Dada et Surréalisme L’entre deux guerres
Contexte historiques:
De 1914 à 1918, la Première Guerre mondiale bouleverse l’Europe. Des millions d’hommes sont tués ou blessés. Le 11 novembre 1918, l’armistice, mettant fin à la Première Guerre mondiale, est signé, l’ordre social antérieur est rétabli. Le 28 juin 1919, la République de Weimar (Allemagne), qui a succédé au II° Reich, signe le Traité de Versailles qu’elle dénonce pourtant comme un diktat. Elle doit faire face au début des années 20, à une terrible crise économique favorisant la montée des extrémismes politiques.
Par ailleurs, la vindicte populaire dénonce les profiteurs de guerre. L’indignation nourrit chez certains le rejet des institutions et pousse aux comportements exaltés propres aux ‘Années folles’. Après une embellie, la crise de 1929 déclenchée aux Etats-Unis, se répercute en Europe et particulièrement en Allemagne, où elle précipite la désintégration du régime démocratique. Dès lors le Parti nazi ne cesse de se renforcer et Hitler accède au poste de Chancelier le 30 janvier 1933.
Face à une réalité devenue insoutenable, le salut est recherché dans l’oubli et la négation.
« Dada »
(Manifeste Dada de Tristan Tzara¹, à Zurich, en 1918) est un mouvement avant-gardiste à part, qui n’a ni chef, ni frontière et qui s’est lui-même donné son nom. La légende veut que les artistes réunis l’aient trouvé en pointant au hasard dans un dictionnaire. Ce nom que les petits enfants donnent au cheval n’avait pas plus de sens que le monde qui les entourait. Ce choix non conventionnel ressemble au mouvement, Dada ne définissant pas un style mais impulsant une révolte.
¹Tristan Tzara:
Né en 1896 à Moineşti, Roumanie et mort le 25 décembre 1963 à Paris, était un écrivain, poète et essayiste de langue roumaine et française et l'un des fondateurs du mouvement Dada.
Les machines de guerre innovantes que 1914-1918 a fait entrer sur le champ de guerre (avions, tanks) sont de plus en plus meurtrières. L’homme n’est plus qu’une pièce prise dans un engrenage infernal et le progrès se poursuit pourtant. L’homme a perdu son individualisme et sa liberté de penser. Si le thème de la machine n’est pas nouveau, il est interprété chez Dada de manière sombre et désespérée.
« L’esprit de notre temps » assemblage de Raoul Haussmann, 1919 : la tête de cette créature mi-homme mi-machine, a été déshumanisée par la modernité (Tête en bois, gobelet, étui en cuir, tuyau de pipe, carton blanc(22), morceau de mètre de couturière, double décimètre, rouage de montre, rouleau de caractères d’imprimerie).
Il n’y a plus de critère pour évaluer l’œuvre, seule compte l’expression des individualités : peinture, collage, photomontage, photographie, sculpture, cinéma… les frontières entre les différentes catégories artistiques sont abolies… Ce mouvement s’oriente vers la désacralisation² de l’art, à la fois sur le sens et la forme des œuvres (le collage est un art insoumis).
²Enlever le caractère sacré (remise en question des traditions, de l’académisme et de tout ce qui a précédé).
Caractéristiques : • Œuvres déconcertantes • Déconstruction créatrice • Diversité des matériaux (étoffes, coupures de journaux, faux marbre, faux bois, cartes à jouer, tickets de métro…) • Associations improbables, parfois absurdes et décalées • Intégration de matériaux préexistants (journal, toile cirée…) qui balaye le concept de l’art comme invention pure et comme imitation du réel • Mêler la réalité au merveilleux, l’ici à l’ailleurs, l’identifiable au bizarre… • Esthétique de la non cohérence, esprit ‘poétique
• Détournement d’objets préfabriqués, conçus à des fins non artistiques (ce qui questionne sur le statut de l’œuvre³ ) Le Surréalisme, un peu plus tardif que Dada (entre les deux guerres, en France) s’inscrit dans sa lignée : • Représentation illusionniste (surréalisme ‘vériste’); • Rêve, imaginaire et inconscient comme sujets de prédilection; • Etranges associations d’éléments, mondes extraordinaires, réalités impossibles, étrangeté… ³Cf. « L’Urinoir » de Marcel Duchamp, ready-made
La citation de Lautréamont⁴ « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » en illustre parfaitement certains aspects et rappelle les collages de Max Ernst⁵ : écritures et dessins automatiques, fumages, grattages, frottages, photomontages, photogrammes (ou rayonnages), calligrammes, cadavre exquis, ready-made (sculpture), assemblages… sont autant de pratiques nouvelles et caractéristiques de Dada et du Surréalisme.
⁴Lautréamont: (1846-1870) poète franco-uruguayen qu’André Breton, écrivain, poète, essayiste et théoricien, auteur des Manifestes sur le surréalisme, citera à plusieurs reprises.
⁴Max Ernst: (1891-1976) Peintre et sculpteur français d’origine allemande, initiateur du frottage, grattage et décalcomanie.
Max Ernst, Le Rossignol chinois, 1920: Collage photographié Bombe aérienne au centre, mains ‘dansantes’, œil unique, mystérieux foulard clair, nez métallique ; évocation du conte d’Andersen du même titre, qui raconte la folie des hommes, leurs emballements et leurs excès.
Man Ray, Le violon d’Ingres, 1925: photomontage
Ingres, Baigneuse dite ‘Valpinçon’, 1808, huile sur toile, 1,46x0,98 m, Paris, Louvre.
Ingres, Le Bain Turc, 1862, huile sur bois, 108x108 cm, Musée du Louvre.
Man Ray reprend les célébrissimes dos de Ingres (exagérément allongés), celui-ci incarnant le néoclassicisme symbole absolu de l’académisme déchu!
Clin d’œil amical ou cynisme? Ingres (originaire de Montauban) est aussi violoniste et devient, durant un temps, deuxième violon à l’Orchestre du Capitole de Toulouse. De ce loisir naîtra l’expression avoir un « violon d’Ingres »: toute activité à laquelle on aime se consacrer pour se distraire ou assouvir une passion. Man Ray personnifie l’expression!