudre dans ses serres. Ce type n’est pas répertorié sur des antoniniens de Valérien II mais se retrouve sur un as hybride de Mariniane [3], l’épouse déﬔnte de Valérien I ( fig. 2), et sur des asses de Valérien II [4] ( fig. 3), frappés l’un comme l’autre à Rome.

Fig. 1b

92

Fig. 1c

Fig. 1d

93

Fig. 2

Fig. 3

Nous n’avons pu recenser que cinq antoniniens avec cette variante de gravure monétaire. Il est important de noter que les quatre exemplaires connus en photo ( fig. 1a-1d) portent le même coin de revers et que trois d’entre eux proviennent du même coin de droit, ce qui atteste de la rareté de cette variante. Identification des cinq pièces recensées 1a. Coll. Wolkow ; 3,09 g ; Ò ; 21 mm ; a1/r1 — 1b. Coll. Bourdel ; 3,00 g ; Ò ; 21 mm ; a2/r1 — 1c. Vtes Müller 28, 31/i-2/ii/1980, no 812 = __________ [3]

Par exemple Vte L. Hamburger 1925, no 1551. [4] Vte Lanz 100, 20/xi/2000, no 366 : 7,56 g.

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Jean-Claude THIRY * – Deux nouveaux exemplaires de la série légionnaire V PIA V FIDELIS de Gallien (Milan 260) ous avons publié en 2008 l’état de la question à propos des antoniniens milanais de la série légionnaire présentant au revers les itérations VP VF [1]. Nous y ajoutons deux nouveaux exemplaires qui, sans être inédits, fournissent leur lot d’indications particulièrement pauvres pour cette courte émission s’étalant sur novembre (?) et décembre 260 [2].

N

94

95

__________ * Je remercie Daniel Gricourt pour les multiples essais en vue de me fournir de bons clichés de l’exemplaire fig. 5. [1] J.-Cl. Thiry, Une légion nouvelle dans la série V PIA V FIDELIS de Gallien (Milan, 260), bcen, vol. 45, 3, 2008, p. 65-79. [2] J.-M. Doyen, L’atelier de Milan (258-268), Recherches sur la chronologie et la politique monétaire des empereurs Valérien et Gallien,

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Exemplaire LEG II ITAL VP VF avec la louve Dans la classification des graveurs de droits que nous avons établie [5], le nouvel exemplaire présente un droit exécuté par le scalptor C [6] alors que le droit du spécimen recensé par Göbl ( fig. 3) est l’œuvre du scalptor A.

Description des monnaies

98

99

Fig. 1

1. GALLIENVS AVG Buste radié et cuirassé à droite, vu de ¾ avant. LEG II ITAL VP VF

Louve à gauche allaitant les jumeaux. ric –, D. – [3], mir 991an (Nachträge, Tafel 127) [4], même coin de revers que notre no 1. Collection privée. 96

97

Fig. 2

2. GALLIENVS AVG Buste radié et cuirassé à droite, vu de ¾ avant. LEG XI CL VP VF

Neptune nu debout à droite, un pan de draperie tombant de l’épaule droite, tenant un trident vertical de la main droite et un dauphin de la main gauche. ric –, D. 64, mir 1013n, même coin de revers que notre no 2. Collection privée.

Fig. 3

Par contre les légendes sont toutes deux de la main du signator A dont la marque de fabrique est, entre autres, la façon de former les N et les V par respectivement trois (III) ou deux (II) barres parallèles. Les revers sont issus du même coin exécuté par un scalptor qu’il est bien évidemment impossible à classer. On peut cependant remarquer que ce graveur n’interviendra pas dans la réalisation des coins de ce type émis ultérieurement avec les itérations VIP VIF et VIIP VIIF. Les éléments les plus probants pour étayer notre observation sont la position de la tête et la forme de la queue de la louve. Combinée avec l’itération VP VF, la queue forme un arc de cercle et puis retombe en traversant la patte arrière gauche, alors que dans les séries postérieures, elle se présente toujours dans une position étendue parallèlement à la patte arrière gauche, comme le montre la fig. 4.

__________ ﬈èse de doctorat non publiée, Louvain-laNeuve, 1989, vol. 2a, p. 120. Voir aussi Thiry, op. cit., p. 71. [3] Doyen, op. cit. [4] R. Göbl, mir 36, 43, 44, Die Münzprägung der Kaiser Valerianus / Gallienus / Saloninus (253/268), Regalianus (260) und Macrianus / Quietus (260/262), Wien, 2000.

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Fig. 4

__________ [5] Thiry, op. cit., p. 68-73. [6] Ibid., p. 71.

133


ligne du sol ( fig. 4). La légende, quant à elle, est une composition du signator A. Fig. 5

Exemplaire LEG XI CL VP VF avec Neptune

Dans la série la plus ancienne ( fig. 3), la tête est tournée vers l’arrière et se positionne de façon horizontale. Dans les deux séries plus récentes, elle se présente quasi verticalement par rapport à la

Le coin de droit du nouvel exemplaire ( fig. 2) a été réalisé par le scalptor C alors que celui de l’autre spécimen recensé ( fig. 5) est l’œuvre du scalptor A.

Mise à jour de l’inventaire des exemplaires répertoriés de la série 3 Bustes * B3 B3 B3 B3 G2L

LEG I ADI VP VF LEG I ITAL VP VF LEG II ITAL VP VF LEG II PART VP VF

B3 B3 B3

LEG II PART VP VF

B3 B3

LEG XIIII GEM VP VF

B3

VICTORIA AVG

B3

VIRTVS MIL

Légendes de revers COHH PRAET VP VF

LEG III VP VF LEG XI CL VP VF

FIDES MIL

Description du revers Lion radié marchant à droite Capricorne à droite Sanglier courant à droite Louve à gauche Centaure marchant à gauche, globe et pan de draperie Même revers Taureau à droite Neptune nu debout à droite, trident et dauphin, draperie Capricorne à droite Fides debout à gauche tenant deux enseignes verticales Victoire debout à droite sur un globe entre deux captifs Virtus casquée debout à droite, tenant une lance verticale et s’appuyant sur un bouclier total

N ex. 3 5 2 2 2 2 1 2 1 3 2 2

27

* B3 : Buste radié et cuirassé à droite, vu de ¾ avant G2L : Buste radié cuirassé et frappé à gauche, tenant une lance pointée vers l’avant et un bouclier lisse

Bien que la surface du droit du nouveau spécimen soit assez piquée et qu’elle manque de netteté, la lettre N est suffisamment lisible pour qu’on distingue les trois barres parallèles (III) du signator A. À l’opposé, la graphie du signator

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C se reconnaît notamment par l’exécution des lettres N et V qui sont systématiquement réalisées de la même façon : le N est formé de deux barres parallèles reliées entre elles par une barre oblique dont la jointure se fait par le bas avec un

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petit trait horizontal (II) — le V présente la forme classique de la lettre : deux barres droites forment un angle aigu dirigé vers le bas (). L’examen des deux revers permet à coup sûr de déterminer qu’ils ont été frappés avec des coins différents comme le revèlent la position des lettres de la légende, la courbure du bras qui tient le trident et la position plus oblique du dauphin. La légende a été exécutée par le signator A.

Roland RAYNAUD – Les aurei découpés – Supplément 4 *

L

a récolte des aurei découpés se poursuit avec un exemplaire pour Carin [1] provenant de la région de Kiev en Ukraine. Il s’agit d’un aureus extrêmement rare, comme souvent avec les aurei découpés. Le revers est normalement associé à Magnia Urbica mais aussi beaucoup plus exceptionnellement à Numérien et à Carin, comme c’est ici le cas.

Contrairement à la caractéristique stylistique observée sur les revers à la louve, on retrouve la « main » du scalptor de revers A dans les représentations de Neptune sur les antoniniens honorant les vexillationes de la Legio IX Claudia VIP VIF et VIIP VIIF.

100

éch. 3/2 a [IMP C]AR[IN]VS PF AV[G], buste à dr., lauré, drapé et cuirassé.

Fig. 6

L’analyse stylistique de ces deux nouvelles monnaies avec les liaisons de coins observées renforcent l’idée que l’atelier de Milan fonctionnait au début de ses activités avec deux scalptores de droits et deux signatores. Par manque d’éléments comparatifs, nous ne pouvons déterminer si les scalptores des droits A et B ont également gravé les coins de revers ou s’il s’agit de l’œuvre de deux graveurs supplémentaires. Nous pouvons seulement affirmer que ce personnel de production était réuni dans une seule et même officine, laquelle était suffisante pour assurer une production monétaire que les circonstances du mois de décembre 260 ont rendue quantitativement modeste.

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r VENE/RI [VICTRICI], Vénus debout de face, tête à g., tenant une Victoire et une pomme. Rome, 283-285 – 4,50 g – !. ric 232 ; Calico 4365 ; Sear 12330 var. Si nous sommes certains d’une provenance ukrainienne limitrophe de Kiev, cet exemplaire est aussi réputé, mais sans preuves, avoir été trouvé sur un site « Rus’ de Kiev » (ixe-xiiie s.), c’està-dire du nom d’une principauté médiévale slave orientale qui avait un empire s’étendant de la Mer Noire à la Pologne et au-delà de Moscou sans atteindre toutefois l’Oural. Nous ne saurons probablement pas si le contexte est réellement antique ou médiéval, ce qu’il __________ * Les aurei découpés : catalogue et étude, bcen 47, 2 (2010), p. 246-263 — suppl. 1, bcen 48, 1 (2011), p. 323 — suppl. 2, bcen 48, 3 (2011), p. 388-390 — suppl. 3, bcen 49, 1 (2012), p. 31-32. [1] © sandycastle2011 (sur eBay).

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aurait été intéressant de connaître avec exactitude. Cette monnaie découpée et trouée fait partie de la première catégorie des aurei découpés : ceux de poids lourd et ramenés à la masse du solidus. Nous n’avons pas trouvé d’exemplaire identique mais la masse théorique d’avant la réforme de Dioclétien est du 1/60ème de la livre (5,41 g) avec en réalité des écarts de masse importants. La partie manquante doit donc se situer autour de 1 g, sans doute même un peu plus. Nous pensons que cet aureus a d’abord été porté en bijou avant de revenir dans le circuit monétaire en le calibrant à la masse du solidus. L’usure très importante suggère une circulation particulièrement longue, jusque dans des régions très éloignées du monde romain tardif et byzantin. Un contexte médiéval en Ukraine est donc tout à fait possible puisque le solidus y est resté en usage jusqu’au xie s. Cet exemplaire confirmerait bien que son standard a atteint une telle réputation que même dans les régions les plus éloignées (Angleterre, Europe centrale et maintenant Ukraine) il était connu et apprécié.

RECENSIONS Giuseppe COLUCCI (dir.), Eos IV, Collana di studi numismatici, Bari, Scorpione, 2012, 374 p., isbn 978-88-809-9255-4, ₫ 55

L

e volume présenté ici est le quatrième d’une série [1] lancée il y a quelques années par G. Colucci, président du Circolo Numismatico Pugliese. Les trois premiers volumes ont été consacrés à la publication des Actes des congrès nationaux italiens de numismatique tenus à

102

Ce quatrième volume de Eos, bien que n’étant pas lié aux actes d’un congrès, tient de la tradition précédente dans la mesure où il se subdivise en deux parties : l’une consacrée au monnayage magnogrec de Tarente et l’autre comprenant des contributions allant du Moyen Âge jusqu’à la constitution de l’État unitaire italien en 1861. La partie la plus étendue (p. 11-216) concerne la description du trésor découvert à __________

101

__________ [1] Cette série d’études numismatiques tire son nom de la déesse de l’aurore Eos (Ἡως), symbole de renouveau et de bon augure.

136

Bari en 2008, 2009 et 2010. Ces rencontres d’étude avaient été organisées de manière à couvrir, dans une première partie, le monnayage de l’Antiquité classique des Pouilles (caractérisée par l’influence grecque, d’une part, et la poussée romaine, d’autre part) et dans la seconde partie, le monnayage médiéval de l’Italie du Sud dans son évolution à travers les siècles et dans son rayonnement au-delà de ses limites géographiques. C’est ainsi que dans un premier temps, les divers aspects des émissions monétaires des populations de la Daunia, de la Peucezia et de la Messapia ont été passés en revue. Le deuxième volet nous a menés aux racines de la création du royaume normand de Sicile entre 1030 et 1130 [2], à sa consolidation et à ses connexions avec l’Empire sous la dynastie souabe, notamment Frédéric II, et au rêve inachevé sous les Angevins d’un pouvoir fédératif allant de la Provence à la Sicile et au-delà. Pour mémoire, on retiendra que le dernier congrès de Bari en 2012, dont les Actes sont en cours de publication, a porté sur le monnayage magno-grec de Tarente et, pour la période médiévale, sur celui des Goths et des Lombards.

[2]

C’est l’époque de la conquête de l’Angleterre racontée par la tapisserie de Bayeux (bataille de Hastings en 1066). On notera que les frontières du Royaume de Sicile créé par les Normands couvraient presque la moitié de la péninsule italienne, s’étendant de la Sicile jusqu’aux territoires de la Papauté et allant – du côté de la Mer Adriatique – bien au nord de Rome. Ces frontières sont restées inchangées jusqu’à la constitution de l’État unitaire italien.

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Tarente en 1883 et qui, au départ, devait probablement comprendre 1.558 monnaies, dont 1.536 tarentines, les autres provenant de diverses villes voisines de la Magna Graecia. Ce trésor ﬔt étudié, en premier lieu, par A.J. Evans, conservateur de l’Ashmolean Museum d’Oxford de 1884 à 1908, et toutes les informations de base dont on dispose aujourd’hui (nombre total, répartition en termes de valeur et composition typologique) proviennent de publications que celui-ci nous a laissées. Evans eut aussi l’opportunité d’acquérir quelque trois cents pièces, dont seulement une partie très limitée (entre 19 et 26) ﬔt par la suite intégrée dans les collections de son musée et 16 autres pièces dans des collections privées. En raison des carences législatives de l’époque et des faibles ressources disponibles, seulement 895 monnaies purent être acquises par le musée de Tarente, qui venait justement de se former autour de ce premier ensemble. Le lieu précis de la découverte et le sort des pièces dispersées demeurent encore inconnus. Cent vingt-neuf ans après sa découverte, G. Libero Mangieri reprend cet ensemble exceptionnel, conservé au musée de Tarente, pour nous présenter une classification analytique des 895 pièces, complétée des données métrologiques et d’un catalogue photographique exhaustif avec des illustrations claires. Les éléments iconographiques et épigraphiques – presqu’une centaine – sont développés et classés ensuite au moyen de tableaux de référence et d’agrandissements photographiques de détail. Illustrées par une douzaine de diagrammes, des considérations sur l’évolution pondérale ainsi qu’une analyse chronologique amènent l’auteur à situer l’enfouissement du trésor à l’époque de la prise de la ville par les Carthaginois vers 212 av. J.-C. Toujours concernant le monnayage tarentin, l’étude de G. Libero Mangieri est suivie de deux autres contributions. D’abord, une description et interprétation des symboles figurant sur les monnaies

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tarentines par B. Carroccio (p. 217-234). Celui-ci conteste avec force – et à notre avis, avec raison – l’opinion d’un grand nombre d’archéologues qui, encore aujourd’hui, ont tendance à considérer la typologie monétaire comme une forme d’expression issue de la créativité individuelle de l’artiste, capable néanmoins d’interpréter un sentiment collectif. Pour cet auteur il est clair, par contre, qu’au travers des images, légendes et symboles, le pouvoir politique a voulu intégrer dans la monnaie de la polis un message [3] qu’il nous faut aujourd’hui nous efforcer d’interpréter. Dans cette optique, B. Carroccio passe en revue les divers symboles : jeune homme chevauchant le dauphin (Taras ou Phalantos ?), le dauphin luimême, trident, hippocampe, amphore, gouvernail, ancre, foudre, étoiles et croissants, abeille, chouette, cheval, armement, etc. Ensuite, L. Tondo fournit une fresque de l’activité des diverses personnalités qui se sont succédées depuis 1880, au nom de l’État, dans la défense du patrimoine archéologique des Pouilles (p. 235254). En dépit d’une législation inadéquate, de moyens insuffisants et d’une administration lourde et parfois incapable, leur action pour faire face à la dispersion opérée par les maisons de vente ne peut être qualifiée que d’admirable. Il suffit par ailleurs de penser qu’un service numismatique n’a été instauré auprès de la Soprintendenza des Pouilles qu’en 1997. 103

La seconde partie du volume (p. 257-277) contient un texte de G. Colucci sur les monnaies circulant à l’époque du prince normand Bohémond (1053 ou 1055-1111). Celui-ci naquit du mariage du « chef des chefs » normands des Pouilles, Robert le Guiscard, avec Albérada, elle aussi normande. Lorsque, pour des raisons d’État, Robert entrevoit l’opportunité d’épouser __________ [3] À ce sujet, l’auteur établit une belle corrélation avec l’euro dans ses expressions iconographiques nationales qui rappellent des éléments identitaires des divers États membres, qu’il s’agisse de la tradition monétaire ancienne ou de la richesse artistique et culturelle du pays.

137


une princesse lombarde de Salerne (Sichelgaïta), il parvient à obtenir la nullité de son mariage pour cause de consanguinité [4]. La conséquence en ﬔt que Bohémond perdit ses droits à la succession, tout en obtenant le fief de Tarente. Dans une telle situation, il n’est pas étonnant de le voir partir chercher son salut et un royaume en Terre Sainte. Il participa donc à la première croisade, prit Antioche en 1098 et y fonda une principauté. Malgré sa captivité par les musulmans en 1100 pendant deux ou trois ans et sa défaite en 1107 contre l’empereur Alexis, la dynastie qu’il a fondée va durer longtemps. Dans sa contribution, G. Colucci décrit le monnayage de cette époque dans les possessions normandes de l’Italie du Sud, dans l’empire byzantin et dans le monde musulman. Le monnayage propre de Bohémond est presque inexistant. Si l’on connaît les quelques émissions à Antioche de Tancrède – autre héros de la Croisade et fidèle régent pendant les absences de Bohémond – on ne connaissait jusqu’ici qu’une seule monnaie de cuivre aux types byzantins et à légende grecque pouvant être attribuée à Bohémond : il s’agit de celle identifiée par G. Schlumberger [5] et représentant d’un côté, saint Pierre avec une croix dans la main gauche et, de l’autre, une croix dite de saint Maurice ou pommée, au pied feuillu, et cantonnée des lettres B, H, M, T. Mais, à partir d’une indication douteuse (Bohémond Ier ou Bohémond II ?) dans un ouvrage plus récent [6] concernant une monnaie de cuivre avec, d’un côté, le saint (mais avec la croix dans sa main droite) et, de l’autre, l’inscription sur quatre lignes BOIM NDUS SERVUS XPI, G. Colucci parvient à identifier cette monnaie et à l’attribuer 104

105

106

__________ [4] À cette époque, les degrés de consanguinité, en tant qu’obstacle au mariage, allaient très loin (G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, Paris, 1981, p. 10). [5] Numismatique de l’Orient latin, 1878, p. 43. [6] J. Porteus, Crusader coinage with Greek or Latin inscriptions, dans K.M. Setton, A history of the Crusades, vol. vi, 1989, p. 354-420.

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avec une raisonnable probabilité à Bohémond Ier, qui l’aurait fait frapper à Bari entre août et octobre 1096, suite à sa décision de prendre la croix. Une telle conclusion se base sur la concordance indéniable résultant de la confrontation de cette pièce avec les sceaux de Bohémond conservés aux archives de la basilique Saint-Nicolas à Bari. D’autres contributions complètent l’ouvrage. Une note de F. d’Angelo décrit certains aspects qui ont conduit à des émissions de portée locale en Sicile au cours du xive siècle pour faire face à des pénuries de liquidité (p. 271-277). À son tour, G. Ruotolo, dans une présentation assez étoffée et bien articulée (p. 279-350), décrit des aspects très différents tenant à la gestion de la monnaie dans le royaume de Naples au cours des siècles. Cet auteur s’intéresse souvent à des aspects – pour ainsi dire – folkloriques, tel que le convoyage à travers la ville de Naples des condamnés pour crimes monétaires tandis qu’ils étaient soumis, chemin faisant, à la torture et avec supplice final. Une dernière contribution, celle de C. Minervini, concerne les monnaies émises en Italie depuis Napoléon jusqu’à l’unité de l’Italie (p. 351-373). L’auteur se focalise notamment sur des pièces représentant l’aspiration romantique de la classe cultivée italienne vers l’unité nationale. Un intérêt particulier réside dans la présentation avec de belles photos de « curiosités » numismatiques, telles que des monnaies satiriques ou de propagande politique. Les pièces, passant de main en main, transmettaient un message compréhensible par tous. Ainsi, on retrouve la pièce de 5 lires de l’État pontifical de 1870 [7] où, par un trait d’union apposé entre une marque d’émission et le visage du pape, celui-ci apparaît comme ﬔmant une pipe ! On trouve d’autres pièces de ce genre dans le Royaume des Deux-Siciles : contremarquées, elles visaient à délégitimer la dynastie des Bourbons. Il s’agit notam107

__________ [7]

Année de la prise de Rome par l’État italien.

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ment des piastres de 120 grana (mais aussi des monnaies de moindre valeur) où on avait intercalé le mot olim ( jadis) dans la légende portant la titulature royale, de sorte que celle-ci pouvait se lire de la manière suivante FERDINANDVS II OLIM DEI GRATIA REX. Il s’agit aussi des contremarques BOMBA (bombe) frappées sur la figure du souverain, en souvenir du bombardement que la flotte napolitaine avait fait subir à la ville de Messine en 1848 à la suite du mouvement de sécession intervenu en Sicile avec constitution dans l’île d’un gouvernement indépendant (soutenu par une puissance étrangère, intéressée à intégrer l’île dans son réseau de contrôle de la Méditerranée). Ce quatrième volume de la série Eos est particulièrement remarquable pour la belle publication des 895 pièces du trésor de « Tarente 1883 » ainsi que pour l’étude qui l’accompagne. Il semble digne de figurer dans toutes les bibliothèques faisant preuve d’un intérêt spécial pour le monnayage du monde grec et magno-grec. Gaetano Testa Lucia TRAVAINI (a cura di), Le zecche italiane fino all’unità, Roma, Libreria dello Stato, 2011, 2 vol., 1.600 p., isbn 978-88240-1333-8 ’est un ouvrage important et enC gagé que celui réalisé par Lucia Travaini sur les ateliers monétaires italiens depuis le Moyen Âge jusqu’à la constitution de l’État unitaire italien en 1861. Un ouvrage monumental ! Deux volumes, totalisant 1.600 pages, réunissent et élaborent de manière critique une masse de données considérable de provenances diverses, souvent dispersées dans des publications difficilement accessibles. Les contributions qui composent cet ouvrage sont le fruit de recherches et de réflexions d’une soixantaine d’auteurs – professeurs d’université, conservateurs de musée, ar-

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chivistes, chercheurs indépendants – italiens et étrangers, tous spécialistes dans le domaine traité. Le but de l’ouvrage est de fournir une vision complète, à la fois globale et analytique, des ateliers monétaires et de leur activité. D’autres ouvrages ayant le même objectif ne manquent pas, mais leur cadre est limité ou largement dépassé. Tous les ateliers actifs à un moment donné dans la péninsule italienne, ou même ailleurs sous le couvert d’une autorité italienne, sont traités par une série de fiches répondant à une ligne qui couvre le profil historique, les lieux et les installations, le personnel, les émissions monétaires, les principales collections où se trouvent les monnaies concernées, les sources d’archives et bibliographiques. Ces fiches, élaborées selon le style propre à chaque auteur, synthétisent l’ensemble des connaissances actuelles. Il ne faut pas se méprendre au sujet de la notion de « fiche », car dans plusieurs cas elles apportent une contribution additionnelle et, dans quelques cas, l’exposé assume des proportions notables, propres à celles d’une véritable monographie. Le champ couvert va audelà des ateliers officiels, comprenant également les émissions obsidionales et les ateliers clandestins. Des fiches ont été établies même pour des ateliers qui sont parfois mentionnés dans la bibliographie numismatique traditionnelle, mais qui n’ont, en réalité, jamais existé ou dont l’existence est contestée. Ces fiches, subdivisées en sections selon les critères que nous venons de mentionner, sont présentées en ordre alphabétique, ce qui facilite leur consultation et répond à l’un des objectifs de l’ouvrage qui se veut être un « guide ». Cette partie analytique « atelier par atelier » est précédée par des études à valeur générale, portant notamment sur l’organisation des ateliers, les technologies utilisées, le droit monétaire médiéval et moderne, les relations entre la localisation des ateliers et l’activité minière, la métrologie.

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L’ouvrage commence par un chapitre substantiel sous la plume de L. Travaini, riche de suggestions en vue de recherches ultérieures. Partant de la distinction entre la matérialité d’un atelier monétaire donné et le concept juridique et politique sousjacent, elle aborde la problématique relative à l’étendue géographique la plus appropriée pour un répertoire consacré aux ateliers « italiens ». À cet égard, elle se fonde – sans toutefois s’y conformer complètement – sur l’approche suivie par le Corpus Nummorum Italicorum entrepris sous l’impulsion du roi d’Italie Victor Emmanuel III (1900-1945), qui – numismate lui-même – avait constitué la plus grande collection de monnaies italiennes depuis le Moyen Âge. Pour des raisons que nous pourrions qualifier de sentimentales, celui-ci avait inclus dans sa collection tout ce qui pouvait se rapporter d’une manière ou d’une autre à sa dynastie. L’approche retenue dans le présent ouvrage ne suit pas jusqu’à ce point une telle orientation dynastique, mais elle accorde néanmoins un espace très large à la famille savoisienne malgré le caractère peu italien [1] de celle-ci dans les temps les plus reculés. L’ouvrage tient compte aussi des cas où des souverains ou autres seigneurs se sont servis d’ateliers situés en dehors du territoire placé sous leur autorité [2]. Malgré une tradition d’études bien 108

109

__________ [1]

Appréciation tirée d’É.G. Léonard, Les Angevins de Naples, puf, 1954, trad. ital. 1967, p. 110 et 112. [2] À noter que certains exemples cités dans l’ouvrage ne nous semblent pas pertinents. Par exemple le cas, qui n’est pas unique, du marquis de Mantoue François II Gonzague qui, en 1496, fait battre monnaie à Naples. Celui-ci avait demandé et obtenu du roi de Naples de faire frapper dans l’atelier de cette ville une certaine quantité de son propre argent afin d’en retirer du numéraire à dépenser localement. À notre avis, cette frappe ne peut pas être considérée comme s’étant faite sous l’autorité du marquis de Mantoue. Celui-ci avait apporté à l’atelier son argent tout comme pouvait le faire n’importe quel particulier et sa demande introduite auprès du roi pourrait

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établie qui a longtemps considéré plusieurs ateliers étrangers comme étant italiens (entre autres Antioche, l’Arménie, Chypre, Malte et Rhodes des Chevaliers de l’Ordre de St Jean de Jérusalem), l’ouvrage dirigé par L. Travaini exclut ces ateliers de son rayon d’action car, dans les faits, ceux-ci n’ont jamais opéré sous autorité italienne. Cependant, il était inévitable qu’avec de telles ambitions et dimensions, des incohérences apparaissent ci et là. Elles trouvent leur origine essentiellement dans la difficulté de transposer au Moyen Âge des concepts modernes de nationalité issus de la Révolution française (« État nation », « patrie », « citoyen »). Par exemple, pour Monaco, il est rappelé en trois lignes que, souvent, l’atelier de cette ville a été compté parmi les zecche italiennes pour avoir monnayé sous l’autorité de la famille génoise des Grimaldi. Mais l’ouvrage reﬔse cette attribution : le monnayage monégasque, étant indépendant d’une autorité italienne, n’a donc pas été pris en considération. À ce sujet, nous aimerions introduire quelques nuances, car on ne peut nier que dans le bas Moyen Âge, Monaco s’affirme comme une création soutenue par les rois angevins de Naples dans leur qualité de chefs du guelfisme en Italie. À Gênes, la famille des Grimaldi appartenait justement au parti guelfe et s’opposait aux familles dominantes de la faction gibeline, les Doria et les Spinola. Chassés de Gênes dans un contexte d’alternance au pouvoir de la cité, les Grimaldi avaient été mis en poste sur le rocher de Monaco sous le couvert des Angevins de Naples – qui étaient aussi comtes de Provence – justement pour contrecarrer Gênes tant par terre (Col d’Eze, Roquebrune) que par des actions de piraterie par mer. Avec un tel background et des acteurs en présence typiquement « italiens », on ne peut que se __________

plutôt se comprendre comme étant une formalité de courtoisie, indispensable vu son statut princier, et peut-être aussi par une possible requête d’exonération du paiement des droits de seigneuriage.

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poser des questions sur l’exclusion de Monaco, même si les émissions monégasques commenceront à une époque plus récente. Peut-être le jugement aurait-il été différent si, en 1860, les territoires allant de Vintimille jusqu’à Nice – et donc incluant Monaco – n’avaient pas été cédés à la France ? Pour rester dans la même région géographique, il devient difficile aussi de comprendre certaines disparités de traitement et en particulier l’omission dans l’ouvrage de toute référence à la Provence. Le statut juridique des relations entre cette région et le royaume de Sicile à l’époque angevine peut être qualifié d’union personnelle [3]. E. Léonard, dans son histoire des rois angevins de Naples [4], montre que Charles Ier d’Anjou avait procédé de facto à l’incorporation de la Provence dans le gouvernement du Royaume et que cette politique était maintenue par ses successeurs. On ne pourrait nier que le monnayage provençal met bien en évidence le titre royal de Sicile et que notamment les carlins gillats – par leurs caractéristiques iconographiques et pondérales ainsi que par le contexte historique – sont, du point de vue monétaire, une émanation éclatante du pouvoir politique des Angevins de Naples. L’omission de la Provence sous la première maison des Anjou est d’autant plus surprenante que les ateliers pontificaux de Pont-de-Sorgues (frappant en qualité de comes venasini) et celui d’Avignon (depuis la cession que la reine Jeanne en fit au pape en 1348) ont été inclus. 110

111

L’inclusion de Mytilène dans l’ouvrage est également le fruit d’une contradiction. La domination de la famille des Gattiluso dans ce territoire s’est maintenue dans le __________ [3] À ce sujet, on pourrait également rappeler que le royaume de Sicile lui-même résultait d’un ensemble de territoires réunis à titres divers sous la même couronne (royaume de Sicile, duché des Pouilles, principauté de Capoue, honneur de Naples, honneur du Mont S. Angelo, etc.). [4] Léonard, op. cit., notamment p. 93 ss.

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temps totalement disjointe de toute autorité établie dans la péninsule italienne. Selon les critères retenus par l’ouvrage, Mytilène n’aurait donc pas dû être mentionnée. Une telle observation n’affecte cependant pas le caractère très intéressant de l’exposé sur cet atelier, riche d’une trentaine de pages (par E. Oberländer-Târnouveaunu, qui est l’auteur de toutes les contributions sur les ateliers génois à l’étranger). Il en est de même de Moncastro/ Bilhorod en Ukraine, pour citer encore un exemple, où quatre pages bien remplies – et d’ailleurs très intéressantes – nous apprennent que cette ville était un centre commercial important, visité par des marchands génois depuis le xiiie siècle, mais qui n’a jamais été contrôlé par ces derniers. Quoi qu’il en soit, toutes les données factuelles contenues dans les diverses contributions sont d’une grande aide pour les chercheurs, y compris les cas de frappes effectuées à l’étranger par des autorités italiennes en raison d’exigences purement ponctuelles et limitées. Un exemple, disons un peu flou, nous est donné par le recours à l’atelier de Vienne (Autriche) pendant les décennies du xviiie siècle où la domination autrichienne en Italie était bien marquée. C’était peut-être une question de mode. Des seigneurs locaux tant du nord que du sud de l’Italie – soumis à l’Autriche – se sont adressés à Vienne pour la frappe d’émissions parfois très limitées de pièces de valeur. Il faut admettre que considérer l’atelier de Vienne comme une zecca opérant sous autorité italienne semble aller un peu loin et pourrait certainement faire sourire. Néanmoins, il est certain aussi que, pour des amateurs de curiosités et pour des chercheurs d’histoire locale, les informations contenues dans les diverses contributions peuvent être d’un grand intérêt. Mais Vienne n’est pas un cas isolé. Les évêques de Bressanone et de Trento, ne possédant pas un atelier propre, avaient coutume au xviiie siècle de commissionner leurs émissions à l’atelier de Salz-

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bourg. On apprend aussi que dans la deuxième décennie du xviie siècle, un archiduc autrichien était évêque quelque part en Pologne et en même temps duc de Nysa (en allemand Neisse) ; c’est dans l’atelier de cette ville qu’il aurait fait battre une série importante de monnaies en or et en argent que le Corpus Nummorum du roi Victor Emmanuel attribue à Bressanone. Toujours au xviiie siècle, nous retrouvons à Paris l’ambassadeur d’un des États de la Péninsule : celui-ci fit frapper dans l’atelier de cette ville des médailles sous forme de thalers. Il ne s’agit que d’exemples parmi d’autres. Nous avons des doutes sur la pertinence du classement de ces ateliers comme ayant opéré sous autorité italienne. Il ne convient cependant pas de sous-estimer l’apport de ces contributions. Dans un ouvrage traitant des émissions monétaires des différentes cités italiennes, toutes ces informations fournissent le matériel de base pour ceux qui font des recherches focalisées sur l’histoire locale ou qui s’intéressent à des phénomènes de culture et de société. Pour conclure sur cette question de l’étendue géographique de l’ouvrage, il convient de considérer que finalement un critère vaut l’autre et que n’importe quel autre critère n’aurait pas manqué de présenter des éléments à caractère arbitraire. Suit un exposé sur les études qui depuis le xvie siècle ont été consacrées à la numismatique italienne médiévale et moderne, à la formation des grandes collections comme un phénomène de société et à la naissance d’une production de fausses monnaies (et même de faux trésors) destinées au commerce numismatique. Les fiches d’ateliers inclus à divers titres dans l’ouvrage s’élèvent à 418, dont cependant 142 se réfèrent à des ateliers qui en réalité n’ont jamais existé. Souvent leur existence était rapportée par une tradition locale qui trouvait son origine dans des raisons d’orgueil civique. La distribution territoriale et chronologique des ateliers ayant opéré à un moment donné dans la Péninsule est visualisée par une série de

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cartes géographiques (élaborées par M. Bazzini) qui localisent les divers ateliers par périodes de 50 ans. Ainsi, cette visualisation se déroule comme dans un film au cinéma, où la distribution des ateliers monétaires au cours des siècles permet de saisir assez clairement la relation entre production de monnaie et réalités politiques en évolution ( fig. 1).

Fig. 1 – Carte relative à la période 1300-1350

Le nombre d’ateliers reflète le fractionnement politique et administratif qui existait au Moyen Âge en l’Italie centrale et septentrionale, à l’opposé de la situation dans l’Italie méridionale où le caractère unitaire du Royaume avait produit – à l’exception de certaines périodes de guerre – une grande concentration de la production monétaire, avec comme corollaire sa capacité d’organisation pour ce qui est du transport et de la distribution de la masse monétaire dans le royaume [5]. Il faut néanmoins préciser que la situation de morcellement dans le nord du pays n’avait pas manqué de stimuler des formes de coopération monétaire entre diverses cités, afin d’amplifier l’espace de circulation de leurs monnaies respectives et ainsi faciliter les relations commerciales. 112

__________ [5]

Voir à ce sujet les contributions présentées lors de la journée d’étude internationale organisée le 17 mai 2005 à la Bibliothèque royale de Belgique et publiées dans la rbn clii (2006).

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L’organisation des ateliers, les fonctions et prérogatives des différents acteurs et autre personnel impliqués dans le processus de fabrication des monnaies, la description des opérations techniques de la frappe au marteau et ensuite à l’aide d’instruments mécaniques, l’utilisation et la garde des coins, la comptabilité et les profits liés au brassage et au seigneuriage, la répression des fraudes et les peines contre les faussaires constituent des thèmes qui aident à comprendre le monde de la monnaie. Ils sont traités soit dans les différentes fiches par atelier, soit dans des contributions thématiques d’encadrement. Le droit monétaire est traité par M. Matzke qui aborde ce thème surtout du point de vue de l’évolution, dans les différentes régions, du pouvoir politique en tant que source du droit d’émission. Ce thème est complété par une dissertation érudite de M. Ascheri. Les relations entre l’activité minière et le monnayage sont également traitées par M. Matzke. Jusqu’ici il n’existait aucune étude globale et approfondie permettant de faire le point sur l’apport des activités minières dans la péninsule : les sources font souvent référence au statut juridique du sous-sol et de ses ressources ainsi qu’aux vicissitudes des concessions et de la gestion des mines, mais des indications chiffrées sur les capacités de production font généralement défaut ou sont fragmentaires [6]. D’une manière générale, la production des mines situées sur le territoire italien du centre-nord semble n’avoir eu qu’une incidence limitée au niveau local. Seules les mines d’Iglesias en Sardaigne semblent avoir été particulièrement généreuses, d’abord à l’avantage des Pisans et ensuite, à partir de 1324, des Catalans. En 113

__________ [6] L’étude de F.M. Vanni (Miniere, metalli e monete nella Toscana medievale, Quaderni ticinesi di numismatica e antichità classiche, xxxvii (2008), p. 409-438) se concentre également sur les vicissitudes des concessions minières et ne comporte pratiquement pas d’indications sur la production.

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ce qui concerne les mines argentifères de Longobucco en Calabre, mentionnées également dans la Pratica della mercatura de Pegolotti, on sait que des efforts d’exploitation rationnelle des ressources avaient été faits en période angevine, mais on ignore la réelle portée de la production. Certaines considérations pourraient toutefois nous amener à estimer que, contrairement à ce que pensent l’auteur et certains historiens [7], cette production ne devait pas être négligeable. En effet, comme le souligne Lucia Travaini dans le chapitre introductif, la disponibilité de métaux de base pour le monnayage est en principe un préalable à l’ouverture d’un atelier monétaire. Or, Charles Ier d’Anjou – dont les qualités d’administrateur sont bien connues – ne se serait pas lancé dans la réforme monétaire tout à fait novatrice de 1278 sans avoir des perspectives rassurantes quant aux disponibilités d’or et d’argent. Pour ce qui est de l’or, qui constituait le monnayage traditionnel du royaume, nous savons que les approvisionnements venaient essentiellement d’Afrique, notamment à travers le tribut payé par les émirs de Tunisie. Lorsqu’après la révolte sicilienne des Vêpres (1282) ce tribut cessa d’être versé, le monnayage en or du Royaume se réduisit pour ensuite disparaître complètement pendant une longue période. Par contre, on pourrait dire qu’un monnayage important en argent constituait une nouveauté dans le Royaume. Son introduction ne pouvait se justifier qu’en présence de disponibilités durables en métal. On peut en déduire que la production de Longobucco devait être assez considérable, vu la très large production de carlins d’argent. Autrement, sans une telle disponibilité, le carlin d’argent n’aurait pas pu connaître sa remarquable affirmation dans le commerce de la Méditerranée orientale aux côtés du ducat d’or vénitien (et remplaçant le gros d’argent vénitien) pendant tout le xive siècle et au-delà. Selon Ph. Grier114

__________ [7] R. Caggese, Roberto d’Angio’ e i suoi tempi, Firenze, 1921, réimpr. 2001, vol. i, p. 519.

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son [8], il n’est pas exagéré de dire que Naples fournissait la majorité de la monnaie d’argent circulant dans la zone égéenne au xive siècle. Les hypothèses récentes d’un courant d’importation de métal venant d’Extrême Orient au xiiie et xive siècles ne semblent pas suffisamment fondées, car le fabuleux essor des mines d’Iwami au Japon se situerait plutôt au xvie siècle. 115

Suivent des contributions sur les technologies (R. Doty), les lieux (M. Antonucci), les poids et mesures utilisés (W.R. Day jr et G. Zavattoni) et les émissions obsidionales (M. Traina). Des études spécifiques offrent en outre un aperçu d’encadrement plus spécialement focalisé sur la production monétaire en Italie au cours des époques byzantine et carolingienne (E. Arslan : Goths et Lombards, Mérovingiens ; C. Morrisson : Italie byzantine, et avec V. Prigent : Sicile byzantine ; A. Rovelli : période carolingienne). L’évolution depuis la période napoléonienne jusqu’à la fin du xixe siècle, y compris la participation à l’Union latine, a été traitée par L. Einaudi. Des informations sont données également sur les plus importantes collections de monnaies italiennes (M. Bazzini, G. Fea, L. Travaini). Suivent les fiches par ateliers en ordre alphabétique : presque 800 pages pour les ateliers situés sur le territoire actuel de la République italienne ; 210 pages pour les ateliers ayant opéré en dehors, sous autorité italienne ; une trentaine de pages pour les ateliers obsidionaux et pour les ateliers clandestins ou de faussaires. Ces pages réunissent dans un cadre synthétique toutes les informations disponibles, qu’il s’agisse de sources d’archives ou de doctrine, et apportent des éclaircissements sur des questions récurrentes quant à __________ [8] Ph. Grierson, Monnaies du Moyen Âge, Fribourg (Suisse), 1976, p. 223 s. Idem, La moneta veneziana nell’economia mediterranea, Later medieval numismatics (11th-16th centuries). Selected studies, xii, London 1979.

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l’activité des ateliers et leur localisation [9]. Il serait trop long de mentionner tous les auteurs qui ont collaboré ; outre ceux déjà cités, il nous plaît de rappeler plus particulièrement les noms de J. Baker, M. Baldassarri, M. Bompaire, D. Castrizio, F. Catalli, M. Chimienti, R. Ganganelli, G. Girola, L. Pozzi, R. Rossi, G. Ruotolo. 116

L’ouvrage est clôturé par une vaste bibliographie qui s’ajoute à celles accompagnant chaque contribution, ainsi que des index très pratiques et utiles, notamment celui des noms de lieux et de personnes. Cette publication est destinée à demeurer un très important ouvrage de consultation et une base permanente de recherche et de référence pour des études ultérieures. Les photos qui enrichissent les diverses contributions sont peu nombreuses, mais très belles. Malheureusement, la maniabilité de l’ouvrage n’est pas très aisée : l’éditeur – Libreria dello Stato, Rome, qui jouit d’une renommée affirmée pour des éditions de luxe – aurait dû le subdiviser en trois volumes plutôt qu’en deux. Gaetano Testa

__________ [9] Concernant la localisation de l’Hôtel des Monnaies de Naples, la contribution de Ruotolo présente l’avantage de replacer dans le contexte de la ville moderne la toponymie résultant des textes anciens et qui était difficile à identifier. Lorsque l’atelier de Naples ﬔt ouvert en 1277/78, il ﬔt installé dans les cuisines du Castel Capuano (Castrum nostrum Capuanum de Neapoli) situé près du mur d’enceinte au nord-est de la ville. Sur les traces erronées du traité de Engel & Serrure sur la numismatique du Moyen Âge (vol. iii, p. 1385), nombre d’auteurs modernes (et ce n’est pas le cas de Ruotolo) confondent ce château avec le Castel dell’Ovo (Castrum Salvatoris ad mare, vulgariter appellatur Castrum Ovi) qui était situé en mer, à quelques dizaines de mètres du rivage, à cette époque un peu en dehors de la ville (l’actuel quartier de Santa Lucia). Dans ce dernier château, en 1278, ce n’était pas l’atelier monétaire qui était installé, mais le Trésor d’État.

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