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Fécamp 1906
from Marquet au Havre
by Octopus
1906 Fécamp
Quand Albert Marquet et Raoul Dufy arrivent à Fécamp en 1906, la cité des terre-neuvas ne constitue vraisemblablement pas une terre inconnue pour eux. Dufy se remémore en effet, dans un courrier adressé à leur ami commun George Besson, à la fin de sa vie : « Dans l’été 1904, nous étions Marquet et moi allés passer une journée aux régates à Fécamp pour y peindre1 » Le Port de Fécamp de la collection Peindre en Normandie (cat. 19) est possiblement exécuté durant ce séjour. Marquet passe cet été-là un mois dans le port de pêche de Fécamp et s’installe dès la fin juillet au café Duhamel2, au 5 du quai de la Vicomté (repr. ci-dessus). L’établissement, qui propose à la location des chambres meublées, ouvre ses fenêtres sur l’avant-port. Mais dès le 24 août, Marquet écrit à Henri Manguin qu’il rentrera à Paris la semaine suivante, « n’ayant rien foutu de mon été ». Contrarié par le vent normand, Marquet quitte donc Fécamp à la fin août pour rejoindre la capitale : « Je suis à Paris depuis quelques jours pas fâché d’être de retour. Malgré la beauté du pays, n’ai rien fichu à Fécamp, un temps très contrariant et un sacré vent qui a cassé comme une allumette mon grand chevalet belge, pourtant bien solide, dégoûté, je suis parti3 » Malgré cette assertion, Marquet revient de Fécamp avec une belle moisson de toiles, dont certaines, telle Fête de gymnastique à Fécamp, de l’ancienne collection de Georges Dussueil au Havre, restent à localiser.
Le Port de Fécamp (cat. 24), peint des fenêtres du café Duhamel, nous donne à voir l’avant-port de Fécamp. À droite, on reconnaît le Grand Quai. Au sommet de la côte de la Vierge, caractérisée par une haute falaise herbeuse, la silhouette gracile du phare de la Vierge et celle massive et sombre de l’église Notre-Dame-du-Salut se découpent sur le ciel mouvant de Normandie. La cheminée rouge du navire caractérise un remorqueur, possiblement l’Hercule quand on reconnaît la silhouette d’un dundee, armé pour les campagnes du hareng ou du maquereau.
Au contraire, dans Le Port de Fécamp (cat. 21) des collections du musée de Quimper, Marquet s’inscrit de plain-pied dans le paysage portuaire en peignant le chantier naval du premier plan. En effet, plusieurs chantiers de construction navale sont alors installés à l’extrémité du boulevard des Bains, sur la digue qui ferme l’avant-port. Les bois tors aux lignes mouvementées destinés à la carène du bateau s’accumulent sur le quai. Marquet décale son angle de vision par rapport au dessin préparatoire pour dégager une perspective sur le bassin. L’écluse qui occupe le centre du tableau donne accès au bassin Bérigny. Le clocher néogothique de l’église Saint-Étienne domine, avec les mâts, la composition baignée par la froide lumière du matin.
Marquet déploie dans La Plage de Fécamp (cat. 20) une palette éclatante, avec des bleus vifs et des vermillons. Une grande diagonale sépare la composition en deux parties inégales, où celle de droite est envahie par la mer et le ciel. Deux marins contemplant la mer et les falaises crayeuses qui la bordent dominent la gauche de la composition. Leur regard accompagne celui du spectateur. Cette forte présence humaine est assez inhabituelle chez le peintre. La toile sera achetée par le conservateur Paul Jamot.
Par ailleurs, Marquet et Dufy profitent de leurs derniers jours en Normandie pour aller à Trouville et se promener à Honfleur. Seules deux œuvres de Marquet témoignent de ce passage à Trouville : Les Affiches à Trouville (fig. 37) et le Bassin des yachts . Les deux artistes se saisissent tous deux du paysage bariolé offert par une palissade recouverte de panneaux publicitaires, non loin de la plage 4
Marquet expose cinq œuvres exécutées lors de son séjour normand parmi les huit présentées au Salon d’automne qui ouvre ses portes le 6 octobre de cette année 1906 : 14 juillet (nº 1130), Trouville (nº 1133), Port de Fécamp (nº 1134), Plage de Fécamp (nº 1135) et Bassin au Havre (nº 1136). Plusieurs sont remarquées par la critique. Dès l’ouverture du salon, le critique Louis Vauxcelles s’exclame ainsi, enthousiaste : « Marquet. Ah ! le beau peintre. En voilà un qui sait où il va et qui va où il veut. Libre à la fois et sûr de son métier, narrateur exempt de prolixité. La limpidité de l’eau tremblotante, la qualité d’atmosphère, l’établissement, la densité des masses, la solidité des terrains, en un mot tout est de premier ordre5 » Son confrère Paul Jamot écrit quelques semaines plus tard : « M. Marquet est dès maintenant un talent certain. Une vision franche et rapide, la décision des perspectives, la justesse des plans, la forte simplicité de la couleur classent au premier rang, parmi les paysages de ce Salon, ses vues de Paris et du Havre, son Port de Fécamp avec la carène jaune d’un navire en chantier sous le soleil de midi, et surtout sa Plage de Fécamp, où les distances et les valeurs sont établies avec la plus éloquente sûreté6 »
Fécamp - Vue sur le port Carte postale, vers 1900 Archives départementales de la Seine-Maritime
Du 7 au 30 novembre 1906, Marquet expose à la galerie Berthe Weill, à Paris, aux côtés de Camoin, Derain, Manguin, Matisse, Puy et Van Dongen, cinq œuvres dont un paysage de Fécamp et un Bateau pavoisé au Havre Quelques mois plus tard, en février 1907, le jeune peintre bénéficie de sa première exposition monographique, à la galerie Druet, avec trente-neuf œuvres dont neuf vues normandes : Port du Havre, deux Bassin du Havre, Bassin du Havre, 14 juillet, Le Havre, Rue du Havre, Plage du Havre, Trouville et Port de Fécamp.
Le 29 décembre 1906, Le Port de Fécamp (cat. 21) est acquis par l’État et déposé, à la demande de l’artiste, au musée du Havre. Mais le conservateur Alphonse Lamotte, qui s’est déjà farouchement opposé à l’acquisition trois ans plus tôt de deux toiles de Camille Pissarro, trouve là un nouveau cheval de bataille et n’a de cesse de se débarrasser du tableau. Cédant finalement aux injonctions de Lamotte, le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts demande en 1913 la restitution de l’œuvre avant de l’attribuer au musée de Quimper, privant ainsi le musée du Havre d’une belle œuvre fauve.
1 Lettre de Raoul Dufy à George Besson, 7 janvier 1948, bibliothèque municipale de Besançon, fonds Besson, Ms Z 639.
2 D’après un courrier envoyé à Henri Matisse, archives Matisse.
3 Lettre d’Albert Marquet à Henri Matisse, Paris, 4 septembre 1906, citée dans Claudine Grammont (éd.), Matisse-Marquet, correspondance, 1898-1947, Lausanne, La Bibliothèque des arts, 2008.
4 Raoul Dufy, Les Affiches à Trouville, 1906, huile sur toile, 65 x 81 cm, Paris, Centre Pompidou, MNAM/CCI, inv. AM 3417 P (fig. 38) et Albert Marquet, Les affiches at Trouville, 1906, huile sur toile, 65,1 x 81,3 cm, Washington, National Gallery of Art, inv. 1998.74.1 (fig. 37).
5 Louis Vauxcelles, « Le Salon d’automne par Louis Vauxcelles », Gil Blas, 5 octobre 1906.
6 Paul Jamot, « Le Salon d’automne », Gazette des beaux-arts, 1er décembre 1906, p. 480-481.
Cat. 19
Albert Marquet
Le Port de Fécamp, 1904
Huile sur toile, 38,2 x 46 cm
Collection Peindre en Normandie
En dépôt aux Franciscaines, Deauville Inv. PN 995.6.1
Cat. 20
Albert Marquet
La Plage de Fécamp, 1906
Huile sur toile, 50 x 60,8 cm
Paris, Centre Pompidou, MNAM/CCI
Inv. AM 2429 P, legs Paul Jamot, 1943
Cat. 21
Albert Marquet
Le Port de Fécamp, 1906
Huile sur toile, 65 x 81 cm
Quimper, musée des Beaux-Arts
Dépôt du Centre National des Arts Plastiques Inv. FNAC 2039