27 mars 2014 : l'annonce du jury Cette dernière a été faite dans l’émission « Comme on nous parle » de Pascale Clarck, entre 9h et 10h. C’est plutôt en fin de séquence, et l’on attend fébrilement un bon moment que les premiers sujets soient passés. Les noms des jurés sont annoncés à l’antenne avec leur âge, leur profession et la commune depuis laquelle ils ont postulé. Un des jurés est appelé en direct pour qu’il explique quels sentiments lui inspire le fait d’avoir été sélectionné. Pour l’anecdote, j’étais en train de me laver les cheveux et avais interrompu mon action pour écouter la radio, les cheveux plein de shampoing me dégoulinant dans les yeux, et je craignais fortement d’être appelée et de devoir répondre avec les yeux en feu… Suite à l’annonce du jury, Eva Bettan révèle la sélection des 10 ouvrages qui concourent pour le Prix. C’est réellement à ce moment que j’ai pour ma part pris conscience de ce qui m’attendait. Etant dans la cambrousse corse en vacances cette semaine-là, je ne pouvais pas aisément me connecter à internet et je me rappelle avoir noté à la va-vite sur un bout de billet sncf la liste des 10 livres. J’avoue avoir éprouvé une certaine joie en constatant que j’avais déjà lu 5 des 10 ouvrages sélectionnés, étant donné que nous avions jusqu’au 1er juin pour les lire attentivement et qu’il fallait déjà que nous recevions les livres, ce qui laissait au final environ 1 mois et demi. Mais je me suis vite rendue compte que cette première lecture que j’avais pu faire – en prenant notamment La petite communiste qui ne souriait jamais et Faber le destructeur à la bibliothèque de Riom – n’avait pas été faite dans des conditions adéquates, à savoir que je n’avais pas lu ces livres en pensant que j’aurais à argumenter devant 24 autres personnes. Je pensais donc avoir à les relire. Le fait d’entendre son nom est évidemment une grande joie. En en parlant avec les jurés, nous nous sommes tous dits que nous n’y avions jamais cru avant l’annonce de nos noms. Après le plaisir vient très rapidement une bouffée de stress : et si je n’avais pas le temps de lire tous ces ouvrages ? Et si je n’arrivais pas à argumenter ? Et si je n’osais pas prendre la parole ? Avril 2014 : la préparation Le jour même, j’ai reçu un appel de France Inter me confirmant que j’avais été sélectionnée, et me demandant si j’étais toujours partante. Il faut savoir que les délibérations ont lieu un dimanche, et que l’annonce du prix se fait un lundi. Le lundi, les jurés assistent à certaines émissions de la station en compagnie du lauréat. Il convient donc de pouvoir se libérer a minima pour un lundi, voire un mardi si vous êtes auvergnat et que le dernier train depuis Paris-Bercy est à 19h. S’en sont suivis de nombreux échanges avec une équipe très réactive afin d’envoyer les livres. Je crois avoir reçu les premiers aux alentours du 6 avril, et les suivants une semaine plus tard. Je pensais que nous allions recevoir un « mode opératoire » concernant la préparation, un peu comme en commentaire composé, mais cette réflexion était finalement assez scolaire… Et au final chaque juré a eu sa propre méthode, celle qui lui a permis de se forger un avis sur chacun des livres. Le jour des délibérations, certains avaient un carnet où ils avaient pris des notes sur chaque ouvrage, voire recopié des citations ; d’autres avaient ramené leurs exemplaires avec de nombreux post-its ; un autre groupe n’avait pas pris de notes concernant les romans qui avaient été appréciés… De toute façon, la discussion avec 24
personnes sur un roman amène souvent à évoluer dans ses propres positions. Pas forcément à changer radicalement d’avis, mais nous avons souvent pu nous dire « ah oui, je ne l’avais pas lu comme cela, maintenant que tu le dis… ». Pour en revenir à la préparation, il m’a semblé important de ne pas lire les livres du Prix comme je le faisais habituellement. Ayant à motiver mes impressions, je me suis interdite de « lire en diagonale » quand un livre ne me plaisait pas, ou bien de lire plusieurs romans en même temps… S’il m’arrive de faire traîner de gros romans quelque temps du fait d’importants horaires de travail, je me suis astreinte à les lire sur des plages de temps resserrées, afin d’être vraiment immergée dedans et de pouvoir en « extraire la substantifique moelle », pour reprendre une expression de juré. J’ai notamment pu profiter de trajets en train ou en bus, voire à l’arrière du véhicule paternel lors de mon déménagement, pour me consacrer pleinement à l’analyse du texte. Sur ce point justement, chacun sa méthode également. La question à se poser était : aime-t-on ou non ce roman, et pourquoi ? Ma crainte était de faire des analyses trop scolaires, basées sur la stylistique comme j’avais pu le faire durant mes études littéraires. Là encore, les avis étaient partagés. Attend-on une « belle histoire » ? Un « style » ? Un livre qui « pose des questions » ? Un roman « engagé » ? Un livre qu’on relira ? C’est de la mise en commun de toutes ces réflexions que doit sortir une décision de vote pour tel ou tel roman. Je n’ai pas relu tous les livres que j’avais déjà lus avant de savoir que je serai jurée. En effet, j’avais trop en tête les critiques du « Masque et la plume »1 les concernant, et je craignais de trop les avoir en tête à la relecture et de les faire miennes alors que ce n’était pas ce que j’avais ressenti à la première lecture. Toujours à ce sujet, France Inter a diffusé dix jours avant les délibérations, chaque matin, l’interview d’un des auteurs sélectionnés. Je n’ai pas souhaité les écouter à ce moment-là car pour moi les auteurs avaient produit leur livre et les entendre m’expliquer ensuite tel ou tel point aurait pu m’influencer, ou à tout le moins me faire considérer différemment l’ouvrage mais sans que ce ressenti soit issu de mon expérience de lectrice. C’est un point de vue personnel que j’adopte également pour le cinéma, considérant que si je comprends autre chose au film lorsque c’est le réalisateur qui l’explique, il serait dommage que je me base là-dessus plutôt que sur mon impression à la sortie de la salle pour émettre un jugement, voir notamment les multiples théories sur le sens de Mulholland Drive.
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Le Masque et la plume est une émission culturelle diffusée sur France inter le dimanche soir à 20h, animée par Jérôme Garcin. Une tribune de critiques passe en revue les derniers films, livres ou pièces de théâtre.