Envie de lire n°31 (printemps-été 2011)

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31 LES COUPS DE COEUR DES BIBLIOTHÉCAIRES

PRINTEMPS / ÉTÉ ‘11


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ENVIE DE LIRE

Vous tenez entre les mains un recueil éclectique de propositions de lecture concocté par vos dévoués bibliothécaires. Vous y trouverez aussi bien des nouveautés que des classiques, des essais que des bandes dessinées ou des romans, sans oublier la science-fiction ou les polars, bref, tout ce qui fait la diversité des collections que les bibliothèques municipales mettent à votre disposition. Nous, bibliothécaires passionnés de lecture, partageons avec vous nos coups de coeur dans ces textes que nous vous laissons découvrir et dont nous espérons qu’ils vous donneront...


ADAM, Olivier Cote R ADAM

Le cœur régulier Paris, Olivier, 2010. 231 p.

A la mort de Nathan, son frère jumeau, décédé dans un accident de voiture, Sarah décide de quitter son mari et ses deux enfants et s’enfuit au Japon. Elle s’installe dans un petit village connu pour ses falaises d’où de nombreuses personnes se jettent pour se suicider. C’est dans ce village, auprès d’un certain Natsume, que son frère lui avait dit, quelques mois plus tôt, avoir retrouvé la paix intérieure. Parviendra-t-elle à trouver les réponses aux nombreuses questions qu’elle se pose ? Olivier Adam décrit le parcours intime de cette femme, entre ombre et lumière, à la recherche de traces que son frère aurait pu laisser et qui se trouve confrontée à ses propres doutes, submergée par ses propres angoisses. Par petites touches délicates, il réussit parfaitement à retranscrire les mouvements de l’âme, sans pathos ni grandiloquence tout en signant une très belle évocation du Japon. PB

ADIGA, Aravind Cote R ADIG

Le tigre blanc Paris, Buchet-Chastel, 2008. 320 p.

Titre original anglais : The white tiger. Cote R2 ADIG

Balram, surnommé le Tigre blanc car il en naît un seulement une fois tous les cent ans, est effectivement un être à part. Issu d’une caste inférieure, ayant vécu dans la misère d’une région oubliée de l’Inde moderne, il est devenu entrepreneur. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il écrit au ministre chinois en visite dans sa ville : durant huit nuits, il va lui écrire sa vie pour lui montrer ce qu’est le véritable esprit d’entreprise indien. Et nous de le suivre dans ses pérégrinations et d’entrevoir au travers de son récit le visage sombre de l’Inde contemporaine : exploitation, corruption, pauvreté. Mais Balram est différent, comme le tigre blanc, il est libre et ambitieux. Jusqu’à quelle extrémité ? JM

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AUBENAS, Florence Cote 331.137 AUB

Le quai de Ouistreham Paris, Olivier, 2010. 269 p.

La journaliste s’est mise dans la peau d’une femme de 50 ans en recherche d’emploi, avec un bac et une « simple » expérience de femme au foyer. Cheveux tirés, teinture blonde, lunettes, elle s’installe secrètement à Caen pour vivre cette expérience. A Pôle Emploi on lui dit qu’elle est « plutôt dans le fond de la casserole », qu’elle doit chercher dans le secteur du nettoyage. Commence alors la course au boulot. Comme ses pairs, elle se contenterait d’un contrat d’une heure par-ci, une heure par-là. Entre 21h30 et 22h30, elle sera ainsi engagée pour le nettoyage des ferrys du quai de Ouistreham. Rythmes infernaux, mépris des chefs, compétition entre jeunes et vieux, salaires dérisoires pour un quotidien précaire. Une chasse au CDD, contrat à durée déterminée que tous convoitent. Un témoignage très bien écrit sur la (sur)vie de ceux et celles qui travaillent sans pour autant s’en sortir… RL

AUSLANDER, Shalom Cote R AUSL

La lamentation du prépuce Paris, Belfond, 2008. 305 p.

Shalom Auslander, sur le point de devenir père, nous raconte avec un humour décapant ses relations tumultueuses avec Dieu, un dieu qu’il suspecte carrément de vouloir jouer un vilain tour à son futur enfant pour le punir de ses propres manquements spirituels (« Dieu tout craché ! »). Il revisite ainsi le quotidien de son enfance et de son adolescence, nous brossant un portrait effroyablement drôle d’une famille juive orthodoxe et des règles innombrables - et bien souvent absconses - qu’il faut suivre pour mériter le paradis... mais qui font de sa vie un véritable enfer. Si l’on éclate souvent de rire, au fur et à mesure des pages, on finit parfois par rire vraiment jaune face à cet irrépressible sentiment de culpabilité présent jusqu’à l’aberration. JM

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L’intouchable

BANVILLE, John Cote R BANV

Paris, Flammarion, 1998. 535 p.

Titre original anglais : The untouchable. Cote R2 BANV

Sir Victor Maskell a une histoire à nous raconter : la sienne. Cet homme discret ne se serait peut-être jamais livré si, à 74 ans, il ne s’était retrouvé confronté à deux impératifs : il est grignoté par une tumeur maligne qui n’est rien comparée à cet autre cancer, virulent et destructeur qui s’attaque, brutal et irrévocable, à sa vie publique : curateur des collections d’art de la Reine dont il est un proche, anobli par icelle et reconnu de tous comme un historien d’art de premier ordre. Oh la belle couverture ! Cet ouvrage raffiné lui a permis, des années 30 à la fin des années 50, d’avancer dissimulé pour communiquer aux Soviétiques dont il partage les idéaux marxistes les secrets et les informations qu’il recueillait grâce à son poste honorifique d’officier de l’armée britannique. Vers la fin des années 80 Margaret Thatcher rend officiellement publique l’histoire aujourd’hui fameuse des « espions de Cambridge » ces 4 ou 5 étudiants doués, nantis et dotés qui trahirent l’Empire. John Banville, grâce à un style assuré, impeccable de justesse, d’ironie et d’autorité, se glisse sous les traits de cette personnalité aux multiples identités et qui nous livre son récit, l’orgueil aiguisé par l’humiliation… So, Mister Maskell, why did you do this ? Cowboys and Indians, my dear. Cowboys and Indians ! ChM BASHO Cote 895.6 BAS

Cent onze haiku Lagrasse, Verdier, 1998. 111 p.

Basho est une figure majeure de la littérature classique, un des maîtres incontestés de la poésie japonaise. En 17 syllabes, le haïku aborde, avec humour, les bonheurs minuscules qui naissent d’une intuition soudaine. C’est l’instant révélé dans sa pureté. Avec légèreté, simplicité et détachement, portant une extrême attention à la nature, Basho a élevé ce genre au rang d’art. La nuit de printemps s’achève, le jour se lève sur les cerisiers ! Novice ou admirateur, le lecteur pourra feuilleter ce recueil, magnifiquement mis en page, avec lenteur et plaisir ou le lire et le relire sans cesse, tant cette poésie est riche et belle, empreinte de magie et de lumière. PB

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Les derniers grizzlys

BASS, Rick Cote 599.7 BAS

Paris, Gallmeister, 2010. 257 p.

Titre original anglais : The lost grizzlies. Cote 599.7 BAS

Rick Bass, géologue et botaniste, nous rapporte ici trois expéditions scientifiques au cœur des montagnes San Juan dans le Colorado. Leur quête : le grizzly, farouche et puissant animal dont le dernier spécimen fut abattu en 1979. Mais pour Bass et ses compagnons, dont le célèbre combattant écologiste Doug Peacock, les autorités se trompent et il est pratiquement certain pour eux que des grizzlys peuplent encore ces montagnes sauvages, où ils ont pu survivre en déplaçant leur habitat, loin des hommes et des fusils. L’enquête minutieuse des chercheurs exige une discrétion absolue, il leur faut se fondre parfaitement dans l’environnement, se satisfaire d’observer les très rares indices : griffures sur les troncs, poils accrochés aux arbustes et analyse… d’excréments. Et pour ces coureurs des bois modernes, qui crapahutent jusqu’à l’épuisement, la traque les amènera à mieux se connaître, et révèlera leur « part sauvage », une communion rare et nouvelle avec les éléments. Un récit époustouflant, pour des hommes justes, courageux, en symbiose totale avec la nature. MCM

BERTHOLON, Delphine Cote R BERT

L’effet Larsen Paris, Lattès, 2010. 362 p.

« Il y a une explication scientifique. Les stigmates sont des symptômes d’imitation, une volonté de fidélité telle qu’on désire littéralement mourir comme l’autre… - Franchement, docteur, je ne vois pas où vous voulez en venir. Ma mère a glissé dans la baignoire et mon père s’est pris deux balles, une dans la poitrine, une dans la figure. ». A 18 ans, Nola a vu sa vie basculer après que son coiffeur de papa ait été victime de balles perdues. Du jour au lendemain, elle et sa mère ont dû quitter leur maison pour un appartement sordide, où Mira se laisse couler dans le malheur. Elle saigne d’une oreille et ne supporte plus le moindre bruit. Nola depuis l’enfance, est obsédée par les oreilles, car c’est ce qu’elle observait en premier chez les clientes du salon de coiffure. Mais Nola ne renonce jamais, elle raconte à son père sa nouvelle vie, son boulot dans un bar, sa rencontre avec l’autre orphelin, sa lutte pour sauver sa mère. De son récit au présent émergent la lumière et la part d’ombre de l’ancienne vie d’avant chargée d’un secret. Dès les premières lignes, j’ai été captivée par ce roman. Delphine Bertholon a l’art de nous mettre d’emblée en empathie avec ses personnages. Son précédent roman Twist faisait partie de la sélection Lettres frontière en 2008. L’effet Larsen est tout aussi excellent! FA 7


BJORNSTAD, Ketil La société des jeunes pianistes Paris, Librairie Générale Française, 2008 (Le livre de poche ; 30965). 443 p. Cote R BJOR Oslo, fin des années soixante. Le jeune Aksel, observant ses parents se déchirer, ignore encore que sa mère périra dans la rivière près de laquelle la famille passe ses dimanches d’été, véritables parenthèses entre les crises quotidiennes des siens. Seul l’amour de la musique transmise par sa mère le maintiendra debout. Pianiste brillant, il décide de se présenter au concours du Jeune Maestro, face à ses amis pianistes. Tout au cours de ce merveilleux récit au rythme lent, on découvre le monde à part, ce monde de talents précoces sans plus d’âge, qui sacrifient leur jeunesse, mûrissant et se nourrissant par et pour la musique. Ils n’appréhendent la vie que par le truchement de leur mains posées sur un clavier, sous l’œil intraitable de leurs professeurs. Telle une symphonie maléfique, notre lecture vibre entre violence des sentiments, drames qui se nouent peu à peu pour finir inévitablement en tragédie. Ce roman est suivi par L’appel de la rivière, paru en 2010. MCM

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BOYD, William Orages ordinaires Paris, Seuil, 2010. 475 p. Cote R BOYD Dans le dernier roman de William Boyd, Adam Kindred, un jeune et brillant climatologue, vient de passer un entretien d’embauche à Londres où il aimerait revenir vivre. C’est tout à fait par hasard qu’il rencontre le Dr Philip Wang, également en déplacement à Londres pour son travail d’immunologue. Tout à fait par hasard également que, voulant lui ramenant un dossier tombé sous sa chaise, Adam se retrouve le suspect numéro un du meurtre du Dr Wang. S’offrent à lui deux options : ou il tente de prouver à la police que malgré les apparences, il est innocent de ce crime, ou il disparaît dans la nature. Pour avoir tardé et accumulé trop de preuves de plus en plus accablantes, il choisit la deuxième option et se retrouve SDF dans un parc du quartier de Chelsea. Pourchassé par la police aussi bien que par le meurtrier, Adam tente de survivre, puis de réintégrer peu à peu ce monde qu’il a quitté brusquement. Même si les coïncidences s’enchaînent un peu trop en faveur du héros, et même si ce roman se conclut en happy-end, il n’en est pas moins haletant. Certainement pas de la trempe des premiers romans de Boyd, mais tout de même plaisant et probablement du goût des amateurs de thrillers. DM


BRADBURY, Ray Fahrenheit 451 Paris, Denoël, 2007 (Lunes d’encre). 739 p. Cote R BRAD Titre original anglais : Fahrenheit 451. Cote R2 BRAD

451 degrés Fahrenheit, c’est la température à laquelle le papier se consume. Dans une société futuriste, une nouvelle division de pompiers voit le jour, ils ont pour ordre de brûler tous les livres et d’en faire un autodafé. La littérature étant proscrite dans ce monde, le seul fait de lire est considéré comme un délit. Montag est un de ces pompiers, il n’a aucun doute sur son travail, jusqu’à sa rencontre avec une jeune inconnue qui bouleverse tous ses principes. Derrière le dos de sa femme, il commence à lire et cacher des ouvrages. Dès lors, il n’a plus qu’une idée : sauver ce patrimoine. En même temps, le gouvernement met en place des techniques de manipulation comme la propagande télévisée pour endoctriner le peuple. Par malheur, Montag est démasqué par sa femme qui le trahit en le livrant aux pompiers. C’est à ce moment qu’une véritable chasse à l’homme débute. C’est toujours avec plaisir que l’on dévore ce livre qui est parmi les plus grands classiques de la science-fiction. SL

BRAGANCE, Anne L’heure magique de la fiancée du pickpocket Paris, Mercure de France, 2005. 140 p. Cote R BRAG Dans les rues de Marseille, une tentative de vol infructueuse donnera naissance à une histoire d’amour. Irina est une trentenaire magnifique. Galeriste, elle fréquente les instituts de beauté entre deux expositions d’art. Maxime, beau garçon, vient d’un quartier pauvre, pilier de famille, il gagne sa vie en dépouillant habilement les passants. Il l’invite à boire un verre et s’ensuit une subite et maladroite demande en mariage qui les amènera à se présenter leur famille. Du soleil, une bonne dose d’humour et un franc-parler marseillais, mais où nous mènera cette idylle ? MR

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BRAZDA, Rudolf ; SCHWAB, Jean-Luc Cote 940.547 BRA

Itinéraire d’un triangle rose Paris, Massot, 2010. 253 p.

10 000 homosexuels furent déportés par les Nazis, dont 40% ont survécu. Cette déportation est restée longtemps méconnue face à l’ampleur du génocide juif. Pierre Seel avait témoigné en 1994 mais depuis cette date, il n’y avait à ma connaissance aucun autre document sur le sujet. A 97 ans, Rudolf Brazda est sans doute le dernier survivant des « Triangles roses ». Il vit depuis 1945 à Mulhouse. Né en Saxe, il est Tchèque aux yeux des nazis alors qu’il ne parle qu’allemand. Mais ce qui lui vaut la prison en 1938, puis Buchenwald en 1942, c’est l’article 175 qui punit toute personne jugée « pour débauche contre nature commise entre personnes du sexe masculin ». Au camp, ses compétences de couvreur et le réseau communiste de Fernand lui ont certainement sauvé la vie. Ce livre écrit par Jean-Luc Schwab décrit surtout l’itinéraire d’un homme optimiste et malicieux dans une Europe en proie à l’angoisse et aux bouleversements. Rudolf a attendu 2008 pour faire son « coming out », à l’occasion de l’inauguration à Berlin d’un monument à la mémoire des déportés homosexuels. Depuis, il se « rattrape » et soutient activement l’association « Les oublié(e)s de la mémoire ». FA

CANIN, Ethan Cote R CANI

America, America Paris, Deux Terres, 2010. 552 p.

Corey Sifter, rédacteur en chef du Speaker Sentinel, assiste, en compagnie de sa jeune stagiaire Trieste, à l’enterrement du sénateur Bonwiller. Alors qu’il n’est encore qu’un modeste adolescent, il est remarqué par le riche mécène Liam Metarey, qui lui donne la chance de poursuivre ses études dans une grande université. Le week-end, il continue de venir travailler dans la propriété, où il assistera à l’ascension du sénateur démocrate qui brigue la présidence des Etats-Unis. Luttes pour le pouvoir, scandales cachés, pots de vins, journalistes avides et cynisme sont la toile de fond de cette épopée racontée par Corey Sifter. La politique est ici analysée, comme une lutte où tous les coups sont permis jusqu’à la victoire ou la chute… Ce roman, d’une très belle écriture, précise, sensible, est une œuvre riche, passionnante à suivre, sur la nature profonde des hommes et de notre civilisation. MCM

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CASTELLANOS MOYA, Horacio La mort d’Olga Maria Cote R CAST Paris, 10/18, 2006 (10/18 ; 3964. Domaine étranger). 163 p. A San Salvador, au début des années 90, Olga Maria Trabanino est assassinée. Laura, sa meilleure amie, s’adresse à une tierce personne appelée « ma belle » dont on ne saura rien. A la première personne, sous forme de déposition, elle nous apprend que cette Olga Maria n’était pas une mère de famille sans histoire mais qu’elle avait des amants, dont un très en vue, leader d’un parti de droite et futur candidat à la présidence de la République. Petite bourgeoise raciste, sûre de ses valeurs, pas très respectable, Laura soupçonne et juge tout le monde, souvent bêtement, parfois avec plus d’acuité, ce qui donne du relief et de l’humour à son réquisitoire. Un portrait en creux d’une société salvadorienne gangrenée par la corruption, les narcotrafics, les fractures sociales et raciales par un auteur qui sait de quoi il parle pour être né et avoir vécu quelque temps dans ce pays qu’on connaît bien mal. RL

CASTILLON, Claire Cote R CAST

Les bulles Paris, Fayard, 2010. 191 p.

Ce nouveau recueil de nouvelles de Claire Castillon brosse 38 portraits, plutôt courts, percutants et, à mon avis, c’est une réussite. Chaque nouvelle porte un prénom, celui du narrateur ou d’une personne qui lui est proche. Annabelle, la première, par exemple est le bébé de la narratrice, en train d’inviter une amie à manger un soir – amie qui doit se plier aux exigences de la nouvelle mère pour la simple raison qu’elle est mère. Il y a le monologue d’Anne-Catherine, une bourgeoise donnant des recommandations péremptoires à celles qui sont venues pour animer l’anniversaire de sa fille Violaine. André, c’est l’homme que cette femme-ci veut quitter, elle lui écrit une lettre dans ce sens, mais on comprend que ce n’est pas la première… ni la dernière. En quelques lignes, un décor est planté, quelques pages suffisent, et sa conclusion choque, fait rire ou consterne. Les visiteurs de zoos humains, qui savent encore s’étonner du comportement de leurs congénères, apprécieront. DM

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L’été de la vie

COETZEE, John Michael Cote 828.03 COE

Paris, Seuil, 2009. 315 p.

Coetzee est un des grands auteurs de notre siècle mais malgré son prix Nobel, il reste discret, évite les interviews, fuit les médias. Et pourtant, il nous livre ici ses années 1970 en Afrique du Sud, quand il était un écrivain en devenir. L’originalité de cette « autobiographie », c’est que d’emblée on apprend qu’il est mort et qu’un jeune universitaire interroge ses proches pour faire une étude sur lui. L’universitaire va rencontrer différentes personnes qui l’ont connu. John apparaît alors comme un homme sans charisme, mal à l’aise avec les femmes, vieux garçon vivant encore avec son père à plus de 30 ans, homme froid et distant. Une femme dira même : « pour moi il n’était rien, sinon un sujet d’irritation ». Un autoportrait sans concession où sans cesse il montre l’écart qu’il y a entre un écrivain et sa vie. L’universitaire l’admire, c’est son héros, son prince, la femme interviewée lui répond : « il est peu vraisemblable qu’il ait pu jamais être un prince, un prince satisfaisant pour aucune jeune fille au monde ». RL

COLLETT, Camilla Cote R COLL

Les filles du préfet Carouge, Zoé, 2010. 445 p.

Paru en 1854, le seul roman de cette auteure norvégienne peut être comparé aux ouvrages de Jane Austen. Comme dans Raison et sentiments ou l’admirable Orgueil et préjugés, le roman décrit le destin des femmes du 19e siècle, dont toute l’éducation et les conventions ne tendent qu’à les « condamner » au mariage. Un jeune homme brillant est engagé pour instruire le fils d’un notable de province, le père de quatre autres filles, dont Sofie la cadette. Parfaite sauvageonne, animée de grands idéaux, d’une grande beauté, la jeune femme se rapproche peu à peu de Georg, le précepteur. Parcourant la campagne norvégienne, ils s’enflamment dans de longues discussions et leurs sentiments évoluent peu à peu vers l’amour. Mais l’entourage ne cesse de semer le doute dans l’esprit de Sofie qui, trompée par de fausses apparences, se résigne à épouser un homme plus âgé, et sacrifie ses désirs de liberté et son intérêt pour les choses de l’esprit sur l’autel de la raison. Inspirée de sa propre histoire, Camilla Collett dépeint magistralement la psychologie des personnages et son écriture précise et inspirée achève de nous convaincre de son grand talent. Ibsen s’en inspirera pour sa Maison de poupée. MCM 12


Camilla Collett 1813-1895 Elle est devenue un personnage incontournable et une écrivaine majeure de la littérature norvégienne. Cette auteure réaliste et engagée a combattu pour l’émancipation des femmes en laissant des écrits © Stig Berge

qui constituent une bible du féminisme bourgeois.



DANTZIG, Charles Cote 028.9 DAN

Pourquoi lire ? Paris, Grasset, 2010. 249 p.

Charles Dantzig est un passionné. Grand lecteur, éditeur, ce féru de littérature nous offre un récit savant, une ode aux belles lettres, ironique et très intelligente sur ce domaine qu’il connaît parfaitement. En soixante-quinze courts chapitres et quelques illustrations, Dantzig nous livre ses réflexions sur les vertus de la lecture et de son corollaire, la littérature. Lire ne sert à rien, si ce n’est embellir la vie, déguster des textes, des histoires ou des récits de vie, ponctués de dialogues, d’images, de paysages, d’idées, de fragments de musique prêts à nous faire rêver, voyager, nous élever et nous interroger. Mais si lire n’était que ça, lirions-nous ? MCM

DELABY, Emmanuel ; CASILE, Xavier Cote 641.594.94 DEL

So sweet kitchen : la cuisine helvétique c’est ludique ! Lausanne, Good Heidi, 2010. 112 p.

Rarement un livre de cuisine a été présenté dans notre brochure Envie de lire et ce n’est pourtant pas faute d’en posséder de superbes. Celui que j’ai en main mérite le détour. Non seulement les recettes sont suisses (rareté !), les produits sont bien de chez nous (développement durable oblige !) mais en plus la présentation des recettes est originale. Chacune est photographiée et mise en scène à l’aide de petits personnages à la dimension des soldats de plomb de papa. Ces figurines skient sur une « Mascarpoccino au Nespresso », font de la voile sur un « Velouté de poireaux aux portions de Gala » ou encore, habillés en moine, prient sur les bords de l’assiette de la « Salade jurassienne à la Tête de Moine ». Läckerli, Schabziger, bonbons Ricola, Williamine Morand sans oublier le fameux Cenovis, aucun de nos produits du terroir n’est oublié. Des recettes originales qui donnent la Valser à la bouche… RL

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DELESTRE, Stéfanie [éd.] Dictionnaire des personnages populaires de la littérature : XIXe et XXe siècles Paris, Seuil, 2010. 780 p. Cote 803 DIC Voici typiquement le genre d’ouvrage où l’on apprend en s’amusant ! Ce dictionnaire recense les personnages romanesques les plus marquants de la littérature des 19e et 20e siècles. Une centaine d’écrivains contemporains de tous pays racontent chacun un personnage de son choix. On apprend ainsi dans quel roman tel héros ou héroïne apparaît pour la première fois, quelles adaptations en ont été faites (cinéma, télévision, théâtre ou BD) et surtout chaque auteur nous raconte et nous propose sa propre vision de « son » personnage. Certaines paires « personnages-écrivains » sont particulièrement savoureuses : Lady Chatterley par Catherine Millet, Peter Pan par Chloé Delaume ou encore Julien Sorel par Mazarine Pingeot. Ce dictionnaire peut également être utilisé de façon thématique (grandes amoureuses, espions, policiers, femmes fatales, etc.) et possède un index de tous les personnages. Un livre ludique et passionnant pour (re)découvrir les trésors de la littérature populaire. CLR

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DEPARDON, Raymond La France de Raymond Depardon Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2010. Cote 779 DEP Ce projet est né du goût de l’errance et de la solitude du photographe-réalisateur. Loin des grandes villes, des zones industrielles ou du monde paysan qu’il chérit tant, Raymond Depardon a sillonné l’Hexagone, seul, dans un camping-car, équipé d’un sac de couchage, depuis 2004 et pendant 5 ans. Il montre une autre facette de la France, de l’arrièrepays, ordinaire, simple et beau à la fois. La France que l’on ne montre jamais. Les images ont été réalisées à la chambre, une technique ancienne, en 20x25, qui donne aux clichés une netteté surprenante et des couleurs chaleureuses. Le travail à la chambre ne permet pas la souplesse des techniques actuelles, mais offre une invitation à la contemplation. Le regardeur se trouve très exactement installé à la place du photographe, épousant son point de vue. Ce magnifique ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition à la Bibliothèque Nationale de France. PB


DESARTHE, Agnès Dans la nuit brune Paris, Olivier, 2010. 210 p.

DIVRY, Sophie La cote 400 Montréal, Allusifs, 2010. 64 p.

Cote R DESA

Cote R DIVR

Suite à la mort accidentelle de l’amoureux de sa fille, Jérôme, agent immobilier dans la cinquantaine, tombe dans une profonde agitation. Il se trouve totalement démuni face à la douleur de sa fille, qu’il élève seul, et qu’il ne parvient pas à réconforter. Ce drame sera le catalyseur qui déclenchera une profonde remise en question. Il sait qu’il a été adopté à l’âge de trois ans, trouvé errant dans la forêt, dans la nuit brune, mais n’a aucune idée sur l’identité de ses géniteurs. Aidé par un inspecteur à la retraite et par une Ecossaise fantasque, qui lui redonne peu à peu goût à la vie, il va tenter de percer le mystère de ses origines. Agnès Desarthe signe un livre émouvant qui ne cesse de surprendre le lecteur, grâce à un style qui mêle avec brio une écriture romanesque mais aussi des éléments proches du conte. Percutant et touchant. PB

Malheureux! Ne vous endormez jamais dans le sous-sol de cette bibliothèque municipale où sévit le pire des monstres de la création : une bibliothécaire diserte, cancanière, une phraseuse, vraie concierge des lettres vous assommera à coup de cris, récriminations, accusations, reproches amers et peu amènes envers ses collègues, sa hiérarchie et les lecteurs. Il faut dire que vingt-cinq années de labeur parmi des livres, - SES livres à elle –,enfin le modeste domaine qu’on a bien voulu lui confier-, ça n’arrange pas un caractère. Car, vous le savez bien, cher lecteur assoupi, il y a les bonnes cotes et les autres, les domaines dont personne ne veut : la géographie par exemple : c’est pour elle. Et elle cause, elle cause jusqu’à vous assourdir, vous abrutir, vous estourbir. Dieu merci, notre bibliothécaire a aussi un cœur, et celui-ci bat pour Martin, son lecteur d’amour, mais chut, pas un mot : c’est elle qui parle. Bouchez-vous les oreilles… Mais lisez ce petit livre drôle, écrit d’un seul souffle et très plaisant. MCM

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DONGALA, Emmanuel Boundzéki Photo de groupe au bord du fleuve Cote R DONG Arles, Actes sud, 2010 (Lettres africaines). 333 p. Dans ce roman il est question des conditions de vie difficiles des femmes. Les 14 héroïnes de cette histoire cassent des cailloux en plein soleil pour remplir des sacs qu’elles revendront à très bas prix. La construction du nouvel aéroport a provoqué une hausse du prix du gravier, des bénéfices énormes se faisant alors sur leur dos. Elles décident de se révolter, de se mettre en grève et exigent un juste prix pour leur travail. Cette rébellion crée le désordre dans la région : ça tombe mal pour l’image du pays quand on attend la visite des premières dames d’Afrique. Le gouvernement tente de les faire taire par la force, puis avec des dessous-de-table, mais elles ne se laissent pas corrompre. Les femmes sont en marche et revendiquent leurs droits. L’auteur congolais nous raconte ce combat, nous explique aussi pourquoi ces 14 filles avaient tout pour réussir avant qu’un homme ne mette fin à leurs rêves. « Triste à dire, mais en Afrique il n’y a pas que le sida, la malaria qui tuent, le mariage aussi ». RL

DOVEY, Ceridwen Cote R DOVE

Les liens du sang Paris, Ormesson, 2008. 214 p.

Après un coup d’état militaire, l’entourage du président est assigné à résidence. Dans l’attente de leur sort, le portraitiste, le cuisinier et le coiffeur de l’ancien dirigeant nous livrent à tour de rôle leurs confidences et nous expliquent leur place aux côtés du dictateur. Peu à peu le nouveau leader entre en scène, se révélant aussi tyrannique que le précèdent et c’est alors que les épouses, et l’entourage des trois narrateurs prennent la parole. Les confidences transmises sans pudeur nous dévoilent leurs sentiments les plus intimes. Au fur et à mesure des récits, on comprend que l’ambition et la soif de pouvoir révèlent ce qu’il y a de plus vil chez l’être humain et qu’elles pervertissent tous ceux qui entrent à leur contact. MR

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DRYANSKY, Joanne ; DRYANSKY, Gerry Cote DRYA

L’extraordinaire histoire de Fatima Monsour Paris, Ormesson, 2009. 333 p.

Rachida est une belle et intelligente femme de chambre tunisienne qui vit à Paris. Un terrible accident professionnel lui coûte la vie, c’est alors que sa patronne, la comtesse Merveil du Roc, accablée de remords, fait venir de Djerba la sœur de sa défunte bonne. Fatima est la plus mal lotie des femmes de son île. Son voyage à Paris lui permettra peut-être de retrouver son mari parti avec une autre. Après une acclimatation difficile, soutenue par ses nouveaux amis, Fatima s’intégrera parfaitement à la vie parisienne. La chance lui sourira-t-elle enfin ? Ce roman très drôle et touchant est à mettre entre toutes les mains. MR

DRYANSKY, Joanne ; DRYANSKY, Gerry Cote R DRYA

La deuxième vie de Fatima Paris, Ormesson, 2010. 236 p.

Après L’Extraordinaire histoire de Fatima Monsour, nous retrouvons notre chère domestique pour un second opus. Fatima et Hippolyte Suget se sont mariés et vivent une idylle presque parfaite. Malgré tout, notre héroïne ne se sent pas à sa place dans son immense appartement parisien. Fatima tente donc d’apaiser sa conscience en aidant Séverine récemment sortie du coma à recommencer une nouvelle vie. C’est alors que Mahmoud, l’ex-époux de Madame Suget, ressurgit d’un lointain passé. Ce second volume aborde avec bonne humeur des thèmes plus sérieux que le premier, comme la violence conjugale et la polygamie. MR

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La chambre des officiers

DUGAIN, Marc Cote R DUGA

Paris, Lattès, 2001. 171 p.

Encore un roman sur la Guerre de 14, me direz-vous ? Oui, mais quel livre ! Dès les premières pages on est pris par l’histoire de ce jeune homme originaire de Dordogne qui, quelques mois après avoir commencé à travailler comme ingénieur à Paris, est « convié » à partir au front. Une formalité, qu’ils disaient ; tout cela devait finir très vite. Pour lui, ce fut effectivement « vite fait » car le premier jour il est touché par des éclats d’obus en pleine face. « Pas eu le temps de voir un Allemand », dira-t-il plus tard. Défiguré, entre la vie et la mort, opéré de multiples fois, il passera toute la guerre à l’hôpital et partagera avec d’autres « gueules cassées » la « chambre des officiers », ce lieu propice à la reconstruction psychologique grâce à l’amitié entre ces hommes (et une femme) fracassés. Marc Dugain raconte ici le calvaire de son grand-père qui fut lui aussi un de ces blessés de la face. Un témoignage poignant, qui fait mal aux tripes et qui prouve encore que l’expression « rien ne vaut une bonne guerre » ne devrait jamais être prononcée… RL

DUGAIN, Marc Cote R DUGA

L’insomnie des étoiles Paris, Gallimard, 2010. 225 p.

1945. Un détachement français occupe une région de l’Allemagne vaincue. Le capitaine Louyre attend désespérément des ordres des autorités, lorsqu’on lui amène une jeune fille mourant de faim, trouvée dans une bâtisse des environs près d’un cadavre calciné. Maria l’adolescente a passé toute la guerre seule, dans une grosse ferme en attendant le retour de son père parti sur le front de l’Est, subsistant dans un dénuement total et un environnement dangereux. Désireux de découvrir la vérité, le capitaine est confronté aux silences de Maria et aux réticences des autorités et des notables du lieu. Une vérité affreuse, insupportable se fera jour. Mais plus encore que l’histoire de ces personnages, c’est l’ambiance même de ce récit, lourde, brumeuse, faite de descriptions précises des paysages inondés, gris, boueux, mélancoliques, et les caractères hermétiques et repliés des protagonistes, qui sont remarquables. Marc Dugain, l’auteur du magnifique roman La chambre des officiers nous donne encore ici un exemple de son talent incomparable pour décrire et dénoncer l’horreur de la guerre avec précision, clarté et grand doigté. MCM 20


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Source : The Aloha Foundation


Le chagrin

DUROY, Lionel Cote R DURO

Paris, Julliard, 2010. 548 p.

William Dunoyer de Pranassac, alter ego de l’auteur, raconte ici son épopée familiale, un travail déjà ébauché dans Priez pour nous, (voir ci-dessous). Une famille bien catholique de dix enfants menée par Toto, un père complètement dépassé par les événements : toutes ces bouches à nourrir, lui qui n’est qu’un petit représentant, alors que Madame a des goûts de luxe et aspire à une vie mondaine… William, tout comme ses frères, sera le complice fidèle de son père, cachant à sa mère que, par manque d’argent, lui et son frère aîné ne vont plus à l’école mais passent des journées entières à traîner dans les rues de Paris. Il faut intercepter les lettres des créanciers, les huissiers qui sonnent à la porte…. Et cette mère qui a l’air folle, toujours en crise, humiliant un mari qui se démène pour lui plaire et pour garder un semblant de cohésion dans cette famille pour qui rien ne va plus… Vers 30 ans, Lionel Duroy a eu besoin d’exorciser tout ça, il a écrit Priez pour nous et l’a fait lire à ses frères et sœurs, ses compagnons d’infortune qui, au lieu du soutien qu’il attendait d’eux, l’ont incité à ne pas publier ce roman, qui tuerait leur mère. Lionel Duroy a hésité, puis tranché : ou il tuerait leur mère ou, s’il ne publiait pas, il ne survivrait pas lui-même… Et puisqu’il a fini par le publier, j’ai eu envie de le lire également… DM

DUROY, Lionel Cote R DURO

Priez pour nous Paris, J’ai lu, 2002 (J’ai lu ; 3138). 318 p.

La famille Guidon de Repeynac (le nom de famille a changé, mais c’est toujours William qui raconte), des nobles désargentés, vient de se faire expulser de son magnifique appartement de Neuilly et est relogée dans une HLM en banlieue, au grand désespoir de la mère, qui ne peut plus tenir son rang… L’histoire, bien sûr puisqu’elle est autobiographique, est la même que dans Le chagrin, certaines scènes y sont décrites de manière similaire, mais il y a un peu plus de légèreté ici, un rythme effréné, qui fait qu’on la lit sans s’arrêter. Tous ces enfants, qui naissent les uns après les autres dans cette famille folle, avec ce père fantasque, immature et soumis et cette mère aigrie, autoritaire et hystérique, un peu terrorisés, ont définitivement pris parti pour leur père, Toto, qui fait du mieux qu’il peut dans sa voiture pourrie au pot d’échappement cassé qu’on entend venir à des kilomètres. C’est truculent et ce serait presque drôle si ce n’était le vrai récit d’enfances volées… Et on a beau prier le petit frère qui n’est jamais né, il est impuissant à empêcher la famille de marcher vers le désastre… DM

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DRACHLINE, Pierre Borinka Paris, Cherche-Midi, 2010. 234 p.

ECHENOZ, Jean Des éclairs Paris, Minuit, 2010. 174 p.

Cote R DRAC

Cote R ECHE

Paul, barricadé dans son antre rempli d’ouvrages d’occasion, est un original, un misanthrope. Son bonheur, c’est quand les clients ressor tent de sa librairie, biennommée « Les Invendables » les mains vides, et qu’il peut conserver ses trésors près de lui. Son bonheur, c’est d’observer les araignées qui tissent leur toile, jour après jour entre les rayons de livres. Il a pour ami - mais quelle amitié! - un étrange et vieux bonhomme, Borinka, encore plus bizarre et asocial que lui. Ils ne supportent pas l’imbécillité de leurs semblables, méprisent la société corrompue et mercantile. Le vieillard, un élégant mécène qui continue de vivre comme un enfant, cherche à faire de sa vie une œuvre d’art, sans compromis, ni compromissions. Servi par une écriture fine, stylée, entrecoupée par les réflexions sans appel de ces deux excentriques, ce roman peu commun se lit comme un friandise rare. Pierre Drachline est décidemment un excellent écrivain. MCM

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Après Maurice Ravel (Ravel) et Emile Zatopek (Courir), Jean Echenoz choisit, une fois encore, un personnage réel comme héros du sublime Des éclairs. Gregor – inspiré de l’ingénieur Nikola Tesla (1856-1943) – est un surdoué, un savant fou et ombrageux, qui ne cesse d’enchaîner les inventions : le courant alternatif, la télécommande, Internet, la radio ou les tubes de néons entre autres. Ne s’arrêtant jamais, il se fera voler plusieurs de ses inventions, oubliant de déposer les brevets nécessaires. Il vit néanmoins dans le luxe, à New York, au Waldorf Astoria, mais finira dans un hôtel miteux entouré de pigeons. Mais cet inventeur fantasque est aussi un showman, un peu mégalomane, qui adorait les représentations publiques dans lesquels il se mettait en scène au milieu de boules de feu. La richesse de ce roman, car il s’agit bien d’un roman, c’est l’ironie et l’humour que Jean Echenoz utilise à chaque page pour le plus grand plaisir du lecteur. C’est une véritable plongée dans un feu d’artifice de langage, dans une écriture magnifique qui manie à la perfection des descriptions ou des métaphores subtiles et improbables. PB


ENARD, Mathias Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants Arles, Actes sud, 2010 (Domaine français). 153 p. Cote R ENAR Ce roman nous fait découvrir un court moment de la longue vie de MichelAnge. L’auteur décrit les faits et gestes totalement en amont de la psychologie des personnages laissant ainsi la liberté d’interprétation aux lecteurs et lectrices. C’est en 1507 que Michel-Ange arrive à Constantinople pour lancer le chantier d’un gigantesque pont qui devait relier les deux rives de la Corne d’Or. Léonard de Vinci vient d’y échouer et pour prendre sa place, tant par orgueil que par appât du gain, MichelAnge accepte l’invitation du grand vizir. Il est chahuté par le choc des cultures dans cette ville aux portes de l’Orient. Il y découvre un peu à contrecœur volupté, abandon et amour. CD

EVANGELISTI, Valerio Le corps et le sang d’Eymerich Paris ,Rivages, 1999, (Rivages/fantasy). 237 p. Cote R EVAN Castres, 1358. Des cadavres vidés de leur sang sont retrouvés dans toute la région et attribués à une secte connue sous le nom de « Masc ». Le Grand Inquisiteur Nicolas Eymerich part combattre leur règne de terreur et rétablir l’autorité papale. A peine arrivé, il se retrouve plongé dans une lutte de pouvoir qui oppose les Montfort et les Armagnac et constate que les autorités de la ville comme sa population accordent bien peu de respect aux prêtres et à l’Eglise catholique. Eymerich, adepte de la manière forte comme tout bon Inquisiteur, va reprendre les choses en main mais ses décisions et ses actes vont avoir des répercussions bien plus vastes que ce qu’il imagine, jusqu’à ressurgir au 20e siècle sous le spectre de la Mort Rouge… FG

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FANG, Fang Cote R FANG

Une vue splendide Arles, Picquier, 2003 (Picquier poche). 168 p.

Une vue splendide est un titre trompeur. La vue qu’on y admire serait plutôt celle de la misère. Ce roman retrace la vie d’une famille ouvrière de neuf enfants, pendant la Révolution culturelle et dans les années qui suivirent. Les conditions matérielles de la famille sont indécentes : tout ce monde doit loger dans un taudis de 13 m2! Le père boit et frappe femme et enfants, en particulier Septième frère, souffre-douleur par excellence qui, faute de place, dort sous le lit parental. L’originalité du roman tient au fait que c’est le 8e enfant, mort dans ses premiers jours, qui raconte l’histoire. Enterré à deux pas de la cabane, il observe sa famille avec détachement et lucidité. C’est noir, c’est triste et sans beaucoup d’espoir, mais c’est un beau roman écrit par une auteure qui fut elle-même ouvrière dans cette même région du Wuhan. FB

FAYE, Eric Cote R FAYE

Nagasaki Paris, Stock, 2010. 107 p.

Shimura-san vit seul dans une petite maison dans la ville de Nagasaki. Il a la cinquantaine, travaille comme météorologue et mène une vie tout à fait ordinaire. Il part tous les matins à 8 heures pour revenir en fin de journée, dînant le plus souvent seul. Depuis quelque temps, il se rend compte que des objets se déplacent durant son absence et que de la nourriture disparaît : un yogourt, du poisson, etc. Intrigué, il va commencer à recenser l’intérieur de son frigo. Lorsqu’il remarque que la bouteille de jus d’orange a baissé de sept centimètres, il n’a plus de doute. Afin de percer le mystère, il va poser une webcam dans sa cuisine. C’est de cette manière qu’il découvrira en direct l’intruse, depuis l’écran de son ordinateur professionnel. Dans ce roman tiré d’un fait divers, Eric Faye donne la parole, avec une grande économie de mots, aux deux protagonistes, à des êtres solitaires qui subissent de plein fouet la société japonaise de plus en plus individualiste. PB

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FERNANDEZ, Dominique Cote R FERN

Porporino ou les mystères de Naples Paris, Grasset, 2003. 396 p.

Porporino est à peu près le seul protagoniste fictif dans ce roman où foisonnent les personnages historiques. Dominique Fernandez crée ce castrat mineur de la fin du XVIIIe siècle pour évoquer son art disparu et mettre en scène une Naples bien réelle et fastueuse, goûteuse, feuilletée et beurrée comme une fogliatella ! Néanmoins, par le truchement d’un manuscrit retrouvé, Porporino égrène ses souvenirs du monastère autrichien où le chanteur s’est retiré. Sous sa plume naît alors un extraordinaire théâtre où Naples, capitale baroque et glorieuse, tient le rôle central. De ses innombrables ruelles, ses chapelles noircies, ses églises grandioses et ses palais royaux s’échappe le cortège ronflant constitué des princes, prêtres et aventuriers qui firent la gloire de cette ville : Casanova, l’œil vif et lubrique, approche l’adolescent qui converse avec Mozart éloquent, génial et impertinent ; le prince de Sansevero cherche la lumière éternelle et trouve un moyen de conserver les corps… Porporino évoque aussi la beauté de la voix et son unicité miraculeuse et sensuelle dans des phrases aux accents inoubliables. Avec douleur il pleure la solitude de sa condition mais chante la liberté de son état exceptionnel grâce auquel, au soir de sa vie, il se trouve « prodigieusement enrichi d’avoir échappé à l’obligation d’être un homme ». ChM FILHOL, Elisabeth Cote R FILH

La centrale Paris, POL, 2010. 140 p.

Parler des centrales nucléaires avec des mots poétiques entrelacés de vocabulaire technique, et surtout arriver à intéresser son lecteur, un challenge qu’Elisabeth Filhol réussit parfaitement dans ce premier roman. Yann, le narrateur, est un travailleur intérimaire qui intervient aux quatre coins de la France pour assurer la maintenance des réacteurs. Documentée, fouillée, cette histoire décrit les gestes précis et rapides à effectuer par un ouvrier après l’autre pour partager l’irradiation et tenir l’année ; elle parle aussi de l’attrait et de la peur que procurent ces métiers à hauts risques, de la solitude de ces hommes qu’on empêche de s’organiser pour dénoncer les failles, des suicides de quelques-uns et de l’irradiation puis la mise à l’écart de ceux qui n’ont pas respecté scrupuleusement la procédure. La couleur bleue de la piscine du réacteur, la Centrale imposante qui se dessine dans un paysage isolé, un univers fascinant magnifiquement décrit et un premier roman remarqué par la critique. RL

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FOWLER, Christopher Cote R FOWL

La ligue de Prométhée Paris, J’ai lu, 2002 (J’ai lu fantastique ; 6179). 315 p.

Vincent Reynolds, jeune homme issu de la classe populaire anglaise, se destine à une carrière de journaliste et veut écrire un essai sur la lutte des classes dans la société anglaise. Il se rapproche dans ce but de Sebastian Wells, fils d’une très grande famille et membre éminent de la mystérieuse Ligue de Prométhée qui regroupe un certain nombre de personnes de la grande aristocratie anglaise. Ayant réussi à sympathiser avec Sebastian, Vince tente de le piéger pour prouver que la lutte des classes est loin d’être finie mais il se fait embarquer dans une machination machiavélique ourdie par Sebastian et ses collègues de la Ligue. Vincent aura dès lors toutes les peines du monde à se sortir du piège retors dans lequel Sebastian l’entraîne. FG

FOX, Paula Cote R FOX

Côte ouest Paris, Losfeld, 2007. 447 p.

Au début des années quarante, Annie Gianfala, 17 ans, se retrouve seule à New York après le départ de son père. Souffrant de froid, de faim et de solitude, Annie n’hésite pas lorsqu’une amie lui propose de l’emmener jusqu’en Californie. Rencontres improbables, personnages fauchés, excentriques, aventures amoureuses sans lendemain, petits boulots, chambres sordides, et même un mariage avec un marin souvent absent, Annie vit tout cela comme en apesanteur. Toutes les figures côtoyées la poussent du monde du cinéma à celui d’amis communistes. Elle se laisse entraîner dans un Hollywood déjà mangeur d’hommes et briseur de destins. Paru en 1972, voici un livre fort, largement inspiré de la vie de l’auteure, un livre dans lequel une héroïne trop fragile, à la recherche d’elle-même nous émeut grandement. MCM

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Š Gary White


Š Jeremy Atkinson


GAIMAN, Neil Cote R GAIM

Des choses fragiles Vauvert, Au diable vauvert, 2009. 490 p.

Au travers d’une trentaine de textes très variés, c’est tout le fabuleux talent de conteur de Gaiman qui s’exprime. Tantôt angoissantes, tantôt drolatiques ou surprenantes, ces nouvelles ont été éditées dans diverses publications anglophones avec, pour plusieurs d’entre elles, des prix littéraires à la clé. L’auteur introduit le recueil avec une mise en contexte de chacun des textes : dans quelles circonstances il a écrit, sa démarche, ses doutes, etc. Ainsi, Des choses fragiles s’avère aussi bien une parfaite porte d’entrée dans l’œuvre de Gaiman qu’un plaisir renouvelé pour ceux qui connaissent déjà la richesse de son imaginaire. JM

GALGUT, Damon Cote R GALG

L’imposteur Paris, Olivier, 2010. 298 p.

Titre original anglais : The impostor. Cote R2 GALG

Alors qu’Adam Napier vient de se faire licencier, il décide d’en profiter pour opérer un tournant dans sa vie. En effet, il n’a ni femme ni enfants et rien ne le retient en ville, alors pourquoi n’irait-il pas vivre dans la maison de son frère au milieu du bush, comme celui-ci le lui propose ? Il pourrait aller y écrire de la poésie et s’occuper de la végétation qui commence à devenir envahissante. Un jour, à la coopérative agricole, il rencontre un homme de son âge qu’il ne reconnaît pas et qui se dit enchanté de l’avoir retrouvé: ils auraient été à l’école ensemble pendant leur adolescence. Adam a beau chercher dans ses souvenirs, aucune trace de ce Canning… Peu importe, il accepte son invitation, quelque peu fasciné par la réussite de cet homme qui a pourtant l’allure parfaite d’un loser : une grosse voiture, un terrain énorme et, surtout, une femme sublime, qui inspirera tout de suite à Adam un désir irrépressible. Rongé par la solitude, Adam va finalement passer tous ses week-ends avec le couple, et les relations vont très vite devenir quelque peu ambiguës… Un roman magnifiquement maîtrisé, subtil, qui distille une tension palpable, une vraie réussite ! DM 31


GARNIER, Pascal Lune captive dans un œil mort Paris, Zulma, 2009. 156 p.

GERBER, Alain Insensiblement (Django) Paris, Fayard, 2010. 321 p.

Cote R GARN

Cote R GERB

Les Conviviales, c’est une résidence pour seniors, clôturée et sécurisée, dotée de maisons confortables, avec un club-house où se retrouver pour des activités ensemble, et une piscine chauffée au solaire, le tout dans le décor paradisiaque du sud de la France. Pas étonnant que Martial et Odette n’aient pas résisté… Mais il pleut depuis un mois, et aucune de la cinquantaine d’autres maisons n’est habitée pour le moment. Grosse déprime. Mais voici qu’arrive un autre couple, Maxime et Marlène, et puis une femme seule, et belle, Léa. De quoi réveiller le séducteur qui sommeille en Maxime. Et puis Nadine entre en scène, chargée d’organiser des activités pour ce petit monde. Entre les barrières sécurisées de la résidence, gardées par un cerbère laconique, on a droit à une autre version du Huis clos de Sartre. Lorsque les secrets sont dévoilés, que les blessures apparaissent, tout peut arriver. Même le pire. DM

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Django Reinhardt a su graver son nom dans l’histoire de la musique en créant un style musical propre à lui : le jazz manouche. Django n’a pas été préparé à devenir une légende du jazz. Né dans une roulotte, il traverse l’Europe durant toute son enfance pour échapper à la Première Guerre Mondiale, jusqu’au moment où il s’établit à Paris. Son amour pour la musique s’est déclenché à l’âge de dix ans lorsqu’il entend son oncle jouer du banjo. Dès lors, le manouche ne vit que pour son art. Ce roman mélange des éléments biographiques authentiques et des réflexions imaginaires. Le livre ne suit pas le développement chronologique de sa vie, mais ce sont les pensées du jazzman qui nous guident à travers toutes les étapes importantes qui l’ont forgé. C’est un portrait très intime et humain du manouche que nous offre ce spécialiste du jazz, Alain Gerber. Un livre hommage pour les 100 ans de Django Reinhardt. SL


GAUDE, Laurent Dans la nuit Mozambique : et autres récits Arles, Actes sud, 2007 (Domaine français). 146 p. Cote R GAUD Un matelot se rappelle une escale en France pour enterrer le capitaine de son navire qui tourne mal et donne lieu à une révolte d’esclaves. Un vieil écrivain retrouve le souvenir de son amour perdu. Deux vieux amis se revoient et discutent du passé et de leurs amis disparus. Les différentes nouvelles de ce livre ont comme point commun le souvenir, les narrateurs se remémorent un moment-clé de leur passé et le revivent différemment. Fantastique, touchante ou romantique, d’époques différentes et de genres variés, chaque histoire saura trouver son public. MR

GAUDE, Laurent Ouragan Arles, Actes sud, 2010 (Domaine français). 192 p. Cote R GAUD Laurent Gaudé plonge le lecteur dans la moiteur de la Louisiane, quelques jours avant et après le passage d’un ouragan. De manière subtile, l’auteur donne la voix à différents personnages, voix qui se croisent, se complètent, se rencontrent. Il y a Josephine Linc, Steelson, une vieille négresse centenaire qui fera figure de pilier ; Rosa Peckerbye, qui tente d’élever seule son fils, Byron, qu’elle a du mal à aimer ; Keanu Burns, l’ancien amoureux de Rosa qui était parti travailler sur une plateforme pétrolière où il a vécu des drames atroces qui lui ont fait perdre la raison ; Buckeley, un des nombreux prisonniers qui a réussi à s’évader grâce à la catastrophe ; et enfin le Révérend, qui a totalement disjoncté et qui se croit investi d’une mission et veut faire expier les péchés aux habitants. A aucun moment Laurent Gaudé ne tombe dans le pathos. Au contraire, les différents portraits font de ce roman une véritable tragédie, qu’il dirige d’une main de maître, avec un style précis, infaillible. PB

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GESSLER, Vincent Cote R GESS

Cygnis Nantes, Atalante, 2010 (Dentelle du cygne). 244 p.

Dans un monde post-apocalyptique, Syn le trappeur et Ack, son loup cyborg, vivent de la vente de peaux de bêtes. Tout en prenant soin d’éviter ou de tuer les robots hostiles aux hommes et qui viennent du temps d’avant, ils rejoignent la ville de Méandre pour la grande foire annuelle. Mais lorsque la guerre est déclarée suite à l’enlèvement des femmes par les troglodytes, Syn et Ack se retirent car ils ont déjà trop tué dans leur vie et ne veulent pas participer au carnage. Jetés sur les routes, ils vont croiser des fuyards, des pillards et des troupes toutes plus dangereuses les unes que les autres et seront aidés par des robots amis à la grande surprise de Syn qui s’évertuait depuis des années à les tuer. Vincent Gessler, jeune auteur suisse romand, invente un monde très étrange encore renforcé par le style de son écriture. A découvrir pour se faire une idée car je trouve que cet ouvrage est assez inclassable dans les littératures de l’imaginaire. FG

GESSLER, Vincent, VALLAT, Anthony Dimension suisse : anthologie de science-fiction et de fantastique romande Cote R DIME Encino, Black coat press, 2010 (Rivière blanche). 269 p. Il y a deux ans, Bernard Campiche éditait Défricheurs d’imaginaire, une anthologie historique de la SF en Suisse. Ici Anthony Vallat et Vincent Gessler, l’auteur de Cygnis (prix des Utopiales 2010) réunissent avec bonheur de jeunes auteurs contemporains. Visiblement, l’existence de la Maison d’ailleurs à Yverdon, l’organisation des mercredis de la SF à Lausanne et à Genève permettent l’expression et l’éclosion de talentueux écrivains ! Ma nouvelle préférée est celle de Robin Tecon, né en 1979. Il aborde à travers le sort des lamentins et la sensibilité d’une petite fille et de son père le problème de la colonisation d’autres mondes avec beaucoup d’humanité et de poésie. Denis Roditi nous raconte l’histoire hallucinante d’un basset adepte du portable et d’un jeune homme un peu mou poussé à la révolte, tandis que Thibaut Kaeser nous serre le cœur avec sa nouvelle sur l’enfant puni. Ces treize textes, précédés chacun par une courte biographie de l’auteur, sont tous de grande qualité. A découvrir sans tarder ! FA

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GOLDBERGER, Sacha Cote 779 GOL

Mamika : grande petite grand-mère Paris, Balland, 2010. 1 vol.

Lire la dédicace de ce livre me fait monter les larmes aux yeux à chaque fois, et pourtant je la connais par cœur… Mais le message d’amour de Sacha Goldberger à sa grand-mère est tellement touchant et sincère ! « Mamika », petite grand-mère en hongrois, alias Frederika Goldberger, née en 1919, juive hongroise, a survécu au nazisme et au communisme et s’est réfugiée en France avec sa famille. Elle a travaillé jusqu’à 80 ans et est tombée en dépression suite à sa solitude forcée et sa « mise au rebut ». Sacha a décidé de la mettre en scène dans des situations loufoques qui montrent avec tendresse la vieillesse, la sénilité, l’humour. L’humour, elle n’en manque pas, Mamika ! On peut lire ses commentaires sur les mises en scènes imaginées par elle et son petit-fils pour se le prouver. Volant au-dessus d’un tapis de course habillée en Superman, observant au loin à travers des jumelles constituées de rouleaux de papier de toilette, ou nettoyant ses vitres avec un chien au poil long, Mamika vous fera rire également. Visitez aussi le site du photographe : www.sachabada.com. Tout comme ce livre, il vaut le détour. DM

GOOLRICK, Robert Cote R GOOL

Féroces Paris, Carrière, 2010. 254 p.

Voici la confession d’un homme né à la fin des années 40, une époque où l’on passait son temps à boire des cocktails entre amis. Le père de l’auteur est mort à cause de l’alcool, sa mère également, quelques années avant lui. Ceci constitue l’ouverture de ce livre. On connaît donc d’emblée l’issue de cette odyssée familiale. Le jeune Robert, son frère et sa sœur sont tous les trois brillants, tout comme le sont leurs parents, un professeur d’université et son épouse sophistiquée à la répartie cinglante. Au fil de la lecture, le malaise grandit, l’auteur est manifestement malheureux, mais quel est le secret qui pèse sur son cœur, sur sa vie, au point d’entraver toutes ses tentatives de vivre une vie sociale et sentimentale « normale » ou du moins satisfaisante ? Ne vous inquiétez pas, on finira par l’apprendre et sa révélation, qui apporte un sens à l’histoire personnelle de l’auteur, frappe par son horreur, en éclairant cette famille presque parfaite qui tenait tant (on comprend pourquoi) à ce que tout ce qui se passe à l’intérieur ne soit jamais révélé à d’autres. Un livre choc qu’on ne quitte pas, pas très gai certes, mais passionnant. DM

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Grands reporters Paris, Les Arènes, 2010. 637 p.

Voici une anthologie particulière. Y sont réunis les plus grands noms du journalisme de terrain, tous lauréats du Prix Albert Londres. A l’image de celui-ci, les grands reporters prennent de grands risques, et au péril de leur vie ou de leur liberté, ils parviennent à capter et parfaitement relater une atmosphère, des regards, une parole lors d’un événement particulièrement dramatique. On y retrouve avec bonheur Jean Lartéguy ou Jean Rollin, Bernard Guetta ou Anne Nivat, du Vietnam au Kurdistan, de Belfast à Grozny, mais aussi plus près de nous. Et c’est un autre rapport au monde que nous lisons, loin de l’information vite écrite, à peine lue, déjà oubliée. MCM

GREGGIO, Simonetta Cote R GREG

Dolce vita : 1959-1979 Paris, Stock, 2010. 406 p.

Dans ce livre, tout est réel, sauf les deux personnages principaux : Malo, un vieux prince jouisseur, et son confident, le prêtre Savio. Le livre s’ouvre sur « La Dolce vita », le film qui scandalise l’Eglise mais remporte le Festival de Cannes. Son succès public correspond aux promesses de liberté après l’austérité et la pauvreté de l’après-guerre. En 1969 une bombe explose à Milan, le début d’une longue série d’actes terroristes. Malo commente chaque fait et se rappelle ses amours avec de jeunes femmes et de tendres hommes. Simonetta Greggio ressort les dossiers secrets, raconte les extrêmes (gauches et droites), accuse le Vatican et la loge P2 de s’acoquiner pour préserver leur argent pour le meilleur mais surtout pour le pire… Elle évoque aussi la mort tragique et mystérieuse de Pasolini, le viol de la femme de Dario Fo, pour finir avec l’assassinat d’Aldo Moro. Parmi ces pages rougies de sang, d’autres ont le goût de Champagne et des drogues dont Malo abusait. Au bout de cette tranche d’Italie, une star apparaît : Berlusconi, l’enfant de la corruption et du crime. RL

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Š Clarita


Source : Wikimedia Commons


Le groupe de Bloomsbury (Exposition. Roubaix La Piscine-Musée d’art et d’industrie André Diligent 2009-2010) Cote 709.41 GRO Paris, Gallimard, 2009. 255 p. « A quoi tient Bloomsbury ? A la rencontre inopinée dans un train de deux jeunes filles et d’un critique respecté qui se sentait un peu seul. A l’achat impulsif d’une petite presse à bras dans une vente de quartier. A des histoires triangulaires entre étudiants dans les cloîtres gothiques de Cambridge. » … Ainsi de Virginia Woolf et sa sœur Vanessa (Bell), la Hogarth Press, Duncan Grant, David Garnett, Lytton Strachey, Clive, Julian, Quentin Bell, E.-M. Forster ou John Maynard Keynes. Le groupe se forme autour de Thoby, frère de Virginia et son futur mari, Léonard. Il se réunit hebdomadairement dans ce quartier de Londres. Il expose un art ignoré en Grande-Bretagne, défini par Roger Fry comme le postimpressionnisme : Derain, Picasso, Cézanne, Matisse seront décriés par les Anglais de 1910 qui se détournent de ces formes artistiques continentales décadentes. A l’instar de Vanessa Bell, Roger Fry ou Duncan Grant, ils créèrent un art solaire inspiré des artistes qu’ils admiraient et de cette lumière méditerranéenne dont ils s’imprégnaient lors de leurs voyages. Croisements amoureux, expériences créatrices et revendications pacifistes, rejets des carcans bourgeois, ils s’investissent dans toutes les formes artistiques et inventent le modernisme. Nous en parlons encore et ce superbe catalogue, richement illustré et documenté, issu d’une exposition qui eut lieu à Roubaix en novembre 2009 immortalise ce groupe qui érigea l’amitié amoureuse en art de vivre. ChM GUENASSIA, Jean-Michel Cote R GUEN

Le club des incorrigibles optimistes Paris, Albin Michel, 2009. 756 p.

Michel Marini, comme l’auteur, avait 12 ans en 1959 à Paris. Sur fond de guerre d’Algérie et de rock’n’roll, le jeune garçon passe une bonne partie de son temps à lire, à photographier et surtout à jouer au baby-foot avec ses copains dans un bistrot de Denfert-Rocherau. Dans une arrière-salle se réunit le « Club des incorrigibles optimistes » où Michel va discrètement s’inviter. Malgré sa jeunesse, il sera admis parmi ces joueurs d’échecs ayant tous comme point commun d’avoir fui l’Est dans des conditions difficiles. Leur règle est de ne jamais se plaindre par respect pour ceux qui sont restés là-bas. De 1959 à 1965 (avec un petit crochet par 1980 à l’enterrement de Sartre), l’adolescent va côtoyer ces gens, les observer, les écouter, parfois même tisser des liens plus étroits. Des rencontres de jeunesse qui vont être bouleversantes pour la suite de sa vie. Un roman magnifique qui a reçu en 2009 le prix Goncourt des lycéens, un vrai gros coup de cœur ! RL

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GUO, Xiaolu Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants Paris, Buchet-Chastel, 2008. 330 p.

HALBERSTADT, Michèle Un écart de conduite Paris, Albin Michel, 2010. 138 p.

Cote R GUO

A dix-neuf ans, la jeune et naïve Laure est arrêtée pour vente de stupéfiants. Elle avait voulu rendre service et la voici interrogée, fichée et condamnée à la détention. Aidée par son grand-père, elle s’évade de prison et sous une autre identité, tente de continuer sa vie. Elle y parviendra en dépassant le remords, la solitude imposée et la peur omniprésente. Laure, devenue Lou, puis Louise, échappera peu à peu aux conséquences de son écart de jeunesse : elle se marie, devient mère, arrive à simuler la normalité à force de volonté, de discipline. Laure a changé, même si l’épée de la culpabilité se balance toujours au-dessus d’elle, elle veut croire en sa rédemption… jusqu’au jour où le directeur de la prison frappe à sa porte. Une écriture sobre, presque ascétique, sert ce court roman délicat, mais radical. MCM

Z. est une jeune Chinoise envoyée en Angleterre par ses parents afin d’apprendre l’anglais. Armée d’un dictionnaire anglochinois, elle se lance à la découverte de Londres et des coutumes occidentales. Un homme entre dans sa vie, vingt ans de différence ainsi qu’un fossé culturel et linguistique les séparent. Au cours de son année d’études cette jeune fille de vingt-trois ans, timide, obéissante et sans expérience de la vie, deviendra une femme libre et sûre d’elle. On s’amuse à lire les transcriptions des conversations ainsi que le journal intime de cette attachante Orientale. MR

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Cote R HALB


HERMAN, Gary Rock’n’roll Babylone : 50 ans de sexe, de drogue et de tragédies Paris, Denoël, 2005 (X-trême). 349 p. Cote 781.66 HER Que de tragédies et d’évolutions durant ces 50 dernières années pour la musique. Elvis, Marilyn Manson, Eminem, Jim Morrison… Derrière la musique se cache un monde dirigé par le pouvoir et l’argent. Ce documentaire explore les côtés néfastes du commerce musical sur les artistes. Le merchandising, les managers, la corruption, les fans, tout cela provoque une telle pression que certains groupes la supportent mal. Du suicide aux pratiques insolites, sans oublier les drogues et autres excès, les célébrités noyées dans un univers de success stories et de corruptions essayent de trouver une échappatoire à leur quotidien. Depuis les années 50 jusqu’à nos jours, l’auteur nous décrit à l’aide d’anecdotes, d’interviews ou simplement de faits, l’environnement parfois absurde que fréquentent les musiciens. L’argent lié à la musique est si important que souvent, il détruit la créativité et l’esprit initial du rock’n’roll. SL

HILSENRATH, Edgar Fuck America : les aveux de Bronsky Paris, Attila, 2009. 291 p. Cote R HILS Le narrateur c’est Jakob Bronsky, un double de l’auteur qui, comme lui, a débarqué aux Etats-Unis en 1952. Il n’a d’autre envie et besoin que d’écrire sur son expérience de vie (et de mort) dans un ghetto de Roumanie. Pour cela, il faut aligner les petits jobs de serveur, veilleur de nuit, promeneur de chiens ; il faut aussi mentir, voler, jouer au voyou, tout faire pour gagner rapidement du pognon. Il fréquente les exclus du grand « rêve américain » et écrit inlassablement « Le branleur ! » dans une cafétéria juive de Broadway. Devant la Statue de la liberté, il repense à la lettre du Consul général qui, en 1939, lui écrivait que ce n’était pas la peine d’espérer de visa avant des années, un système de quotas se devant de « contenir avec la plus grande fermeté ces vagues d’immigration ». Treize ans plus tard, il hurle à la face de celle qui éclaire le monde : « Fuck America ! », les deux seuls mots anglais qu’il connaît (et maîtrise) et qui vont donner le ton à ce roman autobiographique : drôle, cynique et tendre à la fois. RL

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HOUELLEBECQ, Michel Cote R HOUE

La carte et le territoire Paris, Flammarion, 2010. 428 p.

Dans ce dernier livre, qui a obtenu le prix Goncourt en 2010, Michel Houellebecq brocarde les milieux de l’art contemporain, avec, comme à son habitude, une bonne dose d’humour et de cynisme. Il n’hésite pas non plus à se mettre lui-même en scène sous un jour peu flatteur : un écrivain solitaire et crasseux vivant au fin fond de la campagne irlandaise, dans une maison froide et inhospitalière et qui finira par se faire assassiner d’une façon sordide. Houellebecq évoque aussi les relations d’un père et de son fils, les rapports amoureux, la vieillesse et la mort. Un roman lucide et brillant sur notre société, écrit par un auteur qui révèle au fil de ses écrits un talent extraordinaire pour l’observation de ses pairs. CLR

HUMBERT, Fabrice Cote R HUMB

La fortune de Sila Paris, Passage, 2010. 316 p.

La scène se passe dans un restaurant huppé de Paris. Un serveur d’origine africaine est violemment frappé par l’un des clients. Aucune des autres personnes présentes ne réagit. La violence des uns et la lâcheté des autres deviennent la métaphore de notre monde dominé et corrompu par l’argent. Tous les clients présents ce jour-là appartiennent à la classe des gens très fortunés et presque totalement indifférents aux souffrances des autres. Ce roman nous montre la cassure existant dans notre société entre les très riches avides et calculateurs, les grands gagnants du capitalisme, et les autres, ceux qui subissent et sont dominés. Voici une bonne étude de personnages de la modernité, des acteurs de la mondialisation, une peinture de notre temps. MCM

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HUSTON, Nancy Cote R HUST

Infrarouge Arles, Actes Sud, 2010 (Domaine français). 308 p.

Rena Greenblatt a 45 ans et est une artiste-reporter-photographe de renom. Pour fêter le 70e anniversaire de son père Simon Greenbaltt, Rena l’emmène lui et sa deuxième femme à Florence. Mais Simon est fatigué et sa femme Ingrid fort peu sensible aux beautés de la ville. Rena se retrouve souvent seule pour visiter Florence et ses innombrables richesses et laisse son esprit vagabonder et se souvenir : ses maternités, ses expériences sexuelles, les corps masculins qu’elle aime photographier en pleine jouissance, les relations entre hommes et femmes, son enfance et adolescence, ses relations à ses parents. Rena s’interroge aussi à propos du couple qu’elle forme avec le jeune Aziz qui l’attend à Paris et de leur différence d’age et de culture. C’est une double histoire que Nancy Huston nous raconte, la première (pas toujours passionnante) est celle de vacances ratées et la deuxième, au travers des chefs d’œuvre architecturaux et picturaux de la ville, explore la violence des liens entre êtres humains. Connaisseur de Florence ou pas, le lecteur pourra savourer l’étendue de la connaissance de Nancy Huston des trésors de la capitale toscane. CLR

JON HALLUR, Stefansson Cote R JONH

L’incendiaire Montfaur-en-Chalosse, Gaïa, 2010. 332 p.

Seyoisfjörour, petit bourg d’Islande, est le théâtre de cette passionnante enquête policière, menée par l‘inspecteur Valdemar Eggertsson, venu tout spécialement de Reykjavik pour épauler Smari, le policier local. Un adolescent suicidé, des maisons et une menuiserie incendiées, beaucoup d’éléments tragiques que Valdemar veut comprendre, pour éviter de futurs drames. Mais les habitants concernés, victimes ou présumés coupables, disent-ils toute la vérité ou plutôt leur vérité ? Fausses accusations, mensonges, liens inextricables entre les familles, rancoeurs larvées servent d’ingrédients à ce roman, dans cette grande île glacée d’Islande, mais où couvent aussi des feux meurtriers. MCM

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JORGE, Lidia Cote R JORG

Le jardin sans limites Paris, Métailié, 1998. 358 p.

Dans une pension délabrée de Lisbonne, un robinet fuit et le bâtiment est inondé. Les pensionnaires jusqu’ici indifférents font connaissance. Entre eux se tisse alors une amitié. Au dernier étage, la propriétaire d’une vieille Remington se met à écouter ses voisins et à écrire au fil du temps la vie des habitants sans jamais prendre parti. Elle dessine également sur le mur des schémas cryptés correspondant à ses pronostics sur l’avenir des locataires, parmi eux : les meneurs et les ratés. MR

KAMPUSCH, Natascha Cote 364.15 KAM

3096 jours Paris, Lattès, 2010. 307 p.

Titre original allemand : 3096 Tage. Cote 364.15 KAM

L’histoire extraordinaire de Natascha, kidnappée alors qu’elle n’avait que 10 ans et enfermée dans un bunker d’où elle réussit à s’échapper en 2006, a largement été reprise dans les médias. Elle nous raconte ici ses huit ans d’isolement et son combat contre Priklopil, son ravisseur. Entre lavages de cerveau, sous-alimentation, et mauvais traitements, la jeune femme nous explique comment elle a trouvé la force de résister. On comprend aussi que l’image et les informations relayées par les médias étaient souvent erronées. Elle revient également sur les erreurs commises par la police lors de son enlèvement. MR

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Š Herman Brinkman


Š Garrett Ziegler


KAY, Guy Gavriel Le chemin de Sarance Cote R KAY Paris, J’ai lu, 2005 (Fantasy ; 7630 (La mosaïque de Sarance)). 599 p. Vol. 2 - Le seigneur des empereurs. Paris, J’ai lu, 2005 (Fantasy ; 7725). 700 p. Cote R KAY

Caïus Crispus, mosaïste de talent, est appelé à Sarance par Valerius afin de réaliser la plus gigantesque mosaïque de tout l’Empire. Au fil de ses pérégrinations vers Sarance puis des complots de la cour dans lesquels il sera plongé bien malgré lui, Crispus sera forcé de se départir quelque peu de son caractère bien trempé et de louvoyer dans un univers dont il ne maîtrise pas les règles. Peu à peu, il retrouvera aussi goût à la vie après la perte de sa famille emportée par la peste quelques années auparavant. Une trilogie emmenée de façon magistrale par Guy Gavriel Kay, dans un monde foisonnant et détaillé jusque dans la subtilité que l’on devine aisément être celui de la Byzance antique. JM

KERR, Antonia Cote R KERR

Des fleurs pour Zoë Paris, Gallimard, 2010 (Blanche). 150 p.

Depuis qu’Evelyn, la compagne de Richard, l’a quitté, excédée par ses infidélités, il se retrouve seul après trente-trois ans de vie commune et il traverse un passage à vide. Blasé de New York, il abandonne son cabinet de trader avec la ferme intention de prendre la route pour rejoindre le Canada. Il entame son voyage avec John, un ouvrier noir au chômage. C’est sans compter Zoë, la jeune nièce de celui-ci. Le cœur du sexagénaire s’emballe et il perd la tête. Il s’ensuivra une traversée surréaliste des EtatsUnis, entre coups de fils à son psychanalyste et aventures rocambolesques. Richard se sent brusquement revivre. MR

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KERR, Philip Une douce flamme Paris, Masque, 2010. 427 p.

KIM, Young-Ha Fleur noire Arles, Picquier, 2007. 391 p.

Cote R KERR

Cote R KIM

Amérique du Sud, années 50. De nombreux criminels de guerre nazis trouvent refuge en Argentine, accueillis avec une bienveillance certaine et pas totalement désintéressée par Peron. Il faut dire que, pendant la guerre de 39-45, le gouvernement a instauré la directive onze, qui refusait aux Juifs persécutés l’entrée en Argentine. Philippe Kerr mêle habilement cette histoire longtemps occultée et fiction. Un ancien policier de Berlin se voit obligé pour sauver sa peau dans tous les sens du terme, d’enquêter sur un criminel sans doute allemand, sans doute ancien nazi, qui a pour habitude d’éviscérer ses victimes. Le pire, c’est que ce criminel a sûrement déjà sévi à Berlin dans les années trente, que Bernie a vainement tenté de le capturer. La situation politique avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir l’en a empêché. FA

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Tirée d’une histoire vraie, l’auteur coréen Kim raconte dans ce beau roman l’incroyable émigration de 1033 Coréens qui, vers 1910, quittèrent leur pays pour s’exiler au Mexique. Tous, nobles, voleurs, paysans ruinés, voulaient fuir l’arrivée des Japonais ou la misère ou le déshonneur. Après un voyage harassant, le pire les attendait. Ils furent séparés et vendus à différents propriétaires de plantations. Ce qui les attendait, ce fut la privation de liberté, un travail ingrat et épuisant, la faim et la violence de leurs gardiens. Certains tenteront de s’enfuir, d’autres se révolteront. On suit avec passion l’itinéraire de ces émigrés inexpérimentés, déboussolés, abandonnés par leur propre patrie. Beaucoup de drames, mais peints d’une écriture décente, une description du courage de ces hommes, même désespérés et écrasés par la vie. MCM


LACARRIÈRE, Jacques Le pays sous l’écorce Paris, Seuil, 1980. 187 p. Cote R LACA Avez-vous une fois dans votre vie eu l’envie de ressentir ce qu’est l’émoi amoureux d’une grue cendrée, la lente respiration des feuillages d’un platane, le ressenti d’un loir, d’un hibou, ou d’un escargot ? Alors ce texte est résolument pour vous. Le pays sous l’écorce propose une inversion du regard, les animaux ne sont pas humanisés, bien au contraire le monde est découvert à travers leurs sensations. Au fur et à mesure de son exploration le narrateur et en même temps le lecteur ou la lectrice découvrent le monde selon le mode de perception propre à chaque autre espèce animale rencontrée. C’est le récit d’une initiation, d’une quête très proche du rêve des enfants. En filigrane la marche permet de se retrouver à l’unisson du milieu exploré, de s’y rendre invisible ou familier. Bref, un livre jubilatoire où il fait bon se perdre pour, peut-être, mieux se retrouver. CD

LANGE, Henrik 90 livres cultes à l’usage des personnes pressées Bussy-Saint-Georges, Ça et là, 2010 (Longues distances ; 1). 187 p. Cote 809.3 LAN Henrik Lange a fait le pari fou de présenter 90 livres extraits de la crème de la littérature mondiale en trois cases de BD. Le résumé en devient certes, des plus sommaires, mais il faut bien convenir que l’essence du roman y est. En plus d’avoir réussi à résumer l’œuvre au plus serré, Lange y a ajouté une note d’humour. Ça donne ceci : « 1° Dorian est un type égocentrique qui se fait faire un super beau portrait. A l’ère du pré-botox, il fait le vœu que le portrait vieillisse à sa place. 2° Et ça marche. Après chaque acte de débauche, le portrait s’enlaidit mais Dorian, lui, a toujours l’air pimpant. Au diable la chirurgie esthétique ! 3° La culpabilité le ronge et il détruit le vil portrait. Il vieillit, le portrait rajeunit et tout le gratin de Los Angeles devrait retenir la leçon ». Chacun aura reconnu bien sûr, la trame du Portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde. L’ayant lu, vous ne prétendrez bien sûr pas avoir compulsé chacune de ces 90 œuvres… Par contre, vous aurez certainement passé, comme moi, un excellent moment. DM

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LAPEYRE, Patrick Cote R LAPE

La vie est brève et le désir sans fin Paris, POL, 2010. 344 p.

Louis Blériot, même s’il porte un nom célèbre, est un homme banal, peu sûr de lui, traducteur de notices pharmaceutiques est amoureux de deux femmes : son épouse, équilibrée et ancrée dans la réalité, et Nora, l’irrésistible, la narcissique. Cette dernière revient vers Louis à Paris après avoir disparu deux ans sans explications. Ce temps, elle l’a passé à aimer un autre homme à Londres. Un Jules et Jim moderne qui décline l’amour et tous ses satellites : jalousie, attente, désir, tromperie, etc. Sans pathos, avec finesse, l’auteur arrive à nous transporter. Chaque phrase est pesée, travaillée afin de la rendre nette et précise ; chaque situation est observée avec subtilité et l’ironie n’est jamais loin. Un livre où les personnages hésitent, prennent le chemin qui se présente, suivent leur désir du moment : « On aime quelqu’un, on aime un monde, et on a le cœur navré de ne pas aimer quelqu’un d’autre dans un autre monde ». Un prix Fémina 2010 bien mérité ! RL

LE CALLET, Blandine Cote R LECA

La ballade de Lila K Paris, Stock, 2010. 393 p.

Dans un XXIe siècle du futur tellement proche, Lila grandit dans un centre psychiatrique. Privée de sa mère, elle ne supporte ni la nourriture, ni la lumière, encore moins le contact avec les autres. Dans ce monde hyper-contrôlé, tout est obligatoire pour le bien de tous : santé, bonheur et même orgasme. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose? Outre l’alcool et le tabac, les livres sont prohibés car le contact avec le papier et l’encre pourrait être malsain. Ainsi tout écrit est numérisé, censuré et stocké à la Grande Bibliothèque. Un des éducateurs de Lila, M. Kauffmann, a le malheur de posséder encore des livres et d’en offrir à la petite fille. Exit M. Kauffmann, il lui a quand même laissé un dictionnaire que les employés n’osent pas détruire et une écharpe qu’elle cache soigneusement. Après la disparition de M. Kauffmann, Lila se laisse formater par Fernand, beaucoup plus conformiste et réaliste. Elle grandit, mais, au fil des années, sa quête reste la même : retrouver sa mère indigne dont toute trace a été effacée par l’administration. Dans la droite ligne d’Orwell, Blandine Le Callet dresse une terrifiante description de notre société encline à l’hygiénisme et à l’exclusion. Mais l’originalité de cette ballade vient aussi du questionnement de l’auteure sur l’amour filial et le lien inconditionnel entre l’enfant maltraité et ses parents. FA 50


LE GUILLOU, Philippe Cote R LEGU

Fleurs de tempête Paris, Gallimard, 2008 (Blanche). 161 p.

Deux fleurs, la mère et la fille, Hélène et Marie, la seconde qui connaîtra peu la première morte prématurément d’un cancer ravageur et douloureux à l’âge de quarante ans. Ce récit-hommage est l’évocation nostalgique, magnifique et pleine de vie de l’amitié que l’auteur a noué avec Hélène pendant vingt ans : une passion partagée pour la littérature française les avait fait se rencontrer et ils ne se quitteront plus. On s’appelle souvent, on voyage de concert, on guette dans la caisse du bouquiniste ce livre que l’autre cherche en vain… Ils mangent chez l’un et chez l’autre, partagent leurs amitiés plus contingentes, respirent le même air marin et salin aimé avec une pareille fougue car c’est à ce courant-là que leur corps s’est façonné, sur une côte bretonne adorée, vénérée et restituée grâce à un style comme fouetté par les embruns et sculpté par le vent ! Même amour pour Paris, la « Mère-Ville » arpentée inlassablement à la découverte de tous ses quartiers pittoresques, restaurants aimés, bars et bistrots chéris où ils reviennent souvent comme dans les lieux d’une famille élargie – dont nous lecteurs faisons désormais partie. ChM

LEE, James S. Cote 178.8 LEE

Les tribulations d’un opiomane (1895-1915) Paris, Intervalles, 2009. 319 p.

En 1894, le jeune James S. Lee, à peine âgé de vingt-deux ans, débarque en Inde pour occuper un poste d’ingénieur en mécanique dans une mine. D’un naturel curieux, Lee s’acclimate aisément aux conditions parfois rudes de la vie en Inde. Sa rencontre avec un médecin lui ouvrira les portes du monde des stupéfiants. Dès lors Lee n’aura de cesse de consommer toutes sortes de drogues, d’essayer les mélanges les plus divers tout en continuant son travail d’ingénieur aux quatre coins du monde : Indonésie, Malaisie, Shangai (dont la description des bas-fonds est particulièrement saisissante), Brésil, Congo. Lee maîtrise (apparemment) parfaitement sa consommation de drogue, trouvant chaque fois les associations et les dosages les plus judicieux à son bien-être et même, selon lui, à sa santé. Ces tribulations sont aussi un formidable témoignage des conditions de vie, souvent proches de l’esclavage, du peuple dans les diverses colonies que Lee fréquente. La sensibilité et l’empathie dont Lee fait preuve à l’égard des indigènes sont tout à fait exceptionnelles pour l’époque. Une préface et postface apportent un éclairage supplémentaire au livre, relativisant entre autres les bienfaits soi-disant merveilleux de la drogue : Lee devait être doté d’une sacrée résistance aux stupéfiants, contrairement à sa jeune femme indienne Mulki qui mourra d’une overdose à Londres en 1915. CLR 51


LEWINSKY, Charles Cote R LEWI

Un village sans histoire Paris, Grasset, 2010. 382 p.

Titre original allemand : Johannistag. Cote R3 LEWI

Un village, que dis-je ? un hameau tout au plus, où s’échoit un professeur allemand, après un amour malheureux. Avant de s’intégrer, il observe et va à la rencontre de ses voisins. Plutôt bizarres, ces gens-là. Il ya la vieille Séverine, toujours assise sur son perron et qui sait tout sur tout, le jeune paysan qui arpente les chemins sur ses énormes engins agricoles, Jojo le demeuré, son pote Jean, le bricoleur qui rend service à tout le monde et la jeune Valentine qui fait du gringue à tous les mâles qui passent. Puis tout se délite, accusations d’adultère, invention d’un viol, anciennes et bien vilaines histoires du temps de la Résistance, tout s’enchaîne pour accuser le brave Jean. Atmosphère lourde de suspicion, langues qui se délient, le narrateur est submergé de pensées contradictoires et d’observateur, il s’impliquera et essaiera de comprendre ce qui va de travers dans ce Clochemerle déroutant. On trouve déjà dans ce premier roman la truculence, l’entrecroisement des personnages et des destins et surtout l’extraordinaire talent de l’auteur de Melnitz, à analyser et sonder les âmes. MCM

LOVECRAFT, Howard Phillips Le mythe de Cthulhu Cote R LOVE Paris, J’ai lu, 2009 (J’ai lu fantastique ; 4176). 190 p. A la fin du 19e siécle et au début du 20e, d’étranges phénomènes se produisent un peu partout à travers le monde. Des gens deviennent fous, des sectes sanguinaires commettent des massacres, des personnes disparaissent dans des bains de sang… Tous ces incidents ont un point commun : l’origine de la démence provient de rêves durant lesquels les victimes entrevoient une curieuse et très ancienne civilisation ainsi qu’une créature à l’aspect terrible et démoniaque. Tous les signes découverts par les chercheurs qui se penchent sur ces phénomènes semblent converger vers le même point : le réveil du sanguinaire Cthulhu est amorcé ! Un grand classique du fantastique de terreur, par un maître du genre ! FG

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H. P. Lovecraft 1890-1937 Il voulait montrer essentiellement que l’homme, forme de vie insignifiante parmi d’autres, est loin de tenir une place privilégiée dans la hiérarchie infinie des formes de vie. Ses travaux sont profondément pessimistes et cyniques. Il est considéré comme l’un des écrivains d’horreur les plus influents du XXe siècle.


Š Jason Burmeister


MA, Jian Cote R MA

Chemins de poussière rouge La Tour d’Aigues, Aube, 2005 (Regards croisés). 452 p.

Ma Jian possède beaucoup de cordes à son arc : romancier, poète, peintre, photographe… autant de talents qui ne sont pas forcément des avantages dans la Chine communiste des années 1980… Soucieux de préserver sa liberté de plus en plus menacée, il décide de quitter Pékin et s’élance sur les routes de son immense pays. Cet exil intérieur durera 3 ans. D’Est en Ouest, du Nord au Sud, il traverse villages crasseux et villes surpeuplées, va à la rencontre de populations que le modernisme n’a pas encore effleurées. Le narrateur, qui devient rapidement très attachant, nous entraîne dans un voyage palpitant aux multiples couleurs, odeurs et ambiances. Récit de voyage ? Roman ? peu importe, j’ai beaucoup aimé ce récit foisonnant qui a d’ailleurs obtenu le Thomas Cook Travel Book of the year en 2002. FB

MacEWAN, Ian Cote R MACE

Samedi Paris, Gallimard, 2006 (Du monde entier). 349 p.

Titre original anglais : Saturday. Cote R2 MACE

Euphorique, le neurochirurgien Henri Perowne se lève en ce samedi matin et contemple sa ville, Londres, depuis sa fenêtre. Il pense à sa journée : squash, visite à sa vieille mère, quelques courses en vue du dîner de ce soir. Mais tout vacille, lorsqu’il entre en collision avec la voiture de trois petits voyous qui le tabassent. Toute sa journée en sera bouleversée. Il cherche à comprendre l’enchaînement de ses pensées, il analyse ses émotions et nous le suivons dans les méandres de ses réflexions, ses méditations profondes sur tout ce qui lui arrive en ce samedi pas comme les autres. Les longues introspections du personnage, lucides ou ambivalentes parsèment ce scénario dramatique et palpitant. C’est du grand art que ce roman de Ian McEwan. On en redemande. MCM

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MARKARIS, Petros L’empoisonneuse d’Istanbul Paris, Seuil, 2010 (Seuil policiers). 288 p.

MARSH, Willa Le journal secret d’Amy Wingate Paris, Autrement, 2010. 205 p.

Cote R MARK

Cote R MARS

Avec la réussite des Mankell, Arnaldur Indridason et autres Nordiques, on en oublierait presque que le bon polar n’est pas l’apanage des seuls pays des frimas. Le genre a trouvé un excellent défenseur sur les bords de la Méditerranée, à savoir Petros Markaris. Ce Grec-Arménien né en Turquie nous parle de la société grecque encore hantée par les fantômes de la dictature des colonels. Son héros, le commissaire Charitos, accro aux dictionnaires et aux bons petits plats, est doté d’une volcanique épouse et d’une fille unique adorée. Ce quatrième titre des aventures de Charitos est un peu différent car il se passe à Istanbul, pardon Constantinople (pour le commissaire, la belle du Bosphore est restée à l’heure grecque). Parti en vacances avec sa femme pour oublier le mariage civil de leur fille, il se retrouve contraint et heureux d’enquêter avec un policier turc sur une mystérieuse nonagénaire soupçonnée de cuisiner à l’insecticide… C’est l’occasion pour nous lecteurs de flâner dans Istanbul et ses quartiers, de prendre conscience aussi que la ville n’abrite pas que des minorités « étrangères ». Comme l’explique le collègue turc, ceux qui ont vécu en Allemagne peuvent s’y sentir tout aussi déphasés. FA

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Amy, cinquantenaire à la retraite, se voit obligée par son médecin de tenir un journal afin d’évacuer ses sentiments. Depuis sa récente ménopause elle est victime de fortes sautes d’humeur. Ce journal nous plonge dans l’environnement de cette ancienne institutrice et nous fait découvrir les gens qui gravitent autour d’elle. Son amie Francesca qui se sert d’elle comme faire-valoir, le jeune voleur qu’elle a manqué de tuer, Amy nous livre son quotidien et pas seulement, elle partage avec nous les mémoires de sa jeunesse dans une Grande-Bretagne encore prisonnière de la tradition. Amy se délivrera-t-elle de son lourd secret ? MR


MASON, Richard Le bal des imposteurs Paris, Lattès, 2001. 376 p.

MASON, Richard Nous Paris, Lattès, 2006. 377 p.

Cote R MASO

Cote R MASO

Dans son château de Cornouailles, James Farrell est éploré après le suicide de son épouse Sarah. C’est du moins ce qu’il raconte à l’inspecteur de police. En réalité, il vient de la tuer après quarante-cinq ans de vie commune et revient sur son geste. Brillant violoniste jeune et naïf, il était promis à une belle carrière. Un jour, il rencontre Ella Harcourt, une richissime et noble anglaise, dont il tombe amoureux. Il ne le sait pas encore mais ce n’est pas elle qu’il finira par épouser mais sa cousine Sarah. Entre vengeances et secrets de famille, James se retrouvera piégé malgré lui. MR

Après son premier roman Le bal des imposteurs, bestseller paru en 1999, Richard Mason nous livre ici un roman captivant. Trois trentenaires, Julian, fils de bonne famille anglaise devenu enseignant, Adrienne, riche Américaine épouse d’un producteur de cinéma et Jake, un artiste d’origine populaire, nous livrent leur histoire : comment ils se sont rencontrés à Oxford et se sont liés d’amitié, réunis par Maggie, la charismatique sœur de Julian. Nous découvrons à travers les récits de chaque narrateur comment cette sœur changea leur vie. Peu à peu, le voile se lèvera sur les circonstances qui ont entraîné sa mort et quelles furent les répercussions de ce décès sur la vie des trois protagonistes. Dans ce roman original, l’auteur nous fait découvrir les personnalités et la psychologie de chaque personnage. MR

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MATSUMOTO, Seicho Cote R MATS

Un endroit discret Arles, Actes sud, 2010 (Actes noirs). 215 p.

Tsuneo Asai est en voyage d’affaires à Kobe lorsqu’il reçoit un appel lui annonçant la mort subite de sa femme par crise cardiaque. Elle se serait sentie mal et réfugiée dans une boutique de cosmétiques où elle aurait succombé. Tsuneo trouve la présence de sa femme dans ce quartier lointain des plus étranges, d’autant plus qu’il apprend que s’y trouvent plusieurs maisons de rendez-vous, ces endroits où les couples illégitimes viennent voler quelques heures. La discrète Eiko était cardiaque, et devait se préserver, elle était discrète et réservée, elle ne connaissait pas de passion, à part la composition de haïkus à laquelle elle s’adonnait avec talent au sein d’un groupe de femmes… Mais se pourrait-il que la Eiko qu’il connaissait avait une double vie ? Tsuneo va mener une enquête qui le mènera beaucoup plus loin qu’il le pensait. Quant au lecteur, n’en parlons pas. Il aura de la peine à lâcher ce livre ! DM

MAYLE, Peter Cote R MAYL

Une vie de chien Paris, Seuil, 1999. 187 p.

Il est intelligent, manipulateur, attachant et très poilu. Voici Boy, le chien qui nous livre ici ses mémoires. De son abandon à la douce quiétude d’un foyer d’expatriés anglais en France, il nous dévoile son intimité. Nous apprendrons ainsi les us et coutumes de ceux qu’il appelle les chiens résidents. Saurons-nous qui a engrossé Fifine, la chienne du voisin ? Le chat de madame Noiret survivra-t-il à sa rencontre avec Boy ? Entre bêtises, manipulations, expériences de vie canine et observations de la Direction, autrement dit ses maîtres, le meilleur ami de l’homme nous livre ici un portrait drôle et attendrissant de notre société. MR

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MENDOZA, Eduardo Cote R MEND

Les aventures miraculeuses de Pomponius Flatus Paris, Seuil, 2009. 225 p.

Au 1er siècle de notre ère, Pomponius Flatus le Romain parcourt le monde connu à la recherche d’une eau qui lui donnera la sagesse. Empoisonné après avoir bu de l’eau non potable, il arrive à Nazareth. Sur place, des compatriotes romains préparent une exécution. Sans argent, il se met au service de Jésus, un petit garçon dont le père, Joseph, le charpentier du village, va être crucifié pour le meurtre d’un notable nommé Epulon. Roman comique et historique dont l’enquêteur n’a rien à envier à Sherlock Holmes. MR

MENGESTU, Dinaw Cote R MENG

Les belles choses que porte le ciel Paris, Albin Michel, 2007. 303 p.

Stephanos, forcé de quitter l’Ethiopie dans des conditions dramatiques, a trouvé une terre d’asile aux Etats-Unis. Soutenu par un oncle qui l’a recueilli à son arrivée, il finit par se distancer de la communauté éthiopienne en ouvrant une petite épicerie dans un quartier populaire de Washington. Les jours passent, dans une monotonie et une résignation presque rassurantes. Chaque jeudi soir, Stephanos retrouve ses deux amis Kenneth et Joseph, émigrés africains comme lui et ils dissertent sur cette Afrique à feu et à sang. Pourtant, imperceptiblement, le quartier change : de nouveaux habitants, plus fortunés, s’installent dans des maisons rénovées. Et voici qu’emménagent Judith et Naomi, sa fille de neuf ans... une véritable petite révolution dans la vie de Stephanos. Dinaw Mengestu nous livre un premier roman d’une très grande justesse et d’une sensibilité extrême sur le thème de l’exil. JM

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METTAN, Guy, BUCHI, Christophe Cote 808.87 MET

Dictionnaire impertinent de la Suisse Genève, Slatkine, 2010. 155 p.

Qu’ont en commun Einstein, Chessex, Klee, Giacometti et Le Corbusier ? Le cénovis, le Tilsit, le cervelas, le Toblerone et la damassine ? Leur nationalité suisse, bien entendu. Leurs entrées dans ce dictionnaire impertinent en côtoient bien d’autres, qui illustrent tout ce qui fait la Suisse. De Aar, la seule grande rivière 100% helvète, au réformateur Ulrich Zwingli, cet opus propose un voyage plein d’humour à travers notre pays. En guise de mise en bouche, la définition du «Forfait fiscal» : «Sorte de pécule que les milliardaires étrangers doivent amasser pour se libérer de l’esclavage de l’administration fiscale.. Récompense en principe ceux qui ont longuement accumulé de l’argent à la sueur du front des autres sous de lointaines latitudes et qui demandent l’asile en Suisse afin de fuir les persécutions de leur pays d’origine [...]». Quant au Lac Léman : «Plus grand lac d’Europe. Les Français, les Allemands, les Anglais et la plupart des pays du monde l’appellent le «lac de Genève», ce qui fait frémir d’indignation les Vaudois, qui ne jurent que par le lac Léman. Tout cela n’a plus d’importance puisque le bassin lémanique s’appellera bientôt «Geneva Lake Greater Area». En 150 pages, l’essentiel de ce que vous avez toujours voulu savoir sur la Suisse en termes de culture, géographie, gastronomie, histoire, relations internationales, etc. DM

MONROE, Marilyn Cote 791.43 MON

Fragments : poèmes, écrits intimes, lettres Paris, Seuil, 2010 (Fiction et Cie). 269 p.

Entre 1943 et 1962 Marilyn Monroe a couché sur papier, dans de petits carnets ou sur le papier à lettres des nombreux hôtels qu’elle habitait, des pensées intimes, des réflexions sur son travail, des lettres à ses proches et des poèmes. Au fil des textes (fac-similés) on découvre une Marilyn cultivée, curieuse, grande amatrice de littérature, une femme hyper sensible, lucide et dépressive, perfectionniste et doutant d’elle-même, souvent en porte-à-faux avec l’image de la blonde sexy et souriante, un peu gourde, que les studios hollywoodiens ont contribué à façonner. Ses poèmes révèlent une véritable sensibilité d’écrivain, les lettres à ses proches expriment la dualité de la personnalité de Marilyn : une femme volontaire pleine de projets professionnels mais aussi désespérée : « à l’aide à l’aide à l’aide je sens la vie qui se rapproche alors que tout ce que je veux c’est mourir… ». Fragments est un livre précieux, qui rend hommage avec respect à une personnalité passionnante et incontournable du 20e siècle, celle d’une femme étouffée par son propre mythe. CLR

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Š Timur1970


Beaux seins, belles fesses

MO, Yan Cote R MO

Paris, Seuil, 2005. 825 p.

Beaux seins, belles fesses, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer en lisant le titre, raconte l’épopée de la famille Shangguan dans la Chine du XXe siècle et ses multiples soubresauts. Si cette famille est essentiellement composée de femmes de caractère, nous suivons Jintong, le fils né de façon inespérée après huit filles. Couvé par sa mère, il restera pendu à ses seins durant de bien nombreuses années, largement au-delà de l’âge de raison. Il lui en restera une passion dévorante pour les seins, qui lui vaudra les plus grandes joies mais surtout les pires ennuis, dont quinze ans dans un camp de rééducation. Un roman prodigieux, aussi burlesque que tragique, qui nous fait traverser l’invasion japonaise, la Révolution culturelle puis l’arrivée d’une économie capitaliste, ceci au travers des yeux naïfs d’un Jintong ballotté par les soubresauts de l’histoire. JM

MO, Yan Cote R MO

Le maître a de plus en plus d’humour Paris, Seuil, 2006. 107 p.

Lao Ding a été durant toute sa vie un employé modèle de la Chine communiste. Or, à un mois de prendre sa retraite, voilà qu’il est licencié de son entreprise pour des raisons économiques. Malgré diverses promesses de soutien, il ne lui reste plus que ses yeux pour pleurer : âgé, usé par des années de travail, comment va-t-il faire pour subsister ? Le hasard va mettre sur son chemin un vieux bus caché tout au fond d’un parc et utilisé par des couples clandestins. Après quelques travaux cosmétiques, le bus devient une véritable chambre d’hôtel douillette qu’il va louer aux passants... à sa grande honte dans une premier temps puis avec de plus en plus d’aplomb ! Maître Ding se serait-il soudainement mué en un petit capitaliste ? Un roman court pour un propos des plus incisif sur une Chine en pleine mutation, sans pitié pour les plus faibles. JM

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MOORE, Lorrie La passerelle Paris, Olivier, 2010. 360 p.

MORANTE, Elsa L’île d’Arturo Paris, Gallimard, 2000 (Folio ; 1076). 606 p.

Cote R MOOR

Cote R MORA

Tessie est une jeune étudiante en soufisme et en œnologie (elle s’est bien gardé de mentionner son âge) fraîchement débarquée de sa ferme. Tout l’émerveille en ville : les cinés, la nourriture chinoise, le vibromasseur de sa coloc. Pour se faire quelques sous, elle devient baby-sitter. Edward le père adoptif est quelque peu absent, Sarah la mère l’est d’une autre manière, tellement la tenue de son restaurant chic l’accapare. Sarah engage d’ailleurs Tessie car elle apprécie les pommes de terre produites par le père de la jeune fille! Tessie tombe amoureuse d’un étudiant brésilien qui se révèle par la suite n’être ni l’un ni l’autre. Tout ceci pourrait donner un roman d’apprentissage drôle et bien troussé, sauf que la petite fille adoptée est métisse, que ses parents blancs cachent un lourd secret, et que l’Amérique est encore sous le choc des attentats du 11 septembre. FA

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Subtile représentation de l’adolescence, ce roman se lit aussi comme une merveilleuse évocation d’un lieu : la petite île de Procida dans le golfe de Naples. Ses collines, ses cratères, ses falaises, la nature sauvage de ses habitants humbles et frustes et la mer enchanteresse sont des éléments aussi prépondérants à la trame de ce très beau roman que les aventures du narrateur Arturo qui grandit là, un peu livré à lui-même car sa mère meurt tôt et son père ne fait que prétendre s’intéresser à son fils. C’est un des nœuds du roman ; jusqu’où peut aller un père, à quelle distance émotionnelle d’indifférence et d’égoïsme peut-il tendre pour finalement cesser d’être cet homme extraordinaire et fantasmé par l’imagination du jeune garçon ? Arturorebelle grandit seul et se suffit à lui-même. Il se révolte contre tous et idéalise ce père voyageur qui s’arrête parfois pour jouer distraitement avec son fils. Arturo mûrit et s’aventure vers ses propres vérités et désillusions : la quête de l’amour idéal se résume souvent à explorer sa propre solitude et le mépris de «l’être mystérieux» est parfois de l’amour qui avance masqué. Enfin, on quitte son enfance comme on s’éloigne de l’île natale, des larmes aux yeux mais la tête résolument tournée vers ce qui arrive. ChM


MUELLER, Herta La bascule du souffle Paris, Gallimard, 2010 (Du monde entier). 308 p. Cote R MUEL Titre original allemand : Atemschaukel. Cote R3 MUEL

Leopold a 17 ans, l’âge des rêves, lorsqu’il est envoyé de force avec des centaines d’autres Allemands de Roumanie dans les camps soviétiques. En 1945, à la fin de la guerre, les Russes avaient trouvé ce moyen pour se venger de l’ennemi nazi. Leo y restera cinq longues années, loin des siens, dans un camp de travail où la vie rime avec froid ou chaleur extrême, faim et souffrance. Il en ressortira anéanti et, 60 ans plus tard, sera encore et toujours hanté par cette expérience traumatisante. Herta Müller, Prix Nobel de littérature 2009, a basé son roman sur le témoignage d’un ami écrivain, Oskar Pastior, qui a vécu cette déportation et survécu à plusieurs goulags. L’écriture d’Herta Müller, très personnelle, frappe par sa beauté. Elle réussit à restituer l’univers imagé que Leo entretient avec lui-même pour supporter l’innommable. Une grande écrivaine à découvrir et un roman très fort sur un sujet peu connu. FB

MUNOZ MOLINA, Antonio Le vent de la lune Paris, Seuil, 2008. 298 p. Cote R MUNO Titre original espagnol : Viento de la luna. Cote R6 MUNO

Dans un petit village andalou, quelques jours d’un mois de juillet 1969, nous assistons à l’éveil d’un jeune adolescent à la vie séminale et sa lente émancipation de l’univers familial en apparence immuable et insensible à la modernisation illustrée par cet évènement majeur : le lancement et l’alunissage d’Apollo XI qui fascine le jeune garçon. Soudain, ce qu’il lisait dans des romans d’aventures se passe en vrai et en direct sur une télévision que la maisonnée ne possède pas encore. Ce roman lyrique, ample et généreux est un hymne à l’intelligence, au passé, à l’enfance, au village où il grandit, à la famille qui l’entoure. C’est un chaleureux hommage au père, jardinier respectueux et amoureux des fruits et légumes qu’il cultive tôt pour les vendre un peu plus tard sur la place du marché. Alors qu’il souhaite léguer à son fils un héritage qui lui tient à coeur, chacun d’eux prend la chagrine et mélancolique conscience de la distance qui toujours s’impose entre un père qui vieillit et un fils qui grandit. ChM

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NATSUME, Soseki Je suis un chat Cote R NATS Paris, Gallimard, 2002 (Connaissance de l’Orient) (Collection UNESCO d’œuvres représentatives. Série japonaise). 438 p. « Je suis un chat. Je n’ai pas encore de nom », ainsi commence le roman de Natsume Soseki. Le chat en question s’est installé à Edo (ancien nom de Tokyo) chez un certain professeur Kushami (« éternuement » en japonais), un double de l’auteur qu’il juge pourtant parfois bien sévèrement. Un regard autocritique, certes, mais aussi très sévère pour les autres personnages caricaturaux de la bourgeoisie du Japon des années 1900. Avec beaucoup d’ironie le matou fier et arrogant est choqué de la manière dont on le traite. Son érudition l’amène à disserter sur ces stupides humains dont il dépend et miaule régulièrement des tirades dignes de grands philosophes. Au final, un roman d’avant-garde qui rend compte de cette ère Meiji où le Japon a géré plus ou moins bien le passage des coutumes ancestrales à un occidentalisme souvent exacerbé (on proposa l’abandon de la langue japonaise pour l’anglais !). Si on avait des doutes sur le sens de l’humour des Japonais, ce récit nous prouve le contraire, lisez plutôt ! RL

NOSAKA, Akiyuki Cote R NOSA

La tombe des lucioles Arles, Picquier, 2009. 91 p.

Ce livre largement autobiographique retrace le combat de Seita, 14 ans, et de sa sœur Setsuko, 4 ans, qui, durant la seconde guerre mondiale au Japon, tentèrent de survivre après la mort de leurs parents. D’abord confiés à une tante qui les fait travailler et les sous-alimente, ils s’enfuient, livrés à eux-mêmes, ils se retrouvent contraints de voler pour se nourrir. Les magnifiques illustrations nous permettent de saisir l’horreur et l’atmosphère de ce récit. Un témoignage poignant de l’enfer des bombardements et la difficulté de survivre à la malnutrition. Une adaptation cinématographique ainsi qu’un film d’animation ont été tirés du livre. MR

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O’HAGAN, Andrew Vie et opinions de Maf le chien et de son amie Marilyn Monroe Cote R OHAG Paris, Bourgois, 2010. 343 p. Quelle destinée que celle de ce chiot, adorable bichon maltais qui voit le jour en Angleterre chez les peintres Vanessa Bell et Duncan Grant. C’est Mme Gurdin, qui n’est autre que la mère de l’actrice Natalie Wood et amoureuse folle de chiens, qui l’emmène aux USA où il est acheté par le crooner Frank Sinatra, qui en fait cadeau à son amie Marilyn Monroe. Le chien est ironiquement baptisé par sa célèbre maîtresse « Mafia Honey », clin d’œil de celle-ci pour les fréquentations douteuses de Sinatra. Nous sommes en 1960, la star n’a plus que deux ans à vivre et l’Amérique est à un tournant de son histoire. A travers le regard perspicace de Maf le chien, c’est toute la société américaine qui est subtilement révélée au lecteur. Dans ce livre point de nouvelles informations scabreuses sur Marilyn, mais plutôt un portrait aussi ironique que touchant de cette immense actrice à la lumineuse fragilité. Radioscopie subtile et érudite des milieux artistiques et politiques de l’Amérique des années 60, Vie et opinions de Maf le chien et de son amie Marilyn Monroe est un livre profondément original. CLR

OGAWA, Yoko Cote R OGAW

Les tendres plaintes Arles, Actes sud, 2010. 238 p.

Lassée par les infidélités de son mari, Ruriko décide de quitter Tokyo et de se réfugier dans le chalet familial, en pleine forêt. Loin de l’agitation du monde, seule avec elle-même, elle espère retrouver la sérénité en se plongeant dans son travail de calligraphe, mais aussi en se ressourçant lors de promenades. C’est ainsi qu’elle rencontrera Nitta, un ancien pianiste de renom devenu facteur de clavecins, qui vit avec son assistante Kaoru et un vieux chien aveugle. La narratrice observe ses voisins, cherchant à comprendre la relation qui les unit et pourquoi Nitta, qui lui a avoué ne plus pouvoir jouer en public, interprète Les Tendres Plaintes de Rameau pour Kaoru. Yoko Ogawa parvient parfaitement, dans ce roman écrit au début de sa carrière, à retranscrire l’étrange attraction qui unit ces trois personnages, tous habités par des secrets, qui se croisent, s’épient, se cachent. Plongés dans un monde sauvage, peut-être parviendrontils à atteindre l’absolu qu’ils recherchent tous de manière différente ? PB

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OKSANEN, Sofi Cote R OKSA

Purge Paris, Stock, 2010 (La cosmopolite). 399 p.

Le livre débute en 1992 quand les Russes quittent l’Estonie. C’est la fête, sauf chez la vieille Aliide qui, par amour, a joué un double jeu pendant l’occupation soviétique et craint les représailles. Elle vit recluse avec ses souvenirs qu’elle nous confie. Dans les années 40, elle a aimé son beau-frère, un résistant nationaliste. Lorsque sa sœur et sa nièce ont été arrêtées et envoyées dans les camps, elle l’a caché chez elle sans que son mari ne s’en aperçoive. Quel rôle a-t-elle joué dans cette arrestation, la question va déranger longtemps le lecteur. En 1992 débarque Zara, pourchassée par un mari russe violent qui la prostitue à Berlin. Qui lui a donné l’adresse d’Aliide ? Secrets de famille sur fond historique d’une région dont on ignore tant. 60 ans de son histoire racontés par Sofi Oksanen, une auteure finlandaise de 33 ans, qui nage en plein bonheur puisque son roman a été vendu à 150.000 exemplaires en Finlande qui ne compte que 5 millions d’habitants ; les traductions sont multiples et celle en français (excellente) rencontre également un succès mérité. RL

OVALDE, Véronique Cote R OVAL

Ce que je sais de Vera Candida Paris, Olivier, 2009. 292 p.

Pas étonnant qu’il y ait dans ce roman d’Ovaldé pas mal d’Isabel Allende, ou de Gabriel Garcia Marquez, puisqu’il se passe en Amérique latine. C’est sur l’île imaginaire de Vatapuna qu’on fait connaissance avec la première de cette lignée de femmes : Rose Bustamente. Farouche, indépendante, la pêcheuse de poissons volants tombera enceinte tardivement d’un séducteur revenu sur l’île et enfantera Violette, une fille un peu demeurée qui boira un peu trop facilement et écartera trop vite les jambes. Elle décédera jeune, dans des conditions mystérieuses, mais pas avant d’avoir donné le jour à Vera Candida. Celle-ci sera élevée par sa grand-mère qui lui apprend à être femme, forte et indépendante… Enceinte, Vera Candida quitte Vatapuna à l’insu de sa grand-mère et rejoint la terre pour mettre au monde Monica Rose, trouver un travail et tenter de casser le destin funeste qui pèse sur les femmes de sa lignée. Un roman magnifique, foisonnant, aux personnages attachants et une histoire magnifique dont la tristesse est aplanie par un soleil de plomb et une langue luxuriante. DM

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Š Galyna Andrushko


PAGE, Martin Cote R PAGE

La mauvaise habitude d’être soi Paris, Olivier, 2010. 147 p.

Raphaël est réveillé brutalement par un inspecteur qui tente de le convaincre qu’il a été assassiné. Marc postule pour un emploi de coupable. Philippe se fait aborder par un homme qui veut être lui. Tristan est devenu précieux depuis qu’on lui a annoncé qu’il est génétiquement une espèce en voie de disparition... Ces sept histoires loufoques et pleines d’humour n’ont pourtant rien à voir avec la littérature fantastique, mais tout avec l’absurde. A noter que ce petit livre inclassable qui se lit d’une traite est illustré par Quentin Faucompré qui a très bien su rendre les idées pour le moins incongrues de Martin Page. DM

PERRIN, Jacques Cote 848.03 CH PER

Dits du Gisant Vevey, Aire, 2009. 245 p.

Ce livre raconte la chute de Jasper, alpiniste de l’extrême, son immobilité forcée, sa descente aux enfers et sa lente réappropriation de son être. Une sorte de journal intime, écrit alternativement à la première et à la troisième personne du singulier où sont décrits le quotidien de l’hôpital avec ses dérapages et ses petits bonheurs, la peur, les angoisses, la douleur bien sûr omniprésente, les interminables interventions, les greffes, les rechutes et les améliorations. Tout ceci est dit très sobrement. Au-dessus, comme en contrepoint, les souvenirs, les visites, les réflexions philosophiques qui permettent au blessé de tenir envers et contre tout, d’avoir la volonté de s’enraciner dans un devenir. Un texte qui parle avant tout de fragilité, la sienne, la nôtre. Un naufragé se raccroche désespérément, s’il le peut, à un radeau. Ici le radeau est fait de tout ce qui constitue Jasper, de tout ce qui l’a nourri jusqu’à ce jour : toutes les rencontres, les amis, la nature, un chat, les lectures, les divers apprentissages et son goût pour les grands crus dont il se souvient avec nostalgie. Bien que son sens épicurien soit quelque peu élitiste le livre reste une leçon de vie par l’apaisement qui, on le comprend au fil de la lecture, va venir. CD 71


PLUME, Amélie Les fiancés du Glacier Express Genève, Zoé, 2010. 117 p. Cote R PLUM Lily Petite, 65 ans, est journaliste dans un magazine où elle s’occupe de la rubrique des GMG, soit les grands-mères grincheuses. Aujourd’hui, c’est elle qui n’en peut plus. Harcelée par sa fille (garde inopinée des enfants), son ex-mari (recherche un peu de réconfort), elle décide de prendre le premier train venu… et découvre qu’elle est suivie par un mystérieux inconnu. Le voyage s’écoule paisiblement de Genève jusqu’en Valais. Mais à chaque fois qu’elle se prépare à descendre, l’homme fait de même. Encore plus surprenant, voilà qu’un aimable contrôleur lui apporte un message du bel anonyme. Elle y répond, très intriguée, et s’ensuit une conversation ferroviaire qui ira jusqu’à des fiançailles sans qu’ils ne se soient jamais vus. Le bel inconnu lui aussi fuit, il tente de s’éloigner de sa mère envahissante et névrosée. L’humour dans le cadre majestueux des Alpes suisses est bien sûr au rendez-vous de cette histoire originale et nous suivons avec tendresse et émotion la rencontre entre ces deux seniors qui s’offrent « une petite fugue » qui changera leur vie. MCM

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RAGDE, Anne Birkefeldt Un jour glacé en enfer Paris, Balland, 2010. 301 p. Cote R RAGD Dans les montagnes désertes de Norvège vit un homme rustre, uniquement passionné par son élevage d’une trentaine de huskies. Une jeune femme apparemment sans passé, essaie de vivre dans cet univers de chiens à demi sauvages entre hurlements et bagarres sanglantes. Elle aimerait que l’homme l’aime, lui parle, mais il ne communique que par ordres laconiques et étreintes violentes mais elle sait qu’elle ne reste et vit que pour ces instants d’érotisme cru. Devant participer à une course de traîneaux, il lui confie la ferme et les chiens. Seule, elle se confondra de plus en plus avec ces immensités blanches et glaciales, ces animaux intraitables et féroces. Auteure de La trilogie des Neshov, l’auteure norvégienne Anne B. Ragde nous livre ici le roman d’une passion étrange, violente et déconcertante. La description des paysages est splendide, le rapport homme-bêtes infiniment juste et terrifiant et cette relation brutale entre l’homme et la femme nous étreint, nous paralyse et nous questionne. Pour amateurs. MCM


RAMBAUD, Patrick Chronique du règne de Nicolas 1er Paris, Grasset, 20082011. 4 Vol. Cote 808.87 RAM L’auteur s’installe avec nous au Château (l’Elysée) de celui qu’il nomme ironiquement « Notre Haletante Majesté », « Notre Irascible Souverain » ou plus simplement « Nicolas 1er ». A la manière de Saint-Simon ou de Bossuet, il chronique la cour (et l’arrière-cour). Tout commence par le sacre de « Notre Monarque Maximum », puis sont présentés la baronne d’Ati, le duc de Villepin ou le baron Bertrand. La narration de la visite du « bédouin de Tripoli » est un régal. Arrive ensuite l’intrigante comtesse Bruni suivie de l’élection du bel Obama titillant la jalousie de « Notre Démesuré Seigneur ». Ces chroniques sont évidemment extrêmement drôles mais aussi fort inquiétantes car sous toute farce se cache la vérité, le chroniqueur passant des heures chaque matin à lire toute la presse (people et sérieuse). Quelle chance, encore 2 volumes prévus jusqu’à l’élection d’un-e autre… ou du même ! RL

RAVALEC, Vincent 15 ans et demi Paris, Flammarion, 2008. 200 p. Cote R RAVA Un père se voit confier par son épouse la garde de sa fille pour un été. Monsieur se retrouve alors seul avec sa fille Eglantine, jeune adolescente. Premières amours, piercings, colorations, tout y passe. Cet ancien punk se souvient de ses aventures passées et angoisse pour sa fille. Hanté en rêve par le Père Noël, il devient paranoïaque et perd progressivement pied. Est-il un bon père ? Pourra-t-il éviter qu’Eglantine tourne mal ? Témoignage hilarant sur la difficulté d’être un bon père, ce livre, largement autobiographique, a inspiré un film éponyme. MR

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REY, Nicolas Cote R REY

Un léger passage à vide Vauvert, Au diable vauvert, 2010. 181 p.

Nicolas Rey, auteur et journaliste, trente-cinq ans, est marié et s’apprête à devenir père. Ce serait un homme comblé et ravi s’il n’était dépressif, polytoxicomane et alcoolique. Ce récit largement autobiographique nous retrace avec beaucoup d’humour les quatre ans de disparition du paysage littéraire de notre artiste. Une cure de désintoxication, une séparation et sa reconstruction. Pour son fils, il entamera une traversée du désert qu’il nous livre ici. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, ce livre à la fois délirant, intimiste et attachant ne laissera pas indifférent. MR

RONCAGLIOLO, Santiago Cote R RONC

Histoires indiscrètes d’une famille sans histoire Paris, Seuil, 2009. 220 p.

Lorsque Alfredo, père de famille péruvien, apprend qu’il ne lui reste que six mois à vivre, il garde le silence. Le poids de ce secret semble peser sur toute la famille. L’un après l’autre, les Ramos vacillent. Son épouse se sent délaissée au point de succomber à un mystérieux inconnu. Le grand-père sénile tombe amoureux d’une pensionnaire de maison de retraite. Mariana, l’adolescente en quête d’attention, prend une pente dangereuse. Et Sergio semble vivre dans un monde à part fait de fantômes et de cadavres. Les situations à la fois pathétiques et cocasses s’enchaînent avec beaucoup d’humour. MR

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Que font les rennes après Noël ?

ROSENTHAL, Olivia Cote R ROSE

Paris, Verticales, 2010. 210 p.

L’interrogation formulée dans le titre de ce nouveau texte est celle d’une petite fille : que deviennent les rennes du Père Noël une fois la fête finie ? On suit ainsi la vie d’une enfant, de sa naissance à son entrée dans l’âge adulte. En contrepoint à la vie de « l’héroïne » l’ histoire des animaux et du sort que les humains leur réservent saisie à travers les propos de ceux qui sont chargés de les soigner, de les capturer, de les élever et, bien souvent, de les tuer. La construction de ce livre est un peu déroutante car la lisière dessinée par ce double récit fait surgir des questions : en quoi consiste l’humanité ? Qu’est-ce que le monde animal ? Qu’est-ce qui nous en sépare ? Les animaux sont prisonniers des zoos, des règlements de plus en plus nombreux, des animaleries, parfois de l’abattage ; la fillette est, elle, conditionnée par les codes imposés, le langage, les bienséances qu’elle devine très tôt conditions d’une intégration. La romancière restitue avec retenue et profondeur les incertitudes sentimentales et la question de la norme sociale, l’effort pour rentrer dans le rang et la découverte libératrice d’un amour. CD

ROTH, Philip Cote R ROTH

Indignation Paris, Gallimard, 2010 (Du monde entier). 195 p.

Titre original anglais : Indignation. Cote R2 ROTH

Marcus Messner, 19 ans, est un jeune homme d’origine juive, sérieux et travailleur, qui poursuit ses études universitaires au Winesburg College, Ohio. Marcus a quitté ses parents qui vivent dans le New Jersey, principalement pour échapper aux angoisses que son père, boucher de son état, nourrit à l’égard de son fils unique. Au Winesburg College les relations entre garçons et filles sont strictement limitées, la messe est obligatoire et il est de bon ton d’être membre d’une fraternité d’étudiants. Marcus, étudiant sensible épris de solitude, se trouvera malgré lui broyé par le puritanisme et le conservatisme de la société américaine. Nous sommes en 1951 et des milliers de jeunes soldats sont envoyés en Corée. A travers le destin tragique de son personnage, Philip Roth nous fait part de son indignation face à une génération sacrifiée. CLR

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SALES, Michèle Cote R SALE

La grande maison Rodez, Rouergue, 2002. 156 p.

Depuis des années, Michèle Sales exerce son métier de bibliothécaire en prison. Dans ce livre, entre le roman et l’autobiographie, le personnage qu’elle nomme « elle » parcourt des centaines de kilomètres, d’une prison à l’autre. Dans cet engagement qui est le sien, elle essaie de faire vivre le livre dans ce milieu précaire où la culture et les connaissances ont peu d’importance. C’est dans des cellules transformées en bibliothèque qu’elle côtoie ceux qu’elle appelle les lecteurs et non pas les détenus. Le récit relate des fragments de vies carcérales, l’architecture des différentes prisons, l’atmosphère qui y règne avec toujours comme centre de gravité : la bibliothèque. On s’y croirait… JS

SCLIAR, Moacyr Cote R SCLI

Le centaure dans le jardin Paris, Presses de la renaissance, 1985 (Les romans étrangers ; 14). 277 p.

Au début du 20e siècle, une famille juive émigre au Brésil pour échapper aux pogroms. Caché le jour, galopant la nuit, l’enfant au beau visage et au corps de cheval n’aura pas une jeunesse facile. Sa rencontre inespérée avec Tita, centaure comme lui, lui redonne espoir. Ensemble ils décident d’aller se faire opérer au Maroc par un spécialiste qui leur enlèvera leurs pattes pour se rapprocher d’une apparence plus normale. Seuls témoins de leur passé, leurs sabots (qu’ils cachent dans des bottes) et des jambes toujours en mouvement, nostalgie des galops fous dans la pampa. Identité juive, normalité, ambivalence, différences culturelles, religieuses, physiques, une richesse de thèmes abordés avec subtilité dans ce roman phare de la littérature juive et brésilienne. RL

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Š Kathleen_Franklin


Š Gabriella Fabbri


SCOTTO, Serge Cote R SCOT

La gloire de Saucisse : traduit du chien par son maître Paris, Jigal, 2005 (Jigal Poche). 127 p.

Pour acquérir, si vous ne l’avez pas déjà, une conscience citoyenne, lisez sans tarder les écrits de Saucisse, le chien philosophe ! Une ironie à fleur de poils, une langue acerbe, un style vif et critique pour décrire une autre espèce animale, la nôtre. Un peu d’histoire : chien errant mal en point, sans nom et recueilli par la SPA, il attendra huit mois derrière les barreaux de sa cage avant d’être recueilli par l’écrivain Serge Scotto qui en fait sa mascotte et le nomme de son nom actuel Saucisse. Ce qui l’a véritablement fait connaître au grand public est sa candidature aux élections municipales de 2001 à Marseille en tant que mascotte d’une liste alternative éponyme mené par Stéphane Joire et ayant pour slogan « Pour une sauciété plus humaine, contre une vie de chien ! ». Cette liste réussira l’exploit lors de ces élections de se classer 6e, réunissant 4,5 % des voix et dépassant ainsi de près d’un point la liste du RPF. Ce Socrate à quatre pattes regarde le monde à hauteur de museau, s’amuse des travers de l’homo sapiens avec acuité mais sans méchanceté. CD

SHAFAK, Elif Cote R SHAF

Soufi, mon amour Paris, Phébus, 2010 (Littérature étrangère). 399 p.

Ella Rubinstein vit dans le Massachusetts avec son mari infidèle et ses trois enfants. Lorsque sa fille aînée qui n’a que 19 ans lui annonce qu’elle veut se marier, par amour, Ella se demande si elle n’est pas passée à côté de sa vie. Comme première décision, elle opte pour reprendre une activité professionnelle et est engagée comme lectrice par un agent littéraire. Elle reçoit le manuscrit d’un roman historique – Doux blasphème – d’un certain A.Z. Zahara. Elle va plonger totalement dans ce récit qui retrace la rencontre, en 1245, entre le poète Rûmi et le plus célèbre derviche du monde musulman, Shams de Tabriz. Obnubilée par ce manuscrit, elle va faire des recherches sur l’auteur et correspondre avec lui par mail. La découverte du soufisme lui permet d’entrevoir une autre vie. Avec une construction parfaitement maîtrisée, Elif Shafak tisse des liens étroits entre les deux récits (le roman dans le roman) dans une écriture aérienne et subtile. La lecture laisse une impression de bonheur et de plénitude qui donne envie d’être partagée. PB

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SIENKIEWICZ, Henryk Quo Vadis ? Paris, Librairie Générale Française, 2001 (Le livre de poche ; 16077. Classique). 703 p. Cote R SIEN Souhaiteriez-vous côtoyer l’intimité des Romains au début de l’ère chrétienne ? Commençons par les mauvaises nouvelles : Néron gouvernait ! On n’est pas non plus contraint d’être scruté par son œil vicieux et cruel dont il corrigeait la myopie en y ajustant une émeraude qui lui permettait de mieux voir ! Pétrone, auteur du Satiricon et arbitre des élégances à la cour de l’empereur fut une personnalité bien plus fréquentable. D’abord il était beau et entretenait son corps irréprochable qu’il vêtait avec goût mais, en plus, sa conversation nonchalante et spirituelle était appréciée dans la fraîcheur de quelque atrium avec son doux bruit d’eau à l’heure où s’allongent les ombres et avant le festin du soir… Son neveu Marc est amoureux de la belle Lygie, jeune princesse chrétienne captive de Néron. Quo Vadis est le roman de la persécution des premiers chrétiens auprès de qui vous vivrez la monstrueuse passion au Colisée après le grand incendie de Rome dont ils furent accusés. Scènes grandioses et sanglantes où les personnages historiques se mêlent aux anonymes dans cette confrontation entre épicurisme païen qui ne croit plus en ses dieux et noie ses doutes dans des débauches orgiaques et christianisme naissant, humble, retranché et tâtonnant qui avance vers son martyre en chantant. ChM

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SILLIG, Olivier Bzjeurd Paris, Gallimard, 2000 (Folio science-fiction ; 26). 191 p. Cote R SILL Olivier Sillig nous offre ici un court roman très dense qui ne peut laisser indifférent. Un art de conteur confirmé et un regard quasi cinématographique sont au service de ce texte hallucinant. Comme seul et unique décor, les limbes, étendues de limon instable, mouvant car gorgé d’eau. Seul un cavalier expérimenté peut s’aventurer sans risquer de se voir engloutir à la moindre maladresse. Le récit est construit sur la vengeance d’un jeune homme, Bzjeurd, devenu « chevalier du deuil » suite à la découverte de son village pillé et décimé par une mystérieuse bande d’assassins. La piste le conduit à Kazerm, immense forteresse de fer qui s’élève au milieu des limbes. C’est là que tout se joue, le conditionnement, un lent et douloureux processus d’annihilation de l’être qui réussit à imposer un modèle de pensée systématique et unique. Tout ceci afin de transformer les hommes en machines à tuer. Le thème du conditionnement de l’être humain est cher à cet auteur qui y revient plus tard dans un roman intitulé Deux bons bougres. CD


SIMMONS, Dan Le chant de Kali Paris, Gallimard, 2008 ( Folio science-fiction ; 201 ). 372 p. Cote R SIMM Robert Luczak se rend à Calcutta avec sa famille pour écrire un article sur un célèbre poète indien disparu depuis 10 ans. Dès son arrivée, d’étranges personnes cherchent à prendre contact avec lui pour qu’il puisse rencontrer Das, le poète. Dans l’ambiance glauque de Calcutta, Robert commence à se demander si tout ce qu’il vit est bien réel, et se rapprochant d’une secte d’adorateurs de Kali, il va plonger dans un enfer lugubre et terrifiant. Dan Simmons arrive à créer une tension psychologique angoissante en plongeant son héros entre réalité et imaginaire, ce qui fait hésiter le lecteur et crée un doute d’autant plus dérangeant que les conséquences du séjour à Calcutta vont être horribles. FG

SINOUE, Gilbert La reine crucifiée Paris, Albin Michel, 2005. 394 p. Cote R SINO En cette année 1340, Dom Pedro, héritier du royaume du Portugal, et Inès de Castro sont beaux, jeunes et amoureux. Malheureusement, le prince est déjà marié à une princesse espagnole. Au cœur d’une époque de troubles, leur amour est contrarié. Cette passion plongera le royaume dans une guerre civile. Au centre d’une machination politique savamment orchestrée, Inès deviendra tour à tour mère, épouse, haïe par le peuple pour finalement devenir reine à titre posthume. Un roman historique qui mêle amour, guerre et conspirations. MR

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SINGER, Isaac Bashevis Cote R SING

L’esclave Paris, Stock, 1993 (Bibliothèque cosmopolite). 295 p.

Jacob Eliezer est un jeune juif aussi pieux qu’érudit, fin connaisseur du Talmud et des autres livres saints. Il échappe de justesse aux massacres de Chmielnicki lorsque les cosaques envahissent la Pologne. Nous sommes au 17e siècle et les juifs sont persécutés. Jacob perd femme et enfants et se retrouve esclave chez le paysan Jan Bzik. Jacob travaille dur, ses conditions de vie sont rudes et le jeune homme essaie d’honorer Dieu et sa Loi chaque jour. Son quotidien est adouci par les visites de Wanda, la fille de Bzik qui lui apporte de la nourriture. Les deux jeunes gens vont tomber follement amoureux, ne pouvant plus se passer l’un de l’autre. Mais juifs et non-juifs ne peuvent se marier sous peine de mort. Jacob et Wanda fuient pour retourner vivre à Pilitz, la ville d’origine de Jacob. Wanda devenue Sarah décide de se faire passer pour sourdemuette pour ne pas trahir ses origines… Magnifique et bouleversante histoire d’amour, qui se poursuit au-delà de la mort, L’esclave est aussi un conte où religion et surnaturel sont étroitement mêlés et où les travers des humains qu’il soient juifs ou non sont décrits avec énormément d’humour et de finesse par un grand maître du roman juif. CLR

SINGER, Isaac Bashevis Cote R SING

Le Spinoza de la rue du Marché Paris, Gallimard, 2007 (Folio ; 3124). 281 p.

Dans ces neuf nouvelles on découvre avec bonheur les personnages si chers à l’auteur. Rabbins, brigands, femmes adultères ou jeunes filles romantiques, vieillards, médecins, marchands et mendiants prennent vie grâce à la talentueuse plume de conteur de Singer. Son sens de l’humour, associé à une grande capacité d’observation de ses pairs font de ces nouvelles de véritables perles, où le surnaturel se taille une belle part du récit avec ses fantômes et ses « dibbuk » qui tyrannisent sans pitié les pauvres humains. Si vous ne deviez choisir qu’une seule d’entre elles, lisez L’homme qui est revenu qui raconte comment Alter, qui vient de mourir, est ramené à la vie par son épouse Shifrah Leah et quels furent les désagréments qui s’ensuivirent, petit bijou de sagesse et de drôlerie. En 1978 Isaac Bashevis Singer a reçu le prix Nobel de littérature pour une œuvre riche et variée qui prolonge la tradition des conteurs populaires yiddish. CLR

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SMITH, Patti Cote 781.66 SMI

Just kids Paris, Denoël, 2010. 323 p.

Dans cette autobiographie, Patti Smith raconte l’amour qui l’a liée au photographe Robert Mapplethorpe, avant que celui-ci soit l’auteur des clichés trash pour lesquels il est désormais célèbre. A New York, où elle débarque avec presque rien, elle rencontre par hasard Robert, avec qui elle partage l’amour de l’art. Tous deux ont à cœur d’exploiter un talent encore diffus et de se faire connaître. Patti ne quitte pas son exemplaire des poésies de Rimbaud, lui fait des collages et des installations. A New York dans les années 60, tout semble possible. Ils logent au Chelsea Hotel avec toutes sortes d’artistes, vont boire des verres à la Factory d’Andy Warhol et il n’est pas impossible de croiser Jimi Hendrix ou Janis Joplin et de faire causette avec eux au coin d’une rue. Autant que l’histoire d’un amour et celle d’une vie, ce livre est aussi celui d’une époque, où tout semblait à faire, la téléréalité n’ayant pas encore perverti la notion de célébrité. Je n’ai pas lâché ce livre plein d’amour et d’art, dans lequel j’ai apprécié de faire la connaissance de Patti Smith et de Mapplethorpe, dépassant largement les préjugés que l’on peut avoir sur eux et leur travail. DM

STOCKETT, Kathryn Cote R STOCK

La couleur des sentiments Arles, Chambon, 2010. 525 p.

Une fois n’est pas coutume, je recommande la lecture d’un best seller d’outre-Atlantique ! Ce premier roman, sans doute autobiographique, s’intitule sobrement The Help, « l’aide » en anglais, et se trouve joliment traduit par La couleur des sentiments. Couleur, parce que le roman raconte les rapports difficiles et en même temps privilégiés entre les enfants blancs de bonne famille et leurs nounous noires. Sentiments privilégiés, car dans les années 60, les enfants sont élevés par leurs nounous et non par leurs parents, sentiments niés, parce qu’une fois adultes, les enfants reproduisent la ségrégation qui imbibe toute la société du Mississipi. Il est inconcevable que les bonnes utilisent les toilettes des maîtres, qu’elles aient une vie après le travail, qu’elles élèvent leurs propres enfants. Une des héroïnes, jeune fille blanche de « bonne famille », aspire à autre chose qu’au mariage dont rêve sa mère. Sa nounou a inexplicablement disparu lorsqu’elle était à l’université et la blessure perdure. Cette blessure et son rêve de devenir journaliste vont l’amener à interviewer les bonnes qui la servent, elle et ses « amies ». Mais cette enquête la conduit à se faire rejeter de la bonne société et surtout à mettre en danger « ses » témoins, les courageuses nounous qui ont accepté de raconter leur histoire. FA 83


SVIT, Brina Cote R SVIT

Un cœur de trop Paris, Gallimard, 2007 ( Folio ; 4633 ). 248 p.

Lila, une jeune femme slovène vivant à Paris, est retournée dans son pays pour enterrer son père. Plus rien ne la rattache à cette terre, mais elle rencontre un homme fascinant et les jours, les semaines passent sans qu’elle se décide à rentrer en France. Dans la maison de son père, au bord d’un lac étrange, Lila s’interroge sur cet amour soudain, cette passion inattendue. A Paris, son mari, son fils et ses amis l’attendent, sans comprendre son refus de revenir à sa « vraie » vie. Portée par une merveilleuse écriture, fragile et poétique, cette histoire passionnante est bouleversante. MCM

TABUCCHI, Antonio Cote R TABU

Nocturne indien Paris, Bourgois, 1987. 119 p.

Titre original italien : Notturno indiano. Cote R5 TABU

Un homme, surnommé le Rossignol, se rend en Inde à la recherche de son ami Xavier parti sans explication quelques années auparavant. Pour le retrouver il suit les quelques maigres indices laissés par celui-ci. Ce voyage absurde sur les traces de cet ami qui ne souhaite pas vraiment être retrouvé nous réserve des rencontres insolites et la découverte d’un pays fascinant. Tabucchi nous livre ici un voyage intérieur et peu commun à travers l’Inde. La fin permet au lecteur d’imaginer que cette recherche n’était peut-être qu’un prétexte pour une quête identitaire… MR

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© Dan Brady


© Kuhar


Le magasin des suicides

TEULE, Jean Cote R TEUL

Paris, Juillard, 2007. 157 p.

La famille Tuvache tient un magasin spécialisé dans un domaine des plus inattendus : la vente d’ustensiles et de produits garantissant la réussite d’un suicide. L’atmosphère qui règne dans le magasin est conforme à l’état d’esprit des parents, Lucrèce et Mishima, et de Vincent, l’aîné de la fratrie. Tristesse, désespoir sont les traits spécifiques de leurs humeurs habituelles. Jusqu’au jour où le petit dernier, Alan, vient tout bouleverser avec sa « cruelle » joie de vivre... Un roman à l’humour noir qui décrit le suicide sans aucun tabou. Imprégné d’une ambiance à la famille Adams, l’histoire est très drôle, amusante et ironique. JS

TRUEBA, David Cote R TRUE

Quatre garçons dans le van Paris, Pauvert, 2002. 382 p.

Titre original espagnol : Cuatro amigos. Cote R6 TRUE

Madrid, au petit matin. Trois jeunes Espagnols énervés et nerveux attendent un quatrième larron. Ils viennent d’acquérir une camionnette et ce matin-là, c’est le départ pour les vacances, l’aventure, la vraie vie, quoi. Il arrive enfin, le dernier mousquetaire, le plus pimpant d’entre eux. Et vogue la galère. Blottis dans le véhicule hors d’âge, qui fleure bon le fromage - souvenir du dernier propriétaire -, nos quatre copains s’étripent déjà au sujet de l’itinéraire. Chacun a son avis, parlemente. Ça discutaille ferme, ça se battra beaucoup - entre eux et avec d’autres. Mais tous sont tombés d’accord : aucun téléphone on n’emportera, aucune fille on n’acceptera. Au bout de cinquante pages, une fille apparaîtra pourtant et le portable était bien au chaud dans une poche depuis le début. Toutes ces pérégrinations hilarantes sans autre but que le plaisir immédiat plongent le lecteur au coeur de Madrid et de l’Espagne désertique ou surpeuplée des plages, une Espagne moderne et antique, passéiste ou dévergondée. On se régale de ce savoureux opus. MCM 87


TYLER, Anne Le voyageur malgré lui Paris, Stock, 2008 (La cosmopolite). 419 p. Cote R TYLE Le voyageur malgré lui, c’est une série de guides touristiques destinés aux personnes obligées de voyager pour affaires mais qui ont horreur de ça et qui souhaitent trouver ailleurs tout ce qui peut leur rappeler ce qu’elles ont chez elles. Un job fait pour l’ennuyeux Macon Leary, qui est un modèle du genre. Depuis quelque temps, sa vie part à vau l’eau. Son fils unique de 12 ans, Ethan, s’est fait tuer dans un fast-food et son couple n’y a pas survécu, Sarah est partie. Livré à lui-même, il retrouve dans la maison familiale sa sœur et ses deux frères, tous les trois divorcés ou célibataires endurcis, au train-train immuable et dont la vie répond à des règles connues d’eux seuls. En somme, une bande de psychorigides ! Mais voici que le grain de sable vient se glisser dans l’engrenage en la personne de Muriel, une fantasque dresseuse d’animaux, qui convainc Macon de lui confier Edward, son chien, qui n’en est plus à une attaque près. Il faudra du temps à Macon pour accepter de se faire bousculer, et pour enfin prendre des décisions au lieu de jouer le rôle de figurant dans sa propre vie. Ce très bon roman, qui fait preuve de la plus grande tolérance pour ses personnages, est plein de tendresse et d’humanité. DM

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TYRRELL, Patricia Ton sang ne saurait mentir Arles, Actes sud, 2010. 284 p. Cote R TYRR Cate a 15 ans, elle a été kidnappée à l’âge de 3 ans et a grandi dans le désert qu’elle adore. C’est Lester, le kidnappeur, qui l’a élevée. Tous les ans, il téléphone à la mère de Cate, là-bas dans l’Est, pour lui dire que sa fille est en vie, puis les deux reprennent la route. Sauf que cette fois, après le choc que lui a causé Cate, Lester n’en peut plus et décide de la rendre à ses parents biologiques. L’accueil est glacial. Dans cette maison cosy où la mère de Cate vit désormais seule, les deux vagabonds font tache. Cate a la terreur d’être abandonnée par Lester, et sa mère exige des analyses ADN. Manque de chance ? Ce qu’elles redoutaient arrive, les analyses sont positives : Cate est bien la fille de sa mère… FA


VANN, David Sukkwan Island Paris, Gallmeister, 2010. 191 p.

VARGAS, Fred Petit traité de toutes vérités sur l’existence Paris, EJL, 2004. 93 p.

Cote R VANN

Cote 848 VAR

Lorsque son père lui propose d’aller vivre pendant un an dans une île isolée en Alaska, son fils Roy refuse tout d’abord. L’adolescent, à peine âgé de 13 ans, aime la pêche, la chasse, la vie en pleine nature, mais il refuse. Il sait la fragilité, les carences de ce père immature mais pour ne pas le laisser face à sa solitude et ses insuffisances, il accepte de l’accompagner, espérant que le séjour sera le plus court possible. La nature glaciale est hostile, inhospitalière, ils se sont mal préparés, un ours saccage leur cabane, éventrant les vivres, le matériel de couchage, détruisant la radio et tous leurs outils et ustensiles. Les relations entre le père et le fils, déjà tendues, deviennent épouvantables et l’histoire se terminera très mal, encore plus mal que tout ce qu’on pourrait imaginer. C’est un livre terrible, brutal mais bouleversant, une histoire d’une rare puissance, inoubliable, un huis-clos époustouflant en pleine nature sauvage. A lire absolument. MCM

Pétri d’humour et d’autodérision, ce petit opuscule de la romancière à succès Fred Vargas en étonnera plus d’un sur le sens de la vie, de sa vie, sa famille, le monde. Etudiant quelques concepts chers à son cœur, tels le ver de terre, le sable sec, un homard et Villiers-d’Ecaudart, elle nous livre un traité sur tout et rien. Ce livre n’apparaît que comme une longue digression qui du premier mot au point final, nous entraîne à la suite de l’auteur, loin, très loin de l’univers habituel de ses très noirs romans policiers. Ecrit en huit jours, lu en 49 minutes et 59 secondes, vous saurez tout et rien sur sa sœur jumelle, son frère unique, les prairies normandes et n’oublierez jamais le nom du combien célèbre hameau de Villiersd’Ecaudart et serez heureux comme un roi de posséder une mallette « anti-pression » reçue en bonus. MCM

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VERGHESE, Abraham Cote R VERG

La porte des larmes Paris, Flammarion, 2010. 521 p.

Dans un hôpital de campagne en Ethiopie, dans les années cinquante, naissent les jumeaux Marion et Shiva. Leurs parents ? une infirmière religieuse indienne et un médecin anglais… Drôle de départ dans la vie, d’autant plus que la mère décède à l’accouchement et que le père les abandonne. Heureusement, un couple de médecins indiens de l’hôpital les adopte. Avec les yeux de Marion, on suit leur jeunesse heureuse, puis les déboires de l’adolescence, les premières trahisons. Tous deux sont animés du virus de la médecine, qui prend une place importante dans cette histoire. Rien d’étonnant à cela car l’auteur est lui-même médecin, Indien d’origine et a dû, comme Marion, fuir l’Ethiopie pour des raisons politiques. Voici un très beau roman foisonnant qui procure émotions fortes et dépaysement garanti. FB

VIEL, Tanguy Cote R VIEL

Paris-Brest Paris, Minuit, 2009. 189 p.

Louis vit à Brest, juste en-dessous de chez sa grand-mère, alors que ses parents ont dû s’exiler dans le Languedoc-Roussillon après que son père ait été accusé d’avoir un rapport avec la disparition de quatorze millions dans la caisse du club de football local. La grand-mère, quant à elle, avait connu peu de temps avant sa mort, Albert qui en avait fait de manière inespérée la légataire de ses dix-huit millions, créant ainsi une sorte d’équilibre entre le supplémentaire et le manquant. C’est ainsi qu’il avait côtoyé le fils Kermeur, puisque sa mère, même après la mort d’Albert, a continué d’être la femme de ménage de sa grand-mère, faisant en quelque sorte partie de l’héritage. C’est ainsi qu’il décida d’écrire le roman familial, décrivant un frère footballeur professionnel (ce qu’il aurait voulu devenir, lui, Louis) et une mère qui dut renoncer à sa fréquentation du beau monde de Brest une fois l’opprobre jetée sur la famille. C’est ainsi qu’exilé à Paris, il est revenu à Brest pour Noël, rejoignant sa famille dans sa nouvelle maison achetée avec les dix-huit millions. DM

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VLAUTIN, Willy Cote R VLAU

Plein nord Paris, Albin Michel, 2011 (Terres d’Amérique). 256 p.

Comment vivre dans cette petite ville de bouseux américaine quand on a 22 ans et pas beaucoup d’avenir ? Alison a bien un petit ami, mais il lui a offert le tatouage d’une croix gammée dans le creux de ses reins, il lui reproche sans cesse de trop picoler (ce qui est on ne peut plus vrai) et ça ne le gêne pas de la violer dans les toilettes d’une boîte. Le destin d’Alison, sa déchéance, même, semble tout tracé. Alcool, drogue, grossesses à répétition, obésité, canapé élimé et télévision semblent constituer son seul avenir. Mais c’est sans compter sur sa gnaque. Enceinte, elle s’enfuit à Reno, décidée à commencer une nouvelle vie. Elle donne à l’adoption un enfant qu’elle pleurera longtemps, et elle se reconstruira petit à petit, avec courage et détermination. Au bout du tunnel, la lumière. Rien qui ressemble à Walt Disney pourtant, dans ce roman dur mais plein d’espoir. DM

WALLACE, Melanie Cote R WALL

Sauvages Paris, Grasset, 2007. 341 p.

Major d’une garnison oubliée de tous au milieu de l’Ouest américain, Robert Cutter tente de maintenir un semblant d’humanité parmi les soldats qui restent, les autres ayant déserté. Plus de relève, de nourriture, ni même de contact avec l’état-major de l’armée américaine depuis des âges… Un jour débarquent deux femmes arrachées aux « sauvages » qui les avaient kidnappées des années auparavant. Alors que Constance Smith n’a de cesse de raconter les tortures inimaginables qu’elles ont subies chez les Indiens, Abigail Buwell, enceinte, reste silencieuse et ne quitte jamais le cheval qui l’a amenée jusque-là et qui la protège. Cutter et d’autres, avec plus ou moins de diplomatie et de bonnes intentions, tentent en vain d’entrer en contact avec elle. Alors que la femme s’entête et s’enferme dans une sorte de folie, la garnison tombe dans une déchéance inéluctable, pour laquelle un Cutter impuissant sera jugé. Ce roman rude et triste, mais beau, nous fait réfléchir sur ce qui fait de l’humain un humain, car le sauvage n’est pas toujours celui qu’on pense. DM

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WEIHUI Cote R WEIH

Shanghai baby Arles, Picquier, 2001. 229 p.

Shanghai baby est le premier roman de Weihui, une jeune auteure chinoise. Sitôt après sa parution en 1999, il a été interdit en Chine. Pourquoi donc ? Il est vrai que le personnage principal, Ni Ke, ou Coco, vit très librement : très amoureuse du doux Tiantan, malheureusement impuissant, elle entretient une liaison torride avec Mark, un expatrié allemand. Dans une Shangai occidentalisée qui pourrait tout aussi bien être Paris ou Londres, elle vit intensément entre l’écriture de son premier roman et la recherche de son épanouissement personnel. Les scènes parfois crues de sexe sont contrebalancées par une certaine poésie. La joie de vivre très perceptible qui se dégage du texte, voilà ce qui m’a plu dans Shanghai baby, largement autobiographique. FB

WENDLANDT, Astrid Cote 915.7 WEN

Au bord du monde Paris, Laffont, 2010. 281 p.

Lors d’un reportage sur les mineurs au Nord de la Sibérie, la journaliste franco-canadienne Astrid Wendlandt découvre l’existence du peuple des Nenets. Sa curiosité la pousse à revenir dans cette région de la Russie pour rencontrer cette civilisation polaire qui la fascine et l’intrigue. Par trois fois, elle foulera la toundra avec les éleveurs de rennes, partagera leur quotidien immuable. Convoitée par les grandes compagnies gazières russes, la terre des Nenets se rétrécit, comme leur futur, où traditions et nomadisme n’auront bientôt plus cours dans cet environnement fragile. Même si les hommes ne renoncent pas à leurs désirs de liberté et de grands espaces, de plus en plus, les femmes se détournent de cette rude vie ancestrale. Réchauffement climatique, appât du gain, alcoolisme, tout concourt à la disparition programmée des peuples Nenets, les oubliés du Grand Nord. MCM

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La pelouse de camomille

WESLEY, Mary Cote R WESL

Paris, Flammarion, 1991. 285 p.

Titre original anglais : The camomile lawn. Cote R2 WESL

Dans leur maison en Cornouailles, Helena et Richard reçoivent chaque été la visite de leurs cinq neveux et nièces : la sublime et indomptable Calypso, Oliver, qui est fou d’elle, Polly et son frère Walter et la petite Sophy, encore jeune mais déjà amoureuse d’Oliver. Cet été sera le dernier avant la guerre, et marque la fin de l’innocence. Et lorsqu’on est dans un pays en guerre, qu’on ne sait pas si on va vivre ou mourir, si ceux qu’on aime vont rentrer ou pas, il faut profiter de chaque instant comme s’il était le dernier, peu importent les conventions. Mary Wesley a écrit ce roman à plus de 70 ans, comme une vieille dame indigne. Quelle magnifique réussite ! Des personnages aussi attachants les uns que les autres, bien que très différents, peuplent ce roman au rythme dynamique qu’on peine à lâcher. DM

WIAZEMSKY, Anne Cote R WIAZ

Mon enfant de Berlin Paris, Gallimard, 2009 (Blanche). 247 p.

Nous sommes en 1943, Claire, la fille de François Mauriac, est une belle jeune femme de 27 ans. Elle décide de s’engager dans la Croix-Rouge française comme ambulancière. D’abord basée à Béziers, elle rejoint ensuite la Croix-Rouge de Berlin. Sa mission ? Recueillir et soigner les réfugiés français en provenance des camps de concentration, des camps de travail ou encore les soldats alsaciens enrôlés dans l’Armée allemande, puis organiser leur retour en France. Le travail est difficile, mais heureusement, il y a les amis de la Croix-Rouge française et belge avec lesquels elle loge. Ils sont jeunes et s’amusent tant qu’ils peuvent le soir pour oublier le quotidien d’une Berlin exsangue. Parmi eux, un officier français d’origine russe, le prince Wiazemsky, Wia pour les intimes, qui va lui faire tourner la tête. Je garde un beau souvenir de ce roman, grâce à son côté «vécu» très fort et à la qualité de l’écriture. FB

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WOOLF, Virginia Journal d’un écrivain Paris, Bourgois, 1993. 586 p.

WOOLF, Virginia La chambre de Jacob Paris, Stock, 2008. 252 p.

Cote 828.03 WOOL

Cote R WOOL

Léonard Woolf, éditeur et compagnon de l’auteur, a extrait de son important et presque quotidien journal tout ce qui la lie à son travail. Ainsi, comme souvent lorsque nous est donnée la chance de lire ce type de recueil nous pénétrons à pas feutrés dans l’atelier d’un écrivain pour y découvrir ce que représente ce mystérieux labeur. S’agissant de V.W. le terme n’est pas galvaudé : Elle souffrit à en perdre la santé. Pas tant, d’ailleurs, lorsqu’elle crée, et même si chaque livre est un différent voyage dans l’inconscient, souvent ce processus s’opère d’une manière quasi médiumnique avec le sentiment de bonheur associé au geste créateur. En revanche, lorsqu’elle affronte le manuscrit achevé, lorsqu’il s’agit de corriger, couper, réduire, mettre en forme, nous assistons, affligés à la destruction de sa santé physique et mentale. Quand sonne l’heure de la publication et qu’elle affronte le verdict des proches et de la critique professionnelle – elle en faisait partie ! – V.W. s’effondre en un délire paranoïaque éprouvant dont nous savons aujourd’hui combien il était insensé et distant de la réalité lumineuse des chefs-d’œuvre qui l’ont immortalisée. Avec ceci il y a dans ce journal des croquis de contemporains, des esquisses littéraires, des épures au crayon destinées à être développées et enfin un journal des débuts de la guerre en Grande-Bretagne lors des tentatives d’invasions nazies où s’expriment, à travers son désarroi, toute la bravoure et le stoïcisme résigné du peuple londonien face à la mise à feu de leur ville. ChM 94

Titre original anglais : To the light house. Cote R2 WOOL

Lorsque Virginia Woolf se lance dans l’aventure de Jacob elle est une jeune auteure reconnue ainsi qu’une critique réputée qui tient une place centrale dans le groupe de Bloomsbury intéressé par diverses mouvances artistiques novatrices. Il s’agit d’éclater le carcan de narration du roman traditionnel utilisé dans ses précédents textes et au résultat, ce qui surprend le lecteur fasciné par cette prose si évocatrice, c’est son rendu « cubiste » plutôt que « impressionniste » alors même qu’elle utilise avec une précision évocatrice une palette de couleurs subtile pour y décrire les paysages et les lieux où évolue Jacob. C’est une vie brève et fragmentée restituée grâce à une myriade de sensations éclatées puis rassemblées qui nous permet de suivre Jacob dès son enfance vers la vie adulte en une suite de tableaux qui glissent et s’emboîtent pour ensuite n’en former plus qu’un seul, harmonieux et complet. Alors que V.W. « s’amusait » à cette nouvelle expérience d’écriture elle songeait surtout à son frère Thoby, proche, aimé et tôt disparu et nous retrouvons, sans qu’elle ne parle jamais d’elle-même, un portrait intime et des souvenirs d’enfance, jeunesse, famille, ville et campagne, tout ce qui nous échappe lorsque nous rêvons à ce qui fut et que nous nous éloignons des rivages familiers. ChM


WOOLF, Virginia La promenade au phare Paris, Librairie Générale Française, 2010 (Le livre de poche ; 3019, Biblio). 277 p. Cote R WOOL « C’est un sentiment immense de la poésie de l’existence qui m’accable. Souvent il est associé à la mer et à Saint-Yves. L’approche des 42 ans continue à m’agiter. J’ai conscience de la fuite des jours et cela bloque mes émotions. » La mer. L’enfance. Le temps. Dans ce roman absolument miraculeux, comme suspendu par la grâce d’un style que rien ne gonfle ni n’alourdit, V.W. raconte une maison et son jardin des Hébrides où passe ses vacances une famille nombreuse rassemblée autour de Mère et Père. Tendresse. Austérité. Multiplicité des comportements et leurs consciences qui irradient et communiquent comme dans un rêve. James voudrait aller au phare ; Lily cherche à fixer une scène sur le tableau qu’elle s’efforce de peindre ; le vieux Carmichael sommeille comme un chat roulé en boule qui rêverait : en fait, c’est un poète ! Les enfants jouent et se chamaillent ; Mrs Ramsay s’inquiète pour le bœuf en daube et songe à son existence… Ce n’est pas tant ce qui se passe que l’effet induit en ses personnages qui importe à l’auteur. Elle nous restitue ces instants sans jamais insister et les enchâsse dans des descriptions de la nature environnante écrites avec une grâce rare et précieuse. Le temps passe. Certains personnages disparaissent. La lumière du phare balaie tout cela avec son immuable alternance irrégulière. Pourrons-nous y aller demain ? ChM Source : Wikimedia Commons

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YATES, Richard Cote R YATE

Onze histoires de solitude Paris, Laffont, 2009 (Pavillons poche). 363 p.

La solitude, mal moderne et ancestral peut prendre bien des formes. Dans ce recueil écrit dans les années 1950, on va en trouver sous onze variations. Celle du petit garçon mal aimé à l’école et qui va devenir le « chouchou par pitié » de la maîtresse, celle de la jeune fiancée qui voit la veille de ses noces son mari s’en aller fêter avec ses amis, celle du mari licencié qui n’avoue rien à sa femme, celle des malades cloîtrés dans leur chambre d’hôpital. Magnifiquement écrites, ces histoires nous plongent dans une société un peu désuète où on fumait dans les chambres d’hôpital des tuberculeux et où la place de la femme n’était pas très enviable : littéralement derrière la cuisinière à attendre en mari qui allait se jeter dans un fauteuil avec un journal dès son retour du travail… Ces nouvelles remarquables nous dévoilent tout le talent de l’auteur de La fenêtre panoramique, adapté au cinéma sous le titre Les noces rebelles (avec Leonardo DiCaprio et Kate Winslet). Un auteur à découvrir. DM

YATES, Richard Cote R YATE

Easter parade Paris, Laffont, 2010 (Pavillons). 257 p.

Sarah et Emily sont deux sœurs élevées par une mère divorcée qui refuse de vieillir et qui demande à ses filles de l’appeler Pookie. Alors que Sarah, la préférée, concrétise sa réussite en épousant le très séduisant Tony Wilson, Emily obtient une bourse pour suivre les cours d’une prestigieuse université. Tout a l’air merveilleux, mais… Pookie accuse un penchant pour la bouteille, précipitant sa décadence. Emily multiplie les relations et les amants, et son indépendance fait rêver sa sœur, rapidement cloîtrée dans une grande maison à la campagne et mère de trois garçons, et, on s’en rendra compte plus tard, malheureuse dans son mariage, malgré les apparences (« merveilleux » semble être le mot préféré de Sarah). Elle trouve sa consolation dans une consommation de plus en plus importante d’alcool. On est dans les années 50, comme dans Féroces de Goolrick et Onze histoires de solitude (voir les articles dans ce numéro), une période qui semble pleine d’insouciance mais méfions-nous des apparences… J’ai beaucoup aimé ce roman magnifique qui décrit la chute inéluctable d’espoirs brisés. DM

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ZABOR, Rafi Cote R ZABO

Un ours à Manhattan Paris, Denoël, 2000 (Denoël et d’ailleurs). 574 p.

De nos jours, on croit avoir tout vu. Même un ours virtuose du saxophone ? Voici l’histoire troublante et amusante de cet ours issu d’une race unique douée de parole. Enjeu d’une partie de poker, il est « gagné » par Jones qui l’adopte comme son fils. Des ruelles de New York jusque dans l’Amérique profonde, l’ours devient peu à peu une légende du jazz. Entouré et encouragé par son mentor Jones et l’amour de sa vie Iris, son talent s’améliore au fil des concerts. Amant « idéal » et philosophe à ses heures, l’ours s’installe avec Iris dans une maison proche de la ville de Woodstock. Malgré cette vie idyllique des ombres planent au-dessus de lui : la peur de la prison, d’être rejeté… L’auteur nous plonge dans un monde où la musique prédomine en abordant des thèmes comme la famille recomposée, la violence, ceci avec légèreté et humour. SL

ZEH, Juli Cote R ZEH

Corpus delicti Arles, Actes sud, 2010 (Lettres allemandes). 237 p.

Titre original allemand : Corpus delicti. Cote R3 ZEH

En 2057, un état aux méthodes proches d’une dictature fait régner le bonheur. Son but, préserver la santé de tous. Son nom : la Méthode, la population n’a d’autre choix que de se soumettre aux contrôles quotidiens de santé et aux activités sportives obligatoires. Mia, une jeune biologiste, sombre dans la dépression suite à la mort en prison de son frère Moritz et ne se soumet pas aux contrôles. Un procès s’instruit contre elle. La jeune femme et son avocat vont ainsi s’attirer les foudres de la Méthode car Moritz était déclaré coupable de viol et de meurtre et également soupçonné de terrorisme … MR

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BANDES DESSINÉES

La cote des BD étant variable d’un site à l’autre, nous ne l’avons pas mentionnée. Vous pouvez vous renseigner auprès de votre bibliothèque.


BERNARD, Frédéric, ROCA, François

L’homme-bonsaï Paris, Albin Michel, 2006.

Amédée le potier est enrôlé de force sur un bateau par des pirates qui en font leur souffre-douleur. Abandonné ensuite sur une île, il ne sentira pas tout de suite la petite graine qui est tombée sur sa tête pour finir par s’y planter, devenant une petite tige feuillue qui peu à peu va se transformer en arbrisseau. Recueilli par des pirates chinois, il bénéficie du savoir-faire d’un vieux sage en matière de taille de bonsaïs. Celui-ci sait gérer l’équilibre entre le végétal et l’homme, rendant Amédée surpuissant, ce qui lui permettra entre autres de se venger. Mais le sage disparu, Amédée est bien incapable de s’occuper lui-même de tailler son arbre dont il va vite devenir le prisonnier. Planté sur un bateau en guise de pot, il dérive depuis sur la mer, au gré des vents. Un joli conte métaphorique dont j’ai beaucoup aimé autant le dessin que le scénario. DM

BLAIN, Christophe

Quai d’Orsay Paris, Dargaud, 2010.

Jeune thésard, Arthur Vlaminck est convoqué au Quai d’Orsay où on lui propose de rédiger les discours du ministre des Affaires Etrangères. Voici notre jeune candide qui intègre l’équipe ministérielle, où s’affairent des chefs de cabinet qui « en ont vu d’autres », des secrétaires harassées de travail et un essaim de conseillers belliqueux. Et tout ce monde agité gravite autour du ministre Taillard de Worms, homme charismatique, très cultivé, insaisissable par la rapidité de ses pensées et de ses déplacements. Coups bas, charges d’adrénaline, fébrilité du staff font face au ministre exalté, grand lecteur d’Héraclite qui ne laisse à ses collaborateurs aucun répit entre crises diplomatiques, otages à sauver et magouilles à dissimuler. J’ai adoré cette satire des dessous de la diplomatie française, servie par un rythme fébrile et le dessin rapide de tous ces personnages sous tension. Vivement la suite… MCM

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DAUVILLIER, Loïc ; D’AVIAU, Jérôme Inès Grenoble, Drugstore, 2009. Un couple bien tranquille, parents d’une petite fille, lui plutôt sympathique, elle assez réservée, un appartement agréable et bien tenu, voici l’image à l’apparence paisible que renvoie cette famille. Mais dans l’intimité de leur logis, Monsieur se transforme en véritable bourreau avec sa femme : coups, insultes, humiliations, violences sexuelles. Le seul moment de répit de cette jeune mère est lorsque son mari est au travail. Elle peut alors s’occuper avec amour de sa petite fille Inès et redevenir pour quelques heures une jeune femme joyeuse partageant des moments complices avec sa fille. Le soir, l’enfer recommence… Il y a bien des voisins, un jeune couple lui aussi, qui sonne pour voir si tout va bien, mais qui n’insiste pas. Personne, pas même le collègue invité un soir pour souper, n’ose intervenir, niant la terrible réalité par lâcheté, parce qu’on ne se mêle pas des affaires des autres. Jusqu’au drame… Le dessin noir blanc qui met l’accent sur les ombres et les scènes de violence qui ne sont pas dessinées mais suggérées installe une ambiance oppressante. Une BD dure et bouleversante qui ose traiter d’un sujet difficile et encore tabou. CLR

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DE SANTIS, Luca En Italie il n’y a que des vrais hommes Bruxelles, Dargaud Benelux, 2010. Cette bande dessinée évoque une période méconnue de l’histoire italienne : le confinement des homosexuels sur l’île de San Domino des Tremiti avant la deuxième guerre mondiale. Lors de la refonte du code pénal, le code « Rocco » prévoyait un article pour les homosexuels. Mussolini s’en est indigné : « Nous n’avons pas besoin d’une loi pareille, en Italie il n’y a que des vrais hommes ! ». Cinquante ans plus tard, c’est le vieil Antonio Angelicola, tailleur à Salerne, qui témoigne devant deux jeunes journalistes, Nino et Rocco, qui souhaitent refaire avec lui le voyage dans les Tremiti. A travers le témoignage d’Antonio l’on découvre une Italie déportant les homosexuels ou les hommes soupçonnés de l’être et leur survie sur l’île où chacun s’adapte comme il le peut et où règnent malgré tout une certaine fraternité et solidarité entre les prisonniers. Malgré ses blocages et réticences, le vieil Antonio va leur livrer par petites touches un récit douloureux et poignant. Le dessin en bichromie est surtout axé sur les visages des personnages, tous assez anguleux et très peu sur les décors et les paysages, mais l’intérêt de cette histoire réside avant tout dans le récit. CLR


DUCHAZEAU, Frantz Le rêve de Meteor Slim Paris, Sarbacane, 2008. Voici la vie tumultueuse d’un jeune bluesman fictif surnommé Meteor Slim, décidé à faire carrière dans la musique. Après avoir tout laissé derrière lui, sa femme, son travail, ses enfants, il part sur les routes. En chemin, il va rencontrer Robert Johnson, un confrère devenu une légende du blues, qu’il recroisera à tout moment durant ses périples. Du Chicago des années 30 aux villes perdues des vastes contrées américaines, le jeune Meteor Slim cherche son style et son identité. Au fil des déceptions, causées en majeure partie par l’abus de whisky, le bluesman va se retrouver mêlé à des bagarres de bars, dans des cabarets crasseux où des producteurs véreux l’entraîneront vers une carrière des plus chaotique, mais qui sait peut-être vers la gloire. Sur un ton tragi-comique, nous découvrons, à travers ce roman graphique, un destin et une Amérique liés par la musique. SL

FOREST, Judith 1h25 Bruxelles, La cinquième couche, 2010. 1h25, c’est le temps que met le TGV pour relier Paris à Bruxelles. Deux villes qui vont marquer l’entrée dans la vie de Judith Forest, puisque c’est d’elle qu’elle a décidé, plutôt deux fois qu’une, de parler. Elle quitte Paris, donc, et les Beaux-Arts, pour changer d’air et débuter sa carrière dans la capitale belge. Elle en profite pour régler quelques comptes avec son père, dresser un bilan de sa jeune existence que d’aucuns pourraient qualifier de dissolue, s’interroger sur la question de l’autobiographie en bande dessinée, de l’image, la sienne et celle des autres, puisque se dévoiler c’est aussi les exposer. Quoi encore… Oui, le dessin est virtuose. On hésite entre l’admiration béate, une certaine gêne à se voir imposer un rôle de voyeur et quelques énervements face à un certain nombrilisme. Mais au final, pour ma part, je m’incline. FD

101


LE ROY, Maximilien

Nietzsche Bruxelles, Lombard, 2010.

Non, vous ne saurez pas tout de Nietzsche après avoir lu cette bande dessinée… Mais vous aurez peut-être envie de l’approcher de plus près. Le jeune dessinateur Maximilien Le Roy a proposé à Michel Onfray une adaptation de la biographie du célèbre homme… C’est ainsi qu’est née la première BD consacrée à la vie d’un philosophe. On y suit son parcours, le développement de sa pensée, ses liens avec Wagner, Lou-Andréas Salomé. Les auteurs cherchent aussi à dédouaner le philosophe des accusations d’antisémitisme qui planent sur lui. Le style de Le Roy, qui a déjà plusieurs bandes dessinées à son actif, m’a bien plu. Le texte offre une introduction originale à l’œuvre de Nietzsche. Le résultat est à mon sens réussi mais pour approfondir la question, on se penchera sur un ouvrage plus consistant, comme celui de Rüdiger Safranski : Nietzsche, biographie d’une pensée. FB

LEMIRE, Jeff

Essex County Paris, Futuropolis, 2010.

Sur presque 500 pages, Jeff Lemire dresse le portrait d’une famille sur plusieurs générations. Ce sont tous des fermiers canadiens, qui vivent dans une petite ville à quatre heures de route de Toronto, dont les disputes, les rancoeurs et les accidents les ont fait s’éloigner les uns des autres. Les époques se mêlent, se mélangent, mais le lecteur découvre peu à peu les différentes histoires, les secrets, les querelles encore vives, permettant de mieux comprendre le destin des personnages, de ces accidentés de la vie, de ces éclopés aux visages attendrissants. La narration est fluide, rythmée, percutante, laissant à l’histoire le temps d’évoluer et de se développer. Jeff Lemire parvient à insuffler de l’humanité dans ses personnages qui oscillent entre espoirs et désillusions, petits bonheurs et coups durs. PB

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© Nietzsche © Le Lombard, Maximilien Le Roy, Michel Onfray


Š Casterman, 2010


MAZZUCCHELLI, David

Asterios Polyp Bruxelles, Casterman, 2010.

Asterios Polyp est un architecte brillant, un théoricien universitaire adulé, mais c’est un « architecte de papier », car aucun de ses plans n’a été réalisé. Ce quinquagénaire un peu misanthrope et solitaire, va tomber amoureux d’Hana, la femme de sa vie. Alors que cet amour s’étiole et qu’il se morfond, son appartement de Manhattan et tous ses biens sont réduits en fumée. Il ne lui reste qu’un briquet ayant appartenu à son père, une montre fonctionnant grâce à un aimant et un couteau suisse. Il décide alors de partir, en train, s’achetant, avec le peu d’argent qu’il lui reste, le billet qui lui permet d’aller le plus loin possible. Le hasard le conduira à Apogee, une petite ville perdue où il reprendra sa vie à zéro, devenant mécanicien. Pour relater cette quête introspective vers la rédemption, David Mazzucchelli construit le récit en flash-backs, en ellipses temporelles et en bribes de souvenirs. Son travail sur le lettrage, les phylactères ou la colorisation est une vraie réussite qui en fait, indéniablement, un des albums de l’année. PB

MILLER, Frank

300 Montreuil, Rackham, 2006.

Un cri de guerre, des boucliers fendus, les javelots qui transpercent l’air… Les Spartiates attaquent. Nous sommes en 480 av. J.C. lorsque les Perses décident d’envahir le monde. Malgré le conseil des oracles de ne pas attaquer, Léonidas, roi de Sparte, décide d’affronter avec 300 guerriers les Perses qui se comptent par millions. Honneur et liberté font l’image des Spartiates qui ne reculent en rien devant le danger pour donner un sens à ces deux mots. Dès leur plus jeune âge, ils sont finement sélectionnés pour devenir des armes redoutables et représenter Sparte, les autres seront éliminés. Subjugué à chaque page par l’impact du graphisme et l’esthétique, ce récit guerrier gagne encore en puissance. Frank Miller, créateur hors du commun, réussit là un coup de maître et la brillante adaptation à l’écran nous replonge instantanément dans son dessin. SL

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PEETERS, Frederik. LEVY, Pierre Oscar

Château de sable Genève, Atrabile, 2010 (Bile blanche).

Tout aurait bien pu se passer pour ces treize personnes – adultes et enfants - qui passent une après-midi de détente sur une petite plage isolée, jusqu’à la découverte du cadavre d’une jeune femme qui flotte dans la mer. Le surnaturel plonge alors ces personnages dans une histoire dont ils ne peuvent s’extraire, dans une dimension inconnue qui les encercle. Au lecteur de découvrir l’étrange phénomène qui touche ces personnages, pour ne pas déflorer l’intrigue. Sur un scénario de Pierre Oscar Lévy, Frederik Peeters atteint, une fois encore, une qualité graphique incroyable. En noir et blanc avec de somptueuses pages muettes, il retranscrit avec maestria les nombreuses « mutations » que subissent les personnages. Captivant jusqu’à la dernière case. PB

RABATE, Pascal

Le Petit Rien tout neuf avec un ventre jaune Paris, Futuropolis, 2009.

A Mazé, petite ville de province, Patrick tient un magasin de farces et attrapes « Le Petit Rien tout neuf avec un ventre jaune ». Depuis le départ de sa femme, Patrick est franchement déprimé « Je suis une vraie merde qui vend des fausses merdes » pense-t-il en regardant à longueur de journée les étrons en plastique « made in France » exposés sur son comptoir. Rien ne semble pouvoir sortir Patrick de son cafard, jusqu’au jour où il rencontre Clotilde, une jeune et jolie trapéziste du Cirque « Nuage » de passage en ville. Patrick et Clotilde partagent leur solitude, mais l’amour peut-il rimer avec toujours ? Sur fond de conflit social, Rabaté nous fait vivre le quotidien des habitants de Mazé avec réalisme, tendresse et poésie. A noter encore le travail sur les couleurs à la fois chaudes et douces qui est absolument superbe. CLR

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WAZEM, Pierre. TIRABOSCO, Tom

Sous-sols Paris, Futuropolis, 2010.

Depuis la mise en route de l’accélérateur à particules au CERN, le fameux LHC, un énorme trou noir absorbe toute la lumière. La ville de Genève – qui n’est jamais nommée – est plongée dans le noir. Une jeune femme, endormie dans son appartement du Lignon, se trouve projetée dans les sous-sols lugubres et interminables du CERN, avec une meute de chiens fantomatiques à ses trousses. Heureusement elle y croise un autre naufragé, un ingénieur, lui aussi perdu. Mais pour la jeune fille, l’enjeu est ailleurs. Ses souvenirs réapparaissent peu à peu et on devine les ombres qui recouvrent son passé. Deuxième tome d’une trilogie autour de catastrophes apocalyptiques, Wazem et Tirabosco signent une nouvelle parabole autour de la mémoire, de l’oubli et de la solitude. Avec de magnifiques dessins noir, blanc et bleu, Tirabosco plonge le lecteur dans la pénombre, dans une semi-obscurité où la lumière n’existe que par taches. PB

© Futuropolis, 2010

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VOS BIBLIOTHÈQUES MUNICIPALES : bibliothèque de la Cité place des Trois-Perdrix 5 1204 Genève 022 418 32 22

bibliothèque de la Servette rue Veyrassat 9 1202 Genève 022 733 79 20

bibliothèque des Eaux-Vives rue Sillem 2 1207 Genève 022 786 93 00

bibliothèque de Saint-Jean av. des Tilleuls 19 (entrée rue Miléant) 1203 Genève 022 418 92 01

bibliothèque de la Jonction bd Carl-Vogt 22 1205 Genève 022 800 13 61

Service du Bibliobus 40 points de stationnement dans tout le canton, renseignements auprès de votre commune ou au 022 418 92 70

bibliothèque des Minoteries rue des Minoteries 3-5 1205 Genève 022 800 01 31

bibliothèque des Sports ch. du Plonjon 4 Parc des Eaux-Vives 1207 Genève

bibliothèque des Pâquis rue du Môle 15-17 1201 Genève 022 900 05 81

Tous les documents présentés ici se trouvent en un ou plusieurs exemplaires dans les bibliothèques municipales. Vous trouverez leur disponibilité dans votre bibliothèque ou en consultant notre site internet : http://collectionsbmu.ville-ge.ch/

CES RÉSUMÉS VOUS SONT PROPOSÉS PAR : Françoise Aellen • Françoise Bonvin • Philippe Bonvin • Catherine Demolis • Florent Dufaux • François Gerber • Caroline Langendorf Richard • Roane Leschot • Simon Liengme • Marie-Claude Martin Dominique Monnot • Charles Morisod • Joëlle Muster • Monica Richaume • Jessica Schenk DISPONIBILITÉ DES DOCUMENTS : Existe en gros caractères Existe en livre lu •

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Existe en livre lu en anglais

Existe en livre lu en allemand


COORDINATION ET CORRECTIONS GRAPHISME IMPRESSION www.ville-ge.ch/bmu/

Dominique Monnot Bruno Fernandes / bpoeta.net Centrale Municipale d’Achat et d’Impression Ville de Genève


“ Il en est des livres comme du feu dans le foyer. On va le prendre chez le voisin, on l’allume chez soi, on le communique à d’autres et il appartient à tous. ” Voltaire


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