Ken Broeders
VI. Neshrakavan
BD Must
« De ma jeunesse, me revient le souvenir de celui qui fut non seulement le stratège le plus courageux parmi tous les Empereurs, mais aussi un législateur éloquent et efficace. Il était tout entier dévoué à l’Empire, mais n’était pas adepte de la vraie foi. En effet, il vénérait plus de trois mille dieux. En renonçant à Dieu, il se montrait fidèle au monde auquel il appartenait. » - Prudence « Dans l’effort noble et admirable, il ne peut y avoir d’échec… » - Gaius Cassius Longinus -
Pour Renata Mes parents : Liliane & Benny Mon cher ami Mark Merci à mon frère de sang Erik pour toute son aide Et bien sûr à Claudia & Alex qui ont rendu cet album possible
Traduction française : Philippe Nihoul Relecture : Michel Eloy
ISBN 978-2-87535-372-6 • D/2018/13.231/03 © 2018 Le Fureteur sprl © 2018 Ken Broeders
Première édition en néerlandais sous le titre « APOSTATA - Neshrakavan »
BD Must www.bdmust.be
PRÉFACE Je ne me suis jamais beaucoup intéressé à la Rome
Claudius Julianus, l’Empereur romain , surnommé,
antique.
l’Apostat, le renégat.
C’est, sans doute, en grande partie dû à la médiocrité
Nous sommes au quatrième siècle après jesus-christ.
(c’est un euphémisme) des professeurs d’Histoire, qui
L’Empire romain a parcouru un long et tortueux
ânonnaient sans passion des listes fastidieuses de
chemin. Le christianisme , cette religion séditieuse
batailles et d’empereurs. Ils n’apportaient aucune valeur
autrefois combattue par le fer et par le feu (et par la
ajoutée à des manuels déjà médiocres eux-mêmes.
mastication féline…), est devenue la religion d’État officielle et le nouvel alibi pour persécuter et conquérir.
Dans le cas de Rome, je n’ai jamais réussi à différencier les Empereurs. À mes yeux, ils avaient tous fait les mêmes choses : assassiner leur famille, soumettre d’autres peu-
Julien a les plus extrêmes réserves envers ce culte qui
ples par plaisir et jeter des chrétiens aux lions, dans le
tient la souffrance en si haute estime. Il veut revenir à
Colisée. Enfant élevé dans la religion - comme la plupart
l’ancienne société païenne, où les dieux de toutes sortes
des enfants de l’époque -, la persécution des chrétiens
et de toutes formes cohabitaient en paix. Pour la
était la principale raison pour laquelle je ne portais pas
société dans laquelle il évolue, ce n’est ni plus ni
les Romains dans mon cœur : si j’avais vécu à leur
moins que de l’hérésie et de la haute trahison !
époque, j’aurais fini en pâtée pour gros chats. Dans ce monde à nouveau terrorisé par une religion J’ai donc été très surpris lorsque, dans les années 70, j’ai
d’asservissement, on ne peut, en tant que lecteur et
découvert la série de la BBC : « Moi, Claude, Empereur »,
personne sensée, s’empêcher d’éprouver de la sympathie
basée sur les livres de l’écrivain britannique et vétéran
pour ce visionnaire iconoclaste, frappé d’apostasie.
de la Première Guerre mondiale, Robert Graves. L’EmpeHistorique jusque dans ses moindres détails ,
reur Auguste y était joué par le très sous-estimé Brian Blessed, tandis qu’un tout jeune John Hurt y interpré-
et pourtant en partie fictionnelle , cette chronique est
tait un terrifiant Caligula, l’inégalable Derek Jacobi
brillamment illustrée par Ken Broeders. Il a réussi à y mettre tout ce qui fait un excellent livre : fascinant
campant Clo-Clo-Claude, le bègue empereur malgré lui.
et honnête , convaincu et convaincant et avec une Il y avait encore des programmes intéressants à
parfaite maîtrise de son sujet.
l’époque.
Dans un monde où le vide et l’apparence règnent en maître, son travail d’artisan est un profond soulagement.
Tout à coup, la Rome Antique prenait corps et devenait compréhensible. Elle prenait littéralement vie.
Comme un chroniqueur de l’époque aurait pu l’écrire,
Et les livres se révélèrent encore meilleurs que la série.
il mérite d’être élevé sur le pavois.
Depuis, j’ai lu de nombreux livres excellents sur des
Marvano - juin 2012
sujets qui, a priori, n’avaient aucune chance de m’intéresser. Sur les colonies pour mendiants et vagabonds, sur les fermes britanniques, sur l’élevage des poulets de race et même sur le cabillaud. Autant d’ouvrages dans lesquels on ne s’attend pas à découvrir des choses passionnantes. Personne ne peut résister à une histoire originale bien racontée. Hélas, aujourd’hui, il manque souvent l’un des deux ingrédients, voire les deux.
Mais, de temps à autre, on découvre une petite perle.
Avec « Apostat », Ken Broeders a réussi à faire ce que Robert Graves avait réalisé : ramener l’ancienne Rome à la vie, grâce à angle d’attaque original. Dès la première page, le lecteur est plongé dans une histoire authentique, l’ascension et la chute du très méconnu Flavius
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L’envoyé perse parle grec pratiquement sans accent. Il loue Julien et rend hommage à ses nombreuses victoires dans l’Ouest lointain, où il a écrasé Chnodomar et ses barbares germains. Il assure le jeune Empereur que Shapur, roi des rois, ne veut que la paix Le prix de cette paix ? Qu’il soit fait droit à deux vieilles exigences perses : la cession des villes de Nisibis et Singara et la rupture de l’alliance de l’Empire romain avec le royaume d’Arménie. Julien assure l’envoyé que les Perses ne devront pas attendre sa réponse bien longtemps.
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Constantinople, capitale de l’Empire romain.
Julien est le nouveau César Auguste. Dès son accession au trône, il a surpris amis et ennemis par les grands changements qu’il opère dans l’administration de l’état et au sein d’une cour décadente. Corruption et gaspillage sont désormais bannis du palais impérial. Les complices des méfaits les plus graves commis par l’ancien empereur Constance II sont arrêtés et traduits en justice. Néanmoins, les représailles sanglantes et meurtres politiques, si courants lors des périodes de changement de régime, restent limités, au grand soulagement de tous. Mais, ce sont surtout les réformes religieuses qui causent des remous. Julien est bien décidé à restaurer les traditions et croyances religieuses de la culture hellénique. Il devient vite évident qu’il se dirige vers un conflit ouvert avec les influents chrétiens. De nombreux citoyens romains se demandent aussi si le nouvel Empereur est de taille à affronter le puissant Empire perse sassanide, que son roi Shapur II a lancé dans une politique expansionniste. Mais le danger est aussi tout proche. L’eunuque Eusèbe, ancien grand chancelier de Constance et adversaire aussi dangereux qu’implacable, s’est évadé de sa prison. Grâce à son réseau d’agents et d’espions, il reste introuvable pour ses poursuivants et semble s’être évanoui de la surface de la Terre.
Tiens, Maximus Ça faisait un moment
Mon noble César Auguste, les semaines et les mois que j’ai passés loin de ta lumineuse présence m’ont semblé bien pénibles. Je savais que les dieux tout puissants t’assureraient la victoire. Sinon, je ne me tiendrais pas, là, devant toi. Tu sais que ton humble serviteur Maximus…
...n’avait aucune envie de perdre sa tête si, d’aventure, Constance nous avait vaincus ! Quel que soit l’endroit où tu te terrais Tu aurais mieux fait d’y rester, charlatan !
Sois assuré que, pendant que tu émerveillais le monde par tes hauts faits, ton humble serviteur s’est entièrement dévoué pour que les dieux te soient favorables… Qu’ils veillent à ce que tu voles de victoire en victoire…
Ah, c’est donc grâce à toi que Julien est sur le trône ?
Rien n’arrive sans raison, médecin… Les dieux décident où et quand nous sommes les plus utiles
La campagne s’est achevée avec la mort de Constance. Pourquoi ne nous as-tu pas rejoints alors ?
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C’est pourquoi Milius est envoyé pour donner la mort aux infâmes ennemis de notre bien-aimé César Auguste. Et toi, Oribase ?
Et moi… Moi, je ne suis qu’un simple et humble messager… à qui les dieux parlent parfois, au moment le plus inattendu !
Tu veilles sur la santé du jeune César…
… en lisant dans le pot de chambre impérial…
C’est ainsi que, me trouvant dans la splendide cité d’Éphèse, j’y ai rencontré une négociante arménienne restée fidèle aux anciens dieux. Elle m’a donné des nouvelles de son pays natal… Des nouvelles très intéressantes…
As-tu déjà entendu parler de la ville de…
Neshrakavan ?!
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Quel combattant ! Mets-leur une raclée, Guntheric !
Que dis-tu de lui, Eusèbe ? Belle bête, non ?
Mon monstre goth à moi !
En effet, c’est une créature impressionnante, mon prince. Mais, je pensais que les évêques* d’Arménie désapprouvaient désormais ce genre de spectacle ?
Les combats de gladiateurs, comme au bon vieux temps, ne sont plus guère appréciés…
Mais, nous n’utilisons que des gourdins, mon cher ! Nous nous amusons gentiment, comme des gens civilisés. Les morts sont très rares…
Vas-y, Guntheric ! Brise-le ! Brise-le ! Ah ah ah ! * L’Arménie est le premier pays au monde à avoir reconnu le christianisme comme religion d’État, en 301.
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Je suis heureux qu’il te plaise, parce que je vais le nommer commandant en chef de ma future armée !
C’est effectivement un vrai monstre goth…
Qu’en dis-tu ?
aouw!
?!
Chaque fois que je pense à ce que je pourrai faire avec cette armée, j’ai une érection !
Araxi ! Viens avec moi !
C’est la plus jeune fille d’un vassal à qui j’ai dû rabattre le caquet…
C’est une brave fille… Mais je n’ai aucune intention de l’engrosser… Heureusement que je suis inventif…
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Aaah… Les frères Huns… Je hais les Huns !
Garde ta bourse, grosse tête ! Je vais me les faire pour le plaisir !
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Tout le monde à Neshrakavan a déjà eu vent d’étranges histoires circulant sur ces mystérieux jumeaux huns. Ils seraient les fils d’un homme de la steppe fruste et brutal. Un adorateur du diable qui approvisionnait en eunuques les marchés de l’Empire et de Perse. On prétend que, par vengeance, l’une de ses victimes, qui entre-temps avait gagné prestige et pouvoir à la cour impériale, aurait volé ses enfants pour les élever comme les siens…
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je ne voudrais pas que mon…
Par tous les diables ! Que se passe-t-il, ici ?!
Ne t’inquiète pas, ils l’ont taillé en pièces !
Prince Neshrak… Votre armée… sera armée, habillée et nourrie grâce à mon or.
Comment se débrouillent-ils… ?
Mon or !
Très bien... Mais quand commençonsnous notre guerre ?
C’est donc moi qui déciderai qui il faut mettre à sa tête. Sommesnous bien d’accord ?
Dès que notre armée sera assez nombreuse et prête au combat. Avec l’aide des Perses, nous jetterons votre oncle à bas du trône et vous deviendrez le nouveau roi d’Arménie. Ensuite, nous conclurons une alliance avec les Perses…
Et soutiendrons leur guerre contre Rome !
Contre Julien !
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Un enfant... cet homme est un grand enfant
Shapur, roi des rois, te sera si reconnaissant de notre aide que, sans aucun doute, il agrandira le territoire de l’Arménie… Tu seras honoré comme ton oncle n’a même jamais osé rêver de l’être. Tu seras le plus puissant souverain que l’Arménie ait jamais connu !
Neshrak le Grand… Et… Et racontemoi encore à quel point le roi de Perse me sera reconnaissant ?!
Neshrak le Grand... ?!
D’accord, Eusèbe ?
Neshrak le GranD...
Ici… Son collier de barbe… Peut-être que ça vaut quelque chose…
Neshrak le Grand...
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Neshrakavan se trouve dans une sorte de no man’s land entre l’Empire perse et le royaume d’Arménie…
quartier commercial camp de tentes arène
agora vieille ville
citadelle
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Par la grâce de liens familiaux complexes et d’obscures traditions claniques, la ville appartient provisoirement au prince Neshrak, apparenté à la famille royale arménienne. Depuis son arrivée, la plupart des habitants ont fui en toute hâte cette région aride et désolée. Cela ne semble pas émouvoir le prince qui s’est empressé de rebaptiser la ville à son nom.
À Neshrakavan, quiconque est prêt à combattre pour le prince voit tous ses méfaits passés pardonnés. Il n’en faut pas plus pour que voleurs, aventuriers, meurtriers et mercenaires de tout poil affluent par milliers pour trouver refuge dans la vieille ville surpeuplée ou dans le camp de tentes en expansion permanente qui s’étend au-dehors des murailles branlantes. Si la garde royale assure l’ordre à l’intérieur des murs, c’est la loi du plus fort et l’anarchie qui règne dans le camp. Cependant, grâce à l’or d’Eusèbe et l’aide de quelques mercenaires sans foi ni loi, cette horde indisciplinée se mue peu à peu en véritable armée.
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non ! arrĂŞte ! Je t'en supplie ... aide-moi !
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Oh ? Qu’estce que… ?!
Encore une secousse !
Tiens, tiens… Regardez ce que j’ai capturé ?! Le loup du César Julien… Hé hé hé !
Je ne m’y habituerai jamais ! Ça me fout la chair de… ?!
Pas de geste brusque , Milius… Sinon cette lame acérée mettra fin à ta misérable vie… Snif… Snif… Julien, je t’en supplie… Ne laisse pas faire ça… Tu ne peux pas !
En tout cas, tu n’as pas été difficile à trouver… Par tous les vieux démons ! Le vent apporte ta puanteur de loin !
Ces hommes ont été jugés et condamnés, Oribase… La sentence doit être exécutée
Ces « malheureux », comme tu les appelles, Oribase, sont tous complices du meurtre de ma famille. Ils ont du sang sur leurs mains.
C’est toi qui as choisi leurs juges ! Ces malheureux n’avaient pas la moindre chance… et…
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Ce n’est pas la justice, c’est de la vengeance pure et simple ! Et je ne veux rien avoir à faire avec ça !
C’est mon rôle d’Empereur que de faire appliquer la loi…! C’est ce que Constance aurait fait, Julien ! Tu dois être un César Auguste différent ! Si tu n’y prends pas garde…
Que se passera-t-il ? Parle, médecin !
Tu deviendras un autre Constance, voire pire… un nouveau Chnodomar ! Ceci restera une tache indélébile sur ton règne !
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Jovianus ?! Assez ! Fais tout arrêter !
?
Jovianus !
Mon César Auguste ?
S-Suspends les exécutions ! Immédiatement ! Tu m’entends ? Arrête tout ! Qu’Hélios me pardonne ! Oribase a raison…
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