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Ils/elles font la fierté de notre pays. Entretiens en tête-à-tête.

Myriam Leroy nous interpelle :

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Pourquoi a-t-elle été silenciée ?

Parce qu’elle était femme ?

Dans son nouveau roman au titre intriguant, « Le Mystère de la femme sans tête », Myriam Leroy ressuscite Marina Chafroff, résistante bruxelloise d’origine russe, décapitée à la hache à 33 ans durant l’Occupation, et grande oubliée de l’Histoire. Par là même, la romancière prend la défense de toutes les femmes humiliées, réduites au silence, reléguées à l’arrière-plan. Rencontre à la KBR à Bruxelles avec une autrice, combattante d’un autre type certes, qui lutte au quotidien contre les stéréotypes de genre, la misogynie et le sexisme.

Nous avons interviewé une première fois Myriam Leroy à la sortie d’« Ariane », le récit d’une relation siamoise entre deux ados du Béwé. C’était en 2018. En 2019, parait « Les Yeux rouges » où elle dépeint la mécanique glaçante du harcèlement en ligne. Avec « ADN », en 2022, création du Théâtre de la Toison d’Or (TTO), elle évoque sa propre histoire, celle d’une fille née d’un donneur de sperme anonyme.

Février 2023, à la faveur de la sortie de son nouveau roman, « Le Mystère de la femme sans tête », on recontacte Myriam pour un long entretien et un shooting-cover. Elle accepte, ravie.

Youpi ! On commençait à avoir le temps long…

Nous nous rencontrons à la KBR, la Bibiothèque Royale de Belgique qui conserve et gère quelque sept millions de documents. Ce lieu, Myriam, c’est vous qui nous l’avez suggéré. Pourquoi ? L’écriture de mon nouveau roman m’a amenée plusieurs fois à fréquenter la salle de lecture de la KBR, ainsi que les Archives de la Ville de Bruxelles. Le passé, la guerre, m’ont toujours paru abstraits. Mais peu à peu, au rythme de mes recherches journalistiques, en enquêtant sur Marina Chafroff, cette femme décapitée pendant l’Occupation, ce passé s’est matérialisé. D’une image fixe, celle de sa tombe au cimetière d’Ixelles, je découvrais graduellement un film animé... Je me suis prise de passion pour la KBR, le site physique, cet imposant bâtiment moderniste, et son site en ligne, qui est devenu une véritable obsession. Je rêve d’un nouveau projet qui m’oblige à nouveau à fréquenter la KBR avec assiduité.

L’écriture du « Mystère de la femme sans tête » a nécessité un travail journalistique et d’historienne... Oui, mais d’historienne avec un regard profane (rire). Les historiens ont des méthodes plus orthodoxes et professionnelles que les miennes, mais j’assume et revendique complètement les libertés prises avec le réel. Cela étant, c’est en effet la première fois que je me documente autant pour un roman. L’écriture de la pièce « ADN» avait nécessité des recherches mais sur un thème, la procréation médicalement assistée, plus contemporain, qui ne me demandait pas de compulser des tonnes d’archives. « Le Mystère de la femme sans tête », en revanche, c’est plus de deux ans de travail …

Marina Chafroff, jeune Russe exilée en Belgique, fut, sur ordre de Hitler, décapitée à la hache en 1942, pour avoir poignardé à Bruxelles un officier allemand. Il n’y a pourtant ni rue ni monument à son nom. Qu’elle soit née femme a-t-il encouragé cet oubli ? Quand j’ai découvert la tombe de Marina Chafroff au cimetière d’Ixelles avec ce mot : décapitée, j’y ai vu deux anomalies. Une femme.

Décapitée. Après la Seconde Guerre mondiale, le centre du cimetière d’Ixelles fut aménagé en « Reposoir des Martyrs » destiné aux victimes de la terreur nazie. C’est là que gît Marina, seule femme parmi tous les hommes, parmi Lucien, Raymond, Maurice, Gaston… Je débute donc mes recherches sur Marina Chafroff et je découvre que les résistantes sont les grandes oubliées de l’histoire des années 40-45. Beaucoup d’entre elles ont été réduites au silence, mises à l’écart, en raison d’une misogynie ambiante. On disait des femmes qu’elles étaient trop bavardes, qu’on ne pouvait pas leur confier de secrets. Qu’elles étaient influencées par leurs hormones, donc instables.

Ce constat de l’humiliation faite aux femmes, vous l’aviez déjà dénoncé dans votre film documentaire, « #salepute », co-réalisé avec Florence Hainaut, qui traite de la cyberviolence. Oui. Sans minimiser le rôle des femmes dans la Résitance, force est de constater qu’elles étaient principalement appelées pour taper du courrier ou soigner les blessés.

Pourquoi ? Par misogynie.

Des femmes résistantes souvent oubliées de l’Histoire... Oui, car l’Histoire est souvent écrite par des hommes, parce que les femmes n’ont pas entretenu leur propre souvenir, qu’elles ne pratiquent pas la mémoire autoglorifiante comme les hommes et qu’à l’époque, on leur a souvent dénié toute charge politique à leurs exploits.

C’est le cas de votre héroïne... Tout à fait, le parti communiste belge n’a jamais invoqué en sa faveur l’exploit de Marina Chafroff. Pire : il s’en est publiquement désolidarisé en niant l’acte de résistance pour invoquer un crime mû par une pulsion suici-daire. Quelle humiliation ! Ce roman repose d’ailleurs sur une question qui m’a taraudée tout le long de son écriture : pourquoi le nom de Marina Chafroff, mère de famille au courage extraordinaire, résistante décapitée, est-il inconnu ? Pourquoi n’a-t-elle pas marqué l’Histoire ? Comment a-t-elle été refoulée de nos mémoires ? Pourquoi a-t-elle été silenciée ?

A cette enquête, vous venez amarrer un autre récit, aux résonnances intimes. Le « tu » qui se faufile entre les pages du roman, c’est vous, Myriam… Par le truchement de coïncidences, les deux personnages vont en effet se confondre, les récits se tresser, même si je ne m’autoproclame pas résistante, je vous rassure. Mais les tourments de Marina, ce sont les miens. Sa révolte, aussi. Je me suis donc invitée dans le récit car je continue à m’insurger contre notre société qui pousse les femmes à ne pas l’ouvrir, à ne pas s’engager… Le point commun entre les femmes, le seul peut-être, c’est qu’on les traite comme des femmes. Toutes les humiliations qu’elles ressentent se ressemblent, or la société a tendance à les morceler. Le « ça n’arrive qu’à toi », je n’y crois pas. Le combat est collectif et politique.

Il existe, écrivez-vous, « un lien d’humiliation unissant toutes les femmes ». Les femmes sont-elles trop gentilles ? Evidemment. On fait ce qu’on attend de nous. On se conforme au modèle qui nous préexiste.

Rien ne change ? Si. Les femmes se sont émancipées. Et cette émancipation ne plait pas à tout le monde : la haine et le mépris qui leur sont voués s’avèrent encore plus présents aujourd’hui qu’hier. La misogynie a flambé.

La solution ? Je n’en ai pas. Peut-être faudrait-il que les femmes ne se sentent plus obligées d’évoluer sous le regard des hommes et que le couple hétérosexuel ne soit plus considéré comme l’accomplissement d’une vie…

Vous évoquez également dans ce roman les fake news et la désinformation... Ces fausses nouvelles étaient endémiques, déjà à l’époque, bien avant les réseaux sociaux, et visaient évidemment à manipuler l’opinion publique.

Quel est votre public ? Depuis que j’ai été identifiée comme féministe, j’ai surtout un lectorat de femmes. Je fais peur aux hommes. Rire.

Cette étiquette vous ennuie-t-elle ? Non. Etre féministe dans notre société, c’est une évidence ! En revanche, je ne suis pas une spécialiste du féminisme. Mon combat, je le mène contre le sexisme. Des éléments du réel et mon vécu me fournissant la matière nécessaire pour alimenter mon combat et mon écriture.

Entre 2012 et 2017, vous avez fait l’objet d’un véritable harcèlement sur internet et sur les réseaux. En décembre dernier, l’auteur a été condamné à 10 mois de prison avec sursis probatoire… Depuis, le prévenu a décidé de faire appel. Le procès aura lieu en 2024. S’il le perd, il a déjà déclaré qu’il irait en cassation et si nécessaire, devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le procès a été cruel et violent. Il constituera peut-être la matière d’un prochain roman.

2023 sera-t-elle une année chargée ? J’assure la promo de mon nouveau roman, une reprise de la pièce « ADN » est prévue au TTO, j’adapte en scénario de long métrage « Cherche l’amour », ma première pièce jouée également au TTO et j’écris une série documentaire sur le quotidien des enseignantes pour la RTBF. Je lis. Beaucoup. Et chaque jour, je promène Caramel, mon chien.

« Le mystère de la femme sans tête »

Extrait : Il y a une femme, enterrée au cimetière d’Ixelles, qui a été décapitée à la hache en 1942. Son nom est russe. Elle était toute petite et avait une grâce de pirate. Les Russes qui s’en souviennent prétendent qu’elle a changé le cours de la guerre. Les Belges, eux, ne disent rien. Ils l’ont oubliée.

Elle l’a dit : Que je rassure le lecteur, lire « Le mystère de la femme sans tête » ne nécessite pas un gros effort de projection dans le passé. Ce n’est absolument pas un récit de guerre, mais un roman moderne.

Editions Seuil

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