Architecture Sociale e Sensorielle

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ARCHITECTURE SOCIALE ET SENSORIELLE Un outil de lien entre l’homme et son habitat

Dussud Benjamin

Rapport d’études encadré par Sheryne Gasnier 2015 - 2016


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Sommaire Introduction - p.5 I. Situation sociologique et accompagnement social par l’architecture - p.7

A. Le milieu comme socle des structures sociales - p.7

- Philosopher en architecture — L6H3 — Cécile Bonnico-Donato. Réflexion autour de l’habiter à partir du texte « Bâtir, Habiter, Penser » de Martin Heidegger 1951 - p.8 - Studio de projet «  Complexité et Morphogenèse architecturales et urbaines (CMAu-G) » dirigé par Paul Emmanuel Loiret — L5A. Morphologie architecturale à partir du programme et du site par une étude technique de leurs atouts et contraintesp.10 - Studio de projet « Dimension constructive dans le projet architectural » dirigé par Gilles Marty — L6A. Un refuge pour Edgar Allan Poe. Le site comme source de poésie pour le projet inspiré par les disciplines du land art et du paysagisme - p.11

B. Le rôle de l’architecture dans le processus d’évolution des

sociétés contemporaines - p13

- Ecriture d’un article « Coop Himmelblau, concrétisation et indice de continuité depuis 1968 » - L5H2 – dirigé par Julie Flohr. L’influence de la pensée sociale des années 1960 sur le processus de conception architecturale- p.15 - Réflexion sur la redéfinition de la halle de marché en lien avec les enjeux socio-


4| économiques d’un quartier. Participation au concours Acier 2015. Réhabilitation du Pondorly et questionnement à propos d’une transition politique et sociale à l’échelle d’une ville, celle de Paris. Participation au concours Wilmotte 2016 - p.16 - Studio de projet Julie Flohr – dirigé par Julie Flohr – L5A – Proposer de nouveaux modes de vie et d’habiter en partant d’un positionnement critique sur la ville. Quelle image pour la ville de demain ? - p.16

II.

Ambiances architecturales et situations corporelles - p.19

A.

Ambiances architecturales et perception subjective - p19

- Visite du Musée des Confluences de Lyon par Coop Himmelblau et lecture d’« Atmosphère » de Peter Zumthor. Comment le vécu ressentit dans l’architecture permet de créer un lien entre l’homme et son habitat - p.21 - Studio de projet Gilles Marty – dirigé par Gilles Marty – L6A – Une refuge pour Edgar Allan Poe. A partir de « La Poétique de l’espace » de Gaston Bachelard, mettre en scène des ambiances architecturales - p.22

B.

La forme créatrice d’ambiances, plasticité sensorielle - p25

- Visite du Guggenheim Museum de Bilbao — Expérience sensorielle en lien avec la forme architecturale - p.25 - Studio « Architecture pour un urbanisme infrastructurel ».dirigé par Julie Flohr L6A - Conception d’un bâtiment public à partir de la modélisation et de la transformation numériques d’une théière. Approche politique de la question de l’implantation et de la conception architecturale - p.26


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- Studio de projet Gilles Marty — dirigé par Gilles Marty — L6A – Un refuge pour Edgar Allan Poe. Composition formelle et concept architectural. Le vestige puis la ruine - p.28

Conclusion - p.38 Bibliographie - p.39


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Introduction Et si les hommes avaient perdu les repères qui leur permettaient de trouver leur place au sein du monde ? C’est la question que je me pose depuis que j’ai commencé mes études en architecture. En effet, j’ai pu observer les dégâts de l’uniformisation des formes d’habiter et d’une architecture permissive sur nos environnements naturels et urbains. L’homme a dominé son milieu, se détachant par conséquent de ce qui constitue ses repères spatiaux. Car en oubliant les composants qui font les richesses du site sur lequel il s’installe, l’homme provoque un décalage entre son milieu et son habitat. Malgré cela, l’homme est pourtant un être situé. Par sa corporéité, il échange des informations avec ce qui l’entoure et réagit en fonction de ces dernières. Son intelligence, qui lui permet entre autres d’habiter le monde et de le construire selon ses croyances et instincts, le situe dans un rapport avec la société et ses congénères. Si l’on en suit la logique, l’homme est donc un être conscient capable de s’interroger sur lui-même et donc de devenir acteur du monde dans lequel il vit. Ma vision de l’architecture est donc celle d’une conciliation, pour ne pas dire réconciliation, entre l’homme et le monde, tant sur le plan physique que sur le plan social. En se plaçant comme conciliateur entre ces deux parties qui semblent aujourd’hui brouillées, l’architecte doit trouver des solutions liées à l’ambiance et la spatialité qui permettent notamment à l’homme de retrouver le lien avec le monde qui l’entoure et ainsi de redevenir « être au monde  » (traduction française de l’expression heideggerrienne d’« in-der-welter-sein »). On parle ici de dialogue qu’il est important de renouer et je crois que cela se joue par la conception d’espaces


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parlants, grâce à leurs formes, les ambiances qu’ils produisent ou le sens qu’il donne pour stimuler les sensibilités en chacun de nous. Afin de défendre cette vision de l’architecture, nous traiterons la pratique d’une architecture comme reflet d’une société. C’està-dire une architecture, qui stimule la conscience sociale de l’homme, lui permet de s’impliquer dans le monde qui l’entoure et donc de retrouver une meilleure compréhension de soi et de son environnement.

Par ailleurs, nous nous intéresserons à la production d’expériences sensorielles dans l’architecture. Grâce à la notion d’ambiances architecturales, nous explorerons comment je conçois la place de l’homme dans une spatialité qui génère en lui des sensations et fait ainsi naître une relation entre le physique et le psychique. Ainsi, il sera possible de comprendre le processus de conscientisation que produisent ces ambiances et de son impact sur le fonctionnement des sociétés.


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I.

Situation sociologique et accompagnement social par

l’architecture Si l’homme cherche sa place au sein du monde en tentant de résoudre la contingence de son existence et la finitude de son être, il est de plus un être placé au cœur d’une société. Cette société, formée d’un groupe d’individus au sein de structures spatiales et sociales organise nos modes de vie et provoque en nous un sentiment d’appartenance. Si l’architecte veut se placer comme médiateur entre l’homme et son environnement bâti, il me paraît prioritaire d’ajouter à la pensée architecturale une pensée sociologique profonde. Grâce à un point de vue plus précis sur les structures sociales, l’architecte engage sa discipline vers un devenir nouveau. En effet, si l’homme d’aujourd’hui ne cesse d’évoluer de plus en plus rapidement, l’architecture doit donc accompagner spatialement ces évolutions. A.

Le milieu comme socle des structures sociales

Au début des premières civilisations, l’installation d’une population dans un lieu déterminé était directement liée aux ressources qu’offrait ce site. Aujourd’hui, les évolutions et avancées technologiques, le développement de la mondialisation et des grandes villes me paraissent être la cause de la création d’une distance entre l’homme et son milieu. En effet puisque tout est aujourd’hui disponible facilement, l’attention aux phénomènes naturels ou à des caractéristiques d’un site a été effacée. Nous ne nous servons plus des ressources naturellement présentes


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autour de nous pour concevoir nos habitats. Malgré le fait qu’une grande partie du capitalisme mondial maintient cette course folle aux rendements et au profit, les dégâts sur l’environnement mondial ont poussé certains d’entre nous à remettre en cause nos façons de concevoir. Pour une nouvelle génération d’architecte, il est aujourd’hui indéniable que la prise en compte du site dans la conception d’une bonne architecture est un paramètre majeur pour l’architecte. Alors, comment intégrer intelligemment ce site qui semble si important pour concevoir ? Car les composantes sont innombrables et les approches extrêmement diverses. Philosopher en architecture — L6H3 — Cécile Bonnico-Donato. Réflexion autour de l’habiter à partir du texte « Bâtir, Habiter, Penser » de Martin Heidegger 1951.

Heidegger rapprochait les étymologies allemandes des mots «  construire  » (bauen) et «  prendre soin  » (buan) pour montrer l’importance du rapport au monde dans la conception de l’habiter. Le projet architectural n’est alors que le fruit du site permettant à son occupant de trouver une place singulière sur la Terre. L’architecture devient alors un moyen d’apprivoiser un monde parfois hostile, de le comprendre et d’apprendre à le respecter. Au travers d’exemple tel qu’Alvar Aalto ou bien Franck Lloyd Right, j’ai compris que l’architecture se plaçait dans un dialogue particulier avec son environnement d’implantation. Les formes, les espaces ou bien la matérialité expriment et mettent en exergue la puissance du site. Se sont ouvert à moi une multiplicité de questionnements face à un discours riche de sens et pourtant peu précis sur l’attitude à adopter en tant qu’architecte. Car cette


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attention au site ne peut être universellement définie étant donné l’infinité de cas spécifiques que l’architecte peut rencontrer au cours de sa carrière. Si l’on veut combattre efficacement cette uniformisation qui cherche à nous faire croire que l’on peut poser une boîte à n’importe quel endroit sur Terre, il est impératif de mettre en œuvre des moyens qui nous sont propres pour dialoguer avec notre environnement. Bien que la conscience collective doive nous dire qu’il faut prendre en compte le site dans la conception du projet, c’est aussi notre propre sensibilité qui déterminé les éléments que l’on prend en compte pour concevoir. Car nous devons faire face à des contraintes naturelles très diverses et il m’est apparu alors que leur maîtrise totale — bien que complexe — était nécessaire pour répondre aux enjeux contemporains. Durant deux années et deux studios de projet, j’ai approché deux façons de prendre en compte le site dans le processus de conception. Chacune d’entre elles m’ont semblé porter génératrices de projets. Studio de projet « Complexité et Morphogenèse architecturales et urbaines (CMAu-G) » dirigé par Paul Emmanuel Loiret — L5A. Morphologie architecturale à partir du programme et du site par une étude technique de leurs atouts et contraintes.

L’approche du studio CMAu-G envisageait l’environnement comme une richesse davantage technique du site. L’architecture est active par le fait que sa forme ou bien ses composants architectoniques réagissent avec l’environnement naturel. À partir d’une étude des caractéristiques matérielles et immatérielles du milieu, l’enjeu fut d’exploiter au mieux ces derniers afin d’intégrer l’architecture dans les mécanismes déjà présents. La nature nous offre bien


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plus que les moyens technologiques qui se répandent aujourd’hui dans la construction. Dès lors, j’ai compris que le site n’offrait pas seulement une vue, un cadrage ou bien un ensoleillement comme voudrait le faire croire les constructeurs, mais faire partir du projet pour offrir à ses occupants une harmonie avec leur environnement. Studio de projet « Dimension constructive dans le projet architectural » dirigé par Gilles Marty — L6A. Un refuge pour Edgar Allan Poe. Le site comme source de poésie pour le projet inspiré par les disciplines du land art et du paysagisme.

La sensibilité est personnelle à chacun de nous. Tout le monde ne regarde pas le monde de la même manière. C’est avoir une personnalité marquée qui amène l’architecte à agir selon ses convictions et son propre imaginaire. La littérature, la peinture ou bien encore le land art montre la poésie qui existe dans les milieux naturels ou urbains que fréquente l’homme. Au travers de la conception de ce refuge, l’architecture tisse un lien intime avec le paysage et les éléments du site. De l’échelle de quelques centimètres à celle de plusieurs kilomètres le projet se nourrit, prend corps avec son environnement pour trouver du sens. La notion de concept, c’est elle qui guide le projet vers une réelle intention architecturale. C’est la maîtrise de l’architecte qui détermine ce qui sert le projet et donc c’est à lui de saisir les éléments autour de lui pour concevoir un bâtiment offrant du sens pour l’occupant et pour son lieu d’implantation. Ainsi, l’architecture se place ici, comme le pont entre l’homme et le milieu. Car si sa conception est liée à une histoire ou à un


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phénomène significatif qui compose ce site, l’homme qui tissera un lien sensoriel avec l’architecture ne pourra que trop se sentir en connexion avec le monde, avec le site. Il y a un paradoxe difficile à comprendre mais relève néanmoins de la complexité dans laquelle s’est plongée la pensée humaine ; aujourd’hui, tout le monde s’émeut devant la beauté d’un paysage, devant les lumières d’une ville charmante, bon nombre d’entre nous s’indigne face aux dégâts générés par l’homme dans sa course à l’argent, et pourtant nous avons la capacité à oublier tout cela lorsque nous décidons de nous installer pour vivre. Alors le rôle de l’architecte n’est-il pas montré à tous que l’on peut habiter ce monde si merveilleux ? Qu’il est possible d’éviter ces catastrophes simplement en faisant un pas vers le monde, en l’apprivoisant ? C’est le rôle de l’architecture que de faire se rencontrer le monde et l’homme. Et c’est un enjeu qui ne pourra être atteint que lorsque nous aurons trouvé comment vivre en société avec les enjeux qui sont les nôtres. B.

Le rôle de l’architecture dans le processus d’évolution des

sociétés contemporaines. Le développement des grandes villes nous a coupés du milieu dans lequel nous vivons, mais a également brouillé les liens que vous pouvions entretenir pour vivre ensemble. Les enjeux sont devenus plus complexes et comprendre la société qui nous entoure n’est plus aussi facile qu’auparavant. D’un côté, on pourrait voir cela comme l’opportunité pour chacun d’entre nous de voir le monde tel que nous le souhaitons, une sorte de liberté de penser et de


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s’exprimer qui offre au genre humain une magnifique richesse. Mais d’un autre côté, lorsque cette multiplicité de pensées est poussée trop loin, nous finissons par entretenir des liens seulement avec ceux qui nous ressemblent et c’est la fin du vivre ensemble. Chacun de son côté veut vivre tel qu’il l’entend, méprisant l’autre. Depuis les années 1960, on a vu apparaître en architecture des influences qui sortaient de ses champs d’applications. Les sciences humaines ont pris une part importante dans le processus de conception afin de lutter contre les grands ensembles. Pour accompagner la société dans son évolution constante, l’architecture doit pouvoir jouer un rôle inscrit dans un temps, et non pas dans une époque. L’époque implique un instant figé, donné. Je pense donc que pour pouvoir faire changer les modes de vie, la conception architecturale doit prévoir les transformations liées aux mutations des sociétés. Ecriture d’un article « Coop Himmelblau, concrétisation et indice de continuité depuis 1968 » - L5H2 – dirigé par Julie Flohr L’influence de la pensée sociale des années 1960 sur le processus de conception architecturale.

Ne plus placer l’architecture dans des sphères incompréhensibles pour le profane, l’installer au milieu de la foule. Regarder cette foule, en comprendre ses singularités voilà une nouvelle occupation pour l’architecte. Elle n’est pas futile ; elle nous sert à concevoir des espaces porteurs de sens pour une société elle-même porteuse de cultures, de traditions, de croyances. C’est là que l’architecte se doit d’être un peu sociologue. Car les modes de vie et l’évolution constante de la société sont des matières à construire pour l’architecte. Ces composants sociaux sont imprégnés dans ce qui


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fait l’environnement de construction ainsi que chez les Hommes qui habitent les alentours du projet à concevoir. Depuis les années 1950 et l’architecture selon les Smithson, on a rapproché la discipline de ceux pour qui elle était destinée. Le rôle de l’architecte a évolué, il est devenu plus proche des attentes d’une société. Réflexion sur la redéfinition de la halle de marché en lien avec les enjeux socioéconomiques d’un quartier. Participation au concours Acier 2015. Réhabilitation du Pondorly et questionnement à propos d’une transition politique et sociale à l’échelle d’une ville, celle de Paris. Participation au concours Wilmotte 2016

Le concours est souvent le moyen de sortir du cadre scolaire, de développer sa propre pensée pour répondre à des sujets qui font sens en nous. Ces deux concours sont assez proches au sens où ils m’ont forcé à me poser plusieurs questions à propos du rôle de l’architecte aujourd’hui. Les modes de vie et la culture d’un lieu sont des éléments importants pour concevoir un bâtiment. Si le site nous apporte un socle de conception solide, saisir ce qui fait l’identité d’un quartier ou d’une région est la première pierre à l’édifice. Il est alors primordial de pouvoir porter un regard concret et sincère sur ces caractéristiques identitaires afin de se constituer un positionnement critique face à ces observations. Il est ainsi possible de proposer des solutions en lien avec la valorisation des aspects fondateurs d’une culture. Studio de projet Julie Flohr – dirigé par Julie Flohr – L5A – Proposer de nouveaux modes de vie et d’habiter en partant d’un positionnement critique sur la ville. Quelle image pour la ville de demain ?

Si la société évolue aussi vite qu’on le prétend, l’architecture doit


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se développer dans ce sens. Se forger une opinion sur le mode dans lequel on construit engage ainsi l’architecte à se poser la question de quelle fonction donnée à son bâtiment. Car bien qu’il y ait une commande, parfois extrêmement précise dans certains cas, la façon de vivre l’espace dépend du positionnement que s’est fait l’architecte du lieu dans lequel il s’implante. En plaçant le projet en dehors des découpages parcellaires de Grenoble, j’ai été amené à me demander ce que cette architecture pourrait apporter à ce quartier et pour quoi, en le plaçant ainsi, il ferait changer la vision que l’on aura du quartier ? Il m’a néanmoins semblé indispensable de faire naître des ce projet un certain nombre de modes de vie intimement liés à ce qui fait l’identité du quartier. L’architecture joue donc un rôle social, voire même sociétal, pour l’homme puisqu’elle se place comme la continuité et l’accompagnateur de ses évolutions et propose ainsi une image plus raisonnée de la place de l’homme dans la ville, dans le monde. Il est donc temps de repenser les organisations spatiales des villes afin qu’elles collent davantage aux nouveaux enjeux urbains. Nous avons vu ainsi que, par une architecture en lien avec les changements sociaux et l’évolution des modes de vie, cette discipline se place comme un réel média entre l’Homme, constitutif d’une société, et l’urbain. Ainsi mieux comprendre les nouvelles organisations urbaines passe par la découverte de nouveaux moyens de vivre et passe donc par de nouveaux espaces de vie. Cela passe donc par l’architecture. En tant que futur architecte, il me paraît important d’intégrer à ma pratique le recul nécessaire


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pour faire naître des espaces riches de sens et liés tant à l’environnement, avec toutes les richesses qu’il peut apporter au projet, mais également liés à la compréhension de la société. En outre, développer une architecture en lien avec la sociologie et l’anthropologie. En cherchant à conscientiser les populations face aux enjeux du monde d’aujourd’hui, l’homme en tant qu’entité physique dotée d’une sensibilité doit être une matière de plus à construire.

II.

Ambiances architecturales et situations corporelles Selon moi, concevoir un espace qui est porteur de sens, c’est concevoir des ambiances. Ces ambiances sont liées à la perception que l’on se fait de l’environnement bâtit ainsi qu’au ressenti de cela nous évoque. On ressent quelque chose physiquement, qui éveille en nous des émotions, des sensations. Ainsi, en stimulant ces émotions par l’expérience sensorielle, nous sommes capables de trouver notre place dans le monde comme le décrit Heidegger dans son texte « Bâtir, Habiter, Penser ». 1. A.

Ambiances architecturales et perception subjective

En concevant une architecture à partir d’ambiances spatiales, l’architecte influe grandement sur les comportements physiques ainsi que sur les ressentis sensibles de ceux qui vont vivre son architecture. Nos corps réagissent à ce qui nous entoure et nous


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tissons un lien entre le physique et le psychique pour éprouver des sensations. Il y a donc, dans ce principe deux notions qui constitue la base de nos perceptions des ambiances qui sont les capacités sensorielles du corps et le vécu singulier, propre à chacun. Visite du Musée des Confluences de Lyon par Coop Himmelblau et lecture d’« Atmosphère » de Peter Zumthor. Comment l’expérience du vécu permet de créer un lien entre l’homme et son habitat ?

L’espace architectural se vit comme une expérience. En pénétrant dans un lieu, on perçoit les volumes, on dialogue de manière sensorielle avec ce qui fait les limites de l’architecture ; l’enveloppe, la structure, l’espace. J’ai visité le Musée des Confluences de Lyon et c’est dans ce type d’espace qu’une expérience est permise d’être vécu. Les sons, la lumière et l’architecture déterminent des usages, appellent à un certain comportement. Les volumes surprennent, nous portent dans les airs. On vit l’espace simplement parce qu’il se montre à nous. La structure apparaît, filtrant la lumière, elle fait naître des questionnements, contraint le déplacement quand elle ne le libère pas. Cependant le langage architectural peut-être complexe et devenir inaccessible pour ceux qui n’ont pas l’œil aiguisé à cela. Alors quels sont les éléments qui peuvent faire sens en chacun de nous ? Comment concevoir des ambiances qui parlent au commun des mortels ? Car l’architecte détient ce rôle de concevoir des espaces et donc des ambiances pour ses occupants. C’est en lisant « Atmosphère » de Peter Zumthor qu’une piste m’est apparue. Cette notion d’ambiance en architecture est reliée au fait que chacun perçoive le monde différemment. Il y a donc une


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sensibilité singulière qui rentre en jeu dans la conception d’une ambiance sonore, lumineuse ou autre. Cette sensibilité n’est rien de plus que du vécu. Zumthor explique que l’on est touché par un espace et par ses qualités d’ambiance par le fait qu’il résonne en nous d’une certaine manière. L’ambiance invoque des symboles rattachés à une conscience collective ou même des souvenirs qui influent de manière importante sur notre comportement dans l’espace. Studio de projet Gilles Marty – dirigé par Gilles Marty – L6A – Une refuge pour Edgar Allan Poe A partir de « La Poétique de l’espace » de Gaston Bachelard, mettre en scène des ambiances architecturales.

Les ambiances architecturales sont donc liées à l’expérience du lieu, le souvenir ou le symbole qu’il fait résonner en nous. En tant qu’architecte, il est donc important de se servir de ses outils pour produire ces perceptions qui sont presque immatérielles. Comment avec des outils concrets, est-il possible de faire naître des ambiances fortes qui conviennent à ceux qui occupent une architecture ? En concevant le refuge lors du studio, j’ai été amené à expérimenter ces outils qui sont l’enveloppe, la structure et l’espace. La hiérarchie qui se joue entre ces trois éléments et qui fonde ainsi une partie du concept architectural porte le projet vers des types d’ambiances qu’il convient de maîtriser. Ce projet de refuge pour Edgar A. Poe impliquait des ambiances intensément chaudes et presque spirituelles. Ainsi l’enveloppe en béton procurait à l’architecture une matérialité forte sur le site et offre un dialogue singulier avec la nature et le paysage environnant. Une architecture autour du


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vestige et de la force à la fois de la pensée de Poe et de la nature du lieu. L’ambiance est donc concentrée dans ce tout qui est formé par l’enveloppe en béton, la matérialité de ce dernier et les proportions de l’espace, autrement dit, sa composition. Les ambiances sont donc indispensables pour concevoir des espaces mémorables capables de fournir à l’Homme les moyens de trouver sa place dans le monde comme dans la société. Composer ces espaces riches de sens pour l’imaginaire humain présente un intérêt fort pour ma pratique future de l’architecture. Néanmoins en prenant du recul sur ce type de productions architecturales, il semble qu’il y est aujourd’hui une prédestination pour le type de programme offert à cette architecture. En effet, produire de l’ambiance et des lieux marquants demande de la place et de l’argent. On offre alors ce type d’espace à des musées, des bâtiments publics, des grandes institutions ou des habitats de luxe. Mais produire ce type d’espace est-il forcement si gourmand financièrement ? Le monde dans lequel nous évoluons connaît de grands bouleversements. Les crises et la précarité touchent beaucoup de régions dans le monde et les richesses sont souvent trop mal réparties. En tant qu’architectes, nous devons offrir des lieux de vie épanouissants et sensationnels en tenant compte des enjeux extérieurs qui se jouent. C’est un questionnement qui m’intéresse et que je souhaite développer dans le futur ; produire une architecture qui fait sens en chacun de nous et qui sort des domaines qui lui ont aujourd’hui assigné.


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B.

La forme créatrice d’ambiances, plasticité sensorielle

Lorsque l’on conçoit des espaces architecturaux, il me semble essentiel de s’interroger sur la façon dont les occupants pourront vivre cette espace. En d’autres termes, l’enjeu est de comprendre comment l’utilisation de formes architecturales peut créer une Visite du Guggenheim Museum de Bilbao — Expérience sensorielle en lien avec la forme architecturale.

tension entre le corps de l’homme et le corps de l’architecture. Bien que mon souvenir soit lointain et plutôt flou désormais, je garde de cette visite un enseignement important pour la question de la forme architecturale. L’agencement des volumes, la tension qui naît entre eux et les espaces qui sont générés par ces masses immenses ont constitué les éléments fondateurs d’une expérience sensorielle forte. Outre le fait que ce bâtiment bouscule les idées reçues sur l’architecture, les visiteurs sont pris dans le tourbillon d’une architecture complexe et presque mystérieuse tant elle est surprenante par sa forme. On comprend ainsi que l’architecture englobe le corps humain par sa présence physique et donc formelle. Après être entré à l’école d’architecture et en repensant à ce souvenir, je comprends ce que le concept architectural permet de susciter tant sur le plan sensoriel que formel. Être au sein d’un espace c’est déjà vivre une expérience d’habiter particulières. Il y a donc bien une relation, palpable ou non qui se joue entre nous, notre entité physique et psychique, et l’espace, l’enveloppe


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Studio « Architecture pour un urbanisme infrastructurel » — dirigé par Julie Flohr — L6A — Conception d’un bâtiment public à partir de la modélisation et de la transformation numériques d’une théière. Approche politique de la question de l’implantation et de la conception architecturale.

architecturale qui nous entoure.

Mais la forme architecturale peut être abordée de manière bien différente. Les outils techniques disponibles aujourd’hui ont ouvert un champ extrêmement large de conception. En effet, depuis le début des années 1970, l’architecture s’ouvre au monde. Elle sort de sa zone de confort pour observer les us et coutumes de la société, mais aussi d’autres disciplines telles que l’art, l’ingénierie. Par ce fait, l’imaginaire est tout autre et de nouvelles connaissances entrent dans le processus de conception. C’est avec cette base historique marquant un tournant majeur dans le domaine architectural que j’ai abordé ce projet. Au travers de ces manipulations numériques de la théière qui nous ont amenés jusqu’à concevoir un bâtiment, j’ai vu la puissance de ces outils numériques dans la formalisation de l’architecture, mais également le danger qui réside dans la maîtrise partielle de la forme. Néanmoins j’ai vu apparaître des formes qui ne pourraient sûrement pas sortir d’une pensée rationnelle. Et ces formes, qu’il était difficile d’en juger leurs qualités esthétiques, ont suscité un intérêt fort pour moi lorsqu’il s’est agi de les insérer dans un tissu urbain complexe comme celui de Grenoble.


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Studio de projet Gilles Marty — dirigé par Gilles Marty — L6A – Un refuge pour Edgar Allan Poe. Composition formelle et concept architectural. Le vestige puis la ruine.

La forme est souvent le premier contact entre l’Homme et l’architecture. L’esthétique visuelle d’une architecture est donc importante ce qui dialogue en premier avec l’occupant. Ce dialogue doit être clair et expressif, mais aussi permettre une interprétation personnelle de la part de celui qui regarde le bâtiment. Pour le refuge, en développant le concept de vestige architectural, j’ai été amené à m’interroger sur la composition formelle à mettre en œuvre pour donner au bâtiment une apparence monolithique exprimant le vestige. Manipuler la forme et sa perception est donc un nouvel élément producteur de sensation. Par sa morphologie, l’architecture influe sur notre état d’esprit, notre vision du monde et de l’expérience qu’on s’apprête à vivre. Je pense donc que l’architecture est source et productrice de sensations. Elle permet de vivre une expérience. Expérience de son corps, de ses sens ou expériences de ses souvenirs, de ses émotions. Par la forme ou par des dispositifs sensibles qui la font vivre, l’architecture tisse un lien entre le monde physique et l’homme. Stimuler des ressentis, permet, à mon sens, de prendre conscience de notre environnement physique et ainsi de pouvoir agir dans une société en continuel changement.


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Conclusion Au cours de cet exposé, j’ai tenté d’exprimer ce qui pour moi constituait les grands enjeux de l’architecture. Au travers d’une recherche de sensations en lien avec la forme architecturale et avec le corps de l’homme, je pense que l’homme peut devenir conscient de son état d’être au sein d’une société et ainsi reprendre les rênes de ses décisions. Mais cela pose la question du rôle de l’architecte dans la société. Doit-il être simplement expert de sa discipline ou ne doit-il pas plutôt se placer comme un connaisseur de la société et de l’homme et donc devenir un peu philosophe ou un peu sociologue ? Je souhaite, à la suite de mes études d’architecture, m’orienter vers un master en sociologie, car il me semble important de pouvoir porter un regard précis sur les structures sociales qui forment les sociétés. De plus, mon année d’échange que j’effectuerais l’année prochaine à Sao Paulo sera pour moi l’occasion de confronter mes idées d’une architecture comme accompagnateur des sociétés au sein d’une ville aux enjeux urbains immenses et qui posent un grand nombre de question sur un grand nombre de thèmes. La conception d’espace sensibles et évocateurs pour l’imaginaire de chacun n’est plus réservée à la programmation qui lui est donnée aujourd’hui. Une nouvelle génération d’architectes, conscients des problèmes qui touchent le monde mais pleins d’espoir, fondent une nouvelle façon de concevoir. Les projets se tournent vers la société, vers l’homme,la plaçant à nouveau dans le processus d’élaboration du projet. Cette voie que je souhaite prendre engage la profession vers une interdisciplinarité dans le processus d’élaboration du projet. Une nouvelle façon de faire de l’architecture.


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Bibliographie ARAGON, Louis, «Le paysan de Paris», édition Gallimard, 1924 ARGAN, Guilio Carlo, «Urbanisme, espace et environnement», dans «L’histoire de l’Art et de la Ville», Paris, Les éditions de la Passion, 1995 BACHELARD, Gaston, « La poétique de l’espace », Les Presses Universitaires de France, 3ème édition, 1961, première édition en 1957, Collection Bibliothèque de philosophie contemporaine, Paris. BRIDOUX-MICHEL, Séverine, « L’œuvre ouverte en question, de l’architecture au projet urbain », Les cahiers thématiques, n°10, Lille, Ed. de la maison des sciences, 2010. CHOAY, Françoise, «Le règne de l’urbain et la mort de la ville», dans «La ville art et architecture en Europe», 1994 CORBOZ, André, «La Suisse comme hyperville», suite à une conférence d’avril 1997, FRIEDMAN, Yona, «Utopies réalisables», l’éclat de poche, Paris, 2008 (première édition en 1975) HEIDEGGER, Martin, « Bâtir, Habiter, Penser », Essais et conférences 1951 (Conférence prononcée au mois d’août 1951 à Darmstadt) Gallimard HUET, Bernard, «L’architecture contre la ville», dans AMC n°14, 1986 JENCKS, Charles, «The Language of Postmodern Architecture», The Sixth Edition, Etats-Unis, 1991 KIPNIS, Jeffrey, « A question of qualities. Essays in architecture », Cambridge, Massachusetts, MIT Press, 2013. PEZEU-MASSABUAU, Jacques, «La maison. Espaces réglés, espaces rêvés», édition Géographiques reclus, 1993 PIANO, Renzo, «La désobeissance de l’architecte», édition Arléa,


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2009 PIRON, Olivier, «L’urbanisme de la vie privée», édition de l’aube, 2014 RICCIOTTI, Rudy, «L’architecture est un sport de combat», édition Brocher, 2013 ROUILLARD, Dominique, Superarchitecture. Une autre histoire de l’architecture, Paris,Ed. La Vilette, 2004. SEGAUD, Marion, «Antropologie de l’espace. Habiter, fonder, distribuer, transformer», collection Armand Colin 2007 SITTE, Camilio, L’art de bâtir les villes, Paris, points essais,1996. VON-MEISS, Peter, «De la forme au lieu + de la tectonique: une introduction à l’architecture», Presses polytechniques et universitaires romandes 2012 ZUMTHOR, Peter, « Atmosphère », Edition Birkhäuser, Bâle, 2008 Crédit d’images: Images de couverture: Projet Philip Turner, AA School 2015 8

Alvar Aalto, Villa Mairea, Finlande, 1940. Photo par Archdaily

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Prise de site, projet du studio Gilles Marty, ENSAG, 2016

13

Gaming Oubliette, par Yah Chuen Shen, AA School, 2015

16

Musée des confluences, Lyon 2015. Photo personnelle

19

Image d’ambiance pour le concours Wilmotte 2016

23

Image d’ambiance du projet du studio Gilles Marty, 2016

26

Axonométrie éclatée pour le projet du studio Flohr 2015


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