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Adeline Dieudonné

« Faire couple ne satisfait pas tout le monde »

Après « La vraie vie » et « Kérozène » qui avaient tous deux bousculé le lecteur, l’auteure bruxelloise Adeline Dieudonné revient avec « Reste », un roman épistolaire qui soulève de nombreuses questions pertinentes voire dérangeantes sur l’amour et la vie en couple. Confidences.

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On a découvert Adeline Dieudonné en 2017 avec son monologue théâtral, « Bonobo Moussaka », qui sera ensuite publié en livre. Mais c’est son premier roman, « La vraie vie », un conte pourtant cruel, qui va la révéler au grand public. Fille du Béwé installée à Bruxelles, Adeline Dieudonné est alors dans tous les médias, dans toutes les librairies, et décroche une rafale de récompenses, dont le Prix Rossel. A la sortie de « Kérozène », deuxième opus tout aussi féroce, on contacte Adeline pour lui proposer un long entretien et la couverture du Be Perfect. Elle accepte. Avec un tel parcours, on ne peut décemment pas lâcher pareille auteure ! Allô Adeline, « Reste », votre nouveau roman, on en parle ?

Une femme quadragénaire et son amant s’offrent un week-end dans une cabane près d’un lac. Le cadre est enchanteur. Mais… Quelle surprise avez-vous réservée aux lecteurs ? Ce couple est illégitime, il est marié, elle ne l’est pas. Comme souvent lors de leurs escapades dans ce chalet au bord de l’eau, il part nager. Mais ce matin-là, il ne la rejoindra pas au petit-déjeuner… Ce matin-là, il meurt. Ainsi démarre le roman.

Et qui dit amour illégitime dit chagrin illégitime … Oui, car si elle appelle les secours, on va lui arracher l’homme qu’elle aime. Une maîtresse n’est pas censée exister aux yeux du monde, donc son chagrin devient en effet difficile, voire impossible à vivre. Alors elle reste avec le corps de son amant, part pour un road-trip dans la montagne et se met à écrire à la femme de son amant décédé.

Pour autant, vous ne jugez pas l’infidélité, vous n’y voyez ni trahison ni bienfait pour réinventer le couple ; non, le sujet du livre est ailleurs : vous interpellez la vie de couple … En effet, je ne porte aucun jugement sur l’infidélité, je ne la condamne pas et je n’en fais pas l’apologie. La narratrice de

« Reste » a un amant car sa vie de couple a été un échec.

Quel regard portez-vous sur la vie de couple ? En 2023, les femmes ne sont toujours pas affranchies des hommes. Certes, une femme peut travailler sans l’accord de son mari et ouvrir un compte en banque, mais les femmes de ma génération - j’ai 40 ans -, doivent toujours vivre en couple pour espérer s’en sortir financièrement. Oui, en Belgique, en 2023, il existe toujours un écart salarial entre les hommes et les femmes. De surcroit, « faire couple » ne satisfait pas tout le monde.

Vous êtes mère de deux enfants, mais vous comprenez les femmes que la maternité ne fait pas rêver. Vous écrivez : ce que j’aimais chez M., « c’est qu’il ne s’est jamais intéressé à mon utérus ». Il y a clairement un asservissement de la femme à travers la maternité et le couple. Devenir mère/ père entraine une dépendance. Et la charge notamment ménagère qui pèse sur la femme reste généralement plus lourde. Vivre sans enfant et ne pas être en couple, oui, c’est une forme de liberté.

« Reste » me semble plus tendre que féroce. Je me trompe ? Vous avez raison. Dans « La vraie vie », la gamine est en colère, il fallait qu’on sente entre les lignes la lutte, la bataille ; dans « Reste » le personnage est plus apaisé et parle d’amour.

Et vous, êtes-vous apaisée ? (Elle réfléchit) J’arrive à un moment de ma vie où j’ai dépassé le stade de la colère. Je ne me sens pas découragée, mais peut-être que le regard que je porte autour de moi est différent, plus tendre. Se battre sert-il encore à quelque chose ? Il y a peut-être, oui, une forme de découragement finalement…

Après « Kérozène », roman mosaïque, « Reste » affiche une narration plus classique… Je considère « Kérozène » comme un recueil de nouvelles plutôt que comme un roman. « Reste » est donc mon deuxième roman et la narration y est plus classique, continue, dense.

Dans l’écriture, qui dicte sa loi, le mot ou la situation ? Je mets les mots au service des situations, mais je travaille la langue française pour qu’elle rende justice à la situation, au ton du roman, à la voix du personnage…

En fin de roman, vous publiez la bande-son de « Reste », parce que dites-vous « j’ai besoin de musique pour écrire ». On découvre des titres de Dominique A, Nick Cave, Leonard Cohen, Cat Power, autant de chansons qui vous ont accompagnée à mesure que la narration émergeait… Ces chansons m’ont aidée à passer de l’autre côté, dans l’univers imaginaire du roman, car l’atmosphère qu’elles dégagent correspond parfaitement à l’univers du roman. Certaines chansons apparaissent même dans le récit. J’espère qu’elles accompagneront le lecteur …

Vous remerciez Thomas Gunzig, lui qui vous a incitée à écrire. Vous lui avez fait lire votre roman. Est-ce réciproque ? Oui ! C’est une magnifique complicité qui nous lie. C’est un privilège de pouvoir partager son travail avec un autre romancier.

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