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Résumé en français

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Apresentação

Apresentação

Dans ce volume, nous avons retranscrit les principaux articles de la presse parisienne qui se penchent sur la révolte des marins dans la baie de Rio de Janeiro, de septembre 1893 à mars de l’année suivante. Nous avons choisi une douzaine de périodiques qui publient principalement des commentaires, des analyses, des éditoriaux, des interviews51 sur ces six mois de l’histoire du Brésil. Des journaux à grand tirage, comme Le Petit Journal ou Le Petit Parisien, n’ont pas été retenus, parce qu’ils n’insèrent que des dépêches télégraphiques et des résumés d’agences de presse. À l’instar de leurs collègues d’Outre-Manche et d’Outre-Atlantique, tous sont confrontés à une information lacunaire, partisane et contradictoire, qui rend pour le moins problématique une reconstitution et une interprétation des faits. D’un côté, ils stigmatisent les nouvelles parfois fantaisistes fabriquées à la faveur des insurgés : de l’autre, ils s’interrogent sur la véracité des télégrammes officiels et des informations données par le délégué spécial du gouvernement de Rio en Europe.

La presse conservatrice, à quelques nuances près, chante la même chanson : le pays, stable et prospère sous l’Empire, depuis quatre années est

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51 Les lettres des correspondants du Journal des Débats et de Le Temps feront partie du livre, Olhares francófonos sobres a Segunda Revolta da Armada, dont la publication est prévue en 2022 dans cette même collection.

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victime de nombreuses insurrections et d’une situation économique qui se détériore sans cesse avec, notamment, une inflation galopante. À la place du magnanime et cultivé D. Pedro, il est à présent gouverné par une oligarchie politico-militaire corrompue, inspirée des principes positivistes d’Auguste Comte, qui ne pense qu’à remplir les poches de leur famille et de leurs amis.

Ce sont les mêmes organes de presse qui croient les yeux fermés à une victoire des révoltés et qui tirent à boulets rouges sur Floriano Peixoto52 . Celui-ci, qualifié de tyran, est accusé d’avoir attisé la flamme de la révolte au Rio Grande do Sul, d’avoir favorisé l’Armée au détriment de la Marine et d’avoir mener un véritable coup d’État, en mettant son veto à la loi électorale qui interdisait à un Vice-Président de se représenter aux élections suivantes.

Le thème le plus traité est celui d’une restauration monarchique. Conscients que remettre un monarque à la tête du plus grand pays de l’Amérique du Sud provoquerait immédiatement une forte opposition de la part de Washington, rares sont ceux qui se déclarent ouvertement en faveur de ce changement. Outre L’Univers et La Liberté, nous pouvons en citer deux : Le Figaro et Le Gaulois. Le premier interviewe un membre de la colonie brésilienne à Paris et publie un long portrait hagiographique de l’ancienne famille régnante, désormais exilée en France ; le deuxième se rend à la résidence des comtes d’Eu, du duc de Nemours et d’un ancien diplomate brésilien. Ces deux quotidiens se réfèrent au petit-fils de D. Pedro, comme s’il

52 Le 23 novembre 1891, après le départ de Deodoro da Fonseca, le Vice-Président Floriano Peixoto devient chef de l’Exécutif

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était déjà empereur ! En revanche, Le Journal analyse le retour des Bragance avec réalisme. De son point de vue, cela provoquerait une autre guerre civile et le prince connaîtrait une fin aussi dramatique que celle de Maximilien vingt-six ans auparavant au Mexique. Même le Journal des Débats admet, un peu à contrecœur, que le Brésil n’est pas mûr pour un retour de ses anciens dirigeants.

Nous avons déjà constaté que, tant dans presse américaine que dans celle du Royaume Uni, une minorité d’analystes critique les deux camps en lutte. C’est le cas également d’une petite partie de la presse parisienne qui souligne l’absence de résultats concrets, malgré les combats. Selon ces éditorialistes, il s’agit d’un conflit, très néfaste à l’économie du pays et dont on n’entrevoit pas la fin, entre deux ambitieux qui, cependant, ne s’engagent pas beaucoup.

Ce sont surtout le Radical et La Justice qui défendent avec force l’exécutif de Rio de Janeiro. Ils insistent sur les difficultés rencontrées par les rebelles, ils s’opposent à ce que l’on leur accorde le statut de belligérants, ils blâment la révolte fédéraliste au Rio Grande do Sul, ils s’opposent farouchement au retour de la monarchie et ils critiquent vertement ceux qui propagent de fausses nouvelles pour dénigrer Floriano Peixoto. Le premier affirme que ce sont les Bragance et l’Allemagne qui ont fomenté cette rébellion ; le deuxième publie un article très flatteur du Maréchal de Fer qui, selon La Justice, a même obtenu un doctorat ès sciences !

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À une époque où les luttes politiques sont très vives, la guerre civile au Brésil ne pouvait pas ne pas susciter quelques polémiques journalistiques. Un exemple pour illustrer ce climat. Le 12 janvier 1894, le Journal des Débats construit son éditorial à partir de la fausse nouvelle de la démission de Peixoto. Le journal conservateur, après avoir attaqué ce qu’il appelle le détestable régime militaire, s’auto-congratule d’avoir été le seul, en Europe, à avoir prédit cette issue. La réaction du Radical est immédiate : il ridiculise les propos de son confrère et de ceux qui ont cru en ces démissions en mettant en évidence le fait d’avoir été le seul à démentir cette information.

Le 29 janvier, l’amiral Benham met fin au blocus du port de Rio, ce qui représente un sérieux échec pour les marins brésiliens. La presse conservatrice, malgré tout surprise par l’attitude de da Gama, dénonce l’intervention directe des États-Unis dans le conflit, malgré la doctrine Monroe. Elle y voit deux explications : d’une part, Washington soutient Peixoto parce que celui-ci est favorable au traité commercial bilatéral; d’autre part, une défaite des insurgés porterait un coup fatal aux monarchistes. Selon les deux quotidiens de gauche, il s’agit d’un simulacre de combat, élaboré à l’avance, afin que da Gama puisse se rendre aux Américains, et sauver ainsi sa peau.

La fuite du chef de la révolte et de ses officiers en mars 1894 est une couleuvre difficile à avaler pour les journaux conservateurs. Le Gaulois a de la peine à admettre la défaite et le Journal des Débats, qui justifie cette capitulation, met tous ses espoirs dans une poursuite de la lutte au sud du pays. Le Radical et La Justice se félicitent de la cuisante défaite des rebelles, tandis

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que Le Figaroet Le Temps expriment une opinion plus nuancée. Le premier — qui publie deux articles de Georges Héroult, ancien rédacteur de l’Écho du Brésil expulsé à l’automne — explique cette défaite par les divisions entre les deux chefs rebelles et par l’inaction des monarchistes brésiliens. Le Temps — qui énumère les données factuelles à l’origine de cette débâcle (fièvre jaune, navires en mauvais état, concentration des attaques gouvernementales) — censure durement ces fuyards. Pourquoi, se demande le quotidien parisien, ont-ils commencé cette lutte en septembre, pour se retrouver, après six mois, dans ce chemin sans issue ?

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