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Résumé en français

Entre septembre 1893 et mars de l’année suivante, la presse britannique se penche régulièrement sur les événements qui se produisent dans le port de Rio de Janeiro. Elle publie des télégrammes, des résumés d’agences de presse, des lettres de lecteurs, des commentaires, des éditoriaux et des articles envoyés par des correspondants parmi lesquels il faut mentionner ceux du correspondant du journal conservateur londonien The Times. Sans doute manifeste-t-il une certaine sympathie à l’égard des insurgés, mais ses longs articles constituent des documents de toute première importance, qui servent souvent de matière première à un certain nombre d’analyses publiées par d’autres quotidiens du Vieux Continent. Il y décrit la vie à Niteroi, à Rio et à bord des navires; il rapporte certaines batailles ; il interviewe Custódio de Melo et Saldanha da Gama.

Si les journaux américains, dans leur écrasante majorité, défendent le gouvernement brésilien, les périodiques analysés dans ce volume peuvent être divisés en deux groupes : d’une part, ceux qui appuient les yeux fermés le mouvement insurrectionnel, un retour de la monarchie déchue en 1889 et qui censurent systématiquement Floriano Peixoto ; d’autre part, ceux qui expriment une opinion plus modérée. Sans soutenir le gouvernement républicain, cette minorité rédige des commentaires beaucoup plus nuancés et

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n’hésite pas à mettre également en lumière les carences et les erreurs des marins rebelles.

Tous les analystes britanniques s’accordent cependant sur un point : l’information reçue est incomplète, peu fiable et partisane. Cela peut expliquer en partie cette différence d’opinion. Certains déclarent que les rebelles sont dans une situation militaire très favorable, avec des soutiens chaque jour plus consistants et pratiquement sûrs de l’emporter sur un exécutif à la peine. D’autres affirment que Peixoto – fonctionnaire intrigant, corrompu, têtu, et qui mène une bataille désormais perdue — n’est plus maître de la capitale. Pour ces journaux, la victoire de Custódio de Melo — homme d’expérience, capable, ambitieux — n’est plus qu’une question de temps. Seule une intervention des Grandes Puissances pourrait sauver le Maréchal de Fer.

D’autres périodiques font remarquer que la position du président n’est pas si fragile. Honnête et fort, il bénéficie de l’appui de l’Armée de terre et du Congrès. Selon eux, il n’a pas agi comme un tyran : par conséquent, il doit rester jusqu’à la fin de son mandat en novembre 1894. Les mêmes analystes jugent que de Melo et Saldanha da Gama se trouvent dans une position très difficile : ils n’ont pas les moyens d’effectuer un débarquement pour s’emparer de Rio de Janeiro ; par ailleurs, Peixoto est en train d’acheter une nouvelle flotte aux États-Unis. Quelques éditorialistes remettent surtout en cause la légitimité de leur action et soulignent (le fait) que les résultats qu’ils ont obtenus sont minimes.

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Un nombre non négligeable de ces journalistes estime que les deux antagonistes sont faibles, ou, dans le meilleur des cas, de force égale : il n’y a aucune bataille digne de ce nom, les deux parties préférant attendre. Par conséquent, à court terme, on n’envisage pas une fin à cette guerre civile. Les déclarations fracassantes sont à l’ordre du jour, mais en réalité, les pertes et les dégâts matériaux sont limités. Plusieurs analystes souhaiteraient une solution négociée à cette lutte, très dommageable pour l’économie brésilienne et pour le commerce international. La Grande Bretagne a d’importants intérêts à défendre au Brésil, auquel elle fournit presque la moitié de ses importations. La presse ne manque pas de le souligner, censurant la politique menée par le cabinet de Londres qui, contrairement à celui de Washington, ne défend pas ses marchands dans le port de Rio de Janeiro. À l’instar d’une partie de la presse états-unienne et surtout de celle de la droite en France, plusieurs commentateurs font une comparaison entre la situation du pays à l’époque de D. Pedro et celle vécue depuis la chute des Bragance. De leur point de vue, le pays n’a rien gagné à l’avènement de la République, bien au contraire : la stabilité politique et la prospérité économique font partie du passé glorieux du Brésil. Depuis quatre ans, affirment ces éditorialistes, ce sont des dictateurs militaires, des aventuriers qui tiennent le haut du pavé : ils n’ont qu’un objectif, se remplir les poches, en favorisant leur famille et leurs proches.

Les journaux anglo-saxons parlent logiquement d’une possible restauration monarchique dans le plus grand pays d’Amérique du Sud. Certains

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sont convaincus que le fils de la princesse Isabelle, qui n’a que 18 ans, sera proclamé empereur. D’autres pensent que les descendants de D. Pedro n’envisagent pas un retour au pays et deux d’entre eux proposent même un prince allemand pour occuper le trône laissé vacant le 15 novembre 1889. Cependant, une minorité des commentateurs britanniques ne prennent pas leurs rêves pour des réalités : ils admettent que la République occupe le terrain et que la révolte est très loin d’avoir remporté la partie. Conscients qu’il n’y a aucun candidat au profil idéal pour assumer cette charge, ils soulignent que les monarchistes brésiliens devront franchir un obstacle peut-être insurmontable : la ferme opposition des États-Unis.

Quant au rôle joué par les grandes puissances, les avis divergent. Si une partie pense que les flottes étrangères devraient intervenir pour mettre un point final à ce conflit, pour d’autres, les navires étrangers ne peuvent agir que pour défendre leurs propres concitoyens sur place. Une minorité d’analystes exige une neutralité absolue, parce que les pays européens et les États-Unis ne peuvent pas s’immiscer dans les affaires intérieures du Brésil, même pour éviter un bombardement de la population civile.

Mentionnons pour terminer deux événements importants parmi ceux relatés dans cet ouvrage : l’intervention américaine du 29 janvier et la fuite de Custódio da Gama le 13 mars 1894. Les journaux britanniques sont beaucoup moins élogieux à l’égard du coup de force du commandant Benham qui réussit à faire capituler da Gama en brisant le blocus du port de Rio. Conscients que cette attitude américaine favorise le gouvernement en place et constitue un

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sérieux revers pour l’insurrection, ils se demandent si cela ne signifie pas une ingérence de Washington dans la politique brésilienne dans le but d’écarter notamment la possibilité d’un retour de la monarchie.

Quant à la décision peu glorieuse du chef de la rébellion et de ses officiers, si The Timeset The Pall Mall Gazetteont beaucoup de mal à avaler la pilule de l’échec de la rébellion, la plupart des journaux — qui continuent à s’interroger sur les causes de cette guerre civile — sont soulagés par la fin des combats, une excellente nouvelle pour les marchands anglais et pour tous ceux qui ont investi des capitaux au Brésil. En d’autres termes, peu importe la nature du régime en place à Rio, dans la mesure où on enlève les entraves au commerce international.

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